Code n°83 – Grand-Mère

grand-mère

Grand-Mère

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Mémé-pédé

 

Tantôt jumelle, tantôt amant homosexuel, tantôt déesse, tantôt diablesse, il est évident que la grand-mère du héros homosexuel ou celle dont parlent de nombreux sujets homosexuels n’est pas la véritable grand-mère biologique que nous avons tous … même si les fantasmes s’appuient toujours sur un substrat de sang ou de réel pour asseoir leur vraisemblance. Elle est plutôt cet androgyne tout-puissant qui habite les esprits en plein effondrement identitaire ou désirant. Elle est cette femme-objet vieillissante (cf. je vous renvoie bien sûr à la partie « Star vieillissante » du code « Actrice-Traîtresse », aux codes « Tante-objet ou Mère-objet », « Bergère » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) créée par une société matérialiste qui asexualise, homosexualise, prostitue tout le monde. C’est mémé-pédé. Big Gay Grandmother !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Bobo », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Matricide », « Tante-objet ou Maman-objet », « Folie », « Voyante extralucide », « Destruction des femmes », « Mère possessive », « Mère gay friendly », « Inceste », « Doubles schizophréniques », « Reine », et à la partie « Star vieillissante et cruelle » du code « Actrice-Traîtresse », dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

Mamie chérie !

Mamie chérie ! Film « Vier Minuten » d’Hannah Herzsprung

 

On voit apparaître souvent la grand-mère dans les fictions homo-érotiques : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (avec une femme âgée qui est une enfant), le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust (avec la « grand-mère très lettrée » du narrateur homosexuel), la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron (où la grand-mère est une figure d’indépendance), le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron (avec Grany), le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally (avec la grand-mère qui devine l’homosexualité de sa petite-fille avant tout le monde), le film « Serial Noceurs » (2005) de David Dobkin, le film « Les Petits-Fils » (2003) d’Ilan Duan Cohen, le film « Une voix d’homme » (2001) de Martial Fougeron, le film « Une grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le roman À ta place (2006) de Karine Reysset (avec la grand-mère de Cécile), la grand-mère du film « Tan De Repente » (2003) de Diego Lerman (avec la grand-mère ancienne artiste de cabaret), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Mamy, la grand-mère délurée), le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (avec la grand-mère excentrique), le film « Im Sommer Sitzen Die Alten » (2009) de Beate Kunath, le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras (avec Mamie Alma, la grand-mère de Dany et Ody), etc.

 

Film "Le temps qui reste" de François Ozon

Film « Le temps qui reste » de François Ozon


 

Beaucoup de héros homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie : cf. le film « Grandma’s Boy » (2006) de Nicholaus Goossen, etc. « Tiens, voilà la vieille qui passe là-bas. Tiens, voilà la vieille qui sort du grand bois. Ah ! Quelle merveille, La vieille, la vieille. Ah ! Quelle merveille, cette vieille-là… » (cf. la chanson « La Vieille » de Charles Trénet) ; « Comme disait ma grand-mère, à force de croquer la vie à pleine dent, on en perd son dentier. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Tous les week-end je gardais ma grand-mère. » (Jarry parlant du baby-sitting, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux box qu’on fait les meilleures confiotes ! » (Fred, le trans M to F, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Il serait pas un petit peu gay, ton mec ? ll a un chat, il kiffe les vieilles, il aime bien le shopping. » (Sonia s’adressant à sa pote Joëlle par rapport à Philippe le mari de celle-ci, dans le film « L’Embarras du choix » (2016) d’Éric Lavaine) ; etc. À les entendre, ils vivent avec elle. « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne). Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau dédie une chanson « pour la maman de sa maman » : « À Mémé qui m’aimait tout autant. » Dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron, Mister Carter (70 ans) dit à John (15 ans) qui est amoureux de lui que le fait qu’un jeune homme tombe amoureux d’une femme beaucoup plus âgée que lui, c’est un truc de « Sissi » (= « de pédés »). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo, l’un des héros homosexuels, va à l’anniversaire de sa grand-mère de 80 ans qu’il chérit tant. Dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Philippe, pour fuir la folie de sa mère, arrive à La Rochelle et s’installe chez sa grand-mère. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. « Ta grand-mère était très douée. » le complimente-t-elle. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi avec ma grand-mère. ». Celle-ci a même supplanté sa propre mère : « Je n’ai pas de mère. ». Tomas attribue à sa grand-mère sa vocation de pâtissier puisqu’elle cuisinait des gâteaux aussi.

 

Film "Chicken" de Tikka Masala

Film « Chicken » de Tikka Masala


 

En général, cette mamie compose une personnalité haute en couleurs, extravagante, vaguement artiste et intellectuelle, femme du monde, vieille France, facho, extrême droite et odieuse : cf. le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Mamita, la grand-mère insupportable, bourgeoise et raciste sans s’en rendre compte : « Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout. »), le sketch de la « Belle-mère » de Didier Bénureau (avec la grand-mère qui passe des coups de fil compulsifs pour insulter la famille de sa fille Patricia), le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec l’affreuse Grany), le one-man-show Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le film « Entre Tineblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec la vieille Marquise grippe-sous), etc. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la grand-mère de Steve, le héros homosexuel, disait de lui qu’il n’était « pas commode ».

