Code n°21 – Bourgeoise (sous-code : Bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église)

Bourgeoise

Bourgeoise

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Celle qui donne aux fantasmes d’irréalité (homosexuels entre autres) une vraisemblance scotchante tant elle semble sincère dans sa comédie d’auto-réification…

 

La bourgeoise, c’est la Reine de l’artifice qui veut se faire passer pour naturel et plus authentique que la Vérité-même, par le biais de la sincérité. Rien d’étonnant, donc, qu’elle soit autant source d’identification et de fantasmes chez les personnes homosexuelles, les tenants de l’amour artificiel sincérisé. La prétention au Naturel de cette femme-objet ultra-sophistiquée (une prétention à la base naïve chez la coquine pin-up, mais qui avec le temps s’est mutée en agression et en stratégie conquérante à travers l’actrice jouant des rôles de putain de luxe ou de « célibattante » despotique et courtisane – est à la fois risible tant elle est grotesque (la bimbo blonde ou la bourgeoise à fourrure souhaite réellement sauver les bébés phoques, défendre la paix dans le monde… et le public reste de marbre devant tant de guimauve, hésite entre foutage de gueule et attendrissement), et violente tant elle est en partie inconsciente mais calculée (car la bourgeoise Milady cautionne des régimes totalitaires abjects et leur sert de vitrine).

 

Nous allons voir comment la bourgeoise, de par son statut de Déesse de pacotille du Carnaval interlope, est à la fois célébrée par la grande majorité des personnes homosexuelles comme un modèle identitaire et sentimental à suivre, et comme un démon à détruire (iconographiquement, par l’imitation camp) pour prouver son inconsistance/son immortalité.

 
 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Grand-mère », « Bobo », « Reine », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Actrice-Traîtresse », « Tante-objet ou Mère-objet », « Putain béatifiée », « Folie », « Promotion ‘canapédé’ », « Dilettante homo », « Destruction des femmes », « Homme invisible », et à la partie « Tout m’énerve » du code « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Gaby dans le film "8 Femmes" de François Ozon

Gaby dans le film « 8 Femmes » de François Ozon


 

Beaucoup de personnes homosexuelles font partie des « riches » partiels, de ces « bourgeois ratés » comme s’auto-définit Pierrette (Fanny Ardant) dans le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon, car leur désir homosexuel les oriente davantage vers le paraître ou l’avoir que vers l’être. Une attirance esthético-morale, une fascination, mais aussi beaucoup de condescendance : tels sont les sentiments mélangés que la majorité des personnes homosexuelles nourrissent vis-à-vis des aristos. C’est dans leur rejet de la bourgeoisie que s’exprime le mieux leur souhait d’être bourgeois. Elles attaquent de manière trop nostalgique ou haineuse l’image des riches pour arriver à dissimuler leur soutien inconditionnel à la noblesse, ou la tristesse de son déclin.

 

Bon nombre d’entre elles croient en l’existence du « bourgeois ». Il leur arrive même de parler de son « incarnation » (cf. l’article « Camille Saint-Saëns » de Philippe Olivier, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 415), preuve qu’elles entretiennent avec lesdits « bourgeois » (autrement dit les Hommes-objets) un rapport fétichiste idolâtre. Ce n’est pas un hasard si le début du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini commence par une interview-débat sur le thème de l’hérédité de l’esprit bourgeois (« Les bourgeois se reproduisent-ils ? »). Le réalisateur italien a bien identifié le fantasme opéré par la bourgeoisie sur beaucoup de personnes homosexuelles. C’est leur crainte profonde d’incarner l’image du bourgeois, qui fait d’elles des « presque-bourgeois ». Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a « peur d’avoir l’air riche ». Le vrai pauvre ne risque pas de vivre ce genre d’angoisses puisque ses préoccupations dépassent le regard des autres et le paraître : il est pauvre, de fait, et sans l’avoir majoritairement désiré ou excessivement montré.

 

Film "Mort à Venise" de Luchino Visconti

Film « Mort à Venise » de Luchino Visconti


 

En règle générale, les personnes homosexuelles n’apprécient pas du tout d’être associées à l’image des bourgeois. Pour elles, le mot « bourgeoisie » ne va pas avec militantisme homosexuel, anti-capitalisme, bar « crade et bohème » de Saint-Germain-des-Prés, appartenance à la gauche politique et au socialisme, dénuement matériel, haine de la mondialisation, dénonciation de la société de consommation, tous ces séduisants concepts dont elles s’imaginent être les dignes représentantes. Elles acceptent difficilement que le cliché homo = bourgeois ne soit pas vrai comme elles l’imaginent – à savoir causalement – mais vrai « coïncidentiellement ». Il n’est pas évident pour elles d’entendre que l’homosexualité s’associe souvent à l’ascension sociale, car d’une part, la « promotion canapédé » devient un cliché homophobe dès lors que cette coïncidence rejoint le terrain de la causalité (hier, l’homosexualité était un « vice bourgeois » dénoncé par Trotski ; aujourd’hui, c’est un « vice occidental et capitaliste » aux yeux des continents tiers-mondistes, ou bien un « vice de la gauche caviar » pour l’extrême droite), et d’autre part, cela révèlerait au grand jour leur désir d’être riches et de copier l’image des bourgeois qu’elles prétendent pourtant rejeter, autrement dit leur schizophrénie cachée.

