Documentaires « 1974, Une Partie de campagne » de Depardon et « Le Choeur » de Stéphane Batut

 

J’ai eu la chance de voir gratuitement quelques films documentaires proposés par Sciences-Po Paris dans le cadre de leur premier festival sur le film politique, programmé au cinéma L’Arlequin à Paris : tout d’abord le film « 1974, Une Partie de campagne » de Raymond Depardon, retraçant la campagne présidentielle de Valéry Giscard-D’Estaing juste avant son élection à la présidence (avec débat le jeudi 17 mars 2016 en présence du réalisateur) ; puis le vendredi, « Le Choeur » de Stéphane Batut, filmant dans un bar parisien les commentaires pendant la campagne présidentielle de 2007 opposant Sarkozy à Royal.
 

Ce genre de films (qui n’auront pas la chance de passer à la télé ni d’être payant) sont des bijoux pour se pencher sur notre histoire. Ils nous aident vraiment à mieux comprendre notre présent, à saisir les mutations dans la capacité de nos contemporains à débattre entre eux.
 

Ce qui m’a interpellé dans « 1974, Une Partie de campagne », c’est qu’à l’époque, les slogans électoraux étaient nominatifs, ils respectaient encore la personnalité du candidat présidentiels. On votait davantage pour la personne et on respectait la personne qui se présentait plus qu’on ne votait pour un parti, une idéologie, ou par opposition. Par exemple, le slogan qui a fait élire Giscard, c’est « Giscard, à la barre !« . Jamais, depuis, on a eu des militants qui ont scandé officiellement le nom de leur favori : ça n’a toujours été que des formules publicitaires, pour des votes par défaut, sans visage derrière : « Ensemble tout devient possible« , « La France Présidente« , « Le Changement, c’est maintenant!« … Le désir était certainement pavé de bonnes intentions : éviter le totalitarisme du personnalisme. Mais le résultat est la dépersonnalisation du chef et la victoire des idéologies publicitaires sur le Réel et le Vrai.
 

J’ai eu le coup de coeur pour le documentaire de Stéphane Batut, qui suit les tergiversations et la perplexité des clients d’un bar parisien de tendance gauche pendant la campagne présidentielle de 2007. J’ai beaucoup ri, parce qu’au-delà de son parti pris, c’est un film tendre, fraternel, qui fait du bien, où les gens – même d’avis différents – se respectent et sont d’une grande spontanéité. Ça rigole, ça réfléchit beaucoup, ça taquine, ça doute, ça change d’avis. Contrairement à ce que les sondages ou les journaux ou internet nous montrent des « gens de la rue » qui ne sauraient pas prendre du recul et qui auraient des discussions de comptoir factices (alors qu’en réalité, ces médias cherchent souvent à dresser les gens les uns contre les autres), le Peuple sait rire et être drôle, sait échanger, sait penser, sait se parler, sait accepter la différence, même si bien sûr il y a des effets de groupe qui privent de liberté, des petites frictions, des silences qui en disent long sur la déprime et la désaffection pour la politique, des avis qui n’ont pas tous pu s’exprimer (notamment les abstentionnistes, les pro-Sarko, voire les votants FN, qu’on entend peu). Même si 2007 me semble hier, je crois que, tourné aujourd’hui, compte tenu des nouvelles angoisses et des crispations accrues des Français pour la campagne 2017 qui arrive, le film n’aurait pas du tout la même sérénité ni la même fraternité, pas du tout le même esprit. Internet y est pour beaucoup, je crois, dans cette incapacité croissante à débattre et à accepter l’avis différent. L’interface des réseaux sociaux a agi depuis 10 ans comme un masque qui déforme bien souvent notre vision des autres, comme un écran qui met l’entourage dans des cases ou des familles de pensée manichéennes (la « gauche » contre « les extrêmes », les « gentils progressistes » et les « méchants réacs », les « cathos » et les « athées », les « bobos gauchistes » ou les « sales modernistes » et les « bons tradis », etc.). En tous cas, que ça fait du bien et que ça fait aimer les Français, un documentaire pareil ! Je trouve vraiment les gens drôles et gentils. C’est plus fort qu’eux. L’avis que je porte sur leurs pensées ou la qualité de leur débat passe au second plan.