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Code n°79 – Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

frère, fils, amant

Frère, fils, père, amant, maître, Dieu

 

NOTICE EXPLICATIVE

 
 

La relation « amoureuse » homosexuelle : pas ajustée

 

Film "I Think I Do" (1997) de Brian Sloan

Film « I Think I Do » (1997) de Brian Sloan


 

À première vue, le couple homosexuel ressemble à un grand feu d’artifice. On y découvre une infinité de désirs, y compris des désirs non-amoureux. Éros, Philia, et Agapê semblent s’être donnés rendez-vous pour fusionner ensemble, pour fêter la plénitude de l’androgyne. Le problème, c’est que dans cette énorme salade composée, on les a perdus en route ! On ne les retrouve plus que par bribes, car à la base, on n’a pas voulu les distinguer (le noeud du problème et là : on n’a pas cherché à les dissocier, à les définir, pour mieux les unir : tout s’est joué au niveau du refus du désir, de la liberté !). C’est pourquoi la relation homosexuelle est un « magma » informe qui n’a pas d’identité claire ni le goût extraordinaire qu’on attendrait de l’Amour vrai. Elle n’aide pas ceux qui la composent à se positionner pour vraiment se sentir à leur place, pour vraiment se sentir aimés. Comme elle a trait à un peu à tous les types de liens sociaux possibles (fraternité, amitié, spiritualité, paternité, camaraderie, etc.), la personne aimée dans le cadre conjugal homosexuel est amenée à porter les nombreux et inconfortables masques du frère, du fils, du père, du « bon copain », du maître, du Dieu, qui ne lui reviennent pas exactement, qui sont trop grands ou trop petits pour sa taille, et qui ne lui donnent pas une identité fixe assez solide pour un engagement durable et une confiance partagée à deux. Il est aisé de prétendre aimer sincèrement quelqu’un, sans prendre le temps de se pencher sur les raisons profondes de notre attachement à lui. L’amant peut servir de prétexte pour régler précipitamment toutes les blessures d’enfance que nous ne voulons pas affronter. Au départ, l’amour que nous lui portons prend l’apparence d’un enthousiasmant « best-of d’amour(s) »… avant de se transformer, au fil du temps, en épouvantable (ou ennuyeuse !) pieuvre à six têtes.

 

Comment peut-on qualifier le couple homo ? Quelle place y occupe le partenaire amoureux ? Est-il aimé pour qui il est vraiment, ou est-il juste un « bon copain », un compagnon de vie, un frère, un substitut paternel ou filial, quelqu’un qu’on « aime bien » mais qu’on n’aime pas pleinement, quelqu’un qu’on aime trop parce qu’on l’« adore » ? Toute personne homosexuelle en couple serait en droit de demander à son compagnon : « Tu me dis que tu es mon frère, mon fils, mon père, mon amant, mon maître, mon Dieu… mais qui suis-je vraiment dans l’histoire ? Suis-je unique ? M’aimes-tu vraiment ? Es-tu unique pour moi ? Qu’est-ce qui me rend plus spécial à tes yeux qu’un autre ? Qu’est-ce que nous attendons de nous ? Que faisons-nous ensemble, au juste ? Arrête de m’infantiliser ! Je ne suis pas ton père ! Qu’est-ce qui nous différencie de simples colocs’… à part le sexe ? »

 

N.B. : je vous renvoie également aux codes « Inceste », « Amant modèle photographique », « Poupées », « Inceste entre frères », « Infirmière », « Mère possessive », « Cannibalisme », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Pygmalion », et à la partie sur l’« amitié » dans le code « Solitude », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

En remettant en question la valeur de l’amour homosexuel tel que je le fais, je m’expose probablement aux foudres de certaines personnes homosexuelles qui prétendent – le plus sincèrement du monde ! – qu’elles aiment profondément leur partenaire ou qu’elles ont vraiment connu le « Grand Amour », souvent au prix de nombreux sacrifices qui suffisent à prouver la force surhumaine de leurs sentiments. Mais je continue de penser que la majorité d’entre elles confondent l’amour avec l’impression d’amour qui se dégage de différents types de liens (entre deux frères, deux amis, un élève et son maître, une personne malade et son visiteur, un acteur et son public, un père et son fils, etc.) qui peuvent assurément offrir des instants de complicité « forts » mais qui ne sont pas d’ordre purement aimant.

 

Étant donné que l’union conjugale homosexuelle n’est pas procréatrice mais réellement fantasmée (dans le sens de « réalité fantasmée » que j’emploie dans mon livre, à savoir une réalité forcée, où priment les fantasmes), l’identité des amants au sein du couple homosexuel devient fatalement floue. Quand certains sujets homosexuels essaient de parler de leur relation d’amour, nous ne savons jamais trop s’ils se réfèrent à une union paternelle, fraternelle, amoureuse, amicale, gémellaire, féodale, religieuse, ou autre. Ils définissent leur partenaire comme un père, un fils, un grand frère protecteur, un bon ami, un frère jumeau, un confident, un fidèle serviteur, un maître, un roi, un demi-dieu, mais ils ne sont convaincus par aucun de ces qualificatifs.

 

Dans un premier temps, comme le lien homosexuel touche un peu à tous les types de liens humains possibles, il ressemble à une étourdissante salade composée renfermant le meilleur. Nous pourrions dire que c’est un « best-of d’amour(s) » ! Mais à vouloir tout mettre dans cette salade, et surtout des éléments qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, elle finit par ne plus avoir de goût. Plus les jours et les mois se succèdent, et moins les partenaires homosexuels se surprennent… ou plutôt si : ils se découvrent, mais dans le mauvais sens. Tous deux portent tellement de masques à la fois qu’ils sont amenés à se demander qui ils sont véritablement pour l’autre et pour eux-mêmes. « Mon copain m’assure qu’il m’aime… mais m’aime-t-il vraiment d’amour, ou comme un simple ami, un substitut paternel, un tendre frère, ou un dieu tout-puissant, que je ne suis à l’évidence pas ? » À la longue, leur questionnement peut devenir très vite obsédant puisqu’il met en lumière une angoissante absence de projet de vie, et un refus mutuel de l’acceptation libérante de leur inaliénable unicité. « Je reste avec l’autre parce que je n’ai pas la force de le quitter et de m’aimer seul » pourraient s’avouer intérieurement à elles-mêmes beaucoup de personnes homosexuelles !

 

L’amalgame entre amour et amitié par exemple est beaucoup plus dramatique que ce que nos sociétés actuelles le pensent : l’un et l’autre se détruisent quand nous les faisons fusionner ensemble. Certaines personnes homosexuelles camouflent leur gêne de cette confusion dans le cynisme dédramatisant. « Je fais l’amour de temps en temps comme on va à la piscine, rongée de culpabilité à mon tour parce que je n’aime ma partenaire que d’amitié. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 174) Elles savent implicitement que le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour équivaut souvent au massacre de l’amour aussi. Une fois qu’elles et leur compagnon sont unis par le sexe, elles se rendent compte qu’il est difficile de faire machine arrière et de s’avouer qu’ils se seraient davantage respectés s’ils étaient restés simplement amis, s’ils n’avaient pas grillé bêtement les étapes. La promesse des corps n’obéit pas à nos croyances en la banalité du passage de l’amour à l’amitié, ni les actes sexuels à nos intentions de les atténuer.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se retrouvent prises à leur propre jeu de la séduction. Ce n’est pas qu’elles n’aiment pas leur partenaire. Elles « l’apprécient beaucoup », « l’aiment bien », éprouvent une « profonde affection pour lui », le considèrent comme un petit frère qu’on cajole, comme un « bon copain », un parrain, un confident qui avec le temps finira par devenir par la force des choses indispensable. Elles l’aiment … oui, c’est certain… mais pas d’amour. Et c’est là tout le problème. Leur union sentimentale, ce n’est pas rien, et pourtant, ça ne suffit pas : elle ne les comble pas un minimum comme l’Amour vrai comble un maximum. Elles savent au fond qu’elles auraient très bien pu choisir avec leur partenaire « amoureux » l’option amicale qui les compromette moins et qui leur apporte tout autant (si ce n’est plus !), qu’elle aurait trouvé dans l’amitié les mêmes avantages que ceux qu’elles expérimentent dans l’amour homosexuel… excepté la jouissance génitale, les « je t’aime » à lire sur le portable, les croissants chauds servis au lit le dimanche matin, et le nounours à blottir contre soi la nuit, … bref, tout ce qui, sans l’amour véritable, ne fait partie que des « à-côtés » détestables de la passion amoureuse éphémère.

 

Dans la majorité des couples homosexuels qui nous entourent, on se demande quelle drôle de relation « amoureuse » il est en train de se vivre. Les amants homosexuels n’ont pas pour autant l’impression de s’enfoncer dans un mensonge flagrant puisqu’ils sont souvent tous les deux très sincères au départ et vivent quand même ensemble des moments authentiques ponctuels qui leur font oublier les désagréments persistants de l’amalgame des sentiments humains amoureux, amicaux ou filiaux, ces derniers étant en temps normal liés sans s’équivaloir. Mais au final, certains décrivent leur couple comme un « nous » dépassant et étouffant le duo. « ‘Nous’, c’est cette entité autosuffisante, cette famille pas si facile à définir. Maris, amants, amis, frangins, tout à la fois ? » (Élisabeth Lebovici, « Gilbert and George », dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Les amants homosexuels forment une famille à deux en quelque sorte, mais cloisonnée sur elle-même. Pour cette raison, il n’est pas étonnant de voir arriver l’asphyxie chez bon nombre d’entre eux.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel ne sait pas qualifier la nature de sa relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Beaucoup de personnages homosexuels considèrent leur amoureux comme leur frère (…et plus si affinités) : « Es-tu un frère ? Es-tu un rêve ? À des milliers d’âmes anonymes. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Vous êtes plus qu’un frère. » (Bernard s’adressant à son futur amant Didier, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Cyril et Sébastien Ceglia) ; « Je recherche mon frère, mon jumeau. » (Paul, le héros homosexuel du film « Seeing Heaven » (2011) de Ian Powell) ; « Si Hall meurt, je meurs. » (Arthur, le personnage homosexuel, parlant de son frère, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; etc. C’est le cas par exemple dans le film « Comme un frère » (2005) de Bernard Alapetite et Cyril Legann, dans la photo Comme des frères (1982) de Jean-Claude Lagrèze, etc. (J’évoque plus largement le cas des frères de sang qui couchent ensemble, à travers un autre code, celui de l’« inceste entre frères » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.) Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit et Esti veulent mélanger leur sang : « On pourrait devenir des sœurs de sang. […] Si on mélange notre sang, on sera sœurs pour toujours. » (pp. 214-215) Georges et Alexandre, les deux protagonistes homosexuels du film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, font de même. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, afin d’être au chevet de son copain Bryan à l’hôpital, Kévin se fait passer pour son frère. Un peu plus tard, quand Bryan sort de sa convalescence, l’effusion que son amant lui réserve au moment des retrouvailles n’étonne pas le lecteur : « Bryan, mon frère, j’ai envie de t’embrasser ! » (p. 233) Dans le film « Rose et noir » (2009) de Gérard Jugnot, quand on demande à Saint Loup et Casta quelle est la nature de leur relation, Casta répond par une entourloupe : « La vérité, c’est que nous sommes frères. » Mais la surenchère de Saint Loup (« On peut dire ça comme ça… ») laisse planer l’équivoque homosexuelle. En tombant sur certaines descriptions amoureuses de l’amant homo, on est surpris de voir qu’il est comparé maintes et maintes fois à un frère : « Rosário, je l’aime comme mon frère, comme mon petit ami. » (Tonia dans le film « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « Nous sommes comme des frères. » (Malik à son amant Bilal dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia) ; « Aujourd’hui, votre fils a plus besoin d’un frère. » (le héros homo évoquant son homosexualité à son père qu’il vouvoie et à qui il adresse une lettre à la troisième personne, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy)

 

Par exemple, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Arielle, la « fille à pédé », confond le frère de son meilleur ami Antoine, Gérard, avec un de ses amants : « T’as un nouveau prétendant ? » « Non, c’est mon frère. » répond-il. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, drague 18 ans après avoir perdu son amant de jeunesse Nathan, le frère de ce dernier, Léonard. Une façon pour lui de conjurer le sort et de retrouver Nathan. Dans le film « Knock at the Cabin » (2023) de Night Shyamalan, pour voler Wen, leur future « enfant » obtenue par GPA dans une clinique asiatique, Eric fait passer son « mari » Andrew pour « son frère » et le faire rentrer dans la salle d’accouchement comme si lui était le vrai peur de la gamine.
 
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Capture d’écran 2013-08-27 à 11.16.28

Film « Rue des Roses » de Patrick Fabre


 

Dans certaines œuvres de fiction traitant d’homosexualité, l’amant est considéré comme un fils. Je vous renvoie au roman Todos Los Parques No Son Un Paraíso (1978) d’Antonio Roig (avec la relation ambiguë entre Roig et Ronald), au poème « La Portée de quelques notes » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, au film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec une relation infantilisante et très mal vécue par les deux amants), au film « Rue des Roses » (2012) de Patrick Fabre (Mehdi est en couple avec un homme plus jeune, Axel), à la chanson « Quatre Vies » d’Emmanuel Moire, à la pièce Un cœur de père (2013) de Christophe Botti, etc. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Joe accueille Roy comme un « fils prodigue ». Dans le film « Corps à Cœur » (1978) de Paul Vecchiali, Louis, un garagiste âgé, fait une déclaration d’amour inattendue à son employé Pierrot : « Je me disais que je t’aimais comme un fils. Je t’aimais. Mais pas comme un fils. Toi tu ne te rendais compte de rien. » Dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Fred traite son amant Max comme un môme, et lui chante la comptine de « La Petite automobile ». Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra et sa servante Marlène maintiennent une relation infantilisante : la première envoie la seconde faire des dessins. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené. Dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, Marie, l’amante d’Hannah, traite pour rire sa partenaire de « petit bébé » parce que celle-ci (24 ans) est plus jeune qu’elle : « Je me sens comme une pédophile… » dit-elle après l’avoir embrassée. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Frédérique traite sa copine Heïdi de « bébé »… et la différence d’âges de 10 ans entre elles n’aide pas, il faut le reconnaître. Et quand leur ami homo Jean-Luc parle d’avoir un enfant, il s’annonce déjà comme une mère possessive : « Je me connais, je serai une vraie maman poule. » Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William sort avec un homme marié, Georges, qui a le double de son âge, et qui l’infantilise en l’appelant « Sugar ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Petra traite son amante Jane de « bébé ». Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Julien traite son amant Yoann comme un petit enfant qu’il amène au Parc Astérix. Et Yoann s’excite toujours autant d’y être emmené.

 

FRÈRE 1

Film « Taxi Zum Klo » de Frank Ripploh


 

Le personnage homosexuel décrit son amant comme son propre « bébé d’amour » : « Mathilde s’extrait de mon ventre. » (la voix narrative parlant de son amoureuse, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 91) ; « Oh ! Pascal, Pascal !… J’ai pas de fils. Mais c’est un comme toi que j’aurais voulu. Un exactement comme toi. » (Pierre au jeune Pascal dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 253) ; « J’veux baiser qu’avec toi, ça s’dit pas. Et un bébé comme toi, ça s’prête pas. » (cf. la chanson « Caribbean Sea » d’Étienne Daho) ; « Mais de toi je ferai ce que je voudrai. » (Bruno s’adressant à son « fils » et amant Jérémie, parodiant Niagara, dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Je serai de loin ta mère, comme ta mère. » (Khalid s’adressant à son amant Omar, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 150) ; « Chéri ! C’est maman ! » (Benjamin parlant à son amant Pierre dès qu’il arrive dans leur appart, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Ça va, bébé, t’as passé une bonne journée ? » (Arnaud s’adressant à son amant Benjamin, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Je suis sûr que t’étais l’enfant parfait. » (Bryan s’adressant amoureusement à son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Tiens compagnie à papa. » (un client s’adressant perversement à David, le jeune homosexuel de 14 ans, dans le cinéma porno, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’une mère aime son fils : « Et maintenant… on ouvre le petit paquet secret… celui que je tenais caché… avec quelque chose de très bon… pour accompagner le thé… du cake ! » (Molina à son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 185) ; « On n’aime plus sa maman ? » (Franck à son « fils/meilleur pote » Matthieu, en lui fonçant dessus pour rire, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « J’éprouve même ce que j’imagine être le sentiment d’une mère pour son enfant… Moi qui n’en aurai jamais. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 14) ; « Lui [Édouard, le copain de Georges], il cherche une mère… Ça tombe bien. » (Arnold parlant de Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; etc. Le personnage homosexuel englue son amant d’une sollicitude très maternelle : « Je le forçais à sortir avec un sparadrap sur le nombril que je vérifiais quand il rentrait et je ne le laissais jamais sortir seul le soir. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 41) ; « J’aime Perón comme s’il était mon fils. » (la mère d’Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Mourad venait d’entrer dans la cuisine. Il souriait de joie en entendant son petit Jason si plein d’énergie pris d’un nouvel accès d’autoritarisme. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 333) ; « J’aime les hommes qui aiment leur mère. » (Léopold s’adressant à son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je me suis toujours demandé pourquoi elle m’aimait. J’ai vaguement pensé que j’étais un substitut maternel, comme on dit. Cette idée ne me plaît guère, mais il n’est pas mauvais de la regarder en face. » (Suzanne en parlant de sa compagne Héloïse, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 78) ; « Lola, viens ici. Je ne t’autorise pas à faire ce genre de caprice. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Ça va ! Je suis pas ta mère ! » (Lola s’adressant à son amante Nina, idem) ; « Tu ne sais jamais rien. J’en ai assez de te materner, Nina. » (idem) ; etc. Par exemple, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine, l’héroïne lesbienne explique à son amante Carole que c’est en jouant au papa et à la maman sur la cour d’école qu’elle a vécu sa première expérience lesbienne : « On jouait au papa et à la maman. Comme y’avait pas assez de papas, j’ai fait le papa. » Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en psychothérapie Benjamin/Arnaud et essaie de les aider à s’assumer en tant que couple homo. Il s’y prend de manière progressive, par des petits exercices pratiques. Et notamment, il tente de leur faire la main de l’autre : « Finalement, c’est pas très dur. C’est comme prendre un enfant par la main. »

 

Souvent, l’attrait du personnage homosexuel pour les amants qui ont l’âge d’être son fils, mais qui ne se laissent pas manipuler comme des bébés, font place chez lui à l’amertume et au mépris jeuniste : « Je ne suis pas ton ‘petit Jan’. » (Jan résistant à la drague de son ami Matthieu, dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser) ; « Je m’étais fait l’illusion de retrouver en vous ma propre jeunesse, mais rien en vous ne me séduit. Il y a trente ans je vous aurais peut-être trouvé désirable, et encore je ne suis pas sûr de cela, et puis vous n’étiez qu’un nouveau-né. » (Cyrille au Journaliste dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., le couple Matthieu (28 ans) et Jonathan (23 ans) parlent, en plaisantant, de leur soi-disant « grande différence d’âges ». Et plus tard, ils s’infantilisent l’un l’autre sans s’en rendre compte : « Il est trop mignon quand il fait des dodos. » (Jonathan) Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, la relation amoureuse entre le très vieux et autoritaire Raúl et le très jeune Roberto commence à révolter mollement le second : « Je ne suis pas ton fils. »

 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

Je reprends de manière beaucoup plus complète la confusion entre amitié et amour homosexuel dans mon code « solitude » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Cela dit, on peut quand même faire mention de quelques œuvres de fiction traitant du mélange entre amitié et amour homosexuel : cf. le film « Les Amis » (1970) de Gérard Blain, le film « I Am Not What You Want » (2001) de Kit Hung, le film « Mon Ami, mes amants » (2002) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Amis, amants » du groupe What For, etc. Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik décrit son amant Paul comme son « meilleur ami ».

 

Entre les personnages de fiction homosexuels, il est parfois question de sex friends, de « potes de baise » : « Elle était avec ses copines… enfin, ses exs… enfin, ses potes… enfin, ces autres gouines branchées. » (Océane Rose Marie dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Entre amants, entre amours, entre amis. » (cf. une réplique de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. On ne sait pas trop si les héros entre eux sont amis ou amants… ou les deux. Par exemple, dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Henri présente son « mari » Dominique comme son frère… alors que c’est juste son meilleur ami.

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

L’amant homosexuel recherche un amant protecteur et paternel : cf. la chanson « Aime-moi comme ton enfant » de Catherine Lara, le roman Julia (1970) d’Ana María Moix, le film « L’Isola Di Arturo » (« L’Île des amours interdites », 1961) de Damiano Damiani, le film « Charlotte dite ‘Charlie’ » (2003) de Caroline Huppert (où Charlie est troublée en massant la mère de sa copine Babou), etc. Je vous renvoie au code de l’« inceste » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels. Par exemple, dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Tareq, le héros homosexuel, raconte que sa première fois homosexuelle, à l’âge de 17 ans, il l’a vécue avec un homme plus âgé que lui : « Je cherchais sûrement une figure paternelle. »

 

Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, Sébastien appelle son amant Paul « mon papounet ». Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Alex et Mitchell simulent une relation neveu/oncle. Dans le roman Deux femmes (1975) de Harry Muslisch, Laura soupçonne son amante Sylvia de ne pas avouer son homosexualité à sa maman parce qu’elle a aussi l’âge d’être sa mère : « Inconsciemment, tu lui tiens peut-être rancune d’être tombée amoureuse d’une femme qui lui ressemble. » (p. 60) Sylvia réagit ironiquement : « Ah bon, tu es ma mère, alors ? » Ce à quoi Laura lui rétorque dans une attitude de provocation vexée : « À cela près que je ne m’occupe pas de ton père. En tout cas je suis aussi une femme, et toi tu es une petite garce. » Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, une patiente lesbienne reçoit un beau diamant de la part de Lili, sa compagne lesbienne de 73 ans, à l’occasion de « leur » un an de vie ensemble : « C’est pour ça que Lili, c’est mon deuxième papa. » Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Russell appelle sincèrement son amant Glenn (du même âge) « Dad » ; et quand il lui annonce qu’il est orphelin, il lui propose à son tour de lui servir de substitut paternel : « Et si je faisais semblant d’être ton père… » Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte joue au petit enfant dont la vie s’est arrêtée à la mort de son parrain. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et se faisant passer pour un enfant à protéger : « Tu m’adoptes ? »

 

Le personnage homosexuel s’adresse à son amant comme s’il était son père, ou bien est considéré par les gens de l’extérieur comme le fils de son petit ami : « N’oublie pas de me ré-enfanter. » (Daniel s’adressant à son amant Luther dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Désolé papa. » (Jack, 22 ans, à son amant Paul, du même âge, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je ne sais pas si Harvey a deviné qu’on formait un couple : il se peut qu’il se soit trompé et nous ait pris pour père et fils. » (Michael en parlant de son couple avec Ben, dans le romanMichael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 80) ; « Et c’était cela la seule différence. C’était qu’une autre silhouette, un autre visage, se détachaient de l’arrière-plan pour se préciser aux côtés de son père… Pierre Gravepierre ! » (Pascal à propos de son amant Pierre, dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, p. 131) ; « Physiquement, j’aime mieux qu’ils soient plus mûrs, je recherche plutôt un papa. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, pp. 159-160) ; « Douze ans de plus que moi… Il pourrait être mon père. » (Damien par rapport à son amant Norman, dans la pièce Les Deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Je suis dans ton ventre, je suis un fœtus, je m’oublie. » (Alice à son amante Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Salut Christine. Tiens, t’es venue avec ta mère ? » (Nathalie Lovighi sortant une blague acerbe à une amie lesbienne lors d’une soirée, dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au 3e Festigay de Paris en 2009) ; « Mon père… J’ai épousé mon père. Putain d’Œdipe… » (Marilyn, la videuse lesbienne de la boîte Le Gouine, parlant de sa compagne, dans le one-woman-show Paris j’adore ! (2010) de Charlotte des Georges) ; « Fermant les yeux, elle essaya de reconstituer le visage paternel, son beau visage qui parfois semblait inquiet ; mais l’image fut lente à se former et s’effaça aussitôt, car les morts doivent souvent faire place aux vivants. Ce fut l’image d’Angela Crossby qui subsistait tandis que Stephen était assise ans le vieux fauteuil de son père. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 186) ; « La voisine prit le nouveau-né dans ses bras, ouvrit son corsage, mettant à nu un sein bien rond d’où, tout gonflé comme il était, le lait sortait déjà. Elle le guida vers la petite bouche qui instantanément se mit à téter. Je m’imaginais tétant ce joli sein, et me renouvelai la promesse que je m’étais faite : posséder un corps féminin et en avoir tous les plaisirs possibles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 27) ; etc.

