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15e entretien-vidéo avec Nathalie Cardon (avril 2018) « Honte »

Ma toute dernière interview accordée à l’amie et journaliste Nathalie Cardon, sur un thème complètement tabou et jamais traité dans notre société, alors qu’il est urgent : celui de la HONTE :
 

 

À regarder sans honte, justement, et à partager sans honte, car il peut parler à tous et libérer des coeurs enfermés dans la honte.
 

#Honte #Ridicule #Suicide #Harcèlement #BadBuzz #SeRidiculiser #Buzz #Scandale
 

En compléments de cette vidéo, voici aussi un lien vers mon livre Homo-Bobo-Apo entièrement consacré à la Nouvelle Religion mondiale. Vous pouvez également retrouver toutes les autres vidéos tournées avec Nathalie Cardon : vidéo 1 sur Macron aux Bernardins, vidéo 2 sur La Manif Pour Tous, vidéo 3 sur la transidentité, vidéo 4 sur la bisexualité, vidéo 5 sur Demain Nous Appartient, vidéo 6 sur les établissements scolaires, vidéo 7 sur les groupes pastoraux d’accompagnement, vidéo 8 sur Mylène Farmer et la Bête, la vidéo 9 sur le Synode des jeunes, la vidéo 10 sur la Bête Hétérosexualité, la vidéo 11 sur la Bataille d’Armageddon, la vidéo 12 sur l’émission The Voice, la vidéo 13 sur la Réacosphère (1ère partie ; 2e partie) ; la vidéo 14 sur l’homosexualité priorité niée; et la vidéo 15 sur la Honte.

Gérer une grosse peine de cœur ou une envie de suicide liées à l’homosexualité

La seule vraie douleur causée par l’homosexualité ne consiste pas, contrairement à ce qu’on nous dit souvent, dans la pression (sociale, individuelle, appelée « homophobie » ou « homophobie intériorisée ») qu’on se donne pour ne pas croire en l’identité homo et en nos sentiments homos (= pour « ne pas s’assumer »), mais justement dans le fait qu’on s’impose ces derniers à soi-même, qu’on cherche à tout prix à y croire, et qu’on les intègre comme un fait ou une personne indiscutables… ce qu’ils ne sont pas ! C’est cette obstination qui nous rend malade. Tout s’éclaire et se pacifie dans notre vie, se remplit d’humour et d’air, quand on cesse de croire qu’on peut vraiment aimer d’amour un ami de même sexe. C’est l’imposition de cette fichue croyance que l’amitié entre deux individus de même sexe peut être exceptionnellement/platoniquement dépassée par l’amour charnel qui, au fond, nous mine, nous bouffe, nous déprime, nous rend si malheureux. Et c’est à partir du moment où on délaisse le rêve illusoire de transformation de l’amitié homophile en amour, c’est à partir du moment où on n’habille plus la pulsion de sentiments (à nous entendre, des sentiments « très asexués et à peine tactiles », « à peine charnels », « à peine sexuels », spiritualisés au maximum, esthétisés, rendus « désintéressés », « gratuits », « exceptionnels », « irrationnels » : ah ça… notre sincérité sait bien nous faire jouer l’hypocrisie, la fausse surprise et l’innocence !), c’est à partir du moment où on cesse de se persuader qu’« on est vraiment (homosexuellement) amoureux », que notre calvaire lié à l’homosexualité s’achève, que nous devenons tout léger, que notre théâtralité de drama queen homosexuelle – qui souffre vraiment même quand elle joue le désespoir, parce qu’elle a mordu à l’hameçon de sa propre sincérité – s’arrête net. Et là, ça fait du bien, on est libre, on se marre et on tourne durablement la page de notre caprice/chagrin/mirage sentimental !

 

Code n°111 – Main coupée (sous-codes : Gants / Sang invisible)

Main coupée

Main coupée

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

La Chose dans le film "The Addams Family" de Barry Sonnenfeld

La Chose dans le film « The Addams Family » de Barry Sonnenfeld


 

À trop s’extérioriser psychiquement, certaines personnes homosexuelles ne se voient plus agir. Les actions litigieuses qu’elles opèrent en fantasme ou en acte deviennent des événements extérieurs qu’elles subissent avec impuissance quand leur conscience ne veut pas les reconnaître. La connexion entre ce qu’elles désirent et ce qu’accomplit leur main ne se fait plus. C’est la raison pour laquelle la main coupée est un motif récurrent des œuvres homo-érotiques. L’insistance des individus homosexuels sur la main tranchée illustre l’existence en eux d’un désir égocentrique – elle renvoie notamment aux rituels de la masturbation ou du suicide, très pratiqués dans la communauté homosexuelle – et le contexte d’horreur invisible ou folklorique – pensez à la main baladeuse nommée « la Chose » dans le film « La Famille Addams ». Grâce à la main, les personnages homosexuels rentrent dans le cocon narcissique de la mort. Par exemple, l’Orphée de Jean Cocteau ne peut pénétrer dans le monde infernal du miroir qu’« en présentant d’abord les mains ».

 

 

Le symbole de la main coupée vient rappeler l’existence d’un désir de viol (et parfois d’un viol réel) camouflé. On peut remarquer qu’un certain nombre d’auteurs homosexuels font apparaître des mains gantées dans leurs créations. Les gants habillent d’habitude ceux qui commettent les meurtres symboliques et qui ne veulent pas les assumer, c’est-à-dire l’actrice hollywoodienne et Don Juan. Dans l’iconographie homo-érotique, nous voyons très fréquemment les protagonistes homosexuels regarder leurs mains ensanglantées en étant incapables d’y voir le sang qu’ils ont pourtant fait cinématographiquement couler. Tel Philippe dans le film « La Meilleure façon de marcher » (1975) de Claude Miller, ils plantent leur couteau dans la jambe de leur amant, puis n’en finissent pas de se confondre en excuses comme s’ils n’avaient rien maîtrisé de leur acte, en regardant leurs mains pleines de sang avec impuissance. Les mains éternellement tachées illustrent la déconnexion totale et douloureuse entre le faire et l’être, l’extérieur et l’intérieur, observable en tout désir humain dispersant (et pas uniquement homosexuel).

 

L’angoisse muette de la Lady Macbeth shakespearienne de ne pas parvenir à gommer le crime de son mari témoigne, au-delà du symbole, que l’excès d’extériorisation psychique de soi fait vivre l’enfer. Quand je parle d’enfer ici, cela n’a rien à voir avec une quelconque vision satanisante ou manichéenne de la géhenne. Je me réfère au véritable enfer, celui de l’absence à soi. C’est le fait de ne plus reconnaître ses actes comme les siens propres. Comme l’écrit Maurice Zundel en partant justement de l’exemple de Lady Macbeth, l’expérience de l’enfer, c’est de se frotter les mains sans se frotter la conscience, c’est la victoire du paraître sur la Réalité, c’est le refus de s’intérioriser. « C’est ça, son enfer : ses crimes lui retombent sur le crâne, comme s’ils venaient du dehors car justement elle a jeté toute sa vie au dehors. » (Maurice Zundel, Silence, Parole de Vie (1990), p. 71) Quand nous vivons l’enfer, nous nous sentons étrangers à nous-mêmes, nous ne nous reconnaissons plus, et nous trouvons que les autres nous violent en occupant la place de notre corps que nous n’avons pas voulu habiter. Nous vivons alors la pénible expérience de la « mort avant l’heure » décrite par Bernard Mercier concernant son expérience de la guerre d’Algérie : « La perte de sens était l’effet le moins visible en moi, mais certainement le plus assuré. Je pourrais la qualifier de vide existentiel ou de descente aux enfers de l’inhumain. Un profond dégoût de toutes choses. Le sentiment de l’inutilité de l’existence, de son incompréhensibilité, de sa vanité. Où était désormais le mal, où était le bien ? Comment traduire avec des mots le fait de se quitter ainsi soi-même quand plus rien ne vaut ? Rien, même pas soi-même. Ou soi-même comme une absence à soi. » (Bernard Mercier, Plongé dans les ténèbres (2002), p. 82)

 

L’absence à soi n’est pas proprement homosexuelle, bien sûr : comme le commun des mortels, les personnes homosexuelles la vivent à chaque fois qu’elles se font complices, dans le déni, de l’inadéquation entre leurs désirs profonds et leurs actes. Mais le problème, c’est qu’au lieu de la reconnaître, beaucoup d’entre elles la subliment. En effet, elles ont tendance à figer le questionnement sur la nature schizophrénique de leur désir homosexuel que leurs mises en scène du viol révèlent, en icône esthétique victimisante et désirable : songez par exemple à la posture catastrophée d’Isabelle Adjani dans sa robe blanche tachée de sang sur l’affiche du film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau. Cette cristallisation de l’horreur ne fait que conforter chez certaines un sentiment de culpabilité injustifié – car les crimes visibles à l’écran, s’ils sont parfois les reproductions de viols réels antérieurement vécus, sont prioritairement fictifs et uniquement révélateurs de l’existence d’un fantasme de viol –, susciter l’indifférence face à ce qui ne semble ni vivant ni réel tant la violence est figée, extériorisée et exagérée, ou même alimenter un attrait secret pour la mort et la souffrance via une esthétique de la brutalité spectaculaire.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Dilettante homo », « Clown blanc et Masques », « Déni », « Doubles schizophréniques », « Amant narcissique », « Miroir », « Se prendre pour le diable », « Voyeur vu », « Voleurs », « Magicien », à la partie « Photo chiffonnée dans une main fermée et crispée » du code « Actrice-traîtresse », et à la partie « Strangulation » du code « Coït homosexuel = viol », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel se coupe la main, et est incapable de reconnaître les actes qu’il commet, ainsi que le sang qui le souille :

 
 

a) La main coupée :

Film "Orphée" de Jean Cocteau

Film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Le motif de la main coupée revient extrêmement souvent dans les fictions artistiques traitant d’homosexualité, aussi bien sur le registre comique, sexuel (masturbation ou attouchements), dramatique (suicide), que celui de l’épouvante : cf. le film « Le Sang d’un poète » (1930) de Jean Cocteau, le film « La Main à couper » (1973) d’Étienne Périer, la comédie musicale Big Manoir (2007) d’Ida Gordon et d’Aurélien Berda, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec l’importance des mains de Bruno), le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine (avec la main baladeuse dans le tiroir), le film « Les Valeurs de la Famille Addams » (1993) de Barry Sonnenfeld (avec la main baladeuse surnommée « la Chose »), le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera (le héros dit s’être coupé la main en ponçant une pièce… En réalité, il se masturbe beaucoup, et a tenté de se suicider), le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat (avec l’héroïne se taillant les veines dans la boîte gay au tout début), le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (où le clone du héros se fait soudainement trancher la main sans que le spectateur comprenne pourquoi), le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le vidéo-clip de la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer (avec la main entaillée par les cornes-lames du taureau), le roman Le Joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig, les chansons « L’Histoire d’une fée, c’est… », « Tristana » (« Pourquoi faut-il payer de ses veines ? »), et « Pas le temps de vivre » de Mylène Farmer, le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, le roman La Main gauche de la nuit (1969) d’Ursula K. Le Guin, l’affiche du film « Tire encore si tu peux » (1967) de Giulio Questi, le roman La Main de métal (1956) d’Endre Rozsda, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet, la photo Autoportrait Main (1983) d’Andy Warhol, le film « La Main au feu » (1989) de Jean-Daniel Cadinot, la sculpture Pénétration de Tony Riga, le tableau Les Griffes du dormeur (1995) de Michel Giliberti, la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé (avec le bras mort de Didier), la chanson « Chacun fait c’qui lui plaît » de Chagrin d’amour, le dessin Elles s’aiment (1929) de Claude Cahun, le film « Devotee » (2008) de Rémi Lange (avec Devotee, l’homo privé de bras et de jambes), la pièce Démocratie(s) (2010) d’Harold Pinter (avec la main arrachée), le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger (avec un homme au bras dans le plâtre), la pièce Une Heure à tuer ! (2011) d’Adeline Blais et Anne-Lise Prat (où Claire a peur que Joséphine lui ait cassé le bras), la pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec le doigt coupé de l’agent), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « Prête-moi ta main » (2006) d’Éric Lartigau, le film « Change pas de main » (1975) de Paul Vecchiali, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye, le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » du groupe Cassandre, le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, le film « Satyricon » (1969) de Federico Fellini (avec le poète à qui on coupe la main), le film d’animation « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima (avec Akino, le pianiste ayant perdu son bras gauche dans un accident), la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi (avec le doigt cassé d’Irina), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec le petit doigt de Jeanne qui la brûle), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le doigt coupé), la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le petit doigt sectionné de l’Auteur), le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (Freddie s’est fait greffer des mains par le Professeur), le film « Le Cœur sur la main » (1949) de André Berthomieu, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart, le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, etc.

 

Film "La Belle et la Bête" (1946) de Jean Cocteau

Film « La Belle et la Bête » (1946) de Jean Cocteau


 

Par exemple, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Franck, le héros homosexuel, s’est tailladé la main avec la chute d’un melon. Dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, Marco, le héros homosexuel, chute dans une benne à ordures en déchargeant un chauffe-eau, et se foule la main : « J’ai un peu mal au poignet, mais ça va. » dit-il à son père. Dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Thierry, le protagoniste homo, s’est coupé le doigt au bar. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Arnold s’est coincé les doigts dans le frigo. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, un bras coupé flotte dans l’eau. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, lorsque Malik dit qu’il y « mettra sa main à couper », Martin lui demande « Elle est où ta main ? ». Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, le kozak Karltschusski se coupe les deux mains. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam, le héros homosexuel, s’est blessé à la main. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le fiancé de Gatal parle de « se faire couper des doigts, des mains ». Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M joue au foot avec Ali, le petit garçon qui tombe et se blesse à la main. Pour le consoler, Adineh lui dit : « C’est une blessure très profonde. On va devoir amputer le poignet. »

 

 

Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver serre la vraie main humaine de son amant Elio avec la main et le bras d’une statue en cuivre trouvés dans des fouilles archéologiques sous-marines. Un peu plus tard, Elio regarde avec horreur sa main juste après que son amant Oliver l’ait discrètement caressée.
 

La présence de la main tranchée semble a priori incongrue et incompréhensible. « Je croyais avoir perdu la main… mais alors vous, vous êtes balaise ! » (Irène s’adressant au père Raymond, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Et ma main que j’ai tranchée devint objet de risée. » (le héros de la pièce Titus Andronicus (1594) de William Shakespeare, p. 631) ; « Putain, je me suis blessé au poignet. » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Ne riez pas, on trouve des antécédents célèbres dans l’histoire de la magie ! Une mauvaise manipulation et vous pourriez tout aussi bien perdre un doigt, une main ! » (Audric dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, p. 51) ; « Linda, j’explose ! Oh merde, il faut que je me ramasse toute seule ! Ça va être du joli pour recoller tous ces doigts ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Comme dit votre grand-père, je suis une main de fer dans un gant de crin. » (Mamita, la mère de Laurent, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « On ne peut plus toucher la viande ! Merde, on se brûle les mains ! » (Raulito à Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, pp. 74-75) ; « Il naît du pétrole un petit diamant fragile d’où coule le sang d’une rencontre trop bousculée, trop prétentieuse, trop généreuse avec les doigts gantés d’un orfèvre. Un cristal saigne : son pétrole est rouge. » (la voix narrative de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Doucement, mon p’tit gars, ou je te fais manger ton bras. » (la religieuse à Elliot, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Ma main à couper ! » (Mme Follenska, idem) ; « On va me couper les deux mains. » (l’homo noir torturé dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Et si demain cette voix me commande de me couper une main, par exemple ? » (Michel parlant de sa voix intérieure, dans le film « Les Yeux fermés » (1999) d’Olivier Py) ; « Puis j’lui ai demandé sa main. Le bras est venu avec. » (le héros homo à propos de sa fictive femme Sofia, défigurée dans un accident de voiture, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Jane avait allumé les lampes pour repousser l’obscurité et le salon renvoyait un éclat blanc sous l’éclairage soigneusement réglé, si stérile qu’il n’aurait pu appartenir à la clinique de quelconque chirurgien esthétique. Il était facile d’imaginer un chariot entrant dans cet espace presque vide, poussé par des chirurgiens masqués, prêts à sculpter une beauté. Elle se les représenta un instant, leurs mains gantées s’activant profondément dans le sang. L’image évoquait trop la naissance venir et elle la chassa. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 135) ; « Quand je m’en irai, je dirai à Karl de demander au croque-mort de m’entailler les poignets. » (Frau Becker s’adressant à Jane, idem, p. 214) ; « Ils ont trouvé le père Walter dans le cimetière avec les poignets tailladés. » (Jane, l’héroïne lesbienne, idem, p. 224) ; « Oui, j’ai un problème. J’ai un peu mal au poignet. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Retirez votre main, elle sent le pourri. » (Valmont dans la peau de Merteuil, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.

