11 mai 2020 : Nuit parisienne historique… qui passera inaperçue

Nous sommes le lundi 11 mai 2020. Minuit. Heure officielle du déconfinement en France. Je tenais, après 2 mois vraiment enfermé dans mon appartement du Jardin des Plantes (j’ai dû sortir en tout et pour tout 2 fois seulement pour faire mes courses : si si), à sortir pour revoir « ma » ville chérie du haut du Sacré-Cœur de Montmartre. Je savais que c’était le seul moment pour voir Paris dans cet état-là, comme probablement je ne la reverrai plus jamais, et aussi comme les Parisiens ne la connaîtront jamais, y compris ceux qui ont pu la contempler pendant le confinement. Car c’était la dernière nuit du confinement et la seule nuit du déconfinement qui restera vierge. Comme lorsqu’il a neigé depuis suffisamment de temps en pleine ville pour que la neige tienne, et que personne n’a encore foulé et sali le tapis blanc. Les jours et les nuits suivants, ce temps suspendu et vierge sera introuvable.
 

C’est pourquoi, bizarrement, je me suis mis sur mon 31. Je me suis fait tout beau pour connaître cette nuit-là, ce moment historique : je me suis rasé de près, j’ai pris une douche. Pour personne, si ce n’est pour Paris. Et à minuit moins cinq, je suis sorti.
 

Je crois que la nuit et la météo pluvieuse ont aidé à rendre le tableau encore plus lunaire et unique. Car elles ont découragé les gens de sortir. Il n’y avait quasiment personne dans les rues. S’il avait fait beau, peut-être que le déconfinement aurait donné lieu à quelques sorties nocturnes, à quelques coups de klaxon dans les rues, à des scènes de liesse pour singer une « libération ». Mais là, non. Le temps a éteint la potentielle euphorie du passage entre fermeture et ouverture. Ça attendra demain.
 

Alors avant de vous décrire ce que j’ai vu, la bonne nouvelle, déjà, c’est que j’ai pu remarcher ! Moi qui adore marcher, j’avais peur qu’après 2 mois sans bouger, je perde le rythme et que mon corps ne suive pas. Eh bien j’ai fait à pied les 16 km aller-retour sans souci.
 

Après, en marchant, comme pour capter l’instant tel un appareil photographique, je me suis prêté à un exercice d’observation proche du « jeu des 7 différences », en tentant de détecter ce que je trouvais changé dans le paysage urbain depuis que je l’avais quitté. Et croyez-moi, j’ai une assez bonne connaissance de la marche dans Paris, notamment la nuit.
 

Et pour profiter pleinement de ce spectacle unique, alors même qu’il pleuvait et que j’avais pris mon gros casque au cas où, j’ai préféré ne pas ouvrir mon parapluie, pour ne pas réduire mon champ de vision, et je n’ai finalement pas écouté de musique dans mon casque, pareil, pour être pleinement disponible et ne pas gâcher le moment.
 

Et voici les « grands » changements que j’ai vus :
 

TRANSPORTS – Quasiment pas de voitures qui circulent (les seuls grands axes où j’ai dû regarder à gauche puis à droite pour traverser, ce sont l’avenue de Rivoli et les Grands Boulevards… et encore… ça ne roulait pas des masses là non plus). C’était la première fois que je voyais une ville où les feux tricolores ne servaient plus à rien et où le piéton pouvait déambuler librement dans les rues sans risque de se faire écraser. Les seuls véhicules qui circulaient étaient des bus vides et roulant plus vite que d’habitude car ils étaient seuls. L’autre fait étrange, c’était qu’il y avait très peu de taxis (alors qu’en temps normal, on ne voit que ça à Paris !). Pour continuer avec la description des transports, trois autres détails inhabituels m’ont étonné : on n’entendait plus aucune sirène de police ou de pompiers ; dans les rues de Paris, il y avait plein de places de parking vides (alors que d’habitude c’est blindé, surtout dans les petites rues où les pare-chocs se frôlent) ; et enfin, les trottinettes électriques abandonnées sauvagement sur les trottoirs (leur cimetière) avaient tout simplement disparu ! Volatilisées !
 

 

RUES – À ce propos, ce qui m’a marqué, c’était la propreté des trottoirs. Pas une feuille d’arbre qui traînait, pas de crottes de chien, pas de déchets (les seuls rares détritus que j’ai vus, c’étaient des cannettes de bière : normal, vu que le confinement était la « Fête du Boboïsme »…). Les poubelles de rue étaient quasiment toutes vides (du moins côté Rive gauche ; ça débordait parfois plus je montais vers le Nord). J’ai trouvé les trottoirs tellement nickels, brillants, propres et virginaux que j’aurais dit des patinoires ou des miroirs. Et je pense que c’était la seule et dernière « première fois » qu’il m’était possible d’observer ça à Paris ! J’ai également remarqué que dans les endroits (arcades, ruelles coupe-gorge, ponts, etc.) où normalement ça sent la pisse, eh bien ça ne sentait plus la pisse. L’autre détail qui m’a marqué – peut-être le plus important car c’est un changement qui concerne l’accroissement de la surveillance et l’invasion du dieu luciférien électrique –, c’est qu’il y avait plus de lampadaires, et même des nouveaux lampadaires superposés aux anciens. Alors soit je psychote et je ne les avais pas vus avant, soit effectivement nous sommes davantage éclairés et même filmés. Et « ils » (les illuminatis du Gouvernement Mondial) ont profité de notre enfermement pour installer des nouveaux éclairages. Ceci dit, du haut du Sacré-Cœur, c’était la première fois que je voyais une ville de Paris aussi éteinte et obscure. C’est donc les petits éclairages qui ont proliféré, je crois, tandis que les grands éclairages (ceux des monuments et des bâtiments imposants) ont baissé. À vérifier. Je ne fais que soulever une hypothèse.
 

