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Qu’est-ce que l’élégance ?

Qu’est-ce que l’élégance ?

 

 

Pour parler de l’élégance, je n’ai rien trouvé de mieux que de vous raconter un épisode qui m’est arrivé récemment. Le contexte est très parlant, vous allez voir. Je me trouvais dans le métro parisien (un lieu très élégant, n’est-ce pas ?) avec mon amie de fac Virginie M.. Alors que le train n’était pas encore arrivé, j’ai pris sans calcul le lourd cartable de ma camarade afin de la décharger, puis l’ai invitée, en vrai gentleman, à s’asseoir sur l’un des beaux sièges en plastique orange du quai du métro Cluny la Sorbonne. Virginie m’a alors dit spontanément : « Quelle élégance ! ». Elle aurait pu me dire : « Quelle galanterie ! » ou bien « C’est fort aimable de ta part ! ». Mais non : elle a dit « Quelle élégance ! ». J’avais fait preuve d’élégance sans le faire exprès, uniquement parce que je m’étais comporté en personne belle et douce. Oui. C’est ça, pour moi, l’élégance. C’est avant tout synonyme de DOUCEUR. L’élégance, ce n’est pas vraiment amical ou amoureux. C’est plus que de la politesse ou de la courtoisie. Ce n’est ni compliqué ni onéreux, même si c’est parfois le signe d’un calcul : ce n’est pas nécessairement gratuit, et c’est peut-être pour cela qu’elle est saluée socialement. Elle demande un effort personnel. L’élégance a la saveur de l’exceptionnel, d’un cadeau, d’une attention particulière, d’une priorité laissée à l’autre.

 

C’est le TAM de Jean-Luc Cabes : Jean-Luc Cabes, c’est un jeune prêtre à l’apostolat très dynamique, qui a été assassiné en 1991 à Tarbes alors qu’il tentait de s’interposer entre deux personnes qui se battaient sur le bord de la route. Et ce prêtre avait adopté une règle de vie qu’il avait baptisé TAM et qui veut dire « Toi Avant Moi ». TAM. C’est-à-dire que dans la vie, je fais en sorte de mettre la priorité aux autres. Pas de m’oublier pour les autres, mais de mettre les autres avant moi. On mange un gâteau ensemble ? Eh bien je ne me sers pas en premier. Et s’il ne reste qu’une seule part de gâteau, je fais le petit sacrifice de me priver pour la donner à celui qui la voulait aussi. TAM, ce n’est pas la soumission ou l’abnégation : c’est la grandeur d’âme de l’humanisme, c’est la noblesse de l’élégance. Et je crois qu’une certaine société médiatique et matérialiste nous induit en erreur quand elle nous fait croire, par la publicité et le cinéma notamment, que l’élégance est synonyme de séduction. Pour moi, la séduction est l’inverse de l’élégance. En latin, le mot séduction veut dire « conduire à soi » (se-ducere). Alors que la vraie élégance conduit aux autres, est éducative (dans le sens étymologique : « e-ducere »), pédagogique. Ça s’apprend, l’élégance. C’est un exemple. C’est un art et un effort qui nous sont demandés pour dépasser nos propres égoïsmes.

 

Il ne faut pas abuser des bonnes choses. Dès que l’élégance devient un poncif, un mot d’ordre, un mode de vie déshumanisé et misanthrope, elle se fige en dandysme, en élitisme petit-bourgeois insupportable, limite en beaufitude. Soudain, on se retrouve dans le salon design de Monsieur et Madame Élégance, et on ne saurait dire pourquoi il manque cruellement d’élégance (on ne peut pas être élégant si on n’est pas aimant). On est pourtant entouré de personnes class, qui se veulent les porte-drapeaux du « bon goût », et qui vont nous juger  sur notre « savoir vivre », nos bonnes manières, notre galanterie, notre culture générale. Mais on les trouve malgré tout étonnamment beaufs, ordinaires. Car l’élégance, la vraie, n’a pas besoin de se prouver pour exister : elle est une grâce qui dépasse la personne qui la dégage. L’élégance est pour moi synonyme d’humilité. L’élégance trop travaillée, qui en fait des caisses, qui dit « j’adooooore » ou « je déteste » par snobisme plus que par jugement personnel, n’est pas élégante, en réalité. Elle traduit un manque de culture mal camouflé par l’argent, l’art, les sorties mondaines, une esbroufe verbale insignifiante, un phénomène de groupe ou de masse.

 

 

Je sais, pour ma part, qu’une partie de moi est attirée par cette élégance de pacotille. Celle qui ne jure que par les apparences, les paillettes, la séduction dangereuse. Il m’arrive de trouver par exemple une actrice comme Jaclyn Smith (Kelly Garreth, la brune dans « Drôles de Dames »), charmante et élégante. Car même quand elle est violente, elle le fait avec douceur et style. C’est la séductrice. Dans la fausse idée qu’on se fait actuellement de l’élégance, il y a du glamour, de la violence, du confort, de l’absence d’effort, énormément de paresse.

 

Mais au fond, j’aime l’élégance dépouillée, qui est le fruit d’un effort et d’une audace agissante, révolutionnaire. Celle qui émane d’un Abbé Pierre ou d’une Mère Teresa, d’un monsieur ou d’une madame Tout le monde dont le regard pétillant et habité trahit le caractère commun. L’élégance, c’est un trait d’humour humble et osé à la fois, un sourire, un hommage, un clin d’œil, la petite phrase inattendue dédiée à quelqu’un dans un discours, la barre de fer posée gentiment entre deux piles de courses sur le tapis roulant d’une caisse de supermarché par la personne qui passe avant vous, l’élégance, c’est en somme un esprit libre. Je peux même monter sur une table dans un restaurant chic pour dire mon amour à quelqu’un que ce sera élégant. L’élégance, c’est la liberté maîtrisée et en action.