 

Par exemple, dans « Grande École » (2003) de Robert Salis, film choisissant pour cadre l’école normale supérieure, nous retrouvons exactement ce double mouvement paradoxal et schizoïde du désir homosexuel vis-à-vis de la bourgeoisie, avec les deux personnages homosexuels Louis-Arnault et Paul : l’un se fait sur le mode de la rupture (Louis-Arnault suit le système capitaliste en refoulant son homosexualité), l’autre sur le mode de la fusion (Paul, le personnage homosexuel « assumé », essaie de se désembourgeoiser et devient anti-capitaliste). Au bout du compte, « l’homosexuel » est ce jet-setteur écartelé entre Nord et Sud, symbolisant la fracture économique mondiale entre pays riches et pays pauvres, rêvant, comme le businessman de Starmania, à la fois d’« être un anarchiste et de vivre comme un millionnaire », « ne pouvant pas supporter la misère » et la voulant éternelle pour sauvegarder ses privilèges. Il ne désire pas l’union entre ceux qu’il classe parmi les « riches » et ceux qu’il étiquette « pauvres » et qui doivent surtout le rester : dans les films homosexuels, le mélange inter-classes sociales ne se fait quasiment que par le sexe, l’esthétique, l’émotionnel, la consommation, ou l’oppression.

 

Au fond, beaucoup de personnes homosexuelles adorent « les bourgeois ». Déjà, pour commencer, elles sont la plupart du temps issues d’un milieu riche et aristocratique. « Parmi les gays, les classes aisées sont deux fois plus représentées et les bacheliers deux fois plus nombreux que chez les hétérosexuels. » (Éric Fassin, « Classes sociales », dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 98) Si jamais elles ont eu le malheur de naître dans un milieu modeste et « beauf », elles feront tout par la suite pour conquérir une classe sociale plus valorisante à leurs yeux. C’est la raison pour laquelle les romans d’apprentissage intéressent beaucoup d’écrivains homosexuels. À force de faire du lien homosexualité-bourgeoisie un cliché par le cacher, certaines personnes homosexuelles le réactualisent, même si cette réactualisation n’est pas aussi systématique et parfaite qu’elles le voudraient. Elles dissimulent leur goût pour Wagner (il dévoilerait au grand jour leur attachement pour le totalitarisme et la noblesse…), et adulent littéralement la caricature « vivante » de la bourgeoise (Valérie Lemercier dans Palace, ou bien les personnages de bourgeoise odieuse joués par l’humoriste Sylvie Joly, sont particulièrement plébiscités par le public gay). La sophistication quasi-ridicule de la mythique Marie-Chantal – créée comme par hasard par un homme homosexuel, Jacques Chazot – devient vite source de fantasme chez elles : cette femme superficielle devrait avoir honte d’elle-même tellement elle est excessive, et pourtant, elle croit dur comme fer à sa propre comédie… et c’est bluffant ! Littéralement, elles sont époustouflées par les femmes qui dans la réalité concrète collent de près à cette déesse du paraître qu’est « la bourgeoise » et à qui elles rêvent de ressembler tellement elle semble défier avec succès la mort et la honte. L’icône bourgeoise hypersexuée s’actualise chez les hommes gays par le dandy, et a pour pendant lesbien la garçonne.

 

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) L’homosexuel fictionnel est fasciné par le personnage de la bourgeoise auquel il s’identifie souvent :

Film "Gigola" de Laure Charpentier

Film « Gigola » de Laure Charpentier


 

