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Liste des 186 codes par ordre alphabétique


 

Capture d’écran 2013-08-26 à 01.00.50Liste des 186 codes homosexuels : De l’Actrice-Traîtresse… à Wagner !

 
 
 
 
 
 
 
DICO 15

A

 

1 – Actrice-Traîtresse (Star vieillissante et cruelle / Photo chiffonnée dans une main fermée et crispée)

2 – Adeptes des pratiques SM (Saint Sébastien)

3 – Aigle noir (Oiseau)

4 – Amant diabolique (Faust / Regards / Langue au chat / L’Autre)

5 – Amant modèle photographique (Amant miniature / Amant de dos / Amant-nain)

6 – Amant narcissique

7 Amant triste

8 – Amour ambigu du pauvre

9 – Amoureux (L’important c’est d’aimer / Désir d’aimer / Tu ne sais pas aimer)

10 – Androgynie bouffon/tyran

11 – Animaux empaillés (Taxidermiste homosexuel / Bestiaire / Homme-animal / Zoophilie)

12 – Appel déguisé

13 – Araignée

14 – Artiste raté

15 – Attraction pour la « foi » (Bouddhisme / Faux croyants / Religiosité de bazar / Églises « protestantes »)

16 – Aube (Samedi / Minuit / Refus des fins)

 

 

DICO 9

B

 

17 – Bergère (Peau d’âne / Femme-objet / Joconde)

18 – Blasphème

19 – Bobo (Bourgeois-bohème homosexuel)

20 – Bonbons (Chocolat)

21 – Bourgeoise (Bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église)

22 – Bovarysme (Prof de lettres homo)

23 – Boxe

 

 

DICO 20

C

 

24 – Cannibalisme (Nécrophagie / Goûts / Plante carnivore / Amant-bouffe)

25 – Carmen (Femme diabolique / Femme en rouge / Sorcières)

26 – Cercueil en cristal

27 – Chat (Chatte / Tigre)

28 – Cheval (Jockey gay / Cavalière / Zèbre)

29 – Chevauchement de la fiction sur la Réalité (Fuite ou haine de la Réalité / Crâne en cristal / Ralenti-accéléré / 4 rocs du Réel)

30 – Chiens

31 – Cirque (Fêtes foraines)

32 – Clonage (Fixette sur un amant perdu et déifié)

33 – Clown blanc et Masques (Carnaval / Bal masqué / Expressionnisme allemand)

34 – Coït homosexuel = viol (Strangulation)

35 – Collectionneur homo (Matérialiste / Consommateur gay / Objets vivants)

36 – Conteur homo (Dessins animés / Bandes dessinées)

37 – Corrida amoureuse (Taureau / Rouge et noir / Minotaure)

38 – Couple criminel

39 – Couple homosexuel enfermé dans un cinéma

40 – Cour des miracles homosexuelle (Chœurs de tragédie grecque)

41 – Curé gay

 

 

DICO 14

D

 

42 – Défense du tyran (Grands Hommes / Fantasme pour les uniformes et les militaires)

43 – Déni (« Circulez, y’a rien à voir ! » / Silence / Paradoxe / Censure)

44 – Désert (Sable / Cendres)

45 – Désir désordonné (Blessure / Sauvage / Albator / Fragile)

46 – Destruction des femmes (Misogynie homosexuelle / Femme-singe / Femme-pute)

47 – Différences culturelles

48 – Différences physiques

49 – Dilettante homo (Roue de voiture / Paresse)

50 – Don Juan homo (Macho / Cow-boy / Footballeur)

51 – Doubles schizophréniques (Dialogue contradictoire / Ventriloque / Schizophrénie)

52 – Douceur-poignard

53 – Drogues (Tendresse / Lesbienne alcoolique / Obsédés sexuels)

54 – Duo totalitaire lesbienne/gay

 

 

DICO 13

E

 

55 – Eau (Marin gay / Piscine / Fleuve / Poissons / Enfants noyés)

56 – Élève/Prof

57 – Emma Bovary « J’ai un amant ! » (Théâtre / Drama Queen / Mélodrame / « C’est atrrroce ! » / « Tout m’énerve » / «Oh mon Dieu ! »)

58 – Ennemi de la Nature (Corps morcelé / Diable au corps)

59 – Entre-deux-guerres (Armée / Prison / Homosexualité de circonstance)

60 – Espion homo (Voyeur / Enfant spectateur du coït)

61 – Éternelle jeunesse (Peur de vieillir)

62 – Extase (Frontière)

 

 

 

Coluche-Le-Luron

F

63 – Fan de feuilletons (Kitsch)

64 – Fantasmagorie de l’épouvante (Fan homo des films d’horreur / Peur / Gothique / « Psychose »)

65 – FAP la « fille à pédé(s) »

66 – Faux intellectuels

67 – Faux révolutionnaires (Révolution trahie / Rebelle / L’homo combatif face à l’homo lâche / Anti)

68 – Femme allongée (Ophélie / Femme qui tombe / Femme faussement endormie)

69 – Femme au balcon (Fenêtre / Tour / Ascenseur / Escaliers)

70 – Femme-Araignée (Catwoman)

71 – Femme et homme en statues de cire (Couple hétérosexuel / Ombres chinoises / Scène de répudiation / Où sont les femmes ?)

72 – Femme étrangère (Princesse orientale)

73 – Femme fellinienne géante et Pantin (Cruelle marionnettiste)

74 – Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois

75 – Fleurs (Fleuriste gay)

76 – Focalisation sur le péché (Péché originel)

77 – Folie (Sacralisation du fou)

78 – Frankenstein (Homme nouveau)

79 – Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

80 – Fresques historiques (Antiquaire homo / Scarlett O’Hara / Temps / Instant / Futurisme)

81 – Funambulisme et Somnambulisme (Trapéziste homo)

82 – Fusion (Polysémie de l’adverbe « contre » / Feu)

 

 

Kelly_Garrett

G

 

83 – Grand-mère

 

 

DICO 7

H

 

84 – Haine de la beauté (Beauté du diable)

85 – Haine de la famille (Idéalisation jalouse des couples femme-homme / Hétérophobie / Mariage cata)

86 – Hitler gay (Nazis homosexuels)

87 – Homme invisible (Voile / Momie / Diamants / Caméléon)

88 – Homosexualité noire et glorieuse (Victimisation / Traître / Criminel homo / Tatouage)

89 – Homosexualité, vérité télévisuelle ? (Miroir d’homosexualité / Porno)

90 – Homosexuel homophobe (Frère homophobe)

91 – Homosexuels psychorigides (Père tyrannique / Militaire / Femme-paon / Architecte / Maniaque de la propreté / Dictateur gay / Mappemonde)

92 – Humour-poignard (Blague virant au drame)

 

 

Invisible

I

 

93 – Icare (Chute)

94 – Île

95 – Inceste (Père et fils homos tous les deux)

96 – Inceste entre frères (Frères homos tous les deux / Cousin / Oncle)

97 – Infirmière

98 – Innocence

99 – Inversion (Carte / Couteau / Trottoir d’en face)

 

 

green-lantern-B.D

J

100 – Jardins synthétiques (Femme végétale)

101 – « Je suis différent »

102 – « Je suis un Blanc-Noir »

103 – Jeu (Jeux vidéo / Internet / Jeu virant au drame / Jouet)

104 – Jumeaux

 

 

Caro

L

 

105 – L’homosexuel = L’hétérosexuel

106 – L’homosexuel riche / L’homosexuel pauvre

107 – Liaisons dangereuses (Amour sorcier / Paradoxe du libertin / Désir d’aimer / Maladie d’amour / Valmont et Merteuil)

108 – Lune

109 – Lunettes d’or (Feux d’artifice)

 

 

DICO 4

M

 

110 – Magicien

111 – Main coupée (Gants / Sang invisible)

112 – Manège (Fatigue d’aimer / Ennui / Infidélité)

113 Maquillage (Décorateur homo / Paravent)

114 – Mariée (Robe blanche tachée de rouge / Règles / Sang / Laverie)

115 – Matricide (Politique maternelle du non-dit / Maman-putain)

116 – Méchant Pauvre

117 – Médecin tué (Attaque contre les scientifiques)

118– Médecines parallèles (Psy de bazar / Hypnotiseur / Amoureux du médecin / Faux scientifiques / Apprenti sorcier / Maladie d’amour)

119 – Mère gay friendly (Homoparents exemplaires / Homophobes repentants / Intuition féminine)

120 – Mère possessive (Maman mon tout mon roi / Maman-gâteau)

121 – Mère Teresa (Bon samaritain homosexuel)

122 – Milieu homosexuel infernal (Noir derrière l’arc-en-ciel / Descente aux Enfers)

123 – Milieu homosexuel paradisiaque (Bande de copains / Applaudissements / Cuculand)

124 – Milieu psychiatrique (Mère folle)

125 – Miroir (Miroir brisé ou kaléidoscopique / Traversée du miroir / Alice aux pays des merveilles)

126 – Moitié (Visage divisé / Rideau déchiré / Orange coupée / Siamois / Animal à deux têtes)

127 – Mort (Mise en scène de son enterrement / Cimetière / « Je suis mort » / Suicide)

128 – Mort = Épouse (Veuve)

129 – Morts-vivants (Monstres / Zombies)

130  – Musique comme instrument de torture (Opéra / Mélomane / Danse)

 

 

Knit

N

 

131 – Noir (Pantin noir / Dix Petits Nègres / Joséphine Baker / Prostituée noire / Racisme / Afrique)

 

 

Huit femmes

O

 

132 – Obèses anorexiques (Faim / Vomi / Festins non-débarrassés/ Nourriture comme métaphore du viol / Poison)

133 – Ombre (Enfant dans la galerie des ancêtres / Fils d’une célébrité / Amant-ombre / Obscure clarté)

134 – Orphelins (Bâtards / Enfants adoptés / Parents divorcés)

135 –  Oubli et Amnésie (Trou noir)

 

 

justeunequestiondamour3

P

 

136 – Parodies de Mômes (Peter Pan / Bilboquet / Immaturité / Refus de grandir / Sales gosses)

137 – Parricide la bonne soupe (Destruction des hommes / Père absent ou indifférent / Hamlet / Recherche du père avortée)

138 – Passion pour les catastrophes (Accident / Télé voyeuriste)

139 – Patrons de l’audiovisuel

140 – Pédophilie

141 – Peinture (Décorateur)

142 – Personnage homosexuel empêchant l’union femme-homme

143 – Petits Morveux (Haine des enfants / Enfants maltraités)

144 – Photographe (Caméraman / Filmer sa vie)

145 – Planeur (Rêveur / Science-fiction / Steward gay / Papillon)

146 – « Plus que naturel » (Extra-terrestre)

147 – Poids des mots et des regards

148 – Poupées (Marionnettes / Automates / Bodybuilding)

149 – Première fois

150 – Promotion « canapédé » (Ascension sociale / Dandy / Riches / Bourgeois / Goût de l’argent / Député)

151 – Prostitution (Défense de la prostitution / Interdit d’aimer / Prostituée tueuse / Prostituée tuée)

152 – Putain béatifiée (Prostituée lesbienne / Pute de luxe)

153 – Pygmalion (Divin artiste / « Je suis mon œuvre » / Amant-objet / Statues / Musée Grévin / Coiffeur homo / Couturier homo / Destruction iconoclaste)

 

 

Q

Q

 

154 – Quatuor

 

 

roland-barthes

R

 

155 – Regard féminin (Cyclope / Pute borgne)

156 – Reine (Cruella)

 

 

Pasolini

S

 

157 – S’homosexualiser par le matriarcat

158 – Scatologie (Pipi / Caca)

159 – Se prendre pour Dieu (Transsexuel divin / Pied cassé / Divine)

160 – Se prendre pour le diable (Je suis maudit / Manichéisme nihiliste / Le Bien par le mal)

161 Sirène (« Je suis le fils de la femme-poisson »)

162 – Solitude (Amitié / Misanthropie / Haine du foot / Vieux Gars / Célibat / Continence / Solitude à deux)

163 – Sommeil (Dormeur du Val)

164 – Substitut d’identité (Play-back / Imitateur / Travestissement)

165 – Super-héros (Aventurier / « Personne n’est parfait »)

166 – Symboles phalliques (Fétichisme du pénis / Sodomie / Fellation / Masturbation / Castration / Peur de la sexualité / Pont)

 

 

Dalida

T

 

167 – Talons aiguilles (Talons aiguilles rouges)

168 – Tante-objet ou Maman-objet

169 – Télévore et Cinévore

170 – Témoin silencieux d’un crime

171 – Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe

172 – Tout (Extrêmes / Je suis toutes les femmes)

173 – Train

174 – Trio

 

 

Princesse

U

 

175 – « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » (Bas-haut / Horizontalité-verticalité / Adieux / Amour impossible)

 

 

Madame-Irma

V

 

176 – Vampirisme

177 – Vent

178 – Vierge (Vénus / Fée / Ève / Marie)

179 – Ville

180 – Viol

181 – Violeur homosexuel (Psychopathe homosexuel / Victime du grand viol reproduisant un autre viol)

182 – Voleurs

183 – Voyage (Nomadisme dans l’immobilité / Route)

184 – Voyante extralucide (Cartomancienne)

185 – Voyeur vu

 

 

Arbre-et-la-foret-grand

W

 

186 – Wagner

Mode d’emploi du « Dictionnaire des Codes homosexuels »

MODE D’EMPLOI du Dictionnaire des Codes homosexuels

 

DICTIONNAIRE DES CODES HOMOSEXUELS

 

en ligne

 

(DICO ON LINE)

 

DICO 1

 

MODE D’EMPLOI

 

 

 
 

Pour accompagner votre lecture des essais Homosexualité intime et Homosexualité sociale, voici le Dictionnaire des Codes homosexuels, un petit guide référençant par ordre alphabétique (de « Actrice-traîtresse » à « Wagner ») tous les codes homosexuels indiqués par une note de bas de page dans le texte principal. Il y en a 186 en tout, sachant qu’il pourrait y en avoir bien davantage ou beaucoup moins selon l’appréciation de chacun, et que certains se font écho, l’univers symbolique renvoyant à l’inconscient collectif universel.

 

DICO 3

 

C’est une grande première qu’un dictionnaire symbolique de l’homosexualité soit disponible ainsi sur Internet ! « Dico on line » est la version illustrée et virtuelle de l’encyclopédie papier de mon Dictionnaire des Codes homosexuels publié chez l’Harmattan en décembre 2008. Par rapport à cette ancienne édition, j’ai retouché mes écrits en rajoutant une notice explicative à chacun des codes, puis rajouté les références des lectures et des visionnages de films ou de pièces que j’ai vus en 3 ans… sachant que ce dictionnaire est extensible à l’infini puisque je ne fais que commencer ce travail titanesque d’exploration de la culture homosexuelle, montrant ainsi l’incroyable censure homophobe qu’imposent les représentants homosexuels actuels qui ne veulent voir leurs œuvres que de loin. Il y a tant à découvrir, et le retard de la recherche intellectuelle sur les œuvres homosexuelles est tellement énorme que j’aimerais vous montrer que l’homotextualité n’en est qu’à ses balbutiements et qu’elle a un avenir radieux devant elle ! Une nouvelle branche des études gay et lesbienne, largement plus pertinente que les Gender & Queer Studies, peut émerger rien qu’avec l’exploitation de mon Dictionnaire des Codes homosexuels !

 

DICO 2

 

D’emblée, quand certains entendent parler de « codes homosexuels », ils pensent instinctivement aux us et coutumes réels des personnes homosexuelles entre elles, à leurs signes de reconnaissance secrets (boucle d’oreille à gauche ou à droite ? couleur des lacets ? foulard dépassant du pantalon et indiquant la passivité ou l’activité ? etc.), aux spécificités et aux évolutions du jargon du monde gay. En réalité, vous ne trouverez rien de tout cela dans cette somme.

 

DICO 15

 

Ce répertoire n’est pas un guide pratique pour devenir un parfait petit homosexuel et faire sa balade touristique dans le monde gay. Il est juste un ouvrage qui décrypte le sens et la nature du désir homosexuel. On dépasse la pratique pour aller au sens, aux symboles et aux images que le désir homosexuel emploie pour se dire.

 

DICO 4

 

Voilà comment va s’organiser concrètement ce Dictionnaire. Pour chacun des codes, j’ai donné toutes les œuvres fictionnelles sur lesquelles je les avais vu figurer (partie « FICTION« ), puis, sur une deuxième partie de tableau (« PARFOIS RÉALITÉ« ), leurs improbables actualisations dans la réalité concrète, en traçant entre la fiction et la réalité une frontière bien nette, celle de la coïncidence (et surtout pas celle de la causalité !). Les clichés du désir homosexuel ne sont pas des causes propres aux personnes homosexuelles ni des vérités systématiques sur elles, PRUDENCE !

 

DICO 5

 

J’attire toute votre attention sur le fait que ces codes ne sont nullement, et ne devront jamais, constituer une grille de lecture ni un portrait-robot des homosexuels, bien que de l’extérieur ils apparaissent comme une tentative de pathologisation et d’essentialisation du désir homosexuel. Ils sont tout le contraire : plus j’ai énoncé que le désir homosexuel avait ses images propres pour se dire, plus (et voilà le paradoxe) j’ai cherché à montrer que « l’homosexuel » n’existait pas et que l’homosexualité n’était pas l’identité profonde des personnes qui se sentent « homosexuelles ». Je le répéterai jusqu’à mon lit de mort s’il le faut, mais ceci est fondamental pour ne pas dénaturer ma démarche. On ne peut en aucun cas considérer les symboles relevés dans ce dictionnaire comme des outils pour isoler le désir homosexuel du désir hétérosexuel (d’autant plus que vous constaterez rapidement que le langage iconographique qu’utilise le désir homosexuel est presque identique à celui du désir hétérosexuel), ni comme des vérités ou des faits réels sur les personnes homosexuelles. Même si certains symboles parviennent à être dans certains cas partiellement actualisés en réalités fantasmées dans le quotidien d’un grand nombre de personnes homosexuelles, à cause de l’intervention d’une conscience humaine qui les croient totalement vrais ou totalement faux parce qu’elle maintient avec eux un rapport idolâtre souffrant, il n’en reste pas moins qu’ils doivent toujours demeurés là où ils sont nés, c’est-à-dire au pays des mythes et des fantasmes. Leurs actualisations ne sont jamais systématiques, et notre liberté humaine, si petite soit-elle dans les circonstances de la vie où elle est mise à mal, est inviolable. Il est donc clair que ce dictionnaire ne doit pas servir de test ou d’ensemble de « critères » pour détecter en soi et chez les autres l’existence d’une identité homosexuelle figée et éternelle : nos désirs sont évolutifs, notre sexualité en inconstante construction, si bien qu’il serait totalement absurde de prétendre, après lecture de ce répertoire, que par exemple toutes les personnes homosexuelles aiment les chats, ont une mère possessive ou se passionnent pour la corrida. Si certains lecteurs finissent par le penser, une deuxième lecture plus attentive du texte principal s’impose. Les codes homosexuels n’ont été soulignés, d’une part, qu’en vue d’inclure l’homosexualité dans une perspective universelle et évolutive de la sexualité et, d’autre part, pour remettre en cause le mythe de l’identité homosexuelle tout en défendant l’existence d’un désir particulier et parfois éphémère, le désir homosexuel, et de ses supports humains que sont les images.

 

DICO 6

 

Pour intégrer à ce dictionnaire une création (film, discours, roman, chanson, peinture, pièce, etc.) en tant qu’« œuvre homosexuelle » (expression largement discutable, j’en conviens), il a fallu à mon sens :

 

– soit que le thème principal ou secondaire de l’œuvre en question se rapporte explicitement au désir homo-érotique,

– soit que l’homosexualité du créateur de cette œuvre soit affichée et connue des médias, ou relativement latente,

– soit que l’artiste soit vénéré(e) comme une icône de la communauté homosexuelle, ou que le public visé par sa création artistique se revendique gay ou gay friendly (Je me rallie en partie à cette affirmation de Jan Noll dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke : « À partir du moment où, sur une piste de danse, les homos reprennent en chœur ‘It’s Raining Men’, ça devient un hymne gay… même si ce n’était pas l’intention de départ. »).

 

DICO 7

 

Néanmoins, l’imprécision entourant le concept d’identité homosexuelle, de par la nature même du désir homosexuel qui repose essentiellement sur l’ambiguïté, montre que la désignation « œuvre homosexuelle » s’applique à des créations que certains pensent strictement hétérosexuelles, et qu’elle louvoie fatalement avec la caricature. Loin de discréditer entièrement le sérieux du Dictionnaire des codes homosexuels, cela prouve bien une chose : d’une part, quand nous parlons du désir homosexuel, nous ne nous référons pas à des faits et des actes réels, et d’autre part, nous abordons toujours plus globalement la question des désirs humains écartelants, qu’ils soient homosexuels, hétérosexuels ou bisexuels. Le désir hétérosexuel et le désir homosexuel utilisent les mêmes codes iconographiques pour se dire, même s’ils ne s’actualisent pas pareil : la seule différence entre les deux est que le premier intègre la différence des sexes de manière brutale, et que le second la rejette, pour des résultats tout aussi violents.

 

DICO 8

 

Mon relevé n’a rien d’exhaustif ni de purement objectif. Par la force des choses, j’ai opéré des choix selon ce que je suis, ce que je connais, ce que j’aime ou ce que j’aime moins, ce que j’avais envie d’exprimer et de défendre. Il m’est impossible de nier que ce florilège a été inspiré, et donc limité, par mon histoire personnelle, mon contexte d’écriture, mes goûts, mes rencontres, mes lectures, mon âge, etc. Cependant, il n’en est pas pour autant que générationnel, individuel, idéologique, subjectif. J’ai veillé à diversifier au maximum mes outils d’analyse et les sources, si bien que j’ose prétendre qu’il constitue une banque de références solides pour tout chercheur et passionné de l’homosexualité. Il doit donc être pris comme un ensemble hétéroclite mais cohérent et à visée universelle. De prime abord, les ouvrages référencés apparaîtront de valeurs très inégales, tant les codes homosexuels, renvoyant à la culture humaine mondialisée, ratissent large… et pas toujours vers des créations de qualité : le désir homosexuel, s’appuyant fortement sur le kitsch ou le camp, c’est-à-dire des genres « pacotille » et totalitaires, risque de donner à ma liste un air de pot-pourri psychédélique peu crédible, puisque se mélangent des ouvrages intellectuellement très honnêtes à de purs « navets » cinématographiques et littéraires, des témoignages d’intellectuels reconnus comme des « génies » à des entrevues de vedettes éphémères « à la Warhol » (j’ai marié sans complexe Marcel Proust avec Alizée !). Mais malgré tout, avec le temps et ma petite expérience, je me suis quand même rendu compte que ce répertoire pouvait servir de clé de lecture d’un très grand nombre d’œuvres homosexuelles (y compris celles que je n’ai pas encore vues !), et faire écho à beaucoup de discours et de vies de personnes homosexuelles (les individus homos que je ne connais pas encore étant, eux aussi, inclus). C’est dire la portée universelle que contiennent ces annexes.

 

DICO 9

 

Des esprits sceptiques verront peut-être dans mon travail d’analyse symbolique du désir homosexuel une extrapolation, et se tueront à me prouver une évidence que je sais déjà : que la fiction n’est pas la réalité, qu’une personne ne peut pas être réduite à son désir homosexuel. Or les mythes ont beau ne rester confinés que dans l’imaginaire, ils recouvrent au moins une certaine réalité de la conscience humaine, donc ils parlent de manière atemporelle aux Hommes de 7 à 77 ans.

 

DICO 11

 

Je n’ai fait que citer des exemples et des individus provenant de la culture artistique mondialisée : certains pourraient se servir de cet angle de vue pour ne pas s’identifier à ceux qu’ils considèrent comme des artistes farfelus vivant dans un univers artificiel bien lointain du leur. À ceux-là je répondrais que, d’une part, il n’existe pas une cloison étanche entre les personnes homosexuelles soi-disant superficielles, citadines, connues et obsédées sexuelles du « milieu homosexuel », et les personnes homosexuelles inconnues, intègres, fidèles et vivant « hors milieu » (je les renvoie aux pages sur le paradoxe du libertin homosexuel dans l’ouvrage principal) ; et que, d’autre part, si j’avais pu citer les phrases nombreuses et parfois incroyables que j’ai entendues au hasard des conversations anodines avec mes amis homosexuels, je l’aurais volontiers fait.

 

DICO 12

 

Ce n’est pas dit que je ne le fasse pas un jour pour vous montrer combien ce que j’ai écrit s’applique non seulement au petit monde du show business mais aussi à bon nombre de sujets homosexuels peu excentriques, simples, et absolument pas adeptes du mode de vie homosexuel présenté à la télévision.

 

DICO 13

 

Je peux vous assurer qu’après le Dictionnaire des Codes homosexuels, vous ne regarderez plus les films et ne lirez plus les romans à thématique homosexuelle pareil. Je vous fais cadeau d’une paire de lunettes originale (… et à double-tranchant si vous la mettez à l’envers !). Donc attention… et bonne lecture à vous !

 

DICO 14

 
 

 

Philippe Ariño

 

 

 

Code n°1 – Actrice-Traîtresse (sous-codes : Star vieillissante et cruelle / Photo chiffonnée dans une main fermée et crispée)

Actrice-traîtresseActrice-traîtresse

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Traîtresse, je t’adore !

 

Film "The Raspberry Reich" de Bruce LaBruce

Film « The Raspberry Reich » de Bruce LaBruce


 

Le désir homosexuel, c’est l’histoire d’une idolâtrie. On remarque dans les œuvres homosexuelles (et parfois dans la réalité) que la féminité fatale agit comme un fantasme identificatoire puissant : le personnage homosexuel se prend pour la femme-objet qu’il considère comme sa mère – ou sa grand-mère –, et auquel il rêve de ravir l’identité immortelle. L’idole cinématographique, parce qu’elle n’arrive pas à devenir complètement réalité (elle vieillit, elle jaunit, elle n’est pas éternelle, elle a ses humeurs et son humanité), ou bien tout simplement parce qu’elle ne tient pas sa promesse de fusion à la personne qui rêve de s’identifier à elle, finit par être considérée comme une traîtresse. Il arrive que cet attachement souffrant soit figuré par l’image d’un personnage gay tenant dans sa main fermée une photo chiffonnée, signe du déni de son acte iconoclaste vengeur.
 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Douceur-poignard », « Destruction des femmes », « Regard féminin », « Reine », « Femme-Araignée », « Haine de la beauté », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Sirène », « Bourgeoise », « Prostitution », « Matricide », « Femme vierge se faisant violer un soir d’été ou de carnaval à l’orée d’un bois », « Grand-Mère », « Femme étrangère », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Bergère », « Mort = Épouse », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Pygmalion », « Tante-objet ou Mère-objet », « Putain béatifiée », « Mère gay friendly », « FAP la ‘fille à pédés’ », « Tomber amoureux des personnages de fiction ou du leader de la classe », « Télévore et Cinévore », « Mariée », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Défense du tyran », « Musique comme instrument de torture », « Carmen », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Traître » du code « Homosexualité noire et glorieuse », à la partie « Scène de répudiation » du code « Femme et homme en statues de cire », et à la partie « Espionne » du code « Espion homo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 
 

FICTION

 

a) La femme-objet médiatique représente la mort et la trahison :

Betty Boop

Betty Boop


 

En général, dans les fictions traitant d’homosexualité, la femme-objet n’est pas une enfant de chœur. Elle est messagère de mort et incarne la figure de la trahison. C’est le cas dans le roman La Traición De Rita Hayworth (La Trahison de Rita Hayworth, 1968) de Manuel Puig, le tableau Le Spectre du sex-appeal (1932) de Salvador Dalí, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau (avec Maria Casarès interprétant la Mort), la chanson « Miss Paramount » du groupe Indochine, le film « Doña Macabra » (1970) d’Hugo Argüelles, le roman Las Cortes De La Muerte (1911) d’Antonio de Hoyos, le film « The Wild Party » (1975) de James Ivory, le vidéo-clip de la chanson « I Wanna Go » de Britney Spears (avec la bimbo qui se venge des journalistes qui abusent d’elle), la chanson « Paparazzi » de Lady Gaga (où le personnage de la femme trahie devient elle-même meurtrière), la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, le vidéo-clip « Timebomb » de Kylie Minogue (qui vole le portable des passants, fonce sur des hommes, etc.), la comédie musicale Ball Im Berlin (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham, la chanson « Beaucoup trop jolies » de Véronique Rivière, le film « Potiche » (2010) de François Ozon (avec Joëlle, la figure de la femme traîtresse), la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec Graziella, la présentatrice folle-dingue dirigeant l’émission de télé-réalité Stars chez eux), le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel (avec le play-back de Marlène Dietrich en entrée et en sortie), le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso (avec le poster de la pochette de disque d’une chanteuse-vampire), etc.
 

L’actrice déçoit et violente ET ne déçoit pas parce qu’elle est violente sur nos écrans. « Je suis pute. » (Julie Duchâtel, la metteur en scène acariâtre dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) Par exemple, dans la pièce Confidences entre frères (2008) de Kévin Champenois, Amélie, une des héroïnes lesbiennes, qualifie la « femme idéale » de « traîtresse ». Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian Gray tombe amoureux d’une belle comédienne, mais à partir du moment où elle a fait une représentation médiocre de Roméo et Juliette, il se pense trahi, rompt avec elle et l’entraîne au suicide : « C’était tout simplement du mauvais art. Tu as tué mon amour. Tu me laisses indifférent. Tu as tout gâché. Tu es vaine et stupide. » Dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, les stars grabataires, détruites et auréolées d’un caractère tyrannique exécrable, sont mises à l’honneur. La comédienne, Marilyn Monroe, version moche et obèse, surnommée « Lourdes », danse en tutu comme l’hippopotame de « Fantasia ». Elle se présente comme une femme despotique, une bimbo faisant un discours politique anti-moches et pro-moches. Elle se plait à s’auto-détruire (« Eh oui ! Même Marilyn faisait caca. Ça casse le mythe. ») et demande au public qu’il l’aide à cela (« Fouettez-moi, battez-moi ! »).
 

L’actrice qui trahit est souvent collabo : « Pendant la guerre, on a souffert. Enfin… surtout à la Libération. Moi, j’ai été tondue. Moi qui ai connu les Allemands de près, je peux vous dire que je les connus de près, de très très près. Surtout Hans. Des Allemands, des aristocrates… d’une classe foooolle. Des gens qui gagnaient à être connus. » (la femme collabo dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau)
 

Elle a quelque chose de diabolique. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, considère la chanteuse Madonna comme un démon qui la possède : « Madonna, quand elle rentre, pour la faire sortir… » Il la vénère autant qu’il la jalouse : « Quand je vous dis qu’elle est mauvaise… » Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert, le héros homosexuel, après avoir entonné une chanson d’Édith Piaf, la supplie de le quitter : « Édith, sors de ce corps ! »
 

L’actrice chérie par le héros homosexuel invite à une forme de damnation, d’oubli de soi, comme l’indique Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green : « Je cède à cette tentation un peu comique de contempler le visage banal d’une actrice en vogue. J’oscille perpétuellement entre la nostalgie de la vertu et le désir de péchés que je n’ose point commettre, et je me sens à la fois profondément malheureux. » (p. 150)
 

La machine médiatique féminisée broie parfois le personnage homosexuel. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silberman est déchiqueté par une rotative dans la rédaction du journal où il travaille : « Les rouleaux de papier étaient rouges de sang. Une jambe se retrouvait coincée dans un engrenage. » (p. 51) Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le héros homo, a mis un poster d’une chanteuse femme fatale avec des empreintes de mains ensanglantées sur elle (les mains de son fan, en l’occurrence…). Dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet, les actrices d’un hôpital psychiatrique sylvestre finissent par tuer l’unique homme de l’histoire, celui qui est désigné comme le « Prince charmant ». Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, Élisabeth, une femme de fer à la tête d’un empire industriel important, a conduit son fils Nicolas au suicide en lui imposant la succession de l’entreprise familiale.
 

Martine Superstar dans la pièce Quand les belles-mères s’invitent !  de Stéphane Henriaut

Martine Superstar dans la pièce Quand les belles-mères s’invitent ! de Stéphane Henriaut


 

Fifi (le travesti M to F) – « Elle me poignarde !

Lou (l’héroïne lesbienne) – Et tu t’attendais à moins ? C’est toi la seule assassine ? »

(Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)
 

L’actrice est parfois qualifiée de monstre : « Nous savons que vous êtes un monstre. » (l’Auteur s’adressant à Vicky Fantômas dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, p. 251) Elle a le pouvoir de vampiriser et de tuer psychiquement son fan à distance. « Je suis mort. Yolanda m’a suicidée. » (Sor Estiércol dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar) ; « Cette Barbara Streisand, elle t’a pas un peu déformé le cerveau ? » (le père d’Howard s’adressant à son fils homosexuel suite à son coming out, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Tatiana Debon est une blonde tout en rondeurs, mais couverte d’épines comme un de ces cactus rebondis qu’on voit sur les bouteilles de tequila. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 385) ; « Vestale de la Beauté monstrueuse. » (Warda dans le roman Hawa (2010) de Mohamed Leftah) ; « On dit que les actrices peuvent tuer pour un rôle. » (Sylvie s’adressant à l’actrice Isabelle, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Il y a une fille dans mon lit !! Qu’est-ce que je vais faire avec ça ?? J’espère qu’elle ne va pas me toucher, la vicieuse ! Je ne suis pas un sex-toy, Mademoiselle ! » (Fabien Tucci, homosexuel, s’adressant à une femme qu’il surnomme comme la chanteuse Rihanna, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Je la supporte pas, celle-là. Je peux pas l’encadrer. » (Benjamin, le héros homosexuel, à propos de la chanteuse Lady Gaga, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.
 

Par exemple, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque imite Catherine Deneuve en momie, Mylène Farmer en poupée muette (« Mylène Farmer, c’est un peu comme la Joconde. Tout le monde la voit, mais personne ne l’entend. »), Liliane Bettencourt en hideuse créature (elle est qualifiée d’« Horreur Loréale ») et Dalida en monstre (« Moi, je faisais la Belle et Dalida la Bête. »).
 

Le personnage homosexuel s’avoue assassiné par les mots de son actrice-amante : « J’ai adoré vous retrouver sous ses traits de vieille dame indigne, d’aristocrate aux mots qui tuent et au cœur en compote. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 58) ; « Je ne savais même pas ce que je cherchais alors, mais, la voyant, reine en haillons, marquise hautaine, vieille petite fille ridée, elle, la Dame de Bois-Rouge, puisqu’il faut dire son nom, je suis restée fascinée au centre de sa toile et je n’en suis sortie qu’éreintée, pourfendue, achevée par ses coups de pioche dans le cœur. » (idem, p. 129) ; « Une femme s’approche de moi. Elle souffle sur mon visage un chant en berbère. Elle me relève. Je me laisse faire. Elle s’arrête de chanter. Elle est douce. Elle me dit, en arabe, dans l’oreille gauche : ‘Va vers lui, va vers le Roi, c’est comme ton père. C’est ton père. ’ Et elle me pousse, violemment, dans sa direction. Je ne m’attendais pas à cette violence, à cette trahison. Je ne suis plus rien. » (Khalid, l’un des héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 12) ; « Cantatrice, castratrice, ah ben une lettre ça peut tout changer hein… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc converti en homosexuel, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.
 

La « pin-up du soldat », celle qui vient au front et conduit les Hommes à la mort, est souvent une icône gay : Bette Midler dans le film « For The Boys » (1991) de Mark Rydell, Marlene Dietrich dans le poème « Canción De Amor A Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher, Lady Diana dans l’article « Todo El Poder A Lady Di » du même auteur, etc. Par exemple, pendant le concert Météor Tour d’Indochine à Paris-Bercy le 16 septembre 2010, sont intercalées sur les écrans géants des images de guerre avec des archives filmées de majorettes, de Reines de Beauté.
 

Parfois, cette actrice-traîtesse représente globalement tous les acteurs, qu’ils soient hommes ou femmes, qui peuplent les écrans des salles de ciné. Dans le film « Murder By Death » (« Un Cadavre au dessert », 1976) de Robert Moore, la femme de Sam Spade demande à son mari pourquoi il cache des magazines pleins d’hommes musclés et nus dans son bureau. Celui-ci lui répond : « Ce sont des suspects ! » Il les considère comme responsables de sa propre soumission à eux.
 

Cette rancœur nourrie par le personnage homosexuel envers ses idoles (hypersexualisées) de papier peut déboucher sur une vengeance ou un meurtre iconoclaste. Par exemple, dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, et encore dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, les stars du show business sont tour à tour assassinées. « Nous pendouillerons Cher ! » affirment les protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy en parlant de la chanteuse Cher. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel danse sur des tubes des chanteuses qu’il adore et qu’il insulte en même temps : « Ah la feignasse ! » s’insurge-t-il contre Kylie Minogue ; « Qu’est-ce qu’elle fait cette connasse ? » crie-t-il contre Lady Gaga. Quand le démon de la danse s’empare de lui, il s’adresse à la chorégraphe noire « Mia Frye, sors de ce corps ! ».
 

Vidéo-clip de la chanson "C'est dans l'air" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer


 

Du fait d’appartenir à un monde onirique que les humains ne peuvent pas rejoindre, l’actrice est considérée comme une mère cruelle et démissionnaire : « La grande dame nous laisse tous orphelins, c’est un malheur incommensurable pour l’humanité. » (Monsieur Charlie dans la pièce L’Héritage de la Femme-araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 17) Sa puissance ne dure que le temps d’une chanson ou d’un film : « Björk avait terminé depuis longtemps. Sa voix malicieuse avait cessé de nous envoûter et le sortilège prenait fin avec le disque. » (la voix narrative du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 187) ; « Jolie, crinière au vent, ses dessous dépassant de l’ouverture du fourreau pailleté, boitant sur une seule chaussure, traînant d’une main le renard, de l’autre son sac, suivit Silvano sans rien dire. […] Son maquillage dégoulinait. Jolie de Parma, celle qui l’avait tant ému au cinéma ! réalisa-t-il tout d’un coup. Hier encore, vous étiez mon idole, mon idéal de femme. » (le narrateur homosexuel du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, pp. 22-23) ; etc.
 

Le héros homosexuel rêve de se venger de l’actrice-traîtresse, et dénigre sa reine : « Même la mort n’en veut plus. » (Léo, le héros homosexuel à propos de Loana, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; « Son vrai nom à Victoria Abril, c’est Victoria Merda ! » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Surtout, ne jamais aimer Mylène. […] Aimer Carla Bruni, à moins d’être coiffeur, c’est direct le bûcher ! » (Jonathan, le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Avoir rencontré Jolie d’une façon aussi hasardeuse que désagréable le remplissait d’une confusion que Silvano dissimula en adoptant une attitude méprisante. Pour se donner du courage, il se dit : ‘Quand je raconterai à Dorita que la célèbre Jolie de Parma n’est que la putain d’un sénateur… » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 14-15) ; « Mon illusion, c’est le monde des femmes telles qu’elles sont : plus animales que l’homme mais dont personne ne peut les accuser de passion ! » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa mère Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (2014) de Copi) ; « Une actrice. Oui. Une pute, c’est bien ce que je dis. » (Benjamin, l’un des héros homos de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Vous êtes une sangsue. Une hyène ! » (Philippe s’adressant à Elisabeth, la présentatrice-télé qui l’a traîné médiatiquement dans la boue, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; etc.
 

Planche "Le Miroir" de la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Le Miroir » de la B.D. Le Monde fantastique des gays de Copi


 

Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne, présentatrice télé, détruit le milieu audiovisuel dans lequel elle gravite : « Les actrices sont toutes des malades mentales. » Elle se qualifie elle-même de « peau de vache ». Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella, le héros transsexuel M to F, imite parodiquement la Callas qui se shoote, alors que, pourtant, elle l’adore : « Je l’ai vue à la télé et ça m’a rendu dingue. […] Notre seul point commun, c’est d’être cinglées. » Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, le rapport entre Cyrille, le héros homosexuel, et la cantatrice Regina Morti est passionnel : « Je garde encore ce mot que vous m’avez envoyé lors de la première de la Tosca à la Scala di Milano, le voici : ‘Regina, ti amo ! Regina, ti amo ! ’. » (Regina) ; « Je ne peux pas vous épouser, ma chère Regina. » (Cyrille) ; « Je ne vous ai jamais envoyé ce billet ridicule ! » (idem) ; « Je déteste les cantatrices d’opéra, il est impossible de les faire taire. » (idem) ; etc. Cyrille finit par traiter Regina d’« espèce de vieille truie ».
 

L’actrice est détestée de ne pas parvenir à arracher celui qui s’identifie à elle de sa soi-disant misérable existence : « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196)
 

Lors du concert d’Oshen à l’Européen de Paris, le 6 juin 2011, Océane Rose-Marie a tout à fait illustré la jalousie des personnes homosexuelles envers la star de magazine, ce reflet narcissique qui fait souffrir et qui fait scandale, précisément parce qu’il n’arrive pas à nous transformer complètement en objet comme lui : « Une fois, j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Je n’arrêtais pas de me demander : pourquoi cette femme me ressemble ? Pourquoi elle est dans le magazine et pas moi ?!? […] Elle me ressemblait, et ça me rendait malheureuse. Cette femme dans le magazine qui me ressemblait, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a explosé à la figure. » Cette femme-objet sur papier glacé ne parvient pas à nous entraîner avec elle dans son univers de paillettes ; elle nous abandonne ; elle ne peut pas concrètement nous diviniser par contamination visuelle. Et ça, les personnes homosexuelles ne l’ont pas avalé.
 

L’actrice étant aussi par définition le piège-à-hommes, il est donc logique qu’elle apparaisse aux yeux du héros homosexuel comme LA rivale à neutraliser, la pimbêche qui vient lui voler son/ses amant(s). Par exemple, dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, Lucilla, la copine de Mr Carter, est considérée comme une traîtresse par le jeune héros homosexuel, John, secrètement amoureux de Mr Carter, justement.
 
 

b) La star ridicule et dégradée, ou la vedette vieillissante défiant héroïquement le temps, est célébrée par le personnage homosexuel :

Alice Sapritch

Alice Sapritch

 

L’acte de destruction de la star – soit parce que c’est elle qui détruit, soit parce qu’elle est détruite par son fan homosexuel – est souvent envisagé comme un acte d’amour. Le héros homosexuel rêve son actrice à la fois morte et toute-puissante, éternellement vieille… pour continuer de la haïr pour toujours ! « Cette vieille, la Vénérable, vraiment je lui en voulais, j’y avais cru plus qu’à tout le reste, et voilà, j’étais baisé. » (Vincent Garbo, le héros homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 109) ; « Ayez pitié d’une pauvre femme par-dessus vieille ! J’allume la boule. Vous la voyez votre petite Delphine pendue ? Monsieur, me dit-elle, je me sens mal. Mes sels ! Je la gifle. Je l’attrape par les cheveux, lui cogne le front contre la boule de cristal, elle râle, elle s’affaisse sur sa chaise, elle a une grosse boule bleue sur le front, un filet de sang coule de son oreille. En bas on entend le bruit régulier de la caisse, je regarde par la fenêtre, le boulevard Magenta est toujours le même. La vieille continue de râler, je l’étrangle, elle meurt assise. Je me recoiffe de mon peigne de poche, j’enfile mon imperméable. » (le narrateur homosexuel assassinant Madame Audieu, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 89) ; « C’était une dame que j’appréciais beaucoup. Je n’aurais jamais pu lui faire du mal. Ça aurait été comme si je tuais ma propre mère. » (Pretorius, le vampire homosexuel parlant de Mme Yank, la comptable de 80 ans de l’Hôtel du Transylvania, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Marlène Dietrich : une idiote ! » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.
 

Planche "La Doyenne" de la B.D. Le Monde fantastique des gays de Copi

Planche « La Doyenne » de la B.D. Le Monde fantastique des gays de Copi


ACTRICE-TRAÎTRESSE Doyenne 2
 

On retrouve la star vieillissante par exemple dans les spectacles d’Élie Kakou (avec l’ancienne claudette Mongola), le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald (avec la diva à la retraite), l’album Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi (avec la Doyenne), la pièce Quand les belles-mères s’invitent ! (2014) de Stéphane Henriaut, la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon (avec la Palma « has been »), le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek (avec la grand-mère de Tommaso, le héros homosexuel), le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les quatre vieilles divas), la comédie musicale Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon (avec la vieille star de music-hall handicapée), le film « The Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2006) de David Frankel (avec la diabolique Miranda), le film « Höstsonaten » (« Sonate d’Automne », 1978) d’Ingmar Bergman (avec Charlotte la mère pianiste retraitée), la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier (avec la figure de Marilyn Monroe grabataire et obèse), le film « The Fan » (1981) d’Edward Bianchi, le film « Il était une fois dans l’est » (1974) d’André Brassard, le film « Women » (1939) de George Cukor, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec Jenny), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la star à la carrière finissante, parodiant les Marlène Dietrich et Zizi Jeanmaire qui n’ont pas su s’arrêter à temps), le one-(wo)man-show Lady Raymonde (2014) de Denis D’Archangelo, la chanson « Et si vieillir m’était conté » de Mylène Farmer, le film « Tan de Repente » (« Tout à coup », 2002) de Diego Lerman (avec la grand-mère chanteuse), le film « Die Bitteren Tränen der Petra von Kant » (« Les Larmes amères de Petra Von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Sunset Boulevard » (« Boulevard du Crépuscule », 1950) de Billy Wilder (avec la Norma Desmond), le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Le Clair de terre » (1969) de Guy Gilles, les films « Femmes Femmes » (1974), « Corps à Cœur » (1978), et « En haut des marches » (1983) de Paul Vecchiali, le film « Heat » (1972) de Paul Morrissey (avec Sylvia Miles), le film « Best in Show » (« Bêtes de Scène », 2000) de Christopher Guest, le film « Beverly Kills » (2005) de Damion Dietz, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec Mademoiselle Ott), le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec Junn, la mère en maison de retraite), le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan (avec Kate, la mère vieillissante démissionnaire, gangster et indépendante : « Jamais personne ne me dira ce que je dois faire ! »), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears (avec Léa, la star à la retraite), la comédie musicale Une Étoile et moi (2009) d’Isabelle Georges et Frédéric Steenbrink (avec Leslie Caron, la vieille actrice accueillie et ovationnée comme une diva), le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec la vieille fumeuse), le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba (avec les vieilles grands-mères), le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec Mary, le vieux transsexuel M to F ayant un cancer mais fumant quand même comme un pompier), la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor (avec Paulette Poussin, l’arrière-grande-tante de Jean-Paul, complètement grabataire, imité par son petit-neveu homo), le sketch de la « Belle-mère » de Didier Bénureau, etc. Par exemple, dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, l’amant diplomate de Roscoe, au moment de recevoir Margaret Thatcher en personne, bande concrètement à cause d’elle. Et Roscoe, par vengeance, dit qu’il a vraiment pissé dans le thé qui sera servi à la première ministre.
 