 

 

Dans les fictions homo-érotiques, la grand-mère est détruite/salie autant que valorisée. Le héros homosexuel la massacre pour prouver par son acte iconoclaste que SA mamie est toute-puissante et immortelle : cf. la chanson « Susan Boyle » de Max Boublil, le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec l’enterrement de la grand-mère), le poème « Abuela Oriental » de Witold Gombrowicz (avec la grand-mère profanée), etc. « Dans la famille Maboule, je voudrais la grand-mère. » (Micka jouant au Jeu de 7 Familles dans le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent) ; « La grand-mère est morte… » (Quentin Lamotta, Le Crabaudeur (2000), p. 71) Et dans le cas où il ne la tue pas, il s’imagine quand même, à sa mort, qu’il l’a tuée : « J’ai tué ma mémé !!! » (Marcel, un des héros homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, lors de l’enterrement de sa grand-mère) ; « Grand-mère est morte. Grand-mère est morte. » (Lucie dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Quelques heures plus tard, Françoise put une dernière fois et sans les faire souffrir peigner ces beaux cheveux [ceux de la grand-mère morte] qui grisonnaient seulement et jusqu’ici avaient semblé être moins âgés qu’elle. Mais maintenant, au contraire, ils étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d’où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d’années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d’une chaste espérance, d’un rêve de bonheur, même d’une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d’emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand’mère. Sur ce lit funèbre, la mort, comme le sculpteur du moyen âge, l’avait couchée sous l’apparence d’une jeune fille. » (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 336) ; « Moi si j’étais demoiselle, c’est fou ce que je serais… vieux ! » (c.f. la chanson « Si j’étais demoiselle » d’Adrien Lamy) ; etc. Dans Du côté de Guermantes justement, le héros est vivement affecté par la disparition de sa grand-mère Bathilde, puis, peu à peu, emporté par le tourbillon des mondanités, il ne pense plus que très rarement à elle. Il prend alors parfois conscience de cet oubli et en éprouve de vifs remords. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François dénigre la grand-mère de son compagnon Thomas : il la compare à Élisabeth II sur un fauteuil roulant. Thomas se montre particulièrement susceptible : « Manque pas de respect à ma grand-mère. »

 

Pièce Quand les belles-mères s'emmêlent

Pièce Quand les belles-mères s’emmêlent


 

Dans les chansons « La Matriarche » et « À table » de Jann Halexander, la famille fête les 80 ans de la grand-mère, une femme âgée dont on se moque comme un animal de foire, qu’on expose « pour la galerie », qu’on massacre (« Mamie, on te descend. ») est considérée comme une sœur de martyre : « On n’a pas besoin de dire qu’on vous aime […] Grand-mère, Grand-mère, ne désespère pas! On est deux à haïr ces repas, On n’en peut plus de la famille. »

 

Le héros homosexuel a des raisons de lui en vouloir. Sa grand-mère le gave depuis tout petit d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et le maintient dans l’enfance, dans la douilletterie. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel regarde la télé avec sa grand-mère (p. 12). Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, en tant qu’assistant à domicile de personnes âgées (ergothérapeute), va faire des ménages chez Olga, une grand-mère qui passe son temps devant la télé et l’initie aux jeux télévisés. Celle-ci veut absolument le caser avec une femme, et tente même de le séduire, en maintenant avec lui une relation fusionnelle (elle l’appelle « mon chéri »). Dans le film « L’Homme d’à côté » (2001) d’Alexandros Loukos, Alkis, le héros homo, affirme subir tous les après-midi un feuilleton grec débile, Elvira, que sa grand-mère suit assidûment. Mais ce qu’il ne dit qu’à demi-mot après, c’est que cela lui plaît : « À force d’être scotché devant la télé, je devenais une Elvira ! » Dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard, le jeune Corentin est obligé de se farcir Derrick, Dallas, Plus belle la vie avec sa grand-mère Mamita. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la grand-mère d’Étienne a provoqué une indigestion de dragées au point de rendre son petit-fils malade (et ça la fait beaucoup rire…). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, l’un des héros homosexuel, aime la musique classique, et c’est sa grand-mère qui l’a initié à l’amour du classique… et qui inconsciemment le conduira à croire en ses sentiments homosexuels orientés vers le Prince charmant.

 

 

L’influence intrusive de la grand-mère dépasse le simple terrain des goûts pour aller jusqu’à l’intimité et la sexualité. En effet, mamie homosexualise son petit-fils soit en banalisant et en sacralisant l’homosexualité, soit en étant paradoxalement hyper homophobe et facho (ce qui est perçu tout autant comme une injonction par le héros homo) : cf. le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la voisine de pallier mécontente), le vidéo-clip de la chanson « Too Funky » de George Michael (s’achevant par les plaintes de la vieille), le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec Mathilde – interprétée par Patachou – la grand-mère croqueuse d’hommes, libertaire et gay friendly), le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand (avec le personnage d’Hélène, hyper « open »), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec la grand-mère de Malik) ; etc. « Tu te rends compte ! Dire que je suis lesbienne ! [Imagine]… ma grand-mère ! » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’crois qu’elle aime pas les autres dames, mamie. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Si ça ne tenait qu’à moi, ces pédérastes seraient directement fusillés. » (la grand-mère de Bobby, dans le téléfilm « Bobby seul contre tous », « Prayers for Bobby » (2009) de Russel Mulcahy) ; etc. Par exemple, dans le film « Une femme sans tête » (20) de Lucrecia Martel, la grand-mère haït les gars maniérés. Dans le film « Tatie Danielle » (1990) d’Étienne Chatiliez, la grande-tante ne voit pas d’un bon œil les efféminements suspects de son petit-neveu Jean-Marie qu’elle surnomme méchamment « Jeanne-Marie ». Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette crache sur « les pédés » : « Les pédés… Il faut toujours qu’ils se croient plus intelligents que les autres ! »

 

Film "Tatie Danielle" d'Étienne Chatiliez

Film « Tatie Danielle » d’Étienne Chatiliez


 

Mamie-gâteau, au contraire, peut se montrer très conciliante avec l’homosexualité de son petit-fils, et la travailler chez lui. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, le couple homosexuel Robbie et Ilan loge chez la grand-mère. Dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, la grand-mère de Méral (l’héroïne transgenre F to M), sur son lit de mort, reconnaît le travestissement de sa petite fille comme vrai, le valide comme beau. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, c’est une grand-mère qui préside la cour des miracles homosexuelle de Bob. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la mémère Berniece qui, au départ, était homophobe, organise le jour du mariage mais aussi du coming out de son fils Howard, une sorte de cercle d’alcooliques anonymes improvisé dans l’église avec toutes ses amies mamies qui vont déballer tous leurs secrets.

