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Je suis une folle de Dieu !

(Questions initialement suggérées par une journaliste de l’1visible)

 

Meilleure 6 volant sourire

Photo : Louvre, Paris, novembre 2012, par Jean-Baptiste Bonavia

 

 Philippe Ariño, vous vous dites ouvertement homosexuel et pourtant catho. Ça semble paradoxal, non ?

C’est sûr. Et ça serait en effet une parfaite hypocrisie si je n’étais pas continent (= abstinent pour Jésus), car la pratique homosexuelle et la fidélité concrète à l’Église-Institution catho, sans être opposées, me semblent déchirantes et inconciliables. On ne peut pas, en amour, servir deux maîtres. La continence, je le remarque dans ma vie et dans celle de mes amis homos cathos, est le seul choix de vie – quand le mariage femme-homme ou le célibat consacré ne sont pas envisageables – qui permet une totale réconciliation entre notre dimension homosexuelle et notre pratique religieuse. Beaucoup de cathos homos essaient de faire croire que le compromis entre l’homosexualité actualisée sous forme de couple (même dit « chaste », « hors milieu », « homophile » et « homo-sensible ») et la pleine fidélité à la foi ecclésiale serait idéal d’être « (à peu près) possible »… mais concrètement, ils sont en rupture avec la communauté homosexuelle et/ou en rupture avec l’Église-Institution. Et c’est logique : une fois que le désir homosexuel est pratiqué ou perçu comme fondamental, il n’est plus seulement expliqué mais justifié, et je remarque qu’il n’est alors pas identifié ni assumé. Il est vécu comme une honte. Je vérifie également que dès qu’une personne catholique décide de croire à l’amour homosexuel, même bien avant de franchir le cap de la composition d’un couple, elle prend progressivement ses distances avec l’Église-Institution. C’est quasi systématique. C’est donc qu’il y a bien une incompatibilité foncière entre pratique/croyance homosexuelle et foi catholique. En ce qui me concerne, j’ai découvert la grande liberté de parler ouvertement du désir homosexuel qui m’habite et d’être pleinement catho dans la continence et l’amour de l’Église catholique vaticane. Depuis que je suis continent (janvier 2011 : arrêt définitif du porno, de la drague homo et de la masturbation), je constate un rayonnement social, artistique, intellectuel, amical, spirituel, familial, ecclésial que je n’avais jamais connu. Et pourtant, avant, je n’avais déjà rien d’un asocial !

En vous présentant comme homosexuel et comme spécialiste de la culture homosexuelle, vous n’avez pas l’impression de vous enfermer dans un thème, et quelque part de vous contredire en justifiant l’homosexualité ?

Vous dites peut-être ça parce que vous croyez que dès que quelqu’un emploie le mot « homosexualité », il la justifie. Or moi, je ne fais qu’en parler et dire qu’elle est existante, pour précisément ne pas en justifier la pratique et pour laisser le désir homosexuel à sa juste place d’« élan parfois profond mais non fondamental. » Mes deux identités fondamentales sont celles de garçon d’une part et d’Enfant de Dieu d’autre part. C’est bien tout ! Je me définis aussi comme une personne homosexuelle, parce que l’attirance sexuelle que je ressens est bel et bien là dans mon corps, mais je ne me réduis pas définitivement à celle-ci. Je suis un mystère à moi-même. L’analyse du désir homosexuel m’apprend à la fois qui je suis et qui je ne suis pas.

Je reconnais que ma démarche d’appel à la valorisation de la culture homo peut sembler de l’extérieur paradoxale, voire dangereuse. Comme si je jouais avec le feu, ou que je m’enfermais dans une caricature de moi-même. Mais en réalité, je crois que plus on se voile la face par rapport à son désir homosexuel et on cherche à s’en éloigner théâtralement ou dans la révolte, plus on se donne des excuses et des risques pour l’actualiser : je le vois chez la grande majorité des individus homosexuels. Ils méprisent la culture homosexuelle et le « milieu », nient leur tendance ou au contraire la sacralise, pour, en douce, se justifier de pratiquer l’homosexualité soi-disant « pas comme le commun des homos ». Pour ma part, je préfère de loin m’approcher de mon désir homosexuel pour finalement mieux m’en distancer. C’est la liberté de l’approche distanciatrice, en quelque sorte : je ne nie pas la marque du mal dont je suis porteur et donc je ne risque pas de me confondre avec.

