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Code n°112 – Manège (sous-codes : Fatigue d’aimer / Ennui / Infidélité)

Manège

Manège

 

NOTICE EXPLICATIVE

Voici venue l’heure du procès de l’« amour » homosexuel… ou l’heure de répondre au « Pourquoi ça marche moyen et ça use le cœur ? ».

 

Sans ironie aucune, je suis très admiratif des couples homosexuels de mon entourage qui s’efforcent de durer. Non pas parce qu’ils m’emballeraient et que je les jalouserais en secret, mais au contraire parce que je les plains sincèrement, et que je trouve que cela relève du miracle (ou plutôt de l’entêtement volontariste, jusque-boutiste !) que de parier sur la force du désir homosexuel, par essence fragile et lâche, pour se lancer dans la périlleuse aventure de l’Amour ! Cela relève de l’inconscience que d’essayer de concrétiser un genre d’amour que le Réel a en partie quitté. Rendre aimant et puissant un désir homosexuel qui ne l’est pas totalement oblige à faire plus d’efforts que dans un couple qui intègre la différence des sexes, à élaborer à la force de l’intellect (et du déni !) une structure conjugale qui restera défaillante sur bien des domaines (je ne me centre absolument pas sur la procréation quand je dis cela ; bien avant celle-ci, je parle de la faiblesse des raisons premières qui ont motivé la formation des couples homos) ; cela oblige aussi à mettre encore plus le paquet sur la sincérité et le maquillage des limites objectives de l’union homosexuelle. Et même avec la conscience de ces limites-là, je crois que l’amour homosexuel, qui repose essentiellement sur deux immaturités, sur la rencontre de deux blessures narcissiques, sur la notion de devoir conjugal plus que de nature et de simplicité, qui abuse des béquilles telles que les sentiments, la génitalité, et le sens de l’engagement (si peu développé dans les rangs homosexuels, il faut le reconnaître), reste au final peu viable, voire épuisant. Alors OUI, je plains l’opiniâtreté des couples homosexuels.

 

Il y a diverses manières de montrer qu’on tire la langue et qu’on est insatisfait de ce qu’on vit quand on rentre dans le pétrin/le désert du couple homo : l’infidélité, la dépression, la mélancolie, l’agacement, la sur-activité, l’indifférence, la possessivité, le surinvestissement sur les goûts et le matériel, la désinvolture, la rupture entre corps et sentiments, etc. C’est de tous ces symptômes de faiblesse du désir homosexuel – qui mérite à peine la dénomination de « désir » d’ailleurs, tellement il indique plutôt chez l’individu qui le ressent un manque de désir – que je vais me pencher maintenant avec vous.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Liaisons dangereuses », « Appel déguisé », « Cirque », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Désir désordonné », « Oubli et amnésie », « Sommeil », « Morts-vivants », « Éternelle jeunesse », « Fusion » et « Poupées », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

Essoufflés

 

MANÈGE 1 Cocteau et Marais

Jean Cocteau et Jean Marais


 

Contre toute attente, le sentiment d’étrangeté exprimé par la société concernant l’amour homosexuel est aussi ressenti par les personnes homosexuelles elles-mêmes. Dès qu’elles s’adonnent à leur désir homosexuel, dès qu’elles rentrent dans le cercle vicieux de la justification (en actes) d’une identité homosexuelle essentielle et d’un projet de couple, la gêne se mêle au volontarisme, la tristesse à l’optimisme forcé, la fatigue et l’énervement à l’épanchement attendri.

 

Je reste intimement persuadé qu’y compris le plus homosexuel des individus n’arrive pas à se projeter complètement dans une vie conjugale homosexuelle, quand bien même il cohabite depuis très longtemps avec son compagnon, et qu’il assure qu’il s’est très bien fait à l’idée que le couple homosexuel était quelque chose de tout à fait naturel. Au fond, il se juge presque toujours moins ridicule au côté d’un membre du sexe « opposé » que dans les bras de son jumeau du même sexe. Il éprouve une sorte de tendresse mêlée à de la mélancolie en regardant les photos de son couple si particulier… mais il n’en est pas intimement fier. Il a peine à appeler son copain « chéri » sans s’en excuser ou tourner la formule en dérision. Je crois que tout Homme a au fond de lui le pressentiment que l’amour véritable ne choisit pas comme cadre privilégié le couple homosexuel ou hétérosexuel, mais qu’il a besoin d’être appuyé concrètement et symboliquement par la durée et le désir, d’être surtout signe de paix et de joie pour tout le monde – et pas seulement pour son couple ou pour une communauté culturelle réduite –, et que s’il n’est pas pleinement ce signe-là, c’est qu’il est en partie dénaturé. Cette connaissance partielle de l’identité de l’amour profond est ce qui nous remplit de bonheur quand nous vivons de lui, et d’amertume quand nous n’en vivons pas exactement.

 

Les personnes homosexuelles connaissent en général la vérité de leurs couples. Mais trop préfèrent rester avec leur partenaire par peur de l’abandon, par charité, ou crainte de le faire souffrir. « Il m’épuisait, je t’assure, mais je le supportais à cause de ma solitude et de sa grande gentillesse. » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 117) Si l’amour les déchire ou les assomme, elles se doutent que c’est probablement parce qu’elles l’attendent là où il n’est pas exactement, car l’amour, le vrai, nous dynamise, nous simplifie et nous pacifie toujours. En amour homosexuel, on dirait que nous pleurons davantage l’absence d’amour que l’amour lui-même, l’illusion que la Réalité. Quand une histoire d’amour se termine pour les personnes homosexuelles, on les entend souvent affirmer qu’elles ne croient plus en l’Amour, que celui-ci ne doit sûrement pas être fait pour elles. Mais en vérité, ce n’est pas en l’Amour qu’elles ne croient pas. C’est uniquement en l’amour homosexuel, même si beaucoup n’en ont pas encore conscience car elles amalgament les deux amours sous le même vocable. Les personnes homosexuelles ont toujours cru en l’Amour vrai, … et elles ont bien raison, puisqu’Il existe ! … pas forcément comme elles L’imaginent, mais oui, il existe bel et bien, et pour chacune d’elles spécialement ! L’amour ne délaisse aucun être humain.

