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Code n°82 – Fusion (sous-code : Polysémie de l’adverbe « contre » ; Feu)

fusion

Fusion

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pour percevoir que la chaleur du désir de fusion (typiquement hétérosexuel et homosexuel) avec l’être aimé est finalement bien glaciale et violente, il nous suffit de nous émerveiller de la beauté de notre unicité, et de comprendre que dans la vie, la fusion précède et génère toujours une rupture : une rupture de vie quand on essaie d’accueillir la différence des sexes comme un trésor (la plus belle rupture de vie, c’est la coupure du cordon ombilical), une rupture brutale à plus ou moins long terme quand la différence des sexes est crainte et rejetée.

 

Le désir homosexuel est un élan de fusion, à la fois réchauffant et étouffant, une force d’union mais surtout de rupture. Je vais vous l’illustrer en particulier à travers la présence réitiérée de la polysémie de l’adverbe « contre » dans les fictions et les discours homosexuels (exemple : je suis contre toi/collé à toi ; je suis contre toi/opposé à toi).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Moitié », « Amant narcissique », « Vampirisme », « Amoureux », « Désir désordonné », « Clonage », « Eau », « Substitut d’identité », « Île », « Extase », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Viol », « Pygmalion », et « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le fantasme humain de la gémellité et de l’uniformité

 

FUSION Soleil

 

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’Il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (-380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux.

 

Aujourd’hui, les androgynes existent toujours en fantasme dans la tête de nos contemporains (on le voit clairement dans le monde de la publicité, avec ces hommes-objets et ces femmes-objets coupés en deux, ou bien fusionnant ensemble dans les films pornos)… mais sans le savoir, on les appelle différemment. On les a baptisés « l’homosexuel » (en 1869) et « l’hétérosexuel » (en 1870). « L’homosexuel » comme « l’hétérosexuel », ces deux créatures scientifiques ne renvoyant pas à des êtres humains réels, sont des jumeaux, historiquement mais aussi symboliquement parlant, puisqu’ils traduisent une conception androgynique du couple amoureux : les couples « hétérosexuels » comme « homosexuels » se veulent formés de deux moitiés séparées l’une de l’autre, et censées, selon la mythologie scientifique, cinématographique ou sentimentaliste (le prince charmant et la princesse), se compléter parfaitement dans la fusion (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel = l’hétérosexuel » et « Moitié » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont prisonnières du mythe du bonheur dans la ressemblance parfaite. En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, elles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique (par exemple, Alfred Jarry, a inventé le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi). Elles envisagent de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et Créateur. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. « Nous nous regardons. Nous cherchons l’un dans le regard de l’autre celui qu’on aime, celui à qui on parle chaque jour au téléphone depuis plusieurs jours, celui à qui on envoie des petits cadeaux guimauves. […] Je dis ‘Je t’aime Vianney’, parce que c’est la dernière fois que je le lui dirais, et pendant une seconde, dans ma tête, c’est le souvenir du garçon que j’aime qui me revient. Ce garçon qui est tellement Vianney et pas du tout lui dans une adéquation à laquelle je n’arrive pas à me faire. » (Mike, le héros homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 87) Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi, on essaie toujours de se réparer un peu à travers lui (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.

 

Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat : il a tendance à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux.

 

Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, un garçon quand elles sont nées filles, une fille quand elles sont nées garçons, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse de ses limites qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet, cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » (2002) de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant bisexuel Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut)

 

Dans l’esprit de nombre d’entre elles, elles fusionneront avec leur amant, même si rationnellement, elles ont tout à fait pris conscience qu’elles n’y parviendront pas (la plupart d’entre elles savent encore faire la différence entre la réalité concrète et la science-fiction !). Elles parlent souvent de l’union corporelle fusionnelle avec leur amant(e), car l’amour homosexuel est à la fois un amour pour la personne aimée sans cette personne… ou sans soi-même.

 

Certaines personnes homosexuelles pensent avoir compris intellectuellement le piège du mythe de l’unité fusionnelle dans le couple, de la « solitude à deux sur une île » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 33), mais elles se voilent la face en attribuant ce piège uniquement aux couples femme-homme (qu’elles appellent à tort « hétérosexuels ») ou à l’institution du mariage. C’est ainsi qu’elles le réactualisent souvent dans les unions des semblables sexués. À en croire certains amants homosexuels, ils ont « toujours tout fait ensemble » (Mehdi et Christophe, « Pacsés… un jour mariés ? », dans le magazine Psychologies, juin 2004, n°231, p. 77), prétendent vivre une « relation fusionnelle » (Juliette et Sophie, op. cit., p. 76) depuis qu’ils se connaissent : ça a été « tout de suite, la fusion. » (David, 35 ans, en parlant de sa rencontre avec son copain Adrien, 24 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des Rencontres (2002) collectés par Michel Field et Julie Cléau, p. 144) Le fantasme de fusion est le propre des désirs homosexuel et hétérosexuel. Selon la promesse androgynique, tout Homme est censé rechercher sa « moitié » pour former un Tout autosuffisant avec elle.

 
 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Le désir de fusion, même s’il s’habille des meilleures intentions (la communion, le don total de soi, l’orgasme, la beauté de la symbiose passionnelle, le plaisir des sens, etc.), est en réalité un oubli de soi et de son partenaire, un désir de disparaître et de se fondre/se lover en l’autre, et j’irai même jusqu’à dire une tentative de viol. Car l’extase exige la fusion destructrice et la rupture radicale avec soi-même, la substitution ou la superposition forcées aux autres.

 

Le rapprochement homosexuel des corps se transforme en conflit à l’insu des amants homosexuels eux-mêmes. Nous le remarquons par exemple dans la polysémie de l’adverbe « contre », très utilisée par certains auteurs homosexuels (l’expression « être contre quelqu’un » peut signifier à la fois être « collé à lui » et « en opposition »).

 

L’humain a pressenti depuis longtemps déjà que la haine se trouve tout autant dans la dissymétrie foncière que dans la ressemblance « parfaite », la symétrie déshumanisée, l’écho, la rencontre policée et sans relief des semblables, l’uniformité, la plénitude orgueilleuse. Rien que l’expression « œil pour œil, dent pour dent » suffit à le démontrer. Il faut parfois pour des jumeaux ou des amants homosexuels beaucoup de temps avant de réaliser que l’amour « sans limites » qu’ils se vouent et qui leur apparaît irréprochable dans l’instant n’est pas si ajusté que cela. C’est sur la durée et avec un relatif éloignement qu’ils peuvent comprendre qu’un autre type de relation, moins fusionnelle mais non moins belle, est possible entre eux, sans pour autant gâcher les richesses objectives qu’offrent la gémellité ou l’homosexualité. La vraie rencontre humaine n’est délicieuse que dans la juste distance, celle qui sépare sans rompre, qui unit sans confondre. C’est le principal message de vie que les jumeaux et les personnes homosexuelles nous délivrent, bien souvent à leur insu.

 

La différence entre le désir de fusion destructeur et le désir d’Amour, c’est que le premier vise la fusion à travers l’effacement des corps et la substitution à l’autre – il dit « Je t’aime donc je suis toi » –, alors que le second cherche avec douceur la communion en sachant qu’elle sera incomplète tout en restant partiellement possible grâce à l’accueil d’un tiers. Le désir d’Amour respecte le mystère et la solitude des corps tout en prétendant goûter à la fusion. Au fond, il n’y a d’union d’Amour que dans la résistance à l’assimilation. La distance n’est pas seulement un mal nécessaire pour échapper aux méandres de l’amour platonique, mais une donnée inhérente à tout processus de différenciation sans laquelle il n’y aurait pas de soi distinct de l’autre, et donc d’amour véritable et incarné. L’amour ne peut être reconnu que dans un rapport de déliaison. Il faut un peu de déliaison pour qu’il y ait véritable liaison : c’est cela, la subtilité de l’union amoureuse authentique. Aimer quelqu’un, c’est le rendre autonome, lui laisser son espace de liberté, et lui donner les moyens de nous abandonner pour mieux le retrouver. Comme nous aimons trop l’autre pour le retenir, nous prenons le risque de le perdre. Et ce risque mesuré, c’est l’Amour.