 

La main telle qu’elle est décrite dans les œuvres homosexuelles n’est pas un moyen d’atteindre le concret ni un signe de Réalité. Bien au contraire. Elle déforme le Réel. Elle vise les univers narcissiques : elle en est même la clé, comme par exemple dans le film « Orphée » (1949) de Jean Cocteau, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec la main du patineur sur glace homosexuel), etc. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Gwendoline, la lycéenne transgenre, pense créer une sulfureuse sitcom intitulée Les Doigts de l’Amour. Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, quand Elsa s’étonne de la grosseur de la main de Pedro, celui-ci lui demande de la prendre vite « avant qu’elle ne rétrécisse. » La main est bien une métaphore du désir, ici. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler, l’un des héros homosexuels, porte une insigne politique irlandaise socialiste représentant une main rouge. Il l’offre à son amant Jim en guise de symbole d’amour. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien et Rémi, les héros bisexuels, se donnent la réplique pour répéter un rôle dans Cyrano de Bergerac. Les deux hommes finissent par se prendre à leur jeu dramatique (Damien joue Roxane, Rémi Cyrano) et à tomber amoureux l’un de l’autre. La main sert d’interface d’homosexualité : « J’aime quelqu’un qui ne le sait pas encore. Laissez-moi votre main. Maintenant, elle a la fièvre. » (Damien dans la peau de Roxane, sentant les sentiments de Rémi à son égard)

 

« À travers le miroir, on voyait bien la chambre et le lit. Au bout d’un moment, on vit la bonne entrer. Elle se mit à se déshabiller, puis, s’allongeant sur le lit langoureusement, bien en face de nous, se caressa tour à tour le bout des seins et le plus sensible. Je sentais que Marie était tétanisée par la peur que cela ne me déplaise. Dans un effort d’audace, pourtant, elle me prit par la taille. De l’autre côté du miroir, la bonne, se sachant observée, les cuisses bien écartées, faisait avec ses doigts des mouvements qui laissaient voir toute la profondeur de son intimité. Malgré l’état de peu de réceptivité dans lequel j’étais, j’en fus vite troublée. Ses poses étaient terriblement provocantes, et bientôt je sentis monter en moi une envie féroce de me satisfaire. Marie, dans le noir où nous étions, avait beaucoup plus d’assurance et me caressait presque. De son côté, comme elle l’aimait, la bonne s’était introduit tous les doigts d’une main à l’intérieur du ventre et de l’autre se frottait en cadence sa partie la plus sensible. Marie releva assez ma robe pour passer sa main entre mes cuisses et, sans pour autant me dévêtir, trouva, étant femme, très facilement le bon chemin. Elle se mit à toucher ma fente» (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 152)

 

Le poignet cassé est un esthétisme recherché ou subi par le personnage homosexuel : « Tu ressembles à une théière cassée. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « J’ai les poignets fragiles. » (Tex, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « En jouant au squash : poignet cassé. » (Bonnard dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Ce qu’il nous faut pour mener une chaîne de télé, c’est une bonne poigne. Pas un poignet cassé. » (Sonia par rapport au futur président, Nelligan Bougandrapeau, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Les garçons me balançaient des pommes de pin ou m’arrachaient mon sac pour le vider par terre, quand je traversais la cour. Même certaines filles, celles qui jouaient aux gros bras pour pas se faire traiter de putes, elles rigolaient sur mon passage, me traitaient de sale théière, en mettant une main sur la taille et l’autre à côté du visage, en forme de bec verseur. » (Mourad, l’un des deux héros homos du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 336) Bien plus qu’un esthétisme repris pour les caricatures de grande folle, la posture de la « théière » ou du « poignet cassé » est une manière de surjouer le viol, de sublimer/singer la faiblesse : « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée. J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval, le travesti M to F dans son spectacle Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Je suis trop fragile et beaucoup trop désirable. » (Ottavia la Blanca, le transsexuel M to F de la comédie musicale Amor, Amor, en Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet) ; « Je je suis si fragile qu’on me tienne la main. » (cf. la chanson « Libertine » de Mylène Farmer). Par exemple, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo s’est cassé le poignet en hockey sur glace, métaphoriquement parce qu’il n’a pas assumé son homosexualité.

 

La main coupée peut dire l’égocentrisme du protagoniste homo, soit parce que ce dernier veut se masturber, soit parce qu’il cherche à se suicider en se taillant les veines : « Je comprends pas mon corps. Le plaisir qu’il trouve, et qu’il prend, à savoir les yeux d’Irène dans un coin du miroir. Sa volonté de se soumettre aussi vite à la nécessité qui l’oblige. Ce que sa main droite est en train de faire sous le drap bleu, qui me donne la honte rouge. » (la voix narrative du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 86) La main dissociée du reste du corps est celle du plaisir vicieux. « Jeux de main, jeux de M… émoi. » (cf. la chanson « L’Histoire d’une fée, c’est… » de Mylène Farmer) ; « Les baisers d’un été où la main s’achemine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Attends qu’une de tes compagnes de cellule te mette une bonne main au derrière. » (Louise s’adressant à Sophie, dans la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd) ; « À la piscine, nous chahutions souvent. Mes mains s’attardaient sur sa peau et les siennes sur la mienne. J’aimais toucher son corps. Les mêmes gestes, autorisés en milieu aquatique, eurent été déplacés dans un autre contexte. Ces contacts avec sa peau me consumaient. » (Bryan à propos de Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2001), pp. 95-98) ; « Et bien moi, je vais parler à ma main… » (Lennon, le héros homo pendant que ses quatre amis s’embrassent à pleine bouche, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Matador » (1986) de Pedro Almodóvar, Diego se masturbe devant des films d’horreur où des mains sont sectionnées à la lame de rasoir.

 

La main homosexuelle fictionnelle, en général, ne demeure pas : elle est furtive, volatile. « Angela tendit sa main intacte que Stephen saisit, mais avec une grande agitation. À peine avait-elle reposé un instant dans la sienne qu’elle la rendit gauchement à sa propriétaire. Alors Angela regarda sa main. Stephen pensa : ‘Ai-je eu un geste rude ou ai-je commis quelque maladresse ?’ Et son cœur battit violemment. Elle eût voulu reprendre la main perdue et la caresser. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 183)  

 

La main coupée annonce la découverte d’un désir homosexuel déchirant ou salissant. « Regarde ma main ! » (Howard s’adressant à son futur amant Peter, juste après son terrifiant coming out le jour de son mariage, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Esti, perturbée par l’émoi qu’elle ressent pour Ronit, se salit maladroitement la main et file à la cuisine pour se la laver : « Elle mit sa main droite sous le robinet. L’eau était beaucoup trop chaude. Elle l’y laissa un moment. » (p. 88) Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, se blesse la main juste au moment de rencontrer Angela. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, c’est pile au moment où le jeune Ayrton, hétérosexuel, ressent une attirance inavouée pour Konrad, l’amant de son grand-frère Donato, qu’il s’enferme dans la salle de bain, et qu’il cherche à détruire son plâtre à la main jusqu’à empirer sa blessure initiale. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. Il s’y prend de manière progressive, par des petits exercices pratiques. Et notamment, il tente de leur faire la main de l’autre : « Finalement, c’est pas très dur. C’est comme prendre un enfant par la main. » Arnaud demande à son amant : « Tu t’es lavé la main, j’espère ? »

 

Il semblerait que ce soient les actes homosensuels du héros homosexuel qui lui ôtent les mains, qui le rendent manchot : « Pas question de faire l’amour avec une main en moins. » (Julie dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 209) ; « De part et d’autre de la vitre, nous nous regardons en silence. […] Puis je pose la main, doigts écartés, sur le froid du verre. […] Comme invinciblement attirée, sa main vient se superposer très exactement à la mienne, de l’autre côté de la vitre. Je crois en percevoir la chaleur, l’imperceptible battement du sang. J’appuie un peu plus fort, à peine. Et immédiatement il n’y a plus sous mes doigts, sous ma paume, que cette surface infiniment lisse et glacée et dure comme du métal. Je prends froid au poignet comme si on venait de me le couper. Je pars vite, avec dans ma poche cette main disparue – tranchée net – qui n’a plus ni poids ni contours. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) ; « Ce sont des mains invisibles qui me servent. » (Belle racontant son séjour au château de la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; etc. Par exemple, dans la série Ainsi soient-ils (épisode 6 saison 1), lorsque Emmanuel repousse brusquement son futur amant Guillaume par une mise en garde (« Me touche pas ! »), ce dernier tombe à la renverse et se blesse la main.

 

Cela peut être le fist-fucking (= insertion du poing dans l’anus) ou la pénétration de la main à défaut du pénis, qui font disparaître la main du héros homosexuel. « Ainsi font font font les petites marionnettes. » (le héros en tournant sa main dans le cul de son « beau papa », dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, « rentre sa main entière en sa bonne » (p. 147).

 

L’expérience homogénitale/homosexuelle, symboliquement, supprime les bras et les mains : « Où sont mes bras ? » (Elliot au moment d’être drogué et d’avoir couché avec le couple hétéro dans la caravane, dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « J’ai perdu la main depuis que je te connais. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; etc.

 

Le héros homosexuel nous parle d’une main invisible, comme s’il ne se voyait plus agir/être manipulé. « Il demeura dans l’obscurité, puis sa main se posa sur une table et déplaça plusieurs objets, comme une sorte d’animal fureteur ; enfin, elle trouva la lampe dont les rayons tombèrent presque aussitôt sur la page d’un livre ouvert. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 16) ; « Il fixa des yeux une tache sur son bouvard. […] C’était une tache d’une forme bizarre qui fait songer à l’ombre d’une main sans pouce. […] Cela ressemblait à une main de voleur, mais de voleur qui eût volé autre chose que de l’or. » (idem, p. 29) ; etc.

 

Cette main translucide invite à l’expérience immatérielle ou mortelle : « Sa main a trouvé la mienne et l’a levée en l’air, comme pour l’inspecter, même s’il faisait trop noir pour la voir. » (Ronit, l’héroïne lesbienne en parlant de sa compagne Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 144) ; « Seul demeurait face à moi le jeune homme aux doigts de cristal. […] Pour tout témoin étranger à ce manège, c’eût été un spectacle risible que ces deux jeunes personnes isolées désormais dans ce wagon de chemin de fer, épiant réciproquement les tressaillements de leurs mains. […] Les mains, dis-je, sont les muqueuses du désir. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 64-66) ; « Stephen adorait aussi les poches, mais elles étaient défendues. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 29) ; « Une invisible main la poussa vers le lit, l’abattit sur cette couche où Mathilde avait souffert, était morte. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 62) ; « Je dis vraiment désolée. Une main s’est envolée. Je ne peux pas la rattraper. Trop tard pour le passé. » (cf. le poème « Le Désir du piano » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, p. 29) ; « Ses mains semblaient d’ivoire blanc. » (Dorian Gray en parlant de la comédienne Sibylle, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et charmant lui souriait là-bas, lui faisait signe ; que, détachant la main de sa hanche, il la tendait vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans l’immensité pleine de promesses. Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on accourût au secours du poète dont le corps s’était affaissé sur le bord de la chaise. On le monta dans sa chambre. Et le jour même la nouvelle de sa mort se répandit par le monde où elle fut accueillie avec une déférente émotion. » (Thomas Mann, Der Tod In Venedig, La Mort à Venise (1912), p. 107) ; etc.

 

Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, on voit, dès le début du film, en gros plan, la main de Laure, l’héroïne lesbienne, fendant l’air. Dans le film « La Mujer Sin Cabeza » (« Une Femme sans tête », 2007) de Lucrecia Martel, c’est précisément au moment où la voiture de Véro heurte et tue un chien (ou un homme ? : sur le coup, on ne sait pas trop…) qu’on nous montre deux empreintes blanches de mains clairement imprimées sur l’un des vitres du véhicule à l’arrêt. Dans le film « Ba Wang Bie Ji » (« Adieu ma concubine », 1992) de Chen Kaige, le jeune Douzi se fait couper les mains au hachoir par sa mère parce qu’elles deviennent invisibles/insensibles : « Maman, mes mains sont froides : l’eau s’est changée en glace. »

 

Souvent, le personnage homosexuel n’éprouve pas le mal que sa main commet, ou la souffrance dont il pâtit à cause de celle-ci : « La douleur me rend insensible et je ne me reconnais pas. » (cf. la chanson « L’Orage » d’Étienne Daho) ; « Quelque chose, comme une main cruelle, le broyait à l’intérieur de son corps et le torturait. » (Michel del Castillo, Tanguy (1957), p. 46 et p. 152) ; « Mon Dieu que dois-je faire ? Oublier cette main qui cogne dans mon cœur ? » (un ami homosexuel qui a écrit une nouvelle en 2003, p. 36) ; « Une ou deux minutes passèrent, puis, levant les yeux, il se vit soudain dans un miroir incliné au-dessus du lit et remarqua que sa cravate était de travers ; il répara aussitôt ce désordre de ses grosses mains qui tremblaient un peu. ‘Ça, par exemple !’ murmura-t-il. Plusieurs fois il répéta cette phrase sur le ton d’une grande surprise, et, sans regarder le lit, tourna les talons et gagna la porte. » (Paul Esménard après le meurtre de Berthe qu’il a étranglée, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 117) ; « Quelles mains !’ murmura-t-il. » (idem, p. 126) ; « J’ai froid. Je ne sens plus mes mains. » (Marilyn en enfer dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « Est-ce qu’on peut durablement s’en sortir sans se salir les mains ? » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; « J’ai l’intuition que l’acte criminel n’est rien. » (idem) ; etc.

 

Il est fréquent que le héros gay ne connecte pas ses gestes à son cœur, ni même à son cerveau : « M’ma, pensa-t-il. M’ma, que nous est-il arrivé ? » (Pascal après son meurtre, dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 269) ; « Il avait accompli tous ces gestes, en quelques fractions de seconde. Sans y réfléchir. Il avait abattu Pierre Gravepierre à qui il aurait tout donné une minute plus tôt. Il avait supprimé un homme, une vie. Sans vraiment se rendre compte. Sans comprendre clairement pourquoi. » (idem, p. 298) ; « Pourquoi j’ai fait ça ? Comme tout le reste… Sans raison, et histoire de voir. » (Willie dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 177) ; « Je suis toujours frappée par le décalage pouvant exister entre l’intention et l’action. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 18) ; « Pourquoi je me sens si coupable ? » (Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, suite à sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme de Carthage, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, dans l’épisode 3 de la saison 1) ; etc. Par exemple, lors de la fusillade finale du film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar, César n’éprouve plus les crimes qu’il opère. Dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, Maurice mord Clive aux lèvres puis se confond en excuses. Dans le vidéo-clip de sa chanson « Plus grandir », Mylène Farmer commence par noyer sa poupée, avant de la pleurer. Dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, Jérôme ne prend conscience de son crime que bien plus tard : « Je ne sens rien. » Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, Burger tape sur sa main qui s’anime comme une bête déconnectée de lui. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent, le jeune héros, violente régulièrement son amant quinquagénaire Stéphane qui à la fois se laisse faire, et s’étonne pourtant de « cette démence » qui s’empare de Vincent : « Comment peut-on porter la main sur la personne qu’on aime ? » Vincent ne s’en excuse même pas : « Sur le moment, je perdais le contrôle. Et après, je me rendais compte de ce que j’avais fait. » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le père de Davide, qui a entraîné son fils homo au suicide, a son costard blanc maculé de sang. Face aux patients qui attendent avec lui aux urgences de l’hôpital, il se met à faire une crise de paranoïa, ne supportant pas les regards qui l’accusent : « Ce n’est pas moi !! » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom se coupe la main avec un rasoir dans sa salle d’eau. À la fin du film, il étouffe son amant Peter avec un coussin, en se confondant en excuse pendant son forfait : « Pardon… pardon… »

 

La main coupée représente la conscience projetée, éloignée, tellement transférée qu’elle peut être vidée d’importance, de responsabilité, voire, à l’extrême inverse, suresponsabilisée comme un déesse diabolique. « Mais comment l’embrasser, la baiser, cette main royale, propre, tellement propre ? Comment ? Qui est-ce qui peut me le dire ? […] Je prends la main du Roi dans les miennes. Je suis courbé. Complètement. Parfaitement. Je sens la main de Hassan II. Je la respire. » (Khaled dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 17) Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, par exemple, le personnage du Rat est d’abord présenté comme un objet anodin : « Ce Rat n’est qu’une marionnette, il est animé par une main, vous le savez mieux que personne, puisque vous l’avez fabriqué. Il serait incapable de tuer tout seul. » (Auteur à Vicky) ; « Je sais faire beaucoup de choses d’une seule main. Ce rat, par exemple, c’est moi qui l’ai coupé, collé, cousu. » (Vicky, idem)… puis ensuite dématérialisé par Vicky : pour elle, le Rat en mousse « a un esprit. C’est le Diable. »

 

La main est quelquefois celle de l’androgyne satanique, cet être caché qui, face à ses écrans de télévision, appuie sur des manettes pour diriger le monde à distance, caresse son chat blanc de temps en temps (comme le Docteur Mad ou les méchants des James Bond), et s’apprête à lancer une bombe atomique en pressant le fatidique bouton rouge. On ne lui voit que la main ou le gant. C’est par exemple la main de la bourgeoise sans visage, tenant le combiné téléphonique à Steven annonçant qu’il meurt du Sida sur son lit d’hôpital, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa. Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Dallas, l’assistant-couturier homo de la créatrice Cecilia, veut mettre hors d’état de nuire Hélène, la première d’atelier concurrençant Cecilia, et décrit sa stratégie arachnéenne pour s’en débarrasser proprement : « Je sais ! Je l’intimide avec mes ciseaux crantés, je la saucissonne à la dentelle de Calais, et je la planque dans un rouleau de taffetas noir. Tout ça avec des gants : pour ne pas laisser d’empreintes. »

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan découvre (bien avant tout le reste du corps) la main de Kévin, son futur amant, qui le conduira inéluctablement vers la mort : « Soudain, je vis une main tendue. Et sur le poignet de cette main, un bracelet en cuir noir avec des clous, que je connaissais bien. Mon rythme cardiaque s’accéléra et je sentis une pulsion sanguine envahir mon visage. Était-ce possible ? Les yeux fixés en direction de cette main qui venait de disparaître, je n’osai plus faire un pas. […] Je fis quelques pas. J’étais mal à l’aise. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine que tout le monde devait l’entendre. Le poignet réapparut avec son propriétaire. C’était lui ! L’inconnu du lycée ! Un instant d’hésitation, le garçon au bracelet ouvrit de grands yeux, aussi grands que les miens, puis me fit un large sourire. J’étais surpris et déconcerté. » (pp. 8-9)

 

Dans les fictions homo-érotiques, rarement la main agit bien. Elle est souvent associée à la mort : « Une femme m’a soudain attrapé par la main gauche. […] Une jeune fille à la fin de l’adolescence. Et déjà veuve. Déjà dans la mort. Sa main dans la mort touchait ma main. Cette pensée m’a fait peur. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 44-45) Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Madame Lucienne est étranglée d’une seule main.

 

La main tranchée est même parfois l’actrice d’une violence inouïe : « Une main invisible attrapa l’infirmière par les cheveux et la souleva en l’air de cinquante centimètres. Elle poussa un hurlement à réveiller la clinique avant de tomber sur le parquet, se foulant une cheville. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) ; « Ils [les penetrators violeurs] avaient des gants. Ils peuvent te faire disparaître. Comme dans un trou noir. » (Dick, l’homo violé, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « J’ai l’impression qu’une main a attrapé mes intestins, qu’elle les a noués. J’ai pas demandé à être tripotée comme ça. C’est pas de ma faute ! Laissez-moi ! Je ne veux pas qu’on me touche ! » (Rinn, l’héroïne lesbienne mise à l’épreuve par ses sentiments amoureux lesbiens, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.