 

Le bilan sur le couple homosexuel qu’on a l’occasion d’entendre de la part des personnes homosexuelles de notre entourage, est sensiblement le même : en amour, très peu ont trouvé/trouvent ce qu’elles cherchaient/cherchent. C’est comme si l’insatisfaction concernant le couple homosexuel (mais c’est sensiblement pareil pour le couple hétérosexuel) était généralisée. Quand bien même elles s’estiment parfois très bien servies, elles exposent à un moment ou un autre la vanité de leur désir et souffrent sur la durée des affres du désenchantement amoureux. Quelquefois, le retour en arrière sur leur parcours sentimental, même s’il n’est pas désespéré, leur donne le vertige. Certaines se fourrent dans de beaux draps en s’engageant dans une relation avec une personne qui semble les aimer davantage qu’elles ne l’aiment. Elles la trouvent « bien », l’apprécient « beaucoup », ont « énormément d’affection pour elle », c’est sûr… mais ne sont pas vraiment emballées ni spontanément attirées par elle. Elles expérimentent souvent un décalage culpabilisant, paniquant. Elles voudraient en théorie combler le vide horrible de leur célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans leur vie, elles étouffent, et se demandent pourquoi on ne leur fiche pas la paix !

 

Les couples homosexuels qui tirent la langue après plusieurs mois de vie commune – voire des années quand ils sont volontaristes – ne manquent pas autour de nous, au point que certains finissent par croire que pour eux, les histoires d’amour finissent toujours mal, et qu’elles ne sont pas faites pour aimer. Presque toutes les personnes homosexuelles qui sont « casées » laissent la même impression : l’un des deux partenaires du binôme tente de draguer ailleurs (c’est quasi systématique chez les couples d’hommes), et l’autre s’accroche comme il peut. De temps en temps, l’amour homosexuel paraît aussi fort que l’amour femme-homme, mais à la longue, il semble être plus compliqué et plus lourd à porter. Comme l’exprime Jean-Louis Bory dans La Peau des zèbres (1969) par une élégante tournure euphémisante, l’union homosexuelle « est surtout une histoire d’amour, aussi simple et terrible que n’importe quelle autre histoire d’amour. Un peu plus difficile, c’est tout. » Ce qui marque dans la majorité des couples homosexuels que l’on côtoie, ce sont la fatigue et l’ennui. Le même scénario étrange semble se reproduire à l’infini d’une union à l’autre : l’un des partenaires est malheureux, l’autre s’ennuie ; l’un en fait trop, l’autre pas assez. Et au bout d’un moment, la cocotte-minute implose… En mélangeant l’amour et l’amitié, certaines personnes homosexuelles s’imposent le statut instable et harassant du passionné qui croit vivre dix coups de foudre à la seconde. Elles tombent passionnément amoureuses de « l’homme (ou de la femme, pour les personnes lesbiennes) de leur vie », et quelques mois plus tard, les limites de chacun des partenaires ne manquant pas d’apparaître, naissent la déception, la dépression, la séparation, … puis après un temps de deuil « éthiquement correct » mais non réparateur, elles s’en retournent à une autre case « départ », et se lancent frénétiquement vers une similaire et épuisante recherche de « l’âme sœur » qui les dégoûte chaque fois davantage de l’amour (qu’elles croient) « véritable ».

 

Peu de personnes homosexuelles s’expliquent leur insatisfaction en amour. Leur amant semble pourtant de l’extérieur parfait, prévenant, disposé à faire des efforts sans doute encourageants, … mais au fond, disent-elles, « c’est toujours pas ça » : il est « bien » sans être « le meilleur », convenable sans être irremplaçable (or l’Amour, Lui, nous donne toujours une personne géniale et irremplaçable à aimer !). Étant donné qu’elles se placent très souvent en victimes d’amour, elles ne tirent généralement pas les conclusions qui s’imposent sur le désir homosexuel, si bien que le mystère finit par s’épaissir. Malgré toute la sincérité du monde et l’apparente concordance de deux désirs, il y a un grain de sable dans l’engrenage de l’union homosexuelle, comme si l’amour, le vrai, ne se construisait pas uniquement à coup d’intentions et d’impressions d’amour partagées à deux : « Je me promets que cette fois, allons, puisque je l’aime et qu’elle m’aime, du moins nous le disons-nous, il devrait être possible de le faire. La lutte est interminable, mais il y a quelqu’un en moi qui ne veut pas, ne peut pas, n’ose pas, meurt de peur et frémit de plaisir. […] Je sais bien que si nous le voulions vraiment l’une et l’autre, la question ne se poserait plus. Qu’est-ce qui nous retient ? Impossible de le comprendre. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003) p. 45)

 

Si beaucoup de personnes homosexuelles se sentent aussi mal en amour, c’est à mon avis parce qu’elles ne se sont pas interrogées sur leur désir profond. Elles souhaitent ardemment un amour, non pas tant parce qu’elles le désirent véritablement que parce qu’il appartient/appartiendrait à un autre (« l’hétérosexuel », « l’homosexuel », Dieu, etc.) et qu’il leur est/serait inaccessible. Une fois qu’elles obtiennent ce que leur désir de surface commandait, elles ne le veulent plus. « Ne le répétez pas, je trouve que les lesbiennes ne sont pas désirables. » (Cathy Berheim, idem, p. 132) Il ressort que celles qui ne sont pas « casées » ne rêvent en général que d’une chose – être casées –, et que celles qui sont déjà « casées » n’attendent que l’occasion de se débarrasser de leur amant(e) pour s’émanciper enfin. Elles aiment ce qu’elles n’ont pas et n’aiment pas ce qu’elles ont. Les seules personnes dont elles tombent véritablement amoureuses ne peuvent pas les aimer d’amour en retour puisqu’elles sont soit déjà prises, soit « hétérosexuelles ». Ce qui les attire, ce n’est pas d’abord l’Amour : c’est son impossibilité.

