Code n°164 – Substitut d’identité (sous-codes : Play-back / Imitateur / Travestissement)

substitut d'identité

Substitut d’identité

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Faut m’aimer à ma place et m’attendre au tournant. »

(cf. la chanson « J’ai pas 20 ans » d’Alizée)

 

Dragqueen

Dragqueen


 

Quand on ne s’aime pas un minimum soi-même, qu’on reporte l’amour qu’on se doit en cherchant à être quelqu’un d’autre ou à se mettre en couple avec un semblable sexué qui comblera partiellement cette haine de soi, comment en toute logique prétendre aimer ensuite l’autre tel qu’il est vraiment ? C’est la première question qu’on devrait se poser au sujet des « couples » homosexuels et des personnes homosexuelles – qui ont beaucoup de retard par rapport à l’acceptation d’elles-mêmes, non pas en tant que personnes homosexuelles mais en tant que personnes aimantes et aimables.

 

Leanne Payne, intellectuelle lesbienne nord-américaine, a tout à fait raison de dire que dans l’homosexualité, il y a une forme de jalousie, de complexe et de peur qui s’exprime : on recherche chez les semblables sexués ce dont on croit manquer.
 

Dans les fictions homo-érotiques, on constate que bon nombre de personnages homosexuels (mais aussi de personnes homosexuelles réelles) expriment leur désir de devenir quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes, pour échapper aux contingences humaines et à l’horizon d’une vie qui promet d’être banale. Ils désirent, par leurs attitudes et leur mode de vie, être riches/pauvres, être une femme (quand ils sont nés hommes) ou homme (quand elles sont nés femmes), être beaux, être célèbres, être objet, être éternellement jeunes, vivre à une autre époque, nier leur unicité et la souffrance inhérente à leur condition humaine. Cette fuite et haine de soi sont rarement étudiées dans l’étiologie de l’homosexualité : pourtant, elles sont frappantes, évidentes, et suffiraient à ébranler la « certitude » qu’a la société par rapport à l’identité homo, et même par rapport à la fiabilité du désir homo.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Fusion », « Maquillage », « Extase », « « Je suis différent ! » », « Amant narcissique », « Bergère », « Jumeaux », « Pygmalion », « Voleurs », « Fan de feuilletons », « Moitié », « Amour ambigu du pauvre », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Musique comme instrument de torture », « Inversion », « Clown blanc et Masques », « Cannibalisme », à la partie « Autocensure anti-identitaire » du code « Déni », et à la partie « Automates » du code « Poupées », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Photo I Wanna Rob A Bank de Jason Collett

Photo I Wanna Rob A Bank de Jason Collett


 

On n’en parle très peu aujourd’hui. Et pourtant, cela saute aux yeux dès qu’on s’arrête pour rencontrer un peu les personnes concernées. Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un garçon, une fille, un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet cité dans l’essai Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99) L’omniprésence des play-back dans les œuvres homosexuelles illustre bien la volonté de substitution fusionnelle à l’amant. L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » (Olivier, 37 ans, parlant de la découverte de son homosexualité, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) Ce dernier, plus apprécié par son aspect physique que pour ses qualités intérieures, est censé les conforter dans la très haute et la très basse image qu’elles ont d’elles-mêmes ; en un mot, les aimer à leur place (c. f. la chanson « J’ai pas 20 ans ! » d’Alizée). Mais avec le temps, elles finissent par lui reprocher d’obéir sans broncher à leur orgueilleuse demande, de leur mentir et de les entretenir dans un rêve illusoire. Car personne ne peut faire à notre place ce travail d’amour de nous-mêmes, ni s’imprimer en nous telle une presse, ni même nous figer en image contagieuse.

 

« Tu m’as aimée pour mon image, mais m’aimeras-tu pour ce que je suis ? » Voilà la question fondamentale de Cendrillon que beaucoup de personnes homosexuelles rêveraient de poser à leur amant, mais qu’elles ne lui soumettent que très rarement car elles connaissent déjà la triste réponse : elles lui demandent de leur révéler leurs propres richesses, parce qu’elles/il doute(nt) trop d’elles. Cette conception de l’amour qui fait dépendre l’amour de soi principalement de l’amant ne traduit pas la confiance mais au contraire une démission mutuelle. À bien y réfléchir, nous pouvons nous demander comment il peut y avoir un amour juste entre deux personnes qui se désirent à ce point hors d’elles-mêmes, qui ont fondé leur union sur la déception de soi et la substitution réifiante. « Ennemi de soi-même, comment aimer les autres ? » chante Étienne Daho dans sa chanson « Retour à toi ». Il semble qu’il faut déjà s’aimer un minimum soi-même pour pouvoir aimer l’autre tel qu’il est et pour lui demander de nous aimer tels que nous sommes. Et dans la majorité des couples homosexuels, il est clair que les questions sur l’estime de soi n’ont généralement pas été réglées. Ces dernières restent souvent noyées pour un temps par l’adoration. Il est fréquent de voir que beaucoup de personnes homosexuelles remplacent dans leur discours le verbe « aimer » par celui d’« adorer » dès qu’elles parlent de leur(s) amant(s). Malheureusement, l’amour-idolâtrie, l’autre nom de l’amour homosexuel, n’équivaut pas exactement à l’amour. Il est plutôt un désir de fusion-rupture à l’objet de désir. L’admiration permet l’émerveillement et le respect de l’être aimé dans la juste distance. En revanche, l’adoration n’inclut pas une reconnaissance de la Réalité. Elle se traduit par une captation des yeux et un désir inconscient d’agression, de possession. Le regard idolâtre ne respecte pas l’être aimé : il dévore ce qu’il veut sincèrement honorer. Parfois, dans la réalité concrète, certaines personnes homosexuelles regardent leur amant sans le voir, c’est-à-dire sans le reconnaître dans son individualité et ses limites, et sans lui laisser sa liberté. Quand bien même elles vivent avec lui au jour le jour, elles passent à côté de lui. Elles pourraient dire, comme le protagoniste du roman Temps voulu (1979) d’Yves Navarre : « Je l’ai aimé. […] Et je l’aime encore. Mais l’ai-je vraiment connu ? » (Yves Navarre, Le Temps voulu (1979), p. 8) Pour illustrer ce curieux aveuglement, Jean Cocteau se filme en portant des yeux postiches pour exprimer, selon ses propres termes, qu’il « regarde Jean Marais sans le voir » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky).

 

L’adoration n’est pas l’amour : elle est un versant de la haine. Il ne suffit pas de haïr oralement quelque chose pour en être détaché, ni de se faire à deux une déclaration d’amour fou pour vivre à l’abri des désirs de destruction de l’objet de désir. La fascination a quelque chose à voir avec la haine : nous détestons, et secrètement nous envions. Le nœud du fanatisme qui unit la haine à l’adoration est la déception : rien de pire qu’un fan déçu qui présente la jalousie sous les traits de l’amour, avant parfois de la laisser agir avec une violence inouïe. Je crois que l’amour homosexuel est un subtil mélange d’amour vrai et de fanatisme. Il a le parfum de la vénération inconditionnelle que le fan porte à sa vedette. Celle-ci sait pertinemment que le jour où elle ne lui proposera rien de nouveau et qu’elle apparaîtra sans maquillage dans la rue, il ne la reconnaîtra pas et ne se battra pas pour la repêcher. Elle a conscience de l’amour-pacotille dont elle est aimée. Le fan homosexuel a aussi compris cela, et souffre à la place de sa star de l’amour éphémère qu’il lui porte. L’idole lui annonce leur médiocrité mutuelle. L’idolâtrie est un amour désespéré et haineux entre deux victimes qui jouent constamment à s’échanger les rôles de victimes et de tyrans jusqu’à ce que destruction et engloutissement (fantasmé et parfois réel) s’en suivent.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le personnage homosexuel cherche à changer d’identité et à usurper celle d’un autre :

L’usurpation d’identité (en amour notamment) est un sujet omniprésent dans les œuvres de fiction homosexuelles : cf. le chanson « Sois-moi – Be me » de Mylène Farmer, la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry, le film « Dans la peau de John Malkovich » (1999) de Spike Jonze, le film « Seconde Peau » (1999) de Gerardo Vera, le film « Persona » (1966) d’Ingmar Bergman, le roman Si j’étais vous… (1947) de Julien Green (racontant l’histoire d’un homme se mettant successivement dans la peau de différentes personnes), le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, la chanson « Mourir comme lui » du Teenager du spectacle musical La Légende de Jimmy (1990) de Michel Berger, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (traitant de l’usurpation d’identité opérée par un fan incontrôlable), le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen (où le transfert identitaire se fait grâce à un ordinateur), la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, le film « Si j’étais star » (2003) de Patrick Mimouni, le film « Quand je serai star » (2004) de Patrick Mimouni, « I Was A Male Yvonne De Carlo » (1970) de Jack Smith, le film « Man To Man » (1992) de John Maybury, la chanson « Optimiste » de Stéphane Corbin, la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec Cyrano se faisant passer pour Christian auprès de la belle Roxane), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (avec l’identification autoparodique des fans de David Bowie à leur idole), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec une mère qui, pour surmonter la mort de son fils décédé dans un accident de voiture, tombe amoureuse de l’assassin de ce dernier), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks (sur le transfert d’identités), etc. Par exemple, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, Jean-Louis va chez le psy à la place de son ami(e) transgenre M to F Jessica (initialement Jean-Charles), et ce dernier fait passer Jean-Louis pour lui vis-à-vis de son propre père. Dans l’épisode 6 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn Adam, le héros homo, fait croire que c’est lui le gagnant du concours de dissertation du lycée, alors que c’est Maeve qui a rédigé son devoir à sa place. Il est plagiaire.