Les stars adulées par le personnage homosexuel sont en général à l’article de la mort. Par exemple, dans la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger, l’actrice déclassée Stella Spotlight symbolise le déni du statut mortel des Hommes. Elle se définit elle-même comme la mort en personne : « Voulez-vous voir la mort en face ? Elle s’habille en technicolor. » Dans le film « The Curiosity of Chance » (« Saisir sa chance », 2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a une tendance à « l’imitation de chanteuses mélodramatiques décédées comme Rosemary Clooney, Dionne Warwick, Ethel Merman ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, se présente comme une Miss France à la retraite. Dans la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim, le lieutenant Kalachnikov homosexuel avoue qu’il est attiré par les vieilles. Dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard rentre dans la peau de sa grand-mère Mamita, anti-socialiste, raciste, acariâtre, bourgeoise. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se moque des hôtesses de l’air vieillissantes et acariâtres avec leurs plus jeunes collègues, qui utilisent le chariot de victuailles comme des déambulateurs : « Les vieilles hôtesses, elles, elles ne nous aiment pas, elles nous parlent mal. » Dans la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, Claude est la vieille femme infréquentable, anti-conformiste, inflexible, peu docile, « chieuse », rebelle, vulgaire, volage, solide comme un roc… bref, immortelle. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca rentre dans la peau d’une actrice vieillissante qui fait des publicités, Marie-Astrid : « Dans ‘Autant en emporte le vent’, en 1939, c’est moi qui faisais le vent. » Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy maniéré avec son monocle, se gausse méchamment de Marguerite en feignant de l’aduler : « Je vous adore ! »
 

« Je travaille à mon grand come-back. » (la mère transgenre M to F se rétamant plusieurs fois sur scène, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti David Forgit) ; « Je n’ai pas le temps d’aller faire le mannequin en Australie, d’ailleurs, je suis trop vieille. » (« L. », le personnage transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Le fait de s’habiller en jumelles leur conservait une certaine clientèle d’amateurs malgré leur soixantaine bien entamée. » (Mimi et Gigi, les deux travestis M to F de la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, p. 87) ; « La Solitaire entre par en haut de l’escalier. C’est une belle femme de quarante ans, habillée luxueusement. » (Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Catherine D. est en chantier. » (Philippe Mistral évoquant l’actrice Catherine Deneuve, dans son one-man-show Changez d’air, 2011) ; « Quand je serai vieux, j’aimerais tellement être comme vous. » (Romain, le coiffeur homosexuel s’adressant à Isabelle la concertiste, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Ophélie, si tu nous entends, là-haut, on t’embrasse. » (Jérémy Lorca s’adressant à la chanteuse déclassée Ophélie Winter, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.
 

Généralement, cette star hautaine expulse son fan. C’est le cas de la méchante vieille dans le film « Tatie Danielle » (1989) d’Étienne Chatiliez (le petit-neveu gay Jean-Marie est rebaptisé de « Jeanne-Marie » par elle), de Lena horrible avec son fan Ernesto dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, de l’odieuse Grany dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, de Mrs Whittaker dans le film « Easy Virtue » (« Un Mariage de rêve », 2009) de Stephan Elliott, de Margo méprisant ses fans dans le film « All About Eve » (« Ève », 1950) de Joseph Mankiewicz, de Victoria dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Aïnouz, de la bourgeoise maléfique (dont on ne voit que la main) qui tient le téléphone à Steven mourant dans son lit d’hôpital dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, de toutes les stars méprisantes vis-à-vis des fans masculins dans les vidéo-clips des chansons « I Outta Love » d’Anastacia, « My Love Don’t Cost A Thing » de Jennifer Lopez, « J’envoie valser » de Zazie, « Moi… Lolita » d’Alizée, « He Wasn’t Man Enough For Me » de Toni Braxton, « I Never Loved You Anyway » des Corrs, etc.
 

Par exemple, dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, Uma Rojo refuse un autographe à son fan Esteban qui, à cause de cela, mourra dans un accident de voiture. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, toutes les actrices sont à la fois idéalisées et maltraitées parce qu’elles ignorent ou maltraitent leur fan homosexuel. En effet, Dany, le héros homo, cherche à atteindre son inaccessible idole, la chanteuse-actrice Patty Pravo (« Patty, c’est mon idole, mon porte-bonheur. ») qui le salue de loin depuis un bateau de croisière, qui à la fin du film ne lui adressera qu’un furtif « Amore » depuis sa limousine noire, avant de disparaître à tout jamais. Frustré par cette relation puissante et distante à la fois, Dany se venge d’une des doublures de Patty nommée Vivi. Vivi est la belle-mère de Dany, la poupée par excellence (habillée en rouge comme Patty, et blonde décolorée aussi comme Patty), vivant dans une villa en parfaite femme au foyer soumise… Dany débarque chez elle avec un flingue et la considère comme une rivale qui lui a piqué son père.
 
 

c) Le personnage homosexuel garde dans sa main une photo déchirée ou chiffonnée:

Le fan homosexuel vit une vie par procuration avec « sa » star : « Quand je touchais un salaire de misère pour payer ma chambre de bonne, j’avais toujours épinglée votre photo sur mon miroir. J’ai suivi avec grande attention votre carrière. » (Vicky s’adressant à la Comédienne, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) Voyant que cette actrice ne partage pas son quotidien, il finit par détruire l’effigie de son idole pour mieux prouver qu’elle est immortelle et qu’elle survivra à sa destruction iconographique/symbolique. C’est le cas dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox, le film « Gunman In The Streets » (« Le Traqué », 1950) de Frank Tuttle et Boris Lewin, le film « Le Foto Di Gioia » (« Delirium », 1987) de Lamberto Bava, le film « Fotos » (1996) d’Elio Quiroga, le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, le film « Le Testament d’Orphée » (1959) de Jean Cocteau, le film « Spring Fever » (« Nuits d’ivresse printanière », 2009) de Lou Ye, le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh (avec la photo de Petra et sa collègue, déchirée par Jane la compagne de Petra), la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir (avec la destruction des photos, jetées au feu), le film « Plan B » (2010) de Marco Berger (avec la photo du sosie de Bruno jetée par Laura), le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino (avec la photo brûlée, serrée au poing), etc.
 

Par exemple, dans la pièce El Vals De Los Buitres (1996) d’Hugo Argüelles, Lionel détruit un poster de Bette Davis avec un couteau. Dans le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo, Herrera déchire la photo de sa fiancée Amparo. Dans le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, une fille se fait arrêter par les bourreaux parce qu’elle possède une photo sous son oreiller : elle est assassinée pour crime d’idolâtrie. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, jette les photos des footballeurs qu’il a utilisées pour faire son article sur l’équipe de foot de son lycée.
 

La photo cristallise et mythifie autant qu’elle fige le modèle féminin dans la mort et l’horreur : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. Je me rappelle Maman presque tous les jours. Je me souviens d’un après-midi en particulier. Nous étions sur les rives de la Sunshine Coast, dans le golfe d’Alaska. Partout il y avait de la neige, c’était blanc à perte de vue. Papa avait acheté un Polaroïd, Maman s’était assise sur un tas de neige. Son visage ce jour-là sera son visage pour toujours. J’entends tout à coup le clic de l’appareil, le zzz de la photo qui sort – petit à petit, le portrait se révèle… Je trouve ça magique. Et pourtant, lorsque les traits de Maman deviennent tout à fait nets sur le papier glacé, je ne la reconnais plus… Elle a déjà changé. Je la regarde, je regarde la photo, je la regarde, je reviens à la photo : ma mère s’enfuit ! Je pleure énormément. La photo tombe sur la neige. Quand mon père la ramasse, les couleurs ont suinté, le visage de ma mère n’est plus qu’une traînée rose. » (Chris, l’un des héros homos du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) ; « Dans un dernier flash, elle [Truddy] vit le visage de sa mère, morte à sa naissance et qu’elle n’avait connue que par des photos. » (Copi, « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 40) ; « J’ai été la victime du rouleau compresseur médiatique. » (Cindy, l’héroïne hétérosexuelle qui joue la lesbienne pour ses besoins de célébrité, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; etc.
 

Vidéo-clip de la chanson "Libertine" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer


 

Le personnage homosexuel est sous la dépendance d’un cliché photographique qu’il ne veut pas lâcher. On retrouve souvent dans les fictions homo-érotiques le motif de la main serrant un papier chiffonné : cf. le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec le mouchoir froissé dans la main, aux toilettes), le poème « Lugar » (1980) de Néstor Perlongher, le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, etc.
 

Main d'Odetta dans le film "Teorema" de Pier Paolo Pasolini

Main d’Odetta dans le film « Teorema » de Pier Paolo Pasolini


 

Par exemple, dans le film « Rebel Without A Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, Platon cache une photo du bel acteur Alan Ladd dans son vestiaire. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Odetta, qui prenait sans arrêt les autres personnages en photo, finit mystérieusement pétrifiée sur le lit familial, à l’image de ses clichés. Elle garde une main crispée qui renferme le symbole de son idolâtrie… On ne saura jamais ce que c’est. L’arroseur arrosé apparaît également avec le professeur Figueroa dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, tué par le film qu’il était en train de voir.
 

Marilyn Monroe

Marilyn Monroe


 

De nombreux écrits traitant d’homosexualité nous présentent des personnages gardant dans leur main une icône dont ils ont du mal à se détacher, et qu’ils détruisent pour mieux effacer leur idolâtrie : « Chloé avait du sang entre les dents quand on l’a retrouvée inanimée dans la forêt de Sénart, un papier avec mon nom dans son poing serré. » (Cécile parlant de sa compagne, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 136) ; « Ma main crispée sur une carte postale, la plus banale la plus vulgaire La Place du Tertre tandis que je retiens une espèce de plainte, un grognement dont je m’affole de ne pas reconnaître la nature, je serre les dents, mon corps légèrement incliné au-dessus de la carte vers le guichet. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 173) ; « Il sentit sous sa paume le papier lisse d’un exemplaire de l’Imitation que sa mère lui avait donné pour son vingt-deuxième anniversaire, et tout à coup il fut repris par un monde qui lui parut aussi étroit qu’une geôle. » (le héros homosexuel du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 16) ; « Alors, par un mouvement de révolte qui lui rendit toute sa vigueur, il se leva, arracha cette image pieuse fixée avec une punaise et d’un geste rageur la déchira en quatre morceaux, puis, ouvrant la fenêtre, il lança dans le vide ces petits fragments de papier bariolés de couleurs naïves. » (Emmanuel Fruges, idem, p. 185) ; « Alors elle serre ce papier tout froissé sur son cœur, son cœur peut-être aussi froissé que le papier, autant… ou davantage. » (Molina, le personnage homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 218)
 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony vit toujours dans la nostalgie de son « amour » impossible avec Scrotes : « L’amour est comme un phare. Adieu, Scrotes… » dit-il en froissant un papier.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) La femme-objet médiatique représente la mort et la trahison :

Lady Gaga

Lady Gaga


 

En règle générale, les égéries LGBT ne sont pas des enfants de chœur. Par exemple, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » (diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte), il est question de danser de manière « férocement glamour ». Les icônes gays incarnent la quintessence de la trahison et de la violence sophistiquées. Les personnes homos aiment soutenir des femmes machistes, mégalos, ridicules dans leur prétention à être absolument stars, mais sincères dans leur mégalomanie, des êtres qui transcendent la différence des sexes et qui font la nique à tout le monde : on peut penser à Madonna, Lady Gaga, Afida Turner (cf. interview avec Jeremstar), Cindy Sander, Mylène Farmer, Nabilla Benattia, Lady Gaga, Jeanne Moreau, Judy Garland, etc. Ces actrices jouent le rôle de l’homme-objet conquérant et indépendant. Par exemple, sur la chaîne NRJ 12, le 5 février 2011, Afida Turner dit qu’elle « est un mec dans un corps d’homme. » Pour la chaîne TF1, Thomas Vergara, le petit copain de la bimbo Nabilla Benattia qui l’a poignardé, avoue qu’elle n’est pas vraiment un homme : « C’est un garçon, en fait, Nabilla. »
 

Et en même temps, les personnes homosexuelles se retournent contre ces femmes cinématographiques qui les maltraitent, les méprisent (dans leur virilité ou leur féminité) et ne les aiment pas d’un amour réciproque à celles qu’elles imaginent leur donner. « Elle [Katia Leonsky] aimait appeler ses jeunes admirateurs ses ‘nains’. Pour combler son narcissisme, il fallait la présence d’au moins sept admirateurs. Ernestito lui offrit une Vénus de Milo miniature en fromage. En la mangeant, elle ressemblait à un rat. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 297) Par exemple, le retournement inattendu du public gay contre son égérie Madonna (qui n’a fait que 45 minutes de concert à l’Olympia à Paris en 2012) laisse songeur.
 

 

L’actrice est détestée par la communauté homosexuelle de ne pas parvenir à arracher celui qui s’identifie à elle de sa soi-disant misérable existence : « Quand j’étais petit, je jouais à la diva pop dans ma cuisine. Donc je peux comprendre qu’on admire une chanteuse au point qu’on a envie non seulement d’être son meilleur ami et de vivre sa vie, mais aussi d’être à sa place. » (Mykki Blanco, homosexuel, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Chacun d’entre eux avait quelque chose à reprocher à Concha. Ils voulaient tous être son unique amant ou son amante exclusive. L’esclave de cette déesse toute-puissante. Chacun exigeait Concha pour soi seul. Raimundo l’accusait d’indifférence, parce que Concha acceptait ses faveurs à condition qu’un autre homme, souvent racolé par Carlo le coiffeur, le possède d’abord. Raimundo se sentait humilié par cette femme qu’il vénérait. Il estimait que sa virilité partait en lambeaux. Il ne pouvait plus s’expliquer de façon cohérente qu’il eût accepté à regret les conditions mortifiantes de Concha. Il ne pouvait plus revenir dessus. Mais si, il le pouvait : en assassinant Concha. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 31) ; etc.
 

Dans cette émission de Touche pas à mon poste! (2022 sur D8), le présentateur Matthieu Delormeau étrille la chanteuse Beyoncé – grande icône gay et porte-drapeau de la communauté LGBT mondiale – en la traîtant de traîtresse parce qu’elle a accepté de faire un concert à Dubaï, fief de « la plus grande homophobie ».
 

 

Dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel, Lea Delaria, femme lesbienne, dit qu’elle est fan de l’actrice Sigourney Weaver jouant Ellen Ripley dans le film « Alien », parce qu’elle s’y identifie. Mais lorsque dans le scénario de la série de film, l’héroïne finit par coucher avec des mecs, la déception arrive : « J’étais dégoûtée qu’elle couche avec des hommes. J’étais dégoûtée qu’elle couche tout court ! »
 

Miss California

Miss California


 

Dans la réalité, les bimbos les plus célébrées par la communauté homosexuelle ont pu être aussi les plus taxées d’« homophobes » : rappelons-nous d’Anita Bryant (ancienne Miss Oklahoma dans les années 1970), de Brigitte Bardot (et de Frigide Barjot aussi !), de la soprano Élisabeth Schwarzkopf, de Carrie Prejean (Miss California qui a perdu sa couronne de Miss USA en 2009 pour avoir soutenu que le mariage n’était souhaitable qu’entre un homme et une femme), etc. On peut penser également à Judy Garland, icône gay par excellence, et qui à la fin de sa vie insultait ses fans (« J’en ai rien à foutre du public ! ») ; ou bien à Mylène Farmer qui se montre depuis toujours d’une grande froideur à l’égard de la communauté homo.
 

C’est la raison pour laquelle il n’est pas étonnant d’entendre dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant à la fois l’exaltation («Anita Bryant nous a unis ! ») et la diabolisation («Anita, sorcière ! ») de l’actrice. Jean-Luc Lagarce, dans son journal intime (tenu de 1977 à 1995), ne fait pas secret du rêve d’immortalité déçu qu’il partage avec son idole Marlene Dietrich : « Je pensais qu’elle et moi, nous étions immortels. » Dans ses mémoires Palimpsestes (1995), Gore Vidal explique les dégâts de sa confusion entre réalité et fiction : « Malheureusement, je pris le cinéma au sérieux, et s’il ne me fit aucun mal, il mit néanmoins mon sang-froid à rude épreuve. » (p. 418) Quant à Alberto Mira, il reproche à Madonna son irréalité et sa bonté majoritairement de façade : « Madonna est bonne, Madonna est, comme Evita, une sainte, et comme Evita, une révolutionnaire. Comme Evita, elle donne beaucoup d’argent aux associations caritatives, et comme Evita, elle est inimitable. Bref, Madonna est comme Evita, un point c’est tout. C’est justement ça le problème… » (cf. la dernière phrase de l’article « Madonna », dans l’essai Para Entendernos (1999) d’Alberto Mira, p. 483)
 
 

b) La ridicule star dégradée ou la star vieillissante défiant héroïquement le temps est célébrée par beaucoup de personnes homosexuelles :

Il se tisse souvent un lien étrange, à la fois fidèle, passionnel et haineux, entre le fan homosexuel et la femme-objet, lien où la star féminine finit par l’emporter : « Mes fans gays ne m’ont jamais laissé tomber. Même dans les moments difficiles. Les homos sont étranges. Ou ils t’adorent, ou ils ne savent même plus que tu existes… » (la chanteuse Cher interviewée dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Marlene Dietrich savait qu’elle avait un following gay. Elle jouait avec. » (Michel Gaubert, homosexuel, idem)
 

C’est le vieux chêne indétrônable que la communauté homosexuelle célèbre en l’actrice. Beaucoup de personnes homosexuelles aiment les stars vieillissantes, les comédiennes déclassées ou au contraire défiant le temps et les modes : Pascal Sevran, François Ozon, Frédéric Mitterrand, Panos H. Koutras, Marcel Proust, Denis D’Archangelo, etc.
 

« Les deux copines [Jacques et Luisito] prirent le chemin du retour, en récitant alternativement les noms d’actrices françaises et argentines. Ginette Leclerc, Mona Maris, Martine Carol, Olga Zubarry, Arletty, Tita Merello, Leslie Caron, Elsa Daniel, Elvire Popesco…

Ah non, celle-là n’est pas française, protesta Luisito avec force.

Oui, elle est polaque ou roumaine, dit Jacques.

Ou juive, comme toi. »

(Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 227-228)
 

Je vous renvoie au documentaire « Poussières d’Amour » (1996) de Werner Schroeter, au livre d’essais Miss Media (1997) de Ricardo Llamas, etc. Certaines personnes homosexuelles admirent la femme à la soixantaine séduisante et possédant encore une classe époustouflante pour son âge : par exemple, Laura (Jeanne Moreau) dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, Victoria (Julie Andrews) dans le film « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards, Camille (Catherine Deneuve) dans le film « Après lui » (2007) de Gaël Morel, Catarina (Géraldine Chaplin) dans le film « Hable Con ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, Blanche (Vivien Leigh) dans le film « A Streetcar Named Desire » (« Un Tramway nommé Désir », 1950) d’Elia Kazan, etc. « Il mettait très bien en scène les dames âgées. » (Jean Cocteau par rapport à son amant Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain)
 

Un certain nombre de personnes homosexuelles célèbrent l’actrice vieillissante tant qu’elles peuvent s’identifier à elle : « C’est notre côté vieilles taties. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire « Et ta sœur » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « C’était une très belle femme vieillissante aux cheveux très longs : une sorte de vieille Mélisande étendue sur un lit voilé de dentelles. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 192) ; etc.
 

Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa vénère la vieille Sabah : « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (p. 66) Mais la déception ne tarde pas à arriver et, avec elle, la dénonciation de la mort-réalité : « Sabah y était plus blonde et plus figée que jamais. Sa voix n’avait miraculeusement pas changé mais son visage blanc était devenu un masque, celui de la mort peut-être. […] Mais ce retour-événement était, au fond, lui-même triste. Sabah n’était plus Sabah. L’âge d’or cinématographique et musical que je connaissais très bien et auquel elle avait contribué était révolu depuis au moins trois décennies déjà. » (idem, p. 67)
 

De son côté, Thierry Le Luron aimait particulièrement imiter les vieilles divas : Line Renaud, Alice Sapritch, Chantal Goya, etc. … pour mieux les croquer. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les vieilles dames » avoue Frédéric Mitterrand dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005). Quant à Jean-Philippe, travesti M to F, concernant son personnage de Charlène Duval, il dit d’elle qu’« elle est une synthèse de toutes les stars vieillissantes » (cf. l’article « Charlène Duval » de David Lelait, sur ce site consulté en juillet 2005).
 
 

c) Certaines personnes homosexuelles gardent dans leur main une photo déchirée ou chiffonnée:

B.D. Femme assise de Copi

B.D. Femme assise de Copi


 

La relation entre les personnes homosexuelles et l’actrice est d’ordre idolâtre, c’est-à-dire qu’elle repose sur une passion jalouse, un fétichisme, une destruction d’image désirée comme une résurrection et un acte magique. Nous retrouvons cette idée de l’estampe détruite dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias : « J’imaginais Lola couchée dans le petit lit, regardant le plafond et les murs où étaient accrochées les photos et les affiches de sa fille Clara, chanteuse folklorique argentine. Elle devait regretter la beauté de Clara, la beauté radieuse de ces photos. Elle devait serrer les poings pour retenir ses larmes. » (p. 71) On comprend que cette photo chiffonnée est un cliché sur lequel certaines personnes ont pu crisper leur désir, ont pu jouir, pas génitalement mais fantasmatiquement parlant (ou par procuration avec un homme « hétéro » qui les attirait…) : « Ernestino [homosexuel] se promit de ne jamais raconter ce qu’il avait vu. Nacho [l’homme « hétérosexuel » espionné] , entre-temps, avait joui sur une photo de Gina Lollobrigida, qu’il avait serrée fortement entre ses mains, faisant une boule de papier engluée dans son sperme. » (idem, p. 199)
 

Par ailleurs, de nombreux artistes homosexuels pratiquent un art fondé sur l’iconoclastie des stars vieillissantes : cf. la photo « Apparition du fantôme du sex-appeal » (1936) de Claude Cahun. Ils détruisent par la parodie les genres musicaux, théâtraux, littéraires qu’ils aiment le plus et qui sont tous très féminins (exemples : Francis Bacon, François Ozon, Christian Siméon, Marcel Proust, Andy Warhol, Yvette Leglaire, Jérémy Patinier, etc.). Je me souviendrai longtemps du passage de la chanteuse Cindy Sander (petite starlette de la télé-crochet qui s’était fait connaître par sa chanson cheap « Papillon de lumière ») à la soirée des Follivores au Bataclan le soir de la Gay Pride 2008 : l’hystérie des gens qui m’entouraient confinait à la sincérité-foutage-de-gueule…
 
 

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Code n°2 – Adeptes des pratiques SM (sous-code : Saint Sébastien)

Adeptes des pratiques SM (saint Sébastien)

Adeptes des pratiques SM

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Je rejoins la souffrance… parce que je ne la supporte pas et je la fuis !

 

Film "Looking For" de Michelle Pollino

Film « Looking For » de Michelle Pollino


 

Étrange autant que fascinant. Je vais vous expliquer comment ceux qui rejoignent le sadomasochisme sont, contrairement à l’idée reçue, les fils-à-maman douillets terrorisés par la souffrance.

 

En effet, certaines personnes homosexuelles se sont parfois attachées viscéralement à une mort imagée pour ne pas affronter (ce qu’elles imaginent être) la mort réelle. Du coup, elles cherchent parfois à se frotter aux deux. C’est le cas de l’écrivain Yukio Mishima qui, à force de vouloir fuir la mort, l’a rejointe dans le mythe actualisé en se suicidant selon la tradition samouraï : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Confession d’un masque, 1971) De même, la pratique du sadomasochisme dans la communauté homosexuelle ne renvoie pas du tout au soi-disant « plaisir dans la douleur » comme la société et beaucoup de personnes homosexuelles se plaisent souvent à le faire croire. Il s’agit plutôt du rejet de la souffrance qui conduit à la mise en scène actualisable de celle-ci. Ce sont d’ailleurs les personnes homosexuelles qui refusent le plus catégoriquement de reconnaître la réalité de la violence, qui s’exposent paradoxalement au sadomasochisme. « Je ne supporte pas l’idée de souffrance » déclare par exemple Pablo, l’adepte des clubs cuir dans le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni. C’est pourquoi on compte, parmi les personnes homosexuelles, un certain nombre d’adeptes des pratiques SM, des individus qui, par ailleurs, ressemblent à des « Monsieur Tout le Monde » dans la vie quotidienne, voire à des mauviettes. Comme pour eux, le plaisir dans la souffrance n’est pas dans sa réalisation mais dans sa figuration, et qu’il s’agit moins de détruire que d’illustrer esthétiquement la destruction, ils atténuent la réalité du sadomasochisme dans le « milieu homosexuel » en affirmant qu’elle est « cliché » ou « réservée aux dépravés » ou bien en la spiritualisant/l’esthétisant/la romantisant, pour ensuite la rendre parfois effective. L’évitement de la castration (au sens de la reconnaissance des limites du Réel) conduit au masochisme. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la liberté humaine est toujours limitée et a un prix : la souffrance. Et si ce prix n’est pas assumé, mais qu’au contraire il est nié, l’être humain s’expose à rechercher – cette fois sans liberté et sans conscience – la souffrance. Sous toutes ses formes. Y compris la forme homosexuelle et la forme brutale. La violence fait partie intégrante du désir homosexuel, même si actuellement on préfère n’y voir qu’amour, douceur, progrès et liberté. Les libertaires homosexuels, en voulant sincèrement abolir les limites humaines pour acquérir ce « toujours plus de liberté » – une liberté sans forme et sans corps sexué –, finissent par s’imposer d’autres limites, plus radicales, plus invisibles, et qu’ils n’ont pas toujours la force de dénoncer. Curieusement, la fuite du Réel par le fantasme conduit à l’appétit de violence chez des individus pourtant souvent angoissés par le sang, la mort et la souffrance réels, et qui ont même une apparence de fils-à-maman anxieux, vu de l’extérieur. Chez eux, la violence de l’acte sadomasochiste est atténuée par une sacralisation de la dimension ludique/scénique du SM, et par une sublimation des intentions amoureuses poussée à l’extrême. Il n’y a là aucun goût pour le « souffrir » ou le « faire souffrir », au final.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Super-Héros », « Talons-aiguilles », « Musique comme instrument de torture », « Milieu homosexuel infernal », « Homosexualité noire et glorieuse », « Liaisons dangereuses », « Vierge », « Androgynie Bouffon/Tyran », « Fusion », « Symboles phalliques », « Chiens », « Se prendre pour Dieu », « Coït homosexuel = viol », « Planeur », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Extase », « Voleurs », « Quatuor », « Homosexuels psychorigides », « Hitler gay », « Entre-deux-guerres », et à la partie « Désir de viol » dans le code « Viol », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Le personnage homosexuel s’adonne au sadomasochisme :

ADEPTES Un Año Sin Amor

Film « Un Año Sin Amor » d’Anahi Bernen


 

Il est question de sadomasochisme en lien avec l’homosexualité dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau, le film « Preaching To The Perverted » (1997) de Stuart Urban, la pièce À trois (2008) de Barry Hall, le vidéo-clip de la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer, le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes, le film « Brüno » (2009) de Larry Charles, le one-man-show Le Comte de Bouderbala (2014) de Sami Ameziane (avec le flic homo), la chanson « Viril » de Jean Guidoni, le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui, le film « The Caretaker » (« Le Gardien », 1963) de Clive Donner, le film « Kurutta Butokai » (« Asti : Lunar Eclipse Theater », 1989) d’Hisayasu Sato, le film « Fireworks » (1947) de Kenneth Anger, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, la chanson « Les Liens d’Éros » d’Étienne Daho, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le film « Singapore Sling » (1990) de Nikos Nikolaidis, le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela (avec Matías le personnage homo), le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob (avec le tee-shirt « Monsieur SM » en guise de décor), le film « Les Nuits fauves » (1991) de Cyril Collard, le film « The Black Cat » (« Le Chat noir », 1934) d’Edgar G. Ulmer, le film « The Glass Key » (« La Clé de verre », 1942) de Stuart Heisler, le film « Brute Force » (« Démons de la liberté », 1947) de Jules Dassin, le film « The Servant » (1963) de Joseph Losey, le film « Billy Budd » (1962) de Peter Ustinov, le film « Sadomania : Hölle Der Lust » (1981) de Jess Franco, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand (avec la psychanalyste parodiée en thérapeute SM, avec son fouet), le film « Hana To Hebi » (« Fleur secrète », 1974) de Masaru Konuma, le film « El Topo » (1970) d’Alejandro Jodorowsky, le film « Mercy » (« Amours mortelles », 2001) de Damian Harris, le film « Frisk » (1995) de Todd Verow, les films « The Elegant Spanking » (1995), « The Black Glove » (1997) et « Ecstasy In Berlin 1926 » (2004) de Maria Beatty (traitant du SM lesbien), le film « Taxi Nach Kairo » (1987) de Frank Ripploh, le film « Die Grausame Frau » (« Séduction, femme cruelle », 1985) de Monique Treut, le film « Las Edades De Lulú » (« Les Vies de Loulou », 1990) de Juan José Bigas Luna, le film « Empire State » (1987) de Ron Peck, le film « The Attendant » (1992) d’Isaac Julien, la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, le film « Irréversible » (2001) de Gaspar Noé, le film « Sitcom » (1997) de François Ozon, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, la planche « Les Beaux Quartiers » dans la B.D. Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi, le vidéo-clip « Outside » de George Michael, le film « Hors les murs » (2012) de David Lambert, le film « Clamp » (2000) de Maïa Cybelle Carpenter, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Tom à la ferme » (2014) de Xavier Dolan, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart, la chanson « Hellbent For Leather » du groupe Juda’s Priest (avec la référence au cuir, notamment), la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette (avec l’amour lesbien pour la cravache), etc.

 

On retrouve l’association entre homosexualité et sadomasochisme chez Zhang Yuan, Michael Kleeberg, Élisabeth Herrgott, etc. Les personnages homosexuels disent trouver leur bonheur dans la souffrance : « Il souffrait de joie. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957) p. 102) ; « You are in love with pain. » (Michel Hermon se parlant à lui-même, dans son spectacle-cabaret Dietrich Hotel, 2008) ; « Il y a des douleurs qu’on dit exquises. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 18) ; « À la première seconde, je savais que j’allais l’aimer, que j’allais souffrir. Au fond, il m’avait déjà échappé au premier instant où je l’ai vu. J’ai voulu faire durer cette imposture le plus longtemps possible. La douleur est éblouissante, très pure. Insultes, bagarres, nuit aux urgences, points de suture. Encore du sang entre nous. […] Si j’avais voulu ne pas souffrir, j’aurais refusé de sortir avec toi. » (Stéphane parlant de son ex-amant, le jeune et beau Vincent qui le frappe de temps en temps physiquement, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « J’aimerais beaucoup être un Sauveur pour Collins… Je l’aime et je désire être blessée comme vous l’avez été. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, parlant à Jésus en croix, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1932) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 31) ; « Le bonheur réside souvent dans ce qui nous fait souffrir. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006), p. 227) ; « J’aimerais bien prendre un coup. » (Jules, le héros homosexuel, au lieu de dire « Je vais prendre un coup » pour dire « boire un verre », dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Personnellement, je préfère le fouet. » (Miss Daisy, le personnage transsexuel M to F du film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Chez les 4 Jean, on a un baptême du feu spécifique. Tu dois faire preuve d’allégeance et de soumission à tes futurs compagnons. […] Les Sentinelles, c’est un truc de passifs. […] Si demain tu veux t’enchaîner toi aussi, tu n’hésites pas. » (Jean-Jacques s’adressant à Jean-Marc le novice, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Selon le rituel de nos frères de Russie, nous allons te purifier. » (les Virilius bizutant et maltraitant le traître homo, Jean-Marc) ; « Qu’est-ce que j’ai fait de mes menottes, moi ? Ah oui ! Je les ai oubliées chez Hervé ! » (un ami homo du couple lesbien Kim/Alexandra, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « Pauvre femme battue. Jane n’est plus assez rapide pour parer tes coups de poings. » (Tielo, le frère jumeau de Petra, l’héroïne lesbienne en couple avec Jane, charriant sa sœur à cause de l’éraflure au visage de sa compagne, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 32) ; « Tu sais pourquoi les gens aiment la violence ? Parce que ça fait du bien. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, s’adressant à Hugh, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; « Je voudrais juste qu’il souffre. » (Bryan parlant de son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Cage aux Folles de Jean Poiret (version 2009, avec Clavier et Bourdon), Jacob réclame sa fessée. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, la thématique du SM dans le « milieu homo » est abordée : les personnages portent des « cuirs et des menottes », et s’interrogent sur les pratiques de leurs pairs : « Ah ? Ils sont gays, les homos ? Ils attrapent par le sling. » Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne, rêverait de poser à une de ses profs une question provocatrice sur le sadomasochisme lesbien : « Madame, est-il vrai que certaines femmes aiment la violence ? » (p. 113) Dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, Lucifer, habillé en cuir, entretient une relation SM avec l’Archange Raphaël, la « pédale » super efféminée ; ils finiront en couple. Dans le film « Haltéroflic » (1983) de Philippe Vallois, on assiste à la passion sadomasochiste entre un flic et un athlète. Dans la pièce Le Frigo de Copi (mise en scène en 2011 par Érika Guillouzouic), surgit un moustachu sadomaso. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Lucas et Vincent fréquentent le milieu cuir gay. Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne possède dans sa chambre de la ficelle, des menottes. Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, les protagonistes lesbiennes se maltraitent en même temps qu’elles « se baisent » : par exemple, Alexandra, la narratrice lesbienne, attache sa bonne, Marie, au lit (p. 202). Et elle se laisse dominer par elle : « Marie m’avait révélé le désir secret qu’elle avait de me commander. Et la position particulièrement dans laquelle je m’étais mise à genoux, comme lui faisant allégeance, avait encore augmenté mon plaisir. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, commandée par sa bonne, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 154) Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin/Bryan, en couple, se frappent mutuellement et « par amour » : « J’ai besoin d’un punching-ball » dit Bryan, qui avoue avoir « besoin de dominer Kévin » ; et Kévin émet l’hypothèse qu’il puisse aimer que Bryan le frappe (p. 231) mais a quand même peur qu’il recommence (p. 233). Quand la mère de Kévin lui demande s’il aime souffrir ainsi que le masochisme, il lui répond « Un peu » (p. 273). Dans le film « Freier Fall » (« Free Fall », 2014) de Stephan Lacant, c’est lors d’une simulation d’émeute entre manifestants et CRS que Engel et Brandt rentrent violemment en contact… juste avant de sortir ensemble. Dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, la sonnerie de portable de Jessica, le héros transsexuel M to F, ce sont des coups de poing. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, le bourgeois libertin homosexuel organisant des parties SM dans son manoir. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, au moment des coïts, Emma et Adèle, au moment de leur coït, s’infligent des fessées au sommet de l’orgasme. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, le couple homosexuel Vivi et Norbert scénarise son coït comme un hold-up pour pimenter leur plaisir. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, homosexuel, est vendeur dans un magasin de vêtements féminins et fait croire qu’il est frappé par son amant Thomas afin d’apitoyer la clientèle : « Non Régine, il ne m’a pas refrappé. » Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Zook fait mine de suggérer un tournage de fist-fucking en proposant à son pote Jenko de jouer aux jeux-vidéo. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler couche avec un amant de passage qu’il maltraite… et qui en redemande, par « amour », en plus : « Si tu veux, tu peux me frapper. » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien entretient lui-même une liaison dangereuse avec un repris de justice sado-masochiste : Herbert. Dans le film « The Duke Of Burgundy » (2015) de Peter Strickland, Une lépidoptériste (spécialiste des papillons) austère entretient une relation sadomasochiste avec sa femme de ménage, jeune et soumise à tous ses désirs. Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa la prostituée et son client Jules, avant de passer au lit dans une scène SM, simule le joli petit couple à table qui va manger du canard à l’orange.

 

Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien entretient avec son amant Herbert une relation SM. Pourtant, le jeune homme est en couple régulier avec Hugues, son médecin. Et ce dernier n’est pas tant choqué par l’infidélité de Fabien que par les risques hygiéniques qu’il prend : « Je crois qu’ils ont des rapports sado-masos… et qu’ils sont non-protégés. »
 

On peut identifier dans le sadomasochisme vécu par le héros homosexuel une forme d’homophobie intériorisée, dans laquelle il se punit lui-même de pratiquer son désir homosexuel en allant jusqu’aux ultimes limites de ce comportement. « Tu crois que c’est comme les pédés qui cherchent à se faire violenter dans le SM, tu finis toujours par t’apercevoir à un moment ou un autre que ce qu’ils recherchent dans cette violence contrôlée (parce qu’elle est donnée dans un cadre sexuel stricte) c’est de vivre ce qu’ils ont le sentiment de mériter en tant que pédé. Genre je suis pédé, je mérite de me faire tabasser, je me fais honte, steplé, tabasse-moi pour que je sois en concordance avec moi-même. Tu crois pas ? » (Claude, l’héroïne lesbienne dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 47) ; « Les garçons préfèrent toujours ceux qui les malmènent. » (Laurent Spielvogel imitant André, un homme gay d’un certain âge, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’amalgame entre homosexualité et sadomasochisme soit fait par les héros homophobes qui rêvent de reproduire sur leurs victimes homosexuelles les pratiques violentes de leur propre homosexualité refoulée. Par exemple, dans la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé, Romain, le héros homosexuel, est suspecté d’être « un de ces sadomasos en cuir ».

 

Le héros homosexuel suit le chemin du SM paradoxalement parce qu’il cherche à fuir à tout prix la mort et la souffrance réelles : « Je ne suis pas apte pour la souffrance. » (cf. réplique de la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd) ; « J’ai horreur de la violence sauf pour jouer et jouir. » (François pratiquant le SM avec son « mari » Max, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 110) ; « Et pourtant, je n’ai jamais supporté la souffrance d’un être animé… » (Lacenaire, le criminel de la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; etc. La souffrance et le viol sont esthétisés, donc leur violence, atténuée : « Mon plaisir se construit sur un paradoxe : je ne peux aspirer à la flagellation, celle qui blesse, punit, avilit ; mais l’idée d’un châtiment est un puissant stimuli érotique. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 60) ; « La fessée est par nature baroque. » (idem, p. 52) ; « Mes coups, parfois, je les retenais pas. Mes mots, oui. » (Vincent s’adressant à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport, la protagoniste lesbienne est excitée par les résistances de sa copine (« Arrête, lâche-moi ! ») et se sent poussée à la violenter pour la satisfaire et éteindre ses plaintes, paradoxalement.

 

Film "Bedrooms and Hallways" de Rose Troche

Film « Bedrooms and Hallways » de Rose Troche


 

Le plus étonnant, c’est que le héros homosexuel qui pratique la sadomasochisme n’est pas dans la vie la brute épaisse qu’on attendait, mais au contraire le fils-à-maman douillet, raffiné et précieux.

 

ADEPTES Les Beaux quartiers

 

ADEPTES Les Beaux quartiers 2

Planche « Les Beaux Quartiers » de la B.D. « Le Monde Fantastique des Gays » de Copi


 
 

b) Le personnage homosexuel se prend (ou est pris) pour un saint Sébastien martyrisé :

On retrouve le charismatique saint Sébastien dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim, le film « Saint » (1996) de Bavo Defurne, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, la pièce La Tempête (1661) de William Shakespeare, le film « Lilies » (1996) de John Greyson, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le roman Les Archers de Saint Sébastien (1912) de Jean Cocteau, le vidéo-clip de la chanson « Losing My Religion » du groupe R.E.M., la photo Queer Saint (1999) de Joël Peter Witkin, la toile Saint Sébastien (2003) de Pierre Buraglio, le roman Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, le roman Le Martyre de Saint-Sébastien (1911) de Gabriele d’Annunzio, la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le roman Marcos, Amador De La Belleza (1913) d’Alberto Nin Frías, la chanson « I’m A Sinner » de Madonna, le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos, le film « Sebastiane » (1975) de Derek Jarman, le film « Mishima » (1984) de Paul Schrader, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec le saint Sébastien de Pierre et Gilles en affiche dans la chambre d’Alex), etc. Par exemple, dans « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel porte un tatouage avec un Saint Sébastien sur le cœur ; et à la fin du film, il se met à battre son jeune amant en lui flanquant des fessées et en l’étranglant. Benji, le héros homo de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, prend à un moment donné la position du saint Sébastien. Dans le film « Adèle Blanc-Sec » (2010) de Luc Besson, la momie fait les yeux doux au tableau de Saint Sébastien exposé au Louvre. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, l’appartement berlinois du « couple » Petra et Jane donne sur le cimetière de Saint-Sébastien.

 

Le saint Sébastien homosexuel est représenté en photo (Pierre et Gilles, Michel Guillaume, Raymond Voinquel, Orion Delain, Fred Jagu, Pierre Sarfati, Christian Rouchouse et Marcel, Joseph Caprio, Miklos Feyes, David Nassoy, etc.), en sculpture (Tony Riga, Ange et Damnation, etc.), en peinture (Gustave Moreau, Alex Rochereau, Bertrand Bolognesi, Philippe Bernier, Moktar Bakayoko, Sandra Venturini, Franck Rezzak, Paul Boulitreau, Bruno Perroud, Jérôme Marichy, Narcisse Davim, Michael Sebah, etc.), en dessin (Kinu Sekigushi, Logan, Guy Thomas, Jean Cocteau, Édouard MacAvoy, Olympe, Phil Burns, Elsa Caitucoli, Thom Seck, Christophe Catalan, Alain Burosse, Cuneo, Ers Raspaut, etc.). Je vous renvoie au grand dossier consacré entièrement à saint Sébastien dans l’art homosexuel, dans Triangul’Ère 3 (2001) de Christophe Gendron (pp. 1049-1105).

 

Film "Salo ou les 120 Journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini

Film « Salo ou les 120 Journées de Sodome » de Pier Paolo Pasolini


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) Certaines personnes homosexuelles s’adonnent au sadomasochisme :

ADEPTES Bataille

 

On trouve chez les personnes homosexuelles un certain nombre d’adeptes des pratiques SM : Xavier Gicquel, le groupe britannique Frankie Goes to Hollywood, Michel Foucault, James Dean (il aime les brûlures de cigarettes), Dennis Cooper, Francis Bacon, Jane Bowles, Sylvano Bussoti, Hervé Guibert, Patrice Chéreau, Eloy de la Iglesia, Valentine Penrose, Mario Mieli, Mathieu Lindon, Yukio Mishima, Paul Verlaine, etc. « J’ai aussi vécu des choses de domination. » (la femme transsexuelle F to M interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) Par exemple, Jean-Luc Lagarce, dans sa pièce biographique Ébauche d’un portrait (2008), narre ses expériences sado-masochistes. Michel Foucault voit dans le SM une contribution à « l’art de vivre », à la culture de soi : « Ce que les pratiques SM nous montrent, c’est que nous pouvons produire du plaisir à partir d’objets très étranges, en utilisant certaines parties bizarres de notre corps, dans des situations très habituelles. » (Michel Foucault, « Sexe, pouvoir et la politique de l’identité », Dits et Écrits II, p. 1557) Marcel Jouhandeau raconte à l’émission « Apostrophe » (du 22 décembre 1978 sur Antenne 2) que « tout ce qui lui fait du mal lui fait du bien ». Pietro Citati souligne à propos de Marcel Proust que « son destin était celui de la douleur. C’est par la douleur qu’il établissait son rapport aux autres » (Pietro Citati, « La Douleur pour destin », dans Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 24). Dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, il est fait allusion à « la tendance à l’autodestruction de Carson McCullers » (p. 135). Selon Gérard Lefort, Yves Saint Laurent possède « cet étrange art de se détruire » (cf. la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 54). Jacques Guérin évoque également la tendance à l’autodestruction chez Genet et Leduc : « Jean Genet avait en commun avec Violette Leduc ce goût du massacre, ce besoin de démolir. Pour des gens comme eux, il fallait que tout aille mal, c’était une stimulation. » (Valérie Marin La Meslée, « Jacques Guérin : Souvenirs d’un collectionneur », dans Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 72). Pascal Sevran, dans sa biographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), parle de certains de ses amants ayant des pratiques SM : « De la fessée, ce bonheur démodé, les enfants rêvent toute leur vie, c’est la punition du bon Dieu, celle de l’amour aussi. Stéphane en raffolait, Julien la recherche. » (p. 109) Parmi les sites de rencontres homos, certains ont des noms évocateurs : SmBoy, entre autres. Le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari confine au documentaire, car avec le sadomasochisme (tout comme avec le porno d’ailleurs), la simulation devient action concrète : les scènes de SM sont filmées sur le vif, dans de vrais bars cuir new-yorkais, et ne sont plus jouées.

 

Certains n’hésitent pas à voir dans le sadomasochisme une voie transgressive de vivre ses désirs, un chemin alternatif révolutionnaire : « La révolution sexuelle est en marche à Hollywood ! » (cf. le commentaire par rapport au film sur le SM « Interior. Leather Bar » (2013) de James Franco et Travis Matthews, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en 2013, p. 29) ; « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. Les hommes s’habillaient en femmes et les femmes en homme, travestis ou non. On pouvait fouetter ou se faire fouetter, sucer, inonder de pisse ou de merde, étrangler jusqu’à un fil de la mort. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) ; etc. Comme l’explique très bien le psychanalyste Jean-Pierre Winter, le sadomasochisme est le signe d’un refus de ses limites humaines et un désir de toute-puissance : « L’évitement de la castration conduit au masochisme. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 132)

 

Le sadomasochisme semble être aussi, pour les personnes en panne d’identité, le moyen ultime pour exister (par personne interposée ou poing inséré !), pour « se sentir ». Par exemple, dans son essai Saint Foucault (2000), David Halperin écrit que le sadomasochisme représente « une rencontre entre le sujet moderne de la sexualité et l’altérité de son corps » (p. 101). On rejoint ici les paradoxes du désir de fusion (identitaire) que je décris dans le code « Fusion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « En l’observant pénétrer Fabien, la jalousie m’a envahi. Je rêvais de tuer Fabien et mon cousin Stéphane afin d’avoir le corps de Bruno pour moi seul, ses bras puissants, ses jambes aux muscles saillants. Même Bruno je le rêvais mort pour qu’il ne puisse plus m’échapper, jamais, que son corps m’appartienne pour toujours. » (Eddy Bellegueule se faisant sodomiser par son cousin Bruno, aux côtés de Fabien et de son violeur, dans la biographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 154)

 

En réalité, je vois dans le sadomasochisme une forme d’homophobie intériorisée, dans laquelle les personnes se punissent de pratiquer leur désir homosexuel en allant jusqu’aux ultimes limites de ce comportement (et du déni de ce dernier). Comme l’a souligné René Girard, se cachent derrière la pratique SM la haine de soi et la jalousie : « Le masochisme, la jalousie morbide et l’homosexualité latente se présentent perpétuellement ensemble. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 473)

 

 

Dans le reportage « La Fistinière : Caméra au poing », on voit bien que le sadomasochisme, bien loin de se cantonner à l’homosexualité, est un éloge du libertinage asexué. Il est une pratique qui traduit un appétit d’excitation sexuelle et génitale plus global, une boulimie incontrôlée, angoissée et débordante, plus proche de la bisexualité et de la pulsion asexuée libertine que de l’homosexualité. « Je n’étais pas spécialement attiré par les filles, ni par les garçons… Dans ma dernière année d’humanité, j’ai entendu parlé pour la première fois de la masturbation et suite à ces conversations, j’ai essayé de me masturber… cela a marché. De plus, je me masturbais en mettant une veste de cuir de mon frère et aussi des bottes de cuir : cet acte fétichiste ajoutait à ma satisfaction. Je ne sais pas pourquoi je recherchais ces vêtements liés à certains fantasmes de mon enfance… J’en ai quelques souvenirs ! […] Durant toutes ces années de formation puis après l’ordination, j’ai continué à me masturber sans jamais me confesser de ce péché bien que je pratiquais ce sacrement; j’étais comme bloqué pour avouer ce péché ! Certaines périodes étaient plus calmes et je pensais être débarrassé de cette habitude mais cela reprenait et parfois je le faisais plusieurs jours en suivant; Au niveau du fétichisme, j’avais des gants et des bottes en caoutchouc qui ajoutaient à mon excitation. » (un ami de 52 ans, dans un mail d’octobre 2013) ; « J’ai vu alors apparaître sur mon écran des scènes que je soupçonnais même pas. J’y ai pris du plaisir et je me suis masturbé. Il m’est arrivé de passer une nuit à regarder ces scènes à m’inscrire sur des sites où peut chater avec quelqu’un qui se masturbe, j’ai écrit des propos obscènes. J’étais pris dans les filets de la pornographie ! Je me suis inscrit sur des sites de rencontres pour gays, ou sur Doctissimo avec les forums de discussion sur les fantasmes : j’y ai rencontré quelqu’un et je me suis masturbé sous ses ordres : nous nous respections mais je cherchais à discuter avec lui et à nous donner du plaisir ; Tous ces sites m’ont aussi conduit à fixer une rencontre – un plan cul – chez moi. Heureusement, cela ne s’est jamais produit ! Finalement, dans toutes ces pérégrinations, j’ai découvert deux sites qui m’ont beaucoup excité : Bluf (pour les hommes qui aiment les pantalons et bottes de cuir et les uniformes) et aussi Recon Leather (pour les fétichistes du cuir). Que de beaux mecs ! Je me suis renseigné afin de rencontrer un membre de Bluf en Belgique afin qu’il me conseille pour m’équiper de cuir : bottes, veste et pantalon … Nous avons fixé un rendez-vous pour ce jeudi 24 octobre… ! » Le sadomasochisme vient aussi d’un ennui vécu dans la vie sexuelle. Ce n’est pas un hasard qu’il soit pratiqué majoritairement par des individus plus âgés, qui cherchent à tout prix à repousser leurs limites et qui n’ont trouvé que la violence pour vivre de nouvelles expériences amoureuses après leurs nombreuses années de pratiques sexuelles débridées mais encore soft (cf. le documentaire « Zucht Und Ordnung », « Law And Order » (2012) de Jan Soldat).