 

Pour moi, le désir homosexuel n’aide pas les individus qu’il habite à se poser la question de leurs désirs profonds. Il faut toute une vie à un Homme pour apprendre à aimer. Mais bien souvent, les personnes homosexuelles, en croyant aimer mieux que les autres qui les auraient si mal reconnues, se pensent exemptées du travail d’apprentissage collectif et patient de l’amour, si bien qu’elles arrivent souvent précipitamment sur le terrain des relations amoureuses en ayant grillé certaines étapes et sans connaître les règles de base du jeu aimant respectueux. Dans le film « Tableau de famille » (2002) de Ferzan Ozpetek, par exemple, Antonia répète à trois reprises à Michele, l’amant de son mari, une phrase à laquelle celui-ci ne sait pas quoi répondre tellement elle est juste : « Tu ne sais pas aimer ! » On retrouve cette idée dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow (« Ça ne durera pas, votre histoire à Paul et à toi, parce que toi, tu ne sais pas aimer. » dit Marie à Sébastien), dans la chanson « La Vie continuera » d’Étienne Daho (« Aimer tu ne sais pas. »), ou bien encore dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner (« Tu ne sais pas aimer ! » dit Prior à son amant Louis). Il suffit de regarder la majorité des individus homosexuels (ou hétérosexuels) gérer leurs aventures sentimentales pour se rendre compte que, quoi qu’ils en disent, il n’y a pas de place pour un conjoint dans leur vie, et qu’ils ne se sont pas encore assez préparés à l’accueil de l’amour. Ils sont d’ailleurs les premiers étonnés de constater, une fois « casés », que non seulement rien n’a changé à leur insatisfaction d’être et d’aimer, mais qu’ils se sentaient mieux célibataires qu’aussi mal accompagnés. Quand nous voyons la plupart d’entre eux s’amouracher de n’importe qui à n’importe quel moment, pour finir déçus ou détruits les trois-quarts du temps, on a de quoi de penser qu’ils n’ont pas suffisamment compris comment il fallait s’y prendre en amour. Je suis certain qu’ils sauraient aimer de manière plus mûre dans d’autres circonstances et structures conjugales que les couples hétérosexuel et homosexuel : ils aiment mal (ou « moyen ») seulement quand ils s’obstinent à vouloir aimer à travers le modèle du couple fusionnel androgynique.

 

Ce qui me rend le plus sceptique quant au couple homosexuel, c’est le manque de foi en l’amour exprimé par la majorité des personnes homosexuelles, qui plus est par celles qui sont le moins bien placées pour s’y abandonner puisqu’elles vivent/vivraient depuis très longtemps avec « l’homme (ou la femme) de leur vie ». Ces dernières nous rabâchent souvent avec la vacuité de l’amour, parce qu’au fond, elles ne le connaissent pas vraiment. Elles appellent « amour » ce qui n’en est pas exactement, pour ensuite salir le nom du véritable amour en maugréant qu’elles auraient « aimé ne jamais le rencontrer » une fois qu’il serait parti et les aurait lâchement abandonnées. Selon elles, l’amour n’est que mensonge, regret, plaisir fugace à consommer au plus vite avant la date de péremption, illusion temporaire vécue à deux. Elles le mettent presque à chaque fois sous le signe de la trahison, du désenchantement, de la rêverie, de la consommation, et de la mort. Elles justifient en général leur perte de croyance en l’amour par le cynisme agressif : en s’appuyant sur l’autorité de leur sacro-sainte « expérience sentimentale et sexuelle », elles descendent en flèche les stéréotypes romantiques de l’amour idéal. Aimer, ce serait « cucul », typiquement adolescent (ou uniquement pour les « vieux » soumis à la tradition), toujours sujet à nuance, impossible : elles n’auraient plus l’âge pour ces niaiseries. Les cyniques de l’amour sont bien tous les mêmes : ils n’ont jamais renoncé au rêve du prince charmant en le condamnant chez les autres – qu’ils surnomment « idéalistes » ou « sentimentaires ».

 

Au lieu de remettre en cause le sens social de la structure du couple homosexuel ou hétérosexuel, beaucoup de personnes homosexuelles s’empêtrent dans la recherche des causes périphériques des problèmes internes à leur union. Généralement, toutes les fois où elles expérimentent les déficiences de l’amour homosexuel, elles ont tendance à se déresponsabiliser complètement, et à charger excessivement la barque de leur amant, en vidant justement de relationnel ce qui n’est prioritairement que relation : l’amour. Elles (s’)expliquent la baisse d’intensité des sentiments ou la rupture à travers tout un tas de raisons plus ou moins plausibles (« Si ça n’a pas marché entre nous, c’est à cause de mon/son foutu caractère, c’est parce que je n’avais pas fait le deuil de mon ex, c’est parce qu’on ne s’est pas rencontrés au bon Moment, c’est à cause de mon/son manque de maturité, de l’éloignement géographique, de la divergence de nos goûts, de la différence d’âges, de la routine, de ma/sa fougue amoureuse, de la baisse de mes sentiments, de ma/sa possessivité maladive, de mon/son indifférence, de mon/son incapacité à aimer quelqu’un, etc. »), raisons qui ne poseraient plus du tout problème si l’amour était effectivement là, et qui en revanche deviennent des excuses de poids pour la répudiation quand l’amour n’est pas là, et que son manque n’est ni reconnu ni dé-moralisé. La personnalisation des limites observées dans le couple homosexuel, insensée puisque celles-ci sont d’abord le résultat de la nature du désir homosexuel avant d’être une question de mérite et de valeur de personnes en particulier, n’aboutit qu’à une culpabilisation ou une déculpabilisation excessive qui ne fait que reporter les problèmes conjugaux à la prochaine aventure amoureuse. Seuls les acteurs changent. Pas la comédie.