 

Souvent, le héros homosexuel exprime son désir d’être quelqu’un d’autre que lui-même, car il ne s’accepte pas tel qu’il est : « J’ai toujours voulu être quelqu’un d’autre. » (Rabii dans le film « Adieu Forain » (1998) de Daoud Aoulad-Syad) ; « J’aimerais bien échanger ma vie avec un autre. » (Luc s’adressant à Bruno, dans le film « Corps inflammables » (1995) de Jacques Maillot) ; « Je voudrais être n’importe qui excepté moi. » (Frankie dans le roman Frankie Addams(1946) de Carson McCullers) ; « Pourquoi suis-je moi et pas toi ? » (le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « J’aime qu’on m’aime pour ce que je ne suis pas. » (David Forgit, le comédien travesti M to F, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Tu me croirais si je te disais que j’aimerais bien être à ta place ? » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Les races n’existent pas. Y’a l’espèce humaine. C’est tout. L’autre, c’est moi. Moi ailleurs, à un autre moment. Mon pays, c’est toi. Mon amour. » (Pierre Fatus, le Blanc qui se prend pour un Noir, dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Arrête de faire semblant d’être ce que tu n’es pas. » (Ninon, la lesbienne, s’adressant à Guen le héros homosexuel, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; « Je n’ai jamais été comme toi. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse dont elle découvre le corps nu pour la première fois, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Oui, vous n’êtes pas à ma place. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à Nina, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc.

 

Le désir de changer d’identité naît d’abord de l’identification excessive du personnage homosexuel à ses héros de papier, ses stars de cinéma ou de magazine. « J’aurais adoré être elle. » (Marilyn Lenorman en parlant de son idole Marilyn Monroe, dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « James Bond, sors de ce corps ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Mourir comme lui, je voudrais mourir comme lui, avant d’avoir gâché ma vie à trop vouloir vivre comme lui. » (cf. la chanson « Mourir comme lui » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Je rêvais de prendre la place de l’un d’eux. » (Kevin, le héros homosexuel regardant un couple homosexuel faire l’amour sur une plage, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Après tout, si ça plaît à l’héroïne, ça devrait lui plaire aussi à elle. » (Perrine, cherchant à imiter en vain son idole Amélie Poulain, dans le film « Le Fabuleux Destin de Perrine Martin » (2002) d’Olivier Ciappa) ; « S’ils tombent, pensais-je, je meurs avec eux. » (Roger en regardant des trapézistes, dans le roman L’Autre (1971) de Julien Green, p. 20) ; « On se met à la place de Meryl Streep. Eh oui ! Encore elle ! » (Matthieu, l’un des héros homos se programmant une soirée ciné avec son « chéri », dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Et là, je me voyais courir dans les champs, cheveux au vent, comme dans la Petite Maison dans la prairie, avec la petite fille qui se cassait la gueule. » (Fabien Tucci, homosexuel, s’identifiant à Laura Ingals, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « J’ai l’impression d’être Beyoncé au Stade de France. » (Fred, le trans M to F, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc. Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Hugo, le héros gay, s’identifie aux personnages du roman Les Hauts du Hurlevent. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane rêve d’être acteur, de devenir comme Madonna. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt joue la « princesse », sa Beyoncé ; et il décrit le supposé délire homosexuel de son collègue Jenko : « Il se prend pour Harvey Milk. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca passe son temps à se prendre pour Rihanna, Dalida, Brigitte Bardot, Alizée, Céline Dion : « T’as des cheveux, tu te prends pour Beyoncé. »

 

Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées déguisées chez lui. La dernière qu’il a faite, c’était « dessins animés de notre enfance » (il était déguisé en Princesse Sarah). Il aime aussi se farder en Lady Gaga. Et il cherche ensuite à s’identifier aux personnes de son entourage qui correspondent « le moins mal » à la femme-pbjet (par exemple, il s’adressera à Mme Bioray, la bourgeoise de l’histoire, en ces termes : « Quand je serai vieux, j’aimerais tellement être comme vous ! »). Dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa dit qu’elle est le sosie black de Marilyn Monroe. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, rêve que par le voyage dans un pays imaginaire que personne ne connaîtrait sauf lui, « il pourrait s’inventer sa propre personnalité ». Dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, arrive travesti en Mylène.

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, s’identifie à un homme, Dick, sur le point de se marier avec une femme. La première fois qu’il l’observe sur la plage, avec des jumelles, il laisse échapper sa schizophrénie : « C’est mon visage. », tout en apprenant l’italien avec une méthode assimile. Tom imite en tous points Dick, au point de s’habiller comme lui, d’imiter sa voix et son écriture. Après avoir tué Dick, Tom se fait passer pour lui. On découvre qu’à la base de cette schizophrénie se cache un grand manque à être : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux être quelqu’un d’autre que n’être personne. »
 
 

b) Le personnage homosexuel cherche à changer d’identité sexuée :

SUBSTITUT Garçonne

The Drag King Fem Show


 

Chez le héros homosexuel, le désir de se substituer à une autre personne concerne particulièrement la différence des sexes : il rêve d’incarner cette différence à lui seul, et renie sa sexuation d’origine : « Je veux être une femme. » (Molina, le héros gay du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 24) ; « Je voudrais être une fille. » (Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, Film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « Je ne puis sentir que je suis une femme. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 266) ; « En ce temps-là, elle avait désiré être un garçon… » (idem, p. 134) ; « Douze ans : l’âge où je me suis senti le plus fille de ma vie ? » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 39) ; « Je préfèrerais être un fils. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant à sa mère, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 180) ; « Dans la famille, on est de gauche de père en fils. » (Rodolphe Sand se mettant dans la peau de Joyce, une lesbienne camionneuse, dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Je veux devenir un play-boy professionnel. […] J’entrerai dans l’armée. […] Ce sera que pour fréquenter l’école militaire. Pour m’entraîner et avoir un corps magnifique. Je veux dire un corps rude et robuste comme le vôtre. » (Anamika s’adressant à Adit, op. cit., p. 206) ; « Ceci dit, il y a une femme dans plus d’un homme. » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « L’intuition féminine… ben tu peux pas comprendre. Je suis une femme, moi. » (Benjamin, l’un des héros homosexuels, ironique, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Je suis un jeune garçon, non pas une femme, ma mère ! » (Lou, l’héroïne lesnienne dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je n’ai aucun problème avec les hommes. La preuve : j’ai un mec à l’intérieur de moi. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse) sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; « J’aimerais être une femme parfois. Je suis jaloux de tes orgasmes. J’vois bien que l’intensité du plaisir est plus forte chez toi. J’ai entendu dire que la femme jouissait huit plus que l’homme. » (Jupiter s’adressant à Junon, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « J’ai emprunté à la femme. Pourquoi les hommes ne feraient pas comme les femmes ? » (Rudolf Noureev, dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, Suzanne, une des deux héroïnes lesbiennes, fait une thèse sur « l’identité sexuelle »… mais pour justement substituer aux identités sexuelles fondatrices homme-femme celles, beaucoup moins réelles et incarnées, d’hétérosexuels-homosexuels. Le père de Claire – la compagne de Suzanne – essaie de la ramener au Réel, et de lui expliquer que la pratique homo ou l’identité homosexuelle/hétérosexuelle sont des tentatives erronées d’identification à ses pulsions, à ses actes génitaux et à ce qu’on croit être les enfants : « C’est la grande loi de Dieu : une femme est une femme, un homme est un homme. […] Homosexuel donne hétérosexuel. Hétérosexuel, c’est le contraire pratique d’homosexualité, qui montre bien la folie de ce monde. […] L’homosexualité est une infantilisation. »

 

Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit que sur la fraterie de quatre enfants dont il fait partie, ils sont deux, sa sœur et lui, à avoir fait un coming out : « Ça fait un beau ratio ! ». Il fait la remarque qu’avec sa frangine, qui a choisi d’être chauffeur routier, de se comporter en mec, qui changeait les plaquettes de freins de leur père, et lui qui a décidé d’assumer sa féminité, d’être hôtesse de l’air, il a dû y avoir « inversion : « Les hôtesses de l’air sont des femmes comme vous et moi. »
 

Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Kena, l’héroïne lesbienne garçonne, est exceptionnellement admise à jouer au foot avec les garçons. Cela étonne Ziki, la future amante de Kena, qui aimerait bien elle aussi être intégrée à l’équipe masculine… et les gars lui répondent qu’ils ont inclus Kena uniquement parce que « Kena, elle joue comme un mec ».
 