 

En ce sens, l’excès de ressemblance dans le couple homosexuel, qui a rejeté la différence des sexes, peut être ferment de violence (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Cannibalisme », « Substitut d’identité », et « Vampirisme », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). L’accouplement sexuel entre deux clones est « l’impensable absolu » écrit Jacques André, le signe d’une irréelle synthèse du même avec le même, la « conjugaison entre l’incestueux et le totalitaire » (Jacques André, « L’Empire du même », dans l’essai Mères et filles, les menaces de l’identique (2003), p. 12). Dans les faits, le couple homosexuel ne parvient pas à la communion parfaite des semblables puisqu’il n’est pas concrètement composé de deux clones ; mais en désir, il y tend. Il reprend le « ne faire qu’Un tout en restant deux » de l’Amour vrai à son compte pour le détourner en « ne faire qu’Un à deux », et convertit le principe de respect de la différence, consubstantiel à l’amour, en une diversité évasive ou en un « égoïsme à deux » qui nie la différence par la schizophrénie et le mythe passionnel de la symétrie. « La symétrie, affirme Héctor Bianciotti, c’est l’amour, parce que c’est toujours deux en un. » (Héctor Bianciotti, « De La Melancolía De Las Perspectivas », 1983)

 

La fusion et la rupture sont deux phénomènes concomitants. On ne l’observe d’ailleurs pas uniquement chez les couples homosexuels : tout couple fusionnel finit par rompre… et initialement, on découvre dans l’histoire de chacun des partenaires qu’il s’est en général formé sur un terrain fissuré, sur la base de ruptures personnelles, familiales, amicales, sociales, non-assumées. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne en ces termes : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Le désir amoureux de rupture et de fusion mène un jeu d’attraction-répulsion destructeur, appelé pulsion de mort. Je te rejette parce que j’étouffe, je m’attache à toi et me fonds en toi parce que je désire disparaître, nous nous détruisons à deux dans le fantasme de fusion parce que nous désirons nous manger.

 
 

Le déni homosexuel de la violence du désir de fusion

 

L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – et sur l’être aimé fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Pour l’esprit bisexuel qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de l’individu qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 

Bien sûr, à une ou deux exceptions près, nul amour humain n’est parfait (sauf celui de la Sainte Famille) : à tout couple il manquera des choses. Et l’engagement d’Amour vrai est un perpétuel ajustement, un « vouloir rester » plus qu’un « aimer en actes » 100% garanti. Mais dans le couple femme-homme qui s’aime, ce manque (appelé différence des sexes) permet au Désir de se glisser entre les deux partenaires. Dans le couple homosexuel, il s’immisce plus difficilement tant la fusion/division est désirée en son sein.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Film "La Vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche

Film « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche


 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, il est souvent question de la fusion : cf. le film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le roman Je vis où je m’attache (1978) d’Yves Navarre, le film « Átame » (« Attache-moi ! », 1989) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Shut Up ! » de Mylène Farmer (avec la fin dans la fusion mortelle du couple d’amants transpercé par la flèche de Cupidon), le film « Bouche à bouche » (1995) de Manuel Gómez Pereira, la chanson « En nage indienne » d’Étienne Daho (« Serre-moi, si ton corps se fait plus léger, nous pourrons remonter. »), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, le roman Deux larmes dans un peu d’eau de Mathieu Riboulet (racontant l’histoire de deux jumelles, dont l’une meurt à la naissance), le film « L’Âge atomique » (2012) d’Héléna Klotz, le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens, le film « Corpo Elétrico » (2018) de Marcelo Caetano, etc. Par exemple, dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, le héros, Fusion Man est précisément homo.

 

 

Parfois, la recherche de fusion amoureuse apparaît chez le héros homosexuel comme la résurgence d’un manque de détachement avec ses propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Ma famille est beaucoup dans la fusion. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Il a un trouble de l’attachement. » (Diane parlant de son fils homosexuel Steve, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan)

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, a depuis sa naissance, une forte tendance à faire ventouse avec les membres de son entourage de qui elle s’entiche. D’abord, quand elle était petite, elle collait toujours aux basques de sa nurse, Collins, dont elle était secrètement amoureuse : « Ne soyez pas toujours dans mes jambes, voyons, Miss Stephen. Ne me suivez pas partout et ne m’observez pas sans cesse. Je déteste être surveillée. » (p. 38) Ensuite, et pendant toute sa vie, Stephen sera un pot de colle dès qu’elle éprouvera des sentiments amoureux pour une femme : « Tout leur semblait fondu et ne faire qu’un, comme toutes deux ne faisaient qu’un à présent. » (Stephen par rapport à sa compagne Mary, op. cit., p. 416) ; « étrange et torturante fusion avec Mary » (idem, p. 485)

 

FUSION deux femmes serrées

 

Souvent, le personnage homosexuel vit dans le fantasme de fusionner avec son amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître lui-même : « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 330-331) ; « On ne peut pas rester deux jours sans se voir. » (idem, p. 367) ; « Tu crois qu’on est enchâssés ? » (Schmidt s’adressant à son pote Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Je vais t’envelopper dans la chaude intimité de mon désir. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si demain tu veux t’enchaîner toi aussi, tu n’hésites pas. » (Jean-Jacques s’adressant à son futur amant Jean-Marc, en lui tendant des menottes, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Prétorius, j’ai fait de vous un vampire. » (Dracula à Prétorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Nous sommes une, elle venue à moi. La greffe est intégrale. » (la narratrice lesbienne parlant de sa compagne Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 64) ; « J’aimerais plonger en elle, la tête la première et qu’elle se fonde en moi, jusqu’aux pieds, en dedans. » (idem, p. 66) ; « Je veux que ça sorte de nous. Je veux que ça sorte de moi… Je te veux en moi. » (Charlie s’adressant à son amant Chris, dans film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Notre fusion » (la voix narrative à sa bien-aimée, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ses mains encore dans mes cheveux. Ses yeux sérieux que je regarde de tout près bien qu’il fasse trop sombre maintenant pour y distinguer quoi que ce soit d’autre qu’un fugitif éclat de lumière. Alors une brusque exhalation de tout le corps – comme en ont les fleurs, par à-coups – venue on ne sait d’où, on ne sait de qui (peut-être à la fois de nous deux) nous inclut lentement dans le même remous, nous relie aux mêmes vibrations, comme si l’air entre nous les vêtements et jusqu’à la peau même tout avait disparu, abolissant jusqu’à la conscience claire d’être soi devant l’autre… » (Mireille Best, Hymne aux murènes (1986), p. 143) ; « Je l’ai rejoint dans le petit lit vert. Cela ne l’a pas réveillé. Il avait l’habitude. De moi. De mon corps. De nous. Deux. Un. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman dans Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Union, fusion, bonheur, ailleurs qu’avec moi, étaient donc possibles. Vraiment ? Pour lui ? Pour moi ? » (idem, p. 84) ; « Dès les premiers mots, j’ai su ce que nous venions de vivre intensément ensemble, cet échange, cette fusion, cette transformation, ce pacte, cette forêt noire […]. » (idem, p. 165) ; « Au début, c’est la fusion. » (Matthieu décrivant les habituelles positions de couples homos sur les canapés les premiers temps de leur formation, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « On reste ainsi, comme soudées l’une à l’autre. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 18) ; « Sans calcul, nous nous laissâmes aller, et bientôt, dans une complétude presque parfaite, chacune répondit à la douceur de l’autre, comme si nous ne faisions qu’une. » (idem, p. 63) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’avais l’impression d’arriver plus à l’intérieur de Pierre que par tous les culs et les chattes du monde. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 40) ; « Jane rêvait d’Anna. Elles étaient seules dans le noir, les doux cheveux de la fille retombaient sur le visage de Jane. Elle eut l’impression d’être au lit avec elle et se mit à paniquer ; ce n’était pas ce qu’elle voulait, tout allait de travers. Les lèvres de la fille se posèrent sur les siennes et elles s’embrassèrent, la langue d’Anna frémissante et insistante. Jane comprit à nouveau ce qu’elle était en train de faire et tenta de la repousser mais quelque force supérieure les collait l’une à l’autre. Elle sentait le poids du corps de la fille, la douceur de ses seins, et elle se tortilla pour se dégager, tentant désespérément de s’échapper, mais elle avait beau se tourner dans toutes les directions, elle était piégée. Elle repoussa Anna de toutes ses forces, mais sans résultat, elles étaient verrouillées l’une à l’autre, et brusquement Jane comprit ce qui les retenait là. Elles étaient scellées, l’une au-dessus de l’autre, sous le plancher de l’immeuble de derrière. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos d’une gamine mineure, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 222) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont recherche « un amour presque parfait, une véritable fusion », où « l’un sans l’autre, on n’est rien ». Dans son one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008), Jérôme Commandeur dit que « les pédés collent entre eux ». Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Jean-Pierre décrit le couple Fanny/Catherine comme le « Club Sandwich », la rencontre spontané du ying et du yang. De par son métier, Catherine travaille sur des matières déformables : elle déclare qu’elle rêve d’une fusion entre les corps humains qui se déformeraient par la seule action du contact des peaux. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, à la question posée à Rachel l’héroïne lesbienne « Comment on sait qu’on a trouvé l’amour ? », celle-ci répond : « On se sent juste à l’abri, au chaud. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, l’amour lesbien, et le désir tout court, sont mis sous le signe de la fusion embrasante : « Ne joue pas avec le feu. » conseille sir Harold Nicolson à sa femme Vita Sackville-West, lesbienne, à propos de Virginia Woolf. Quand les deux femmes couchent ensemble, on voit en toile de fond le feu de cheminée. Et au début du film, Virginia conseille à Duncan de ne pas se laisser dévorer par son désir sexuel vis-à-vis de Vanessa : « Le sens-tu couler en fusion au-dedans de toi ? »