Enfin, il suffit de constater dans mes écrits à quel point je connecte l’homosexualité aux fractures les plus diverses de la société et à la violence universelle (divorces, non-rencontre entre l’homme et la femme, perte de vitesse de l’amitié, société matérialiste, prostitution, crise économique et morale, guerres, refus humain de Dieu, etc.) pour comprendre que mon travail d’identification du désir homosexuel n’est pas une tentative d’enfermement de l’homosexualité dans une espèce humaine particulière ou dans la justification voilée d’un « amour homosexuel formidable », mais bien un prétexte pour parler d’Humanité et de sexualité au sens large, pour faire comprendre aux non-croyants et aux croyants que l’Église catho a tout compris des blessures humaines de notre société.

Ça ne vous gêne pas d’être étiqueté « catho et homo » ? Vous n’avez pas peur d’être instrumentalisé par l’Église ?

La seule personne à qui j’accepte de m’offrir totalement, de qui je consens d’être l’objet et le sujet, c’est bien l’Église catho ! Alors allez-y, amis croyants pratiquants ! Servez-vous de mon témoignage, profitez-en ! Ceux qui ont peur que je serve de caution morale à mon Église sont finalement les mêmes qui méprisent les cathos et qui ne comprennent pas que stratégiquement, mon expérience ne peut absolument pas servir de matraque homophobe, de trophée ou de pommade pour se rassurer de ne pas être homo, car l’homosexualité est justement un miroir des relations homme-femme défectueuses, des divisions des êtres humains avec l’Église, et même au sein de l’Église catho, dont les personnes qui pourraient me récupérer sont responsables. Donc vouloir utiliser mon témoignage en vue de nier ses propres souffrances ou sa collaboration sociale aux pratiques homosexuelles, vraiment, c’est un mauvais calcul…

Vous considérez-vous comme un converti ?

Oui et non. Je veux bien qu’on parle de « conversion » à mon sujet, mais uniquement dans la mesure où mon choix de la continence n’est pas envisagé comme magique, volontariste, obligé, unique, par défaut, survenu après de grosses déceptions sentimentales. Au contraire, je le pose librement, positivement, progressivement, dans une continuité et l’incertitude. Ça, oui. Bref, ma conversion en est une parce qu’elle est non-spectaculaire. Au final, elle est comme le mystère de la Croix de Jésus : grave et joyeuse en même temps.

 Après, mis à part l’interview que j’ai faite en 2011 pour la revue La Croix avec la journaliste Joséphine Bataille ainsi que mon témoignage à l’aumônerie de la UCO à Angers (le premier témoignage où je parlais ouvertement du lien entre mon homosexualité et ma foi) qui ont agi comme de véritables déclics pour que je me mette à être vraiment continent et à me sentir responsable de ma cohérence, je ne peux pas dire qu’il y ait eu un avant et un après conversion. D’ailleurs, je ne me présente ni comme un « ex-gay », ni comme un « repenti de l’homosexualité ». Je n’ai pas de grand miracle paranormal à raconter. Je suis tous les jours converti par le Seigneur, et j’ai toujours été croyant pratiquant. Je n’ai rien d’un obsédé de la continence. Je ne fais qu’essayer d’aimer l’Église-Institution, et c’est ça qui me rend juste et bon, intègre et solide comme un roc dans l’abstinence. Même si je présente la continence et l’amitié désintéressée comme le chemin le meilleur pour les personnes homosexuelles, je ne dis pas pour autant que le reste (= le couple homosexuel), « c’est de la merde » ou « c’est mal ». Le meilleur n’est pas l’ennemi du bien. Il est juste… mieux !

Certains me demandent comment j’ai fait pour « m’imposer » la continence. Ils ne se doutent pas que le plus dur dans celle-ci, ce n’est pas de la vivre : c’est de savoir qu’on doit la pratiquer sans la pratiquer concrètement, parce qu’on négocie encore trop avec l’enfant capricieux qui est en nous. Le plus dur, c’est aussi de continuer à s’imposer le poids de la croyance en l’amour homosexuel. Ça, c’est le vrai boulet de l’histoire ! Mais sinon, une fois qu’on est vraiment continent, on se dit : « Ah bon ? Ce n’était que ça ? ». Le joug du Jésus est léger, je le rappelle ! Je n’ai jamais été aussi simple et heureux que depuis que je suis continent et que j’ai renoncé aux sentiments amoureux homosexuels !

