Pourquoi je ne manifesterai pas le 24 mars 2013 à Paris

Ça scandalise et attriste certains. On me demande confirmation. Et je confirme : Non, je ne me déplacerai pas à la « Manif pour tous » du 24 mars à Paris. Crime de lèse-majesté contre le « Combat contre le mariage homo et pour le salut des enfants » ? Caprice de mon soi-disant « égo surdimensionné et diviseur » ? Inconscience ? Trahison ? Défaitisme de ma part ? Désir capricieux de punir certaines personnes qui ne constituent pas le gros de la mobilisation nationale ? Réductionnisme de la Manif à leurs organisateurs ? Volonté de me faire désirer ou de prendre du galon ? Oubli des enfants et du bien commun ? Focalisation mono-maniaque excessive sur mon domaine de spécialité (= l’homosexualité) ?

Absolument rien de tout ça. Juste, réalisme ! Juste un refus de jouer la comédie, de me faire manipuler et de gaspiller les énergies à nourrir des chimères collectives, surtout quand les messages défendus et les trajectoires prises ne sont pas les meilleurs et que leur inefficacité est manifeste. Même pour le « panache », même pour dire que je me serai battu jusqu’au bout, je ne vois pas le sens de continuer les défilés de rue contre le « mariage pour tous », aussi conviviaux, émouvants, bon esprit, sincères et impressionnants soient-ils.

C’est au nom des personnes homosexuelles que la loi du « mariage pour tous » passe : il eût été logique et indispensable que les principaux porte-parole de la « Manif pour Tous » soient majoritairement homosexuels, et ce, dès le départ. Sans ce contre poids essentiel, pas de victoire possible. Qu’on le veuille ou non. Qu’on me vante les qualités indéniables des figures de proue du mouvement qui les ont arbitrairement remplacées. Reconnaissons-le : nous nous sommes trompés de chefs. Nous avons installé à la tête de la « Manif pour Tous » des gens certes compétents pour d’autres combats, certes sympathiques et tchatcheurs dans les mass media, mais incompétents pour ce combat-ci. Et nous avons cédé à leurs appétits de visibilité. Nous n’avons pas compris, et nous n’avons pas voulu comprendre le vrai enjeu du débat (= la justification de l’amour homosexuel), la place prépondérante que devaient occuper les personnes homosexuelles (dans ce processus de justification de l’amour homo dans le cadre de la justification de l’amour universel désincarné), et notamment celles du site HOMOVOX, qui ont pris des risques monumentaux pour s’exprimer librement et publiquement contre le « mariage pour tous ». C’est au nom de l’amour homo et de la reconnaissance de l’identité homosexuelle que la loi Taubira est en train d’être validée socialement. Et personne n’ose le reconnaître, et n’a laissé la place à celles qui ont la principale légitimité pour en parler : les personnes homos. Pour prendre un exemple parlant : Frigide Barjot, le grand leader de la « Manif pour Tous », refuse purement et simplement de poser un jugement de valeur sur « l’amour homosexuel » et de laisser parler les personnes homosexuelles à sa place (Xavier Bongibault ne risquait pas, par sa transparence, de lui faire de l’ombre !). Elle trouve le débat sur l’amour homo trop glissant, trop radical, trop dangereux, voire hors-sujet. Elle dit que l’amour homosexuel existe et qu’il ne pose pas de problème, qu’il est à la fois équivalent ET différent à l’amour femme-homme, et que de ce fait, il n’a pas à être questionné ni jugé ni débattu. Comment voulez-vous qu’avec un discours évasif et contradictoire pareil nos gouvernants et l’opinion publique comprennent alors son opposition à la loi et comprennent pourquoi l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe pose problème ? C’est sa lâcheté, son relativisme et son manque de légitimité à parler de ce sujet qui décrédibilisent complètement notre opposition au projet de loi, et qui nous réduit à ne parler du mariage qu’en tant que structure familiale, mais non déjà en tant que structure d’amour et de couple. Et Frigide barjot n’est pas la seule. Extrêmement peu d’anti-mariage-pour-tous s’opposent à la loi Taubira sur la base de la remise en cause de l’amour homosexuel et de la pratique homosexuelle (alors que c’est précisément la justification sociale du couple homosexuel comme « amour universel comme un autre » qui motive cette proposition de loi ! et qui suffirait déjà à motiver aussi notre opposition au mariage entre personnes du même sexe ! Bien avant la question de l’adoption et de la procréation !) ; ils s’y opposent uniquement pour les conséquences du « mariage pour tous », c’est-à-dire au nom des enfants. Donc ils sont à côté du véritable débat sur le mariage !

