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Code n°59 – Entre-deux-guerres (sous-codes : Armée / Prison / Homosexualité de circonstance)

Entre-deux-guerres

Entre-deux-guerres

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La guerre, cet obscur objet de désir

 

Il est souvent fait explicitement référence à l’homosexualité en tant que passerelle entre deux conflits… arc-en-ciel rainbow de l’entre-deux-guerres. Cela s’explique. La pratique homosexuelle et le désir homosexuel sont signes de conflit. Ni cause ni conséquence de guerre, pourtant. Juste signe. C’est pourquoi ils peuvent précéder ou succéder une guerre, ou apparaître en sandwich entre deux guerres. Ce qui les symbolise le mieux, c’est donc l’entre-deux-guerres. « Des hommes et des femmes, nés dans l’entre-deux-guerres, ils n’ont aucun point commun sinon d’être homosexuels et d’avoir choisi de le choisir au grand jour, à une époque où la société les rejetait. Ils ont aimé, lutté, désiré, fait l’amour. Aujourd’hui, ils racontent ce que fut cette vie insoumise, partagée entre la volonté de rester des gens comme les autres et l’obligation de s’inventer une liberté pour s’épanouir. Ils n’ont eu peur de rien… » (cf. résumé de présentation du documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, dans le programme du 18e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2012, p. 70)

 

Existe-t-il un lien entre homosexualité et guerre ? entre homosexualité et contexte social de décadence ? Bien sûr que oui, même si cette relation n’est pas causale. « L’environnement social à lui seul ne suffit pas à rendre compte de la mise en place des tendances homosexuelles. » (Xavier Thévenot, Mon fils est homosexuel ! (2001), p. 30) Le désir homosexuel et la pratique homosexuelle semblent être une sexualité par défaut, imposés par les événements, et en général par des événements violents, où la liberté humaine a été amoindrie et bafouée, comme par exemple les guerres ou les grands conflits mondiaux, les situations de captivité, les sociétés où la différence des sexes est soit banalisée soit trop marquée. C’est pour cela qu’on les appelle souvent « homosexualité de circonstance ».

 
 

Je vous renvoie également aux codes « Passion pour les catastrophes », « Homosexuels psychorigides », « L’homosexuel riche / L’homosexuel pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Homosexualité noire et glorieuse », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Hitler gay », « Femme au balcon », « Témoin silencieux d’un crime », « Coït homosexuel = viol », « Voleurs », « Scatologie », et à la partie « Marin gay » du code « Eau », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Personnes homosexuelles : témoins d’une guerre ? Causes ou conséquences d’un viol mondial de la différence des espaces, ou juste signes de ce dernier ?

 

ENTRE 2

 

A – L’homosexualité de circonstance

Il est difficile de nier que certains facteurs autres que personnels et familiaux influent sur l’affirmation d’un désir homosexuel. « Selon Krafft-Ebing, la masturbation est le grand boulevard qui mène à cette perversion. Peut jouer aussi le confinement ou l’enfermement dans des prisons, navires, casernes, pensionnats, bagnes, etc. Si ces individus n’ont pas été abrutis par l’onanisme, ils reprennent les rapports sexuels normaux aussitôt que les obstacles qui les empêchaient cessent d’exister. Mais le danger peut naître surtout de l’influence de la masturbation. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 101 puis p. 104) L’explication de l’homosexualité par des faits sociaux réside principalement autour de la notion d’« homosexualité de circonstance ». Celle-ci apparaît lors de contextes politiques particuliers, souvent déshumanisés, misérables et dictatoriaux, forçant aux rapprochements des corps : une guerre, une incarcération, une abstinence sexuelle imposée, une vie cloîtrée dans un pensionnat ou une caserne, une soirée trop arrosée, une société permissive ouverte à la pornographie et imposant la tyrannie de l’hédonisme, de l’orgasme, et de l’euphorie perpétuelle, etc. Elle est généralement temporaire, proche de l’animalité et de la bisexualité, commanditée dans une large mesure par la pulsion, pratiquée entre semblables sexués dans un moment de promiscuité sexuelle où les membres du sexe complémentaire sont mis socialement à l’écart. Les récits d’incarcération de certains prisonniers homosexuels (Kouznetsov, Reinaldo Arenas, Jean Genet, Aimé Spitz, etc.) s’accordent pour montrer l’existence d’une pratique accrue des relations homosexuelles dans les prisons, les casernes, et les camps de concentration.

 

L’homosexualité de circonstance est généralement considérée comme moins noble que l’homosexualité classique, cette dernière étant vécue dans des contextes plus pacifiés où les individus ont l’impression de choisir davantage ce qu’ils font et le partenaire qu’ils décident d’aimer. Même si dans les faits, la pratique des rapports sexuels entre individus de même sexe est assez répandue sous les régimes non-démocratiques et pourrait être qualifiée d’« homosexuelle », l’homosexualité de circonstance, loin d’être validée socialement, ne semble pas en effet revêtir le caractère positif et durable de l’homosexualité en tant qu’engagement d’amour entre deux adultes consentants et s’affichant clairement comme « homos » dans des sociétés où elle est davantage reconnue. Concernant les pays arabes par exemple, Robert Aldrich souligne que « les pratiques homosexuelles sont plutôt le résultat de la misère sexuelle existant dans le Maghreb que de vrais désirs homosexuels : c’est une sexualité de substitution » (cf. l’article « Maghreb » de Robert Aldrich, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 306. Concernant les liens entre homosexualité et Islam, voir également les travaux de A. Boudhiba).

 

L’explication de l’homosexualité par le biais de la circonstance n’est donc pas appréciée de la plupart des membres de la communauté homosexuelle, car d’une part il discrédite la pureté du lien d’amour homosexuel (si l’homosexualité se réduit à un accident de parcours, à une situation désagréable et imposée, elle en vient à perdre son caractère désirant, aimant, libre), d’autre part parce qu’il appartient aussi au discours bisexuel par excellence. En effet, la conduite homosexuelle passagère d’un homme incarcéré ou ivre le temps d’une nuit en boîte semble se dissocier totalement de l’orientation sexuelle ressentie précocement et durablement par un adolescent qui se sait depuis toujours attiré par les garçons. C’est pourquoi la majorité des personnes homosexuelles refusent que leur sexualité soit le signe d’un contexte social précis (d’autant plus que celui-ci est en général répressif). Cela conforterait le préjugé homophobe associant homosexualité et décadence des mœurs/monstruosité.

 
 

B) L’influence indirecte des crises sociales

Mais entre une homosexualité « purement choisie » et une homosexualité de circonstance, comment établir clairement la frontière ? Faut-il le faire ? D’un point de vue uniquement causal, je pense que non ; du point de vue de la coïncidence, cela semble indiqué, car ce lien entre dictature et désir homosexuel, s’il n’est pas reconnu, alors qu’à l’évidence il existe parfois, peut s’actualiser violemment. La question ici n’est pas de savoir si l’homosexualité, parce qu’elle apparaît plus ou moins exceptionnellement dans des lieux et des contextes sordides, est une orientation sexuelle mauvaise ou non. Il s’agit simplement de constater qu’elle est parfois signe de conflits où l’Homme a perdu sa dignité et a subi une dictature sociale (à l’école, au collège, au travail, dans sa communauté religieuse, dans son pays, etc.). Le fait que, dans les fictions homo-érotiques, beaucoup d’auteurs homosexuels mettent en scène des situations dans lesquelles la frontière entre espace public et espace privé est systématiquement violée paraît à cet égard très signifiant.

 

Plus encore que d’avoir véritablement subi un viol planétaire, la majorité des personnes homosexuelles (mais on pourrait dire la même chose des personnes hétérosexuelles) ont désiré avec angoisse se faire violer mondialement, exactement comme la vedette de cinéma. Ce désir de viol, c’est par exemple la « première grande peur de la mort » ressentie par Michel Foucault à l’âge de huit ans quand il apprend l’assassinat du chancelier Dolfuss par les Nazis autrichiens en 1934 (Michel Foucault, Dits et écrits I, 1954-1988 (2001), p. 14). Ce sont les expériences de Jean Cocteau, de Suzy Solidor ou bien de Julien Green en tant qu’ambulanciers pendant la Première Guerre mondiale. C’est en somme l’euphorie angoissée de l’entre-deux-guerres. Pensez aux poètes homosexuels de la « Génération de 1927 » dans une Espagne coincée entre le « Désastre de 1898 » et la Guerre civile espagnole de 1936, à la surprenante mode de l’efféminement à la cour impériale de Napoléon Bonaparte alors que la France se trouve sur plusieurs fronts à la fois, à Reinaldo Arenas qui aime à dire qu’il a passé toute sa vie entre deux dictatures (celle de Batista puis de Castro), à l’Allemagne homosexuelle des « années folles » prise en sandwich entre la Première Guerre mondiale et la Seconde, à l’Espagne de la transition « démocratique » décrite par Manuel Vázquez Montalbán dans son roman Los Alegres Muchachos de Atzavará (1988), etc. Le désir homosexuel témoigne de la « nostalgie ironique d’une perte » (cf. l’article Néstor Perlongher, « Cuba, El Sexo Y El Puente De Plata » (1986), dans Prosa Plebeya, Ensayos 1980-1992 (1997), p. 120), d’une fascination-dégoût pour un régime totalitaire finissant et une société à venir qui n’annonce pas des jours meilleurs.

 

Les personnes homosexuelles sont les enfants improbables de la bombe (beaucoup d’auteurs homosexuels s’attachent à décrire des cataclysmes planétaires dans leurs créations), les fils artificiels de l’insouciance nationale cachant les pires soifs de vengeance, la possible concrétisation hasardeuse d’un matriarcat de transition entre deux conflits patristes fantasmés. « Le record absolu de personnages féminins est détenu par ‘Viols gratuits entre deux guerres’ […] » (Amélie Nothomb, Hygiène de l’assassin (1992), p. 120) L’homosexualité marque la présence d’un désir de l’avènement ou de l’éradication totale d’un avant ou d’un après-drame fantasmé (cf. la photo Quelques instants avant le crime de Duane Michals, le roman Celestino avant la nuit (1967) de Reinaldo Arenas, la chanson « Avant que l’ombre » de Mylène Farmer, le roman Avant la nuit (1893) de Marcel Proust, le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « Avant qu’il ne soit trop tard » (2004) de Laurent Dussaux, etc.).

 

La forte visibilité homosexuelle juste avant la Deuxième Guerre mondiale (par exemple, rien que si nous regardons la ville de Berlin en 1933, nous y dénombrons 130 bars homosexuels, … c’est-à-dire plus qu’aujourd’hui à Paris !) n’est évidemment pas à analyser comme le détonateur du conflit mondial et de la folie nazie. Si cette proximité ne semble absolument pas être le fruit du hasard, elle n’est pas à mettre du côté de l’identité ni de la causalité, mais simplement de l’illustration, des désirs de réalités fantasmées, et des coïncidences. Elle met en lumière que ce qui est monté du peuple allemand – la haine et la violence généralisées – était prêt à éclore. Au milieu du noir, les personnes homosexuelles sont de bons voyants roses pour indiquer que le peuple est sur le point d’installer un dictateur à sa tête et de vivre des utopies les plus obsolètes qu’il proposera.

 

L’essor actuel de l’homosexualité est également signe d’un malaise mondial important. Aujourd’hui, nous, Occidentaux, avons plus ou moins conscience d’être les héritiers d’un v(i)ol exécuté impunément par nous et nos ancêtres à échelle planétaire, et qui nous paraît irrécupérable. Nous osons à peine regarder l’Afrique en face tellement nous avons honte de ce qu’elle est devenue à cause de nous, puis sans nous. Nous portons sur nos consciences un lourd tribu que notre raison refuse de porter mais que notre cœur continue de connaître. Nous vivons largement au-dessus de nos moyens, avec de l’argent qui oscille entre le fruit de notre travail concret et la courbe virtuelle de la Bourse. Nous coulons des jours heureux avec des biens immatériels qui nous semblent pourtant réels puisque nous pouvons les toucher du bout des doigts, mais que nous ne possédons que temporairement. Nous savons qu’à l’autre bout du monde, d’autres personnes meurent de faim parce que nous ne savons pas partager. Et nous regardons l’écart grandissant entre pays riches et pays pauvres avec angoisse. Comment est-ce possible qu’une telle injustice mondiale ne laisse pas dans nos subconscients, dans notre sexualité, dans nos comportements, des séquelles ? C’est aussi ce malaise-là que pointe du doigt l’homosexualité. « Le grand drame de l’Humanité, explique Jean Vanier, c’est l’écart grandissant entre les riches et les pauvres. Nous avons des semences de guerre à l’intérieur de nous. » (Jean Vanier, lors d’une conférence de l’Arche à la Maison de l’Olivier, à Rennes, le 13 février 2006) Cette plaie planétaire béante est ouverte en chacun, et peut se manifester en orientation homosexuelle chez les personnes qui la nient/la désirent.

 
 

C) Je suis catastrophique

Le lien entre le désir homosexuel et la catastrophe mondiale sera toujours uniquement de coïncidence. Jamais de causalité. J’ai beau constater que l’arc-en-ciel anticipe et précède la pluie, je suis au moins sûr d’une chose : il n’est pas la pluie. Il n’est que signe de pluie. Généralement, la coïncidence unissant les systèmes politiques répressifs et l’homosexualité fait peur aux personnes homosexuelles car d’elles-mêmes, elles la rangent dans la causalité par la diabolisation – elles ont alors tendance à se désolidariser des horreurs du passé et à les attribuer systématiquement aux autres – ou par la sacralisation – elles s’identifient à l’excès aux grands cataclysmes humains et aiment à penser par exemple qu’elles ont vécu et vivent encore à leur manière l’enfer des camps d’extermination. Certaines considèrent le lien entre génocides et homosexualité comme le summum de l’horreur calomnieuse. Par exemple, en commentant l’épisode intitulé « La Loi du Talion » de la série nord-américaine New York, Unité Spéciale (2002), la romancière lesbienne Cy Jung met en exergue l’existence du lien de coïncidence sans l’analyser, pour finalement le diaboliser en le transformant en lien causal : « Ce scénario me gêne dans cette juxtaposition de sujet : l’homosexualité masculine et l’épuration ethnique en Bosnie. Je crois peu au hasard. […] Homosexuels, criminel serbe… Qu’est-ce à dire, qu’ils ont quelque chose en commun ? Pardon, je ne me sens pas très bien. Je m’éclipse. » (cf. la phrase de conclusion de l’article « Liaisons dangereuses » de Cy Jung (Zap’cyung n° 56), 12 mars 2002, sur le site www.media-g.net consulté en mai 2005)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont tétanisées par l’idée d’une possible correspondance entre homosexualité et crises mondiales. Leur peur de la causalité s’explique puisqu’elle a souvent précédé leur désir homosexuel, ou bien été stimulée par lui. Il y a très longtemps que le mot « homosexualité » rime dans l’inconscient populaire avec décadence des mœurs. La plupart des sujets homosexuels ne sont pas étrangers à cette superstition, car de tout temps, la communauté homosexuelle a défendu son identité de femme décadente et jouissivement infréquentable. Alors, qui a commencé la vieille lutte entre la civilisation (homosexuel/hétérosexuelle) et la barbarie (homosexuelle/hétérosexuelle) ? Les partisans de la civilisation ou ceux de la barbarie ? À mon avis, ce sont les deux à la fois, puisque les « civilisateurs » et les « barbares » sont les personnages mythiques d’une même idéologie réactionnaire qui associe causalement l’homosexualité à la mort et à la vie, au mal et au bien suprêmes. Pour les barbares, l’incorrection homosexuelle est un absolu, un facteur de désordre nécessaire, un idéal de vie à défendre. Pour les civilisateurs, l’homosexualité annonce la fin des temps : ils tirent la sonnette d’alarme, brandissent leurs bibles, crient « Save Our Children ! », prédisent l’extinction de la famille, parlent de fléau social, s’inquiètent du dépeuplement planétaire, brodent un scénario-catastrophe absurde. On ne peut raisonnablement valider aucun des deux camps. S’il existe un lien entre désir homosexuel et crises sociales, il n’est que de coïncidence. La seule chose que nous sommes habilités à dire, c’est que le désir homosexuel émerge souvent dans un contexte social troublé, et parfois troublant (l’érosion du statut des classes moyennes, la fragilité des cellules familiales, le cosmopolitisme désincarné, la peur collective de l’altérité des sexes, l’évolution extrêmement rapide et incontrôlée de la science, la précarité sociale et professionnelle, les crises économiques et institutionnelles, les failles dans la transmission des repères moraux et religieux, l’influence croissante des media sur notre quotidien, le matérialisme mettant en avant les hommes-objets asexués et l’hédonisme bisexuel, etc.).