 

Quand la séparation se profile dans le couple homosexuel, ce qui arrive relativement souvent, elle se traduit généralement par l’infidélité ou le contournement de la monogamie, à travers ce que certains appellent pompeusement les « polysexualités » (le triolisme, l’échangisme, les « plans cul » à plusieurs, etc.). Peu de personnes homosexuelles abordent concrètement les dégâts considérables de la pratique de l’infidélité au sein de leurs unions (la suspicion et la perte de la confiance entre amants, la souffrance de vivre partagé, le cercle vicieux de la vengeance, la schizophrénie qu’impose la double vie clandestine, l’angoisse de l’abandon, la déception de ne pas combler l’autre, la déréalisation de la relation d’amour, la séparation traumatisante du corporel et du sentimental, la carence du modèle culturel de la fidélité et ses conséquences désastreuses sur le moral des troupes, etc.). Ces désagréments sont presque toujours noyés dans un discours dédramatisant (cf. le dossier « Tous infidèles ? » dans la revue Têtu, n°65, mars 2002). Certes, il est intellectuellement envisageable que l’infidélité sexuelle soulage dans un premier temps certains couples homosexuels. Elle a les avantages de ses inconvénients : parce qu’elle ne responsabilise pas, elle ne met à première vue aucune pression sociale ou conjugale ; parce qu’elle n’est pas qualitative, elle fournit l’ivresse de la quantité ; parce qu’elle est anonyme, elle permet l’impunité et la discrétion ; parce qu’elle n’unit pas les deux partenaires, elle offre une perspective de rupture de contrat simple et immédiate. En réalité, elle reconduit les problèmes conjugaux, et fonctionne comme un coup de poignard ressenti après coup par les deux partenaires qui s’étaient pourtant mis d’accord pour banaliser la force du choc. À mon avis, il n’est pas de plus profonde blessure humaine que d’être trahi en amour et utilisé comme un objet ou un « à-côté », d’autant plus quand nous acquiesçons au contrat de consommation mutuelle.

 
 

L’extériorisation des problèmes conjugaux

 

Peu de personnes homosexuelles osent émettre des doutes sur la valeur de leur union, parce que la plupart cherchent à défendre coûte que coûte leurs utopies d’amour. Nous les voyons parfois essayer de blanchir le portrait de leur couple, de retirer fiévreusement les taches. Dans un processus inconscient d’autocensure de l’insatisfaction, elles se disent intérieurement qu’elles n’ont pas le droit de cracher dans une soupe peu savoureuse qu’elles ont jadis réclamée à cor et à cri. S’enclenche en elles la mécanique perverse de la dette pour un cadeau dont elles ne voulaient pas entièrement mais « juste un peu », celle qu’elles se doivent de défendre si elles sont logiques avec elles-mêmes (et surtout avec leur orgueil !). Elles s’évadent alors dans le désenchantement amoureux, rejetant leurs fautes sur le monde extérieur pour éluder les bonnes questions. Elles se disent que leurs problèmes conjugaux viennent intégralement des autres.

 

La comparaison au mauvais exemple « hétérosexuel » fait souvent diversion. Quand leur est formulé un reproche avéré sur leurs comportements amoureux, beaucoup de personnes homosexuelles ont systématiquement coutume de se rassurer en disant « … Oui mais ce n’est pas propre aux homos : chez les hétéros, c’est pas mieux… ! » ou bien « Tout ça, c’est à cause de la société ! », ce qui n’est sûrement pas totalement absurde, puisque le couple hétérosexuel est une copie intentionnellement inversée du couple homosexuel, et un produit improbable d’une certaine société totalitaire. Mais au lieu de permettre l’analyse, cette attitude déplace le nécessaire débat sur le désir homosexuel et sur la reconnaissance de leur possible contribution à l’actualisation de celui-ci, vers le « pourquoi » et la distribution démobilisatrice des culpabilités. En plus, elles ne s’appuient en général que sur les mauvaises références de couples femme-homme (c’est-à-dire les couples hétérosexuels) en occultant les bonnes. Cela leur permet d’une part de justifier qu’il y a toujours pire qu’au pas de leur porte, et d’autre part de ne porter aucun regard critique et respectueux sur elles-mêmes, ni sur les couples femme-homme solides.

 

Pour neutraliser les critiques sur l’amour homosexuel, beaucoup de personnes homosexuelles extériorisent systématiquement les problèmes de leur couple, et font passer la mésentente amoureuse pour un processus purement circonstanciel : si les couples homosexuels n’arrivent pas à perdurer, ce serait uniquement parce que la société ne les encouragerait pas, et qu’ils seraient empêchés par la cruauté gratuite des Hommes.

 

Cette extériorisation dramatisante est particulièrement illustrée par le cinéma actuel, à travers la focalisation quasi automatique sur les catastrophes humaines et les crimes dits « homophobes » dans le traitement de l’homosexualité. Beaucoup de réalisateurs justifient la force de l’union homosexuelle par l’oppression ultra-violente qu’elle subirait. C’est justement ce besoin de prouver l’amour par ce qui n’en est pas un qui, à nos yeux, devrait devenir suspect, même si à présent, cette propagande de l’homosexualité par la récupération des grands drames humains conquiert de plus en plus de cœurs.

