Un mail d’un frère homo italien qui me comprend et comprend l’enjeu ecclésial de l’homosexualité


 

Ce n’est pas dans mon habitude de partager les mails qu’on m’envoie. Mais là, je ferai exception, car je crois que celui-là vous donnera la mesure de ce que je m’acharne à expliquer tout seul comme un con à travers mes écrits sur la compatibilité entre Foi catholique et existence de la tendance homosexuelle.
 

Je reçois à l’instant un message d’un gars catho homo continent italien, de mon âge, qui me redonne du baume au cœur, surtout au moment où, avec les Italiens qui m’avaient fait venir témoigner en conférences en 2014-2015, je me prends le bec parce qu’ils se mettent à défendre l’hypocrite discours bourgeois – à la Dolce & Gabbana ou Courage International – du « Je suis homo mais pas gay » et de la restauration d’identité. Même Benedetta Frigerio, la journaliste, m’a sorti textuellement que « l’homophobie n’existait pas »… : c’est dire si beaucoup d’Italiens n’ont rien capté de ce que je leur raconte, se sont servi de moi dans le cadre de leur opposition au « mariage » gay, et se sont fait laver le cerveau par La Manif Pour Tous et par le cardinal Sarah (ce dernier a d’ailleurs préfacé le livre de Daniel C. Mattson qui se présente comme « non-gay » chaste, livre que les catholiques conservateurs applaudissent en ce moment en Italie)… Je me sens en complet décalage avec un grand nombre d’entre eux qui méprisent purement et simplement l’homosexualité.
 

Cet accrochage entre les suiveurs de Giorgio Ponte ou de Mourage et moi a tout l’air d’être un détail, une préciosité langagière, une dispute de rien du tout, un caprice de star de ma part. Mais en réalité il reflète une profond dévoiement et aveuglement politique et spirituel des tradis (et de leurs bons toutous homos cathos abstinents) à l’intérieur de l’Église Catholique. Une incompréhension aussi de la place de l’homosexualité dans le monde et dans les communautés chrétiennes. Heureusement, je ne suis pas complètement seul à le voir. Certains frères italiens ont bien perçu que l’option progressiste « Maman James Martin » ou, à l’inverse, l’option conservatrice « Papa Robert Sarah », n’étaient pas une solution, comme en témoigne le discours de ce contact dont j’ai envie de vous traduire le mail ci-dessous en intégralité, en masquant son nom, pour vous exprimer mon soulagement, mon émerveillement aussi (car chaque mot qu’il emploie est extrêmement bien senti), et enfin ma profonde tristesse et ma rage face à la fermeture de cœur de beaucoup de catholiques LMPT et d’évêques, face également au gâchis vocationnel dont nous, personnes homosexuelles, faisons injustement les frais :
 

« Salut Philippe ! Je t’écris parce que la controverse avec Giorgio (Ponte) m’a renvoyé à ton profil Facebook. Et je suis tombé sur ton interview-vidéo avec Nathalie [N.B. : Il se réfère à Nathalie Cardon et au bilan de La Manif Pour Tous], que je trouve vraiment utile et même lumineuse. La dernière fois que je t’avais écrit, je venais à peine de finir ton livre ‘L’homosexualité en Vérité’, et je dois encore te remercier parce qu’il a été le tournant qui m’a décidé à choisir la chasteté. Je ne vais pas trop m’étendre sur le sujet, mais je suis d’accord avec toi quand tu parles d’ ‘homophobie’. C’est une réalité existante, dont les catholiques et les ministres de l’Église ne sont pas exempts. Quant au ‘Family Day’ de Rome en janvier 2016 [N.B. : rassemblement géant des Pro-Vie qui est l’équivalent italien des Manifs Pour Tous], où le modèle de la famille était violemment martelé, comme si ceux qui n’avaient pas vocation au mariage ni à avoir des enfants étaient des rebuts de la société, ça m’a énormément blessé. Et toujours à cette occasion, en janvier 2016, je m’attendais à ce que Giorgio Ponte prenne la parole au Circus Maximus, mais ils l’en ont empêché. Par ailleurs, pendant trois ans, j’ai essayé de suivre mon désir de vie consacrée : chez les moines bénédictins, on m’a dit que pour construire un monastère solide il fallait des pierres robustes (moi qui croyais que dans l’Évangile il était question des pierres rejetées qui deviennent pierres angulaires…) ; on m’a aussi sorti que mon passé serait un scandale ingérable ; ils m’ont renvoyé gentiment à ma décision personnelle de la continence, comme si j’étais incapable de la tenir. Et mon évêque ? Il a écarquillé les yeux de stupeur et d’embarras, comme si j’étais une cause perdue. Du reste, depuis la circulaire de Ratzinger datant de 2005 (complétée par Bergoglio en 2016), l’Église, à mon avis, a fini par se comporter comme les militants pro-Gender, en intégrant la terrible et fatale bipolarité hétérosexuels/homosexuels. En fin de compte, les véritables discriminés sont ceux qui, comme nous, subissent les attaques à la fois des associations LGBT, mais aussi des pseudo catholiques qui soutiennent l’idéologie arc-en-ciel, des catholiques du style Mario Adinolfi / Manif Pour Tous / Popolo della Famiglia / cardinal Sarah, qui se remplissent les poches mais ne se mettent pas à l’écoute de notre souffrance, ne proposent pas de chemins vocationnels alternatifs ou au moins des structures où on ne nous reçoit pas en tant que ‘personnes à accompagner’ mais comme des personnes qui peuvent avoir une place reconnue dans l’Église, en dehors de toute hypocrisie et embarras. Bref, je voulais simplement te dire que tes réflexions sont très proches des miennes. Je t’embrasse (et si tu veux me répondre, réponds-moi en français) »
 

Ça fait très longtemps que je décris les Italiens comme les cousins intellectuels et spirituels des Français. Et c’est d’autant plus vrai dans la compréhension profonde de l’apostolat public de l’homosexualité continente. De la Fin des Temps, aussi. Je ne ressens pas une telle proximité et accointance intellectuelle avec d’autres peuples.
 

Enfin, plus globalement, nous sommes beaucoup de personnes homosexuelles à être catholiques, à avoir une vocation, à se manger une porte dans la gueule, à être laissées sur le carreau, et à ne pas savoir comment concrètement donner notre vie à l’Église.