 

C’est pour cela qu’elle est souvent sale ou ensanglantée : « Stephen désira la toucher et, étendant une main plutôt hésitante, se mit à la passer doucement sur sa manche. Collins prit la main et la regarda avec étonnement : ‘Oh, bonté divine ! s’exclama-t-elle, quels ongles sales !’ » (Stephen amoureuse de sa nourrice Collins, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 24)

 

Les mains apparaissent comme les instruments du viol. Par exemple, en parlant des backroom, Copi, dans sa nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983), évoque « la masse humaine aux multiples mains rapaces » (p. 81) Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, les actes sexuels qu’opère la main d’Anamika, l’héroïne lesbienne, sur ses différentes amantes, sont présentés comme une schizophrénie, un viol inconscient, un interdit bravé dans un hallucinant sentiment d’irréalité : « Je pressai plus fort encore la chair qui emplissait mes mains. Il me vint à l’idée que je pourrais aller plus loin. J’avais peur de toucher l’espace entre ses fesses, mais finalement je laissai mes doigts s’attarder dans la fente qui les séparait jusqu’à ce que je sente ses poils. Sa respiration devint plus laborieuse. Je me scandalisais moi-même. J’étais pétrifiée. » (Anamika à propos de son amante Rani, p. 36) ; « Je la regardai droit dans les yeux, comme si mon doigts n’était pas relié à ma personne. » (Anamika parlant de son amante Sheela, idem, p. 97) Avec le motif de la main coupée, on touche d’emblée à la nature schizophrénique du désir homosexuel, un élan qui éloigne du Réel et de la conscience des actes : « Mon cerveau commande un truc. Ma main fait autre chose. » (Francis, le héros homo, dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt)

 

La violence des mains est parfois plus assumée. Par exemple, dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, le personnage de Paola (joué par le comédien) menace de couper les doigts aux filles de la salle.

 
 

b) Les gants :

On retrouve les gants en lien avec l’homosexualité dans la chanson « Les Gants noirs » de Charles Trénet, la pièce La Dame aux longs gants gris (1971) de Tennessee Williams, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (avec Pierrette, la femme fatale retirant ses gants « à la Rita Hayworth »), le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec les gants en caoutchouc enlevés comme on s’ôte rapidement un crime de la conscience), le roman El Beso Del La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd (avec les gants rouges), la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le film d’animation « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima (avec les mains gantées de Shûhei), le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville (avec le gant blanc), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec les gants en dentelle de Jeanne), la pièce Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy (avec le gant d’Éponyme, qui s’anime tout seul), le film « Warum, Madame, Warum » (« Pourquoi, Madame, pourquoi », 2011) de John Heys et Michael Bidner, etc.

 

Par exemple, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête dit que son pouvoir repose uniquement sur cinq objets : son miroir, son gant, son cheval, sa rose et sa clé d’or. Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Patrick, l’un des héros gays, a oublié ses gants de jardinage dans le salon de la maison d’Hugo, son futur amant, en venant livrer un sapin de Noël : « Il a oublié ses gants tout sales dans mon salon ! » Cela sent l’acte manqué… d’autant plus que la scène d’insertion du sapin dans la maison était une claire métaphore de la pénétration anale entre Patrick et Hugo.

 

Film "The Rocky Horror Picture Show" de Jim Sharman

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

En général, la main gantée vient maquiller et esthétiser un crime perpétré par la bourgeoise – ou le héros homosexuel qui s’identifie à elle : « La main gauche est gantée par une broderie de sang, et finit par blanchir ses crimes dans l’onde placide. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 9)

 
 

c) Le personnage regarde ses mains tachées d’un sang invisible en se demandant, paniqué, ce que ses mains viennent de commettre :

Le motif des mains ensanglantées dont le héros homosexuel ne voit même pas le sang est omniprésent dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « West-Side Story » (1961) de Robert Wise, le vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer, le roman La Brasa En La Mano (1983) d’Oscar Hermes Villordo, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, les films « ¿Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) et « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le film « Bodas de Sangre » (« Noces de sang », 1981) de Carlos Saura, la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, le roman L’Apprenti Sorcier (1976) de François Augiéras, la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (avec le poster d’une chanteuse femme fatale avec des empreintes de mains ensanglantées sur elle, dans la chambre d’Hugo), le roman Leurs mains sont bleues (1963) de Paul Bowles, le film « Le Rideau déchiré » (« Tom Curtain », 1966) d’Alfred Hitchcock, la pièce Missing (2008) de Nick Hamm (avec le personnage de Gilda), la sculpture La Chambre rouge d’enfant (1994) de Louise Bourgeois (avec les gants rouges), le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec les mains ensanglantées), la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez (avec la reprise de la scène du lavement de mains de Lady Macbeth par Cassandra et Lena), la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec la main égratignée de Cyrano), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec les gants rouges tricotés), le vidéo-clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer (avec une Mylène aux gants rouges, se baladant au cimetière), le film « Atomes » (2012) d’Arnaud Dufeys, etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Je te rends ton amour" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer

 

À la fin du film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1999) de Pedro Almodóvar, Huma Rojo (Marisa Paredes) joue dans une pièce où elle interprète une femme qui a les mains ensanglantées à cause d’un crime qu’elle a commis ; et dans l’intrigue réelle, c’est en effet elle qui est responsable de la mort d’Esteban, car elle a refusé de lui signer un autographe. Dans le film « Action ou Vérité » (1994) de François Ozon, le jeu et les rires cessent immédiatement dès que Rose sort sa main ensanglantée du sexe de sa copine Hélène qui a ses règles. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le protagoniste regarde ses mains ensanglantées après avoir tué son camarade de douche dans des vestiaires publiques. Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, il est énormément question de mains coupées ou abîmées. Celles-ci suivent les différents stades psychiques par lesquels passe l’héroïne lesbienne Nina : au moment de se blottir contre Veronika, elle dit avoir « les mains moites » ; quand elle se coupe les ongles, elle se fait saigner les doigts, et c’est l’angoisse ; après avoir poignardé Beth à l’hôpital, elle se lave nerveusement les mains et nettoie le couteau ensanglanté. À chaque fois que sa conscience la ronge, en somme, ce sont ses mains qui le payent. Dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, Tal lave ses mains ensanglantées dans l’eau. Le protagoniste de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan se frotte en vain les mains pour en enlever la merde invisible. Dans le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, Gong-Gil observe avec horreur ses mains ensanglantées après son crime de légitime défense. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a commis un crime sans effusion de sang : elle a tué l’amour entre Agathe et Paul, et s’est ainsi condamnée à tenter de nettoyer sans succès le sang invisible sur ses mains : « Tous les parfums de l’Arabie ne pouvaient pas purifier cette petite main. Élisabeth baissa les yeux et lava ses mains effrayantes. » (la voix-off de Jean Cocteau)

 

Film "Berlin Alexanderplatz" de Rainer Werner Fassbinder

Film « Berlin Alexanderplatz » de Rainer Werner Fassbinder


 

Le protagoniste, impuissant, fixe des yeux ses mains meurtrières rougeâtres, et se les frottent pour en effacer le sang incriminant : « Quoi ?!? Ces mains ne seront-elles jamais propres ?!? » (Lady Macbeth, Acte V, scène 1, dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare) ; « Je n’comprends plus pourquoi j’ai du sang sur les doigts. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Rien n’effacera les traces lâches du sang qui court des corps qui se cassent. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Il me semble qu’une main m’a effleuré. […] La main revient sur mon visage. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, pp. 98-99) ; « Je regardai ma main. Je saignais. Je ne ressentais toutefois aucune douleur, et je me mis à rire. Les éclats semblaient venir de l’extérieur, et pourtant je ressentais leur naissance en ma poitrine. » (idem, p. 210) ; « Et vous discernez les taches qui vous recouvriront les doigts. L’encre ne s’efface pas si facilement. » (idem, p. 171 ; voir également le passage de l’encre comparée au sang rouge, idem, pp. 218-220) ; « Quand on retrouve un individu très énervé, près d’un cadavre et les mains pleines de sang, il y a forcément quelque chose de louche. » (Bryan, déjà mort, en parlant de son copain Kévin agenouillé près de son cadavre, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 450) ; « Ce sont mes mains et mes pieds qui me trahissent. » (Prior se comparant au Christ, dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Si tu me touches, ta main risque de tomber. » (Louis à son amant Prior, idem) ; « Je ne connais pas d’autre moyen de me réconcilier… avec mes propres mains. » (Töre suite au viol de Karin, dans le film « La Source ou la fontaine de la jeune fille » (1960) d’Ingmar Bergman) ; « Les hommes sont incapables de comprendre qu’on ait du sang sur les mains sans avoir commis de crime. » (Amira Casar à Rocco Siffredi en parlant des menstruations féminines, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) : « La jeune prostituée s’effondra sur la chaise en formica et se mit à sangloter, se maculant les joues de ses mains inondées du sang de la boulangère. » (Copi, « Madame Pignou » (1978), p. 55) ; « Stephen essuya le sang de sa bouche et vit que ses doigts étaient tachés ; elle les regarda sans comprendre… ce ne pouvait être les siens… comme ses pensées, ils devaient sûrement appartenir à quelqu’un d’autre. » (l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 154) ; « J’ai couru longtemps. Je me suis lavé les mains dans la rivière. C’était juste une dispute. » (Abram, le héros homo, avouant avoir assassiné la Tonka au poignard, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « J’avais une petite éraflure au creux de la main, de la taille d’une pièce d’un demi-penny. J’ai gratté la croûte brune et vu avec satisfaction une goutte rouge se former à la surface de ma paume. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 214) ; « Il n’y a pas eu de points de suture. J’ai lavée la plaie, l’ai refermée avec du sparadrap et j’ai dissimulé le pansement sous ma manche. » (idem, p. 219) ; « Puis Polly se glisse à côté de moi, se recroqueville et se remet à pleurer en regardant ses mains l’une dans l’autre posées sur ses genoux et en chuintant ‘Mais tu te rends compte, je lui ai planté un couteau dans le dos à peine remise de son opération [elle parle de sa rupture avec son amante Claude hospitalisée]. Comme je lui ai fait mal, putain, tu te rends compte que je lui ai planté un couteau dans le dos ?’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), pp. 121-122) ; « La flaque de sang s’étendait vers elle sur le carrelage, tachant le bout de ses pantoufles. Jane recula, cherchant à tout prix à l’éviter, et elle s’aperçut tout à coup que sa robe de chambre et sa chemise de nuit étaient déjà trempées. Elle se mit à frotter son corps avec frénésie pour tenter d’ôter les taches rouges, mais ses mains étaient elles aussi couvertes de sang. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 235) ; « Qu’est-ce que vous avez fait ? ’ Anna se tenait sur le seuil de l’appartement des Mann. » (Anna face à Jane, op. cit., p. 236) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la vue du sang n’est pas connectée à la sensation de douleur ni à la conscience : quand la Comédienne est horrifiée par la blessure à la main de l’Auteur (« Fais voir ? Mon Dieu ! Tu t’es presque sectionné le petit doigt ! Ça te fait mal ? »), ce dernier ne peut que la constater visuellement : « Ça ne me fait pas mal mais ça pisse le sang ! » Dans le vidéo-clip de la chanson « Pour toi j’ai tort » de Jeanne Mas, la chanteuse sanglote après avoir poignardé son amant. Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain, le coiffeur homosexuel, hurle à trois reprises comme une grande folle par rapport au sang qu’il a sur les mains.

 
 

FRONTIÈRE À NE PAS FRANCHIR

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La main coupée :

Photo La Dame masquée de Claude Cahun

Photo La Dame masquée de Claude Cahun


 

Je vous renvoie au documentaire « Les si douces mains de Konstantin G. » (2003) de Kanerva Cederström, au film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal (sur Alfred Hitchcock), au dossier entièrement consacré à la main dans l’art homosexuel sur la revue Triangul’Ère 2 (2000) de Christophe Gendron (pp. 454-502), au Masque-empreinte de Jean Cocteau avec une main lui enserrant le cou (1930) exposé à la Cinémathèque de Bercy à Paris, etc. Jean Genet fait référence à la main coupée dans son Journal du voleur (1949) (pages 24 et 33). En Chine, la littérature désigne les amitiés particulières homophiles comme « l’amour de la manche coupée » (Michel Larivière, Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 36). Il est, à ce titre, très étonnant qu’un article intitulé « Un Couple manchots gays adopte un petit avec succès », publié dans le journal le Monde (le 3 juin 2009), et défendant le droit à l’adoption des « familles » homoparentales, fasse le rapprochement entre les manchots et les sujets homosexuels… Pas banal ! Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, une femme géante nocturne vient annoncer à Bertrand Bonello dans son sommeil, en murmurant à son oreille, qu’il va mourir : « Répète après moi : ‘Je vais mourir d’un sectionnement des mains.’ »

 

Il existe un lien entre homosexualité et main cassée. L’exemple le plus clair est la position de la « théière » ou du « poignet cassé » habituellement attribuée aux hommes homos efféminés (cf. le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra). « Quand j’ai commencé à m’exprimer, à apprendre le langage, ma voix a spontanément pris des intonations féminines. Elle était plus aiguë que celle des autres garçons. Chaque fois que je prenais la parole mes mains s’agitaient frénétiquement, dans tous les sens, se tordaient, brassaient l’air. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 27)

Jacques d'Adelswärd-Fersen

Jacques d’Adelswärd-Fersen


 

J’analyse le code de la main coupée comme un désir de s’éloigner du Réel et de rejoindre la pulsion : « Je voudrais me débarrasser de mes mains. Abolir le toucher. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970, p. 46) ; « Je ne me lavais plus les mains quand elles étaient imprégnées de l’odeur de leurs sexes, je passais des heures à les renifler comme un animal. Elles avaient l’odeur de ce que j’étais. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 154-155) ; etc. D’ailleurs, on peut retrouver dans le discours de certains sujets homos la main invisible en tant que métaphore de l’assujettissement à son propre désir homosexuel, métaphore du vol sexuel : « En 2004, j’ai entrepris un voyage inouï : j’ai décidé de passer du monde des hommes à celui des femmes. […] Une main invisible semblait abattre les uns après les autres les obstacles qui se trouvaient devant moi ; je n’étais pas sûre que cette main ne soit pas celle du démon. » (Patricia, femme lesbienne, citée dans l’autobiographie Libre (2011) de Jean-Michel Dunand, p. 150) ; « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse parlant de sa toute première fois lesbienne, où une ancienne camarade de classe dévergondée l’a dépucelée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « La présidente a la main leste. » (la Mère supérieure des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, dans le documentaire Et ta sœur (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin) ; etc.

 

J’ai constaté, parmi mes amis et connaissances homosexuels, qu’il y a un certain nombre (d’incorrigibles ?) tripoteurs, aux mains très baladeuses, qui, sans demander l’avis à la personne qu’ils touchent, tâtent (c’est le cas de le dire !) le terrain – toujours sous le couvert du jeu, de la camaraderie, du massage, ou du bien-être (« Je t’ai mis une main au cul ou sur l’épaule… mais c’est pas ce que tu crois… c’est parce que je suis très tactile ! » assurent-ils). Ces soi-disant « amis du plaisir et des corps » sont en général des hommes qui, bien avant de « se lâcher » et d’ouvrir leurs vannes corporelles à Monsieur-Tout-le-Monde, ont été et restent paradoxalement très mal dans leur peau : trop excités et impudiques pour être véritablement en paix avec eux-mêmes, ces mendiants d’amour, en mettant leur main sur vous, sont finalement prêts à donner la leur à n’importe qui pour se laisser abuser. Ils prêchent corporellement le faux pour savoir le vrai, abolissent un universel (celui des gestes amoureux) pour imposer le leur, testent jusqu’où ils peuvent aller dans la violation de votre intimité, vous forcent à obéir à leur propre code gestuel sans respecter votre liberté… parce qu’eux-mêmes ont jadis été certainement forcés et violentés. Ce qui me fait dire que l’attitude de leur main trahit chez eux l’existence d’un viol, c’est que malgré tout, il suffit qu’on ne leur permette pas le moindre attouchement ambigu, même présenté comme amical, pour qu’ils réagissent à fleur de peau, souvent avec cynisme (« Dis donc… T’es sensible, toi ? »), mais qu’après, ils comprennent très vite la leçon et se montrent d’une délicatesse, d’une méfiance, et d’un respect exemplaires, qui font de vous des princes (si vous vous étiez laissés faire, ils vous/se transformaient illico presto en prostituée(s)… mais en résistant à leurs mains coupées, on leur a prouvé qu’on n’était pas des filles faciles ! et ils y sont très sensibles !)

 

Photo de Laurent Askienazi

Photo de Laurent Askienazi


 

Je pousserai plus loin mon raisonnement sur les liens entre la main tranchée et les abus sexuels en affirmant que la main peut aussi faire office de sexe postiche lors de certaines pratiques génitales anales (très minoritaires : du moins, j’espère !), et donc d’instrument du viol : je pense par exemple à l’insertion du poing fermé dans l’anus lors des fist-fucking.

 
 

b) Les gants :

Après les mains coupées, les mains coupantes ! Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, est très attaché à son gant aux doigts métalliques qui lui font ressembler à une dangereuse féline comme Edward aux mains d’argent. Il le recherche partout chez son ami Liniker et n’arrive pas à remettre la main sur ce gant futuriste ayant appartenu à Ney Matogrosso. Cela le désespère : « C’est mon porte-bonheur depuis longtemps. » Finalement, on apprend que c’est son pote Jup (lui aussi travesti) qui le lui a dérobé pour lui jouer un mauvais tour.
 

 

Les gants sont source de fantasme érotique chez certaines personnes homosexuelles : « Ce sont les mains masquées qui comptent. » (Julien Green en parlant de son goût pour les gants, dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 20 mai 1983) ; « C’est le retour de la main gantée. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 15) ; « Vous savez ce que je nomme ‘gants du ciel’. Le ciel pour nous toucher sans se salir met parfois des gants. Raymond Radiguet était un gant du ciel. Sa forme allait au ciel comme un gant. Lorsque le ciel ôte sa main, c’est la mort. Prendre cette mort pour une mort véritable serait confondre un gant vide avec une main coupée. » (Jean Cocteau dans une lettre à Jacques Maritain en 1923) ; « Au niveau du fétichisme, j’avais des gants et des bottes en caoutchouc qui ajoutaient à mon excitation. » (un ami homosexuel de 52 ans, dépendant de la masturbation, me racontant sa fascination pour le cuir, dans un mail datant du 19 octobre 2013) ; etc.