 

Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, la grand-mère d’Antonio et de Tommaso, les deux frères homos, a tout de la femme soumise-insoumise, qui s’est mariée par devoir, mais qui ensuite envoie tous ses carcans ballader avec l’âge : elle mange sucré, ne se médicamente pas toujours, boit plus que de raison, et finit même par se suicider en se goinfrant de gâteaux. Elle est présentée dans ce film gay friendly comme la conscience visionnaire, la sagesse incarnée qui valide la « justesse » de l’homosexualité de ses petits-fils : « Antonio me l’a dit. Mais je l’aurais compris sans ça. » dit-elle à Tommaso qui lui demande si elle savais pour l’homosexualité d’Antonio.
 

Dans les œuvres homo-érotiques, la grand-mère est souvent incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : cf. le film « Mémés Cannibales » (1988) d’Emmanuel Kervyn, le film « Cachorro » (2004) de Miguel Albaladejo (avec la figure de la grand-mère despotique), etc. « Mme Hammer grande bourgeoisie se parfume à l’eucalyptus. Maman reptile, charmante épouse, invite femmes à prendre le thé. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Je raccroche : grand-mère nous espionne. » (Stella, la « fille à pédé(s) » s’adressant à son ami gay Gabriel, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson) ; « On viole ta grand-mère dans le métro. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Ma tante rangeait derrière mon oncle, ma grand-mère derrière mon grand-père. D’un côté, j’en étais indignée. Mais de l’autre, j’aimais être un petit prince. Quand je serais grande j’aurais un harem plein de femmes. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 168) ; « Ma grand-mère est terrible. Elle fichait des fétus de paille dans le cul des guêpes pour les faire mourir. » (cf. les premières lignes de la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 11) ; « Cette méchante enfant tient de sa grand-mère. » (Karen, l’héroïne lesbienne parlant de la petite Mary, son maître-chanteur d’homosexualité, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « Quand mes lèvres la touchèrent, les mains de ma grand-mère s’agitèrent, elle fut parcourue tout entière d’un long frisson, soit réflexe, soit que certaines tendresses aient leur hyperesthésie qui reconnaît à travers le voile de l’inconscience ce qu’elles n’ont presque pas besoin des sens pour chérir. Tout d’un coup ma grand’mère se dressa à demi, fit un effort violent, comme quelqu’un qui défend sa vie. Françoise ne put résister à cette vue et éclata en sanglots. Me rappelant ce que le médecin avait dit, je voulus la faire sortir de la chambre. A ce moment, ma grand’mère ouvrit les yeux. Je me précipitai sur Françoise pour cacher ses pleurs, pendant que mes parents parleraient à la malade. Le bruit de l’oxygène s’était tu, le médecin s’éloigna du lit. Ma grand-mère était morte. (le narrateur homosexuel dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust p. 334) ; « Tu t’es tapé la vieille ??? » (Yoann découvrant que son amant Julien a couché avec sa belle-mère Solange, la cougar, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Quand j’étais petite, ma grand-mère avait inventé une enfant virtuelle, Olivia [qu’elle pouvait gâter et féliciter à l’envie quand moi je n’étais pas sage, pour me servir de leçon] Qu’est-ce que je détestais Olivia… J’ai fini par détester ma grand-mère aussi. Quand elle est morte, je n’ai eu aucun chagrin. » (Vera, l’héroïne lesbienne machiavélique dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère « Babou » cache le secret de l’inceste maternel et interrompt son petit-fils bisexuel Guillaume qui commençait à le formuler : « Si je ressemble à maman, c’est parce que… » Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel et sa grand-mère juive qu’il imite s’adressant à lui, ont une relation très fusionnelle : « Maintenant je te tiens. Je ne te lâche plus. » Leur lien semble intéressé et matérialiste : « Tu aimais bien venir me voir quand t’étais petit. Tu venais pour mes robes, j’ai compris. » (la grand-mère)

 

La grand-mère transforme son petit-fils (futur homosexuel) en pute. C’est à cause d’elle que ce dernier rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la grand-mère est clairement une figure d’inversion (de la différence des sexes – par l’homosexualité – et de la différence des espaces – par la prostitution) pour le héros bisexuel (en plus d’être une idole : « Ah beh d’abord, y’a ma grand-mère que j’adore. ») : la grand-mère Babou traite son petit-fils Guillaume de « Pupute » au lieu de dire « Pupuce » parce qu’elle met inconsciemment des mots à la place des autres.

 

Souvent dans les fictions parlant d’homosexualité, la grand-mère a tout de l’actrice séductrice et de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise ». Elle a d’ailleurs un nom de maquerelle ou de prostituée : par exemple « Poulouloulasse » dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi.

 

La grand-mère est jumelle d’orientation sexuelle puisque son petit-fils sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui avoue : cf. le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, le film « Sex Revelations » (2000) de Jane Anderson, Martha Coolidge, et Anne Heche, la pièce Quand les belles-mères s’emmêlent (2014) d’Olivier Schmidt, Yvette Leglaire, Cédric Portella et Martine Superstar, etc. Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Catherine S. Burroughs est une vieille bourgeoise lesbienne réunissant autour d’elle le tout Key West gay. Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la grand-mère de Max vit en collocation avec une autre vieille dame. Le copain de Max, Fred, lui demande tout de suite : « Elle est lesbienne ? » « Mais non » lui répond Max. Dans le film « La Comunidad » (2000) d’Alex de la Iglesia, Julia traite deux vieilles visiteuses d’appartement (potentielles acheteuses) de « momies lesbiennes » en leur imaginant des positions sexuelles en forme de ciseaux, tout ça pour les virer précipitamment de chez elle. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la grand-mère de Tom, Marie-Anne, est une vieille bique au caractère bien trempé, qui est armée d’un fusil de chasse, une femme intraitable, très branchée internet, indépendante, qui danse la country, qui a eu une relation extra-conjugale pendant la Guerre. Graziella, le présentatrice-télé, la surnomme ironiquement « John Wayne », et conseille à son petit-fils de l’imiter : « Prends exemple sur ta grand-mère : un vrai bonhomme. » Elle a tout de l’homme machiste dans un corps de femme, donc symboliquement du gay. D’ailleurs, à la fin, elle est qualifiée (toujours par Graziella) de « cougar qui se tape un gigolo gay ».