La bourgeoise est une icône particulièrement présente dans les fictions traitant d’homosexualité : cf. le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan (avec Marthe dans son salon de thé), la comédie musicale Ball Im Berlin (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham (avec l’héroïne Madeleine, une sorte de Lili Marleen moderne), le film « Salon de T : Farrah Diod » (2009) d’Hélène Hazéra et Christophe Martet, le roman Deux baronnes (1848) d’Hans Christian Andersen, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « Intouchables » (2011) de François Ozon, le roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory (avec la baronne), le film « La Fin de la nuit » (2001) d’Étienne Faure, le film « Les Damnés » (1969) de Luchino Visconti, le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (où huit bourgeoises, y compris la servante noire, se mélangent entre elles comme des souris de laboratoire), le film « Violence et Passion » (1974) de Luchino Visconti, le film « Loulou » (1928) de Georg Wilhem Pabst (avec la comtesse Geschwitz), le film « Les Visiteurs » (1993) de Jean-Marie Poiré (avec Béatrice de Montmirail, interprétée par la délicieuse Valérie Lemercier), le film « La Vie est un long fleuve tranquille » (1988) d’Étienne Chatilier (avec Madame Le Quenoy), la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux (avec Géraldine, la femme de Nicolas le héros homosexuel), la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec Delphine et Solange, les deux grandes bourgeoises… qui se lèvent à 11h30), les films « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983), « Matador » (1985) et « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, le film « Dracula’s Daughter » (1936) de Lambert Hillyer, le film « Morocco » (1930) de Josef von Sternberg (avec la garçonne Marlene Dietrich et son chapeau haut de forme stylé), le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin (avec la Comtesse Fabienne de Favières), le roman El Giocondo (1970) de Francisco Umbral (avec la Marquise), le roman Cuestión De Ambiente (1903) d’Antonio de Hoyos (avec la comtesse de Pardo Bazán), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec Madame Catherine Bourgeois qui rit fort, joue au bridge, a un mari homo), la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne (avec France, la bourgeoise lesbienne « prout-prout »), le roman Una Aventura De La Condesa d’Antonio de Hoyos, le roman Le Bal du Comte d’Orgel (1924) de Raymond Radiguet (avec la comtesse Mahaut d’Orgel), le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec Mademoiselle Ott), le film « Lady Oscar » (1978) de Jacques Demy, le film « Something For Everyone » (1970) d’Harold Prince, le film « Il était une fois dans l’Est » (1974) d’André Brassard (avec la Duchesse de Langeais), le film « Senso » (1954) de Luchino Visconti (avec la comtesse Livia Serpieri), le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Robin-Volclair (avec Mireille, la poule bourgeoise), le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur (avec Gisèle), le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec l’épisode de la femme chic), la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret (avec « Zaza » qui est un pastiche de bourgeoise), le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec l’imitation de Cristina Cardoula, la relookeuse de la chaîne M6), le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le roman I Can’t Think Straight (2011) de Shamim Sarif (avec le couple lesbien composé de deux héritières de très bonnes familles, Tala et Leyla), le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec l’attirance pour la bourgeoise Chrysanthème), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la bourgeoise de l’Hôtel Crillon), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec le personnage de Sara, jouée par Claudia Cardinale), la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat (avec Joséphine, la bourgeoise), la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel (avec l’imitation d’Edwige Feuillère), le film lesbien « Massacre pour une orgie » (1966) de Jean-Pierre Bastid, le film « The Secret Diaries Of Miss Anne Lister » (2010) de James Kent (racontant l’histoire réelle d’une femme bourgeoise lesbienne, Anne Lister, à la fin du XVIIIe siècle), la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander (avec une grande place laissée à Madame Hammer par rapport à son mari), les chansons « La Matriarche », « À table », du même auteur, le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill (avec Eveline MacMurrough), le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway (avec Mary Sinclair), etc.

 

Parfois, le héros homosexuel avoue son attraction esthético-érotico-identificatoire pour la femme au serre-tête et au collier de perles : « Je fantasme sur Roselyne Bachelot. » (Marilyn, la videuse lesbienne du Gouine, dans le one-woman-show Paris j’adore ! (2010) de Charlotte Des Georges) ; « Tout au bout de la pièce, […] une jeune femme arrangeait sa coiffure avec des gestes lents et soigneux qui semblaient ceux d’une statue, et c’était à une statue qu’elle faisait songer, tant par la beauté du corps que par la noblesse des attitudes. […] Que n’aurais-je donné pour me jeter à ses pieds et l’adorer comme une idole ! […] De toutes les filles qui m’avaient été offertes – et j’en ai eu beaucoup – aucune ne me paraissait comparable à celle que je n’avais pas encore et que je n’aurais sans doute jamais. » (Roger à propos d’Ilse, dans le roman L’Autre (1971) de Julien Green, p. 56) ; « Bourgeoise ? Oui, Mathilde est une bourgeoise. » (la narratrice lesbienne parlant de son amante, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 113) ; « Peut-être que j’étais une femme dans une vie antérieure. Une baronne !!! » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Mme Hammer grande bourgeoisie se parfume à l’eucalyptus. Maman reptile, charmante épouse, invite femmes à prendre le thé. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander)

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, par exemple, Anamika, l’héroïne lesbienne, avoue être surtout attirée sexuellement par des femmes bourgeoises (telles que Linde). Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, « M. », un des héros homosexuels, dit « qu’il est amoureux d’Audrey Hepburn, l’actrice de ‘Breakfast At Tiffany’s’ » et qu’« il est fan de Lio » (p. 39). Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Carol, l’héroïne lesbienne, est l’archétype de la grande bourgeoise nord-américaine en manteau de fourrure qui se la joue Marlène Dietrich. Dans le sketch « La Corvée de pluche » (1983) des Inconnus, Yvan Burger incarne un soldat de l’armée homosexuel et dit qu’il a « tiré Marie-Chantal ».