 

Il arrive même qu’ils soient considérés comme des personnes humaines : « Tu as oublié tes gants. Je les ai montés dans la chambre et je les ai embrassés. » (Jean Cocteau s’adressant à Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain)

 

Il suffit de voir, de la part de beaucoup de personnes travesties, leurs nombreuses imitations de la lascivité d’une actrice hollywoodienne telle que Rita Hayworth, retirant lentement ses gants comme si elle faisait un strip-tease complet (cf. le film « Gilda » (1946) de Doris Fisher et Allan Roberts ; on pourrait aussi faire référence à Marilyn Monroe), pour comprendre que la communauté homosexuelle a vu dans les gants les premiers préservatifs !

 

Film "The Cost Of Love" de Carl Medland

Film « The Cost Of Love » de Carl Medland


 

La main (tout comme le pieds) est l’un des seuls membres du corps humain qui nous renvoie au Réel, qui nous rappelle ce qu’est le Réel. C’est peut-être pour cela que beaucoup de personnes homosexuelles, ayant un rapport conflictuel au Réel et au corps, s’en prennent à elle. « Seuls les trahissent leurs mains, d’ailleurs presque toujours gantées, et leurs pieds, anormalement grands pour une femme. » (Jean-Louis Chardans décrivant les travestis M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 38)

 
 

c) Certaines personnes homosexuelles regardent leurs mains tachées d’un sang invisible en se demandant, paniquées, ce que leurs mains viennent de commettre : elles ont du mal à connecter leurs mains à leur tête

N.B. : Je vous renvoie également à la partie « Schizophrénie » du code « Doubles schizophréniques », au code « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », et à la partie sur le « Relativisme manichéen » du code « Se prendre pour le diable », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Le sang invisible sur les mains, ou le sentiment de ne plus avoir de main, est décrit par certaines personnes homosexuelles réelles. Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Viallatte, le romancier de 61 ans, a découvert son homosexualité à 34 ans (alors qu’il était marié avec 4 enfants) avec le coiffeur (marié et homo) de sa femme. Et ça semble être venu des mains : « Je rentre dans ce salon de coiffure… et bingo ! Je vois cet homme. Ce coiffeur. J’ai plus mes jambes. Je commence à transpirer des mains, alors que même sur ce plateau, je ne transpire pas des mains. Un coup de foudre. »

 

Le sang manuel non-perceptible ou l’impression de coupure de la main renvoie en général à des actes mauvais dont elles ne veulent/peuvent pas porter la responsabilité, ou à des désirs sombres qui ne les rendent pas libres : « J’ai frotté les taches de sang sur la moquette. Mission impossible, le sang ne s’efface pas. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), pp. 97-98) ; « Le coupable, c’est votre main. » (Jean Cocteau cité dans l’essai L’Enfant voleur (1966) de Jean-Pierre Lausel, p. 42) ; « Mon père puait la mort. Ses mains, surtout. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 34) ; « Quand j’essaie de me remémorer les années où j’étais au collège, je me rappelle seulement de ma main sur d’autres garçons, rarement et seulement s’ils me le demandaient, mais je ne me rappelle de la main d’aucun d’entre eux sur moi. » (J. R. Ackerley dans son autobiographie Mon Père et moi (1968), cité sur le site Isla de la Ternura, consulté en janvier 2003). Par exemple, dans son Journal (2008), Jean-Luc Lagarce raconte un de ses plus terribles cauchemars, dans lequel une main (« celle de la mort » écrit-il) brisait une vitre pour venir l’empoigner. Dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman, il est raconté qu’un jeune comédien gay du Wyoming a joué au théâtre le rôle de l’assassin dans une représentation théâtrale de MacBeth.

 

Ce déni de la gravité de leurs agissements – illustré par le motif de la main coupée – engouffre la plupart des personnes homosexuelles dans le mensonge et l’angoisse de la schizophrénie : « Si un jour tu découvres pourquoi je me suis conduit de la sorte, dis-le-moi. » (James Dean suite à une attitude incorrecte qu’il a eue envers son ami Stern, cité dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 177) ; « De quel droit écrivais-je tout cela ? De quel droit faisais-je de telles entailles à l’amitié ? Et vis-à-vis de quelqu’un que j’adorais de tout mon cœur ? » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 106) ; « Pourquoi tant d’agressivité, oui pourquoi ? […] Moi, je n’ai rien fait de mal. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 30 et p. 79) ; « Les actes de Genet sont à la fois des poèmes et des crimes, parce qu’ils sont longtemps rêvés avant d’être commis et qu’il les rêve encore en les commettant. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 183) ; « Nous avons été des déclencheurs, mais nous n’avons jamais voulu ça. Nous avons eu tort et nous avons créé des ghettos et Guy m’a dit, la dernière fois où nous nous sommes vus, au milieu des années 80 : ‘Nous sommes allés trop loin. » (Philippe Guy, cofondateur du FHAR avec Guy Hocquenghem, cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 294) Dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), Brahim Naït-Balk, juste après avoir traîné dans les saunas, a peur que ses actions se voient physiquement sur lui : « Je craignais de rentrer à la maison. Je me demandais comment mes frères et sœurs allaient réagir, comme si la faute que je venais de commettre avait laissé une tache sur mon visage. » (p. 45)

 

Au bout du compte, c’est une vraie souffrance – faussement indolore – que celle de l’éloignement du Réel et de ses actes, aussi graves et lourds à porter soient-ils. Reconnaître le sang sur ses mains (sans « s’en laver les mains » comme l’a fait Ponce Pilate), c’est finalement être libre, comme le déclare le chanteur du groupe Blankass dans la chanson « La Couleur des blés » : « Un peu plus de sang sur les doigts, mais c’est ça le paradis ! » La responsabilité n’est que la conséquence de notre formidable liberté. Puissions-nous avoir la chance de le comprendre !

 
 

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Code n°127 – Mort (sous-codes : Mise en scène de son enterrement / Cimetière / « Je suis mort » / Suicide)

Mort

Mort

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ça vous étonne que les mêmes qui réclamaient le « mariage pour tous » demandent maintenant l’« euthanasie pour tous » ?

 

La relation des personnes homosexuelles à la mort est très ambiguë : on pourrait la définir comme un envoûtement. Beaucoup d’entre elles font de la mort le sujet principal de leurs œuvres, et se définissent parfois comme des « morts-vivants fascinés par la mort » (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 495). Le cimetière et le monde gothique sont des codes extrêmement présents dans la fantasmagorie homosexuelle, y compris chez des personnalités peu morbides qui ne passeront jamais à l’acte du suicide et qui ne vivront pas d’expériences sadomasochistes. Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent celui de la fascination identificatoire. Elles se persuadent qu’elles sont ses jumelles, parce qu’en règle générale, elles amalgament la mort réelle et la mort cinématographique larmoyante ou froide. « Il me semble que les cheveux qui collent aux tempes sont les miens, que les yeux clos comme ceux qu’on voit dans les photographies des cadavres sont les miens. » (Lucas, le narrateur homosexuel du roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 63) Par leur traitement de l’androgynie, elles célèbrent la mort dans sa forme la plus parfaite. La Faucheuse serait l’épouse idéale et « pure » (idem, pp. 46-47), le reflet narcissique qu’elles pourraient rejoindre pour gagner l’éternité et s’auto-contempler. Leur identification à la veuve drapée de sa mantille noire, portant des lunettes de soleil pour cacher sa fausse/digne peine, est relativement fréquente. Dans leurs créations, les personnages se voient très souvent morts et imaginent leur propre enterrement.

 

En réalité, l’adhésion des personnes homosexuelles à la mort est bien plus esthétique que réelle. Comme le commun des mortels, elles n’aiment ni la mort ni la souffrance réelles, mais leur idée romancée, leurs mises en scène. On peut penser notamment au narcissisme dans la souffrance qu’elles trouvent en la figure de saint Sébastien, le « saint patron de la communauté homosexuelle ». Leur désir de mort réside davantage dans la jouissance de l’anticipation/réécriture de la mort réelle que dans la mort en elle-même. De même, le plaisir du sadomasochisme se situe plus dans la transgression d’un interdit et dans la scénarisation de la douleur que dans la souffrance en soi. Une fois la douleur actualisée, il perd toute sa magie et sa force.

 

Le problème est que beaucoup de personnes homosexuelles confondent la mort avec ses représentations… et (se) laissent croire qu’elles désirent profondément mourir quand elles vivent des dépressions. « Les auteurs que j’aime sont tous suicidaires » confie Werner Schrœter à Michel Foucault (cf. « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1073). Klaus Mann, quant à lui, nous rappelle dans son Journal (1937-1949) la nature du désir homosexuel, nature liée bien sûr à la vie mais prioritairement à la mort : « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (p. 49) Certaines réclament même le « droit au suicide » en partant du principe que, puisqu’on ne leur a pas demandé leur avis pour naître, elles n’ont pas à le demander aux autres pour mourir. « Je suis partisan d’un véritable combat culturel pour réapprendre aux gens qu’il n’y a pas une conduite qui ne soit plus belle que le suicide. » (Werner Schœter, « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1076) Malheureusement, ce ne sont pas toujours seulement des mots. Bon nombre de personnes homosexuelles pensent au suicide ou bien passent à l’acte. La liste des célébrités homosexuelles ayant mis fin à leurs jours est interminable : prenez n’importe quel nom des dictionnaires les répertoriant, et vous le constaterez très rapidement. Des études nord-américaines indiquent que le taux de suicide chez les jeunes adultes homosexuels actuels serait de 6 à 14 fois plus important que chez « les hétéros » du même âge (Michel Dorais, Mort ou fif (2001), p. 18). Je me demande dans quelle mesure leur désir de laisser la mort sur le terrain du figé n’encourage pas finalement le passage du mythe à l’actualisation violente. Loin d’être une exorcisation, la mythification de la mort peut parfois servir de prétexte à la création inconsciente de réalités fantasmées. Certaines personnes homosexuelles se sont parfois attachées viscéralement à une mort imagée pour ne pas affronter (ce qu’elles imaginent être) la mort réelle. Du coup, elles cherchent parfois à se frotter aux deux. C’est le cas de l’écrivain Yukio Mishima, qui à force de vouloir fuir la mort, l’a rejointe dans le mythe actualisé en se suicidant selon la tradition samouraï : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort = Épouse », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Clown blanc et Masques », « Frankenstein », « Morts-vivants », « Passion pour les catastrophes », « Sommeil », « Animaux empaillés », « Cercueil en cristal », « Matricide », « Parricide la bonne soupe », « Viol », « Milieu homosexuel infernal », et à la partie « Momie » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

a) L’attraction pour la mort :

La mort occupe une grande place dans la vie des personnages homosexuels de fiction, comme on peut le voir dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, la chanson « Pont de Verdun » de Jann Halexander, la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec l’obsession pour les crânes de squelettes humains), le film « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung (avec les tatouages de deux têtes de mort à la place des seins), le film « I Dreamt Under The Water » (« J’ai rêvé sous l’eau », 2008) d’Hormoz (centré sur un homme mort), les romans Son Frère (2001), Un Garçon d’Italie (2003), Un Instant d’abandon (2005) (reprenant l’affaire insoluble de la mort du petit Grégory) de Philippe Besson, le film « Society » (2007) de Vincent Moloi (dans lequel quatre anciennes amies d’école sont réunies autour d’une cinquième qui est décédée), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (qui se déroule le jour de la Toussaint), la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le film « A Festa Da Menina Morta » (2008) de Matheus Nachtergaele, la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa (où Ana écrit le poème « Requiem »), le film « Les Autres » (2001) d’Alejandro Amenábar, le roman Orlando (1928) de Virginia Woolf, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Le Mystère Silkwood » (1983) de Mike Nichols, le film « The Lawless Heart » (2002) de Neil Hunter et Tom Hunsinger, le film « La Petite Mort » (1995) de François Ozon, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (avec Romain, l’amant mort), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Funérailles » (2008) de Subarna Thapa, le film « La Déchirure » (2007) de Mikaël Buch (avec la veillée mortuaire), la chanson « Plutôt mourir » de David Courtin, etc.

 

Le thème de la mort est omniprésent dans les films de Pedro Almodóvar (cf. l’univers de l’hôpital dans « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1998), le coma dans « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001), la criminologie dans « Matador » (1986), etc.), dans les romans d’Anne Garréta (Ciel liquides (1990), La Décomposition (1999), etc.), dans les pièces de Jean Genet (Les Nègres en 1958, Pompes funèbres en 1947, etc.).

 

Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, fait le constat cynique que l’existence humaine est « glauque » : « C’est le monde. » dit-elle laconiquement à Victoire. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. » Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, est fasciné par la mort. Le crime lui permet d’être esthétique et théâtral : « Grand Dieu !! » ; « Doux Jésus !! » ; « Quelle situation abominable !! » ; « Quelqu’un a fermé la porte. Mon Dieu ! Nous sommes piégés !!! » ; etc. Et son compagnon secret, Charles, est décrit comme un suicidaire. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Herbert, l’un des héros homosexuels, a une tête de mort tatouée dans le cou.
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, veut aller voir le Musée des morts de Guanajuato (Mexique). Palomino, son amant et guide mexicain, joue à fond la carte du mysticisme mortuaire pseudo national : « Demander une rançon même pour un mort est une pratique courue au Mexique. ». Ils visitent ensemble des cimetières mexicains. Eisenstein finit par se prendre pour les morts : « C’est le Jour des Morts… et je suis un homme mort. »
 

Très souvent, le héros homosexuel est placé sous le signe de la mort : « Qu’elle était étrange, chez Fernand, cette curiosité soudaine pour les choses finies ! » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 93) ; « Curieusement, je n’ai jamais vu de magazine intitulé Death. Il pourrait y avoir au moins une rubrique sur le sujet. Un article du style : ‘Les cercueils faits maison : une alternative bon marché’, dans une de ces revues pour ménagères. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 43-44) ; « C’est vrai que tu es née le jour de la fête des morts ? » (Chloé à son amante Cécile, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 28) ; « Jason venait de faire son apparition. Il se tenait debout sur le rocher au-dessus d’eux, les mains sur les hanches, la jambe gauche s’avançant légèrement dans le vide. Il était doré comme un croissant. Ses boucles blondes flottaient dans la brise légère. Corinne, assise à ses pieds, l’observait, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle.’ » (Corinne décrivant Jason, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 83) ; « Oh ! Lumineuse après-midi, 1er novembre. » (cf. la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude) ; « Tu ne peux pas t’empêcher d’être attiré par les histoires morbides. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Quand on meurt, j’aimerais savoir ce qu’on ressent. On croit qu’on s’endort ? » (Jacques s’adressant à Enoch, dans le film « Friendly Persuasion », « La Loi du Seigneur » (1956) de William Wyler) ; « Je ne lis pas tellement les [auteurs] vivants. » (Arthur s’adressant à son amant Jacques, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Film "Avant que j'oublie" (2007) de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot

 

Il arrive que le personnage homosexuel remplace un grand frère ou une grande soeur, bref, un enfant mort… et pour le coup, se croit être un faux vivant. Par exemple, dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel est confondu par sa grand-mère Mamie Suzanne avec son grand-père, et d’abord pour un de ses frères morts : « Sur les trois frères, c’est pas toi qui es mort en 95 ? »
 

Le héros homosexuel exerce parfois le métier de croque-mort (ou fait comme si) : cf. les séries télévisées Six Feet Under et La Famille Addams, le film « Les Croque-morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le film « Cher disparu » (1965) de Tony Richardson (dans l’univers des pompes funèbres), etc. « Je sens la mort : je suis croque-mort. » (Elliot dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Fossoyeur, c’est un métier où on ne chôme pas ! » (Knocherl dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Yeux ouverts » (2000) d’Olivier Py, quand Olivier demande à Vincent pourquoi il prétend être « l’homme le plus triste du monde », ce dernier lui répond pour lui clouer le bec : « Je travaille aux pompes funèbres, j’aime baiser avec les monstres, et je suis impuissant. Ça te va ? » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le héros homosexuel est croque-mort, et travaille aux pompes funèbres « Aux Joyeux Défunts ». Il dit lui-même qu’il est obnubilé par la mort, et sa mère se désole qu’il soit « toujours abonné à ses morbideries ». Il possède chez lui toute la panoplie des objets dédiés à la mort : des squelettes, des mugs en forme de crâne, un ordi Apple avec une tête de mort à la place de la pomme, « plein de photos de crânes et de cercueils ».

 

La mort est bien un objet de désir chez le héros puisqu’il l’associe très souvent à son homosexualité : « Luca est condamné à mort à cause de son homosexualité. » (cf. la bande-annonce du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès). Il la vénère comme un dieu : « Where are you, God of the Death ? » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les seuls trucs qui t’excitent, ce sont tes crânes et tes cercueils. » (Garance s’adressant à Léo le héros homo, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; etc. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, Jerry et Joe, travestis en femmes, racontent qu’ils ont joué dans des orchestres pour les funérailles (« Nous jouions dans les enterrements. ») ce qui laisse leur chef Sweet Sue perplexe : « Ça ne vous ferait rien de rejoindre les vivants ? »

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

Film "Volver" de Pedro Almodovar

Film « Volver » de Pedro Almodovar


 

En outre, le personnage homosexuel affectionne les cimetières, comme c’est le cas dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Thriller » de Michael Jackson, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le roman Ciel liquides (1990) d’Anne F. Garréta, le film « Contact » (2002) de Kieran Galvin, le vidéo-clip de la chanson « Parler tout bas » d’Alizée, le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Cachorro » (2003) de Miguel Albaladejo, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « Alexandrie, pourquoi ? » (1978) de Youssef Chahine, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, la pièce Cosmétique de l’ennemi (2008) d’Amélie Nothomb, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec la scène du fou rire du couple lesbien dans le cimetière), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, etc.