 

Pourquoi donc un certain nombre de personnes homosexuelles servent d’exutoire aux milles frustrations que crée une situation économique catastrophique ou une guerre fratricide ? Probablement parce qu’elles révèlent, par leur désir plus que par leur existence réelle, un viol ou un désir de viol de la dignité humaine que les Hommes politiques et le peuple dont elles font partie ne veulent surtout pas voir en face. Si l’association décadence-homosexualité visant avant tout à prouver que l’homosexualité corrompt systématiquement la société est clairement homophobe/homosexuelle, le rejet systématique de l’existence de cette association l’est tout autant. Car dire que le lien de coïncidence existe, ce n’est pas discréditer l’homosexualité : c’est précisément la reconnaître telle qu’elle est vraiment. Plus nous nierons le fait que les familles éclatées sont des terrains porteurs de l’émergence du désir homosexuel, plus il y aura de personnes qui se diront homosexuelles. Plus nous accepterons sans broncher de vivre dans un monde d’images violentes, plus nous serons nombreux à ressentir un désir homosexuel et un écartèlement entre ce que nous voulons et qui nous sommes.

 

Comme beaucoup de personnes homosexuelles savent que la catastrophe que leur désir représente est majoritairement fantasmée, elles jouent, pour se faire rire elles-mêmes, les dilettantes qui soufflent sur la mousse de leur bain d’actrices pendant que le monde entier s’écroule(rait) autour d’elles. Elles sont les premières à prendre trop au sérieux ou trop à la rigolade leur rôle de « rêveurs en temps de guerre » (Je vous renvoie au site www.ppp.fr.st (perso.wanadoo.fr/ppp/archives/990515-2.htm), publié le 15 mai 1999), de signes de décadence fantasmée, de vrais/faux symptômes d’une catastrophe annoncée (mais des symptômes quand même !). Elles sont des mauvaises consciences qui s’ignorent, le rideau à fleurs pudique chutant précipitamment sur scène pendant qu’en coulisses peut se dérouler un viol réel, la musique d’attente kitsch cachant un conflit violent fantasmé ou sous-jacent, le sourire de la speakerine qui, pour détendre l’atmosphère, va « tout vous expliquer » sans dire un mot, les paravents humains qui signalent la proximité du drame en le masquant (cf. Je vous renvoie également la partie « Paravent » du code « Maquillage » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels, et surtout l’explication du kitsch – en tant que paravent dissimulant la merde – dans le chapitre II de mon essai Homosexualité intime, 2008).

 

Mais à trop se mettre devant les écrans cinématographiques pour cacher les supposés drames terrestres qui y sont projetés, beaucoup de personnes homosexuelles finissent par se rendre responsables de toute la misère du monde, et cela bien plus souvent qu’elles ne le croient. Dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell notamment, Hedwig, le héros transsexuel M to F, est né l’année de la construction du Mur de Berlin et se prend pour ce dernier : « Je suis le nouveau Mur de Berlin. » Un certain nombre de personnes homosexuelles portent sur elles une Apocalypse iconographique et la proclament. Elles se veulent victimes de la cruauté mondiale des Hommes, se revendiquent d’une « génération désenchantée », se disent intérieurement qu’elles sont la catastrophe, même si à d’autres moments, elles sauront reconnaître qu’elles exagèrent ou diront que ce sont les autres qui les diabolisent (Je vous renvoie au grossier procès d’intention que la psychanalyste Élisabeth Roudinesco a fait au théologien moraliste Xavier Lacroix pendant l’émission Culture et Dépendances diffusée sur la chaîne France 3 le 9 juin 2004, quand elle a entendu dans le discours du théologien un « alarmisme apocalyptique catholique » dont il n’a pas fait preuve et qu’elle a en réalité créé de toutes pièces et projeté sur lui dans sa volonté de caricaturer le discours ecclésial et de nier toute gravité aux phénomènes sociaux les plus importants tels que le mariage gay). Par exemple, dans les œuvres homo-érotiques, nombreux sont les personnages homosexuels témoins d’un viol ou d’un vol qu’ils ne dénoncent pas parce qu’ils s’y identifient à l’excès (cf. Je vous renvoie au code « Témoin silencieux d’un crime » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : Félix, le « témoins de Rouen » dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, symbolise tout à fait ce paradoxe. Vous pensiez qu’il n’y avait que les personnes homophobes pour hurler à l’Apocalypse dès qu’il s’agissait d’homosexualité ? Détrompez-vous ! Beaucoup de personnes homosexuelles le font aussi en dépeignant souvent des personnages homosexuels au milieu de décombres apocalyptiques ou en se passionnant pour les grandes catastrophes humaines. Par exemple, avec l’arrivée du VIH, certains individus homosexuels ont eu l’impression d’avoir enclenché un cataclysme mondial à eux seuls. Sur le moment déjà, quand la maladie est apparue, même s’ils essayaient de dédramatiser, la probabilité qu’ils soient l’incarnation humaine de l’épidémie la plus terrible de la fin du XXe siècle a traversé l’esprit de bon nombre d’entre eux. « Il y avait conspiration d’astres. Une année entière où nous pensions qu’un baiser donnait la mort. » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 34)

 

Les événements catastrophiques mondiaux, cinématographiques ou réels, ont pu influer sur leur subconscient, leurs désirs humains, leurs identifications, et ceci de manière très profonde. Beaucoup de personnes homosexuelles s’attribuent en identité ce qu’elles voient de monstrueux autour d’elles, comme le montrent les propos de Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003) : « Jeune adulte, je dessine mes douleurs. […] Visions de guerre : les traces de la guerre que j’ai dû traverser pour arriver jusque-là. Cris muets d’horreur. Des dessins horribles, pour qu’au moins, les belles âmes aient des raisons de s’effrayer, d’avoir peur de moi. Pour en finir avec l’harmonie obligatoire. » (p. 118) Influencée par le discours médiatique actuel braqué sur le sensationnel cataclysmique, la majorité des personnes homosexuelles que nous sommes amenés à rencontrer assurent que le monde va de mal en pis, qu’il court à sa perte, qu’il y a plus de catastrophes qu’avant, et cela par leur faute, ou uniquement à cause des autres.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Homosexualité de circonstance (dans les pensionnats, les internats, les prisons) :

 

Vidéo-clip de la chanson "Désenchantée" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, on peut observer que le désir homosexuel des héros homosexuels survient davantage par des événements et un contexte social particulier (souvent un contexte d’enfermement, privant de liberté) que par la Nature et la liberté : « La bonne aimait l’amour des femmes seulement par circonstance, mais elle n’était pas déterminée dans ce sens. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 177)

 

D’ailleurs, les lieux de la pratique homosexuelle sont souvent des espaces clos (casernes, pensionnats, prisons, armée) : « Ah la pension… j’ai que des bons souvenirs là-bas. J’ai rencontré Johnny là-bas. » (Maxime, le héros homosexuel de la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Cette nuit, j’ai rêvé de deux filles qui se rendaient leurs caresses dans un dortoir de pensionnat… Enfin, je pense à toutes ces situations que la plupart des femmes ne connaîtront jamais, par ce manque de courage qu’elles ressentent pour assumer leurs goûts au regard des conventions imposées. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 71) ; « En prison, y’a pas Pousse-Mousse… mais y’a des savonnettes ! » (Romain, le coiffeur homosexuel de la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « De toute façon tu as l’habitude des cellules et des dortoirs ! » (la Comédienne s’adressant à sa sœur Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « C’est l’histoire de deux nouveaux d’Erzy [centre pénitencier]. La trentaine chacun. Mariés, tous les deux. On les flanque dans le même trou. Et les voilà en moins d’une dizaine de jours qui gazouillent du regard l’un pour l’autre. » (Julien Brévaille parlant de deux détenus, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 131) ; « Attends qu’une de tes compagnes de cellule te mette une bonne main au derrière. » (Louise parlant à Sophie, dans la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd) ; « Elle me montre la première page d’Ici-Paris : une imitatrice de Marilyn Monroe s’est pendue dans sa cellule dans la prison de Regina Celi à Rome : c’est Marilyn, la mienne ! » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 51) ; « Nous décidâmes de passer la nuit à Notre-Dame […]car nous craignions dans la nuit une attaque de l’ONU. Nous ne pûmes fermer l’œil de la nuit vu le vacarme général qui régnait à Notre-Dame et sur le parvis. Les prisonniers ayant fait sauter les verrous des caves de l’archevêché, ils organisèrent une fête au champagne dans la nef de la cathédrale. Les folles de Sainte-Anne jouaient de l’orgue à dix-huit mains et les autres buvaient et forniquaient partout, hommes et rats ensemble. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979), p. 95) ; « Depuis l’armée, j’ai toujours pensé qu’il avait été un peu fiottasse. » (la grand-mère gay friendly de Rodolphe, le héros homo, parlant du père de ce dernier, dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; « J’aimerais bien vivre avec celle que j’aime, même s’il y a des barreaux entre nous. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Y’a que des pédés ici ! » (Grand-Guy s’adressant à Marco dans un parloir carcéral, dans le film « Le Français » (2015) de Diastème) ; « Écoute, tu connais pas Julien. Il est maton. Tu sais ce qu’on fait aux homos en prison ? Sans lui, ça aurait été un enfer ! » (Hugo Quéméré, le héros homo se justifiant d’avoir trompé Barthélémy, dans l’épisode 440 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 11 avril 2019 sur TF1) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, le héros homosexuel, a vécu ses premières expériences homos dans un foyer de jeunes garçons : « Je me suis senti très mal. » dit-il en racontant son premier baiser avec Joachim, un de ses camarades. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, essaie de se faire réformer du service militaire (qu’il surnomme ironiquement « Sévice militaire ») parce qu’il « a peur [de l’armée] » et qu’il prétend avoir vécu une véritable calvaire en pension chez les frères des Écoles Chrétiennes, un calvaire proche du viol : « Ils étaient 119 sur moi ! » narre-t-il au médecin militaire, en rentrant dans les détails de ses crises de tachycardie dans le dortoir du pensionnat. À la fois il a conscience de noircir légèrement le tableau et il croit en sa comédie.

 

Film "Un Chant d'amour" de Jean Genet

Film « Un Chant d’amour » de Jean Genet


 

Il est extrêmement fréquent que les amours homosexuelles fictionnelles ou les actes homosexuels soient vécus en milieu carcéral : cf. le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (dans un pensionnat), le film « Sous les verrous » (2003) de Jörg Andreas, le film « Deathwatch » (1966) de Vic Morrow, le film « Zhizn-Zhenshchina » (« La Vie est une femme », 1991) de Zhanna Serikbayeva, le film « La Femme Scorpion » (1972) de Shunya Ito, le film « Mutinerie » (1968) de Buzz Kulik, le film « Edmond » (2005) de Stuart Gordon, le film « Vive la République » (1996) d’Éric Rochant, le film « Zonzon » (1997) de Laurent Bouhnik, le film « La Taule » (1998) d’Alain Robak, le film « Boys Of Cell Block Q » (1992) d’Alan Daniels, le film « Plein la gueule » (1974) de Robert Aldrich, la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas, le film « The Company Of Strangers » (1990) de Cynthia Scott, le film « Prisonnières » (1988) de Charlotte Silvera, le film « Évadés » (1994) de Frank Darabont, le film « Bad Boys » (1983) de Rick Rosenthal, le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, le film « Tianshi Xin » (1995) de Lee Fu, le film « Karmen » (2001) de Joseph Gaï Ramada, le film « Short Eyes » (1977) de Robert M. Young, le film « Sleepers » (1996) de Barry Levinson, le film « Brubaker » (1980) de Stuart Rosenberg, le film « Midnight Express » (1978) d’Alan Parker, le film « Scrubbers » (1982) de Mai Zetterling, le film « Prisonniers d’Abashiri » (1965) de Teruo Ishii, le film « Women prison – Lynching » (1978) de Banmei Takahashi, le film « La Conséquence » (1977) de Wolfgang Petersen, le film « Des Prisons et des Hommes » (1971) d’Harvey Hart, le film « Memorias De La Cárcel » (1983) de Nelson Pereira dos Santos, le film « Papillon » (1973) de Franklin J. Schaffner, le film « Switchblade Sisters » (1975) de Jack Hill, le film « Proteus » (2003) de Jack Lewis, le film « Scum » (1979) d’Alan Clarke, le film « Stir Crazy » (1980) de Sidney Poitier, le film « Immacolata et Concetta » (1979) de Salvatore Piscicelli, la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette, le film « Borstal Boy » (2000) de Peter Sheridan, la pièce Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien, le film « American History X » (1998) de Tony Kaye, le film « Hell’s Highway » (1932) de Rowland Brown, les romans La Invasión (1967) et Prisión Perpetua (1988) de Ricardo Piglia, le film « Beau Travail » (1999) de Claire Denis, le roman Le Prisonnier (1928) de Rachilde, le film « Uroki V Kontse Vesnoy » (1989) d’Oleg Kavun, le film « Un Chant d’amour » (1950) de Jean Genet, le film « I’m Going To Get you… Elliot Boy » (1971) d’Edward J. Forsyth, le roman Prisons de femmes (1936) de Francis Carco, le film « La Confusion des genres » (2000) d’Ilan Duran Cohen, les romans Haute Surveillance (1949) et Miracle de la Rose (1946) de Jean Genet, le roman L’Amour dans les prisons (1930) de Maryse Choisy, le film « Hors d’atteinte » (1998) de Steven Soderbergh, le film « Femmes en cage » (1950) de John Cromwell, le roman Cast The First Stone (1952) de Chester Himes, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (racontant la relation homosexuelle entre deux détenus emprisonnés en Argentine), le film « Animal Factory » (2000) de Steve Buscemi, les romans Le Pourrissoir Saint-Lazare. Choses vues, entendues et vécues (1932) et Sous la cagoule. À Fresnes, Prison modèle (1934) de Jeanne Humbert, le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le film « Chaînes » (1928) de Wilhelm Dieterle, le film « Ladies They Talk About » (1932) d’Howard Bretherton et William Keighley, le film « Selon la Loi » (1957) de Peter Weiss, le film « Prison Without Bars » (1938) de Brian Desmond Hurst, le film « The Weak And The Wicked » (1953) de J. Lee Thompson, le film « Caged Fury » (1990) de Bill Milling, le film « Under Lock And Key » (1995) d’Henri Charr, le film « Women’s Prison » (1955) de Lewis Seiler, le film « Girls In Prison » (1956) de Edward L. Cahn, le film « Reform School Girl » (1957) d’Edward Bernds, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « House Of Women » (1962) de Walter Doniger et Crane Wilbur, le film « La Vie sexuelle dans les prisons de femmes » (1972) de Rino Di Silvestro, le film « Pénitencier de femmes perverses » (1974) de Brunello Rondi, les films « Les Brûlantes » (1968), « Quartier de femmes » (1972), « Pénitencier pour femmes » (1975), et « Le Cabaret des filles perverses » (1977) de Jess Franco, le film « L’Astragale » (1968) de Guy Casaril, le film « La Cavale » (1971) de Michel Mitrani, le film « The Big Doll House » (1971) de Jack Hill, le film « Khroustaliov, ma voiture ! » (1997) d’Alexei Guerman, le film « Révolte au pénitencier de filles » (1983) de Bruno Mattei, le film « QHS, Quartier Haute Sécurité pour femmes » (1992) de Leandro Luchetti, le film « Vito E Gli Altri » (1992) d’Antonio Capuano, le one-man show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud, le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, la pièce Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, le film « Le Trou » (1960) de Jacques Becker, le film « Prison sans barreaux » (1938) de Léonide Moguy, le film « Au Royaume des Cieux » (1949) de Julien Duvivier, le film « Prison de femmes » (1958) de Maurice Cloche, le film « Prisonnières » (1988) de Charlotte Silvera, le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Brute Force » (« Démons de la liberté », 1947) de Jules Dassin, la série Oz (1997-2003) de Tom Fontana, la série Charlie’s Angels (Drôles de Dames, 1976) d’Ivan Goff et Ben Roberts (avec la geôlière lesbienne, dans l’épisode « Angels In Chains »), le film « Grégoire Moulin contre l’Humanité » (2001) d’Artus de Penguern (avec la scène carcérale homosexuelle finale), le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari (se déroulant dans une prison de camps de section en Inde), le vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, la série Orange Is The New Black (2013) de Jenji Kohan, etc.