Film "Guillaume et les garçons, à table!" de Guillaume Gallienne

Film « Guillaume et les garçons, à table! » de Guillaume Gallienne


 

Le personnage homosexuel aime se déguiser et rentrer dans la peau d’une personne du sexe « opposé ». Je ne vais pas dresser la très longue liste des œuvres de fiction homosexuelles où le travestissement est montré, mais simplement me contenter de citer les quelques œuvres qui me reviennent en tête : cf. le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (Guillaume se travestit en Sissi dans sa chambre), le film « Il ou elle » (2012) d’Antoine et Pascale Serre (Florent Hostein s’habille en femme régulièrement), le film « Unconditional » (« Inconditionnel », 2012) de Bryn Higgins (Owen se travestit, et ce qui semblait au départ un jeu devient sérieux), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (Jules, le poète homo, aime se travestir), le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec l’association fictive l’ATEB : l’Association des Travestis Évêques Belges), le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner (avec le personnage de Robin), la chanson « Travesti » de Sadia dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity (avec Kate qui se travestit en Nate), la chanson « Comme un garçon » de Sylvie Vartan, la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (avec le personnage de Jian Cheng), le film « Une Voix d’homme » (2001) de Martial Fougeron, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le film « La Meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller (avec Philippe qui se travestit en cachette), le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Tootsie » (1982) de Sydney Pollack, le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot (avec François déguisé en « Miss Sophistication »), la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, le film « Ocaña, Retrato Intermitente » (1979) de Ventura Pons, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec le personnage d’Arnold), la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton (avec le personnage de Kevin), le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Veronese (avec un homme en robe de soirée), le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau), le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues, le film « Mathi(eu) » (2011) de Coralie Prosper, le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie, la chanson « It » de Christine & the Queens, etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel raconte que les gays adorent organiser des soirées déguisées à thèmes : « On s’imagine que le gay adore se travelotter. » ; « Les soirées déguisées, on adore ça. C’est le moment parfait pour être quelqu’un d’autre. Pour montrer son double. » Dans le film « Sing » (« Tous en scène », 2016) de Garth Jennings, Gunther, le cochon homosexuel, se prend pour Lady Gaga. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West, raconte que dans son autobiographie Challenge, elle s’habille en homme pour vivre sa relation lesbienne avec Violet Trefusis.
 

Bien souvent, le personnage homosexuel aime devenir objet (ou personne de l’autre sexe) à travers les objets qu’il porte : « Willie aimait les perruques, les bijoux. » (Tristan Garcia, La Meilleure part des hommes (2008), p. 55) ; « Cole Porter, je suis sûr qu’il portait des porte-jarretelles. » (Alex dans le film « Music and Lyrics » (« Le Come Back », 2007) de Marc Lawrence) ; « Je portais des vêtements d’homme que je chinais au marché aux puces ; on pouvait acheter des beaux tailleurs années 50 pour quelques marks à l’époque. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 82) ; « Jane avait vu des photos de Petra jeune, les cheveux lissés en arrière, vêtue de tailleurs stricts à carreaux ou à rayures, un feutre penché de façon désinvolte sur la tête, ressemblant tour à tour à David Bowie dans sa phase berlinoise et à Al Pacino jeune à la mode ‘ Scarface’. » (idem, p. 82) ; etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, se prend pour des tableaux, et se peint en autoportrait. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M ne croit pas qu’elle est une fille : « Je ne peux pas épouser un homme. Je ne suis pas une fille. » D’ailleurs, à la fin du film, elle revend les bijoux de sa mère, décédée quand elle avait 5 ans. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel utilise les bijoux de ses femmes pour se féminiser.

 

Il y a souvent un fond d’inceste dans ce désir de vouloir changer de genre sexué, venant de la mère ou de la soeur de sang : « Mes plus anciens souvenirs étaient quand je mettais les robes de ma sœur. » (Bambi, star trans M to F, s’exprimant dans le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017)
 

Dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau, Pauline, l’héroïne lesbienne qui, étant jeune, s’est déguisée en garçon pour son premier rôle dans une pièce de théâtre qu’elle a jouée sur la place de son village, s’est prise quelque année plus tard pour son déguisement en assumant sa nouvelle « identité de genre/sexe » ( = son homosexualité).

 

Le travestissement peut se faire également par le biais d’un simple changement de prénom, ou l’expression d’un coming out (cf. je vous renvoie à la partie sur les pseudonymes du code « Déni », ou bien au code « Clown blanc et Masques » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « À partir de maintenant, je m’appelle Samantha. » (Shirin, l’une des héroïnes lesbiennes du film « Circumstance », « En secret » (2011) de Maryam Keshavarz) ; « Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine  Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina’. » (Mike, le narrateur décrivant Cody, le héros gay efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « Je change de tête comme de vêtement. » (c.f. la chanson « Il ou Elle » de Bilal Hassani) ; etc. Par exemple, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, l’écrivain homo à succès, a changé son nom de famille pour nier sa lignée parentale, et s’est choisi un pseudonyme. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, l’écrivain homo à succès, a changé son nom de famille pour nier sa lignée parentale, et s’est choisi un pseudonyme. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros gay parisien, en même temps qu’il fait son coming out, décide de changer d’identité et de s’affubler d’un pseudonyme branchouille ridicule : « Jean-Kévin ». Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik dit qu’il change toujours de nom lorsqu’il drague.

 

Une valeur sacrée (excessive) est généralement donnée au travestissement dans les œuvres homosexuelles. Par exemple, dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, la grand-mère de Méral, au seuil de son lit de mort, reconnaît le travestissement de sa petite-fille comme vrai. Dans la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, le travestissement est signe de paix puisque les crises de Claudette, le héros transsexuel M to F, doivent être systématiquement soulagées par l’inversion vestimentaire de ses anciens camarades de fac. Le paraître serait le Roi et « le » Remède aux troubles identitaires ou amoureux. Dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe, le travestissement est signe d’invisibilité, de camouflage idéal : « C’est fini, les couvertures ringardes : vous êtes un couple gay à Miami. » (cf. la phrase dite aux deux flics Leroy et Peyrac) C’est exactement le même cas de figure dans le film « La Croisière » (2011) de Pascale Pouzadoux (Raphaël décide de se travestir en femme, pour passer inaperçu sur le bateau et espionner sa femme), ou encore le film « Mrs Doubtfire » (1993) de Chris Columbus (où un père de famille, suite à son divorce, essaie d’approcher ses enfants qu’il ne peut plus, en se faisant passer pour leur nounou). Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, se prend pour ses actrices.

 

Spectacle cubain de travestis

Spectacle cubain de travestis


 

Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le grand jeu de Guillaume, le héros bisexuel, c’est d’imiter sa mère, sa grand-mère, ses tantes puis toutes les femmes… et le pire, c’est que tout le monde se ferait avoir (au téléphone, etc.) : « J’arrive hyper bien à l’imiter, ma mère. » Cette comédie finit par le rendre extrêmement dépressif, car il voit bien qu’elle a du mal à s’incarner dans le Réel : « Pourquoi ma mère n’est-elle pas heureuse ? Pourtant, je suis une fille, comme elle. » Quand il essaie d’intégrer le groupe des danseuses de sevillanas andalouses, il finit par se faire éjecter, par exemple.

 

Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau d’une petite fille modèle ridiculement habillée en princesse par ses parents… et qui, à cause de son déguisement, ne peut pas exister. Pourtant, pendant toute la pièce, paradoxalement, elle se déguisera en plein de personnages (surtout très machistes) afin d’acquérir une invisibilité (et aussi une consistance !) : « Changer de vêtement pour ne pas être reconnue. » Elle retrace la vie des « modèles de saintes travesties » qui auraient jalonné l’histoire de l’Église catholique. Et elle croit que le fait de s’habiller en homme la transforme en vrai homme : « Mon costume dit à l’homme = Je suis ton égale. »
 

Les personnages homosexuels n’ont parfois même pas conscience d’être travestis même quand ils le sont objectivement. Par exemple, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homosexuel noir (très voging), nie qu’il se travestit, comme par auto-transphobie : « J’aime me déguiser. Mais je ne suis pas un travesti. »
 

Le travestissement est une attitude idolâtre par rapport aux apparences vestimentaires, confondues avec le corps réel. Et comme cet amalgame ne fait pas durablement illusion, et finit par décevoir cruellement, le héros homosexuel a tendance à vouloir détruire/immortaliser son rêve dans la destruction de son déguisement, le tout dans un même mouvement : « Elle avait pris un certain plaisir à se travestir en jeune Nelson. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 133) ; « Stephen déchirait les vêtements dont elle avait tant aimé se vêtir pour les remplacer par ceux qu’elle détestait. Comme elle haïssait les robes fragiles, et les ceintures, et les rubans, et les petits grains de corail, et les bas à jour ! » (idem, p. 29) ; « Je m’imaginais découper ces vêtements, les brûler, les enterrer là où personne ne foule jamais la terre. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 29) ; etc. Dans le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally, Kiran, l’héroïne lesbienne, se retire dans un accès de révolte les boucles d’oreille, et tous les attributs extérieurs de sa féminité. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria a du mal à rentrer dans la peau d’Helena, la lesbienne malheureuse qu’elle doit interpréter : « Je me sens mal dans sa peau. »

 

Le travestissement indique chez le héros homosexuel un certain égocentrisme narcissique : « Avec une perruque, j’accepte votre regard, je déclare votre jugement moins lourd sur moi… vous pouvez me trouver belle et laide, vous pouvez me regarder, me dévisager avec un sourire aux lèvres, une larme dans les yeux ou plisser le front, je ne suis plus moi-même… Je m’en fous je ne suis pas là. Je joue pour moi, pas pour vous. » (l’actrice de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier).