 

Beaucoup d’histoire d’amour homosexuel ont lieu dans un cimetière, comme si ce dernier était l’endroit romantique par excellence : cf. le roman Dream Boy (1995) de Jim Grimsley, le vidéo-clip de la chanson « Regrets » (tourné en février 1991 dans un cimetière juif de Budapest) et de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (tourné au Cimetière du Nord à Maggelburg), le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Borstal Boy » (2000) de Peter Sheridan, le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty (où quatre jeunes femmes lesbiennes s’aiment dans un cimetière d’avions en Arizona, au cœur d’un monde à l’abandon), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec les deux amants Malik et Bilal dans un cimetière), le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Rosário et le travesti M to F Tonia dans le cimetière décoré de bougies), le roman Le Cimetière de Saint Eugène (2010) de Nadia Galy (avec les amants Slim et Mocka dans le cimetière), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les quatre nains dans le cimetière, lieu considéré comme un cadre idéal pour un pique-nique), la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo García (où des ébats masculins s’opèrent), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Les Passagers » (1999) de Jean-Claude Guiguet, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (Paul et Jean-Louis, les deux amants, se rencontrent dans un cimetière), etc.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel dit parfois son attachement pour les cimetières : « On ne se sent jamais plus vivant que dans un cimetière. » (Elliot, le héros de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Que c’est joli, un cimetière ! » (le Baron Lovejoy, homosexuel, idem) ; « Dès l’âge de 14 ans, je vivais aux côtés de mes amis du cimetière. » (le héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « Dans mon cimetière, je me suis habitué à percevoir les rumeurs du monde, les soubresauts des humains. » (Luca dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 166) ; « Il dit que c’est l’histoire d’un pays, d’un siècle qui se raconte dans les cimetières de France. » (Lucas citant son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 60) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Ton absence, c’est comme si je me trouvais en silence dans un cimetière un matin d’hiver. » (Stéphane s’adressant à son ex-compagnon Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Il paraissait étrange à Jane d’avoir un jour pu trouver le cimetière de Saint-Sébastien charmant. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 198) ; « Anna vient ici de temps en temps. Elle habite dans l’appartement d’en face depuis toujours. Le cimetière était son terrain de jeu. » (le Père Walter parlant d’Anna, idem, p. 204) ; etc.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan et Kévin se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe de Julien, l’homosexuel du lycée qui s’est suicidé : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (Bryan, p. 50) ; « Au cimetière, nous étions épaule contre épaule. Aujourd’hui, bras dessus, bras dessous. J’étais aux anges ! » (idem, p. 16) ; « En réalité, je déprimais complètement. On mit cela sur le compte de la mort de Julien. C’était en partie vrai, mais la vraie raison de ma déprime venait du fait que je pensais à celui qui n’était pas là, comme d’hab, et qui pleurait avec moi tout à l’heure, quand nos épaules s’étaient touchées. Les filles et ma mère avaient raison, je n’étais pas là, j’étais encore au cimetière. Pas avec Julien, j’y étais avec mon amoureux. » (idem, p. 52) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; etc.

 

Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, le cimetière occupe une place importante dans la formation du couple Miguel-Santiago : par exemple, les amants se donnent rendez-vous là-bas pour vivre leur amour secret (« Bonne nouvelle. Viens au cimetière à 16h. » écrit Miguel dans un de ses mots doux) ; et Santiago prend des photos de Miguel pendant que ce dernier célèbre les funérailles de son cousin Carlos (et il avoue l’avoir trouvé « très sexy » à ce moment-là : « Tu ressemblais à un vrai leader ! »)

 

Le cimetière apparaît comme une sorte de Jardin d’Éden inversé, de terre d’élection d’amants maudits : « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) Il se veut un retour à l’innocence de l’enfance. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, toute la bande de potes homos va se balader au Père Lachaise ; et Jean-Luc, le cousin homo, retourne avec les enfants au cimetière pour les y statufier par mimes « esthétisants ». Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur va se recueillir devant la tombe du romancier Bernard-Marie Koltès au cimetière du Père Lachaise. Dans le film « Miss » (2020) de Ruben Alves, Alex (le héros transgenre M to F qui candidate pour être Miss France) est orphelin et a perdu ses deux parents biologiques dans un accident de voiture. On le voit à la fin déposer des fleurs dans le cimetière.

 
 

c) Certains personnages homosexuels s’imaginent leur propre enterrement :

Vidéo-clip de la chanson "Fuck Them All" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer


 

Le héros homosexuel a tendance à se mettre dans la peau des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de ses fantasmes de mort et de ses sentiments égocentrés : cf. le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan ; etc. « J’ai un curieux défaut. Celui de souvent penser à ceux qui ne sont pas là, à l’instant. » (Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 44) ; « Encore une fois, penser à ceux qui ne sont pas là ! Toujours ce décalage, pourquoi ? Je me suis souvent posé cette question. Une seule réponse plausible : je me suis inquiéter pour ceux qui sont présents. Ça ne les rend pas invulnérables pour autant, mais c’est comme ça. Je n’ai peur que pour les absents ! Comment les protéger, les secourir ? » (idem, p. 242) ; « Toute cette mise en scène hospitalière a quelque chose de carcéral, de concentrationnaire, et lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184) ; « C’est troublant de penser qu’à un endroit – un même endroit – ont déambulé des gens qui ne sont plus. […] Désormais, des personnes que je ne connais pas vont habiter ce lieu, s’asseoir sur un nouveau siège de piano, s’allonger sur la même pelouse gelée en automne, dormir dans les mêmes chambres. C’est tout un sanctuaire qui s’échappe. Il ne me reste que quelques objets – et puis des souvenirs. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 55) ; etc.

 

Film "Odete" de João Rodrigues

Film « Odete » de João Pedro Rodrigues


 

L’esprit homo-bobo se plaît à se projeter précipitamment dans la mort, et à jouer la Vieille Maréchale de Strauss qui écrit ses mémoires (alors qu’il est pourtant en pleine force de l’âge !), juste pour le plaisir de s’imaginer mourant et de se faire plaindre, juste pour s’inventer un héroïsme esthétique qui le consolera de son inavouable ennui existentiel : « Tu dis : je suis l’homme sans ascendance, ni fraternité, ni descendance. Je suis cette chose posée au milieu du monde mais non reliée au monde. Je suis celui qui ne sait pas d’où il vient, qui n’a personne avec qui partager son histoire et qui ne laissera pas de traces. Ainsi, quand je serai mort, c’est davantage que le nom que je porte qui disparaîtra, c’est mon existence même qui sera niée, jetée aux oubliettes. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 101) ; « Je veux mourir mince, ne pas me nourrir avant de mourir. Je veux rester jeune. […] J’veux mourir blond, avec une tête de p’tit garçon. […] Des lunettes noires pour faire la star. […] À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Le rapport à la mort du personnage homosexuel est souvent de fascination identificatoire. « Ce visage avait été si beau. […] je pouvais lire la mort dans son regard passé du brun noisette au noir profond. » (Jean-Marc en évoquant Luc, son « ex » malade du Sida, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 37) ; « Rencontre/Maladie/Mort/Deuil. Les larmes m’envahissent, les couleurs se brouillent devant mes yeux, je gémis et me tords de douleur, je pleure comme un enfant de cinq ans. Je ne peux plus m’arrêter, je pleure toutes les larmes que j’ai gardées en moi depuis plusieurs semaines ou mois ou années, et entre deux respirations, je geins lamentablement. » (Mike, le narrateur homosexuel face aux photos de Nan Goldin, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 90) ; « Quand quelqu’un se noyait à Fortaleza, je pensais que ça aurait pu être moi… » (Donato, le héros homosexuel, secouriste en mer, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Daniel dit qu’il cherche derrière chaque visage le reflet de la mort.

 

Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Lucas, le personnage homosexuel, reconnaît la mort comme son propre reflet spéculaire. « Il me semble que ce corps qu’on repose à intervalles réguliers à des étudiants en médecine indifférents est le mien. » (p. 63) ; « J’ai cette image saugrenue dont je ne parviens pas à me débarrasser, celle du président Kennedy, à Dallas, le 22 novembre 1963, à l’arrière de sa Lincoln décapotable. […] Je vois l’affolement et je songe que c’est cela qu’il pourrait nous être donné de connaître. J’ai beau me dire que c’est absurde, malsain sans doute, je n’arrive pas à m’éloigner de cette vision. » (idem, p. 56) Son désespoir résigné face à la mort serait « vrai » parce qu’intégral. Il n’a pas digéré le part d’inéluctabilité de la mort, alors qu’il pense pourtant en avoir pris conscience de manière absolue, visionnaire, minoritaire, … homosexuelle ! « Il n’y aura pas d’autre issue que la mort. […] Ils auront beau affirmer que les chances de survivre l’emportent sur celles de succomber, ils auront beau avoir, au moins au début, la raison et les probabilités de leur côté, ils n’empêcheront pas la mort de se produire. Nous savons qu’ils ne savent pas, nous avons cette intuition fabuleuse, un désespoir intégral, très pur. C’est impossible, sans doute, à expliquer. Nous ne parviendrons pas à leur faire admettre notre certitude. Ils s’essaieront, mais sans y parvenir, à nous raisonner. » (Lucas en parlant des médecins, idem, pp. 46-47)

 

Cette fixation identitaire homosexuelle sur la mort a tout l’air d’être le fruit d’une relation incestueuse maternelle. Par exemple, dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mère d’Adrien, le héros homosexuel qui s’est suicidé, voit par une hallucination son fils mort dans sa baignoire. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille, une mère un peu folle qui a du mal à accepter la mort de son fils Matthieu, transpose complètement la vie de son fils (certainement homo) sur celle de son meilleur ami et meurtrier Franck.

 

C’est le fait de ne pas avoir été suffisamment désiré et aimé qui fait que le personnage homosexuel ou transsexuel s’identifie à la mort. « Je regrette de l’avoir fait. » (le père d’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, femme qui a perdu sa mère à 5 ans, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani)
 

Quelquefois, dans les fictions abordant la thématique de l’homosexualité, la mort est présentée comme une jumelle/un jumeau : « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 175) ; « Avant la fin de la semaine, je me serai débarrassé de mon frère… Je pense que je vais sans doute le tuer à Paris. » (Jack en parlant de son double mythique Constant, lors du dénouement de la pièce The Importance To Being Earnest, L’importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, Paul, le héros homosexuel, est le double de Louis, son frère mort.

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent que le héros homosexuel s’imagine son propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur lui-même : cf. le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (dans lequel un homme allongé dans un tombeau, veillé par des pleureuses, ouvre soudain les yeux), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec la scène du double enterrement), le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, la chanson « Camomille » de Stefan Corbin (dans laquelle le narrateur se raconte comme un homme pleurant sous son parapluie un jour d’enterrement), la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), etc. Par exemple, Dans le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet, Thomas, le héros homosexuel, en visitant le Père Lachaise, exprime le souhait de se faire incinéré. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste, lors de l’enterrement de Rettore, l’un des héros homos, à deux enterrements dessinés par deux groupes opposés, celui des potes homos junkies comme lui, celui de la famille bourgeoise endeuillée.

 

« Il dit qu’il veut des fleurs, des couronnes, ce décorum un peu vulgaire, un deuil éclatant, celui qu’on montre, qu’on expose. […] Il dit qu’il faudra des larmes, des évanouissements peut-être, des manifestations spectaculaires, que la souffrance s’exprime plutôt que d’être comprimée, contenue. » (Lucas parlant de son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 61) ; « Il y aura un monde fou à mon enterrement ! Je vais téléphoner aux agences de presse. » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Beaucoup de monde était présent le jour de mon enterrement. » (Bryan, en cadavre parlant, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 452) ; « Je fais le mort si je veux. Je ressuscite si je veux ! » (la productrice dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « C’est à croire que je suis au tombeau. » (Rosa dans le spectacle musical Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi) ; « Même ma mort, même la mise en scène de ma mort, j’ai dû la faire toute seule. » (Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Je creusais une tombe, dans les rêves cela arrive. Mais c’était la réalité. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 155) ; « Dans mon lit, là, de granit, je décompose ma vie. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Les enterrements, c’est pas mal. » (Justin dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; « C’est beau de sublimer, mais je commence à être pas mal vieux pour rêver que Jean Besré se meurt d’amour pour moi ou que Guy Provost m’enterre sous des tonnes de fleurs coupées parmi les plus rares et les plus odorantes. Ce petit théâtre ne suffit pas à remplir ma vie ni à combler mon besoin d’amour. » (le narrateur parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « C’est ça que je veux pour ma mort : qu’on promène mon corps sur un brancard, à la lueur des bougies. » (Jérémie, homo et malade du Sida, exprimant ces dernières volontés, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; etc.

 

Dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, Elliot voit son nom inscrit sur sa propre tombe, au moment où il se ballade dans un cimetière. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette, l’héroïne lesbienne, se voit morte dans sa tombe. Dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril veut « passer sa vie à inventer sa mort » (p. 106). Dans la chanson « La Chanson de Jérémy » de Bruno Bisaro, Jérémy voit son propre enterrement. Dans le clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, Mylène pousse un landau dans un cimetière et s’arrête devant une stèle gravée à son nom. Dans le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Laurent s’identifie à son cousin Marc qui était gay, comme lui, et qui est mort. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Louis s’imagine et prépare son enterrement : « Depuis que je suis né, [j’ai] plutôt l’impression de préparer ma mort. »

 
 

d) « Je suis mort » :

Film "Nés en 68" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Nés en 68 » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Dans le même ordre d’idée, certains personnages homosexuels disent de leur vivant qu’ils sont morts : « On s’accroche et on fait c’qu’on peut pour pas être mort un jour sur deux. » (le héros du film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa) ; « J’ai rêvé que j’étais mort ! » (l’amant du narrateur de la nouvelle « Un Jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 45) ; « Laissez-moi m’allonger et fermer les yeux pour toujours. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je suis morte. Je suis bien. » (Anne Cadilhac se décrivant dans son cercueil, bouffée par les vers, lors de son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Ça fait longtemps que je suis mort ? Peut-être trop longtemps. » (Jack, en cadavre parlant, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je suis déjà mort, il ne reste plus qu’à me décider, qu’à officialiser. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 313) ; « Je voudrais être morte, comme ma mère ! » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 266) ; « Il est mort. Il est mort et moi, je ne suis déjà plus vivant. » (Vincent en parlant de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 185) ; « Je suis mort. » (le professeur Foufoune dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Mais je suis si peu mort ! Je suis à peine mort ! » (le Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Je suis morte. » (la figure d’Evita dans la pièceEva Perón (1969) de Copi) ; « Je suis en train de crever ! Je meurs ! Je meurs ! » (Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Mon Dieu, je suis morte ! » (China, idem) ; « Je suis frappé par plusieurs coïncidences : je m’imagine être mort hier à midi. Au moment où j’ai téléphoné à Marielle de la cabine publique j’étais déjà mort, en attendant le jugement dernier j’ai tué trois fois. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 126) ; « Dites-lui que je suis déjà mort ! » (Cyrille, le héros homosexuel parlant d’Hubert à l’Infirmière, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je devais être mort ? » (idem) ; « Je suis mort. » (Arnaud dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Peut-être je suis mort moi aussi, je dis. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 16) ; « Putain, je suis mort. » (un personnage du film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « Serais-je en enfer, se demanda-t-il. À bien y penser il était bien possible qu’il fût mort depuis plusieurs jours. » (le narrateur du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 174) ; « Ça fait vingt ans que je suis mort. » (Hervé dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Nous sommes morts. » (les héros homosexuels du film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester) ; « Moi j’suis déjà mort. » (Willie, le héros homosexuel malade du Sida, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 186) ; « Le défunt, c’est moi. » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Moi, je suis mort. » (Enrique dans le film « La Mala Educación », « La mauvaise éducation » (2003), de Pedro Almodóvar) ; « Fais comme si j’étais mort. » (cf. la chanson « Un Merveilleux Été » d’Étienne Daho) ; « J’suis déjà mort, moi, en fait. » (le héros de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « Thomas, tu n’es pas mort. Tu es juste une absence, comme un voyage. » (la mère de Thomas, le héros homosexuel, dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard) ; « Quand on a cru mourir et qu’on vit, on est obéissant, docteur. » (Catherine dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960), de Joseph Mankiewicz) ; « Elle était comme morte, et moi comme si j’allais mourir. […] Nous nous étions endormies. » (la Religieuse dans le roman La Religieuse (1760) de Denis Diderot) ; « Mort, pensa Fabien. Je suis mort. C’est moins difficile qu’on ne croit. Et il ne se passe rien…» (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 314) ; « Décédée depuis longtemps de l’intérieur, desséchée de l’extérieur. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 132) ; « Mes camarades morts sont moins morts que moi. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 29) ; « Dis-leur que je suis mort. » (Roy Cohn dans la pièce Angels In America(1991) de Tony Kushner) ; « Il faut un mot nouveau pour décrire à quel point je suis mort. » (Danny, l’un des héros homos du film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Je suis mort de chez mort. » (Chris après le baiser donné à son amant Danny, idem) ; « Je vous demande la mort comme un dû. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Je me tue à faire le mort. » (cf. la chanson « Fragile » de Christophe Willem) ; « Il faut être naturellement somnolent. On se met au lit. Et on fait le mort. » (Palomino, parlant du comportement homosexuel qu’il va imposer à son amant Sergueï Eisenstein, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, la mort est présentée comme irréelle, comme un rêve éveillé : on comprend qu’il s’agit davantage de la mort psychique du zombie sans désir que de la mort véritable ; Paul, souvent allongé, est un homme qui « fait le mort ». Dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, les personnages disent tous qu’ils sont morts : ils parlent comme les cadavres vivants d’un panthéon en déclin. Dans le film « Cléopâtre » (1963) de Joseph Mankiewicz, Marc-Antoine affirme qu’il est mort. Dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, Nietzsche parle de lui-même à la troisième personne du singulier en annonçant qu’il est mort. Dans la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette, Isabelle dit qu’elle meurt debout. Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte, qui vit pourtant hors de sa sphère de conscience, joue à être un fœtus qui n’est pas encore sorti du ventre de sa mère, et parle de lui à la troisième personne : « Je vais raconter la fin de sa vie et sa mort. »

 

Souvent dans les fictions homosexuelles, la mort est simulée : on peut penser par exemple à la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec la fausse mort du Coryphée, qui fait semblant de s’écrouler sur scène).