 

Par exemple, dans la pièce Claude Gueux (1834) de Victor Hugo, Claude le héros est condamné à plusieurs années de prison : il y aime un autre détenu, passion qui le conduira finalement à l’échafaud. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Sean, l’un des héros homo, est responsable de la commission « Prison » à Act-Up. Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel, a fait de la prison. Dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, Marcel, le chauffeur de taxi homosexuel de Maria-José (transsexuel M to F), a été incarcéré, et son compagnon de cellule s’est révélé lui aussi homosexuel. Dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, deux gardiens enculent le prisonnier/détenu. Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, Antoine se passionne pour les prisons. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Eric et son geôlier musclé Mr Walter (qui, depuis qu’il s’est fait détruire l’appareil génital par Schmidt, porte un vagin artificiel) sont en couple dans leur cellule : « Je suis ta pute ! » ricane graveleusement Mr Walter. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony fait des travaux forcés pendant deux ans pour pédérastie sur mineurs.

 
 

b) Corrélation entre homosexualité et guerres ? Don’t ask, don’t tell !

 

Film "Die Frau" de Régina Demina

Film « Die Frau » de Régina Demina


 

Il est fréquent que les héros homosexuels des fictions découvrent leur homosexualité, ou vivent une histoire d’amour homo, dans l’armée, pendant leur service militaire, dans un contexte de guerre : cf. le film « Don’t Ask, I Won’t Tell » (2000) d’April Wilson, le roman L’Armée du Salut (2006) d’Abdellah Taïa, les romans Tombeau pour 500 000 soldats (1967) et Éden, Éden, Éden (1970) de Pierre Guyotat (se déroulant tous pendant la guerre d’Algérie), le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal-Alex Vincent, la chanson « Mon Légionnaire » (1987) de Serge Gainsbourg, le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (avec l’inscription « SUMMER 1918 » sur le mur de la terrasse de l’appartement new-yorkais de Michael et Harold), la chanson « Sirocco » de Jean Guidoni, la chanson « Les petits soldats de Guillaume » d’Émile Soubeiran, le film « Qu’as-tu fait à la guerre, papa ? » (1966) de Blake Edwards, le roman Una Mujer En La Guerra De España (2003) de Carlota O’Neill, le roman Paisajes Después De La Batalla (1983) de Juan Goytisolo, le roman Alf (1933) de Bruno Vogel, le roman Loving In The War Years : Lo Que Nunca Pasó Por Sus Labios (1983) de Cherrié Moraga, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « We Dive At Dawn » (1943) d’Anthony Asquith, le film « The Wooden Horse » (1950) de Jack Lee, le film « The Cruel Sea » (1953) de Charles Frend, le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « Ararat » (2001) d’Atom Egoyan (avec le génocide arménien), le film « Lilies » (1996) de John Greyson, le film « Yongseobatji Mothan Ja » (2005) de Yoon Jong-bin, le roman Le Chant d’Achille (2014) de Madeline Miller (sur fond de Guerre de Troie), le film « Grande Parade » (1985) de Chen Kaige, les films « La Perm » (1990), « Yossi et Jagger » (2002) et « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox (centrés sur le conflit israélo-palestinien), le film « Zero Degrees Of Separation » (2005) d’Ellen Flanders, le sketch « La Lettre du Front » (2012) de Pierre Palmade, cf. la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander (racontant un amour homosexuel vécu sous le régime d’Apartheid), la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel (sur fond de conflit israélo-palestinien), la pièce Démocratie(s) (2010) d’Harold Pinter (avec le viol comme arme de guerre), le film « The World Unseen » (2007) de Shamin Sarif, la B.D. Muchacho (2006) d’Emmanuel Lepage (se déroulant sous la dictature de Somoza au Nicaragua), la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (Paul, le héros homosexuel, voyage au camp de concentration d’Auschwitz), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (se passant pendant la guerre en Irak), le film « Glosniej Od Bomb » (« Louder Than Bombs », 2001) de Prezemyslaw Wodcieszek, le film « Bent » (1997) de Sean Mathias, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec une étreinte lesbienne entre deux femmes portant la burka), le spectacle musical Luca, l’Évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès (avec des images de dictatures, de camps de concentration, d’Iran, diffusées sur grand écran), le concert Free : The One Woman Funky Show (2014) de Shirley Souagnon (avec le Commerce triangulaire et la traite des Noirs), le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill (avec l’éloge des « amours de Sparte » entre soldats), le film « Foot For Love » (2014) d’Élise Lobry et Veronica Noseda, le film « Love In The Time Of Civil War » (« L’Amour au temps de la guerre civile », 2015) de Rodrigue Jean, le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (se déroulant pendant la Guerre de Corée), etc.

 

Par exemple, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar couche 3 fois avec Octave, son violeur d’adolescence, à l’armée. Dans le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, le héros transgenre M to F Zé María (dont le maquillage travesti est textuellement assimilé au maquillage de guerre pour le camouflage) tue son compagnon d’armée après que celui-ci l’ait pénétré. Dans le roman Ta Mère (2010) de Bernard Carvalho, lors de la guerre en Tchétchénie, Andreï est poussé à se prostituer par ses camarades soldats de l’armée russe. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M s’imagine en pleine guerre de Vendée, dans la peau d’un soldat royaliste. Dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa, Steven tombe amoureux de Phillip au moment où il observe une baston entre prisonniers. Dans le film « Private Romeo » (« Soldat Roméo », 2011) d’Alan Brown, huit cadets sont livrés à eux-mêmes dans un camp d’entraînement militaire. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le couple homosexuel est figuré par un homme en costard et son « fiancé » portant une burka féminine sur le visage. Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus pointe du doigt toutes les confessions religieuses comme autant de fondamentalistes du capitalisme spirituel mondialisé. L’ennemi, c’est clairement les religions, qui créeraient des guerres et qui agressent le narrateur par leur diversité. La pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand démarre sur des bruitages de Seconde Guerre mondiale : « Les carottes sont cuites. Les carottes sont cuites. Les carottes sont cuites. » Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, les deux amantes lesbiennes, Marilyn et Mona, « s’aiment » en plein climat de conflit islamophobe. Leur « amour » est mis sur le même plan que les mariages mixtes entre musulmans et chrétiens. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Carol et Thérèse, les deux amantes lesbiennes, s’arrêtent dans un hôtel en chemin, où elles font pour la première fois « l’amour », dans une bourgade qui s’appelle Waterloo. Ironie du sort qui amuse Carol. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, Finlandais, tombe amoureux de Tareq, un bel ouvrier syrien qui ne peut pas vivre son homosexualité dans son pays et qui a fui la guerre.

 

Certains personnages homosexuels disent explicitement qu’ils sont la guerre, ou que la guerre est leur mère, leur Moi profond : « Madame Lucienne était votre mère. Elle a accouché de vous dans ce théâtre, pendant la guerre, une nuit de bombardement. » (Vicky s’adressant à l’Auteur, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « C’est la guerre. » (cf. le premier mot de Robbie, le héros homosexuel du film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « Je veux devenir un playboy professionnel. […] J’entrerai dans l’armée. […] Ce sera que pour fréquenter l’école militaire. Pour m’entraîner et avoir un corps magnifique. Je veux dire un corps rude et robuste comme le vôtre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant à Adit, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 206) ; « Y’a eu la Troisième Guerre mondiale dans notre jardin ? » (Phil, le héros homo se baladant dans le jardin familial dévasté par une tempête, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa) ; « Je suis un homme qui a cette idée qu’il reviendra après la guerre. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, se définit lui-même comme « une veuve de guerre ». Dans le film « Sekret » (2012) de Prezemyslaw Wodcieszek, Jan garde en lui un sombre secret de l’époque de l’Holocauste : sa famille juive a été déportée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim Mack et Doyler Doyle, les deux amants, se sont rencontrés car leurs pères respectifs ont fait la Seconde Guerre mondiale ensemble. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio fait sa déclaration d’amour à Oliver à distance, avec entre eux deux un monument au mort où trône une statue d’un soldat italien inconnu de la Première Guerre mondiale.

 

Déjà, à l’école, la découverte de l’homosexualité chez le héros homosexuel enfant a pu être le signe d’un climat tendu ou d’une ambiance de guerre civile dans la cour de récré (cf. la bataille de boule de neige dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) : « Les garçons me balançaient des pommes de pin ou m’arrachaient mon sac pour le vider par terre, quand je traversais la cour. Même certaines filles, celles qui jouaient aux gros bras pour pas se faire traiter de putes, elles rigolaient sur mon passage, me traitaient de sale théière, en mettant une main sur la taille et l’autre à côté du visage, en forme de bec verseur. » (Mourad, l’un des héros homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 336) ; « Je détestais indifféremment tous les sports d’équipe. Ils n’évoquaient à mon esprit d’enfant trop sage que des idées de guerre, de loi du plus fort, de bêtise grégaire. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 18) ; « Je pense être gay parce que je suis persuadé que la justice n’est pas de ce monde. » (Joseph Cohen, Je pense être gay parce que… (2000), p. 21) ; etc.

 

On découvre que les « guerres » dont il est question dans la fantasmagorie homosexuelle sont surtout les conflits internes au « milieu homosexuel », survenant de la violence de la pratique homosexuelle et du couple homosexuel (elles ne viennent pas que de l’extérieur) : cf. le roman La Guerre des Pédés (1982) de Copi, etc. « Les bars gays sont des prisons aussi. » (l’un des héros homos de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Charlène, en pleine tourmente avec son amante Sarah qui la maltraite, étudie pour le baccalauréat, la Guerre Froide, cette « période de tension idéologique… ». Dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, des travestis cubains et pro-lesbiens s’attaquent à une boîte homosexuelle à Pigalle, à des homos dans les backroom : « Une guerre entre hommes, comme d’habitude. Une guerre tribale » (p. 91)

 

Le « milieu homosexuel » est un entre-deux-guerres dans la mesure où il est à la fois subi et choisi, victime et agresseur : « J’ai le cœur entre-deux-guerres. » (c.f. la chanson « Tu me divises en 2 » de Marc Lavoine) ; « Hier soir j’étais sorti de mon œuf… Je crois bien que c’était un œuf, alors ils m’ont dit : tu iras à la guerre ! […] Moi, la guerre, je n’en connaissais rien. Je ne savais même pas où ça se passait ! […] Alors je me suis mis à voler. J’y prends un plaisir fou […] moi je planais comme un dingue. […] Mais cette vie-là ça m’a fatigué vite. Je commence à m’arrêter de plus en plus souvent, dès que je vois une branche de libre. Et j’y trouve des gens qui me ressemblent, des camarades qui ont des muscles meurtris à force de voyager. Et je reste avec eux, piailler, sautiller, changer de branche quand le temps nous le concède. Alors il pleut souvent. Nos plumes deviennent grises. Alors, peu à peu, je viens chez vous. » (Copi, La Journée d’une rêveuse (1968), pp. 62-63)

 

Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Antonietta est la femme au foyer malheureuse, vivant au crochet de sa brute de mari, et de ses enfants fascistes. Elle trouve, le temps d’une journée, le réconfort dans la compagnie de Gabriel, son voisin de pallier homosexuel, qui allait se tirer une balle dans la tête avant qu’elle ne débarque chez lui pour retrouver son oiseau échappé de sa cage. Leur relation est très ambiguë : c’est une complicité de misère, confinant à l’adultère et à la déprime, et sur fond de rencontre au sommet à Rome entre Mussolini et Hitler (la musique des fanfares est omniprésente).
 

Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, toutes les intrigues amoureuses homosexuelles sont associées à un contexte de guerre : Ginette partie en guerre en Afghanistan et laissant sa compagne Lucie seule aux États-Unis, l’amour d’Ahmed et son amant Saïd dans la tourmente des groupes religieux fondamentalistes en Algérie, Patrick le grand frère homosexuel de Lucie mort tragiquement dans l’attentat contre les tours du World Trade Center, etc. Dans le film « Bóbó » (2012) de Bardi Gudmunsson, au lendemain de la guerre du Vietnam, un jeune homme tombe amoureux d’un soldat américain dans un village du sud de l’Islande. La série nord-américaine Grey’s Anatomy (2005-2011) de Shonda Rhimes consacre plusieurs épisodes à la romance homosexuelle entre deux anciens soldats (Darren et Todd) ayant combattus ensemble d’Afghanistan et s’étant rencontrés là-bas. Dans la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, c’est en plein cœur de la dictature stalinienne qu’émerge l’amour lesbien. Dans le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le transsexuel est celui par qui le scandale arrive, le signe de la folie meurtrière de la dictature : plus le dictateur tombe amoureux de lui, plus le premier détruit tout son entourage. À la toute fin du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo et Gabriel, dont le « couple » s’est enfin fondé, font un exposé en classe sur l’Histoire de Spartes et la relation entre soldats. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim sort avec un soldat sur la jetée. Scrotes et Anthony, le couple homo qui parraine le jeune couple Jim/Doyler, initient ces derniers à la vénération de la Phalange sacrée de Thèbes, mythe qu’Anthony raconte à Jim.

 

La guerre est présentée comme un viol, un dépucelage, qui a pu dégoûter de l’alter-sexualité et rendre homosexuel : « Tout ça, c’est de la faute de la guerre ! » (la Bouchère à propos de l’homosexualité de Rovo, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann)

 

Beaucoup de couples homosexuels fictionnels se forment pendant (à cause d’ ?) une guerre : « Ce n’est pas très bien, cela a été fait au front. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, en parlant de sa relation physique avec Mary, pendant la Première Guerre mondiale, dans le roman The Well Of Lonelyness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 397) ; « Dans le combat, il y avait un compagnon que j’aimais. » (Didier Bénureau en parlant de Morales, un camarade soldat de 20 ans, dans son one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Le camp, pour la plupart, remplaçait la patrie. Vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur besoin de tendresse, et l’on s’endormait côte à côte sous le même manteau, à la clarté des étoiles… » (Gustave Flaubert parlant des mercenaires au service du général carthaginois Amilcar, dans son roman Salammbô, 1862) ; « Pendant la guerre, moi aussi je l’ai fait. Et à ton avis, y’en a combien qui ont fait ça pendant la guerre ? » (Volker s’adressant à sa future femme, en parlant de l’homosexualité et en la banalisant, dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; « Dany, quand tu dis que tu m’aimes, tu m’aimes un peu comme un pote, c’est ça ? Alors comme un frangin ? Comme un cousin ? Comme deux mecs en prison ? » (Billy Stevens, le personnage du film postiche « Servir et protéger », s’adressant à son futur amant Dany en pleine guerre du Vietnam, en faisant mine de ne pas comprendre les sentiments que son camarade de tranchée qu’il porte sur le dos lui exprime, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; etc. Par exemple, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Konrad raconte qu’il a connu son amant Heiko pendant un conflit armé : « On s’est connus en Afghanistan. »

 