 

Il est même possible, dans certains cas, que la grand-mère fictionnelle soit le nom caché de l’amant homosexuel du héros. Par exemple, dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand, le héros homosexuel, a une proximité corporelle amoureuse avec sa grand-mère : « Je lui ai léché les aisselles. » Et celle-ci a tout fait pour que son petit-fils soit homosexuel : « Je suis soulagé ! Enfin un pédé dans la famille ! On a repris espoir au moment où tu as commencé à te maquiller ! » Elle a l’air également lesbienne : « Auto-reverse ! Comme mamie ! »
 

Elle est le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils. « Je fais toujours un bon café. Comme grand-mère. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Dans la famille Mer [on entend « Mère »], je voudrais la grand-mère. » (Laure, la petite fille transgenre F to M s’adressant à son père pendant le Jeu des 7 familles, dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma) ; « On se ressemble. » (Laura, la grand-mère-copine à son petit-fils Romain, dans le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon,) ; « Qui se ressemble s’assemble ! » (la grand-mère d’Étienne, le héros homo du film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau ; « Ses beaux yeux sont fermés. J’ose pas demander qu’on les ouvre. Et je le regretterai après le trop-tard : c’était ses yeux que je voulais voir. » (le jeune narrateur regardant la grand-mère morte, dans le  roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 71) ; « Le professeur tempêtait toujours pendant que je regardais sur le palier ma grand-mère qui était perdue. Chaque personne est bien seule. Nous repartîmes vers la maison. » (le narrateur homosexuel apprenant que sa grand-mère est condamnée par la maladie, dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust) ; « Je passais prendre la bouillotte et embrasser grand-mère, que je surprenais souvent à moitié déshabillée, danseuse obèse et déchue, environnée de tout un Niagara de dentelles, de chairs gélatineuses qui moutonnaient à l’infini par la grâce du double reflet de l’armoire à glaces et de la psyché. Ces miroirs étaient le seul luxe en ce logis. » (le narrateur homosexuel décrivant sa grand-mère dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 12) ; etc. Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, et sa grand-mère s’imitent mutuellement : ils prennent la même position dans le bar.

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, le héros homo, s’identifie totalement à sa grand-mère : il a un tableau d’elle chez lui, va se recueillir sur sa tombe, et en fait même l’héroïne féminine de son futur roman s’exprimant à la première personne du singulier, à l’image d’une jumelle narcissique : « Elle marche d’un pas régulier, calme et décidé à la fois. Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. Elle décide de tout quitter : sa famille, son village, son pays. C’est agréable d’être seule. Pour la première fois de sa vie, elle est vraiment seule. Elle regarde les passants dans la rue. Leurs mouvements sont beaux. Brusquement, elle pleure. »

 

Cette grand-mère fictionnelle n’est pas la grand-mère biologique. Elle est plutôt un concept asexué, un androgyne venu de l’Espace ou du cinéma : « C’est fou ce que vous ressemblez à ma grand-mère maternelle… » (le jeune homosexuel Kevin de 17 ans s’adressant à Jenny le chanteur transsexuel M to F, dans la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte) ; « La fresque la plus imposante du lieu [le café Samothrace] représente la Grand-Mère. Elle est mise en scène de la manière la plus traditionnelle qui soit : assise, avec un lion à ses côtés. Son nom secret, dévoilé uniquement aux initiés, est Axieros et elle est la maîtresse toute puissante du monde sauvage. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 54) ; « Ange de ma grand’mère, ange de mon berceau, ne devinez-vous pas que je deviens oiseau ? » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane, (1924), p. 200) ; « Antoine avait rencontré Eva, mais l’affaire n’était pas conclue. Cette grand-mère à la campagne semblait être un obstacle majeur à la signature de leur contrat physique. Antoine se demanda quelle tête pouvait avoir la grand-mère, c’était peut-être un grand-père, un jeune grand-père, plus jeune que grand-père, même. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 190) Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Mémé Huguette n’est pas tellement une grand-mère, mais plutôt une caricature d’hyper-féminité massacrée et massacrante (elle se définit d’ailleurs comme une « sorcière »), une voix de la conscience qui surgit d’outre-tombe et passe de corps en corps (« N’oubliez jamais ça : En chacun de nous sommeille une mémé comme moi. »), l’Androgyne agressif et capricieux, le retour du refoulé (asexué et caractérisé par la violence) : « Je suis bisexuelle. Bisexuée. Je porte les deux sexes. J’ai été envoyée par des extra-terrestres. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver fait des massages à son jeune amant Elio, massages ésotériques au pied que lui a appris sa grand-mère. Elio lui parle aussi de sa grand-mère et la définit comme une « drôle de sorcière ».

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Colette n’est pas la grand-mère de sang du héros homosexuel Jason, mais la grand-mère symbolique qui l’entraîne vers la frivolité : « De la superficialité, bon sang de bonsoir ! De la souplesse ! » (p. 462)

 

