« Gens d’Église catholique, arrêtez de nous traiter comme des gonzesses ! »

 
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Je reviens du week-end « Mère de Miséricorde » (mouvement qui accompagne les couples concernés par l’avortement), à Montmartre, du 16 au 17 janvier 2016. Extraordinaire bain d’amour et d’humour, d’accueil de la fragilité, sans condamnation des personnes. Vraiment, je conseille fortement. Cet événement, en plus de la joie simple qu’il m’a donnée, m’a permis de réfléchir sur la manière qu’adopte l’Église catholique en général pour nous appeler à l’action sociale, à la mission. Ça va peut-être vous surprendre venant d’un gars homo comme moi qui a fui en partie sa masculinité, mais j’ai eu peur que ce week-end « Mère de Miséricorde » tombe dans le travers que je vais décrire ci-dessous. Finalement, comme l’association en question est une œuvre guidée par l’Esprit Saint, elle n’est pas tombée dans le panneau… mais le risque de faire de la Mission une couveuse-confessionnal peinte en rose est toujours là, et l’enjeu de ces œuvres mérite que je le rappelle.
 

En effet, la tendance est forte, dans les mouvements catholiques actuels, de nous traiter comme des infirmières et non comme des chirurgiens, comme des moniales/moines et non comme des soldats, comme des priants et non comme des évangélisateurs, comme des femmes et non comme des hommes, comme des Marie et non comme des Jésus. Souvent, je constate, dans les milieux de l’action sociale chrétienne, qu’on nous parle comme à des gonzesses, à des mères compréhensives, précautionneuses et protectrices, à des religieuses cloitrées, à des infirmières scolaires, voire à des mamies retraitées. Ce qui n’est pas un mal (mâles). Car cela nous fait découvrir l’immense trésor du cœur profond et « de mère » de Jésus en nous. On découvre la grandeur de l’effacement, du dépouillement, de l’humilité, de l’écoute, du silence, du cœur à cœur, des larmes, de la délicatesse, de la bienveillance, du vrai accueil qui désarme les plus farouches. La Miséricorde incommensurable de Marie. D’ailleurs, il suffit de voir la sainteté douce qui jaillit d’une Valérie Ternynck (responsable de « Parlez-moi d’amour ») pour en être convaincu. Le risque, c’est qu’on étend un charisme particulièrement efficace mais – il faut le reconnaître – exceptionnel et peu répandu, d’une personne unique (Valérie Ternynck) à l’ensemble des personnes qui devraient avoir son rôle bienfaiteur (« Parce que ça marche avec elle, parce que ça marche une fois, ça va marcher pour tout le monde et pour toutes les autres fois. »). L’erreur, c’est également de ne s’adresser qu’à un seul type de public, et en particulier un public féminin. Car on ne parle pas à des jeunes hommes comme à des jeunes femmes, surtout en matière de sexualité, et même de spiritualité. Même si garçons et filles sont tous apparemment humains et de la même tranche d’âges. C’est un mystère, cet écart de rythmes, de besoins, de formes, de vocations, entre les sexes, mais je n’y peux rien. C’est le mystère réel de la différence des sexes.
 
Valérie Ternynck
 

Dans ces formations à l’affectivité, que fait-on des mecs, des pères, des soldats, et de ceux (ou « celles »… car il y a aussi des filles qui ont davantage besoin de force que de douceur) qui sont plus sensibles à un discours moins ganté, plus conquérant, aventureux, assaillant, castrateur, posant les limites et édictant la Loi ? Comme le fait remarquer à juste titre Vladimir Soloviev, si on regarde tous les saints de l’Église catholique, on ne trouve principalement que deux catégories (qui ne s’opposent pas du tout entre elles, d’ailleurs) : soit des moines, soit des soldats. Or, à « Mère de Miséricorde » (œuvre magnifique, indéniablement vigoureuse et sainte), et dans l’Église catholique en général, la dimension zélée, masculine et paternelle de l’être humain, dimension qui nomme le mal, qui vit moins cachée, qui est plus extérieure qu’intérieure, est négligée. « Discrétion ! Invisibilité ! » on nous dit. Alors que pourtant, la charité masculine complète la charité féminine. On nous dit : « N’annoncez pas le Christ ! La morale (confondue avec le moralisme), EXIT ! Ne verbalisez pas votre foi. Intériorisez la Vérité au profit de la Charité. Soyez mère et non pas père. Soyez Ministre de l’Intérieur ou de la Défense, et non pas Ministre des Affaires Étrangères (… et encore moins Président de la République) ! Soyez moine et non pas soldat ! Soyez accompagnant, bras droit, et non pas chef ! » Il y a une tendance dans l’Église à nous méfier de la force, de la foi catholique énoncée clairement, de la Vérité, de la Parole (explicite), de l’action. On fait prévaloir la « gradualité », la présence, la discrétion, le silence, le « savoir être », plutôt que le « savoir-faire tout en étant ». La Vérité, le mariage et le Christ sont envisagés d’office comme une matraque, une menace, un bulldozer idéologique qui décrédibilise et découragerait les gens non-croyants. « Nous ne sommes pas un mouvement militant. Nous ne sommes pas un mouvement combattant. On est simplement là pour aider la personne à trouver son cœur profond. Par amour. Pas par devoir. Sans jugement. Sans morale. Sans condamnation. » a dit mot pour mot Guillaume Maupeau, un des volontaires de « Mère de Miséricorde », lors du week-end de Montmartre.
 