L’amour homosexuel apparaît comme un champ de bataille. À la guerre comme au lit ! « À la guerre comme à la guerre ! » (Fred feignant la corvée de dormir avec son homme pour dissimuler son homosexualité à sa mère et lui laisser le clic-clac du salon, dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « L’heure de la vengeance avait sonné. La forêt n’était plus la forêt. Je n’étais plus dans la forêt. Khalid devait payer un jour à l’autre. […] Nous étions toujours frères, lui et moi, plus frères que jamais, mais cela n’empêchait pas la guerre d’être à un moment ou l’autre déclarée, d’être menée jusqu’au bout. […] Ce qui allait suivre était justifié. Logique. C’est la loi, il y a toujours qu’un seul gagnant. Ce qui allait venir, c’était de l’amour. L’amour aveugle, sans dieu ni mère pour le protéger. C’était de la guerre. Sans paroles. En dehors du monde. Au tout début. Au-delà de moi. Au-delà de Khalid. À travers nous deux, le combat primitif, innocent, sauvage, libre, recommençait. » (Omar parlant à son amant Khalid qu’il est sur le point d’assassiner, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 128 puis pp. 163-164) ; « Je n’ai jamais laissé personne d’autre que toi me dévaster. » (Peyton, l’héroïne lesbienne à son amante Elena, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Pour moi, l’amour est un peu comme le conflit Israélo-Palestinien, tu vois. T’as deux peuples sur la même terre qui doivent s’entendre malgré tout. C’est ça l’amour, cet amour-haine très violent entre deux personnes que rien n’aurait assemblé, si ce n’est la même recherche de légitimité. » (Polly l’héroïne lesbienne dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 24) ; « Oh mon chéri ! Oh mon bazooka ! » (Chris s’adressant à son amant Ruzy au moment du coït, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, il est question de la pratique homosexuelle entre soldats par manque de femmes. Dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, l’intrigue amoureuse homosexuelle se déroule en pleine Première Guerre mondiale. Vincent et Arthur finiront par être séparés par la guerre : Arthur meurt sur le front. Mais c’est la guerre qui à la fois permet l’amour homosexuel et qui l’empêche, le détruit : « La guerre est là. Elle a ton visage, Arthur. […] Mon désir de toi est né avec la guerre, le jour de mon départ pour la guerre. […] La guerre, pour moi, c’est, avant tout le reste, et tu ne peux pas concevoir comme le reste est énorme, c’est mon amour pour toi. […] Je serre la guerre contre moi, l’odeur de la guerre, sa raideur, un bloc de granit froid, un cadavre. […] Entre mes seize ans et tes vingt et un ans, entre mon torse frêle et ton poitrail dur, il y a l’étendue d’une guerre. […] Au matin, tu es recroquevillé dans les draps. Je songe que c’est dans cette position-là que les soldats s’endorment et se réveillent dans les tranchées. […] Je n’ose pas t’arracher au sommeil, au repos. » (Vincent parlant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 35-42)

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la relation entre les deux amants est décrite en des termes belligérants, comme un bras de fer fatal : « Je suis né à Paris à la fin du siècle dernier… Curieuse phrase et cette impression d’ancien combattant qui va raconter sa guerre ! Finalement, ça me va bien. Je ne l’ai pas toujours été. Je n’en avais pas très envie. Combattant. Je le suis devenu contraint et forcé le jour où j’ai décidé que je ne me laisserai plus faire, ni influencer ni modeler comme je ne voulais pas, comme je ne pouvais pas. » (le jeune Bryan, 16 ans, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 18) ; « J’adore te voir en colère, on aurait dit… Jules César… ou Alexandre le grand… Ouais c’est ça… plutôt Alexandre, partant en guerre. J’ai cru que t’allais me frapper ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, idem, p. 158) Par exemple, quand Bryan dit à Kévin qu’il a « envahi sa vie », ce dernier lui fait remarquer que le verbe « envahir » est quand même « un terme barbare », ce à quoi Bryan lui réplique : « Pas forcément, il y a toutes sortes d’invasions, brutales, par la force, par des mecs virils, d’autres en douceur, par l’amour. » (p. 168) La méthode de drague de Bryan pour aborder Kévin pour la première fois, ça a été quand même de lui poser une question sur la guerre en Afghanistan (p. 32) ! So romantic…

 

Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le coït entre Hélène et Suzanne est comparé par la seconde à la Blitzkrieg : « La nuit a été un combat […] Ce contraste entre la guerre que nous menions, au lit et ailleurs, et les trop rares moments d’affection pure qu’elle avait manifestés étaient presque douloureux. […] Cette guerre entre nous, commencée il y a cinq ans, n’a jamais vraiment cessé. » (pp. 306-308)

 

Dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, un parallèle est fait entre le 11 septembre et la rencontre amoureuse entre Chris et Ernest : « Ça va peut-être te choquer, mais cet attentat me rassure. À cause de son caractère exceptionnel. Parce que le hasard ne choisit pas que les drames. Je suis persuadé que nous nous rencontrerons, que dans très peu de temps. […] Nous oublierons que les tours tombent et que le temps passe. » (Christ à son amant virtuel Ernest, pp. 133-134)

 
 

c) La guerre inconsciemment désirée : l’entre-deux-guerres ou le fantasme d’Apocalypse

La pratique de l’homosexualité, même si elle alimente parfois les conflits ou semble être une conséquence des guerres (en tous cas, ce qui est sûr, c’est qu’elle en est l’un des signes humains), est en théorie et en intentions, au contraire une démarche de paix, de rapprochement des Peuples, une union originale et fusionnelle entre les Nations (cf. je vous renvoie au code « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Le Prince moderne y veut épouser son copain le prince du royaume d’à côté que les deux rois y sont ennemis mortels, et que ça serait la plus grande réconciliation, la paix pour toujours. » (le fils ré-écrivant le conte que lui lit son père, dans la nouvelle « L’Histoire qui finit mal » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 7) ; « Je maudis cette guerre, bien sûr, et je la bénis dans le même mouvement, car c’est elle qui te donne à moi, c’est elle qui t’a précipité entre mes bras. » (Vincent parlant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 67) ; « Sans la guerre, sans ce magnifique été de l’absence des hommes, nous serions-nous rencontrés ? » (Vincent s’adressant à la figure de Marcel Proust, op. cit., p. 24) ; etc. Par exemple, dans le roman La Dette (2006) de Gilles Sebhan, le narrateur couche avec « l’ennemi » pour se faire pardonner des meurtres d’Arabes perpétrés par son père pendant la guerre d’Algérie : « La dette sans fin, la dette infinie qu’il me faudrait payer en me livrant à des Arabes, en livrant mon cul à des Arabes, pour déshonorer mon sang, ma race, la dette contractée à travers mon père à travers la Guerre d’Indépendance, à travers le renoncement au sol arabe, à travers ce supplice du sexe violé. »

 

C’est pour cette raison que l’homosexualité est décrite comme un entre-deux-guerres : « Nous étions au bout du pont, là où il s’arrêtait, là où on l’avait cassé. Nous étions au milieu du fleuve. Au sens propre, entre deux mondes, deux villes, deux collines. Deux guerres. Deux civilisations. Deux Maroc. Deux corps suspendus, bientôt aspirés par le vide, par l’eau. » (Omar parlant à son amant Khalid qu’il est sur le point d’assassiner, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 161-162) ; « J’ai grandi avec l’idée que la guerre était une expérience qui séparait l’humanité en deux fractions bien distinctes et que je n’étais pas du bon côté. » (Madeleine, l’héroïne du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 26) ; « Je suis né dans un pays occupé. Une nation coupée en deux, comme l’était la sienne autrefois. » (Théo, le narrateur semi allemand, parlant de sa grand-mère, op. cit., p. 178) ; « Mon père est américain. Ma mère est irakienne. » (le protagoniste homosexuel du one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte) ; « Les solstices, c’est une expression à moi. C’est tous les gens entre deux saisons. Ils n’existent pas. Alors ils condamnent. » (Julien Brévaille dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 176) ; « T’es Albanais et pédé ! » (Ody s’adressant à son jeune frère homosexuel Dany qui n’assume pas d’être albanais et qui dit qu’il est Albanais « à moitié » car il veut être Grec, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; etc.

 

Dany, déchiré entre l'Albanie et la Grèce, dans le film "Xenia" de Panos H. Koutras

Dany, déchiré entre l’Albanie et la Grèce, dans le film « Xenia » de Panos H. Koutras

 

Dans les créations artistiques traitant du désir homosexuel, il est souvent fait explicitement référence à l’homosexualité en tant que passerelle entre deux conflits… arc-en-ciel rainbow de l’entre-deux-guerres : cf. le film « The Other War » (2008) de Tamar Glezerman (dans le contexte de la seconde guerre du Liban), la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado (avec la diffusion sur écran géant d’images de guerres et du tsunami au Japon, sur un air de gospel), le film « Bulldog In The White House » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2006) de Todd Verow (avec la chanson militante du transsexuel M to F, pendant laquelle sont intercalées des paroles relatant des cataclysmes), etc. Il existe un lien indirect entre le monde fantasmagorique des Hommes-objets (de la pornographie hétéro et homosexuelle), adulés par le personnage homosexuel, et les guerres : « Après la guerre, comme vous, je devins ingénieur chimiste, et me spécialisai, comme vous, dans les matières plastiques et le caoutchouc. » (Bob s’adressant à Félix, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 222) Par exemple, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, l’image des corps masculins des tennismen jouant nus se superposent au discours sur les bombes atomiques russes. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim, le héros homo irlandais, est pris entre deux feux : « J’ai pas de haine pour les Anglais. J’sais pas si j’aime les Irlandais… » D’ailleurs, l’éclatement du soulèvement insurrectionnel à Dublin entre Irlandais et Anglais en 1916 (la Guerre de Boers) correspond chronologiquement pile au coït entre Doyler et Jim. Dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, les images des tours jumelles en feu à la télévision en 2001 sont mises en parallèle avec l’enlacement amoureux du couple homosexuel Vincent/Boris. Lors de son concert Météor Tour à Paris-Bercy le 16 septembre 2010, le groupe de rock français Indochine a intercalé des images de guerre avec des films-documentaires sur des majorettes, des reines de beauté ; à la fin du show, des images de décombres de guerre sont combinées avec des feux d’artifice au lointain. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, la Gay Pride se vit violemment sur fond de conflit serbo-croate : « Il y a deux Serbies ! » (Mirko, un des héros gays)

 

L’apparition de l’entre-deux-guerres dans les fictions homo-érotiques traduit l’indifférence/distance cynique et « optimiste » du héros homosexuel vis-à-vis des grands malheurs humains (cf. je vous renvoie au code « Femme au balcon » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « La guerre me rend lyrique. » (Heinrich, le Nazi du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 46-47) ; « Je désirai plus que tout être ‘réformé’ pour éviter d’aller à l’armée. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 111) ; « J’ai seize ans. Je suis né avec le siècle. Je sais qu’il y a la guerre, que des soldats meurent sur le front de cette guerre. […] Et pourtant, je ne sais pas ce que c’est la guerre. Je vis à Paris. Je suis élève au lycée Louis-le-Grand. J’ai seize ans. […] J’échappe à la guerre. » (Vincent, le héros homosexuel, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 13-14) ; « Vous dites : cet été est si beau. On s’en veut de l’aimer tellement. Je dis : on oublie la guerre avec ce merveilleux soleil. La guerre, on ne sait plus ce que c’est. Vous dites : ce sont des choses épouvantables, les choses que vous dites, vous ne devriez pas dire de pareilles choses. Vous pensez comme moi. Vous oubliez la guerre. » (Vincent s’adressant à la figure de Marcel Proust, op. cit., p. 19) ; « Je ne suis ni un pacifiste ni un belliciste. Je crois que j’aimerais simplement ne pas avoir d’opinion à propos de cette guerre, comme à propos de toutes les guerres. J’aurais aimé que cette guerre ne changeât rien à ma vie, qu’elle n’en affectât point le cours. J’aurais aimé demeurer à l’écart. Et, bien sûr, cela n’a pas été possible. » (la figure de Marcel Proust décrivant comme il vit la Première Guerre mondiale à distance, au Ritz, op. cit., p. 75) ; « Tricoter pour nos soldats sera-t-il jugé capital pour l’effort de guerre ? Je suis un vieux pédé respectable aux moyens modestes, j’adore le couvre-feu. Que de rencontres exaltantes… » (Lytton Strachey dans le film « Portrait Of A Marriage » (1990) de Stephen Whittaker) ; « La politique n’est pas mon fort. » (le mathématicien asocial homosexuel Alan Turing, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; « Quand je pense qu’il y a quatre millions de chômeurs… et moi qui fais du yoyo… » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, Claude Hupper, pour ne pas aller à l’armée, a dit qu’ « il était pédé ».

 

Il existe dans le personnage homosexuel une division schizophrénique qui lui fait vivre une guerre intérieure violente et ambiguë. En lui se disputent deux nations, deux entités, deux intentions : une de paix, une de guerre. Il est pris entre deux feux, deux guerres, littéralement parlant ! Par exemple, dans la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti, les deux jumeaux Jasmine et François représentent la guerre d’Algérie, l’Algérie et la France. Dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mort mystérieuse d’Adrien, le jeune héros homosexuel, est indirectement mise en relation avec deux grands conflits mondiaux : les massacres en Afghanistan et la guerre de Corée (à la télé, le père d’Adrien regarde un débat politique sur la réunification impossible entre Corée du Nord et Corée du Sud). Dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, Hedwig, le héros transsexuel M to F, est né l’année de la construction du Mur de Berlin et se prend pour le Mur, pour le responsable de la division entre Ouest et Est. C’est l’enfant du viol, qui gît nu et orphelin dans les décombres : « Je suis née de l’autre côté d’une ville déchirée en deux. J’ai beau essayer de toutes mes forces. Je finis toujours meurtrie et déprimée. »

 

La pratique homosexuelle traduit aussi une illusion de transition démocratique suite à une guerre/dictature. Par exemple, dans le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988) de Manuel Vázquez Montalbán, l’émergence de l’homosexualité est annoncée par la fin de la dictature franquiste et l’arrivée d’une nouvelle forme de dictature, celle de l’oligarchie des nouveaux riches de la société consumériste et matérialiste actuelle, celle des bobos bisexuels.

 

Aussi bizarre que celui puisse paraître, la guerre est désirée par le héros homosexuel. « S’ils pouvaient se remettre à bombarder, on aurait au moins quelque chose de décent à regarder. » (Max, l’un des personnages homosexuels de la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; « C’est chouette la guerre. J’en redemande. » (l’héroïne lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 108) ; « Les pages suivantes sont consacrées à la guerre, que j’appelais silencieusement de mes vœux, parce que j’étais tellement mal dans ma peau qu’il me semblait qu’une catastrophe internationale était ce qu’il me fallait : une bonne guerre, comme on dit. ‘Levez-vous, orages désirés…’, ai-je cyniquement écrit. » (Suzanne parlant de la Seconde Guerre mondiale dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 63) La guerre est envisagée comme une manière de supplanter la guerre hétérosexuelle, voire de gommer cette dernière. L’entre-deux-guerres, c’est finalement l’écartèlement de la bisexualité, coincée entre la guerre hétérosexuelle et la guerre homosexuelle : « Une guerre amère et des plus curieuses était maintenant engagée entre Martin et Stephen [l’héroïne lesbienne], mais une guerre secrète, de crainte que l’être qu’ils aimaient [Mary, la compagne secrète de Stephen et la femme de Martin] ne fût amené à en souffrir. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Lonelyness, Le Puits de solitude (1928) de p. 559) Par exemple, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, la différence (des sexes) est envisagée comme une source de conflit, comme le montre le syllogisme de l’héroïne Lourdes : « Les différences = les conflits ; les conflits = les injustices ; les injustices = les guerres. » La pratique homosexuelle agit alors comme une imitation inconsciente et réparatrice de l’ancienne guerre femme-homme, une discrète collaboration : « Pendant la guerre, on a souffert. Enfin… surtout à la Libération. Moi, j’ai été tondue. Moi qui ai connu les Allemands de près, je peux vous dire que je les connus de près, de très très près. Surtout Hans. Des Allemands, des aristocrates… d’une classe foooolle. Des gens qui gagnaient à être connus. […] On dit ‘la guerre ! la guerre !’… mais c’est surtout à la Libération qu’on en a bavé ! » (Didier Bénureau dans la peau d’une femme collabo, dans son one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012)

 

Le personnage homo vit (une histoire d’amour pendant) l’entre-deux-guerres, est nostalgique de la guerre passée, et reste dans l’expectative d’un conflit imminent. « Dieu merci, la guerre est arrivée ! » (Mémé Huguette, le héros transgenre du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) Il existe un grand fantasme de guerre mondiale dans les œuvres homo-érotiques, un mélange de peur et d’attraction pour la disparition cataclysmique de la Planète : « Il vient de nous tomber une dépêche. Guerre interplanétaire ! » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « La survie de notre espèce m’importe bien peu et, oserais-je le confesser ? il m’arrive même parfois de rêver de l’écroulement des empires. » (le narrateur homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 96-97) ; « Vous avez vu la dernière ? La Terre a explosé ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Je m’échine à expliquer aux autres […] à quel point ce monde est à l’envers, […] à quel point je voudrais tout bousiller, réduire en cendres. » (la narratrice lesbienne du roman Camille en octobre (1988) de Mireille Best, pp. 206-207) ; « C’est le déluge ! » (l’Albatros parlant à Gouri, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 98) ; « C’est la fin du monde ! » (le Rat dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Vous avez vu la dernière ? La terre a explosé ! » (Loretta Strong dans la pièce éponyme (1974) de Copi) ; « Le monde touche à sa fin. » (Harper dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Le monde est un pervers, et je continuerai de le braver parce que le monde est un enfer. » (cf. la chanson « Dunkerque » du groupe Indochine) ; « Enfants de la bombe, des catastrophes, de la menace qui gronde » (cf. la chanson « Ils s’aiment » de Daniel Lavoie) ; « C’est l’Apocalypse ! » (Sabu, le héros homosexuel du film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick) ; « Autour de lui, une atmosphère d’Apocalypse. » (Omar en parlant de son père, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 39) ; etc.

