Code n°51 – Doubles schizophréniques (sous-codes : Dialogue contradictoire / Ventriloque / Schizophrénie)

doubles schizophréniques

Doubles schizophréniques

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La bilatéralité avec les autres et avec soi

 

François Sagat

François Sagat


 

Le désir homosexuel est l’expression du climat fortement anti-naturaliste de nos sociétés actuelles qui encouragent l’individu à vider ses actes de leur portée symbolique et à dissocier l’être du faire, le corps de l’esprit, les actes de leurs sens. Même si la schizophrénie n’est pas l’apanage du désir homosexuel, je crois que celui-ci fait partie, avec le désir hétérosexuel, des plus puissantes forces humaines écartelantes qui existent. Si j’avais à en donner une seule définition, je pourrais dire que le désir homosexuel tend davantage à la désunion réifiante de l’être qu’il habite qu’il ne veille à son unité humanisante. C’est la raison pour laquelle bon nombre de personnes homosexuelles l’associent inconsciemment ou volontairement à la schizophrénie (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1973), p. 37).

 

Jonathan Caouette

Jonathan Caouette


 

Pour expliquer cette déconnexion de l’être et du faire, nous découvrons souvent que c’est la discordance entre les moyens et le but que nous nous fixons sincèrement, encouragée par la sacralisation de nos propres bonnes intentions, qui nous impose parfois ce pénible décalage de la schizophrénie. Beaucoup de personnes homosexuelles postulent qu’on peut très bien arriver au Bien par le Bien mais aussi par le mal, car elles ont la passion impatiente du Bien. Par exemple, lorsqu’un Érik Rémès avoue avoir contaminé plusieurs personnes du Sida, et qu’il déclare peu après qu’il est « un garçon très romantique, très fleur bleue » (Érik Rémès, dans l’article « Érik Rémès, Écrivain » de Julien Grunberg, sur le site www.e-llico.com consulté en juin 2005), nous avons de fortes raisons de penser qu’il est malgré tout sincère. Dans le monde des intentions, son action et ses propos sont explicables et respectables, même si, une fois considérés à la lumière de la Réalité et de la Vérité, ils ne sont bien évidemment plus justifiables.

 

La discordance entre le moyen et le but fait réellement souffrir beaucoup de personnes homosexuelles car elles ne récoltent pas les « bons » fruits de leur sincérité. Étant donné qu’elles font du Bien leur priorité sans faire attention aux moyens qu’elles vont mettre en œuvre pour le rendre concret, elles auront tendance à assigner au mal les vertus (et parfois même la création !) du Bien. À force de dire que l’échec peut être le cadre du succès, elles finissent par penser que le mal est la condition de l’existence de la Vérité, voire la Vérité même. « C’est par les fautes que nous sommes les plus vrais » déclare par exemple Jean Cocteau (Jean Cocteau, dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un Inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky).

 

L’élan schizoïde et déchirant du désir homosexuel s’exprime par ce qu’on appelle l’androgynie psychique. On entend par cette expression la dualité psychologique rencontrée dans le processus d’individuation, et, comme le souligne Barbara Gagné dans L’Androgynie psychique chez Carl Gustav Jung (2001), la « rencontre dans l’esprit (humain) des deux principes, féminin et masculin » (p. 10), mais je rajouterais aussi jeune et adulte (pour la différence des générations), ainsi que serviteur et maître (pour la différence des espaces). Elle se résout chez l’Homme au mieux dans la différenciation et la rencontre non-fusionnelle pacifiée d’un duo de personnages symbolisant dans l’iconographie les deux principes de l’androgynie psychique (la femme et l’homme, l’enfant et l’adulte, le serviteur et le maître), au pire dans la fusion destructrice de ces mêmes personnages (alors différenciés à l’extrême par la caricature : la femme-objet et le macho, le sale gosse et l’adulte despotique, l’esclave-bouffon et le tyran). Cette réalité psychologique n’est pas propre aux personnes homosexuelles, bien sûr. L’androgynie psychique est, selon Jean Libis, le signe d’une blessure que porte chaque Homme en lui du fait de se savoir incomplet et fragile. Si elle est intégrée comme naturelle, elle permet la reconnaissance de ses manques humains, et donc l’accueil du Désir. Mais plus elle est camouflée ou cultivée dans l’ignorance et l’orgueil, plus elle peut être le signe à la fois d’un viol réel subi et l’expression d’un désir de violer, de se diviser à nouveau. Elle se traduit alors par une séparation en deux de la conscience, donc par la schizophrénie ; et plus particulièrement chez les personnes homosexuelles, en orientation sexuelle homo-érotique.

 

C’est pourquoi les auteurs homosexuels traitent fréquemment du thème des doubles schizophréniques, figurés dans les fictions par deux personnages burlesques réagissant comme des jumeaux toujours en accord/désaccord. Comme nous pouvons le constater dans la pièce de William Shakespeare Macbeth (1623) par exemple, le roi et sa femme symbolisent, selon les termes de Pierre Leyris, « l’androgyne psychique », c’est-à-dire le conflit intérieur d’une conscience né d’un crime fictionnel, et exprimé à l’image par deux personnages épuisant à eux deux toutes les possibilités de réactions au meurtre (remord, défi, indifférence, euphorie, culpabilité, angoisse, etc.) comme le feraient les parties détachées d’une même individualité. De même, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, il nous est dit que Paul et sa sœur Élisabeth sont « les deux membres d’un seul corps ». Dans les créations artistiques homosexuelles, les monologues intérieurs prennent en général la forme du dialogue schizophrénique en couple. Se superposent dans cet échange l’invitation perverse et l’appel au déni et à la résistance au viol. Mais cette joute verbale schizophrénique n’est ni si horrible ni si banale que ne nous le montre l’image. Elle a quand même pour but inconscient d’occulter par son vacarme la guerre fantasmée et parfois réelle que se livre l’individu réel à lui-même en se laissant faire par son désir de viol.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Fusion », « Androgynie bouffon/tyran », « Inceste entre frères », « Miroir », « Ombre », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Femme et homme en statues de cire », « Substitut d’identité », « Pygmalion », « Jumeaux », « Désir désordonné », « Folie », « Moitié », « Poupées », « Animaux empaillés », à la partie « Laurel et Hardy » du code « Amant modèle photographique » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Ne faire qu’Un avec un autre que soi :