 

Il arrive que le personnage homosexuel revendique son lien filial avec la bourgeoise, comme s’il était son héritier biologique, symbolique, spirituel. Bourgeoisie de droit divin ! « L’idéal d’la féminité, c’est d’être née avec du blé ! C’est comm’ ça qu’elle’ pond’ des pédés. […] Ell’ font d’eux des efféminés. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « J’avais pour patronne une Hongroise […] dame sans âge. » (Pretorius, le vampire se présentant comme le domestique de la bourgeoise Élisabeth de Bataurie, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander)

 

Par exemple, dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (James Dean) à genou devant Kate, la bourgeoise assise à son fauteuil, et qu’il prend pour sa mère disparue (il se trouve en réalité qu’elle est prostituée et finalement sa vraie mère, une mère démissionnaire). Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Marie-Muriel, la grande bourgeoise catho anti-mariage-pour-tous, ne se rend pas compte que son fils aîné Matthieu-Alexandre, en qui elle place beaucoup d’espoir, est visiblement homosexuel : il lui a offert une sculpture en forme de bite, fait partie d’un club très fermé d’art, est défini comme « tellement sensible ». Dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric le héros homo noir s’est déguisé comme une bourgeoise africaine en boubou. Et son amant Adam appelle sa chienne « Madame ».

 

La bourgeoise est tellement déifiée comme une déesse qu’elle en devient invisible. « Je suis immortelle. » (Constance, la bourgeoise du film « Lifeboat » (1944) d’Alfred Hitchcock) Par exemple, dans la fameuse la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, « Madame » est jouée tour à tour par ses deux servantes, mais on ne la verra jamais : elle restera une icône enviée et jalousée à distance.

 

En quelque sorte, la bourgeoise cristallise l’esthétisme au service du vide, comme le montre la phrase de Paul Valéry « La Marquise sortit à cinq heures… » (l’écrivain français se demandait comment il était possible d’écrire des tirades aussi creuses que celles-là ; autrement dit il critiquait les romans qui n’avaient rien à dire). Cette réplique a été reprise dans certaines œuvres artistiques homosexuelles (cf. la pièce La Condesa Llegó A Las Cinco (1996) de María Luisa Medina) : « Le 16 avril 19… l’aînée des Tchekhov sortit à cinq heures. » (une réplique du Livre blanc (2002) de Copi, p. 86) ; « Il est cinq heures de l’après-midi, Monsieur. » (Hubert à Cyrille, le héros homosexuel, au moment de la mort de la diva Regina Morti, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi)

 
 

b) La bourgeoise-prostituée homosexuelle, Marie-Madeleine, pénètre dans une église :

Comme pour se venger de leur naïveté esthétique et sentimentale, qui les entraîne souvent à se faire abuser/consommer en amour, beaucoup de créateurs homosexuels s’acharnent iconographiquement sur leur fétiche de bourgeoise, soit pour la salir, soit pour prouver la beauté et la toute-puissance de sa/leur sincérité malgré cette salissure.

 

Film "Théorème" de Pier Paolo Pasolini

Film « Théorème » de Pier Paolo Pasolini


 