Finalement, le miracle indéniable dont mon parcours homosexuel peut être le signe, c’est que la pétasse homosexuelle décervelée, le fan de Lorie et de Céline Dion que je suis, se met maintenant à être écouté passionnément des évêques ! Ça, oui, ça tient du surnaturel ! La pierre de l’homosexualité qui était le caillou dans la chaussure de certains ecclésiastiques devient la pierre d’angle actuelle de l’Église ! C’est à peine croyable… Je suis une folle de Dieu ! Et l’Église s’en réjouit avec moi !

Les Racines de la follophobie

 

Quand je me balade sur les sites de rencontres internet gay, je suis assez frappé de voir le nombre de fois où les annonces de profils précisent – plus ou mieux gentiment d’ailleurs – que « les folles » et « les efféminés » doivent débarrasser le plancher. Derrière ce type de propos, il faut comprendre : « Si je me case avec un homme qui ressemble à une nana, ou avec une de ses pétasses qui ‘fait milieu’, autant que je bascule hétéro tout de suite ! Moi, si je suis gay, c’est que je suis attiré par des mecs, des Vrais, des hommes virils ! J’ai pas du tout envie que mon couple devienne une parodie d’hétérosexualité ! ». On voit bien ici que le rejet des « folles » et la scission « milieu »/ « hors milieu » se font paradoxalement au nom de la défense de la pureté identitaire homosexuelle, d’une militance 100 % pro-gay, d’un soutien à la communauté homosexuelle… Quelle contradiction !

 

Alors la question qui se pose, c’est : Pourquoi tant de haine envers les personnes (homosexuelles) efféminées ? Qu’ont-elles fait de mal pour que le sobriquet « tapette » balancé sur une cour d’école soit fréquemment considéré comme la plus violente des insultes ? Pourquoi les individus homos ou hétéros, après avoir décerné la Palme de l’Humour aux « Grandes Folles » des cabarets télévisuels (« Quoi de plus désopilant qu’un spectacle de travesti ? » entend-on souvent…), après s’être roulés par terre de rire pour « La Cage aux Folles », finissent par traîner en procès pour « homophobie » leur incontournable Zaza (« Elle donne une image négative et caricaturale de l’homosexualité, qui nous dessert, NOUS, homosexuels ordinaires… »), par la conduire au bûcher, et par saluer les nouveaux modèles cinématographiques clean d’une homosexualité rangée et « intégrée socialement » – comprendre « une homosexualité invisible », voire « quasi hétérosexuelle » – ? (combien de fois a-t-on pu entendre à propos du film « Comme les autres » de Vincent Garenq, par exemple, le « bien fou » que procurait la vue du binôme Pascal Elbe/Lambert Wilson : « ENFIN on ne nous montre pas un couple homo composé de deux tantouzes Gay Pride, mais au contraire des homos NORMAUX, pas efféminés… » ?) Pourquoi ce sont généralement les personnes homosexuelles les plus machistes et les plus efféminées (« Il n’y a pas plus folles que les folles qui détestent les folles » déclare à juste raison Jacques Nolot dans son film « La Chatte à deux têtes »…) qui déchargent le plus violemment leur amertume agressive sur l’homme efféminé, cet être qui a pourtant été le petit garçon maniéré qu’ils ont été aussi, ce jeune homme militant des années 1950-60 qui fut le premier à s’assumer en tant qu’« homo » et à mener les combats pionniers pour leur future liberté de personnes homosexuelles, cet homme adulte qui travaillera jusqu’à la fin de sa vie à masquer son efféminement dans un engagement de couple où, dira-t-il, « aucun des deux membres ne fait l’homme ni la femme » ?

 

 