 

En plus d’être une réplique de cour de récré (prononcée pourtant par un adulte), ce « Je suis mort » est l’expression d’un désir de mourir tout en niant la mort, bref, l’expression d’une schizophrénie : littéralement, le héros homosexuel s’absente sur place : « Je suis mort. […] Je m’absente… un peu comme si je n’étais plus là. » (Éric dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel)

 

Le coming out de sa propre mort est aussi plus concrètement l’énonciation de sa soumission amoureuse, du renoncement à sa liberté : « Je ne sais plus ce que je dis. Je suis malade, fatigué… Tu as gagné. Tu m’as conquis. » (le secrétaire de presse à Bulldog, son amant, dans le film « Bulldog In The Whitehouse », « Bulldog à la Maison Blanche » (2008), de Todd Verow) Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, par exemple, la voyante prédit à Hervé qu’au moment de se mettre en couple homosexuel, il vivra une « mort immatérielle » : une baisse du désir, en d’autres termes. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, cherchant à découvrir quel est le personnage qui est marqué sur son post-it, demande à son amant Thomas : « Est-ce que je suis mort ? »

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Comme il se prend pour sa propre mort pour s’en protéger, le héros homosexuel a tendance à nier la réalité de la mort. « J’aime pas penser à la mort. » (Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « La mort ne me semble rien et ne me concerne pas. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. En général, il la fige en icône magnifique ou au contraire en estampe camp néo-gothique (qu’on appelle facilement « humour noir »). Par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) est la seule de toutes ses pièces de Copi où un personnage meurt pour de bon.

 

C’est la raison pour laquelle la mort réelle est presque systématiquement amalgamée au monde de l’image : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du Camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) Par exemple, dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk regarde la mort dans un opéra. Dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, Angela se passionne pour la mort mi-cinématographique, mi-réelle, à travers l’étude des snuff movies.

 

La cristallisation artistique de la mort par l’esthétique a pour nom « Kitsch », et c’est une technique largement portée par les artistes homosexuels. L’excellente définition du kitsch selon Milan Kundera dans le roman L’Insoutenable légèreté de l’être (1984) (« Le kitsch est un paravent qui dissimule la mort. », pp. 357-367) trouve dans certaines scènes cinématographiques ou théâtrales des fictions homosexuelles une parfaite illustration. Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le kitsch est représenté à la lettre par la scène finale : Élisabeth qui s’est tirée dessus après avoir empoisonné mortellement son frère, s’écroule, faisant tomber le paravent qui dissimule la mort de Paul. Par ailleurs, il est question du « paravent de la mort » dans la pièce La Sonate des Spectres (1907) d’August Strindberg. Et on retrouve cette idée du kitsch comme paravent de mort dans différents ouvrages homosexuels : « Ce sont des gens à l’esprit pratique qui n’ont simplement pas envie de voir la mort en face ou plutôt à côté car une cloison nous en séparait. » (François dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 125) ; « […] la lampe brillant derrière un paravent qui dissimulait à moitié le lit du jeune homme » (Fabien presque mort, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 303) ; « La galerie comportait les paravents d’un jardin d’hiver qui n’avait jamais vu le jour. Paul les traîna, les déplia et s’en fit des remparts, une sorte de ville chinoise. » (la voix de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville)

 

La tragicomédie kitsch et camp, au-delà de son aspect risible, est un instrument très employé par le dramaturge argentin Copi pour faire de la mort une mise en scène de cour de récré, une irréalité : « Zut ! J’avais oublié que vous étiez mort ! » (l’Infirmière à Cyrille et à Regina Morti, dans la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Tu vois, Lou, il y a pas de mort ! » (Ahmed en voyant Pédé ressusciter, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, 1986) ; « Oh, j’avais oublié qu’elle était morte ! » (Daphnée en parlant de son bébé qu’elle a assassinée, dans la pièce La Tour de la Défense, 1974) Dans les pièces de Copi, revient souvent le motif de la mort à répétition. « Je suis la septième à se suicider ce soir ? […] Quelle concurrence dans le métier ! Goliatha, venez dire adieu à la petite patronne ! Je rentre dans le frigo ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo, 1983) Par exemple, dans La Nuit de Madame Lucienne (1985), tous les personnages s’entretuent et mettent en scène des meurtres (la femme de ménage est assassinée en mille et un chapitres) ; dans L’Ombre de Venceslao (1978), Venceslao le gaucho se suicide, Rogelio est empoisonné, sa jeune femme meurt sous les balles des militaires ; dans Une Visite inopportune, Cyrille ne meurt pas vraiment, ni même Regina Morti ; dans Les Quatre Jumelles (1973), les protagonistes passent leur temps à « mourir pour de faux » et de manière ultra ludique et violente à la fois : « Tais-toi ! Tu es morte ! » (Joséphine à sa sœur Fougère qui l’appelle, dans la pièce Les Quatre Jumelles) ; « Je vais te tuer, Leïla. Comment veux-tu mourir ? » (Maria, idem) Mais concrètement, la mort ou le départ sont des réalités très peu affrontées par l’auteur. La preuve en est que pour lui, même les objets peuvent mourir : « Il est mort l’ascenseur. » (cf. une réplique de la femme de chambre dans la pièce Le Frigo) La mort ou le viol sont éminemment liées chez Copi à la mort iconographique, au viol cinématographique : ce ne sont pas des hommes qui meurent, ce sont des poupées ou des acteurs : « C’est Rooney […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 104) ; « Ensuite il est entré une petite fille de six ans environ avec mon chien empaillé dans les bras et elle me l’a donné. […] Je suis sorti dans la rue comme tous les jours. Ça n’a pas tellement changé par rapport à avant la catastrophe, exceptant le fait que tous les gens sont morts et empaillés. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972), pp. 31-32) ; « Est-ce que la vraie mort qui vous guette a quelque chose à envier à la mort drapée en noir d’une scène de théâtre ? » (le Professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune) ; « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort ! » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne) La mort est à ce point niée par Copi que ses héroïnes féminines ne savent en général pas s’en aller, quitter la scène, affronter leur finitude : « Elle [Daphnée] est toujours en train de partir et elle ne part jamais. » (Jean dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) Et les personnages des ouvrages de Copi transcendent la mort sans l’expérimenter : « On se fout de la mort ! Ha ha ! Car nous aurons vécu la mort ! » (Cachafaz à son amant Raulito dans la pièce Cachafaz, 1993) ; « La mort, nous, nous la conjurons ! » (Raulito, idem) Dans l’article « Jorge Lavelli : Copi n’est pas une dérision » d’Hugues Le Tanneur, publié dans le journal Aden le 1er octobre 2001, Lavelli explique à juste titre que, par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) « est la seule pièce de Copi où un personnage meurt pour de bon. Venceslao se pend après s’être confessé au perroquet de sa maîtresse. Mais il revient sous la forme d’une ombre. » Dans l’article « Copi, le non-conforme » de Gilles Costaz, sur le journal Le Matin de Paris du 11 octobre 1983, Copi lui-même confirme cette idée de déni de la mort par la surexploitation de la mort fictionnelle : « Dans Le Frigo, c’est une des très rares fois où je ne tue pas mon personnage. Généralement, quand j’en crée un, je m’attends à lui asséner une mort violente. Là, ma transsexuelle ne meurt pas. C’est sans doute que je l’aime. » Alors qu’en soi la mort marque un achèvement non-définitif mais brutal et sans retour, Copi la conçoit comme un processus inachevé, une transition, un sommeil, un jeu, une schizophrénie : « Il se passe des choses très bizarres avec mes morts. Je n’arrive pas à les enterrer. C’est-à-dire, ils n’arrivent pas à mourir complètement. » (Jeanne au Marchand de melons, dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Dors, dors, mon mort… dors, dors, oh, mi amor… » (cf. le chant de Louise au Vrai Facteur, idem) ; « Je ne suis pas sûr qu’elle [Louise] ne soit pas morte ! Elle est très roublarde. Parlons bas ! Elle a quatre oreilles ! » (Jeanne au Marchand qui lui propose d’enterrer son amie Louise, idem) ; « Ne m’appelez pas madame. Appelez-moi mademoiselle, ou bien veuve. […] Je préfère que vous m’appeliez veuve. Bien que je ne le sois pas vraiment, mon mari n’étant pas mon mari et n’étant d’ailleurs pas vraiment mort, à vrai dire. » (Jeanne au Marchand de melons, idem) ; « J’ai encore tué. » (le narrateur homosexuel à son éditeur, dans le roman Le Bal des Folles, p. 121) ; « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (idem, p. 134)

 

En règle générale, les œuvres de fiction traitant d’homosexualité retranscrivent clairement le rapport idolâtre d’attraction-répulsion que le héros homosexuel entretient avec la mort : ce dernier est d’autant plus attiré par elle qu’il la craint : « Félicité imaginait son fils grelottant au petit jour devant un cadavre de la veille. Lui qui avait si peur de la mort, il devait faire une étrange tête. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 45) ; « Un enchantement amer l’enchaînait à ce cadavre. » (idem, p. 48) ; « Je dois quitter Paris au plus vite ! À n’importe quel prix. […] Pour la première fois de ma vie, je sens la mort qui plane sur moi. Il faut fuir, et vite. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 20-21) ; « Max perdait les pédales, ce qui ne m’a pas étonné, il a toujours été hyperprotégé par ses parents. Ils n’avaient pas dû lui apprendre que la mort existait. » (François à propos de son « chéri », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 118) ; etc. Par exemple, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Dzav est nécrophobe.

 

La mort est d’habitude tellement crainte du héros homosexuel qu’elle est même vue par lui comme l’origine de la vie et de l’amour : « Soudain, nous nous souvenons que ce qui nous rapproche, ce qui nous attache l’un à l’autre, c’est ce mort entre nous. Nous sentons la présence de ce disparu entre nous. Nous sommes à nouveau ensemble, elle et moi. » (Vincent parlant de la mère d’Arthur, son amant, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 206) ; « Si dans les mains du Seigneur qui t’éduqua de la sorte bonheur rime avec malheur et les mots ‘vivante’ et ‘morte’ frappent toujours à la même porte, c’est au-delà de notre faute. » (Ahmed à Lou, sa femme morte, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « L’amour, la mort peut-être. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « l’amour’ et ‘la mort !’ ça se prononce presque pareil ! » (Kévin à Bryan dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 114) Dans beaucoup d’ouvrages homo-érotiques, l’amour homosexuel débute précisément par une mort qui ne lui semble pourtant pas directement liée : cf. la mort du Rav dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, la mort du bébé à la frontière israëlo-palestinienne dans le film « The Bubble » (2003) d’Eytan Fox, la mort de Carlos le cousin de Miguel dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, etc.

 
 

f) Le personnage homosexuel se suicide ou est dégoûté de la vie :

Téléfilm "Prayers For Bobby" de Russell Mulcahy

Téléfilm « Prayers For Bobby » de Russell Mulcahy


 

Étant donné que la mort est à la fois sublimée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes du personnage homosexuel, ce dernier en arrive très souvent à se la donner concrètement. On retrouve le thème du suicide en lien avec l’homosexualité extrêmement souvent dans les œuvres de fiction : cf. le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, le film « Ode To Billy Joe » (1976) de Max Baer, le film « Charlotte dite Charlie » (1995) de Caroline Huppert, le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Roberto), la pièce Sortilegio (1942) de Gregorio Martínez Sierra (avec le personnage d’Augusto), la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora , la pièce Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec le personnage de Daphnée qui tente de se suicider, et qui se rate), le film « La Fille aux jacinthes » (1955) d’Hasse Ekman, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Quartet » (1948) d’Harold French, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Amour à trois » (1969) de Sergio Capogna, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy (Alexandre se jette du haut d’un train qui passe sur un aqueduc), le film « La Cage aux Folles » (1978) d’Édouard Molinaro, (avec Zaza et ses multiples chantages au suicide), le film « Alors, heureux ? » (1979) de Claude Barrois, Pierre Jolivet, et Marc Jolivet, le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska (avec le suicide de Gayo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger, le film « Sergent » (1967) de John Flynn, le film « Play It As It Lays » (1972) de Frank Perry, le film « Mamá Es Boba » (1997) de Santiago Lorenzo (avec le suicide du journaliste homo), le film « Luc ou la part des choses » (1982) de Michel Audy, le film « La Rage au cœur » (2000) de Léa Pool, le film « Amor Maldito » (1986) d’Adelia Sampaio, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Bueberry Hill » (1989) de Robbe De Hert, le film « Total Loss » (2000) de Dana Nechushtan, le film « Quartiere » (1987) de Silvano Agosti, le film « Les Uns et les Autres » (1980) de Claude Lelouch, le film « Tir à vue » (1984) de Marc Angelo, le film « La Truite » (1982) de Joseph Losey, le film « Cahier volé » (1991) de Christine Lipinska, le film « Le Cahier volé » de Régine Desforges, le film « Le Goût de la cerise » (1997) d’Abbas Kiarostami, la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes (avec Frank, l’homosexuel suicidaire), le film « Bumblefuck, USA » (2011) d’Aaron Douglas Johnston, le film « Un Fils » (2011) d’André Gaumond, le film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011) de Jan Komasa, le film « Afternoon » (2008) de Ruaairo McKenna, le film « Duel » (2010) d’Edgar D’Alberto Rezende, le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann (avec le suicide d’un des deux personnages homos, Rovo), le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung (avec le suicide de Kisuki après qu’il ait découvert son impuissance sexuelle), le film « 3000 euro » (2009) de François Zabaleta (sur la tentation suicidaire et le suicide assisté), le téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy (Bobby tente de se suicider en ingérant des médicaments, puis ensuite en se jetant du haut d’un pont), le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta (avec le suicide de François), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le suicide au cyanure), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le suicide d’Horacio Silberman, le directeur du Musée des Beaux-Arts de Buenos Aires), le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (avec le suicide de Wang Ping dans la forêt), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec le suicide de Martha, la lesbienne), le one-woman-show Mado fait son show (2010) de Noëlle Perna/Mado la Niçoise (avec la 28e tentative de suicide raté du gay dépressif), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec le suicide de Frédérique, l’héroïne lesbienne), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec le suicide par pendaison de Maurice), la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi (avec le personnage de Lou, suicidaire), le film « Absences répétées » (1972) de Guy Gilles, le film « Alger la Blanche » (1985) de Cyril Collard, le film « The Saddest Boy In The World » (2006) de Jamie Travis, le film « Charlotte dite Charlie » (2003) de Caroline Huppert, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec le suicide de Jack), la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec le personnage lesbien d’Élodie), le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries (basé sur des faits réels, et racontant la vague de suicides commanditée par un cercle de jeunes étudiants homosexuels britanniques), le film « Attitudes » (2005) de Xavier Dolan (Jules, le héros homo, veut « en finir »), le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec le suicide du guerrier anglais), le film « Joe + Belle » (2011) de Veronica Kedar (Belle est suicidaire et sort d’un établissement psychiatrique), le film « Mia » (2011) de Javier Van de Couter (avec Mia, une jeune femme qui vient de se suicider), le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie (avec Armand, le héros homosexuel, qui essaie de se tailler les veines avec une scie), le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (qui tourne au drame quand le père finit par se suicider pour de vrai à la fin), le film « Starcrossed » (2005) de James Burkhammer (avec Darren et son frère Connor, amants secrets, qui finissent par se suicider dans une piscine, avec des menottes), le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim (avec Lars, le héros homosexuel suicidaire), la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Claudia, la servante, fait croire qu’elle va se suicider à l’arme à feu. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, veut se jeter par la fenêtre. Dans la pièce Le Clan des Joyeux Désespérés (2011) de Karine de Mo, au moment où Lili rentre dans l’appartement de Mona où celle-ci tente de se suicider au gaz et qu’elle repose inanimée, elle lit le pendentif de Mona à l’envers (« Anom » = à n’homme)… et est tentée de lui faire un bouche-à-bouche lesbien, avant de se rétracter par acquis de conscience. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le personnage bisexuel, avoue avoir songé au suicide dans ses années lycée. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit au médecin militaire qu’il a fait une tentative de suicide « parce que l’Autre a essayé de me noyer » : il parle en réalité de son frère, et essaie d’être réformé de l’armée. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent dit qu’il veut mourir. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Helena est attirée par la « jeunesse » de Sigrid, et cette dernière, en bonne profiteuse, la pousse au suicide. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’un des héros homos, décrit la vie comme « un gouffre ». Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le jeune héros homosexuel de 19 ans, a fait une T.S. (tentative de suicide) à 18 ans. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est fait sauter la cervelle à l’arme à feu un an après. Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le chroniqueur radio homosexuel licencié, est tenté d’en finir avec la vie en se tirant une balle au revolver, quand il est interrompu par l’arrivée impromptue de sa voisine de pallier, Antonietta. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, le jeune Louis, homosexuel, fait une tentative de suicide en se jetant du haut d’un immeuble désaffecté. Dans le téléfilm Fiertés (épisode 1) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, 17 ans, homo, est sur le point de se trancher la gorge avec une lame de rasoir. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Noé, le héros homosexuel, se suicide en se jetant dans un puits. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques, le héros homo atteint du Sida, planifie à la fin du film son suicide : « Je me sens plein d’une tristesse suicidaire. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John le héros homosexuel se suicide par overdose. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Rémi se suicide parce que son amant Léo a repoussé ses avances et n’a pas assumé leur « amour » d’adolescence.

 

Dans les créations de Tennessee Williams, Copi, Shakespeare, Thomas Mann, Julien Green, Bernard-Marie Koltès, etc., les personnages finissent souvent par se donner la mort. On retrouve la figure de l’homosexuel suicidaire dans le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le roman Le Malfaiteur (1955) de Julien Green, les romans Confidence africaine (1931) et Un Taciturne (1932) de Roger Martin du Gard, le roman Macaron Citron (2001) de Claire Mazard, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, le film « La Captive » (2000) de Chantal Akerman, le film « La Conséquence » (1977) de Wolfgang Petersen, la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer (« Un long suicide acide, je t’aime Mélancolie. »), etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

La question du suicide revient comme une marotte dans la bouche des personnages homosexuels : « On a pensé se suicider… mais comme on n’avait qu’une corde pour deux… » (Stef et Nono, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Nono a le suicide maladroit. » (Stef en parlant de Nono, idem) ; « J’pense qu’au suicide. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je songe au suicide. » (un escargot de la B.D. La Femme assise (2002) de Copi, p. 67) ; « J’ai suicidé la réalité, j’ai fait une apnée de moi même. » (l’Actrice de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dès que le rideau tombe, dès que la vie reprend, j’ai peur. » (idem, p. 32) ; « C’est agressif la vie. C’est agressif la vérité. » (idem, p. 33) ; « Je suis certain d’être bon pour la guillotine, rien qu’à y penser mes cheveux se dressent sur ma tête. Quand je songe au procès qui m’attend je suis encore plus effrayé. Tant pis, je me suiciderai quand cette vie me deviendra trop dure. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 125) ; « J’ai tellement envie de mourir… » (Petra dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « La vie m’est fade. » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 69) ; « Je suis un grand suicidaire. » (Eugène, le héros homo du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Je le saurais si j’étais suicidaire… » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Après deux matins, à l’aube, Claude [l’héroïne lesbienne] se suicide. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 122) ; « Je voudrai ramper sous une pierre et dormir pour toujours. » (Bobby, le héros homo du téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy) ; « J’ai failli me foutre en l’air. » (Morgane, héros transsexuel M to F, dans l’épisode 405 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 21 février 2019) ; « Décroche pas non plus, c’est pas la peine. J’suis complètement suicidaire. J’suis au-dessous de tout avec toi. Je me sens prisonnier, en apnée, au bord d’un gouffre. » (Adrien parlant au répondeur d’Eva, sa meilleure amie qu’il a éloignée volontairement d’Alexandre, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « Rien d’extraordinaire : Fripounet voulait encore s’ouvrir les veines. » (Eva parlant d’un de ses amis gays après une discussion téléphonique, didem) ; etc.