On retrouve dans les créations homo-érotiques la scène de la bourgeoise bad girl pénétrant dans un lieu saint : cf. le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar (avec l’arrivée de la prostituée Yolanda en pleine prière communautaire dans l’église), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Mousse, la prostituée héroïnomane rentrant dans l’église), le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Tonia, le transsexuel M to F, priant saint Antoine, à genou chez elle), le vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer (avec une femme bourgeoise aveugle du XVIIIe siècle pénétrant dans une abbaye pour se faire confesser par le diable en personne), le vidéo-clip de la chanson « Like A Prayer » de Madonna (avec la figure de la prostituée violée rentrant dans une église pour faire l’amour à une des statues de saint), le film « Prenez garde à la Sainte Putain » (1970) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues (avec la scène du cimetière), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec la femme bourgeoise qui pénètre dans une église juste après avoir fait des folies de son corps), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar (avec la provocante Carmen Maura, venue planter un cierge dans l’église où elle a passé toute sa scolarité), la pièce Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, le film « Seijû Gakuen » (« Le couvent de la bête sacrée », 1974) de Noribumi Suzuki, le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (avec Gabriel, le héros gay le plus efféminé, rentrant dans une église montagnarde autrichienne), etc. « Je descendis en nuisette et en mules. Je traversai le jardin. Les herbes folles me caressaient les jambes et me faisaient frissonner atrocement. Mais ce n’était rien à côté des ronces cruelles dévorant la chapelle, ronces dans lesquelles, telle Cendrillon, je perdis une mule, et aussi quelques gouttes de sang. La porte de la chapelle était entrouverte. Je me jetai à genoux contre le tombeau de la mère de lady Philippa. » (Bathilde habillée en châtelaine dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 306) ; « Je la regarde : elle a vingt ans. Je la regarde : elle est blonde, elle a la peau douce et une expression fatiguée, elle a peur. Je la regarde : elle passe la porte que Gisèle devant elle retient, elle passe la porte et elle plonge en enfer pour tenter de sortir d’un autre enfer. C’est le début du printemps, les frimas d’avril, elle laisse derrière elle les arbres que le vent fait frissonner, une jeunesse pauvre et digne, des illusions peut-être et elle pénètre dans la chaleur artificielle d’une ancienne demeure bourgeoise reconvertie en maison close. Elle vient vendre son corps puisque c’est tout ce qu’il lui reste. » (Vincent décrivant la mère de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 203) ; « La Chola [homme travesti M to F] avançait d’un pas décidé, malgré le déséquilibre que provoquaient ses talons aiguilles qui s’enfonçaient dans le chemin de terre battue. Sur son passage, flottait un délicieux parfum douceâtre. Ses formes étaient exaltées par un tailleur blanc moulant et une petite ceinture rouge. La Chola s’arrêta devant une maison basse, peinte à la chaux et surmontée d’un énorme écriteau où l’on pouvait lire ‘Église scientifique’. De part et d’autre de la porte étaient peints deux angelots assis chacun sur son nuage. Elle frappa. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 233) ; etc.

 

Cette image d’Épinal peut être transposée sur un personnage homosexuel qui rentre aussi dans une église : cf. le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar (avec Juan rentrant, travesti en femme, dans la chapelle de son ancien collège), le film « Unveiled » (2006) d’Angelina Maccarone (avec Fariba, l’héroïne lesbienne prise en flagrant délit de vol de cierges dans une église), le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec Fabrice, découvert par son futur amant Bruno, en train de voler des bougies dans une église), le film « Y a-t-il des pommes au paradis ? » (2006) de Ben Yamed Mohamed Bahri (avec la rencontre entre le travesti et Jésus), etc. « Tu m’attendais dans la chapelle, j’ignore comment tu avais pu y entrer, elle était toujours fermée, sauf pour les commémorations exceptionnelles. J’ai pénétré dans l’édifice. Un frisson m’a traversée de la tête aux pieds en découvrant tous les cierges allumés. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 33) ; « Moi, j’ai été enfant de chœur de la Vierge de Fatima ! » (Raulito, le prostitué de la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je suis catho qui pèche la nuit et va à l’église le lendemain. » (Michael, le héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le héros décrit cet homme transsexuel/asexué et prostitué comme « la figure interdite de la jouvencelle qui priait dans les ruelles aux impasses maudites ».

 

Film "La mauvaise éducation" de Pedro Almodovar

Film « La mauvaise éducation » de Pedro Almodovar


 

Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, la mère de « L. » fait le tapin avant d’aller à la messe : « Je m’attarde sur les escaliers du Sacré-Cœur avant la première messe. » Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, le sauna est présenté à la fois comme une église et comme le salon de Nadine de Rothschild : la voix-off explique au public que chaque client se doit de respecter les « codes de bienséance » et se comporter comme une véritable Lady. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Marie la bourgeoise fait une fellation à Adrien, le héros homo.

 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jane, l’héroïne lesbienne, ainsi que Maria, la prostituée officielle, et Anna, la jeune prostituée de 13 ans officieuse, vont de temps en temps à l’église pour prier… mais sans apparente dévotion : « De la pluie commençait à tacheter le sol. Jane s’abrita dans l’embrasure de la porte latérale de l’église et s’aperçut qu’elle était soulagée de ne pas trouver Anna. » (p. 46) ; « J’ai cru voir la fille de mon voisin entrer ici et je voulais lui dire bonjour. » (Jane au prêtre le père Walter, idem, p. 47) ; « Jane se demandait si c’étaient les prostituées qui l’inquiétaient, et s’il l’avait prise pour une fille de mauvaise vie déchue. […]Jane résista à l’envie soudaine de le suivre dans la pénombre de l’église. » (idem, p. 48) ; « Cette fois-ci, la porte de la Kirche était ouverte. Jane se glissa à l’intérieur et sentit le parfum peu familier de la dévotion. » (idem, p. 71) ; « Les talons des bottes de Jane résonnèrent sur les dalles de l’allée centrale alors qu’elle quittait l’église. » (idem, p. 75) ; « La lourde porte en bois s’ouvrit en grinçant, laissant s’engouffrer une rafale de vent et de feuilles mortes dans l’allée centrale. Une femme se tenait à contre-jour sur le seuil. Pendant un instant, Jane crut qu’il s’agissait d’Anna, mais la femme entra dans la ‘Kirche’ et elle vit qu’elle était plus âgée, que ses cheveux étaient d’un noir profond. […] la femme faisait sa génuflexion devant le Christ, trempait les doigts dans l’eau bénite et esquissait une révérence devant l’autel avant de poursuivre dans l’allée et d’entrer dans le sanctuaire privé du prêtre. » (idem, p. 125) ; « des tapineuses » (idem, p. 125)
 