 

La transgression de la différence des sexes n’est absolument pas douce. Par exemple, le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan traite des désastres du transfert d’identité : la belle prostitué Chloé essaie de se mettre dans la peau du mari de Catherine, son amante ponctuelle, pour détruire la vie de celle-ci. Elle finira par mourir d’avoir cherché à être un homme.

 
 

c) Le personnage homosexuel cherche à usurper l’identité de son amant :

Mais sans aller jusqu’à désirer changer de sexe, une autre catégorie de héros réalise son rêve de substitution identitaire grâce à la recherche de la composition d’un couple. L’excuse de l’« Amour » est une merveilleuse aubaine pour se fuir soi-même et se donner, à travers un amant « de passage » (dans le sens quasi littéral de l’expression), l’illusion d’être quelqu’un d’autre : « Laisse-moi être comme toi, laisse-moi être toi. » (cf. la chanson « Le Grand Secret » du groupe Indochine) ; « Moi seule je sais qui tu es. » (Elle s’adressant à son amante Delphine, dans le film « D’après une histoire vraie » (2017) de Roman Polanski) ; « J’aime les Russes. Enfin… surtout les femmes russes. Je suis une femme russe. » (Anne Cadilhac dans son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « C’est par toi que je vivrai, toute ma vie. » (Georges parlant à Alexandre, son amant mort, dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy) ; « Jamais l’un sans l’autre, je serais… ce que tu es ! Promis ! » (Bryan s’adressant à Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 141) ; « L’âme de François-Charles a plus d’existence pour moi que la mienne. J’ai eu si souvent envie d’être lui. À la façon dont le romancier anime ses créatures, je me suis glissé dans sa peau. Il est mon personnage. Mon héros. Est-ce parce qu’il est beau ? Est-il beau ? Je le trouve beau, cela suffit. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 28) ; « Nous nous complétons. Nous nous sommes devenus indispensables. Il est tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne puis être. […] Je veux qu’il réussisse tout ce que je ne réussirai jamais. Il est bien dans sa peau. Moi pas. Toujours d’accord avec lui-même, à la manière d’un arbre qui pousse sans histoire, harmonieux. Moi pas. » (idem, p. 34) ; « Envie de lui… envie de lui ressembler, tout simplement. » (le héros homosexuel parlant de Patrick, un de ses amis fréquentant la même salle de sport que lui, dans le one-man-show Gérard, comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « L’espace d’une minute seulement, il m’a semblé que maintenant, moi… j’étais toi. » (Molina, le héros homosexuel, après la nuit d’amour avec son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 208) ; « Si tu tues quelqu’un que tu aimes, c’est comme te tuer toi. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Je veux croire alors qu’un ange passe, qu’il me dit tout bas : ‘Je suis ici pour toi, et moi c’est toi. » (cf. la chanson « L’Autre » de Mylène Farmer) ; « J’aimerais bien être à l’intérieur de ta tête. » (Danny s’adressant à son futur copain Chris, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Martin, c’est ma vie. » (Thierry, le héros homosexuel parlant de son compagnon, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; etc.

 

Par exemple, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta aborde la question de la vie par procuration, du désir de se substituer à l’être aimé, de la perte d’identité dans le miroir symboliquement narcissique d’Internet : « Tu es mon amour parce que tu es celui que j’aimerais être. » (Denis s’adressant à son amant-internaute Luther)

 

Dans la pièce Soixantes degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien et Rémi, les héros bisexuels, se donnent la réplique pour répéter un rôle dans Cyrano de Bergerac. Les deux hommes finissent par se prendre à leur jeu dramatique (Damien joue Roxane, Rémi Cyrano) et à tomber amoureux l’un de l’autre. Ils en sont tellement troublés qu’ils en perdent leur identité : « Prends plutôt ma place. » lui dit Rémi à la dérobée.
 

Dans le film « Open » (2010) de Jake Yuzna, Cynthia, un jeune hermaphrodite, rencontre Gen et Jay, un couple qui se remet d’opérations de chirurgie plastique : à travers eux, elle découvre la pandrogonie, procédé à travers lequel deux personnes fusionnent leurs traits de visage afin de tenir compte de leur évolution à partir d’identités distinctes en une seule entité unifiée.

 

Dans le film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, grâce à une greffe, Simon va vivre avec le cœur de son amant François qui est décédé brutalement d’un accident de voiture ; cette transplantation est présentée comme une magnifique fusion d’amour qui permet la continuation de la vie.

 

Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, les deux amants secrets Jean-Michel et Jean-Jacques se collent la tête l’une contre l’autre et tentent un transfert d’identité et de charisme : « Tu as l’étoffe d’un homme politique. » (Jean-Michel) ; « J’aimerais pouvoir lire dans tes pensées, savoir ce qui te rend aussi fort. » (Jean-Jacques)

 

Dans certains cas de fictions homo-érotiques, on constate que le désir de substitution à l’autre cache un désir d’immortalité : « Je vis ta vie. Je vis-à-vis (= Je vis à vie). » (cf. la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho) ; « Dieu, quand je te rencontrerai, je serai un ange magnifique. » (Ray, le héros transsexuel M to F, vivant avec plein de photos d’actrices autour de sa glace, dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée) Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas couche avec Anat pour recoucher symboliquement avec Oren, son amant brutalement décédé.

 

En réalité, ce transfert d’identité génère l’angoisse du caméléon ou de l’électron libre qui s’expose à l’errance, à la désillusion amoureuse, à la consommation des corps, à la jalousie, à la trahison future : « Saïd jalouse secrètement les cheveux longs et noir foncé de son compagnon [Ahmed], qui passe au moins une demi-heure tous les matins à placer soigneusement avec des pommades et des gels. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 43) ; « Il ne dira pas qu’il se sent si seul qu’il passe de bras en bras. » (cf. la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; « J’ai navigué de corps en corps. » (cf. la chanson « La Chanson du Navigateur » de Denis Daniel, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 7) ; « Mon cœur ne bat que par sympathie ; je ne vis que par autrui ; par procuration, pourrais-je dire, par épousaille, et ne me sens jamais vivre plus intensément que quand j’échappe à moi-même pour devenir n’importe qui. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 85) ; « Tu es qui je n’ai pas su être. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 183) ; « On relit toujours avec les yeux des autres, on ne vit plus ce que l’on vit. » (idem, p. 47) ; « On vit toujours l’amour des autres. D’autres histoires. De rencontres ? Jamais. Si peu. » (idem, p. 118)

 

Par exemple, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, l’héroïne transsexuelle F to M Miriam (qui se fait appeler Lukas) rêve de devenir le beau Fabio qu’elle cherche à séduire : « Je suis jaloux de sa dégaine ! » Elle ne supporte plus son identité de femme : « Miri n’existe plus ! » Dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, la jalousie est clairement montrée comme un moteur d’homosexualité. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, c’est en entendant son voisin de cabine de douche se masturber (comme une voix intérieure) que le héros est excité homosexuellement.

 

Le héros homosexuel ne s’aime pas assez lui-même, et demande à son amant un travail d’estime de soi qui ne revient pas à ce dernier : « Faut m’aimer à ma place et m’attendre au tournant. » (cf. la chanson « J’ai pas 20 ans » d’Alizée) ; « J’suis un mec. Spécialement quand je suis avec toi. » (Jamie s’adressant à Ste, dans le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald) ; « Un mâle qui en baise un autre est un double mâle. » (Mignon dans le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet) ; etc. Il finira souvent par lui reprocher ce laisser-faire, ou par comprendre qu’on ne peut pas aimer véritablement quelqu’un si on ne s’aime pas un minimum soi-même : « L’amour… quelle drôle d’idée ! Comment puis-je prétendre à l’amour alors que je suis infichue d’avoir un soupçon d’estime de moi ? » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 163) ; « Inconsciemment je savais depuis longtemps pourquoi j’étais resté avec cet imbécile. […] C’est seulement le manque de confiance. » (François à propos de son « chéri » Max, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 115)

 

Parfois, les amants homosexuels fictionnels s’avouent le non-sens de leur illusion de symbiose, fusion impossible et forcée, où l’un des deux (voire les deux, au final !) disparaît et y perd son âme : « Tu voudrais être moi ! Je voudrais être toi ! C’est absurde ! » (Kévin s’adressant à Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 299) ; « Je ne suis plus moi, je suis toi… » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 309) ; etc. Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zachary Wells dit qu’il est en réalité Danny Reyes, et que le jeune étudiant (de 15 ans son cadet) se faisant passer pour Danny Reyes est un imposteur. Finalement, il acceptera la fusion identitaire (« Tu peux me sauver grâce à ta vie. » affirme Zach à Danny) et Danny essaiera de la fuir : « Écoute-moi : je ne suis pas toi ! »

 

Il est question du dédoublement de personnalité, pouvant aller jusqu’à la schizophrénie (cf. la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo ; le film « Collateral » (2004) de Michael Mann, où Max se fait passer pour Vincent), et ne se faisant pas sans angoisse : « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977), p. 134) ; « Je n’ai pas peur. Je suis sûr. Je suis Khalid. Je suis Khalid. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 180) ; etc. Le héros schizophrène a le chic de « s’absenter sur place », de ne pas s’éprouver présent quand il agit : « Je le vois bien que vous êtes là. Mais moi, est-ce que je suis là, moi ? Voilà le problème. » (Jeanne au Vrai Facteur, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi)

 

Dans la série nord-américaine United States of Tara (2009-2011), on retrouve le thème de l’homosexualité en lien avec la schizophrénie : Tara est une mère de famille qui a des troubles dissociatifs de l’identité, et elle se met par exemple dans la peau d’un vétéran du Vietnam tombant amoureux d’une femme (cf. le thème de l’homme dans un corps de femme).