 

L’amant est aimé par le héros homosexuel comme ce dernier imagine qu’un fils aime sa mère : « Tu crois qu’il est comme ma belle-mère ? » (Zize, travesti M to F, parlant de son mari à sa mère, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « C’est drôle, ça ne fait pas un mois qu’on se connaît et je te dis des choses que je n’ai jamais dites à personne, à part à ma mère ! » (Kévin à Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 100) ; « Aujourd’hui, après, quelques jours d’interruption ayant expédié au mieux mes obligations, j’ai enfin eu le temps de me faire cajoler par la bonne. J’ai acheté toutes sortes de produits sans regarder à la dépense, notamment une poudre parfumée que l’on indique en cas d’irritation de la peau chez les bébés. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 98) ; « Je t’aime. Je t’aime autant que ma mère ; peut-être même plus… Je t’aime. » (Tanguy à Gunther, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 89) ; « Valentín… je crois que depuis mon enfance, je ne me suis jamais senti aussi content. Depuis le temps où maman m’achetait un jouet, ou quelque chose comme ça. » (Molina après sa nuit d’amour avec Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 210) ; « Il [Adrien] avait aussi un immense besoin d’être aimé. Il y avait en lui un enfant qui cherchait à être protégé, consolé, un enfant qui requérait un amour total. […] Il était bien conscient que cet amour-là ressemblait à l’amour perdu de la mère. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 40). Dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Bonnard propose à son copain Dzav d’être sa mère.

 

Ce rapport incestueux avec l’amant apparaît au final comme une illusion : « Le téléphone sonne. Son cœur s’illumine à l’idée que Ginette ait finalement pensé à elle. Mais ce n’est que sa mère. » (Lucie dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 31) ; « T’es pas ma mère : t’es ma copine. » (Rosário à son amant trans Tonia dans le film « Morrer Como Um Homen », « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « L’homosexualité est une infantilisation. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Le personnage homosexuel finit parfois par punir les amants mûrs qu’il s’est choisi comme pères de substitution, en affublant de qualificatifs âgistes ces prétendus « vicieux qui veulent jouer le rôle de sa mère » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 161). Forcément : n’étant pas son père réel, ils finissent fatalement dans son esprit par être des imposteurs !

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans certains créations artistiques, le personnage homosexuel déifie son amoureux : cf. le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler (où un fan se laisse soumettre par sa rock star), le film « In The House Of Brede » (1975) de George Schaefer, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Je t’aime, je t’adore » (2002) de Manuel Blanc, la chanson « Monsieur Amour » de Colette Mars, la chanson « Mon Secret » de Suzy Solidor, la chanson « Amen-moi » de Bilal Hassani ; etc. « Gérard et moi, c’était une allégeance absolue. » (Guillaume dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Excuse-moi. J’avais oublié que t’es un dieu. » (Bart s’adressant amoureusement à Hugo, dans l’épisode 268 de la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1 le 13 août 2018) ; « Je t’aime comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma. » (Philippe s’adressant à Gabriel – et parodiant Lara Fabian – dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) ; « À cet instant je me sentis comme sainte Véronique, tant mon émotion était grande. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, en train d’essuyer les sécrétions vaginales de sa jeune voisine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 53) ; « Je voudrais le suivre où il ira. Il est ma vie. Je suis son Roi. Pour tout vous dire, je l’ai juste rêvé. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; etc. L’amant est considéré comme un ange ou un demi-dieu : « Tu es un ange merveilleux. » (Pietrino à son amant Fefe dans le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « C’était bien le jour de Khalid. » (Omar, qui voit son amant comme un roi, comme le substitut d’Hassan II, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 90) Dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, David, l’amant homosexuel, est comparé à Dieu : « J’ai passé des semaines dans les bras du Bon Dieu. » (p. 12) Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago compare la toile qu’il a peinte de son amant Miguel au « Corps du Christ ». Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, appelle sa nurse Collins « sa déesse » (p. 29). Dans l’épisode 365 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 27 décembre 2018, André, le héros homosexuel, dit qu’il est sorti avec un bel Allemand, Otto, « beau comme un dieu grec ».

 

L’amour entre amants homos prend la forme de la relation entre un fidèle et son dieu : « Qu’en est-il de l’existence de Dieu ? Et de Mathilde ? » (la voix narrative dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 103) ; « J’ai subitement envie de la vouvoyer. J’ignore d’où me vient cette aspiration à la distance. […] Je vous en prie, madame. » (idem, p. 90) ; « Tu es celui que j’aime… comme Dieu. » (Pierre à son amant Julien, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Elle est dure avec moi, je vous jure. Je lui lave les pieds comme si elle était Jésus et elle m’engueule, elle me parle mal. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Je t’idéalisais, je te consommais puis je t’ignorerai. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur appelle son amant Jacques « mon ange ».

 

À ce propos, on observe très souvent dans les fictions homosexuelles que le verbe « aimer » est remplacé par celui d’« adorer » (qui signifie « vouloir être semblable à ») : « Comme les dieux qu’on adore adorer, j’adorais adorer. » (cf. la chanson « L’adorer » d’Étienne Daho) ; « Je t’embrasse et t’adore. » (Chris à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 121) ; « Je veux que le monde entier sache combien je vous adore. » (Stephen à Angela dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 196) ; « Je vous adore, vous et vos naïfs stratagèmes… » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 58) ; « J’t’adore. » (Erika s’adressant à son amante Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Je reconnais t’avoir adoré passionnément. » (Basile s’adressant à son amant Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « J’l’adore, c’est vrai. » (Yoann, le héros homosexuel, parlant de son amant bisexuel Julien, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Il l’aime et il l’adore. » (cf. la chanson « Insondables » de Mylène Farmer) ; « Je l’adore. Et tu l’adoreras aussi. » (Vita Sackville-West, lesbienne, s’adressant à sir Harold Nicolson à propos de Virginia Woolf, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

Cette adoration possessive n’est pas toujours comprise du héros homosexuel, qui voit dans l’attachement amoureux excessif de son partenaire une attitude déplacée et immature. Dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi, par exemple, Cachafaz n’apprécie pas de « se faire idolâtrer par un pédé ». Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Dan veut que son amant Gerry, avec qui il vit depuis une vingtaine d’années, « comprenne une fois pour toute qu’il n’est pas Superman » (p. 237).

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

Le personnage homosexuel adopte une vision extra-large de son amoureux : il serait à la fois son frère, son ami, son « pote », son père, son voisin, son parrain, son cousin, son double, son confident, son roi, son Dieu. Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, par exemple, Félix rencontre tout au long de son voyage des inconnus qui deviennent tour à tour les membres/les amants de sa symbolique famille parallèle élargie. Dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, Rubén, un client de 40 ans appelle Eloy son jeune prostitué (au look christique) « mon amour, mon petit » ; ils découvrent qu’ils ont le même nom de famille ; et un peu plus tard Eloy révèle à son client qu’il vient d’une famille de 8 enfants, et qu’il a toujours aimé les douches serrés comme des sardines avec ses frangins en caleçon… et que ça aurait inconsciemment stimulé son homosexualité !

 

FRÈRE 2

 

Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, entretient une relation de séduction avec son grand-frère Ody, son parrain homo Tassos, ses amis de passage (qui parfois l’entretiennent financièrement et sont en général plus âgés que lui), son pote Stefanos (compagnon fashion victim rencontré aux toilettes), son père biologique Lefteris disparu puis retrouvé sous la forme d’un homme politique d’extrême-droite qui doit selon lui correspondre aux critères pileux de ses fantasmes de magazines. Ody laisse entendre à la fin que leur père biologique à lui et à Dany n’est peut-être même pas Lefteris. Dans le film « Vacationland » (2006) de Todd Verows, le héros homo embrasse son amant qui finit par changer de visage et prendre la forme d’un businessman puis d’un grand-père. Dans le film « Ma vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh dresse le portrait de Liberace, un pianiste virtuose absolument tyrannique autant que doucereux avec ses amants qu’il infantilise et exploite en les traitant tôt comme des dieux (il dira « Mon Sauveur !!! » ou bien « Je suis un peu toute ta famille. » à son amant Scott) tantôt comme des diables qui lui ont pourri la vie.

 

La relation entre amants est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « J’ai une infinie tendresse pour toi. Qui durera toute la vie. » (Emma s’adressant à Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Jonatán, mon père et mon roi, mon frère et mon amant. » (cf. la nouvelle « Jonatán » (2000) de Blas Matamoro) ; « Mon amour pour vous n’est pas celui qu’on porte à une amie, à une mère. Sinon, aurais-je un tel désir de vous bercer dans mes bras ? » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 176) ; « Il est le maître, le frère, mon jumeau. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 65) ; « Mary n’aurait aucune place dans son cœur, dans sa vie, pour un enfant, si elle venait à Stephen. Elles seraient tout l’une pour l’autre si elles demeuraient dans cette parenté sans limites : père, mère, ami, amant, tout… étonnante plénitude ! Et Mary, l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 393) ; « Tandis qu’elle tenait la jeune fille dans ses bras, Stephen sentait qu’en vérité elle était toutes choses pour Mary : père, mère, amie et amant, et Mary toutes choses pour elle : l’enfant, l’amie, la bien-aimée. » (idem, p. 412) ; « Il s’appelle Robert Edwards. Il a vingt-trois ans. Il a soixante-dix-neuf ans. […] Il est ton père, ton frère, ton ami : tu le connais depuis toujours. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 232) ; « Croyez-en le vieux bonhomme désabusé que je suis devenu, et qui vous aime comme un père, un frère, un ami. » (la figure de Proust à son amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 183) ; « Sachez que je vous aime tout entière. […] Je vous aime femme, mère, amie, amante. » (Émilie à Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 107) ; « Ma Dame, aujourd’hui, je suis votre enfant. Consolez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amie. Écoutez-moi. Aujourd’hui, je suis votre sœur. Gardez-moi. Aujourd’hui, je suis votre amante. Aimez-moi. Aujourd’hui, je suis à vos pieds. Sauvez-moi. » (idem, p. 156) ; « Le papa, c’est toujours Dieu. » (Thierry le héros homo, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « À toi mon frère que j’ai aimé comme un père. » (Didier Bénureau dans son concert Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je peux pas encore aller la voir à l’hôpital, parce que je suis pas de sa famille. (En pleurant) Tu te rends compte, je ne peux pas aller voir ma femme à l’hôpital parce que je ne suis pas de sa famille, mais je suis TOUTE sa famille à moi toute seule ! Putain, je-suis-pas-sa-fa-mille ! Ils se foutent de ma gueule, moi je veux la voir, j’en ai rien à foutre que je sois pas mariée, j’ai bien le droit de voir ma femme, je dors avec elle toutes les nuits. » (Polly parlant de son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 115) ; « Dany, quand tu dis que tu m’aimes, tu m’aimes un peu comme un pote, c’est ça ? Alors comme un frangin ? Comme un cousin, donc ? Comme deux mecs en prison ? » (Billy Stevens, le personnage homo du faux film « Servir et protéger » s’adressant à son futur amant Dany en pleine guerre du Vietnam, en faisant mine de ne pas comprendre les sentiments que son camarade de tranchée qu’il porte sur le dos lui exprime, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Je suis voleur. Vous êtes Roi. Autrement dit, nous sommes deux frères. » (cf. le poème ironique que Lacenaire adresse au Roi, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « On dirait ma sœur. » (Benjamin parlant de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Dans le roman L’Agneau carnivore (1945) de Agustín Gómez-Arcos, le protagoniste définit son amoureux comme « son frère amour, son seul dieu ». Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Louison est grillée pour son homosexualité par des photos prises sur téléphone portable à une soirée, où elle enlace – à la base amicalement – sa meilleure amie Clara. C’est la confusion des sentiments : « Clara, c’était ma meilleure amie. C’était comme une sœur. » Louison finit par faire un vrai coming out.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne de 20 ans, se pose la question de rajouter à la liaison qu’elle a déjà avec Linde une mère de famille, et celle qu’elle maintient par ailleurs avec Rani sa domestique, une troisième relation amoureuse avec Sheela, une de ses camarades de classe : « J’avais l’esprit ailleurs, occupé à peser le pour et le contre afin de savoir si je devais avoir une relation amoureuse de plus, avec quelqu’un de mon âge, une jeune fille sans mari ni fils. Une jeune fille qui n’était ni ma domestique ni mon aînée. Une personne qui était plus ou moins mon égale. » (p. 64) Finalement, son cœur recherche non seulement des relations lesbiennes avec des personnes de chair et de sang, mais plus fondamentalement une union lesbienne divine : « L’exposé fut donné par une fille de terminale, qui parla de l’image de la déesse-mère dans la civilisation Harappan. Je songeai à Linde à chaque fois qu’elle disait ‘déesse-mère’. » (idem, p. 232)

 

Dans l’épisode 432 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 1er avril 2019, Barthélémy Vallorta dit à son amant Hugo Quéméré qu’il est pour lui à la fois « son chevalier servant, son ami, son amant».
 

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), le libraire Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repousse son élan physique et sentimental envers le jeune David : « Pawel cherche la source de cette douleur. Essaie de la comprendre. L’homme que je cherche est en moi. Quel est cet homme ? Est-ce l’icône de mon père perdu ? Est-ce donc cela la source de la blessure primitive : la sensation laissée par l’absence du père.[…]Il jeta un coup d’œil au sol. Le garçon y dormait immobile. Pendant un long moment, Pawel le tint dans son esprit comme un père tient un enfant de deux ans sur ses genoux. Puis, il se tourna et s’endormit. » (pp. 362-363) Le dialogue final (p. 476) entre David et lui montre bien le lien trop riche et trop diversifié qui les unit. David essaie de définir le regard que Pawel pose sur lui : « C’était le regard que posait parfois mon père sur moi. Est-ce que je suis comme un fils pour vous, Pawel ? » Pawel lui répond : « Oui, un peu comme un fils. » David rajoute : « Et un ami ? » Pawel de lui répondre : « Oui, ça aussi. » David prolonge, en prêchant le faux pour savoir le vrai : « Mais un jeune ami qui dit des choses puériles. » Pawel tente de s’en sortir sans rien révéler de ses sentiments amoureux mal ajustés : « C’est le cas parfois. Mais je vois l’homme que tu es en train de devenir. Un homme bon qui marchera avec moi le long de la Vistule lorsque cette guerre sera finie, qui me racontera des choses sages et corrigera ma pauvre philosophie. » Père, fils, ami, maître. On a la totale !
 

Mais au bout d’un moment, fatigué de cette dispersion ou de son amant multi-visages, le personnage homosexuel se demande à quoi il joue, qui il aime, et quelle est sa véritable place dans sa relation amoureuse avec l’amant trouble : « Is it my brother ? Is it a friend of mine ? » (cf. la chanson « Who Is It ? » de Michael Jackson) ; « Que sommes-nous ? Un couple ? » (Julien à son amant, dans la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « J’ai voulu que tu sois toutes les femmes à la fois : amie, amante, sœur, mère, j’ai voulu m’abandonner dans une seule femme. […] Je t’aime je t’admire je t’adore, je te tue. » (Alice à Elsa dans le film « Alice » (2004) de Sylvie Ballyot) ; « Et toi, qui es-tu ? Si je suis de la famille, qui es-tu ? Mon frère ou ma sœur ? » (Kévin à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 159) ; « Quand on nous voit ainsi tous les deux, je me demande souvent ce que les gens pense de nous : voilà deux frères, deux amis ou deux amants ? » (Bryan à Kévin, idem, p. 423) ; « Dans les escaliers, je demande ‘Mais nous deux, on est quoi ? Des amants ? Un couple ?’ Il me regarde en levant les yeux au ciel. » (Mike à son amant Léo dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 100) ; « Je veux un tatouage, symbole de l’Amour. C’est juste un tatouage. Même si tu choisis le même que ton père, ça ne fera pas revenir ton frère. » (Jade, l’héroïne lesbienne du film « Spider Lilies » (2007) de Zero Chou) ; etc.

 

On comprend que le héros, en cherchant à donner différents masques inappropriés à son amant, pèche par narcissisme : « Je pensais que… Je t’ai aimé comme un frère, comme un fils, parce que je croyais que tu étais comme moi. » (Valcárcel à Herrera, dans le film « ¡ Harka ! » (1941) de Carlos Arévalo) ; « J’vois bien que je te demande quelque chose que tu peux pas me donner. » (Christophe à son amant Boris, dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Je l’aime pour ce qu’il ne sera jamais. » (Julien Brévaille à propos de son amant Loche, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 157) ; « Il y a une phrase dans son album : ‘L’homme doit être mari, père, soldat.’ Moi, je ne suis ni mari, ni père, ni soldat. » (Gabriele, le héros homo, s’adressant à son amie Antonietta, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; etc.

 

C’est alors que le vertige arrive : « Khalid, ami, frère, double de moi, traître, traître qui faisait le fier seul… » (Omar dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 91) Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc se fait plaquer par son amant Mathieu, beaucoup plus jeune que lui, après plusieurs années de vie commune. « Mais pourquoi me sentais-je encore responsable de ce trop bel acteur qui avait pris trop de place dans ma vie pendant sept ans et de qui j’avais été séparé depuis près de quinze ans ? Encore le rôle du père, du mentor, du Pygmalion que j’avais joué auprès de lui pendant si longtemps ? » (p. 43) ; « J’avais quand même vécu tout ce temps avec un gars de quinze ans mon cadet ! Au commencement, ce n’était pas très grave, j’en avais 39, lui 24, mais j’avais prédit dans un moment de découragement […] qu’un jour je serais un monsieur de 50 ans et lui un toujours jeune homme de 35… et c’est exactement ce qui s’était produit. » (idem, p. 228)

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, occupe toutes les identités qu’il veut vis à vis des hommes qu’il essaie de séduire. Par exemple, Dick, l’homme dont il est amoureux, lui demande une imitation : « Fais-moi une imitation. » Et Tom imite la voix du père de Dick, et la ressemblance est tellement frappante que Dick dit « C’est éblouissant. » et se tourne vers sa compagne en désignant humoristiquement Tom comme son père : « Marge, je te présente mon père. » Plus tard, Tom, en s’écrivant à lui-même et en faisant parler Dick (qu’il a assassiné), qualifie leur relation ambiguë de toutes les catégories : « Je t’écris à toi, le frère que je n’ai jamais eu. Mon seul véritable ami. Tu es un peu mon fils. » ; « Tu es le frère que je voulais avoir. » Tom finira par assassiner son dieu humain qu’il idolâtre. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (mis en scène par Élise Vigier en 2018), Jimmy a vécu en couple avec Arthur pendant 14 années, et pleure son absence : « Il me manque mon ami. Il me manque mon amoureux. Il me manque mon frère. » Quant aux sentiments de Hall, le frère d’Arthur, à l’égard d’Arthur, ils oscillent entre adoration, amour conjugal, narcissisme et idolâtrie aussi : « L’adoration est-elle un blasphème ou la promesse de la Gloire éternelle ?[…] Arthur est mon âme. La prunelle de mes yeux. » Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, ne sait pas quelle place il occupe dans le cœur de son « amant » Nicholas : souvenir d’enfance ? plan cul ? petit copain ? troisième roue du carrosse ? Grand Seigneur ? (« T’habites un château de contes de fées. » lui fait la remarque Nicholas) Impossible de répondre. Face à son amie Tereza, Phil ne sait même pas lui dire « s’il a un copain » ou pas : « Je ne sais rien de lui. J’ai l’impression de ne pas le connaître. » Et effectivement, le « couple » finira par imploser.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

La majorité des personnes homosexuelles ne savent pas qualifier la nature de leur relation amoureuse homosexuelle autrement que comme un fourre-tout sans beaucoup de goût :

 
 

a) Mon amant homosexuel est mon frère :

Je vous renvoie à l’essai Comme un frère, comme un amant (1993) de Georges-Michel Sarotte. Parfois, la relation qui se vit entre deux personnes homos d’un même couple est plus fraternelle qu’aimante : « Dans leurs lettres, Annemarie Schwarzenbach et Carson McCullers disent s’aimer ‘comme des frères’. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 98) ; « L’aspect physique excepté, nous ressemblions à des frères, des jumeaux inséparables. Entre nous, il s’agissait d’une histoire de famille, pas du compagnonnage des petites amours. Moins épuisé, je ne doute pas que Claude aurait répondu à l’infirmière curieuse : ‘Ce monsieur qui vient me voir tous les jours, c’est moi. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 20)

 
« Roissy, terminal 2. Une agent de sécurité vérifie nos passeports. […] Elle remarque que nous avons le même nom. Beaugrand-Gérin. ‘- Vous êtes frères ? Vous vous ressemblez !’ Je lance un regard amusé à Ghislain. ‘- Non. Nous sommes mariés !’ Le visage de la femme-colosse s’empourpre d’un sourire gêné. ‘- Oh. Pardon…’. » (c.f. l’autobiographie Fils à papa(s) (2021) de Christophe Beaugrand, où ce dernier raconte qu’il va cherche avec son « mari » leur enfant acheté par GPA aux États-Unis, Éd. Broché, Paris, p. 10).
 

b) Mon amant homosexuel est mon fils :

Quelquefois, l’amant homosexuel est considéré, par celui qui prétend l’aimer, comme le fils que leur couple n’accueillera pas. S’instaure alors dans le binôme homosexuel un processus d’infantilisation incestueuse (qui n’a pas forcément à voir avec la différence d’âges entre les partenaires, d’ailleurs : deux personnes du même âge peuvent tout à fait s’infantiliser l’une l’autre sans qu’intervienne le fossé des générations). « Je me sentais bien. L’étonnement, l’espoir, m’occupaient tour à tour pendant nos rencontres. Son âge ne devint plus alors le handicap qui parfois, me frustrait en sa compagnie. […] tel le culte paternel. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 124-125) Par exemple, Peter Pears dit de son compagnon Benjamin Britten qu’il « lui était dévoué comme un petit enfant passionné et proche » (cf. « Apuntes biográficos » de Benjamin Britten, sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Xavier sort avec Guillaume « qui pourrait être son fils ».