Don Luigi Giussani

Don Luigi Giussani


 

Mais n’est-ce pas restreindre ou caricaturer l’action de Dieu dans notre vie, que de penser ainsi et de faire de la maternité un dogme actionnel/solidaire/associatif ? N’est-ce pas fuir face aux attentes de ceux et celles qui, plus qu’une écoute, recherchent une Parole vigoureuse en même temps que respectueuse ? Je crois qu’il y a des gens qui sont appelés plus par le devoir que par le cœur, par l’ordre plus que par l’invitation, par l’obéissance et la soumission à une autorité plus que par la compréhension, par le choix plus que par le consentement, par la lutte plus que par le repos, par l’action plus que par l’expression de son ressenti, par Jésus directement plus que par les valeurs qu’Il porte. Il y a des gens qui préfèrent un Jésus caché et d’autres qui ont besoin de se Le voir annoncer « cash » et visible. Alors, certes, dans le contexte laïcard actuel, dans le contexte de tension et de paranoïa athée et anti-catholique, on va me rétorquer que la discrétion de Dieu est « plus stratégique » et opère davantage de miracles qu’une foi affichée comme un étendard, on va me dire que les associations telles qu’Alliance Vita, LMPT ou Mère de Miséricorde font un travail formidable de terrain et dépassent de loin l’action bourrine et donneuse de « leçons de prévention » des associations athées style Planning Familial justement parce qu’elles n’annoncent pas directement la couleur du Christ : ce serait leur discrétion qui leur permettrait de rejoindre un milieu scolaire beaucoup plus large, d’approcher des publics archi blessés (notamment les élèves musulmans), de rassurer les directeurs d’établissement, et d’assurer un travail chirurgical de toute beauté même s’il se fait à petite échelle, avec des petits groupes et avec des petits effectifs d’accompagnement (par exemple, Parlez-moi d’amour est débordée de demandes et pourtant manque d’intervenants). Je pose néanmoins la question : malgré la nécessaire et précieuse précaution que tout médecin de l’âme et que tout médecin de Jésus doit avoir, n’est-on pas encore trop en timidité, ou concentré sur une seule forme d’action ? Jésus est un médecin. Pas une infirmière ni une assistante sociale ni une conseillère conjugale. Il n’est pas Marie. Récemment, une amie catho, jadis enseignante en ZEP dans les Cités, m’a dit combien la population musulmane est paradoxalement très ouverte et sensible aux évangélisateurs catholiques qui parlent à visage découvert de leur foi, et avec zèle. Je pense aussi au succès des pélés « identité masculine » du père Philippe de Maistre ou au scoutisme qui donne des repères pour devenir un homme (catholique). Il y a des gens qui sont davantage touchés par l’action publique et politique que par l’action « passive » et réflexive. Il y a des gens qui préfèrent adorer et jeuner, d’autres qui sont plus missionnaires, frondeurs et entreprenants. « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. » (1 Co 12, 4)
 

N’oublions pas deux choses : 1) Jésus Prem’s !… et Marie en deuxième (Pour l’instant, l’action catholique est très mariale : c’est déjà énorme, mais c’est incomplet, et nous nous trompons, je crois, de priorité ni de royauté). 2) Sainte Thérèse de Lisieux, avec les novices qui étaient faibles et qui avaient besoin de son autorité masculine, se montrait ferme et forte ; avec les novices qui étaient trop orgueilleuses et avaient besoin de son autorité maternelle, se montrait douce. Pour amener le cœur à s’ouvrir à l’Amour de Dieu, il ne s’agit pas d’être tout le temps maternel, ni exclusivement paternel. Mais la paternité dépasse la maternité. Dieu s’est fait homme. Il ne s’est pas fait femme !

