Petit miracle à l’église saint Jean-Baptiste de Grenelle à Paris

 

Les messes auxquelles nous assistons – si nous le savions ! – sont des habits taillés sur mesures pour chacun d’entre nous, et suivant minutieusement notre actualité, nos respirations et nos événements personnels. Elles battent au coeur de notre coeur.
 

Avant-hier (samedi 30 juillet 2022), à Paris, j’ai rencontré un homme (je vais l’appeler « M ») sur un site de rencontres gays. Nous avons passé une très bonne soirée et nous sommes sortis ensemble. Une relation prometteuse car nous nous plaisons mutuellement et nous avons eu des échanges nourris, profonds. Si prometteuse que nous avons éprouvé le besoin de nous revoir le lendemain et de passer la journée ensemble. Intérieurement, j’étais écartelé entre bien-être et mal-être. Comme un homme expérimentant un mal de mer insurmontable, entrecoupé à certains moments de temps d’accalmie grâce aux discussions, à la stratégie, au retrait et à la subtilité de son partenaire quand ce dernier sent venir les pics de vertige en lui. C’était le cas de « M ». Un homme vraiment fin psychologue et grand empathique.
 

Nous allions lui et moi nous dire au revoir. J’ai failli le laisser gare saint Lazare. Et comme il devait déposer un courrier pas loin d’un centre d’hébergement proche du métro Commerce, il m’a proposé de l’accompagner et je l’ai suivi. Avant de nous quitter, il m’a aussi suggéré d’aller à l’église saint Jean-Baptiste de Grenelle car il souhaitait y déposer un cierge. Je n’y serais jamais allé sans lui. À la base, je comptais même « sécher » la messe dominicale du jour.
 

En foulant l’entrée de l’église, nous nous sommes rendus compte qu’une messe (celle de 18h30) démarrait. Ça nous a amusés autant que gênés, car nous n’allions pas avoir notre premier moment d’intimité spirituelle rien que tous les deux avec Dieu. Nous étions debout dans le fond de l’église. « M » a déposé son cierge, tandis que moi je commençais à rentrer dans la messe.
 

Un « détail » m’avait interpellé dès notre arrivée : un prêtre en aube, avec son étole verte (donc « prêt à l’emploi », j’ai envie de dire), faisait les cent pas sur l’allée latérale de droite de l’église ainsi que près de la porte de sortie principale. J’ai appris plus tard que c’était le père Thierry de Lesquen, le curé de la paroisse. Qu’attendait-il ? Il n’était même pas assis calmement à côté d’un confessionnal, en mode « Je vous y attends ». Non non. Il se baladait simplement dans le fond de l’église, comme s’il attendait quelqu’un. Comme s’il m’attendait MOI, en fait. Sans me regarder ni m’inviter explicitement. Avec une discrétion absolue, et même une incongruité assumée. Sur le moment, je n’ai pas compris. Que faisait-il là, disponible, durant le premier tiers de la célébration, pendant que son collègue (un prêtre africain) célébrait seul… alors qu’il eût été logique qu’il concélèbre à ses côtés? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que ce serait une excellente idée que pendant les débuts de messes, un prêtre-sentinelle se poste au fond de l’église, l’air de rien, au lieu d’être « sur scène » avec ses collègues (comme ça arrive pendant les festivals cathos, avec des possibilités de confessions latérales spontanées) : ne serait-ce que pour les visiteurs accidentels, les pécheurs « de la dernière heure », ou les néophytes qui rentrent dans l’église sans se juger dignes d’assister à la messe et de simplement s’asseoir dans l’assistance.
 

En me voyant absorbé par le début de l’office, « M » a décidé de partir et de me laisser vivre mon moment avec Dieu seul. Il est donc parti juste après le kyrie (Seigneur prends pitié). Et immédiatement après son départ, il s’est produit une gaffe que je n’attendais absolument pas. La dame qui était préposée à faire la première lecture du jour à l’ambon s’est plantée de texte. Elle a commencé à lire le passage de la semaine précédente, avant d’être interrompue et rectifiée par le prêtre : « En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. Alors le Seigneur dit… » [et la suite aurait dû être : « ‘Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde !’ »] (Gn 18, 20). Évidemment, ça tombait pile poil sur le seul texte biblique de l’Ancien Testament qui traite explicitement d’homosexualité ! Et ça correspondait parfaitement à mon contexte de réception/d’audition.
 

C’est le genre de clins Dieu que le Seigneur m’a déjà réservés à d’autres reprises dans mon histoire : précis, chirurgicaux, implacables, et souvent drôles. Jésus me parle directement à moi. En particulier pendant les messes (« à la meeeesse, à la meeeesse » hihi) et à travers les prêtres. C’est du calibré, du sur-mesures.
 

Comprenant que ce dérapage était un signe, je me suis dirigé soudainement pendant le psaume vers le père Thierry attendant debout dans le fond de l’église pour lui demander s’il pouvait me confesser. Ce qu’il a fait. On s’est assis à l’allée latérale, sur des sièges et un prie-Dieu placés non loin d’un confessionnal. Je lui ai tout balancé : que j’étais venu accompagné, ce que j’avais vécu lors des dernières 24h. Confession-express nette, brève, efficace. Le père Thierry – un homme visiblement humble mais gardant une attitude d’écoute empreinte d’une forte gravité – voyait bien que je ne lui racontais pas des salades puisqu’il nous avait sûrement identifiés, « M » et moi, au seuil de sa maison.
 

Je suis allé m’asseoir un peu plus près, à côté d’un pilier, dans l’assistance. Dans une joie et une gratitude sérieuses envers le Seigneur. A fortiori parce que la seconde lecture collait encore une fois parfaitement avec mon contexte du moment. À l’image d’une caméra qui suivait tous mes mouvements extérieurs et intérieurs : « Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Plus de mensonge entre vous : vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. » (saint Paul apôtre aux Colossiens, Col 3, 1-5 ; 9-11).
 

J’ai continué à suivre le reste de la messe (avec une homélie indigente et paraphrastique comme nous en offrent régulièrement – je suis désolé de le dire mais c’est une réalité – beaucoup de prêtres africains expatriés en Europe). Mais c’est pas grave. J’ai pu communier, puis laisser à l’issue de la messe un message vocal amusé à « M » en mode : « T’as loupé quelque chose. Je me suis fait avoir/cueillir une nouvelle fois par le Seigneur. Et le pire, c’est que c’est de ta faute, tout ça ! »
 

Père Thierry de Lesquen