 

En France, en 1996, se crée l’association des filles SM, les Maudites Femelles. Je vous renvoie au documentaire sur le milieu SM lesbien avec « Bloodsisters : Leather, Dykes And Sadomasochism » (1995) de Michelle Handelman, ainsi qu’aux spectacles de Judy Minx. Il existe un lien étroit entre désir lesbien et sadomasochisme… étonnant si on s’en tient aux discours habituels sur l’amour lesbien, chantant l’exceptionnelle douceur des femmes lesbiennes (qui seraient nettement plus « sentimentales », « fidèles », et plus « fines » que leurs homologues masculins…). À la question « Existe-t-il un sadomasochisme lesbien ? », Viviane, femme lesbienne de 38 ans, répond : « Oh oui ! (rires) ne serait-ce qu’à l’Entrepôt, mais ça a fermé. Ça a quand même duré un an ou deux. J’ai vu des filles au festival de films lesbiens qui se réclamaient du S/M. » (Viviane dans Natacha Chetcuti, Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), p. 237)

 

ADEPTES Flic

Film « And Then Came Lola » de Megan Siler & Ellen Seidler


 

Le dégoût affiché de la violence ne va pas forcément vers le rejet de celle-ci. Bien au contraire. Il s’organise sous forme de mise en scène qui aveugle celui qui s’efforce de croire que le jeu atténue, éloigne, fige, voire neutralise la mort. « On rejoue la crucifixion et le sacrifice de Jésus. Mais ce n’est pas qu’un jeu. Il serait dommage de ne voir tout cela que comme une mascarade. C’est bien mieux d’en voir une version authentique et concrète. Tout ceci forme un grand jeu bien réglé. Un jeu sacré. Et le sacré accentue encore le caractère orgiaque de cette mise en scène. » (David Berger, homosexuel attiré par le sadomasochisme et ancien clerc, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) C’est la raison pour laquelle chez Barthes par exemple, « la violence s’organisait toujours en scène », et qu’il a rejoint la souffrance tant détestée et crainte par la théâtralité du SM : « Il tolérait mal la violence. » (Roland Barthes, parlant de lui-même à la troisième personne, dans Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 140) Fuir la douleur par le fantasme, et elle revient au galop, d’abord sous forme de désir, puis parfois concrètement. Certains auteurs homos tels que Copi, à travers une frontière volontairement mal définie entre autobiographie et auto-fiction, illustrent parfaitement ce flou artistique entretenu entre le jeu et la douleur sur lequel repose le SM. « Voici ce que je vous propose : dans ce roman, je serai masochiste. J’aurai découvert ça en 1965, quand j’ai commencé à mener une vie publique homosexuelle après l’avoir longtemps pas mal cachée. Le masochisme se révéla pour moi comme une homosexualité de plus, ou de rechange. Jusque-là j’avais vécu l’homosexualité comme un vice, rendue publique elle devenait presque une vertu, je me réfugiai dans le masochisme. […] Quand j’ai rencontré Pierre à Rome j’avais des cicatrices infectées dans les mamelles, des brûlures dans les fesses, j’arrivais tout droit de Paris d’une séance trop poussée. D’autres vont chez le psychanalyste. Dans ce sens, ça me guérit, je me sens jeune et gai. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, pp. 21-22)

 

Le sadomasochisme, contrairement à ce que voudraient faire croire ceux qui le pratiquent, n’est pas une pratique réservée aux lieux officiellement réservés pour ça (saunas, backrooms et autres manoirs champêtres). Le phénomène de la violence dans les « couples » homosexuels est très répandu, et pourtant peu reconnu comme du sadomasochisme, car il n’en porte pas le nom. Pourtant, il bien est là. Et parmi mes connaissances, contre toute attente, ce ne sont pas les mecs homos les plus dépravés, ni les barbus musclés ni ceux qui fréquentaient assidument les établissements homosexuels, qui pratiquent le SM. Ce sont plutôt des garçons au look de « premiers de la classe », des profs de lettres, parfois des garçons tout doux et efféminés (et qui cherchent à dompter leur efféminement par le jeu de rôles qu’est le sadomasochisme).

 
 

 

b) Certaines personnes homosexuelles se prennent pour des saints Sébastien martyrisés :

Yukio Mishima, pour exhiber son corps musclé, pose pour les photographes sous les traits d’un saint Sébastien percé de flèches. Je vous renvoie par ailleurs à la thèse Homoerotismo En La Iconografía De San Sebastián Mártir (1996) de Manuel Buxán, ainsi qu’à l’essai Sébastien Le Renaissant (1999) de Jacques Sarriulat.

 

Yukio Mishima

Yukio Mishima

 
 

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Code n°3 – Aigle noir (sous-code : Oiseau)

Aigle noir

Aigle noir

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Oiseau en plein viol

 

Vidéo-clip de la chanson "Frozen" de Madonna

Vidéo-clip de la chanson « Frozen » de Madonna

 

Animal formant partie du quatuor diabolique de mon Dictionnaire (aux côtés du taureau, de l’araignée, et de la panthère), l’aigle noir symbolise en général deux choses dans les œuvres homosexuelles : soit le viol (comme l’a discrètement chanté Barbara à propos de l’inceste qu’elle a subi), soit un éloignement de la Réalité (éloignement pouvant se révéler également dangereux parce qu’il s’oriente vers la déshumanisation et la désincarnation). En effet, l’humain qui se rêve oiseau n’a pas les pieds sur terre, vit dans les fantasmes de divinité royale et d’extase qui se mutent parfois en élan fusionnel agressif, en poussée prédatrice vers tout ce qui excite ses instincts. C’est la raison pour laquelle l’aigle noir, en temps normal figure de noblesse et de force, apparaît beaucoup plus négativement dans les fictions traitant d’homosexualité comme le messager/acteur du viol, de l’inceste, notamment à travers le symbolisme homo-érotique bien connu du rapt de Ganymède par l’aigle Zeus.

 

Tableau Le Rapt de Ganymède

Tableau Le Rapt de Ganymède

 
 

N.B.: Je vous renvoie également aux codes « Se prendre pour Dieu », « Planeur », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Femme au balcon », « Animaux empaillés », « Icare », « Hitler gay », « Voleurs », « Pédophilie », « Quatuor », « Douceur-poignard », et à la partie sur la femme-paon du code « Homosexuels psychorigides » , dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’aigle noir homosexuel est souvent funèbre ou carnassier :

Film "Soudain l'été dernier" de Joseph Mankiewicz

Film « Soudain l’été dernier » de Joseph Mankiewicz

 

L’oiseau noir apparaît dans le roman 31, Rue de l’Aigle (1998) d’Abdelkader Djemaï, la pochette de l’album « L’Autre » de Mylène Farmer (avec le corbeau), la chanson « L’Aigle noir » de Barbara (racontant l’inceste qu’elle a subi de la part de son propre père), la pièce L’Aigle à deux têtes (1943) de Jean Cocteau, la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, le film « The Eagle Shooting Heroes » (1994) de Jeffrey Lau, le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (comme par hasard, le héros s’appelle George Falconer…), la chanson « Flower Power » de Nathalie Cardone (avec les aigles à deux têtes), la chanson « Always » d’Anggun, le film « Les Mille et une Nuits » (1974) de Pier Paolo Pasolini, le roman L’Aigle de fer (1949) de Jean Orieux, la chanson « Tempête » d’Alizée, le film « Le Faucon maltais » (1941) de John Huston, le roman Les Aigles foudroyés (1997) de Frédéric Mitterrand, le film « Le Rideau déchiré » (1966) d’Alfred Hitchcock (avec le rapt de Ganymède au Musée de Berlin), la pièce El Vals De Los Buitres (1996) d’Hugo Argüelles, le poème « My Mother Would Be A Falconress » (1968) de Robert Duncan, la pièce Les Indélébiles (2008) d’Igor Koumpan et Jeff Sirerol, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato (avec l’amant-aigle), le film « Le Corbeau » (1935) de Louis Friedlander, le film « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton (avec l’aigle noir), le film « L’Alpagueur » (1975) de Philippe Labro (avec le personnage gay de l’Épervier), le film « L’Aigle noir » (1925) de Clarence Brown (avec Rudolph Valentino), le dessin L’Ange à l’envers (1976) d’Endre Rozsda, la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le tableau Osman (1972) de Jacques Sultana, le tableau Ganymède (1970) d’Hannes Steinert, les vautours dans les tableaux de Pierre-André Guérin, la pièce Loretta Strong (1974) de Copi, la chanson « Cap Falcon » d’Étienne Daho, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec le vautour), la chanson « J’ai demandé à la lune » d’Indochine (représentée par l’aigle sur écran géant pendant la tournée Météor Tour 2010 à Paris Bercy), le tableau Chiron et Achilles (1922-1924) de John Singer Sargent, la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro (avec l’aigle), la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël » ; avec les ailes d’aigle sur Gérard Depardieu), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin avec Skip, un des héros homosexuels, et l’aigle sur son blouson), le film « L’Aigle de la neuvième légion » (2011) de Kevin Macdonald, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic (avec le tag de l’aigle à deux têtes sur la voiture), etc.

 

Pièce Les Oiseaux d'Alfredo Arias

Pièce Les Oiseaux d’Alfredo Arias

 

Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, il est fait référence à saint Jean en aigle : « L’aigle qui devait porter sur ses ailes les Saintes Écritures et dont l’expression ordinaire était inquiète, avait, lui aussi, l’air tout à fait joyeux. » (p. 117) Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, par exemple, Laurie rêve qu’elle est attaquée par des vautours. Dans sa pièce Des Lear (2009), Vincent Nadal parle d’un « abominable vautour ». Dans le générique du film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, on nous signale par écrit que « le corbeau blanc » est une expression employée pour désigner « quelqu’un qui est différent des autres ». L’aigle n’est pas souvent une figure de douceur dans la fantasmagorie homo-érotique, comme on peut le constater par exemple dans le roman de James Purdy Je suis vivant dans ma tombe (1975) : « Un matin, je vis un aigle poursuivre un échassier, et tous deux, je le jure, plongèrent dans les eaux sans en resurgir. » (Garnet Montrose, p. 151) Il est plutôt oiseau de mauvais augure, figure de mort : « Ô notre funèbre Oiseau noir ! » (Arthur Rimbaud, « Les Corbeaux », dans Poésies 1869-1872, p. 48) ; « Un vautour accroché à une antenne se balance entre le vide et le vide. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 91) ; « Nanou dit que je fais des cauchemars. Une fois, j’ai réveillé tout le monde tellement j’ai crié fort. Je me rappelle que c’était à cause d’une pluie d’oiseaux morts qui tombaient sur moi. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 14) ; etc. Dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, les oiseaux sont en réalité une foule d’outre-tombe, une allégorie de la mort, une armée de morts-vivants en quelque sorte. Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, l’aigle, c’est le héros homosexuel lui-même, ou bien ceux qui l’observent : « On a la vue rapace, à ces hauteurs. Tout est proie, vu d’en haut. Tout ce qui grouille et gigote en bas, Vincent Garbo compris, c’est insecte à gober, rampant repas frugal pour aigle de haute volure. » (p. 91) ; etc. Dans la chanson « Pas d’access » de Mylène Farmer, la voix se décrit comme un rapace : « Je suis Birdy. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West, dans une lettre qu’elle adresse depuis l’Égypte à son amante Virginia Woolf, fait une liste de mots renvoyant à l’égyptologie. Et les deux derniers, ce sont : « Vautours. Virginia. » Un peu plus tard, elle se rend compte que Virginia est amoureuse d’elle… ce qui amuse Dorothy, l’amie de Vita, qui s’adresse à cette dernière en ces termes : « Tu as enfin attrapé ta proie ? » À la fin, Virginia voit des hallucinations, notamment un vol de corbeaux qui fond sur elle au point de la faire tomber. Dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, les deux amantes lesbiennes Charlotte et Alma se rendent à une fête de Noël démoniaque où l’une est déguisée en démon et l’autre en ange, et toutes deux se rendent ensemble voir une cartomancienne qui leur tire les cartes et associe Charlotte à « 4 oiseaux (le faucon, l’aigle, hiboux et la perdrix).

 

AIGLE Black 1

AIGLE Black 2

Film "Black Swan" de Darren Aronofsky

Film « Black Swan » de Darren Aronofsky

 

L’aigle noir peut être l’animalisation de l’amant(e) homosexuel(le). Par exemple, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, Veronika, la (fausse) amante lesbienne, est la femme-aigle qui s’abat sur sa proie. Elle porte d’ailleurs des ailes d’aigle tatouées sur le dos : on les voit au moment où elle fait le cunnilingus à Nina (Natalie Portman). Dans le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim, Roland, l’amant de Lars, lui parle de l’aigle. On retrouve bien évidemment ici le mythe du rapt de Ganymède et de l’aigle violeur, en parallèle avec la légende du Lac des Cygnes.

 

Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Konrad, l’un des héros homosexuels, porte à la place du cœur un tatouage énorme d’un aigle. Et à la fin du film, alors que les trois héros homosexuels sont aux bords de la mer dans un abri de secouristes vitrés et sans toit, on voit quelques autocollants d’aigles noirs mis sur les vitres. L’aigle est clairement un symbole d’enfermement narcissique invisible.
 

Ganymède kidnappé par l’aigle Zeus est un topos homosexuel dans l’iconographie universelle (je vous renvoie notamment aux calligraphies de Michel-Ange, qui a pris pour modèle le beau Tommaso de Cavalieri pour représenter cette scène mythique : Le Rêve de la vie humaine (1533), L’Enlèvement de Ganymède (1532), La Chute de Phaéton (1533) et La Peine de Tityus. « Quelle honte secrète caches-tu, Ganymède ? » (Scrotes, l’amant d’Anthony, s’adressant au jeune Jim, homosexuel aussi, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill)

 

Pet Shop Boys

Pet Shop Boys

 

Pour en revenir à l’association du rapace aquilin à l’amant homosexuel, on l’observe dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon : à un moment, Stéphane dit à Théo : « Des rapaces de ton genre, ça niche dans des endroits inaccessibles. » Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan demande à son amant Kévin d’ « arrêter de le regarder comme s’il était un oiseau de mauvais augure qui porte malheur » (p. 444). Dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011), Ali Bougheraba rentre dans la peau de Fayssal, un homosexuel, qui raconte ses histoires de cœur sur un air de chanson bien connu : « Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d’un Black je m’étais endormi. » L’oiseau est invoqué comme un double amoureux ou une source d’inspiration : « Mais où donc es-tu, vieux corbeau ? Viens donc me délivrer de l’ennui comme tu l’as fait ce soir-là ! » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 48) Dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, quand le jeune Frédéric demande à Saint Loup « C’est quoi un sodomite ? », ce dernier lui répond par cette jolie pirouette : « C’est un oiseau. Un drôle d’oiseau. » Dans la chanson « Éden Éden » d’Alizée, il est signalé que « toutes les jeunes filles sont des faucons ». Dans le best-seller lesbien La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, il est curieux de voir comme les personnages lesbiens diabolisent les oiseaux avant de s’y identifier. C’est ce qui transparaît clairement dans ces mots de Ronit : « C’est incongru […] de voir des mouettes tourbillonner là-haut dans le ciel, avec leurs ailes immenses, blanches et grises et leur bec étonnamment grand et menaçant, descendre en piqué et s’emparer d’un morceau de bagel abandonné. J’ai été surprise de les voir en pleine nuit tracer des cercles dans le ciel tandis que je marchais samedi soir dans Hendon. […] J’ai rêvé des mouettes de Hendon, cette nuit-là, de la pointe acérée de leur bec et de la souplesse de leurs griffes. De cette façon qu’elles ont de tourner la tête sur le côté et de vous regarder d’un œil unique, perçant et impénétrable. Un rêve digne de Tippi Hedren, lorsqu’elle s’enfuit, poursuivie par des hordes de mouettes, sauf que ces oiseaux-là ne faisaient rien, n’attaquaient pas, n’entraient pas par la cheminée ni ne cassaient les vitres. Ils regardaient seulement. » (pp. 161-162) ; « La nuit dernière, j’ai rêvé que je volais au-dessus de Hendon. Le vent m’entourait de tous les côtés, mes poumons en étaient remplis. Hendon s’étalait sous moi. » (idem, p. 301) À la fin du roman, Esti et Ronit observent deux sombres rapaces s’attaquer à un déchet urbain abandonné au sol, comme s’il s’agissait d’une métaphore de leur propre action destructrice face à l’amour : « Les deux oiseaux noirs en avaient terminé avec leur hamburger. » (p. 252)

 

Film "Lost & Delirious" de Léa Pool

Film « Lost & Delirious » de Léa Pool

 

L’aigle est également associé à une Muse, à une actrice ou à une maîtresse symbolique exerçant un fort pouvoir sur la conscience qui la décrit (d’ailleurs, il n’est pas anodin qu’en héraldique, l’aigle soit féminin). « Rosa Luwembourg, malgré ses erreurs, restera un aigle. » (cf. pièce Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi) ; « J’ai été fasciné par ‘Black Swan’. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; etc. C’est le cas par exemple dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, quand le personnage d’Yvon parle de la vénéneuse Groucha : « Pendant ce temps-là, cette sorcière continuait à pérorer, comme un oiseau sur son perchoir, très haut, tout en haut de sa cage, tandis que j’étais vautré au fond, au milieu des chiures de volatile. » (p. 267) Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, c’est la mère oppressante qui endosse le costume de l’aigle avilissant : « Cahoté par la vieille voiture à deux roues, la tête renversée, l’enfant voyait couler un trouble ciel d’octobre entre les noires cimes pressées et il criait quand, d’une rive mouvante à l’autre, passait un triangle d’oiseaux. Si quelque courant d’eau vive faisait s’infléchir la route et se décelait par une fraîcheur brusque, sa mère le couvrait de son manteau comme d’une aile noire. » (pp. 105-106)

 

Film "L’Aigle de la 9e légion" de Kevin Macdonald

Film « L’Aigle de la 9e légion » de Kevin Macdonald

 

Dans l’œuvre de Copi, l’aigle est particulièrement présent. C’est une figure symbolique étrange. On dirait une idole totémique qui fait changer de sexe. « Une vieille légende africaine disait que le dieu de l’Univers à venir naîtrait de l’accouplement d’un roi noir et de deux femmes identiques à cheveux dorés qui auraient un pénis et qui arriveraient dans le royaume avec un oiseau métallique. » (Copi, la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 93) ; « Son petit oiseau semble vouloir déployer ses ailes dans ma cage dorée… » (Jefferey Jordan parlant du sexe de son amant et de la sodomie, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc. L’aigle chez Copi peut représenter le fantasme de l’actrice : c’est le cas dans Le Bal des Folles (1977) : « À côté du hibou sur la cheminée je vois une photo de Marilyn petite, avec le hibou (celui qui est à présent empaillé ou bien un autre qui lui ressemble beaucoup) accroché à son épaule. C’est une petite fille maigre au nez crochu, on dirait un aigle, elle ressemble beaucoup à sa mère d’à présent. » (pp. 81-82) ; ou bien l’être désiré et craint à la fois : « Silvano était toujours assis les yeux froncés sous le figuier. Lezama pensa au profil d’un aigle. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 160) Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978), le vieux Largui se fait attaquer par un vautour dans le désert. Chez Copi, le volatile peut figurer aussi le sexe : « Oui, la bite est un oiseau ! Mais c’est un oiseau plongeur ! Il aime bien se baigner ! » (Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur, 1986, p. 340)

 

l'icône gay-bobo Barbara

l’icône gay-bobo Barbara

 

En général, dans les œuvres homosexuelles, l’aigle est signe de viol. Dans la pièce Le Frigo (2011) de Copi, par exemple, Mr Alouette est le violeur de « Madame ». Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, Azem l’Albanais, fait du trafic de drogues, et d’héroïne, grâce à de vrais aigles qui lui rapportent la marchandise : « Notre aigle apporte des cadeaux. » Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel, le violeur homo, porte comme par hasard un tee-shirt avec l’insigne « EAGLE 00 ». Dans les fictions homosexuelles, très souvent, c’est la femme violée qui excite les oiseaux dans les boutiques de volatiles et les animaleries. C’est le cas dans le film « Pas de printemps pour Marnie » (1964) d’Alfred Hitchcock, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-araignée, 1979) de Manuel Puig, dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, etc.

 

« Il n’est qu’un oiseau de mauvais augure. Cet homme est froid comme la mort. » (le Père 2 par rapport à son futur gendre, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « J’ai vu les aigles fondre sur les lapins. » (le fiancé de Gatal, idem) ; « Jane commençait à aimer l’agression des oiseaux. Ils étaient d’une constance rassurante, comme une tante bien-aimée qui vous accueillait toujours avec une menace, mais n’allait jamais plus loin. » (Jane, l’héroïne lesbienne parlant des corbeaux et des oiseaux de proie à côté de chez elle près du cimetière, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; etc.
 
 

b) Parfois, l’homosexuel se prend pour un oiseau :

Il est question d’oiseau en lien avec l’homosexualité dans le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat, le roman Doux oiseau de la jeunesse (1959) de Tennessee Williams, le roman Oiseau de la nuit (1998) de Guy Hocquenghem, le tableau L’Homme à l’oiseau (2000) de Luan Xiaojie, le film « Des oiseaux petits et gros » (1966) de Pier Paolo Pasolini, la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le film « Les Ailes » (1927) de William Wellman, la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, le film « L’Oiseau au plumage de cristal » (1968) de Dario Argento, le film « Pequeña Paloma Blanca » (2003) de Christian Barbé, le poème « Oiseau privé » d’Armand Guibert, le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze (avec la sculpture d’oiseau), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (et un oiseleur avec des canaris), l’album I Am A Bird Now d’Anthony’s and the Johnsons, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec les oiseaux en plein cœur de New-York), etc.

 

Film "La Cage aux folles" d'Édouard Molinaro

Film « La Cage aux folles » d’Édouard Molinaro

 

Il arrive que le personnage homosexuel rêve d’échapper à sa condition humaine en s’identifiant à un oiseau (avec parfois un petit jeu de mot sur l’expression « gai comme un pinson »). « Quand j’étais enfant, j’ai longtemps rêvé de trouver la formule magique de l’envol. Oui, je voulais voler comme les oiseaux. » (Audric dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 30) ; « J’ai jamais eu les pieds sur terre, j’aimerais mieux être un oiseau. » (cf. la chanson « S.O.S. d’un terrien en détresse » de Johnny Rockfort dans le spectacle musical Starmania) ; « Jean-Luc… ? Il faisait des PDF dans une société d’élevage de pinsons… » (un femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, converti en homo, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ça fait quoi que votre fils soit pédé comme un pinson ? » (Max s’adressant à la mère de son petit ami, dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « J’adore tous les oiseaux. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; etc. Par exemple, dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, Ben dit à son ami qu’il aurait rêvé d’être un oiseau. Dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, Faissal, le personnage homosexuel imite souvent les mouvements des ailes de l’oiseau. Mais la revendication d’être un « volant voleur » ne dure qu’un temps, car le héros homosexuel veut tout de même retrouver sa liberté d’Homme : « Je ne suis pas qu’un petit piaf. » (Janine dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) Sans doute la peur de se faire plumer ou d’être pris pour un pigeon… « Je fais la chasse aux pigeons dans les toilettes des gares. » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) Le couple homosexuel est décrit parfois comme un duo d’oiseaux, même si celui-ci ne vole pas haut, empêché qu’il serait par la société de surplomber le ciel de l’Amour : « Qui arrête les colombes en plein vol à deux au ras du sol ? Une femme avec une femme. » (cf. la chanson « Une femme avec une femme » du groupe Mecano) Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, les danseurs homosexuels de danse contemporaine simulent d’être des oiseaux. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki regardent le vol des oiseaux planant dans le ciel de Nairobi (Kenya).

 

Par exemple, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, la rencontre entre Antonietta, la femme au foyer soumise, et Gabriele, le héros homosexuel, se fait grâce à l’escapade de sa cage du mainate d’Antonietta, « Rosemonde », un perroquet mâle mais qui porte un prénom de femme.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Je vous renvoie au documentaire « Les Oiseaux de nuit » (1977) de Luc Barnier et Alain Lasfargues, traitant du monde de la prostitution masculine.

 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles

 

Il existe quelques coïncidences troublantes entre le monde homosexuel réel et l’aigle noir. Par exemple Léonard de Vinci (connu pour être homosexuel), alors qu’il est encore au berceau, croit qu’un vautour se pose sur lui. Freud se penchera d’ailleurs sur cette histoire et y consacrera une étude psychanalytique approfondie. Sous l’Allemagne nazie, les mouvements de jeunesse des Wandervögel (littéralement : Oiseaux migrateurs) étaient imprégnés d’homosexualité. « Comment comprendre le succès du mouvement Wandervogel ? Par la composante homosexuelle, tout simplement. De même que les chefs étaient attirés par les garçons, les garçons étaient attirés par les chefs. Dans les deux cas, l’attraction était érotique. Plus tard le nom de Wandervogel deviendrait synonyme de pédérastie. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 144) L’image de l’oiseau est omniprésente dans l’œuvre de Tennessee Williams ; de plus, ce dernier a été surnommé de son vivant « l’Oiseau Magnifique » (Gore Vidal, Palimpseste Mémoires (1995), p. 237). Sarah Bernhardt s’est travestie en homme dans la pièce L’Aiglon (1900) d’Edmond Rostand. Plus proche de nous, Eagle est le nom du groupe gay IBM. À Montréal (Québec), il y a un bar gay qui s’appelle l’Aigle noir. Et en France, il existe une association homo appelée AIGLE (Amicale ISAE Gay et Lesbien des Étudiants).

 

Sarah Bernhardt dans L'Aiglon

Sarah Bernhardt dans L’Aiglon

 

Beaucoup d’auteurs homosexuels parlent de la personne qu’ils désirent homosexuellement comme d’un aigle. Par exemple, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar, en évoquant l’un de ses amants, écrit qu’« il est un aigle au milieu des corbeaux ». (p. 15) C’est le cas également de certains militants pour la « Cause gay », comme Beatriz Gimeno, qui décrit la communauté homosexuelle comme une armada volante : « Nous avons rêvé de voler très haut, et nous avons volé. » (citée dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 38) On retrouve les aigles-rapaces de la « Lesbian Nation » chez les quatre chouettes saphiques baptisées les OWLs (Older Wiser Lesbians = Lesbiennes de plus de 40 ans) dans le film « The Owls » (2010) de Cheryl Dunye. Le monde gay tout entier est associé aux oiseaux par l’écrivain cubain Reinaldo Arenas dans El Color Del Verano (1982). Être un oiseau serait la condition homosexuelle même ! : « Un homosexuel est un être aérien, sans attache, sans lieu fixe qui lui soit propre […]. Nous sommes toujours suspendus en l’air, aux aguets. Notre condition aérienne est parfaite et c’est très bien que l’on nous ait affublés de noms d’oiseaux. Nous sommes des oiseaux parce que nous sommes toujours en l’air, un air qui n’est pas non plus à nous – rien n’est à nous, d’ailleurs – mais au moins il est sans frontières. » (p. 480) ; « Quand je m’observais, quand je dépouillais l’enfant en moi pour me placer sur le terrain absolu des autres, je me trouvais fier et beau de ressembler à un oiseau prestigieux à qui la nature a attribué l’élégance et cette couleur qui lui va à merveille. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 11-12) ; « J’ai commencé à faire bouger mes p’tites ailes. Des p’tites ailes qui sont devenues démesurées. » (Thérèse, femme lesbienne de 70 ans, en parlant de mai 68 et de sa propre émancipation sexuelle, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc. Je vous renvoie au choix du pseudonyme de la journaliste lesbienne Ursula del Águila ainsi qu’au chanteur bisexuel péruvien David del Águila. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte la fascination de son ami Jacques pour les soldats : « Je les aime, parce qu’ils sont purs avec leur regard triste, mélancolique… leurs pas incertains, timides, perdus dans cette grande ville… s’attendrissant devant les aigles et les lions en cage… » Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, la position « cambrée » » en parachutisme est la position de l’oiseau. Dans l’émission Aventures de la médecine spéciale « Sexualité et Médecine » de Michel Cymes diffusée sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, en écoutant Léonie, homme transsexuel M to F de 29 ans, on voit qu’il envisage son opération de changement de sexe comme une angélisation : « Maintenant, je me sens pousser des ailes. »… même s’il pleure à l’intérieur.

 

AIGLE Tom of Finland

Tom of Finland

 

En remontant aux origines littéraires du désir homosexuel, on trouve déjà dans le monde platonicien les traces de cet aigle autrement appelé l’androgyne : « On connaît le discours d’Aristophane – celui que Platon lui a fait tenir dans Le Banquet sur la nature et l’origine de l’amour ou encore celui qu’il nous donne dans Les Oiseaux et qui fait naître Éros bisexué d’un œuf sans germe, fruit du vent, pondu par la nuit aux ailes noires, avant toute chose’. » (Pierre Fédida, « D’une essentielle dissymétrie dans la psychanalyse », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 220)

 

Ganymède

Ganymède

 

Le motif de l’aigle violeur n’est pas qu’une image d’Épinal anodine et toujours désincarnée. Elle peut exprimer chez certaines personnes homosexuelles le fantasme de viol ou un viol qu’elles ont réellement vécu (une relation parfois pédophile, ou infantilisante) : « Je devins distant avec mes camarades, de même qu’avec le père Basile, nos rapports s’orientèrent sur la voie des remises en question. Je lui reprochais de s’être épris de moi d’une manière excessive, et pensais que c’était une faute de m’avoir fait découvrir ses pulsions sexuelles ; je lui reprochais également l’initiative, qu’il avait prise de me combler de petits cadeaux, de me parler souvent avec douceur par rapport aux autres élèves, et de s’appliquer à m’expliquer que j’étais beau et tout rose, comme un bébé qui vient de naître. […] Cet amour était devenu une abjection qui m’étouffait à la manière d’une proie exposée aux griffes de son prédateur. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 40-41)

 
 

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Code n°4 – Amant diabolique (sous-codes : Faust / Regards / Langue au chat / L’Autre)

Amant diabolique

Amant diabolique

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Aussi surprenant que cela puisse sembler, ce n’est pas parce que les artistes et les intellectuels homosexuels (souvent athées auto-proclamés) tentent maintes et maintes fois de prouver que l’amour homosexuel est merveilleux et positif qu’ils en construisent un portrait idyllique dans leurs créations. Tout le contraire ! C’est sous les traits du diable qu’est décrit par le héros homosexuel – et parfois par les personnes homosexuelles athées elles-mêmes, c’est ça le comble ! – l’amant tant désiré. Cet être-sans-nom, appelé mystérieusement « L’Autre », au regard pénétrant et troublant, peut s’incarner partiellement en un jeune adulte innocent, magnifique, muet, qui fait signer à la personne qu’il subjugue un contrat à l’encre sympathique, lui imposant ainsi une perverse loi du silence. Il est possible que le mythique héros faustique homosexuel, qui vend son âme à ce perfide « amant double » félin sous la pression de ses vils instincts, en perde sa langue… puisqu’il donne, littéralement, sa langue au chat. La métaphore du diable est une manière, pour de nombreuses personnes homosexuelles, de dire tout bas l’ambiguïté de l’amour (des amours) qu’elles sont en train de vivre : il a le goût et la forme de l’Amour vrai, mais il n’en est pas un exactement. Et c’est cette confusion qui ressemble à une lente descente aux enfers dans le couple homosexuel.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Première fois », « Coït homosexuel = viol », « Se prendre pour Dieu », « Vampirisme », « Violeur homosexuel », « Liaisons dangereuses », « Homme invisible », « Regard féminin », « Désir désordonné », « Chat », « Oubli et amnésie », « Homosexuel homophobe », « Se prendre pour le diable », à la partie « le diable au corps » du code « Ennemi de la Nature », à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) L’amant homosexuel prend les traits du diable :

Film "Hellbent" de Paul Etheredge-Ouzts

Film « Hellbent » de Paul Etheredge-Ouzts


 

On peut voir dans les œuvres artistiques suivantes que le personnage homosexuel a le diable pour amant : cf. le roman Le Diable en personne (2001) de Robert Lalonde, le film « Chloe » (2009) d’Atom Egoyan (avec la belle call-girl lesbienne intrusive), la nouvelle Ernesto (1953) d’Umberto Saba, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le film « The Devil’s Playground » (1976) de Fred Schepisi, le film « Diaboliquement vôtre » (1967) de Julien Duvivier, le tableau Ange au couteau de Michael Sebah, le film « Hellbent » (2005) de Paul Etheredge-Ouzts, le film « Nowhere » (1997) de Gregg Araki, le roman L’Ange en décomposition (1970) de Yukio Mishima, le roman Méphisto (1936) de Thomas Mann, le roman Y De Repente, Un Ángel (2005) de Jaime Bayly, le film « Le Messager » (1971) de Joseph Losey, le film « Adrien et le loup » (1999) de Sylvie Lazzarini, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Les Amants diaboliques » (1943) de Luchino Visconti (avec Gino, l’étranger diabolique), le film « Aniel » (1997) de Francois Roux (avec Aniel, celui par qui le trouble arrive), le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro (avec Gabriel, le nouvel élève débarquant à l’improviste et dont personne ne connaît l’origine), le film « Fraulein Doktor » (1968) d’Alberto Lattuada, le film « Rendez-vous de satan » (1972) d’Anthony Ascott, le film « L’Amant bulgare » (2003) d’Eloy de la Iglesia (avec Kyril, la figure de l’étranger), le film « Intrusion » (2003) d’Artémio Benki (avec Florence, l’étrangère démoniaque), le film « L’Inconnu du Nord-Express » (1951) d’Alfred Hitchcock (avec Bruno, l’intrusif amant), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec l’étranger qui détruit une famille bourgeoise entière), le roman L’Inattendue (2003) de Karine Reysset, le film « L’Inattendue » (1987) de Patrick Mimouni, le film « Trop (peu) d’amour » (1997) de Jacques Doillon, le film « Dallas Doll » (1993) d’Ann Turner, le film « When The Right Hand Sleeping » (2002) d’Hiroyuki Oki, le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, le film « En route » (2004) de Jan Krüger (toujours avec la figure de l’étranger diabolique), le film « The Grotesque » (1995) de John-Paul Davidson, le film « Ti Kniver I Hjertet » (1995) de Marius Holst, le roman La Vallée heureuse (1939) d’Anne-Marie Schwarzenbach, le film « Amor Maldito » (1986) d’Adelia Sampaio, le film « A Un Dios Desconocido » (1977) de Jaime Chavarri, le film « Gypo » (2005) de Jan Dunn, la chanson « I Fell In Love With The Devil » dans le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, la chanson « La Légende de Rose Latulipe » de Cindy et Ronan dans le comédie musical Cindy (2002) de Luc Plamondon, la chanson « La Beauté du diable » de la Diva dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger, le film « Lucifer Rising » (1974) de Kenneth Anger, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui, le film « Love Is The Devil » (1998) de John Maybury, le film « The Demon Fighter » (1982) de Chu Yin-Ping, les photos Anges et Démons de Jean-Daniel Cadinot, le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, la chanson « L’adorer » d’Étienne Daho, le film « Le Masque du démon » (1960) de Mario Bava, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec le jeune Tadzio), le film « Wishing Stairs » (2003) de Yun Jae-yeon, le film « Créatures célestes » (1995) de Peter Jackson, la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen, le roman Cœur de démon (2003) de Claude Neix, le roman Petite cuisine du diable (2004) de Poppy Z. Brite, le film « The Pollen Of Flowers » (1972) d’Ha Kil-jong, le roman Un Ange cornu avec des ailes de tôle (1994) de Michel Tremblay, les romans L’Ange maudit (2000) et L’Innocence du diable (2001) d’Eyet-Chékib Djazari, le roman Un Ange est tombé (2000) de Claude Neix, le film « Amour et mort à Long Island » (1997) de Richard Kwietniowski, les tableaux Les Démons de Manu (1998) et Bouc et mystère (1991) de Michel Giliberti, le roman Quand tu vas chez les femmes (1982) de Christiane Rochefort, le film « Speed Demon » (2003) de David DeCoteau, le dessin animé « South Park, plus long, plus grand et pas coupé » (1998) de Trey Parker (avec le couple gay Saddam Hussein/Satan), le roman La Colline de l’ange (1989) de Reinaldo Arenas, le roman L’Homme de ma mort (2002) de Jonathan Denis, le film « Chambre 666, n’importe quand » (1982) de Wim Wenders, le roman La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar (avec la description de Zahir), le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland, le film « Bloody Mallory » (2002) de Julien Magnat, le poème « L’Ange double » de Carson McCullers, la chanson « La Java du diable » de Charles Trénet, le roman L’Étranger de la famille (2001) d’Olivier Lebleu, le roman El Ángel Descuidado (1965) d’Eduardo Mendicutti, le film « Le Serpent » (1972) d’Henri Verneuil, le film « De Duivel Te Slim » (« Plus Malin que le diable ») (1960) d’Edith Kiel, le film « Toto Che Visse Due Volte » (1998) de Daniele Cripi et Franco Maresco, le film « Lucifer-Sensommer : Gul Og Sort » (1990) de Roar Skolmen, le film « L’Ange noir » (1993) de Jean-Claude Brisseau, le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, le dessin L’Ange à l’envers (1976) d’Endre Rozsda, le tableau Coït subliminal (2003) de Nikolaï Saoulski, les tableaux de Priscilla Cuvelier, la photo Le Diable – Pierre (1997) de Pierre et Gilles, la photo Les Affranchis (2003) de J.-P. David Ponce-Blanc, la photo Ange ou démon… car qui veut faire l’ange fait la Bête de Patrick Sarfati, la photo Regard d’un ange (1986) de Jean-Claude Lagrèze, le film « Le Dénommé » (1988) de Jean-Claude Dague, le film « Le Sang du poète » (1930) de Jean Cocteau (avec l’ange noir), le film « L’Étranger » (1967) de Luchino Visconti, le film « My Brother The Devil » (2012) de Sally El Hosaini, les films « Les Diables » (1971) et « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell et Derek Jarman, la chanson « Dile A Tu Amiga » de Dalmata (avec le diable charmant le couple de lesbiennes et le chanteur), le film « The Devil Wears Prada » (« Le diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec Loreleï, l’amante diabolique et accaparante), le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion (avec Osmond, le mari d’Isabelle), le roman Le Diable à Westease (1947) de Vita Sackville-West, le film « Birthday » (2010) de Jenifer Malmqvist (avec le personnage de Fredrick), la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm (dans l’épisode 3 de la saison 1), le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent (avec Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, la nouvelle élève qui débarque dans la classe de Charlène, et qui va la détruire), le film « Un Beau petit Diable » (« Handsome Devil », 2016) de John Butler, la chanson « Parce que » de Daniel Darc et Bill Pritchard, la chanson « Imprudentes ! » de Georgius, le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, etc.

 

« ’L’enfer n’existe pas’, dit Jane. ‘Avant, je faisais des cauchemars à propos des Russes, et après, j’ai fait des cauchemars dans lesquels Greta Mann m’attirait à une fête avec le diable. Parfois, les rêves se mélangeaient et les Russes étaient là avec Greta, en train de m’attendre. » (Frau Becker et Jane l’héroïne lesbienne, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 215) ; « Un Russe, messager de l’Enfer. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « J’ai passé deux enfers à vous aimer ! » (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son amant Scrotes, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « On parle du loup, on en voit la queue. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc.

 

B.D. "Fallen Angels" de Cuho et Cantero

B.D. « Fallen Angels » de Cuho et Cantero


 

Dans certains films, il arrive que des personnages disent à leur amant homosexuel qu’ils voient en lui une créature qu’ils n’arrivent pas à identifier, autrement dit l’androgyne : « C’est quelque chose en toi qui me dégoûte. Je ne pense pas que ce soit directement lié au physique » entendons-nous dans le film « La Confusion des genres » (2000) d’Ilan Duran Cohen. « Vous êtes une fille étrange. Tombée du ciel. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Mon ange. Tombé du ciel. » (idem) Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, l’un des héros homosexuel, parle « du démon qu’il s’est choisi ». Parfois, la menace satanique vient directement d’un personnage homosexuel qui au départ s’adresse à son amant sur le ton de la blague, mais qui finit par s’exécuter sérieusement à la fin, comme Mona dans le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky. Le diable cinématographique est invisible, et pourtant, certains personnages lui parlent. « Suppôt de Satan ! Étron de Belzébuth ! » (le Père 2 s’adressant à son futur gendre, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) Par exemple, dans le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera, Roberto, pendant qu’il se masturbe tout seul dans son salon, s’adresse à quelqu’un que nous ne voyons pas à l’image mais qui le malmène (« Va te faire foutre connard ! Fils de pute ! »). Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Michel dit à la femme qu’il aime, la très bisexuelle Mélodie, qu’elle est « diabolique », ce à quoi elle lui répond : « J’ai aucune envie d’être diabolique. C’est la vie qui est diabolique. ». Quelques voix narratives laissent entendre qu’elles ont fini par se prendre pour des êtres ayant vendu leur âme à l’antéchrist, et devenant, par contamination, le diable en personne. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Dick reconnaît chez Tom, l’homme amoureux de lui, le diable : « C’est démoniaque. Tu fais toujours ça avec ton cou. » Il finit par lui donner des idées puisque cette présomption se révèlera concrète : Tom va effectivement le tuer.

 
 

Hubert – « De toute façon vous m’aviez déshonoré bien avant d’avoir déshonoré ma famille. Quant à ma sœur Adeline, ne vous en formalisez pas, je l’avais déshonorée bien avant vous.

Cyrille – Vous êtes diabolique, Hubert. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Pretorius tombe amoureux de Dracula (nom qui signifie « diable »). Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, « Big Demon » est le nom du prostitué transsexuel travaillant au Bois de Boulogne. Dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, Lucifer est l’amant homo SM de l’archange Raphaël, défini comme « une pédale », et super efféminé. Dans le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, dont j’ai fait référence un peu plus haut, Mona s’adresse à son amante Tamsin en des termes explicites : « Je suis le diable et je suis venu pour te tuer. » À la fin du film, elle cherchera d’ailleurs à la noyer. Dans le film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius, l’amant homosexuel apparaît comme le tentateur du personnage joué par Jean Dujardin, avec sa pomme d’amour qu’il déguste langoureusement (c’est d’ailleurs pour cette raison que l’espion lui répondra : « Serpent, je ne mange pas de ce pain-là. ») Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, est attaqué dans son lycée, en début de film, par deux camarades déguisés en diable. Dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, Texor est l’étranger diabolique qui s’introduit dans la vie de Jérôme. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, et son amour de jeunesse, Kevin, se retrouvent à l’âge adulte à cause d’une chanson qui a réactivé leurs souvenirs et leur « amour, et qui commence ainsi : « Salut l’Inconnu ». Dans le film « Social Butterfly » (2012) de Lauren Wolkstein, une Américaine de 30 ans fait irruption dans une soirée d’adolescents sur la Côte d’Azur et aucun d’entre eux ne comprend les raisons de sa troublante présence. Dans la pièce Lettre d’amour à Staline (2011) de Juan Mayorga, Staline est le tentateur homosexuel pénétrant dans le couple Boulgakov/Boulgakova. Dans le film « Tenue de soirée » (1987) de Bertrand Blier, Bob, un cambrioleur, débarque dans la vie d’un couple ordinaire, Antoine et Monique, pour initier Antoine à l’homosexualité, et créer le désordre. Dans la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le héros est visité par « le démon de Socrate », autrement dit l’amour platonicien grec. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, l’amant androgynique, mi-homme mi-femme, de par sa dualité, est décrit comme diabolique. Dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner, Joe, en évoquant les illustrations d’une Bible pour enfants de sa jeunesse, dit qu’il s’est depuis toujours identifié au Jacob en lutte contre un séduisant ange blond. Dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, la relation homosexuelle est décrite comme un « enfer », et l’amant prend la forme d’un « démon ». Le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato voudrait « pouvoir être capable de s’enthousiasmer avec le diable ». Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, Hervé appelle son copain Alex « la Créature ». L’androgyne diabolique, c’est l’être invisible qui parle à l’intérieur du personnage du roman Les Mauvaises Pensées (2005) de Nina Bouraoui (« Je porte quelqu’un à l’intérieur de ma tête », p. 9) ou bien l’« implacable maître » intérieur évoqué par Truman Capote dans sa préface de Musique pour caméléons (1979). Dans les chansons de Mylène Farmer, il est fréquemment question de la rencontre avec l’ange diabolique : « Il est entré dans mon lit sans un bruit, sans même troublé la nuit… L’Ange m’a fait croire au bonheur. » (cf. la chanson « L’Annonciation ») ; « L’Inconnu a meurtri plus d’un cœur. » (cf. la chanson « L’Innamoramento ») ; « Ange, parle-moi. De voir qu’en lui, ils étaient deux. Je sais ce que mentir veut dire pour moi. […] Don’t let me die, l’Ange, don’t let me die, l’Archange. Tu sais Dieu a rompu son pacte avec cet étranger. » (cf. la chanson « Ange, parle-moi ») Dans la pièce Angels in America (2008) de Tony Kushner, Prior prend son amant Louis pour un fantôme. Dans le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, l’amant homosexuel, ce « cher fantôme » (p. 7), est comparé à un « hôte inquiétant » (p. 85), à « une inquiète déchirure » (p. 28) à « un homme au double aspect » (p. 34) : « Sa voix chaude et compatissante ouvrait en moi quelque chose comme une blessure. » (p. 108) Dans la chanson « Paradize » du groupe Indochine, l’amant diabolique est le double narcissique : « Toi, tu viens par ici. Je dis toi regarde moi Toi. Si tu me vis Oui. Toi, suis-moi au paradis – so far a wheel – s’éclaircir pour la dernière fois à s’introduire juste au dessus de moi et tu verras ce qu’il nous reste à faire/on revient de loin. » Voltaire, dans L’Anti-Giton (1714), parle de l’amant homo comme un imposteur amoureux : « Ce pauvre dieu courut de ville en ville […] quittait les cieux pour éprouver les hommes. […] D’un beau marquis il a pris le visage. […] Trente mignons le suivent en riant. […] Ce faux amour, […] cet enfant jaloux, il vole parmi nous. » Dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, Saint Loup voit son amant-ennemi dans son propre lit. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Greg, le héros homosexuel, taquine le couple lesbien Jézabel/Erika en les qualifiant de « deux diablesses ». Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier essaie de dissuader le jeune Mathan de croire en l’amour homo, car ses onze années de couple avec Jacques ont été visiblement éprouvantes : « J’espère que ça ne te fait pas rêver. C’est l’enfer. » Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony, l’homosexuel âgé, essaie de jeter le jeune Jim dans les bras du jeune Doyler : « C’est un ami qui va venir. Pas un étranger. Quand on aime quelqu’un, il n’y a rien à faire. » Dans le film « Thelma » (2017) de Joachim Trier, la belle Anja va attirer dans ses filets la jeune et timide Thelma. Leur liaison donne lieu à des phénomènes physiques (crises d’épilepsie d’une grande violence pour Thelma) mais également surnaturelles, de nature démoniaque. Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam, le héros homosexuel, se targue de regarder des films satanistes sur Porn Hub où par exemple « un démon en images de synthèse baise un cheval. » (c.f. épisode 1 de la saison 1). Dans l’épisode 3 de la saison 1, l’Inquisiteur extraterrestre de la B.D. de Lily fait son coming out : « ‘Je suis gay !’ dit l’Inquisiteur. » Dans l’épisode 4 de la saison 1, Tanya et son amante Ruthie regardent un docu sur les requins (à défaut de pouvoir faire l’amour), et Tanya regarde Ruthie en souriant de toutes ses dents, d’un air diabolique et concupiscent. Dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, les deux amantes lesbiennes Charlotte et Alma se rendent à une fête de Noël démoniaque où l’une est déguisée en démon et l’autre en ange.