 

En regardant le programme de « Mère de Miséricorde » du dimanche 17 janvier au matin (Partie 1 : « Le Cœur profond » par Valérie Ternynck ; Partie 2 : « S’engager » par Guillaume Maupeau ; Partie 3 : « Le Combat spirituel » par le père Pierre Brunet ; Partie 4 : la messe par Jésus et Mgr Legrez), cette négligence de la masculinité (masculinité de la féminité, aussi !) commençait à se profiler, et ce, depuis le samedi… malgré la formulation scolaire de la nécessité de « l’engagement ».
 

Père Pierre Brunet / Zorro

Père Pierre Brunet / Zorro


 

Heureusement, le père Pierre Brunet (Zorro) est arrivé ! De manière totalement inespérée. J’avais déjà rédigé en cachette la moitié de mon article que vous lisez. Mais l’intervention du père Brunet a brisé mes doutes et est arrivée comme un coup de tonnerre dans le salon de thé cosy. Et c’était béni de Dieu. À brûle-pourpoint, il s’est mis directement à parler de masculinité. Alors que rien, dans le contexte du week-end « Mère de Miséricorde », et dans la thématique de l’accompagnement des femmes qui avortent ou souhaitent avorter, ne semblait l’indiquer. Ça tombait même carrément comme un cheveu sur la soupe. C’est là que j’ai compris que l’œuvre de Mère de Miséricorde était vraiment plus divine qu’humaine, et qu’elle était portée par l’Esprit Saint. Je ne vois pas d’autre explication. Dès l’introduction de son topo sur le « Combat spirituel », le prêtre marseillais a apporté, sans avertir, la dose de testostérone sainte qui manquait à ces deux jours déjà formidables. L’apothéose. Comme si l’Esprit Saint répondait mystérieusement à ma petite frustration. Ça m’a bouleversé. J’en ai pleuré pendant une demi-heure à chaudes larmes, c’est pour vous dire !
 

Pour commencer son topo, le père Brunet a raconté un épisode qui lui était arrivé à Marseille dans sa paroisse : un groupe de jeunes hommes, à proximité de son église, ricanait à propos de son célibat sacerdotal. Et lui, contre toute attente, n’a pas supporté en silence l’outrage, mais leur est rentré dans le lard. Légitime défense. Franc-parler. Rappel du cadre, des règles, du devoir. Justice couronnant la Miséricorde. Au lieu d’accueillir passivement les provocations des jeunes par un « Oui, je comprends, oui je supporte et je prie en silence », il ne s’est pas démonté, a dit « non », et a commencé à rentrer en résistance : « Je ne rigole pas du tout, là, les gars. Je joue pas. Le célibat, c’est vital pour moi. C’est ma vie. C’est mon bonheur ! » Et apparemment, cette courte mise au point a donné suite à un échange très profond entre hommes. « Je l’ai dit comme un mec. » Quand j’ai entendu cette phrase, là, immédiatement, j’ai compris que Dieu me répondait directement. Le père Brunet a exposé une toute autre manière d’aborder et de conscientiser les jeunes : il a contre-attaqué. Avec toute la Charité qu’il faut. Mais il a contre-attaqué quand même ! Il nous expliquait que si on attaquait sa femme, il serait le premier à se lever pour la défendre. Et si on attaque son Église, il ne se laisse pas faire et sort les crocs divins : « Je refuse de rentrer en débat avec des gens qui ne me respectent pas. » ; « On ne parle pas mal de ma femme ! On ne se moque pas de ma foi ! » ; « On peut débattre… mais dans la mesure où on se respecte. Quand on n’est pas à ce niveau-là, on ne se livre pas. » Comme un homme, un roi, un prophète de la justice, ou un arbitre, il pose le cadre, les limites à ne pas dépasser, la Loi. Il nomme le mal. Il édicte les règles. Il circoncit. Il frustre. Il donne des plaies. C’est ça, un vrai père.
 