Dans le roman Du côté de Guermantes (1921) de Marcel Proust, la grand-mère du narrateur homosexuel perd toute matérialité. C’est à la fois une déesse et un monstre : « Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, à demi agenouillée, comme si, à force d’humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d’elle-même, elle inclinait vers ma grand-mère toute sa vie dans son visage comme, dans un ciboire qu’elle lui tendait, décoré en reliefs de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu’on ne savait pas s’ils y étaient creusés par le ciseau d’un baiser, d’un sanglot ou d’un sourire. Ma grand-mère essayait, elle aussi, de tendre vers maman son visage. Il avait tellement changé que sans doute, si elle eût eu la force de sortir, on ne l’eût reconnue qu’à la plume de son chapeau. Ses traits, comme dans des séances de modelage, semblaient s’appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail de statuaire touchait à sa fin et, si la figure de ma grand’mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles, non pas d’un marbre, mais d’une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer, en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure fruste, réduite, atrocement expressive, semblait, dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l’œuvre n’était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser, et puis, dans ce tombeau — qu’on avait si péniblement gardé, avec cette dure contraction — descendre. » ; « Quand, quelques heures après, j’entrai chez ma grand-mère, attachés à sa nuque, à ses tempes, à ses oreilles, les petits serpents noirs se tordaient dans sa chevelure ensanglantée, comme dans celle de Méduse. Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d’autrefois (peut-être encore plus surchargés d’intelligence qu’ils n’étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c’est à ses yeux seuls qu’elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu’on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l’huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l’univers reconquis. Son calme n’était plus la sagesse du désespoir mais de l’espérance. Elle comprenait qu’elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d’un beau sourire pour que je susse qu’elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main. » La grand-mère est la pâte à modeler à travers laquelle le narrateur peut exprimer sa créativité et ses fantasmes de mort : « Nous entrâmes dans la chambre. Courbée en demi-cercle sur le lit, un autre être que ma grand-mère, une espèce de bête qui se serait affublée de ses cheveux et couchée dans ses draps, haletait, geignait, de ses convulsions secouait les couvertures. Les paupières étaient closes et c’est parce qu’elles fermaient mal plutôt que parce qu’elles s’ouvraient qu’elle laissaient voir un coin de prunelle, voilé, chassieux, reflétant l’obscurité d’une vision organique et d’une souffrance interne. Toute cette agitation ne s’adressait pas à nous qu’elle ne voyait pas, ni ne connaissait. Mais si ce n’était plus qu’une bête qui remuait là, ma grand-mère où était-elle? On reconnaissait pourtant la forme de son nez, sans proportion maintenant avec le reste de la figure, mais au coin duquel un grain de beauté restait attaché, sa main qui écartait les couvertures d’un geste qui eût autrefois signifié que ces couvertures la gênaient et qui maintenant ne signifiait rien. » (chapitre premier)

 

Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel fait de sa grand-mère l’archétype universel de la féminité à la fois éternellement grandiose et monstrueuse, à détruire : « Mamie Suzanne : on en a tous une comme elle.[…] C’est mamie-gâteau, celle qui nous berçait avec des comptines. » Il a grandi au milieu des photos de sa grand-mère : « Toutes ses photos épinglées dans le salon ». Cette femme est en réalité la vedette médiatique : « J’étais speakerine dans les années 1950 à la télé. » C’est elle qui l’a initié à l’homosexualité : « Je crois que c’est elle qui a inventé le concept de cougar. » La mamie en question se voit confier par son petit-fils le zizi dont il ne veut plus : « Tiens ! Ton morceau ! » lui dit-il en ouvrant sa braguette. Le portrait de la matriarche se délabre pourtant très vite : Mamie Suzanne se montre agressive, alcoolique, humiliante. Elle a poussé son petit-fils dans l’eau d’un lac et a failli le noyer, quand il était petit. En riant méchamment, elle raconte qu’elle l’a fait également tomber lors d’une fête de famille, et qu’il s’est ouvert le menton. Jefferey finit par se venger de sa grand-mère adorée : « ‘Sacrée salope’. Ce qui me fait revenir à Mamie Suzanne ! » Au bout du compte, il sacralise le monstre : « Mamie Suzanne, elle restera toujours, elle vous fera chier jusqu’au bout. »
 

La grand-mère des fictions homo-érotiques est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : cf. la pièce Mon beau-père est une princesse (2014) de Didier Bénureau. « Regarde, maman ! Il [le Jésuite] allait se tirer avec les joyaux de la momie de grand-mère ! » (la Princesse s’adressant à sa mère la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Nos grand-mères se fardaient pour tâcher de causer brillamment. Dans ce temps-là le rouge et l’esprit allaient de pair. Mais que cela est loin de nous ! » (Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 68) ; etc. Par exemple, dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine Dubernet imite sa grand-mère, Simone, une femme-tigresse avec une fourrure de panthère.

 

Il n’est pas rare que la mamie des créations homosexuelles soit une forme de cerbère à trois visages générationnels différents (la fille/la mère/la grand-mère), toutes des femmes violées puis prostituées : cf. le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Laurent imitant sa mère puis sa grand-mère), etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, on voit se succéder trois personnages féminins interprétés par le même comédien : d’abord la mère (prostituée au Bois de Boulogne), puis Mémé Huguette (d’extrême droite, islamophobe, réac’, anti-racailles, ancienne collabo pendant la Seconde Guerre mondiale, ultra catho… et prostituée !) et enfin Gwendoline (collégienne en classe de 6e, et déjà prostituée puisqu’elle se fait pénétrer et sodomiser avec plaisir dans des tournantes). Ce spectacle est l’étalage de trois schizophrénies. Même cas de figure avec le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, dans lequel Guillaume, le héros bisexuel, commence par imiter sa mère, puis sa grand-mère et ses tantes, puis les jeunes filles dans la piscine, pour se forger une identité postiche.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Finalement, la grand-mère conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, on apprend que le frigo de « L. », le héros transgenre M to F, est un cadeau de son arrière-grand-mère, autrement dit une femme sans âge, d’outre-tombe.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

La grand-mère est LA grande DIVA de la communauté homosexuelle, la chouchoute toutes générations confondues : « Ta mémé, c’est notre reine. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 21) ; « La grand-mère qui m’a adopté. » (c.f. la chanson « L’Ossau » de Sébastien Delage) ; etc. Je pense par exemple aux grands-mères et arrière-grands-mères du présentateur Olivier Minne.

