Vortex : la série qui autorise l’homicide (et ça ne choque personne)


 

J’ai regardé la série (à succès) « Vortex » (avec Tomer Sisley – dans le rôle de Ludovic – et Camille Claris – dans le rôle de Mélanie) sur France 2. Car j’ai remarqué que le thème de la machine à remonter le temps, le scénario à la « Retour vers le Futur », était très en vogue en ce moment. Hasard du calendrier du PAF ? Les téléfilms français Vortex et Année Zéro ont été diffusés exactement aux mêmes dates sur deux chaînes concurrentes : France 2 et M6 ! Sans doute qu’en ce moment, dans le Gouvernement Mondial, ça s’active pour ressusciter le passé et le rendre plus réel que possible grâce aux progrès de la science et même à l’entremise des âmes défuntes sans repos et aux démons (« incarnés » sous forme d’hologrammes).
 

J’avais déjà été familiarisé, quand j’étais ado, à la thématique des uchronies (à savoir des voyages dans le temps où des événements historiques connus se produisent différemment de la version de l’Histoire officielle), des « mondes parallèles » ou de la « réalité multidimensionnelle », en suivant les séries de science-fiction nord-américaines La Quatrième Dimension (1959-1964) et Sliders (1995-2000). Et bien sûr, grâce à la trilogie des « Retour vers le Futur » de Robert Zemeckis.
 

Mais je trouve qu’avec les séries actuelles, notamment françaises, les intrigues se sont complexifiées, voire perverties dans les messages renvoyés. Car quand elles se mettent à justifier l’homicide (justicier, vengeur et « réparateur » du passé, donc ensuite, du présent), au nom de la légitime défense ou de l’évitement d’une catastrophe et de meurtres en série, on n’est plus dans la gentillette visite-découverte de mondes improbables (genre « un monde dirigé par les femmes », ou « un monde sous l’ère glaciaire » ou « un monde de tornades » ou « un monde Far-West »…) ni dans la création/réparation rigolote et romantique d’un coup de foudre et d’un amour familial (où déjà des vies humaines sont en jeu) : on passe au cran au-dessus de la justification du meurtre dans le passé pour préserver l’équilibre du présent. En effet, dans Vortex, Mélanie tue – par prévention – Hector pour soi-disant sauver sa vie et celle de toutes les autres femmes que ce dernier aurait tuées après elle. Ce qui est, d’un point de vue moral, extrêmement grave. Même si les critiques et les spectateurs de la série Vortex, en général, n’y voient que du feu, valident cette escalade de la violence/vengeance en ne se basant que sur la happy end (Au final, les héros principaux ne meurent plus assassinés… bien que certains protagonistes troquent leur survie contre un emprisonnement, donc se sacrifient en contrepartie en finissant leurs jours en prison), sur le retour à une situation présente « légèrement modifiée » mais dite « ordonnée » et « équilibrée »…
 

Au bout du compte, la « morale » de l’histoire, c’est qu’on a le droit de tuer pour empêcher d’autres morts de se succéder/perpétrer. C’est aussi le déterminisme du non-pardon : Hector – et finalement tous les gens du passé – n’ont pas de place pour le repentir, puisque le présent est jugé supérieur au passé. Mélanie tue Hector dans le « nouveau » passé parce que dans le futur il lui a été annoncé comme un tueur en série. C’est le présent-futur qui dicte le présent-passé… et qui finit par tuer des gens : rien que les deux enfants d’Hector sont carrément rayés de la carte. Mais d’eux, qui s’en soucie ?
 