 

FRÈRE 3

Lord Douglas et Oscar Wilde


 

En ce qui concerne le phénomène d’imitation du lien parent/enfant, Sigmund Freud décrit les sujets homosexuels comme des êtres qui ont tendance à se lancer à la poursuite d’objets de désir qui leur ressemblent afin de pouvoir « les aimer comme leur mère les a aimés ». Et on observe en effet que la relation mère/fils (ou plutôt l’image que certaines homosexuelles s’en font : à la fois une idéalisation excessive, et un modèle impérieux/oppressant) est très souvent transposée dans la relation amoureuse homosexuelle. L’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’une mère chérit son fils : « Je suis arrivé à t’aimer si fort (plus que tout au monde) que je me suis donné l’ordre de ne t’aimer que comme un papa. » (cf. une lettre de Jean Cocteau à Jean Marais, citée dans l’article « Jean Marais » d’Arnaud Lerch, le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 312) ; « Ce que je cherche, c’est le droit d’aimer, non pas pour la seule jouissance physique, mais pour le droit de tenir quelqu’un dans me bras. […] Je réclame cela parce que je n’ai pas de fils. » (Havelock Ellis, L’Inversion sexuelle (1909), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 367) ; « Il va dans le noir de son passé égyptien et, comme ma mère, j’ai envie de prier pour lui, de le soutenir, de loin, de près. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Karim, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 65)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, quand le romancier Jacques Vialatte a vécu sa première grande histoire avec un homme et qu’il signale qu’elle a duré 9 mois, la présentatrice Sophie Davant sort une boutade qui fait rire tout le monde, mais qui reste un beau lapsus : « Le temps d’une grossesse, quoi… » (… même si, dans son esprit, elle parlait certainement de la nouvelle naissance que constituerait le coming out ou la rencontre de « l’amour » homosexuel). Dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre, Patrick raconte comment un jour, pour mentir à un de ses collègues sur son homosexualité, il s’est senti obligé de faire passer son « conjoint » pour son fils afin de justifier son absence et de se rendre à l’hôpital assister son amant. Il s’en veut encore de sa lâcheté homophobe.

 

Dans les relations amoureuses que Magnus Hirschfeld, homosexuel notoire, a entretenues en Allemagne dans les années 1920-30, on observe presque toujours un décalage générationnel et paternaliste : « Le secrétaire de l’Institut est un certain Karl Giese. C’est l’amant préféré de Hirschfeld, de 30 ans plus jeune que lui (il a donc 21 ans en 1919). Il ne distingue par une nature hautement sensible. Il sert Hirschfeld dans tous les détails de la vie domestique. Il l’appelle « papa », comme beaucoup de gens à l’Institut à cause de son rôle paternel. Ou encore Oncle Hirschfeld. Un autre amant est très attaché au maître de céans ; il se surnomme Tante Magnesia. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (idem, p. 113)
 
 

c) Mon amant homosexuel est un simple ami :

J’aborde de manière très détaillée dans le code « solitude » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels le fréquent mélange qui est fait dans les sphères relationnelles homosexuelles entre amitié et amour… à tel point que je dis que l’amitié est la grande oubliée/ennemie de la communauté homosexuelle, puisque la drague monopolise la grande majorité des rapports interpersonnels entre individus homos. Dès qu’ils s’entendent bien, les sujets homosexuels ont tendance à passer très vite à la vitesse supérieure, et à ne pas se laisser le temps de l’amitié ; ils deviennent parfois amis, mais ce sera après avoir couché ensemble. Et quand ils sont en couple, étant donné que l’amour qu’ils vivent n’est pas trépidant, il semble qu’il n’y ait que la génitalité qui les empêche de dire ouvertement qu’ils ne sont que « de simples amis et pas plus »… alors que c’est bien souvent le cas : y compris quand le feeling est bon entre eux, ils ne sont pas plus que de bons amis. Ils se rendent compte que, mis à part les moments de sexe et de sensualité clairement conjugaux, mis à part l’officialisation sociale de leur statut de « couple », rien ne les distingue d’un duo formé de deux meilleurs amis ; et après leur rupture, si elle arrive un jour, ils comprennent très vite qu’ils auraient mieux fait d’en rester à l’amitié plutôt que de chercher à simuler l’amour fou. Ils vivaient côte à côte, certes, mais objectivement, au niveau de la force de leur lien, rien ne les distinguait de deux colocataires ou de deux amis… « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. Certes, je ne voulais pas m’enfermer dans une définition. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec son amant Yoro, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 140)

 

Cet « amour d’amitié » (détournement du beau Philia grec ou thomiste), cette « amitié forcée » (et du coup dénaturée), ces « amitiés particulières » (nom donné traditionnellement aux couples homos, et qui me paraît si révélateur !), font dire à certains penseurs que la notion de « couple homosexuel » est discutable, voire inappropriée pour deux personnes du même sexe qui décident de composer un ménage. Dans son essai Le Règne de Narcisse (2005), Tony Anatrella préfère le terme de « duo » à celui de « couple » pour qualifier une union entre deux hommes ou entre deux femmes. Et Chekib Tijani, l’auteur du très contesté essai 700 millions de GEIS (2010), va jusqu’à mettre le couple homosexuel sur le compte de la simple camaraderie travestie en « amour » : « Un gei [c’est ainsi que Tijani définit l’individu homo] qui est en relation avec un autre gei n’a pas le sentiment de vivre en couple, ce sont deux ‘copines’. » (p. 63)

 
 

d) Mon amant homosexuel est mon père :

Parfois, l’amant homosexuel est vraiment considéré comme un père de substitution par les personnes homosexuelles : « Rech. son père de substitu. » (cf. une petite annonce lue dans la revue Têtu, n° 127, novembre 2007, p. 200) ; « Aujourd’hui, c’est le 19 juin, la fête des Pères, et comme tu es mon Miam, mon papa Miam, je ne t’oublie pas. » (Julien à son amant Pascal Sevran, dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 169)

 

FRÈRES 5

 

Si vous regardez les photos de Virginia Woolf avec Violet Dickinson, il est assez frappant de voir leur posture et leurs attitudes : on dirait que la première est une petite fille fragile se réfugiant sous les jupes de sa maman. Woolf semble avoir reproduit le même schéma avec ses autres amantes : « J’aime être avec elle, j’aime sa splendeur. […] Il y a sa maturité et sa poitrine épanouie : le fait qu’elle navigue, toutes voiles dehors, en haute mer, alors que je me contente de caboter le long des côtes ; son aptitude, je veux dire, à prendre la parole devant n’importe quel auditoire, à représenter son pays… à surveiller l’argenterie, les domestiques, et les chows-chows, sa maternité aussi… bref, le fait qu’elle est (ce que je n’ai jamais été) une vraie femme. » (Virginia Woolf en parlant de Vita Sackville-West dans son Journal, le 15 septembre 1922)

 

FRÈRES 4

 

Dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont parle d’un couple d’amies lesbiennes à elle, Martine et Huguette, dans lequel s’est instauré un rapport de fille/mère très prononcé : elle évoque chez Martine « son besoin de trouver une mère poule qui la protège » (p. 117). Dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffusée sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte appelle son amante Marion « bébé ». Dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, on nous raconte la rencontre entre Nicolaus Sombart et son amant beaucoup plus âgé que lui Carl Schmitt. « Est-ce pour cette raison qu’il a cherché en Schmitt, son amant beaucoup plus âgé que lui, un père de substitution ? Il aurait pu être son fils. » (p. 273)

 

Souvent, l’amant est aimé par la personne homosexuelle comme cette dernière imagine qu’un fils aime sa mère : « J’aimerais être nourri par vous, c’est-à-dire que j’aimerais être nourri par vous comme par ma mère. » (un patient homo dans l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » (1973) de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 442) ; « C’était une relation maternelle entre elles deux. » (Marie-Jo Bonnet parlant de la relation « amoureuse » entre Yvonne de Bray et Violette Moriss, lors de sa conférence « Violette Moriss, histoire d’une scandaleuse » le 10 octobre 2011 au Centre LGBT de Paris) ; « Je t’ai protégé de tout, probablement trop. » (Pierre Bergé s’adressant à Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc.

 

Cette configuration relationnelle particulière est explosive. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans parle des couples lesbiens et des fréquentes « associations d’une partenaire jeune et d’une autre plus âgée » (pp. 48-49) : « Dans un cas, la personnalité de la jeune femme est étouffée, jusqu’à la rendre incapable ‘éprouver les sentiments naturels d’amour et le désir d’un foyer normal ; dans l’autre, si elle parvient à s’arracher à l’emprise de la plus âgée, elle laisse dans la vie de celle-ci un vide qui ne pourra jamais être comblé. »

 
 

e) Mon amant homosexuel est mon maître et mon Dieu :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles, si on prête un peu l’oreille, on a l’occasion d’entendre que le verbe « aimer » est régulièrement remplacé par le verbe « adorer ». La relation d’homme à homme (ou de femme à femme) est souvent envisagée comme une relation d’Homme à Dieu : « J’aimais vraiment Alfred. Ce n’est pas assez dire que je l’aimais, je l’adorais. » (Marcel Proust en parlant d’Alfred Agostinelli, son amant qui se tua en avion, cité dans l’article « Chronologie » de Jean-Yves Tadié, dans la revue Magazine littéraire, n°350, Paris, janvier 1997, p. 22) ; « C’est une famille qui s’aime. Non. Qui ne s’aime pas ; qui s’adore. » (un amie de Francesca, parlant de la « famille recomposée » du couple lesbien Francesca-Olga + Florence l’enfant obtenue par PMA, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel diffuséesur la chaîne France 4 le 14 mai 2012) ; « Tout au fond de moi, je suis figée d’amour. Paralysée par l’adoration. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 45) ; « Ernestito tomba à genoux devant Nacho comme il aurait pu le faire devant un saint d’une religion inconnue. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 260) ; « Mon corps était devenu ton corps. Mais tu voulais encore et encore plus. Quoi, plus ? Je ne savais plus quoi te donner… Tu exigeais que je sois là pour toi, tout le temps. Je l’ai fait. Avec plaisir. Avec amour. Avec dévotion, je t’aimais. Je t’adorais. J’ai quitté les autres, ma vie, mon chemin dans Paris, mes projets, pour toi. » (Abdellah Taïa s’adressant à son « ex » Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe, 2008) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 
 

f) Mon amant homosexuel est un peu tout et rien à la fois :

La relation entre amants homosexuels est en général ludiquement/amoureusement indéfinie : « Adieu aux baisers de mon tonton, pardon, de mon parrain. » (Kamel en parlant à/de son amant Christian, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 164) ; « Manolo a toujours été mon père, mon frère, mon compagnon, mon mari, toute ma vie. » (Juan Rodríguez parlant de son copain décédé, Manolo, dans le documentaire « Católicos Gays » de l’émission Conexión Samanta sur la chaîne Play Cuatro, juin 2011) ; « Hubert fut mon ami, mon amant, le grand frère bienveillant qui m’a tant manqué lorsque j’étais enfant, et, qui sait ?, le père qui a disparu, qui sermonne et protège. » (Jean-Luc Romero, On m’a volé ma vérité (2001), p. 40) ; « Je pense à lui comme le grand frère qui m’a manqué, comme l’ami protecteur qui aurait pu m’aider. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel, à propos de son amant Philippe, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 254) ; « La recherche d’un ami, d’un héritier spirituel, d’un compagnon et amant choisi à la fois pour sa beauté, son talent et sa distinction l’obsède. » (Michel Larivière parlant de l’écrivain français Robert de Montesquiou, dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997), p. 252) ; « Les hommes que j’érotisais ressemblaient à mon père, à mon frère surtout. » (Justin, 34 ans, abusé dès l’âge de 4 ans par son père, son oncle, et son frère aîné, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 249) ; « J’ai fini par adopter les codes des garçons : marcher comme un mec, parler comme mon père et mes frères, regarder les filles comme mon père et mes frères les regardaient, me battre avec les copains comme un vrai mâle. » (une amie lesbienne, Stéphanie, 31 ans, en 2012) ; « Pierre est un compagnon. Et il est devenu un partenaire avec le PaCS. Et ensuite il sera mon mari. » (Bertrand dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Comment t’appeler ? Frère de sang ? Frère de lait ? Copain, ami, amour ? » (c.f. la chanson « Copain ami amour » de Dave) ; etc.

 

Au départ, ça a l’air « fort », ce lien amoureux qui s’étire à foison dans l’envolée lyrique (« Tu es mon Tout, mon Roi, ma Lune, mon Ciel étoilé… »), qui semble exprimer une profonde plénitude. En réalité, quand on regarde les faits et ce que vivent véritablement les amants homosexuels, on se rend compte qu’il existe une forme de compromis incestueux, d’arrangement qui ressemble à de l’amour parce qu’en apparence il contente les deux membres du couple, mais qui au final est une paix bancale : « Martine, qui cherchait désespérément la mère qui l’avait abandonnée à trois jours, m’avait rencontrée fort à propos. Sous cet angle, nous étions complémentaires, moi qui jouais le rôle de l’adulte sérieuse et responsable et elle qui était perpétuellement en quête de protection. » (Paula Dumont dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 231) ; « Je voudrais rapporter le cas, que j’ai pu observer récemment, d’un jeune homme, fiancé à une jeune femme de la façon la plus bourgeoise, et qui tombe amoureux d’un homme plus âgé que lui, qu’il prend de son propre aveu d’abord pour modèle, puis pour maître et enfin pour amant. Cet amant lui-même, bien que ‘purement homosexuel’, me racontera plus tard que, nullement attiré par mon malade au départ, il n’avait été intéressé que par la présence de sa fiancée et la situation triangulaire créée lors d’un dîner. Lorsque le malade, jaloux de son amant, abandonna pour lui sa fiancée, cet amant se désintéressa complètement de lui. Interrogé par moi sur les raisons de ce revirement, il me dit : ‘L’homosexualité, croyez-moi, c’est vouloir être ce que l’autre est.’ » (Jean-Michel Oughourlian cité dans l’essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) de René Girard, pp. 469-470) ; etc. En fait, ce n’est pas parce qu’il y a consentement mutuel pour s’exploiter l’un l’autre, ou pour jouer vis à vis de son partenaire un rôle qui ne nous revient pas mais qui anesthésie pour un temps les problèmes, que l’exploitation et la comédie disparaissent et cessent d’entretenir le couple homosexuel dans le mensonge identitaire. Bien au contraire ! La barque se charge petit à petit.

 

FRÈRE 6

Christopher Isherwood et Don Bachardy


 

Bien souvent, sans même qu’elle puisse en parler directement à son partenaire, la personne homosexuelle se demande quelle est sa place dans son couple, quel rôle elle joue, quelle importance elle a aux yeux de son « chéri ». Cela peut engendrer en elle un questionnement très obsédant (j’ai connu personnellement ces bouffées d’angoisse quand je me voyais infantilisé ou traité de « petit écureuil » ou de « Titi » par certains de mes ex-amants !), mais aussi très libérant si elle se pose les bonnes questions. Elle peut mesurer qu’en donnant différents masques inappropriés à son amant, elle est entrée dans une comédie amoureuse qui flatte deux narcissismes, mais qui ne permet à aucun des deux partenaires du couple homo de se sentir pleinement à sa place : « Bien élevé. Énarque. Suffisamment jeune. Suffisant riche. Suffisamment beau. Supérieur. C’est pour ça qu’avant j’avais choisi Quentin. Supérieur, il l’était dans tous les domaines, enfin c’était ce qui me semblait à l’époque. Il avait 26 ans, moi 23. Il était beau. Il savait ce qu’il y avait de meilleur. Il suffisait de le suivre. Le seul problème c’est que Quentin avait si peur des gens qu’il se sentait obligé de les détruire. Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Même en présence d’homosexuels. Je les considère comme des pères ou frères. Je dois coucher avec des hommes qui n’affrontent pas la vie. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, en revenant sur les fonctionnements complexes de leur couple, parle de ce décalage engendré par l’accumulation de rôles, et qui surcharge la structure conjugale homosexuelle sur la durée, au point de la rendre soit impossible et non-viable, soit hyper compliquée et lourde-dingue : « J’ai tenu comme j’ai pu. J’ai arrêté de travailler. Je suis devenu une petite femme. Ta conception de la femme. Je suis devenu Saâd, ton copain d’enfance. Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 117) Dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, Catherine est très ambiguë et torturée avec son amante Paula, alors que pourtant elle se veut d’une grande sincérité et d’une totale franchise. On a l’impression qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut. À la fois elle revient chroniquement vers Paula pour lui dire qu’elle l’aime d’amour (« C’est une forme d’amour, tu es de ma famille. », p. 167), mais elle refuse de lui appartenir et ne veut pas s’engager parce qu’elle ne se sent pas exactement amoureuse (« Ce que j’éprouve et éprouverai toujours pour toi, c’est de la tendresse », p. 184) Si elle fait un pas, c’est pour mieux reculer de trois pas ensuite. À quel jeu joue-t-elle ? Au fond, ce n’est pas tant qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, ni qu’elle serait vraiment compliquée par nature ; il y a chez elle comme un mécanisme vital de résistance à l’entreprise homosexuelle de travestissement de l’amour, un juste rejet du contrat préétabli de la félicité homosexuelle tendu par une personne en face qui la couve du regard et qui prétend l’aimer à condition qu’elle endosse la pile très pesante de masques qui ne lui vont pas : le masque de la sœur, de la bonne copine, de la mère de substitution, de la sœur, de la fille, de la maîtresse, de la déesse, de la star, de l’amie.

 

Cette indécision de l’amant homosexuel qui se dérobe, qui glisse des doigts comme un savon, et qui fait vivre les montagnes russes émotionnelles à son compagnon qui veut le faire rentrer dans son jeu de rôles incestueux/amoureux pour mieux le posséder, semble insupportable, égoïste, insensée. Mais au fond, elle vaut de l’or, car elle nous rappelle qu’on ne peut pas tricher longtemps en Amour, et que le désir homosexuel est un désir tellement « touche-à-tout d’Humanité » qu’il finit par ne plus toucher grand-chose ni grand monde.

 
 

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Code n°90 – Homosexuel homophobe (sous-code : Frère homophobe)

Homosexuel homophobe

Homosexuel homophobe

 

 

 

Vous pouvez retrouver un autre éclairage détaillé sur l’homosexualité homophobe dans mon essai Homosexualité sociale (décembre 2008), dans L’homophobie en vérité (septembre 2013), ainsi que dans l’un des articles les plus importants de ce site, intitulé Le Phil de l’Araignée « On n’a rien compris à l’homophobie…« . Et pour les plus pressés ou paresseux, reste ma conférence lyonnaise sur l’homophobie, qui a été plébiscitée par tous les gens présents.

 
 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Voici un scoop sur l’homosexualité qui, par les temps qui courent, fera certainement pousser des hauts cris du côté des militants homosexuels, mais que je vais essayer de vous expliquer ici : LE DÉSIR HOMOSEXUEL EST HOMOPHOBE. Je ne dis pas simplement qu’il provient de l’homophobie, ou qu’il attise l’homophobie. Je dis carrément qu’il EST, par nature, homophobe. Et que tant qu’on s’obstinera à ne pas percevoir cela, on se rendra compte que les attaques homophobes iront crescendo avec la soi-disant montée sociale de tolérance gay friendly.

 

Alors en guise de prélude pour vous expliquer dans quel obscurantisme et quel degré d’aveuglement sur l’homosexualité la communauté homosexuelle est tombée, je vais vous citer les 3 idées reçues qui reviennent le plus fréquemment lorsqu’on aborde le thème de l’homophobie homosexuelle, et sur lesquelles les personnes homosexuelles et bisexuelles butent, autant par mauvaise foi que par ignorance :

 

1 – « Le désir homosexuel est toujours positif, aimant, et en faveur de lui-même. »

2 – « Une fois qu’on a fait son coming out, qu’on s’assume en tant qu’homo, et qu’on est « bien casé« , on ne peut plus être homophobe. »

3 – « Il n’y a que les personnes hétéros, ou les personnes homos qui n’ont pas encore accepté leur homosexualité, qui peuvent être homophobes. » (il existe une version soft et plus hypocrite de la n°3, concoctée par ceux qui veulent bien reconnaître le phénomène de l’homophobie intériorisée mais pour mieux le minorer par rapport à la supposée homophobie hétérosexuelle : « Les hétéros homophobes sont quand même largement plus nombreux que les homos homophobes. »)

 

Ces trois idées reçues – qui sont pour moi d’une bêtise monumentale – ont la dent dure dans la communauté homosexuelle et dans notre société. En plus de ne pas se fonder sur la réalité, elles empêchent la grande majorité des personnes homosexuelles de comprendre vraiment les agressions homophobes, d’y remédier, et de reconnaître les fonctionnements violents et paradoxaux du désir homosexuel.

 

Le code « homosexuel homophobe » est l’un des plus importants de ce Dictionnaire des Codes homosexuels, car il renvoie à la nature profonde du désir homosexuel, et à la définition de l’homophobie : le désir homo est un élan idolâtre, à la fois pour et contre lui-même, qui traduit plus un manque ou une faiblesse du désir, qu’un désir plein, fort, positif, et ancré dans le Réel. C’est cette assise du désir homosexuel dans le monde du fantasme déréalisant bien plus que dans celui du Réel qui crée en la personne homosexuelle un écartèlement, une division, une schizophrénie, une haine inconsciente de soi, un tiraillement qui peut ressortir en homophobie : les sujets homosexuels en général s’adorent ou se détestent… mais en tout cas ne s’aiment pas. Et il s’avère que dans les fictions, comme parfois dans leur quotidien, cette haine de soi se traduit chez eux par une persécution de leurs pairs homosexuels : les anciens casseurs de pédé se disent homos quelques années plus tard (cette homophobie – la plus connue – s’appelle l’homosexualité latente refoulée, ou homophobie intériorisée), ou bien les « nouveaux pédés » (les born again), croyant s’assumer pleinement homos mais incapables de regarder en face la nature duelle semi amoureuse semi violente de leur désir homosexuel, redeviennent les persécuteurs « hors-milieu » et anti-homos qu’ils avaient été, notamment avec leurs amants successifs. Actuellement, c’est la thèse du refoulement/refus de l’homosexualité qui est communément admise en ce qui concerne l’homophobie. Mais plus complète et responsabilisante me semble celle de la justification aveugle du désir homo en tant qu’identité éternelle et en tant qu’amour.

 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Androgynie bouffon/tyran », « Liaisons dangereuses », « Hitler gay », « Milieu homosexuel infernal », « Violeur homosexuel », « Méchant pauvre », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Homosexuels psychorigides », « Défense du tyran », « Témoin silencieux d’un crime », « Poids des mots et des regards » et la partie « L’homo combatif face à l’homo lâche » dans le code « Faux révolutionnaires », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

1 – PETIT « CONDENSÉ »

Le désir homosexuel, étant par nature une force éloignée du Réel puisqu’il rejette la différence des sexes (l’un des principaux rocs de la Réalité, et de l’origine de la vie), a du mal à se soutenir lui-même, à fonder des identités pleines et des amours durables, à ne pas se retourner contre lui-même à un moment donné parce qu’il fait machine arrière par peur d’accéder à la vraie Différence. C’est sans doute pour cette raison que l’essayiste nord-américain David Halperin écrit que l’homosexualité masculine ou féminine est « à la fois une identité homophobe en tant que totalisante et normalisatrice, et une identité dont toute négation et tout refus ne sont pas moins homophobes », et que sa revendication est « nécessaire mais politiquement catastrophique » (cf. l’article « Sociologie » de Jean-Manuel de Queiroz, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 380) Le désir homosexuel est un désir idolâtre, à la fois pour et contre lui-même, qui se déteste en même temps qu’il cherche à se dire avec fierté, qui a du mal à s’incarner, qui exprime la haine de soi en même temps qu’un trop-plein d’orgueil. Mais l’orgueil n’est pas autre chose qu’une blessure d’amour. Oui, je l’écris noir sur blanc : la spécificité du désir homosexuel, c’est d’être homophobe, c’est-à-dire contre lui-même. D’ailleurs, le terme « homophobie » – qui signifie littéralement « la peur du même » – ne pouvait pas mieux le démontrer !