 

Beaucoup de personnes homos sont de bons p’tits fillots à leur mamie. À les entendre, c’est le grand Amour… « Lorsque ma grand-mère est morte, il y a 6 ans, j’ai eu le sentiment que je ne m’en consolerais jamais. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 27) ; « J’aimais une vieille dame de 63 ans qui sentait la verveine et le citron. Je l’adorais. Je dormais avec elle, je me blottissais contre elle dans le noir. Elle me disait souvent : ‘Prends la chaise, ma chérie, et grimpe jusqu’au tiroir du haut du bureau’ – et j’y trouvais quelque chose de bon. Un petit gâteau, ou parfois, pour mes délices, des kumquats. Mon premier amour fut ma grand-mère, que j’appelais Mommy. » (l’écrivaine lesbienne Carson McCullers, citée dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 27) ; « Quoiqu’il fût sexuellement attiré par les jeunes gens, sur le plan des émotions comme de l’intelligence, c’étaient les femmes plus âgées, belles et cultivées, souvent les mères de ses amours, qui le séduisaient. » (Gabriel Josipovici concernant Marcel Proust, « Jean-Yves Tadié », dans Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 29) ; « Ma famille maternelle est au courant parce que je suis très proche d’eux, ma mère, ma tante et ma grand mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu) ; « J’ai de ma grand-mère une photo où elle est debout, la main sur la poignée de portière d’une limousine : habillée ostensiblement en femme, avec manteau croisé à col de fourrure, chapeau incliné sur l’œil, gants, collier de perles ; et, sous la voilette, quel air autoritaire, méchant ! […] Son cœur était-il capable d’amour ? […] Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités, parmi lesquels Mme Fernandez, en Marie Stuart. Ce choix peut paraître étrange ; pour une battante comme ma grand-mère, prendre les traits d’une reine vaincue et décapitée ! » (Dominique Fernandez parlant de sa grand-mère paternelle, dans la biographie Ramon (2008), pp. 87-89 puis p. 93) ; « Je préfère qu’elle ne sache pas mon existence et qu’elle soit en vie, plutôt qu’elle meure sous le choc émotionnel. » (Iris, homme M to F, initialement appelé Gabriel, et cachant sa « transition » sexuelle à sa grand-mère, comme s’il était sa propre mamie et que c’était sa vie contre la sienne, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc. Par exemple, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Catherine, une femme lesbienne de 32 ans parle de « sa grand-mère qu’elle adorait, qui était la mère de sa mère et qui l’avait un peu élevée. » (p. 106).

 

Film "Drôle de Félix" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Drôle de Félix » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Certaines ont grandi dans une ambiance de petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, entourés de leurs mères réelles mais surtout symboliques (les tantes, les cousines, les nourrices, les grands-mères, les sœurs, les voisines, les institutrices, les actrices, etc.). « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours aimé les vieilles dames. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 308) Par exemple, Marcel Proust, lorsqu’il dut remplir un questionnaire à l’école, écrivit ceci : « Mon plus grand malheur serait de ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère ». Il adorait sa grand-maman, une femme un peu fantasque et originale.

 

Quant au dramaturge homosexuel argentin Copi, il était très attaché à sa grand-mère maternelle (Salvadora Medina Onrubia). Une fois adulte, il passera ses dimanches à jouer à la canasta avec elle et ses amies de 80 ans. C’est elle qui lui donnera son surnom « Copi », d’ailleurs (à cause de la mèche de cheveux au sommet de sa tête : « copo » en espagnol signifie « flocon »).

 

Le couturier homosexuel Jean-Paul Gaultier porte aux nues sa grand-mère à qui il prétend tout devoir. Comme il était « plutôt rejeté » à l’école, il dit « qu’elle lui a donné confiance ». Chez sa grand-mère, il regardait la télé, s’émancipait et quittait l’enfer scolaire. Elle est devenue très vite sa Muse : « Elle a été le moteur. Elle était au centre. Ce que je faisais chez ma grand-mère, c’est la liberté. » (cf. le reportage au Journal Télévisé de la chaîne TF1, le 27 janvier 2014)

 

 

Pour ma part, j’ai très peu connu mes deux grands-mères, car elles sont toutes les deux mortes lorsque j’étais petit, et parce qu’elles étaient très éloignées géographiquement de moi (l’un était en Espagne, l’autre en Dordogne)… donc il va m’être difficile de partir dans une longue dissertation. L’image que j’en garde, ce sont celles de femmes fortes, inflexibles et acariâtres, que je n’ai vues que dans leur période où elles avaient été obligées, à cause de la vieillesse et de la maladie, de devenir des agneaux.

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la grand-mère est détruite autant que valorisée par les personnes homosexuelles : « La féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (Michel Schneider, Big Mother (2002), p. 247) ; « J’avais juste une envie de lui fracasser la tête contre le mur. » (Irène, une femme lesbienne de 65 ans jadis mariée avec un homme, parlant à sa vieille propriétaire homophobe, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « J’ai toujours kiffé les vieilles en fait ! Ma première best friend aurait 109 ans aujourd’hui… Elle est partie trop tôt malheureusement (94 ans). Du coup, je ronge mon frein avec la pisseuse Danielle Schwartz que je kif… Une vieille et un pédé ? Et pourquoi pas l’Élysée dans 3 ans ?!? » (David Forgit, sur Facebook le 21 avril 2019) ; etc. Par exemple, le chanteur Mika décrit sa mère comme une ensorceleuse qui obtient tout ce qu’elle veut, qui arrive toujours à ses fins, la reine de l’artifice (… avec des dentelles et les formes qui embrument le jugement). Il se prend pour elle : « Je deviens ma grand-mère. » (cf. émission du 16 avril 2016). Certaines personnes homosexuelles massacrent iconographiquement la grand-mère lors de leurs spectacles de travestis ou pendant des Gay Pride, pour prouver par leur acte iconoclaste que leur mamie est toute-puissante et immortelle (cf. le titre de la vidéo « Jean-Paul Gaultier déshabille sa grand-mère »).

 

BBjane Hudson

BBjane Hudson


 