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille infernal : « On sera tous purifiés par l’eau chaude. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’adressant à son amant Palomino, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Je risque l’auto-combustion. » (Kai au contact du pied de son amant Richard sur son poitrail, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Cette nuit, ils ne font pas l’amour. Cette nuit, ils ne se défoncent pas. Plancher, sur le lit, les draps trempés. Il grelotte, il suffoque. Le thermomètre indique quarante de fièvre. Javier veille son ami. Passe la main sur son visage, le calme lorsqu’il s’agite trop, porte les verres d’eau, maintient le gant de toilette imbibé d’eau froide sur son front, caresse sa chevelure, sa nuque, lui raconte un tas d’histoires sans intérêt pour l’apaiser, le serre dans ses bras, embrasse sa joue en feu, l’aide à ingurgiter aspirine sur aspirine. Le jeune homme ne semble pas vraiment réagir. Les seules fois où il se lève, c’est pour se précipiter aux toilettes et vomir. Il refuse que le capitaine l’y accompagne, tire la chasse avant de sortir et revient se coucher illico. Javier est tenté un moment de l’emmener aux urgences, mais son amant l’en dissuade. Demain, il ira voir quelqu’un, promis. En attendant, il veut juste se reposer. S’il te plaît, mon amour. » (Antoine Chainas, Une Histoire d’amour radioactive, 2010) ; etc. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale. « On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le héros homo, rencontrant pour la première fois un internaute, Vianney, et l’accueillant chez lui les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (idem, p. 86) ; « La même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon cœur se glaçait. » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 71) ; « ce bourreau à qui, malgré tout, j’étais attaché avec amour, que je haïssais en l’amant et que j’aimais en le haïssant. » (idem, p. 92) ; « En m’endormant, je rêvai que Linde et moi étions des particules tournant l’une autour de l’autre, se transformant brusquement en ondes, marées et courants. Mr Garg avait fait un commentaire à propos du dualisme que je n’avais pas noté. Si l’on croise un âne avec une jument, avait-il expliqué, on obtient une mule. La mule est-elle une ânesse ou une jument ? » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 31) ; « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 317) ; « Ça brûle tellement le monde qu’on se jette en parallèle, ça brûle tellement qu’on cherche à se fondre. » (l’Actrice dans la pièce N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Que se passe-t-il quand une force qu’on ne peut pas arrêter rencontre un objet qu’on ne peut pas bouger ? » (Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Avec lui, j’étais comme un papillon attiré par la flamme de la bougie. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Nous devrions tous baiser. Femmes, hommes, animaux, tous en même temps. Que nous finissions tous ensemble, et que le monde explose, et nous mourrons comme ça, heureux. » (Hernán s’adressant à Fede à qui il propose un plan à trois avec son partenaire régulier, dans le film « El Tercero » (2014) de Rodrigo Guerrero) ; « C’est toi qui enflammes mon cœur. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu) ; etc.

 

Comme vous pouvez l’entendre dans mon podcast sur les goûts musicaux lesbiens (ingrédient n° 16 sur le feu), dans les fictions homo-érotiques, et parfois les discours, il est fascinant de voir que les lesbiennes ont souvent le feu au corps : feu de la passion dévorante et possessive ; métaphore du désir homosexuel lesbien qui met en surchauffe, aussi. On l’entend dans leurs chansons et dans celles qui traitent d’elles : « Close to my fire » (2013) de Joe Bonamassa, « Sapho et Sophie » (1990) d’Alain Chamfort, « Radiate » (2018) de Jeanne Added, « La Grenade » (2017) de Clara Luciani, « Just need your love » (2016) de Hyphen Hyphen, « On brûlera » (2017) de Pomme, « Learn to live » et « Lash out » (2019) d’Alice Merton, « Combustible » (2018) de Cœur de Pirate, la toute fin de la chanson « Deux ils, deux elles » (2013) de Lara Fabian (avec le craquage d’allumette), « Feu de bois » (2018) et « Démons » (2021) d’Angèle, la fin du vidéo-clip de la chanson « Oui ou non » (2019) d’Angèle (finissant en enfer après son accident de voiture), « Pleurs de fumoir » (2022) de Hoshi, l’album Chaleur humaine (2014) de Christine and the Queens, etc. On le voit dans leurs films : « Fille de Feu » (1932) de John Francis Dillon, « Opalo de Fuego » (1980) de Jesús Franco, « Feu follet » (2022) de João Pedro Rodrigues , « The Firefly » (2015) de Ana Maria Hermida, « Gasoline » (2001) de Monica Lisa Stambrini, « Bonfire » (2018) de Lou Morin, « Fire » (1996) de Deepa Mehta (film lesbien indien), « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma, la série Chicago Fire (2012) de Michael Brandt et Derek Haas, « Foxfire » (2013) de Laurent Cantet, etc. On le lit dans leurs romans : Tout feu tout femme (2019) de Julio Lezzie, Smoke and Fire (2014) de Julie Cannon, Forbidden Fires (1996) de Margaret Anderson, Embrase-moi (2021) de Kyrian Malone, The Forge (1924) et The Unlit Lamp (La Flamme vaincue, 1924) de Marguerite Radclyffe Hall, etc.. On l’observe au théâtre : les ateliers lesbiens « Comme nous brûlons » de la Mutinerie à Paris. Côté militant, dans les premières Gay Prides londoniennes, certaines lesbiennes portaient des badges et des pancartes les désignant comme incendiaires : « Lesbian ignite » (textuellement, « Lesbienne, mets le feu ! »). Il y a 2000 ans, saint Paul parlait déjà du désir homosexuel comme un feu dévorant : (Rm 1, 18 ; 26-27) : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par leur injustice, font obstacle à la vérité. […] C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » Et si, très inconsciemment, les lesbiennes nous prévenaient du feu des enfers et étaient les gardiennes-avertisseurs de la pratique homosexuelle ?
 

 

Lors de la Soirée Slam poétique « Les Grandes Histoires » du 7 décembre 2022 à la Matreselva (Paris), la slameuse lesbienne nommée Palma a sorti inconsciemment lors de son passage récité une référence entre lesbianisme et feu : « On se fait insulter comme un vrai couple de femmes, sans oublier jamais que ce qui compte c’est notre flamme. » Éminemment autobiographique.
 

 

 

Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, rien que le titre suggère la fusion des deux amants Thomas et François. Mais ce n’est pas tout : leurs rapprochements corporels amoureux sont mis sous le signe de la chaleur. Par exemple, ils improvisent chez eux une « Soirée feu-de-bois-peau-de-bête » Plus tard, on apprend que lors d’un dîner en amoureux dans un resto, François a brûlé au troisième degré Thomas en lui renversant des moules bouillantes dessus. Enfin, après une nouvelle dispute, François s’emporte : « Je te brûle ton marche-pied de la salle de bain ! » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.
 

Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, l’un des héros homosexuels, rentre, on ne sait trop pourquoi, à l’intérieur d’un collège désert, et pénètre dans une des salles de classe où il répète ce qu’il lit sur les murs : « Physique nucléaire… Physique nucléaire… » Dans le film lesbien archi cucul « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague, le commentateur « psy » (branché développement personnel, avec un zeste de spiritualité), expose sa théorie quasi irrationnelle de la « flamme jumelle » : il considère en effet que les amants (homos, hétéros, peu importe ! il suffit d’être « amoureux » !) sont comme deux flammes qui ne vont en former qu’une seule, sans même avoir maîtrisé consciemment leur symbiose : « En amour, un plus un font… un. Nous avons rarement l’occasion de voir tout l’art de l’amour. Mais ce que nous désirons tous : être aimés… d’un amour total, heathcliffien, unique, fusionnel. » Ce gourou gay friendly fait d’ailleurs tout pour que le couple lesbien Peyton-Elena se forme « naturellement ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la théorie du ying et du yang sert à justifier la supposée attraction homosexuelle entre les deux amis Schmidt et Jenko. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, une sorte de pasteur célèbre le mariage de Ben et Georges : il parle de l’amour comme d’une « énergie ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, croit, en amour et en matière de sexualité, au « principe de pressions réciproques », en s’appuyant sur un scientifique, Steinmann. Dans l’épisode 8 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, la formation du couple homo Éric/Adam est chimique et se forme en cours de chimie (sur un cours sur les valves pulmonaires et le cœur-organe !).