 

HOMOPHOBE 1

Pièce « Somewhere in the Pacific » de Neal Bell


 

La communauté homosexuelle traque l’homophobie sans même s’être interrogée sur son sens profond, sur l’effet-miroir haineux dont elle est le témoin. « L’homophobie exprime une inquiétude face à l’autre indiscernable, équivoque, et dont les pratiques sont un peu les miennes. » (Frédéric Martel, Le Rose et le noir (1996), p. 444) Elle n’est qu’une haine de soi se traduisant parfois par une agression opérée sur les Hommes reconnus comme jumeaux de fantasmes (parfois actualisés). C’est sûrement ce qui fait dire aux personnages homosexuels du film « Les Garçons de la bande » (1972) de William Friedkin : « Si seulement nous pouvions ne pas nous haïr autant… C’est ça notre drame. » C’est une réalité difficilement audible dans nos sociétés contemporaines, mais qui s’impose à nous dans les faits : toutes les personnes homophobes sont homosexuelles/bisexuelles, et les personnes homosexuelles, très souvent homophobes. Cela se vérifie fréquemment dans les œuvres de fiction – le personnage persécutant le ou les homosexuel(s) se trouve être au final homosexuel lui aussi –, et parfois dans les faits. « À 16 ans, je cassais la gueule aux pédés. À 20 ans, je couchais avec. » (Jacques Nolot dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) ; « J’ai besoin de discrétion. » (Michel, le psychopathe homosexuel tuant ses amants dès qu’ils commencent à trop s’attacher, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; etc. Par expérience, on découvre à maintes reprises que ceux qui traitent les personnes homosexuelles d’« obsédés, de malades, de pervers, de détraqués » (Sébastien, Ne deviens pas gay, tu finiras triste (1998), p. 60) sont à la fois homophobes et homosexuels. Il faut s’y faire au départ, mais une fois qu’on a compris cela, beaucoup de choses sur les mécanismes de la violence s’éclairent par la suite. Les individus homophobes sont finalement ceux qui reprochent aux personnes homosexuelles d’être homosexuels eux-mêmes. La personne homophobe et la personne homosexuelle se ressemblent dans la peur de leur ressemblance, et ne supportent pas de se renvoyer l’un à l’autre leur désir mutuel de mort. Les individus homophobes ont toujours d’excellents amis homosexuels, connaissent très bien le « milieu », disent ouvertement qu’ils ne sont pas homophobes/homosexuels, semblent trop au courant des pratiques homosexuelles et des blagues sur les pédés pour ne pas « en être ». L’Homme qui rejette l’homosexualité pour en faire une espèce humaine à part entière qui serait tout à fait lui ou pas du tout lui est le même qui, en croyant s’en débarrasser, l’intériorise.

 

Qui oblige les personnes homosexuelles à se cloîtrer dans la clandestinité ? Bien avant que ce soit « la société » qui les y ait contraints, c’est un mode de vie qu’elles ont elles-mêmes choisi. Qui pratiquent les sinistres outing ? Sûrement pas prioritairement « les hétéros homophobes ». Ceux qui outent les personnes homosexuelles sont les individus qui côtoient leurs bars, leurs réseaux Internet, leurs cercles amicaux ou amoureux, donc des personnes homosexuelles aussi. Qui critique le plus la visibilité homosexuelle à la télévision ou à la Gay Pride ? Qui empêche la communauté homosexuelle de se faire une place confortable dans la société et d’être forte ? Ses propres membres. « Comment y aurait-il un pouvoir gay ? Ils se détestent tous ! » ironise Frédéric Mitterrand (c. f. l’interview « Y a-t-il une Culture gay ? » dans la revue TÉLÉRAMA, n° 2893, le 22 juin 2005, p. 18). Ceux qui défendent la cause homosexuelle dans les media s’étonnent que les seules lettres d’insultes qu’ils reçoivent proviennent presque exclusivement de leurs frères communautaires : « Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’intolérance chez les homos. Ils se plaignent à longueur de journée de ne pas avoir tel ou tel droit et ils ne sont même pas unis entre eux.[…] Les seuls papiers méchants que j’ai eus dans la presse, c’était dans la presse gay. Quand je suis sorti de ‘La Ferme’, j’ai eu 10000 lettres de fans, et six lettres d’insultes qui venaient toutes de gays. » (Vincent McDoom dans le magazine Égéries, n° 1, décembre 2004/janvier 2005, pp. 52-55) ; « David Berger récolte des menaces de mort. Selon lui, ces dernières émanent principalement d’homosexuels. » (la du documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc.

 

Par exemple, dans les années 1920-30 en Allemagne, alors que Magnus Hirschfeld lance une pétition pour l’abolition de l’article 175, des tracts distribués devant son domicile accusait : « Dr Hirschfeld : un danger public ». Il sera attaqué par un autre militant homosexuel, Benedict Friedlander, pour avoir attiré la pitié sur les homosexuels au lieu de défendre leur dignité.
 

Actuellement, les gens ne voient dans la figure de la personne homophobe que l’individu gay frustré, honteux, « follophobe », tristounet, frigide. Ils oublient d’inclure dans le portrait toutes les personnes homosexuelles « assumées », extraverties, tout sourire, chantant le bonheur d’être gay ou lesbienne. Par exemple, certains sujets homosexuels se plaisent à imaginer qu’« il n’y a pas plus lesbophobe qu’une lesbienne qui s’ignore » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 15). Qu’ils se détrompent. Il y a tout aussi lesbophobe qu’une femme lesbienne refoulée : une femme lesbienne qui croit se connaître par cœur et qui, du fait de s’étiqueter éternellement lesbienne, refuse de reconnaître qu’elle puisse un jour devenir lesbophobe. On observe à bien des occasions des personnes homosexuelles, jouant en temps normal les grandes tapettes ou les militants de la première heure, se métamorphoser sans crier gare en brutes épaisses détestant leur communauté d’adoption. Bien des personnes homosexuelles, en disant qu’elles s’assument à 100% en tant qu’« homos », rejoignent dans l’extrême les personnes homophobes qui nient en bloc leur homosexualité, puisqu’elles aussi essentialisent le désir homosexuel, se caricaturent, se figent en objet, et donc refoulent qui elles sont profondément. S’il arrive exceptionnellement que certaines personnes homosexuelles reconnaissent que leur désir homosexuel est en partie homophobe, c’est pour mieux se donner l’illusion que depuis leur merveilleuse conversion à la « cause gay », elles s’assument pleinement en tant qu’homosexuelles et que la triste page de leur passé homophobe est déjà bel et bien tournée. S’avouer « ex-homophobe », cela revient pour elles à combattre l’homophobie et à montrer patte blanche. Mais derrière la personne homosexuelle et agressivement fière de l’être se cache souvent une personne (ex)homophobe convaincue, qui affirme haut et fort que l’homosexualité est quelque chose de monstrueux ou de génial : cela dépend des époques, du sens du vent, et des caprices de son désir homosexuel.

 

Encourager socialement l’homosexualité, cela revient à encourager l’homophobie. Le mécanisme paradoxal et homophobe du désir homosexuel est particulièrement bien expliqué par Frédéric Mitterrand dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), quand il raconte comment lui et tant d’autres personnes homosexuelles connues (Pier Paolo Pasolini, Ramón Novarro, etc.) en sont arrivés à être persécutés et même tués par des amants homosexuels avec qui ils avaient été trop maternels, trop homosexuellement aimants : « Les plus graves menaces surgissent quand on est trop gentil ; le garçon est troublé, il s’expose à éprouver de la sympathie, il ne peut plus mépriser commodément. Si sa nature est franchement mauvaise, il peut prendre peur, s’enrager et devenir incontrôlable avec des pulsions de meurtre pour se débarrasser du gêneur qui a bousculé son équilibre et ses habitudes. […] Des Pelosi la grenouille, j’en ai croisé pas mal dans des endroits glauques à Paris. […] Je sais que je ne suis pas le seul à être hanté par ce crime et par tout ce qu’il laisse supposer. » (pp. 163-164) En effet, l’attaque homophobe survient si l’on traite l’homosexualité avec trop de complaisance, si non seulement on reconnaît son désir homosexuel mais en plus on s’y adonne. Ce sont ces pages qui devraient circuler dans les établissements scolaires pour la lutte contre l’homophobie ! La véritable homophobie, ce n’est pas uniquement être trop méchant envers les individus homosexuels : c’est aussi être trop gentil, trop peu exigeant et vrai. C’est pourquoi une société gay friendly et relativiste constitue une menace pour la communauté homosexuelle, tout autant qu’une société explicitement homophobe. « Aux États-Unis, à mesure que les gais et les lesbiennes réussissent à faire valoir leur droits, le nombre de meurtres homophobes semble augmenter en proportion directe. » (Louis-Georges Tin, Homosexualités : Expression/Répression (2000), p. 9) Au lieu d’applaudir ou de cracher sur les personnes homosexuelles, de leur distribuer les bons et les mauvais points, si nous réfléchissions à ce qu’est véritablement le désir homosexuel ? Un désir bassement humain, ni complètement mauvais ni tout à fait banal, parce qu’il est le signe de drames et d’une blessure à soulager.

 

Nous aurons, je crois, fait le premier grand pas contre l’homophobie le jour où nous comprendrons que, plus l’homosexualité sera tolérée socialement en tant qu’identité éternelle/idéal d’amour d’une part, et en tant que négatif parfait de l’homophobie d’autre part, plus la vraie homophobie s’accentuera. Non seulement les individus dits « hétéros » ne veulent aucun mal aux personnes homosexuelles, mais en plus de cela, à force de vouloir leur bonheur, l’écrivent parfois à leur place en ignorant totalement ce qu’elles vivent. C’est peut-être là leur seule homophobie : l’ignorance et l’indifférence sous couvert de respect des différences.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

FICTION

a) L’homophobie avant-coming out : Le personnage homosexuel est en réalité homophobe parce qu’il refoule son désir homosexuel :


 

Les exemples d’homophobes homosexuels ne manquent pas à travers les fictions. C’est le cas dans le film « American Beauty » (2000) de Sam Mendes (avec le père de Ricky, assassin du héros Lester parce que celui-ci l’attire), le téléfilm « Madame le Proviseur : Jardin privé » (2000) de Sébastien Grall (avec un cas de outing), le film « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti (avec une laborieuse acceptation d’homosexualité de la part du héros), le film « Urbania » (2004) de Jon Shear (avec le personnage très ambigu de Dean), le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon (dans lequel le meurtrier homophobe est finalement homosexuel), le film « Les Loups de Kromer » (2003) de Will Gould (où le prêtre persécuteur dévoile au final sa queue de loup homo !), le film « Reflets dans un œil d’or » (1967) de John Huston (avec le Major Weldon, homosexuel très refoulé, qui finira par assassiner l’amant tant convoité), le film « En El Paraíso No Existe El Dolor » (1995) de Víctor Sacca, le film « Grande école » (2003) de Robert Salis (avec le personnage très ambigu de Louis-Arnault), le film « Antibodies » (2005) de Christian Alvart, le film « Merci… Dr Rey ! » (2001) d’Andrew Litvack, le film « Hôtel des Amériques » (1981) d’André Téchiné, le film « Like It is » (1998) de Paul Oremland (avec le personnage de Craig), le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela (avec Matiitas, l’homosexuel refoulé et assassin), la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas (où le gardien et le prisonnier jouent au chat et à la souris), le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló (où l’agresseur féminise Randy avant de lui pisser dessus), le film « Terminus paradis » (1998) de Lucian Pintilie, le film « Feux croisés » (1947) d’Edward Dmytryck, le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le docu-fiction « Dear Mister Gacy » (2011) de Svetozar Ristovski, le film « Rude » (1995) de Clément Virgo, le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (où criminalité et amour homosexuel s’unissent), le film « The Fan » (1981) d’Edward Bianchi, le film « De sang-froid » (1984) de Penelope Spheeris, le film « Contre-enquête » (1990) de Sidney Lumet, le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le film « Edmond » (2005) de Stuart Gordon, le film « Curse Of The Queerwolf » (1988) de Mark Pirro, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le film « Les Lunettes d’or » (1987) de Giuliano Montaldo (avec le prostitué profiteur), le film « Cercle vicieux » (2001) de Gary Wicks (avec le tapin homo tueur), le film « Dafydd » (1993) de Ceri Sherlock, le film « L’Immeuble Yacoubian » (2005) de Marwan Hamed (avec le prostitué tueur), le roman Dix petits phoques (2003) de Jean-Paul Tapie (avec l’adjuvant Diaz qui extermine les homos parce qu’il n’a pas pu les conquérir), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec Mary, la lesbienne homophobe), le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant (avec le personnage de Gregor), la chanson « J’ai tout aimé de toi » de Carmen Maria Vega, etc.

 

« Quoi qu’il y ait pu y avoir entre nous, c’est terminé ! » (Marie repoussant violemment son amante Ayla aux vestiaires de la piscine, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « Je suis pas un PD comme toi. Alors maintenant, tu ne m’approches plus. Si tu parles de ça, j’t’éclate la gueule ! T’as compris ou pas ? » (Selim menaçant son amant Victor, dans le téléfilm Fiertés de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018)
 

Par exemple, dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Kai, le héros homosexuel, n’arrive pas à faire son coming out à sa mère et à assumer son copain Richard (« Tu dormiras dans la chambre d’amis. On fera semblant d’être amis. »). Le secret qu’il entretient autour de son homosexualité est pointé du doigt comme le responsable de la mise en quarantaine de sa mère Junn en maison de retraite… alors qu’en réalité, c’est l’acte du couple homosexuel qui est responsable de l’isolement maternel. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’odieuse amante de Charlène, n’assume pas leur relation. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien raconte à Rémi (qui tombe amoureux de lui) qu’il a déjà connu dans son adolescence une ou deux expériences de touche-pipi avec un mec, « la bonne vieille amitié amoureuse », mais que ce mec a fini casseur de pédés, et que cette curieuse métamorphose l’a dissuadé de suivre jusqu’au bout le chemin de l’homosexualité : « C’est quand même vachement déstabilisant. » Rémi, qui n’arrive plus à dissimuler ses sentiments à Damien dont il se dit éperdument amoureux, continue à se dire « hétéro » : « J’t’arrête tout de suite. Je suis pas une tarlouze ! » À la fin, il persiste dans son discours d’ouverture/indéfinition bisexuelle homophobe : « Je ne suis même pas homo. Il y a deux ans, j’ai juste aimé follement l’homme de la vie de l’ancienne femme de la mienne. Depuis, tout est rentré dans l’ordre. »

 

Il arrive très souvent que les personnages homophobes soient présentés comme des homosexuels refoulés, haineux d’eux-mêmes depuis longtemps. « T’étais anti-gays au lycée. Même avec moi… » (Schmidt s’adressant à son meilleur ami Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Scrotes, pourquoi insistez-vous sur le fait que je me méprise moi-même ? » (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son amant, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Je ne suis pas comme toi. Ce baiser, c’était juste pour essayer. Je suis pas homo ! » (Louis s’adressant à son amant Nathan, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; etc. Par exemple, dans le film « Qui a envie d’être aimé ? » (2010) d’Anne Giafferi, les rappeurs qu’écoute Antoine sont définis comme « des mecs qui s’enculent et niquent leur mère ». Qui tue Sébastien à Cabeza de Lobo dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz ? Non pas « les hétéros », mais ses anciens amants homos. Mankiewicz n’est pas le seul auteur homosexuel à décrire le cercle des prétendants homosexuels comme des brigands. Dans sa chanson « Boomerang », Étienne Daho parle du « gang » de ses amants. Un gigolo tue son client dans le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing a appelé la police pour cambriolage : en réalité, il s’est fait voler par un jeune amant, Murray, dans son domicile. Dans le film « L’Appât » (1975) de Peter Patzak, l’homosexuel est assassiné par son prostitué. Le protagoniste homo du film « Le Quatrième homme » (1983) de Paul Verhoeven détrousse des hommes gays dont il sait qu’ils ne porteront pas plainte. Dans le film « Seul avec Claude » (1992) de Jean Beaudin, un tapin se livre à la police après avoir assassiné son amant. Dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory, le prostitué homophobe trahit le très homosexuel Vicomte Risley en l’attirant dans un guet-apens après l’avoir dragué. Dans le film « Minuit dans le jardin du bien et du mal » (1997) de Clint Eastwood, Jim Williams finit par assassiner un amant gigolo qui lui demandait toujours plus d’argent. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, les flics profitent de leur autorité pour arrêter des travelos pour que ces derniers les sucent ; et pendant tout le film, un serial killer se venge et tue les hommes avec lesquels il « baise » parce qu’il ne supporte pas d’éprouver pour eux du désir : « Tu m’as forcé à faire ça ! » Dans le film « 7e Ciel » (2013) de Guillaume Foirest, « Sofiane est homosexuel et homophobe, un jour racaille, un soir pédé, un peu perdu » (dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 56). Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, Frank le mari de Ruth l’héroïne lesbienne, particulièrement hostile à l’union de sa femme avec Idgie la sauvageonne, est paradoxalement décrit comme un homosexuel : « J’lui trouve l’air tapette. Il paraît que tous ces messieurs en Georgie sont du genre folles tordues. » (Grady) Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le « syndrome John Travolta » est le nom donné au pédé honteux qui ne s’assume pas. Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus identifie l’insulte « pédé ! » comme la preuve de l’homophobie : « ’Pédé’ ! C’est pas de la frustration sexuelle, ça ? » Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, réagit un peu de même : « J’ai jamais aimé ce mot ‘pédé’. C’est un peu moche, brutal, dur, carrément méprisant. Ça m’agresse. » Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Martin, le héros hétéro homophobe, qui met la pression à Simon et le fait chanter sur son homosexualité afin d’obtenir les faveurs d’Abby (une pote de Simon), a tout l’air de l’homosexuel refoulé : à un bal masqué, il se travestit en femme et porte une robe ; il propose à Simon de « rester dormir chez lui » ; plus tard, il feint de se couper un doigt avec une feuille ; et enfin, à l’issue du film, il déclare sa flamme à Simon pour le piéger : « Simon, c’est moi, je suis Blue [pseudonyme secret de l’amant que Simon attend]. Je t’aime. »

 

Souvent, les héros homosexuels ont des démêlés avec des prostitué(e)s qu’ils essaient de convertir à l’ « amour (homo) » : « Nous sommes des victimes désignées. Et nous avons affaire à de véritables professionnels. D’abord ils nous disent qu’ils ont 20 ans et puis, ils nous volent. Et alors seulement ils nous montrent leur carte d’identité. Et naturellement nous ne pouvons pas porter plainte qu’en prenant le risque d’être poursuivis et arrêtés pour incitation de mineurs à la débauche. » (Jean Desailly, homme riche dévalisé par un tapin dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville) ; « Si j’étais capable, je draguerais tous les soirs. […] C’est vraiment juste quand je drague que je me sens en vie. C’est effrayant comment je me sens quand je sors. Je suis vraiment fou. Je deviens électrisé. Sauf que moi c’est dangereux. J’ai un de mes amis qui s’est fait poignarder dans sa douche. […] Je me fais voler en permanence dans mon appartement. Les gars partent avec mes disques, mes bouteilles de vin, ma montre. » (Claude dans le film « Déclin de l’empire américain » (1985) de Denys Arcand) ; « Dire qu’il y a des folles qui ont peur de draguer dans la rue et se font voler ou massacrer par des gigolos qu’ils ont dragué dans les boîtes de nuit ! » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 44) ; « Elle me prit par le bras et m’entraîna dans un coin sombre, comme elle devait le faire pour décider le client quand il n’était pas sûr de lui. Elle ouvrit un peu mon manteau et chercha entre mes jambes ce qu’il n’y avait pas. Elle entreprit de me palper plus avant. Je me mis à la regarder bien en face. […] Elle m’attrapa le bras violemment. Terrorisée, j’eus l’énergie de m’enfuir, courant comme je le pouvais dans mon accoutrement, manquant de trébucher dix fois sur mon pantalon trop long… Je l’entendis qui disait quelque chose comme : ‘J’ai d’la moralité, moi !’ Puis, très clairement, le mot ‘ordure’ claqua dans la nuit. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne, face à une prostituée qu’elle a essayé de draguer, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 40-41) Par exemple, dans le téléfilm « Les Dix Petits Nègres » (2015) de Sarah Phelps, l’homosexualité est sous-jacente. William Blore, l’inspecteur, a violé dans une cellule de la prison de Dartmoor un prostitué homosexuel, James Stephen Landor, qui faisait le tapin dans les pissotières, et qu’il a fait condamner aux travaux forcés à perpétuité où il a fini ses jours : « Edward Landor était un pédéraste. Plutôt mourir que de m’approcher d’un de ces pervers ! »

 

Comment expliquer que l’agresseur homophobe soit en réalité homosexuel ? En général, c’est parce que le désir homosexuel n’est pas reconnu tel qu’il est que la pulsion homosexuelle refoulée par le personnage bisexuel ressort avec la rapidité et la violence d’un bouchon de champagne. Par exemple, dans le film « More Or Less » (2010) d’Alexander Antunes Siqueira, Ivo agresse constamment Sandro, un de ses camarades de classe, avant de lui avouer son trouble. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, le personnage estampillé « homophobe » et chargé d’être méchant avec le duo initialement amical Gabriel/Léo, est extrêmement ambigu, en réalité : il projette sur les deux garçons une homosexualité qu’il est le seul à ressentir ; il interprète leurs gestes amicaux innocents en drague suspecte ; il attend leur union (« Alors, Léonardo, tu as un nouveau copain ? ») parce qu’il est lui-même peu au clair avec sa sexualité (il est blond, a les cheveux longs, est un peu androgyne). Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, les agresseurs de Dany, le héros gay provocateur, l’identifient comme homo et lui proposent qu’il les suce comme il suce sa sucette. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, les héros homosexuels se font insulter de « Bent Bastards ! » par un des fils homophobes de Maureen… (« Qu’ils viennent ici ! Ils se régaleraient ! ») qui se révèlera à la fin très gay friendly. Et au début du film, avant de « s’assumer pleinement gay », Joe, lors de sa toute première Gay Pride londonienne, surenchérit les insultes homophobes d’une passante offusquée qui trouve la manifestation « répugnante ! »… et pour ne pas passer pour homo, il acquiesce : « Exactement ! ». Dans le film « Le Français » (2015) de Diastème, Marco se fait poignarder par un homme maghrébin avec qui il y a un échange de regards ambigu, limite amoureux, à l’entrée de la boîte où Marco, pourtant hétéro, est videur. C’est cette reconnaissance mutuelle implicite de jalousie et de faiblesse qui provoque l’incident. Dans l’épisode 86 « Le Mystère des pierres qui chantent » de la série Joséphine Ange-gardien, diffusée sur la chaîne TF1 le 23 octobre 2017, Chloé est la méchante qui accuse Louison d’être lesbienne et qui la fait chier sur ça, précisément parce qu’elle est potentiellement lesbienne elle aussi (« Ça, tu vas me le payer… » marmonne-t-elle). Lorsque elle invente une nouvelle preuve de lesbianisme à Louison quand elle voit celle-ci se rapprocher de son amie Chanelle, Chanelle dévoile le pot aux roses et sort à Chloé : « En fait, si tu fais ça, c’est que tu la kiffes ? ».