 

Quand nous voyons des films traitant de l’homosexualité et choisissant pour toile de fond des événements terribles venant détruire une romance homosexuelle présentée comme idyllique, nous avons tous envie de dire à la fin de la projection que la spectaculaire catastrophe ou l’agression extérieure rendent les unions homosexuelles, sinon idéales, du moins justifiables, même si dans les faits, ces films sont bien éloignés de la réalité quotidienne des couples homosexuels de chair et d’os. Qui peut essayer de comprendre avec un certain détachement les mécanismes de l’homophobie, après avoir vu un tel carnage d’amour construit sur pellicule ? Qui peut paraître humain de remettre en cause une image d’Épinal de l’amour homosexuel contrebalancée par une violence visuelle assurément percutante, mais ô combien exagérée ? Difficile, par exemple, de ne pas avoir le cœur brisé en voyant sur les écrans le désarroi du mari de Cathy Whitaker dans le film « Loin du paradis » (2002) de Todd Haynes, homme qui n’arrive résolument pas à réprimer ses penchants homosexuels malgré toute la bonne volonté du monde, ou de ressortir du visionnage du « Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee en affirmant la bouche en cœur que l’amour homosexuel n’est pas réel et merveilleux, même si nous l’avons vu entravé. Mais, je vous le demande, est-ce que l’amour ne se manifeste que dans les cas extrêmes où la liberté humaine se rapproche de la nullité ? À travers de tels films, les réalisateurs homosexuels sont plutôt en train d’enfermer l’amour dans un cadre déterministe et fataliste. Ils valident par un regard orienté vers des situations particulièrement dramatiques une vision de l’existence humaine et de l’Amour très négative. Ils énoncent que l’Homme n’est que rarement libre et heureux, et que c’est cela sa Vérité d’Amour. Comment peuvent-ils espérer ensuite que leur défense du désir homosexuel apparaisse aux yeux de la société comme aimante ?

 

Il semble paradoxal de prouver l’Amour par son contraire. Face à ce nouveau type de « films choc » (qui, soit dit en passant, dans leur formule, ne s’opposent pas aux comédies sentimentales et enjouées de l’homosexualité), nous sommes pris entre l’extrême compassion et la méfiance de l’émotionnel, si bien travaillé par le cinéma. Au fond, la révolte et l’empathie ne sont que des effets recherchés par ceux qui créent le mythe du couple télégénique homosexuel heureux pour masquer la réalité d’une union beaucoup moins rose dans les faits. Ils universalisent, en quelque sorte, un méfait opéré sur un personnage télévisuel homosexuel vivant un scénario-catastrophe, pour ensuite justifier leurs utopies personnelles et des revendications concernant la communauté gay très discutables dans la réalité concrète. L’injustice filmée ne laisse pas de marbre, c’est sûr. Mais il y a une sorte de malhonnêteté intellectuelle à traiter de l’homosexualité avec d’autres thèmes qui lui sont liés mais non de manière causale (par exemple la folie meurtrière des camps de concentration, le déferlement incontrôlé de l’homophobie dans certains milieux sociaux culturellement pauvres, une agressivité familiale exacerbée, l’émergence inopinée du Sida, etc.).

 

Ne nous laissons donc pas déborder par nos émotions : écoutons la Réalité, qui est bien meilleure conseillère. En effet, humainement et éthiquement, nous ne pouvons pas cautionner la haine et le mépris, nous sommes encouragés à signer sans réfléchir à des versions idylliques et victimisantes de l’amour homosexuel. Réveillons-nous. Le couple homosexuel n’est pas le couple homosexuel cinématographique.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le personnage homosexuel affectionne les manèges, ou bien en parle :

MANÈGE 2 Inconnu du Nord

Film « Strangers On A Train » d’Alfred Hitchcock


 

Il est étonnant de voir dans les fictions homosexuelles quelques références au manège : cf. le film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa, la chanson « Presque oui » de Georges et Louis, le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Two Strangers On A train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Merry-Go-Round » (1977) de Jacques Rivette, le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, l’album « Au tourniquet des grands cafés » (1990) de Jean Guidoni, la chanson « Mon manège à moi » d’Étienne Daho, la chanson « Et tournoie… » de Mylène Farmer, le film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa, le film « Cercle vicieux » (2001) de Gary Wicks, la chanson « Lui ou toi » d’Alizée (« Mais mes chevaux de bois sont froids »), le poème « La Murga, Los Caballos » de Néstor Perlongher (« Et si j’arrêtais de croire en leur existence ? » se demande la voix poétique au sujet des chevaux de bois), le film « Manège » (1986) de Jacques Nolot, la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, la chanson « Wheel Of Fortune » d’Ace of Base, la chanson « Le Manège » de Stanislas Renoult, le vidéo-clip de la chanson « Sa Raison d’être » du collectif Ensemble contre le Sida (avec la chanteuse Zazie sur son manège), la chanson « Merry-Go-Roud » d’Emma Bunton, la série télévisée Manège (2010) de Françoise Charpiat (visant à sensibiliser sur le Sida), « Der Kreis » (« Le Cercle », 2014) de Stefan Haupt, le film « Vent chaud » (2020) de Daniel Nolasco, la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou, etc. Par exemple, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Malik le héros homo, pendant tout le film, tourne souvent sur lui-même. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, fait un manège infernal avec un caddie. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Fred, le trans M to F, a inventé un pas de danse pour son équipe de nageurs gays de water-polo qui s’appelle « le Tourniquet ».

