L’homosexualité : le vilain petit canard

 

Un peu taré hier soir (14 novembre 2014), je me suis tapé l’aller-retour à pied entre le Jardin des Plantes et Bois-Colombes. Mais je ne regrette pas. La marche est une belle école de Vie.

 

J’ai d’abord vécu une soirée magique à Asnières à l’église saint Marc de Bruyères pour écouter les jeunes du Cenacolo nous raconter comment ils sont sortis de l’enfer de la drogue. C’est étonnant de voir quatre grands gaillards Blacks-Blancs-Beurs racaille « ouaich-ouaich » commencer puis finir leur témoignage en chanson, sur des chorés viriles de louange à Dieu… alors que pour la plupart, avant leur conversion, c’était des bad boys à qui il ne fallait surtout pas parler de religion, et qui se laissaient totalement mourir. Une soirée pareille, c’est juste de la preuve de Résurrection en barre ! Invitez le Cenacolo dans les établissements scolaires, pour parler devant les lycéens. C’est le succès garanti ! C’est l’accès direct à Jésus sans blabla.

 

Ce temps de grâce et d’émerveillement m’a forcément poussé à comparer avec mes prises de parole sur l’homosexualité. Je me rends compte qu’il y a beaucoup de points communs entre mon témoignage et celui du Cenacolo (quand on me laisse vraiment le temps d’expliquer mon sujet, ça donne des fruits tout aussi grands), mais aussi énormément de différences. Dans le monde du témoignage chrétien, j’ai l’impression que l’homosexualité occupe une place à part… voire la dernière place. C’est un peu le vilain petit canard, à l’extérieur et dans l’Église. Il est plus facile, par exemple, pour un proviseur de lycée privé catho, de faire venir une personne handicapée, un clown, un journaliste, un chef d’entreprise, un drogué, un ex-taulard, une ex-prostituée, qu’une personne homosexuelle. Le sujet de l’homosexualité divise et est à hauts risques. Parce qu’il parle de quelque chose de très intime (la génitalité), donc un thème qui peut blesser ou choquer. Parce qu’il ne fait pas l’objet d’une unanimité sociale. Parce que peu le connaissent. La plupart des gens en ont peur. Et pour sauver la face, tout le monde le justifie ou le diabolise pour ne pas à avoir à l’expliquer. Par exemple, même un curé de paroisse qui est d’accord avec mes idées sur l’homosexualité, doit réfléchir à deux fois avant de me faire venir dans son église, car il prend le risque de se mettre à dos carrément la moitié de ses fidèles. Je le sais par expérience : les prêtres (même de bons amis) ont peur de m’assumer. Quand ils me font venir, certains me choisissent une salle « neutre », bien éloignée de leur clocher. Et la plupart du temps, comme ils savent que dans leur paroisse le message ecclésial sur l’homosexualité n’est suivi et accueilli qu’à 50%, ils se défilent, taisent leur opposition à la loi Taubira, et gèrent les cas d’homosexualité chez leurs ouailles au cas par cas (travail épuisant pour eux, et peu probant la plupart du temps).
 

Idem pour un chef d’établissement, qui en général n’a pas l’appui massif de tous les parents ni de toute son équipe pédagogique ni de tous ses élèves. Il faut une énergie de malade, un aplomb incroyable, un petit grain de folie, une audace inspirée, une psychologie et une finesse colossales, à un directeur de collège, pour parvenir à me faire entrer dans son bahut, pour parvenir à comprendre l’universalité et la joie d’un certain traitement de l’homosexualité. Après, c’est tout bénef pour tout le monde. Mais avant, quel parcours du combattant !
 

Et quand je suis enfin invité à offrir mon témoignage devant les scolaires, rien ne m’assure que l’assistance ne va pas se retourner contre moi (c’est déjà arrivé… surtout depuis l’arrivée du « mariage pour tous » en France, depuis l’émergence d’une vague hétéro gay friendly agressive parmi les élèves). De plus, pour parler de l’homosexualité, je ne peux pas me permettre, contrairement aux intervenants sur la drogue, de n’offrir qu’un témoignage de vie, concis et efficace. Le retard sur la réflexion sur la sexualité est tel que je suis obligé de jongler entre témoignage et analyse. Je suis obligé de justifier la légitimité de ma présence, de rassurer. Et je ne peux pas me contenter de rester dans le registre de l’émotionnel, ni ne peux fuir le débat d’idées. Finalement, je paye l’aveuglement social sur l’homosexualité. Je pâtis de la banalisation et de la bonne réputation de l’homosexualité. Les catholiques, les lycéens, le Français moyen, ils ont globalement compris que la drogue c’était pas bien, que la prison c’était pas bien, que la prostitution et l’avortement c’étaient pas bien, que le handicap c’était pas facile, que le tour du monde en vélos pour construire un puits en Afrique c’était « fort »,. Il n’y a qu’un seul mal (avec peut-être, dans une moindre mesure, l’avortement) qui n’est pas identifié socialement comme mauvais : c’est l’homosexualité. Et pour le coup, quand il s’agit de défendre publiquement le message et la pratique de l’Église concernant l’homosexualité, c’est la croix et la bannière. C’est horrible, ce que je vais dire, mais il eût été plus facile pour moi d’être cul-de-jatte, bègue, ancien dealer, aveugle, ex-prostitué, serial killer repenti, que catho et homosexuel. J’ai l’impression que les personnes homosexuelles, au même titre que les hommes politiques, sont des pestiférés qu’il n’est pas bon d’inviter, parce que « c’est trop marqué », « trop clivant », « trop polémique », « trop dangereux », « trop tôt ou trop tard ». Mon témoignage ne peut pas que faire pleurer dans les chaumières, car contrairement aux speach faisant parler des victimes d’un mal qu’on peut mettre à distance et rendre étranger à soi (la guerre, la drogue, la maladie, le handicap, etc.), l’homosexualité remet en cause l’auditoire, le bouscule, pointe du doigt plein de dysfonctionnements sociaux (entre hommes et femmes, entre amis, entre paroissiens, au cœur du clergé, etc.).
 