Pièce Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès

Pièce Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès


 

Dans les fictions homo-érotiques, le désir homosexuel est souvent représenté par deux marionnettes (comme les deux papys du Muppet Show) : cf. la chanson « Alice et June » d’Indochine, le film « Le Frère, la sœur… et l’autre » (1970) de Douglas Hickox, la pièce Juste la fin du Monde (1999) de Jean-Luc Lagarce (avec la relation jalouse entre Louis et Antoine), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec Stan et le héros), le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec les deux soldats de plomb), le roman Bob et Bobette s’amusent (1919) de Francis Carco, le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb, le tableau Robinson et Vendredi (2007) d’Éric Raspaut, le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza (avec le gardien de la fac, une sorte de fantôme et une voix de la conscience), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec Mateo Blanco et Harry Caine), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec Cyrille et Hubert, le journaliste-bras-droit), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec les deux sénateurs), le film « La Fiancée de Frankenstein » (1935) de James Whale (avec les docteurs Frankenstein et Pretorius), le film « La Femme et le Pantin » (1931) de Josef Von Sternberg (avec les deux politiciens), la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet (avec les deux domestiques Claire et Solange), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin (avec Avril et Lacenaire), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec Isabelle la shootée et Diane l’hystérique), le film « The Virgin Soldiers » (1969) de John Dexter, la pièce Arlequin, Valet de deux maîtres (1745) de Goldoni (avec Federico et sa sœur Beatriz qui se fait passer pour lui), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1969) de Billy Wilder, le roman Les deux morts de John Speidel (2003) de Joe Haldeman, le film « Un Amour de Swann » (1983) de Volker Schlöndorff (avec le duo androgynique Swann/Odette), la pièce Le Cri de l’ôtruche (2007) de Claude Gisbert (avec Paul et Bob), la chanson « La Chanson du coq et de l’âne » du spectacle musical Émilie Jolie de Philippe Chatel (chantée par Arnold Turboust et Étienne Daho), le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec Eva et Mathilda), le dessin animé « Alice au pays des merveilles » (1951) de Clyde Geronimi (avec le Chapelier toqué – particulièrement efféminé – et le lièvre – animal connu pour ses pratiques « homosexuelles »), la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec David et Philibert), le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana, la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi (avec Louise et Jeanne, amies « collées » depuis l’enfance), la pièce Attachez vos ceintures (2008) de David Buniak (avec Ibrahim, le double du protagoniste homosexuel), le film « Collateral » (2004) de Michael Mann (avec Vincent et Max), la chanson « Laure et Lise » de Renaud Hantson, le film « L’Heure du désir » (1954) d’Egil Holmsen, le film « La Polka des marins » (1951) d’Hal Walker, le film « Trannymals Go To Court » (2007) de Dylan Vade, le film « Satyricon » (1969) de Federico Fellini, la pièce Les Précieux Ridicules (2008) de Damien Poinsard et Guido Reyna (avec les deux nièces), le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair (avec les deux oiseaux homos Édouard et Luigi), le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli, les films « Le Soldat récalcitrant » (datant de 1950, avec le fameux tandem Lewis/Martin), le film « Irma à Hollywood » (1950) et « Bon Sang ne saurait mentir » (1951) d’Hal Walker, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer (avec Janine et Simone), la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall (avec Victor et Bobby, les deux cabarets boys identiques), la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia (avec Didier le grand et Bernard le maigre), l’opéra King Arthur (2009) d’Hervé Niquet (avec les deux moinillons homosexuels), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec les deux CRS Pardieu et Donadieu), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec Smith, le héros homosexuel, et London sa demi-sœur), le film « Bancs publics (Versailles Rive droite) » (2009) de Bruno Podalydès (avec les deux vieux joueurs de Backgammon 2 comparés au duo comique Poiret/Serrault), la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec les deux servantes Claudia et Elsa ), le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec Sulky et Sulku), etc.

 

« Tu es Laurel et moi Hardy. Tu es Batman et moi Robyn. Tu es Tom et moi Jerry. » (Karma s’adressant à sa copine Amy, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « Mon histoire sans la sienne n’a aucun sens. Cyril est ma réciproque. Nous sommes réunis à jamais dans cet univers qu’il affectionnait tant. […] Je suis entrée en lui comme il est entré en moi. […] Sans lui, je n’existe pas. » (la psychiatre concernant son patient Cyril, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, pp. 219-221) ; « J’avais affaire à un double cas de Docteur Jekyll et Mister Hyde. » (Jean-Marc en parlant du couple homo Dan et Gerry, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 205) ; « Faisons à nous deux un héros de roman. […] J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai l’esprit. Tu seras la beauté. » (Cyrano s’adressant à Christian dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Ah, non, Linda, arrêtez ! Ah, la salope, elle m’est rentrée dedans ! Allô, Linda, sortez tout de suite ! » (Loretta Strong, le héros travesti M to F, dans la pièce éponyme (1978) de Copi) ; « J’étais chez Khalid. Je dormais avec mes vêtements de jour dans son lit. Seul dans son lit. Puis avec lui. Mais, du plus loin de mon sommeil, c’est moi qui parlais cette fois-ci. ‘Non, non, ce n’est pas moi… Oui, oui, c’est moi… Moi… Sûr… Sûr…’. » (Omar, le héros homosexuel dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Nous n’aurions dû être que deux êtres humains à la fois. » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à son amant Mathan, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Mes dieux chéris adorés, faites que jamais nous ne nous séparions, lui de moi et moi de lui. » (la naïade abusive fusionnant avec Hermaphrodite, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Nous sommes toutes deux emplies de la vieille paix de Morton, parce que nous nous aimons si profondément… et parce que nous sommes une perfection, une chose parfaite, vous et moi… non deux personnes distinctes, mais une seule. » (Stephen, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Angela, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 191) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, les deux ex-amants Danny et Zach sont l’un pour l’autre une conscience. Par exemple, à chaque fois que Zach fume dans un lieu non-fumeur, Danny le surprend et le rappelle à l’ordre par surprise. Ils partagent une seule et même vie, comme deux moitiés d’homme : « On peut rendre notre vie plus belle. » (Zach) ; « Seulement un petit désagrément avec moi-même… » (Zach après l’engueulade avec son double, Danny) ; etc. Ils se marchent fatalement sur les pieds : « On ne s’entend pas très bien, pas vrai ? » (Danny s’adressant à son amant Zach, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Toi et moi, on a connu une trahison de trop. » (Zach à Danny, juste après l’avoir embrassé sur la tête, idem) Quand Zach déclare à Danny « Tu peux me sauver grâce à ta vie. », celui-ci lui répond : « Écoute-moi : je ne suis pas toi ! » Dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), Merteuil et Valmont s’amusent à interchanger leur rôle et leur peau, en parlant à la place de l’autre.
 

Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel intercale toujours dans son discours des interruptions d’Aurélie, sa meilleure amie, qui lui coupe la parole avec des questions gênantes et inquisitrices. Il la présente comme « son double » On découvre petit à petit que le double en question est plutôt un modèle narcissique impersonnel (d’autre fois, Aurélie devient « Armelle ») et un peu trouble : « Les soirées déguisées, on adore ça. C’est le moment parfait pour être quelqu’un d’autre. Pour montrer son double. » ; « Eh ben oui. Tous mes copains ont une sœur maléfique ! » Le héros ne se gêne pas pour la maltraiter : « Pourquoi Armelle est là à toutes les soirées ? C’est de la schizo. »

 

Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le héros homosexuel, considère son colocataire Benji, très loquace, comme sa « petite voix » : « T’es pas les autres : toi, c’est moi. »

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, quand Kévin fait remarquer à son copain Bryan qu’il parle de son cerveau et de lui-même comme s’ils étaient deux entités dissociées, Bryan lui répond : « C’est un peu ça. Des fois, j’ai l’impression d’être un étranger dans ce corps. Je ne sais pas si c’est le mot qui va bien. C’est plus l’impression de désaccord, de perte de contrôle, avec des envies, des pulsions et des idées que je préférerais ne pas avoir, dans lesquelles je ne me reconnais pas, qui me mettent mal à l’aise… Tu comprends ? » (p. 374)

 

Dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, la schizophrénie est au centre de l’intrigue : « C’est mon lot quotidien, les schizophrènes. […] Traiter deux patients qui partagent le même psychisme, c’est comme en traiter un seul qui en aurait plusieurs. » (le psy) Les deux meilleurs amis, Jean-Louis (l’hétéro) et Jean-Charles (le transgenre M to F Jessica) « partagent le même psychisme » : « Je deviens sa demi-sœur. » (Jean-Charles parlant de Jean-Louis)

 

Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Jenko (le grand beau gosse) et son collègue Schmidt (le gros petit) se disputent beaucoup : « Tu me tires vers le bas. » (Jenko) ; « Tu étais une petite fleur et je t’étouffais. » (Schmidt) À la fin, face à cette drôle de fraternité, Zook, leur camarade-rival, conclut à propos de Schmidt : « C’est lui son âme-sœur. »

 

DOUBLES Jumeaux diaboliques

 

Le double schizophrénique peut être un animal. « Le rat sortit son museau de la poche du veston grisâtre et secoua ses moustaches ; il écouta les pas du propriétaire du veston, M. Alphand, qui entrait dans la bibliothèque, furieux, et faisait sonner sa canne contre le dossier de la chaise où la veste était accrochée ; le rat poussa un cri et alla se cacher entre les livres. […] Le rat avait pris possession de la bibliothèque de M. Alphand. » (cf. la première phrase de la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi, p. 61) Par exemple, dans son one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007), Madame H. parle à « Montherlant », son écharpe en hermine. Dans la pièce Toutes les chansons ont une histoire (2009) de Quentin Lamotta et Frédéric Zeitoun, les deux mainates dans leur cage sont les commentateurs désopilants des humains qui les entourent. Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, le perroquet de doña Mechita fait des siennes.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

L’animal en question est l’indicateur, chez le personnage homosexuel, à la fois du voyeurisme et de la paranoïa : « Goliatha, le rat me regarde ! J’ai peur ! » (« L. », le héros travesti M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) Par exemple, dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mère d’Adrien (le héros homo), par une hallucination, voit en vrai son fils mort dans sa baignoire : Adrien vient habiter ses pires cauchemars.

 

Ce double androgynique est aussi bien souvent un membre de la famille du héros (la mère et surtout le frère ou la sœur). Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homosexuel, avoue que sa sœur a fait une dépression. Dans la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, Mathilde et Adrien symbolisent une androgynie psychique. D’ailleurs, à un moment, on ordonne leur séparation (« Séparez-les ! ») tellement le frère et la sœur sont fusionnels. Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, les deux frères Sandre (le pessimiste terre à terre) et Audric (le rêveur) forment une seule entité. Dans le film « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock, l’esprit de la mère morte occupe l’esprit de son fils Norman. Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la Reine et sa fille sont les deux parties encéphaliques d’un même cerveau, celui de leur auteur : « Dès que ma fille n’est plus là, ma mémoire défaille. » Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le frère d’Europe entend sa sœur lui parler de l’intérieur, de manière invisible, par transmission de pensées : « Je t’aime. Faut pas t’inquiéter pour moi. » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, la grande sœur de Juna (l’héroïne lesbienne) est une voix-off accaparante qu’on ne voit jamais et que Juna tuera en la carbonisant. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M a un frère – à la fois de sang et symbolique –, qui se nomme Emad, qu’elle invoque et qui va l’aider à s’exiler en Allemagne pour son opération de changement de sexe : « C’est mon frère. Il n’est pas d’ici. »
 