 

Il arrive souvent que le héros homosexuel, en se travestissant, cherche à devenir la femme-objet cinématographique (qu’il prend pour sa mère réelle !) ou l’homme-objet. « Je suis fille de bijoutiers, moi ! » (Meri, le prostitué transsexuel M to F, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « J’ai été violé. » (Daniel s’adressant à Jonathan pour se justifier auprès de lui de porter du rouge à lèvres et de porter du parfum pour femme, dans le film « Madame Doubtfire » (1994) de Christ Columbus) ; etc. Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu parle de sa mère en l’imitant comme s’il s’agissait de la mère cinématographique : « Parce que je le vaux bien. » Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques vit encore avec sa vieille mère et s’habille comme elle : « Ma mère elle-même s’habille en femme. » Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella, transsexuel M to F, imite parodiquement la Callas qui se shoote et qu’elle adore pourtant : « Je l’ai vue à la télé et ça m’a rendu dingue. […] Notre seul point commun, c’est d’être cinglées. »

 

Le désir de se substituer à l’autre est avant tout un désir de mort ou de viol (envers soi-même ou dirigé vers un autre). D’ailleurs, l’être humain auquel le héros veut se substituer a pour particularité de ne pas être vivant (ou considéré comme tel) : c’est dans la fusion qu’il perd sa consistance ou sa raison d’être. « Sans frapper je suis entré dans la chambre de Khalid. Il dormait profondément. Sur le ventre. […] J’ai fermé les yeux. J’ai rêvé. J’étais chez Khalid. Je dormais avec mes vêtements de jour dans son lit. Seul dans son lit. Puis avec lui. Mais, du plus loin de mon sommeil, c’est moi qui parlais cette fois-ci. ‘Non, non, ce n’est pas moi… Oui, oui, c’est moi… Moi… Sûr… Sûr…’. » (Omar regardant son amant Khalid endormi, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) C’est la raison pour laquelle il est souvent réduit à un reflet narcissique froid, à un pantin, à une victime, à une personne violée, à un mort ou au diable : « Je reconnais alors la voix d’un cher défunt, d’un défunt qui ne respire plus que par mes lèvres : toujours, quand l’enthousiasme me donne des ailes, je suis lui. » (le narrateur homosexuel du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 66)

 

Par exemple, dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le père Adam surprend le jeune Rudy se faire sodomiser violemment par Adrian, et projette complètement son homosexualité sur cette scène. D’ailleurs, plus tard, il va défroquer et annonce à sa sœur sur Skype : « Je vais me transférer moi-même. » Dans le film « Free Fall » (2014) de Stephan Lacant, Kay traite toujours son futur amant Marc de « gonzesse » pour le draguer et l’humilier en même temps. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Leopold, l’un des héros homosexuel, croit qu’il a tué un de ses clients parce qu’il l’a poussé au suicide : « Franz, j’ai tué quelqu’un, un de mes clients s’est tué la cervelle ! » Dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont veut par son amant vivre une vie par procuration, et se montre dangereux, despotique, intrusif, avec lui. Toujours dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, à la fin de l’intrigue, Omar propose à son amant Khalid d’échanger leurs identités : « Et si on changeait de noms ? Je veux dire échanger nos prénoms, juste nos prénoms… […] On ferme les yeux dix secondes. Après, chacun de nous deux sera l’autre. Je deviendrai toi, TU deviendras moi. » (p. 138) Ce jeu terminera mal puisqu’il finira par l’assassiner. Dans le film « Les Biches » (1967) de Claude Chabrol, Why, la jeune étudiante, tue Frédérique qu’elle voudrait être, jusqu’à s’approprier son identité.

 

La substitution d’identités, destructrice, infantilisante, et totalitaire, se fait pourtant au nom de jolis principes humanistes (l’amour, l’humour, la force de la passion, la compassion auprès des victimes, le partage des souffrances, etc.) : « Tu partages le sang de Pablo, Doris, Roger, Hilaire, Esteban et les autres. Tu ne t’appelles plus Félix Perlman mais Vincent Braconnier. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 59) ; « J’avais si envie que tu sois dans mon sexe. J’avais si envie que tu sois dans ma tête. » (cf. le poème « Des bleus d’amour » (2008) d’Aude Legrand-Berriot) ; « Je voudrais l’avoir attrapé… Je voudrais avoir attrapé votre épanchement de synovie, Collins, parce qu’ainsi je pourrais le subir à votre place. J’aimerais souffrir terriblement pour vous, Collins, comme Jésus a souffert pour les pécheurs. En supposant que je prie fortement, ne pensez-vous pas que je puisse l’attraper ? Ou supposez que je frotte mon genou contre le vôtre ? » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 30) ; « J’aimerais beaucoup être un Sauveur pour Collins… Je l’aime et je désire être blessée comme vous l’avez été ; […] Je désire être opérée à sa place. […] Elle s’endormit pour rêver que, par quelque étrange transposition, elle était Jésus. » (idem, p. 31) ; « Moi, j’veux jouer Lorenzaccio. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc. L’enfer est vraiment pavé de bonnes intentions de fusion !

 

Par exemple, dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, après de nombreuses années de stérilité, Aysla, femme mariée avec Dom, a réussi à avoir un bébé depuis qu’elle est amoureuse de Marie, en couple avec Bernd. Elle considère d’ailleurs son bébé comme celui de Marie.
 
 

d) Le personnage homosexuel se plaît à faire des play-back et des imitations :

Film "La Robe d'été" de François Ozon

Film « La Robe d’été » de François Ozon


 

L’un des supports les plus courus de la substitution d’identité chez les héros homosexuels, c’est bien sûr la musique, et notamment les play-back : cf. le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce (avec la scène du karaoké), les films « Huit Femmes » (2002) et « Robe d’été » (1996) de François Ozon, le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache (avec la boîte de travestis reprenant de chansons françaises des années 1980), le film « Muriel » (1994) de P. J. Hogan (mis sous le patronat du groupe ABBA), la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (la chanson « Finally » de Ce Ce Peniston est même play-backée en intégralité à la fin, comme pour prouver le manque de distance du réalisateur par rapport à ses goûts), l’épisode « État secret » de la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec le karaoké), la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer (avec le play-back sur une chanson de Sylvie Vartan), le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, le vidéo-clip de la chanson « Dolce Vita » de Zazie (reposant exclusivement sur le play-back), la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, le film « Juste un peu de réconfort » (2004) d’Armand Lameloise, le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, le film « Pôv’ fille » (2003) de Jean-Luc Baraton et Patrick Maurin (avec la chanson « Téléphone-moi » de Nicole Croisille play-backée en voiture par Doriane), la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim (rien moins que trois play-back durant toute la pièce ! Non, le ridicule ne tue pas !), le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (construit comme « Les Parapluies de Cherbourg » (1964) de Jacques Demy), le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le film « I Love You, Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec le play-back de François déguisé en Dalida), la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet (avec le play-back d’Octavia, le transsexuel M to F), l’adaptation de la pièce Jeffrey (2007) de Christian Bordeleau, le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec le play-back de Pietrino), le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel), la pièce Bang Bang (2009) des Lascars Gays (avec le play-back de Ryan), la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier (avec le play-back sur du Mireille Matthieu), la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy (toute la pièce tourne autour du play-back et des détournements gay de grands classiques de la variété française ; les personnages sont des juke-box sur pattes), le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec le play-back du jeune étudiant en histoire), la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (dans laquelle tous les héros sont habités par des chanteurs des années 1980… et notamment Jackie Quartz, la chanteuse adorée de Benoît), le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare (avec le play-back strip-tease sur « I Put A Spell On You » que fait Jérémie à son amant Antoine, pour se prouver qu’il est encore homosexuel), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec le principe du juke-box), le one-man-show Gérard, comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (où le héros gay fait des play-back de Mick Jagger), la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (Hugo, le héros homosexuel, fait plein de play-back, sur « It’s Raining Men » et d’autres daubes musicales), la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder (où Franz, l’un des héros homosexuel, passe son temps à play-backer des chansons mélancoliques), le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque (avec les play-back de la chanson « Rêver » de Mylène Farmer en concert, ou de Chantal Goya), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec les play-backs entrecoupant la pièce), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec le play-back sur Mike Jagger), la pièce Revenir un jour (2014) de Franck Le Hen, le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel (avec le play-back de Marlène Dietrich en entrée et en sortie), le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare (avec le play-back de Vincent et Jean, deux co-équipiers homosexuels de water-polo, sur la chanson « Sous le vent » de Garou et Céline Dion), etc. « Pour moi, être libre, c’est de chanter des chansons de cow-boy rodéo. » (Carmen dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Tout le monde dit que je ressemble à Ricky Martin. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « C’est moi qui fais Lady Gaga. » (idem) ; « Pas la soirée karaoké. Pardon, mais ça va être rempli de pédés. J’ai rien contre les fiotes. Mais si c’est pour chanter du Elton John, ça va… » (Topito, Quand t’annonces un truc à tes potes, avril 2017) ; etc.
 