On trouve chez un certain nombre d’artistes homosexuels une fascination pour la bourgeoisie décadente : « Madame, vous avez trop bu ! Où est garée votre voiture ? Remettez votre collier ? » (Martin à Solitaire la bourgeoise, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je suis un peu Baronne du derrière. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; etc. Je vous renvoie notamment à la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (dans laquelle Madame Lucienne, la mère de Vicky, n’est autre qu’une femme de ménage). Dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Suzanne (Catherine Deneuve) est décrite comme une « bourgeoise nymphomane ». Dans son one-(wo)-man-show Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène Duval raconte comment elle essaie de s’incruster dans des cocktails mondains pour y dénicher des escort boys et des « p’tits jeunes sans cervelle » à ramener chez elle. Le film « Warum, Madame, Warum » (2011) de John Heys et Michael Bidner propose « un regard satirique sur une femme chic, glamour et supposément cultivée qui descend le Kurfürstendamm, à Berlin, indifférente au monde et qui dévore inconsciemment une saucisse phallique tenue d’une main gantée. Choquant ? Répugnant ? Normal, ou simplement la quintessence de Berlin ? » (cf. critique du livret du 17e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2011)

 

Film "Il Barbiere De Siviglia" de Valentina Sutti

Film « Il Barbiere De Siviglia » de Valentina Sutti


 

Les fictions homosexuelles laissent la part belle à la bourgeoise junky, mi-raffinée mi-prostituée, bien élevée mais aussi incorrecte et underground, rebelle aux bonnes manières de sa classe sociale, qui va trouver la rédemption et la sainteté dans la bassesse de son abandon à la luxure, à la mort (elle peut être suicidaire), et au crime (elle peut être tueuse) : cf. le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit (avec Marie-Chantal qui laisse 17 messages au téléphone et qui exerce le métier de prostituée), le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (avec Madame Bourgeois, un peu sorcière), le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar (où la bourgeoise est assassinée dans sa salle de bain), le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec la mère bourgeoise inquisitrice), le film « Comtesse Dracula » (1972) de Peter Sasdy, le film « Vampyros Lesbos » (1970) de Jess Franco, le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte (avec le personnage de Grany, la bourgeoise exécrable), la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec Marie, la mère bourgeoise raciste), le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (avec les deux « attachiantes » mères d’homosexuel, Irène et Marianne), le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet (avec Diane de Contrefort, ou bien la comtesse Marie-Aurore de Sainte-Luce), la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi (avec Madame Ada, la bourgeoise-prostituée), le film « La Comtesse noire » (1973) de Jess Franco, la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi (avec le personnage de Charlotte, l’homophobe), le film « Mercy » (« Amours mortelles », 2001) de Damian Harris (avec le thème de la bourgeoise en milieu SM), la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec les personnages de Marie-Christine, la bourgeoise capricieuse, ou encore de Marie-Ange, incarnant Cruella), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec l’insupportable cantatrice nymphomane Regina Morti, s’excitant à l’hôpital), la chanson « Question d’amour et d’argent » (dans laquelle le gigolo s’adresse à dame Edmonde et dame Raymonde), la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (avec Viviane, la bourgeoise homophobe), le film « Hitchcocked » (2006) d’Ed Slattery (avec la mère voyeuse), etc. « Je ne suis pas une putain, c’est moi qui paie ! » (Maria-José le transsexuel M to F dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 36) ; « Je suis une ancienne fille de joie. » (Madame Pignou, la bourgeoise de la nouvelle éponyme (1978) de Copi, p. 52) ; « Je suis pute. » (Julie Duchâtel, le metteur en scène acariâtre, se définissant comme la « P.U.T. du Paca », dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, la bourgeoise – dont on ne voit que la main – tient le téléphone à Steven mourant dans son lit d’hôpital, comme si elle était elle-même la mort.