En toile de fond de ce duo uni à la vie à la mort se lit très souvent l’inceste (en général entre frères), le narcissisme et le viol. « J’ai passé mon temps à vous séparer et à recoller les morceaux ! » (Jasmine s’adressant à ses frères Djalil et François – Djalil est le demi-frère de François – dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « On finit toujours par se disputer. » (François et Jasmine, frère et sœur jumeaux, idem) ; « Tu lis en lui comme dans un livre ouvert à l’envers. » (Félix, le héros homosexuel parlant de son frère Victor, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 177) ; « Je l’aime. Il a une double personnalité, ça me fascine. Soit il reste immobile pendant des heures, soit il saute sur moi. » (le narrateur homosexuel parlant de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 66) ; « Vous êtes habituée à vivre avec votre sœur qui vous facilitait tout. Toute seule, vous êtes comme un enfant. » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Le ventre collé contre le grand lit de fer. Je cherche mon frère. J’avance vers le sommier. Le dos fermé couché, j’ai mal à reconnaître. La voix de mon frère, un sanglot étouffé. Pour le rencontrer, j’ai fait un millier de mètres à pied car ils nous ont séparés. » (cf. le poème « Le Dos d’un cœur » (2008) d’ Aude Legrand-Berriot) ; « Dianne et moi, on était comme McGyver et son couteau, les asperges et la sauce hollandaise ou les jumelles Olsen. Elle était mon ange gardien, mon amie et alliée. Et moi, son deuxième cœur. » (Phil, le héros homo à propos de sa sœur jumelle, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa); etc.

 

Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la mère apparaît comme une voix de la conscience, un double schizophrénique « attachiant » et désagréable, qui ne lâche pas son fils homosexuel Guillaume d’une semelle, et qui le transforme en moulin à parole parlant pour deux (« Tu promets de ne pas monopoliser la conversation, hein ? » demande Clémence, une amie de Guillaume pendant une soirée entre filles) : d’ailleurs, c’est le même acteur qui joue le fils et la mère. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William, le héros homo, et Adèle sa sœur, ont une relation particulièrement fusionnelle et incestuelle. Ils semblent inséparables et sont même une menace pour l’amant de William, Georges, qu’ils torturent psychologiquement pour lui faire payer sa double vie de bisexuel : « Qu’est-ce que c’est que cette sangsue ?? » demande ce dernier pour les déscotcher, en vain. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jane, l’héroïne lesbienne et la jeune Anna, 13 ans, sont comme des jumelles, des reflets narcissiques : elles ont la même éraflure au visage… et le même fantasme de viol/la même expérience du viol.

 
 

b) Ne faire qu’Un avec deux soi-même (schizophrénie) :

Parfois, le personnage homosexuel ne fait qu’Un avec deux lui-même. C’est ce qui s’appelle la schizophrénie… pardon… la « transidentité ». « Une moitié de lui est en lutte contre une autre. » (la Belle par rapport à la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « Vous aviez raison. Je suis pas hétéro. Je suis bipolaire, c’est tout. » (Arnaud, le héros homo s’adressant à son compagnon Benjamin et à son psy, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Elle est María José et lui José María, deux personnes à part entière si l’on tient compte des prénoms, mais rien à voir avec l’idée que se font ceux qui opèrent l’amalgame des deux en un être unique. Il s’agit de quelque chose de profondément religieux, d’ineffable. Ils sont deux, je le répète. » (Luisa Valenzuela, « Leyenda De La Criatura Autosuficiente » (1983), p. 68) ; « Il faut que je me parle. D’homme à homme. De mâle à mâle. De sujet à sujet. » (Jarry se parlant à lui-même, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Votre petite fille intérieure fait du mal à votre petit garçon intérieur. » (John, le héros homosexuel s’adressant à Mr Carter dont il est amoureux, dans le film « Alone With Mr Carter » (2012) de Jean-Pierre Bergeron) ; « Je suis une femme coincée dans un corps d’homme. » (Mia, le héros transsexuel M to F, dans la série Hit & Miss (2012) d’Hettie McDonald) ; « Signé : Sarah Connor. C’est mon vrai prénom à l’intérieur. » (Karine Dubernet dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Jean-Marc, c’est le cerveau caché de notre groupe. » (Jean-Henri dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « J’ai un mec à l’intérieur de moi qui me dit : ‘Il faut pas que t’aies un mec à l’intérieur de toi ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Maintenant, mon corps me dit : ‘Fais ta vie. Je fais la mienne. » (idem) ; « J’ai toujours eu deux facettes. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Il est question de schizophrénie dans beaucoup de créations homo-érotiques : cf. le film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le one-man-show Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, le film « Der Januskopf » (1920) de Friedrich Wilhelm Murnau, le film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « La Vie intime du Docteur Jekyll » (1974) de L. Ray Monde, le film « Dr Jekyll And Mrs Hyde » (1995) de David Price, la chanson « Pull-over » de Mélissa Mars (avec l’hémisphère gauche et droit), les romans Mr Burke et Mr Hare, Assassins (1891) et Cœur double (1891) de Marcel Schwob, le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, le film « Body Double 22 » (2010) de Brice Dellsperger, la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell, la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (traitant du dédoublement de personnalité), le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky (avec Nina, l’héroïne lesbienne mi-ange mi-démon, mi-cygne blanc, mi-cygne noir), la pièce Le Frigo (1983) de Copi mise en scène d’Érika Guillouzouic en 2011 (avec le héros transgenre M to F, déguisé et coupé en deux pour figurer la mère et le fils), etc.