 

Un certain nombre de personnages homosexuels nient leur identité homosexuelle (en tant que désir existant ; je ne parle pas ici d’identité homosexuelle envisagée à tort par notre société comme « LA vérité ontologique fondamentale de l’individu qui ressent en lui un désir homosexuel ») : « Je ne suis pas homosexuel ! » (Louis, un des personnages homos de la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Ah non mais attends, j’suis pas gay ! » (Bernard, le personnage homo qui fera plus tard son coming out à sa meilleure amie Donatienne, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Je ne suis pas comme ça ! » (Miguel s’adressant à son amant Santiago dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León) ; « Mais non !! Je ne suis pas gay !! » (Jules, le héros homosexuel de la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Je te préviens. J’suis pas pédé… » (Laurent, le personnage homo du one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « C’était la première fois que je parlais de mon homosexualité et c’était pour la renier ! » (Ednar, le héros homo du roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 44) ; « Moi, j’ai horreur de ça ! » (le narrateur à propos de l’homosexualité de son auteur, dans la nouvelle « La Mort d’un phoque » (1983) de Copi, p. 18) ; « Y’a plein de bisexuels dans les séries TV. Sauf que j’en suis pas. » (Lennon le héros qui se révèlera bisexuel et homos à la fin de la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Je vous pisse à la raie, sale pédale ! » (Didier à Bernard, son futur amant, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Cyril et Sébastien Ceglia) ; « Je ne suis pas une sale pédale comme toi. » (Ugo à son ami-amant homosexuel, avant de lui révéler qu’il est lui-même un homo refoulé, dans le film « No Soy Como Tú » (2012) de Fernando Figueiras); etc. Dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio, le personnage d’Aurora a du mal à accepter ses attirances lesbiennes. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott joue les parfaits hétéros en disant qu’il ne baise avec les mecs que pour l’argent, par nécessité… même si cela se révèle être un mensonge. Le personnage qui rejette l’homosexualité est le même qui, en croyant s’en débarrasser, l’intériorise. Par exemple dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la maman de Ziggy offre à son fils l’intégrale de Tchaïkovski pour son anniversaire. Certes, Ziggy l’a revendu le lendemain au disquaire… mais il est resté enchaîné à ce qu’il a rejeté puisque Tchaïkovski était homosexuel et que Ziggy devient homosexuel à son tour en se choisissant un autre gourou tout aussi ambigu sexuellement : David Bowie. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Édouard, pourtant homosexuel, prend des positions très homophobes devant les caméras de télévision afin de s’acheter un électorat de droite et parfaire sa carrière politique (c’est la raison pour laquelle son petit ami, Georges, le quittera). Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, c’est juste après s’être embrassés que Seiger dit à son amant Marc : « Je suis pas gay. » et ce dernier, pour ne pas le contredire, lui rétorque par le même déni d’acte : « Bien sûr que non. » Plus tard, face à des témoins, Sieger bousculera Marc en pleine forêt, lieu où ils avaient pourtant tous les deux rendez-vous.

 

C’est au moment de découvrir leurs penchants homosexuels, et leur probable violence une fois qu’ils sont actualisés, que certains personnages agressent ceux qu’ils identifient comme de dangereux tentateurs : leurs pairs homosexuels. Par exemple, dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros homo fracasse le crâne du mec qu’il vient d’embrasser sur la bouche dans un vestiaire de douches : il finit par le tuer. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, par exemple, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Dan White, l’assassin d’Harvey, est un homosexuel refoulé. Le refoulement de l’homosexualité conduisant au fascisme est développé dans le roman Le Conformiste (1951) d’Alberto Moravia. Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, les hommes du village jouent les efféminés pour se moquer de l’homosexuel Abram. Et comme par hasard, le plus virulent et le plus homophobe de tous, c’est Georg, celui qui imite le mieux la tapette ! Dans la B.D. Pressions & Impressions (2007) de Didier Eberlé, le personnage homophobe de Martial, présenté pourtant comme un gros beauf masculin, est très ambigu : il est même plus efféminé que Romain, l’homo « officiel » ! Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, l’ambiguïté du personnage hétéro de Mike – qui provoque Johnny, le héros homosexuel, soi-disant gratuitement et méchamment, et qui finira par le poignarder – est dévoilée par Johnny lui-même : « Mike, tu es le plus gros pédé que j’ai jamais vu. »

 

Il arrive très souvent que le personnage homosexuel, avant de se dire homo et de vivre des amours homosexuelles, ait un passé homophobe chargé (et parfois un futur homophobe post-coming out non moins musclé !). Comme si l’origine de son homosexualité était l’homophobie. « Avec les pédés, j’peux pas. En même temps, faut que je fasse gaffe : y’a pas plus folles que les folles qui critiquent les folles. […] C’est drôle. À 16 ans, je cassais du pédé dans les parcs. À 20, je couchais avec. » (Jacques Nolot dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) ; « C’était un peu paradoxal – j’envisageais de révéler mon homosexualité à nos parents, et en même temps je mentais à toutes les filles que je rencontrais. » (Petra, l’héroïne lesbienne se travestissant en homme en boîte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 83) ; etc. Par exemple, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Raphaël s’est fait traiter de « tapette » par Benoît au collège… et à l’âge adulte, ce même Benoît fera pourtant son coming out, tombera amoureux du souffre-douleur qu’il avait jadis méprisé (et qui, avec le temps, est devenu un canon ! c’est fou, la vie, hein ?), et ils formeront un couple homo merveilleux et heureux. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Esteban, qui se dira homo plus tard, a jadis été forcé par ses camarades de collège à être homophobe envers Mourad : il l’a battu dans les vestiaires. On assiste exactement à la même scène, cette fois dans le film « Broderskab » (« Brotherhood », 2010) de Nicolo Donato, où Jimmy est chargé de frapper à mort son copain Lars pour prouver à son groupe néo-nazis que tous les deux ne sont pas amants (ce qu’il fera). Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, se fait maltraiter physiquement et verbalement par un camarade de classe, Terell, qui le féminise pour mieux se justifier de le redresser « comme un homme » : « Je suis pas pédé… mais je te niquerais bien. » Son attitude agressive en dit long sur cet adolescent aux dreadlocks le transformant en Steevie Wonder efféminé… Par ailleurs, Kevin, l’amant secret de Chiron, sous la pression de ses camarades et de Terell, se retrouve à donner des coups de poing à Chiron pour que leur liaison ne soit pas découverte. Dans le film « Homophobie » (2012) de Peter Enhancer, on assiste à la lente et surprenante métamorphose de l’homophobe en homosexuel : ce film prouve inconsciemment que l’homophobie, c’est l’homosexualité pratiquée.

 

 

Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Jonathan, l’un des personnages homos, raconte qu’il faisait partie de la bande de « casseurs de pédés » qui a tabassé un homme homosexuel de son village… alors qu’il se dira plus tard homosexuel ! « La petite frappe, c’est devenu moi… » avouera-t-il à son amant Frank qui, pour le coup, n’en revient pas que son homme soit un ex-homophobe : « Incroyable… T’as été un péquenaud haineux avant de devenir un Super-Pédé… » Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Zac a été « casseur du pédé » avant de devenir homosexuel. C’est exactement le même cas de figure avec le personnage de Joe Bill dans la pièce Inconcevable (2007) Jordan Beswick.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros, n’est pas venu en aide à un camarade de classe efféminé, Julien, qui comme lui était homosexuel, et qui a fini par se suicider parce que ses camarades le rejetaient : « C’était mon frère de cœur. Nous avions la même faiblesse – si c’en est une – mais je ne me reconnaissais pas en lui. Je l’avais toujours ignoré. Finalement, j’étais peut-être pire que ceux qui se moquaient de lui. » (p. 49) ; « Personne n’était là quand Julien en avait besoin, quand il était bien vivant, quand il désespérait. Personne pour l’écouter, pour le comprendre et lui tendre la main… alors, il est parti. » (p. 51) Un peu plus loin dans le roman, Kévin, le petit copain de Bryan, se fait attaquer par un gang de « casseurs de pédés ». Laurent, le garçon qui est à la tête de ce groupe homophobe, se montre particulièrement ambigu dans ses gestes d’agresseur, vu qu’il embrasse sa victime sur la bouche (p. 266). Kévin explique à son amant Bryan tous les paradoxes de Laurent : « On peut faire semblant, comme le gros connard qui m’a peloté dans le parc. Lui, tout en cassant du pédé, il mourrait d’envie de me baiser et peut-être même qu’encore aujourd’hui, il pense à moi en se masturbant ! » (p. 323) À la fin de l’histoire (désolé de vous la raconter, pour ceux qui voulaient lire ce navet romanesque), Laurent finit par assassiner Bryan. Kévin-et-la-Ferrari-rouge, inconsolable, comprend une nouvelle fois que l’assassinat homophobe n’est pas qu’une déclaration de haine gratuite et hétérosexuelle : « Bryan est mort pour rien, juste parce qu’un malade, qui bande pour moi et qui rêve de me sauter, voulait se débarrasser de lui. » (p. 457) ; et Laurent passe en effet aux aveux devant Kévin : « Je ne sais pas quand, ni où, mais je sais que je te baiserai. J’en fais la promesse sur la tombe de ton pote. T’es trop beau ! Je n’y suis pour rien si tu me fais bander ! » (p. 459)

 

HOMOPHOBE 2

Film « Broderskab » de Nicolo Donato


 

Dans le film « Broderskab » (« Brotherhood », 2010) de Nicolo Donato (dont j’ai parlé précédemment, et qui est un film magnifique), on observe d’abord une homophobie intériorisée chez l’un des deux membres du couple, Lars, qui a du mal à se faire à son identité homosexuelle ; et dans un second temps, ce même Lars subit un outing surprenant de la part d’un de ses compagnons politiques qui nourrit envers lui un mélange d’admiration amoureuse et de haine (tiens… la jalousie, c’est une bonne définition de l’homophobie !). Dans le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot, Lukas traite au départ François de « sale pédé ! », puis couche un peu plus tard avec lui en mettant ses penchants homosexuels sur le compte de l’alcool et de la camaraderie militaire… Il « s’assumera » homosexuel à la fin du film. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Louis tabasse Nathan dans les vestiaires de sport, pour se blanchir/désinculper auprès des autres camarades par rapport à son homosexualité. Dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, l’amour entre les deux adolescents Matthieu et Jan commence par une grande violence homophobe. À la fin du film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, César finit en couple avec Louis… qu’il avait au départ traité de « sale pédale ».

 
 

b) L’homophobie post-coming out : le personnage homosexuel est en réalité homophobe parce qu’il célèbre trop son désir homosexuel : 

En règle générale, et contre toute attente, les agressions fictionnelles homophobes ne viennent pas de l’extérieur, ni des personnages « hétéros ». Elles concernent les personnages soi-disant hétéros mais en réalité très bisexuels, et les personnages homosexuels entre eux, même s’ils sont les premiers à le regretter et à trouver cela absurde : « Un gay contre un gay, c’est malheureux… » (Harvey Milk, dans le film éponyme (2009) de Gus Van Sant) ; « On peut se demander si l’homophobie n’est pas créée par les homosexuels eux-mêmes ! » (le narrateur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Pourquoi tu me détestes ?? » (Thérèse, l’héroïne lesbienne s’adressant à l’ex-maîtresse Abby de son amante Carol, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; etc. Par exemple, lors de son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), l’humoriste homosexuel Samuel Laroque déverse toute sa haine sur ses frères homos : « Les hommes politiques, c’est un peu comme les homosexuels. Ça te fait gober tout et n’importe quoi. Et plus c’est gros, plus ça passe. […] Les homos, c’est pas de la tarte. Y’a pas plus intolérant qu’un homo dans le milieu. »

 

Plus on regarde des fictions traitant d’homosexualité, plus on découvre que l’homophobie n’est pas qu’une homosexualité refoulée. Elle est aussi et surtout une homosexualité en apparence fièrement assumée et pleinement active. C’est quand tout semble être en règle que le naturel violent du désir homosexuel revient au galop, cette fois de manière tout à fait incompréhensible. Comme pour tuer l’ennui. « Chaque gay doit avoir un motif d’en tuer un autre… » signale sournoisement Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand. Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Sidney, l’héroïne homo, oute tous les présentateurs-télé : c’est son jeu. Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, est prête à « outer » sa jeune voisine par jalousie (p. 50). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Romeo renie son amant Johnny en pleine fête en disant à sa girl friend Lonette qu’« il ne le connaît pas » ; il lui gueule même dessus : « Dégage ! » Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1), Shane, le héros homo, fait tout pour outer, ou plutôt forcer Amy et Karma à être homosexuelles comme lui : « Je suis tellement fier de mes petites ! » Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand avoue qu’en amour, il « recherche un gay pas gay ». Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, le jeune Elio, 17 ans, pourtant homosexuel et sortant en cachette avec Oliver, se moque ouvertement du couple d’amis gays français invité par ses parents à la maison, Mounir et Isaac, qu’il juge « ridicules ». Il les surnomme « Sony et Cher », et les méprise car il refoule son homosexualité.
 

Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Adam maltraite, insulte, rackette et violente Éric, le gay de son lycée, et qui deviendra son futur amant : « Ferme ta petite gueule, Trompette en l’air. » ; « Fais gaffe où tu vas, pédé. » (c.f. épisode 1 de la saison 1) ; « Comment ça va aujourd’hui, p’tite tapette ? » (Adam s’adressant à un camarade blond, dans l’épisode 2 de la saison 1) ; « Tu veux quoi, Adam ? » (Éric) « J’vais te tuer, connard. » (Adam, dans l’épisode 7 de la saison 1). Au moment où ils se donnent leur premier baiser et couchent ensemble (c.f. épisode 8 de la saison 1), juste avant, ils se battent dans la salle de musique, se plaquent violemment contre le sol, se crachent dessus (« Alors, ça te plaît ? » demande Adam). Comme c’est romantique… Et même après être sortis ensemble, Adam continue de le menacer de mort : « Si jamais t’en parles à qui que ce soit, je te jure que je te tue. »

 

Certains héros homosexuels, après avoir posé leur premier geste homosexuel, se rétractent et le renient. Par exemple, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, juste après avoir volé un baiser à son futur amant Marc, Engel n’assume pas : « C’était une blague. » Plus tard, quand ils se mettent en couple, Marc, l’homme marié, refuse sa situation, ce qui fait réagir Engel : « T’es homo, Marc, assume ! » Marc lui répond : « Je suis pas homo ! » et il lui fout un pain. Il finira par le renier. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Gabriel ment à Léo quand il lui dit qu’il ne se souvient de rien à la fête où pourtant il lui a donné leur premier baiser : ce désaveu montre qu’il n’assume pas du tout son acte homo. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, comme Howard ne supporte pas de tomber amoureux de Peter, il lui fout un coup de poing dans la figure. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Jean traite son futur amant Henri d’« enculé ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adrian est l’homosexuel pratiquant qui a identifié l’homosexualité latente du père Adam, et qui le fait chanter. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Arnaud s’insurge contre Benjamin et le traite de tous les noms : « Encore un truc de pédale ! » ; « Connard, va ! Trou de balle ! » ; « Tapette ! » ; etc. Benjamin ne se montre pas plus doux : « L’enfant de catin ! » Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, avant de sortir « durablement » ensemble, Carole rejette les avances de Delphine, en ne se déclarant pas lesbienne : « J’ai des copines lesbiennes. Je ne le suis pas, c’est tout. » Delphine lui répond « Moi non plus », et juste après, elles s’embrassent à pleine bouche.

 

Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, toutes les héroïnes lesbiennes se réfugient derrière l’excuse de la bisexualité ou bien dans le déni pour devenir homophobe. Zoé trahit sa meilleure amie Clara, alors que c’était elle qui à la base l’avait poussé à être lesbienne et avait éveillé en elle un désir homo : « J’t’aime plus, Clara. J’ai fait l’amour avec Sébastien. À cause de toi, j’ai failli faire une croix sur les garçons. C’est toi qui as un problème avec les mecs. Pas moi. » Ensuite, Clara met du temps à assumer qu’elle a couché avec Sonia (et encore… elle a du mal à dire qu’elle en est amoureuse) : « J’suis pas une lesbienne ! Deux filles entre elles, j’vois pas l’intérêt. » Une fois qu’elle sort avec Sonia, elle la renie devant les autres : « Elle me saoule. Elle n’arrête pas de me coller… »

 

Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, à Moscou, Anton et Vlad, un jeune couple homosexuel est par hasard le témoin passif d’une agression de rue. Plus tard, ils apprendront que la victime a succombé aux coups et qu’il s’agissait d’un crime homophobe. Leur enquête pour retrouver la trace du meurtrier les renvoie peu à peu aux sphères de drague internet homosexuelles : « Les rendez-vous entre gays sur internet, c’est toujours un peu craignos. » (Katya) Pire : elle les renvoie à eux-mêmes. En effet, Vlad n’a pas secouru Nikolay, le jeune gay qui se faisait tabasser à mort, quand il passait en voiture devant lui. Audrey, le tueur homophobe, et ami d’Anton, comme une voix d’outre-tombe, joue sur cette culpabilité et complicité homosexuelles : « Il faut au moins un mentor et un disciple pour réussir une quête. » ; « Pourquoi ne pas être sorti de la voiture ce jour-là ? » (idem). Anton finit par succomber à cette voix et par croire qu’en effet, la complicité de son amant Vlad vaut meurtre : « Tu as tué un homme, Vlad ! Tu as tué un homme ! » Vlad lui fout un poing dans la gueule et le quitte définitivement, blessé de cette semi-vérité, de la révélation de son homophobie homosexuelle.
 

Le plus contradictoire (et comique), c’est déjà quand les personnages homosexuels s’insultent de tous les noms d’oiseaux que l’homophobie ait créés, alors qu’ils forment pourtant à eux deux un couple qui prouve qu’ils sont aussi homo l’un que l’autre et qu’ils n’en a pas un pour rattraper l’autre ! : « On n’est pas des pédés ! » (Fred à son amant Max, dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « On n’est pas des tapettes ! » (Yoann, le héros homosexuel hyper efféminé, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Connard, enculé, salope, connasse ! » (Emmanuel, du haut de l’immeuble, à son amant Omar qu’il a violé, dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré) ; « Pète-toi la gueule ! Tafiole ! » (Claude, le héros homo insultant un patineur artistique à la télé, dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « C’est une folle ridicule. » (la voix narrative parlant du Rouquin, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 109) ; « Quand est-ce que tu auras fini de me poursuivre, sale pédale ? » (Pietro à Copi, son ex-amant, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 57) ; « On se dit partout connasse ! On se déteste, on s’insulte de sale peste ! » (cf. la chanson « L’Amour ça va » du groupe Mauvais Genre) ; « Tu ne te trouves pas un peu ridicule, connasse de travelo ? » (Luc insultant Micheline, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Ta gueule, espèce de connasse de travelo de merde ! » (Luc à Micheline, idem) ; « C’est toi, le spectacle sordide ; tu es le seul spectacle sordide ici. » (Jean à Micheline, idem) ; « On n’est pas des pédés ! » (Sébastien, le héros homosexuel, en conclusion de la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim) ; « Il faut toujours que les uns traitent à tort et à travers les autres de pédés, alors qu’ils se livrent peu ou prou aux mêmes activités. » (cf. la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, Le Mariage de Bertrand, p. 84) ; « Pas de ça chez moi ! Je te rends ton baiser ! » (Nathalie s’adressant à Tatiana dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « Toi et moi on sait repérer les mecs bien. Pas comme toutes ces folles qui cherchent à baiser. » (Romain, le compagnon d’Alexis, s’adressant à Laurent qui sort en secret avec Alexis, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « Une folle qui danse, c’est moche. » (Todd, l’homosexuel viril, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; « Je ne supporte pas les pédés. » (Adrien, le héros homosexuel efféminé, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc. Dans la pièce Comme Ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David et Philibert se traitent mutuellement d’« enculé ! » et de « pédé ! ». Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella, l’héroïne lesbienne, traite Prentice de « Sissy » parce qu’il fait des mouvements de danse sur la plage.

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, tous les personnages homosexuels jouent les grandes folles décomplexées de pratiquer leur homosexualité, mais sont odieux entre eux : Michael veut pousser Alan au outing et dans les bras de Justin ; Alan est follophobe, frappe Emory et l’insulte de « Pédale ! » (« Je n’aime pas sa façon de parler, ça me tape sur les nerfs. ») ; Harold humilie son coloc Michael, et ce dernier organise une fête où il règlera ses comptes avec tous ses « amis » : « Je me sens si mal. J’en ai assez de vivre et j’ai peur de mourir. Si on pouvait ne pas tant se haïr. C’est tout. Si on essayait de ne pas tant nous détester. » conclut-il.

 

Il est également très fréquent que le personnage homosexuel dise ouvertement son aversion pour la communauté homo et pour ses semblables homosexuels : « La pensée de devenir involontairement comme eux… me faisait peur, me rendait malade et en colère. » (William Windom à propos des homosexuels, dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Il est important que vous le sachiez : je ne suis pas ‘un homo comme ils disent’. Si je reconnais beaucoup de mes frères et sœurs dans le personnage de la chanson de Charles Aznavour – mal dans sa peau, minable, pathétique –, moi, personnellement, je ne m’y reconnais pas. » (Dominique dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 25) ; « Moi ce qui me gêne, c’est les pédés. Y en a trop. » (Willie, lui-même homosexuel, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 96) ; « Elles me font chier, toutes ces folles. » (François, précisément la plus « grande folle » du roman Riches, cruels et fardés(2002) d’Hervé Claude, p. 112) ; « J’aime pas les mecs qui traînent dans les bars à pédé. » (JP dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 5 « Oublier Paris ») ; « Nicolas se désintéresse de la femme, mais ne s’intéresse guère au ‘gay’. Sa curiosité s’applique exclusivement aux jeunes mâles ‘normaux’. […] Il voit trop de femme dans l’homosexuel. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), pp. 21-22) ; « Le milieu, c’est pas mon style ! » (Benoît dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « J’aime pas les pédés ! » (Lou dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ah, race de femmes maudites, vous êtes toutes des putes ignorant tout de la bite ! » (Ahmed à des lesbiennes dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’aurais envie de les tuer, mais il vaut mieux que je ne perde pas mes pédales. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 130) ; « Maintenant, finies les tantes ! On en a plein le dos ! » (les protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Qu’est-ce qu’elles peuvent être niaises dans les bras les unes des autres ! » (Cy Jung, Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005), p. 164) ; « Je veux un mari, 2 enfants, une maison et un chien. Pas être une salope comme les autres ! » (Paul, le héros homo parlant de ses amis homos en couple, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Nous ne serons plus jamais gay. » (la troupe de chanteurs homos de la comédie musicale Adam et Steve, idem) ; « Il n’y a pas pire que d’être gay. » (Eddie, homosexuel, idem) ; « En gros, c’est des crétins comme les autres. » (Glenn, le héros homo parlant des autres homos, dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Je le trouve beau, jeune, fort. Après un moment, il se rhabille, je l’imite. Je lui demande son prénom, il répond ‘H.’ et j’ajoute ‘Tu vois, ce qui est important, c’est de vivre chaque instant. Peu importe quoi, peu importe avec qui.’ Puis il dit ‘Adieu’ et il s’en va sans se retourner. Je hurle le plus fort possible ‘Connard, gros connard, sale pédé de merde, va crever. » (Mike, le narrateur homo, en parlant de « H. » qu’il rencontre à la gare du Nord, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 61) ; « Y’en a marre des déhanchés sur Lady Gaga et Mylène Farmer. » (François, le héros homosexuel, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; etc. Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Brockett, le meilleur ami homosexuel de l’héroïne lesbienne Stephen, reproche à celle-ci son homophobie : « Vous fuyez vos semblables comme s’ils étaient des démons ! » (p. 451) Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Guy a tué l’amant (Herbert) de l’amant (Fabien) de son amant (Hugues), par « amour ». Dans sa chanson « Normal », Eddy de Pretto traite son amant d’« assassin » qui le rejettent parce que porteur du VIH.

