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Code n°69 – Femme au balcon (sous-codes : Fenêtre / Tour / Ascenseur / Escaliers)

femme au balcon

Femme au balcon

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Il y a du monde au balcon ! Et dans le cas des œuvres artistiques traitant d’homosexualité, il est quasiment systématique de trouver sur ce balcon une femme : une languissante châtelaine au hennin attendant nonchalamment l’arrivée de son prince, une jeune fille regardant le monde se détruire à distance avec passivité. Cette femme au balcon semble détachée des malheurs qu’elle contemple du haut de sa tour d’ivoire, et représente symboliquement deux choses par rapport au désir homosexuel, et par rapport au personnage homo qui s’y identifie : d’une part une schizophrénie, c’est-à-dire une rupture entre la conscience et l’acte, une action mauvaise non-assumée et traduite par un ennui et par une indifférence au monde extérieur ; d’autre part une vision désenchantée de l’Humanité, une misanthropie, exprimées dans une posture esthético-narcissique particulièrement condescendante et béate.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Icare », « Reine », « Femme fellinienne géante et Pantin », « Planeur », « Aigle noir », « Carmen », « Extase », « Se prendre pour Dieu », « Homme invisible », « Amant narcissique », « Espion homo », « Voyeur vu », « Funambulisme et Somnambulisme », « Femme allongée », « Photographe », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Regard féminin », « Bourgeoise », « Actrice-traîtresse », à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », à la partie « Mélodrame » du code « Emma Bovary ‘J’ai un amant ! », à la partie « Amant miniature » du code « Amant modèle photographique », à la partie « Pont » du code « Symboles phalliques` », et à la partie « Mappemonde » du code « Homosexuels psychorigides » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Du haut de mon balcon :

Madonna en Eva Peron dans le film "Evita" d'Alan Parker

Madonna en Eva Peron dans le film « Evita » d’Alan Parker


 

Beaucoup de personnages des œuvres homo-érotiques regardent seuls par la fenêtre, depuis un niveau surélevé à ce qu’ils observent (souvent un balcon ; mais parfois aussi un escalier, une tour, ou un ascenseur), le monde ou l’être aimé : cf. le roman Le Balcon d’Angelo (1992) d’Hugo Marsan, le film « Le Balcon » (1963) de Joseph Strick, le film « La Fenêtre d’en face » (2002) de Ferzan Oztepek, le roman La Rose au balcon (1936) de Francis Carco, le roman Paris de ma fenêtre (1942) de Colette, le film « Fenêtres sur New York » (1980) de Gordon Willis, le roman The Room With A View (1908) d’Edward Morgan Forster, le tableau Fredy à la fenêtre (1997) de Jacques Sultana, la pièce Balcon (1956) de Jean Genet, le roman Une Histoire sur un promontoire (1946) de Yukio Mishima, le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche (avec Adèle à la fenêtre, en train d’écrire), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec Quentin au balcon, puis à la fin Camille regardant la ville de Lyon d’en-haut), le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh (avec Russell, l’homme à la fenêtre regardant toujours en hauteur depuis la fenêtre de son HLM), le film « American Gigolo, Windows » (1980) de Gordon Willis, la chanson « Ce soir on danse au Naziland » de Sadia dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger (sur les buildings de cent étages), la pièce Amour sur la Tour de Saint-Nicolas (1829) d’Hans Christian Andersen, le roman La Torre Dels Vicis Capitals (1968) de Terenci Moix, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Emmanuel regardant son amant Omar par la fenêtre de son immeuble), le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau (où Chance observe son futur copain – et voisin – Levi par la fenêtre), le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent (avec Charlène, l’héroïne lesbienne, à la fenêtre), le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander (avec le héros homosexuel à la fenêtre), le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Robbie, le héros voyeur à la fenêtre), le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre (avec Julien Brévaille, le héros homosexuel), la pièce Sur ma colline (2009) de Marc Weidemann, le film « L’Ascenseur » (2003) de Nico Stagias, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le film « La Brèche de Roland » (2000) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, le film « L’Escalier » (1969) de Stanley Donen, le roman La Fille de l’escalier (2014) de Louise Welsh, le film « L’Escalier » (1976) de Greydon Clark, le film « This Car Up » (2001) d’Éric Mueller, le film « Infernal Affairs » (2003) d’Andrew Lau et Alan Mak, le film « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa (avec le couple homosexuel enfermé dans un ascenseur), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le film « Le Planeur » (1999) d’Yves Cantraine (avec les amants soulevés par une grue sur une plaque), la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1990) de Copi, la pièce Le Roi Ubu (1888) d’Alfred Jarry, le film « Escalier de service » (1987) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Dans l’escalier » d’Élodie Frégé, la chanson « C’est la misère » de Dick Annegarn (avec l’escalier), la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek, le film « En haut des marches » (1983) de Paul Vecchiali, le film « Horse » (1965) d’Andy Warhol, la pièce autobiographique Ébauche d’un portrait (2008) de Jean-Luc Lagarce, le roman Reivindicación Del Conde Don Julián (1970) de Juan Goytisolo, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, le film « La meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller (avec le héros homosexuel, Philippe, en train de regarder du haut de sa fenêtre), le film « Prisonnier » (2004) d’Étienne Faure, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, les chansons « Vis-à-Vis » et « Soudain » d’Étienne Daho, le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le poème « La Almena » de Néstor Perlongher, les films « Le Temps qui reste » (2005), « X2000 » (2000) et « Swimming Pool » (2002) de François Ozon, le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le film « Salò O Le 120 Giornate » (« Salò ou les 120 journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely, le sketch « Arte » du trio d’humoristes les Inconnus (avec la blague inachevée des « deux pédés dans un ascenseur »), le film « Gatos Viejos » (« Les Vieux Chats », 2010) de Sebastián Silva et Pedro Peirano (avec l’ascenseur en panne), le film « Gray Matters » (2006) de Sue Kramer, la pièce Comment j’ai croisé Rudolf Noureev dans l’ascenseur (2013) de Pascal Crantelle, le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec l’ascenseur), le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare (avec le couple homo en instance, dans l’ascenseur), etc.