 

Bien souvent, il est question de la fin du monde (cf. je vous renvoie au code « Passion pour les catastrophes » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), de l’Apocalypse : cf. la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « Apocalypse Now » (1979) de Francis Ford Coppola, le film « Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse » (1921) de Rex Ingram, le film « Teenage Apocalypse » (1995) de Gregg Araki, le film « Un Homme d’exception » (2002) de Ron Howard (avec l’imminence d’une attaque nucléaire), le vidéo-clip de la chanson « L’Instant X » de Mylène Farmer (figurant un tsunami moussant sur la ville de New York), la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg (avec une vision apocalyptique du monde), la série de toiles Apocalypse (1988) de Keith Haring et William Burroughs, le film « Jour du Fléau » (1975) de John Schlesinger, le film « Rote Ohren Fetzen Durch Asche » (1992) d’Hans A. Scheirl et Ursula Pürrer, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, la pièce Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Missing (2008) de Nick Hamm (avec le groupe des « Prosélytes du Cataclysme »), le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache (avec la boîte homo L’Apocalypse), la chanson « Les Rails » de Zazie, le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty, le roman « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, etc.

 

Par exemple, dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, le narrateur homosexuel erre dans une ville-fantôme uruguayenne après l’Apocalypse : « Là je commençai à me poser des questions, plutôt une seule question : pourquoi étais-je le seul survivant de l’Uruguay ? » (p. 35) La pièce L’Ombre de Venceslao (1991) de Copi commence par un déluge. Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Khalid vit les volets fermés, dans la peur de l’Apocalypse. « Le soleil était devenu, année après année, une grande obsession morbide pour Khalid. Il en parlait tout le temps. Il en avait une connaissance scientifique, intime, amoureuse. Il voyait le soleil comme une menace sérieuse, certaine. » Pour lui, la fin du monde va arriver avec l’approche du soleil : « Le soleil et la mort se regardent fixement. Le soleil gagne. Il va bientôt triompher. Exploser. Tout deviendra ombre. […] J’imagine le soleil qui vient vers moi. […] Il me noircit. Il me transforme. En cendres ? En quoi exactement ? Je me demande si, juste à la toute fin, je serai complètement noir. Noir de brûlures. » (pp. 69-71) Dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber, Vincent Pignon écoute la radio et vit le déferlement médiatique quotidien des mauvaises nouvelles comme une asphyxie : d’ailleurs, il ne tardera pas à faire son faux coming out

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Homosexualité de circonstance (dans les pensionnats, les internats, les prisons) :

ENTRE 5 Prison

 

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles, on peut observer que le désir homosexuel survient davantage par des événements et un contexte social particulier (souvent un contexte d’enfermement, privant de liberté) que par la Nature et la liberté (c’est la raison pour laquelle on parle souvent d’« homosexualité de circonstance ») : « Les circonstances m’avaient rendu homosexuel. » (Costas Taktsis à propos de son expérience carcérale, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 424) ; « Si l’on en croit les statistiques de Kinsey, établies aux États-Unis, un très grand nombre de sujets (plus d’un tiers des sujets masculins) ont pu avoir des relations homosexuelles accidentelles ou temporaires. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 264) ; « Les pratiques homosexuelles sont plutôt le résultat de la misère sexuelle existant dans le Maghreb que de vrais désirs homosexuels : une sexualité de substitution. » (cf. l’article « Maghreb » de Robert Aldrich, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 306) ; etc.

 

D’ailleurs, les lieux de la pratique homosexuelle sont souvent des espaces clos (casernes, pensionnats, prisons), où la différence des sexes est soit trop marquée, soit banalisée : « Slimane ne parle que de lui depuis deux jours. Saâd… Saâd… Saâd… Il ne le dit pas, mais pour moi, c’est sûr, ils étaient amoureux l’un de l’autre. À l’internat du collège et du lycée, ils ont dormi longtemps dans le même lit. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 106) ; « L’homosexualité et la masturbation proviennent en partie des conditions de la captivité. […] On retrouve les mêmes réactions chez les bêtes à cornes parquées (béliers ou taureaux). » (Paul Guillaume, La Psychologie des singes, 1942) ; « Ces hommes que de longs séjours en prison semblaient avoir rendus tous pareils » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; « La masturbation paraît bénigne quand se posent des problèmes de viols et de relations homosexuelles. Sur ce point, c’est l’omerta, la loi du silence. » (Père Jean-Philippe Chauveau à propos du milieu carcéral, dans son autobiographie Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 289) ; « Je suis arrivée au pensionnat à l’âge de 14 ans. J’étais très naïve. Et je me suis retrouvée très tôt face à ces problèmes. Et j’ai été choquée. Il ne se passait que ça autour de moi, et je ne voulais pas le voir. Et j’en étais choquée. Depuis la surveillante qui couchait avec la surintendante, jusqu’aux élèves qui partageaient ma chambre, il n’y avait que ça autour de moi. J’étais la seule à ne pas être informée et à ne pas trouver que c’était épouvantable. Je me suis d’autant plus braquée que je sentais confusément en moi une attirance. Mais je voulais absolument la nier. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Il est extrêmement fréquent que les amours homosexuelles ou les actes homosexuels soient vécus en milieu carcéral : cf. l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, le nom du groupe britannique de Marc Almond Soft Cell, le documentaire « P4W : Prison For Women » (1981) d’Holly Dale et Janis Cole, l’essai Sexualité et prison, désert affectif et désirs sous contrainte (2009) d’Arnaud Gaillard, etc. Par exemple, le film « I Love You Phillip Morris » (2008) de John Requa et Glenn Ficarra retrace l’histoire vraie de la liaison amoureuse de deux prisonniers Steven Russel et Phillip Morris dans une prison nord-américaine. Dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule évoque « les viols commis par les détenus sur les autres détenus, et, en l’occurrence » (p. 129) sur son cousin Sylvain. Michaël Kühnen (1955-1991), condamné en 1984 à trois ans de prison pour incitation à la violence et à la haine raciale, fait son coming out en 1986 alors qu’il est encore en prison. Il meurt du Sida en 1991. Je vous renvoie à cet article ainsi qu’à cet article.

 

En Russie, beaucoup de témoignages terribles révèlent l’ampleur de l’agressivité entre certaines femmes incarcérées, leurs relations lesbiennes ultra violentes.

 

Ce n’est pas un hasard si certains intellectuels homosexuels (tels que Michel Foucault, Maryse Choisy, ou Jean Genet) se sont intéressés de près à l’univers carcéral. Par exemple, le romancier nord-américain homosexuel Truman Capote découvre dans le New York Times du 16 novembre 1959 un fait divers qui, tout de suite, le passionne et l’inspire pour l’écriture de son roman De sang-froid (1966) : un quadruple meurtre frappant une famille de fermiers du Kansas. Il rentrera en relation étroite et amoureuse avec l’un des deux assassins, Perry Smith, qu’il visitera souvent en prison.

 

Cet intérêt homosexuel pour les prisons s’origine parfois par une expérience passée dans celles-ci. Juan Soto, par exemple, a vécu son homosexualité en prison sous l’Espagne franquiste. Jean Genet a connu ses premières expériences homosexuelles dans une prison pour mineurs à Mettray (le poème « Le Condamné à mort » qu’il a dédié à son ami carcéral Maurice Pilorge en est une des traces « vivantes »). L’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda raconte un viol dans la prison madrilène de Carabanchel (p. 199).

 

Paradoxe incroyable : c’est dans un lieu aussi homophobe que les prisons (chasse aux « pointeurs », viols correctifs, etc.) que pourtant se pratique et se refoule le plus l’homosexualité. « Quand il sort de prison, l’homosexuel est tout aussi homosexuel qu’auparavant. » (Himmler, cité dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 260) Par exemple, dans son autobiographie Un Homo dans la cité (2009), Brahim Naït-Balk explique que ses violeurs, qui sont homosexuels refoulés (selon son propre aveu), sont incarcérés : « Certains d’entre eux se sont retrouvés en prison à cause du deal. Pas à cause de ce qu’ils m’avaient fait… » (p. 79) En 1999, Aaron McKinney, l’un des assassins prétendument « hétéros » de Matthew Sheppard, homosexuel, est suspecté d’homosexualité refoulée par Andrew, un de ses compagnons de cellule : « Pourquoi t’as enculé cette putain de tante ? Parce que tu vas devenir une putain de tante aussi… » Et il a été révélé que lui et Matthew étaient amants. Il existe des cas recensés de viols et de cannibalisme dans les prisons du monde entier.

 
 

b) Corrélation entre homosexualité et guerres ? Don’t ask, don’t tell !

Il est fréquent que les personnes homosexuelles découvrent leur homosexualité, ou vivent une histoire d’amour homo, dans l’armée, pendant leur service militaire, dans un contexte de guerre : cf. le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, le fameux slogan « Don’t ask, don’t tell » du président Bill Clinton concernant le phénomène de l’homosexualité dans l’armée nord-américaine, l’enquête Dante n’avait rien vu (1924) d’Albert Londres (qui nous donne un panorama secret de la vie des « képis blancs » en 1934), etc. Je vous renvoie aussi à cet article.

 

« La pédérastie est chose fort courante dans l’armée et les universités. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 154) ; « En 1980, 102 cas de viol à l’armée étaient suivis de poursuites pénales. » (cf. le dossier « Viol » dans la revue Homophonie, n°54, avril 1985, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, p. 178) ; « Dans un livre publié en 1925, Brand loue l’amour des amis comme le fondement d’une armée parfaite. L’homoérotisme est bénéfique pour la loyauté militaire et le sacrifice ; il est donc d’une grande valeur pour l’Allemagne. D’une manière générale, la guerre doit être considérée comme une bonne école de virilité mais aussi de vraie camaraderie et d’amitié érotique. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 171) ; « En réalité, de même que pour les cas d’homosexualité constatés dans les internats et dans certaines collectivités d’hommes, cet usage, qui fut pour les philosophes un thème de dissertations brillantes, provenait tout simplement de circonstances particulières, nées de conditions de vie anormales : à l’armée comme au gymnase, les hommes vivaient exclusivement entre eux (les femmes n’étaient même pas admises en qualité de spectatrices sur les stades.). » (Jean-Louis Chardans, op. cit., p. 124) ; « Dans aucune grande ville du début du XXe siècle, il n’y a autant de soldats prostitués qu’à Berlin. C’est que l’inversion sexuelle sévit dans l’armée allemande plus que partout ailleurs. Les soldats qui s’abandonnent ainsi à la passion des autres sont généralement des ‘normaux’. C’est une des révélations de l’affaire Eulenburg et des procès qui s’en suivirent : la pratique étendue de l’homosexualité dans l’armée. Au point que pour les étrennes de ses soldats, le Kaiser a offert aux officiers lors du Nouvel An, en 1908, une nouvelle ‘théorie’ qu’ils ont mission d’apprendre et d’expliquer à leurs subordonnées, et qui expose tous les dangers de l’homosexualité. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 63) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Thérèse, femme lesbienne de 70 ans, raconte que la situation de la guerre de 1914 encourageait au lesbianisme : « Il n’y avait plus d’hommes. » Le scandale des cadets du collège militaire en Argentine en 1942 montre également la correspondance entre dictature militaire et homosexualité (cf. le roman La Ciudad Y Los Perros, La Ville et les Chiens (1963) de Mario Vargas-Llosa, et la nouvelle « El Marqués De Sebregondi Llega Y Retrocede » (1988) d’Osvaldo Lamborghini). Dans les années 1960-1990, on a découvert la pratique du viol homosexuel (appelé « dedovchtchina ») dans l’armée soviétique (cf. l’article « Armée » de Pierre Albertini, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 47).

 

ENTRE char rose

 

Certaines personnes homosexuelles disent explicitement qu’elles sont la guerre, ou que la guerre est leur mère, leur Moi profond : « Quand quelquefois, je vois à la télévision de belles âmes pleurer sur la misère sexuelle des malfaiteurs enfermés en prison, je ne peux me retenir d’évoquer ma jeunesse, tout aussi misérable, où je subissais une punition inhumaine pour des crimes que je n’avais pas commis. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « J’étais né dans la guerre. » (Charles Trénet parlant de sa famille puis de son pays, dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata) ; etc. J’ai en tête par exemple les Autoportraits (1919-1928) de la photographe lesbienne Claude Cahun, au look de bagnard crâne rasé, ou encore à la fierté paradoxale de Jean Genet à se dire « voleur », homosexuel et guerrier : « Je choisis cette planète maudite, je l’habite avec les bagnards de ma race. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 49)

 

Déjà, à l’école, la découverte de l’homosexualité chez l’individu homosexuel enfant a pu être le signe d’un climat tendu ou d’une ambiance de guerre civile dans la cour de récré. Par exemple, dans la publicité « Safer Sex Gay » de l’association AIDES, la guerre est montrée comme un moteur du désir homosexuel : des ados qui se castagnent pousse le jeune homosexuel à se penser gay. C’est cette tension de l’entre-deux-guerres qui définirait, selon Jean-Paul Sartre, le drame sacré homosexuel de Jean Genet. « Un accident l’a buté sur un souvenir d’enfance et ce souvenir est devenu sacré ; dans ses premières années, un drame liturgique s’est joué, dont il était l’officiant : il a connu le paradis et l’a perdu, il était enfant et on l’a chassé de son enfance. Sans doute cette ‘coupure’ n’est pas très aisément localisable. Peu importe : elle existe, il y croit ; sa vie se divise en deux parties hétérogènes : avant et après le drame sacré. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 9)

 

Et plus tard, à l’âge adulte, on découvre que les « guerres » dont certains individus homos parlent sont surtout les conflits internes au « milieu homosexuel », survenant de la violence de la pratique homosexuelle et du couple homosexuel (elles ne viennent pas que de l’extérieur) : « On est mardi. J’ai passé ces quatre derniers jours avec Slimane. On n’est pas sortis de l’appartement. J’ai passé quatre jours sur lui, et lui sur moi. À manger. À faire l’amour. À se disputer. À se réconcilier. À dormir. L’un dans l’autre au sens propre. Prisonniers. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 109) Le « milieu homosexuel » devient un entre-deux-guerres dans la mesure où il est à la fois subi et choisi, victime et agresseur (cf. je vous renvoie au code « Milieu homosexuel infernal » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

La guerre ou les crises se présentent comme des contextes favorables à l’émergence de l’homosexualité : « [Aux États-Unis] Il y avait une homosexualité motivée par la prostitution, elle-même encouragée par la crise de 1929. » (Jean Le Bitoux, Les Oubliés de la mémoire (2002), p. 27)

 

Il existe un lien indirect entre la justification sociale de la pratique homosexuelle et les guerres/le terrorisme : « Quelle différence en tout cas avec les Espagnols après les deux cents morts des attentats de Madrid en mars dernier ! Que ces électeurs espagnols aient puni Aznar et son Parti populaire de leur avoir menti, rien de plus logique. Mais ce qui m’étonne un peu plus c’est que Zapatero, à peine élu, et alors que les ruines de la gare d’Atocha fumaient encore, se soit héroïquement et principalement engagé en faveur du mariage gay ! C’est Ben Laden qui a dû être content de voir comment son message était reçu cinq sur cinq. Et en effet, il l’était… » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 450) ; « Si l’Occupation avait radicalement supprimé la progression de la drogue en France, elle y avait en revanche développé l’homosexualité. Assez répandue outre-Rhin, la pédérastie s’étendit à la suite du passage des soldats allemands dans notre pays. Jusqu’alors, elle était le fait de quelques intellectuels ou de quelques blasés qui constituaient une confrérie très fermée. Les véritables invertis physiologiques se montraient encore plus discrets. Bref, la pédérastie n’était pas descendue dans la rue. Par goût, par entraînement, par intérêt, par lâcheté, de nombreux jeunes gens, et des moins jeunes, subirent l’initiation germanique. À la Libération, l’arrivée des Nord-Africains, les difficultés économiques, la fermeture des bordels, encouragèrent cette vague d’homosexualité. Pour la première fois à Paris, il existait une prostitution masculine avouée sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. C’est pourquoi la loi d’avril 1946 sur la prostitution n’établit aucune distinction de sexe. » (André Larue, « Les Flics », 1969) ; « Ajoutons encore à cette catégorie [les homosexuels] les jeunes soldats ou marins ayant glissé vers les pratiques homosexuelles par suite des circonstances ou du milieu pendant la guerre ou leur service militaire qui, par la suite, se sont crus irrémédiablement pervertis. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 48)

 

Pendant les grands conflits armés, il est important de rappeler que la torture sexuelle touche aussi bien les hommes que les femmes. Par exemple, les abus se sont multipliés après l’entrée des troupes russes en Tchétchénie, entre 2000 et 2003. Les hommes comme les femmes soupçonnés de complicité avec les rebelles tchétchènes ont été soumis à des sévices sexuels (application d’électrodes sur les parties génitales, viol avec des armes ou des bouteilles). Ils ont été violés dans les prisons illégales, les « camps de filtration », et lors des pillages des villages.