 

« Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « Je n’ai pas l’impression de jouer la comédie mais d’imiter une actrice de cinéma détestable, comment s’appelait-elle ? Elle ne jouait que dans les films de vampires. » (Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Je suis comédienne. Je suis habitée par plusieurs personnages. » (Nathalie Rhéa dans le one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (idem) ; « Les patients qui viennent pour les troubles de la personne ont les mêmes troubles que vous. » (Dr Apsey s’adressant à son patient homo Frank, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Ils – mes doubles – sont les ennemis des psychiatres. » (Renaud dans la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo) ; « Je pensais que ça me libèrerait de mon ambivalence. » (Tom parlant de l’amour homo qui le déçoit, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, la Comédienne dit que lorsqu’elle interprète un rôle, elle « n’a pas l’impression de jouer » : « Ce qu’il y a de plus éprouvant, c’est que soi-même on devient théâtral. […] Si au moins je sentais le personnage… » Dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, Dominique, le héros homosexuel, évoque sa « dualité fondamentale » (p. 13). Dans la pièce Loretta Strong (1974) de Copi, Linda se fait les questions/réponses à elle-même. Dans la série nord-américaine United States Of Tara (2009-2011) de Diablo Cody, on retrouve le thème de l’homosexualité en lien avec la schizophrénie : Tara est une mère de famille qui a des troubles dissociatifs de l’identité, et elle se met par exemple dans la peau d’un vétéran du Vietnam tombant amoureux d’une femme. Dans le roman Stella Manhattan (1993) de Silviano Santiago, l’homosexualité d’Eduardo se manifeste dans un dédoublement de personnalité en Stella. Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry fait les questions et les réponses à lui tout seul, en devançant son public. « Vous savez pourquoi ?/Non on ne sait pas pourquoi. » Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Jacques, Mathan, le jeune héros homosexuel, dit que son prénom intègre l’hybridité entre deux noms : Matthieu et Nathan.

 

Le héros homosexuel dit « s’absenter sur place » : « Je le vois bien que vous êtes là. Mais moi, est-ce que je suis là, moi ? Voilà le problème. » (Jeanne au Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) Il n’arrive pas à comprendre ce qu’il fait : « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » (le héros homo suite à la révélation de son homosexualité, dans le film « Komma Ut », « Coming Out », 2011) de Jerry Carlsson) ; « Je ne sais pas vraiment ce que je fais. » (Elena par rapport à sa relation lesbienne avec Peyton, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Puis-je penser quelque chose et agir autrement ? » (la voix-off d’Audrey, l’agresseur homophobe dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Aujourd’hui je ne sais pas ce qu’il m’arrive. » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 134)

 

Il invente parfois un métalangage narcissique où il parle de lui à la troisième ou la deuxième personne du singulier : « Je’ a disparu. Je suis plus moi même… C’est plus moi dans le jeu. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je lève les yeux sur la fenêtre d’une chambre de bonne où j’ai habité il y a bien quinze ans. Avant Pierre. Tu es en train de t’inventer un roman pour toi seul. Est-ce que ce n’est pas me dis-je là la raison pour laquelle tu as perdu deux débuts de romans, tu refuses d’avance l’accueil d’un public, tu te fâches avec ton éditeur ? » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi) ; « Après j’ai mieux compris l’expérience du Louvre. Devant le tableau de Raphaël, c’était sûrement Vincent imbécile ébahi qui au lieu de se contenter du plaisir des yeux s’était livré à un peu discret touche-pipi dans la poche du plus large futal de Garbo. À moins que ce ne fût le contraire. Car même aujourd’hui, avec un recul de six ans, il m’est encore impossible de dire en toute honnêteté lequel de Vincent ou de Garbo a depuis le début de ce micmac sexuel manipulé l’autre, à qui en réalité la main, à qui le manche. D’ailleurs Vincent Garbo se fout bien de le savoir. […] De ce nouveau point de vue, évidemment, ma déjà pénible existence se complique de jour en jour. Très conscient d’être tantôt Vincent et tantôt Garbo, et de plus en plus rarement l’un et l’autre à la fois, je me retrouve continûment dans le complexe souci de savoir avec exactitude qui je suis. […] Il faut vous figurer deux types en moi, deux types comme à l’affût sur un toit, j’ai dit. Si vous voulez, deux Vincent Garbo face à face et l’un dans l’autre, à la fois confondus et dissociés dans une hypostatique engeance. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 56 à p. 81) ; etc.

 

Cette schizophrénie revient souvent sur le héros sous forme de culpabilité malsaine qui le maltraite parce que cette culpabilité n’est précisément pas connectée à la conscience ni à la réalité : « Pourquoi j’ai appelé ? Pourquoi j’ai fait ça ? Je n’aurais pas dû. » (Bernard après avoir appelé son premier amour Peter par téléphone, forcé par le diabolique Michael, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Donald !!! Donald !!! Qu’est-ce que j’ai fait ??? Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Ça commence. L’angoisse. Je la sens. Seigneur, je n’y arriverai pas !!! » (Michael après avoir traîné tous ses amis homos en procès, idem) ; « L’homme qui vivait en moi, j’en avais même peur. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc.

 

Il y a plus grave. La division du héros homosexuel avec lui-même peut se résoudre par un coup de folie, voire un meurtre. « C’est vous l’ambiguïté ! » (Didier, le héros hétéro s’adressant à son futur amant Bernard, l’homo déclaré, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) Par exemple, dans le film « Dressed To Kill » (« Pulsions », 1980) de Brian de Palma, le tueur psychopathe travesti M to F est atteint d’un dédoublement de personnalité. Dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet, Mathilda est atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Karl Becker et sa femme Heike maquille le meurtre du Dr Alban Mann en cachant le cadavre de la femme de celle-ci, Greta, dans l’immeuble délabré qui fait face au leur. Karl (exactement comme la Lady Macbeth shakespearienne) traduit la conscience cachée du meurtre de Mann ou la conscience de la collaboration de Heike : « Je me souviens de la couverture dans laquelle nous l’avons enveloppée, du bruit des planches qui couinaient quand tu les soulevais. Quelqu’un pleurait. Par moments, je crois que c’était moi, mais à d’autres, je crois que c’était toi, ou peut-être Greta. Peut-être qu’elle n’était pas morte quand tu l’as clouée là-dessous. » (p. 248)

 
 

c) Ventriloque et dialogue contradictoire :

Lon Chaney

Lon Chaney


 

Comme le héros homosexuel (à cause d’une pratique amoureuse qui exclut la différence des sexes) est en proie à une division entre son corps et son âme, ou en proie à la dissociation entre son désir profond et ses actes, la voix de sa conscience lui revient souvent sous forme de voix de ventriloque avec qui il instaure un dialogue de sourd, en général houleux et passionnel, dans lequel ses pulsions (domination/soumission) s’entrechoquent et s’expriment par le paradoxe (cf. je vous renvoie aux codes « Androgynie bouffon/tyran » et « Fusion » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Film "Cabaret" de Bob Fosse

