Ce matin (3 juillet), je me suis rendu à 10h à la Conférence « Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre ? » menée par Pierre-Benoît Roux (co-fondateur de La Condamine », start-up d’aide aux artistes-entrepreneurs), au Forum « Entreprendre dans la Culture » (11e édition), du 1er au 3 juillet 2025, organisé par le Ministère de la culture, à l’École Nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville.
D’entrée de jeu, l’intervenant n’a pas répondu à la question de la conférence, puisqu’il a décrété qu’il n’y avait pas de réponse (« On ne peut pas répondre à la question, on ne peut pas le savoir. » ; « On ne sait pas ce que ça vaut, une œuvre. »). « Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre ? » Eh bien, selon lui, rien ni personne, « puisque la valeur n’est que relative » ! Et Dieu, alors ? Le Créateur et l’Inspirateur majuscule de l’œuvre, de l’Art ? Pour rappel, l’art a été créé par Dieu et pour Dieu, à la base. Depuis le début de l’Humanité. Le premier art, c’est l’art sacré. Et l’art est création de Dieu et service de Dieu uniquement. Pas esclave de Mammon (l’argent). Il n’a qu’une seule vocation : dire humblement la beauté et la présence aimante de Dieu.
Partant de cet axiome athée, Pierre-Benoît Roux a alors versé dans le subjectivisme relativiste et incrédule/païen (pas de Créateur/créateur : tu te crées toi-même, ou au moins, tu crées toi-même ton œuvre). Donc il a botté en touche, et a transformé sa question initiale « Qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre? » en « Comment valoriser une œuvre ? ». Il a fatalement basculé dans la stratégie, la technologie, le matérialisme et le consumérisme, l’économie de moyens (et non le fond, le Sens), l’argent, la manipulation. « On arrive au prix : c’est tout le sujet. » a-t-il affirmé en s’acheminant vers la fin de son exposition… (Mais what???). Totale marchandisation/corruption/dévoiement de l’art. « Le don n’est jamais gratuit » a-t-il aussi déclaré à un moment donné.
Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est que Pierre-Benoît Roux a placé la valorisation (ou la stratégie de valorisation) d’une œuvre d’art sous le sceau de ce qu’il a appelé « le régime de singularité ». Alors bien sûr, avec des nuances… : « Mais attention : c’est subtil : Si je suis trop singulier (ou radicalement singulier), personne ne va me comprendre. Si je suis trop banal, personne ne va me voir. » Donc en gros, il faut doser. Marquer sa singularité… mais pas trop quand même !
Ce qui est étonnant, c’est que dès qu’il s’est mis à utiliser le mot « singularité », il a inconsciemment intégré à son discours la métaphore animalière. Par exemple, il a conseillé à tout artiste de présenter son œuvre « comme l’unique objet de son espèce » afin de la valoriser : par conséquent, il associait les objets ou les œuvres d’art à une espèce, à des animaux ou à des hommes. Donc à une créature (plus qu’à une création, en réalité). Ça, c’est très étonnant. Et en conclusion de son topo, il a mis en diapo une citation de L’Anti-Œdipe (1972) de Gilles Deleuze, qui va dans ce sens : « … la première évidence est que le désir n’a pas pour objet des personnes ou des choses, mais des milieux tout entier qu’il parcourt, des vibrations et flux de toute nature qu’il épouse… » (il était à deux doigts de nous dire que chaque œuvre d’art a son milieu naturel de développement, son ADN… !). Pendant sa conférence, Pierre-Benoît Roux a également cité Charlotte Guichard, et son essai La Griffe de l’Artiste, pour nous encourager, nous créateurs, à apposer à nos créations une signature animale (« signature qui est l’acte de création ») afin de les rendre uniques, et ainsi « valoriser notre singularité ». Il nous a dit aussi que notre œuvre devait produire « un effet WOW » (qui est, selon mes observations de la culture actuelle, un des noms de la Marque de la Bête). Et il nous a incités à nous marquer paradoxalement en nous démarquant (il a utilisé l’expression « se distinguer »). Il a ponctué sa présentation de flatteries (il nous disait toujours « oui », allait constamment dans le sens de son auditoire : « C’est exactement ça. »), et répétait sans cesse cette phrase animale (« Instinctivement, vous savez. », « Vous savez pertinemment de quoi je parle ») comme un mantra, pour nous dompter/dresser et nous manipuler. Et finalement, nous mettre en cage (« Je vous propose une grille. »). Et à l’issue de son powerpoint, comme pour atténuer la violence de sa démarche (transformer les artistes en marchands et en fauves, c’est quand même pas génial…), il a illustré son slide « CONSEILS » par la diapositive d’un chat couronné, Brünnhilde the Cat (1936) d’Adolphe E. Weidhaas. Après la conférence, je suis allé lui demander pourquoi le choix de cette photo d’illustration. Il s’est contenté de me répondre : « Ce chat couronné, c’est le conseiller important et ridicule. » Traduction : ne prenez pas mes conseils trop au sérieux ou pour des ordres, prenez-les plutôt avec des pincettes. #Humour. Au bout du compte, il voulait en quelque sorte appliquer à ses conseils une couche de suffisance relativiste, un barnum d’humilité. Mais sans le vouloir, il donnait exactement raison à ma thèse de la Singularité en tant que Marque de la Bête décrite par saint Jean dans l’Apocalypse.