 

La bourgeoise vénérée par la communauté homosexuelle est souvent une figure d’hystérie (on peut penser par exemple à l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau, à la Madame Sarfati d’Élie Kakou, à toutes les mères bourgeoises créées par Copi ou les studios Disney, à Madame Follenska dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, etc.), une allégorie de la « mort immortelle », de l’homophobie (ce qui prouve une fois de plus que le désir homosexuel est intrinsèquement homophobe, pour des raisons déjà purement esthétiques). Cette plus-que-femme passe par toutes les couleurs, toutes les émotions (colère, peur, indignation, séduction, effroi, rire, sanglots, etc., sauf l’Amour vrai), comme un kaléidoscope sentimental qui peut tour à tour s’affoler ou rester stoïque à l’image des automates. « Je suis stoïque, mais plus pour longtemps. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Je ne suis pas assassine, je suis une fille riche ! » (Lou dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Un cataclysme ? Pourvu que ça n’arrive pas chez vous ! » (la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Sales bourgeois ! » (Daphnée, la bourgeoise par excellence, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) « Conditions de vie innommables ! » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Une crise arrive dans le pays, c’est la débâcle c’est la faillite ! » (idem) ; « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (cf. la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Un instant, Madame Freud, je réprimande mon habilleuse indigène ! Goliatha ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard joue la bourgeoise anti-socialiste, raciste, acariâtre, la grand-mère « Mamita ».

 

L’hystérie qu’exprime la bourgeoise fictionnelle dépeinte par les créateurs homosexuels se retourne d’ailleurs souvent contre cette même bourgeoise : « Tu vas la fermer, salope ?!!!? » (Romain Canard, le coiffeur homosexuel insultant sa proprio bourgeoise Isabelle, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Ridicule, OUI, mais pas médiocre ! » (la mère, bourgeoise-prostituée M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; etc.

 

On découvre que la bourgeoise n’est autre que l’homosexuel (peu importe s’il est né fille ou garçon) : cf. le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina, la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado (avec le héros homosexuel efféminé déguisé en Margaret, une vieille bourgeoise britannique), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec le personnage travesti de Line, la « présentatrice » bourgeoise), le film « Insects In The Backyard » (2010) de Tanwarin Sukkhapisit (avec la femme bourgeoise singée par le personnage transsexuel M to F qui s’habille comme Audrey Hepburn, avec le même chignon, le même porte-cigare, le même collier de perles, et les gants en velours noir), la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier (avec la Comtesse Conule de la Tronchade, raciste – même envers les racistes ! –, misogyne – « Il en faut du courage pour supporter les gonzesses ! Moi j’ai encore du mal ! Ah moi j’assume, je déteste les femmes. » –, et finalement très homosexuel-le puisqu’elle se surnomme « la comtesse de Sodome et Gomorrhe »), etc. « Mets ta robe, va, bourgeoise ! » (Luc à son amant Jean, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Dans le quartier, on me surnomme l’Impératrice du Bon Goût. » (Zize, le héros transsexuel M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; etc. La bourgeoise représente prioritairement tout individu qui imite matériellement la femme-objet, l’actrice, l’androgyne couvert d’or et de diamants : « Elle [Daphnée] sort des bijoux de son sac. » (Copi, La Tour de la Défense, 1974) ; elle a « plein de rubis » (idem) Elle est un déguisement de travelo. Elle symbolise le désir homosexuel homophobe.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Ciel !!! Mon diaaaamaaaaant !!!!

La bourgeoise capricieuse, hautaine, déjantée, ou stoïque, est une véritable icône gay et lesbienne. On peut penser entre autres à la dévotion pour « la Baronne » exprimée par Denis Daniel dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), aux imitations de bourgeoises à boa de l’humoriste Thierry Le Luron, à la passion de Pierre et Gilles pour l’actrice Marie-France, aux Portraits de Cour d’Andy Warhol, au personnage satirique de « Madame H. » (présidente travestie de l’association fictive Homosexualité et Bourgeoisie), au flamboyant Jacques Chazot qui a créé le fameux mythe de la bourgeoise « Marie Chantal », au succès que remporte le personnage de la bourgeoise réac’ Bree Van de Kamp dans la série Desperate Housewifes (2004) de Marc Cherry, ou encore l’attrait homosexuel pour l’humoriste Sylvie Joly (cf. le one-man-show Christophe Dellocque fait sa Sylvie Joly (2017) de Sylvain Maurice).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont fans de la bourgeoise : Pierre Palmade, Pierre et Gilles, Roger Peyrefitte, Jean Cocteau, George Cukor, Luchino Visconti, Frédéric Mitterrand, Stéphane Bern, Étienne Daho, Truman Capote, Pedro Almodóvar, François Ozon, etc. « Les titres de noblesse et les noms ronflants parent les invertis d’une curieuse auréole. Qu’on porte le pantalon étroit et la veste à pont, ou le pardessus court et une légère moustache, on se fait appeler la grande duchesse de Montreuil, la marquise de Vaugirard, la vicomtesse de Meudon. Les grands noms, arrangés à la mode ‘tutupanpan’ se croisent et s’apostrophent le long des allées historiques où les moineaux roturiers n’en ont jamais tant entendu. C’est un petit Sodome à la mode du XVIIe siècle. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 25)