 

Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, le jeune héros homosexuel, garde un mauvais souvenir de son premier baiser homo qu’un certain Joachim lui aurait arraché dans un foyer de garçons : « Je me suis senti très mal. » Plus tard, il suit dans la rue un homme de quinze ans de plus que lui, Léopold, qui l’entraîne chez lui. Avant de passer à la casserole, Léopold propose à Franz de jouer aux petits chevaux… et il s’amuse, quand il lance les dés, de tomber trois fois de suite sur un « 6 » (je rappelle que 666 est le chiffre attribué au diable). Ensuite, Franz lui raconte le cauchemar qu’il a fait à propose de son beau-père, qu’il a pourtant désiré sexuellement : « Puis il est venu dans mon lit. J’avais l’impression de devenir de plus en plus petit. Comme une fille. Puis il est rentré en moi. » Excité par son histoire, Léopold commande à Franz de revivre son humiliation fantasmatique : « Déshabille-toi et j’arriverai. Comme l’homme du rêve. » L’un comme l’autre s’utilisent et se piègent : « Vous m’avez pris de court. » (Franz à Léopold) ; « Je me suis bien fait avoir. » (Franz après avoir couché avec Léopold) ; « Vous m’avez bien eu. » (Léopold à Franz) ; « C’est drôle, je n’ai pas l’habitude d’être dans la peau d’une marionnette. » (Franz)

 

 

Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver, l’Américain, est l’étranger qui débarque dans la famille Perlman. Ce Don Juan va y séduire tout le monde, et en particulier le père (Sammy), et bien sûr le jeune fils de 17 ans Elio, avec qui il va avoir une liaison. Une fois qu’Oliver initie Elio à l’homosexualité, il essaie de le convaincre de déculpabiliser (« On n’a rien fait de honteux. » ; « Fais pas l’enfant. Rendez-vous à minuit. »)… même si Elio en pleure. Il l’embobine, lui fait croire à l’amour le temps d’un été, et après, disparaît pour toujours de la vie du jeune adolescent de 17 ans, afin de se marier. C’est pourquoi Elio le qualifie à deux reprises de « traître ». Le personnage d’Oliver incarne la beauté satanique insaisissable, inconstante : il se passionne d’ailleurs pour les « entités » occultes chez les Grecs. À un moment nocturne, Oliver est submergé par des images en négatif, de couleur rouge, de son jeune amant Elio, comme une vision psychédélique et satanique se superposant au réel. Oliver provoque à diverses reprises la chute d’Elio, ou bien lui-même chute (à vélo, dans le plan d’eau, etc.). À la fin du film, Elio sera transformé lui-même en diable : dans les dernières images, on voit en gros plan son visage éclairé par le feu de cheminée rougeâtre, qui passe des larmes au défi démoniaque.
 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola trompe sa copine Vera d’un commun accord avec Nina. Un trio diabolique s’organise autour des calculs machiavéliques de Vera : « Lola a une espèce de fascination pour vous. » (Nina s’adressant à Vera) ; « À cet instant, j’avais décidé que tu serais à moi. » (Vera s’adressant à Lola à propos de leur première rencontre) ; « Lola, tu sais que j’ai toujours eu ce que je voulais. » (idem) ; « En général, elle se plie à ma volonté. » (Vera parlant de Lola à Nina) ; etc. Lola se rend compte de l’identité satanique de sa compagne : « Cette femme est diabolique. Elle a trouvé le moyen de me déculpabiliser. » ; « La femme avec qui je m’épanouis sexuellement est une conne ; et la femme avec qui je vis est une lumière. » Mais elle consent à son aliénation : « D’une manière générale, je suis à ta disposition. J’éprouve une réelle volupté à laisser diriger ma vie par toi. » (Lola s’adressant à Vera) Quant à Nina, elle finit par ne plus supporter l’emprise de Vera sur Lola : « Si je comprends bien, ma relation avec Lola est sous ton contrôle ? » (Nina s’adressant à Vera) ; « Je me demande si tu ne manœuvres pas dans l’ombre pour manipuler Lola. » (idem) ; « Ta dépendance et ta soumission avec cette fille me gêne profondément. » (Nina s’adressant à son amante Lola, idem)
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, se fait sodomiser par Palomino : « Ça fait mal. Ça pique ! Je vais vomir. Je saigne ! ». Ce dernier le rassure un peu : « Une vierge est censée saigner. » Avec une jouissance malsaine, il lui parle de la syphilis, maladie transmise aux Russes, et qui se serait appelée « le mal mexicain ». Palomino semble se venger de la domination coloniale des Occidentaux sur les Orientaux en inversant, par la sodomie, la domination, comme s’il rééquilibrait le sens de l’Histoire : « Tu es l’Ancien Monde. Je suis le Nouveau Monde. Je veux jouir de ton cul russe et virginal. »
 

Le diable ressemble parfois au phallus ou au désir qui endurcit le sexe génital pour les personnes de même sexe : « Satanas, sors de mon slip ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012)

 

DIABLE Tadzio

Tadzio dans le film « Mort à Venise » de Luchino Visconti


 

Dans le roman Le Moine (1796) de Matthew Lewis, le diable prend la forme d’un jeune homme d’à peine 18 ans, au visage et au corps parfait, complètement nu, avec une étoile scintillante sur son front, des ailes rouges, des boucles de cheveux soyeuses attachées par un ruban de feu multicolore qui brûle autour de sa tête. La grâce angélique de cet éphèbe est seulement trahie par la férocité de son regard et son aspect mélancolique. On retrouve cette beauté du diable dans les romans de Philippe Besson, et notamment dans Un Garçon d’Italie (2003), avec la description de Leo : « On s’y laisse forcément prendre, à cet air angélique, à ces manières de Christ, à cette négligence dans la posture, à ces yeux qui fouillent au-dedans de nous alors qu’ils paraissent à peine nous regarder. Oui, on a envie de le prendre entre nos mains, ce visage d’enfant de chœur à qui on ne donnerait pourtant aucun bon Dieu sans confession, à ce sourire qui creuse des fossettes et qui ramène à l’adolescence, à ce que nous avons perdu. » (p. 98) ; « Les yeux fardés jusqu’au mépris. » (Luca, le narrateur homo du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; etc.

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Paulo se demande par rapport à Pierrot s’il n’est pas homo : « Il est pas de la jaquette ? » Gilbert, intrigué, lui demande : « À quoi tu vois ça ? » Paulo lui rétorque : « Il regarde. »
 

Le diable est véritablement diabolique de ressembler dans un premier temps à Dieu : cf. le poème « Howl » (1956) d’Allen Ginsberg (avec l’ange blond qui perce avec son épée), la pièce Un Ángel Para La Señora Lisca (Un Ange pour Madame Lisca, 1953) de Copi, etc. Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, la belle Sarah, tout de rouge vêtue, maltraite son amante Charlène, révèle les secrets de celle-ci aux autres, la harcèle au téléphone, la manipule. Elle la menace même de mort si jamais Charlène avoue sa véritable origine sociale : « Si t’en parles, je te tue. » Dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), Merteuil se dit attirée par le « derrière virginal » de Cécile Volanges, « cette vierge que le diable a recrutée contre elle ». Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Audrey, le bel agresseur homophobe, drague Anton, le héros homosexuel, avant de l’attirer dans un get-apens. Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, Marc est le jeune et beau séducteur diabolique qui matte Sieger pour le déstabiliser. Dans l’épisode 268 de la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1 le 13 août 2018, lorsque Bart demande à Hugo son amant « Tu viens d’où ? », ce dernier lui montre le ciel (« De là. »), ce à quoi Bart plaisante : « T’es du genre un ange tombé du ciel, quoi… »

 

« À la première seconde, je savais que j’allais l’aimer, que j’allais souffrir. J’ai voulu faire durer cette imposture le plus longtemps possible. La douleur est éblouissante, très pure. » (Stéphane parlant de son ex-amant, le jeune et beau Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Suivre les yeux fermés notre hôte de charme. » (cf. la chanson « Les Chiens perdus » du Beau Claude) ; « Chaque dimanche tu apportais ta mousse au chocolat. Tout le monde disait ‘Il est humain’, blablabla. […] Tu attendais qu’au ciel les guirlandes d’étoiles guident tes pas pressés, rôdeur dominical, t’attirent hors de chez toi. » (cf. la chanson « Tu étais si gentil » du Beau Claude) ; « Ce petit, c’est ma damnation. » (Jacques, l’écrivain homo quinquagénaire ayant couché avec le jeune Mathan de 18 ans, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « J’voulais dire. T’es comme un ange. Un ange qui passe… » (Ryan dans la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays) ; « Le Dieu des Hommes […] s’éleva de 7 mètres au-dessus de nous, allant se placer haut à l’intérieur de l’aiguille de la Sainte-Chapelle dont les vitraux à mille et une couleurs produisaient sur lui (un barbu blanc aussi poilu qu’un ours polaire) un effet de kaléidoscope très agréable. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979), p. 85) ; « Malcolm se leva et fit signe à Adrien de le suivre. Il le conduisit dans une petite pièce adjacente. Il alluma la lumière et tendit le bras : ‘Regarde, c’est beau non ? Tu vois, ça c’est celui je préfère ! Adrien s’approcha. Un enfant dont le visage n’était pas vraiment celui d’un enfant, plutôt celui d’une créature sortie d’un monde fantastique, mi-homme mi-volatile, chevauchait une bicyclette aux roues enflammées. La chevelure abondante, prise au vent, ressemblait à un plumage d’oiseau. Le plumage d’oiseau qui vole à contresens. Le rouge et l’orange dominaient. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 30) ; « J’ai regretté quelquefois de l’avoir écouté. J’ai même pensé qu’il avait pu être l’instrument du diable. Je sais maintenant qu’il a été comme un ange, un messager. Un ange que j’aurais, peut-être, dû laisser passer, avec qui je n’aurais pas dû combattre et dont je n’aurais gardé que le souvenir du passage… Oui, j’aurais peut-être dû le laisser filer, l’enfant-oiseau à la bicyclette enflammée ! » (Adrien à propos de Malcolm, idem, p. 49) ; « Plus beau que jamais, il ressemblait à un ange… à mon ange. » (Ednar, le héros homosexuel du roman autobiographie Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste) ; « [Jonathan Brockett, le personnage homo] Brockett était intelligent, il était d’une intelligence diabolique. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 307). « C’est pourquoi Brockett écrivait de si belles pièces, des pièces si cruelles ; il alimentait son génie de chair vive et de sang ! Génie carnivore ! » (idem, p. 308) ; « un homme absolument vicieux et cynique, un homme dangereux aussi parce qu’il était brillant » (idem, p. 351) ; « Derrière la porte, souriait de toutes sa nacre un garçon enjôleur que n’importe qui d’un peu novice aurait immanquablement trouvé joli. Laurent resta pétrifié sur le seuil de la porte. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) ; « Un ange éploré était accroupi à la base d’une grande croix, les bras levés vers le ciel dans une posture suppliante. Ses ailes étaient aussi longues que son corps, son visage beau et torturé, évoquant un Jésus féminin. Le sculpteur avait fait du bon travail ; une impression de lumière se dégageait des plis de pierre de sa robe, laquelle épousait ses formes athlétiques mais manifestement féminines. Jane s’aperçut que son regard s’attardait sur les fesses de l’ange. Elle rit et murmura : ‘ Du porno de cimetière. ’. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; etc.

 

Par exemple, dans son roman La Dame à la Louve (1904), Renée Vivien évoque la séduction mortifère de l’amante lesbienne : « C’était un être bizarre. Lorsque je m’approchai d’elle pour la première fois, une grande bête dormait dans les plis traînants de sa jupe. » (p. 19) Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny n’arrête pas de s’entendre dire de son amant Romeo qu’il est « étrange ». C’est bien par le biais de la beauté que le diable se rend acceptable : « Elle est canon, toi tu lui donnais le bon Dieu sans confession. » (cf. la chanson « JBG » d’Alizée) On retrouve cette fausse innocence du diable dans la chanson de Dalida plébiscitée par la communauté gay, « Il venait d’avoir 18 ans » : « Il m’a dit ‘c’était pas si mal’ avec la candeur infernale de sa jeunesse. » Dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, Pietrino considère son amant Fefe (qui va le détruire) comme « un ange merveilleux ». Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, Claude tombe sous le charme d’un adolescent candide et diabolique. Dans sa chanson « Vie de couple avec un chien », Jann Halexander parle d’un mystérieux inconnu à l’air ingénu. Dans son roman En l’absence des hommes (2001), Vincent a tout de Lucifer, le roi de la lumière (il s’appelle d’ailleurs « Vincent de L’Étoile ») : il est jeune, blond, et il tente Proust (« Je vous écoute dire cela : vous êtes un ange, parler de mon angélisme. », p. 54). Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf décrit Pierre, son amant qui vient de le larguer, à un ange de lumière à qui il s’adresse encore nostalgiquement comme un ange solaire : « Et toi, t’étais assis dans ce rayon toute la journée. Je me souviendrai longtemps de ce rayon. » Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, le héros gay Jason est l’archétype du diable magnifique qui conduit à la mort : « Jason venait de faire son apparition. Il se tenait debout sur le rocher au-dessus d’eux, les mains sur les hanches, la jambe gauche s’avançant légèrement dans le vide. Il était doré comme un croissant. Ses boucles blondes flottaient dans la brise légère. Corinne, assise à ses pieds, l’observait, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange’, songeait Corinne. » (p. 83) Plus loin, le roman se poursuit avec la description du couple Jason/Mourad, où Mourad, tué symboliquement/oniriquement par son amant, prend le masque satanique à son tour : « Jason avait d’abord rêvé de Mourad, debout dans un paysage enneigé. De ses lèvres coulaient avec abondance un sang très rouge, et de ses yeux des larmes se mêlaient au ruisseau rubis. Jason voulait s’approcher de Mourad pour le consoler, mais ce dernier éclatait soudain d’un rire moqueur, puis disparaissait en quelques instants, fondant avec la neige. » (p. 279) Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan dit à son amant Kévin : « Tu es beau, calme, irrésistible, mais pas de doute : envahissant. » (p. 210) Il le décrit comme un ange torturant (p. 144) : « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (p. 317) ; « Je t’ai vu descendre du ciel, un matin d’hiver. Je t’ai vu seul, sombre et silencieux. » (p. 453) Dans son roman Par d’autres chemins (2009), Hugues Pouyé décrit toute l’ambiguïté du bel amant homosexuel Malcolm, qui subjugue le héros Adrien, et qui lui semble pourtant diabolique : « J’ai regretté quelquefois de l’avoir écouté. J’ai même pensé qu’il avait pu être l’instrument du diable. Je sais maintenant qu’il a été comme un ange, un messager. Un ange que j’aurais, peut-être, dû laisser passer, avec qui je n’aurais pas dû combattre et dont je n’aurais gardé que le souvenir du passage… Oui, j’aurais peut-être dû le laisser filer […] ! » (p. 49) Dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, Garbo est précisément la figure du tentateur. Il détourne d’ailleurs un prêtre qui « ne voit pas sous le masque de l’adolescent timide les deux ronds de perversité qui enluminent la gueule d’ange. » (p. 133) Dans son roman Génitrix (1928), le héros de François Mauriac narre le chantage sentimental cruel de l’ange adolescent : « Il fredonnait : ‘Non, tu ne sauras jamais – ô toi qu’aujourd’hui j’implore – si je t’aime ou si je te hais… » (p. 25) Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian, le bel homme, est décrit par le couple homo Ben/George qu’il a aidé à trouver un nouveau logement, comme « l’étranger », « l’Ange » bienfaiteur. Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, lorsqu’Yvette tombe sur Paulo, elle s’exclame : « Tiens ? Qui va là ! La Tentation en personne ! »

 

Étant donné que le diable est un ange, il est normal qu’il n’ait pas de sexe, ou qu’il offre le visage de l’androgyne bisexuel, mi-homme mi-femme : « Quel est cet homme-femme ? L’absurde Charnel, ‘plus-que-Charnel’ ? Qui était cet homme que tu as aimé jusqu’aux larmes. […] La Divine est ici. Elle est entrée. Elle sourit. Elle est assise à côté de moi. » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Et puis j’ai senti que je n’étais pas seul. Un être se tenait là. […] Puis j’ai entendu sa voix. Grave. Forte. Virile. Et pourtant une voix de femme. Elle m’appelait par mon prénom. Nous avons longuement discuté. Je lui ai promis de garder le silence sur tout ce qu’elle m’apprenait. […] Cela fait longtemps que je discute avec Dieu, il n’y a rien là de surprenant. Seulement c’est la première fois qu’il m’apparaît sous la forme d’une femme. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, pp. 60-63) ; « J’ai pris l’habitude de ses visites nocturnes. […] Une étreinte ferme et invisible qui se voulait rassurante. » (idem, p. 97) ; « J’irai au bout de la mission qu’il m’a confiée. […] La tentation est toujours plus forte. » (idem, p. 98) ; « Qui peut croire par exemple que des esprits peuvent communiquer avec nous ? Que des démons peuvent entrer dans notre chair ? Moi, j’y crois. » (idem, p. 99) ; « Michael est le charme… désincarné. » (Harold, le héros homosexuel parlant de son colocataire gay, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin raconte à son psy sa première rencontre homosexuelle avec son amant Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, alors que le tableau est idyllique : « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Gosling… avec le corps d’Élie Sémoun. » De son côté, Arnaud donne une autre version des faits au psychanalyste, en partant sur le quiproquo incestueux que le thérapeute lui parlait de sa première cuite : « Ma première fois, c’était avec mon oncle dans sa cave. ». « Je comprends le traumatisme… » interrompt le psy. Arnaud poursuit : « J’avais 12 ans. J’étais consentant. […] C’était un Cabernet d’Anjou. Ma première cuite. » Réalisant qu’il y a eu malentendu, il se reprend : « Je sortais du cinéma. Il faisait 40° C. Ça puait la pisse. Je passe par Paris-Plage. Et là, avec le soleil qui m’aveugle, je me prends Ben en pleine gueule. Mais bon, moi j’ai le mal de mer, alors je lui en veux pas. »
 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, le futur amant de Jonas, fait irruption en retard dans l’amphi le jour de la rentrée des classes au collège, en gênant la prof qui parle et en dirigeant un clin d’œil à Jonas qui le met dans l’embarras. Il s’assoit en cours à côté de ce dernier, en jartant Caroline qui pourtant était là avant lui. Le papa de Jonas met en garde son fils contre Nathan : « Fais gaffe, Jonas. ». Mais ce dernier ne suivra pas son conseil et sort avec Nathan. Quand Nathan fait croire à Jonas qu’il a été abusé par un prêtre à l’école primaire, non seulement il lui ment mais il le menace de l’égorger si jamais il trahit son « secret » (on découvrira que la balafre que Nathan porte sur sa joue ne vient pas d’un coup de calice donné par le prêtre, mais d’un lynchage collectif qu’il a subi aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans dans un parc d’attractions appelé Magic World). Nathan dévergonde le petit garçon sage qu’est Jonas… ce qui le transformera en homme drogué et instable à l’âge adulte. Il se moque de lui parce qu’il n’a pas d’amis au collège : « Pourquoi t’as pas d’amis ? », et le force à avouer qu’il était amoureux de son unique ancien ami, Nicolas, qu’il a perdu. De plus, pour embrasser Jonas, il le fait fumer dans la salle de sport du collège (ce qui deviendra une dépendance pour Jonas à l’âge adulte). Pour se venger d’un camarade de classe homophobe qui lui taxe toujours des clopes, Nathan empoisonne celles-ci afin de le rendre malade… et ça marche. De plus, Nathan ment à Jonas, l’humilie, le manipule, au point que ce dernier a peur et le croit fou : « T’es dingue. ». À l’âge adulte, Jonas finit, par contamination, par devenir aussi mauvais que son amant d’adolescence qu’il n’a plus jamais revu. Pourtant très sage et introverti à l’adolescence, il est devenu un vrai junkie : il est amené au poste de police pour avoir déclenché une baston dans un club gay, The Boys. Il pénètre dans un hôtel de luxe, L’Arthémis, et le standardiste, Léonard, le prend pour un faux doux, un criminel armé, et préfère lui fouiller son sac : « Je sais pas. Je vérifie que t’aies pas d’arme, de couteau. J’en sais rien. Si je reviens et que tout le monde est mort, et que t’as buté tout le monde, on fait comment ? » Jonas enfreint toutes les règles et fume dans sa chambre d’hôtel. Les deux amants, Nathan et Jonas, sont finalement devenus des bad boys au contact l’un de l’autre. Des petits diables.
 

Dans la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès, le Rouquin apporte une vérité satanique, c’est-à-dire une vérité fondée non plus sur la Vérité en elle-même (en tant que priorité victorieuse sur le mal) mais sur la dénonciation des petits défauts et des faux-semblants des autres. Par purisme perfectionniste de la Vérité, il en arrive paradoxalement à détruire ce qui est juste. Son regard sur les êtres humains est dénué d’émerveillement et d’espérance. Sa « vérité » n’est pas aimante. Elle est pure opposition au Bien, jugé naïf et trop soumis. Il s’agit d’une vérité cynique qui consiste simplement à mettre son essentiel à prouver le mensonge. C’est en quelque sorte une « vérité par défaut ». L’inconnu du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, lui aussi, est présenté comme ce messager de la Mauvaise Nouvelle : il se contente de révéler aux autres leur bonheur illusoire, et la vanité de leur existence.

 

DIABLE Main marionnette

 

L’amant homosexuel diabolique est parfois un marionnettiste qui donne l’impression au manipulé d’être marionnettiste de son marionnettiste : « Il me traitait à la fois comme sa marionnette et son propre marionnettiste. » (Fermín dans la nouvelle « Primavera » de Claudia Schvartz, incluse dans le recueil Historia De Un Deseo (2000) de Leopoldo Brizuela, p. 278) ; « Petra et elle s’étaient écartées l’une de l’autre et se tenaient à présent face à face sur le canapé, comme si elles s’apprêtaient à entamer un match de boxe ou un jeu de ficelle. » (Jane, l’héroïne lesbienne en couple avec Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 54) ; « Je me demande s’il n’y a pas quelqu’un qui prend possession de moi. » (Delphine en parlant de son amante Elle, dans le film « D’après une histoire vraie » (2017) de Roman Polanski) ; « J’ai l’impression que tu t’es infiltré dans mon esprit. Je suis habité, envahi, possédé, obsédé par toi. » (William s’adressant à son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Nous sommes des dieux, Scrotes, et ces deux jeunes hommes sont nos jouets. » (Anthony s’adressant à son amant, par rapport au jeune couple homo naissant Jim/Doyler, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Il me tire à lui, je te dis, et je ne peux pas rompre l’emprise qu’il a sur moi. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant du jeune David qui l’attire, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 175) ; « Sur l’oreiller du mal, c’est Satan Trismégiste, qui berce longuement notre esprit enchanté. Et le triste métal de notre volonté est tout vaporisé par ce savant chimiste. C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc. La même chose se produit dans la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac (précédemment citée), dans le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, dans le spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, etc. Dans le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron, Philippe se sent manipuler et incompris par Claude : « Tu aimes en moi ce que je n’aime pas. » Dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, un jeu de séduction malsain s’établit entre la jeune Isabelle et la vénéneuse Serena Merle qui téléguide la vie de la première à sa place. Quand Isabelle s’en rend compte, parce qu’en réalité elle a gâché sa vie en se mariant à un homme (Osmond) vers lequel Serena l’a poussée, elle se tourne vers Serena en l’identifiant comme un démon manipulateur : « Mais qui êtes-vous ? Qu’avez-vous à voir avec moi ? » ; Serena lui répond : « Tout ». Plus tard, Serena avouera à Osmond, le mari d’Isabelle : « J’étais la proie du mal. » Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Cécile a passé son temps à décrire sa copine Chloé comme un pantin. Et, surprise, à la fin de l’histoire, c’est elle qui se fige en objet : « Je suis pétrifiée, à mon tour je suis devenue statue. » (p. 157) La poupée et le diable fusionnent souvent ensemble : « Jean-Jacques n’était pas un chef. Il n’était qu’un pantin dans tes mains perverties. » (Jean-Paul s’adressant à Jean-Marc, le héros homo infiltré, en lui parlant de son amant, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Khalid était à moi. Il s’enfonçait dans ma bouche. Je continuais de voyager dans la sienne. Des voies. Des ruelles. De l’obscurité. Des lumières, rares. J’étais devenu un sorcier : le fils de Bouhaydoura. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 141) ; etc. Le héros devient cet amant diabolique par atavisme. « S’il se souvient de moi et qu’il se retourne vers moi, pour moi, je le sauverai, je redeviendrai un ange, juste un petit diable, le petit pauvre. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, idem, p. 169) À la fin du roman Les Illusions perdues (1837-1843) d’Honoré de Balzac, Lucien comprend qu’il ne contrôle plus son propre destin. Il écrit à propos de Carlos Herrera, son amant homosexuel : « Au lieu de me suicider, j’ai vendu ma vie. Je ne suis plus maître de moi-même. Je ne suis que le secrétaire d’un diplomate espagnol. Je suis sa créature. » (Gregory Woods, Historia De La Literatura Gay (1998), p. 673) Dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1947) d’André Gide, le héros n’est pas lâché par le diable : « La famille respectait sa solitude ; le démon pas. » (p. 11) Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, que ce soit le psy (le Dr Apsey) ou le petit copain (Jonathan), ils sont tout deux les petites « voix » (diaboliques) de la conscience de Frank, le héros homosexuel : ils le manipulent à distance, comme s’il était leur marionnette. C’est pour ça que Frank dit de son amant Jonathan qu’« il le force à faire des choses qu’il ne veut pas faire. » Jonathan confirme : « Oui, je te manipule. » Le psy fait de même, et fait dire à Frank ce qu’il veut quand celui-ci pense être tout seul avec son copain Jonathan. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros homosexuel, force tous ses amis gays, par jeu, à téléphoner à leur premier grand « amour » homo pour leur montrer la vanité de celui-ci. Cela les plonge dans la nostalgie minante de l’arroseur arrosé : « Pourquoi j’ai appelé ? Pourquoi j’ai fait ça ? Je n’aurais pas dû ! » se lamente par exemple Bernard après avoir joint par téléphone son amant disparu, Peter. Quand Bernard dit qu’il a perdu « sa dignité » suite à ce coup de fil raté, Michael affiche un rire sardonique. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adrian, le jeune délinquant homosexuel, a identifié l’homosexualité du père Adam, et joue au chat et à la souris avec lui au point de l’outer. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, Engel (l’ange blond) est le tentateur de Marc, l’homme marié et futur père : ce dernier lui reproche d’avoir « bousillé sa vie » en lui ayant fait découvrir les plaisirs homosexuels. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Juna étouffe ses amies (Suki et Kanojo) à distance, pendant un combat de magie qu’elle finit par perdre avec Kanojo qui lui adressera un dernier éloge mortuaire : « Mon amour, mon ange noir, pardonne-moi. »

 

En général, le héros homosexuel est pris de court (ou fait comme si il l’était, en jouant la vierge effarouchée) : « Tout ceci est déroutant. Toi ici ?… » (André par rapport à Laurent, qui revient à lui après l’avoir lâché et rompu une relation de 10 ans, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là. » (Didier en parlant de Bernard ans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Es-tu un frère ? Es-tu un rêve ? À des milliers d’âmes anonymes. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Je suis vraiment gêné de faire irruption comme ça. » (Alan qui vient menacer le couple Larry/Hank, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

Parfois, le personnage homosexuel se sent habité par une force diabolique qui le rend semblable à elle : cf. le film « Stranger Inside » (2001) de Cheryl Dunye, le vidéo-clip de la chanson « Montero » de Lil Nax. « Elle est rentrée en moi. J’ai cru que j’allais exploser. » (Irène après sa première relation lesbienne, dans la pièce Ma première fois (2012) de Ken Davenport) ; « Le jeudi, j’ai fait quelque chose de mal. […] J’ai senti la culpabilité me brûler le visage tandis que je demandais la chose en question, et dans ma tête une petite voix disait : ‘Celle-là, elle n’est pas pour toi. […] Tu essaies de voler ce que tu ne désires même pas. Parce que tu t’y connais, en désir ? Ça, au moins, c’est notre domaine, pas le tien. Et pourquoi tu parles de voler ? Je l’ai trouvée la première. » (Ronit, l’héroïne lesbienne qui entend une voix maléfique avec qui elle dialogue, au moment où elle prétend voler le cœur d’Esti, la femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 223-224) ; etc.

 

« Face à cette fille sans coquetterie, je me voyais dans la peau d’un diable venu pour la tenter. […] Sachant qu’elle allait partir, avec une énergie et une détermination qui m’étonnèrent moi-même, je me précipitai pour lui prendre un baiser. Elle n’en fut pas surprise et se laissa faire, mais sans participer en rien. Aussi furtif que fût ce baiser, je compris qu’elle n’avait jamais embrassé personne avant moi. J’en ressentis instantanément comme une sorte de tristesse et j’eus le sentiment qu’il émanait d’elle une pureté à jamais inaccessible. » (Alexandra, la narratrice lesbienne cherchant à draguer une jeune religieuse dans un train, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 223-224)

 
 

b) Le regard diabolique est échangé entre les amants homosexuels :

On retrouve le motif du regard diabolique dans différentes œuvres homo-érotiques : le film « L’Œil du diable » (1960) d’Ingmar Bergman, le roman Dans œil de l’ange (1998) d’Andrea H. Japp, la chanson « Les Yeux androgynes » de Jeanne Mas, les chansons « Je te rends ton amour » et « Beyond My Control » de Mylène Farmer, le roman Les Yeux silencieux (2003) de Michel Giliberti, la chanson « Les Yeux d’un ange » de Pascal Sevran, etc. Le regard du viol imposé par l’amant homosexuel diabolique est frénétique, triste, noir, angoissé, mécanique, sans tendresse, cannibale. On le voit particulièrement dans des films tels qu’« Une Vue imprenable » (1993) d’Amal Bedjaoui et « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera ; ou bien dans des chansons comme « Black Eyed » du groupe Placebo, « Les Yeux noirs » du groupe Indochine, et « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer (où il est fait référence au regard noir), le film « L’homme blessé » de Patrice Chéreau (avec les regards fiévreux et inquiets dans la gare), le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro (avec Gabriel, l’intrus au visage d’ange, « vu » par son futur amant Léo, le protagoniste aveugle), la chanson « Les beaux yeux des garçons » du Beau Claude, etc.

 

Les yeux du violeur ne sont pas forcément désagréables d’ailleurs : ils peuvent être, comme le décrit Marcel Jouhandeau dans Carnets de Don Juan (1957), « plus graves qu’une nuit d’amour » : « Non, je n’ai jamais été violé et abandonné comme par ce regard en une seconde et en pleine rue, subtil, sagace, sûr de son harpon et sans remords… Cet homme… s’est retourné tout d’un coup et, me dévoilant son visage d’Archange, m’adressa face à face ce message d’une langueur, d’une ferveur et à la fin d’une férocité qui n’avaient plus rien d’humain… » (p. 96)

 

« Tout passe par les yeux. » (cf. une réplique de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Son visage était fin, la peau, foncée sans être noire, était belle mais ce fut surtout la couleur et la forme des yeux qui le frappèrent. Ils étaient noisette, presque verts, légèrement dessinés en amande. Le regard le rassura. » (Adrien parlant de son amant Malcom, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 27) ; « Je découvris la douceur des regards complices de ces androgynes que sont parfois les adolescents. » (le narrateur homosexuel parlant de ses années collège, dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 18-19) ; « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 317) ; « Pour tes regards éperdus, ton regard d’amour désespéré, mon sperme s’est répandu. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Il jouit en moi comme il s’en retire, sans un bruit, sans un regard pour moi, sans un mot ou un geste. Je le regarde partir se laver dans la salle de bain dans une odeur de merde chauffée, le cul endolori, la bite encore dure, avec un sentiment violent de frustration. Il revient, s’installe pour dormir, me repousse quand je veux me coller à lui en m’expliquant Ah non, ça m’empêche de dormir, d’avoir quelqu’un collé à moi.’ » (Mike, le narrateur homo parlant à son amant Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 98) ; « C’est l’œil de judas qui cligne, le nouveau péché original. » (le narrateur queer parlant de la sodomie, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « On raconte que quand les ‘Boludos’ vous regardent dans les yeux vous restez figé dans la même position pour l’éternité. On a trouvé sur leur chemin d’innombrables statues en lave représentant des êtres humains et des animaux à l’expression effrayée. » (Copi, « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » (1983), p. 58) ; « Tu n’arrives pas à partir. Comme pour un accident. On ne peut regarder ni détourner le regard. » (Michael, le héros homo parlant de l’attraction homosexuelle, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Il a touché mon visage, et ses yeux sont devenus plus sombres. » (Arthur, le personnage homo, parlant d’un de ses premiers amants anonymes, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, les deux héroïnes, Emma et Adèle, ont un drôle de premier contact : c’est l’échange inquiet des regards impérieux sur un passage clouté qui révèlera à Adèle son attrait pour les filles. Dans le film « Petit cœur » (2012) d’Uriel Jaouen Zrehen, le temps d’un regard dans le métro, une fille est troublée par une autre fille. Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel identifie ses pairs homosexuels à leurs « regards insistants », à « cette façon languide de se tenir » (p. 28). Quand ils se trouvent à l’opéra, il joue au Grand Seigneur lorgnant de manière méthodique sur ses proies sexuelles (qui instaurent le même jeu de regards que lui !) : « Il y avait des jeunes gens comme moi, amoureux fous de l’opéra, conscients ou non de leur différence, qui scrutaient chaque nouveau visage, beau ou laid, se présentant aux doubles portes d’entrée, à la recherche d’un signe de reconnaissance, d’un regard un tant soit peu insistant, peut-être même d’un sourire. Je tombais moi-même amoureux aux trente secondes, convaincu que tel ou tel spectateur regardait dans ma direction, plantait son regard dans le mien, hésitait à m’aborder. » (idem, p. 43) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (idem, p. 44) ; etc. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Les regards entre Lukacz et Adam sont le détonateur de l’ambiguïté homo-érotique, et comme par hasard, ils sont échangés au milieu des flammes d’un feu de camp.

 

Le diable homosexuel, en général, ne parle pas. Son unique moyen de communication est le regard (Comme en boîte de nuit gay ou dans le contexte furtif du voyage en métro) : « Déjà ce soir-là Méphisto incognito guettait sa victime en rasant les murs. Dans les vitrines se croisent leurs regards, miroirs qui se font signe, sans parole et sans signature. » (cf. la chanson « Les Trottoirs de Los Angeles » de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Il a changé votre vie. Son regard pénétrant vous hantera jusqu’à la fin de vos jours. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 246) ; « Il me dévisagea de ses grands yeux bleus comme le ciel et impitoyables. » (Garnet Montrose décrivant Daventry, dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 43) ; « Il avait un drôle de truc dans l’œil. » (Henry parlant de Michel, le tueur homosexuel homophobe de l’île, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Diego fut fasciné, sans pouvoir détourner le regard de ce demi-dieu qui l’observait et se laisser observer. Ils n’échangèrent pas un mot : l’autre le prit par le bras, le retourna contre le mur et le posséda. ‘Je suis rentré au dortoir ma bougie éteinte, mais éclairé de l’intérieur, et avec le pressentiment d’avoir soudain compris le monde’, dit-il. » (Senel Paz, Fresa Y Chocolate (1991), p. 22) ; etc. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, le héros homosexuel efféminé, parle de son premier amour, Delbert, un amour impossible, non-réciproque, qui le torture autant qu’il le ravit : « Je l’ai aimé dès que mes yeux se sont posés sur lui. J’étais au collège et lui au lycée. »

 
 

c) Le personnage homosexuel faustique vend son âme au diable en l’échange de l’immortalité :

DIABLE Claudine Candat Diabolo Pacte

 

Beaucoup d’auteurs homos réactivent le mythe de Faust, ce personnage qui a signé un pacte avec le diable pour devenir l’égal de Dieu, c’est-à-dire l’Amour-même : je pense en particulier au ballet Notre Faust (1976) de Maurice Béjart, au film « La Comtesse aux Pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, au roman Docteur Faust (1983) de Thomas Mann, au roman Faust (1990) de Fernando Pessoa, au roman Docteur Faustroll (1898) d’Alfred Jarry, à la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès (avec l’amant diabolique insistant), à la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, au roman Le Portrait de Dorian Gray (1891) d’Oscar Wilde, au roman Faust (1594) de Christopher Marlowe, au personnage de Fausto dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, au film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, au film « Morgane et ses nymphes » (1970) de Bruno Gantillon, au film « Ma Vie est un enfer » (1991) de Josiane Balasko, au roman L’Autre Faust (2001) de Didier Godard, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Don Juan et Faust » (1922) de Marcel L’Herbier, le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, etc.

 

« Faust est un emblème, l’expression d’une donnée agissante. » (un des héros de la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo) ; « Ne commence pas à vendre des bouts de toi-même à des gens comme Shane. » (Zach s’adressant au jeune Danny, avec qui il a couché et qui maintenant se laisse entretenir par Shane, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « On lui a volé son âme ! » (Fifi et Mimi s’adressant à Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur  (1986) de Copi) ; « De Gounod, je ne connaissais que l’inévitable Faust pour lequel j’avais eu une passion pendant toute mon adolescence. » (le narrateur homosexuel du roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 27) ; « Dès les premiers mots, j’ai su que ce que nous venions de vivre intensément ensemble, cet échange, cette fusion, cette transformation, ce pacte, cette forêt noire. » (Omar parlant de lui et de son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 165) ; etc.

 

D’ailleurs, le titre du roman El Lugar Sin Límites (1966) de José Donoso est un clin d’œil au Docteur Faust de Christopher Marlowe où Méphistophélès déclare que l’enfer n’a pas de frontières. Dans la pièce de Lorca La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935), Doña Rosita est prise de souhaits faustiques : « Ah… Si je pouvais vendre mon âme au diable… » Dans les œuvres homo-érotiques, le dialogue amoureux homosexuel prend très régulièrement la forme d’un échange commercial diabolique : « As-tu vendu ton âme au diable, Jimmy Dean ? » (cf. la chanson « Les Trottoirs de Los Angeles » dans la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « J’ai pas eu de jeunesse. Ma jeunesse, je l’ai vendue. » (Jacques Nolot dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) Le héros homo de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier parle de son sentiment d’avoir été leurré par le diable : « Les papous ne s’embrassent jamais, ils ont peur qu’on leur vole leur âme… Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » Dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le Baron homosexuel donne du poison à Elliot, pour mieux le posséder. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Benji s’adresse avec impuissance à son amant Maxence qui lui a fait perdre son innocence et sa virginité : « Mon cœur, tu l’as volé, et sans détour. » Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian Gray, par sa beauté et ses yeux captivants, inspire la « terreur » à Lord Henry ainsi qu’à Basile, le peintre qui le portraiture : « J’avais l’impression d’avoir donné mon âme à un être qui met une fleur à sa boutonnière. » (Basile) Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Négoce est le héros homosexuel entremetteur, un mafieux crapuleux, un chasseur de têtes engagé par des « couples de pères homos » pour arranger des mariages homos entre des jeunes hommes célibataires : « Merci. Vous savez mon fond de commerce… »

 
 

d) Le personnage homosexuel donne sa langue au chat diabolique :

N.B.: Je vous renvoie également aux codes « Douceur-poignard », « Première fois » et à la partie « Tendresse » du code « Drogues » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Il n’est pas rare de voir que l’amant homosexuel est comparé à un chat. C’est le cas dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol : « Où est le chat ? C’est lui la solution. » (p. 107) Entre la voix narrative et ce « félin cajoleur » (idem, p. 204), c’est l’histoire d’une possession : « Vous êtes tout à lui. Il a gagné. » (idem, p. 234). D’ailleurs Quentin, l’amant homosexuel de l’histoire, a un « sourire félin » (idem, p. 247). Dans le film « Giallo Samba » (2003) de Cecilia Pagliarani, Monica la lesbienne discute avec son meilleur ami, Joaquim, qu’elle compare à un « chat ». Dans le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, Mathieu, le héros homosexuel, dit à son chat qu’il « est son p’tit Prince charmant maintenant ». Dans le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker, le diable a un chat prénommé « Chacha ».

 

Film "Jennifer's Body" de Karyn Kusama

Film « Jennifer’s Body » de Karyn Kusama


 

Il est absolument fascinant de découvrir le nombre de fois dans les œuvres homosexuelles où l’expression « donner sa langue au chat » est employée, au moment précisément du premier baiser du personnage homosexuel à son amant, qui apparaît avec un masque félin : c’est par exemple le cas dans le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le film « Embrasser les tigres » (2004) de Teddi Lussi Modeste, la chanson « La Langue des anges » de Catherine Lara dans l’opéra-rock Sand et les romantiques, dans la B.D. Journal (1) de Fabrice Neaud, la chanson « Ma langue au chat » d’Élodie Frégé, etc. Dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, Isabelle, la femme violée, dit à Texor Texel qu’elle « donne sa langue au chat. » Dans la pièce L’Opération du Saint-Esprit (2007) de Michel Heim, la Vierge Marie, en parlant du diable, dit que « c’est une méchante langue ! » Dans la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, Jacques parle de « donner sa langue à la chatte ». Donner sa langue au chat est une pratique fictionnelle homosexuelle assez courante : « Il m’a fallu l’impasse, donner ma langue au chat pour contrer l’existence. » (cf. la chanson « Méfie-toi » de Mylène Farmer) ; « Fais attention ou j’t’arrache la langue avec ma chatte ! » (Vaginette à Diego, dans le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Entre moi, entre toi, ta langue de fer ou langue de chat. » (cf. la chanson « La Chevauchée des champs de blés » du groupe Indochine) ; « C’est pas d’ma faute, et quand je donne ma langue au chat, je vois les autres tout prêts à se jeter sur moi. » (cf. la chanson « Moi… Lolita » d’Alizée) ; « Je titille à présent son sexe, à demi dressé, de coups de langue lents et mesurés, à la manière d’un félin. » (Éric dans Albert Russo, L’Amant de mon père (2000), p. 36) ; « Sven se mit à lécher la hampe, par petites touches, comme un jeune chat qui découvre une nouvelle friandise. » (idem, p. 98) ; « J’ignorais qu’un chat pouvait sourire. » (le père d’Alice dans le film « Alice In Wonderland », « Alice au pays des merveilles » (2010) de Tim Burton) ; etc.

 

Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le dialogue entre Manuela, la sœur d’Héloïse, et Suzanne, l’amante d’Héloïse, est plutôt signifiant : Suzanne, parlant des aventures amoureuses lesbiennes d’Héloïse, déclare : « Je me suis dit que cette pauvre Héloïse […] allait y passer. Que son sort allait être réglé en deux coups de dents, et que… » Manuela l’interrompt brusquement : « Tu as de ces expressions ! » Suzanne poursuit : « Pardon. En deux coups de langue… » À nouveau, Manuela, offusqué s’interpose : « Manuela ! » Suzanne surenchérit malicieusement : « Ben quoi ! Un chat est un chat. » (p. 249) CQFD.

 

« Un jour l’amour décline, tous nos mots se mêlent, Ange. Ta douce langue se fourche. […] Ce qui était à toi, il faut que je le vende. » (cf. la chanson « Ange » du Beau Claude) ; « Le pire membre chez l’homme, c’est la langue. » (Vincent Nadal dans sa performance Des Lear, 2009) ; « Il consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… […] Je referme la porte et tout de suite nous portons nos mains sur le visages de l’autre, pour sentir le bandeau, pour être sûr que le contact est respecté. Il sourit, je sens sous mes doigts sa bouche tendue. Moi aussi je souris. On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on s’embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike racontant son aventure avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Ce fut un innocent coup d’œil en arrière qui perdit le fils. L’homme, que le père semblait fuir, lança au fils un baiser aérien, et ce baiser percuta avec une telle violence l’innocence de ses pensées qu’il faillit tomber à la renverse ; mais le fourmillement délicieux que cette collision déclencha le laissa sur sa faim. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 30) ; « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; « Khalid s’est avancé vers moi et il m’a embrassé. Sur la bouche. Avec la langue. Longtemps. Les yeux fermés, j’ai pris sa bouche, ses lèvres en moi. Et, triste, amer, j’ai joué violemment avec sa langue. Il n’a pas protesté. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Que signifiait le baiser qui l’avait tant troublé : défi, ou mépris ? L’homme les avait-il pris, son père et lui, pour des invertis ? » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 31) ; etc.

 

Si la langue de l’amant homosexuel n’est pas toujours celle du chat, en tout cas elle est souvent dangereuse ou diabolique, associé au baiser traître de Judas : cf. le roman Baiser de sang (2008) de Tony Mark, le film « Kiss Me God Damn It ! » (2006) de Stian Kristiansen, etc. Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny Reyes a réalisé un film intitulé « Judas Kiss », littéralement le baiser de Judas.  Dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, la langue de l’amant homosexuel est comparée à celle du serpent (p. 65). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Paul embrasse son amant Erik pour lui donner une bouffée de drogue.

 

« Le pire membre chez l’homme, c’est la langue. » (Vincent Nadal dans sa performance Des Lear, 2009) ; « Il consent à une rencontre, chez moi, mais il ajoute ‘Les yeux bandés. Tu ne dois jamais voir ma laideur repoussante.’ J’accepte. Les jours qui précèdent la rencontre, je les passe dans un état de surexcitation incroyable. Le jour prévu, à l’heure prévue, il frappe trois coups contre la porte, notre code secret. Je place mon bandeau, et j’ouvre en me demandant si je n’ouvre pas ma porte à un voleur, un tueur de sang froid ou un violeur. Peut-être que j’en aurais envie… […] Je referme la porte et tout de suite nous portons nos mains sur le visages de l’autre, pour sentir le bandeau, pour être sûr que le contact est respecté. Il sourit, je sens sous mes doigts sa bouche tendue. Moi aussi je souris. On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on s’embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike racontant son aventure avec un certain Vianney, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Ce fut un innocent coup d’œil en arrière qui perdit le fils. L’homme, que le père semblait fuir, lança au fils un baiser aérien, et ce baiser percuta avec une telle violence l’innocence de ses pensées qu’il faillit tomber à la renverse ; mais le fourmillement délicieux que cette collision déclencha le laissa sur sa faim. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 30) ; « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; etc.