Ça dépasse la simple incohérence de scénario. C’est gênant moralement. On nous fait croire, en gros, qu’humainement nous pourrions retoucher tout (le temps, le réel, les gens, les événements, les circonstances…), que rien dans l’existence ne serait grave, fini, fatal ou irréversible (pas même la mort, pas même le meurtre), que nous pourrions créer l’Amour (en jouant les Cupidon), que nous pourrions – en défiant les lois de la finitude humaine – aimer plusieurs personnes à la fois (c’est le polyamour que Ludovic, dans Vortex, finit par vivre : il aime deux femmes en même temps de leur vivant, Mélanie et Parvana) ou procréer qui nous voulons (Ludovic doit sauvegarder à la fois sa fille Juliette – issue de son premier mariage – et son fils Sam – issu de son second mariage), que nous aurions droit de vie ou de mort sur le vivant et surtout sur l’Homme (Au passage, avec Vortex, on se situe vraiment dans le transhumaniste antéchristique : la preuve en est que – et c’est étonnant au regard de notre époque antispéciste – il n’y a aucun animal qui occupe une place dans l’intrigue – : la Bête s’est digitalisée puisque c’est le drone de la police qui s’appelle Rex). Le synopsis de la série reflète aussi un irrespect par rapport au passé, à la mémoire et à l’Histoire : on s’arroge le droit de les retoucher (autrement dit, de « réécrire l’Histoire », de « modifier le cours des choses à sa guise »), comme si on les jugeait imparfaits et nécessairement injustes : l’Homme contemporain se prend pour meilleur et plus juste que ses ancêtres, et même que Dieu.
 

Autre point important que je voulais aborder : il y a une énorme ellision, incohérence et inconnue du scénario de Vortex qui, pareil, passe pourtant crème, alors que c’est choquant et que ça aurait pu littéralement torpiller la vraisemblance, la crédibilité et l’efficacité de la série : c’est par quel mystère s’opère le voyage dans le passé et la rencontre entre les êtres du présent et ceux du passé (Ludovic et Mélanie sa femme décédée). Car bon, le lien entre la numérisation internet (ou l’algorithme prédictif et l’Intelligence Artificielle) et le retour au passé n’est pas super évident. Le saut vers le futur, pourquoi pas ? Mais le passé… Et en fait, on trouve la réponse à ce « prodige » non pas dans la technologie (comme c’eût été attendu) mais dans un romantisme et un sentimentalisme beaucoup plus basiques. En effet, c’est le sentiment qui permet le voyage dans le temps. Le sentiment – donc la subjectivité, la passion – commande au Réel. C’est-à-dire que seuls les personnages unis par l’Eros (mari et épouse, amants amoureux) ou le Philia (lien de filiation et de sang entre les parents et leurs enfants) parviennent à se voir dans la reconstitution 3D, et donc à voir les personnes aimées du passé/présent (D’ailleurs, le nom de famille des deux héros principaux est précisément « Béguin » : le sentiment est bien le connecteur temporel). Le numérique ne suffit pas. En plus du sentiment, ce sont aussi les égrégores (moments émotionnels collectifs forts, tout ce qui est censé avoir transporté émotionnellement l’Humanité) dont on a des traces filmées qui font le trait d’union transhistorique (c.f. Ce n’est pas un hasard que la Coupe du Monde 1998 soit vue comme un couloir du temps dans plusieurs fictions, notamment dans l’épisode n°90 « 1998-2018 : Retour vers le Futur » de la série Joséphine ange gardien), ainsi que finalement les liens spirituels – qu’on pourrait appeler « pactes sataniques » en réalité – puisque de plus en plus, les êtres humains, par la scientologique médiumnique et les technologies audiovisuelles, essaient de prendre contact avec les défunts non-ressuscités et les âmes damnées errantes et sans repos (ce qui est le cas de Mélanie dans Vortex, qui a une vengeance/survie/deuxième chance à assouvir : elle n’est pas au Ciel).
 

Enfin, pour terminer, je voulais expliquer combien une série comme Vortex était, en ses fondements, complètement sexiste (et plus précisément misandre, donc anti-hommes et anti-pères) et inhumaine (et ce transhumanisme violent s’invisibilise et se fait oublier par l’entremise du thème –survolé – de l’homosexualité : d’ailleurs, ce n’est pas un hasard que le seul sujet qui crée le clash incompréhensible entre Juliette l’héroïne lesbienne et sa mère Mélanie soit la PMA et GPA ! Ça brouille littéralement la liaison spatio-temporelle et virtuelle mère-fille ! Le choc culturel et éthique est trop grand !). En effet, la misandrie est à tous les étages : à part peut-être pour Ludovic (et encore…), tous les hommes de la série sont des prédateurs, des criminels ou des gros beaufs qui « puent la transpi » (c.f. le gros commissaire poilu Le Goff, qui passe son temps à se donner un coup de déo). Il y a comme un problème dans le respect et la représentation symbolique des hommes aujourd’hui. Je découvre, à travers Vortex, que les velléités humaines de refaire le passé et de s’unir aux morts, font non seulement le mal, mais font le mâle mauvais.