 

Au tout début du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Michel explique à Mélodie que pour ne pas perdre un savon qui s’amenuise dangereusement vers sa fin, il faut le faire fusionner avec un gros savon neuf… et cette « fusion », en plus d’être écolo, se veut une illustration scientifique des rapports humains amoureux aussi (que lui, Mélodie et Charlotte vont vivre dans le triolisme). En parlant des deux morceaux de savon, il dit ceci : « Ça les rassemble et les unit en un seul individu. »
 

Le désir homosexuel fonctionne par associations mentales abolissant la différence des sexes, mais aussi la différence des générations et celle des espaces : « J’imaginais le corps de Linde et la carte du pays fusionnant les limites entre plusieurs États afin qu’ils se chevauchent. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 57) Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent (30 ans) ne supporte tellement plus la fusion amoureuse avec Stéphane (50 ans) qu’il le bat régulièrement et finit par quitter : « On était l’un sur l’autre. C’était étouffant ! » Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? »

. Par exemple, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay, embrasse pour la première fois Patrick, en regardant une aurore boréale. Le couple y voit un signe qu’ils sont « deux âmes-sœurs qui se retrouvent » et qui se seraient connues avant même leur naissance terrestre, dans d’autres vies…
 

Film "Mel & Jenny" de Nana Neul

Film « Mel & Jenny » de Nana Neul


 

De manière générale, la juste distance entre les amants homosexuels fictionnels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) Étant toujours forcée, la fusion contient logiquement sa part de menace qui lui est consubstantielle : « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « C’est vrai que c’est pas simple, une greffe. Faut faire attention au phénomène de rejet. » (Thierry, le héros homosexuel s’adressant à son amant Martin, par rapport à sa propre intégration dans la famille de Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Toujours trop long à m’attacher et si long à me détacher. » (cf. la chanson « Au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Lâche, c’est plus fort que toi, tu nous fais mal, ne t’éloigne pas de mes bras. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Pas de ça chez moi ! Je te rends ton baiser ! » (Nathalie s’adressant à Tatiana dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « Elle m’a parlé de Sarah qui alternait les promesses et les refus, qui la repoussait et revenait la chercher quand Jane, découragée, renonçait. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 65) ; « J’ai juste envie de vomir à chaque fois que tu me touches. » (Édouard s’adressant à son amant Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Vous n’êtes pas un peu serrés tous les deux ? » (le père de Chris s’adressant à son fils et à Ruzy l’amant de ce dernier, sans comprendre encore qu’ils sont en couple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « J’étouffais. » (Aurora parlant de sa dernière relation lesbienne, dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Moi qui nous croyais soudés… » (Georges s’adressant à son amant William, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je brûle pour toi jusqu’à l’asphyxie. » (William s’adressant à Georges, idem) ; « Je vous trouve envahissante. Votre appétit m’étouffe. » (Fanny s’adressant à son amante Catherine, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu as pris toute la place. J’avais un tout petit bout de lit. » (Vlad, l’un des héros homosexuels, s’adressant au matin à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier dit à son amant qu’il l’« étouffe ». Dans le film « Harakiri Children » (2008) d’Ivan Livakovic, deux hommes tombent amoureux et se retrouvent totalement isolés du monde… mais leur « nid d’amour » se révèlera être un véritable champ de bataille. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, le « couple » Gabriel et Philippe est en perpétuelle tension entre rupture et fusion : Gabriel est un chien fou très absorbant, tandis que Philippe est au contraire très distant, nonchalant et n’assume pas leur union ; et dès que les engueulades menacent la cohésion de leur tout, Gabriel se met toujours à promettre un PaCS pour rabibocher fiévreusement et artificiellement les choses. Même souci de « colle amoureuse qui colle mal », et où l’un des partenaires du couple est plus à fond que l’autre, avec le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider… alors que pourtant, tout semblait tenir sur la photo instantanée : « Nos deux cœurs sont collés ensemble. » (Laurent s’adressant à André) Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel ne veut pas rester « scotché » à son amant Franck (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. ») alors que Franck veut plus de proximité et d’engagement (« Ça ne va pas m’amuser longtemps. »). Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, Alfredo et Carlos passent par toutes les phases de l’élastique tendu et détendu de la passion : attraction, processus de séduction et rejet… Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, après leur engueulade, Michel plaque son copain Jean-Yves à cause de sa possessivité ou de son propre refus de s’engager : « Il commençait à s’attacher, alors… » Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, la relation amoureuse qui s’instaure entre Alfredo et Carlos est un processus complexe d’attraction, de séduction et de rejet. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, à maintes reprises, les crises d’étouffement physique de Charlène, l’héroïne lesbienne, coïncident avec les vissicitudes douloureuses de sa passion amoureuse pour Sarah. À la fin, Charlène finit par étouffer son amante avec un coussin tellement elle est odieuse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian est en couple avec John, mais ça semble compliqué : John a toujours refusé de « s’engager »… et c’est au moment où Ian décide de partir au Mexique que John se met à lui dire qu’il est « l’homme de sa vie ».

 

Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne, tombe de haut quand la relation fusionnelle qu’elle a partagée depuis quelques mois avec sa compagne Claude, se solde par une rupture impromptue : « Putain, mais je comprends pas. On est tellement dans la fusion, avec Claude, elle m’a fait un vieux plan parano. » (p. 75) Son pote homo Simon s’énerve brutalement contre sa naïveté : « Non mais t’es dans la fusion, toi, Polly, et tu crois encore aux contes de fées lesbiennes. Franchement, il te faudrait quoi ? Que la merveilleuse princesse endormie te tombe dans les bras et qu’elle soit ta copie conforme, pas de soucis, pas d’angoisse, deux jumelles incestueuses qui sont le reflet l’une de l’autre, la parfaite copie ? » (p. 76)

 

Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Ils souffrent de vivre une relation sans forme, sécuritaire, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » avoue Antoine, « J’arrive pas à l’abandonner. » Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relève l’hypocrisie immature de ce fonctionnement de couple : « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. »
 

La fusion amoureuse homosexuelle n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’une refus de la solitude et de la liberté… d’une instrumentalisation mutuelle : « Tu comprends pas que je suis trop lâche pour te mettre dehors ?!? » (JP à son petit copain Ben, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, épisode 3 « État secret ») ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 63) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « S’aimer : résistance, dissonance. » (cf. la chanson « Love Song » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Pierre Bergé se voit reprocher par les amis ou la famille de Yves Saint-Laurent d’étouffer ce dernier : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé dans les œuvres homo-érotiques ; le personnage homosexuel se sent à la fois « tout contre » son partenaire, et « contre lui » : cf. le roman Tout contre Léo (2004) de Christophe Honoré, le film « Saturno Contro » (2007) de Ferzan Oztepek, la chanson « Mujer Contra Mujer » (« Une Femme avec une femme ») du groupe Mecano, la chanson « Amoureuse » de Véronique Sanson (« Quand je me serre tout contre lui, quand je sens que j’entre dans sa vie, je prie pour que le destin m’en sorte, je prie pour que le diable m’emporte. »), la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho (« Tu es le soleil contre moi. »), la chanson « L’un contre l’autre » d’Élisa Tovati (« On était si bien l’un contre l’autre. Qu’est-ce qui nous a poussés l’un contre l’autre avec le temps ? »), le film « La Belle Image » (1950) de Claude Heymann, le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil, le film « Contracorriente » (2009) de Javier Fuentes-León, le film « Peau contre peau » (1991) de François Ozon, le film « Grégoire Moulin contre l’humanité » (2011) d’Artus de Penguern, la chanson « À contre-courant » d’Alizée, etc.

 

L’adverbe polysémique « contre » symbolise un amour homosexuel à la fois rassurant et destructeur : « J’ai rêvé en m’endormant, hier soir, que je te chantais une chanson douce, une chanson française, et que nous nous endormions près d’une cascade en pleine nature, à la belle étoile, l’un contre l’autre – l’un dans l’autre… » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 119-120) ; « Je me pose tout contre lui. » (Kevin en parlant de Joe, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Je la serrai contre moi. Jamais encore je n’avais été si proche de ce qui, chez elle, m’échappait et m’attirait. » (Laura en parlant de son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 85) ; etc.

 

Les amants homosexuels sont très souvent en conflit parce qu’ils se placent systématiquement l’un contre l’autre, dans tous les sens du terme : « Depuis longtemps, nous n’avions pas été ainsi : corps contre corps. » (Kévin et Bryan, les héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 284) ; « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, op. cit., p. 317) ; « On continua de parler, dans la pénombre de ma chambre, dans la chaleur de mon lit, l’un contre l’autre. » (Kévin et Bryan, op. cit., p. 326) ; « Elle [Harriet] peut s’amuser à vous jeter contre moi. » (Auguste à Théo dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon) ; « Prends-moi dans tes bras, sans réfléchir, corps à corps, bouche contre bouche. » (Vincent à son amant Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 36-37) ; « Je me souviens de nous, marchant dans la rue, l’un contre l’autre, deux contre tous, à contresens. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Et j’ai compris. Khalid était mon ennemi. J’étais son ennemi. C’était écrit. Rien ne pouvait plus changer cette fatalité. J’ai fermé les yeux, moi aussi. Pour mieux me préparer au dernier combat. Le dernier round. Le dernier chapitre. L’un contre l’autre. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 163) ; « Ronit scruta l’obscurité, penchée vers la droite. Le mouvement la rapprocha d’Esti, elle se retrouva collée à elle, son flanc contre le sien. Elle fit la moue, perplexe. » (Ronit et Esti, les héroïnes lesbiennes, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 137) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa raconte qu’elle préfère vivre seule et qu’elle a l’impression d’être contre le cul d’un cheval : elle rajoute que contre un corps, elle ne sait même pas où mettre ses jambes. Dans la chanson « Quelle heure est-il ? » de Bilal Hassani, l’étreinte vire à l’étouffement : « Je me sens serré dans tes bras. Des bras que je ne connais pas. Je me sens serré, s’il te plaît. Je suis trop serré contre toi. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles désirant être pratiquantes, il est souvent question de la fusion, une fusion très proche du narcissisme, d’ailleurs : « Je ne me rappelle pas comment, ni pourquoi, mon union avec Jimmie s’est faite sur le sol carrelé blanc de la salle de bains de Merrywood. […] Nous étions là, ventre contre ventre, en train de ne former plus qu’un. […] Nous nous sommes donc simplement enlacés, reconstituant ainsi le mâle originel que Zeus avait divisé. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 47) ; « À deux, nos âmes fusionnent, nos cœurs se fondent l’un dans l’autre. » (Felice Newman, Les Plaisirs de l’amour lesbien, 2003) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko déclare qu’il a ressenti très tôt « des sentiments de fusions et d’effusions proches de son attirance envers les garçons » (p. 96).