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, les héros homosexuels se détruisent entre eux : les amants Nathan et Jonas se conduisent à la mort, et Jonas abandonne son ami aux mains d’un prédateur homo rencontré en sortie de boîte, et qui lui-même décriait l’inhumanité du milieu homo : « Une fois que tu seras là-dedans, tu verras à quel point c’est triste et moche. ». Avant d’être assassiné par ce client, Nathan se plaignait que lui et Jonas n’aient pas pu rentrer dans le club gay The Boys parce qu’ils étaient mineurs, et donnait des coups de pied contre la porte de la discothèque, en insultant le videur : « Putain ! Quel enculé, ce mec ! T’as vu comment il m’a parlé ! » Dix-huit ans plus tard, Jonas enchaîne les plans cul sur les sites de rencontres, et se rend chez un internaute qui ne correspond pas à sa photo de profil sur Grindr : ce dernier pense que, sur un malentendu, le « plan cul » pourra quand même passer… mais il révèle néanmoins les revers de son mensonge : « Y’en a plein qui ont voulu me casser la gueule. »
 

Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, il n’y a aucune solidarité fraternelle entre personnages homosexuels. Anwar et Éric, qui sont pourtant les deux gays officiellement connus de leur lycée, se tirent dans les pattes : « Toi, t’as l’air d’être un clown de chantier. » (Anwar, dans l’épisode 6 de la sainson 1). Éric, au moment où il pète un câble et file son premier coup de poing « viril » à quelqu’un, jette son dévolu sur Anwar et s’en prend aveuglément à lui… ce qui étonne ce dernier : « Frapper le seul autre gay ici… bien joué, Éric ! Maintenant, ma mère pense que t’es un sale homophobe. J’suis toujours pas ton pote. » (c. f. épisode 6).
 

Dans son spectacle Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007), Madame H. décrit l’homophobie comme un virus… et demande ensuite – comme elle est bien inspirée ! – à la salle entière, remplie de personnes homosexuelles, de se taper dessus les unes les autres ! Dans la pièce Se Dice De Mí en Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Alba, la femme lesbienne, rejette son fils Roberto parce qu’il est homo. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, il y a une kyrielle de personnages homosexuels homophobes : par exemple, un homo est violé dans une tournante par des bad boys, qu’il définit comme par hasard comme ses « jumeaux » ; par ailleurs, la chanson « Je hais les gays » de ce même spectacle ouvre les festivités (elle est interprétée par les quatre comédiens-chanteurs qui virent leur cuti au fur et à mesure de l’intrigue). Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Pédé se fait attaquer par Fifi et Mimi, les deux clochards travestis, et traiter de « pouffiasse », d’« hystérique ». Dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, « des travestis cubains et pro-lesbiens s’attaquent à une boîte homosexuelle à Pigalle, et aux homos dans les backroom » (p. 90). Ce genre d’assauts homophobes, commandités par les personnages homosexuels eux-mêmes sont apparemment monnaie courante : « Une guerre tribale, comme d’habitude. » (idem, p. 91) L’écrivain Essobal Lenoir, dans sa nouvelle « Kleptophile » (2010), croque les clones du Marais en portraiturant leurs « déhanchements de dindes et gloussements d’oies », comme s’il se décrivait lui-même ou détruisait ses propres fantasmes : « Toutes ces folles à franges se faisaient monter au rayon j’ai vingt ans, bien qu’elles en eussent au moins le double chacune » (p. 77) Dans le film « Une Femme, un jour… » (1974) de Leonard Keigel, Caroline assène qu’elle est « normale » par rapport aux autres femmes lesbiennes. Dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier passe son temps à se faire passer pour un homo supérieur aux autres homos de son entourage, même s’il prétend être un « homo ordinaire ». Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Jonathan ne veut pas être catalogué « homo du Marais », alors qu’il en a pourtant tous les travers (« Surtout, ne jamais aimer Mylène ! »). Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Glenn et Russell méprisent les « éternels bars gays »… genre « on ne mange pas de ce pain-là ! »… alors qu’ils se sont rencontrés précisément dans un bar gay ! C’est toute la production artistique homosexuelle qui appelle à la haine du « milieu homosexuel ». C’est fou, non ?

 
 

c) L’homophobie prend parfois le visage de la tolérance gay friendly, voire homosexuelle :

Mais c’est également la tolérance gay friendly et l’acceptation sans borne de l’homosexualité qui sont les vecteurs de l’homophobie ordinaire. Par exemple, on entend ce genre d’injonctions apparemment paradoxales (mais en réalité très logiques !) énoncées par des personnages bisexuels qui se targuent d’être des « hétéros ouverts » : « Les homophobes, ça devrait pas exister. C’est comme les pédés. » (le personnage de l’hétérosexuelle dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011) de Karine Dubernet) ; « J’aime pas trop les pédés, même si je suis du genre tolérant. » (Claudio dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 58) ; « Pourtant, vraiment, les mecs, ce n’est pas mon truc… » (idem, p. 60) ; « On n’est pas homophobes ! Sales pédés ! » (les Virilius – dont certains sont homosexuels refoulés et pratiquants – dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc. Certains héros homosexuels, conscients de leur « ancienne » homophobie, expriment un piteux mea culpa : « Peut-être que j’étais jaloux. Tu l’assumes depuis que t’as 16 ans. » (Simon, le héros homo, s’excusant auprès d’Eytan, un camarade affiché « gay » depuis bien plus longtemps que lui dans leur lycée, et se justifiant de ne pas avoir été plus tôt solidaire avec lui, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti)

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, une « pote » d’Adèle, pro-gay et indifférente à la pratique homosexuelle, insulte pourtant sa copine de « sale goudou » et s’imagine en train de se faire mater/tripoter salement par elle. Adèle rentre dans son jeu et dément qu’elle est lesbienne devant ses camarades : « Puisque je vous dis que je ne suis pas lesbienne ! Dans le one-man-show Thomas joue ses perruques (2023) de Thomas Poitevin, le frère beauf friendly (donc finalement homophobe) fait un discours en l’honneur du « mariage » de son frère gay Valentin qui officialise son union avec Nicolas. Poitevin croque le manque de finesse des gays friendly caricaturant ceux qu’ils prétendent honorer. »

 

Pire. L’homophobie homosexuelle arbore le masque du militantisme LGBT (pro-mariage-gay, pro-PMA, pro-GPA). Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal, le héros homosexuel, est outé et forcé par le couple homo de ses deux « pères » à trouver absolument « mari ». Dans la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, l’homophobie est présentée comme une mode d’un passé révolu, donc vue comme une irréalité : « Hey, Adam, je sais pas si t’es au courant mais l’homophobie, ça fait vraiment 2008. C’est super ringard. » (Anwar, homo, s’adressant à un autre gay, dans l’épisode 1 de la saison 1).
 

C’est la pratique homosexuelle – hors et dans le « milieu » – qui provoque indirectement l’agression homophobe par la violence et le rejet de la différence des sexes qu’elle induit. Par exemple, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, c’est après que Charlotte et Mélodie se soient embrassées dans un bar qui provoque chez un des clients du bar une grosse bagarre. Cette coïncidence (ou effet-miroir) laisse Michel, l’amant officiel de Charlotte et l’amant officieux de Mélodie, songeur : « Qu’est-ce que vous lui avez fait pour qu’il soit aussi agressif comme ça ? »
 

Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, c’est un festival d’homophobie homosexuelle. Par exemple, Cédric se fait traiter de « connard » et d’« enculé » par son propre « mari » Bertrand… Et les membres de l’association sportive gay de water-polo Les Crevettes pailletées dont il fait partie passent leur temps à se tirer dans les pattes, même s’ils ont décidé de partir ensemble aux Gays Games. Leur voyage est compromis par leur mésentente : « J’ai pas quitté ma famille pour me faire insulter par mes amis ! » (Cédric) ; « Si vous ne vous supportez plus, on n’est pas obligés d’y aller ! » (Jean, le capitaine de l’équipe). Certains, tels que Joël, font preuve de transphobie et de la lesbophobie : « On va commencer à prendre des trans ?!? Pourquoi pas des gouines tant qu’on y est ?!? On n’est pas l’Arche de Noé ! » Il s’en prend notamment à Fred, le trans M to F : « T’as pas ta place ici ! » On apprendra plus tard que sa transphobie remonte à son passé pendant lequel une personne trans lui a piqué sa place à la trésorerie d’une association. Fred se venge en traitant Joël de vieux croûton : « Une vieille en moins ! » Ils se réconcilient in extremis.
 
 

d) Le frère (de sang) du personnage homosexuel se montre particulièrement homophobe :

Qui mieux que la figure récurrente du frère homophobe dans les fictions homos pouvait prouver que l’homophobie n’est qu’un effet-miroir d’un seul et même désir : le désir homosexuel ? On retrouve ce frère homophobe dans la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick (avec le personnage de Cindy, la catho tradi aux idées très arrêtées), le film « Embrasser les tigres » (2004) de Teddi Lussi Modeste, le film « Du même sang » (2004) d’Arnault Labaronne (avec le frère « casseur de pédés »), le film « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve (avec le grand frère qui fait une crise de jalousie parce que son frère homo Vincent serait le préféré des parents), le film « Un Amour à taire » (2005) de Christian Faure (avec Régis, le frère collabo qui trahit son frère), le film « Le Clan » (2003) de Gaël Morel, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée (avec les frères particulièrement intolérants de Zac), le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana (avec Guillermo le frère de Rafaelito), le film « Lola et Bilidikid » (1998) de Kutlug Ataman, le film « Dernière sortie pour Brooklyn » (1989) d’Uli Edel, le film « Pervola » (1985) d’Orlow Seunke, la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (avec Viviane, la sœur très bourgeoise et très homophobe de Jean), la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec la sœur homophobe de Tania), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent (Antoine, le frère « hétéro » de Quentin, son jumeau gay, devient carrément son maquereau), le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec Bastiano, le frère homophobe de Pietrino), la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce (avec Alex, le frère homophobe de Philippe l’homosexuel), le film « Circumstance » (2011) de Maryam Keshavarz (avec Mehtan, le frère homophobe de l’héroïne lesbienne Ati), etc. Par exemple, dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, Ed, le frère de Sieger le héros homosexuel, est un hétéro qui traite son petit frère de « pédé » quand ce dernier est avec de simples amis.

 

HOMOPHOBE 3

Film « Un amour à taire » de Christian Faure


 

Chez le personnage dont le frère est homo, l’acceptation précipitée de l’homosexualité de son frangin gay, si acceptation il y a, n’est parfois que l’expression d’une homophobie inversée, c’est-à-dire une confirmation/affirmation de l’étiquette du macho hétérosexuel qu’il s’attribue pour se rassurer qu’il n’est pas « homo comme son frère » : « Quand, à 26 ans, j’avais enfin annoncé à mes parents que j’étais gay, Irwin avait accueilli la nouvelle avec flegme tel qu’il m’a fallu un bail pour comprendre ce qu’il ressentait, c’était principalement du soulagement. Pour lui, ma sortie du placard signifiait qu’il n’était plus la honte de la famille ; il pouvait s’occuper de faire des mômes et de vendre des baraques, de redevenir le mec. » (Michael à propos de son frère Irwin, dans le roman-feuilleton Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 90) ; « Ça t’intéresse de savoir si mon frère est gay ? » (Martin, l’hétéro homophobe, qui fait chanter Simon sur son homosexualité, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Martin) ; etc.

 

C’est parfois le frère gay friendly qui est capable d’une belle démonstration d’homophobie. « T’as tourné le dos au monde. T’es qu’un pédé égoïste ! » (Ayrton s’adressant à son grand frère homo Donato, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « À cause de ta différence, on m’a toujours traitée comme une paria dans cette famille. » (la sœur hétéro de Jérémie, le héros homo qui avoue finalement son hétérosexualité, dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare) ; « Son frère est venu me menacer de me casser la gueule si je publiais ces horreurs. » (Guillaume, journaliste homosexuel, à propos de l’homosexualité de son ami Gérard, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Quand je pense qu’ado, t’étais mon idole ! » (Daniel s’adressant à son frère Louise, désormais trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Lydia, c’est la soeur de Rick. Elle l’a dégayïsé. Depuis, Rick est devenu son cobaye. » (Jane, patiente lesbienne parlant des deux directeurs du centre de thérapies de conversion de l’homosexualité, dans le film « Come as you are » (2014) de Desiree Akhavan) ; etc. Par exemple, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle, la sœur du héros homosexuel William, fait des leçons à Georges, le copain de William sur le fait qu’il n’assumerait pas son couple avec William parce qu’il ne délaisse pas son statut bancal d’homme marié bisexuel. Elle et son frère le maltraitent verbalement et physiquement : « Tu te fous de moi ! Ça fait cinq ans que tu m’abreuves de mensonges ! Marre ! Marre ! Marre ! Marre d’être englouti dans ta double vie ! » (William) Les homosexuels assumés (ou leurs défenseurs gays friendly) font le procès des hommes bourgeois bisexuels, donc de leurs amants secrets. Dans le film « Les Tuche » (2011) d’Olivier Baroux, Donald suspecte son grand-frère Wilfried de le maltraiter simplement à cause du « refoulement de sa propre homosexualité » : Wilfried demande à Donald d’« arrêter de parler comme un p’tit pédé »… parce qu’en réalité, il complexe d’être moins brillant intellectuellement que lui. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Moti, Juif orthodoxe, et frère homophobe d’Anat (femme mariée à Oren, homme qui a eu une liaison secrète avec l’Allemand Tomas avant de décéder tragiquementdans un accident de voiture) gifle Tomas et l’oblige à quitter Israël pour retourner à Berlin, dès qu’il découvre le lien amoureux entre Oren (son beau-frère) et Tomas.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) L’homophobie avant-coming out : Beaucoup de personnes homosexuelles deviennent homophobes parce qu’elles refoulent leur désir homosexuel

N.B. : Voir également le code « Liaisons dangereuses » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La haine de soi – il serait peut-être temps qu’on s’en rende compte (… rien qu’en voyant l’origine étymologique du mot « homophobie ») – est l’un des piliers du désir homosexuel. Si on est trop « ennemi de soi-même, comment aimer les autres ? » reconnaît justement Étienne Daho dans sa chanson « Retour à toi ». En parlant des individus homosexuels dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre Winter a ces mots un peu secs mais finalement très justes : « Les uns et les autres sont divisés par ce qu’on appelle une ‘haine de soi’. L’homosexuel est clivé intérieurement entre un homosexuel et un détracteur de l’homosexualité. » (p. 196) Au commencement de l’homophobie, il y a un désir et un orgueil blessé, une peur qui s’appelle l’homosexualité : « Pendant de longs jours, j’eus l’impression d’être guéri : la vision ignoble de ce garçon, que je croyais viril, les images de cet homme singeant la femme en présence d’un autre homme tout aussi efféminé, tout cela endormait en moi toute velléité de recommencer. Toutes mes aventures, je les avais eues ou menées sous le signe de cette domination : en un mot, je ne m’étais jamais vu moi-même. Sensible et féminin, désirant d’impossibles caresses, j’eus alors la révélation que l’on n’est pas fait pour cela ; je sus qu’il y avait, en cet individu, quelque chose de détruit, comme en moi-même. Une sorte de timidité sexuelle faisait de nous ‘les invertis’, des monstres, des malades. Ainsi, il m’arrivait parfois de ne pas croire à ma propre homosexualité. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 110) ; « C’était un garçon charmant, affectueux, mais sa discrétion excessive m’agaçait, et pour cause ; c’était un Antillais ‘pures sucres’. Rarement dans la journée nous sortions ensemble. Il avait toujours cette crainte de tomber sur une connaissance et de devoir se justifier. Le plus embêtant était que ce garçon n’avait jamais l’esprit tranquille par rapport à cette homosexualité qui le perturbait.[…] À la longue, je ne supportais plus ses jérémiades ; malgré tous mes efforts, je finis par lâcher prise. En vivant si mal son homosexualité, Hugo se mettait de fait dans la catégorie des homosexuels limite homophobes. En effet, il n’est pas rare de rencontrer ce genre de personne dans la communauté ; c’est même fréquent aux Antilles. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 177-178) ; « Vous vous aimez si peu que ça ? » (un des psys s’adressant à Guillaume, le héros bisexuel, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Comment être un autre si on n’essaie pas d’être soi-même ? » (Gabriel et Nicolas, les deux potes gays du film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Je les considère comme des pères ou frères. Pas comme des hommes avec qui je dois coucher. Je trouve qu’un homme sent mauvais et c’est crade. J’aime pas qu’un homme me regarde, qu’il soit hétéro et encore moins homo. J’ai l’impression qu’ils ressentent quelque chose en moi, ou ils me projettent mon propre miroir et ça me répugne encore plus. […] J’ai rêvé que je me faisais violer par des hommes et au final ils m’avaient tué. […] Je me reconnais dans beaucoup de points que tu cites comme par exemple sur les agressions homosexuelles qui sont commises par des homos refoulés. Et c’est vrai que pour mon cas, non pas que j’aie eu fait des agressions ni physiques ni verbales, loin de là, mais dès que je croise des hommes qui ont un regard empli d’attention à mon égard, ça me fout la rage. Sûrement, le fait de voir son propre miroir ne fait pas plaisir à voir. Mais c’est idem pour les lesbiennes. Ça m’énerve encore plus car j’ai l’impression qu’elles me rejettent dans mon intégrité en tant qu’individu. Je me dis qu’elles sont heureuses sans nous, et qu’elles se font du bien entre elles alors que moi je voudrais aussi en faire partie. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Himmler a aussi été un des persécuteurs les plus assidus des homosexuels allemands. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 253) ; « Je suis arrivée au pensionnat à l’âge de 14 ans. J’étais très naïve. Et je me suis retrouvée très tôt face à ces problèmes. Et j’ai été choquée. Il ne se passait que ça autour de moi, et je ne voulais pas le voir. Et j’en étais choquée. Depuis la surveillante qui couchait avec la surintendante, jusqu’aux élèves qui partageaient ma chambre, il n’y avait que ça autour de moi. J’étais la seule à ne pas être informée et à ne pas trouver que c’était épouvantable. Je me suis d’autant plus braquée que je sentais confusément en moi une attirance. Mais je voulais absolument la nier. » (Germaine, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Il arrive très souvent que la personne homosexuelle, avant de se dire homo et de vivre des amours homosexuels, ait un passé homophobe chargé (et parfois un futur homophobe post-coming out non moins musclé !). « En prépa, je me souviens, j’avais une amie qui m’avait fait des déclarations amoureuses et je l’avais envoyée chier violemment. » (Catherine, femme lesbienne de 32 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 57) ; « En fait, si une fille pouvait provoquer chez moi quelque chose qui n’était pas nommable à l’époque, j’avais tendance à l’agresser. » (Élodie, femme lesbienne de 46 ans, idem, p. 60) ; « Je lui répétais sans arrêt que l’homosexualité était quelque chose de dégoûtant, de ‘carrément dégueulasse’, qui pouvait mener à la damnation, à l’enfer ou à la maladie.» (Eddy Bellegueule, homosexuel, parlant de son petit frère Rudy qu’il veut transformer en « hétérosexuel », dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 53) ; « Avec deux ou trois élèves de ma classe, nous nous moquions d’un garçon du lycée que nous jugions efféminé et que nous traitions de ‘tapette’. En l’insultant, je m’insultais moi-même, par ricochet, et le plus triste, c’est que je le savais confusément. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 203) ; « J’entendais dans la cour de récréation les élèves se traiter de ‘pédé’. C’était une insulte, pour moi. Une simple insulte, rien de plus, que j’utilisais à mon tour sans penser à mal, pour être comme les autres. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 16) ; « Je me tenais à l’écart de tout ce qui se rapprochait plus ou moins de l’homosexualité. » (Eddy Bellegueule, homosexuel, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 147) ; « J’avais échoué, avec Sabrina, dans la lutte entre ma volonté de devenir un dur et cette volonté du corps qui me poussait vers les hommes, c’est-à-dire contre ma famille, contre le village tout entier. Pourtant je ne voulais pas abandonner et continuais à me répéter cette phrase, obsédante, ‘Aujourd’hui je serai un dur’. Mon échec avec Sabrina me poussait à accentuer mes efforts. Je prenais garde à rendre ma voix plus grave, toujours plus grave. Je m’empêchais d’agiter les mains lorsque je parlais, les glissant dans mes proches pour les immobiliser. Après cette nuit qui m’avait révélé plus que jamais l’impossibilité pour moi de m’émouvoir pour un corps féminin, je me suis intéressé plus sérieusement au football que je ne l’avais fait auparavant. Je le regardais à la télévision et apprenais par cœur le nom des joueurs de l’équipe de France. Je regardais le catch aussi, comme mes frères et mon père. J’affirmais toujours plus ma haine des homosexuels pour mettre à distance les soupçons. Je devais être en classe de troisième, peu avant la fin du collège. Il y avait un autre garçon, plus efféminé encore que moi, qui était surnommé ‘la Tanche’. Je le haïssais de ne pas partager ma souffrance, de ne pas chercher à la partager, ne pas essayer d’entrer en contact avec moi. Se mêlait pourtant à cette haine un sentiment de proximité, d’avoir enfin près de moi quelqu’un qui me ressemblait. Je le regardais d’un œil fasciné et plusieurs fois j’avais essayé de l’approcher (uniquement lorsqu’il était seul à la bibliothèque, car il ne fallait pas que je sois vu en train de lui parler). Il restait distant. Un jour qu’il faisait du bruit dans le couloir où une foule assez importante d’élèves était amassée, j’ai crié ‘Ferme ta gueule pédale’. Tous les élèves ont ri. Tout le monde l’a regardé et m’a regardé. J’avais réussi, l’instant de cette injure dans le couloir, à déplacer la honte sur lui. » (idem, p. 195-196) ; etc. Dans son autobiographie Libre (2011), Jean-Michel Dunand raconte comment il a renié son homosexualité face à un garçon avec qui il avait eu une aventure (« Je te préviens, je ne suis pas du tout homo. C’est juste une expérience. », p. 38), ou bien l’épisode inverse durant lequel Yann, l’un de ses amants, après leur première nuit ensemble, s’est défilé en présentant la même excuse homophobe pour se désengager au plus vite (« D’abord, je ne suis même pas sûr d’être vraiment homo. » idem, p. 85)

 

HOMOPHOBE 4

Film « La Chatte à 2 têtes » de Jacques Nolot


 

Dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule raconte toute l’ambivalence séductrice de ses deux bourreaux du collège (un grand roux et un petit) : « Regarde, c’est Bellegueule, la pédale. » (p. 20) Et le pire, c’est que lui, par homophobie intériorisée, rentre dans leur jeu ! « Ils sont revenus. Ils appréciaient la quiétude du lieu où ils étaient assurés de me trouver sans prendre le risque d’être surpris par la surveillante. Ils m’y attendaient chaque jour. Chaque jour je revenais, comme un rendez-vous que nous aurions fixé, un contrat silencieux. […] Uniquement cette idée : ici, personne ne nous verrait, personne ne saurait. […] Dans le couloir, je les entendais s’approcher, comme les chiens qui peuvent reconnaître les pas de leur maître parmi mille autres, à des distances à peine imaginables pour un être humain. » (Eddy Bellegueule parlant de ses deux agresseurs au collège, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 38)

 

Il est grand temps que nous le reconnaissions. L’agresseur n° 1 des personnes homosexuels n’est pas le « méchant non-homosexuel » mais bien l’homme à la sexualité ambiguë/incertaine, le macho qui joue les « hétéros » pour mieux masquer son homosexualité latente, sa bisexualité violente, cette bisexualité qui s’exprimera à l’occasion par une brutalité envers sa femme/les femmes et envers ses amants homosexuels occasionnels, ou dans des rapports fortement liés au cadre violent de la prostitution et du jeu collectif cruel de la « chasse aux pédés » : « Au grand dam de ma propre expérience, j’étais souvent désagréablement surpris qu’à l’unanimité, ces trop ‘Posés’, idéalisés et en même temps si ressemblants, qui parlaient de tare congénitale et de détournement, condamnaient cette pratique et refusaient de voir cette autre image de la sexualité pourtant si révélatrice de leur personnalité. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 61) ; « Si véritablement je n’étais pas leur star, à coup sûr, je devins par la suite une célébrité parmi eux [les garçons]. Ma féminité les rendait impulsifs les uns les autres. Ils m’aimaient, me parlaient avec douceur en me caressant la nuque ou le dos, comme il était permis ici pour démontrer une certaine affection. » (idem, p. 58) ; « Ce qui est arrivé, oublie-le. Je ne tiens pas à ce que cela se sache et encore moins à ce que tu le prennes comme la naissance d’un amour véritable. Vous êtes ‘toutes’ les mêmes. » (un ex-amant parlant à Berthrand Nguyen Matoko, idem, p. 72) ; « La violence traduit la peur d’être séduit. » (Rennie Yotova, Écrire le viol (2007), p. 111) ; « Quand je vois un beau gars qui me plaît dans la rue, il faut que je change de trottoir. Je connais trop ma sensibilité. » (un témoin homo refoulé, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 198) ; « Bruno, malgré un discours carrément homophobe, a vraisemblablement davantage de relations homosexuelles que de relations hétérosexuelles. Il en va de même pour Éric, qui se prostitue exclusivement avec des hommes ; quoiqu’il s’affirme plus volontiers hétérosexuel qu’homosexuel, il n’a presque jamais eu de rapports hétérosexuels. » (idem, p. 241) ; « Dans leur ambivalence, certains semblent ‘jouer avec le feu’ : ils sont à la fois attirés et dégoûtés par l’homosexualité. Une grande anxiété mais aussi une curiosité certaine en amènent plusieurs à entretenir à la fois des préoccupations homosexuelles et homophobes. Le cas de Bruno, 25 ans, est à ce titre éloquent. Il dit détester les homosexuels mais hésite, au cours de promenades nocturnes, entre deux possibilités : les pourchasser ou les inviter à faire l’amour avec lui… » (idem, p. 198) François, 17 ans, sympathisant des skinheads, et abusé dans son enfance, participe activement à des expéditions de « tabassage de tapettes » dans le village gay de Montréal : « J’ai de la misère avec les homos. L’an passé, avec des amis, on allait dans le quartier gay à Montréal, le soir. J’en attirais un dans une ruelle en lui parlant puis, avec les chums [chum = ‘mec’ en Québec] qui m’attendaient cachés, on lui faisait les poches, on lui râpait la face sur l’asphalte si on pouvait. C’était comme une vengeance. […] Finalement c’est à des gars comme mon père que j’en veux, pas aux homosexuels. Je fais la différence aujourd’hui entre les hypocrites qui abusent et les homos. » (idem, p. 171) ; « Il n’est pas nécessaire, pour expliquer l’attitude ambivalente à l’égard du rival, d’invoquer une homosexualité latente ou refoulée. Le rival détourne vers lui une bonne partie de l’attention que le sujet, en bonne hétérosexualité, devrait réserver à l’objet ; cette attention est forcément ‘ambivalente’ puisqu’à l’exaspération suscitée par l’obstacle se mêle l’admiration et même l’exaspération que suscite les prouesses du don juan. » (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), p. 474) ; etc.