 

Cette langue du diable peut être la représentation de l’emprise invisible exercée par un chanteur ou une chanteuse : « Il montre du doigt la langue de Janis Joplin qui sort de sa bouche comme un sabre ensanglanté. » (cf. une réplique de la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper)

 

Symboliquement, le fait de donner sa langue au chat démontre qu’un pacte du silence et du déni du mal est instauré entre les deux amoureux homosexuels. Ils s’utilisent l’un l’autre en se jurant de prouver à la face de la Terre que ce qu’ils vivent est de l’amour… même si, concrètement, ça n’en sera pas. C’est la raison pour laquelle le diable homosexuel des fictions prend la forme de l’action des sorcières de William Shakespeare dans la pièce Macbeth (1623), c’est-à-dire d’« un faire qui n’a pas de nom » (Acte IV, scène 1, p. 163). Le contrat est conclu à l’encre sympathique : « La signature finale est illisible. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 101) ; « J’ai fait des études de lettres. De lettres anonymes, bien sûr. » (Michel dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) Dans sa chanson « Les Passagers », Étienne Daho nous parle bien du « passager de plus qui n’a pas de nom, pas de prénom, anonyme » et qui s’immisce discrètement dans le couple homosexuel. « C’est le chat de gouttière le plus anonyme du monde. », rajoute Jean-Pierre Belone, l’homosexuel du film « Le Placard » (2001) de Francis Veber. Dans le roman de Julien Green Si j’étais vous (1947), Fabien rencontre précisément incognito l’énigmatique et diabolique Brittomart, « l’inconnu aux yeux noirs » : « La rencontre était anonyme. » (p. 23) ; leur pacte identitaire est scellé sans contrat visible : « Cette parole que vous venez de prononcer nous tiendra lieu de tous les parchemins traditionnels signés de notre sang, voulez-vous ? De telles billevesées ne sont plus de notre temps, pas plus que ce mot de diable qui vous a échappé, tout à l’heure et que vous bannirez de votre vocabulaire. » (Brittomart à Fabien, idem, p. 75)

 

Le diable peut distraire de tout, y compris de lui-même (n’oublions pas qu’il se déteste et qu’il ne veut surtout pas entendre parler de lui !). Certains personnages homosexuels, en lui donnant leur langue, souffrent d’amnésie et ne peuvent plus parler (cf. le dessin du monstre félin dans le journal intime d’Hervé dans le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni). « Toi et moi, on ne s’est jamais rencontrés, ok ? On ne se connaît pas. » (Zach parlant à Danny, suite à la nuit de sexe qu’ils ont vécue ensemble sans même prendre le temps de se connaître, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « On n’a même pas eu le temps de se présenter… » dira Dany (idem) Leur voix intérieure leur impose cette maxime : « Dis que tu viens d’un monde effacé… monde de songe… » (Manuel Puig, El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976), p. 219) ; « Je ne me souviens plus de son prénom. Même son visage est flou » (Vincent s’adressant à son ex-compagnon Stéphane, qu’il a trompé en n’assumant pas du tout son acte d’infidélité, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Je suis le plus redoutable et le plus doux des dieux. […]Je suis peut-être pire que les autres dieux. […] Je ne m’attaque qu’à ceux qui doute de ma nature divine. » (Bacchus dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; etc. Les mots du contrat diabolique tiennent en une consigne toute simple que Pascal Bruckner rappelle dans La Tentation de l’innocence (1995) : « Tu adopteras mes méthodes tout en me reniant. » On la retrouve édictée dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell : « Deny me and be doomed. » (« Renie-moi et sois maudit. ») Elle apparaît aussi dans la bouche de Tirésias, le pédiatre du film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, conseillant, par un pacte, à la mère de Narcisse de noyer l’identité de son fils : « Il aura une vie longue et heureuse s’il ne se reconnaît pas. »

 

Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca ressent une culpabilité indicible : il fait allusion à une douleur qui semble physique mais qu’il ne voit pas et qu’il n’identifient pas « Mais de quoi étais-je donc le complice ?? […] Mais de qui étais-je donc complice ? […] Sur mon poitrail, aucune cicatrice. » Dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, a dirigé des fouilles archéologiques à Carthage pour le Musée du Louvre, et a vécu là-bas sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme : « Il était grand, costaud. Je sais même pas s’il était beau. Je ne me souviens même pas de son visage. […] Les détails s’imposent à moi de façon démoniaque. Pourquoi je me sens si coupable ? » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, lorsque Frankie demande à son amant Todd comment s’appelle le dernier « plan cul » de ce dernier (« Il n’a pas de nom ? »), Todd répond cyniquement « probablement que si », parce qu’en fait il n’a pas la réponse.

 

Le diable fait oublier le prénom tout en donnant au personnage qu’il habite l’impression de l’unifier. « Homonymes… Anonymes. » (cf. la chanson « Les Passagers » d’Étienne Daho) Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, Catherine baptise son amante Chloé de « Personne ». Dans sa nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel finit par connaître l’envers du décor amoureux de son bel amant : « Le sourire éthéré dont s’auréola le visage de l’ange me fit soupçonner quelque chose de pas catholique. » (p. 114) ; mais cela ne l’empêche pas de « tirer par la queue le beau diable qui se débat derrière lui » (p. 116) ; et il conclut ainsi : « Mon histoire finit là, car avant de nous ramener dans le monde des vivants, il nous fit signer un pacte promettant le silence sur ce que nous vîmes. » (cf. la dernière phrase, p. 118) Dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, le tentateur explique sa tactique : « J’ai le langage de celui qui ne se fait pas reconnaître. » Et celui qui se laisse tenter se plaint sans se plaindre, comme un parfait amnésique : « Je souffre de ne pas savoir quelle blessure vous me faites. »

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, les personnages homosexuels enchaînent les relations sexuelles sans lendemain, dans la clandestinité et l’anonymat : « On s’est vus aux bains et on a couché ensemble, sans se parler, sans connaître nos prénoms. » (Donald à propos de Larry) « Peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. Je suis tombé sur un gars sympa. Je ne l’ai jamais revu ensuite. […] Ce qui est drôle, c’est que je ne me rappelle pas son nom. […] Après, ce fut plus facile. On s’améliore avec la pratique. » (Hank racontant sa « première fois ») ; etc.

 

Même si le diable viole le héros homosexuel, ce dernier vit comme un envoûtement, un ravissement qui le privent de mots et même de la conscience d’être possédé : « Et Dieu ? Et ses anges ? Et le diable : est-il toujours le diable ? » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 177) ; « Un jet de semence issu de la verge du mari fusa en une parabole lactée au pied de la pauvre épouse, tel un Mercure ailé dont le message était transparent. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 61) ; « Un voyage onirique au cœur de l’inconscient et de ses mécanismes de défense, tel que le déni, ici, celui du viol dont Anne a été victime dès son plus jeune âge. À la recherche d’elle-même, mais aussi de l’autre, lui, qu’elle prend pour ce qu’elle croit être un ange. » (cf. le commentaire du film « Incidences » (2012) d’Andromak, sur la plaquette du 18e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013) ; « On s’est quittés aux aurores sans avoir échangé un mot. Je ne me rappelle plus de sa tête. » (William après son aventure avec un inconnu, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; etc. Par exemple, dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, voit débarquer (au ralenti) le beau Nicholas dans sa salle de classe, et c’est tout de suite le coup de foudre. L’écran se teinte de rouge à ce moment-là. Et il se trouve que Nicholas le trahira sexuellement avec Katya, la meilleure amie de Phil. Mais Phil est subjugué.

 

Le discours du diable tend à enfermer le héros homosexuel dans une identité ou une pratique homosexuelle factices, même s’il s’affaire précisément à justifier que ce serait le rejet de cet enfermement qui serait diabolique : « Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » (Harold, le héros homosexuel machiavélique parlant de manière anesthésiante et culpabilisante à son colocataire gay Michael, non moins sournois, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin)

 
 

e) Le personnage homosexuel évoque la présence d’une créature (généralement diabolique) appelé « L’Autre » :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Comme le héros homosexuel a donné sa langue au chat, ou a demandé sa langue à son partenaire, il ne peut plus identifier son agresseur comme le diable. En général, la parade inconsciente qu’il trouve, c’est qu’il appelle son énigmatique amant « l’Autre », ou bien qu’il se fait appeler ainsi. Pour illustrer mon observation, je vous renvoie notamment à la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, au roman L’Autre (1971) de Julien Green, à la chanson « Cœur déjà pris » d’Alizée, à la chanson « Si j’avais au moins » de Mylène Farmer, à la pièce À trois (2008) de Barry Hall, au film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, au film « La vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, au roman Le Nid d’autrui (1894) de Jacento y Martinez Benavente, à « L’Autre » dont parle Jean Guidoni lors de son concert à la Boule Noire à Paris en avril 2007, à la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, à la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Cyrano de Bergerac, au film « Le frère, la sœur… et l’Autre » (1970) de Douglas Hickox, au tableau L’un de l’autre (2004) de Charles-Louis La Salle, au roman L’Un et l’Autre (2006) de Mathieu Riboulet, à la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, au roman L’Autre Dracula contre l’Ordre noir de la Golden Dawn (2011) de Tony Mark, au roman L’Autre homme de ma vie (2010) de Stephen McCauley, le roman Un homme et un autre (1928) d’Henri Deberly, la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, la chanson « Autonome » de Catherine Lara ; etc.

 

Dans la chanson « L’Autre » de Mylène Farmer, « l’Autre » est l’androgyne, le jumeau narcissique (« Toi et moi du bout des doigts nous tisserons un autre : un autre Moi. »). Il est présenté comme une créature angélique prenant forme humaine (« Mais qui est l’Autre ? Quel étrange messager ! »). L’Autre est un dieu : « Tu m’as toujours paru si fort, si indépendant ! Tu ne faisais pas de compromis. […] En t’observant, je ne pouvais m’empêcher de me sentir affreusement corrompu, impur : je suis si différent ! » (Christopher Isherwood, Rencontre au bord du fleuve (1982), p. 11) ; « N’avoir d’autre voeu que l’Autre, même un instant. » (c.f. la chanson « City of Love » de Mylène Farmer) ; « Et sans l’Autre on a quoi ? Qu’un pauvre miroir. » (c.f. la chanson « On a besoin d’y croire » de Mylène Farmer) ; « Quand on a tant besoin de l’autre, faire quoi ? » (c.f. la chanson « Retenir l’eau » de Mylène Farmer) ; etc. Mais il s’agit d’un être imaginaire qui n’a pas vraiment réussi à s’incarner totalement : « Oh, il y eut d’autres gens pour venir, ça oui. Je ne peux pas me les rappeler tous. […] mais vous comprenez, l’autre est venu, et c’est la vraie raison pour moi d’écrire dans ma tête ce journal. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 39)

 

La référence à l’autre renvoie au mépris, à l’extase, à la haine de soi et des autres (qui, par moment, apparaît comme une fuite ravissante et ludique) : « Et si on changeait de noms ? Je veux dire échanger nos prénoms, juste nos prénoms… […] On ferme les yeux dix secondes. Après, chacun de nous deux sera l’autre. Je deviendrai toi, TU deviendras moi. » (Omar proposant à son amant Khalid un jeu sylvestre mortel, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 138) ; « Le corps extase, envie, mon corps genre, sexe, orgasme, comme un médium de plaisir, le terrain des amours et des haines, de soi et des autres, le terrain de l’autre. Le corps autre. » (la voix narrative dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Elle est partie avec l’Autre ? » (Pierre parlant de Benoît, le copain d’Isabelle, sa potentielle mère porteuse, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Je ne vous aimais pas. C’était l’Autre. » (Cyrano s’adressant à Roxane dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Je veux vous dire que, lorsque je déclare que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes, je signale simplement que, dans une relation amoureuse, souvent, il en est un qui donne et l’autre qui prend, un qui s’offre et l’autre qui choisit, un qui s’expose et l’autre qui se protège, un qui souffrira et l’autre qui s’en sortira. C’est un jeu cruel parce qu’il est pipé. C’est un jeu dangereux parce que quelqu’un perd obligatoirement. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 164-165) ; « Du reste, ‘l’autre non plus n’y comprend rien, retournée dans son pays là-bas. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 12) ; « l’autre là-bas » (idem, p. 23) ; « Varia, c’est l’autre. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa, sorte de dangereuse Vampirella, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 64) ; « Je ne suis pas fils d’un roi… mais bien fils d’un Autre. » (Djalil dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Trans, c’est pas moi… c’est une autre. » (un des héros homosexuel de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « N’avoir d’autre vœu que l’Autre, même un instant. » (cf. la chanson « City Of Love » de Mylène Farmer) ; « J’ai l’impression d’avoir volé la place d’un autre. » (John parlant de son existence et ne se sentant pas légitime pour vivre, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « Je supporte pas d’être chez moi. J’ai l’impression que je suffoque ; comme si je vivais dans le corps d’un autre, comme si je m’enfonçais dans la vie d’un autre. » (Jackson élevé par deux lesbiennes, dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Dominique, c’est l’autre. » (Mireille parlant du « mari » de Marcel, dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet) ; « Chez lui, c’est chez l’autre. » (c.f. la chanson « C’est la misère » de Dick Annegarn) ; etc. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit au médecin militaire qu’il a fait une tentative de suicide « parce que l’Autre a essayé de le noyer ». Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine reçoit Carole, son amante (habillée en rouge), dans sa maison familiale en rase campagne. Ce n’est pas du tout du goût de sa mère, Monique, qui, une fois le pot aux roses découvert, chasse les deux femmes, et traîne en procès de sorcellerie Carole : « Vous l’avez détraquée. Sortez !! Vous êtes le diable dans ma maison ! » Plus tard, Monique surnomme Carole « l’Autre ».

 

L’Autre renvoie également à une étrangeté horrifiante (et diabolique) que les amants homosexuels identifient à demi-mot entre eux : « J’ai l’impression que depuis toutes ces années, j’ai vécu avec quelqu’un d’autre. » (Sandrine Lazzari face à sa compagne et « femme » Laurence Moiret jugée pour meurtre, dans l’épisode 298 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 24 septembre 2018 sur la chaîne TF1).
 

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) b) c) d) L’amant diabolique (regard/Faust) :

DIABLE Lorelei

Lorelei, la lesbienne diablesse dans le film « Kaboom » de Gregg Araki


 

Depuis bien longtemps déjà, Platon avait dépeint la figure du diable angélique bisexuel et androgyne par le biais du personnage fictionnel d’Alcibiade : « Dans les pages du Banquet, Socrate cherche à se laver de tout soupçon en décrivant le bel Alcibiade, couronné de violettes, essayant vainement de séduire. Il nous le montre sous les traits de l’inverti constitutionnel, cultivé et mondain, tout semblable à ceux de nos jours : ‘Il est en tout excessif, intelligent jusqu’à la subtilité, amoureux des arts jusqu’à l’esthétisme, élégant jusqu’à l’affection… Fils de noble qu’environne une coterie, c’est un causeur étincelant qui, en tous lieux, soigne ses effets et veut qu’on le remarque. Sa suprême jouissance est de scandaliser…’ » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 124) ; « Dimanche 30 mars 1919. Ai oublié hier par fatigue de noter que ce jeune élégant qui ressemble à Hermès et qui m’avait fait une si forte impression il y a quelques semaines assistait à la conférence [au club]. Son visage, allié à sa légère silhouette de jeune homme, à par sa joliesse et sa folie quelque chose d’antique, de ‘divin’. Je ne sais comment il s’appelle, et ça n’a pas d’importance. . » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122) ; etc.

 

Mais rassurez-vous. La fantasmagorie homosexuelle du diable n’est qu’un code qui traduit un fantasme ou un délire gothique genre Gay Pride, bien avant de décrire une réalité fantasmée : cf. le docu-fiction « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (avec l’homme au masque de diable). Évidemment, il ne s’agit pas de diaboliser l’union homosexuelle concrète ni les individus homosexuels (ils le font déjà bien assez par eux-mêmes !). En revanche, il me semble tout de même important de souligner que l’incorporation de l’androgyne, toujours incomplète, en soi ou en la personne aimée, n’est pas toujours uniquement symbolique. La créature mythique diabolique habite fantasmatiquement les personnes humaines qui veulent se quitter elles-mêmes et se détruire par amant interposé. « J’aimais un homme et voulais qu’il me tue » écrit Olivier Py dans L’Inachevé (2001). Le personnage de l’amant homosexuel diabolique nous dit tout bonnement que le désir homosexuel tourmente.

 

Toujours Lorelei dans "Kaboom"

Toujours Lorelei dans « Kaboom »


 

La présence du diable dans l’iconographie homosexuelle, si elle n’est envisagée que dans son sens symbolique, obéit en réalité à un régime de causes inconscient qui, à l’inverse de la logique de coïncidences qui lutte contre les déterminismes, peut s’actualiser dans la réalité concrète à travers un jeu amoureux libertin souvent machiavélique. Je vous renvoie par exemple au journal L’Ange sauvage de Cyril Collard, au documentaire « Devil In The Holy Water » (2001) de Joe Balass, à l’amant diabolique anonyme dans La mauvaise vie (2005) de Frédéric Mitterrand (p. 159), etc. « On ne lutte pas avec les anges. » (Patrick Dupont, le chorégraphe, dans l’émission Prodiges sur la chaîne France 2 le 29 décembre 2016) Dans l’essai Rimbaud, la double vie d’un rebelle (2011) d’Edmund White, Rimbaud est défini comme « l’époux infernal » de Verlaine, sa beauté fatale qui le hantera toute sa vie. Dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar aborde bien ce malaise perceptible dans beaucoup de couples homos réels, cette guerre de marionnettistes que se mènent les semblables sexués entre eux : « Mais à quoi joue-t-il à la fin ? […] J’ai beau être persuadé que je le manipule, j’en arrive quand même à me demander si ce n’est pas moi le pantin dans l’affaire. » (p. 50) L’enfer pavé de bonnes intentions s’expriment en beauté sous la plume d’Oscar Wilde dans De Profundis (1897) : « Les Dieux sont étranges. Ce n’est pas uniquement de nos vices qu’ils font des instruments pour nous châtier. Ils nous mènent à la ruine par ce qu’il y a en nous de bonté, de douceur, d’humanité, d’amour. » Dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont illustre tout à fait le jeu interchangeable marionnette/marionnettiste qui s’exerce dans beaucoup de relations amoureuses homosexuelles réelles : « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (p. 124) C’est parfois à la beauté du diable que certaines personnes homosexuelles succombent, parce qu’elles-mêmes agissent à certains moments sous une emprise maléfique : « Sous un physique d’angelot, il cachait à peine une nature de gamin démoniaque. » (Frédéric Mitterrand, La mauvaise vie (2005), p. 204) ; « Jack Kerouac leva la tête de l’oreiller et me regarda par-dessus mon épaule ; juste à notre gauche, la lumière du néon rosé donnait à la chambre une couleur légèrement diabolique. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 351) Cathy Bernheim, dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003), évoque précisément « le petit chat échaudé qui repose en son amante » (p. 142) ; « Je me laisse piéger. Et là, je suis dans un engrenage infernal. » (Christian, le dandy homosexuel de 50 ans, parlant de sa faiblesse par rapport à la masturbation face à un prêtre qui l’a initié aux plaisirs homosexuels quand il était jeune adulte, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Thriller" de Michael Jackson

Vidéo-clip de la chanson « Thriller » de Michael Jackson


 

Les regards jouent un rôle prépondérant dans la chute infernale que vivent les personnes homosexuelles apparemment consentantes avec leur(s) amant(s) lunatiques, joueurs, menteurs, paradoxaux, traîtres, homophobes refoulés : « Je me promène aux Champs. Je n’accoste personne, jamais. C’est les types qui viennent. Vous voyez bien quand un type vous regarde. Remarquez, on ne peut jamais savoir ; il y en a qui restent là à vous regarder pendant cinq minutes, et si vous leur parlez, ils disent : ‘Qu’est-ce que vous me voulez, ça va pas non ?’. Des refoulés. » (Pierre Benichou pour le journal Le Nouvel Observateur, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 44) La douceur également joue un rôle capital : « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24)

 

Ne pensez pas que ce n’est que du délire paranoïaque, cette affaire. La rencontre avec le diable, je le crois, peut se faire régulièrement dans les lieux d’homopratiques ou à travers les personnes de même sexe qui cherchent à coucher avec nous. Ce sont mes propres amis (certains, grands consommateurs de sexe) qui me le confirment : « Une fois, je me retrouvais seul dans la backroom et j’ai vu une ombre bouger. J’étais terrifié. Je te raconte ça parce que j’ai eu d’autres témoignages de personnes homosexuelles qui ont vécu la même expérience que moi. » (Gianni, un ami homosexuel de 26 ans, sur le chat de Facebook, le 25 août 2014). Pour ma part, j’ai été aussi le témoin vivant de phénomènes réels à caractère démonologique, comme je le raconte le soir de la saint Valentin de 2019.

 

« Pendant que mon cousin prenait possession de mon corps, Bruno faisait de même avec Fabien, à quelques centimètres de nous. Je sentais l’odeur des corps nus et j’aurais voulu rendre palpable cette odeur, pouvoir la manger pour la rendre plus réelle. J’aurais voulu qu’elle soit un poison qui m’aurait enivré et fait disparaître, avec comme ultime souvenir celui de l’odeur de ces corps, déjà marqués par leur classe sociale, laissant déjà apparaître sous une peau fine et laiteuse d’enfants leur musculature d’adultes en devenir, aussi développée à force d’aider les pères à couper et stocker le bois, à force d’activité physique, des parties de football interminables et recommencées chaque jour. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 153)

 

Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte sa rencontre en boîte avec le premier homme qui va le sodomiser sauvagement (on voit peu à peu que la fascination laisse vite place au désenchantement) : « Il m’avait paru beau garçon, sûrement le plus beau de la soirée. Sa démarche faite d’ondulations dures, comme une danse sévère, attirait les yeux des femmes. […] Son corps vêtu de feu  […] Son torse apparut nu après une salsa endiablée. […] Nos regards se croisèrent à plus de deux reprises et chaque fois, l’effet en fut brûlant et bouleversant. » (p. 65) ; « J’observais imperceptiblement ce manège avec une étrange fascination, reprochant toutefois à mon complice son silence et la manière dont il manifestait avidement ses envies. » (idem, p. 66) Cet amant ne porte pas de nom : on sait juste que Berthrand Nguyen Matoko est « troublé par l’attirance vers cet inconnu » (idem). Leur coït qu’ils vivent est décrit comme un viol. « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (idem, pp. 66-67) ; « Je sentais chaque centimètre de mon corps me distendre et m’étirer. Indéfiniment. De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (idem, p. 69) ; « J’attendais. Mieux que ça, je rêvais. Un rêve comme celui du Bon Dieu qui couche avec Satan. » (idem, p. 72)

 

Parfois, le diable aperçu par certaines personnes homosexuelles en l’amant est uniquement le reflet de leur propre déception vengeresse sur un homme fantasmé qui ne s’est pas laissé totalement faire homosexuellement par elles, ou bien juste le reflet de la violence inconsciente de leur indécente audace. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa décrit le regard diabolique de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, mais qui ne l’aime pas en retour : « Il était à côté de moi. Ses yeux étaient rouges, furieux. Ils me fixaient. Ils ne voyaient que moi. Ils ne m’aimaient pas. » (p. 19)

 

Concernant les rapprochements réels avec le mythe de Faust, on note aussi quelques correspondances troublantes : dans l’Espagne des années 1940 en Espagne, Juan Soto interprète des chansons du répertoire de la revue Si Fausto Fuera Faustina ; en France, Émilienne d’Alençon tient le rôle principal du Petit Faust (1898) à l’Opéra-Comique de Paris ; Ernst Röhm, durant l’été 1919, crée le Eiserne Faust (le Poing de fer), une organisation nationaliste révolutionnaire, où il attire un certain Adolf Hitler qu’il découvre à cette occasion. Diverses personnes homosexuelles parlent explicitement du diable dans leur vie. C’est le cas de Franco Brusati, qui le met en relation avec son homosexualité : « L’homosexualité m’intéresse dans la mesure où elle suppose un rapport tout à fait spécial avec sa propre image, un combat entre le réel et l’imaginaire. Le combat avec l’ange… » Jean Cocteau, quant à lui, déclare qu’il est parfois « poussé par le diable. » (cf. le spectacle musical Un mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala) Christophe Tison, dans son autobiographie Il m’aimait (2004), décrit l’homme qui l’a violé comme un jumeau de Belzébuth : « Il était de dos, dans cette maison tranquille et silencieuse, et j’eus soudain terriblement peur. Peur qu’il ne se retourne en ayant un autre visage. (Le visage du diable.) » (p. 48) Gaël-Laurent Tilium, dans Recto/Verso (2007), fait un rapprochement entre son amant Sébastien, malade du Sida, et l’ange diabolique : « Sébastien me serrait la main avec la force de l’amour qu’il avait pour moi, avec la rage de la culpabilité, celle d’avoir invité parmi nous cette chose indésirable qu’il nous fallait combattre. » (pp. 238-239) ; « Il n’y a pas de possibilité. Il ne peut rien se passer. On s’aime trop. Il est trop jeune, trop mignon, c’est un ange. » (idem, p. 235) ; « J’avais près de moi l’ennemi et l’ami, la tentation et l’innocence, le plaisir et le danger. » (idem, pp. 159-160) Dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule raconte comment, au collège, il a instauré un pacte tacite entre lui et ses deux agresseurs : « Ils sont revenus. Ils appréciaient la quiétude du lieu où ils étaient assurés de me trouver sans prendre le risque d’être surpris par la surveillante. Ils m’y attendaient chaque jour. Chaque jour je revenais, comme un rendez-vous que nous aurions fixé, un contrat silencieux. […] Uniquement cette idée : ici, personne ne nous verrait, personne ne saurait. » (p. 38)

 

Film "Les Amitiés particulières" de Jean Delannoy

Film « Les Amitiés particulières » de Jean Delannoy

 

Par exemple, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, Pascal, homosexuel et séropositif, raconte qu’avant d’attraper le VIH, il avait été prévenu par un inconnu quand il faisait le tapin, et que ce serment qu’il n’a pas tenu le hante : « Je faisais les quais, en 1984. Un homme m’a demandé de faire une promesse. ‘tu tombes dans une génération où vous allez tous tomber. ’ Et à chaque fois que je couchais, je me rappelais : ‘T’as pas tenu ta promesse… T’as pas tenu ta promesse… »

 

Dans notre monde contemporain, on a l’occasion de retrouver de nombreux signes de demande de possession diabolique de la part de la communauté homosexuelle : exemple avec le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi. « Je débarquais dans la véritable délinquance avec une grande aisance, sans l’infime doute de me heurter aux barrières de la vie, sans avoir auparavant développé un sens aigu de la relativité des choses. En vendant ainsi mon âme au diable, je me baladais pendant des heures entières à travers des songes inassouvis… » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 53) ; « Ce qui fait faillite dans le Faust de Gœthe, ce sont les valeurs du patriarcat. C’est le genre masculin qui s’effondre. » (Jacques Le Rider, lors de la rencontre-débat Atelier de la Pensée sur le thème « Quand commence la signature d’un pacte avec le diable ? » animée par Laure Adler, à l’Odéon Théâtre de l’Europe le 6 juin 2009) ; etc. Par exemple, dans son Journal (1889-1939), André Gide définit l’inverti comme celui qui « dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé » (p. 671).

 
 

e) L’Autre :

Album de photos "La Beauté du diable" de Joseph Dupouy

Album de photos « La Beauté du diable » de Joseph Dupouy


 

C’est bien parce que la grande majorité des personnes homosexuelles rejette en bloc la différence des sexes qu’elles établissent un rapport excessif (et diabolique, pour le coup !) d’adoration/répulsion vis à vis de l’Altérité : cf. l’association L’Autre Cercle, le collectif Autrement Gay (à saint Étienne), l’Altercorpus (association de défense des personnes intersexes), etc. Cela me semble faux de dire que les personnes homosexuelles, du seul fait de ne pas intégrer dans leurs couples la différence des sexes, n’acceptent pas les différences : au contraire, elles les idolâtrent ! Comme l’écrit à juste titre Jean-Paul Sartre à propos de Jean Genet dans Saint Genet (1952) : « Étranger à lui-même, il ne peut aimer qu’un Autre-que-soi, car c’est lui-même dans son absolue altérité qu’il aime sous les espèces de l’autre. […] Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (p. 109 et p. 169) Les personnes homosexuelles vouent un culte aux différences (à défaut de vouer un culte à LA Différence, celle des sexes), et entre autres à l’hétérosexualité. Pour elles-mêmes déjà, puisqu’elles vont se rêver ultra-originales, voire divines (le Tout-Autre, c’est Dieu Lui-même). Par exemple, Emilio Barón, dans Luis Cernuda Poeta (2002), insiste sur la recherche d’altérité absolue chez le poète espagnol : « Fidèle héritier de la tradition romantique, Luis Cernuda se présente comme l’exilé, le marginal, ‘l’Autre’. » (p. 11) Mais cette quête fiévreuse d’altérité va se faire aussi pour les autres, et dans leur recherche amoureuse : « Quand je vois un homme différent de moi, je n’en reviens pas ; je suis ébloui, émerveillé par la différence des autres. » (Jean Genet cité dans Tahar Ben Jelloun, « Une crépusculaire odeur l’isole », dans Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 30) Comme l’écrit très justement Jacques André, « l’homos-sexualité n’est pas la méconnaissance de l’altérité, elle en serait plutôt le savoir excessif » (Jacques André, « Le Lit de Jocaste », dans Incestes (2001), p. 18). Ce rapport excessivement proche à l’altérité aborde de front, et sans même que les personnes homosexuelles le verbalisent consciemment, la problématique de l’inceste ou du viol, qui surviennent justement lors de l’effacement des différences par une exaltation de celles-ci : « L’Autre, c’est cet étranger qui s’est immiscé dans ma vie et dans mon corps. » (Martine Cauvent, Guérir de l’inceste (2006), p. 17) ; « Combien de fois, à l’aube, alors que, sur les vieilles toitures de Clermont, l’affreux ciel des petits matins pâles cherchait sa vie, n’ai-je pas été saisi de nausées ? Tandis que je procédais à une toilette minutieuse, toujours comme ces femmes dont je me moque tant, j’ai vu dans mon miroir l’être de cendre que je suis vraiment. Par la porte entrouverte, j’apercevais un étranger, couché dans mon lit, satisfait après notre affreuse passion. Qui était-il ? qui nous avait poussés l’un vers l’autre, comme ‘les autres’ vers les putains ?… Quelle impasse ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 98) ; « Je vais être obligé d’avouer quelque chose d’un peu personnel. Moi, j’ai toujours été attiré par les pissotières, par ce contact, par ce qui se passe entre des corps étrangers qui se rencontrent au départ pour uriner, et au bout de quelques secondes, de quelques minutes, ça se transforme en autre chose. J’ai toujours trouvé ça très poétique, très entraînant, et je dois avouer que ça me rappelle la sexualité enfantine de groupe que j’ai eue avant l’âge de 12 ans. Et cette fascination pour les pissotières rejoint un peu ça : ce côté gentil, bienveillant, ce côté étranger et tout d’un coup on se donne l’un à l’autre, pendant un p’tit moment, et complètement dans l’interdit… Malheureusement, il n’y a plus de pissotières à Paris. » (Abdellah Taïa, romancier homosexuel, dans l’émission Homo Micro de Radio Paris Plurielle, le 25 septembre 2006) ; « Autre… mais indétectable. Presque un shoot. » (la narratrice transgenre F to M dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc.

 

Le fanatisme homosexuel pour les différences cache au fond un mépris de l’altérité concrète (beaucoup de personnes homosexuelles tiennent d’ailleurs le double discours paradoxal : « Il faut respecter toutes les différences… et les différences n’existent pas puisque nous sommes tous égaux. »), et plus largement une schizophrénie diabolique, une misanthropie. « Ma maison avait deux tours : l’une plongée dans la lumière et l’autre obscure. » (l’écrivain homosexuel Hugues Pouyé parlant de son enfance dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « J’ai un mec à l’intérieur de moi qui me dit : ‘Il faut pas que t’aies un mec à l’intérieur de toi ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Jamais on n’a autant célébré l’Autre. C’est l’Autrisme. Et jamais l’autre n’a eu aussi peu droit de cité. » (Élisabeth Lévy dans l’essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005) de Philippe Muray, p. 28)

 

Enfin, je terminerai ce chapitre délicat sur les liens étranges entre désir homosexuel et démonologie par ce constat. Aux vues des nombreuses attaques et manifestations d’ordre surnaturel que j’identifie autour de moi en ce moment, je peux dire qu’actuellement, dans notre monde d’aujourd’hui, le diable a spécialement élu domicile dans l’homosexualité (homosexualité en tant qu’acte et en tant que mot ou étiquette). Pourquoi ? C’est très simple. L’homosexualité est la seule chose qui est objectivement violente, mauvaise (elle exclut la différence des sexes qui est le fondement de notre existence humaine, de notre identité et de notre amour) mais que pour autant notre Monde et nos contemporains sont capables de massivement/passivement reconnaître comme une identité humaine ou un amour magnifiques, banals et indiscutables. Autant l’avortement, la contraception, le vol, le divorce, l’euthanasie, la GPA, le clonage, la prostitution, l’adultère, les guerres, sont un peu plus unanimement reconnus comme « mauvais » par la masse, autant le seul sujet de société qui divise et anesthésie les gens, ce sera uniquement l’homosexualité. Il est alors logique que le diable se serve de l’homosexualité comme principal pare-feu, comme voile pudique, comme rideau rose fleuri derrière lequel il pourra planquer toutes les souffrances et toutes les violences humaines dont il est l’auteur : il sait que très peu de personnes se risqueront à analyser ce rideau rose et à le soulever (il n’est pas du tout content, d’ailleurs, quand quelqu’un s’en approche de trop près !). Et il fait tout pour que tout le monde applaudisse les speakerines parlant devant ce cache-misère fleuri et qui sont prêtes à se caricaturer en « homos » ou en « hétéros gay friendly » pour faire diversion, pour faire leurs intéressantes ou jouer les victimes indignées d’elles-mêmes. J’ai compris que l’homosexualité était la planque privilégiée du diable d’une part quand j’ai perçu l’importance universelle de la différence des sexes (importance que la pratique homo remettait directement en cause), et puis surtout quand je vois qu’après mes conférences, ou bien dans les mails que je reçois, les gens me racontent tous leurs malheurs et leurs souffrances, y compris ceux qui n’auraient a priori rien à voir avec l’homosexualité. C’est donc que l’homosexualité éclaire et fait écho à toutes les souffrances humaines, sans exception. Non pas que l’homosexualité serait à l’origine de tous les maux de la Planète. Mais en tous cas, elle en est le signe et l’alibi n°1. C’est la raison pour laquelle il est central de prendre ce sujet très au sérieux, et même d’en faire LA priorité de nos combats contre le transhumanisme homicide et cet humanisme intégral prônant l’Homme sans Dieu et sans différence des sexes.

 
 

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Code n°5 – Amant modèle photographique (sous-codes : Amant miniature / Amant de dos / Amant-nain)

Amant modèle photographique

Amant  modèle photographique

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Mon amour tout petit dans mon appareil

 

MODÈLE photographique plage

 

Il est fréquent de voir dans les œuvres traitant d’homosexualité des héros homosexuels exercer le métier de photographe, ou bien passant leur temps à prendre en photo la/les personne(s) qu’ils désirent amoureusement. D’ailleurs, ces personnages avouent parfois avoir ressenti leurs premiers émois homosexuels devant des hommes photogéniques, très médiatisés, attirant massivement à eux les flashs des journalistes et des photographes. Ces modèles hétéros de magazine font la couverture des magazines gays actuels, et illustrent que l’homme-objet est le dieu de la communauté homo. Généralement, le personnage homo/lesbien qui mitraille son amant(-e) parce qu’il l’idéalise et désir l’immortaliser, ne le/la respecte pas tant que ça : symboliquement, il le/la traite comme un objet de consommation, il le/la rapetisse (au point qu’il peut parfois le/la transformer en nain(-e) : c’est bien une miniaturisation qui est opérée par le biais du smartphone ou de la caméra portable), il le/la réifie. En d’autres termes, il le/la méprise. Cet(-te) amant(-e) photographié(-e) devient un trophée manipulable à souhait et qu’il est facile d’utiliser comme faire-valoir personnel. Et comme il/elle est pourtant bien vivant(-e) dans le monde réel et qu’il/elle ne se laisse pas mettre le grappin dessus parce qu’il/elle tient à sa liberté, il arrive tôt ou tard qu’il/elle se venge de cette entreprise de possession sur son Pygmalion fasciné.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également les codes « Pygmalion », « Photographe », « Amant narcissique », « Miroir », « Peinture », « Voyeur vu », « Espion », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Poupées », « Doubles schizophréniques », « Obèses anorexiques », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », « Tomber amoureux des personnages de fiction ou du leader de la classe », « Femme fellinienne géante et pantin », et « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel réifie son amant par la photo :

Film "Ma vraie vie à Rouen" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Ma vraie vie à Rouen » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Dans beaucoup de fictions homo-érotiques, le personnage homosexuel prend son copain en photo ou au piège de sa caméra : cf. le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver, le film « Surveillance » (2007) de Paul Oremland, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (Éric filme Romain), le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore (Steven photographie l’équipe de foot de son université, et notamment son amant), le film « Passion » (1964) de Yasuzo Masumara, le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Fluffer » (2001) de Richard Glatzer, le film « Saturn’s Return » (2001) de Wenona Byrne, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « Eclipse » (1995) de Jeremy Podeswa, le film « Fucking Amal » (1998) de Lukas Moodysson, le film « La petite mort » (1995) de François Ozon, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec Scott comme modèle photographique d’Harvey Milk), le film « Smooth » (2009) de Catherine Corringer, le film « Ghosted » (2009) de Monika Treut (Mei-li est une mystérieuse journaliste qui suit Sophie Schmitt), le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (Emmanuel filme Omar), le film « Free Fall » (2013) de Stephan Lacant, etc.

 

Film "Billy’s Hollywood Screen Kiss" de Tommy O’Haver

Film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » de Tommy O’Haver


 

Par exemple, dans le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, Erwan photographie Ismaël avec son téléphone portable. Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Pablo prend au départ Bruno (son futur amant) pour un sosie d’une photographie que possède sa copine Laura. Plus tard, en faisant plus ample connaissance, les deux copains n’arrêtent pas de se prendre l’un l’autre en photo. Dans sa chanson « Vis-à-vis », Étienne Daho se met dans la peau d’un photographe obsédé par un modèle qu’il épie en secret : « Témoin ensorcelé sans répit, je photographie à ton insu toute ta vie. » Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques prend en photo (avec un appareil jetable) un beau garçon qui attend avec lui dans la salle d’attente de l’hôpital. Il fait de même par la suite avec Arthur, son amant. Dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, quand Peyton et Elena, les deux héroïnes lesbiennes, feuillettent le « book » d’Elena, photographe, Peyton flashe sur une des photos d’Elena posant elle-même comme modèle, sans savoir que c’est elle. Peyton prend cette intuition pour une confirmation d’amour. Plus tard, Elena veut absolument faire un portrait photo de Peyton. Le film « En colo » (2009) de Pascal-Alex Vincent s’achève sur une photo prise dans le bus et qui atteste que le couple homosexuel entre Matthieu et Maxime s’est formé. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, le couple Julien/Yoann est filmé en « sextape » par la belle-mère de Julien, Solange. Plein de photos ont été prises pour exercer un chantage. Ça n’a pas l’air de déplaire à Yoann, tout excité d’avoir été capté dans ses ébats intimes : « Elle nous a pris en photo !! »

 

Face à sa proie, l’amant homosexuel est parfois très insistant. « Les clins d’œil s’étaient tellement multipliés que j’aurais juré qu’il prenait des photographies de moi dans mon lit de douleur. » (Jean-Marc décrivant Gerry dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 99) ; « Je te filme avec les lunettes. » (Anton s’adressant à son amant Vlad dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc. Par exemple, dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Anne, qui a obtenu des jumelles en jouet de Happy Meal au Mc Donald’s scrute de près sa meilleure amie lesbienne Marie : « Trop bien ! Je vois les pores de ta peau ! » Ça saoule Marie : « J’en ai marre de tes conneries de gamine. »

 
MODÈLE Feuille
 

Le personnage homosexuel croit vraiment que la photo de l’homme qu’il désire a le pouvoir de s’animer au contact de ses yeux… ou de ses mains. Par exemple, dans la nouvelle « La Chaudière » du recueil Le Mariage de Bertrand (2010) d’Essobal Lenoir, le personnage gay a trouvé l’excuse du reportage-photos journalistique pour se rincer l’œil en toute bonne conscience : « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (p. 22) Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George médite sur son amour pour Jim, son amant disparu, qu’il fait revivre par une photo où Jim est nu. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, cache des photos pornos (en réalité, ce sont des reproductions de tableaux) dans sa valise : cela fait scandale à l’hôtel mexicain où il loge. Plus tard, il regarde dans un théâtre un film où il se trouve lui-même avec son amant Palomino. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan raconte qu’il s’est sentimentalement et homosexuellement identifié à un couple gay apparemment idyllique aperçu sur une photo, resté longtemps ensemble avant que la maladie du Sida ne mette fin à leur idylle et n’emporte l’un des deux membres, Keany : « Il s’appelait Keany. On aurait dit un monstre. » Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison est grillée pour son homosexualité par des photos prises sur téléphone portable à une soirée, où elle enlace – à la base amicalement – sa meilleure amie Clara. « Ils l’ont salie, cette photo. » (Louison) Finalement, Louison finit par se résoudre, suite à ce quiproquo, à faire son coming out.

 

Film "The Cost Of Love" de Carl Medland

Film « The Cost Of Love » de Carl Medland


 

On se doute d’ailleurs que le protagoniste homo ne se contente pas de regarder les photos de son amant, mais qu’il doit parfois se soulager avec… : « J’ai adoré les photos de vacances que tu m’as envoyées. On distingue ton torse à travers le vêtement mouillé : tu deviens un une homme charmant. Si tu as d’autres photos après une baignade nudiste… je suis preneur ! » (Randall s’adressant son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 235) ; « Vous me faites penser aux gens qui regardent des photos d’art de modèles nus en ayant la gaule. Tous ces gens qui n’ont pas encore compris que l’art ne servait pas à bander lamentablement. » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à ses potes gays Simon et Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 36) ; « On s’est filmés aussi, à notre soirée soubrette. » (Jean en parlant de son couple avec Juan, dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; etc.

 

La réaction de l’amant photographié n’est évidemment pas complaisante sur la durée. Aucune personne ne se laisse photographier gratuitement longtemps ! Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan n’est pas épargné par l’appareil photos de son copain : « Kévin photographiait tout… Il me mitraillait surtout. » (p. 16) Or il ne prend pas si bien que cela cette violation d’intimité, même si elle l’a flattée dans un premier temps : « Oh l’espion ! J’étais surveillé, photographié, sans m’en apercevoir ! » (p. 115) Bryan finit par reprocher plus tard à Kevin de l’avoir « réduit », en quelque sorte : « Je me suis toujours senti peu de chose à tes côtés. » (p. 299) Autre exemple : dans la pièce La dernière danse (2011) d’Olivier Schmidt, Paul découvre avec stupeur que son amant Jack a pris en cachette des photos de lui pour vendre ses propres articles à prix d’or à la press people. Il décide alors de se venger de lui en se suicidant.

 

Film "Happy Together" de Kar-Wai Wong

Film « Happy Together » de Kar-Wai Wong


 
 

b) Amant miniature :

Entre le personnage homosexuel et son amant-icône s’instaure une inégalité : en général, l’un devient grand, et l’autre est miniaturisé, comme enfermé dans un mouchoir de poche (en l’occurrence un appareil photos !). Cela donne un duo à la Laurel & Hardy assez étrange.

 
 

Mimi – « Nous sommes bien nous deux, Sire !

Fifi – Grande Fifi…

Mimi – … et petite Mimi ! »

(Mimi et Fifi les deux clochards travestis M to F dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 
 

Film "L’Inconnu du Nord-Express" d’Alfred Hitchcock

Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock


 

On peut penser à l’amant-nain miniature dans la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, à Manu l’homme miniature dans le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, à Bruno l’amant miniature sur le Capitole dans le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, à Élie Sémoun et Dieudonné en régisseurs de plateau homosexuels, à l’iconographie de Régis Laspalès et Philippe Chevallier pour les publicités de la Matmut, à l’amant miniature dans la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Cyrano de Bergerac, au roman Dans le creux de sa main (1988) de James Purdy, à Laurel et Hardy dans les films « Héros de l’Alaska » (1923) de Ralph Ceder et « That’s My Wife » (1929) de Lloyd French, au film « The Big Doll House » (1971) de Jack Hill, à l’amant miniature dans la pièce « Little Big Man » (1970) d’Arthur Penn, au film « Mala Noche » (1985) de Gus Van Sant, à Peter et Oscar dans le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, à Éric et Ramzy dans le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, à l’amant minuscule enfermé dans l’anus de son partenaire dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, aux photos de Jean-Yves Piton, aux tableaux de Manu Lebon, au tableau Le Glaive (1973) de Jacques Sultana, au spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, à la chanson « Lisa tu étais si petite » de Faby, à Didier le grand et Bernard le maigre de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia, au film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche (avec l’insistance sur la place de l’adjectif « petit » dans la pièce classique Antigone), au film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, au film « Alice In Wonderland » (2010) de Tim Burton (avec Alice, fille miniature), à la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi (avec Julien Alphand et Tommi Panthor, les deux miniaturistes), à la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, etc.