Celui qui parle catholiquement d’homosexualité comprend qu’il sera attaqué d’un côté par ceux qui diabolisent l’homosexualité et qui le suspecteront d’en faire la promotion, de l’autre côté par ceux qui la banalisent ou la trouvent belle et qui le suspecteront d’homophobe. Pire encore. Il comprend qu’il sera trahi et pas assumé y compris par ses propres amis (prêtres, chefs d’établissement, paroissiens, cathos engagés, intellectuels, personnalités cathos médiatisés), morts de peur (ou de jalousie) des conséquences de leur soutien public. Un tel isolement/abandon ne risque pas d’arriver même au pire des criminels. Le témoignage catholique de l’homosexualité, c’est vu comme le pire du pire. C’est un très mauvais calcul, vu le raz-de-marée LGBT qui débarque maintenant de tous côtés dans l’Éducation Nationale et dans l’Église. Je me réjouis pour l’efficacité du Cenacolo. Je ne la jalouse pas. Mais intérieurement, je me désole : 1) de l’isolement et de l’oubli particulier à l’égard des catholiques homosexuels ou des lycéens homosexuels, qu’on prive d’intervenants qui pourraient leur parler directement de leurs problèmes spécifique ; 2) de la lenteur des gens d’Église qui se laissent totalement doubler actuellement par les promoteurs scolaires de l’homosexualité, déposséder d’un sujet que pourtant leur Église est la seule à bien traiter. Ça m’attriste.

 

Je pensais à tout cela sur le chemin du retour d’Asnières. Et me suis mis à rédiger dans ma tête cet article que j’écris maintenant. Un des jeunes du Cenacolo m’a offert le livre de sœur Elvira, la religieuse italienne qui a eu l’intuition géniale de créer cette structure pour les personnes droguées et leur famille. Je le portais dans ma main, et je m’étais dit que si le Seigneur m’offrait une opportunité pour l’offrir à quelqu’un pendant le trajet, je le donnerais.

 

Sur la route, j’ai au moins croisé à plusieurs reprises quatre « couples » homosexuels qui se tenaient discrètement par la main. Traverser Paris en diagonale permet d’observer cela : les tendances sociales, les courants. J’ai trouvé cette réalité symptomatique (car quatre couples, ce n’est pas une petite moyenne en une seule soirée). Et l’espace d’un instant, la question « Pourquoi je continue de me priver de ça ? » m’a traversé l’esprit. Toujours le rappel du choix de la porte étroite (tellement étroite qu’on n’en voit plus sur le moment, l’utilité…).

 

Je me suis planté sur le parcours retour, à la hauteur de la Porte de Clichy. J’ai atterri dans un boulevard qui est un haut lieu de prostitution. Les prostitué(e)s sur lesquelles je suis tombé n’avait rien à voir, physiquement, avec celles de la rue Saint Denis ou même des Grands Boulevards. J’avais du mal à identifier si je me trouvais face à des femmes, ou à des hommes (travestis ou transsexuels). Elles étaient tirées à quatre épingles. Je leur ai demandé mon chemin pour atteindre la Place Clichy, puis j’ai tenté en vain de leur offrir mon livre de Sœur Elvira. Rien à faire. C’était 80 euros ou je devais dégager. Je me suis retrouvé face à des personnes agressives, totalement fermées au dialogue, refusant tout don. Je me suis senti soudain honteux de vivre dans ma bulle, loin de leur univers, et d’habiter dans le 5e. J’ai finalement laissé le livre par terre au milieu d’un trottoir, en priant fort saint Antoine que le trio de potes défoncés et bourrés qui me suivait dans la rue tombe dessus et ait l’audace de le prendre. J’ai confiance. Et si ce n’est pas lui, ce sera la meilleure personne.

 

J’ai vraiment passé une superbe et humaine soirée.