 

Beaucoup de couples homosexuels se forment pendant (à cause d’ ?) une guerre : « En prison et dans l’armée… Il est des lieux où l’homosexualité est pratiquement inévitable : les pénitenciers (prisons, maisons d’arrêt, de détention, compagnies de discipline, ateliers de travaux disciplinaires, grands chantiers publics, colonies pénitentiaires, bagnes). C’est dans ces lieux, où la continence est forcée, que naissent, dans l’internement ce que les administration d’État dénomment pudiquement ‘les succédanés pénitentiaires de l’amour’ semblables aux amitiés particulières chères aux collèges de Jésuites. […] Les murs, les portes, les montants des lits des prisons portent des milliers d’inscriptions qui trahissent les pensées exacerbées par l’homosexualité. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 229) ; « Là-bas [en Algérie], nous l’étions tous. Seul Changarnier l’est resté. » (Louis de Lamoricière parlant du Général Nicolas Changarnier (1793-1877)) ; « Au retour des Croisades, soldats et religieux dévoilèrent ce qu’ils avaient appris en Palestine. Au contact des Orientaux, ils apprirent l’art de forniquer avec leurs semblables. Jamais pareille ignoble requeste ne fut réservée à de pareils guerriers. » (Gauthier de Coincy, prieur de Saint-Médard de Soissons, parlant des Croisés) ; etc. Lors de sa rencontre-dédicace pour signer son essai L’Homosexualité dans la Bible (2010) à la Librairie Violette & Co à Paris le 22 avril 2010, Patrick Négrier explique la corrélation entre homosexualité et guerre, où l’amour homo est utilisé comme arme de guerre : il évoque Jonathan contre les Philistins, ou bien Judith coupant la tête d’Holopherne après l’avoir draguée.

 

L’expérience des tranchées pendant la Première Guerre mondiale a suscité des vocations homosexuelles (cf. Martin Taylor, Lads : Love Poetry Of The Trenches, 1989). Idem lors de la Seconde Guerre mondiale et d’autres conflits : cf. l’essai Wars I Have Seen (1945) de Gertrude Stein, le documentaire « Children Of The Regime » (1985) de Nick Deocampo, etc. « C’est déjà très étrange de penser que Parade était pendant Verdun. Paris avait une vie intense pendant qu’il y avait la vie intense des tranchées. C’est presque à l’heure actuelle incompréhensible. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et Compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier) ; « Les années 45 et 46 auront été l’âge d’or de l’homosexualité à Paris. » (Jean-Jacques Rinieri, cité dans l’autobiographie Parce que c’était lui (2005) de Roger Stéphane, p. 109)

 

La guerre est présentée par certains individus homosexuels comme un viol, un dépucelage, qui a pu les dégoûter de l’alter-sexualité et les rendre homos : « Cette fameuse perte de l’innocence que nous avons perdu ce 11 septembre 2001… » (le romancier homosexuel québécois Denis-Martin Chabot, à propos de son roman Innocence (2006), à l’émission Homo Micro au micro de Paris Plurielle, le 27 mars 2006)

 

L’amour homosexuel apparaît comme un champ de bataille. À la guerre comme au lit ! « Je haïssais Chouaïb. Il ne m’attirait plus. Mais je voulais rester ainsi pour toujours, nu, collé à lui tout aussi nu, peau contre peau, vivant dans le chaos de cette guerre intime, sexuelle. » (Abdellah Taïa parlant de son « cousin » Chouaïb, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 23)

 

Souvent, la juxtaposition de l’homosexualité avec les guerres est souhaitée par les créateurs homosexuels afin de justifier l’amour homosexuel. L’horreur de la guerre, empêchant à l’écran la formation et le bonheur du couple homosexuel fictionnel, est censée rehausser et prouver la solidité de l’amour homosexuel. Mais prouve-t-on l’amour par son contraire (à savoir la guerre) ? Pas longtemps, en tous cas !

 
 

c) La guerre inconsciemment désirée : l’entre-deux-guerres ou le fantasme d’Apocalypse

La pratique de l’homosexualité, même si elle alimente parfois les conflits ou semble être une conséquence des guerres (en tous cas, ce qui est sûr, c’est qu’elle en est l’un des signes humains), est en théorie et en intentions, au contraire une démarche de paix, de rapprochement des Peuples, une union originale et fusionnelle entre les Nations (cf. je vous renvoie au code « L’homosexuel riche / L’homosexuel pauvre » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Plus personne ne compte à leurs yeux. […] Roland et Olivier […] Tout se tait. Le temps s’est arrêté. Moment de silence et de bonheur dans le tumulte de la guerre. » (Louis-Georges Tin commentant la Chanson de Roland (fin du XIe siècle), dans son essai L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), p. 21) C’est pour cette raison que l’homosexualité se vit et se voit particulièrement pendant l’entre-deux-guerres. La pratique de l’homosexualité semble être une passerelle entre deux conflits… l’arc-en-ciel rainbow de l’entre-deux-guerres.

 

D’ailleurs, si on regarde bien, beaucoup de personnalités du monde homosexuel appartiennent aux Années folles et à la fameuse période connue de « l’entre-deux-guerres » (1918-1939) : Panama Al Brown, Suzy Solidor, Joséphine Baker, Jean Cocteau, Jean Marais, etc. Dans les capitales comme Berlin, Paris, Londres ou New York, la pratique homosexuelle battait son plein. Berlin, par exemple, était une ville particulièrement homosexuelle ! « Il y a 30 bars homosexuels à Berlin en 1900. Il y en a 130 en 1933, soit davantage aujourd’hui qu’à Paris. » (Jean Le Bitoux, Les Oubliés de la mémoire (2002), p. 21) ; « Regardez-moi donc ! claironnait la capitale allemande, fanfaronne jusque dans son désespoir. Je suis Babel, la Pécheresse, la ville monstrueuse entre toutes les villes. Sodome et Gomorrhe tout ensemble n’étaient pas moitié aussi corrompues, moitié aussi misérables que moi ! » (Klaus Mann écrivant sur Berlin, la ville homosexuelle sodomite pendant les années 1920-1930, dans son journal, p. 169) ; etc.

 

ENTRE Vietnam

 

Même si le lien homosexualité-guerre ne peut pas être causalisé, je suis frappé de voir, rien qu’en Espagne et au Portugal (deux pays qui ont vécu des guerres civiles et des décennies de dictature), combien la pratique homosexuelle a explosé plus fort qu’ailleurs dans les années 1980-2000. Par ailleurs, Un ami d’origine yougoslave, la quarantaine, m’a assuré, par rapport au conflit serbo-croate (1991-1995) : « Avant la guerre, il n’y avait pas de pédés à Belgrade. Maintenant, on ne voit que ça ! »

 

L’entre-deux-guerres, cela peut être aussi les enfers choisis, les viols consentis : les milieux actuels du sport, de la prostitution, du show-business, des classes prépas (cf. le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, l’autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004) d’Alexandre Delmar, le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, etc.). Beaucoup de personnes homosexuelles se victimisent et aiment se faire peur pour donner à leur pratique homosexuelle la valeur de l’héroïsme contre un climat homophobe qui les empêcherait d’aimer et d’être elles-mêmes. « À l’époque, il y avait de la discrimination partout. C’était affreux. » (Carmen Xtravaganza, le transsexuel M to F évoquant les années 1970 aux États-Unis, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) Par exemple, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014, Emmanuelle, femme lesbienne de 26 ans, compare le sort des personnes homosexuelles « maltraitées par la Manif Pour Tous » à la « Seconde Guerre mondiale, à la Shoah, à l’histoire des Noirs ». « Où est-ce qu’ils vont s’arrêter ? Tout ce qu’ils veulent, c’est que je dégage. »

 

La recrudescence de l’homosexualité pendant l’entre-deux-guerres peut traduire l’indifférence/distance cynique et « optimiste » des personnes homosexuelles vis-à-vis des grands malheurs humains (cf. je vous renvoie au code « Femme au balcon » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Comme l’explique très bien Éric Zemmour dans son essai Le Premier Sexe (2006), la fuite sociale de la guerre, du pouvoir et de la mort, c’est la fuite de sa masculinité, donc un détonateur improbable d’homosexualité : « La guerre est l’ultime marqueur de l’identité masculine. » (p. 75) L’homme a été dévirilisé à partir de la guerre 1914-1918 (les femmes sont montrées comme capables de se passer des hommes) : « Cette génération veut abandonner la pulsion de mort qui est le propre de la virilité depuis des millénaires. Ils veulent être du côté de la vie, du côté des femmes. […] Le pouvoir, c’est le mal, la mort, le phallus, l’homme. Plus personne, dans les jeunes générations de nos pays, ne veut assumer ce fardeau. […] Le rêve féministe s’est substitué au rêve communiste. On sait comment ces rêves finissent. Dans le reste du monde, on n’en est pas là. Les Américains, les Chinois, les Indiens, les Arabes, les Russes assument la force, la violence, la guerre, la mort, la virilité. […] Ainsi, de part et d’autre des océans s’affrontent deux férocités : totalitarisme féministe contre tyrannie masculine. […] C’est aux États-Unis qu’est né l’homme féminisé. L’homme castré. Mais c’est aussi des États-Unis qu’est venue une vigoureuse réaction masculiniste, avec ces groupes d’hommes qui réapprennent leur virilité dans des forêts. […] Face à cette évolution, les sociétés européennes et américaines risquent de s’éloigner de plus en plus, une dérive des continents où l’Europ incarnerait la femme et l’Amérique l’homme. » (idem, p. 86 puis pp. 120-121) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on découvre qu’Yves Saint-Laurent a essayé à tout prix d’échapper à son devoir d’État qui le nommait au conflit en Algérie. Il arriva, pour des raisons de santé, à être exempté (« Entre l’armée et toi… tu n’es pas allé plus loin que l’Hôpital du Val de Grâce. » commente mi-ému mi-amusé son amant Pierre Bergé). Le jeune couturier ne répondit pas à son appel d’incorporation à l’Armée française (il se fera critiquer et désigner comme déserteur par certains journaux parisiens) : « Mon seul combat, c’est d’habiller les femmes. » déclarera-t-il. On le voit plus tard regarder avec excitation auprès de ses potes artistes les images terrifiantes de la Guerre d’Algérie au Journal Télévisé : « Tu te rends compte, si ça bascule, on aura l’air malins… » laisse-t-il échapper ; et Betty de lui répondre en riant : « J’ai toujours rêvé d’une catastrophe financière ! »

 

Il existe dans l’individu homosexuel une division schizophrénique qui lui fait vivre une guerre intérieure violente et ambiguë. En lui se disputent deux nations, deux entités, deux intentions : une de paix, une de guerre. Il est pris entre deux feux, deux guerres, littéralement parlant ! « La Bretagne est mon décor. […] Rostrenen. Ni ville ni village. Deux maternelles, deux écoles primaires, deux collèges, les laïques et les catholiques, une guerre civile permanente. Face à l’église, la mairie. Deux terrains de foot, deux gymnases, deux boulangeries… qu’on fasse du sport ou qu’on achète une baguette, il faut toujours choisir son camp. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 37) ; « Gaulliste avec sa mère le jeudi et collabo avec son père le dimanche ? Non. Pas de schizophrénie. Le choix du garçon est fait depuis longtemps, depuis toujours. » (Dominique Fernandez parlant de lui à la troisième personne du singulier, dans la biographie Ramon (2008), p. 17) ; etc. Par exemple, Daniel Guérin parle de sa schizophrénie au niveau de la différence des espaces : « Pendant de longues années, je me suis senti coupé en deux. » (Daniel Guérin, Homosexualité et Révolution (1983), cité l’ouvrage collectif L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 531)

 

La pratique homosexuelle traduit aussi une illusion de transition démocratique suite à une guerre/dictature. « L’association Les panthères roses a lancé sa première action le 14 décembre 2002 à Paris, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak. » (Natacha Chetcuti, Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), p. 44.)

 

ENTRE La Parade

Film « La Parade » de Srdjan Dragojevic


 

Aussi bizarre que celui puisse paraître, la guerre est désirée (autant que crainte et niée !) par beaucoup de sujets homosexuels. Elle est envisagée comme une manière de supplanter la guerre hétérosexuelle, voire de gommer cette dernière. « L’amour n’existe pas. L’homme n’est pas fait pour la femme. Tout finit dans les cendres de l’apocalypse. » (Oscar Wilde) ; « Le milieu paysan où j’ai passé mon enfance n’était pas seulement le monde des relations sexuelles, c’était aussi un monde menacé par une violence incessante. » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1992), p. 41) ; etc.

 

Les personnes homosexuelles vivent (une histoire d’amour pendant) l’entre-deux-guerres, sont nostalgiques de la guerre passée, et restent dans l’expectative d’un conflit imminent. Il existe un grand fantasme de guerre mondiale chez elles, un mélange de peur et d’attraction pour la disparition cataclysmique de la Planète : « Je savais que j’étais le dernier survivant d’une civilisation détruite. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 40) ; « Mon premier livre seul, c’était un scénario, Hiroshima, mon amour. […] J’étais en sixième, je l’avais emprunté par hasard au CDI, était-ce pour plaire au documentaliste, ou pour la terreur délicieuse que m’inspirait le mot ‘Hiroshima’, et finalement je l’avais lu. » (idem, pp. 158-159) ; « J’ai envie de chaos, oui, de chaos. » (Élia Kazan cité dans l’essai Une Amérique du chaos (2004) de Florence Colombani) ; « Réfléchir aux catastrophes naturelles est toujours rassurant, pour peu qu’on ne les subisse pas. Mon imagination s’emballe souvent à la pensée de ce ‘et si’ qui mène à la fin du monde. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 262) ; etc. Par exemple, le collectif chilien Yeguas Del Apocalipsis a été créé par Francisco Casas et Pedro Lemebel en 1987. Certaines personnes homosexuelles adoptent une vision du monde totalement apocalyptique, comme c’est le cas dans la conclusion du documentaire « Regarde, elle a les yeux grand ouverts » (1978) de Yann Lemasson. Dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau, le Collectif Grève du Ventre, groupe commando encourageant à « arrêter de faire des enfants », nous montre à maintes reprises le décompte du nombre d’humains qui augmente rapidement tous les jours dans la population mondiale, afin de terroriser le spectateur.