 

Les agresseurs homophobes se font souvent passer pour des homos pour satisfaire leurs appétits sexuels sans en assumer la responsabilité, comme le montrent certains articles. « Le grand point faible de l’homosexualité, c’est sa lâcheté : surpris en flagrant délit ‘d’outrage aux mœurs dans un lieu dit public’, le pédéraste ne peut chercher aucun secours chez son partenaire de rencontre ; il est seul. Personne n’est jamais homosexuel… sauf celui qui se fait pincer. Une ignoble loi de la jungle régit notre existence et nous vivons dans la perpétuelle attente de la catastrophe. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 103) ; « Le violoniste virtuose Paul Körner est victime de chantage de la part du prostitué Franz Bollek. Körner refusant de continuer à payer toujours plus d’argent au maître-chanteur, Bollek le dénonce pour infraction à l’article 175. Au cours du procès qui s’ensuit, le docteur Magnus Hirschfeld, qui joue son propre rôle, prononce un ardent plaidoyer contre l’intolérance et la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Bollek est condamné pour extorsion de fonds. Körner, qui est pourtant victime de chantage, est lui aussi condamné, mais pour avoir enfreint l’article 175. Sa réputation est ruinée, il ne supporte pas l’opprobre public et finit par se suicider. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) ; « Pour le poète René Crevel, Magnus Hirschfeld est un ‘abominable charlatan’, un ‘Moloch qui dévore chaque jour au moins un hermaphrodite ou un travesti’. De fait, Crevel n’était pas le seul homosexuel à détester Hirschfeld, on le verra. » (idem, p. 113) ; etc.

 

À titre d’exemples d’homophobie homosexuelle entre amants, Costas Taktsis, l’écrivain grec, est assassiné (étranglé) le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. L’agresseur du chanteur espagnol Miguel de Molina n’est autre qu’un homme homosexuel lui aussi (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 56). Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, est tué par un prostitué, étranglé par un câble. Álvaro Retana, le romancier espagnol, est assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est assassiné dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été tué par Pino Pelosi, un jeune homme homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. L’homme politique Harvey Milk est assassiné par Dan White en 1978 à San Francisco : l’orientation sexuelle du tueur, si l’on s’en tient à l’adaptation cinématographique de Gus Van Sant, semble plus que trouble. Le directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings, est retrouvé nu et décédé à 53 ans sur son lit de chambre d’hôtel à New-York en 2012 : il y avait fait de drôles d’expériences avec deux jeunes prostitués. Le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans. Le 12 juin 2016, Omar Mateen, l’auteur de la fusillade la plus meurtrière des États-Unis dans la boîte gay The Pulse à Orlando, en tirant sur 49 personnes, s’est révélé être homosexuel refoulé et client régulier de l’établissement.

 

Personnellement, j’ai rencontré à Angers, l’année 2002, un homme de cinquante ans, Jacques, à l’association homosexuelle Tonic’s. Quand je lui ai parlé en tête à tête au cours d’un dîner associatif, il avait l’air d’être assez torturé, d’avoir des pratiques aux antipodes de ses idéaux profonds. Si je devais résumer, l’impression que Jacques m’a laissée est celle d’un dragueur désespéré. J’ai appris quelques années plus tard qu’il avait été retrouvé mort étranglé dans son appartement. Tout de suite mes amis homos de l’époque m’ont raconté les faits et ont conclu au meurtre HOMOPHOBE perpétré par un terrible psychopathe hétéro qui s’attaquerait à tous les homosexuels de cette belle ville d’Angers (Qui sera le prochain sur la liste du « méchant Homophobe » ? Sûrement). Le fin mot de l’histoire n’intéressa pas grand monde (à part moi…). En effet, la police a découvert qu’il s’agissait d’un règlement de compte entre amants, et que Jacques avait demandé à son amant homo de passage de le soulager définitivement d’une existence trop lourde à porter. Affaire classée. Pas qu’homophobe : homosexuelle surtout !

 

Beaucoup d’hommes et de femmes homosexuels décrivent le visage homosexuel de leur agresseur homophobe : « Le pire ennemi est la folle exhubérante. » (la voix-off du film « Ce n’est pas l’homosexualité qui est perverse » (1971) de Rosa Von Prauheim) ; « J’ai moi-même été plusieurs fois la victime d’agressions. » (Denis Daniel à propos de ses amants, dans Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 119) ; « La vie de cet intellectuel [Pasolini] qui ne se sentait bien qu’avec la canaille était fascinante et, on le comprendrait quelques années plus tard, assez effrayante. » (Jean-Claude Brialy dans Le Ruisseau des singes (2000), p. 144) ; « Ce qui, pour moi, reste un mystère absolu, c’est pourquoi ces garçons, malgré leur haine féroce pour les homos, voulaient avoir des relations sexuelles avec un gay comme moi. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 81) ; « J’ai travaillé pendant 4 ans avec une ‘bande de loubards’, tels qu’ils se définissaient eux-mêmes, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Fréquemment, ils allaient ‘casser du pédé’ au square des Batignolles. En repensant à eux, à leurs discours, aux descriptions qu’ils aimaient faire, s’intégrant à leur mode de provocation par rapport à l’adulte, à l’éduc, je reconnais volontiers ma cécité. La bande : une cinquantaine de jeunes de 14 à 30 ans, bardés de chaînes, de croix gammées pour certains, de blousons de cuir, vivaient une homosexualité latente. […] Sans vouloir en rien énoncer que ces hommes provoquaient le viol parce que homosexuels, le viol d’hommes est peut-être localisé autour des sphères homosexuelles. » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin (1988), pp. 183-184)

 

Dans son témoignage sur un viol collectif survenu contre un homme homosexuel par une bande de jeunes, Carlos López décrit leur homosexualité latente (Carlos López, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 115). En avril 1993, deux hommes sont arrêtés (l’un de 60 ans, Félix P.R., l’autre de 50 ans, Gregorio C.M.) parce qu’ils se faisaient passer pour des policiers au cinéma Carretas de Madrid afin de forcer des clients à coucher avec eux (Fernando Maldonado, dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 142). Pendant la Seconde Guerre mondiale, un prisonnier homosexuel raconte que ses deux compagnons de cellule de camp de concentration, qui maltraitaient la « pédale » qu’il était parce qu’ils se disaient « hétéros », étaient finalement homosexuels : « De ce qu’ils racontaient, je pus déduire qu’ils étaient tous deux mariés, mais j’ai découvert dès la première nuit qu’ils se faisaient des choses sans se cacher. D’après ce qu’ils pensaient, c’était un moyen de remplacement et pas une histoire de pédés ! » (un témoin cité dans l’ouvrage Les Hommes au triangle rose (1981) de Hans Heger) Le 12 octobre 1998 aux États-Unis, Aaron McKinney et Russell Henderson, les assassins de Matthew Shepard prétendument « hétéros », le soir du meurtre, dans les toilettes du bar Fireside, se sont faits passer pour un « couple gay » auprès de Matthew, avant de l’embarquer dans leur camionnette pour le draguer et le torturer ; après leur procès, on découvre l’homosexualité refoulée de Aaron en prison (l’un de ses compagnons de cellule, Andrew, le laissera sous-entendre : « Pourquoi t’as enculé cette putain de tante ? Parce que tu vas devenir une putain de tante aussi… »).

 

Le crime homophobe est toujours l’aveu d’un trouble sexuel mal géré. « Je me fis traiter de ‘sacré makoumè ( = pédé) par beaucoup de personnes, même par les jeunes de mon âge, qui, la veille encore, m’avaient sollicité pour un plan masturbation à un coin de plage. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 69) Par exemple, à Oxnard, en Californie, le 12 février 2008, le jeune Brandon McInerney (14 ans), trouvant que Lawrence King (15 ans) flirtait trop ouvertement avec lui, l’a tué de deux balles dans la tête devant tous leurs camarades de classe.

 

L’orientation bisexuelle ou homosexuelle n’est quasiment jamais dévoilée par l’agresseur : « La plupart des agresseurs auraient tendance à se définir comme hétérosexuels exclusifs et s’avèreraient, de surcroît, homophobes » (Michel Dorais, Ça arrive aussi aux garçons (1997), p. 108), ce qui conduit la victime à désigner naïvement son violeur homophobe comme « 100 % hétérosexuel » (alors qu’à mon avis, si l’agresseur a une orientation sexuelle, il a les trois en même temps : homosexuelle, hétérosexuelle, et bisexuelle !) et à se croire elle-même parfois d’orientation homosexuelle, du fait de son statut de victime passive : « La plupart des agresseurs sont décrits par leurs victimes comme étant ou s’affirmant d’orientation hétérosexuelle, quelquefois bisexuelle, très rarement homosexuelle. » (idem, p. 73) Encore une fois, la majorité des personnes homosexuelles se voilent la face sur la nature homophobe du désir homosexuel, et sur le caractère homosexuel de l’agression homophobe.

 

Dans mon cas personnel, et dans le cadre de ma pratique professionnelle de prof d’espagnol au lycée, j’ai constaté que les seules attaques homophobes que j’ai connues ne sont venues que des garçons les plus efféminés ou des filles les plus garçonnes, ou bien à l’extrême-inverse, des élèves qui forçaient trop leur hétérosexualité et leur identité masculine pour en être totalement sûrs (ils n’avaient d’ailleurs aucun succès avec les filles…).

 
 

b) L’homophobie post-coming out : Beaucoup de personnes homosexuelles sont en réalité homophobes parce qu’elles célèbrent trop leur désir homosexuel

N.B. : Je vous renvoie également aux code « Milieu homosexuel infernal » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Actuellement, l’homophobie est souvent caricaturée par les personnes homosexuelles comme un refoulement, un refus de ne pas s’accepter soi-même et de ne pas passer à l’acte homo (« La pire des homophobies, c’est l’homophobie intériorisée. » déclarera par exemple Sébastien Carpentier, lors de sa conférence au Centre LGBT de Paris à l’occasion de la sortie de son essai sociologique Délinquance juvénile et discrimination sexuelle, en janvier 2012)… alors qu’en réalité, l’homophobie est aussi le passage à la pratique homo, est aussi la caricature du coming out ! Car qui, par l’identité et la pratique homosexuelle, rejette la différence des sexes (dont nous sommes tous issus) finit toujours par se rejeter lui-même dès qu’il se croit « un homo » ou qu’il pose un acte homo. C’est totalement logique ! L’homophobie bien homosexuelle est le résultat de l’éjection (jalouse) de la différence des sexes, y compris entre personnes homosexuelles : « Hans Blüher manifeste du dégoût pour Magnus Hirschfeld – dégoût représentatif de l’attitude du camp homosexuel masculin pour celui des ‘efféminés’, dans lequel il range le célèbre docteur et son comité humanitaire. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 137)

 

En tout individu homosexuel, même après son coming out, même en couple « stable », il y a des vieux réflexes d’homophobie qui reviennent au galop : « Encore aujourd’hui, à 24 ans, Alexandre n’arrive pas à dire aux autres qu’il est homosexuel. Pourtant, à 24 ans, c’est un homosexuel qui est ouvert, qui le dit, qui assume déjà bien. » (le père d’Alexandre, encore étonné de la persistance de l’homophobie de son fils homo, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; « Je n’oublierai jamais l’horreur indicible qui glaça la lymphe de mes glandes quand le mot honteux jaillit dans mon esprit torturé : j’étais un homosexuel.’ Parce qu’on est tous plus ou moins passés par là, les tourments de William Burroughs relèvent de l’universel. » (cf. la citation de Burroughs commentée par un journaliste de la revue Têtu, n°127, novembre 2007, p. 104) ; « Je ne vais pas vous faire le coup du coming out, ce serait presque banal et dénué d’intérêt. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 14) ; « Est-ce que je suis homo ou hétéro ? Je me vois comme hétéro ; l’homosexualité, ce n’est pas pour moi. Je suis certain que ça vient des abus. » (Bruno, un garçon bisexuel de 25 ans, cité dans Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Pour s’intégrer à la meute, on rajoute une couche d’homophobie à l’homophobie. » (un témoin homosexuel breton avouant qu’il dissimule son homosexualité au travail, dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) ; etc. Le cinéaste homosexuel britannique Terence Davies considère l’homosexualité comme une « exécrable malédiction » (cf. l’interview dans le journal The Guardian, 6 octobre 2000). On voit bien, à travers de tels témoignages, qu’il ne suffit pas de se dire « homosexuel » pour bien le vivre. C’est bien parce que le désir homosexuel est intrinsèquement homophobe que Didier Éribon dit que le coming out est une démarche souvent ratée et à refaire éternellement : pas pour une autre raison (même si le sociologue soutiendra à l’inverse que c’est à cause de l’imbattable homophobie sociale que ce travail de Sisyphe est sans fin). Cette homophobie intériorisée peut d’ailleurs prendre le visage de l’auto-parodie, comme c’est le cas dans cette vidéo, où ses concepteurs jouent à imiter les homophobes (… de leur propre camp).

 

Les exemples de haine homophobe des personnes homosexuelles déclarées fusent. Par exemple, André Gide ne tolère que les hommes pédérastes, pas les personnes homosexuelles efféminées qu’il juge « anormales ». Jean Genet « n’aime pas les homosexuels » (Edmund White concernant Jean Genet, cité dans Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 29). Dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, Simon, comme la majorité des personnes homosexuelles, « se sent très différent des homosexuels » (p. 89). Dans le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober, Pierre Louÿs, pourtant homosexuel, dit être « dégoûté de l’homosexualité ». La lesbophobie des hommes gay est assez répandue. Mais celle des femmes lesbiennes entre elles est tout aussi marquée (cf. le film « Sex Revelations » (1996) de Jane Anderson). Violette Leduc, Marguerite Yourcenar, ou Cathy Bernheim, se sont même demandées si elles ne détestaient pas seulement les femmes mais aussi les femmes lesbiennes. Virginia Woolf, par exemple, refuse d’être assimilée aux « saphistes » et aux hommes efféminés qui s’affichent.

 

Cela choquera certains que je le dise, mais c’est pourtant vrai. Le premier acte d’homophobie intériorisée, c’est déjà le suicide opéré au nom de l’homosexualité/l’homophobie. Par exemple, le militant gay Alfredo Ormando, en 1998, s’est immolé lui-même par le feu sur la place saint Pierre au Vatican pour protester contre l’homophobie. Son acte a-t-il été reconnu comme un acte homophobe ? Pas du tout, puisqu’il est enrobé d’intentions pro-gay, d’émotionnel catastrophiste, et qu’il est dirigé contre sa propre personne. Notre époque a tout simplement du mal à envisager qu’on puisse être son pire ennemi… Autre exemple d’homophobie homosexuelle par le suicide : celui de Sébastien Nouchet, qui, on l’a appris plus tard, n’a pas été la victime de l’acte homophobe odieux qu’on croyait, mais qui s’est en réalité incendié lui-même à l’essence dans son jardin le 16 janvier 2004 (cette affaire avait défrayé la chronique et ému l’opinion publique juste au moment des Gay Pride françaises).

 

Magnus Hirschfeld prétendra en 1914 que 300 de ses patients, soit 3% des 10 000 individus homosexuels qu’il a reçus, se sont donné la mort. Pour les seules années 1906-1907, on comptait six suicides parmi les homosexuels officiers de l’armée allemande, dont l’existence avait été dévastée par les réclamations de maîtres-chanteurs.
 

L’homophobie homosexuel prend parfois le visage sournois de la victimisation. En effet, la logique victimiaire peut pousser certaines personnes homosexuelles à rechercher l’homophobie pour « exister », ou bien à créer et à répéter pour elle-même ce qu’elles n’attribuent qu’aux autres (« Choquant ? Pour les homophobes. » signale une affiche de Journée Mondiale contre l’Homophobie ; « Un homosexuel aux Antilles ne peut être respecté. » déclare avec fatalité Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 81) Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Élisabeth et Catherine font en sorte d’être virées de leur boulot uniquement au nom de leur homosexualité.

 

Par exemple, dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès le comédien sur scène se met à citer des phrases que les homophobes auraient dites… mais qui sortent quand même de lui, au final : « Les homos, je leur pisse à la raie ! Le Sida est la punition divine sur les homos et les drogués. »

 

L’homosexualisation de la violence faite à une personne qui ressent un désir homosexuel, comme si sa seule homosexualité suffisait à expliquer l’acte violent qu’elle a vécu et qu’une attaque justifiait qu’on réduise des personnes à leur orientation sexuelle, est aussi homophobe que l’« homophobie » pointée du doigt : « Un gamin venait d’être battu dans cette ville parce qu’il était homo ! » (un jeune garçon homo parlant du meurtre de Matthew Shepard, dans la pièce Le Projet Laramie (2001) de Moisés Kaufman)

 

Mais allons plus loin en reconnaissant que ce sont ceux qui persécutent le plus la communauté homosexuelle qui sont, dans le privé, les individus les plus homosexuellement pratiquants. Par exemple, dans les années 1950, le sénateur homosexuel américain Joseph McCarthy organise une véritable « chasse aux sorcières » contre les communistes et les personnes homosexuelles aux États-Unis. Son amant, l’avocat républicain et gay honteux, Roy Cohn, mort des suites du Sida en 1988, a toute sa vie exprimé publiquement son dégoût des personnes homosexuelles et prétendu être atteint d’un cancer au moment de sa mort (son histoire est représentée dans la pièce Angels In America (1991) de Tony Kushner). Autre cas qui semble inouï : celui du directeur du F.B.I., J. Edgar Hoover. Cet homme a pourchassé les personnes homosexuelles en temps de maccarthysme alors même qu’il a vécu 40 ans avec son compagnon (c’est pourquoi Sébastien Chauvin, dans son article « Hoover », publié dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003), évoque le « paradoxe Hoover »). Tout récemment, en 2010, on a découvert que le pasteur Eddie Long, télévangéliste nord-américain pourtant particulièrement connu pour ses prêches anti-gay, est pédophile et homosexuel. Wes Goodman est un député américain homophobe ET homosexuel. En 2011, aux États-Unis, on découvre que Phillip Hinkle, opposant au mariage gay dans l’État de l’Indiana, a eu des relations sexuelles avec un jeune escort boy. Idem pour le sénateur républicain Roberto Arango, opposé au « mariage homo »… mais inscrit et posant nu sur Grindr ! En France, le politicien Renaud Donnedieu de Vabres est « outé » alors qu’il défile contre le PaCS en 1999 ! Les ambiguïtés homophobes de la pratique homosexuelle se vérifient à l’échelle d’une nation ou de communautés particulièrement hostiles aux personnes homosexuelles : « Il se passe dans l’Islam le contraire de ce qui se passe en Occident. En Occident, aujourd’hui, le pouvoir est libéral, mais l’opinion reste à la traîne ; dans l’Islam, les autorités répriment ce que la population pratique sans complexe. » (Dominique Fernandez, L’Amour qui ose dire son nom (2000), p. 11)

 

HOMOPHOBE 5

Film « Tu n’aimeras point » de Haim Tabakman


 

Beaucoup de personnes homosexuelles disent clairement leur mépris de leurs « semblables » d’orientation sexuelle et leur préférence sexuelle pour tous les individus qui, de près ou de loin, ne « font pas homos » : « Quand un gars s’approche et qu’il me plaît, je le laisse faire. Quand il ne me plaît pas et qu’il s’approche trop, je lui dis : ‘Aie, qu’est-ce que tu fais ? Laisse-moi tranquille, maudite tapette !’. » (Bruno, bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 205) ; « Je ne fais pas partie de ces vieilles folles qui se peinturlurent. » (Francis Bacon dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « C’est avec quelqu’un comme lui que je conçois une relation entre deux garçons, peut-être parce que nous nous ressemblons, parce qu’on ne dirait pas que nous sommes homosexuels. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 144) ; « Je ne suis toujours pas gay. Je n’ai jamais supporté cette appellation souvent utilisée du bout d’une lèvre incertaine, mêlant grivoiserie retenue et honte passagère à l’égard des garçons qui préfèrent les garçons. […] Je ne me reconnais en aucun cas dans ce que certains appellent ‘le milieu’. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), pp. 255-256) ; « Le plus triste dans sa déchéance alcoolique aura été son antisémitisme, ses délires homophobes. » (Gore Vidal parlant de l’écrivain homo Jack Kerouac, dans Palimpseste – Mémoires (1995), p. 352) ; « Les pédés sont des cons. Ils nous détestent. Ils marchent comme des zombies. Notre but, c’est de réveiller toutes ces folles ! » (Thibault, homosexuel, leader du mouvement Act-Up, dans le docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo)

 

Le libertinage donne une illusion de liberté et construit finalement un ghetto doré, avec des nouvelles règles, une nouvelle loi de la jungle : « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là.[…] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189)

 

Le 7 avril 2011, je discutais avec un ami metteur en scène et écrivain, Jérémy Patinier, à la fin de la représentation d’une de ses pièces. On parlait de ses projets à venir. Et il me dit qu’il est en train d’écrire une pièce plus ouvertement gay que ses précédents travaux… mais qui traitera du « comment rester folle tout en étant hors milieu ». Je me suis dit en moi-même : Pourquoi les créateurs homosexuels ont-ils en général tant de mal à assumer de parler franchement d’homosexualité, même quand ils prétendent sincèrement le faire ?