 

Film "Xenia" de Panos H. Koutras

Film « Xenia » de Panos H. Koutras


 

Le balcon est le super scénique permettant l’émotion narcissique. Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne, descend comme une diva un grand escalier en forme de talon aiguille rouge. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel superficiel, mitraille Athènes en la prenant en photo avec son téléphone portable depuis son balcon. La première image de la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, c’est Yves Saint-Laurent face à sa fenêtre à Oran, en Algérie. Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Simon, le héros homo, se choisit comme pseudo de messagerie internet « Frommywindow ».

 

Le héros homosexuel aime souvent les hauteurs et les ascenseurs : « J’allai à la fenêtre. Le spectacle des ruines de l’abbaye était d’une splendeur magnétique. » (Bathilde dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 300) ; « Fabien monta encore un étage et par une fenêtre entrouverte plongea son regard dans la grande cour pavée dont les pierres semblaient dormir. Cette vue l’apaisa. Depuis près de trois ans, il voyait chaque soir les rangées d’orgueilleuses fenêtres qui dominaient un fronton d’une sévérité classique. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), pp. 13-14) ; « Il ouvrit la fenêtre et, s’accoudant à la barre d’appui, porta la vue au loin. […] Chaque fois qu’il regardait ainsi dans les avenues de la nuit, il lui semblait qu’il s’élevait doucement au-dessus du monde. » (idem, p. 13) ; « Dès que j’ai su qui j’étais, j’ai su que j’allais monter l’échelle sociale. J’ai vu passer les ascenseurs. » (l’un des protagonistes homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vous connaissez la blague où y’a trois juifs, 2 arabes et une lesbienne dans un ascenseur… nan pas celle-là… bon alors y’a une pute et un enculé… écoutez je suis désolé c’est nul… » (l’un des comédiens de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Film "No Regret" (2006) de Lee Song Hee Il

Film « No Regret » (2006) de Lee Song Hee Il


 

L’ascenseur, quant à lui, est le lieu de l’ascension des sentiments, mais aussi l’espace de la schizophrénie, c’est-à-dire de la scission (subie ou voulue) de l’individu avec sa réalité, avec les autres : cf. le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie (avec Alice qui a le visage coupé en deux par les deux battants de la porte d’ascenseur), le film « Kilómetro Cero » (2000) de Yolanda García Serrano (avec le visage des amants homos scindé à la moitié par l’ascenseur), le film « Entrevue » (1999) de Marie-Pierre Huster ; etc.

 

Film "Ligne d'eau" (2013) de Tomasz Wasilewski

Film « Ligne d’eau » (2013) de Tomasz Wasilewski


 

Par exemple, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, se voit comparer à un ascenseur en plein cours par Fábio, un camarade se moquant du bruit de sa machine à dactylographier en braille : « L’ascenseur monte ! » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara est la femme au balcon, qui regarde le concert de djeunes de haut, qui s’exclut de la fête, et qui a des vues sur Sonia qu’elle suit des yeux. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, l’homme à la fenêtre (qui y rentre, qui y saute) est un leitmotiv d’un monde mécanisé et déshumanisé où l’être humain homosexuel se perd identitairement, amoureusement et socialement.