L’artifice du play-back est dénoncé/défendu dans le film « Mulholland Drive » (2000) de David Lynch. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Klein, un homme de l’hôtel d’Idaho qui loue les services de Scott et Micke pour la nuit, leur interprète un play-back en prenant une lampe pour s’éclairer le visage de manière à créer un masque expressionniste terrifiant. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Rozy, le footballeur homosexuel noir nie qu’il est Brésilien plutôt que Noir. Et en début de pièce, on le voit danser et play-backer de manière très efféminée la chanson de Cindy Lauper « Girls Just Want To Have Fun » en faisant le ménage avec son plumeau. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, les deux frères Ody et Dany (le héros homo) sont fans de la chanson « Rumore » de Patty Bravo et dansent dessus. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., les deux amants Jonathan et Matthieu se mettent à parler comme dans les chansons du répertoire connu de la variété française. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard l’homo et Donatienne la FAP (« fille à pédés ») font du karaoké ensemble. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, fait l’Eurovision et se play-backe lui-même. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Rettore et Davide, les deux héros homosexuels, aiment play-backer les chanteuses italiennes des années 1960-1970.

 

Le désir de substitution d’identité ne concerne pas que le play-back. Il a aussi à voir avec l’imitation en général (par l’art et la science). La figure de l’imitateur revient souvent dans les œuvres homosexuelles : cf. le recueil Pastiches et Mélanges (1919) de Marcel Proust, la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec l’imitation de Cristina Cardoula, la relookeuse de la chaîne M6), etc.

 

Dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, Bruno, le fils homosexuel, fait des imitations de Dalida ou de Mylène Farmer (sa mère se montre d’ailleurs toute fière de recoudre les costumes de scène de ce dernier). Dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, on observe un chevauchement entre identité fictive et identité réelle : par exemple, un va-et-vient s’opère entre Lena en vrai et Lena l’actrice ; de même, Harry déclare qu’« il s’est converti au pseudonyme ». Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, mobilise toute sa vie à jouer « le jeu de l’imitation ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, avoue qu’il a « un talent pour contrefaire les signatures, raconter des mensonges ». Il change aussi de voix et manipule tout son entourage. Par exemple, Dick, l’homme dont il est amoureux, lui demande une imitation : « Fais-moi une imitation. » Et Tom imite la voix du père de Dick, et la ressemblance est tellement frappante que Dick dit « C’est éblouissant. » et se tourne vers sa compagne en désignant humoristiquement Tom comme son père : « Marge, je te présente mon père. »

 

Dans la pièce 1h00 avec nous (2014) de Max et Mumu, Muriel fait un play-back sur Claude François, Max sur Shakira (il porte une robe de soirée et une perruque blonde) : « Je suis sosie d’une chanteuse très très connue : je suis sosie de Mireille Matthieu. Et de Nana Mouskouri. » (Max) Mais paradoxalement, ils n’assument pas d’être déguisés : « Pédé, ça veut pas dire travelo. » (Max à Muriel) Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, arrive en Madonna sur scène et s’annonce comme son sosie parfait : Monsieur Bénamou, son agent, veut avec lui monter une agence de sosies.

 

En général, le héros homosexuel postule que l’imitation, censée servir son modèle (une personne, un objet, un paysage, la réalité extérieure), est plus originelle et vraie que l’original. « Il n’y a pas à dire, Jioseppe a vraiment un don, qui lui permet d’aller au-delà même de la représentation vraie, pour toucher l’idéal. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Il ne se considère pas comme un simple imitateur de nature. » (idem, p. 11) Il ne fait pas la différence entre l’imité et l’imitant. Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Vicky, la Comédienne, dit que lorsqu’elle joue, elle ne s’éprouve pas actrice : « Ce qu’il y a de plus éprouvant, c’est que soi-même on devient théâtral. » ; « Si au moins je sentais le personnage… » ; « Je n’ai pas l’impression de jouer la comédie mais d’imiter une actrice de cinéma détestable, comment s’appelait-elle ? Elle ne jouait que dans les films de vampires. »

 

Chez le héros homosexuel, même si c’est très inconscient, la prévalence de la simulation de Réel sur le Réel Lui-même cache au fond un désir de mourir et d’être objet. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a une passion (qu’il ne s’explique pas lui-même) pour « l’imitation de chanteuses mélodramatiques décédées comme Rosemary Clooney, Dionne Warwick, Ethel Merman ». Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, lors d’une séance de karaoké, où Steve (le héros homosexuel) se ridiculise, la prestation vire à la vision d’enfer : il voit tous les clients du bar ricaner (ils le traitent de « pédé »), puis en menace violemment un avec une bouteille de bière car il ne gère pas l’humiliation. Souvent, le héros homosexuel pense être étranger à lui-même à force de vouloir être quelqu’un d’autre : « J’ai l’impression d’avoir volé la place d’un autre. » (John parlant de son existence et ne se sentant pas légitime pour vivre, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles cherchent à devenir quelqu’un d’autre :

Dans sa préface de Si j’étais vous (1947), Julien Green confie son désir d’« échange de personnalités » (p. 8) qu’il a essayé de mettre en images dans son écrit romanesque. On retrouve la thématique de la substitution à l’autre dans le documentaire « Transgressions » (2002) de Stuart Gaffney, et dans le discours de certains écrivains bisexuels/homosexuels : « C’est moi qui suis toi. » (Christine Angot pendant la Sixième Nuit Blanche de Paris à la Librairie Les Cahiers de Colette, le 6 octobre 2007) Dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6, Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, s’identifie à un personnage de série, Teenwolf.

 

Le porno pousse beaucoup de jeunes et de personnes homosexuelles à complexer de ce qu’ils sont profondément, et à imiter ce qu’ils ne sont pas : « Mon cousin a demandé ‘On pourrait faire comme dans le film, les mêmes trucs. […] Toi et Fabien vous ferez les femmes, et moi et Stéphane on fera les hommes. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 150-152) ; « Je voudrais rapporter le cas, que j’ai pu observer récemment, d’un jeune homme, fiancé à une jeune femme de la façon la plus bourgeoise, et qui tombe amoureux d’un homme plus âgé que lui, qu’il prend de son propre aveu d’abord pour modèle, puis pour maître et enfin pour amant. Cet amant lui-même, bien que ‘purement homosexuel’, me racontera plus tard que, nullement attiré par mon malade au départ, il n’avait été intéressé que par la présence de sa fiancée et la situation triangulaire créée lors d’un dîner. Lorsque le malade, jaloux de son amant, abandonna pour lui sa fiancée, cet amant se désintéressa complètement de lui. Interrogé par moi sur les raisons de ce revirement, il me dit : ‘L’homosexualité, croyez-moi, c’est vouloir être ce que l’autre est.’ » (Jean-Michel Oughourlian cité dans l’essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) de René Girard, pp. 469-470)

 
 

b) Certaines personnes homosexuelles cherchent à changer d’identité sexuée : le goût du travestissement