Pour répondre à ces questions, je me suis moi-même interrogé sur les sensations intérieures que me procurait la compagnie de mes amis gay les plus efféminés : un mélange de fascination, de lassitude, de tristesse, de révolte, d’amusement, et au final d’attendrissement. L’autre jour, en plein Paris, je me promenais précisément avec l’un d’entre eux – appelons-le Tristan. Tristan est un gars très maniéré, autant vestimentairement qu’au niveau des attitudes. Un peu artiste, chanteur et poète raté. Quand on le voit, on devine tout de suite son homosexualité latente. Il est très féminin. Non pas qu’il imite les vraies femmes ; mais il cherche constamment, dans son mode de vie, à reproduire, par anti-conformisme de principe, tous les traits de caractères misogynes de la femme cinématographique attribués à tort aux femmes réelles : la séduction manipulatrice, la vengeance doucereuse, la manigance cachée et esthétisée, l’émotion lacrymale travaillée, le caprice, le scandale, les cancans, la folie, l’hystérie, le viol, etc.. J’ai bien essayé d’intégrer Tristan à mes autres cercles amicaux ; je disais à mes connaissances : « Ne vous fiez pas à ses apparences de peste. Allez voir plus loin ! L’agression, ce n’est qu’un genre qu’il se donne pour se défendre et entrer en relation. Il se trouve beau comme ça, mais au fond, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il ne s’aime pas vraiment comme ça. »)… mais sans succès : ils le trouvaient tous unanimement insupportable. Pour ma part, je n’avais pas honte de me balader seul avec lui dans la rue, ni peur d’affronter les regards de mépris des passants qui nous associaient instinctivement à un couple homosexuel en voyant chez mon voisin le sac à main en bandoulière, la chemise exagérément échancrée, le pantalon ultra-moulant, les santiagues « de tapette », et le déhanché de mannequin « de-la-mort-qui-tue » (en quelques sortes, marcher dans la rue avec Tristan, c’est comme faire son coming out, voire subir un outing !). Mais mes amis ont fait preuve de moins de patience à son égard. Je les comprends un peu… même si je ne les justifie pas car ils se sont arrêtés au vernis, au lieu de considérer la Personne réelle qui se cache derrière une image outrancière et surchargée, vernis que Tristan assume à la fois complètement – cette féminité médiatique singée sur son corps d’homme, c’est selon lui le « must » de la grâce séduisante, du pouvoir, de la provocation, de son originalité, de son identité – et qu’il n’assume pas du tout – il sera le premier à me dire qu’il n’est pas efféminé et qu’il n’a rien à voir avec ces autres « folles du Marais » ! – : ce va-et-vient entre défense et déni de son propre efféminement, qui est objectivement le signe de son inconstance, de sa lâcheté, de son vide identitaire, de son désarroi existentiel, lui apparaîtra paradoxalement comme un jeu exceptionnel, un trait de génie. La trahison (aux autres, mais d’abord à lui-même), c’est, croit-il, sa nature profonde.

 

Pour être honnête, je peux concevoir qu’intellectuellement on puisse devenir follophobe (c’est-à-dire anti-folles). Je constate en effet que plus un garçon est efféminé à l’âge adulte (mais ça marche aussi pour une femme à apparence très masculine – comme quoi, pour moi, le problème n’est pas d’abord une affaire de « genre(s) » et d’« apparence sociale féminine/masculine » comme l’avancent lesQueer Studies, mais bien plus profondément de refus de son propre sexe de naissance : ce n’est pas tant l’efféminement que la haine qu’illustre le rejet de son sexe et le rejet des images sociales de celui-ci, qui fait violence), plus il devient insupportable à vivre, soumis aux objets et aux regards des autres, cynique, misogyne, immature, agressif, asocial, radin, caractériel, fourbe, menteur, faussement mélancolique/euphorique, capricieux, théâtral, misanthrope, narcissique, paresseux, manipulateur, dandy, « langue-de-pute », … parce qu’il fuit le Réel, il fuit les autres et qui il est, il préfère vivre dans un monde fictionnel (littéraire ou cinématographique) que dans un monde vrai et exigeant, il hait les hommes et – même si c’est plus difficile à percevoir, car l’idolâtrie est une déclaration de haine dissimulée temporairement par la passion – les femmes. Cette haine de la femme réelle, à qui il préfère la femme-objet cinématographique courtisane mi-poupée Barbie mi-Catwoman, ce machisme peinturluré de rose, cette faiblesse agressive, cette laideur caricaturale orgueilleusement exhibée comme le summum du Goût et de l’esthétisme, a quelque chose de grotesque et d’insupportable en soi, c’est vrai.

 