 

Laspalès et Chevallier pour la pub Matmut

Laspalès et Chevallier pour la pub Matmut


 

Certains couples homosexuels fictionnels semblent suivre à la lettre l’adage populaire « Les opposés physiques s’attirent » : « Y’en a un qui est très grand. Y’en a un qu’est pas beau. Ramon et Pedro sont des rigolos. Ramon et Pedro aiment le tango. » (cf. la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena)… comme pour dire que le duo homo est mal assorti. « Rien ne nous assemble, Julien et moi. Nous sommes terriblement déviés l’un de l’autre. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 156) ; « La nuit dernière, j’ai fait un rêve. Tout était noir et doux. J’étais dans quelque chose de chaud et de palpitant. J’y allais à tâtons. Je savais pas où j’étais, comme ça, tout nu. C’était de la peau, partout. Et à la fin du rêve, quand je me suis réveillé, vous avez ouvert votre main, j’étais dedans. Vachement symbolique ? » (Julien Brévaille, idem, p. 40) ; « Un petit Italien vient m’inviter danser, c’est un vrai nain mais très bien fait. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 160) ; « Pourquoi tu es plus grand que moi ? » (Anton, le héros homosexuel s’adressant à Audrey, son pote qu’il va découvrir homophobe, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Ma chambre [d’hôtel] est à peine assez grande pour un homme de ma taille. » (Jacques) « Mais je peux me faire tout petit. » (Arthur, l’amant de Jacques, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Documentaire Homo et alors ? (2015) de Peter Gehardt

Documentaire Homo et alors ? (2015) de Peter Gehardt


 

On observe ce décalage de tailles/hauteurs entre les amants du film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier : « Être amoureux, c’est ça. C’est comme si tu montais sur une chaise» dit Lionel à Loïc. Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc décrit le couple homo Gerry/Dan d’une drôle de manière : « Gerry était parfaitement rond. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi rond de ma vie. […] Quant à Dan, on s’en serait douté, c’était son antithèse parfaite. Long. Placide. Immobile. Pâle. » (p. 94) Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Jenko (le grand musclé) et Schmidt (le petit gros) joue à former un couple. « T’étais anti-gays au lycée. Même avec moi… » Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie raconte que ses deux chats sont inversement proportionnés : Froustinette, le félin, fait cinq fois la taille de Craquinette, la chatte fatale qui fait sa star. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, il y a Thomas le petit et François le grand… enfin, c’est en tout cas comme ça que les amants se présentent eux-mêmes. Ils se définissent eux-mêmes comme « le petit » par rapport « au grand ». Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, se fait surnommer « Little » par ses camarades. Et face à son protecteur, Juan, un dealer plus âgé que lui, il se laisse miniaturiser : « Repose-toi sur ma main. »

 

Film "L'homme qui rétrécit" (dans "Parle avec elle") de Pedro Almodovar

Film « L’homme qui rétrécit » (dans « Parle avec elle ») de Pedro Almodovar


 

Par exemple, dans le roman lesbien À ta place (2006) de Karine Reysset, Cécile fait rapetisser son amante Chloé : « Chloé est encore plus petite que dans mon souvenir, toute menue. » (p. 23) ; « Depuis le message sur le répondeur, je n’arrête pas de brasser, remuer les souvenirs, […] Tout tourne autour de moi, les petites Chloé et moi aussi en miniature, à différents âges, poupées gigognes, poupées russes […]. » (idem, p. 45) Dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, l’amante est comparée à une danseuse de boîte à musique (« D’un seul baiser Mathilde saurait relancer la musique et que danse la ballerine. » p. 69) qui peut également jouer le rôle du King Kong géant : « Vue d’en bas, elle n’est pas spécialement belle. Ses doigts qui emprisonnent ma paume sont une étreinte profonde et rutilante. » (idem, p. 13)

 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum, homosexuel, suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Benjamin et Arnaud affirment : « On est en collocation. Comme Astérix et Obélix. » Arnaud est petit de taille face à l’armoire à glace qu’est le docteur, ce qui fait dire ironiquement à ce dernier : « De là où vous êtes, je dois paraître immense. » Benjamin rétorque alors au médecin : « C’est pas la hauteur qui compte. C’est le goût. »
 

Comme exemples parlants de miniaturisation de l’amant dans les œuvres homosexuelles, on remarque que le héros homosexuel réduit souvent son compagnon à une seule partie de son anatomie, ou bien prétend qu’il le contient tout entier dans le creux de sa main. Par exemple, dans le film « Ma Mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, Elvira regarde le pied d’Eliska au moment de lui faire l’amour, et le montre comme un fétiche métonymique de toute sa personne. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, pour se faire pardonner de dépenser tout l’argent de son amant Thomas, le surnomme « mon Tom-pouce ». Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Elsa s’étonne de la taille de la main de Pedro (« Qu’est-ce que ta main est grosse… ») ; et celui-ci de répondre une chose surprenante : « Fais vite avant qu’elle rétrécisse. » Dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, Simone dit à Janine : « Vous êtes à ma main. » La métaphore de l’amant abrité au chaud dans la main, comme un oisillon tombé du nid, passe pour de l’amour : « J’adore les petits formats. Surtout ne grandissez pas. » (Héloïse à sa compagne Suzanne, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 312)

 

« Mais comment l’embrasser, la baiser, cette main royale, propre, tellement propre ? Comment ? Qui est-ce qui peut me le dire ? […] Je prends la main du Roi dans les miennes. Je suis courbé. Complètement. Parfaitement. Je sens la main de Hassan II. Je la respire. » (Khalid, le héros homo du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 17) ; « Il couvrit à nouveau tout entier mon tremblement. Oiseau tombé du nid grelottant dans la main d’un géant. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Carapace » dans le recueil Le Mariage de Bertrand (2010) d’Essobal Lenoir, p. 15) ; « Terrorisé, je m’imaginais prisonnier comme une guêpe dans la main d’un géant, Neptune coprophile régnant au fond de la fosse. » (idem, p. 11) ; « Vous êtes plus grand que sur les photos. » (Sammy, le père homo refoulé, s’adressant à son collègue chercheur homo Oliver, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; etc. La grandeur de l’amant par rapport à sa propre petitesse peut être ressentie par le héros homosexuel comme une protection aimante : « David m’apparaît d’un coup, occupe tout mon espace. Des mains me soulèvent. Son visage s’approche, disparaît, m’embrasse dans le cou. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 11) ; « Elle me tient dans la main et tout ira bien. » (Mathilde dans le film « Mathi(eu) » (2011) de Coralie Prosper) ; « Derrière la vitre je l’observe, assis sous l’abribus ensoleillé. Son pantalon est trop petit, son front trop plat, ses yeux dépourvus de regard. Ses cheveux ressemblent à des poils de radis noir trempés dans l’huile de tournesol, mais peignés soigneusement. » (le narrateur homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 11) ; « ton tout petit grand frère. » (idem, p. 171) ; « L’auteur oubliait que malgré la légende, le sexe des gorilles est inversement proportionnelle à leur taille. » (Essobal Lenoir, « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010), p. 99) ; « Comme dans un conte de fées, l’ogre se transforma en un prince de légende […] dont on peinait à croire qu’il était issu de cet œuf pourri. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 117) ; « Salut, c’est mon petit copain : 1m20. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « Je suis pédé. Tout petit comme ça. Je suis pédouille. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Il était avant tout un nain, creusant des galeries obscures dans les mines de la littérature, à la recherche d’un filon scintillant. Il était un conservateur de rêves. Oui, le dernier archiviste d’histoires futiles.[…] Beaucoup, beaucoup étaient ceux qui l’avaient désiré, avaient désiré surtout le transformer en un objet d’art malléable. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), pp. 171-172) ; « Son visage se tordit tandis qu’il regardait le labyrinthe de livres. Littérature ! Littérature – les Olympiades des nains de jardin ! Bavardage des déments ! » (idem, p. 176) ; « Et je les veux à notre effigie : un mini-Christophe et un mini-moi. » (Antoine parlant de la pièce montée de son mariage avec Christophe, dans le téléfilm « Le Mari de mon mari » (2016) de Charles Nemes) ; etc.

 

Dans le roman lesbien La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, on voit à nouveau que les amantes ne sont pas de la même corpulence, et que cette différence n’est pas réaliste : « J’avais oublié combien elle était fragile. Sur le moment, j’ai été incapable de penser à autre chose ; appuyée contre moi, elle reposait entre mes bras et sur ma poitrine, et je la sentais à peine tant elle était légère. » (Ronit par rapport à Esti, p. 142) ; « Esti observe Ronit, elle aussi. Elle se dit que Ronit a l’air d’avoir rapetissé par rapport à autrefois. Ce n’est pas qu’elle a vraiment rapetissé, Esti le sait, mais plutôt qu’elle paraissait tellement plus, avant. À une certaine époque, Esti pensait que le visage de Ronit contenait le monde, alors que maintenant c’est un visage, rien de plus. » (p. 299)

 

La pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset rend très bien scéniquement ce décalage entre les amants homosexuels : Jean-Louis est juché sur une chaise géante, tandis que Paul n’arrive pas à l’atteindre. Dans le film « L’Homme que j’aime » (1997) de Stéphane Giusti, traitant du Sida, le rapport corporel entre Martin et Lucas est tout aussi inégalitaire : « Quand je l’ai pris dans mes bras, il était léger comme un gosse, j’avais presque peur de lui faire du mal. »

 

Pièce Perthus de Jean-Marie Besset

Pièce Perthus de Jean-Marie Besset


 

À ce sujet, les deux amantes Stephen et Mary du roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall ont un dialogue quasi surréaliste : « Vous êtes si petite que vous serez perdue, dans un bureau. » dit Stephen ; « J’ai cinq pieds cinq pouces ! » lui rétorque sa compagne. Ce à quoi la première répond : « Vraiment, Mary ? En tout cas, vous me semblez petite. » Mary conclut : « C’est parce que vous êtes si grande. Comme je voudrais grandir un peu ! » (p. 374)

 

La différence de taille entre les amants peut être l’indicateur d’un (fantasme de) viol. Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, l’un des héros homos, raconte son premier émoi homosexuel : c’était par rapport à son beau-père « avec les jambes grosses comme un footballeur ». Il rêve à deux reprises que l’amant de sa mère pénètre dans son lit d’adolescent : « Puis il est venu dans mon lit. J’avais l’impression de devenir de plus en plus petit. Comme une fille. Puis il est rentré en moi. » Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel regarde du haut de l’immeuble son amant Omar en train de marcher dans la rue, et qu’il a violé. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, se rêve en miniature dans sa propre trousse de toilettes, ou blotti (tout petit et dans un élan incestueux) contre le torse velu de son père (cinématographique), ou bien face à son lapin en peluche Dido devenu géant le temps d’une hallucination nocturne. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Chris, le héros homosexuel blond, se fait tout petit face à son père qu’il décrit comme « un Kingkong en érection ».

 
 

c) L’amant homosexuel est considéré comme un petit objet parce qu’il est regardé de dos ou porté sur l’épaule :

N.B. : Je vous renvoie également à la partie « Amant-objet » du code « Pygmalion » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pour que la transformation de l’amant en fétiche soit complète, le personnage homosexuel peut demander à ce dernier de se retourner (« Benoît, tourne-toi », comme dit la chanson de Benoît), ou bien l’imaginer de dos. « Je vois Mathilde de dos. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 101) ; « J’ai eu envie de me branler. Je me suis mis sur le dos, j’ai gardé les yeux entrouverts […]. Je voyais se découper sur le ciel des visages, des corps habités, des sexes multiformes et des culs sculptés. Le vent mélangeait tout ensemble et remuait les feuilles froissées derrière moi. » (Claudio, l’un des héros homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 103) ; etc. De dos, tout est permis : « J’ai envie de caresser la peau de celui qui me tourne le dos. » (cf. la chanson « Je fais peur aux garçons » de Mélissa Mars) ; « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (le narrateur homosexuel du roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc, p. 97) ; « J’observe Mario de dos. Comme si je n’étais pas là. Je ne sais pas pourquoi. Ça m’émeut. » (Tommaso parlant de son amant, dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek) ; etc.

 

De dos, l’être aimé devient l’idole soumise parfaite, victime offerte. Il se donne sans les préliminaires longuets de la relation équilibrée où le regard apporte du réel relationnel : « Elle aussi sentait visiblement que ce n’était pas une rencontre ordinaire ; et moi, il m’avait suffi de la voir de dos pour le comprendre. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 27) De dos, l’amant n’est plus totalement humain. Il acquiert la valeur sacrée de la sculpture : « Son épaule blanche, j’avais envie d’y mordre pour vérifier qu’elle était bien en vie. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 96) De dos, l’amant est dépersonnalisé en même temps qu’il devient l’Amant universel : « De dos, il me rappelait quand même un peu Mathieu, en plus costaud… » (Jean-Marc associant son nouvel amant Michael à son ex, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 243) ; « J’étais encore une fois dans mon rêve-cauchemar avec Hassan II. Je ne voyais que son dos. » (Khalid, le héros homo du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 37) ; etc.

 

Film "L'Homme de sa vie" de Zabou Breitman

Film « L’Homme de sa vie » de Zabou Breitman


 

L’amant miniature est souvent porté sur le dos, comme un Christ-enfant au saint Christophe, ou plus négativement comme un jumeau narcissique schizoïde, incestuel : cf. je vous renvoie au film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, au film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitmann, à la photo Adam et Adam (1997) d’Orion Delain, au film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras (avec Ody portant son petit frère homo Dany sur son dos dans la forêt), à la chanson « En nage indienne » d’Étienne Daho (« Serre-moi fort. Si ton corps se fait plus léger, nous pourrons remonter. »), à la chanson « Par-dessus ton épaule » de Stéphane Corbin (« Par-dessus ton épaule, je ne suis qu’un enfant, et tu es un géant. »), au poème « Un autre dos » (2008) d’Aude Legrand-Berriot (« J’ai eu honte j’ai souffert. Je ne vais pas sortir les violons même si pour mon père c’est l’instrument de prédilection. […] Mais j’ai toujours eu en tête d’un jour lui reconnaître que j’aime profondément son dos pour rendre justice aux mots. » ; « Le ventre collé contre le grand lit de fer. Je cherche mon frère. J’avance vers le sommier. Le dos fermé couché, j’ai mal à reconnaître. La voix de mon frère, un sanglot étouffé. Pour le rencontrer, j’ai fait un millier de mètres à pied car ils nous ont séparés. »), au roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa (avec le roi Hassan II qui a la particularité d’être souvent représenté de dos et d’être réduit à une main), au film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, etc. « Stephen [l’héroïne lesbienne parlant de son père] aimait son large dos, elle avait toujours aimé ce dos très bon, rassurant et protecteur. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 115) Par exemple, dans le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, Aaron observe Ezri nu de dos.

 

Film "Primo Amore"

Film « Primo Amore » de Matteo Garrone


 

Souhaiter regarder quelqu’un de dos plutôt qu’en face-à-face, cela indique symboliquement un refus de la relation, une distance, une indifférence, ou un rapport de consommation qui crée justement la différence de tailles. Et cela est d’autant plus vrai dans les relations entre les deux sexes. « C’est drôle, cette façon qu’ils ont de vous déshabiller toujours de dos. Dévoilant la fleur de leur virginité. » (Anthony MacMurrough à propos de ses jeunes amants-prostitués, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « J’crois pas que ça mérite tant d’intérêt que ça, ce qui se passe dans notre dos » (Arnaud, le héros homo se référant à la sodomie, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homo, s’extasie devant l’un des autoportraits de Catherine S. Burroughs posant de dos avec sa compagne, retournée aussi, parce qu’il met l’autre sexe à distance : « C’était une toile magnifique. […] Deux vieilles dames vues de dos s’avançaient dans une mer houleuse. L’une était boulotte, l’autre plus maigre. » (p. 219) Rien d’étonnant, par conséquent, que ce couple subisse, en même temps que l’éloignement, les assauts déformant de la caricature de miroirs de fête foraine. On observe cette même entreprise de réification de la part des personnages lesbiens par rapport à la gent masculine dans les romans de Colette, où les protagonistes masculins sont quasiment toujours observés de dos ou endormis. Par exemple, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, Hannah, l’héroïne lesbienne, et Greg, son ami gay, vivent en coloc ensemble : elle s’allonge contre son dos pendant qu’il dort.

 

Dany sur Ody dans le film "Xenia" de Koutras

Dany sur Ody dans le film « Xenia » de Koutras


 

Par ailleurs, il est étonnant de retrouver le dos dans l’expression insolite « pédé comme un sac à dos », qu’on entend çà et là dans les fictions : « Ils sont tous pédés comme des sacs à dos. » (Claudia par rapport aux agences de mode, dans la pièce Curriculum vite fait (2010) de Vincent Delboy) ; « Il est pédé comme un sac à dos. » (Carole en parlant de Laurent, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) ; etc.

 
 

d) Le personnage nain apparaît souvent dans les œuvres homo-érotiques :

MODÈLE Kang nain de rêve 1

B.D. "Le Monde fantastique des Gays" de Copi (planche "Un Nain de rêve")

B.D. « Le Monde fantastique des Gays » de Copi (planche « Un Nain de rêve »)


 

Comme je l’écris dans mon livre Homosexualité intime (2009), le désir homosexuel n’est pas, par nature, réaliste. Influence audiovisuelle et télévisuelle oblige : il encourage à voir les choses en trop grand ou en trop petit, mais pas à la bonne hauteur ni à la bonne taille. L’une de ses caractéristiques est le gigantisme et le nanisme (cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1971) p. 348). C’est pourquoi on retrouve des personnages nains dans beaucoup d’œuvres artistiques homosexuelles, telles que le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec le nain Ib), le conte L’Histoire de la Princesse et du Nain (1889) d’Oscar Wilde, le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Même les cowgirls ont du vague à l’âme » (1994) de Gus Van Sant, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « Amours suspectes » (2002) de P. J. Hogan, le film « Brüno » (2009) de Larry Charles (avec le nain pygmée), le film « Casanova » (1976) de Federico Fellini, le film « Swimming Pool » (2002) de François Ozon (on y voit une servante naine ouvrir une porte d’entrée, vers la fin du film), le film « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt, le film « The Devil Doll » (1936) de Todd Browning, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, le roman Étoile de mère (2001) de G. Zoë Garnett (avec un nain homosexuel), le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet (avec la petite Nipponne ; l’héroïne lesbienne s’écrie même : « Vive les Noirs ! les Nains ! »), le roman Mon Ange (2002) de Guillermo Rosales, le vidéo-clip de la chanson « Plus Grandir » de Mylène Farmer (avec les deux religieuses naines), le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras (traitant justement du miniaturisme), la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec les nains de jardin de Philibert), le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana, le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur (le personnage de Gisèle dit qu’elle « adore les nains ! »), le film « L’Étrange Monsieur Peppino » (2002) de Matteo Garrone, le film « 20 cm » (2004) de Ramón Salazar, le film « Donersek Islik Çal » (1992) d’Orhan Oguz, la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, la B.D. Kang (1984) de Copi, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec l’assistante de la secte Moon, décrite comme « une petite naine avec un nez immense », p. 288), le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec les nains de jardin de Jean-Luc), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les Piccolos, des nains de cirque déguisés en fillettes), le film « Avant la nuit » (2000) de Julian Schnabel, la pièce Le Gang des potiches (2010) de Karine Dubernet, (avec le « gang des naines en tôle » dans une cellule voisine), le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan (Antonin offre à son copain Hubert deux petites marionnettes en pâte à modeler à leur effigie), le one-man-show Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret (avec les nains gays), le one-woman-show Chaton violents (2015) d’Océane Rose-Marie (avec la concierge à Marseille, Madame Gomez, qui serait « la cousine portugaise de Mimi Mathy »), etc.

 

« J’adore Mimi Mathy. Elle a tout d’une grande. » (le coiffeur gay du one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Un de mes réguliers en a une minuscule comme le robinet du Manneken-Pis, la peau écarlate et fripée d’un nouveau-né ou un gant de toilette essoré. […] C’est un nain bossu et hargneux. » (le chiotte public homosexuel parlant d’un de ses visiteurs, dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 89-90) ; « Jane regarda une nouvelle fois le bâtiment en ruine qui s’élevait de l’autre côté de la rue, comprenant que, même en été, son ombre s’étirerait dans la chambre, étouffant toute chance de chaleur. Elle avait pris l’immeuble de derrière pour une réplique, plus jolie que le leur, plus élégant et rénové, mais peut-être était-ce l’inverse et leur bâtiment était-il le reflet de l’immeuble délabré. Cette idée lui donna l’impression d’être petite, et l’enfant qu’elle portait plus petit encore, un poisson solitaire piégé dans des eaux fluviales. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, pp. 70-71) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Glen et Russell évoquent l’existence de « leurs nains de jardin gays ». Dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz, le père de famille dont on célèbre l’enterrement est homosexuel ; et son amant secret, Peter, est un homme nain. L’un des fils de la victime, Robert, n’en revient toujours pas : « Quoi? Papa trompait maman avec ce lilliputien?? » Dans la nouvelle « La Césarienne » (1983) de Copi, Jacqueline Mignot fait partie du contingent de nains démocrates français à New York car elle est lilliputienne : « Elle était néanmoins fort complexée vis-à-vis des autres femmes socialistes de sa génération » (p. 65). Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, le comédien Cameron Drake, jouant le rôle d’un gay dans un film oscarisé, est décrit comme un « nain de jardin » et « l’Homme le plus sexy de l’année ». Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1), une naine s’exclame « amen ! » à Shane, le héros homosexuel, quand celui-ci force les deux meilleures amies Amy et Karma à former un couple lesbien.

 

Film "Joyeuses Funérailles" de Franz Oz

Film « Joyeuses Funérailles » de Franz Oz


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’amant comme modèle artistique :

Beaucoup de personnes homosexuelles croient vraiment que la photo de l’homme (ou de la femme, pour les femmes lesbiennes) qu’elles désirent a le pouvoir de s’animer au contact de leurs yeux… ou de leurs mains : « Mon index caresse une photo de cet été où il se tient debout torse nu devant la mer dans l’île de Fuerteventura, comme si j’espérais que du corps de papier émanerait la chaleur du corps réel. » (Christian à propos de son amant Kamel, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 25) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. […] Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; « Sa quête d’images photographiques en dit long sur les frustrations de l’exilé allemand en Bolivie. » (Philippe Simonnot à propos dans Ernst Röhm quand il avait 42 ans, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 235) ; etc.

 

Dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), Christophe Honoré nous raconte comment il s’est fait portraiturer nu à 15 ans par Vincent, un camarade du lycée. Dans le documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger, Orianne, femme lesbienne de 21 ans, a orné le mur de sa chambre de modèles féminins photographiques, qu’elle a baptisé ironiquement « Murs des Lamentations ». Toute une industrie du porno s’est développée autour de l’attrait des personnes homosexuelles à photographier/filmer l’objets de leur désir ou leurs couples (cf. le documentaire « Beefcake » (1998) de Thom Fitzgerald). Pour ma part, je me souviens qu’en boîte, quand des garçons me voyaient danser et tentaient de me draguer, j’en voyais certains en train de simuler qu’ils me filmaient avec une caméra… manière de me flatter et de me dire que je dansais à leur goût.

 
 

b) Amant miniature :

Souvent, les personnes homosexuelles regardent leur amant(e) de dos ou se sentent miniaturisées par leur amant(e). Cela ne prend pas tout de suite une connotation négative. « Si véritablement je n’étais pas leur star, à coup sûr, je devins par la suite une célébrité parmi eux [les garçons]. Ma féminité les rendait impulsifs les uns les autres. Ils m’aimaient, me parlaient avec douceur en me caressant la nuque ou le dos, comme il était permis ici pour démontrer une certaine affection. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 58) ; « C’est Laurel et Hardy. Don Quichotte et Sancho Panza. » (Pierre racontant sa première impression quand il a rencontré son « mari » Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Tu dis ‘Je veux que tu regardes mon dos comme une œuvre et que tu trouves ça beau’. » (le médecin s’adressant à Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Love And Words » (2007) de Sylvie Ballyot, la traductrice est toujours filmée de dos ; la réalisatrice, pour se justifier d’avoir choisi cet angle de vue, déclare  que « le désir n’a pas besoin d’être exposé ».

 

Mais dans les faits, cette miniaturisation laisse se profiler un mépris voire un viol. « J’ai demandé au ciel de me dire pourquoi je suis là ? Qui j’étais ? Et quelques jours plus tard, on dit que le hasard n’existe pas, je regardais la télé le soir en zappant les chaînes, je vois un film érotique chouette et je vois un homme de dos, et l’autre personne, je ne la voyais pas. Et après, je me rends compte que ce sont deux homosexuels. Je n’avais jamais vu d’homosexuel en chair et en os. Et de les voir en plus en plein acte de violence, j’ai eu comme un coup de poignard, une monté de colère, un viol de mon être, une déchirure. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) Par exemple, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, les amants sont rapetissés… et c’est très mauvais signe : « Abdellah, mon ami, mon copain, était plus petit que moi. » (p. 12) ; « Ils se sont rapprochés de moi en se masturbant. J’étais allongé sur le dos au milieu du lit bleu. J’ai fermé les yeux et j’ai essayé de m’imaginer encore une fois à la piscine, l’eau, le chlore, le plongeoir, la paix, le luxe. Un rêve impossible à l’époque. Je nageais mais dans la peur. Je tremblais, à l’intérieur. Je ne voyais plus les garçons sauvages mais je les sentais venir, se rapprocher de mon corps, le renifler et le lécher. Dans un instant le violenter, l’un après l’autre le saigner. Le marquer. Lui retirer une de ses dernières fiertés. Le briser. » (idem, p. 25) ; « C’est toujours moi qui me jette le premier sur lui. Moi petit. Lui grand. Moi petit et lui grand comme avec Chouaïab qui avait failli me violer à la fin de mon enfance. » (à propos de son amant Slimane, p. 105) ; « Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (toujours par rapport à Slimane, p. 117) L’auteur se déforme également au moment du viol d’adolescence, comme un être irréel, un corps sans organe deleuzien : « J’étais dans le sommeil. Je flottais. Le monde était devenu bleu et moi, petit et grand, bientôt très grand, bientôt avec une autre image de moi-même. Me construire autrement, dans une autre vie. » (p. 17)

 
 

c) Le décalage de tailles entre les deux amants homosexuels peut être une réalité concrète de leur quotidien :

Dans L’Amour qui ose dire son nom (2000), Dominique Fernandez souligne que le duo David et Goliath figure parfois le couple homosexuel dans l’iconographie traditionnelle.

 

Il est curieux de voir dans l’autobiographie d’Alfredo Arias Folies-Fantômes (1997) que le fait de regarder l’autre de dos, ou d’être vu de dos, a des effets grossissants ou au contraire minorants sur le couple, comme l’exprime très bien Coco : « Quand le type s’est mis à me tripoter, il était derrière moi. J’ai regardé entre mes jambes en baissant la tête et j’ai vu que le type lévitait. Oui… Les pieds du mec flottaient en l’air. J’ai cru que mon cul le faisait léviter. […] J’ai découvert, en relevant la tête, que le type, qui était petit, s’était suspendu à un tuyau pour mieux baiser. » (pp. 102-103)

 

La différence de tailles que l’on peut observer entre amants homosexuels dans les fictions peut être le reflet d’un déséquilibre relationnel vécu concrètement soit au sein des couples homos réels, vivant entre un trop-plein d’ouverture (exhibition, excès, perte de l’intimité, infidélité, etc.) et un trop-plein de fermeture (fusion, absence de liens sociaux, activité sexuelle exacerbée, etc.), soit entre les deux membres du couple homo même. « Claude était aussi extraverti que j’étais introverti. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 29)

 

Plus symboliquement, le duo d’un grand et d’un petit peut renvoyer à un fantasme de viol ou un viol réellement vécu. Par exemple, dans l’autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule décrit le duo de collégiens qui lui a infligé des sévices homosexuels et homophobes comme l’agencement d’un petit et d’un géant (« le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté », p. 19).

 

Documentaire "Sex Life In L.A." de Jochen Hick

Documentaire « Sex Life In L.A. » de Jochen Hick


 

Concernant la question de la préférence homosexuelle pour les dos, aussi saugrenue qu’elle puisse paraître, elle est beaucoup plus répandue qu’on ne le croit. Par exemple l’écrivain Violette Leduc se donne souvent de dos à ses amants (Geneviève Pastre, « L’Écriture et le Désir chez Violette Leduc », cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 198). Pierre Kyria nous parle de « l’œil froid » de Colette qui « transforme l’homme de sujet en objet » en le regardant « de dos » (Pierre Kyria, « L’Écriture Hermaphrodite », dans Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 37). Je vous renvoie également au roman Un petit homme de dos cité dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux ; ainsi qu’au témoignage de certaines femmes lesbiennes regardant les hommes comme des objets et affirmant texto qu’elles les préfèrent « vus de dos » (cf. Marie-France, 54 ans, lesbienne, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) : « Je trouve que les hommes sont beaux à regarder de derrière… mais pas de devant. »

 
 

d) Les nains :

Film "Blancanieves" de Pablo Berger

Film « Blancanieves » de Pablo Berger


 

Pour en finir avec le code de l’amant photographique, et toujours dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, il est parfois fait référence aux personnes naines, et ceci de manière insistante, tout comme dans l’univers farmérien. « Une lilliputienne, murmura Madeleine, attendrie. J’ai toujours rêvé de rencontrer une lilliputienne. » (à propos de Miranda, « l’unique lilliputienne argentine », p. 242) ; « C’est l’homme le plus petit du monde, conclut rêveusement Madeleine. Comme j’aimerais le rencontrer. » (idem, p. 271) Grâce au témoignage d’Arias, on voit – notamment à travers cette femme appelée Madeleine, apparemment fascinée par le nanisme – que cette catégorie minoritaire de la population interpelle beaucoup les personnes homosexuelles. Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, lorsque Pascal enfile sa combinaison de parachutiste, fait une blague : « C’est pour un nain. » Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel commence son spectacle en disant qu’il était Superman et qu’il s’est transformé en nabot homosexuel : « L’homme du futur, plus fort et plus résistant, s’est transformé en nain efféminé. » Le comédien tourne en dérision sa petite taille, et dit qu’il aurait aimé être grand, blond aux yeux bleus : « 1m66, ça fait marrer. »

 

 
 

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Code n°6 – Amant narcissique

Amant narcissique

Amant narcissique

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Film "L'Homme de sa vie" de Zabou Breitman

Film « L’Homme de sa vie » de Zabou Breitman

 

La psychanalyse, et notamment Freud, a beaucoup insisté (et pour cause !) sur la nature narcissique du désir homosexuel : ayant trop peur d’elles-mêmes pour s’accepter uniques et pour s’extérioriser vers les autres, les personnes homosexuelles se cherchent fantasmatiquement un clone d’elles-mêmes projectivement valorisé, vers qui elles pensent retrouver leur unité originelle/amoureuse (narcissisme platonicien, quand tu nous tiens…), pouvant dans un premier temps les rassurer dans une rafraîchissante et spéculaire ressemblance, mais qui au final les enferme sur elles-mêmes au point de les faire mourir ou d’éteindre en elles le désir. Dans la mythologie grecque, il n’est pas anodin que Narcisse se noie dans son égocentrisme, qu’il rêvait pourtant tourné sur l’Autre. Cette attirance vers le miroir de soi, très marquée dans les créations artistiques homosexuelles, rappelle que le désir homosexuel est un désir d’être objet, un élan plus égocentrique qu’altruiste, davantage ouvert sur la mort qu’à la – si vitale – Différence.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Miroir », « Jumeaux », « Cercueil en cristal », « Don Juan », « Voyeur vu », « Espion », « Clonage », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Amant diabolique », « Homme invisible », « Inversion », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Photographe », « Inceste », « Substitut d’identité », « Haine de la beauté », « Amant modèle photographique », « Pygmalion », « Eau », et à la partie « Paravent » du code « Maquillage », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel trouve en son amant homosexuel une projection idéalisée et spéculaire de lui-même :

Film "Holding Trevor" de Rosser Goodman

Film « Holding Trevor » de Rosser Goodman

 

En général, dans les œuvres artistiques homo-érotiques, le héros homosexuel ou le réalisateur homosexuel prête au miroir des sentiments, une personnalité (… parce qu’initialement lui-même s’est pris pour un miroir !) : cf. le film « Espelho De Carne » (1983) d’Antonio Carlos Fontoura, le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, la photo « I’ll Be Your Mirror » (1996) de Nan Goldin, l’album Surfaces de plaisir (1987) de Federico Moura, le film « L’un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le film « Glissements progressifs du plaisir » (1974) d’Alain Robbe-Grillet, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « I’m The One That I Want » (2000) de Lionel Coleman, le film « Je suis ma propre femme » (1992) de Rosa von Praunheim, le film « Narziss Und Echo » (1989) de Michael Brynntrup, le film « Dorian Gray Im Spiegel Der Boulevardpresse » (1983) d’Ulrike Ottinger, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « Le Miroir de l’obscène » (1973) de Jess Franco, le film « Atomes » (2012) d’Arnaud Dufeys (entre Hugo et Jules dans les toilettes de l’internat), etc.

 

« Je suis votre miroir, la belle : je réfléchirai pour vous. » (le Miroir parlant à la Belle avec la voix de la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « Un pare-brise de Twingo ? Fendu en deux, en plus… C’est gentil, je suis pas intéressé. […] Je me fais grave chauffer depuis que je suis une vitre ! » (le narrateur homosexuel réincarné en vitre de pare-brise, et racontant comment il fut accosté par une autre vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Regarde-moi dans les yeux car il n’y a pas d’autre lieu où tu puisses voir le miroir dans lequel dans un instant tu t’éveilleras en moi ! » (Ahmed s’adressant à Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « La lun’ se lève dans le ciel rouge comm’ par un’ nuit d’été ! Cachafaz et la Raulito vont passer de l’autre côté ! » (le chœur des voisines parlant du couple homo Cachafaz/Raulito, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je vous envie d’aimer les vitres comme vous les aimez. » (Marie-Louise, une brodeuse parlant du rapport entre Sidonie et la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Il s’agit de trouver dans ce visage un miroir, le plus limpide des miroirs, de sorte que cette personne va me renvoyer cette lumière. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; « C’est comme un miroir. Je sens un souffle qui naît à l’unisson. Mon double. » (c.f. la chanson « Retenir l’eau » de Mylène Farmer) ; etc.

 

Film "La Ligne d'eau" (2013) de Tomasz Wasilewski

Film « La Ligne d’eau » (2013) de Tomasz Wasilewski


 

Par exemple, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Fédore, l’une des héroïnes lesbiennes, interroge (ironiquement ?) son miroir sur le mode amoureux : « Dis-moi que je suis belle et que je serai belle, éternellement… éternellement. » (p. 243) Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie pose ses lèvres sur l’empreinte de rouge à lèvres laissée par Floriane sur la vitre de sa fenêtre, pour être en communion avec son amante. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, c’est en s’observant toutes les deux face à un miroir que Carol et Thérèse s’embrassent sur la bouche pour la première fois. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, s’entraîne à déclarer sa flamme à Bram, son futur amant devant sa glace. Et comme par hasard, le pseudonyme de Bram est très aquatique puisque le jeune homme se fait appeler « Blue ». Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West et Virginia Woolf s’embrassent pour la première fois à côté d’un miroir, et c’est leur reflet que le téléspectateur voit. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Rémi regarde et communique avec son amant Léo à travers la vitre-plexiglas de la patinoire de hockey sur glace où joue Léo.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi

 

Parfois, le héros homosexuel embrasse son propre reflet dans la glace : cf. le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1987) de Pedro Almodóvar (le tout début avec le comédien forcé par deux réalisateurs d’embrasser sa glace et de se masturber sur scène), le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde (Dorian dit « Je t’aime » à son autoportrait), le roman Le Baiser de Narcisse (1907) de Jacques Adelsward, le film « Le Baiser devant le miroir » (1933) de James Whale, la chanson « Je m’aime » de Dranem, etc.

 

« J’ai envie de m’embrasser. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Un baiser sur le miroir, avec un peu de langue. » (le personnage homosexuel noir, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Ce nouveau Narcisse s’éprendra de sa propre beauté. » (la conteuse parlant de Dorian dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Plusieurs fois dans les mois qui suivent je retourne seul au Louvre (sans jamais réussir à m’y faire enfermer ; j’aimerais beaucoup vivre ici et le dis chaque fois aux gardiens) […] À force d’observations, je finis par découvrir que je figure sur trois peintures au moins et que sur celle signée Raphaël j’apparais carrément tout entier à poil […] : c’est là devant ce tableau que pour la première fois de son existence Vincent Garbo aura éprouvé sur tout son corps l’émotion de l’amour. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 45) ; « La seule personne que j’aime, c’est moi. » (Juna, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Mon Dieu, si je pouvais me faire l’amour… » (Jarry embrassant son reflet dans la glace, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, Élisa, l’héroïne lesbienne, s’embrasse dans la glace. Dans la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora, le protagoniste tombe amoureux de son reflet. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le personnage principal se prend pour Narcisse et se masturbe sous la douche. Dans le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, Andersen s’embrasse dans la glace. Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, Hervé, le héros homosexuel  s’appelle lui-même « mon chéri ». Dans la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, le protagoniste donne un baiser à son reflet dans le miroir. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Paul s’écrit une lettre d’amour à lui-même par un lapsus épistolaire, alors que pourtant, il souhaitait l’adresser initialement à Agathe. Dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, Romain, le héros, exprime son narcissisme dans la mort : « Je voulais vous dire que je vous aime, que je suis très malade et que je vais bientôt mourir » répète-t-il à son reflet spéculaire dans l’ascenseur. Dans la pièce Open Bed (2008) de David Serrano et Roberto Santiago, Julien dit qu’il « pourrait très bien tomber amoureux de lui-même », et que le fait de l’envisager, c’est chez lui « le début de la bisexualité ». Dans le film « A Escondidas » (« Fronteras », 2016) de Mikel Rueda, Rafa, un jeune de 14 ans, s’embrasse dans la glace au moment où il découvre sa tendance homosexuelle. Dans le film « Les Amoureux » (1964) de Mai Zetterling, le héros avoue que son plus « grand problème », c’est qu’il « se fait constamment la cour ». Dans le roman d’Yves Navarre Portrait de Julien devant la fenêtre (1979), le juge Kappus en arrive au constat narcissique suivant : « On ne vit qu’avec soi. On n’aime que soi. » (p. 154) Pendant son concert  à L’Européen à Paris le 6 juin 2011, Océane Rose-Marie (Oshen, la fameuse « lesbienne invisible ») commence son show de manière très bizarre : elle se regarde dans son verre à pied, s’arrange et s’adore devant son reflet ; le verre en cristal lui sert de miroir narcissique. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, le héros homosexuel, parle à son miroir, l’engueule puis l’embrasse. Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, le cosaque Karltschusski « baisait son portrait ». Dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), Merteuil comme Valmont s’embrassent dans le miroir. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, Jerry annonce la bouche en cœur à son ami Joe « Je suis fiancée ! ». Et quand Joe lui demande « quel est l’heureux élu ? », il répond joyeusement « Moi ! ».

 

Il arrive que la meilleure amie du héros homosexuel reproche au protagoniste homosexuel de ne penser qu’à lui : « De toute façon, tu ne t’intéresses à personne d’autre qu’à toi. » (Marie s’adressant à son meilleur ami gay Loïc, dans le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier) ; « Tu n’as dit ‘je t’aime’ qu’à toi-même. » (cf. la chanson « Jimmy Love Me » de la Diva dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, lorsque le public entend la révélation publique de l’homosexualité de Tom (« Tom Valentin est homo. »), Cindy, sa compagne postiche, ouvre la fenêtre puis la referme en parodiant la pub de parfum Égoïste ! de Jean-Paul Goude. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Joan, la fiancée répudiée par Alan Turing, homosexuel, le baptise de « fragile Narcisse ».

 

Le personnage homosexuel tombe amoureux de lui-même, de sa propre image. Mais comme il n’ose pas regarder en face son propre égoïsme, il se sert d’un être humain réel (ou une star de télé) sur lequel il se projette lui-même, pour camoufler/justifier son narcissisme. Par exemple, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, quand Mathan demande à Jacques « s’il n’a personne dans sa vie », ce dernier lui répond que si : « Il s’appelle Narcisse. […] C’est mon chat angora. Un peu comme un amant. » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. » Dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann, Arthur découvre que son copain Julien a un attrait pour lui parce qu’il le voit l’observer indirectement dans un miroir.

 

L’amant n’est envisagé que derrière une vitrine : « Je me vois dans le miroir à même sa peau. » (la narratrice lesbienne parlant de son amante Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 117) ; « De part et d’autre de la vitre, nous nous regardons en silence. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) ; « Voulez-vous que je vous serve de miroir…? » (Inès, la lesbienne, s’adressant en séductrice à Estelle qui déplore, en enfer, de ne plus avoir de miroir où se regarder, dans la pièce Huis-clos (1944) de Jean-Paul Sartre) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, le personnage de Willie décrit ses différents amants comme des reflets aquatiques : « Ça fait cinq, […] si je repense à mes amours. […] Ça fait bizarre de les mettre sur la même surface, à égalité, tout plat, hop, un peu comme s’ils étaient posés tous les cinq sur l’eau. » (p. 279)

 

Dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, le rapport corporel homosexuel fait penser à celui de l’imprimerie : « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à Arthur, p. 63)

 

Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Lukacz fait les vitres de la maison d’Adam à l’insu de ce dernier. Et Adam découvre, en regardant par la fenêtre, le visage de son futur amant. Dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport, les deux amants homosexuels s’embrassent à travers une paroi vitrée. Dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, la vitre sépare les deux amants Johnny et Omar. Idem dans le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, ou encore dans le film « Plutôt d’accord » (2004) de Christophe et Stéphane Botti (avec la vitre entre Rodrigue et Jérémy). Dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca, Doña Rosita considère Cocoliche comme un miroir d’elle-même : « Chaque fois que je te regarde, mon amour, je crois être devant une fontaine. » Dans le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, on observe un véritable mimétisme spéculaire entre les deux amants homosexuels, qui jouent au « jeu du miroir ». La génitalité homosexuelle est montrée comme spéculaire dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear, ainsi que dans la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer (« Le nec plus ultra en ce paysage, c’est d’aimer des côtés. »). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le couple lesbien Emma/Adèle est fusionnel, aquatique et narcissique : les filles sont filmées de près, sur des fonds bleus ou entourées de miroirs. Dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau présente le miroir comme un univers d’inversion, au niveau de l’identité sexuée d’une part (le petit homme embrasse la princesse « ressemblant à Sheila dans ses beaux jours » et qui se transforme en Jean Cocteau), mais aussi au niveau de la pratique sexuelle. Le miroir est donc un lieu où tout le monde devient auto-reverse, où l’amour homo et l’identité siamoise sont rendus possibles : « Ô, toi, public, connais-tu l’histoire du miroir à deux faces ? » ; « Et ils [le petit homme et Jean-Claude son amant spéculaire] s’émeurent. Et ils s’aimèrent. »

 

L’amant narcissique est quelquefois tout simplement le modèle de magazine que le héros homosexuel jalouse : « Une fois, j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Je n’arrêtais pas de me demander : Pourquoi cette femme me ressemble ? Pourquoi elle est dans le magazine et pas moi ?!? […] Elle me ressemblait, et ça me rendait malheureuse. Cette femme dans le magazine qui me ressemblait, je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a explosé à la figure. » (Oshen – la comédienne Océane Rose-Marie – lors de son concert à L’Européen à Paris le 6 juin 2011) ; « Tu te prends pour la réincarnation de David ou quoi ? » (Jian Cheng s’adressant à Wang Ping qui se regarde dans la glace, dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; etc.

 

Il est fréquent de retrouver des scènes de films homo-érotiques où le héros homosexuel et son amant font l’amour dans une chambre entourée de miroirs : cf. je vous renvoie au code « Cercueil en cristal » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. « Au fond, tu n’auras toujours été qu’un sale égoïste. » (Vincent s’adressant à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tu t’aimes beaucoup. Si on doit mesurer les égos, je suis battu à plate couture. » (Vincent s’adressant à Stéphane, idem) ; etc. C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Comme pour symboliser que l’union homosexuelle est prioritairement narcissique, certains cinéastes filment parfois les scènes érotiques homosexuelles dans des lits entourés de miroirs, multipliant les amants à l’infini tout en les centrant sur eux, comme dans le film « Grande École » (2003) de Robert Salis (cf. je vous renvoie au code « Cercueil de cristal » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Certes, là encore, le coït homosexuel semble ouvert sur l’extérieur car les miroirs favorisent l’impression d’agrandissement spatial… mais ceci n’est vrai que dans la logique spéculaire et non dans le réel.

 
 

b) L’envers du décor spéculaire amoureux homosexuel :

Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat (cf. la chanson « Corps et armes » d’Étienne Daho, le poème « El Inquisidor Ante El Espejo » de Vicente Aleixandre, le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, la chanson « Rupture en miroir » de Jane Birkin, la poésie « Pénombre » de Pierre Louÿs, etc.) : « Quand on entre dans la cour, le garçon de la DDASS sort le premier. Il s’approche de la voiture, colle son nez à la vitre, me regarde, une main en visière de casquette. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 49)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Au fur et à mesure du temps, le contact spéculaire entre les deux amants finit par apparaître comme une frontière désagréable (et merdique !), une distance d’indifférence, de mépris ou de froideur qui frustre chacun des partenaires : « C’était comme s’il y avait un épais mur de verre entre nous. » (Laurent parlant de l’incommunicabilité avec son amant André, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Je le vois bien que vous êtes là, je vous vois reflétée dans l’eau des waters ! » (Loretta Strong s’adressant à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Goslin… avec le corps d’Élie Sémoun. » (Benjamin racontant sa première rencontre avec Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Il faut voir les jolis garçons timides qui se reniflent comme des chiens, […] la joie illuminer leur visage quand ils croisent dans le jeu des carreaux le reflet révélateur de celui qu’ils convoitaient et qui enfin répond à leur appel par un regard de gorgone lubrique. » (le chiotte public homosexuel dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 93) ; « Surprise, elle me dévisage sur le cliché et puis en chair et en os, et après se regarde longuement dans la glace. J’accroche la photo au coin du miroir, et me reflète à mon tour. Je suis derrière elle, et je lui parle à l’oreille, fixant son double qui me fait face. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 47-48) ; « On se parle par écrans interposés. » (Daniel s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Derrière la vitre je l’observe, assis sous l’abribus ensoleillé. Son pantalon est trop petit, son front trop plat, ses yeux dépourvus de regard. Ses cheveux ressemblent à des poils de radis noir trempés dans l’huile de tournesol, mais peignés soigneusement. » (le narrateur homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 11) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, les deux amantes Anna et Cassie croient que si elles se déconnectent d’Internet, si elles brises l’écran vitré qui les unit, elles et leur amour vont disparaître. C’est d’ailleurs ce qui leur arrive. Leur amour ne tient qu’à une connexion informatique. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca voit un de ses amants au lit comme « un braconnier » qui va le tuer pendant le coït : « Il m’a foutu la peur de ma vie ! » Il le voit comme un être virtuel : « Et moi, j’étais en dessous, et je tapais ESCAPE ESCAPE ESCAPE !! »

 

Dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver, Billy, en songe, veut aller rejoindre son amant Gabriel qu’il voit courir vers la mer, mais il se heurte contre une vitre invisible qui l’empêche d’avancer : l’écran de cinéma.

 

Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien décrit à son amant Malcolm leur histoire d’amour comme une douce pente, une descente aux égocentriques enfers aquatiques : « Mais qui étions-nous quand nous nous sommes rencontrés ? Deux sabliers qui allaient s’inverser comme un miroir. […] Une histoire rêvée, fantasmée […] On descend vers soi, comme le sable, comme le fleuve. » (p. 138) Le Narcisse homosexuel se prend pour son propre désir : « Il [Adrien] aimait aimer. Il aimait se ressentir, s’éprouver aimant. » (p. 40) Et même si cela le flatte dans une premier temps, il finit par en payer les conséquences…

 

Dans le roman à l’eau de rose gay Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, les amants homosexuels entretiennent une relation totalement narcissique du point de vue du désir. Bryan, le héros, dorlote Kévin comme s’il se parlait à lui-même : « Quand je te vois, j’ai l’impression que tu n’es pas réel. Que je suis dans un rêve. Comme si tu venais d’ailleurs ou que tu étais immortel ! » (p. 141) ; « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (pp. 330-331) ; « Tu es comme j’aurais voulu être, mais comme je ne suis pas. T’es mon rêve ! » (p. 142) Bryan réclame à Kévin qu’il lui parle davantage de lui, parce qu’« il ne se voit qu’à travers lui, à travers ce qu’il lui dit » (p. 161). Il cherche tellement à le coller qu’il ne le voit plus, qu’il n’a même plus une claire vision de qui il a en face de lui : « Je ne te connais pas, comment peut-on aimer quelqu’un qu’on ne connaît pas ? Je ne sais pas… mais je t’aime ! » (pp. 213-214) Folie du narcissisme… On a tellement l’impression de dialoguer avec « son autre soi-même » qu’on ne se voit même plus soliloquer ! : « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serrai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (p. 317) Aveuglé par ses intentions d’amour fusionnel, Bryan ne se rend pas compte qu’il se noie dans les eaux infernales du Styx : « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (p. 317) ; « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (p. 317) Il finira par mourir de manière brutale à la fin du roman.

 

Le reflet spéculaire dont le héros homosexuel tombe amoureux ressemble à un mirage narquois et cruel. L’androgyne diabolique est ce personnage-miroir à double face (souvent décrit dans la fantasmagorie homosexuelle comme un reflet transparent, un homme invisible, une obscure clarté, un diamantaire) qui a tendance à épier, à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux. « Déjà ce soir-là Méphisto incognito guettait sa victime en rasant les murs. Dans les vitrines se croisent leurs regards, miroirs qui se font signe, sans parole et sans signature. » (cf. la chanson « Les Trottoirs de Los Angeles » de la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Plamondon) Par exemple, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, sous la douche, Clara, l’héroïne lesbienne, voit dans une flaque le reflet riant et diabolique d’un de ses agresseurs lesbophobes.

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, vit sa vie amoureuse impossible à travers les miroirs. Par exemple, il découvre son émoi homosexuel pour Dick quand il le regarde nu dans une glace. Plus tard, il utilise le reflet de la vitre du compartiment du train pour se donner l’illusion spéculaire qu’il embrasse Dick sur la bouche. Enfin, après avoir assassiné Dick, Tom voit le visage accusateur de son amant dans les miroirs : il tombe de son solex après avoir croisé dans le miroir d’une brocante italienne le regard de Dick.
 

Il arrive même qu’il viole le héros homosexuel (dans le cadre de l’amour ou de la prostitution). Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, le prostitué Eloy s’adresse à Rubén – son client – à travers un miroir. Dans le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, par exemple, au moment où Thomas embrasse son copain, il est blessé au visage par des éclats de verre. Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, Nina tue avec un éclat de miroir brisé son amante lesbienne Veronika dans les loges de l’Opéra. Dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, Jan repousse violemment son meilleur ami Matthieu qui a tenté de l’embrasser sur la bouche, et ce dernier se retrouve propulsé sur une fenêtre qui vole en éclats et lui coupe la jambe.