Une grande partie des personnes homosexuelles ont des raisons de lui en vouloir. Elle les a gavées depuis toutes petites d’images son petit-fils d’images, de télé, de parures, d’objets, de gadgets, d’irréalité, d’illusions identitaires et amoureuses, et les maintient dans l’enfance, dans la douilletterie : « Ma grand-mère nous emmenait à l’Éden. Elle était passionnée de cinéma et connaissait le nom de tous les acteurs. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 34) ; « Mishima, lui, a été très tôt sous la tutelle d’une grand-mère tyrannique, malade, au caractère fantasque et baroque, violemment présente avec son goût prononcé pour la mise en scène et le théâtre kabuki. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 12) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. Nous avons pris le train. Pour moi, c’était comme si nous étions partis pour toujours. Légers, sans valise, à la gare centrale. Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 150) ; « Ce spectacle de Fou Man Chou est resté inscrit dans ma mémoire, m’accompagnant toute ma vie, comme l’expression de l’esprit et de la bonté de ma grand-mère. » (idem, p. 151) ; « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., pp. 157-158) ; « Mamie Jeannine a divorcé lorsque mon père avait 3 ans. Elle a quitté son mari pour Jacques Larue, cet homme dont elle est tombée passionnément amoureuse. Mamie était d’une incroyable modernité ! À l’époque, ça ne se faisait pas de divorcer, ni de porter de pantalon, ou d’avoir les cheveux coupés court à la garçonne ! Mais mamie s’est toujours moquée du qu’en-dira-t-on. Elle était libre ! […] Avec mamie, on discute des heures, ‘on blague’, comme elle dit, et on rit. Des bavards invétérés ! Je l’ai convertie à la sitcom britannique hilarante ‘Absolutely Fabulous’. Une mamie branchée, croyez-moi ! D’une incroyable modernité. Parfois, on va au cinéma tous les deux. Je me souviens comme si c’était hier du jour où nous sommes allés ensemble au multiplex voir le film ‘Pourquoi pas moi’. Une comédie kitsch sur le coming out. […] Un nanar totalement oublié mais qui tient une place à part dans mon coeur tant il est lié à un moment crucial de ma vie. Mamie a adoré ! Évidemment, elle a tout compris, pas besoin de mettre des mots. Juste son regard, doux, malicieux et bienveillant, suffit à exprimer tout l’amour qu’elle me porte. Je sais qu’elle m’aime comme je suis. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, Éd. Broché, Paris, pp.36-39) ; etc.

 

La grand-mère est incestueuse, incarne le fantasme de viol (celle qui est violée ou/et qui viole) : « Je me sentais étouffer entre ma mère, mes sœurs, la voisine, l’amie de la famille qui était également notre professeur de piano, et ma grand-mère qui passait tous ses dimanches à la maison pour des après-midi de couture. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 29) ; « L’histoire dramatique de ses mère et grand-mère a déterminé beaucoup de choses dans la vie de Rosa Bonheur. D’abord la bâtardise. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 213) ; « Enfant, je partageais ma chambre avec ma grand-mère maternelle. Une fois qu’elle avait marié ses quatre filles et son fils, elle s’était réfugiée chez nous. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 149) ; « C’est vrai, je suis un fantôme très sensuel. J’aime caresser les êtres chers. C’est vrai, j’aime caresser les jambes de mes filles, leurs seins. Je me permets même de caresser le sexe de mon fils. Un fantôme peut accéder aux désirs les profonds, n’est-ce pas ? » (la grand-mère d’Alfredo Arias s’adressant à son lui, op. cit., p. 164) Le petit-fils homosexuel a parfois été d’accord avec cet abus puisqu’il a consenti mollement à dormir dans le même lit qu’elle, à s’habiller comme elle, à être son substitut marital : « Je voudrais te demander pardon. Je sais que tu ne me pardonneras jamais. Tu me l’as dit à l’époque, très fermement. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Mon désir de perfection me hante. C’est désagréable, j’en conviens. En plus, je t’ai fait peur dans la pénombre de la chambre que nous partagions. Tu as ouvert les yeux. On pouvait lire ton étonnement. Mais ça me prenait comme ça, de me réveiller vers deux ou trois heures du matin, comme un somnambule. J’allais jusqu’à l’armoire où se trouvaient tes vêtements que je revêtais, à moitié endormi. » (Alfredo à sa grand-mère, op. cit., p. 160)

 

La grand-mère a quelquefois transformé son petit-fils (futur homosexuel) en pute : « Tu me rappelais souvent que le premier mot que j’aie prononcé était ‘pute’. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 164) C’est à cause d’elle que son petit-fils rejoint le monde de la pratique homosexuelle et de la prostitution : « Je t’avais demandé ce que voulait dire le mot ‘pute’. Tu m’avais expliqué que c’était une femme qui se donnait aux hommes contre de l’argent. Et sans que j’insiste, tu as voulu préciser ce que signifiait puto, pute au masculin. Tu m’as dit que c’était de cette façon qu’un homme allait par plaisir avec un homme, mais qu’il devait payer. Je t’ai demandé pourquoi. Tu m’as dit que ces hommes-là étaient généreux. Je ne comprenais toujours pas. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, op. cit., p. 161) ; « Là, tu donnais ta version de Carmen Miranda, la chanteuse brésilienne, si petite, si nerveuse. Tu l’imitais à la perfection. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo, op. cit., p. 159).

 

Il arrive que certaines mamies de certains sujets homosexuels aient tout de l’actrice séductrice ou de la mère maquerelle qui exerce une influence soi-disant « délicieusement mauvaise » : « Ma grand-mère, un bon écrivain de théâtre, riait comme une folle quand je lui lisais mes pièces. Elle voyait en son petit-fils une méchanceté qui lui était propre […] une certaine méchanceté pour critiquer les autres. ». (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) Elle a même quelque chose d’antéchristique et du démon : « Votre grand-mère à des aptitudes similaires. » (Thierry Ardisson s’adressant à Nicolas Fraisse, magnétiseur homosexuel et capable de décorporation, dans l’émission Salut les terriens ! de la chaîne C8 diffusée le 25 mars 2017).

 

Ce sont les incarnations partielles de la « femme libérée », de la collabo, de la traîtresse par excellence : « J’ai repensé à cette femme étrange qu’était ma grand-mère. […] Sans doute n’avait-elle jamais oublié cette journée d’épouvante, les cris, les coups peut-être. Et les semaines qui suivirent, le temps que ses cheveux repoussent. […] Elle voulait être une femme libre, elle aimait sortir le soir, elle s’adonnait aux plaisirs, à la sexualité, elle passait d’un homme à l’autre, sans avoir trop l’intention de s’attacher, de se fixer bien longtemps. Ses enfants étaient sans doute pour elle un embarras, et la maternité un destin subi plutôt qu’un choix de vie. À l’époque, la contraception n’avait pas cours. Et l’avortement pouvait conduire en prison. Ce qui lui arriva d’ailleurs après la guerre : elle fut condamnée à une peine de prison pour avoir avorté. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 75)

 

Il est fort possible que certaines personnes homosexuelles aient été en contact avec ces matrones ancestrales malheureuses (ou trop bien installées) dans leur place de femmes mariées et de mères, voulant dompter les hommes pour se substituer à eux, ou bien cherchant à les castrer. Par exemple, le romancier homosexuel cubain Reinaldo Arenas était très proche de sa grand-mère qui faisait, selon lui, « pipi debout », et qui était « une sorcière ». Yukio Mishima, quant à lui, a subi le despotisme d’une grand-mère excentrique très exigeante, lui ayant prodigué une éducation particulièrement anxiogène.