Film « Cabaret » de Bob Fosse


 

On retrouve régulièrement le ventriloque dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le film « The Unholy Three » (1925 pour Tod Browning, et 1930 pour Jack Conway), le film « The Mostly Unfabulous Social Life Of Ethan Green… » (2005) de George Bamber (avec Mari Carmen et sa marionnette homosexuelle, le lion Rodolfo), le roman La Ventriloque (1998) de Claude Pujade-Renaud, la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Au cœur de la nuit » (1946) d’Alberto Cavalcanti, le film « Broadway 39e rue » (1999) de Tim Robbins (avec les deux ventriloques), la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le poème « Les Ventriloques » (1981) d’Harold Pinter, la pièce Des Lear (2009) de Vincent Nadal, le film « Bienvenue à bord » (2011) d’Éric Lavaine (avec le ventriloque et sa marionnette en forme de boa rose), le roman Les Garçons (2009) de Wesley Stace (George est un volubile pantin de ventriloque), la série télévisée H (2000) (où Sabri a acheté une marionnette à un ventriloque), la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec Myriam parlant à sa poupée), etc.

 

« Je t’ai vue te plier en deux lentement, comme la poupée d’un ventriloque. » (l’écrivain s’adressant à Laura, l’un des héroïnes lesbiennes du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 118) ; « J’écoutais ce Don Juan qui ventriloquait par ma voix Sganarelle. » (le narrateur de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 65) ; « Et il paraît qu’il y en a qui s’en servent comme un ventriloque. » (Samuel Laroque parlant du vagin des femmes, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; etc.

 

Par exemple, dans le dessin animé South Park, Herbert Garrison, le héros homosexuel, discute à la façon d’un ventriloque avec une marionnette actionnée par sa main droite, qu’il appelle M. Toque. Dans le roman Parole de ventriloque (2002) de Pauline Melville, le père Napier, un missionnaire jésuite exalté et homosexuel refoulé veut la destruction de la relation incestueuse entre un frère et une sœur, Béatrice et Danny McKinnon. Dans la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Véronèse, Madame Adela est schizophrène : elle se travestit en homme pour se désengager du meurtre de son beau-frère qu’elle a perpétré, en disant que c’est son voisin, un certain « Monsieur Carve », qui l’a tué avec le révolver. D’ailleurs, on retrouve le thème du ventriloque : Adela joue sa sœur Josefina avec sa main. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, lorsque la narratrice transgenre F to M se travestit, elle rentre dans la peau de différents personnages masculins, et croit s’enfanter elle-même. Elle se fait les questions et les réponses à elle(s)-même(s), joue à la marionnette avec son bras. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Noémie et Alfonsine, respectivement habillées en rouge et noir, sont des cousines éloignées, « toujours collées l’une à l’autre » et parlant tout le temps, se disputant et s’injuriant : « Vous n’êtes pas fute-fute ! » ; « Vous êtes laide ! Moi, je suis quelconque. » ; « Bécasse ! » ; etc. Dans le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity, Maurice, le styliste homosexuel, associe toujours ensemble Tannis et Simone, les deux filles épouvantables de sa chef Élise, en disant qu’elles sont jumelles : « Il dit ça tout le temps ! » se plaint Simone. Tannis et Simone sont inséparables, menteuses, voleuses, expriment tout haut ce que pense l’autre.

 

Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur tombe amoureux de son jouet en bois, « Kiki », que lui avait offert son parrain décédé quand il était petit. Il dit que « c’est comme une présence apaisante et rassurante pour lui » : « Je ne l’ai pas choisi. Il ne m’a pas choisi. » Il semble vivre avec cet être-machine une relation fusionnelle où l’un existe au détriment de l’autre : « Il y a eu assemblage de cellules. Il va grandir. Moi pas. Il va gémir. Moi pas. Il va finir. Moi pas. Je suis pourtant dedans. Il se racle la gorge… et c’est ma voix qui sort. »
 

Dans les fictions, on a droit au dialogue schizophrénique du viol consenti : cf. la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen (« We will not let you go/Let me go !/We will not let you go/Let me go ! »), la chanson « Point de suture » de Mylène Farmer (« Prends-moi dans tes draps. Donne-moi la main. Ne viens plus ce soir. Dis, je m’égare. »), la chanson « Les Yeux noirs » du groupe Indochine (« Viens là. Viens avec moi. Reste là. Ne pars pas sans moi. Et cette nuit, dans ce lit, t’étais si jolie. »), la chanson « Ainsi soit-je » de Mylène Farmer (« Tu sais bien que je mens./Je sais bien que je mens./Je sais bien que tu mens. »), la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer (live 1989 à Bercy avec Carole Fredericks dans le rôle de la mère : « Je suis ta mère, je suis ta mère, alors tu es ma fille !/Mais je suis pas ta fille, mais je suis pas ta fille et tu n’es pas ma mère !/Je suis ta mère, je suis ta mère, alors tu es ma fille !/Mais je suis pas ta fille, mais je suis pas ta fille et tu n’es pas ma mère ! »), « Alejandro, please, just let me go ! Alejandro, just let me go ! » (cf. la chanson « Alejandro » de Lady Gaga) ; « Je ne veux pas qu’elle s’introduise. J’aime être contrainte. Je ne veux pas qu’elle m’introduise. Même si elle me dit qu’elle m’aime. » (SweetLipsMesss dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3e Festigay au Théâtre Côté Cour à Paris en avril 2009) ; etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet, Muriel et Magdalena, les deux vieilles qui se déplacent comme deux sœurs siamoises, de manière très mécanique, s’exprime par un étrange dialogue alterné où l’une finit les phrases de l’autre, et c’est un disque qui tourne à vide.