 

L’attraction sexuelle vers Narcisse s’annonce explosive, éclatante et coupante comme un miroir brisé : « Il frémissait, nu maintenant, totalement nu et désarmé, recroquevillé dans le vent bleuté du soir, la tête basse pour ne pas encore affronter le reflet de lui-même qu’il se préparait à reconnaître dans le regard de Pierre Gravepierre. Il aurait aimé pleurer. Il aurait aimé se jeter, bras en avant vers Pierre Gravepierre. Il aurait aimé être happé doucement et étreint avec une violence qui l’aurait brisé. » (Claude Brami, Le Garçon sur la colline (1980), pp. 247-248) Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, le drame du narcissisme homosexuel apparaît comme un sacrifice d’amour magnifique, même s’il n’est en réalité qu’une jalousie entre amants, jalousie qui conduira Khalid à la mort : « Je l’ai poussé. Il a plongé. Le fleuve Bou Regreg l’a accueilli, embrassé, trop aimé. J’entends, je vois encore ce moment. Le corps de Khalid qui rencontre l’eau du fleuve. Un mariage. » (Omar parlant de Khalid, pp. 167-168) Dans le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, l’héroïne lesbienne Nathalie donne une définition assez juste des femmes au destin amoureux dangereux : « Les femmes fatales sont en général narcissiques ou lesbiennes. »

 

Le miroir est le reflet de la réalité violente de la pratique homosexuelle : « Le chauffeur de taxi râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 44) ; « Tes lèvres sont bleues. Tu as sucé un bonhomme de neige ? » (Harold s’adressant ironiquement à son pote Emory, homo lui aussi, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « La jeune prostituée jaillit de derrière la voiture et projeta un pavé sur la vitrine qui vola en éclats. Mme Pignou fut blessée au front par un éclat de verre. » (Copi, « Madame Pignou » (1978) p. 53) ; « J’allais rejoindre Jean-Pierre dans les toilettes. Il se tenait debout contre le mur. Il avait un couteau de cuisine à la main. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi) ; « On était au bord d’un lac. On regardait un coucher de soleil. Soudain, tout s’est écroulé. On s’est endormis. Et ils nous ont trouvés. » (Graham en parlant de son tragique amour d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est tué à l’arme à feu un an après.

 

L’amant narcissique peut être également le frère, le père, la sœur ou la mère du héros homosexuel… ce qui teinte le ravissement spéculaire d’inceste : cf. la pièce Le Cabaret des Utopies (2008) du Groupe Incognito (avec la jumelle narcissique), etc. « Quand je touchais un salaire de misère pour payer ma chambre de bonne, j’avais toujours épinglée votre photo sur mon miroir. J’ai suivi avec grande attention votre carrière. » (Vicky s’adressant à la Comédienne, qui n’est autre que sa sœur jumelle, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « On dirait ma sœur Olga. » (le compositeur homosexuel Érik Satie se regardant dans le miroir, dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Ma Mère : mon miroir. » (Margot dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Elle [Mathilde] voyait, sur une plage aride et dévorée par un ciel de feu, une pourriture que la vague inondait d’écume, puis délaissait pour la recouvrir encore, et bien que ce visage fût détruit affreusement, elle savait que c’était celui de Jean son frère. » (François Mauriac, Génitrix (1928), pp. 32-33) ; « Mon malaise s’estompait, mais l’image que me renvoya le miroir aurait pu être le fantôme d’une sœur jumelle morte. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 118) ; etc.

 

La passion homosexuelle pour l’amant narcissique conduit en général le héros vers la mort (au moins psychique et désirante ; souvent corporelle). « Je t’ai vu partir avec un masque de verre. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) Par exemple, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, tous les personnages discutent en binôme en contemplant le lac. Et tous mourront narcissiquement de cette contemplation : Michel noie Pascal. Henri se sacrifie pour Franck. Franck se jette dans la gueule du loup (Michel). Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, Orphée est obligé de traverser le miroir pour rejoindre aux enfers sa compagne Eurydice.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Beaucoup de personnes homosexuelles envisagent à travers la pratique homo de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et créateur. « Je l’ai rencontré dans un rétroviseur. J’allais à un pressing à Vanosque. » (Pierre en parlant de son amant Yann, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Tu penseras au poète grec d’Alexandrie. À celui qui a su raconter comment un miroir est tombé amoureux du coursier qui s’est regardé par hasard en lui. Un jour, un soldat grec se regardera dans ton miroir qui, comme celui du poète, tombera amoureux de lui. Qui pourra te reprocher de jouer aux miroirs ? » (la grand-mère d’Alfredo Arias parlant à son petit-fils homo, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 160) ; etc. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).

 

AMANT NARCISSIQUE portable

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. « Il m’est même arrivé de m’embrasser devant la glace à 4 ans et demi. » (Bambi, star trans M to F, s’exprimant lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « J’ai toujours été amoureuse de mon corps. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc. Mais cette déclaration ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.

 

AMANT NARCISSIQUE CAPTURE

 

Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé.  « Le ruisseau et ceux qui s’y vautrent avait déjà commencé à te fasciner. » (Oscar Wilde s’adressant à son jeune amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis écrite en 1897) L’amour homosexuel est, selon Platon, un « reflet d’amour en réponse à l’amour » (Daniel Borillo et Dominique Colas, L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005), p. 81). Par exemple, dans son autobiographie Aveux non avenus (1930), la photographe lesbienne Claude Cahun parle d’elle et de Suzanne Malherbe en des termes très narcissiques : « Portrait de l’un ou de l’autre, nos deux narcissismes s’y noyant, c’est l’impossible réalisé en un miroir magique. »

 

L’amour homosexuel peut téléporter les personnes homos dans un autre monde et leur faire faire une traversée du miroir peu libre, comme le montrent les propos de Corinne dans l’émission Ça se discute (diffusée sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) par rapport à son initiation à la pratique homosexuelle : « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. »

 

L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. « C’est ça, une vie de luxure. Je me regardais constamment dans le miroir. Et c’était toujours MOI, MOI, MOI. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Comme pour symboliser que l’union homosexuelle est prioritairement narcissique, certains cinéastes filment parfois les scènes érotiques homosexuelles dans des lits entourés de miroirs, multipliant les amants à l’infini tout en les centrant sur eux. Certes, là encore, le coït homosexuel semble ouvert sur l’extérieur car les miroirs favorisent l’impression d’agrandissement spatial… mais ceci n’est vrai que dans la logique spéculaire et non dans le réel. L’amour homosexuel, indépendamment de la volonté des deux membres du couple, implique d’abord un désir de clonage, d’une duplication, d’un écho androgynique, et non d’un engendrement par la différence.

 

Peu de personnes homosexuelles dérogent à cette interprétation fausse et égocentrique de l’amour, aux désastres du narcissisme identitaire. Par exemple, dans son autobiographie Parloir (2002), Christian Giudicelli s’imagine devant son propre reflet qu’il s’adresse à son jeune amant Kamel : « Je me regarde dans le miroir : c’est lui. Je dis : ‘Bonjour, c’est moi Kamel.’ Il approche son visage, ses lèvres ouvrent mes lèvres. » (p. 119) Elles aiment se rassurer de la sexualité en cherchant un semblable qui la confortera dans son manque de confiance en elle : « Je n’ai jamais eu d’aventure avec quiconque. Des relations sexuelles, oui. Des relations amicales, oui. Les deux combinées ? Non. Jimmie, bien entendu, c’était autre chose – c’était moi. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 253) Didier Éribon, en racontant dans son autobiographie Retour à Reims (2010) un de ses plus forts émois amoureux envers un camarade de classe, illustre tout à fait le mimétisme spéculaire impulsé par le désir homosexuel : « Il me fascinait et j’aspirais à lui ressembler. » (p. 175)

 

L’amour homosexuel est un amour de mise en abyme, projectionnel : l’amant homosexuel se regarde aimer plus qu’il n’aime vraiment, tombe amoureux de « lui-même en amoureux » plutôt que de l’individu singulier en face de lui, vit dans le désir d’aimer sans aimer concrètement, expérimente l’amour dans l’intention plus que dans les faits. C’est pour cela qu’il parle au conditionnel quand il exprime son désir : « Je voudrais que tu me manques » dit Christophe Moulin dans sa chanson « J’aimerais aimer ». Le désir homosexuel n’est pas pleinement effectif, réel, agissant.

 

Le narcissisme de l’« amour » homosexuel se traduit en général en violences au sein du couple homosexuel. Certaines personnes homosexuelles parlent même de leur amant comme d’un miroir qui a éclaté entre leurs mains : « C’est comme un miroir. Tu tiens le miroir en pleines mains. Tu aimes le miroir. Et soudain, il se brise en mille morceaux. Comme ton cœur. C’est un sentiment de personnes. » (Louie, homosexuel palestinien de 31 ans caché à Tel-Aviv, dans le documentaire « The Invisible Men » (2012) de Yariv Mozer)

 


 

L’amant narcissique recherché par les personnes homosexuelles peut être également le frère jumeau, le père, la sœur ou la mère (fantasmatiquement projeté)… ce qui teinte leur ravissement spéculaire désirant d’inceste : « Il avait dix-sept ans à présent, presque dix-huit, comme moi. Nous avions tous deux connu cinq ans de souffrance dans ce lycée militaire où nos familles respectives nous avaient envoyés, avec l’espoir que cette éducation virile anéantirait notre imaginaire. Dans un esprit de pédagogie et de feinte gentillesse, ils avaient formé le plan de nous éliminer. Nous avions construit, Ernestito et moi, un jeu de miroirs qui allait devenir notre planche de salut : chacun de nous était tantôt le personnage, tantôt le reflet, et nous ne nous quittions pas. Ce rituel allait nous permettre de survivre aux innombrables épreuves d’humiliation auxquelles cette ‘formation’ se prête volontiers. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes, 1997, pp. 189-190)

 

Le désir homosexuel, même s’il se fait appeler « amour », tend à replier la personne homosexuelle qui souhaite le pratiquer sur elle-même : « Le reste de sa jeunesse de collège, au sortir de cette douleur, Oscar Wilde le consacre à lui-même, dans un fabuleux égoïsme : ‘Autrui est tout à fait insupportable. La seule compagnie possible est soi-même. S’aimer soi-même est le commencement d’un grand amour.’ écrit-il trente ans plus tard. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 171) ; « Comme je me sentais seul, dramatiquement seul, ce n’est qu’avec moi-même que je pouvais communier. […] J’aimais souvent me contempler nu. » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), pp. 60-62)

 
 

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Code n°7 – Amant triste

amant triste

Amant triste

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

C’est une véritable maladie que la croyance en l’« Amour » triste ! La « Mélancholia » comme dirait Mylène Farmer… Une maladie de notre époque narcissique et dépressive. Et la confusion entre la gravité de l’Amour avec la mélancolie/la mort : une perversion ! (… mais rassurez-vous, ça se soigne très bien ^^) Qu’on le dise haut et fort, sans honte, quitte à passer pour des individus angélistes, naïfs et idéalistes : il n’y a pas d’Amour vrai sans joie durable ! Que savent-ils de l’Amour, ceux qui entonnent en chœur « Je t’aime mélancolie » ? Pas grand-chose finalement.

 

Il n’est pas rare que l’« amour » homosexuel, dans les fictions tout comme dans le réel, s’avance par la voie des larmes et de la mélancolie, plus qu’il ne soit le reflet d’une force de vie positive, d’un amour qui relève, qui vainc la mort, qui forge les Hommes forts et doux. Ce n’est pas l’amant debout, mais bien la victime aux genoux fléchis, qui fait craquer le héros homo… car au fond, ce dernier envisage l’amour comme une mort, comme un film mélodramatique vécu à deux le temps d’une chanson triste, comme une maladie, comme une pente inexorablement descendante. Le jour où son amant ira bien, c’est, pense-t-il, qu’il n’aura plus besoin de lui ni de sa compagnie. Ce n’est pas non plus la force que le personnage homo préfère chez son partenaire : il attend de lui le désarroi, la défaillance, le spleen, les envies de suicide, le désir de chuter à deux (tellement « tragédie classique »… tellement « beau »…). Le goût pour l’éphémère, la sensiblerie rétro, et la pleurnicherie, est une technique de drague qui fait fureur dans les sphères amoureuses homosexuelles concrètes. Surtout sur les sites de rencontres internet gay. Quoi de plus séduisant, en effet, que de prendre sous son aile un « maudit de l’Amour », qui joue l’abandonné ? Pour mieux maquiller la pulsion égoïste, qui n’a jamais été tenté, dans les moments de passion sentimentale, de pleurer au lieu d’aimer, de confondre apitoiement et sentiment, de sauver l’autre, de se sacrifier pour lui ?

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort = Épouse », « Milieu psychiatrique », « Humour-poignard », « Haine de la beauté », « Manège », « Appel déguisé », « Homosexualité noire et glorieuse », « Douceur-poignard », « Première fois », à la partie « Rouge et noir » du code « Corrida amoureuse », à la partie « Adieux » du code  « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », à la partie « Mélodrame » du code « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », à la partie « Suicide » du code « Mort », à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », à la partie « Regards » du code « Amant diabolique », à la partie « Promenade chorégraphique » du code « Bobo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

AMANT TRISTE 1 Cameron Mitchell

Film « Shortbus » de John Cameron Mitchell

 

Cet amour surgissant de la supposée victoire de la mort sur la Vie est visible dans beaucoup de créations artistiques racontant des romances « amoureuses » homosexuelles : c’est le cas par exemple pour le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « The Saddest Boy In The World » (2006) de Jamie Travis, le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin, le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman (avec la tristesse d’Aaron), les chansons « Je t’aime Mélancolie » et « Tous ces combats » de Mylène Farmer, le roman Bohemia triste (1909) d’Antonio de Hoyos, le roman Tes Blessures sont plus douces que leurs caresses (1986) de Jean-Paul Goujon, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le roman Una Mujer En La Guerra De España (2003) de Carlota O’Neill, le film « L’Amour c’est gai, l’amour c’est triste » (1968) de Jean-Daniel Pollet, le film « Tristesse et Beauté » (1984) de Joy Fleury, le roman Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour (2007) d’Alexandre Delmar, le roman L’Amant malheureux (1943) d’Alberto Moravia, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, la photo Le Marin (1985) de Pierre et Gilles (avec un mousse en larmes), la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander ainsi que son film « J’aimerais, j’aimerais… ou la triste histoire d’Antoine Blanchard » (2006), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Jules, l’écrivain homo dépressif), le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma (avec Marie, l’amante qui ne sourit jamais), le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet (avec le personnage mélancolique de Thomas), le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (avec George, le héros homosexuel pleurant lorsque son élève joue au piano), la chanson « Small-town Boy » de Bronski Beat, etc.

 

En général, le personnage homosexuel est séduit par la tristesse de son amant : « Je t’aime, toi et ton chagrin. » (Nietzsche dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « J’aime les garçons un peu fragiles. » (un des protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « On sent dans son regard qu’il est triste. C’est ça aussi qui m’a attiré chez lui, et m’a donné tellement envie de lui parler. » (Molina, le héros homo parlant de sa première rencontre avec Gabriel, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 66) ; « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là. » (Didier parlant de l’aventure d’un soir qu’il a vécue avec son voisin de pallier homosexuel Bernard, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Il flottait, en cet endroit, un air terriblement romantique et je me sentis très vite envahi par la nostalgie. » (Éric, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 140) ; « C’est souvent comme ça quand je te regarde. J’ai envie de pleurer. » (Thierry le héros homosexuel par rapport à son amour pour Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Ces confidences engendrent aujourd’hui dans son regard la même tristesse qu’hier. Et dans mon cœur le même attendrissement. » (Dominique à propos de Romain, dans le roman Les Julottes, (2001) de Françoise Dorin, p. 27) ; « Il y avait un garçon. Un garçon très étrange et enchanté. Ils disent qu’il errait au loin, très loin. Au-delà des terres et des océans. Un garçon timide. Et à l’œil triste. Mais très sage. Il était… » (Nature Boy, Eden Ahbez, cité en épitaphe d’un chapitre du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 21) ; « Une chose était certaine ; quand Gunther était là, il se sentait bien, au chaud, et il avait envie de pleurer tout doucement, jusqu’à en mourir. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 72) ; « Nicolas pense à la nuit passée ; il revoit le visage de Julien, dont la beauté vide éveille des larmes délicieuses. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 91) ; « J’ai su que tu en étais dès que je t’ai vu. Nous nous reconnaissons entre nous. Quelque chose dans le regard. » (William Windom dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Mathilde somnole au creux de mes bras. Mes yeux s’emplissent de larmes. » (Cy Jung, Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005), p. 25) ; « Des fois, je pleure tellement que j’ai l’impression de devenir de l’eau. » (Chiron, le jeune héros homosexuel s’adressant à son amant Kevin, dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins) ; « Cette douceur mêlée de tristesse, c’est bien le goût de notre amour. » (Inès de Castro à Don Diego, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Comme je chéris ces larmes, bien plus douces, sachez-le, que celles de l’extase ! » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 178) ; « Si tu as les idées noires, sois pédé ! » (cf. la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Khalid s’est avancé vers moi et il m’a embrassé. Sur la bouche. Avec la langue. Longtemps. Les yeux fermés, j’ai pris sa bouche, ses lèvres en moi. Et, triste, amer, j’ai joué violemment avec sa langue. Il n’a pas protesté. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Avec tes larmes, t’imagines pas comment tu m’excites. » (Don Roberto s’adressant à Jaime, dans le film « Dinero Fácil » (2010) de Carlos Montero) ; « Sur les marches qui mènent aux chiottes de la gare du Nord, je rencontre H. Il a un air triste, sa tête retenue sur ses deux mains emballées dans deux gros gants de ski, assis sur les marches. Je passe deux fois devant lui. Une première fois en allant aux pissotières. De l’ouverture à la fermeture de la gare, y a des hommes, de tous âges, de toutes origines qui se branlent lamentablement, debout, dans l’odeur de pisse et de foutre, en matant en coin les bites des autres. On dirait des puceaux, aussi fébriles que surexcités. Venir ici me désespère autant que ça me réjouit. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 59) ; « Je trouve R. très beau, d’une beauté troublante. Toujours à quatre pattes dans la lumière tamisée de la chambre, sur la couette blanche, avec cette odeur de merde qui flotte dans l’air et dans le fond de nos bouches ce goût amer d’amour triste, comme s’il n’y avait plus que nous au monde. » (Mike parlant de son « amant d’un soir », Romain, qui lui avoue bien tard qu’il a le Sida, op. cit., pp. 71-72) ; « Vous, les travestis troupières, vous venez nous faire la guerre à nous, pédés pacifistes, nous traitant de jeunes filles tristes quand tout ce que nous cherchons, c’est simplement un garçon (si c’est possible un artiste) idéaliste, simple et bon qui reste garder la maison quand nous faisons secrétaires ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’ai ressenti un flux. Comme un coup de poing. Avec un peu de tristesse. » (Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Tu vois, Clara, tu ne m’aimes que quand je vais mal. » (Zoé s’adressant à Clara sa meilleure amie lesbienne, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « J’espère finir comme les parents, avec quarante ans d’amour malheureux. » (Antoine, le héros homo en couple avec Adar, un gars insipide, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. » (Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relevant l’hypocrisie immature du fonctionnement de couple Antoine/Adar, idem) ; « J’veux pas qu’tu sois heureux. » (Antoine s’adressant à Adar, idem) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « T’inquiète, il est comme ça, Julien : il est jamais heureux. » (Hugo par rapport à son amant, dans l’épisode 434 de la série Demain Nous Appartient diffusée le 3 avril 2019) ; « Tu aimerais me savoir malheureuse, n’est-ce pas ? » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West l’invasive, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Oh ma chérie… tu ne vas pas devenir aussi morose qu’eux ? » (Dorothy s’adressant à Vita Sackville-West, idem) ; « Ce n’est pas grave si tu ne te réveilles pas tout seul, si à côté de toi c’est un gars et que t’as la larme à l’œil. » (c.f. la chanson « Grave » d’Eddy de Pretto) ; « Je n’arrive pas à vous faire sourire. C’est comme si j’avais l’impression de le faire et qu’il disparaissait. » (Marianne peignant son amante Héloïse, dans le film « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Star des oublis (2009), les amantes Cherry et Ada s’entraînent dans la lamentation sanglotante : « Allez, ma mélancolique : viens donc ! » Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, c’est Santa Barbara à toutes les pages (il suffit de voir les multiples références émues à la chanson « Voir un ami pleurer » de Jacques Brel…) : tout le monde chiale, là-dedans, c’est le festival de l’émotionnel et de la catastrophe… surmontée (car le pessimisme complet n’est pas vendeur…). Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle et Emma sourient très rarement, et pendant toute l’intrigue, elles sont filmées comme des pleureuses parce qu’elles se font énormément souffrir… après s’être bien consommées et après avoir esthétisée leur « idylle ». Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre sont filmées comme une magnifique romance la tristesse et la compassion d’un client de maison close homo (Rubén) face au prostitué (Eloy) qui se gâche et qui pleure sa situation miséreuse. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le chanteur verse dans le romantisme chaviré de l’amoureux au « regard d’amour désespéré », guidé par la « fatalité ». Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Juna et Rinn tombent amoureuses l’une de l’autre parce qu’elles perçoivent en chacun d’elle le dégoût de vivre et l’isolement : Juna décrypte le dessin que Rinn a fait (« On dirait une fille très seule et très triste. »), et celle-ci, démasquée, croit avoir trouvé l’amour (« Je suis sûre que tu as une âme d’artiste. »). Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, vole dans la salle de bain de son amant de passage Walt une assiette en porcelaine accrochée au mur, assiette qui le fascine car elle représente un homme triste. Il finit par dénoncer son larcin : « Merci pour l’assiette avec le garçon triste. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca raconte ses nombreux chagrins d’amour. Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn, l’héroïne lesbienne, s’oriente vers le lesbianisme, parce que rien ne va dans sa vie : elle s’est fait virer de son travail, son mari Harvey la trompe. Idem pour sa future amante, Mona, qui se laisse piétiner par son envahissante belle-mère. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques pleure seul dans son lit juste après s’être fait sodomiser par son ami Jean-Marie. Et plus tard, il s’adresse à son jeune amant Arthur en ces termes : « Toi, t’as pas les yeux qui pleurnichent quand tu baises. Les pédés, c’est que des pleurnicheurs de la baise. » Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam et Éric vivent un amour de misère : « Toi et moi on est différents mais au fond on est pareils. On est deux pauvres losers que tout le monde rejette. » (Éric, dans l’épisode 2 de la saison 1).

 

AMANT TRISTE 2 - deux gars

Film « Houseboy » de Spencer Lee Schilly

 

Dans la formation des couples homosexuels fictionnels, la recette de la (simulation de) tristesse semble marcher à tous les coups, comme le démontre le roman lesbien The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, dans lequel les protagonistes trouvent « la tristesse de toute beauté » (p. 251) : « Et parce qu’il semblait étrange et assez pathétique que cette créature [Stephen] pût pleurer, Angela fut un instant remuée par quelque chose qui ressemblait beaucoup à de l’amour. » (p. 206) ; « Je vous aime terriblement, Collins. Je vous aime tant que cela me donne envie de pleurer. » (Stephen, p. 34)

 

Tout le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys est construit autour de l’idée que l’Amour est beau et éternel parce qu’il serait triste : « Il [Kévin] vient d’arriver. Il est seul, triste et solitaire. J’aimerais bien être son ami, mais je ne sais comment faire. » (Bryan, p. 31) ; « J’avais les larmes aux yeux et je vis qu’il était comme moi. Avions-nous la même sensibilité ? » (idem, p. 51) ; « Nous avions échangé quelques mots et pleuré ensemble. […] Rien n’était calculé, je m’étais retrouvé là par hasard, du bout des yeux, du bout des larmes, car pas de doute, nous avions partagé cet instant de tristesse. » (idem, p. 57) ; « Le côté rassurant c’est que tu étais souvent seul et triste. » (Bryan parlant à Kévin de leur période avant-rencontre, p. 112) ; « La chanteuse de ta mère [Édith Piaf] a raison, l’amour ça peut être triste… » (Bryan à Kévin, p. 123) ; « Un dimanche après-midi, alors que nous étions chez lui, Kévin me fit écouter une chanson : L’Hymne à l’amour. J’eus les larmes aux yeux, la gorge serrée et les poils hérissés. Content de lui, il observa ma réaction et pleura avec moi. » (idem, p. 140) ; « J’aime bien quand tu n’as pas le moral, je sens que tu vas me dire plein de choses gentilles. » (Bryan à Kévin, p. 209) ; « Je suis désolé de te faire pleurer mais en même temps, ces larmes qui coulent sur ton visage, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps. Alors… trop content de te faire pleurer encore une fois ! » (idem, p. 314) ; « C’est ça l’amour. C’est triste… et merveilleux ! » (Kévin, p. 350) ; « Tu avais le visage dévasté par le chagrin. Que tu étais beau ! » (Bryan, déjà mort, face à son amant Kévin le pleurant, p. 462) ; etc.

 

Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien mesure qu’il n’a pas tant aimé Malcolm que le prétexte qu’il lui a fourni de s’épancher narcissiquement sur son propre mal de vivre à lui : « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. Quand je l’ai rencontré, il était comme perdu. Moi, je n’étais pas mieux que lui. […] Son histoire m’a touché, sa souffrance, ses larmes, ses questions. […] Je le sentais désespéré et c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un d’aussi vrai. […] Je me suis attaché à ce qu’il représentait, peut-être plus qu’à lui d’ailleurs. » (pp. 119-120) Avec ou sans Malcolm, le héros homo aurait eu de tout façon à régler son vrai problème existentiel : la souffrance/haine de soi. Et personne ne peut nous aimer à notre place. Ce n’est le boulot d’aucun amant !

 

L’attrait homosexuel pour la sensiblerie dégoulinante et chagrine est très marqué dans les chansons des icônes gays telles que Barbara, Dalida, … et bien sûr Mylène Farmer : « Besoin d’un regard, de peau et de larmes » (cf. la chanson « XXL ») ; « 3, l’infirmière pleure. 4, je l’aime. » (cf. la chanson « Maman a tort ») ; « Aimer, c’est pleurer quand on s’incline. » (cf. la chanson « Libertine ») ; « Partager mon ennui le plus abyssal, au premier venu qui trouvera ça banal. […] En moi, en moi, toi que j’aime, dis-moi, dis quand ça n’va pas. » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram ») ; « Tu veux le sauver de lui-même, irrésistiblement. » (l’actrice interprétant Dalida, à propos de Richard Chanfray, dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; etc.

 

On retrouve le « On s’aime parce qu’on (se) déteste ou qu’on chute ensemble » dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol : « Il se déteste en secret. Vous êtes si proche de lui. […] Que vous auriez besoin de Quentin dans ces secondes de descente ! » (le héros parlant de son amant qui s’est suicidé, p. 131) ; « Ce sont sans doute ses yeux empreints d’une tristesse élevée qui, par moments, vous fixent avec sympathie. Oui, c’est ce regard fascinant qui fait de lui un être à part. » (idem, p. 38) ; « Ses yeux trahissent toujours une tristesse. » (idem, p. 47) ; « Rien de plus troublant que les larmes d’un jeune homme. » (idem, p. 52) « Ses yeux conservent toujours leur charmante tristesse. » (idem, p. 104) ; « Vous n’avez rien perçu dans ce regard, pas même cette tendresse qui vous mettait au bord des larmes. » (idem, p. 138)

 

Il arrive cependant que le héros homosexuel déplore pourtant sa morbidité amoureuse : « Je suis pas triste. Je suis désespéré. » (William, le héros homosexuel vivant une dépression à cause des absences de son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Mais quel ami triste je me suis choisi ! » regrette Gabriele en évoquant son amant Marco, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola). Par exemple, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan se console de la mort de son amant Sean dans les bras de Thibault le soir même : pendant qu’ils baisent, il sanglote en même temps qu’il jouit.

 

Si ce n’est pas lui qui le remarque, ce sont ses proches amis homos : « Elle doit être triste, ta vie. » (Greg, le héros homo s’adressant à son amie bisexuelle Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Ce qui vous fera plaisir me fera de la peine. » (le Docteur Bosmans, homosexuel, s’adressant à Henri, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » (Michael, héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Tu es un homme triste et pathétique. Tu es homosexuel et tu ne veux pas l’être. Mais tu ne peux rien y faire. Toutes les prières du monde, toutes les analyses n’y changeront rien. Tu sauras peut-être un jour ce qu’est une vie d’hétérosexuel, si tu le veux vraiment, si tu y mets la même volonté que celle de détruire. Mais tu resteras toujours un homo. Toujours Michael. Toujours. Jusqu’à ta mort. » (Harold, homosexuel, s’adressant à son coloc Michael, idem) ; etc. Par exemple, dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel suicidaire, vient se réfugier dans l’appartement de sa voisine de pallier, Antonietta, qui décèle son mal-être : « Vous, vous n’avez pas l’air si gai que ça… »

 

AMANT TRISTE 3 Jean Marais

Jean Marais

 

Le discours de la soi-disant « beauté de la détresse de l’amant » est finalement celui du violeur : « Elle était d’une grande beauté, les larmes qu’elle versait donnaient à son visage une expression et un charme extraordinaires. J’avais l’envie presque irrépressible d’abuser d’elle. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 116) ; « J’attends que vienne en elle un désir assez fort pour l’avoir dans mon lit. Un peu triste comme elle est, je pense que sa tendresse n’en sera que plus intense quand le moment sera venu. Est-ce cruauté que ce calcul ? Sans doute, mais mon désir, qui est tout, me fait raisonner ainsi. » (idem, p. 193) ; « Aussi furtif que fût ce baiser, je compris qu’elle n’avait jamais embrassé personne avant moi. J’en ressentis instantanément comme une sorte de tristesse et j’eus le sentiment qu’il émanait d’elle une pureté à jamais inaccessible. » (idem, pp. 223-224) Beaucoup de héros homosexuels, pour arriver à leurs fins (= niquer) et exprimer leur bestialité, font souvent parler la « tristesse des muets » : « Quand je l’ai vu dans sa cage à l’animalerie, j’ai eu envie de le rendre heureux. Ce qui m’a le plus retourné, c’était son regard de mendiant. Il avait l’air tellement triste… Il était immobile. Il n’aboyait pas mais il me suppliait. Enfin, c’est ce que j’ai cru. » (Bryan, le héros homo, en parlant de son chien Nicky, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 68)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Les personnes gays sont-elles aussi « gaies » qu’elles le prétendent ? À force de fuir le cliché du « malheur homosexuel » ou de l’« homo maudit d’amour », elles le reproduisent plus souvent qu’elles ne le croient. « La seule chose qui me fait danser comme un fou, c’est la tristesse. » (le chanteur homosexuel Mika, dans l’émission The Voice 4 sur la chaîne TF1 le 17 janvier 2015) Dans beaucoup de cas, force est de constater que l’amour dans le couple homosexuel s’avance par la voie du chagrin, de la défaillance, des larmes. « J’aime beaucoup les gens mélancoliques. Ça me donne l’occasion d’avoir une utilité. » (Pierre Bergé dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) Par exemple, Jean Genet, en parlant de son amant Abdallah, dit avoir été touché par « son regard triste » qui renvoyait « aux images d’une enfance misérable, inoubliable, où il se savait abandonné » (Thierry Dufrêne, « L’Éthique de l’Art », dans la revue Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 64). Xavier Delcour avoue qu’il « craque pour les garçons un peu tristes » (« Gamin, j’aimais beaucoup Patrick Dewaere » affirme-t-il dans la revue Têtu, n°60, novembre 2001, p. 111). « J’aime surtout les enfants tristes » (p. 66) écrit Frédéric Mitterrand dans La Mauvaise Vie (2005). Dans son récit autobiographique Le Mausolée des amants (2001), Hervé Guibert suit la même pente compassionnelle : « Ce que j’aime chez ce jeune homme : son air maussade et doux. » (p. 445) Klaus Mann, quant à lui, vit également un amour impossible (et suicidaire, pour le coup !) pour son amant Tomski, avec complaisance et dégoût à la fois : « J’ai beaucoup pensé à Tomski. Je pense toujours à lui – plein de tristesse, plein de tendresse… » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 209) ; « C’est toujours Tomski que j’aime – d’un amour triste et résigné ; sans élan, sans joie, sans avenir. » (idem, p. 296)

 

Cette douleur amoureuse, loin de s’appuyer sur l’amour concret que vivrait le couple homo, ressemble plutôt à une manifestation inconsciente et capricieuse de l’ennui conjugal : « On s’est rencontré un soir de déception. […] Il s’emmerdait devant les escaliers qui menaient au Queen et je m’emmerdais au bar, le coude sur le comptoir, à fantasmer sans succès sur une certaine jeunesse qui semblait sur le point de me quitter, l’air de rien. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 73) ; « Il était incroyablement sexy avec son petit air fragile, un peu perdu. » (idem, p. 119) ; etc. Les amants épistolaires ou réels de Pascal Sevran empruntent également les sentiers de la larmichette-qui-chatouille-l’épiderme : « Je tente de me laisser envahir par la nonchalance. Je pense à toi. Je t’embrasse. » (Philippe, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 91) ; « J’écris ces lignes en écoutant des musiques déprimantes, j’aime bien… écouter des musiques tristes ou chanter mes tourments, c’est peut-être ce qui me correspond le mieux, après tout. Tout sauf la joie. Je me sens transporté par ces notes de piano, ces cordes de violon frottées, ces hautbois, ces guitares pincées… Un océan de tristesse. » (Julien, idem, p. 168) ; « Il me rendait triste. Jamais j’ai été aussi triste de ma vie. Et paradoxalement, j’ai jamais été aussi heureux de ma vie. » (André par rapport à son amant Laurent, avec qui il a vécu pendant 10 ans, et qu’il n’arrive pas à quitter, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.

 

Je vous renvoie aussi aux « accès nocturnes de tristesse » (p. 79) de Jean-Jacques Rinieri raconté par son compagnon Roger Stéphane dans l’autobiographie Parce que c’était lui (1953). Dans sa biographie Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), Paul Veyne décrit son ami homosexuel Michel Foucault comme un « mélancolique serein » (p. 67).

 

Le plus incroyable, c’est que la mort, qui est le contraire de l’Amour, soit confondue avec Lui dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles : dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), par exemple, Alfredo Arias décrit l’attendrissement de Jacques pour la tristesse des soldats (« Je les aime, parce qu’ils sont purs avec leur regard triste, mélancolique… leurs pas incertains, timides, perdus dans cette grande ville… », p. 220) ; dans les romans top bobos de Philippe Besson, l’idée que la vraie pureté se trouverait dans la mort et la mélancolie est particulièrement marquée (c’est surtout le cas dans Son Frère (2001), Un Garçon d’Italie (2003), mais aussi dans ces lignes de En l’absence des hommes (2001) où sont chantées « la pureté intacte du chagrin, l’épaisseur inentamée de la tristesse », pp. 189-192). La tristesse, ce serait accidentel, spontané, forcément naturel : « J’ignore pourquoi j’éprouve ce besoin de vous jeter de la sorte cette mélancolie au visage, vous qui ne m’avez précisément rien demandé. » (la figure de Marcel Proust, p. 133) Chez d’autres auteurs que Besson, la tristesse, ça serait aussi virginal ! Rien que ça ! « J’ai tourné la tête et j’ai vu qu’elle pleurait. Les larmes coulaient en silence, luisaient sur son visage pareil à un portrait médiéval de la Vierge Marie. » (Ronit parlant de son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 146)

 

AMANT TRISTE 4 - Blond

 

Côté crooner de l’amour-douleur nostalgico-bobo, promoteur de la mélancolie comme « Vérité d’Amour et d’Existence », Stefan Corbin est assez bien placé aussi. Le chanteur se dépeint souvent dans ses chansons comme l’Amélie Poulain masculin se racontant RESSENTIR sa tristesse existentielle et amoureuse sous un joli parapluie (dans son répertoire musical, il y a justement beaucoup de titres où on le voit marcher sous la pluie ou dans le froid… genre « Il pleut sur Nantes, donne-moi la main… ») : « J’ai mes larmes pour remplacer la pluie. » C’est censé être « touchant », un modèle de simplicité (en réalité, c’est juste une prétention sans prétention). La théâtralité mélancolique minimaliste est perçue par l’artiste comme le comble de la beauté, de la pudeur, et de la déclaration d’amour : « Je chante par nostalgie, par goût des larmes, et que j’aime les causes perdues. » (cf. la chanson « Les Causes perdues ») C’est pour cela qu’il ne supporte pas que les journalistes puissent ne serait-ce que laisser entendre que ses chansons sont déprimées/déprimantes… vu qu’à ses yeux, la déprime est belle, créatrice, positive, l’Amour même ! Pendant ses concerts, il aime raconter l’éternité mortelle des souvenirs, des moments solitaires de cafard (« Je me souviens d’un soir assez noir… »), il se plaît à rendre hommage aux artistes disparus et aux absents. Il dit aussi que son album Les Murmures du temps (2011) a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants ». Son œuvre entière semble dédiée à un amour triste et impossible, à l’homme invisible narcissique… le « triste sire » par excellence de la communauté homo !

 

On a l’impression que la tristesse, c’est le vinaigre bon marché pour attraper aisément le cœur d’artichaut des personnes homosexuelles : la majorité d’entre elles tombe dans le piège du pathos et du mélo les deux pieds dedans ! « Entre la tristesse et moi-même, j’ai noué de longues relations, qui ne cesseront plus jamais, à moins que ne cesse un jour l’éternité. » (cf. un extrait de la toute fin du poème « Jeux cruels » de Bachar Ibn Bourd, envoyé en guise de déclaration d’adieu par Slimane à son ex-amant Abdellah Taïa, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 126) ; « Je le sentais soucieux et une immense tristesse figeait son visage. Un jour où nous étions dans la bananeraie, il avait exprimé ses regrets et son chagrin. Nous étions étendus sur le sol ; il pleurait en silence ; ses larmes mouillaient mon cou ; son corps frissonnait. Jamais il ne s’était montré aussi affectueux, aussi amoureux ! » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 36) ; « Je m’écoute quand je suis triste. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Par exemple, dans le journal Libération du 10-11 juin 1978, Copi, en parlant des artistes argentins à Alberto Cardin, les décrit tous comme « des tapettes, des tapettes mélancoliques » Mais les personnes homoSENSIBLES mesurent-elles qu’elles ne sont pas obligées d’être systématiquement les proies aussi faciles de leur compassion ? Le philosophe Fabrice Hadjadj explique à juste titre que le vrai péché originel d’Adam repose précisément sur la compassion : c’est parce qu’il a voulu accompagner Ève dans la tristesse de sa faute, « par amour », qu’il a chuté. Faut-il donc que la communauté homo confonde éternellement service et soumission, pitié/empathie et compassion larmoyante ? Il n’en tient qu’à elles ne plus se laisser bercer par leur sensiblerie !

 

Mais revenons-en aux stratégies d’amour du Don Juan homosexuel tristounet que l’on croise à longueur de temps dans le « milieu homo » (qu’il qualifiera d’« hors milieu » par souci de discrétion et surtout par déni de ses actes). En dépit de ses bonnes intentions poétiques, ce que le libertin homosexuel aime chez son partenaire, c’est en grande partie son mal-être, ses propres fantasmes de mort (cf. je vous renvoie à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Il vénère les yeux qui répriment leurs larmes, qui ont la dignité d’échapper à la théâtralité grandiloquente, qui expriment la force dernière des situations d’extrême faiblesse, qui pleurent la condition humaine avec la petite retenue qui les rend poignants, qui disent la douleur d’exister étouffée, qui donnent vraiment envie de sangloter à leur place (on retrouve tout à fait cela dans un film comme « Huit femmes » (2002) de François Ozon).

 

L’union homosexuelle obéit souvent à la conscience mutuelle d’un opprobre, d’une essence divine de loser. « Nous sommes l’un et l’autre si blessés, si comblés cette nuit. » (Michel Bellin, Impotens Deus (2006), p. 25) Océane Rose-Marie, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2009), n’est pas si loin de la réalité quand elle explique les roueries de la drague lesbienne classique : « Ce qu’il faut, c’est faire la gueule. » Cette idée qu’il est nécessaire d’être à la fois antipathique et pathétique pour plaire, je l’avais déjà lue dans un numéro de Têtu Les lesbiennes font la gueule pour draguer », n°127, novembre 2007, p. 108)… et cela m’avait bien fait rire sur le coup. Mais ce qui ressemble à une blague se vérifie pourtant très souvent dans les faits. Dans son étude Les Femmes et les Homosexuels (1996), Virginie Mouseler explique, en prenant le cas de l’écrivain André Gide, que la fragilité sert d’« aimant à homos » : « À 8 ans, Gide entre à l’École Alsacienne. Il a peur de la plupart des autres enfants mais s’attache passionnément à deux garçons en particuliers. Ils ont en commun d’être pâles, fragiles et délicats, comme Gide lui-même. » (p. 28)

 

Nous pouvons lire dans la confrontation des fragilités des amants homosexuels une non-rencontre, la volonté d’être compris par l’autre dans sa souffrance au point de le blesser, un appel au secours qui n’en est pas un puisque beaucoup d’entre eux souhaitent moins être aidés que d’entraîner leur partenaire dans leur précipice. C’est curieux, ces « je t’aime » qui ressemblent davantage à des « Nous ne croyons plus en l’amour à deux » qu’à des « Nous croyons en l’amour ensemble », même si paradoxalement le libertin homosexuel et sa proie se jurent mutuellement de se faire changer miraculeusement d’avis sur l’amour dans un élan combatif.

 

Le sujet homosexuel recherche souvent ce partage dans la souffrance, tout en le trouvant insupportable. « Seul en leur présence, je trouve de la tristesse du vide, un sentiment de malaise – c’est inexplicable – mélangé à un système de pensée de perversité et d’égoïsme (moi-je). Je me sens mal à l’aise à leur côté. Une fois qu’on se retrouve avec eux, c’est comme si c’était la mort, l’extinction. Je me rends compte en les observant qu’ils sont malheureux intérieurement. Mêmes s’ils sont passés du côté homosexuel, ils sont restés toujours tristes en eux-mêmes. J’ai connu un type qui est passé de hétéro à homo, et il est toujours aussi dépressif. Ça ne l’a pas aidé a faire évoluer sa situation dans le bon sens. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) Il déplore que son bonheur doive passer par le malheur. Il ne peut voir l’attendrissement de son partenaire sur ses larmes de défaillance que comme un amusement sadique, un arrivisme déplacé, une incompréhension totale, une douceur étouffante. Il sait bien au fond que les Hommes ne peuvent pas aimer uniquement sous prétexte qu’ils détestent ou pleurent ensemble.

 

AMANT TRISTE 5 Butler

 

Voyant que son couple devient de plus en plus complexe, l’amoureux homosexuel sombre dans la théâtralité et tente de mettre en scène son propre éloignement de l’amant. C’est en même temps une stratégie pour tester son entourage amoureux (ce dernier va-t-il le retenir ?), et une croyance sincère (il pense vraiment qu’il est un être maudit, oublié par l’amour). Il lui arrive alors de jouer les vieilles Maréchales de Strauss qui n’aiment que dans l’abandon et la distance déchirante. L’une des sources d’inspiration homosexuelle est évidemment le mélodrame et la tragédie classique. L’Homme homosexuel connaît par cœur la mise en scène mélancolique de l’amour homosexuel, mais la blâme/parodie surtout chez les autres. En revanche, quand lui-même devient théâtral en amour, il ne s’en aperçoit généralement pas. Au contraire, il mord à l’hameçon de sa propre comédie. Il tombe mal amoureux en croyant être fou d’amour, parce qu’il se persuade que dans ses différentes liaisons sentimentales, il est le seul à aimer véritablement comme il faut.

 

Il s’abandonne ainsi à l’esthétisme narcissique déprimé et faussement « pudique ». « Je ne voulais pas me donner en spectacle. J’avais envie d’errer, de respirer la nuit seul, de traverser cette ville où, depuis que j’avais quitté le Maroc poursuivant des rêves cinématographiques, je me redécouvrais heureux et triste, debout et à terre. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 45) Et là, en général, on a droit au vidéo-clip minimaliste à deux balles, façon « Nouvelle Vague ». Jour de Neige, dans un doudoune qui me protège… ou bien en mode « Like a Stranger in Moscow »… Et dans le rôle principal : l’intellectuel homosexuel (= l’Écorché vif de l’« Amour ») : « Le 8 décembre 1990, la neige, à gros flocons, blanchissait la ville. […] Je déambulais au milieu des passants qui se délectaient de vins chauds et achetaient des lampions pour les enfants. […] Le contraste entre le souvenir de ma précédente visite à Fourvière et ce que j’expérimentais ce soir-là, seul et désabusé, augmenta mon sentiment d’inutilité et de gâchis de mon existence. » (Jean-Michel Dunand, Libre (2011), p. 99) Au cœur des pires tempêtes du dépit amoureux, au plus noir de ses nuits de désespoir, il se prend homo sans le savoir. Cheveux au vent, ou emmitouflé dans son petit pull marine au bord de sa piscine dorée, il ne se voit pas méditer théâtralement sur une feuille morte tombant d’un arbre, exécuter sa propre promenade chorégraphique au ralenti dans sa ville, pleurnicher sur lui-même à la vue des petits bonheurs simples de la vie (un enfant qui joue dans un parc, les familles heureuses, les passants insouciants, etc.), s’émouvoir sur son courage surhumain d’aimer la vie malgré tout ce qu’elle lui ferait soi-disant « subir », se laisser déborder par des extases panthéistes face à la Nature cruelle. Il cache sa (fausse ?) souffrance par la célébration esthético-sentimentale de celle-ci. Au lieu de prendre réellement de la distance par rapport à l’objet du deuil, il s’y identifie dans l’émotionnel et se soustrait au travail de détachement par la mise en scène parodiée du départ. Il adore les créations de la solitude, des adieux larmoyants, de l’amour impossible.

 

AMANT 6 Cocteau

 

Le « poète » romantique homosexuel refuse l’amour et fait passer cette attitude lâche et orgueilleuse pour un sacrifice héroïque, ou une essence de dieu damné. Dans la distance, il enjolive et pleure une relation avec un regretté amant qu’en réalité il n’aurait jamais aimé si celui-ci avait été accessible et vivant. Il est prêt à se priver d’aimer et même à considérer ses futures conquêtes amoureuses comme des objets de vengeance et d’expiation de ce cruel coup du sort qu’il ne veut surtout jamais digérer, plutôt que de regarder la réalité en face : il tient à son malheur et à son amour désincarné plus qu’à l’amour qu’il chante pourtant à tue-tête.

 

Nous pouvons nous interroger sur la raison d’une telle comédie. Elle peut s’expliquer en partie par le fait que le libertin homosexuel se convainc que l’amour vrai ne peut pas se dissocier de la souffrance et de la mort. En ce qui concerne les probables origines de l’amour homosexuel, les mots de Paula Dumont dans La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) sont d’une lucidité glaçante : « Il y avait entre Martine et moi une sorte de camaraderie dans la détresse amoureuse. C’était parce que nous désespérions de nos chances auprès du sexe féminin que nous avions choisi de vivre ensemble. » (p. 124) Avec le temps, je suis de plus en plus persuadé que les personnes homosexuelles, dans leurs relations amoureuses en général, ne pleurent pas tant l’amant disparu que les limites du désir homosexuel auxquelles elles n’ont pas encore consenties, leur orgueil à vouloir à tout prix rendre idéale l’illusion amoureuse homosexuelle : « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat» (Simon, l’un des héros homos du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15)

 

AMANT TRISTE 7 kaléidoscope

Portrait-photo de Man Ray

 

Mais comme elles ne veulent en général pas voir en face qu’elles ne sont pas réellement tristes quand elles perdent l’être aimé ou qu’elles vivent loin de lui, ni que ce sont elles qui cultivent la légende du « malheur homosexuel » en l’attribuant aux « méchants homophobes extérieurs » qu’elles ne seraient pas, beaucoup d’entre elles vont décréter en deux temps trois mouvements que telle œuvre littéraire homosexuelle prouvant leur fascination inconsciente pour la tristesse ne mérite pas l’attention parce qu’elle serait « trop déprimante » (comprendre « homophobe »), que tel discours sent la réminiscence d’une Honte homosexuelle coupable à bannir, ou que tel film donne une vision trop doloriste et misérabiliste de l’homosexualité pour être révélateur d’une quelconque vérité les concernant (cf. les commentaires du film « The Children’s Hour » (1961) de William Wyler, entendus dans le documentaire « The Celluloïd Closet » (1996) de Rob Epstein). Elles referment précipitamment le dossier gênant de la tristesse homosexuelle pour ne pas analyser celle-ci, ni lui donner du sens… alors qu’elle est bien souvent un cri ( = « Tu as fait de moi l’Homme le plus malheureux de la terre ! ») que la majorité des personnes homosexuelles pourraient lancé à leur compagnon de vie ou à leur compagne… reproche qu’on entend dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel : « Tu m’as fait le gay le plus triste de la Terre. »

 

Alors je suis ravi d’ouvrir cet Album de la Tristesse homosexuelle devant vous maintenant, grâce à ce Dictionnaire des Codes homosexuels, pour que lumière soit un peu faite sur les noirceurs du désir homosexuel, en dehors de toute tentative de ma part d’essentialisation (personnifiée en « les » personnes homosexuelles) des malheurs humains ! Je suis un des premiers convaincus qu’individuellement, et hors du couple homo, les personnes homosexuelles peuvent vivre le Bonheur et la Joie, la vraie !