 

Film "Au premier regard" de Daniel Ribeiro

Film « Au premier regard » de Daniel Ribeiro


 

L’ascenseur et le balcon sont souvent les espaces de création du couple homosexuel, de la projection sentimentale homo-érotique et du voyeurisme : « Assise à ma fenêtre, après un moment, je vis passer la petite voisine et son amie, fidèle à la description de Marie. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 46) ; « Je vais travailler comme fille d’ascenseur à partir de lundi. » (un acteur travesti M to F annonçant tacitement qu’il va se prostituer, dans la série The Cockettes aux États-Unis) ; etc. Par exemple, lors du concert d’Oshen (Océane Rose-Marie, la lesbienne invisible) à L’Européen de Paris, le 6 juin 2011, l’ascenseur est le lieu du baiser lesbien entre Marianne et Isabelle. Dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, l’ascenseur est considéré comme un lieu de rencontre amoureuse ambigu. Dans le film « Free Fall » (2014) de Stephan Lacant, Marc et Engel n’ont que le lieu du balcon pour vivre leur amour secret. Dans le film « Fin de Siglo » (« Fin de Siècle », 2020) de Lucio Castro, c’est pile au moment où Ocho parle à Javi de balcon (« C’est pour ça que je t’ai vu depuis mon balcon. ») que ce dernier est troublé (« Tu vis sur ton balcon ? »), et que les deux amants finissent par s’embrasser fougueusement.

 

 

b) La fenêtre en tant que miroir narcissique féminin :

Tableau La jeune fille debout à la fenêtre de Salvador Dalí

Tableau La jeune fille debout à la fenêtre de Salvador Dalí


 

Généralement, la personne qui est en haut de la tour ou du balcon est une femme : cf. le roman Une Femme à sa fenêtre (1929) de Drieu de la Rochelle, le roman La Chica De La Ventana (1923) d’Abraham Ángel, le tableau Jeune fille debout à la fenêtre (1925) de Salvador Dalí, la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec toutes les comédiennes trônant à la fenêtre de leur chambre, façon pub Égoïste du parfum de Chanel), le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo (avec Giulia, l’héroïne lesbienne ; et après sa  qui prend la même pose), le film « Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec Martha à sa fenêtre), le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec Rosa, la femme au balcon), la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec Roxane, la femme au balcon), le film « Toto Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec le prostitué travesti M to F au balcon), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza (avec Hélène, la femme au balcon), la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro (avec la femme à la fenêtre), la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec Jenny, le transsexuel M to F), le vidéo-clip de la chanson « Que mon cœur lâche » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « L’Instant X » de Mylène Farmer, le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec Mrs Alison espionnant quotidiennement du haut de sa fenêtre), le film « Evita » (1996) d’Alan Parker (avec Madonna en Eva Perón, haranguant les foules), etc. Par exemple, dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, il est question d’« une femme dans l’encadrement de la fenêtre ».

 

Cette femme au balcon a tout du dictateur asexué, de la reine du carnaval qui n’a pas encore connu le sort des flammes (mais sa crémation est imminente !) : « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. » (le narrateur homo à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « La Solitaire entre par en haut de l’escalier. C’est une belle femme de quarante ans, habillée luxueusement. » (cf. les didascalies dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ma chambre étincelle dans la rue, je suis suspendue à un trône en or massif, l’attention de tout un peuple avide de savoir est braquée sur moi ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 101) ; « Nous [les Rats] courûmes tous vers Notre-Dame, la Reine des Rats en tête, suivis du serpent, et nous grimpâmes sur le haut du balcon d’où la Reine adressa un bref discours à la foule […]. » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 93) ; « Regarde Walter. C’est ta mère à la fenêtre. » (cf. une réplique du film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez) ; « J’ai décidé de rester seul, […] convaincu de sentir le regard de Mélène et de Jeanne dans mon cou, comme ces vieilles madames, dans mon enfance, qui passaient leurs journées à la fenêtre de leur appartement, une main toujours prête à pousser discrètement le rideau de dentelle blanche pour voir qui descendait ou montait la rue, avec qui et déguisé de quelle façon. On les appelait des sorcières, on en avait peur mais on s’inquiétait quand elles n’étaient pas à leur poste. » (Jean-Marc, le héros homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 49) ; « Mélène, exaspérée, était allée s’asseoir dans son fauteuil favori près de la fenêtre (le point de guet d’où les sorcières épiaient ce qui se passait dans la rue Bloomfield). » (idem, p. 57) ; « Quand j’arrivai dans le dernier couloir menant à la tour Nord, j’eus la certitude d’apercevoir de nouveau un morceau de robe blanche et les rubans d’une robe de mariée flotter un instant à l’autre bout du lugubre corridor, avant de disparaître dans l’ombre. » (Bathilde parlant de Lady Philippa dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 304) ; « Il [Antoine, le héros] éteignit la lumière, puis tenta de faire une mise au point sur la fenêtre d’en face. […] Il lâcha les jumelles. Il les ramassa et regarda de nouveau. Dans une pièce aux murs couverts de masques africains, Martine Van Decker, immobile, murmurait d’interminables borborygmes en l’observant. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 248) ; « Je monte à la mort par un escalier, entouré de deux hommes… mais mon Dieu, j’y vais ! » (Lacenaire qui va être décapité, mais qui se prend pour le Christ, dans la pièce Lacenaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; etc.