Après l’introduction de son topo à Mère de Miséricorde, le père Pierre Brunet est rentré dans le vif du sujet et a traité du thème du combat spirituel (intitulé de sa conférence). Avec une originalité, une spontanéité (il a griffonné ses mots, paraît-il, la veille) et un culot tels (il a osé parler à la place de Dieu, en disant « Je », en parlant de « son fils Jésus », de ce qu’Il avait dit dans certains passages précis de la Bible, et de « ses prêtres ») que j’en ai sangloté comme un gamin pendant l’intégralité de son discours. J’étais frappé par la précision de ses mots, qui comblait mes attentes intérieures au-delà de ce que j’avais pu imaginer. C’est comme si Dieu avait pris possession du corps et des lèvres de son pasteur, que Dieu parlait à travers cet humble homme, et que le père Brunet n’était même plus là. « Tu vas combattre dans ta relation avec moi, disait-il, mais je vais te bénir. Je ne vais pas circoncire uniquement sexe, mais aussi ton cœur. » L’appel masculin au combat rejoint finalement la petitesse et l’humilité féminine, comme l’a montré le père Brunet en conclusion : « Restez petits et simples : c’est peut-être cela le secret du combat. » Dieu le Père nous aime avec un cœur de Mère, et par sa mère Marie. C’est sûr !

 

En repartant de ce week-end magique organisé par Mère de Miséricorde, Valérie Ternynck (une sainte, à mes yeux, même s’il ne faut pas trop lui dire lol… et puis de toute façon, sa grandeur ne vient pas d’elle, alors je peux quand même le dire !), guidée par l’Esprit Saint, a veillé, en faisant intervenir à cette session le père Brunet, Mgr Jean Legrez (évêque d’Albi) et même moi (le blessé de la masculinité), à apporter la touche de masculinité et de paternité indispensable à Mère de Miséricorde et à Parlez-moi d’Amour. Elle a eu l’humilité maternelle de nous confier « son » bébé, quelque part. Qu’elle en soit remerciée. Mère de Miséricorde est une œuvre inspirée. Et comme elle obéit au « À Jésus par Marie », elle se dirige naturellement et surnaturellement vers la Royauté masculine de Jésus et de Dieu le Père. Alléluia ! Vraiment !
 
 
 

P.S. : Remarque-annexe qui n’a apparemment rien à voir avec ce que j’ai écrit plus haut… et pourtant ! La grandeur de rassemblements tels que le « Parcours Homosexualité » de Paray-le-Monial, ou que le week-end « Mère de Miséricorde » au Sacré-Cœur de Montmartre, c’est qu’ils réunissent sans le savoir deux mondes qui ont tout pour s’opposer, mais qui, parce qu’ils ignorent qu’ils se rencontrent, parce qu’ils ignorent qu’ils s’opposent et qu’ils pourraient exploser ensemble, et surtout parce qu’ils sont mêlés et réconciliés ensemble par l’Esprit Saint, font l’expérience de leur unité improbable. À Courage, à Mère de Miséricorde, par exemple, c’est le festival des surprises, des réparations, des guérisons, des réconciliations insoupçonnées. J’ai remarqué cela avec les rares associations catholiques traitant de l’avortement (et dont le public caché est celui des personnes concernées par la stérilité) ; ou encore avec les associations traitant de l’homosexualité (qui drainent le public caché du divorce ou du célibat subi). Le phénomène d’aimants entre avortement et stérilité, ou bien entre homosexualité et divorce pourrait paraître irréel, malsain, masochiste ou signe de jalousie : des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant partent à la rencontre de couples qui en ont supprimé un ! ; des femmes quittées par leur mari qui est parti apparemment « pour cause d’homosexualité » vont à la rencontre des sosies homosexuels de ce dernier ! Bonjour la nitroglycérine ! Mais en réalité, la rencontre des deux mondes se passe très bien ! Il y a une vraie libération et réconciliation par personnes interposées. On revient sur les lieux du drame ou du crime (l’avortement, la stérilité, l’homosexualité, le divorce, le célibat), et on rejoue la scène pour résoudre le problème. Et ça marche. Même si au départ, ça semblait explosif ou inutilement douloureux parce que ce retour en arrière, cette observation de la plaie, ne se fait pas exactement avec les bons acteurs. Même si le mal a été fait et semble irréparable. Pourtant, le miracle s’opère quand même.
 

P.S. 2 : Au même instant où je publie cet article, en arrive un autre, exactement de la même veine, dans Le Rouge et le Noir, d’un journaliste (Louis-Alexandre) que je ne connais pas. C’est simultané et troublant ^^.