 

Le suicide du héros homosexuel ou transgenre peut être symbolique, à travers la négation de soi-même : « Miri n’existe plus !!! » (Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi) ; « Je me sens si mal. J’en ai assez de vivre et j’ai peur de mourir. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant à son ami Donald, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je pourrais me tuer. » (Alan, homosexuel, déprimé au téléphone, idem) ; « Harold fait une collection de barbituriques qu’il prépare pour anticiper le long hiver qu’est la mort. […] La mort, ce n’est pas comme au théâtre. Tu n’auras pas le courage de le faire. Tous les homos ne se flinguent pas à la fin de l’histoire. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant plus ou moins directement à Harold son colocataire gay, idem) ; etc.

 

En général, c’est la star qui, par sa beauté fatale, sert de prétexte esthétique et d’alibi au suicide : cf. le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot (avec Nadège, la femme magnifique qui se suicide), la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le suicide de l’actrice Vicky), la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse (avec la mariée qui se défenestre du haut d’un immeuble, et qui atterrit sur une Volvo verte), etc. « Je suis mort. Yolanda m’a suicidé. » (cf. le message que Yolanda écrit sur un journal de bord, dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar) ; « Ça a de la gueule, quand même. Mourir sur scène, sous les projecteurs. » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) La femme suicidée auquel le héros homosexuel s’identifie ressemble à « la fille d’à côté », à une moitié de cerveau d’une conscience en proie à une schizophrénie auto-destructrice, à la jumelle narcissique androgynique : « Elle s’est pendue vers six heures du matin, j’étais tout seul, j’écrivais et pourtant je n’ai pas entendu le moindre bruit. […] Pourtant la fenêtre de sa salle de bains donne sur la mienne. Et les deux étaient ouvertes. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 50) ; « Yo quiero morir. » (Max, le héros homosexuel travesti en Shakira, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Je suis sur le point d’entrer dans mon frigo ! Je suis déçu de la vie et de ses apparences ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Mon voisin sur un coup de tête s’est jeté aux oubliettes. » (cf. la chanson « Mon Voisin » du Beau Claude) ; etc.

 

Le suicide est appréhendé comme un chemin de sanctification, une voie d’accès à l’éternité cinématographique : cf. le roman Une Chute infinie (2009) de Mohamed Leftah, la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin se suicide pour être immortel : « J’aurais dix-huit ans à jamais. » (p. 461)

 

En réalité, le suicide du héros homosexuel, même si ce n’est pas dit explicitement, vient principalement d’un orgueil personnel démesuré (cf. le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le film « Traitement de choc » (1972) d’Alain Jessua – racontant l’histoire d’un quinquagénaire homo qui met fin à ses jours parce qu’il refuse de vieillir, etc.), ou de drames surgissant dans sa vie amoureuse intime, plutôt que de la soi-disant non-acceptation sociale de son homosexualité. Par exemple, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, Paul prend en cachette des photos de son amant Jack pour faire des articles à sensation sur son compte ; quand ce dernier le découvre, il se suicide devant lui pour assouvir sa vengeance et prouver sa blessure d’amour. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold pousse son jeune amant Franz au suicide (il avale du cyanure). Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, la jeune collégienne Juliette tente de se suicider parce qu’elle est tombée excessivement amoureuse de sa prof de français. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin essaie de se pendre à cause de l’infidélité de son amant Bryan. Toujours dans ce roman, on découvre que Bryan, le héros gay, est aussi (voire plus !) responsable de l’abandon puis du suicide subséquent de son camarade de classe efféminé Julien, que ses camarades « hétéros » : « C’était mon frère de cœur. Nous avions la même faiblesse – si c’en est une – mais je ne me reconnaissais pas en lui. Je l’avais toujours ignoré. Finalement, j’étais peut-être pire que ceux qui se moquaient de lui. » (p. 49) ; « Personne n’était là quand Julien en avait besoin, quand il était bien vivant, quand il désespérait. Personne pour l’écouter, pour le comprendre et lui tendre la main… alors, il est parti. » (idem, p. 51) Dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, un steward suicidaire veut se jeter du haut d’un immeuble parce qu’il y ait poussé par une « Méchante Pédale ». Dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Mark se sent coupable du suicide de son ami Lester (qui s’est taillé les veines dans sa baignoire). Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George cherche constamment à se suicider parce qu’il ne se remet pas de la mort accidentelle de son compagnon. Dans La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Aschenbach finit par mourir en contemplant l’objet de ses désirs : « Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et charmant lui souriait là-bas, lui faisait signe ; que, détachant la main de sa hanche, il la tendait vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans l’immensité pleine de promesses. Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on accourût au secours du poète dont le corps s’était affaissé sur le bord de la chaise. On le monta dans sa chambre. Et le jour même la nouvelle de sa mort se répandit par le monde où elle fut accueillie avec une déférente émotion. » (p. 107) Tous ces exemples illustrent que la réalité et les causes réelles du suicide du héros homosexuel sont bien plus internes qu’externes au désir homosexuel.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles :

le réalisateur Eisenstein

le réalisateur Eisenstein


 

La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles. Déjà toutes petites, certaines parmi elles avouent avoir été obnubilées par elle. Leurs maîtres d’école déploraient leurs « goûts morbides » (Patrick White cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Elles ont parfois eu conscience de la mort et de la futilité de la vie très jeunes (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton). Par exemple, Federico García Lorca se rappelle de l’enterrement du compadre Pastor dans les moindres détails, alors qu’il n’avait pourtant que 3 ans (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 58). De son côté, Jean Cocteau a connu la mort de très près : dans sa jeunesse, il doit porter le suicide de son père. Malcolm Lowry consacre l’un de ses romans au Jour des Morts au Mexique (cf. le documentaire « Le Volcan » (1976) de Donald Brittain). À 14 ans, Paul Verlaine adresse à Victor Hugo un de ses premiers poèmes, intitulé « La Mort » ; d’ailleurs, ses élégies (« Melancholia », « Resignation », etc.) occupent une place non-négligeable dans son œuvre.

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles remplacent (dans la tête de ses parents ou en vrai) un enfant mort, après un accident, une fausse couche ou un avortement : « Ma sœur était morte [à l’âge de cinq ans] et ma mère m’appelait ‘sa petite fille’ et m’apprenait le canevas. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 77) ; « Une histoire qu’elle racontait souvent à qui voulait bien l’entendre : avant de me mettre au monde elle avait perdu un enfant. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 73) ; « Maman, j’ai envie de mourir. » (cf. propos de Kimy, un garçon transgenre M to F de 8 ans, rapportés lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « Au début de ma puberté, quand j’avais 11-12 ans, j’ai pensé au suicide. » (Lucas Carreno, femme F to M, idem) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend que l’acteur homosexuel Jean Marais est arrivé jute après le décès de sa sœur Madeleine. Il a donc remplacé une morte, et a dû subir le refus du deuil de sa mère (sa mère qui, à sa naissance, s’est exclamée : « Enlevez-le, je ne veux pas le voir ! »). Jean Marais avouera lui-même qu’elle s’est bien rattrapée… sans lui en vouloir d’avoir vêtu dans son cœur et dans son identité l’âme d’une sœur morte : « Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. » Il existe des liens étroits entre avortement (= infanticide) et homosexualité, que je développe par exemple dans le code « Petits Morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

À l’âge adulte, cette passion pour la mort ne s’atténue pas : « Jean Genet a toujours entretenu un rapport privilégié avec la mort, avec les morts. Et on peut même dire qu’à partir d’un certain moment il n’a écrit que pour les morts. L’occasion pour lui idéale d’un véritable spectacle théâtral ne serait-elle pas un convoi funèbre, le lieu idéal pour ce nouveau théâtre étant le cimetière ? […] Les deux dernières pièces de Jean Genet, les plus belles, Les Nègres et Les Paravents étaient envahies par la mort. » (cf. l’article « Donner aux morts » de Paule Thévenin, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 36) ; « La vie n’est pas digne d’être vécue. » (Stefan Sweig, juste avant son suicide, dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel) ; « Comme je crois au néant, y’aura plus rien de moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Dans son Journal (2008), le dramaturge Jean-Luc Lagarce tient la rubrique nécrologique de toutes les célébrités people : « Je ne note que les morts. » écrit-il. Sur le cliché Andy Warhol, Paris (1974) pris par Helmut Newton, Andy Warhol figure mort (ou endormi ?). Le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata raconte que, pendant l’Occupation, lorsqu’une rumeur a couru sur la prétendue mort de Charles Trénet, ce dernier envoya des cartes d’invitation d’un goût douteux : « Charles Trénet : ni juif, ni mort ! »

 

Il arrive que certaines personnes homosexuelles exercent le métier de croque-mort. Ce fut par exemple le cas du chanteur Jann Halexander. Pour ma part, je connais dans mon entourage proche des amis homosexuels qui sont réellement croque-mort.

 

Alors comment expliquer la corrélation entre homosexualité et mort ? Je crois que la coïncidence vient de la nature idolâtre du désir homosexuel. Cela en choquera peut-être certains, mais je le dis quand même : le désir homosexuel, même s’il est par ailleurs un élan d’amour et de vie, se rapproche davantage d’un désir de mort. « Le goût de vivre commençait à s’émousser. » (Christian, dandy homosexuel de 50 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Comme il est éloigné de la Réalité – puisqu’il rejette en grande partie la différence des sexes –, il s’oriente vers un devenir-objet qui désincarne et déshumanise plus qu’il n’humanise et unifie l’individu qui le ressent. Dans mon essai Homosexualité intime (2009), j’explique ainsi pourquoi beaucoup de coming out font autant violence à des parents : en même temps que leur enfant leur annonce qu’il « aime » homosexuellement et qu’il « est » pleinement homo, il ne se rend pas compte (et les parents d’aujourd’hui de moins en moins également) qu’il dit par la même occasion qu’il souhaite mourir. On retrouve par exemple ce lien entre coming out et mort quand le réalisateur français François Ozon, à l’occasion d’une interview accordée au magazine gay Illico à propos de son film « Le Temps qui reste » (2005), fait un parallèle inconscient entre la révélation de l’homosexualité et la découverte d’une maladie mortelle : « Romain a un coming out à faire, non pas sur sa sexualité qu’il n’a jamais cachée, mais sur le fait qu’il va mourir. »

 

En voulant fuir les petites morts de l’existence, celles qui font davantage partie des hommes et des pères, les bonnes morts si elles sont au service de la douceur et des plus faibles (la guerre, les limites, la souffrance, l’effort, la loi, le combat, la force, le pouvoir, la politique, etc.), les personnes homosexuelles s’exposent fatalement à vivre les mauvaises morts, celle du confort et de la fuite du Réel (l’ennui, l’angoisse, la frustration, la schizophrénie, le fétichisme, la consommation, le doute, etc.), les mauvais côtés de la féminité (la possessivité, la vengeance, la jalousie, les complications amoureuses, etc.). « Cette génération veut abandonner la pulsion de mort qui est le propre de la virilité depuis des millénaires. Ils veulent être du côté de la vie, du côté des femmes. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 86) ; « Le pouvoir, c’est le mal, la mort, le phallus, l’homme. Plus personne, dans les jeunes générations de nos pays, ne veut assumer ce fardeau. » (idem, p. 120)

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

En outre, un certain nombre de personnes homosexuelles affectionnent les cimetières : je vous renvoie aux auto-portraits de la photographe lesbienne Claude Cahun dans les cimetières, aux photos de Jann Halexander, de Mylène Farmer, ou à l’univers du chanteur Mika lors de ses concerts.

 

Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, on apprend que la toute première rencontre entre Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent a eu lieu lors de l’enterrement de Christian Dior, en 1957 ; pour Bergé, cette inhumation est un jour capital, la pierre blanche sur laquelle s’est fondée leur « couple ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Regrets" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Regrets » de Mylène Farmer


 

Le cimetière est un lieu qui permet aux personnes homosexuelles de rentrer dans la peau de la veuve ou de la Drama Queen : « Si, comme Georges Perec, je ne me souviens pas du moment de ma naissance, en revanche je sais – depuis mon plus jeune âge – la passion que je porte aux cimetières. » (Michel Chomarat, dans les Archives des mouvements LGBT+ (2018) d’Antoine Idier, Ed. Textuel, Paris, p. 153) ; « Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Les cimetières ont vraiment une signification pour moi. » (le chanteur Jann Halexander, au micro de l’émission radiophonique Homo Micro sur RFPP, le 24 janvier 2011) ; « Je me souvins de la pinède proche du cimetière de St Tropez, ce lieu de drague […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ; « J’adore les cimetières. C’est l’un des endroits dans lesquels je me sens bien. Où que j’aille dans le monde, je vais dans un cimetière, cela apprend beaucoup sur une culture, un peuple. » (la chanteuse Mylène Farmer, citée dans la biographie Mylène Farmer, le Mystère (2003) de Mathias Goudeau, p. 61)

 

Récemment, un ami homosexuel sexagénaire, marié avec plusieurs enfants, m’a avoué qu’il « recherchait le bonheur dans les cimetières en Allemagne, où il se trouvait dans la paix » ; il m’a aussi dit que depuis son enfance, et après dans ses relations amoureuses homosexuelles, il « avait subi des violences et avait tenté de se suicider ». J’ai également visité le fameux cimetière du Père Lachaise, et mon guide (un vieux papy lui-même homosexuel) m’a raconté combien l’endroit était un haut lieu de drague homosexuelle. Il a d’ailleurs rencontré plusieurs de ses amants là-bas ; certaines chapelles sont devenues de véritables backroom ou baisodromes, et il existe tout un réseau insoupçonné de rencontres amoureuses spécifiquement homosexuelles : hallucinant !

 

Je pense que le cimetière, plus qu’un lieu étrange ou une simple posture esthétique mélancolique, est le rempart d’un viol fantasmé ou réellement vécu par les personnes homosexuelles : «  Cette fois un ancien collègue de son père attira Ednar chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), pp. 12-14)

 
 

c) Certaines personnes homosexuelles s’imaginent leur propre enterrement :

Les personnes homosexuelles ont tendance à se mettre à la place des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de leurs fantasmes de mort et de leurs sentiments égocentrés (souvent victimisants) : « J’entends les soupirs des mourants. C’était une nuit d’hiver. C’était nous deux et le temps des adieux. » (Stefan Corbin, pendant son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) Je vous renvoie par exemple aux fameux dying organisés par Act-Up ou pendant les Gay Pride ; ou encore à la scène du mime d’assassinat par rafale de mitraillette dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin.

 

Jean Cocteau

Jean Cocteau


 

Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent de fascination identificatoire. Voilà pourquoi elles la présentent souvent comme une jumelle/un jumeau : « J’ai le sentiment que ma mère s’en veut toujours du décès de mon frère, comme si elle n’avait pas bien pris soin de moi, alors qu’elle n’avait que 15 ans ! J’ai aussi le sentiment qu’elle a fait une sorte de transfert sur moi. J’ai remplacé l’enfant mort. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 15) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert évoquant son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500)

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent qu’elles s’imaginent leur propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur elles-mêmes. Dans sa biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque le narcissisme de Jean Genet à s’imaginer mort (p. 218) ; dans le documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), Jean Cocteau explique qu’il a décoré la chapelle saint Pierre en 1957 « comme son propre sarcophage ». Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca (la trentaine) décide qu’à sa mort ses cendres seront dispersées dans le beau paysage urbain romain qu’il contemple. Par ailleurs, il n’est pas très étonnant que de nombreuses chanteurs célébrés par la communauté homosexuelle se filment morts à l’intérieur d’un cercueil ouvert dans leurs vidéo-clips (cf. « Everytime » de Britney Spears, « Tristana » et « Fuck Them All » de Mylène Farmer, « ¿ Qué Harás Tú Cuando Mueras ? » de Marta Sánchez, « Ghosts » de Michael Jackson, etc.).

 

Claude Cahun, "Autoportrait"

Claude Cahun, « Autoportrait »


 

« Il avait anticipé les lieux et l’espace de sa mort. Il voulait mourir au bord de la mer. » (Peter Kammerer parlant de son ami Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2012) d’Andreas Pichler) ; « Images que j’aimerais voir défiler avant de mourir. » (Denis intitulant une de ses séquences filmiques testamentaires qu’il offre à son amant Luther, dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; etc.

 
 

d) « Je suis mort » :

Dans une boîte gay, pour Halloween...