 

Souvent les actrices qui jouent les grandes bourgeoises sur nos écrans ont ainsi eu droit au statut d’icônes gays (Line Renaud, Alice Saprich, Maria Pacôme, Marie-France, Jacqueline Maillan, Jeanne Moreau, Valérie Lemercier, Sandrine Alexi imitant Céline Dion ou Catherine Deneuve, Florence Foresti, etc.). « Ce sont les seuls à être gentils avec moi. Et alors ? » (Uta Ranke-Heinemann, la grand-mère bourgeoise parlant de ses « gays », dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi)

 

 

Et un certain nombre de personnes homosexuelles aiment travailler dans les univers de bourgeoises (la mode, l’hôtellerie, le cinéma, la coiffure, etc.), à la gloire de la femme-objet… et celle-ci profite aussi de ses fans gays, qui composent un merveilleux gagne-pain, une gentille petite cour. « Je n’ai pour amis que des femmes très riches et des enfants très pauvres. » (Jean Cocteau, qui est décrit comme quelqu’un « qui a eu la vie facile », dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) Par exemple, dans les années 1980, pendant l’émission Le Jeu de la Vérité de Patrick Sabatier, un auditeur demande à l’actrice Alice Sapritch pourquoi elle ne fréquente que des homos. Elle répond : « Dans nos métiers, il y a beaucoup d’homosexuels. En plus de cela, je suis une femme seule. Les homosexuels sont des gens charmants, qui sont drôles, qui ont des métiers très amusants, et qui sont célibataires, et qui ont une voiture ! (rires du public). Vous comprenez, c’est mon péché mignon. Je n’ai pas de chauffeur. »

 

 

Cependant, je reste persuadé que la bourgeoise n’est pas appréciée par les personnes homosexuelles d’abord en tant qu’être humain (en l’occurrence une femme ou une mère), ni uniquement pour son argent (quoique…), mais bien en tant que caricature de la sincérité, que figure de style, que condensé d’attitudes, que personnalité puissante et originale. L’appropriation de la femme aux bijoux marque un désir de se sursexuer/de s’asexuer et de devenir objet, tout cela dans le seul but de justifier et naturaliser ses propres désirs capricieux. Par exemple, quand les personnages masculins du théâtre de Copi rentrent dans la peau d’une bourgeoise, c’est toujours pour proférer des paroles violentes ou illustrer le caprice, le viol, la folie : « Hubert, ma psyché ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Une dame ici ? Ce ne peut être que ma belle-sœur. Dites-lui que j’ai détesté sa robe de chambre et que je n’ai pas l’intention de les recevoir. » (idem) ; « Je me souviens de Copi jouant la Loretta dans un fourreau de Saint-Laurent et crachant ce texte en vingt-cinq minutes en avalant de la vodka. » (Christian Bourgois dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 7) ; « Elles sont toutes des bourgeoises tarées. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 127)

 

Le peintre Marcel Duchamp déguisé en "Rrose Sélavy"

Le peintre Marcel Duchamp déguisé en « Rrose Sélavy »


 

Il y a dans la construction/imitation homosexuelle de la bourgeoise une forme de misogynie cachée, de matricide, et de haine de soi maquillée en narcissisme. Comme l’explique très bien Michel Schneider dans son essai Big Mother (2002), « la féminité outrancière d’une catégorie d’homosexuels – ceux qui se désignent eux-mêmes comme folles – met en scène la figure enviée mais détestée de la mère. » (p. 247)

 

Brenda dans la série Le Coeur a ses raisons

Brenda dans la série Le Coeur a ses raisons


 

On découvre que la bourgeoise n’est autre que la personne homosexuelle (peu importe si elle est née fille ou garçon). Elle est un déguisement de travelo. Elle symbolise le désir homosexuel homophobe/refoulé/justifié. Par exemple, dans le film autobiographique « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013), la mère de Guillaume est interprétée par Guillaume Gallienne, le réalisateur lui-même. C’est une bourgeoise vaguement « intellectuelle » (de la gauche caviar ou de l’extrême droite), à la fois raffinée et vulgaire, acariâtre et méprisante, attachante aux yeux de son fils bisexuel qui s’est pris pour elle pendant toute son adolescence.

 

Film "Guillaume et les garçons, à table !" de Guillaume Gallienne

Film « Guillaume et les garçons, à table ! » de Guillaume Gallienne


 
 

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