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, le héros homo, écrit un roman dans lequel il se met dans la peau de sa grand-mère, une femme majestueuse, une jumelle narcissique : « Elle marche d’un pas régulier, calme et décidé à la fois. Elle regarde la vallée. Son village est minuscule vu d’ici. Elle décide de tout quitter : sa famille, son village, son pays. Brusquement, elle pleure. » L’échappée intérieure (et surtout narcissique) de Rudolf s’achève en larmes devant la vitre de son appartement montagnard autrichien. Il ne voit que des chutes (plongeon, saut à ski, chute en tire-fesses, etc.) et saute lui-même de sa fenêtre.

 

Parfois, la figure de la femme au balcon hautaine est une parodie inversée de la sérénade des amours chevaleresques : cf. la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet (avec Yolanda au balcon, jetant son amant Álvaro comme un malpropre). « C’est vous qui m’empêchez de dormir en sanglotant au pied de ma fenêtre ! » (la Reine au Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) Par exemple, dans le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, un travesti déguisé en gitane andalouse chante sur une estrade surélevée d’un cinéma projetant des films pornos, pour attirer l’attention d’un des jeunes spectateurs.

 
 

c) La posture de l’indifférence schizophrène :

Film "Reflets dans un oeil d'or" de John Huston

Film « Reflets dans un oeil d’or » de John Huston


 

Au départ, en regardant l’Humanité de haut, le héros homosexuel est pris d’empathie. « Dans le monde que nous vivons – qui est un monde en escalier – » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) Puis il prend peur, et joue les Seigneurs marginaux, les grandes duchesses surélevées, que rien n’atteint, et qui n’agissent pas : cf. le film « Bongo Bong » (2007) de Ken Wardrop (en référence au roman The Valley Of The Squinting Windows, Vallée des fenêtres voilées (1918) de Brinsley MacNamara), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec Sébastien, le héros homosexuel, observant passivement la « laideur du monde » du haut de son poste de surveillance de maître-nageur sur mer), le sketch « Le Doutage » du trio comique les Inconnus, etc.

 

Par exemple, dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, l’un des héros homosexuels avoue désirer « cette humanité pouilleuse » du haut de la terrasse de son père, avant de se rétracter : « Finalement, tu n’en es jamais descendu, de ta terrasse. »

 

« Je ne suis pas seulement ta fille, mais une fille de la terre ! Tu me parles de misère, mais est-ce que tu connais la terre ? La terre de la pissotière, tu en connais l’odeur, ma mère ? » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à Solitaire, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Encore quelques jours à Singapour à rechercher l’amour du haut d’un réverbère je regarde la terre je n’y vois rien à faire alors je resterai réfugié à l’intérieur de mon bunker. » (cf. la chanson « Punker » du groupe Indochine) ; « Et toi quand tu parles de cette cubaine, appuyée contre la fenêtre en face de la jetée, qui semble attendre inutilement, qui voit le temps passer mais qu’il ne se passe rien… je me dis que cette femme, c’est moi. » (Benigno, le héros homosexuel, au parloir du film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar) ; « Moi, je reste tapie derrière ma fenêtre. Là, spectatrice clandestine suspendue au-dessus de la ville, je ne risque rien. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 21) ; « Derrière les fenêtres, j’envie des mondes qui ressemblent aux songes. » (cf. la chanson « Derrière les fenêtres » de Mylène Farmer) ; « Nathan reste là, debout, silencieux devant sa propre fenêtre. » (Jim Grimsley, Dream Boy (1995), p. 41) ; « Le spectacle du monde la laissait plus ou moins indifférente. » (María-José, le transsexuel M to F de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 35) ; « Lucie Rivard observe cette scène inquiétante, seule, les bras croisés et juste assez éloignée de la fenêtre pour ne pas embuer la vitre et bloquer sa vue. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 27) ; « Je suis venu me réfugier dans les courbes de l’escalier pour fuir ma vie de galère ! » (Ahmed dans la pièce Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je ne suis ni un pacifiste ni un belliciste. Je crois que j’aimerais simplement ne pas avoir d’opinion à propos de cette guerre, comme à propos de toutes les guerres. J’aurais aimé que cette guerre ne changeât rien à ma vie, qu’elle n’en affectât point le cours. J’aurais aimé demeurer à l’écart. Et, bien sûr, cela n’a pas été possible. » (la figure de Marcel Proust, vivant la Première Guerre mondiale à distance, au Ritz, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 75) ; etc.