 

Évidemment, la pratique homosexuelle n’est ni une cause ni une conséquence de la fin des temps. Elle n’est qu’un signe parmi d’autres de celle-ci, un indice/symptôme de décadence, de chute de civilisation, de société qui se replie sur elle-même, qui s’autodétruit, qui banalise et rejette la différence des sexes, qui ne s’ouvre plus à la vie, qui déprime. Elle est le voyant rose des guerres (mondiales comme privées), l’indicateur social d’un repliement narcissique globalisé. Par le passé, toutes les civilisations ayant promu la pratique homosexuelle se sont écroulées et ont disparu : nul besoin de rappeler l’histoire de Sodome et Gomorrhe, de la Grèce et de la Rome Antiques… et il suffit de regarder dans quel état de crise grave se trouvent aujourd’hui les continents qui adoptent le « mariage homo » – l’Europe et les États-Unis – pour comprendre par quelle crise morale, économique, sexuelle, religieuse, nous sommes en train de passer. Et ça, nous ne pouvons pas le nier, même si ça n’enlève rien à la dignité des personnes homosexuelles, et que je ne me réfère qu’à l’acte homosexuel (et aux couples homosexuels en tant qu’actes) pour dire cela. Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, et plus précisément dans l’émission italienne Porta A Porta, la sociologue Maria Burano avance un constat que personne n’arrive à contre-carrer, même s’il est politiquement incorrect : en prenant exemple de la chute de l’Empire Romain, elle dit : « Une société d’homosexuels s’éteindrait. L’Histoire nous l’apprend : la période de déclin de différents peuples correspond à celle où l’homosexualité devient prépondérante. » En des termes cette fois plus alarmistes, je citerai pourtant aussi la prédiction de Chekib Tijani dans son essai 700 millions de GEIS (livre retiré de la vente, en 2010) : « Imaginons quelques instants le chaos dans lequel plongerait l’humanité si la moitié féminine de la population du monde se refusait à la moitié masculine. Ne serait-ce pas là un désordre fondamental pour la population masculine du monde entier ? C’est un tel désordre que vit la population gei face à la population hétérosexuelle qui se refuse à elle. » (p. 68) Oui. Ne faisons pas les autruches. La pratique de l’homosexualité ne provoquera pas la fin du monde, ne signera pas directement l’extinction de la race humaine (Nous, personnes homosexuelles, ne sommes pas les fossoyeurs de l’Humanité, je vous rassure), n’empêchera pas les Hommes de se perpétuer. Simplement, force est de constater qu’elle freine l’élan de vie de Celle-ci, et qu’elle est le signe – à défaut d’être la cause ou la conséquence – d’un monde qui se recroqueville sur lui-même (et sur le même !), qui rejette la différence (la différence des sexes en premier lieu : ce n’est pas la moindre !), qui broie du noir, qui s’entretue et qui ne vit pas en paix. L’entre-deux-guerres homosexuel qui a pondu le nazisme devrait nous rafraîchir la mémoire et nous alerter…

 
 

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Code n°93 – Icare (sous-code : Chute)

Icare

Icare

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Vertige de « l’amour »

 

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Icare, héros très connu de la mythologie grecque, ayant voulu être l’égal de Dieu et cherché en vain à voler de ses propres ailes de cire pour atteindre le soleil, apparaît de temps en temps dans les œuvres artistiques homosexuelles. Le personnage homosexuel s’identifie en effet à cette figure de l’amour déçu. Cela illustre que le désir homosexuel est à la fois un élan irréaliste, limité, particulièrement humain, orienté davantage vers la mort angéliste que vers la vie, mais aussi un signe d’orgueil démesuré. Avec lui, le risque de chute – concrète autant que sentimentale – est prévisible, sinon incontournable : on tombe homosexuellement amoureux, et on tombe tout court !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Artiste raté », « Femme allongée », « Destruction des femmes », « Femme au balcon », « Animaux empaillés », « Se prendre pour Dieu », « Aigle noir », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Lunettes d’or », « Extase », « Funambulisme et Somnambulisme », « Innocence », à la partie « Pont » du code « Symboles phalliques », à la partie « Décadence » du code « Entre-deux-guerres », et à la partie « Descente aux enfers » du code « Milieu homosexuel infernal », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La chute (libre ?) de l’ange :

B.D. "Icare" de Moebius et Jiro Taniguchi

B.D. « Icare » de Moebius et Jiro Taniguchi


 

Dans sa prétention à vivre l’extase, à fuir sa carcasse corporelle pour devenir Dieu (cf. je vous renvoie aux codes « Se prendre pour Dieu », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » » et « Planeur » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), le héros homosexuel, déguisé en oiseau mythique, souhaite souvent arriver à des hauteurs irréelles où ses fantasmes, à son grand désarroi, ne pourront pas s’incarner… à moins de forcer les choses et de les vider d’amour, comme l’a fait un certain Lucifer, prince de la lumière : cf. le roman Histoires de vertige (1920) de Julien Green, la chanson « Le Vol d’un ange » de Céline Dion, le film « Free Fall » (2013) de Stephen Lacant, le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée (avec le personnage transsexuel M to F surnommé « Rayon ») ; etc. « Plus loin, plus haut, j’atteins mon astre, j’ai l’vertige de vivre. » (cf. la chanson « Vertige » de Mylène Farmer) ; « Je suis né dans le soleil. » (le héros de la pièce L’Autre monde, ou les états et empires de la lune (1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac) ; « Notre enfant n’a pas de sexe, il est le fils de la Terre, elle-même fille de la lumière. » (Ahmed et Lou en parlant de leur bébé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ça a commencé toute petite. Quand j’étais petite je ne voulais surtout pas être actrice. Je voulais être dieu. Je voulais être une super-héroïne. Une sorte de comics… une sorte de rêve éveillé pour vous, une sorte de muse, d’enchantement pour vos yeux… Ce soir, je suis dieu. Puisque c’est moi qui dis. Et comme ce soir c’est celui qui dit qui est… Chacun pense ce qu’il veut, mais moi je sais qui je suis… Je suis dieu. […] Comment vous convaincre que je suis dieu ? […] Je peux tout demander, ça arrive. Je peux faire qu’il pleuve sur cette scène (didascalies : un bruit de fond et un jeu d’eau)… Je peux faire le soleil, je SUIS le soleil. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Et toi, t’étais assis dans ce rayon toute la journée. Je me souviendrai longtemps de ce rayon. » (Rudolf parlant de son amant Pierre, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « La plus grande chute est celle qu’on fait du haut de l’innocence. » (Merteuil dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller) ; « Vous êtes une fille étrange. Tombée du ciel. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Mon ange. Tombé du ciel. » (idem) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, pour draguer « poétiquement » Adèle en boîte, Emma feint de donner la signification étymologique du prénom « Adèle », et le premier mot qui lui sort, c’est « Soleil » ; ensuite, après être sorties ensemble, les baisers lesbiens que s’échangent les deux filles se font sur fond solaire ; leur liaison finira par capoter. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, l’un des deux héros homosexuels, s’est pris des coups de soleil. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Oliver lit Les Fragments cosmiques d’Héraclite.

 

Certains personnages homosexuels semblent buter contre une paroi solide ou un mur invisible (la paroi de leur vitrine narcissique ?) qui les empêche d’aller plus haut. « Et c’est ainsi que l’on se cogne au plafond. » (Madame de Polignac, l’amante secrète de la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « La mouette entre par la fenêtre et vient se cogner contre un meuble. » (cf. les didascalies de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

Par exemple, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, Jack, le célèbre danseur étoile homosexuel, découvre dans les journaux son destin d’Icare, suite à son éjection de l’Opéra et à son envoi en retraite anticipée : « Jack Spencer, après avoir touché la lune, touche le fond. »

 
 

b) L’oiseau humain foudroyé en plein vol :

Le héros homosexuel s’écrase parfois comme un oiseau touché par la foudre (ou par le coup de foudre) : cf. le film « L’Oiseau de feu » (1970) de Maurice Béjart, le roman Les Aigles foudroyés (1997) de Frédéric Mitterrand, le roman Les Mouettes volent bas (1995) de Joseph Hansen, etc.

 

« Qui arrête les colombes en plein vol, à deux au ras du sol ? Une femme avec une femme. » (cf. la chanson « Une Femme avec une femme » de Mecano) ; « Moi, mon père est mort dans un accident d’avion. » (Vincent, l’un des héros homosexuels du film « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py) ; « Comme un igloo farouche et empesé, ultracivilisé, j’me tiens bien en surface. Mais qui me foudre et qui me branle bas, se lâcher sans effroi pour le grand don de soi. Je déconne, vos idées sur le bien m’assomment. Je ne crains plus le regard de personne. À cette fièvre je m’abonne pour découvrir où l’amour se love. Un doux poison dans la fibre nerveuse qui me met en deçà en dessous mais au-dessus. Étrange flux, vertige ascensionnel qui pénètre mes sens et s’y diffuse jusqu’au ciel. […] Comme un igloo électrocuté qui fond sous ta chaleur, combustion assurée. Je mets au clou tous mes préjugés, abondance d’émois n’a jamais rien gâté. Je me la surdonne. » (cf. la chanson « Comme un igloo » d’Étienne Daho) ; « Oh, la mouette, là-bas ! Elle tourne autour du feu ! Hé, la mouette ! Connasse ! Elle va se brûler ! Elle est comme un papillon qui va s’écraser contre le feu ! » (cf. une réplique de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Elle voulait toucher le soleil. Rien ne sera pareil, perdu dans son sommeil. Et puis les nuages étincellent sur des étangs de miel, et mes larmes s’emmêlent. J’ai toujours su qu’elle allait partir en fumée. […] Au bord du quai, doucement elle a sauté. Ses cheveux, lentement, dans l’eau ont flotté. » (cf. la chanson « Soleil d’hiver » de Niagara) ; « Ces petites plumes voletaient dans les rayons du soleil… » (Jarry évoquant son petit canard « Canardo » dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Elle est libre, elle a deux vies mais pas de chance. Pas d’équilibre, mais elle fait de son mieux, elle penche. Aimer et fondre l’or, faire de la mort une immortelle, rêver jusqu’à l’aurore, aimer encore, gagner le ciel. » (cf. la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer) ; « Ça brûle tellement le monde qu’on se jette en parallèle, ça brûle tellement qu’on cherche à se fondre. » (l’Actrice dans la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Tableau "Bird Wing" de Matt Mahurin

Tableau « Bird Wing » de Matt Mahurin


 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, il est d’ailleurs très souvent fait référence au personnage mythologique grec d’Icare, cet humain qui a voulu atteindre vainement le soleil avec ses ailes de cire, et qui en est mort, comme un ange déchu : cf. la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry, le roman El Salto Del Ángel (1985) d’Eduardo Mendicutti, le film « Flying With One Wing » (2004) d’Asoka Handagama, le roman El Palomo Cojo (1991) d’Eduardo Mendicutti, la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton (avec le personnage de Kévin), le film « Vingarme » (1916) de Mauritz Stiller, le film « Herme’s Bird » (1979) de James Broughton, le tableau Les Griffes du dormeur (1995) de Michel Giliberti, le tableau Envol d’elle (1995) de Michel Giliberti, le roman Un Ange est tombé (2000) de Claude Neix, le tableau Icare (2003) de Philippe Peseux, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le poème « Icare rime avec choir » (2010) de Steven, le roman Les Bagages d’Icare (1991) de Joseph Bialot, la B.D. Icare (2005) de Jirô Tanigushi et Moebius (avec des scènes d’homosexualité), la pièce Le Choc d’Icare (2013) de Muriel Montossey, etc.

 

« Les ailes vous en tombent. Plombé en plein vol, déplumé, le peu d’espoir qui reste. Sans plus rien dans le dos pour redresser la dégringolade, l’oiseau mystique s’affale à voir ces ignares égarés, tronçonneuse en mains, saccager les plus belles forêts de métaphores de l’humaine création. » (Vincent Garbo, le narrateur se parlant à lui-même à la deuxième personne du pluriel, dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 19) ; « En époussetant le buffet qui se trouve dans le salon, je fais tomber un bibelot. Une petite statuette en bronze qui représente un personnage ailé et qui heureusement touche le parquet sans s’ébrécher. » (Théo, le narrateur du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 68)

 

Par exemple, dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Marcy, l’héroïne lesbienne, se compare à un oiseau qui s’écrase au sol. Dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, Marco, le protagoniste gay, chute dans la benne à ordures en déchargeant un chauffe-eau : « J’adore tomber dans les bennes à ordures » dit-il ironiquement à son père qui lui reproche sa maladresse ; Marco vit le syndrome homosexuel du poignet cassé : « J’ai un peu mal au poignet, mais ça va. » Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Alex, le héros hétéro, fait une blague (inachevée) sur un « pédé qui fait un saut en parachute ». Dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, les cinq hommes-oiseaux – qui sont en réalité les facteurs – tombent du chêne au fur et à mesure ; un peu plus tard, le « vrai facteur » nous apprend qu’« un boeing s’est écrasé dans le Colorado » et qu’il a « brûlé ».

 

Bien souvent, le personnage homosexuel effectue une grosse chute (elle lui est quelquefois fatale) : cf. le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong (avec la chute suicidaire de Hyo-Shin), le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume (avec la chute mortelle de Nicolas Luhel du haut d’une falaise), le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson (avec Luca, tombé mortellement dans l’Arno), le film « Fotostar » (2002) de Michele Andina (avec Jonas qui a fait une chute mortelle dans un précipice montagneux), le film « Accatone » (1961) de Pier Paolo Pasolini, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Un Amour à taire » (2005) de Christian Faure (avec Philippe tombant du haut de la cage d’escalier), la chanson « L’Amour n’est rien » de Mylène Farmer, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la chute de l’acrobate Ulumji sous les roues de la voiture de Timofei), le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott (avec les deux amantes fugitives qui se jettent dans le ravin), le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala (avec la chute de Maxime), le film « Prayers For Bobby » (« Bobby, seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy (avec le suicide de Bobby par une chute sur la quatre voies), le vidéo-clip de la chanson « Don’t Tell Me » de Madonna (avec la chute à cheval), le vidéo-clip de la chanson « Libertine » de Mylène Farmer, le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot (avec la chute en vélo de Marcel Cantin, l’un des héros homosexuels), le film « Au ras du sol » (2012) de Filippo Demarchi, etc. Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Henryk, à propos du personnage lesbien d’Helena, remarque qu’« Helena est fascinée par sa propre chute ». Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ben le peintre homo peignant sur les toits de Manhattan, fait une chute dans l’escalier après avoir réalisé sa plus belle toile. Dans le film « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma, Héloïse, l’héroïne lesbienne qui fuit son mariage hétérosexuel, a pour habitude de courir au bord de la falaise pour s’y jeter : « Ça fait des années que je rêve de faire ça. » Dans le film « Plus on est de fous » (« Donde caben dos », 2021) de Paco Caballero, Raul, le héros gay, a chuté par terre et s’est fracturé le nez lorsque son mec l’a quitté.

 

« Soudain, je le savais, je m’y attendais, le sol s’ouvre sous mes pieds. Le Roi rit plus fort. La salle, toute la salle, l’imite alors. Je tombe… Je tombe… Je tombe dans l’abîme. Je quitte la terre. Je rejoins les ténèbres. Avant le monde. Le noir pour toujours. Je suis aveugle. Une voix m’accompagne dans cette chute interminable, cette mort seul. Vers l’enfer éternel. ‘Bye-bye… Tu n’es plus marocain… Bye-bye… Tu n’as plus de père… bye-bye… Tu n’as plus de Roi…’ Je suis toujours dans la chute. J’ai peur. J’ai peur. » (Khalid, l’un des héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 21-22) ; « Je serais immanquablement tombé. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Jane perdit l’équilibre. Pendant un moment étourdissant, elle sentit le poids de la gravité, le néant entre elle et le sol, et elle se représenta parfaitement sa chute à la renverse dans l’escalier. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 122) ; « Anna bascula et tomba dans la cage d’escalier. Elle se cogna au mur une fois dans sa chute, puis atterrit sur le sol avec un bruit sourd discret et définitif. » (idem, p. 245) ; « T’as basculé, en fait. » (Stan s’adressant à Ninon, l’hétérosexuelle qui est en train de virer sa cutie, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; « Arthur est tombé, tombé, tombé. » (Hall parlant de son frère homo Arthur, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc.