 

Le manège n’est pas qu’un motif esthétique gratuit. « Je l’observe du coin de l’œil pour voir si elle s’intéresse à moi et si mon manège éveille en elle quelque chose. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 95) ; « Tandis que je continue mon petit manège de courtisane, mon mari se fait de plus en plus présent. » (idem, p. 195) ; « Bon, les gars, j’ai compris votre petit manège. » (le père d’Arthur s’adressant à son fils et à son amant Julien, dans le film « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann) ; etc. En plus d’être synonyme de stratégie courtisane séductrice, il a une valeur symbolique inconsciente. Le personnage homosexuel a l’impression, en amour, de tourner en rond (d’ailleurs, il se demande quel manège il joue avec son copain…) : « L’Amour, ça me fait tourner la tête. » (le Méchant du film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen) ; « Seul demeurait face à moi le jeune homme aux doigts de cristal. […] Pour tout témoin étranger à ce manège, c’eût été un spectacle risible que ces deux jeunes personnes isolées désormais dans ce wagon de chemin de fer, épiant réciproquement les tressaillements de leurs mains. » (la voix narrative de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 64) ; « Derrière les murs de ce collège, ceux qui font tourner les manèges se sont-ils posé la question ? » (cf. la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou) ; « Baise-moi encore et fais-moi tournoyer, dans ses eaux sombres fais-moi plonger. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Mon surnom, c’est Toupie, tu sais très bien. Avec tes potes, vous me faites tourner… » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Si je ne les retrouve pas, je serai au manège. » (le jeune Moustique, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; « Moi j’vais partie en toupie. » (Guen, le héros homosexuel, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py, les deux amants Vincent et Olivier restent figés à contempler hypnotiquement un manège de fête foraine qui tourne très rapidement devant eux ; alors que ce spectacle remplit étrangement Olivier de tristesse (« Cette contemplation de la mort, ça me dégoûte. »), son partenaire le force à trouver le désir de mort banal (« Non, ça ne te dégoûte pas. »).

 

Le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann est une ode à la circularité : « Si. Tout tourne autour de soi. Sans ça, la vie n’a aucun sens. » (Aysla, l’héroïne lesbienne) Quand Aysla et Marie sont allongées dans la forêt après avoir retrouvé l’alliance d’Aysla, elles portent sur la main un escargot. Ensuite, la maison que Marie, architecte, a construite, est en forme d’escargot. Lors du mariage hétéro d’Aysla, les deux femmes dansent sur la chanson « Chains Reaction » de Diana Ross. Et l’image finale du téléfilm, c’est l’escalier en colimaçon conçu par Marie, alors que les deux héroïnes s’embrassent dans l’aéroport circulaire. Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, Ash (homo) dit que son pote gay Roscoe a niqué son propriétaire « en le faisant tourner comme une toupie ».
 

 

Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, la roue occupe une place importante dans la symbolique amoureuse homosexuelle. Déjà parce que Bram s’en sert pour décrire la difficulté de la condition existentielle homosexuelle (« Parfois, j’ai l’impression d’être resté coincé sur une grande roue. À un moment, je suis le roi du monde, et l’instant d’après, je suis au bout du rouleau. Personne ne sait que je suis gay. ») ; et d’autre part parce que la roue de fêtes foraines deviendra le lieu de rendez-vous final et de concrétisation de l’« amour » entre les deux amants homos de l’intrigue, Simon et Bram. Ils s’y embrasseront une fois suspendus au sommet.
 
 

b) Le manège peut être une métaphore de la complexité (et de la fatigue que celle-ci engendre!) au sein du couple homosexuel :

 

Paradoxalement, même si on l’appelle « désir » (mais n’est-on pas allé historiquement un peu vite en besogne dans la définition), l’amour homosexuel dit une absence de désir, ou un désir à l’état embryonnaire : cf. la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe Botti, le film « I Am Not What You Want » (2001) de Kit Hung, le roman L’Indésirable (2010) de Sarah Waters, le film « Ausente » (« Absent », 2011) de Marco Berger, le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec le héros narcoleptique), etc. Par exemple, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, la première image qu’on voit de Todd, c’est qu’il simule en soirée chiante, face à son futur amant Frankie, de se tirer une balle dans la tête. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, c’est avec peu de conviction que Pascale, en couple avec Tereza, répond à Phil, le jeune héros homo, par rapport à sa question « Vous êtes heureuses, toi et Teresa ? » : « Parfois beaucoup, parfois moins. Mais oui… je crois qu’on est heureuses. »

 

Le désir homosexuel ne s’appuie pas vraiment sur le Réel, sur une profonde connaissance de la personne aimée, ni sur la liberté des deux amants : « Je ne sais pas si le fait qu’on soit amoureux n’est pas une espèce d’illusion. » (Tom s’adressant à son amant Bryan, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Mes sentiments m’effrayent ! Je suis obnubilé par ce garçon. Je ne le connais pas, je ne sais rien de lui mais je crois que je l’aime. Comment est-ce possible ? » (Bryan en parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 32) ; « Au fond, je ne te connais pas aussi bien que je le crois. » (Stéphane s’adressant à son ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Mais je l’aime et je ne l’ai pas choisi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; « Je m’étais profondément attaché à lui et ne cherchais pas à savoir jusqu’où irait notre relation. » (Ednar par rapport à Grégoire, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 143) ; « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. » (Malcolm en parlant de son amant Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 119) ; « Tu ne me comprends jamais. » (Ada s’adressant à son amante Cherry, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « On aime quelqu’un… mais cet amour ne nous aide pas. » (Rudolf, l’un des héros homos s’adressant à ses deux autres potes homos, Gabriel et Nicolas, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « C’est quand même vachement déstabilisant. J’ai tout de suite compris que c’était pas mon truc. Y’avait quelque chose en moins.» (Damien évoquant ses expériences homosexuelles, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « J’crois qu’on devrait arrêter de faire semblant. On n’est plus un couple. Tu sais très bien que j’ai raison. Tu restes avec moi par fidélité à une histoire qui en fait est finie. » (Serge s’adressant à Victor, son compagnon depuis 18 ans mais qui le trompe fréquemment et avec qui il ne fait plus l’amour, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « J’crois que je recherche un truc qui n’existe pas, en fait. » (Jonas, héros homosexuel malheureux en amour, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.

