Philippe Ariño, un ami dangereux et honteux

alesia_asterix

Ne vous approchez pas trop de moi. Ne dites pas publiquement que vous me connaissez, que vous me lisez. Soutenez de loin. Ne « likez » pas. Ne taguez pas. Ne m’invitez pas. Ça risquerait de vous attirer des ennuis. Vous m’applaudirez peut-être à ma mort, quand même mes ennemis ne pourront plus se retourner contre vous ni contre moi (parce qu’on ne s’attaque que rarement à un cadavre).

Ne me mettez pas en avant : dites que c’est « pour mon bien » si vous ne m’assumez pas, que de toute façon je serais « inaudible », « trop cérébral/intellectuel », que je n’aurais pas l’étoffe d’un chef et que je serais « à la ramasse » ou « bouffé tout cru » si vous me montriez devant tout le monde, que c’est « bon pour mon humilité » de me maintenir au frigo. Placez-moi sur une brochette de témoins pour me diluer. Mettez-moi dans un sous-atelier, dans un stand parmi d’autres, dans un workshop-annexe, en coulisses. Présentez-moi comme un Inclassable « intéressant », comme un extra-terrestre isolé dans son désert, comme un témoin que vous connaîtriez « vaguement » et qui « certes dit des choses bien, mais bon… y’a à boire et à manger ».

Regardé, surveillé, écouté, cru, parfois admiré : oui, je le suis. En revanche, assumé et soutenu publiquement : très rarement. Une poignée de personnes me « likent » sur Facebook (sur Twitter, c’est quasiment zéro rebond). Trois pelés et deux tondus partagent mes articles sur Internet (et encore… j’ai droit à leur soutien presque uniquement quand je poste des chatons chrétiens en Irak, des jolies phrases cathos qui n’engagent à rien ou qui font l’unanimité, des vidéos qui n’impliquent aucune polémique ou prise de risque). Je n’attends pas non plus d’être LE Centre d’intérêt de la Terre entière ni que tous se passionnent pour l’homosexualité comme moi je peux le faire… mais bon, il y a quand même un minimum, et une question de priorités par rapport aux messages, aux combats que nous avons à mener pour la Vérité. Qu’au moins on ne me rabaisse pas gratuitement (comme l’a laissé faire par exemple le site Liberté politique qui a offert à Yves Floucat l’opportunité de descendre mon livre L’homophobie en vérité), a fortiori quand on est dans le même camp et que je fais un travail utile.

Je constate sur les réseaux sociaux et dans l’Église catholique combien mon témoignage, et toute ma personne, sont clivantes. Non pas en soi (je n’ai pas encore le pouvoir de me séparer ; et je crois que, dans tout ce que je fais et dis, il y a une véritable cohérence et solidité qui, au fond, unifient ; je ne pense pas non plus être sulfureux, provocateur ni déraper quand je prends la parole) mais en perceptions extérieures. On l’a vu lors du passage du « mariage pour tous », qui a révélé la grande division qu’il existe dans l’Église de France autour de l’homosexualité. Alors imaginez autour de ma personne ! Je constate combien ceux qui osent parler de moi ou me faire venir en conférence se retrouvent parfois en difficulté, pas à cause de ce que je dis, mais à cause des interprétations erronées de ma visite, ou bien des blessures liées à la sexualité que ça met en valeur, ou bien des malentendus que ça génère dans leurs propres cercles amicaux et ecclésiaux.

M’encourager, c’est s’exposer à perdre des amis. Je le vois et on me le rapporte. C’est devenu un délit. Même mes propres amis se méfient de moi. Quand ils sont d’accord avec mon discours, ils se taisent. Et si leur soutien à mon égard devient trop visible (et donc trop suspect), ils s’en excuseront auprès de leurs proches : « Bon, il est clair qu’on ne peut pas être d’accord avec tout ce qu’il dit… ». Du Philippe Ariño, ça se passe sous le manteau. Avec Koz Toujours ou Tugdual Derville ou Pierre-Hervé Grosjean ou François-Xavier Bellamy, on est sûr de (faire semblant de) s’engager sans que ça nous retombe dessus, de s’assurer une bonne image. C’est l’engagement à moyen prix. Mais avec moi, ce n’est pas pareil. Il faut soutenir en cachette. Ce ne serait pas « médiatiquement correct ». Et pourquoi? Eh ben parce que.

Pareil décalage fait souffrir et est bien triste, d’un certain côté, car je ne pense pas mériter une telle honte, une telle retenue, une telle méfiance, ni de si nombreuses trahisons amicales. Et d’un autre côté, j’en ai pris mon parti, parce que c’est tout simplement le prix de la vraie liberté. Si je faisais trop l’unanimité, je ne serais pas dans le vrai ; et le confort du succès facile que je vivrais puerait la mort de celui qui parle pour ne rien dire et pour ne bousculer personne. Pour rien au monde je renoncerais au risque d’être parfois impopulaire, à la liberté de dire ce que je pense et ce en quoi je crois vraiment, à l’inconfort de dénoncer ce qui dans le monde me dérange. Ce sera peut-être à vie que j’aurai à porter et à assumer mon isolement de catho-pas-lisse. Tout comme la très controversée Béatrice Bourges. Être lisse et constamment dans le catholiquement correct, quel ennui ! Ne pas être lisse, c’est souffrir sans arrêt des frottements, des jalousies, des trahisons, des assauts extérieurs, d’une grande solitude. À choisir, je préfère quand même le relief.