Au lieu que la foule des anti-mariage-pour-tous assume qui elle est vraiment (catho en majorité, en couple parfois sans enfant, célibataire en grande partie, parfois homo, en grande partie de droite), et pourquoi elle défile (pas seulement au nom de la famille et des enfants, mais aussi au nom de l’amour, au nom de la défense du Réel, au nom de sa foi religieuse, au nom de ses valeurs, au nom de ses idées politiques, au nom de son opposition à la pratique homosexuelle, au nom de son amour pour les personnes homosexuelles, au nom parfois de son homosexualité, au nom de l’amour incarné dans la différence des sexes), au lieu que cette foule s’adapte à la situation, elle reste encore campée sur ses positions et ses sécurités idéologiques. Interdiction de parler d’amour, d’homosexualité, de mariage hors du cadre de la famille et des enfants, d’homophobie, d’amour homosexuel, de foi ! Manque de bol : c’est pour toutes ces raisons que le « mariage pour tous » est défendu et est en train de passer ! Les anti-mariage-pour-tous n’ont pas su rejoindre le faible argumentaire affectif des pro-mariage-pour-tous (pourtant basé sur 5 mots qu’ils sont bien incapables d’expliquer : « droit » – « Égalité » – « progrès » – « homosexualité » – « homophobie »). Ils ont préféré partir de ce qu’ils savaient (et qui est juste sur le papier) plutôt que de ce que croient les défenseurs du projet de loi. Ils ont finalement mis la Vérité avant les personnes et la Charité.

Ils savent par exemple que le mariage civil n’est, à proprement parler, pas une question d’orientation sexuelle (et en effet, c’est a priori juste : le mariage concerne la différence des sexes, pas l’orientation sexuelle des individus ; certains vont jusqu’à oser dire que même les personnes homosexuelles ont le droit de se marier… avec une personne du sexe complémentaire !). Mais ont-ils rejoint les pro-mariage-pour-tous qui partent du principe que le mariage est une question d’orientation sexuelle (hétérosexuelle, en l’occurrence) ? Visiblement, non !

Les manifestants opposés au « mariage pour tous » savent aussi que l’amour n’est pas une simple question de présence de différence des sexes (il y a des couples homosexuels qui s’aiment plus que des couples intégrant la différence des sexes : la différence des sexes, en soi, ne suffit pas pour aimer), mais que la différence des sexes est le meilleur cadre d’expérience de l’amour quand même. Alors pourquoi ont-il fait de la seule différence des sexes (sans le désir) une marotte, un absolu, une évidence, leur unique slogan de manif ? Pourquoi n’ont-ils pas parlé de la différence des sexes couronnée par l’amour ? Par ailleurs, ont-ils mesuré qu’en face, les pro-mariage-pour-tous ne nient absolument pas que la différence des sexes soit incontournable dans certains cas, qu’ils ne sont pas contre les enfants « conçus à l’ancienne », les familles « à l’ancienne », le mariage « à l’ancienne » ? Absolument pas, puisque les anti-mariage-pour-tous continuent de croire que les pro-mariage-pour-tous veulent détruire la différence des sexes, le mariage et la famille. Or ces derniers ne nient pas que la différence des sexes existe et ils ne cherchent même pas à l’interdire. Ils prétendent juste qu’elle est annexe, qu’elle n’est pas la condition exclusive à la fondation d’une famille, à l’expérience de l’amour vrai !

Les anti-mariage-pour-tous savent que le mariage est une institution dont découlent la fécondité et la procréation. Mais ont-ils compris que l’existence de l’amour ne se limite pas à la seule présence de l’enfant ? (il y a des couples femme-homme qui s’aiment vraiment, et qui pourtant se révèleront stériles ; il existe des couples homos qui, sans pouvoir engendrer, seront de bons éducateurs quand même, capables de donner de l’amour ; et puis il y a des couples femme-homme qui peuvent techniquement engendrer, et qui pour autant n’aimeront pas leur enfant et l’élèveront mal) Ont-ils compris que les pro-mariage-pour-tous dissocient mariage et fécondité, ou couple d’amour et différence des sexes, et que c’est ça qui déconne vraiment ? Visiblement, non ! Puisqu’eux-mêmes, en abordant le mariage, ne parlent que de l’enfant, sans traiter déjà du couple et de ce qu’est le mariage. Puisqu’eux-mêmes parlent de la différence des sexes sans l’associer à l’amour.

Ils savent qu’il existe une différence entre l’éducation (savoir élever un enfant, jouer le rôle de parent) et la génération (engendrer un enfant, être un parent de sang). Mais ont-ils réalisé que les pro-mariage-pour-tous ne l’ont pas compris et qu’ils prennent encore l’éducateur pour le géniteur ? Visiblement, non ! Puisque beaucoup d’anti-mariage-pour-tous ont peur d’affirmer qu’un enfant peut tout à fait être correctement élevé par un couple de même sexe.