 

Dans la chanson « Regrets » de Mylène Farmer se superpose l’invitation perverse au viol à la résistance à celui-ci. Tandis que Mylène évoque avec son amant Jean-Louis Murat leurs « jeux d’antan, troublants… », elle l’incite à nier le viol (« N’aies pas de regrets, fais-moi confiance et pense à nous… N’ouvre pas la porte. Tu sais le piège. ») ; et ce dernier tient le discours de l’appel séducteur : « Viens ce soir, viens me voir. Viens t’asseoir près de moi. Reste-là. »

 

Dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi, la mère et la fille passent leur temps à simuler leur séparation tout en partant jamais, comme les deux moitiés siamoises d’un même corps : « Tu ne sortiras pas d’ici avant que je sois morte, ça tu peux en être sûre ! » (Evita s’adressant à sa mère) ; « Écoute, Evita, donne-moi le numéro du coffre-fort. Ou bien laisse-moi partir. Laisse-moi partir ? Tu n’as pas besoin de moi ! » (la mère à sa fille) C’est le même scénario entre les autres personnages : « Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! » (Ibiza frappant la mère) ; « Allez-vous-en ! Restez là ! Allez-vous-en ! Non, restez là ! » (Evita à l’infirmière)

 

Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, maintient une relation tellement fusionnelle avec sa sœur hystérique Florence qu’il finit par l’animer comme une marionnette et à lui prêter sa voix, en jouant ses répliques puis les siennes.
 

Le héros homosexuel croit pouvoir incarner à lui seul la différence des sexes. Pour le meilleur… et surtout pour le pire. Par exemple, dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, quand il parle devant sa glace, imite un dialogue entre Dick et sa compagne Marge, en alternant la voix masculine puis féminine… parce qu’il est amoureux de Dick. Plus tard, face à Marge, Tom se noie dans le dédoublement schizophrénique du psychopathe ou du mythomane : « Il vit dans des tas de réalités différentes, Dickie… » À la fin, Tom étouffe son amant Peter avec un coussin, en se confondant en excuse pendant son forfait : « Pardon… pardon… »
 
 

 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Ne faire qu’Un avec un autre que soi :

Mannequins de Thierry Mugler

Mannequins de Thierry Mugler


 

Dans le discours de certaines personnes homosexuelles, le désir homosexuel est représenté par deux marionnettes (comme les deux papys du Muppet Show). Beaucoup d’auteurs homosexuels ont créé des duos de personnages à l’image de leurs tendances sexuelles duelles et divisantes : cf. Sherlock Holmes et le Dr Watson d’Arthur Conan Doyle (cf. l’article « Sherlock Holmes, l’ombre du héros » de Meryl Pinque, sur le site www.faustroll.net, consulté en juin 2005), Don Quichotte et Sancho Panza de Miguel de Cervantes, Laurel et Hardy, les deux régisseurs plateau homosexuels Élie Semoun et Dieudonné, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, la photo Le Festin des Barbares (2013) de Gérard Rancinan (fonctionnant beaucoup sur les associations de doubles), etc. Par ailleurs, des duos comiques homosexuels se sont fait connaître comme des frères siamois terribles : c.f. la chanson « Nous voici réunis » de Charpini et Brancato.

 

 

Ce double schizophrénique est bien souvent un membre de la famille du héros (la mère et surtout le frère ou la sœur). Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko dit que pendant son enfance, les amis de son père le « confondent toujours avec ses sœurs » (p. 17).

 

En toile de fond de ce duo uni à la vie à la mort se lit très souvent l’inceste (en général entre frères), le narcissisme et le viol. « Là, dans cette obscurité, dans cette exécution, cette mort volontaire, je me suis souvenu de ma sœur hantée. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 123) ; « C’est Laurel et Hardy. Don Quichotte et Sancho Panza. » (Pierre racontant sa première impression quand il a rencontré son « mari » Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; etc.

 
 

b) Ne faire qu’Un avec deux soi-même (schizophrénie) :

Vu à Paris près du métro Barbès

Vu à Paris près du métro Barbès


 

Parfois, l’individu homosexuel pense ne faire qu’Un avec deux lui-même. C’est ce qui s’appelle la schizophrénie ou troubles bipolaires… pardon… la « transidentité » ou la « transsexualité ». « Greta Garbo avait deux voix. L’une […] était une voix un peu élevée. […] La seconde était sa douce voix ‘masculine’, dont elle se servait à l’écran. Elle parlait toujours d’elle-même à la troisième personne du masculin. Elle aimait porter mes habits. Je pense qu’elle se voyait comme un garçon accompagné d’un autre garçon. Elle gardait toujours un œil sur les filles… » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 454) ; « Ma maison avait deux tours : l’une plongée dans la lumière et l’autre obscure. » (Hugues Pouyé parlant de son enfance dans le site Les Toiles roses en 2009) ; « Tous les matins se ressemblaient. Quand je me réveillais, la première image qui m’apparaissait était celle des deux garçons. Leurs visages se dessinaient dans mes pensées, et, inexorablement, plus je me concentrais sur ces visages, plus les détails – le nez, la bouche, le regard – m’échappaient. Je ne retenais d’eux que la peur. » (Eddy Bellegueule parlant de ses deux agresseurs le grand roux et le trapu, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 63) ; « Il y a plusieurs personnages en moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles souffrent de schizophrénie, même si elles ne le nomment pas comme ça. Le désir homosexuel, tel quel, est un désir marquant déjà chez l’individu qui le ressent une division identitaire. Et cette division s’accentue dès qu’il se pratique. Comme chaque acte homosexuel nous éloigne du Réel puisqu’il nous fait éjecter la différence des sexes (qui est le socle de notre existence et de l’amour quand elle est vraiment accueillie), il entraîne vers une forme de schizophrénie, autrement dit de décalage entre la sincérité et la Vérité, entre le désir et l’action, entre le vouloir et le faire.