Chez beaucoup de personnes homosexuelles, le désir de se substituer à une autre personne concerne particulièrement la différence des sexes : elles rêvent d’incarner cette différence à elles seules, et ont tendance à renier leur sexuation d’origine : « Avec Simone de Beauvoir, la femme veut être un homme. » (Gérard Leclerc, UDT pour Tous à Châteauneuf-sur-Cher au Château de Lignières, le 29 août 2013) ; « J’ai aussi regretté d’être un garçon et de devoir devenir un homme. […] J’aurais voulu être une fille. » (un patient homo dans l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 442) ; « Moi, j’aurais vraiment voulu être un homme. Franchement. » (Maïté, femme lesbienne, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « J’ai mauvais genre. Bien qu’étant une femme, j’ai les cheveux courts comme les messieurs qui ne veulent pas se faire remarquer. En outre, je m’obstine à m’habiller de telle manière qu’on me prend souvent pour un homme. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 7) ; « Avec Simone de Beauvoir, la femme veut être un homme. » (Gérard Leclerc, lors de l’UDT pour Tous au Château de Lignières de Châteauneuf-sur-Cher,  le 29 août 2013) ; « J’avais décrété une fois pour toute que j’étais mieux réussi comme garçon que comme fille. » (la blogueuse Bab El dans son article « Tom Boy à l’affiche ») ; « À cette période, l’idée d’être en réalité une fille dans un corps de garçon, comme on me l’avait toujours dit, me semblait de plus en plus réelle. […] Je rêvais de voir mon corps changer, de constater un jour, par surprise, la disparition de mon sexe. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 155) ; « En accordant dorénavant beaucoup de temps à mon entourage professionnel notamment féminin, je m’intronisais aussi plus que jamais en femme, au point que les conversations que je tenais ressemblaient aux leurs. En effet, lorsque j’arrivais le matin, c’était pour parler de vêtements ou de cuisine ; de même que pendant les heures de déjeuner, je traînais les magasins avec ce même entourage à la recherche de petits bibelots de décoration. Ma condition était l’archétype voulu d’une vie de femme, mes propos et mes réactions, ceux d’une fille vivant seule. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 130) ; « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. Les hommes s’habillaient en femmes et les femmes en homme, travestis ou non. On pouvait fouetter ou se faire fouetter, sucer, inonder de pisse ou de merde, étrangler jusqu’à un fil de la mort. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) ; etc.

 

Comme dans leur cœur et leurs fantasmes esthétiques l’homme-objet est bien souvent confondu avec les hommes réels (et qu’il ne l’est pas intellectuellement) – et on pourrait faire le même parallèle avec la femme-objet –, on les entend parfois dire sincèrement qu’elles n’ont jamais voulu changer de sexe, ni être une femme quand elles sont nées garçon, ni être un homme quand elles sont nées femme : « Je ne les ai jamais considérés comme des rivaux. » (Paula Dumont parlant des hommes, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 115) ; « J’étais en adoration devant un animateur d’Europe 1, Jean-Louis Lafont, dont la voix et l’allure d’éternel adolescent me ravissaient. Je collectionnais les autocollants avec sa photo et passais tout mon argent de poche en achat de 45 tours. Europe 1 réalisait certaines de ses émissions en direct dans différentes villes de France, le fameux ‘Podium’. En prévision de son passage dans notre région, je me préparais donc à cet événement en endossant le rôle de sa femme imaginaire dans mes jeux. J’avais choisi un prénom de fée : je m’appelais Viviane Lafont. Je n’avais aucune envie de me transformer en femme. Mais, si je veux jouer avec le prénom d’enchanteresse que j’avais choisi, j’espérais qu’un petit miracle allait se produire et me rétablir dans la normalité environnante. Car j’avais très vite saisi que seule une femme avait le droit d’être attirée par les garçons. Si, par magie, je me réveillais un beau matin en fille, tout serait rentré dans l’ordre. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 29) ; « Je me sens tellement à l’aise avec elles que mon souhait de me transformer en fille réapparaît aussitôt. Il serait si simple d’être une femme et de devenir carmélite. À défaut, je serai carme. » (idem, p. 41) ; « On l’aime donc on s’habille comme elle. » (des fans gays de Lady Gaga, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) ; etc. Par exemple, Karl Heinrich Ulrichs (1825 – 1895) se souvenait qu’à l’âge de 3-4 ans, il aimait s’habiller en fille et proclamait « Je veux être une fille. »

 

Le goût pour le travestissement est beaucoup plus répandu qu’on ne le croit dans les rangs LGBT, y compris chez des gens apparemment coincés et peu efféminés (ou bien féminins parmi les femmes lesbiennes). Depuis toutes petites, les personnes homosexuelles ont pris l’habitude de dissimuler, et en ont pris leur parti : « La discrétion sur ma vie privée était une chose strictement personnelle qu’il fallait protéger. Cette stratégie d’ailleurs avait admirablement bien fonctionné durant toute ma carrière. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 171) ; « Le travesti se sent complètement étranger à son propre sexe, ses sensations de femmes, ou d’homme, le saturent entièrement, sans que l’on puisse constater en lui le moindre signe de folie. » (C. Westphal, en 1870, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306) Je vous renvoie par exemple à l’ouvrage collectif Le Corps travesti (2007) de Georges Banu, au documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier, etc. Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte les soirées interlopes déguisées où ses amis et lui jouaient plus ou moins avec distance les « stars du monde » (Diana Ross, Barbara Streisand, Dalida, Sylvie Vartan, etc.).

 

L’Histoire humaine ne cesse de montrer que beaucoup de personnes homosexuelles aiment se travestir : Henri III (constamment travesti en femme), le pape Paul II (en 1417), Charles de Beaumont (le fameux chevalier d’Éon), Félix Sierra, Malcolm Lowry, José Pérez Ocaña, Michael Jackson, Sir Elton John, Yukio Mishima, Edward Morgan Forster, Pierre Loti, Andy Warhol, David Bowie, Copi, Rachilde, Jean Guidoni, Charpini, Thierry le Luron, Vincent McDoom, Francis Bacon, l’Abbé de Choisy, Gabriele D’Annunzio, Félix Youssoupov, Miguel Frías Molina, Pirouletz, Quentin Crisp, Little Richard, Mathilde de Morny, Michel Journiac (il sortait dans la rue toujours maquillé), etc. Par exemple, en Allemagne, Einar Wegener (1882-1931), l’artiste peintre, qui était transsexuel, se déguisait comme sa femme, et se fit appeler « Lili Elbe »

 

Pierre Loti

Pierre Loti


 

Au XVIIe siècle, William Shakespeare se plaît à travestir les comédiens de ses pièces. Dans les années 1970-1980, le dramaturge argentin Copi joue sa pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer en bas résille à la Cité Universitaire de Paris. Pour sa pièce Le Frigo (1983), il endosse tous les rôles, change 14 fois de costumes. Dans son avant-dernière pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, jouée au Théâtre de la Bastille (hiver 1984), habillé de bleu marine, il interprète chacun des 11 rôles en changeant sa voix. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite pas moins d’une vingtaine de ses proches.

 

Le travestissement est bien sûr lié au carnaval (cf. le vidéo-clip de la chanson « Mister H » d’Inna Modja). Mais il acquiert une dimension sacrée, sentimentaliste. Celui qui se travestit se donne souvent l’illusion d’être tous les sexes (un tissu ou un vêtement est par essence genré mais pas sexué), de les « transcender », d’être Dieu ou bien le Roi de l’Authenticité/de l’Invisibilité : « On est bien d’accord qu’un vêtement n’a pas de chromosome XX ou XY… pourtant, il est genré. » (Laura, homme M to F, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Le romantisme français a été fasciné par le travestissement et l’inversion – Mademoiselle de Maupin, de Gautier, Sarrazine et La Fille aux yeux d’or de Balzac. Avec Seraphitus-Seraphita celui-ci reprend le thème swedenborgien de l’androgyne comme image de l’être parfait, de l’être angélique. » (cf. l’article « Monsieur Vénus et l’ange de Sodome : L’androgyne au temps de Gustave Moreau » de Françoise Cachin, dans l’essai collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 87) ; « On n’est pas une parodie de bonnes sœurs : on est des sœurs ! Point ! Je ne le fais pas par provocation. Même pas pour tirer sur l’Église. Si on voulait attaquer l’Église aujourd’hui, c’est comme tirer sur une ambulance. » (Sœur Belphégor, dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, sur la Congrégation des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence) ; « Les costumes et les accessoires continuent de fasciner David Berger. » (la du documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc.

 

Le travestissement via la destruction-sublimation de la femme-objet (ou de l’homme-objet dans le cas lesbien) n’est pas qu’un simple jeu rigolo avec soi-même : il est un auto-viol, une auto-déclaration de haine, comme l’illustre parfaitement cette planche dessinée par Copi.