Ils savent que le mariage civil induit déjà socialement l’amour et les sentiments, et que rares sont les couples qui passent à la mairie sans s’aimer, sans déjà être dans une démarche symbolique de monstration sociale d’amour. Mais pourtant, non ! Ils font comme s’ils ne savaient pas ! Comme si le mariage civil ne concernait surtout pas l’amour (ce qui, stricto sensu, sur la table de la loi, est vrai, puisqu’il n’est pas fait une seule fois mention du mot « amour » dans le mariage civil). Ils se cachent derrière une vérité froide pour ne pas avoir à s’adapter à leur temps et à leurs contemporains. Tout ça pour ne pas à avoir à parler d’amour ! Pour ne pas avoir à juger des actes d’amour, à les hiérarchiser selon leur valeur, et à apparaître comme homophobes ! Pour ne pas être obligé de s’afficher catho (trop la honte…), de parler du mariage religieux, ou bien de la supériorité du mariage religieux sur le mariage civil ! Dans les débats sur le « mariage gay », les anti-mariage-pour-tous se valent en général de la fracture entre mariage civil et mariage religieux (en disant que le mariage civil n’est pas la reconnaissance de sentiments) pour ne pas être obligés d’aborder la question épineuse de la non-équivalence entre l’amour entre un homme et une femme, et l’amour entre deux personnes de même sexe. Mais ont-ils oublié que la conception post-moderne du mariage est essentiellement télévisuelle, individualiste, désirante et sentimentaliste, et que ce dernier ne se dit plus qu’en des termes amoureux ? Se sont-ils adaptés à la nouvelle compréhension faussée du mariage civil, qui est demandé socialement en des intentions religieuses (puisque seul le mariage religieux est un mariage d’amour, en tous cas dans les termes, et souvent dans les faits) ? Visiblement pas ! Ont-ils compris que les pro-mariage-pour-tous demandent le mariage civil pour des raisons inconsciemment religieuses, et qu’ils réclament au fond un « mariage religieux sécularisé » (où le maire prendra symboliquement la place du prêtre) ? Visiblement non ! Ont-ils assumé que l’amour entre un homme et une femme sera toujours plus beau et plus fort qu’un amour entre deux hommes ou entre deux femmes, aussi sincère soit le second, et aussi peu généralisable à tous les couples femme-homme soit le premier ? Visiblement non !

Les anti-mariage-pour-tous savent que la gêne par rapport à la pratique homosexuelle et à l’amour homosexuel n’est pas de l’homophobie, mais au contraire de l’humanité, et une juste opposition à une insatisfaction/une violence en amour. Et pourtant, pourquoi ont-ils donné raison, par leur silence, à la présomption d’homophobie qui planait sur leur réticence comme une censure ?

Quasiment tous les anti-mariage-pour-tous, dans leur argumentaire contre le « mariage pour tous », se sont scolairement planqués derrière l’enfant, se sont alignés à l’argumentaire sur les conséquences du mariage (en parlant PMA, GPA), pour ne pas avoir à parler d’amour, de couple, de foi, d’homosexualité, d’homophobie. Ils sont partis de ce qu’ils savaient (la différence entre homoparenté et homoparentalité, la différence entre les droits de l’enfant et les droits à l’enfant, la différence entre mariage civil et mariage religieux, les études menées sur les « familles » homoparentales, etc. etc.), et n’ont pas adopté le langage de ceux qu’ils cherchaient à convaincre, et qui pour le coup n’en font maintenant qu’à leur tête, en n’ayant que les mots « lutte contre les discriminations », « progrès », « amour » et « mariage civil laïc » en bouche !

Quelques rares personnes qui ont compris que nous nous sommes véritablement plantés d’arguments et de porte-parole voudraient artificiellement, avant la Manif du 24 mars prochain, nous parachuter brutalement, mes compagnons homos et moi, dans le rôle des porte-parole… alors que l’opinion publique est déjà habituée à Frigide Barjot, que les responsables de la « Manif pour Tous » n’imaginent pas quelqu’un d’autre sur les plateaux-télé, ni créer un autre staff d’intervention médiatique ; alors que la loi est passée à l’Assemblée dans une majorité quasi écrasante, et qu’elle est en train de se finaliser. Désolé d’éteindre leur enthousiasme (ou leur panique, au fond), mais il fallait se réveiller avant ! Il n’est plus la peine de venir nous chercher maintenant. C’était en novembre/décembre 2012, lorsque Mme Barjot s’est ruée sur les commandes, qu’il aurait fallu intervenir pour l’empêcher d’être à la tête, elles et d’autres porte-parole que personne n’entend, n’identifie, ne croit ou n’écoute, tout simplement parce qu’ils ne sont pas homos. C’était à ce moment-là qu’il fallait mettre les personnes homosexuelles opposées au « mariage pour tous » à la proue de bateau. À présent, objectivement, il est trop tard… et je vois surtout que la grande majorité des manifestants est encore à tort convaincue que ce n’est pas en parlant d’amour et d’homosexualité qu’on va récolter le plus d’adhésions, que ce n’est pas en érigeant les personnes homosexuelles en interlocuteurs principaux qu’on va être les plus crédibles médiatiquement… Ils se trompent en beauté !