 

Certains membres de la communauté homosexuelle se leurrent en pensant que seule l’homosexualité refoulée est facteur de violence et que « de toutes les déclinaisons, la moins néfaste n’est certainement pas l’homophobie intériorisée » (Daniel Borrillo, « Homophobie », dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 255). Le sujet homosexuel peut devenir homophobe après s’être « assumé » pleinement homosexuel, comme c’est le cas avec « Sébastien » (cf. l’autobiographie Ne deviens pas gay, tu finiras triste (1998) de Sébastien). On le voit également à travers l’article de Manuel Puig, « El Error Gay », publié dans le journal argentin El Porteño en 1990, dans lequel l’écrivain fait une critique sévère du « milieu homosexuel ». Ou encore à travers les mots de l’écrivain Berthrand Nguyen Matoko, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004) : « Je me demandais pourquoi les choses n’étaient pas si simples entre garçons, pourquoi la médisance avait cours dans nos esprits. […] Je me butais à dire que j’étais rejeté par ce même milieu, tout en le fréquentant assidument. Je savais que je me contredisais. Pire, j’avais tendance à me positionner en victime vis-à-vis à d’eux. […] On se haïssait. On se scrutait en chiens de faïence. Ainsi allaient nos humeurs. […] Des liens de rivalité et de dépendance, des uns par rapport aux autres, s’installèrent par la suite. Nous étions en fait des assoiffés du renouveau et du sexe, même si , nos mœurs nous obligeaient à une pseudo convivialité. » (p. 141)

 

On entend très souvent de la part des personnes homosexuelles une attaque féroce du « milieu homosexuel », surtout à travers la Gay Pride. C’est sensiblement les mêmes discours sur l’exhibition et la discrétion qui reviennent sur le tapis (genre « ‘Ils’ donnent une mauvaise de nous. Tous les homos n’ont pas une vie sexuelle débridée et des plumes dans le cul ! ») : « Dans la réalité, une mouvance gay s’exprime dans les médias d’une manière provocatrice qui me dérange et le tapage médiatique qui en résulte offre une vision unilatérale de l’homosexualité. » (Jean-Michel Dunand, Libre (2011), p. 132) Le plus gênant, à mon sens, dans ces plaintes – lâches mais compréhensibles – , c’est qu’elles sont démobilisatrices, et surtout, elles déplacent et réduisent la critique des actes homosexuels à une simple question de visibilité, de paraître (« Après tout, les homos/nous font/faisons bien ce qu’ils veulent/ce que nous voulons, à partir du moment où ça ne se voit pas… »). Elles ne règlent absolument pas la question morale des actes homosexuels. En cela, je trouve que la demande du fameux « droit à l’indifférence » pour se fondre dans la masse, la revendication d’une homosexualité invisible et belle dans la fidélité, la critique homosexuelle de la Gay Pride, si et seulement si elles ne donnent pas lieu à une reconnaissance et à une remise en cause des actes homosexuels privés, sont des démarches particulièrement homophobes. À travers beaucoup de récits d’auteurs homosexuels dépeignant avec amertume et cynisme la soi-disant superficialité du « milieu », on décèle une forme de déni de leurs propres actes, d’auto-punition d’être tombés dans les panneaux qu’ils dénoncent. Dans tous les cas, on ne sort pas la tête de l’eau, et le débat sur la nature et le sens du désir homo passe à la trappe… pour laisser du coup un espace vacant à une homophobie croissante.

 

Par exemple, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar effectue un va-et-vient entre mensonge et caricature d’affirmation de soi, par l’homosexualité. Il est libéré sans être libre : « Après quelques années de retrait en marge du combat contre l’intolérance, je ressentis tout à coup le besoin d’exprimer au grand jour mon identité sexuelle. […] Cette prise de conscience, bien que tardive, faisait de moi un homme libre, oh, que dis-je ! Un homosexuel totalement libéré… » (p. 185)

 

Les artistes homosexuels savent implicitement que leur public le plus impitoyable, ce n’est pas les personnes dites « hétérosexuelles » mais bien les membres antipathiques de leur propre « famille homosexuelle ». « Je suis lesbienne. Donc quand je vais voir un film qui parle du sujet, je suis la pire ! » (Océane Rose-Marie se décrivant sur le qui-vive pendant qu’elle voyait « La Vie d’Adèle » au cinéma, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) ; « Les mêmes folles qui s’étaient hystérisées dans les manifs du FHAR – le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire – étaient prêtes à brûler théâtres et cinémas où l’on jouait La Cage aux folles. Et à cribler d’épingles des figurines à l’effigie de Jacques Chazot, copieusement honni, et qui donna pourtant à la follitude quelques-unes de ses lettres de noblesse. » (cf. la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 72) À la question « Ça vous gênerait d’avoir un public uniquement gay ? », Pascal Rocher, metteur en scène homosexuel, répond en boutade : « Oui. Parce qu’ils ne sont pas faciles, ils sont sans pitié ! » (cf. le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 95) ; etc. Par exemple, le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture » (« Out », 2014) de Maxime Donzel, méprise le coming out du chanteur Ricky Martin comme s’il avait été un manque de courage, car il l’aurait fait parce qu’il était en fin de carrière et aurait voulu vendre son livre. De nombreuses personnes homosexuelles médiatiques continuent de nous prouver qu’elles ont fait concrètement l’expérience de l’homophobie homosexuelle, et que l’homophobie hétérosexuelle n’est qu’un mythe. Mais malheureusement, nous persistons à nous boucher les oreilles pour contenter notre propre haine des couples femme-homme réussis et préserver nos illusions amoureuses !

 

Nos illusions paternalistes et maternalistes aussi ! Entre elles, même les personnalités homosexuelles médiatiques et « assumées », peuvent s’écharper comme jamais. C’est ce qui s’est passé lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, pendant laquelle Muriel Robin, Marc-Olivier Fogiel et Laurent Ruquier (je ne compte même pas Christine Angot) se sont ligués contre le jeune chroniqueur homo Charles Consigny, à propos d’un désaccord sur la GPA (Gestation Pour Autrui).
 

 

Pour clore ce long exposé sur l’homophobie homosexuelle, j’avais envie de finir par un best of de tous les témoignages (mal connus du grand public puisqu’ils ne résonnent qu’en coulisses) de ces personnalités homosexuelles qui, en croyant bien faire et défendre courageusement leur Patrie LGBT, sont revenues du champ de bataille blessées – et abasourdies ! – par les balles qu’elles ont reçues, non de la part de l’« ennemi hétérosexuel » du devant, mais de l’ennemi homosexuel qui se tenait derrière elles et qui était censé logiquement les couvrir ! :

 

« Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’intolérance chez les homos. Ils se plaignent à longueur de journée de ne pas avoir tel ou tel droit et ils ne sont même pas unis entre eux.[…] Les seuls papiers méchants que j’ai eus dans la presse, c’était dans la presse gay. Quand je suis sorti de ‘La Ferme’, j’ai eu 10000 lettres de fans, et six lettres d’insultes qui venaient toutes de gays. » (Vincent McDoom dans le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, pp. 52-55) ; « Sache qu’on ne m’a pas classé dans une catégorie après mon passage à la télé. Certes, je suis l’homo de service à mon boulot et c’est pour rire que mes collègues balancent des blagues sur les pédés. Mais les gens veulent me connaître pour mes qualités et mes défauts, pas pour mon homosexualité. Ce qui est amusant, c’est que ce sont les homos qui me caricaturent en s’imaginant que j’aime les mêmes choses que les folles, qui fréquentent le milieu. Les homos sont intolérants. » (cf. un extrait d’une lettre de Jérôme qui a été l’invité remarqué de l’émission Jour après Jour de novembre 2000 sur France 2, et qu’il m’a écrite personnellement en 2001) ; « Avec Clovis [Cornillac], nous avons été surpris de la petite polémique qu’il a pu y avoir à la sortie cinéma de ‘Poltergay’, concernant le côté homophobe ou homophile du film. On est vraiment tombés des nues. » (Éric Lavaine, le réalisateur du film « Poltergay » (2005), cité dans Le Cinéma français et l’homosexualité (2008) d’Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni, p. 57) ; « J’ai été mieux perçu par les rappeurs que par les homos. » (le rappeur gay Monis à l’émission Homo Micro de Radio Paris Plurielle le 1er mars 2010) ; « J’ai plus souffert dans le milieu LGBT que dans le milieu du rap [pourtant réputé homophobe]. » (ce même rappeur, cette fois à l’émission Homo Micro du 25 avril 2011) ; « J’ai eu beaucoup plus de problèmes avec les femmes qu’avec les hommes. Les mecs m’ont toujours accepté à 85% avec mon penchant pour les filles. Les filles ne m’ont pas accepté à 85% avec mon penchant pour les mecs. » (Christine, intervenante bisexuelle, huée par le public de l’émission Ça se discute, diffusée sur France 2 le 18 février 2004, parce qu’elle a osé dire tout haut que l’homophobie était plus homosexuelle qu’« hétérosexuelle ») ; « Curieusement, du côté hétérosexuel, je n’ai jamais eu d’ennemis. Évidemment, il existe toujours quelques vrais conservateurs. Mais mes pires ennemis, je me les suis fait parmi les homos. » (Rosa Von Praunheim dans le documentaire « 68, Faites l’amour et recommencez ! » (2008) de Sabine Stadtmueller) ; « Magnus Hirschfeld fut tellement détesté non seulement par les antisémites, mais aussi par certains homosexuels allemands. » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 117) ; « Vous prêchez la compréhension, la tolérance et puis vous vous attaquez aux autres. Seulement parce que quelqu’un a une opinion différente. Est-ce une manière de penser démocratique et éclairée ? C’est de l’ignorance, parce qu’il ignore le fait que d’autres peuvent avoir une opinion différente, aussi digne de respect que la sienne. Domenico a ses idées, il a fait certains choix. Elton John a fait des choix différents. Différents choix, différentes vies. Respect égal. Je constate, surtout en ligne, qu’il y a beaucoup d’homosexuels qui sont homophobes : des homosexuels qui attaquent d’autres homosexuels qui expriment des idées différentes des leurs. » (Gabbana, le styliste homosexuel qui a exprimé en mars 2015, avec son ex-compagnon Dolce, son opposition à l’adoption par les couples homos, et son indignation face à l’appel au boycott de leur marque de prêt-à-porter par le chanteur Elton John) ; « Je ne connais pas du tout ce milieu. Je ne sais pas s’il a ses cadres. Je le vis en homme libre. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc.
 

Tweet daté du 27 octobre 2018


 

José Mantero, l’ex-prêtre catholique, raconte qu’au moment de son coming out dans la revue gay espagnole Zero en février 2002, ses deux ennemis ont été la hiérarchie catholique, et, à sa grande surprise, les membres des mouvements homosexuels officiels, « les dirigeants gay du moment, trop préoccupés par leur propre ascension personnelle » (José Mantero, « Doce Días De Febrero », dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, pp. 189-194). Lors de la sortie du livre-bombe Le Rose et le noir (1996), on couvre d’insultes le pourtant très objectif Frédéric Martel qui a décrit la censure qui sévit dans le « milieu homosexuel », notamment au moment de l’apparition du Sida en France : « Un gay trahit les gays » (cf. propos rapportés dans l’essai La Politisation de l’ordre sexuel (2008) d’Albert Le Dorze, p. 103). Dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont parle de la cruauté et de l’ingratitude d’une grande partie de la population homosexuelle à l’encontre d’un de ses pionniers, André Baudry, ancien séminariste, créateur des thés dansants et de la fameuse « danse du tapis », qui a fondé la première association française ouvertement homosexuelle, Arcadie, et qui a déblayé le chemin de la communauté homosexuelle actuelle. « Il était de bon ton de ricaner derrière le dos de cet homme et je n’ai jamais compris pourquoi. Les gens de gauche le trouvaient trop à droite alors qu’Arcadie était apolitique, les homosexuels honteux lui reprochaient de rendre visible ce qu’ils auraient préféré voir tenu caché, les femmes regrettaient qu’il soit un homme et tous ceux qui n’avaient jamais remué le petit doigt pour améliorer notre sort criaient, quoi qu’il fasse, qu’il se fourvoyait. Tout en laissant braire ces ânes, j’ai adhéré au club et j’ai été de tous les congrès et de tous les débats jusqu’à ce qu’André Baudry finisse par jeter l’éponge. J’ai toujours eu la plus grande estime pour cet homme qui s’était entièrement dévoué à la cause de ses semblables et en qui l’on pouvait avoir toute confiance. […] Il connaissait tous les Arcadiens par leur nom et il avait pour chacun d’eux un mot chaleureux. Merci à vous, cher André Baudry ! » (p. 69) Qui, parmi la jeune génération homosexuelle, connaît ce monsieur ? Et qui, chez les rares militants homosexuels plus âgés qui l’identifient, rendent hommage à celui que la légende actuelle à presque transformer en « pédé bourgeois, honteux » (voire homophobe !) ? Pas grand monde. Par ailleurs, Paula Dumont continue d’évoquer l’homophobie homosexuelle, mais cette fois celle dont elle a fait les frais de la part de son entourage proche. Elle évoque en effet l’inimitié de certaines de ses amies lesbiennes qui ne supportent pas qu’elle ose afficher son homosexualité au grand jour : « Il était manifeste que Catherine était choquée par la visibilité de mon homosexualité. Pour elle, j’étais la représentation, la statue vivante, l’incarnation même du lesbianisme. » (idem, p. 174). Geneviève Pastre, quant à elle, regrette que certaines lesbiennes féministes lui aient reproché d’avoir affiché ouvertement son homosexualité : « J’ai reçu ce boycott du petit monde féministe-lesbien, en pleine figure. » (Geneviève Pastre, De l’amour lesbien (1980), p. 15) Et bien oui ! On a beau jouer le vieux routier du « milieu homosexuel », ce n’est pas pour ça qu’on a compris d’où venait les balles ! En mars/avril 2020, Pete Buttigieg, le candidat homosexuel à la présidentielle des États-Unis parle de la « négativité » de l’électorat gay à son égard… même si, pour rester poli, il met ça sur le compte du fossé générationnel et la violence des réseaux sociaux.

 

Je peux aussi vous parler de mon cas personnel, avec un exemple particulièrement parlant d’homophobie homosexuelle. Le 3 mai 2011, le jour de mon anniversaire, j’ai reçu une véritable pluie de vœux de la part de mes amis, et notamment de mes contacts Facebook. Jamais on ne m’avait autant souhaité mon anniversaire ! Le député UMP, Christian Vanneste, réputé très homophobe, m’a également écrit un simple « bon anniversaire » sur mon mur public Facebook. Il faisait partie de mes contacts car suite à ma participation au duo « Lettre ouverte » que j’avais chanté avec le rappeur Monis (et qui était clairement une main tendue, non une matraque : « Ceci n’est pas une déclaration de guerre. Juste un appel à la paix. C’est notre lettre ouverte. » termine la chanson), je souhaitais poursuivre ce dialogue amorcé, appliquer ce que j’avais défendu, et m’expliquer sur ma démarche. Les vœux de Vanneste étaient donc discrets mais justifiés. Perdus au milieu de 300 autres messages de sympathie, ils ont quand même été identifiés par quelques-uns de mes camarades chroniqueurs de l’émission radio Homo Micro de Fréquence Paris Plurielle, dans laquelle je travaillais bénévolement depuis 2 ans et demi, presque tous les lundis, pour animer la chronique symbolique. L’un d’eux est allé moucharder dans un mail collectif adressé à toute l’équipe radio que « le très homophobe Christian Vanneste avait souhaité un bon anniversaire au Roi des Codes » que j’étais. J’ai bien évidemment réagi, en proposant à ce chroniqueur-Grand-Inquisiteur de fouiller mes 2500 contacts Facebook (et même ma corbeille à papier !) s’il voulait absolument m’associer à tous mes amis et à toutes mes nombreuses lectures pour prouver que j’étais bien le dangereux homophobe qu’il suspectait ! S’en est suivi un échange de mails plus ou moins orduriers, certains me taxant de « traître homophobe » ou me reprochant ma foi catholique. Si ces soi-disant « défenseurs des homos » savaient au moins se relire quand ils rédigent un mail délateur, ça m’éviterait d’avoir à expliquer que les individus homophobes ne se trouvent pas du côté qu’on croit. La preuve en est qu’en m’attaquant, le chroniqueur qui m’a « balancé » auprès des autres, et m’a forcé à quitter l’émission, a terminé son tout premier mail collectif par un aveu qui résume à lui seul tout ce que j’ai essayé de vous expliquer sur l’homophobie de ces militants pro-gays : « Bises homophobes. » Enfin, à l’heure actuelle, le visage 100% homosexuel des attaques et insultes homophobes dont je fais les frais est particulièrement visible sur Twitter : en effet, les seuls qui m’agressent, me traitent de malade mental, m’empêchent de parler d’homosexualité et de l’analyser, ce sont des personnes homosexuelles (ou des personnes bisexuelles se présentant comme « hétéros gay friendly« ) !

 

Les hommes et les femmes homosexuels sont réellement plus exposés à être confrontés à la violence dans leur vie. Ce plus grand risque de violence arrive malheureusement au sein des relations LGBT. En 2002, une étude réalisée par Greenwood et d’autres faisait apparaître que « dans une population représentative on constate statistiquement que le degré de violence dans les relations entre hommes homosexuels était considérablement supérieur au degré de violence des hommes envers les femmes dans une communauté femme-homme. » Greenwood indique que « la fréquence sur 5 ans de violence physique entre des MSM citadins (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) (22%) était significativement plus élevée que la fréquence annuelle de violence grave (3,4%) ou que le taux annuel des violences totales (11,6%) dans un échantillon représentatif de femmes qui étaient mariées ou en concubinage avec des hommes. »

 

Comme le dit fort à propos l’écrivaine Nina Bouraoui dans l’émission « Culture et dépendances » (diffusée le 9 juin 2004 sur France 3), « avant de combattre l’homophobie des autres, il faut avant tout dépasser notre propre homophobie », et envisager l’homophobie non pas comme un processus extérieur à nous, mais comme un processus intérieur, lié à la nature profonde de notre désir homosexuel. Un désir pour et contre lui-même.

 

Pour finir ce chapitre sur la menace homophobe de la gay friendly attitude, j’aimerais insister sur le grand danger que représente actuellement la banalisation bisexuelle de l’homosexualité chez les personnes pro-gays qui, sous prétexte de faire ce qu’elles veulent et d’avoir la paix pour ne plus être obligées de faire leur coming out ou de rendre des comptes sur leurs actes sexuels (ni aux autres ni à leur partenaire de vie), invitent à ce que le désir homosexuel soit nié, soit mis sur le même plan invisible que les autres désirs, pour être justifié et ignoré dans un même mouvement. « J’ose espérer à l’avenir qu’on ne parlera plus d’orientation sexuelle, que ça deviendra juste un fait naturel. » (une femme trentenaire lesbienne dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) Cette homophobie bobo-bisexuelle (particulièrement visible dans le fait divers qui a impliqué un couple lesbien agressé en septembre 2018 à Paris par Arthur, un homme bisexuel), qui ne souhaite plus entendre parler d’homosexualité et qui réduit les individus homosexuels au silence, arrive de manière très forte dans les pays occidentaux. En plus de rajouter du flou sentimentaliste, individualiste et relativiste sur le désir homosexuel, et de déconnecter les êtres humains de leurs actes sexuels, elle est de l’indifférence qui se fait passer pour du respect. Donc elle est redoutable. Je décris ses travers paradoxaux dans le code « Amoureux » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

d) Le frère (de sang) du sujet homosexuel se montre parfois particulièrement homophobe :

Le cliché du frère homophobe peut se vérifier dans les faits, comme en témoigne cet homme homosexuel qui a été violé par son frère quand il était petit : « C’est lui qui m’a appris l’homosexualité qu’il me reproche aujourd’hui. Comme s’il ne se souvenait plus de rien. » (Jean-Sylvain dans, Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 55) Par exemple, dans son film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), Guillaume Gallienne raconte que son frère a essayé de le noyer dans la piscine quand ce dernier a appris qu’il avait eu une liaison avec un Noir. Dans la biopic « Vice » (2018) d’Adam McKay, Liz est présentée comme la sœur homophobe : elle s’oppose publiquement au « mariage gay » alors que sa sœur Mary est lesbienne.

 

Applaudir à l’homosexualité de son frère, cela revient concrètement à cautionner qu’on attaque ce dernier parce qu’on ne serait radicalement pas du tout comme lui… Il arrive aussi que le frère soit trop proche de son frangin homo pour se sentir à l’aise avec l’ambiguïté homosexuelle de ce dernier ou bien qu’il partage avec lui le secret d’une blessure : « Ni mon père ni mes frères et sœurs n’eurent le moindre soupçon de ce qui s’est passé. Seul mon frère aîné demeurait l’ennemi et le témoin secret qui nous [le père Basile et moi] liait. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 40) ; « Ti Éloi. Ce dernier, si par hasard il apprenait son terrible secret, lui briserait les os. » (Ednar en parlant de son grand-frère, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 20) ; etc. Avoir un frère homosexuel renvoie forcément un reflet de sa propre sexualité ! « Il s’entêtait, aboyait, balbutiait, m’adressait des injures de toutes sortes. » (Eddy Bellegueule parlant de son grand frère Vincent, alcoolique et brutal, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 38) ; « C’est vraiment Frédéric qui a réagi le plus mal à ce moment-là. On a vraiment senti ce mouvement de combat en lui-même, ce dégoût. » (Alexandre, témoin homo parlant de son frère cadet Frédéric dit « hétéro », dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne diffusée sur RTS le 24 juin 2010) ; etc. Dans l’émission Toute une histoire spéciale « Quand ils ont renoncé leur homosexualité, leurs proches les ont rejetés » diffusée sur France 2 le 8 juin 2016, Tony, 19 ans, se dit homosexuel et a un frère jumeau dit « hétéro », Enzo, qui au départ a bien réagi au coming out de son frère pour finalement, par peur des comparaisons, l’insulter : « J’ai eu droit aux insultes. » De mon côté, même s’il affiche un discours gay friendly pour faire bien en société (il se dit pro-mariage-pour-tous), mon frère jumeau adopte à mon égard des attitudes homophobes puisqu’il pathologise (et me réduit à) mon homosexualité (pour me transformer en dangereux « cas » qui aurait gâché sa vie), et qu’il nie complètement mes études sur l’homosexualité.

 

Enfin, je commence à connaître un certain nombre de cas où l’attention et l’empathie qu’a suscitées le coming out d’une personne dans une famille ont réveillé des jalousies cachées (entre un fils « hétéro » et ses parents, entre un frère « hétéro » et son frère « homo »).

 
 

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