 

Le désir homosexuel est souvent représenté comme un élan complexe et mystérieusement épuisant. Il est en effet question de l’ennui dans pas mal de fictions homosexuelles : cf. la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, le film « Grosse Fatigue » (1994) de Michel Blanc, la chanson « Mourir d’ennui » de Jeanne Mas, la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Il faut que je l’aime » (1994) de Sébastien Lifshitz, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, la chanson « Cet Air étrange » d’Étienne Daho, le tableau Bleu d’ennui (1999) de Michel Giliberti, la chanson « Je m’ennuie » de Mylène Farmer, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal en général (2009) de Jérôme Loïc, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, le film « Les Mauvais Romans » (2011) de François Chang, le film « Fruits amers » (1967) de Jacqueline Audry, le film « Bouddhi Bouddha » (2012) de Sophie Galibert, etc. « Si on créait un club ? J’m’ennuie. » (Kanojo, une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc.

 

Certains personnages homosexuels découvrent que la croisière amoureuse qui les faisait rêver sur le prospectus devient coûteuse. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, trouve que sa relation avec Kévin est d’une lourdeur incroyable, même si, par ailleurs, il s’auto-persuade qu’il n’a jamais été aussi heureux de sa vie : « Un garçon qui aime un garçon, ce n’est jamais simple. » (p. 33) ; « Je ne pensais pas que ça allait être aussi compliqué ! » (idem, p. 329) ; « Comme la vie était simple avant que je te connaisse… » (p. 134) Comme Kévin finit par le prendre mal, Bryan atténue la violence de ses plaintes par un enthousiasme forcé : « Non, tu me la compliques un peu, c’est tout… Mais j’adore ça ! » (idem, p. 134) ; « Nous deux, ce ne sera jamais simple, mais j’aime bien comme ça, c’est génial ! » (idem, p. 407) ; « J’ai l’impression qu’on pédale un peu. » (le Dr Katzelblum, homosexuel, s’adressant au couple homo Arnaud/Benjamin qu’il suit en thérapie, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Beaucoup de héros homosexuels disent le poids de la complexité de l’amour homosexuel dans leur vie : « J’aimerais vivre quelque chose de simple, de limpide. J’ai besoin d’air pur ! » (Nina l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola et à Vera la compagne régulière de celle-ci, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Dans la nuit, j’ai rencontré des fantômes bizarres, des amours passées. Au début, j’y croyais, à ce monde inversé. Mais j’ai cessé d’y croire, à ces histoires compliquées. » (cf. la chanson « Je veux tout changer » d’Hervé Nahel) ; « Les relations ne marchent pas, alors j’essaye autre chose. » (Paul se justifiant d’aller sur le net, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Va raconter ta vie. Elle est tellement pathétique. Tu as de quoi en faire un spectacle. » (la figure de Dieu à Samuel, le héros homosexuel, dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « Je pense que je n’étais pas vraiment amoureux. » (le jeune Michael parlant de son émoi pour un de ses camarades, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Avec Jacques, j’allais tricher un peu, beaucoup, passionnément. » (le jeune Mathant dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Marco me dit combien c’est difficile la relation avec toi. » (Laurent Spielvogel imitant un vieux pote gay du sud s’adressant à lui par rapport à son couple raté avec son amant Marco qui lui est infidèle depuis 3 ans, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « J’ai tiré un trait sur ma vie sentimentale. » (Laurence, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 383 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 22 janvier 2019 sur TF1) ; « Je voulais passer tout mon temps avec lui. Et pourtant, quand j’étais avec lui, cela ne me suffisait pas non plus. » (Alexis, le héros homo, parlant de son amant David, dans le film « Été 85 » (2020) de François Ozon) ; etc.

 

Certains se montrent souvent fatigués, usés par la passion : « Nos p’tites sorties, nos p’tits restos, j’en ai marre ! » (Manu s’adressant à son amant Philippe dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq) ; « Un gay, c’est ennuyeux. Deux, c’est un appel au meurtre. » (Eytan, un des élèves gays du lycée, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; « J’étais pas épanoui totalement. Il me manquait quelque chose. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « Tu sais…moi, j’me fais chier depuis que je suis née. » (Teena dans le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce) ; « Il faut que je m’emmerde. » (la psy dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Sont éternels les enfants de l’aube, fatigués plus que de raison. » (cf. la chanson « Les Enfants de l’Aube » de Bruno Bisaro) ; « Au secours, tu voudrais crier au secours, mais tu es fatigué, si fatigué, le monde est de l’autre côté. » (cf. la chanson « Au secours » de Véronique Rivière) ; « Quand j’étais petit, j’avais des rêves, des ambitions. […] Maintenant, je vivote. » (Benoît, le héros homosexuel de la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Tu vois, c’est marrant, à l’aube de nos trente ans, on se retrouve comme quand on en avait vingt ! Toi tu cherchais la preuve que l’amour existe, tu n’en étais pas sûr, Simon la preuve que l’amour n’existe pas, et moi je suis venue ici pour le trouver. Et aujourd’hui, après tout ce temps, on est tous les trois revenus au même point, hein ? » (Polly, l’héroïne lesbienne du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 121) ; « Nous sommes les Insatisfaits. » (cf. le poème « Les Rimes masculines » de Denis Daniel) ; « Nous, nous sommes tous passés à côté de quelque chose. » (les protagonistes homosexuels parlant de l’ensemble des membres de la communauté homosexuelle, dans la pièce Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henry) ; « Je ne te suffis plus ! » (Vlad s’adressant à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Footing » (2012) de Damien Gault, quand le père de Marco, par intérêt forcé, demande à son fils comment se passe la relation amoureuse de ce dernier avec son copain en date Franck, Marco se montre très laconique et ne s’étend pas en détail : « C’est compliqué. » Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, la relation amoureuse entre Stéphane et Vincent s’est essoufflée très vite. Le jeune Vincent n’a même pas eu les mots pour expliquer son départ ni le courage de mettre un point final : « T’étais du genre à ne pas donner d’explications. » lui reproche laconiquement Stéphane. Dans le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, Roger explique qu’entre son compagnon Jerry et lui, il y a de l’eau dans le gaz : ils voient un conseiller conjugal depuis plus d’un an. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, après 6 mois de vie commune, Léopold et Franz n’arrêtent pas de s’engueuler parce qu’ils s’ennuient terriblement : « Tu n’es plus content de rien. » (Franz) ; « Je prends tellement peu de plaisir aux choses. » (Léopold) ; « Je ne vais pas bien. » (Franz) ; « Moi non plus. » (lui répond Léopold) ; « Appelle un taxi. Nous n’avons pas besoin de faire durer plus longtemps ce cinéma. » (Léopold simulant le départ). Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, la relation entre William et Georges, pourtant présentée comme formidable et authentique, bat de l’aile : « Elle n’était pas vouée à l’échec. » (William) ; « Nous devenons deux êtres médiocres vivant une relation médiocre. Trop forte pour que tu t’en prives. Pas assez forte pour que tu te battes pour elle. » (William s’adressant à Georges) ; « C’est terrible de s’apercevoir qu’on aime si mal la personne qu’on aime. » (Georges) Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier essaie de dissuader le jeune Mathan de croire en l’amour homo, car ses onze années de couple avec Jacques ont été visiblement éprouvantes : « J’espère que ça ne te fait pas rêver. C’est l’enfer. »