Dans l’efféminement, je crois fondamentalement que l’os, c’est le rejet de la différence des sexes. À force d’être sublimée, à force d’être compressée en un seul individu, elle est menacée. Ce qui gêne le plus chez les mecs efféminés (pas forcément homos d’ailleurs), c’est qu’ils portent sur eux le désir de viol : en effet, l’identification à la femme-objet, réifiée par le cinéma et traitée comme une marchandise qu’on sublime sous forme de fétiche sacré ou d’automate ultra-sophistiqué, est objectivement violente sur la durée – même si, sur le moment, elle amuse –, et rend, pour sa société, l’homme efféminé coupable. Être violé ou avoir connu l’inceste d’un univers maternant trop pesant n’est pas un crime en soi, puisque le viol a été subi ; or à l’inverse, on pardonne peu le désir de viol, car une victime est toujours libre de ne pas soutenir voire reproduire l’agression qui lui a été faite. D’ailleurs, pour revenir au cas précis de Tristan, il me disait explicitement que le viol exerçait sur lui une sorte d’attraction irrésistible : il s’habillait très léger pour choquer et provoquer l’agression ; quand il se faisait insulter dans la rue, il prenait un malin plaisir à jeter verbalement de l’huile sur le feu en aboyant comme un petit roquet sur celui qui le menaçait (et moi, à côté, je le tirais par le bras, genre « Allez viens, Tristan, on y va, laisse tomber… [j’le connais pas, faites pas attention à lui, c’est mon p’tit frère…] ») ; il me racontait aussi les 4-5 agressions très violentes qu’il a subies à cause de son apparence efféminée – type qui se masturbe devant lui dans un recoin du métro parisien, jet de pierres, insultes, vol à l’arrachée dans le RER, etc. – ; moi qui n’ai jamais, en tant qu’adulte, été agressé du fait d’être efféminé, je ne suis pas loin de penser que Tristan a largement appelé le viol par l’affichage de son arrogance précieuse et par son désir inconscient d’être attaqué… Le fantasme du martyr a toujours été chez lui vraiment très marqué, même s’il est complètement irresponsable.).

 

Ce qui fait finalement sourire dans l’efféminement, qui le rend touchant et moins grave que ce que je viens de signaler plus haut, c’est que cette identification à la femme-objet est forcément incomplète, ratée, ridiculement orgueilleuse (un être humain ne deviendra jamais 100 % objet, qu’il le veuille ou non), et que bien des hommes homosexuels – les hommes travestis et transsexuels en 1èreligne – se rient de leur prétention (à se croire objet sacré, à changer magiquement de sexe ou à le perdre) et de leur naïveté (en parodiant sur eux-mêmes le massacre iconoclaste de l’idole féminine qu’ils ont au départ cherché à incarner sérieusement : je vous renvoie par exemple au portrait absolument camp de la chanteuse de music-hall handicapée jouée par Denis D’Arcangelo dans la comédie musicale « Le Cabaret des Hommes perdus » de Christian Siméon). Le problème, c’est que l’usage systématique du second degré laisse un sérieux doute sur le prétendu recul qu’ils ont par rapport à la violence de leur désir.

 

 

En fin de compte, nous devrions reconsidérer les bons côtés de l’efféminement chez les hommes : le petit garçon qui s’est identifié à des modèles féminisants par rejet des modèles machistes, a voulu, à la base, un monde plus juste, plus doux, plus fantaisiste, plus coloré, moins violent. C’est une démarche tout à fait louable… même si, dans sa fuite, cet enfant a rejoint une nouvelle violence, celle d’un monde inanimé, solitaire, déshumanisé, où règne le fantasme : en gros, il est passé sans s’en rendre compte de la sensibilité à l’inconfort de la sensiblerie. Il ne faut pas croire complètement à la comédie des « folles » comme elles souhaiteraient la croire à la fois vraie et futile, mais simplement y reconnaître l’expression d’une fragilité, d’une blessure qui se nie tout en s’exprimant, d’un viol – fantasmé mais parfois réel – : derrière le masque rose à paillettes du travesti homosexuel se dissimule souvent un homme violé. Oui, je ne vous le cache pas : pour aimer des êtres qui concrètement font tout pour se rendre détestables, qui sont les maîtres du chantage aux sentiments, de la douceur-poignard, notre patience est mise à rude épreuve. Mais justement, nous devons aider notre société à les valoriser, et nous forcer nous-mêmes à les aimer, car en dépit des apparences, ils sont vraiment très fragiles (beaucoup, même, se trouvent être dépressifs). Seulement voilà : ils masquent leurs faiblesses et leurs blessures par une carcasse d’autosuffisance afin de nous faire croire qu’ils sont forts et indestructibles : mais ils s’aiment bien peu au final. Ils sortent artistiquement l’artillerie lourde (maquillage, scalpel, somme astronomique en vêtements, régime alimentaire draconien, drogues, usage du ridicule et de la méchanceté, humour camp convivial, etc.) pour ne pas se faire aimer parce qu’ils s’imaginent que l’amour est une arme qui assujettit, qu’ils ne peuvent vraiment aimer profondément que dans l’agression, bref, parce qu’ils croient que l’amour est le viol.