Critique personnelle de Candide (1759) de Voltaire

Donnant actuellement des cours particuliers de français à des collégiens et lycéens, je me retrouve à faire des fiches d’analyse et de synthèse sur des grands classiques de la littérature française, dont tout le monde pourrait profiter, et dont voici un exemple avec Candide de Voltaire. Je trouve que ma lecture va un petit peu plus loin que les ouvrages scolaires vu que je rajoute le prisme de l’homosexualité, de la Franc-Maçonnerie et de l’eschatologie.
 
 

 

Résumé de l’œuvre
 

Candide ou l’optimisme, écrit par Voltaire (1694-1778) en 1759, est un conte philosophique décrivant les péripéties d’un noble, philosophe en herbe, utopiste et idéaliste, du nom de Candide, qui parcourt le Monde (Angleterre, Pérou, Paraguay, Italie, Turquie, Surinam…) à la recherche du succès, de l’amour, de la connaissance et de la richesse, et qui finalement, après bien des déconvenues, se voit obligé de revenir vivre modestement dans sa terre natale – la Westphalie (actuelle Allemagne) – et donner du sens à son existence par le travail (dans sa métairie) et la « raison ».
 

Dans la plus grande tradition des récits épiques qui retracent un voyage aventuresque ou un tour du Monde pour dresser un portrait critique et satirique d’une époque ou d’une société (nous pouvons penser par exemple à la dernière œuvre du dramaturge espagnol Miguel de Cervantes, Persille et Sigismonde, en 1617, qui fonctionne exactement sur le même registre), Voltaire entend, par l’ironie pragmatique, refroidir l’emballement et l’orgueil humains nés de la découverte du « Nouveau Monde » et de l’essor des sciences humaines. Il critique ces « philosophes » utopistes, éloignés des réalités (dures !) de ce Monde, la tête bourrée de belles théories et de grandes idées (il est dit dans le dernier chapitre, le 30e, qu’ils se plaisent à débattre et à faire de longues « dissertations » !), qui vont aller de déception en déception, de mésaventure en mésaventure, et qui devront au final se contenter de ce qu’ils ont et se retrousser les manches pour se mettre rationnellement au travail (Dernière phrase du livre : « Il faut cultiver notre jardin ! » dit le Candide adamique).
 
 

 

Critique interprétative
 

À travers ce conte philosophique cynique, Voltaire étrille le concept – « naïf » selon lui – de « Monde harmonieux et équilibré » (défendu par le philosophe Leibniz), ou tout simplement de « Monde juste et beau parce que créé et ordonné par Dieu » (défendu par les religions).
 

Il dresse un portrait plein d’ironie qui, personnellement, m’a fait rire car il repose sur l’humour noir : les personnages de Candide – en particulier Pangloss et son disciple Candide – enchaînent les galères et voient atrocité sur atrocité (guerres, tremblements de terre, colonialisme, exécutions – les autodafés qui sont des bûchers publics –, maladies, viols, vols, et même dilapidation des richesses…) tout en se persuadant que « tout va pour le mieux dans le meilleur des Mondes » ! L’existence humaine n’est que violence et déception… mais TOUT VA TRÈS BIEN, Madame la Marquise, TOUT VA TRÈS BIEN, TOUT VA TRÈS BIEN (c.f. chanson de Ray Ventura) !
 

Au fond, Voltaire critique deux extrêmes d’une même passivité : le fatalisme déterministe, optimiste et relativiste d’un côté (en gros, celui qui dit, comme Candide, que « tout se vaut, tout est bien, tout est normal, tout est utile, c’est le progrès, notre connaissance mondiale s’accroît et nous guide vers le meilleur », ou celui qui dit, comme le pessimiste Martin, que « tout va mal mais que c’est ainsi, c’est la vie, il faut l’accepter, rien n’est à rejeter ni à dénoncer, c’est le Destin, donc rien ne sert de se battre et d’agir ») et l’illuminisme religieux et superstitieux d’un autre côté (celui qui dit que « tout doit être accepté car c’est la volonté de Dieu, c’est la Croix du Christ » : Voltaire s’attaque notamment au protestantisme – à travers les figures de Jacques l’anabaptiste et de Martin –, aux croyances indigènes, au catholicisme – à travers un féroce portrait de l’Inquisition ou de la piété populaire incarnée par le personnage janséniste de la vieille ou encore des missions jésuites en Amérique Latine –, mais aussi à travers une dénonciation du romantisme chevaleresque – incarné par la princesse Cunégonde qui finit par devenir hideuse et insupportable, et que Candide est obligé d’épouser sans amour).
 

Néanmoins, dans son opposition à l’utopisme optimiste et au créationnisme religieux qui magnifient le Monde, Voltaire l’humaniste, en choisissant la troisième voie du réalisme/pragmatisme rationaliste, semble tomber dans l’écueil de ce qui va être, un siècle plus tard, le positivisme (doctrine fondée au XIXe siècle par Auguste Comte, issue des Lumières, et qui entend soumettre toute théorie et croyance à l’épreuve des faits et de l’expérience scientifique). Ce positivisme qui pourrait se résumer ainsi : « Cesse de rêver ou de te bercer d’illusions et de croyances religieuses : sois lucide, retrousse tes manches, bosse, confronte-toi à la vie par le travail, la science et la raison. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. Tant qu’il y a de la vie, y’a de l’espoir ! ».
 

Personnellement, c’est pourtant la quatrième voie de l’Espérance (mot que moque Voltaire dans sa Lettre à Madame du Deffand, écrite en 1754, puisqu’il le juge sans doute trop connoté « chrétien », et qu’il décrit littéralement « l’espérance » comme « le fond de la boîte de Pandore »… c.f. p. 137) que je souhaiterais privilégier par rapport au « réalisme » positiviste voltairien. Comme l’explique très justement le théologien catholique contemporain Xavier Lacroix, qui distingue subtilement l’espoir de l’Espérance, « l’optimisme, c’est voir le Monde avec des lunettes roses », alors que « l’Espérance, c’est la Foi en la victoire de Jésus sur la mort », une Foi qui n’est pas désincarnée comme l’idéalisme optimiste ou même le scientisme des Lumières.