 

Sans faire trop de psychologie de comptoir, on peut quand même voir dans la recherche de fusion amoureuse une résurgence d’un manque de détachement de certaines personnes homosexuelles avec leurs propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (White cité dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, sur Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Le sens de la réalité leur échappe parce qu’ils ont fait pour ainsi dire l’économie de l’étape oedipienne et que la séparation entre Moi et non-Moi n’existe pas pour eux. Leur vision du monde est de type fusionnel. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 97)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, on nous fait croire que la relation incestuelle, « fusionnelle » et de copinage entre le père homosexuel et sa fille biologique pourrait très bien se substituer à l’union conjugale passée du père et de la mère biologiques, par l’entremise magique du coming out (ils discutent « mecs » ensemble, peuvent faire du shopping et se conseiller vestimentairement). La séparation ou la rupture conjugale femme-homme est maquillée et surinvestie en fusion filiale, « grâce » à l’homosexualité.

 

À l’âge adulte, beaucoup d’entre elles vivent dans le fantasme de fusionner avec leur amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître elles-mêmes : « Il devient plus qu’un simple corps et se transforme en une extension de mon être. Je n’existe qu’à travers lui. Qu’en lui. Je n’ai plus de vie propre, je fusionne avec lui. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 54) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (Jean-Paul Sartre parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 169) ; etc.

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale : « Antoine aime être auprès de Bruno. Il aime sa chaleur. Il en a besoin. Mais il arrive un moment où il faut se détacher et le corps n’obéit pas… » (cf. résumé du film « Chaleur humaine » (2012) de Christophe Predari dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 58) ; « Je crois que mon coloc veut me serrer. » (cf. la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil) ; « Vous avez réussi à absorber ma vie entière. » (Oscar Wilde à son amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis, 1897) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « Disciple de Messmer ou adepte du mesmérisme, Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) croyait beaucoup au magnétisme et pour lui le courant érotico-magnétique était concentré dans l’organe sexuel masculin. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 79) ; etc.

 

Par exemple, pendant les trois longues heures du film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le spectateur n’a droit qu’à des gros plans très resserrés sur les visages des héros… quand ce ne sont pas des plans carrément flous d’être trop proches, ni des scènes filmées en caméra subjective. Il n’y a pas d’espace : ni entre les personnages (qui passent leur temps à s’embrasser), ni entre le réalisateur et ce/ceux qu’il filme. Cela montre bien que « La Vie d’Adèle », même dans sa forme, est un film égocentrique, narcissique, fusionnel et oppressant.

 

Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) suppose dans ses écrits que « le plaisir de l’homosexuel est supérieur au déplaisir de son partenaire – comme si, encore une fois, ils pouvaient être mesurés et comparés -, et que donc, la somme des deux étant positive, cette relation est justifiée. Nul besoin de dire qu’on est là sur une pente glissante extrêmement dangereuse, où l’on peut justifier toutes sortes de mise en esclavage d’une minorité par une majorité au nom du « bien commun ». Nul besoin non plus d’insister sur les germes de totalitarisme que contient cet utilitarisme sexuel ». (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 86)
 

La présence physique, et le rapprochement des corps ne sont pas systématiquement synonymes du rapprochement des cœurs. Parfois, ils peuvent même être un mirage occultant l’absence d’amour, l’incroyable isolement qui se vit dans le couple homosexuel : « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Souvent, la juste distance entre les amants homosexuels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) ; parfois même des viols : Vladimir Marinov nous parle à juste raison de cette « tension entre liaison et déliaison excessives » impulsée par les désirs dispersants tels que les désirs homosexuel ou hétérosexuel, qui ne sont que des variantes de la pulsion de mort. « La pulsion de mort n’est pas plus associée à un mouvement de déliaison outrancier qu’à un mouvement de liaison excessif ; les deux mouvements, poussés à l’extrême, peuvent devenir destructeurs ; de fait, ils sont complètementaires et inséparables. » (cf. l’article « Le Narcissisme dans les troubles de conduites alimentaires » de Vladimir Marinov, dans l’essai Anorexie, addictions et fragilités narcissiques (2001), p. 59) Dans les couples hétérosexuels comme homosexuels, il y a peu de place pour le Désir tant la fusion en leur sein est désirée : « Il n’y a pas de désir entre nous. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 334) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Pensons également au nom de scène choisi par la chanteuse/le chanteur français(e) Desireless, ainsi qu’au titre de la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard. La fusion recherchée n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’un refus de sa propre solitude et liberté : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi, l’essai Comme un seul homme (2012) d’Emmanuel Pierrat, etc. Je vous renvoie aux codes « Viol », « Pygmalion » et « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Ce qui est vrai en amour homosexuel (= cette violence de la fusion désirée) l’est aussi pour le rapport de beaucoup de personnes homosexuelles vis à vis du monde qui les entoure. On observe un manque de distance, un manque de chasteté, un manque de maturité, qui confinent à l’orgueil de se prendre pour Dieu et de s’auto-suffire : « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6) ; « Tu l’as dit toi-même. Je ne sais pas couper les liens que j’ai avec les autres. » (Xavier, homosexuel, s’adressant à sa fille, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; « L’idée, c’est qu’on soit tous les deux le père biologique. Ce serait des jumeaux avec la même mère biologique et le sperme de nous deux. » (Christophe à propos de Bruno, son compagnon, avec qui il programme une GPA avec mère porteuse, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015) ; etc.

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Film "En chair et en os" de Pedro Almodovar

Film « En chair et en os » de Pedro Almodovar


 

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé par les personnes homosexuelles ; elles se sentent à la fois « tout contre » leur partenaire, et « contre lui ». L’adverbe polysémique « contre » symbolise en général un amour homosexuel rassurant et destructeur : « Le chanteur est arrivé : la foule s’est agitée, elle s’est compressée en direction de la scène. Le corps de l’homme s’est retrouvé poussé contre le mien, et à chaque mouvement de foule nos corps entraient en friction. Nous étions de plus en plus serrés l’un contre l’autre. Il souriait, gêné et amusé, le corps irradiant l’odeur de la sueur. J’ai perçu son changement d’état, son sexe se dresser progressivement et cogner le bas de mon dos. » (Eddy Bellegueule dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 177) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) ; « Je haïssais Chouaïb. Il ne m’attirait plus. Mais je voulais rester ainsi pour toujours, nu, collé à lui tout aussi nu, peau contre peau, vivant dans le chaos de cette guerre intime, sexuelle. » (Abdellah Taïa à propos de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 23) ; « Je ne pouvais pas dormir. Excité par mes souvenirs encore tout frais de nous deux la veille du retour à Paris, intensément dans le désir et les sentiments bruts, silencieux, loin, puis proches, corps contre corps. » (Abdellah Taïa à propos de Javier, op. cit., pp. 39-40) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui.  La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, op. cit., p. 110) ; « Slimane, je n’arrive plus à t’appeler cher Slimane, tellement je suis en colère. Contre toi. Contre moi. Contre cette injustice que tu m’imposes. Contre l’amour qui n’a plus aucun sens aujourd’hui pour moi et qui, pourtant, est encore là, au fond de mon cœur. Contre cette censure que tu te permets d’exercer dans notre ‘Journal amoureux’. » (idem, p. 112) ; « On s’oublie le long du corps de l’autre, de sa douceur et sa chaleur. On s’oublie réellement, je veux dire, on ne sait plus très bien où l’on et, on agit avec instinct, les yeux mi-clos, le cerveau éteint. C’est bon et vain à la fois. […] On devient deux corps étrangers posés l’un contre l’autre, encore chauds, encore endoloris par endroit. On est presque surpris par cette indélicatesse de l’autre de s’être laissé aller si promptement à ses instincts les plus vils. La recherche égoïste et rageuse du plaisir à l’encontre de l’autre. Je filme. Il me regarde avec étrangeté, sans ses lunettes écailles. Dans son regard, il n’y a ni douceur ni tendresse, juste un étonnement, un questionnement. Je murmure : ‘Quand on ouvre les yeux, on doit se souvenir contre qui on s’est échoué.’ » (Mike à son amant d’un soir, « P.-O. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 57-58) ; « Je flairais un brin d’allégresse, lorsque la sensation de ses doigts pour me pousser à danser contre lui pénétrait sur ma chair, créant une vive douleur. Cependant, je désirais cette souffrance pour reprendre conscience de mon corps, comme emporté loin de moi par la vague de plaisir. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66) ; etc. Par exemple, en 1875, Heinrich Marx s’exprime à propos de l’acte sexuel entre un homme et un Uraniste : « Puisque l’Uraniste a un corps principalement charnu et tendre, en serrant les cuisses l’une contre l’autre, il offre une place pulpeuse à la place des organes féminins, qui est capable de s’adapter à l’organe d’amour de l’homme. Pendant la jouissance, comme dans l’amour ordinaire, l’homme et l’Uraniste sentent passer un courant magnétique. »

 

Entre fusion et confusion, il n’y a qu’une seule syllabe de différence ! (… et pas n’importe laquelle !). Enfin, pour la petite histoire, je ne crois pas que Fire Island soit un lieu de villégiature homo par hasard…

 
 

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Code n°94 – Île

île

Île

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Myconos, c’est fini !