 

Photo Henri Michaux (1925) de Claude Cahun

Photo Henri Michaux (1925) de Claude Cahun


 

C’est pourquoi certaines personnes homosexuelles vantent ouvertement les bienfaits de la schizophrénie : Gilles Deleuze, Félix Guattari, Néstor Perlongher, Claude Cahun, etc. « Le schizophrène n’est pas homme et femme. Il est homme ou femme. Il est mort ou vivant, non pas les deux à la fois, mais chacun des deux au terme d’une distance qu’il survole en glissant. Il est enfant ou parent, non pas l’un et l’autre, mais l’un au bout de l’autre comme les deux bouts d’un bâton dans un espace indécomposable : tout se divise, mais en soi-même. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1972/1973), p. 91) D’autres sont connues pour être schizophrènes, comme par exemple le mathématicien John Nash. En 1990 lors de la Troisième Conférence annuelle des gays et lesbiennes des Premières Nations à Winnipeg (États-Unis), une nouvelle dénomination et catégorie identitaire queer sont nées : les « Deux-Esprits », ou encore « les bispirituels ».

 

Il est fréquent de les voir sur scène rentrer dans la peau de plusieurs personnages : pensez à Philippe Mistral, Laurent Laffitte, David Forgit, Karine Dubernet, Jérôme Commandeur, Alex Lutz, Thierry Le Luron, Yves Lecoq, etc. Par exemple, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit endosse le rôle de trois personnages (la mère, la grand-mère et la fille), trois schizophrénies pour ainsi dire. Dans son avant-dernière pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1984), Copi, habillé de bleu marine, interprétait chacun des 11 rôles qu’il avait composé en changeant sa voix. Dans sa pièce Le Frigo (1983), il jouait en travesti tous les rôles, changeait 14 fois de costumes. Le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne traite véritablement d’un dédoublement de personnalité chez un homme qui a toujours pensé qu’il était une femme, et qui a été entretenu dans ce mensonge schizophrénique à cause du prétexte de « l’identité et de l’amour homosexuels » matraqué par son entourage et sa famille. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M joue à être un mélange « cisgenre » d’homme et de femme : « Après Victor, je suis devenue Mimi. Mi-homme, mi-femme. » À la fin de son spectacle, dans un délire travesti sérieux, la comédienne achève son spectacle en barbu et en enfilant des boucles d’oreilles de diva, avec une question désinvolte « Et alors ? » qui lui fait quitter la salle. Magistral…

 

DOUBLES - claude cahun que me veux te 1928

Photo Claude Cahun que me veux-tu? (1928) de Claude Cahun


 

On se retrouve quelquefois face à la schizophrénie de l’acteur qui ne s’éprouve pas jouer, qui mord à l’hameçon de sa propre sincérité autoparodique : « Paradoxal et rare, il pouvait ‘faire l’acteur’ sans se sentir Acteur. » (Jorge Lavelli dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 32) ; « En ce qui concerne ses romans Copi aimait ses personnages. Souvent il leur prêta son nom. Il prenait du plaisir à la confusion qui s’installait. » (Jorge Damonte, idem, p. 9) ; « Lui-même aurait pu tout quitter d’un seul coup. Faire sa valise pour ailleurs. Exactement comme ses personnages. » (Jorge Lavelli parlant de Copi, dans l’article « Copi : toujours souffrir, toujours mourir, et toujours rire ! » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Quotidien de Paris du 16 février 1988) ; « Le seul problème était de parvenir à se démaquiller. » (Alfredo Arias parlant de son ami Copi qui ne parvenait pas à faire la distinction entre fiction et Réalité, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 12) ; « Je m’enfermais dans un personnage à deux visages. J’étais l’illustration vivante du héros né de l’imagination de Robert Louis Stevenson dans la nouvelle L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Le bon grain et l’ivraie qui nous habitent tous se scindaient sous l’effet d’une drogue chez ce notable anglais. » (Jean-Michel Dunand, dans le chapitre intitulé « Dr Jekyll et Mr Hyde », sur l’autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 50) ; « Je serais intéressé de discuter plus longuement avec toi à ce sujet, notamment sur les symboles de division très présents dans l’inconscient homosexuel. J’ai cru un temps sombrer dans la schizophrénie sous le poids de mon homosexualité refoulée. J’ai créé mon alter ego, Joseph First qui pouvait faire en cachette ce que Julien Parent ne pouvait pas faire. Bien sûr Julien détestait ce que Joseph faisait et rêvait de le tuer, dans ce sens tu as raison, c’est très destructeur. Mais si on regarde bien, c’est Julien le bon catho qui souhaitait devenir père de famille qui a créé Joseph, parce que Julien ne pourrait jamais faire ou exprimer ce qui était en lui véritablement. Je pense donc que l’expression intérieure de division de l’homosexualité est une conséquence plutôt qu’un caractère intrinsèque. » (Julien, mai 2012, sur Facebook) ; « J’ai procédé à une césure sans m’en rendre compte entre mon corps et ma tête. » (personne intersexe qui se fait appeler « M », dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018) ; etc.

 
 

c) Ventriloque et dialogue contradictoire :

Jean Cocteau

Jean Cocteau


 

Comme les personnes homosexuelles (à cause d’une pratique amoureuse leur faisant exclure la différence des sexes) sont en proie à une division entre leur corps et leur âme, ou en proie à la dissociation entre leur désir profond et leurs actes, la voix de leur conscience leur revient souvent sous forme de voix de ventriloque avec qui elles instaurent un dialogue de sourd, en général houleux et passionnel, dans lequel leurs pulsions (domination/soumission) s’entrechoquent et s’expriment par le paradoxe (cf. je vous renvoie aux codes « Androgynie bouffon/tyran » et « Fusion » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Photo Conversation avec mon moi par Annakarin Quinto

Photo Conversation avec mon moi (2011) par Annakarin Quinto


 

On assiste parfois dans la réalité à une rencontre étonnante entre homosexualité et monde des ventriloques. Par exemple, dans le Figaro du 24 février 1980, Copi fait une simulation d’interview avec ses propres personnages. Il s’adresse à la Eva Perón de son spectacle et lui fait faire sa promo. Dans sa photographie Autoportrait (1939), Claude Cahun pose à côté d’un mannequin. Dans la pièce Le Frigo (1983), le rat est employé comme une marionnette de ventriloque par Copi. C’est « l’obsession-fétiche, une marionnette de mousse à laquelle il prétendait ressembler comme un frère » (cf. l’article « Copi, à jamais pas conforme » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Quotidien de Paris du 15 décembre 1987).

 

 

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