 

HABITANTS – En me promenant dans Paris pendant cette nuit si spéciale – je ne dirais pas « post-apocalyptique » car on n’en est pas encore là et le terme serait trop fort –, j’ai quand même eu l’impression de marcher dans une ville-fantôme. Une ville comme dans les westerns (D’ailleurs, je me suis surpris à penser au « Nouveau Western » chanté par MC Solaar ; et j’ai même croisé tout près du Théâtre du Châtelet un homme habillé avec un chapeau de cow-boy et un long manteau en mode Jesse James). Car en temps normal, Paris, même la nuit, c’est vivant. C’était la première fois – et je pense que ce sera la seule fois de ma vie – que j’ai eu l’impression que Paris était une ville morte. D’ailleurs, j’entendais le moindre bruit beaucoup plus que d’habitude : le vent faisant claquer les portes, les bouches d’aération faisaient un boucan d’enfer, les poubelles étaient battues par les rafales de vent. Comme les humains se taisaient, c’étaient les objets qui se réveillaient (tout faisait du bruit, tout grinçait, tout claquait), ou bien la Nature et les animaux qui s’animaient (le bruissement du vent dans les arbres, la course des rats sur les places des Halles, etc. ; j’ai même vu un canard colvert de près qui marchait tranquillos le long d’un muret donnant sur les quais de Seine !). L’impression de ville-fantôme de western spaghetti était rehaussée par la désertion humaine des rues. La population parisienne observable cette nuit-là était quasi invisible : pas de touristes, beaucoup moins de mendiants et de clochards dormant ou marchant dans les rues, pas de prostitué(e)s, extrêmement peu de passants, pas de cris dans les rues ni de mecs bourrés, pas de bandes d’amis ni de couples, aucun enfant évidemment et – plus surprenant – aucune musique dans les rues ni de fêtes dans les appartements. Un véritable no man’s land. Quand je croisais des personnes, je voyais bien que de part et d’autre nous avions peur de marcher à trop proche distance. Les passants avaient peur les uns des autres. Je n’avais jamais vu une telle méfiance à Paris. Et paradoxalement, je crois que c’était la nuit parisienne la plus « secure » que j’ai jamais connue. L’ambiance ce soir-là était certes bizarre, troublante même, mais paradoxalement pas effrayante. Pourtant, je me disais en moi-même que si je me faisais attaquer par quelqu’un, je ne pourrais jamais me réfugier dans un restau ou un bar d’ouvert (puisqu’ils étaient tous fermés) et que je ne serais secouru par aucun passant (puisque je marchais seul et qu’il n’y avait pas âme qui vive dans mon champ de vision). Mais je pense malgré ça que c’était la nuit parisienne la plus sûre parce que les délinquants ou les mendiants étaient gentils et semblaient sobres (deux clodos m’ont gentiment demandé si j’avais des cigarettes : au final, les marginaux ont, je pense, été stérilisés et castrés par la crise sanitaire), les groupes de jeunes « blacks » de Montmartre écoutaient de la musique mais n’étaient « pas plus de 10 » pour respecter les règles de sécurité. Même les voitures de flics qui faisaient des rondes me fuyaient quand elles me voyaient (c’est arrivé au moins 3 fois pendant ma promenade ! Et sur le parvis de l’église Saint-Eustache, il y en a même une qui a carrément fait demi-tour devant moi !… genre ce soir-là, exceptionnellement, « c’est vous le bandit que tout le monde craint ». Le Nouveau Western, je vous disais…).
 

 

TEMPS – Le seul endroit dans Paris où il y avait de la vie, et où finalement l’espace-temps semblait réel et obéir au présent, c’était en hauteur : à Montmartre et sur le parvis du Sacré-Cœur. Là se trouvaient quelques rares groupes qui osaient parler, rigoler fort et écouter de la musique. Même les bandes de racailles « wesh wesh » réunies avaient l’air bon enfant. Car pour le reste des lieux parisiens, le temps semblait s’être arrêté à début mars. Y compris sur les colonnes Morris et les panneaux publicitaires qui pourtant sont connus pour devancer tous les événements et nous annoncer l’avenir, les affiches étaient chiffonnées (limite jaunies par la lune et le soleil) et n’ont jamais été retirées. Le futur placardé était périmé. Et devant les bureaux de vote des élections municipales, les affiches des candidats de début mars trônaient encore… et a fortiori sans graffitis moqueurs ou insultants ! C’étaient du « vieux neuf ». Soit le temps semblait figé (par exemple, les travaux urbains que j’avais vus avant la crise du Covid-19 stagnaient, ne paraissaient pas avoir bougé), soit le futur ressemblait au passé. J’avais l’impression de visiter un monde futuriste périmé ! Très étrange ! Enfin, pour terminer ma description de cette soirée historique dont personne ne parlera publiquement, je voulais mentionner un écriteau qui m’a intrigué. En passant devant une cordonnerie rue Rochechouart, j’ai vu ce petit papier scotché où était marqué à la main « FERMETURE OBLIGATOIRE JUSQU’À NOUVEL ORDRE ». J’ai pensé ironiquement, dans la foulée de mes délires eschatologiques : « Tiens, il manque un mot final. C’est l’adjectif ‘MONDIAL’… »
 

 

 
 
 

D’ailleurs, c’est drôle, cette « mystérieuse » odeur de soufre dont certains parlent hier soir hier soir à Paris. Spontanément, je pense à une raison surnaturelle (diabolique). Mais moi, en tout cas, je ne l’ai pas sentie.