Les réseaux sociaux, l’espace des fusions potentiellement mortelles

La perversité intrinsèque aux réseaux sociaux – et ça, on ne peut rien y faire, à part s’en désinscrire – c’est que la personne et son discours, l’émetteur et son message, la personne et son avis, la personne et ses actes, la personne et ses amis, la personne et le lieu où elle est, la personne et sa croyance, sont souvent associés, fusionnés… d’où le cortège des #JESUISKENYA #JESUISCHRÉTIEN #JESUISCHARLIE. Ceci est dû entre autres à l’immédiateté et l’impulsivité qu’encourage les machines internétiques. À l’hybridité paradoxale du concept de journal intime-public, privé-social, que sont Facebook et Twitter. À la juxtaposition de la photo personnalisée (avatar) avec le « post » ou le « tweet ». Et cette proximité du texte avec le visage, c’est fatal. Car personne (à part Dieu) n’est ce qu’il dit, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce qu’il aime, qui il aime (pas même sa famille ni ses amis ni son compagnon), ce qu’il sent, où il est, en qui et en quoi il croit, ce qu’il désire, ses projections et ses fanatsmes. Et dans cette illusion de fusions, Dieu, le Réel, la Vérité, la différence et les autres peuvent vite passer à la trappe, car il n’y a plus d’espace pour eux. N’aidant pas les êtres humains à faire la part des choses entre eux-mêmes et le reste, les réseaux sociaux deviennent fatalement le théâtre du jugement de la personne (jugement en soi hyper violent), le théâtre de la caricature et de la trahison (à soi/aux autres). D’autant plus que leurs habitants peuvent facilement passer leur temps à se justifier de ne pas être ce qu’ils ont dit, pensé, aimé, fait, rencontré, défendu, si cela ne leur plaît plus ou si cela leur attire des ennuis. Ils peuvent dépenser une énergie folle (et même leur vie) à se défendre de ne pas être leur image. Les réseaux sociaux, c’est de la préfiguration de schizophrénie individuelle et de guerre mondiale. À l’instar de la mode des sanbenitos qui illustrait/supportait la tyrannie de l’Inquisition. À l’instar de la démocratisation des premiers téléphones qui a anticipé/organisé les deux Premières Guerres Mondiales.