 

La tendance homosexuelle aurait-elle un caractère d’insularité ? Symboliquement et fantasmatiquement, oui. L’île est le lieu de la beauté esthétique qui se fait passer pour de l’Amour. Elle est aussi un coin reculé, à part, qui renvoie à la différence homosexuelle, à la mise à l’écart, à la misanthropie et à l’éloignement narcissique du Réel chez certaines personnes homosexuelles.

 

Une île entre le ciel et l’eau… L’île est l’espace du marginal homosexuel qui n’a ni les pieds sur terre, ni le cœur assez tourné vers Dieu, du traître qui s’isole pour aimer (alors que l’Amour vrai, même s’il a besoin d’intimité, n’est jamais synonyme d’isolement, de rupture totale avec le reste du monde), de l’intermédiaire qui ne joue pas son rôle humanisant de médiateur. L’île constitue souvent le lieu de villégiature préféré des couples homos fictionnels… et parfois des amoureux gays et des amoureuses lesbiennes réels. Dans la scénographie homosexuelle, elle n’est pas nécessairement un cadre bucolique et paradisiaque : elle peut se limiter à une métaphore carcérale ou corporelle. Ce qui ressort dans ce code insulaire, c’est l’idée de cocon d’amour homosexuel, un nid à première vue chaleureux, mais qui, sur la durée, s’annonce étouffant. La « solitude à deux » homosexuelle cache bien son jeu… et ne mesure pas qu’une île n’est pas éternelle.

 

Le couple homosexuel comme une « presqu’île »…

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Solitude », « Moitié », « Jumeaux », « Voyage », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Fusion », « Inversion », « Icare », « Planeur », « Eau », « Homme invisible », « Substitut d’identité », « Fatigue », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », et à la partie « Peter Pan » du code « Parodies de mômes » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) L’île aux merveilles narcissiques :

Pochette de la chanson "Canary Bay" d'Indochine

Pochette de la chanson « Canary Bay » d’Indochine


 

Dans les fictions homo-érotiques, le motif de l’île revient très souvent : cf. le film « Isle Of Lesbos » (1996) de Jeff B. Harmon, le roman L’Île aux Dames (1895) de Pierre Louÿs, le roman L’Île atlantique (1979) de Tony Duvert, le film « Children Of God » (2010) de Kareem Mortimer (avec l’île d’Eleuthera), la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud (avec l’île de la Liberté), le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Moon Island), le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest (avec l’île de Corinthe), le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo (avec l’île de Rhodes), le roman La Presqu’île des brouillard (1991) de Francis Robert, le poème « L’Île au trésor » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le roman Aux portes de l’île (2010) de Mathieu Riboulet, le film « L’Île Atlantique » (2005) de Gérard Mordillat, le roman La Isla (1961) de Juan Goytisolo, le roman Son frère (2001) de Philippe Besson, le film « Mediterraneo » (1991) de Gabriele Salvatores, le film « Regarde la mer » (1997) de François Ozon, le roman L’Île d’Arturo (1957) d’Elsa Morante, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann, le film « Deep Waters » (1948) d’Henry King, le film « Il Mare » (1962) de Giuseppe Patroni Griffi, le film « Agostino » (1962) de Mauro Bolognini, le film « Wilby Wonderful » (2005) de Daniel McIvor, le film « Frans En Duits » (1995) d’Orlow Seunke, la chanson « La Isla Bonita » de Madonna, le vidéo-clip de la chanson « Pure Shores » des All Saints, la chanson « Autonome » de Catherine Lara, etc. Par exemple, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune héros homosexuel, habite sur l’île de Crête. Dans le roman Deux garçons, la mer (2014) de Jamie O’Neill, Jim et Doyler, les deux amants homos, se retrouvent tous les matins sur les rochers du Forty Foot pour se baigner : ils font le serment de traverser à la nage la baie de Dublin, le jour de Pâques 1916, pour aller planter un drapeau irlandais sur un îlot battu par les flots. Certains « critiques » littéraires arrivent à prêter à Robinson Crusoé et à son compagnon Vendredi une liaison homosexuelle.

 

Canary Bay, le Pays imaginaire, l’île des Amazones ou de Lesbos (si chère à la poétesse Sappho)… beaucoup d’îles sont des destinations particulièrement privilégiées par les personnages homosexuels, pas seulement pour leur beauté, mais aussi pour leur configuration géographique (petites criques, plages, l’aspect « lieux retirés », baies cachées, etc.) favorisant des pratiques sexuelles clandestines et honteuses sous des prétextes esthétiques de cartes postales : « Tous les trois mois, j’vais dans les îles. » (un protagoniste homosexuel de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Après le repas, Ethan reste seul à la table du Samothrace. Il laisse son regard se perdre dans les fresques. Tout doucement, il s’imagine à la grande époque grecque, lorsque le sanctuaire des Grands Dieux était en activité sur l’île de Samothrace. Il se demande quelle place il aurait occupé dans cette société. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 64) ; « J’ai toujours rêvé de vivre sur une île sauvage. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 208) ; « J’ai pas du tout envie d’être la Reine d’une île grecque. » (Europe, Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Je vous laisse pagayer jusqu’à votre île de lesbiennes. » (Loren, l’hétérosexuelle, s’adressant ironiquement au « couple » lesbienne Karma/Amy, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, cf. l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; etc. Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Paolo, l’ex d’Erik, a toujours rêvé de vivre sur une île au Brésil. Dans le roman Down There On A Visit (L’Ami de passage, 1962) de Christopher Isherwood, le narrateur homosexuel, Christopher, évolue sur les îles grecques de 1933, où il côtoie une bande d’homosexuels qui gravitent autour d’Ambrose, un Anglais riche et dépravé.

 

Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, l’île d’Eleuthera près des Bahamas est présentée comme le lieu où se vit l’Amour universel, où tous les personnages – hétéros comme homos – vont guérir de leurs amours passées et retrouver un nouvel amour fusionnel. D’ailleurs, Johnny se présente inconsciemment à son futur amant Johnny comme l’incarnation de l’île : « Demain, tu verras le vrai visage de l’île. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Joey, le jeune adolescent de 15 ans, sur qui pèse une suspicion d’homosexualité, dit qu’il a vécu son premier grand amour pour une fille sur les Îles Vierges.

 

L’île semble agir comme un miroir narcissique (cf. je vous renvoie à la partie « Peter Pan » du code « Parodies de Mômes » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Hier j’ai fait un rêve. C’était en Grèce peut-être, en tout cas sur une île où les femmes vivaient ensemble. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 19) ; « Souvent, il me semble que j’appartiens entièrement au rêve que j’ai fait de cette île grecque avec les Amazones, et que je vis à mon époque par erreur. » (idem, p. 48) ; « Julien Brévaille, en face de moi, est mon île et mon rêve. » (le narrateur homosexuel du roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 47) ; etc.

 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Jim et son amant Doyler, les deux adolescents amoureux, apprennent à « s’aimer » à la mer, sur une île où ils vivent leur secrète idylle, la petite île de Muglins Rock : « Ici, sur notre île, c’est chez nous maintenant. Personne ne pourra nous prendre cet instant. » dit Doyler à Jim.
 

L’île est l’espace de la dualité diabolique, entre terre et mer : « Refais le rêve obscur d’une île. » (cf. la chanson « Looking For My Name » de Mylène Farmer) ; « Bientôt, l’île [de la Cité] fut déserte d’humains et couverte de rats qui chantaient bien fort nos vieilles chansons révolutionnaires. […] Nous comprîmes que nous bénéficiions de la protection d’un être de nature soit divine, soit diabolique, ou une alliance des deux. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 93) ; « Le monde est une boule de mer ; le seul bout de terre qui continue à flotter étant votre île de la Cité. » (l’Albatros s’adressant à Gouri, idem) ; « Jane contempla son ventre qui émergeait de l’eau telle une île volcanique dans une mer savonneuse. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 41) ; etc.