Pour ce qui me concerne, quand j’ai essayé de prendre la place qui me revenait dans la Manif du 13 janvier, on m’a conseillé de me calmer car j’aurais chopé la grosse tête. On m’a dit que je devais rester un « humble serviteur ». Et on m’a littéralement mis de côté, en me demandant de faire la potiche, ou carrément en me mettant à l’écart des plateaux-télé, des journalistes, des chars et des podiums. « Reste sur le banc de touche : ton discours est trop compliqué, trop radical, trop étiqueté catho, trop inaudible, trop argumenté. Va jouer, et continue tes conférences pour les cathos, entre cathos : ça, tu sais bien faire. Le reste n’est que de l’orgueil de ta part. Le sujet de l’homosexualité n’est pas celui du mariage. Les manifestants anti-mariage-pour-tous comprennent mieux quand on leur parle de l’enfant ! Fous le camp et ne brise pas l’unité ! » On ne m’a pas sollicité au moment opportun. Donc ce n’est plus le temps de le faire. Le 24 mars prochain, je n’aurai pas le cœur à faire à nouveau tapisserie comme ça a été le cas le 13 janvier dernier, de scander que « Nous sommes tous des enfants d’hétéros ! » et qu’« un père et une mère, c’est élémentaire ! ». Je n’aurai pas la patience de porter un tee-shirt rose marqué « PME : papa + maman = enfant ». Ni assez d’enthousiasme pour seconder des figures désormais médiatiques de la MPT, mais qui n’ont aucun poids mis à part auprès de leurs convaincus.

Personnellement, je n’aurais eu l’énergie de me déplacer que si on m’avait laissé dire plus tôt et tout haut la phrase interdite (ci-dessous) qui est notre talon d’Achille à tous si on s’obstine à ne pas l’assumer, et qui aurait pourtant suffi à elle seule à flinguer le projet de loi : « Au-delà des questions de filiation et d’engendrement, l’amour homosexuel n’est pas un amour comme un autre, aussi solide, complémentaire, paisible, porteur de vie, que l’amour fondé sur la différence des sexes… même s’il existe des couples qui intègrent la différence des sexes et qui n’en profitent pas. Il n’empêche que la différence des sexes, quand elle est accueillie et respectée, est le cadre privilégié et incontournable de l’amour vrai et concret. Les couples homosexuels, en ayant expulsé la différence des sexes qui leur aurait donné une consistance, sont moins comblants, satisfaisants, complémentaires, réels et incarnés, que les couples ou les célibataires qui ont accueilli la différence des sexes. Pour cette raison, on peut reconnaître que les couples homosexuels existent, on se doit de les respecter, et d’assurer socialement/légalement la protection de chacun des deux membres qui le composent, ainsi que parfois des enfants qu’ils éduquent… sans pour autant les justifier socialement/légalement comme un modèle d’amour structurant pour une société, ni leur faire croire qu’ils composeront un couple marié ou une famille. Il n’y a pas lieu de donner aux couples homosexuels le mariage (ils ne correspondent pas à la réalité du mariage, qui est définie par la différence des sexes ouverte à la génération, étant donné qu’ils n’intègrent pas la différence des sexes et qu’ils ne sont pas procréatifs), ni l’adoption (un enfant, pour exister et pour grandir au mieux, a besoin universellement que ses deux parents biologiques père et mère s’aiment), ni le PaCS (qui, en plus de garantir des droits individuels nouveaux à des couples de sexes différents ou de même sexe, était la première marche de justification sociale du couple homo en tant que modèle équilibré de civilisation). » Tant qu’on ne laisse pas les personnes homosexuelles énoncer publiquement cela, la « Manif pour Tous » ne sera pas efficace et n’a pas de raison d’être. Je resterai chez moi le 24 ! L’enjeu premier du mariage n’est pas l’enfant : c’est prioritairement le couple, l’amour et le Réel fondés par la différence des sexes !

Lundi 25 février 2013