 

Pour le coup, la distance d’indifférence que prend le héros homosexuel est aussi la porte ouverte à la pulsion et aux fantasmes amoureux : « On dînera au troisième étage de la Tour Eiffel. » (« L. », le personnage transgenre M to F s’adressant au Rat dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Ça va peut-être te choquer, mais cet attentat [du 11 septembre 2001] me rassure. À cause de son caractère exceptionnel. Parce que le hasard ne choisit pas que les drames. Je suis persuadé que nous nous rencontrerons, que dans très peu de temps. […] Nous oublierons que les tours tombent et que le temps passe. » (Christ s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 133-134) ; « Elle se levait et se tenait près de la fenêtre ouverte, pensant toujours à Angela Crossby. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 180) Le héros homosexuel a tendance à jouer la reine alanguie qui, à force de s’ennuyer, se « fait des films ».

 

Notamment dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, l’un des héros homosexuels, dit à sa mère qu’il « adore » (p. 174) monter à la Tour Eiffel. « Quand j’avais douze ans, je suis monté ici un dimanche après-midi avec ma mère. On était tellement haut que j’avais l’impression de dominer toute la France. […] Et puis, la Tour Eiffel, c’est tout un symbole. On domine Paris, on domine tout ! » (Bryan, op. cit., p. 143) La tour est ici la métaphore du couple homosexuel Kévin/Bryan : « Tu te rends compte de la chance qu’on a. On s’aime et on est en haut de la Tour Eiffel ! » (Kévin à son amant Bryan, op. cit., p. 142) ; « Nous ne sommes pas en haut de la Tour Eiffel mais dans la nacelle d’une montgolfière. Nous ne survolons pas Paris, nous dominons le monde. » (p. 144) ; « À chaque fois que je verrai cette tour je penserai à nous ! » (Kévin à son amant Bryan, op. cit., p. 180)

 

Par exemple, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, c’est précisément lorsque Jason, le héros, se découvre amoureusement homosexuel (de Mourad), qu’il « se la joue » femme-au-balcon-attendrie-et-lascive : « Pendant ce temps, l’uniquement objet du désir de Mourad, assis sur son balcon face à la lune, pleurait à chaudes larmes. […] Jason revoyait avec une épouvante émue la blessure de Mourad. Mais face au spectacle de sa tour d’ivoire en ruine, il n’éprouvait pas que de la douleur. Il ressentait aussi une extase inconnue. Une sorte de soulagement paradoxal, très doux, en même temps qu’enivrant. Le désordre avait aussi ses grâces. » (p. 245)

 

En vrai artiste bobo, le héros homosexuel fait parler le balcon, la fenêtre, ou bien la tour : ces derniers donnent souvent corps à ses propres dialogues intérieurs romantiques/narcissiques/spéculaires : « Autour de vous, le bourg défile à toute vitesse. Tu fixes les tours de brique et de silex du château de Dieppe. On dirait qu’elles te disent au revoir. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 23) ; « En entrant dans l’immense tour de verre Fersen, Antoine eut l’impression de se fondre dans un univers minéral où tout se voyait et se savait. Les surfaces brillaient, lisses, claires et saines. Les ascenseurs translucides glissaient comme de mini-navettes spatiales. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 57) ; « La nuit finissante transformait cette fenêtre en miroir, et c’était en soi-même qu’il semblait dangereux de se pencher. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 63-64) ; etc.

 
 

d) La mort au balcon :

Une fois confronté aux aspérités du Réel, le balcon fait peur, donne le vertige. Il peut être la métaphore de l’amour déçu et/ou violent : « C’est vraiment une illusion qui me montre la lumière des escaliers dont le lierre s’entoure autour des balcons ! » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à Solitaire sa mère à propos de la passion amoureuse, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Si tu parlais de passion ! Mais l’illusion est un flou qui ne vaut même pas deux sous ! Si l’illusion c’est monter et redescendre l’escalier comme une mouche sur un clavier qui serait enduit de miel. » (Solitaire s’adressant à sa fille Lou, op. cit.)

 

Luc – « Je suis en marbre, n’est-ce pas, tu peux passer ton temps à me cogner dessus, ce n’est que ton poing que ça blesse. Je suis comme la tour d’en face, regarde. L’hélicoptère s’est écrasé contre, les occupants ont péri, mais la tour n’a pas branlé. Je suis une bite bien dure.

 

Jean – Luc, c’est toi qui te places en tour en face de moi.