 

On retrouve souvent le motif de la chute d’eau dans les œuvres homo-érotiques : cf. la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi (avec les chutes d’Iguazú), le film « Le Zizi de Billy » (2003) de Spencer Lee Schilly (avec les chutes du Niagara), le film « Happy Together » (1997) de Wong Kar-Wai, etc. « Aujourd’hui, les enfants, nous allons étudier les chutes d’eau, annonça Mrs Thaityallam. Je veux que vous tiriez un trait vertical dans vos cahiers. D’un côté, inscrivez ‘cascade’ et de l’autre ‘chutes d’eau’. » (Abha Dawesar, Babyji (2005), p. 56)

 

La chute – notamment celle de la reine carnavalesque aussi vite détronisée qu’elle avait été intronisée – est un leitmotiv de la fantasmagorie homosexuelle : cf. le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot (avec Sidonie Laborde, la conteuse lesbienne qui trébuche dans sa robe), le film « The Hours » (2003) de Stephen Daldry (avec la défenestration), le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec la chute finale de Chloé, l’héroïne lesbienne), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec Lena chutant dans les escaliers), le roman La Hora De La Caída (L’Heure de la chute, 1912) d’Antonio de Hoyos, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi (avec Irina qui s’est cassée une jambe en tombant dans l’escalier), etc. Par exemple, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier, le personnage de Lourdes, la Marilyn Monroe obèse, chute sans arrêt : « On n’est pas toujours en équilibre avec son corps. […] Encore un mythe qui s’écroule. » Dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, le transsexuel M to F Octavia se casse la figure dans les escaliers. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, le comédien se ramasse plusieurs fois sur scène, et ce, dès l’entrée (et ce n’est pas un hasard si la chanson « Tombé du ciel » de Jacques Higelin sert d’intermède). Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Ody dévale les escaliers en même temps qu’il écoute à fond sa chanteuse italienne préférée (et tragédienne) dans les oreilles.

 

La chute, toute accidentelle qu’elle puisse paraître, peut être le fruit d’un désir inconscient sublimé par l’esthétique ou le sentiment. Le héros homosexuel tombe de sa chaise comme il tombe amoureux : cf. le roman Une Chute infinie (2009) de Mohamed Leftah, le film « Miracle de la chute » (2008) de Denis Guéguin, le film « Chute libre » (1993) de Joel Schumacher, etc. « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là. » (Didier, l’un des deux héros homosexuels de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Qu’y a-t-il de plus beau qu’une chute ? Qu’un beau destin raté ? » (Denis D’Arcangelo dans la pièce Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon) ; « Dans l’escalier, vais-je me décider à m´laisser monter,monter… monter l´envie de…tomber. » (cf. la chanson « Dans l’escalier » d’Élodie Frégé) ; « Laure et Lise s’enlisent encore. » (cf. la chanson « Laure et Lise » de Renaud Hantson) ; « Au fond, seule issue protégée par une barrière extensible, un escalier en colimaçon grimpait jusqu’au grenier. J’attendis que les employés bleus eussent atteint le point le plus éloigné de leur boustrophédon, et le trou béant m’engloutit à mon tour. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 109) ; « Je te pousserai de la falaise. » (Hervé Nahel lors de son concert parisien au Sentier des Halles, le 20 novembre 2011) ; « Une dégringolade sans splatch. Vincent Garbo tombait, tombait et sentait que rien ne l’arrêtait. C’est pour ça qu’il écrit, sûrement. Pour calmer le tournis et l’effet de brouillage qu’en la chute le défilement haut en bas du décor impose à sa vue. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 16) ; « C’est toujours drôle, les gens qui tombent, surtout les vieux. » (Jean-Paul, le dandy homosexuel du film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « Je tombe déjà du haut de la falaise. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Quand j’ai vu Patrick, littéralement, je me suis vautré dans l’escalier. » (Hugo, le héros gay, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le saut de la falaise est voulu comme une métaphore du saut vers l’amour vrai. Johnny ose finalement se jeter dans le vide pour rejoindre son Roméo.

 

Les sentiments du personnage homosexuel semble obéir à la loi de la gravité, mais une gravité pas du tout ascensionnelle ni positive : il s’agit plutôt d’une gravité abyssale. Par exemple, dans le film « La Mouette » (1996) de Nils Tavernier, Valéria, au moment de déclarer sa flamme, dit à Laurence : « Laurence… J’ai peur de tomber… ». Laurence lui demande étonnée : « De tomber ? » Valéria finit : « …de tomber amoureuse. »

 

Dans le roman L’Amant des morts (2011) de Mathieu Riboulet – racontant comment Jérôme s’est fait violer par son propre père –, Jérôme, le héros homosexuel, tombe amoureux de son voisin de pallier précisément quand il voit chuter ce dernier dans les escaliers (À l’antenne de l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, le 28 mars 2011, l’auteur en personne qualifie cette chute de « révélation visuelle », quasi érotique…).

 

La chute gravitationnelle est le contre-coup des montagnes russes que font vivre les sentiments amoureux homosexuels : « Dès lors, Stephen [l’héroïne lesbienne] pénétra dans un monde complètement nouveau, qui tournait sur l’axe de Collins [l’amante]. C’était un monde plein de continuelles et émouvantes aventures : des ivresses, des joies, d’incroyables tristesses, mais aussi un bel endroit pour s’y précipiter, comme un papillon qui courtise une chandelle. Les jours allaient de haut en bas ; ils ressemblaient à une balançoire qui s’élève au-dessus du faîte des arbres, puis retombe dans les profondeurs, mais rarement, sinon jamais, tient le milieu. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 27) ; « Dans les escaliers, je demande ‘Mais nous deux, on est quoi ? Des amants ? Un couple ?’ Il me regarde en levant les yeux au ciel. » (Mike à son amant Léo dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 100) ; « Je suis tombé avec toi dans un puits sans fond. » (William s’adressant à son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; etc. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, homosexuel, écrit un roman dans lequel il se met dans la peau de sa grand-mère, une femme des hauteurs : « Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. » L’échappée intérieure (et surtout narcissique) de Rudolf s’achève en larmes devant la vitre de sa fenêtre, et sur un défilement d’images de chutes (saut d’un plongeoir, saut à ski, chute en tire-fesses…). Le héros saute lui-même de sa fenêtre.

 

Plus qu’un motif esthétique, la mention d’Icare dans les œuvres homosexuelles désigne le désir homosexuel comme un fantasme d’inceste ou de viol, voire un désir diabolique : « Emmène-la au sommet. Je veux la voir tomber de haut. » (Vera l’héroïne lesbienne machiavélique s’adressant à son amante Lola par rapport à Nina, la maîtresse de celle-ci, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Malcolm [l’amant d’Adrien] se leva et fit signe à Adrien de le suivre. Il le conduisit dans une petite pièce adjacente. Il alluma la lumière et tendit le bras : ‘Regarde, c’est beau non ? Tu vois, ça c’est celui je préfère !’ Adrien s’approcha. Un enfant dont le visage n’était pas vraiment celui d’un enfant, plutôt celui d’une créature sortie d’un monde fantastique, mi-homme mi-volatile, chevauchait une bicyclette aux roues enflammées. La chevelure abondante, prise au vent, ressemblait à un plumage d’oiseau. Le plumage d’oiseau qui vole à contresens. Le rouge et l’orange dominaient. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 30) ; « Ça doit être mon père qui m’a fait ainsi ! Il était trop beau lui aussi ! Comme un gamin-papillon, j’étais fasciné par sa beauté d’homme solitaire. Peut-être que je m’y suis brûlé les ailes ! Je devrais jeter toutes ces photos que j’ai de lui ! Cesser de penser que j’aurais hérité de lui cette attirance pour les garçons. Un désir refoulé qu’il m’aurait transmis en quelque sorte. Et tout cela, parce qu’il nous prodiguait, à moi et à mon petit frère, la tendresse de la mère perdue. » (Adrien, le narrateur homosexuel, op. cit., p. 60) ; « Je refais le rêve du cirque. Si… tu sais bien… le numéro de trapèze. Mon père, ma mère et moi… » (la psy racontant sa chute avec ses parents, dans le one-woman-show Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Accrochez-vous à vos rêves très fort. Car si les rêves meurent, la vie n’est qu’un oiseau aux ailes cassées qui ne peut pas voler. » (Adam, le héros homo citant Langston Hughes, dans l’épisode 6 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.

 

À en croire le héros homosexuel, chuter, c’est comme succomber à la tentation : cf. le vidéo-clip de la chanson « Que mon cœur lâche » de Mylène Farmer (avec la thématique de l’ange déchu), le film « La Caída De Sódoma » (« La Chute de Sodome », 1976) de Pedro Almodóvar, la pièce La Descente d’Orphée (1957) de Tennessee Williams, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Prinz In Hölleland » (« Prince en enfer », 1992) de Michael Stock, etc. Mais cette tentation, visiblement, fournit quand même quelques compensations qui font oublier pour un temps sa violence : « Mais j’ai glissé avec délice… Certes ! » (cf. la chanson « Les Attractions-désastre » d’Étienne Daho) ; « Si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « Cette pente était si belle. N’allez pas regretter. La descente était de celles qu’on ne peut éviter. J’ai succombé à cette avalanche. » (cf. la chanson « La Pente » des Valentins) ; etc. Par exemple, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, il est question de « l’orgasme de la chute libre ».

 

La réalité de la chute est en général une issue tragique : elle se matérialise soit par une mort physique, soit par une mort identitaire (= schizophrénie, transidentité). « J’avais l’impression qu’une partie de moi était tombée par terre, et l’autre accrochée en haut de l’arbre. » (Damien, le héros travesti M to F, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) Par exemple, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella fait tomber son amante Dotty de leur lit « conjugal », et la chute se révèlera, sur la durée, grave et mortelle. Dans le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló, Randy meurt après une chute volontaire et suicidaire. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, les personnages homos se cassent la gueule : Oliver tombe à l’horizontale dans le plan d’eau, il tombe également à vélo et se fait une entaille dans l’aine, et à la fin lui et son jeune amant Elio vont voir les chutes d’eau.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La chute (libre ?) de celui qui se prend pour un ange :

Dans leur prétention à vivre l’extase, à fuir leur carcasse corporelle pour devenir Dieu (cf. je vous renvoie aux codes « Se prendre pour Dieu », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » » et « Planeur » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), certains individus homosexuels, déguisés mentalement en oiseau mythique, souhaitent souvent arriver à des hauteurs irréelles où leurs fantasmes, à leur grand désarroi, ne pourront pas s’incarner… à moins de forcer les choses et de les vider d’amour, comme l’a fait un certain Lucifer, prince de la lumière. « Sur la scène par exemple, la chemise du danseur espagnol avec ses manches si abondantes font penser à des ailes. Tout le monde décide que c’est un efféminé. Mais pour moi, ces manches sont un signe de cette nécessité d’un supplément, qui s’exprime ici par un excès de tissu et de fronces. Cette façon d’envisager la vie, personne ne doit l’arrêter. Quand on doit donner, on donne. La mère du danseur a tout fait pour stopper l’élan généreux de son fils. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), p. 161) ; « En enfant de bourgeois éclairés, j’avais été élevée dans l’idée que tout m’était possible. Et chaque renoncement me faisait dégringoler d’un échelon dans l’estime de moi-même. Quand je pense que mon livre préféré de Camus était La Chute ! » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 74)

 

La hauteur désincarnée de la mégalomanie donne parfois le vertige, au sens propre comme au sens figuré et existentiel : cf. je vous renvoie à l’autobiographie Impotens Deus (2006) de Michel Bellin.

 
 

b) L’oiseau humain foudroyé en plein vol :

Icare foudroyé

Icare foudroyé


 

Et fatalement, la chute peut arriver ! Curieusement, dans le discours d’un certain nombre de personnes homosexuelles, il est parfois fait référence au personnage mythologique grec d’Icare. Je vous renvoie aux photographies d’homme-oiseau de Jacques Crenn. Par exemple, la romancière lesbienne Marguerite Yourcenar débuta sa carrière littéraire par un drame en vers, Icare (devenu par la suite Le Jardin des Chimères en 1921). Dans la biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque un certain « complexe d’Icare » (p. 127) chez l’écrivain homosexuel Jean Genet, c’est-à-dire l’existence d’un dynamisme de la chute, et la vanité d’un orgueil. Par ailleurs, une lecture homo-érotique sur l’androgynie « Renaissance » de l’Icare de Philippe Desportes a déjà été faite. Je vous renvoie également au site suivant sur Icare.

 

Il n’est pas anodin que dans leur quête amoureuse et vitale, certains sujets homosexuels se comparent à des jumeaux d’Icare, au destin prométhéen : « Je convergeais aux alentours de la maison, tel un aigle sans repères, en me rafraîchissant le visage brûlé par le soleil […]. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 76) ; « J’ai commencé à faire bouger mes p’tites ailes. Des p’tites ailes qui sont devenues démesurées. » (Thérèse, une femme lesbienne de 70 ans, en parlant de mai 1968 et de sa découverte de la pratique homosexuelle, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz)

 

La chute – notamment celle de la reine carnavalesque aussi vite détronisée qu’elle avait été intronisée – est un leitmotiv de la fantasmagorie homosexuelle, très axée sur la reproduction des icônes de la féminité fatale (supposées « belles dans la chute »), de la décadence bourgeoise, ou des amours romantiques qui vont decrescendo. Par exemple, à ce jour, le roman La Chute (1956) d’Albert Camus est un de mes romans préférés.

 

 

L’attrait homosexuel pour la chute, toute accidentelle qu’elle puisse paraître, peut être le fruit d’un désir inconscient de (faire) tomber, sublimé par l’esthétique ou le sentiment (exemple : Laura Ingalls chutant dans sa prairie). Les personnes homosexuelles tombent de leur chaise comme elles tombent amoureuses ou comme elles découvrent les ambiguïtés de leur désir homosexuel.

 

Par exemple, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011) (titre ô combien icarien !), Jean-Michel Dunand raconte « l’incident de l’escalier » quand il était au collège, à savoir l’outing surprenant dont il a fait les frais : il s’est fait insulter de « pédé » par un camarade, devant tout le monde. La chute, ici, c’est la honte : c’est à la fois la révélation de l’homosexualité et l’acte homophobe : « J’aurais tellement souhaité disparaître de la surface de la terre, me fondre dans le béton des marches de l’escalier et ne plus exister. » (p. 22)

 

Et en amour, les sentiments des personnes homosexuelles semblent obéir à la loi de la gravité, mais une gravité pas du tout ascensionnelle ni positive au final. Il s’agit plutôt d’une gravité abyssale : « Vous avez un diamant brut [= l’amant] dans les mains et ça ne sert à rien de brusquer les choses, you know the drill, il suffit de tenir sur le cheval et lui montrer que vous lui faites confiance en serrant bien les jambes pour lui montrer que vous êtes bien en équilibre sur la selle et de là haut vous voyez bien, au loin, vous regardez l’horizon et le cheval vous suit mais en fait c’est lui qui fait tout le travail. Ça vous revient naturellement, après toutes les chutes du passé quand le cheval s’emballe parce qu’il a peur ou qu’il veut vous tester mais là c’est pas la peine car il est sympa et il voulait une promenade lui aussi… » (cf. l’article « Moi vs le Roi des rois » de Didier Lestrade, publié sur son blog, en mai 2012)

 

Pièce "Les Oiseaux" d'Icare

Pièce « Les Oiseaux » d’Icare


 

Plus qu’un motif esthétique, la mention d’Icare dans les discours des sujets homosexuels tend à désigner le désir homosexuel comme un fantasme d’inceste ou de viol, voire un désir de mort : « Je redoutais cependant, que seul l’avenir, sans appel, perdit ses perspectives comme un oiseau en plein vol, qui perd son altitude pour s’écraser sur une surface bitumée. » (Berthrand Nguyen Matoko par rapport à son refus de la proposition d’un « travail » de prostitué, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Certains militants pro-gay appellent leurs chutes amoureuses ou existentielles « homophobie » pour ne pas analyser les trous d’air et les dépressions icariennes du couple homosexuel en général… mais ils nous mettent quand même en garde contre la chute vers laquelle il peut entraîner l’individu qui s’y adonne. Par exemple, en regardant le docu-fiction « It Could Happen To You » (« Ça pourrait vous arriver », 2011) de Shane Crone Bitney, on a l’impression que la mise en garde concerne la menace homophobe ; en réalité, Tom Bridegroom, l’un des deux amants, est mort en faisant une chute mortelle en tombant d’un toit ; la fin du couple n’a rien à voir avec l’homophobie ni avec l’homosexualité en elle-même. Elle est, je crois, indirectement liée à l’histoire des couples homosexuels, et au désir homosexuel essentialisé et actualisé.

 

 

La crainte esthétisée de la chute est typique de la bourgeoise ou du bourgeois décadent (décadent = qui tombe), qui vit dans la superficie, le paraître, la vanité du libertinage.

 
 

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