 

Film "contracorriente" de Javier Fuentes-León

Film « contracorriente » de Javier Fuentes-León


 

Souvent, le personnage homosexuel parle de l’île comme une métaphore poétique de son propre isolement volontaire/subi : « Elle [Annah] dit qu’elle vient d’un pays trop grand pour elle, sans frontières. Il y a juste de l’eau autour. » (Greg parlant de sa meilleure amie lesbienne, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini) ; « Il va hériter du blason, du château, des estancias et de mes îles d’Outremer ! Et nous allons tout tenter pour en faire un Vice-Roi ! » (Pédé parlant de son petit-fils Gilles Blaise de la Soledad, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Les hommes sont des îles. » (cf. la chanson « Adieu » de Philippe Tailleferd) ; « Tout seuls dans nos vies. » (cf. la chanson « Réveille-toi » de Philippe Tailleferd) ; « Les îles n’ont pas de fond. » (Dotty, l’une des deux héroïnes lesbiennes du film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald) ; « J’aurais aimé être un pédé heureux. Dehors, c’est pas possible. Ils ne comprennent rien. Ils confondent tout. Le vice et l’amour… » (Éric Caravaca dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux) ; etc.

 
 

b) La « solitude à deux » insulaire et mortifère :

L’île comme métaphore de l’isolement narcissique individualiste peut s’étendre au couple homosexuel fictionnel : cf. le film « L’Île des amours interdites » (1962) de Damiano Damiani, le film « Lucía Y El Sexo » (2001) de Julio Medem, le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, les chansons « JBG » et « Mon Maquis » d’Alizée (avec l’île de Corse, « subtilement » comparée au sexe féminin), etc.

 

À maintes reprises dans la fantasmagorie homosexuelle, les amants, dans un élan androgynique égocentrique, veulent vivre à deux en autarcie sur une île : « Eh voilà… l’Île de la Tentation… » (Francis, le héros homosexuel s’adressant à Stan en le prenant par l’épaule, dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt) ; « Nous sommes isolés à présent. Complètement isolés ! C’est drôle, non ? » (Christopher Wren, le héros homosexuel tout excité, dans la pièce The Mousetrap, La Souricière (1952) d’Agatha Christie, mise en scène en 2015 par Stan Risoch) ; « « Mon île, mon ‘il’. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 52) ; « J’étouffe ici. Si on allait sur l’île ? » (les deux amants dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; « Moi, je serais bien partie sur une île. » (Ada s’adressant à son amante Cherry dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Nous sommes isolées du reste du monde. » (la narratrice lesbienne parlant à son amante Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 33) ; « D’une certaine manière, nous sommes parfaitement libres d’agir comme nous le voulons l’un par rapport à l’autre, tu comprends ? Comme si nous étions dans une île déserte. Une île où nous serons peut-être seuls des années. Ceux qui nous oppriment sont hors de notre cellule, pas à l’intérieur. Ici personne n’opprime personne. » (Valentín s’adressant à son amant Molina, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, pp. 192-194) ; « C’est à Canary Bay, des filles qui s’aimaient en secret. » (cf. la chanson « Canary Bay » du groupe Indochine) ; « Qu’est-ce que t’en dis si on se passe une petite journée rien que toutes les deux sur une plage toute isolée ? J’en connais une. » (Sonia s’adressant à son amante Clara, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Pourquoi, il n’y a personne pour nous voir. » (Saïd dans la pièce Les Paravents (1961) de Jean Genet) ; « J’ai enfin quelqu’un pour partager sur la solitude qu’est la nôtre. » (Jean-Jacques s’adressant à son amant Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Tous les mecs ils sont cons. Et puis je me dis que si on était juste toutes les deux ce serait peut-être mieux. » (Zoé s’adressant à sa meilleure amie et amante occasionnelle Clara, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; On s’entend bien toi et moi dans un lit. On s’entend même mieux dans un lit qu’en dehors. » (Vincent ayant recouché avec son « ex » Stéphane pour une nuit, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tout ce que je veux, c’est qu’on soit heureuses. » (Albertine s’adressant à son amante Lena, dans l’épisode 85 « La Femme aux gardénias » (2017) de la série Joséphine Ange-gardien) « On n’a besoin de personne pour ça. » (Lena, idem) ; etc.

 

Mais ne nous fions pas aux apparences. L’île n’est pas qu’un gentil cliché romantique et esthétique. En effet, bien souvent, les deux membres du couple homosexuel sont tellement repliés sur eux-mêmes que l’excès de proximité, d’isolement, de confort et de fusion les rend étrangers l’un à l’autre. Ils expérimentent l’étrange sensation d’une « solitude à deux » : ils sont a priori en couple (cf. je vous renvoie aux codes « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Fusion », « Solitude » et « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), mais au final, chacun se sent terriblement isolé, victime de leur égoïsme profiteur mutuel : cf. le film « Un Pyjama pour deux » (1961) de Delbert Mann, le film « Together Alone » (1991) de P. J. Castellaneta, etc. Ils découvrent qu’ils ne se connaissent pas, qu’ils sont tous les deux dans des bulles séparées. « J’en apprends plus sur toi en une matinée qu’en un an ! En fait, je réalise que je ne sais rien de toi. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 418) ; « Tu m’as ignoré, oublié, écarté. Tué. Tu ne m’as même pas regardé, Khalid, tu n’as même pas cherché à me prendre avec toi par les yeux. Non. Tu es resté tout seul dans ta gloire. Tout seul dans ton moment. Égoïste. Égoïste. Tu étais égoïste, Khalid. Et j’étais seul. Seul et à côté de toi. Seul et toujours accroché à toi… » (Omar parlant à son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 132) ; « Dans sa chambre, isolés du monde, j’étais revenu tellement de fois, avec enthousiasme, extase, sur ce pont, sur ce mystère. » (Omar parlant de la chambre de Khalid, op. cit., p. 170) ; « Personne non plus dans ma vie ne connaît ton existence. » (Daniel s’adressant à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Il jouit en moi comme il s’en retire, sans un bruit, sans un regard pour moi, sans un mot ou un geste. Je le regarde partir se laver dans la salle-de-bain dans une odeur de merde chauffée, le cul endolori, la bite encore dure, avec un sentiment violent de frustration. Il revient, s’installe pour dormir, me repousse quand je veux me coller à lui en m’expliquant ‘Ah non, ça m’empêche de dormir, d’avoir quelqu’un collé à moi.» (Mike, le narrateur homosexuel décrivant son amant Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 98) ; « Me parlez-vous de loin, de votre île de la lune à l’envers qui invite à l’union ? » (Émilie parlant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « J’ai l’impression que vous m’habitez, que vous me parlez sans cesse, de là-bas, de votre domaine sur l’île de la lune à l’envers. » (idem, p. 138) ; « À n’en pas douter, quelque chose a été profondément bouleversé en moi et je ne suis plus celle que j’étais avant de poser le pied sur votre île. Aurais-je bu un philtre à mon insu ? » (idem, p. 143) ; « Plus mes relations avec lui devenaient étroites, plus je m’isolais du monde extérieur : en même temps que la chaleur de cette sphère intérieure, je partageais l’isolement glacial de son existence, totalement en marge. » (le narrateur parlant de son amant, dans le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 67) ; « Faudrait voir à ne pas vivre dans sa planète à part. » (Pierre, l’hétéro mettant en garde contre la tendance autarcique des couples homos, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je renforcerai mon emprise. Je continuerai à t’isoler des autres. » (Sigrid s’adressant à son amante Maria, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; etc.

 

Par exemple, dans le film lesbien « Viola Di Mare » (2009) de Donatella Maiorca, Angela et Sara vivent isolées sur une île près de la Sicile. Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homosexuel, va pleurer son amour homosexuel perdu et impossible sur l’île de Key West. Dans le roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, les personnages homosexuels en couple affirment expérimenter « la solitude à deux sur une île » (p. 33).

 

En plus d’un éloignement de l’Amour incarné, l’île symbolise beaucoup plus dramatiquement le viol, l’inceste, ou la mort : « Nagez, Linda ! Il y a une île ! […] Oh merde ! L’île qui s’enfonce ! » (Loretta Strong dans la pièce éponyme (1974) de Copi) ; « Le jeune homme [Ednar, le héros martiniquais homosexuel] trouvait toujours un prétexte pour reporter son fameux voyage. La plus heureuse était Adesse [la mère d’Ednar] ; pour elle, tous les prétextes étaient bons pour retenir dans l’île Ednar. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, Un Fils différent (2011), p. 28) ; « C’est compliqué de s’éviter sur une île. » (Chloé dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Sur une île, tout se sait. C’est épuisant. […] Sur une île ou dans une cité : même combat ! » (Léa, idem) ; « La Nature est cruelle. Sébastien l’avait toujours su depuis sa naissance. J’ignorais que nous sommes traqués, tous dévorés par l’avide Création. Je refusais d’affronter cette horrible vérité. Quand soudain, l’été dernier, j’ai appris que Sébastien disait vrai, que ce qu’il m’avait montré aux îles Galapagos était l’horrible, l’inéluctable vérité. » (Mrs Venable parlant de son fils homosexuel, dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « Le charme de l’île Moustique tenait à son absence de charme ; et à son sens cultivé du snobisme, du ridicule et du mauvais goût. » (Emmanuel Pierrat, Les Dix Gros Blancs (2005), p. 22) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « L’inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, l’île est le théâtre de meurtres homophobes entre personnes homosexuelles : « C’est un petit monde. Vous devez tous vous connaître, non ? » (l’Inspecteur s’adressant à Franck, le héros homo). Franck rêverait d’une proximité et d’une fusion insulaire avec Michel, l’assassin, alors que ce dernier ne veut pas rester « scotché » à lui : « Ça ne va pas m’amuser longtemps. » Michel avait déjà assassiné par noyade son premier amant qui était trop rentré dans le jeu enfermant de l’île.