Dans une boîte gay, pour Halloween…


 

Dans le même ordre d’idée, certaines personnes homosexuelles disent de leur vivant qu’elles sont mortes (autrement dit, elles énoncent l’impossible…) : « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 28) ; « Un jour, je te raconterai la première fois que je suis mort. » (idem, p. 51) ; « À vrai dire, je suis déjà mort. » (cf. un extrait de la lettre d’Alfredo Ormando, qui s’est immolé lui-même au Vatican en 1998, dans le documentaire « Les Règles du Vatican » (2007) d’Alessandro Avellis) ; « Je suis mort. » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, 2008) ; « Chaque minute est une éternité quand on croit que l’on va mourir à la seconde suivante. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 72) ; « Au fond qu’est-ce que je risque, je suis déjà à moitié mort. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 155) ; « Et moi aussi, je suis mort. Bien sûr que je suis mort. Il ne reste rien de l’enfant qui n’avait pas dix ans. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 43) ; « En ce qui me concerne, je n’ai pas peur de la mort. Parce que j’ai été beaucoup plus de temps mort que vivant. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’étais dans ma deuxième vie. Je venais de rencontrer la mort. J’étais parti. Puis je suis revenu. » (cf. les toutes premières lignes de l’autobiographie d’Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 9) ; « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (idem, p. 28) ; « La mort m’avait choisi. » (idem, p. 14) ; « C’était cela, la vérité. Mon corps réel. Il fallait changer. Le changer. Revenir au jour du départ et de l’arrivée. Maigrir. Absolument maigrir. Arrêter de manger. Jouer de nouveau, sans le savoir, avec la mort. » (p. 63) ; « C’est ça, la mort. La vraie mort. La mort directe, consciemment. […] Se détacher de son corps, du monde, en vitesse, dans l’effarement. » (idem, p. 94) ; « C’est quelque part comme si j’étais mort. » (Bruno Wiel, jeune homme trentenaire homosexuel, jadis agressé par quatre hommes et laissé pour mort, et parlant de sa situation présente, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Faire le mort était mon rôle préféré : mon ou ma partenaire jouait à ma place et je n’étais pas engueulé. » (Dominique Fernandez parlant des parties familiales de bridge, dans la biographie Ramon (2008), p. 38) ; « J’ai l’impression que je serai mort bien avant la diffusion de ce film. Je ne sais pas pourquoi je vous parle. J’ai l’impression d’un retour de ce vieux poison. Je le ressens comme une punition. Parce que je donne une mauvaise image de ces pauvres chrétiens. » (Thomas, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, au moment où Bertrand Bonello demande à sa femme si elle doit retourner sur scène pendant son spectacle, celle-ci lui répond : « Ben non, chui morte », en se référant bien sûr à son personnage.

 

À la manière des zombies, elles prétendent vivre ou vivent leur vie comme si elles ne l’éprouvaient pas comme leur, sont des « joyeux suicidés moraux » (pour reprendre la formule de Jean-Paul Sartre dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 86), passant par une crise de dépersonnalisation, expérience qui rejoint la notion freudienne de narcissisme intégral. Comme l’écrivait Luis Cernuda, elles affirment « vivre sans exister ». Elles se comportent parfois en morts-vivants qui ne trouvent pas incongru d’affirmer « Je suis mort » alors qu’elles sont pourtant bien en vie.

 

Concernant mon expérience personnelle, à l’été 2002, je suis allé rendre visite près de Montpellier à un ami homosexuel, presque trentenaire, que j’avais rencontré sur Internet, et qui m’a hébergé quelques jours chez lui. Jamais je n’aurais imaginé que ces six journées seraient si interminables. Il s’est montré particulièrement désagréable à mon égard parce qu’il a vite compris qu’il n’arriverait pas à coucher avec moi. J’avais fait le déplacement spécialement pour lui, mais je voyais bien que ma présence l’agaçait prodigieusement, si bien qu’à la fin, alors que j’étais obligé de rester chez lui vu que je n’avais aucun pied à terre dans la région, il ne m’adressait quasiment pas la parole. Un jour qu’il avait été particulièrement peu loquace, et que je lui demandais pourquoi il ne me répondait pas, il m’avait sorti inconsciemment cette phrase surprenante qui avait résonné en moi comme un écho à toutes les fois où je l’avais déjà à l’époque entendue de la bouche d’autres personnages ou auteurs homosexuels : « Je ne suis pas agacé. Moi, je suis mort. » Quelques semaines plus tard, j’ai su le fin mot de son mutisme, de son attitude odieuse, et de cette phrase, puisque l’ami en question m’a avoué que juste avant mon arrivée, il comptait se suicider.

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Beaucoup de personnes homosexuelles ont tendance à se prendre pour leur propre mort afin de s’en protéger, car elles en ont une frousse maladive. « Victor Garcia, Copi, Jérôme Savary font partie des gens qui courent devant la mort. » (Colette Godard, dans sa biographie L’Enfant de la fête (1996) consacré à Jérôme Savary) ; « Plus que quiconque, sans doute, je répugne à la vue d’un corbillard et je m’en trouve profondément affecté ; une draperie mortuaire, accrochée à une porte, me rend malade pour une semaine entière. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 88) ; « Le monde s’est mis alors à trembler autour de moi. La terre s’ouvrait sous mes pieds. L’abîme. J’y suis tombé. Le cycle de la mort aveugle, que j’avais déjà croisé enfant, jeune homme, recommençait. C’était le désert. Le désert et la panique. […] J’avais peur, peur, peur… Peur de partir. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 93) Par exemple, lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIe arrondissement, le 18 novembre 2010, le romancier français Christophe Bigot parle ouvertement de son rapport idolâtre (d’attraction-répulsion) à la mort, de son « fantasme de guillotine » : « Je suis vraiment phobique à ce qui touche à la torture, à la guillotine, la lapidation, la peine de mort. C’est un truc que je ne guérirai jamais. » Dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, la « peur des malades et des morts » est considérée comme un symptôme d’homosexualité (p. 378). Dans son autobiographique Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko parle de son angoisse morbide (« La mort me faisait peur. », p. 98) et tente de « découvrir l’origine de la phobie de la mort comme dans un premier souvenir traumatisant de son enfance, celui de la mort de son grand-père lorsque j’avais 7 ans ». Le cinéaste russe Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’est photographié à côté d’un crâne humain.

 

L’identification à la mort médiatique ou cinématographique sera bien souvent chez elles un réflexe de survie face à une peur excessive de la mort réelle : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30) ; « Depuis que j’ai 12 ans, et depuis qu’elle est une terreur, la mort est une marotte. […] La découverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d’un homme qui hurle d’impuissance à l’intérieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné mes études de médecine, m’hypnotisant de films d’épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d’Hector Lenoir, un conte qui racontait les affres d’un fantôme enchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu’aux stories sélectionnées par Hitchcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d’enfants, me déplaçant jusqu’à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans ‘Psychose’, la mort me semblait horriblement belle, féeriquement atroce… » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990, pp. 158-159) ; « Frisson de tristesse et de tendresse. Je comprends de nouveau mon destin – je ne pourrai jamais être aimé, alors qu’il me faut aimer, et c’est pourquoi j’attends la mort comme une rédemption. J’ai fixé au-dessus de mon bureau cette image de l’innocence rieuse, de la sottise, de la force et de la beauté. » (Klaus Mann en parlant d’une photo du skieur Arosa, dans son Journal (1937-1949), pp. 37-38) ; « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Comme la mort réelle est sublimée voire niée par le cinéma et les médias, elle est souvent perçue par les personnes homosexuelles comme l’origine de la vie et de l’amour : « Mon premier contact avec la maternité, c’est ma mère qui tombe inanimée et qui baigne dans son sang. C’est mon premier souvenir, le plus blessant et le plus percutant. Pour moi qui ne sait rien de la vie, d’un seul coup, la maternité c’est la mort […] c’est pour toutes ces raisons que je suis persuadée aujourd’hui que, bien que me sachant et me revendiquant de sexe féminin, j’ai refusé cette intrusion de l’enfant dans mon ventre. » (Paula Dumont parlant de la fausse couche de sa mère, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), pp. 54-55) ; « Je me suis sentie confusément coupable de la mort du fiancé de Janette Levreau et encore bien davantage du chagrin de cette dernière. Et depuis ces temps troublés, je me suis demandé souvent si je n’avais pas des pouvoirs paranormaux. En tout cas, je veille très attentivement à ne jamais avoir de souhaits homicides. […] Après avoir assassiné mon frère et un jeune militaire, j’ai assez de crimes sur la conscience ! » (Paula Dumont par rapport à sa maîtresse de CM2, Janette, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 47)

 
 

f) Quand la comédie devient sérieuse et orgueilleuse : le suicide

Étant donné que la mort peut être à la fois transcendée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes, beaucoup de personnes homosexuelles en arrivent très souvent à la désirer, ou à se la donner concrètement. « Le taux de suicides chez les jeunes homosexuels est cinq fois plus élevé que la moyenne. » (Peter Gehardt dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « Aujourd’hui encore en Suisse, un jeune homosexuel sur 4 fait une tentative de suicide. C’est 3 à 4 fois plus que chez les hétérosexuels. » (la voix-off dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010 ; dans cette même émission, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, raconte qu’il a tenté de se suicider).

 

Par exemple, les écrivains japonais Yasunari Kawabata et Yukio Mishima s’avouent partager « la même attirance de la mort, du suicide et de l’autodestruction » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 8). D’ailleurs, Mishima se suicidera vraiment pour rejoindre son amant Morita, en se faisant hara-kiri. Magnus Hirschfeld prétendra en 1914 que 300 de ses patients, soit 3% des 10 000 individus homosexuels qu’il a reçus, se sont donné la mort. Pour les seules années 1906-1907, on comptait six suicides parmi les sujets homosexuels officiers de l’armée allemande, dont l’existence avait été dévastée par les réclamations de maîtres-chanteurs. Pour sa part, le philosophe français Michel Foucault réclame le « droit au suicide » : « Des gens que nous ne connaissons pas […] ont préparé, avec beaucoup de soin, notre entrée dans le ‘monde’. Il n’est pas admissible qu’on ne nous permette pas de préparer nous-mêmes avec tout le soin que nous souhaitons, ce quelque chose auquel nous pensons depuis longtemps. » (Michel Foucault, « Un Plaisir si simple », Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), pp. 778-779)

 

Certains individus homosexuels expriment ouvertement leur souhait d’en finir avec leur vie : « Je n’étais pas loin de me fiche en l’air. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 130) ; « Le suicide avait longtemps flirté avec mes pensées, mais la peur de mourir avait occulté définitivement cette obsession. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 34) ; « Mon désir de mourir est immense. Besoin profond de paix. » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 76) ; « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (idem, p. 49) ; « La vie est un enfer. » (Yves Saint-Laurent s’adressant à son amie Loulou de la Falaise, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Au milieu de l’été de mes 15 ans, j’ai fait une tentative de suicide. » (Perry Brass, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc.

 

Il y en a malheureusement qui sont passés concrètement à l’acte : Alfredo Ormando (qui s’est immolé en 1998 devant les bâtiments du Vatican), Bobby le jeune fils gay de Mary Griffith (qui a sauté du haut d’un pont d’autoroute aux États-Unis), Leslie Cheung (l’acteur homosexuel chinois qui s’est jeté le 1er avril 2003 du 24e étage du Mandarin Hôtel de Hong Kong), Carl-Joseph Walker-Hoover (un jeune garçon noir de 11 ans aux États-Unis, le 6 avril 2009), etc. On ne compte plus les personnalités homosexuelles qui se sont suicidées en vrai : Hart Crane, René Crevel, Philippe Jullian, Heinrich von Kleist, Jan Lechon, Yves Navarre, Louis Goulven Salou, Virginia Woolf, James Whale, Friedrich Krupp, Alan Turing, Roger Stéphane, Raymond Roussel, Pierre Molinier, Adrienne Monnier, Mario Mieli, Klaus Mann, Jean-Louis Bory, Fersen, Claude Cahun, Jean Boullet, Alain Pacadis, Louis II de Bavière, Annemarie Schwarzenbach, Bernard Buffet, Otto Weininger, Benedict Friedlander, Benedict Friedländer, Aaron Hernández, Stefan Sweig, etc. « Il y a aussi des allusions à une tentative de suicide qu’elle avait faite quand elle était adolescente… Hélène était malade. La plupart du temps, elle était brillante, elle passait aussi par des épisodes de dépression où, de son propre aveu, elle n’était plus elle-même. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 57) ; « Sans hygiène morale ni physique, leur tendance au déséquilibre, la drogue les conduisent souvent au suicide. » (Jean-Louis Chardans parlant des travestis, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 291) ; « Il y a toujours du chantage entre nous. C’est très très répandu. Ça se passe par des lettres ou des téléphones. Y’a mon premier ami que j’ai perdu de cette manière, d’ailleurs. Il s’est suicidé. À cause d’un chantage, oui. » (Frank, témoin homosexuel suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Dans les émissions de « télé-réalité » françaises, les stars d’un quart d’heure homosexuelles qui se sont données la mort ne manquent pas : on peut penser au suicide par pendaison de « Jpé », l’un des participants de Trompe-moi si tu peux (juin 2010) sur la chaîne M6 ; ou encore au suicide d’« FX » (François-Xavier Leuridan) de Secret Story 3 (2009) sur la chaîne TF1 (lui s’est jeté sous une voiture qui circulait sur autoroute).

 

Parmi les personnes transgenres ou transsexuelles, le taux de suicide bat tous les records, notamment parce qu’elles nient leur sexuation, ont souvent été violées étant petites, ou bien parce que leur « transition » est douloureuse et laisse de lourdes séquelles. Par exemple, dans le documentaire « Mr Angel » (2013) de Dan Hun, Buck Angel, transsexuel F to M, est passé par plusieurs tentatives de suicides et addictions à la drogue.

 

Le désir de mort n’est évidemment pas propre aux personnes homosexuelles. Sigmund Freud constate l’existence d’une destructivité foncière chez l’Homme, qu’il appelle « pulsion de mort ». Cependant, il semblerait que le désir homosexuel, plus que d’autres désirs humains, est davantage un élan qui oriente vers la mort qu’un élan de vie. Dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre Winter explique d’ailleurs comment le rejet de la différence des sexes dans le couple homosexuel induit un « déni de la différence entre la vie et la mort » (p. 135), donc un glissement vers la destruction, la désincarnation et la division de l’être humain, du couple, et de la famille.

 

Avec Facebook apparaissent aussi les cas médiatisés d’adolescents dont le suicide est présenté caricaturalement comme une conséquence directe de l’homophobie soi-disant « non-homosexuelle » (Tyler Clementi, ce violoniste introverti qui se suicida en 2010 parce que ses ébats homosexuels avaient été filmés par son colocataire ; Lance Lundsten, un lycéen de 18 ans, dans le Minnessotta, en 2011 ; Kameron Jacobsen, un jeune New-yorkais de 14 ans, en 2011 ; Jack Reese, mort à 17 ans, en 2012 ; Jeffrey Fehr, 18 ans, harcelé à l’école au nom de son homosexualité, et qui s’est suicidé en janvier 2012 en Californie ; etc.). Je vous renvoie à la campagne « It Gets Better » (« Ça ira mieux ») de Dan Savage, menée en 2010 sur YouTube contre la vague de suicides des jeunes gay, et qui fut relayée par des personnalités des États-Unis telles que Barak Obama, David Paterson, Hillary Clinton, Gloria Estefan, etc.

 

On remarquera que le dossier des « suicides d’homosexuels » ou des « suicides pour cause d’homophobie » sert à alimenter une véritable censure sur les réelles causes des suicides des personnes homosexuelles, qui ne sont pas tant exogènes qu’endogènes (cf. je vous renvoie à mon papier sur les clés pour sortir des tentations de déprime ou d’envies de suicide liées à l’homosexualité). En effet, si on regarde bien les cas où les individus homosexuels ont mis fin à leurs jours, on constate que leurs suicides s’expliquent certes par des facteurs extérieurs à reconnaître, mais principalement par des histoires internes au « milieu LGBT », par les attitudes inadmissibles des personnes homosexuelles entre elles dans le cadre amoureux : « Je souffris de nouveau énormément de cet amour malheureux : je fus même au bord du suicide. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81) ; « J’en arrive même à me persuader que je n’aurai pas à me suicider parce que cet amour va s’en charger à ma place. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 59) Par exemple, Malcolm Lowry a refusé les avances d’un camarade de lycée, qui s’est ensuite suicidé.

 

Le plus paradoxal, c’est que beaucoup de personnes homosexuelles, en se focalisant sur des termes tels que « homophobie » ou « suicide » qu’elles ne veulent surtout pas comprendre, en faisant l’autruche pour que les causes des suicides de personnes homosexuelles ne soient pas identifiées – et ce, toujours dans un principe bien-intentionné de sur-protection des victimes –, poussent finalement les individus homosexuels qu’ils veulent préserver du suicide au suicide, en inversant les problèmes et leurs solutions. Par exemple, dans l’émission Homo Micro du 13 février 2007, Jean Le Bitoux conseille aux personnes homos de ne pas aller voir les psys car « il y a des suicides après ». Or c’est précisément parce qu’elles ne vont pas voir de bons psys et des amis qui pourraient les aider à mettre des mots sur leur mal-être qu’elles en viennent justement à commettre parfois l’irréparable.

 

La problématique des suicides des gens homosexuels est bien sûr sociale, mais aussi et surtout individuelle et désirante. Nous aurions tout intérêt – parce qu’on ne le fait pas assez – de nous pencher sur la question de la haine de soi (que traduit le désir homosexuel), de l’orgueil blessé, de l’éloignement du Réel par l’esthétique de la mort, de l’impact parfois dramatique de certains médias dans le processus de construction de l’identité sexuée et sexuelle de nos contemporains, pour traiter de l’étiologie des suicides des sujets homosexuels.

 

Car en général, c’est l’excessive identification sentimentaliste à la star suicidaire (il suffit de prendre un peu au sérieux l’esthétisme mélancolique d’une Dalida, d’une Marilyn Monroe, d’une Judy Garland, ou d’une Mylène Farmer, pour s’abandonner à la mort) qui sert à un certain nombre de personnes homosexuelles d’alibi au suicide : « Je n’ai jamais oublié Souad Hosni. Je n’avais pas oublié son feuilleton Houa et Hiya qui me faisait courir dans mon adolescence, à la sortie du collège. J’avais depuis rattrapé mon retard en regardant presque tous les films qu’elle avait tournés. Je l’avais suivie de près, de très près, avec attention et une certaine admiration. Et puis, au début des années 90, après l’échec retentissant de son film ‘Troisième Classe’, elle avait disparu. Pendant deux ou trois ans, on ne savait pas où elle était. Elle se cachait en fait à Londres où elle soignait un mal de dos et une dépression chroniques. On la disait sans le sou, ruinée. L’État égyptien, qui payait pour son hospitalisation, avait fini par la lâcher, l’abandonner. En juin 2001, elle s’était suicidée en se jetant du balcon de l’appartement où elle résidait à Londres. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Là, dans cette obscurité, dans cette exécution, cette mort volontaire, je me suis souvenu de ma sœur hantée. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, op. cit., p. 123)

 

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