 

Planche "Le Miroir" de la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Le Miroir » de la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Celui ou celle qui se travestit à la fois vit l’euphorie de sa transformation et l’amertume de son mensonge (cf. la fin de la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) : « Je dérobais dans la chambre les vêtements de ma sœur que je mettais pour défiler, essayant tout ce qu’il était possible d’essayer : les jupes courtes, longues, à pois ou à rayures, les tee-shirts cintrés, décolletés, usés, troués, les brassières en dentelle ou rembourrées. Ces représentations dont j’étais l’unique spectateur me semblaient alors les plus belles qu’il m’ait été donné de voir. J’aurais pleuré de joie tant je me trouvais beau. Mon cœur aurait pu exploser tant son rythme s’accélérait. Après le moment d’euphorie du défilé, essoufflé, je me sentais soudainement idiot, sali par les vêtements de fille que je portais, pas seulement idiot mais dégoûté par moi-même, assommé par ce sursaut de folie qui m’avait conduit à me travestir. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 28-29)

 

Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, crée une nouvelle espèce queer de personnes homosexuelles ou transsexuelles – les « bixa-travesty », qu’il traduit par « trav-tapettes » – et qui renvoie à ceux qui ont le goût de se travestir, mais en souhaitant échapper aux canons de beauté féminine trop propre et à la lourdeur d’une opération chirurgicale ou de prise d’hormones. Il aime rentrer dans la peau de différents personnages (que les queer bobos appelleraient « polymorphes ») : « J’ai souvent changé de nom. »
 
 

c) Certaines personnes homosexuelles cherchent à usurper l’identité de leur amant :

Mais sans aller jusqu’à désirer changer de sexe, une autre catégorie de personnes homosexuelles réalise son rêve de substitution identitaire grâce à la recherche de la composition d’un couple. L’excuse de l’« Amour » est une merveilleuse aubaine pour se fuir soi-même et se donner, à travers un amant « de passage » (dans le sens quasi littéral de l’expression), l’illusion d’être quelqu’un d’autre : « Martine éprouvait pour moi une admiration sans bornes. D’après ses critères, j’étais celle qui avait réussi, alors qu’elle avait tout raté. Dans cette logique, il était souhaitable pour elle de rester dans mon ombre et de continuer à vivre ainsi, par procuration. » (Paula Dumont parlant de son « union mal assortie » avec sa compagne Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 72) ; « Lui, c’était un peu ce que je rêvais d’être : beau, libre dans sa tête, respecté, cultivé et surtout, capable de s’habiller comme bon lui semblait. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 73) ; « Il me fascinait et j’aspirais à lui ressembler. Et je me suis mis à parler, moi aussi, de Godard, dont je n’avais rien vu, et de Beckett, dont je n’avais rien lu. Il était évidemment bon élève et ne manquait jamais une occasion d’afficher une distance dilettante avec le monde scolaire. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 175) ; « Il avait la clairvoyance du chasseur et de l’athlète ; j’avais la myopie de l’écrivain et du lecteur. » (Gore Vidal, en parlant de son premier grand amour de jeunesse Jimmie Trimble, dans ses Mémoires (1995), p. 35) ; « Je n’ai jamais eu d’aventure avec quiconque. Des relations sexuelles, oui. Des relations amicales, oui. Les deux combinées ? Non. Jimmie, bien entendu, c’était autre chose – c’était moi. » (idem, p. 253) ; « Je pense que je l’envie. Je le trouve beau, beaucoup plus que moi. […] Mon sexe est pourtant plus long et plus gros. Mais c’est le sien que je voudrais avoir. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 47) ; « C’est en cela que réside l’homosexualité de Virginia Woolf : dans cette nécessité de tout vivre à travers une femme. La médiatrice devait être belle et séduisante, comme Vita Sackville-West l’aristocrate, et posséder un univers qu’elle, Virginia, ne possédait pas. » (cf. l’article « Vivre à travers une femme » de Diane de Margerie, dans le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 36) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « J’l’avais dans la peau. » (Guillaume en parlant de son amant Xavier, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; etc.

 

On lit derrière ce souhait de fusion avec l’être aimé, de substitution d’identité, un amour passionnel qui ressemble à la jalousie fanatique : « Son amour est une tentative désespérée pour devenir eux, il s’accompagne donc de haine : il les hait de n’être pas déjà lui. » (Jean Genet et ses conquêtes amoureuses homosexuelle, dans l’essai Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 147)

 

La substitution d’identités, destructrice, infantilisante, et totalitaire, se fait pourtant au nom de jolis principes humanistes (l’amour, la force de la passion, la compassion auprès des victimes, le partage des souffrances, etc.). Par exemple, dans son article « Pourquoi et comment notre vision du monde se ‘racialise’ ? », publié dans le journal Le Monde du 4-5 mai 2007, le sociologue Éric Fassin défend « un devenir-noir qui fait exploser le concept de race ». Le désir de transfert d’identité ne manque pas de violence mais aussi de sensualité, de charme. Notamment, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment à 13 ans il a projeté d’imiter un jeune homme plus âgé que lui qu’il a vu se masturber : « Je me laissais faire. Ravi. Je participais à sa jouissance. J’apprenais. Bientôt je l’imiterais, seul, en pensant à lui. » (p. 12)

 

Avec la récente identification de certains couples homosexuels à la famille traditionnelle naturelle, par le biais du projet de loi sur l’adoption ou le mariage, on a encore plus l’occasion d’observer les bonnes intentions – très déconnectées du Réel – de la projection identitaire impulsée par le désir homosexuel. Par exemple, lors de sa conférence « Homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, qui a obtenu une enfant avec son copain (grâce à une mère porteuse, donc une GPA : Gestation Pour Autrui), explique comment il a fini par se prendre pour la véritable mère de sa petite fille : « On est devenus très très proches de la femme qui a porté notre enfant. […] Je me sentais enceinte. […] Je soutiens que ces rôles de père ou de mère ne sont pas essentiels. Si dans une famille un homme veut être la mère, il doit pouvoir le faire ; si une femme veut être le père, il doit pouvoir le faire. » La substitution des identités, aussi irréelle et mensongère soit elle, se pare des meilleures intentions et des plus belles sincérités pour exercer sa violence.

 
 

d) Certaines personnes homosexuelles se plaisent à faire des play-back et des imitations :

Lady Gaga

Lady Gaga


 

L’un des supports les plus courus de la substitution d’identité chez les individus homosexuels, c’est bien sûr la musique, et notamment les play-back. « Sur ma lancée d’organisateur de jeux pour le quartier, je pris en charge les fêtes de la Saint-Jean. J’avais tout juste treize ans. Je montai une comédie musicale avec mes camarades, abusant du play-back. C’était le début du disco et je me trémoussais avec enthousiasme durant le spectacle, incarnant… des chanteuses. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 29-30) ; « Jimmy avait un don indiscutable pour le mime et la comédie. » (Ronald Martinetti dans sa biographie James Dean (1995), p. 25) ; « Le monde entier amusait Copi, le langage l’amusait, sa propre manière de l’estropier en français ou en italien, tout comme les accents divers de ses amis de langue espagnole. » (cf. l’article « Le Petit Sommeil » de Giovanni Gandini, dans la bande dessinée Un Livre blanc (2002) de Copi, p. 10) ; « J’imitais avec facilité. […] J’adorais faire le singe et je mimais les grandes personnes avec ce don qu’ont les enfants de copier un geste, une attitude, un trait, se transformant en marionnettes vivantes. » (Jean-Claude Brialy parlant de sa jeunesse, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), pp. 23-27) ; « Là, tu donnais ta version de Carmen Miranda, la chanteuse brésilienne, si petite, si nerveuse. Tu l’imitais à la perfection. » (la grand-mère d’Alfredo Arias à son petit-fils, dans l’autobiographie de ce dernier Folies-Fantômes (1997), p. 159)

 

Thierry Le Luron et Coluche

Thierry Le Luron et Coluche


 

On compte parmi les personnes homosexuelles un certain nombre d’imitateurs possédant des talents de caricaturiste appréciés, ou des individus parodiant les gens de leur entourage : Pierre Jullian, Rafael Lorca, Mohammed VI du Maroc, Oscar Wilde, Colette, Robert de Montesquiou, Michel Catty (alias Michou), Charpini, Johnny Prieure, Thierry Le Luron, Juan Gallo, Jennifer Saunders et Dawn French, Henri Tisot, Patrick Adler, Juan Ribó, Camilo Sesto, Ismael Merlo, Yves Lecoq, sans oublier bien sûr le cortège des transformistes, travestis, dragkings, et des sujets transsexuels. Charles Trénet imitait le Maréchal Pétain. Les spectacles de travestis sont souvent fondés sur le play-back. Aux soirées spéciales « Mylène Farmer » de la boîte Le Tango à Paris par exemple, les sosies de Farmer se contentent de bouger les lèvres et de reprendre les chorégraphies de la chanteuse sans lui prêter leur voix et sans rajouter vraiment de leur personne (ils sont d’ailleurs étonnamment sérieux lors de leurs prestations : on a l’impression qu’ils n’ont aucune distance avec leur modèle adoré, ni même la claire conscience de jouer un rôle).

 

Transformiste Mylène Farmer

Transformiste Mylène Farmer


 

Dans sa Correspondance (1945-1970), l’écrivain Yukio Mishima rêve que l’imitation, censée reproduire et servir son modèle (une personne, un objet, un paysage, la réalité extérieure), soit plus originelle et vraie que l’original. « L’écrivain, tout en fuyant l’imitation, doit sans doute l’accepter. […] Il est impossible de faire la différence entre cette imitation essentielle et indispensable, et la création. » (pp. 42-43)

 

Cette confusion identitaire entretenue par bon nombre de personnes homosexuelles louvoie avec le dédoublement de personnalité, la schizophrénie. L’exemple du dramaturge Copi est à ce propos très parlant. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias, en parlant de son ami, explique que ce dernier ne fait pas la différence entre l’imité et l’imitant, entre la fiction et la réalité : « Son seul problème était de parvenir à se démaquiller. » (p. 12) Le frère de Copi va dans le même sens : « En ce qui concerne ses romans, Copi aimait ses personnages. Souvent il leur prêta son nom. Il prenait du plaisir à la confusion qui s’installait. » (Jorge Damonte dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 9)

 

 
 

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