 

À l’instar de l’île au Diable des Dix Petits Nègres (1939) d’Agatha Christie, l’île des fictions homosexuelles se présente comme un piège qui se referme sur les héros : cf. le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (où les habitants homosexuels d’une île meurent un par un), le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat (avec l’île Moustique qui est le théâtre d’une série de meurtres), le film « The Last Island » (1990) de Marleen Gorris, le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, le film « L’Évadé de l’Île au Diable » (1972) de William Witney, le film « La Chair et le Diable » (1927) de Clarence Brown, le film « Island Of Lost Souls » (1933) d’Erle C. Kenton, le film « Voodoo Island » (1957) de Reginald Le Borg, le film « The Tempest » (1979) de Derek Jarman, les films « Vampyros Lesbos » (1970) et « La Comtesse noire » (1973) de Jess Franco, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi, la pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec l’île des Rats), etc.

 

Film "Cloudburst" de Thom Fitzgerald

Film « Cloudburst » de Thom Fitzgerald


 

Par exemple, dans le film « Camping 2 » (2010) de Fabien Onteniente, Patrick et Jean-Pierre sont coincés sur une île, l’île de la Vieille, revivant ainsi la Légende de l’île de la Vieille. Dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, le couple lesbien Dotty et Stella manque de se noyer parce que les deux femmes âgées s’aperçoivent trop tard qu’elles se trouvent sur une île au moment de la montée des eaux de la marée : « Oh merde ! C’est une île !!! » s’exclame Stella avec effroi.

 

Non, ce n’est pas futile, une île…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’île aux merveilles narcissiques :

ÎLE Sitges
 

Myconos, Ibiza, Sitges, Dinah Shore, l’île de Lesbos… beaucoup d’îles sont des destinations particulièrement convoitées par les touristes homosexuel(-e)s, pas seulement pour leur beauté, mais aussi pour leur configuration géographique (petites criques, plages, l’aspect « lieux retirés », baies cachés, etc.) favorisant des pratiques sexuelles clandestines et honteuses sous des prétextes esthétiques de cartes postales.

 

Par exemple, dans l’autobiographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, il est question de « la fréquentation homosexuelle de l’île de Lesbos » (p. 226).

 

Celle qui sort du lot reste quand même l’île de Capri, un lieu de villégiature très apprécié par certains membres de la communauté homosexuelle : Oscar Wilde, André Gide, George Eekhoud, Jean Cocteau, le baron d’Adelswald-Fersen, Somerset Maugham, E. F. Benson, Norman Douglas, Natalie Barney, Romaine Brooks s’y retrouvaient. À ce propos, Hervé Vilar, homosexuel notoire, a interprété la fameuse chanson « Capri, c’est fini » qui reste dans de nombreuses mémoires.

 

Plus symboliquement et fantasmatiquement, l’île semble agir comme un miroir narcissique (cf. je vous renvoie à la partie « Peter Pan » du code « Parodies de Mômes » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. la biographie Un Rajah blanc à Bornéo (2002) de Nigel Barley (avec l’île de Bornéo), le site gay hispanophone Isla De La Ternura (traduction française : « Île de la tendresse »), la série Les Enfants des Îles (1980-1981) de Pierre et Gilles, etc. « Mon index caresse une photo de cet été où il se tient debout torse nu devant la mer dans l’île de Fuerteventura, comme si j’espérais que du corps de papier émanerait la chaleur du corps réel. » (Christian à propos de son amant Kamel, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 25) ; « Fantôme figuratif : oiseau, poisson des Îles » (cf. un dessin de Roland Barthes réalisé le 24 juin 1971, figurant dans l’autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 84) ; « L’île : chez moi thème récurrent. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 42) ; « Un jour, tu seras sur une île antique où les femmes ont été libres de s’aimer entre elles. » (la grand-mère parlant à son petit-fils Alfredo Arias, dans l’autobiographie de ce dernier Folies-fantômes (1997), p. 160) ; « Je me reconnais à 100% dans le personnage de Claudine Dorsel dans le Club des Cinq ; Comme elle, je ne voulais pas grandir, comme elle j’aurais préféré vivre à l’âge adulte seule dans mon île avec mon chien. » (Bab El dans son article « Tom Boy à l’affiche »); etc.

 

Souvent, les personnes homosexuelles parlent de l’île comme une métaphore poétique de leur isolement volontaire/subi. Une sorte d’image d’Épinal de la mélancolie. Saudade…

 
 

b) La « solitude à deux » insulaire et mortifère :

Lesbos, île grecque de la Mer Égée connue pour sa poétesse Sappho

Lesbos, île grecque de la Mer Égée connue pour sa poétesse Sappho


 

L’île comme représentation romantique de l’isolement narcissique individualiste peut s’étendre au couple homosexuel. Un certain nombre d’amants, dans un élan androgynique égocentrique, veulent vivre à deux en autarcie sur une île : « À Elle sur l’Île. » (cf. la courte dédicace d’Élisabeth Brami pour ouvrir son roman Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 7)

 

L’île n’est pas qu’un gentil cliché romantique et esthétique. En effet, les deux membres du couple homosexuel ont tendance à être tellement repliés sur eux-mêmes que l’excès de proximité, d’isolement, de confort et de fusion les rend étrangers l’un à l’autre. « On vivait vraiment dans notre monde à nous. » (Nadia, témoin homosexuelle parlant de sa liaison secrète avec sa compagne, dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre) Ils expérimentent l’étrange sensation d’une solitude à deux : ils sont a priori en couple (cf. je vous renvoie aux codes « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Fusion », « Solitude » et « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), mais au final, chacun se sent terriblement isolé, victime de leur égoïsme profiteur mutuel : « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; « Mon corps était devenu ton corps. Mais tu voulais encore et encore plus. Quoi, plus ? Je ne savais plus quoi te donner… Tu exigeais que je sois là pour toi, tout le temps. Je l’ai fait. Avec plaisir. Avec amour. Avec dévotion, je t’aimais. Je t’adorais. J’ai quitté les autres, ma vie, mon chemin dans Paris, mes projets, pour toi. » (Abdellah Taïa s’adressant à son ex-amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 114) ; « Au fond, tu n’as eu à aucun moment l’idée de la solitude amoureuse que tu m’imposais… » (idem, p. 121) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Pierre Bergé se voit reprocher par les amis ou la famille de Yves de l’enfermer : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 

La « solitude à deux » est souvent exprimée par mes amis homos qui vivent en couple ou qui rêveraient de vivre en couple, comme le montre cet extrait d’un mail que m’a écrit un ami qui, en 2002, essayait de me draguer et de m’apitoyer sur son sort : « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse… et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoirs vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo [le bar homo angevin que nous fréquentions en 2002]. L’ambiance festive me plait et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. »

 

Dans les discours, l’île symbolise beaucoup plus dramatiquement le viol, la mort ou le choc avec le Réel : « Ils [Polo et sa sœur Nuna] sont allés en vacances sur l’île de Lesbos. Un jour, ils étaient sur le port, quand un groupe de quatre marins les ont invités à faire un tour. Ils voulaient leur montrer le vieux château qui surmonte la ville. Ils les ont suivis. Le soleil tombait. Après la visite, quand ils ont voulu rentrer, Polo et Nuna se sont aperçus que les portes du château étaient fermées. Impossible de s’échapper. Les murailles avaient huit mètres de haut. Polo était ravi de se trouver enfermé en compagnie de ces quatre marins. Mais il ne savait pas quoi faire de sa sœur. […] Les marins n’ont fait ni une ni quatre. Ils ont enculé Polo et sa sœur Nuna, comme si elle était Rita Hayworth. » (Luisito dans la biographie Folies-fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 226) ; « J’ai bien peur qu’on vive vraiment dans notre microcosme, protégés et aimés par nos amis et nos parents. Et je crois que ce n’était qu’une illusion. » (Luca à son amant Gustav, après leur micro-trottoir tâtant le climat d’hostilité sociale vis à vis des couples homosexuels en Italie, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi) ; etc.

 

Par exemple, dans ses mémoires Palimpseste – Mémoires (1995), Gore Vidal affirme qu’il pleurera toute sa vie son amour de jeunesse, Jimmie Trimble, mort brutalement à 19 ans sur l’île d’Iwo Jima : « Je n’ai jamais rencontré de nouveau mon autre moitié. » (p. 53). Le 22 juillet 2011, la revue Têtu célèbre un couple lesbien Hege Dalen et Toril Hansen en lien avec la tuerie de l’île d’Utoya : « Ces deux lesbiennes courageuses ont fait parti des premières personnes à porter secours aux jeunes ciblés par la terrible fusillade sur l’île d’Utoya, en Norvège, vendredi dernier. Grâce à un bateau, ce couple de femmes a aidé quarante personnes à s’enfuir lors du drame. »

 

Non, ce n’est pas futile, une île…

 
 

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