Luc – Et toi tu te places en quoi ? En badaud ? Va m’oublier, va. Ne me touche pas, con ! »

(cf. un extrait de dialogue entre Jean et son amant Luc, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

Dans les fictions homo-érotiques, quand le balcon est là, la mort n’attend pas très loin, en général : cf. la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec le bébé défenestré), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le dictateur Le Gros à son balcon, dominant Buenos Aires), le film « Rear Window » (« Fenêtre sur cour », 1954) d’Alfred Hitchcock (avec le meurtre observé par la fenêtre), la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes (avec Ilse Koch, « la Sorcière de Büchenwald » à son balcon), etc.

 

Par exemple, dans le one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, la mère de l’héroïne lesbienne se suicide en se défenestrant. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Louis serait atteint du « Syndrome de Kingbury », c’est-à-dire de la peur de la défenestration ; plus tard, on nous parle d’« une morte au balcon », à savoir une femme pendue. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, se décrit comme « un cochon tombant d’un balcon ». Dans la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse, une femme en robe de mariée se suicide en sautant par la fenêtre de l’immeuble (« elle a flotté » avant de se scratcher sur une Volvo verte !). Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Patrick le grand frère homo de Lucie, meurt tragiquement dans l’attentat contre les tours du World Trade Center. Dans la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt, Frisette, la chatte de Marilou, se suicide en se jetant du haut d’un immeuble. Dans le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, Valérie, la chatte de Mme Suzanne, se défenestre, et est traitée de « pute ». On peut penser également au « chat qui s’défenestre » de Mylène Farmer dans la chanson « L’Instant X ».

 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, l’escalier et le balcon sont clairement des miroirs de mort narcissique/concrète : Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, y observe un meurtre et un viol cachés (le viol incestueux de la jeune Anna, et le meurtre de la mère de cette dernière, camouflé dans l’immeuble en face de l’immeuble de Jane). « Jane écarta les rideaux. Dehors, la cour était mal éclairée, mais elle distinguait le bâtiment qui s’élevait derrière, une version délabrée de leur propre immeuble, ses fenêtres vides enfoncées dans l’obscurité comme des orbites dans un crâne. ‘Pas très inspirant, comme vue. ’ dit Jane. ‘C’est normal, une dépendance derrière la maison ! Et comme cet immeuble est vide, on n’aura pas de vis-à-vis. ’ répond Petra. » (p. 16) ; « Il était étrange que les fenêtres aveugles et les balcons vides de l’immeuble l’aient mises mal à l’aise. Lorsqu’elle était petite, elle détestait les windaehingers : ces femmes qui se penchaient aux fenêtres des immeubles pour surveiller la rue en contrebas. Certains jours, vous aviez l’impression de ne plus pouvoir marcher droit tant leurs regards pesaient sur vous. La sensation d’être observée s’était logée en elle. Peut-être était-ce la façon dont l’enfant se manifestait ; elle avait parfois l’impression qu’il la surveillait avant de décider de naître. » (p. 26) ; « Jane se réveilla à trois heures du matin, sans savoir si les coups qui l’avaient tirée de son sommeil étaient dans sa tête ou dans la cage d’escalier. » (p. 56) ; « Elle traîna sur le balcon, d’où elle entendit diminuer les cris de l’enfant, se demandant comment elle avait seulement pu entendre son nom dans ses vagissements. La grille du cimetière grinça et elle vit le prêtre entrer dans l’enceinte puis pénétrer dans l’église. Vêtu de noir, les épaules vaguement voûtées, le pas lent, il ressemblait à un homme » (p. 103) ; « Jane perdit l’équilibre. Pendant un moment étourdissant, elle sentit le poids de la gravité, le néant entre elle et le sol, et elle se représenta parfaitement sa chute à la renverse dans l’escalier. » (p. 122) ; « Son poste d’observation sur le balcon » (p. 198) ; « Assise dans la cage d’escalier devant son appartement, Frau Becker chantait. Jane s’assit prudemment sur la marche à côté d’elle. La vieille femme continua de chanter un moment, puis elle regarda Jane et dit : ‘Alors, ils vous ont attrapée ?’ ‘Oui, répondit Jane. Ils m’ont eue.’ » (p. 211) ; « Anna bascula et tomba dans la cage d’escalier. Elle se cogna au mur une fois dans sa chute, puis atterrit sur le sol avec un bruit sourd discret et définitif. » (p. 245) ; etc.
 

Le motif de la Tour de Babel revient de temps en temps dans les œuvres homosexuelles : cf. le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot (où la maison et ses habitants sont comparés aux occupants de la Tour de Babel), la chanson « Ma Tour de Babel » de Malcom dans le spectacle musical Cindy (2002) de Luc Plamondon, le roman Babel (1901) de Louis Couperus, la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi, etc. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi, la tour est le lieu de tous les viols ; en outre, au deuxième et dernier acte, un hélicoptère s’écrase sur la tour voisine, et déclenche un incendie généralisé.