 

Enfin, pour terminer ce code kleenex, je tiens à souligner que ce refrain homosexuel de la beauté de la défaillance et de la mélancolie amoureuse, n’est pas seulement risible : il est en fait celui du violeur qui attend que la victime qu’il convoite fléchisse : « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. Sabah défiait encore et toujours le temps, la mort, c’était son dernier combat. J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (Abdellah Taïa tombant amoureux de son groom noir, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 76-77) Et là, il n’y a pas trop de quoi rigoler, car faire parler la soi-disant « tristesse des muets », c’est finalement chercher à donner une apparence charitable et corporelle à ses pulsions… qui, elles, ne sont pas toujours charitables (c’est le moins qu’on puisse dire !) (cf. je vous renvoie au code « Violeur homosexuel » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 
 

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Code n°8 – Amour ambigu du pauvre

Amour ambigu de l'étranger

Amour ambigu du pauvre

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La solidarité, comme tout don humain, n’est pas positive en soi. Cela dépend de comment elle s’exerce, et surtout si l’identité et la liberté de la personne assistée ont été honorées suite à l’échange, justement. Dans le cas des personnages homosexuels des fictions (et parfois des personnes homosexuelles réelles), on peut constater que la juste distance entre le bienfaiteur et l’étranger/le pauvre n’a pas été clairement observée, et que l’un comme l’autre ont cherché à empiéter sur le terrain de l’autre sans se respecter. Le plus riche s’est laissé attendrir par un élan de solidarité fusionnelle, un sincère désir de communion amoureuse avec son petit protégé, tandis que le nécessiteux profite de la situation, vit dans l’assistanat, et considère le sexe, le vol et le meurtre, comme des moyens de venger sa propre classe sociale ou race. C’est précisément cet amour excessif, passionnel, sacrificiel, peu distant, que l’on observe dans les œuvres homos, et chez les personnes homos réelles en mal d’exotisme, d’âmes à sauver. Il est fréquent en effet de voir que l’élan solidaire du héros gay, apparemment pétri de bonnes intentions et d’amour du prochain, rime le plus souvent avec usurpation d’identité, prostitution, tourisme sexuel, narcissisme bobo, indifférence aux vraies personnes dans le besoin, opportunisme petit-bourgeois. L’étranger n’est pas tant aimé pour lui-même que pour son image d’Épinal fantasmée, et l’occasion en or qu’il fournit de s’acheter un diadème de victime innocente, de preux défenseur des Droits de l’Homme, tout en déchaînant en toute légitimité sa jalousie sur les Puissants dont on rêve de ravir discrètement la place.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également les codes « Putain béatifiée », « Mère Teresa », « Témoin silencieux d’un crime », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Prostitution », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Voyage », « Homosexuel homophobe », « Liaisons dangereuses », « Amant modèle photographique », « Poupées », et à la partie « Je suis une (plus grande) victime (que les autres) » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Le personnage homosexuel aime le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou :

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Salim Kechiouche

Salim Kechiouche


 

Beaucoup d’œuvres homo-érotiques chantent la charme discret et « involontaire » de l’étranger ou de l’indigent, le fameux Beatus Ille. « La transfiguration d’un état de misère » comme l’a écrit un jour un ami romancier angevin en 2003 : cf. le roman Aziyadé (1879) de Pierre Loti (avec le jeune Samuel), le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon (Victor et Selim l’ouvrier arabe), la toile Noa-Noa (1901) de Paul Gauguin, le roman Les Civilisés (1905) de Claude Farrère, le roman Malaisie (1930) d’Henri Fauconnier, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, les romans L’Immoraliste (1902) et Si le grain ne meurt (1925) d’André Gide, le roman Incidents (1987) de Roland Barthes, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, les romans La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) et Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto d’Halmar, le tableau Robinson et Vendredi (2007) d’Éric Raspaut, le roman Cet Arabe qui t’excite (2000) de Djallil Djellad, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis (avec Salim Kechiouche), le court-métrage « Alger la blanche » (1986) de Cyril Collard, les films « Les Corps ouverts » (1997) et « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz (avec Yasmine Belmadi), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec les beaux Turcs à Istanbul), les films « Underground » (2007) et « Love Kills » (2007) de Tor Iben, le film « Fronteras » (« A Escondidas », 2016) de Mikel Rueda (avec Rafa et Ibrahim l’immigré), etc. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves regarde avec envie par la fenêtre le beau et jeune travailleur d’Oran au service de sa famille de colons. Dans le roman L’Autre Dracula (1997) de Tony Mark, le narrateur homosexuel dit être attiré par un « superbe et ténébreux gitan » (p. 35). Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la clocharde Berthe est surnommée « la Reine des Hommes » (p. 61). Dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, Romane est lesbienne, et se prend de passion pour Yindee, une jeune femme thaï qui travaille avec elle en tant que vétérinaire. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, les deux amants Tomas (Allemand) et Oren (Israëlien, marié à une femme et avec un enfant) incarnent tour à tour la figure de l’étranger fascinant.

 

Au départ, le personnage homosexuel nous offre son hommage larmoyant au Tiers-monde. « J’me sens très proche de ces gens-là. Les gens qui n’ont rien. » (Benigno à Marcos, dans le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Y’a plein de p’tits nouveaux. Ils sont mignons tout plein. Y’a pas beaucoup de Français… mais ça ne me dérange pas. Au contraire. » (Fabien Tucci, homosexuel, parlant de son boulot à Pôle Emploi depuis deux ans, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc. Mais peu à peu, on constate que ce ne sont chez lui bien souvent que des mots. Dans les fictions, par exemple, un certain nombre de personnages homosexuels se désintéressent totalement du sort du monde : Aschenbach dans le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, ou Sébastien dans « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, constituent de bons exemples de cette compassion homosexuelle qui pleure sur la victime sans lui venir en aide. Dans le roman Para Doxa (2011) de Laure Migliore, le cadre humanitaire en Namibie sert de prétexte à la romance lesbienne entre Ambre/Helena. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, Finlandais, tombe amoureux de Tareq, un bel ouvrier syrien qui ne peut pas vivre son homosexualité dans son pays et qui a fui la guerre.

 

Le pauvre est considéré comme une poupée sacrée ; non comme un être vivant et libre. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le miséreux est un objet qu’on se dispute et qu’on s’arrache : « Ah, mes chéries […] Je vous ai invité un Arabe sublime comme cadeau du nouvel an. Ahmed rentre ! » (Micheline, le trans M to F) ; « Il est à moi, cet Arabe. Voleuse ! » (Daphnée s’adressant à Micheline) ; etc. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, sort avec son guide mexicain, Palomino : « Je me conduis en seigneur colonial. » Le pauvre est réduit à un double spéculaire narcissique, comme le jeune Franck dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta : « Quand on entre dans la cour, le garçon de la DDASS sort le premier. Il s’approche de la voiture, colle son nez à la vitre, me regarde, une main en visière de casquette. » (p. 49)

 

B.D. "Rocky & Hudson, les cow-boys gays" d'Adão Iturrusgarai

B.D. « Rocky & Hudson, les cow-boys gays » d’Adão Iturrusgarai


 

Dans les films homosexuels, le mélange inter-classes sociales n’est quasiment placé que sous le signe de la mort, de l’absence, du sexe, et de l’argent : cf. le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Mein Süsser, Kleiner Arsch » (« Mon beau petit cul », 1998) de Simon Bischoff, le film « L’Amant bulgare » (2003) d’Eloy de la Iglesia, etc. C’est le corps de l’ouvrier, et non le travail, qui est glorifié : cf. le film « Acla » (1992) d’Aurelio Grimaldi (avec les ouvriers musclés travaillant dans les mines), le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer (réalisé par Jean-Baptiste Mondino), le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec l’assistant agricole musclé du grand-père), etc. « Ô mon bel étranger, on ne se reverra plus. » (cf. la chanson « Étrange » de Nicolas Bacchus)

 

Film "Avant que j'oublie" de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » de Jacques Nolot


 

Dans les nouvelles d’Essobal Lenoir, on voit bien que le goût pour le monde ouvrier et la population issue de l’immigration n’a rien à voir avec un réel militantisme, mais qu’il est plutôt focalisé sur un fantasme égoïste de spectateur de films pornos obnubilé par son bas-ventre : « Je ne sais quoi m’attirait irrésistiblement vers la rivière. » (le narrateur homosexuel fasciné par les ouvriers de la fabrique de tuiles qui se baignent et pissent, dans la nouvelle « La Carapace » (2010), p. 15) ; « Tous ces Slaves trouvaient ma petite chambre tellement grande, et ils avaient tant besoin de tendresse… » (cf. la dernière phrase de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010), p. 61) ; « Majid rapplique et s’enferme avec moi. Il ouvre au maximum la fermeture éclair de son bleu sous lequel il ne porte aucun sous-vêtement. Il sort son tuyau, active sa pompe et me lèche consciencieusement toutes les coulures encore tièdes, en compressant sa queue brûlante contre le marbre froid de mes cloisons. » (cf. la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010), p. 83) ; « On engagea donc un carreleur, un peintre et un plombier. […] Quelle jouissance que de voir les muscles sous la peau tendre des fesses du carreleur accroupi, d’autant plus que le plombier, en triturant mon système de chasse d’eau, me masturbait involontairement sans rien comprendre à mes dérèglements. » (idem, p. 92) ; « Le satyre qui ne sommeille jamais en moi cherchait des yeux un joli prolétaire contre la chaleur duquel je pusse plaquer ma libido, afin d’emporter à la maison une image pour mes travaux pratiques vespéraux. Hélas ! le prolo se fait denrée rare à Paname… » (cf. la nouvelle « La Queue du diable » (2010), p. 113) ; « Ce jardinier, on le dirait sorti d’un calendrier des Dieux du Stade. » (Tom, le héros homosexuel en parlant de son futur amant qui le fait fantasmer, Louis, le jardinier sexy de la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; « Si tu veux faire le potager tout nu, tu le fais. » (Graziella s’adressant à Louis, idem) ; etc.

 

L’attrait pour le pauvre est parfois purement sexuel et autodestructeur. « J’aime les p’tits délinquants ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, le héros gay efféminé dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Le chauffeur de taxi râle. Il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? Je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la « racaille », la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Ici, on est bien loin de la pensée humanitaire et humaniste en action ! Dans énormément d’œuvres homosexuelles, l’amitié de l’étranger est salie par le sexe et la prostitution, même si le personnage homosexuel continue de nous faire croire (et de se faire croire à lui-même) que c’est de l’amour vrai : « Noeli, un jeune Métis. C’est pour moi le début d’un amour, même s’il repose sur l’argent. » (le héros du roman Les Dollars des sables (2006) de Jean-Noël Pancrazi) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, par exemple, « le banlieusard, beauté exotique » est invité comme gigolo par la Jet Set homosexuelle. Cela ressemble à de l’ouverture (… mais le souci, c’est qu’on ne dit pas de quelle ouverture il s’agit…). Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Grégory sort avec Gérard, un fils d’immigré italien. Et il se dit attiré par Michael, l’homme marié : « Son côté bière, son côté working-class. »

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

On constate souvent que l’amour homosexuel du miséreux implique de conserver le pauvre à terre plutôt que debout : il est question, comme le chante Catherine Lara dans la chanson « Les Secrets du Monde » du spectacle musical Graal, d’« aimer les faibles à genoux ». Il ne faudrait surtout pas que le nécessiteux se relève ou qu’il soit l’égal du héros homo ! : « C’est pourquoi il [Tanguy] aimait Misha : parce qu’il était le plus malheureux. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 95) ; « Zohr incarnait à mes yeux toute la misère de la nature humaine, je voyais en elle mon sombre destin. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 29) ; « Monsieur Goudron était un bienfaiteur. Il m’a pris chez lui quand je n’avais aucun moyen de subsistance. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, se défendant d’avoir eu une quelconque liaison avec l’écrivain âgé Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 290) ; etc. Par exemple, dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le héros désire « cette humanité pouilleuse » du haut de la terrasse de son père (une sorte de mélange Blacks/Blancs/Beurs)… mais « finalement, il n’en est jamais descendu, de sa terrasse ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, raconte comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » : « Il s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » (idem). Puis il se retrouve entouré par des Roumains que sa situation de précarité l’a amené à connaître, et se prend pour la quintessence de la pauvreté roumaine : « J’étais comme une mendiante, une Roumaine… »

 

Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, une association LGBT d’une dizaine de membres prennent d’assaut un village de mineurs gallois pour les défendre contre les pressions gouvernementales à l’encontre des syndicats ouvriers… Ça part d’un bon sentiment. « On a subi les mêmes épreuves que vous. » leur soutiennent les militants homosexuels, dirigé par le jeune Mark. « Solidarité pour toujours ! » En réalité, ces bons samaritains s’imposent à une population qui ne leur a rien demandé (« Pourquoi viennent-ils ? On leur a écrit pour les remercier. » s’indigne Maureen, l’une des syndicalistes) Ça sent la course à la victime, l’instrumentalisation de la misère des autres pour qu’ils servent d’alibi à l’imposition des droits LGBT sous la forme de droits universels et de lutte des classes. Finalement, on lit derrière la démarche de ces héros homosexuels une forme de jalousie : « Les forces de l’ordre s’en prennent à ces pauvres gars plutôt qu’à nous ! » (Mark)

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Vera, la sournoise héroïne lesbienne, joue d’abord les saint Bernard :« Tu connais mon penchant naturel à venir au secours des désespérés. » Mais son amante Lola, qui connaît ses calculs, la remet à sa place : « Tu es incapable d’une vraie générosité. Tu reprends d’une main ce que tu donnes de l’autre. »
 

Cela arrive très fréquemment que le protagoniste homosexuel ravisse l’identité de son amant étranger : « Je me suis mis à la place de mon prochain. » (Emmanuel Fruges, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 147) ; « Moi je me sens papou bizarrement certains matins… » (le héros de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’ignorais tout des ‘clochards célestes’ alors que j’en étais un moi-même, dans toute l’acception du terme, et me considérais comme un pèlerin errant. » (Ray Smith, dans le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, p. 14) ; « Maintenant clochardisé, installé assis dans la marge, non seulement Vincent Garbo n’effraie plus ni ne dérange, mais chacun et chacune semble lui reconnaître comme un droit à l’existence. Comme si sur ce mètre carré de bitume, j’avais enfin trouvé ma juste place. » (Vincent Garbo, le narrateur homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 93) ; « Tu partages le sang de Pablo, Doris, Roger, Hilaire, Esteban et les autres. Tu ne t’appelles plus Félix Perlman mais Vincent Braconnier. » (Félix, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 59) ; « Tu ne sais pas résister aux étrangers » (Teja, l’amant allemand et danseur, de Rudolf Noureev, dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Dans son one-woman-show Free, The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon, pourtant née en France, s’identifie aux esclaves noirs chantant le blues, aux enfants faméliques des pubs d’Action Contre la Faim : « Moi, si je me mets à nue, je peux faire une pub pour Action Contre la Faim. Avec des mouches autour des yeux. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian demande à George, le héros homosexuel pas du tout clochard, s’il est SDF et celui-ci confirme. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015) d’Océane Rose-Marie, Océane, l’héroïne lesbienne, fait référence à sa soi-disant « sœur adoptive cambodgienne ».
 

Certains personnages homos se définissent volontiers comme les vrais pauvres (cf. je vous renvoie à la partie « Je suis la plus grande victime » du code « Homosexualité noire et glorieuse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : c’est le cas des Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, de l’association Les Gouines sans domicile fixe dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie, des faux SDF homosexuels dans la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, des « 2 travestis clochards » Mimi et Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, des clochards homos du bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova, etc. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk se qualifie lui-même d’« immigré ». Dans ses élans identificatoires, le personnage homosexuel réagit comme la bourgeoise qui a peur de toujours manquer, qui semble inconsolable, qui parle sans arrêt des effets de la crise économique dont elle pâtirait plus que les autres (comme la Marquise du film « Dans les ténèbres » (1983) de Pedro Almodóvar), ou en tout cas autant que les vrais pauvres : « Nous sommes pauvres, nous n’arrivons plus à soutenir notre train de vie. […] Je me vois obligé de monter une affaire de tricot, Michael et moi nous tricotons des ponchos toute la journée, les enfants nous aident parfois. Mais enfin, je ne me plains pas, c’était une vie plutôt agréable. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 96) Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, on voit parfaitement la violence condescendante de l’attrait sexuel de l’héroïne lesbienne Anamika pour sa future servante et amante Rani qu’elle a repérée dans un bidonville : « J’aurais voulu que la femme du bidonville [Rani] soit à mon entière disposition. Des images de films hindis dans lesquels le brahmin de la caste supérieure s’éprend de la domestique de la caste inférieure et lui fait passionnément l’amour ne cessaient de tournoyer dans ma tête. » (p. 20.) Parfois, les chiasmes employés indiquent à la fois la substitution aux pauvres et leur instrumentalisation via la prostitution : « Salam Aleikoum ! Aleikoum Salam ! Attendez-moi au fond, dans la chambre de droite. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) Dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob, le couple gay Jeff et Mimil aiment le monde entier… du fin fond de leur Cantal ! La substitution avec les pauvres tant adorés de loin est vite opérée : « On est vachement solidaires avec le Tiers-Monde. C’est nous, le Tiers-Monde ! » L’aide proposée aux vrais pauvres prend l’allure de la fuite : « Les mal-aimés, qui les venge ? […] Sauf qui peut. Sauve c’est mieux ! Sauf qu’ici, loin sont les cieux. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) L’aide « humanitaire » que l’homosexuel veut mettre en œuvre est finalement narcissique : à force de s’identifier aux victimes, il s’imagine qu’il est sa première victime à sauver, comme le personnage de Sébastien dans la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, qui veut créer S.O.S. Homosexuels pour secourir les internautes gays en détresse. Et le vrai pauvre voit clair dans la comédie de son faux ami homosexuel, puisqu’il lui reproche de s’être servi de lui sans l’avoir véritablement aidé à s’en sortir : « Enfant de la rue, tu m’as cueillie comme un fruit défendu. Enfant de misère, moi qui voulais te donner mon amour, toi qui venais aller-retour, tu n’m’as jamais dit : ‘Viens je t’emmène et je t’offre une autre vie.’ » (cf. la chanson « La Fille du soleil » de Candela dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon). Cependant, comme il est lui-même rentré dans le jeu de sa propre exploitation, au pire il jouera de cynisme dénégateur face au snobisme puant de son mac protecteur (comme le personnage d’Omar avec son riche amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa : « Il aimait ça, Khalid, ma force, mon côté mauvais garçon. Il aimait que je vienne d’un autre monde. Les pauvres. Ça le changeait, disait-il souvent. Il trouvait ça exotique. », p. 25), au mieux il sera plus direct dans la dénonciation de l’exploitation mutuelle : « Je vais te dire un grand secret : finalement, tu détestes le monde. » (cf. une femme s’adressant au personnage homosexuel d’Emmanuel dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré)

 

Le pauvre dont le héros homosexuel se réclame peut également être l’enfant approprié en cas de « mariage pour tous » (et tout ce qui va avec : adoption, PMA, GPA). « C’est le dossier de Tchang. Il a trois ans. Et on va le chercher dans 2 semaines. » (François annonçant par surprise à son compagnon Thomas la nouvelle de leur voyage en Thaïlande pour l’adoption d’un enfant, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, quand le père de Claire la met en garde, elle et sa copine Suzanne, à propos de leur projet de mariage et d’enfant (« Vous jouez à la poupée avec un petit être vivant. »), elle s’entête dans une solidarité agressive : « Je veux un enfant et je l’aurai ! »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Les personnes homosexuelles qui pratiquent leur homosexualité ont tendance à aimer le pauvre d’un amour ambigu, à la fois condescendant et fou

 

AMOUR AMBIGU BD

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se désirent Hommes du Peuple engagés contre la misère. Et pourtant, concrètement, elles restent souvent éloignées des réalités humaines désagréables : dans les faits, les cadres de la rencontre entre les personnes homosexuelles et les pauvres qu’elles défendent ont presque toujours un rapport à la prostitution masculine, à la domesticité, à l’anarchisme, au militantisme politique, au populisme, bref, à une solidarité intéressée. « J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Le roi est généreux. Il veut que ses sujets gardent un bon souvenir de lui, car il ne connaît que trop bien le côté obscur de son âme. Louis II voudrait être un roi bienveillant, mais il sait que ce n’est pas le cas. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière, la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) ; « J’eus affaire à un monsieur habitant une belle villa dans le Val de Marne, qui me désirait fortement vêtu comme l’homme de ménage du film ‘La Cage aux folles’. J’avais halluciné, concluant que ce fantasme me rabaissait complètement. Et puis, non sans gêne, il s’était plu à me dire que son sexe était un petit biscuit qui devenait grand comme une baguette. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 113) ; etc.

 

Il arrive à certaines personnes homosexuelles de s’émouvoir pour la condition précaire d’un misérable garçon qu’elles tentent de sauver de la galère, et celui-ci se laisse entretenir par elles, mais le contrat unit quand même deux égoïsmes cherchant à se substituer l’un à l’autre. « J’aime les petits Arabes. En effet. Pour une fois qu’on aime les p’tits Arabes pour autre chose que pour leur pétrole. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) Beaucoup de personnes homosexuelles ne désirent plus simplement compatir au sort du pauvre : après lui avoir écrit son holocauste, elles veulent se substituer à lui pour dire qu’elles sont les plus grandes victimes de tous les temps. Faire mémoire devient très souvent dans leur cas un prétexte pour pleurer sur soi. Elles aiment davantage le pauvre pour l’esthétique révolutionnaire qu’il incarne que pour lui-même, et dans la mesure où il justifie « en gros » leurs combats personnels. C’est le glissement de la révolution à l’anarchisme/rébellion dont parle Patrick Bougon concernant l’engagement politique de Jean Genet : « La position politique de Genet est moins propalestinienne qu’anarchiste. […] Ce qui intéresse Genet chez les Black Panthers et les Feddayin, c’est qu’ils sont des vecteurs de déstabilisation du pouvoir et de l’État. » (Patrick Bougon, « Politique et Autobiographie », dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 69) Leur soutien au pauvre est une adhésion de principe, non prioritairement de personne. Elles ne s’intéressent pas tant à la victime en elle-même qu’à l’occasion qu’elle leur fournit de s’attaquer aux mécanismes de pouvoir qui la rendent/rendraient victime. Concernant par exemple l’univers carcéral, les paroles de Michel Foucault sont assez claires : « En fait, je ne m’intéresse pas au détenu comme personne. Je m’intéresse aux tactiques et aux stratégies de pouvoir qui sous-tendent cette institution paradoxale qu’est la prison. » (Michel Foucault, « Michel Foucault, l’illégalisme et l’art de punir », entretien avec G. Tarrab en 1976, p. 87) En choisissant de défendre « la différence qui gêne(rait) », elles ont l’impression d’être ultra-révolutionnaires et dangereuses, mais elles se cachent ainsi à elles-mêmes le jugement dépréciatif qu’elles ont porté sur les porte-drapeaux de leur révolution : en simulant la fausse camaraderie, elles s’entourent d’individus que la société juge/jugerait peu fréquentables, parce que ce sont souvent elles-mêmes qui ont projeté sur elle leurs propres jugements sur les pauvres, alors que ce qui devrait présider à l’ordre de la solidarité, c’est la lutte pour les exclus contre l’exclusion, il semble que pour elles, c’est la lutte grâce aux exclus contre ladite « majorité » (… il serait plus juste de dire ceux de leur propre classe) qui l’emporte. Elles veulent sauver le Peuple sans Lui, en lui arrachant le haut-parleur des mains. « Nous devons dire que nous sommes plus frappés pour que les Arabes le soient moins. Nous devons crier pour les Arabes qui, eux, ne peuvent pas se faire entendre. » (Michel Foucault, Le Temps immobile, t. III, p. 430, cité dans Dits et écrits I (2001), p. 57) En quelque sorte, elles s’identifient aux victimes à défendre pour prendre leur place et reprocher ensuite à ceux qui ne les suivraient pas dans leur élan de solidarité universelle de ne pas agir comme elles. Elles sont les prophètes d’« une nouvelle orthodoxie dont le contenu importe finalement moins que le partage manichéen qu’elle établit entre amis et ennemis du genre humain, l’obligation qu’elle fait aux premiers de se ranger, sous prétexte de défendre les opprimés, du côté des puissants. » (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 13)

 

En règle générale, la solidarité homosexuelle est à entendre dans son sens passionnel, à savoir d’altruisme agressif, de « générosité dingue » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 221). Touche pas à pote ! Mon pauvre est à moâ ! Bien souvent paniquées par les nouvelles du journal, meurtries par le sort des populations télévisuelles, beaucoup de personnes homosexuelles, en mal de combat ou en panne d’identité, ont un besoin cannibale de se rendre utiles et d’aller vers les autres. Il leur arrive de crier dans leur salon de thé : « Je dois et j’ai besoin de faire ma vie avec les masses et les travailleurs manuels ! » (Edward Carpenter sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003) Elles s’inscrivent parfois dans les associations caritatives, parlent de voyages « humanitaires » et de « solidarité » à tout bout de champ, se persuadent qu’elles sont indispensables au bonheur de celui qui se trouve dans la détresse… alors que par ailleurs, elles ont tendance à voir la vie en noir, à peu s’occuper d’elles, de leur voisinage, de l’entraide à échelle humaine. Elles veulent pour les vraies victimes ce qu’elles refusent pour elles-mêmes. « Comme vous savez, je suis du côté de ceux qui cherchent à avoir un territoire, mais je refuse d’en avoir un » avoue Jean Genet (Jean Genet dans l’article « Une Crépusculaire odeur l’isole » de Tahar Ben Jelloun, dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 30). Le paradoxe de leur passion du pauvre se situe dans le fait que nous pourrions définir la plupart des personnes homosexuelles à la fois comme des amis de la Terre entière et des ennemis du genre humain. C’est par exemple ce qui peut expliquer que Michel Larivière décrive dans une même phrase Michel Simon comme un individu « misanthrope, anarchiste, toujours proche des exclus, des marginaux, mais vivant en solitaire, entourés de ses animaux familiers » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 311).

 

À force d’avoir le cœur sur la main, elles ont tendance à ne plus le laisser à sa juste place ! Peu de personnes homosexuelles ont la notion de la vraie générosité : pour elles, elle se limite à tout donner matériellement sans donner de sa personne, à s’émouvoir dans la mélancolie démissionnaire. Or, comme l’explique Mère Teresa, on aura beau donner tout son argent aux pauvres sans nous donner NOUS, notre don aura la froideur d’un chèque ou d’une pièce de monnaie.

 
 

a) Le pauvre-objet, exotique et lointain :

Beaucoup de personnes homosexuelles sont séduites par le jeune amant étranger : dans les cas les plus connus, il y a André Gide, Jean Genet, François Augiéras, Jean Sénac, Arthur Rimbaud, Pierre Herbart, Rachid O., Robert Lalonde, Claude Farrère, Daniel Guérin, Pierre Guyotat, Paul Bowles, Alberto Cardín, etc. Par exemple, pour leurs créations artistiques, Gilbert et George utilisent beaucoup de jeunes marginaux (cf. Patriots en 1980). Andy Warhol a fait de même. Juan Goytisolo dit être attiré par le « méridional sans cravate » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 391). En Espagne, le Marquis de Campo est connu pour sa passion pour les jeunes hommes prolétaires. Eloy de la Iglesia a toujours été attiré par les jeunes ouvriers pauvres. Le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini a trempé dans une affaire de détournement de mineurs à l’âge de 27 ans, et a fini par être assassiné par les voyous banlieusards qui l’attiraient tant : « Pasolini développait de vraies amitiés avec ses garçons : il jouait au foot avec eux, fait des virées nocturnes avec eux, danse et va à la plage avec eux. » (Kammerer dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler) Je vous renvoie également à la vie du colonisateur anglais Sir James Brook (racontée par Nigel Barley dans Un Rajah blanc à Bornéo, 2002). Certains auteurs homosexuels, issus de la bourgeoisie et dits « engagés », aiment à décrire par un « ultra-réalisme de pissotières » l’émergence inespérée de l’amour homo dans les bas-fonds des milieux défavorisés qu’on leur a/aurait cachés pendant leur jeunesse dorée : cf. les films « Orestie africaine » (1969) et « Le Père sauvage » (1980) de Pier Paolo Pasolini, le roman Le Garçon qui pleurait des larmes d’amour (2007) d’Alexandre Delmar, le roman The Servant (1948) de Robin Maugham, la pièce Quai Ouest (1985) de Patrice Chéreau, les films « The Last Days » (2005) et « Mala Noche » (1985) de Gus Van Sant, le documentaire « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (avec le portrait de deux jeunes Maghrébins témoignant de leur quotidien dans des sex-shops parisiens), etc. Daniel Guérin, notamment, parle de sa « conversion » au monde des garçons prolétaires. En 1962, il publie Eux et Lui, livre autobiographique dans lequel il se met en scène à la troisième personne aux côtés des exclus, comme sur une jolie carte postale de la rencontre pacifique des peuples que tout (selon lui) opposerait.

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il tombe amoureux de Karabiino, un domestique inaccessible, qu’il n’arrivera pas à acheter, ni par l’argent, nu par la séduction, ni par l’émotionnel : « J’ai allumé la télévision. Sur Melody Hits, il y avait le clip de la chanson de Sabah. Karabiino connaissait le tube mais ignorait tout de la chanteuse. Il s’est arrêté de travailler. Je l’ai invité à venir s’asseoir sur le lit à côté de moi. Et on a regardé le clip ensemble. C’était joyeux. Triste. Bouleversant. Loin de tout. […] J’avais soudain envie de pleurer, mais je ne savais pas pourquoi. Karabiino, lui, avait les yeux fixés sur l’écran. Était-il heureux ? Avait-il oublié pour un moment son malheur ? À quoi pensait-il ? Qui, au fond, était-il ? Je n’avais pas de réponses. Je n’en avais pas besoin. Karabiino était un garçon offert à mes yeux, à ma mémoire, parfaitement lisible et complètement mystérieux. Je savais un bout de son histoire, de son rêve. Mais là, à côté de moi, il était comme un petit prince, un petit roi. Un petit Sphinx. Insaisissable. Ailleurs. Ailleurs en permanence. » (pp. 76-77)

 

AMOUR AMBIGU Ouvrier

 

L’ouvrier ou l’étranger pauvre-jeune-et-musclé à qui la communauté homo fait les yeux doux correspond davantage à un cliché publicitaire digne des Dieux du Stade qu’à une rencontre réelle avec le monde du prolétariat : « Il est par exemple frappant de noter qu’une image qui a longtemps été (et qui est toujours) une icône gay représente un (très beau) mécanicien portant deux pneus alors que la population gay vit dans des milieux sociaux autrement plus raffinés ou intellectuels. » (Hugo sur le site suivant consulté en octobre 2003) ; « Pendant que mon cousin prenait possession de mon corps, Bruno faisait de même avec Fabien, à quelques centimètres de nous. Je sentais l’odeur des corps nus et j’aurais voulu rendre palpable cette odeur, pouvoir la manger pour la rendre plus réelle. J’aurais voulu qu’elle soit un poison qui m’aurait enivré et fait disparaître, avec comme ultime souvenir celui de l’odeur de ces corps, déjà marqués par leur classe sociale, laissant déjà apparaître sous une peau fine et laiteuse d’enfants leur musculature d’adultes en devenir, aussi développée à force d’aider les pères à couper et stocker le bois, à force d’activité physique, des parties de football interminables et recommencées chaque jour. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 153) ; etc. Chez le photographe Orion Delain, par exemple, on constate de manière palpable que l’élan vers l’étranger tend plus vers l’esthétisme que vers l’amour réel. La séduction, l’obsession pour la beauté des corps, et la drague, court-circuitent les échanges relationnels qui promettaient d’être beaux, gâchent la gratuité de la rencontre (pourtant concrète) avec les habitants du monde de la pauvreté matérielle.

 

Il ne suffit pas, par exemple, qu’un individu devienne objet de désir sexuel applaudi pour sa plastique et ses charmes physiques/culturels par toute une communauté, pour qu’il soit véritablement aimé et respecté. Je pense par exemple au fantasme homosexuel de plus en plus répandu du Maghrébin dans l’industrie cinématographique du porno, fantasme interprété à juste raison par Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts dans Homo Exoticus (2010) comme un racisme positif ou une forme nouvelle de néocolonialisme contemporain. Ilmann Bell, dans Un Mauvais Fils (2010), analyse très bien le phénomène : « L’Arabe est aux homos ce que la Blonde est aux hétéros. » Et ce n’est pas parce que, de surcroît, l’étranger prend le rôle du dominateur (sexuel) dans un scénario où il serait montré à son avantage, et qu’il laisse apparemment au placard son ancestrale activité d’esclave passif pour endosser la casquette du violeur qui va « régler son compte » à l’Occidental dans l’obscurité d’une cave de « té-ci » miteuse, que la revanche des pauvres sur les riches est effective sur le terrain, que la communauté gay lutte efficacement en faveur de l’émancipation des étrangers, et que le film porno en devient pour le coup justicier, révolutionnaire, humanitaire. Le pauvre, même magnifié corporellement par la caméra et dans sa performance génitale, n’en est pas moins utilisé comme objet sexuel, et vu uniquement sous le prisme d’un regard machiste (que le caméraman soit une femme ou un homme, un Blanc ou un Beur, ne change rien à la violence de l’acte enregistré).

 

AMOUR AMBIGU Homo Exoticus

 

Enfin, il ne suffit pas non plus de s’annoncer sous les hospices de la fraternité et de la solidarité pour être concrètement aimant. L’amour du pauvre peut être agressif, exclusif et excluant, s’il est un prétexte pour haïr les soi-disant « opposants » à notre entreprise humaniste. On retrouve ce partage manichéen et paradoxal dans le discours « solidaire » et « républicain » d’un Federico García Lorca, prononcé le 6 juin 1936 : « Je suis frère de tous et j’exècre l’homme qui se sacrifie pour une idée nationaliste abstraite. » (Lorca cité dans l’essai La Littérature espagnole au XXe Siècle (1998) de Nicole Réda-Euvremer, p. 37)

 
 

b) Le pauvre est aimé pour son malheur et comme substitut d’identité :

Le regard porté par beaucoup de personnes homosexuelles sur la pauvreté est beaucoup trop compassionnel et inondé de larmes pour être authentique. « J’ai un amour malheureux pour le monde » déclare Pier Paolo Pasolini (cf. le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada). Jean Genet dit bien que ce qui l’a attiré chez le jeune Abdallah, son amant arabe, ce sont les « images d’une enfance misérable, inoubliable, où il se savait abandonné » (cf. l’article « L’Éthique de l’Art », de Thierry Dufrêne dans le Magazine littéraire, n°313, 1993, p. 64) plus que sa personne. On observe également cet éloignement du pauvre réel chez l’écrivain anglais Forster : « On se retrouve soudain sur les terres de E. M. Forster, où les classes inférieures (mâles) sont à la fois vénérées et totalement incomprises. » (Gore Vidal dans Palimpseste – Mémoires (1995), p. 231) Paul Julian Smith, dans son essai Laws Of Desire (1992), souligne que le regard soi-disant aimant et humaniste de Juan Goytisolo sur les jeunes hommes arabes est en fait lié à la réification et à la domination : dans les écrits du romancier espagnol, « les Arabes sont toujours observés, et l’homme occidental est celui qui écrit et pense à leur place. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 392)

 

Film "Le Fil" de Mehdi Ben Attia

Film « Le Fil » de Mehdi Ben Attia


 

L’homme pauvre est très souvent réifié par les individus homosexuels. Par exemple, l’acteur Brüno transforme les Mexicains en fauteuils de luxe (en l’honneur de la chanteuse Paula Abdul) dans le film « Brüno » (2009) de Larry Charles. Le plasticien homosexuel Michel Journiac a réalisé en 1973 un moulage d’après son propre visage : Journiac Travesti en voyou. Le pauvre de Jean Genet n’est pas un être humain de chair et de sang mais une marionnette de bois : « C’était le plus triste des mendiants. Son visage avait la qualité de la sciure de bois et presque sa matière. » (Jean Genet, Le Journal du voleur (1949), p. 35) Frédéric Mitterrand, dans La Mauvaise Vie (2005), ne fait guère mieux quand il décrit ses amants du bout du monde : « Il était le vrai petit chérubin des cartes postales. » (idem, p. 13) ; Mitterrand présente à juste titre sa frénésie de solidarité comme une folie incontrôlée, une pathologie personnelle proche de la fièvre acheteuse du panier percé : « C’était une de ces idées folles qui m’assaillent à chaque fois que je rencontre un enfant perdu au cours de mes voyages. » (idem, p. 15) Cet amour du jeune éphèbe avec un « air de gosse des rues » (idem, p. 31) est souvent lié à l’argent, à une tentative de possession : « Je le bombardais de cadeaux : l’entreprise de corruption était à l’œuvre sans même que j’en ai pleinement conscience. » (idem, p. 17) Dans son récit autobiographique Parloir (2002), Christian Giudicelli, prof de 50 ans, considère le pauvre étranger comme un fétiche dont on peut faire collection : « Au lieu d’étudiants ou d’artistes en herbe, j’ai collectionné un nombre impressionnant de paumés en crise de croissance auprès desquels je me sentais embarqué dans un voyage salutaire loin du monde des lettres. » (p. 21) Sa générosité s’annonce très égocentrée : « Amour bien ordonné commence par soi-même. Je prends avant d’offrir. Une fois rassasié, plein d’une nouvelle énergie, je me découvre généreux. » (idem, p. 100) Il s’amourache d’un jeune délinquant maghrébin (qui se sert de lui, de son narcissisme de donateur, et de son compte en banque) qu’il aime d’un amour fusionnel très distancé et immatériel (narcissique, donc) : « Cette fois, je suis de l’autre côté et lui se retrouve du côté d’où je viens, le bon côté. […] Je suis allongé sur mon lit et je tente de m’allonger sur le lit de Kamel, là-bas, à Fleury-Mérogis, de m’oublier, de n’être plus moi mais lui, afin de souffrir à sa place. » (idem, p. 120)

 

Film "My Beautiful Laundrette" de Stephen Frears

Film « My Beautiful Laundrette » de Stephen Frears


 

Il y a deux visages contradictoires en la personne homosexuelle (et en beaucoup de personnes non-homosexuelles d’ailleurs) : celui de la Mère Teresa et celui du profiteur concupiscent. Et le trait d’union entre ces deux masques, c’est la sincérité. Par exemple, Michael Jackson défend la forêt amazonienne, les peuples meurtris et les enfants abandonnés (cf. les chansons « They Don’t Care About Us », « Earth’s Song », et « Heal The World »)… mais par ailleurs pratique des actes pédophiles. Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon marque bien ses distances avec un monde prolétaire dont il est issu, qu’il est censé défendre, mais dont il se sert à des fins vengeresses personnelles : « Mon marxisme de jeunesse constitua pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. » (pp. 88-89) ; « Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (p. 117) ; « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (p. 73) Ces propos me font penser à ce que décrit Bruce Benderson dans Pour un nouvel art dégéréné (1998) : les Hommes bobos sont attirés (intellectuellement) par la misère, mais seulement pour la côtoyer de très très loin.

 

Vidéo-clip "Le Premier Jour" d'Étienne Daho

Vidéo-clip « Le Premier Jour » d’Étienne Daho


 

Certaines personnalités homosexuelles semblent être les maîtresses du Charity Business le plus odieux et le plus intéressé : « Les œuvres caritatives, c’était super pour devenir célèbres ! » déclare fièrement l’acteur Brüno, dans le film éponyme de Larry Charles (et malheureusement, ce n’est pas du second degré…). L’approche du pauvre par Federico García Lorca est également ambiguë : à la fois attendrie et moqueuse, comme l’explique son frère Francisco. « Il aimait déguiser les servantes, à qui il faisait jouer parfois de petits pantomimes. […] La servante jouait avec un accent très marqué de la Vega, et imitait dans ses mimiques la grande actrice Maria Guerrero. Federico l’avait déguisée avec un ornement ‘oriental’. Elle avait la peau très bronzée et il avait peinturlurée son visage de poudre de riz.  La pauvre femme ne se rendait pas compte, dans son ineffable simplicité, du comique de son jeu de scène, qui nous apprécions énormément, avec parfois la cruauté puérile des adolescents. » (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 74) On entend de la part d’un certain nombre de personnes homosexuelles la défense du tourisme sexuel au nom de la « solidarité envers le Tiers-Monde » : entretenir les jeunes gigolos, « n’est-ce pas un juste rééquilibrage entre le riche Nord et le Sud pauvre ? » (p. 138) écrit sans honte Denis Daniel dans son autobiographie Mon Théâtre à corps perdu (2006). Dans le cas de Marcel Proust, on observe la même dualité : à la fois l’écrivain sait mieux que personne que l’amour vrai ne se monnaie pas… mais cela ne l’empêche pas d’« aimer particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter ». (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, 1997, p. 25)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles aiment les pauvres non pour eux-mêmes mais pour l’occasion qu’ils leur fournissent de se mettre à leur place : « Les homosexuels sont souvent des immigrés d’un nouveau genre. » (p. 78) déclare Jean Le Bitoux dans son essai Citoyen de seconde zone (2003) ; « Nous sommes tous des Arabes gays. » (Éric, le chroniqueur « littéraire » de l’émission radiophonique Homo Micro sur Paris Plurielle, 106.3 FM, à Paris, le 22 juin 2006) ; « C’était mieux d’être un lépreux que de se sentir attiré par les hommes. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc. Sur le terrain associatif LGBT, l’éloignement du pauvre réel et l’arrivisme gagnent également une grande part du tableau idyllique du militantisme homosexuel : « Act Up est l’association de lutte contre le Sida dont la composition fait la plus grande part aux malades, alors même qu’elle ne s’investit alors aucunement dans l’aide directe. » (cf. l’article « Mobilisation gay en temps de Sida » d’Olivier Fillieule, cité dans l’essai Les Études gay et lesbiennes (1998) de Didier Éribon, p. 91) Certains groupes militants homosexuels agressifs, tels que le FHAR (visible dans les années 1970), Act Up, Les Panthères roses (association dont la première « action » a été lancée le 14 décembre 2002 à Paris, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak), ou Les Sœurs de la Perpétuelles Indulgence, naissent précisément dans les moments où le gâteau des pauvres est partagés, où la lutte en faveur des réelles injustices sociales (pandémie du Sida, conflit armé, crise économique…) est à son zénith, où il y a de la souffrance et de la pauvreté à récupérer, des couvertures de victimes à tirer à soi, plus ou moins légitimement d’ailleurs.

 

Angela Davis et Jean Genet

Angela Davis et Jean Genet


 

L’identification injurieuse à l’étranger/au pauvre est pourtant faite avec le sourire, et passerait presque pour belle tellement elle « swingue » à l’unisson de la pensée politiquement correcte actuelle déroulant le tapis rouge à la « Tolérance », ce concept idéologique fumeux qui ne signifie rien (tout dépend de ce qu’on tolère). Je pense par exemple au final très World et United-Colour-of-Bande-de-Cons du concert d’Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « Lesbienne invisible »), le 6 juin 2011 à l’Européen de Paris, avec la brochette de femmes étrangères débarquant sur scène comme un cheveu sur la soupe, pour pousser la chansonnette en l’honneur de la « diversité [des ‘genres’] et des différences », au rythme des tambourins orientaux. Certains militants homosexuels se servent du visage pluri-ethnique d’une communauté homo internationale fantôme, ou de la « femme lesbienne du bout du monde » (de préférence afghane, incarcérée, et violée), pour obtenir des droits LGBT nationaux, et envoyer ses commissionnaires prêcher la Bonne Nouvelle de l’Amour homo à leur place jusqu’aux extrémités de la Terre (comme on peut le voir ci-dessous pour le cas de l’Espagne) : « Dans d’autres villes apparaîtront des groupes d’immigrés LGBT. Conjointement à leurs problèmes d’insertion, ces activistes peuvent jouer un rôle primordial en ouvrant la question homosexuelle et transsexuelle à leurs communautés d’origine en Espagne. Qui mieux qu’un gay maghrébin ou qu’une lesbienne péruvienne pour parler à ses semblables ? » (Jordi Petit, cité dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 58) Cette identification excessive à « l’homosexuel persécuté aux 4 coins de la Planète » donne parfois lieu à de grotesques méprises, limite insultantes pour les nations ainsi récupérées et diabolisées une fois que le pot aux roses est découvert. Ce fut le cas tout récemment avec la blogueuse syrienne qui tenait le site « A Gay Girl In Damascus » (= Une Fille Gay à Damas)… mais qui n’était en fait ni syrienne, ni lesbienne, ni une femme ! Un post annonçait début juin 2011 qu’elle avait été kidnappée par les forces de sécurité syriennes : on a découvert que cette « Amina Arraf », qu’on s’apprêtait à couronner mondialement de la Palme du Martyr de l’Homophobie, se trouvait être un personnage inventé par Tom MacMaster, un étudiant américain en Écosse… Well well well… On passe. Concernant la récupération des pauvres à des fins politiques égoïstes, le problème se pose de manière beaucoup plus locale et nationale dans le cadre par exemple des banlieues. L’« enfer » qu’endurent/qu’endureraient les quelques rares personnes homosexuelles qui habitent dans les tours – et que la grande majorité des membres de la communauté LGBT méconnaît, même si elle se plaît à les imaginer très nombreuses ET invisibles – constitue un prétexte en or pour prouver à l’ensemble de la population française que la sainte et affreuse déesse Homophobia existe, et pour convaincre nos politiques de l’urgence de la législation sur les « droits des homos ». Vanda Gautier, la metteur en scène, s’oppose justement à l’entreprise stigmatisante d’instrumentalisation de la souffrance du « pauvre homosexuel des cités », menée par certains militants homosexuels, spécifiquement au sujet des banlieues. « L’homophobie, ce n’est un ‘problème de banlieue’. Il n’y a pas plus de violence homophobe en banlieue qu’ailleurs. Elle s’exprime d’une manière particulière en banlieue, mais elle n’est pas des banlieues. » (Vanda Gautier lors de la remise du Prix Toleranz à la comédie musicale Place des Mythos de Catherine Regula, SIGL, Carrousel du Louvre, Paris, le samedi 3 novembre 2007)

 

Arthur Rimbaud à Aden

Arthur Rimbaud à Aden


 

La recherche parfois fiévreuse du pauvre homosexuel martyrisé peut dans certaines situations traduire tout simplement un désir de mort (« De nombreuses fois je me suis demandé s’il n’y avait pas une pointe de morbidité dans la fascination que le fait juif exerce sur moi » déclare par exemple Juan A. Herrero Brasas dans l’essai Primera Plana (2007), p. 25), ou bien une haine de soi très profonde (comme l’écrit Gilles William Goldnadel : « Les martyrocrates, ce sont tous ceux qui, par passion ou par intérêt, exploitent, magnifient ou fabriquent la souffrance de celui qui, a priori, présente le profil idéal de l’innocente victime à protéger » pour combler leur propre mal-être : cf. l’essai Les Martyrocrates (2004), p. 7). Inutile de dire que ces deux sentiments sont des moteurs puissants d’homophobie…

 
 

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