 

Certaines grands-mères, même, prennent plaisir à homosexualiser leur petit-enfant pour se venger de leurs propres échecs amoureux ou mauvaises expériences de la différence des sexes. En ce moment, on voit fleurir çà et là dans les mass médias des femmes présentées comme des « Mamies Courage », qui encouragent leur petit-fils ou leur petite-fille sur la voie du coming out, du mariage gay, de « l’homoparentalité ». « S’il y a besoin d’une grand-mère pour ces enfants, je me porte volontaire. » (Kathy la mère de Veronica, la mère porteuse pour le couple homo Bruno/Christophe, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015)

 

 

Certaines fois, la grand-mère est carrément jumelle d’orientation sexuelle avec son petit-fils puisque ce dernier sous-entend qu’elle est lesbienne, ou bien elle-même le lui a révélé : cf. le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz. « Un jour, tu seras sur une île antique où les femmes ont été libres de s’aimer entre elles. » (la grand-mère s’adressant à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 160) Par exemple, la grand-mère de Copi était lesbienne : « J’avais 16 ans quand elle est venue voir ma première pièce représentée, avec les meilleures comédiens argentins. Une des vieilles comédiennes avait été sa maîtresse. » (cf. l’article « Entretien de Copi avec Michel Cressole : un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur », dans le journal Libération du 15 décembre 1987) D’ailleurs, elle a écrit des pièces où « des lesbiennes trompent leurs maris dans les années 1920-40 ».

 

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire "Les Invisibles" de Sébastien Lifshitz

Thérèse, grand-mère lesbienne, dans le documentaire « Les Invisibles » de Sébastien Lifshitz


 

Néanmoins, avant que ce code ne fasse peur aux vraies grands-mères qui le parcourraient trop rapidement, il est important que vous lisiez ce qui suit. La grand-mère dont nous parlons dans ce Dictionnaire est davantage une construction mentale des personnes homosexuelles, le modèle-pantin que leur imaginaire déforme à loisir, que la grand-mère de sang : « C’est notre côté vieilles taties. » (une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; « Il mettait très bien en scène les dames âgées. » (Jean Cocteau parlant de son amant Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; etc. C’est pour cela qu’elle finit, avec le temps, par se transformer petit à petit, dans les discours et les représentations mentales, en sorcière diabolique ou en déesse immaculée : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Cette nuit j’ai fait un rêve : dans ma chambre je regardais un miroir et n’y voyais que ma tête ; j’avais sur la tête une coiffure féminine, quelque chose comme un chapeau ou plutôt un fichu, comme les vieilles femmes en portent à la maison, chez nous ; j’avais un visage rond, joli, qui me plaisait bien ; j’avais des cheveux sombres, mais mon visage n’était pas aussi passionné que celui de ma grand-mère. » (cf. le témoignage d’un homme homosexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 437) ; etc.

 

La grand-mère dont il est question est en réalité le reflet spéculaire narcissique du sujet homosexuel, une projection fantasmatique, une moitié androgynique/schizophrénique. Un miroir plutôt dark, abyssal, même s’il apparaît rose aux yeux du petit-fils : « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; « À côté des maisons anglaises construites par la compagnie des chemins de fer anglais, il y a longtemps, s’étendait une mare de pétrole noir ou d’huile noire, déchet de locomotives. Nous aimions nous en approcher ensemble, et nous contempler dans ce miroir noir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 156-157) ; « Ma grand-mère – et ça, ça fait partie de mon hérédité – à l’époque de la Commune, était communarde, bien sûr. Je rougierais d’avoir des parents qui n’étaient pas communards. Elle s’est fait flaquer une fessée à 15-16 ans par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. J’ai par conséquent dans mon sang une grisette qui s’était fait déculotter par les Versaillais parce qu’elle avait crié ‘Vive la Commune !’. Et ça j’y tiens ! Et elle vit en moi ! » (Jean-Louis Bory parlant de son insoumise grand-mère au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Grand-mère Gay Pride

Grand-mère Gay Pride


 

La grand-mère est en général un costume de travelo à elle seule, un pass pour la transgression de la différence des générations, des espaces et des sexes via la réification, pour le déni de sa condition humaine : « Elle est une synthèse de toutes les stars vieillissantes. » (Jean-Philippe, travesti M to F, concernant son personnage de Charlène Duval, cité par David Lelait, « Charlène Duval », sur le site www.e-llico.com, consulté en juillet 2005) Elle est un rôle plus qu’une réalité. Elle est un fantasme et un désir homosexuel/hétérosexuel plus qu’un être de chair et de sang. Par exemple, le fameux transformiste Michou fut élevé par sa grand-mère Élise, avec qui il a une relation très forte ; il donnera sa vie aux personnes âgées de l’arrondissement de Montmartre et passe son temps à les imiter/détruire « tendrement » (cf. le journal Direct Matin, n°904, le 17 juin 2011, p. 12).

 

 

Là où on rigole un peu moins, c’est que cette grand-mère (un peu réelle mais surtout cinématographique et fantasmatique) conduit parfois son petit-fils homosexuel vers la mort (une mort au moins psychique et désirante dans un premier temps) : « Dans un rêve ancien, ma grand-mère me plongeait un poignard dans le cœur. Le sang coulait à flots, je criai si fort que je me réveillai. » (cf. le témoignage d’un homme bisexuel dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 440) ; « Slimane aime sa mère, bien sûr. Mais sa grand-mère, il la vénère. Celui lui pose problème encore. » (Abdellah Taïa parlant de son ex-amant, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 105)

 
 

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