 

« La foi sèchera mes larmes. Sûrement que le soleil s’éteint et que Lucifer me guide, et je serai une ombre comme la Tour de Babel… et ton amour, Père rappelle-toi !! » (cf. la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora) ; « Merde, la tour qui explose ! » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Il est mort l’ascenseur. » (une réplique de la femme de chambre dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « J’évite les ascenseurs comme les chiens évitent l’eau. » (l’un des héros homos de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « À la verticale de ma fenêtre, le trou bée sous moi comme un tombeau ouvert. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 201) ; « Sous la fenêtre de la chambre où j’écris en ce moment s’ouvre aussi la fosse béante d’un chantier. » (idem, p. 25) ; etc.

 

Mrs Venable dans le film "Suddenly Last Summer" de Joseph Mankiewicz

Mrs Venable arrivant à l’improviste dans le film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz


 

Enfin, dans les fictions homo-érotiques, l’ascenseur annonce généralement l’arrivée d’un personnage ambigu et diabolique, débarquant inopinément et imposant la terreur : cf. le Dr Franck-N-Furter dans le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, Mrs Venable dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, Fantômas (interprété par Jean Marais) dans le film « Fantômas » (1964) d’André Hunebelle, etc. « L’ascenseur s’arrêta encore une fois pour s’ouvrir sur une femme aux épaules carrées, coiffée d’une grossière perruque de guanaco blanchâtre, vêtue d’une tunique noire comme celle des prêtres mais en tissu léger et laissant apparaître un tailleur gris uni de chez Chanel et un foulard rayé gris sur gris de chez Grès, les jambes gainées de bas strictement beiges et chaussée d’escarpins en crocodile noir. Elle ressemblait un peu par l’expression à la mère de Vidvn, en plus absente […]. » (Gouri, le héros bisexuel du roman La Cité des Rats (1979), pp. 79-80)

 

Par exemple, dans le film « Dressed To Kill » (« Pulsions », 1980) de Brian de Palma, le tueur psychopathe est un personnage transsexuel M to F déguisé qui tue une belle femme blonde à coups de lame de rasoir dans un ascenseur.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Du haut de mon balcon :

Film "Dream Boy" de James Bolton

Film « Dream Boy » de James Bolton


 

Quelquefois, certaines personnes homosexuelles disent leur amour des hauteurs, des ascenseurs, des balcons et des tours : cf. l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, l’affiche du Mylenium Tour (1999) de Mylène Farmer (avec la chanteuse sur son échelle) « Tout de suite, je montais aux étages supérieurs, je me rendais sur le pont, à l’avant du bac, je repérais la meilleure place, je voulais être aux premières loges […]. » (Lucas, le narrateur du roman Son frère (2001) de Philippe Besson, p. 31) ; « Je me rappelle, les premiers ascenseurs que j’ai pris, le cadeau que c’était d’appuyer sur le bouton de l’étage, les rêves qui suivaient, de navettes, cette machinerie qui m’enchantait… » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 27) ; « Je suis venu au monde la tête en bas, dans un ascenseur qui montait. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé le sens de ma vie, qui est le sens de l’humour, et qui va par là. » (cf. l’introduction de la chanson « Vis ta vinaigrette » de Marc Drouin) ; etc. Par exemple, Karl Ernst (1904-1934), homosexuel, a été garçon d’ascenseur d’hôtel digne d’un roman de Proust.

 
 

b) La fenêtre en tant que miroir narcissique féminin :

Mylène Farmer

Mylène Farmer


 

Généralement, la personne préposée à se tenir en haut de leur tour ou de leur balcon est une femme. Par exemple, dans L’Autre Journal (1990-1991), l’écrivain homosexuel Michel Cressole tient une chronique régulière intitulée « Une Folle à sa fenêtre ».

 

« En Argentine, les gens aiment bien installer leur chaise sur le pas de leur porte et contempler le monde depuis le trottoir. […] Cette maison, c’est un rancho, au milieu de la pampa : devant elle, c’est une plaine métaphysique qui s’étend… » (cf. l’article « Marilú Marini retrouve Copi » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Figaro du 7 janvier 1999) ; « L’enfant se rapproche, et arrête son vélo, et regarde en l’air, vers le balcon vide où il contemple le corps nu d’une femme invisible […]. » (Christophe Honoré décrivant une scène de tournage, dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), p. 145) ; « Image persistante : une grande fenêtre ouverte, une femme – moi dédoublée – regarde le paysage. » (Annie Ernaux, Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 52) ; « La mère est assise au bord d’une fenêtre. […] Mères, méfiez-vous des fenêtres ! » (Jean Cocteau cité dans le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala)

 

Chez certains individus homosexuels, on retrouve dans le mimétisme de l’attitude hautaine de la femme au balcon l’esthétisme orgueilleux et fragile de la Drama Queen romantique qui philosophe comme elle pleurniche(-rait) : Je regarde par la fenêtre l’amour qui s’en va, j’observe la vie qui passe, je projette sur les gens que je vois mes propres fantasmes d’amour et de mort, comme dans un mauvais feuilleton télévisé de début d’après-midi. Je suis la vieille Maréchale de Strauss, abandonnée.

 
 

c) La posture de l’indifférence schizophrène :

L’inaction, l’action à distance, le goût des amours inaccessibles, le rejet du monde, la lâcheté, le confort narcissique : c’est tout ce que peut symboliser concrètement le motif de la femme au balcon, tout fictionnel qu’il soit.

 

Le désir homosexuel, de par sa déconnexion du Réel, pousse non seulement à la rêverie masturbatoire et boudeuse, à la mélancolie de l’ennui, mais également à la schizophrénie : « Ma maison avait deux tours : l’une plongée dans la lumière et l’autre obscure. » (le romancier français homosexuel Hugues Pouyé parlant de son enfance, dans le site Les Toiles roses en 2009)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Du haut de leur tour d’ivoire, certaines personnes homosexuelles vivent éloignées de leur vie et de l’existence réelle des êtres humains qui se trouvent en bas de chez elles : « Je m’aperçois d’un truc : c’est que je regarde toujours du côté de la fenêtre. » (Bruno Ulmer dans le documentaire « Une vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre) ; « Maintenant, je continue à me voir là, suspendu à la fenêtre de ce petit appartement, en train de regarder le monde passer, observant tout, isolé et heureux. » (cf. l’article « Entre El Papel Y La Pluma » de Xosé Manuel Buxán, dans l’essai collectif Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 174) ; « Ici, à ces tables qu’occupent des couples d’hommes, vous ne connaîtrez ni les cours de la Bourse ni les fluctuations de la politique. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 24) ; « Je suis un personnage muet qui assiste avec une joie méchante aux malheurs des autres. » (Michel Tremblay dans son roman autobiographique La Nuit des princes charmants (1995), p. 18) ; « La politique ne l’intéressait pas. » (Pierre Bergé à propos de Yves Saint-Laurent, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; etc.

 

Par exemple, dans le documentaire « La Domination masculine » (2009) de Patric Jean, on retrouve une référence inconsciente au motif de la femme « spectatrice, rêveuse ». Dans le film semi-biographique « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, les deux amants internautes, Denis et Luther, se définissent comme « indifférents aux enjeux de leur propre existence » et au « bruit de fond du monde » (notamment face aux images télévisuelles du tsunami japonais en 2010).

 

La distance prise avec les malheurs et les bonheurs humains peut se faire paradoxalement sur un mode fusionnel (rupture et fusion sont souvent les deux faces d’une même médaille…) : « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6)

 

Par ailleurs, il n’est pas rare que les artistes homosexuels choisissent, pour raconter une scène amoureuse ou traduire l’espace intérieur de leurs personnages de fiction, le récit téichoscopique. Un récit téichoscopique est une narration à distance, vu de loin : on observe d’en haut ce qui se passe en bas, depuis un mur. La téichoscopie ou le « point de vue du mur » (du grec teichoskopia : « vision à travers le mur ») est cette technique dans laquelle les acteurs observent les événements au-delà des limites de la scène, comme par exemple une bataille, et en parlent sur scène pendant qu’elle se déroule. Elle élargit l’espace scénique, y faisant apparaître des scènes que l’on ne peut montrer, soit parce qu’elles ne sont pas techniquement réalisables, soit parce qu’elles sont jugées violentes. Le code de la femme au balcon est donc, vous l’aurez déduit, à la fois un écran et un signe que le désir homosexuel est un fantasme de viol.

 
 

d) La mort au balcon :

Il arrive que quelques personnalités homosexuelles révèlent leur désir mortel d’incarner la femme au balcon narcissique effectuant son grand plongeon vers la mort : « Au début des années 90, après l’échec retentissant de son film ‘Troisième Classe’, elle avait disparu. Pendant deux ou trois ans, on ne savait pas où elle était. Elle se cachait en fait à Londres où elle soignait un mal de dos et une dépression chroniques. On la disait sans le sou, ruinée. L’État égyptien, qui payait pour son hospitalisation, avait fini par la lâcher, l’abandonner. En juin 2001, elle s’était suicidée en se jetant du balcon de l’appartement où elle résidait à Londres. […] Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de son idole Souad Hosni, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Nijinski avait déjà frappé sa femme, allant même jusqu’à la pousser violemment dans l’escalier de la villa. » (Christian Dumais-Lvowski, dans l’avant-propos des Cahiers (1919) de Vaslav Nijinski, p. 11) ; etc. Par exemple, après une peine de cœur, l’acteur chinois Leslie Cheung se suicida en se jetant du haut d’un building de Hong-Kong en 2003.

 
 

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