 

MANÈGE 3 Happy Together

Film « Happy Together » de Wong Kar-Wai

 

Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie raconte les nombreux orages, ruptures, lassitudes et insatisfactions qu’elle vit avec « sa femme » depuis les six mois qu’elles sont installées ensemble : « Sérieusement, l’énergie qu’on perd… » Elles finissent par se quitter tellement elles se font chier : « C’est ça le couple ? Le Réel ??? Moi, je n’avais pas signé pour ça.// » Puis, faute de mieux et par volontarisme idéologique, Océane revient finalement au nid : « Dans mon couple, y’a encore du boulot. Parfois, ma femme, elle me tue ! »

 

L’un des terrains porteurs les plus saillants du désir homosexuel chez le héros homosexuel semble être l’ennui. On dirait qu’il vient à l’homosexualité pour tuer l’ennui, ou qu’ils passent d’amant en amant, d’état amoureux en état amoureux, parce qu’il s’embête terriblement ! « Il ne dira pas, non il ne dira pas que sur son passé il jette un regard las ; Il ne dira pas, non il ne dira pas qu’il se sent si seul qu’il passe de bras en bras. » (cf. la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; « Moi, je l’ai suivi parce que je me faisais chier et lui, ce pauvre con, il croyait qu’on vivait le grand amour. » (Simon parlant de son amant Matyas, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 22) ; « Je m’ennuie… On devrait peut-être adopter ? » (un couple gay dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Il est tiède… comme le sera votre mariage. » (le père s’adressant à sa fille Claire et à la copine de celle-ci, Suzanne, qui ont pour projet de se marier, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, l’homoparentalité est envisagée par le couple homosexuel comme un remède à l’ennui et au vide amoureux. Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel, le tueur en série, tue successivement ses petits copains dès qu’ils s’attachent trop à lui, parce qu’il est tétanisé par l’ennui et la fusion amoureuse homosexuelle : il demande à son amant Franck de ne pas rester « scotché » à lui et commence à le menacer (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. […] Ça ne va pas m’amuser longtemps. ») Dans le film « Annalyn » (2012) de Maria Eriksson, Agnès n’est pas satisfaite de sa vie, est lassée par sa relation avec sa petite amie. Dans le film « Permanent Resident » (2008), les amants vivent dans un super cadre, mais se font chier à mourir ensemble et n’ont rien à se dire. Idem avec l’oisiveté inconsistante que vivent les deux tourtereaux Romeo et Johnny dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, l’amour ou le fait de tomber homosexuellement amoureux est considéré comme un passe-temps, un tue-l’ennui, et ce, dès les premières minutes du film : « Où situerais-tu ton degré d’ennui sur une échelle de 0 à 10 ? » demande Léo, le héros homo, à Giovanna. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, lorsque Emma trinque « à l’Amour ! » pour fêter la présentation de son amante Adèle à sa mère et à son beau-père, Vincent (le deuxième compagnon de sa mère, donc justement le beau-père d’Emma) atténue cyniquement l’euphorie : « Tout de suite les grands mots… » Et en effet, la relation de « couple » entre Emma et Adèle s’essouffle super vite. On observe qu’Emma n’est pas touchée par la personnalité plate d’Adèle, son absence de créativité et de culture, son manque d’ambition professionnelle. L’ennui, l’infidélité, le manque de communication et surtout l’impossibilité d’une communion, auront raison de leur « amour ».

 

Plus que de la fatigue physique – celle-ci n’étant pas négative en soi (il y a des « bonnes fatigues », qui ne plombent pas le moral) – il s’agit en général chez le protagoniste homosexuel d’une baisse de désir : « L’amour est un fardeau. Je le porte en clodo. Joyeux clodo. » (cf. la chanson « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « Qu’est-ce qu’il faut pas supporter par amour… » (Matthieu le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « À force d’être toujours ensemble, on a fini par se ressembler. La routine. » (Jonathan en parlant à Matthieu de leur 1 an de vie commune, idem) ; « Je suis trop compliquée. » (Peyton, l’héroïne lesbienne à son amante Elena, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; etc.  Par exemple, dans la pièce La Star des oublis (2009) de Ivane Daoudi, au moment où Cherry demande à sa copine Ada si elle est « toujours fatiguée », celle-ci lui répond : « Non, je suis lasse. »

 

Dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, François finit par être saoulé par son copain Claude qui lui propose une vie très matérialiste, routinière, et « plan-plan ». Dans le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze, l’ennui d’une vie trop bien rangée se dégage de l’appartement de Niko et Luka. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Luc a quitté Jean-Marc par peur que ce dernier ne l’enterre vivant dans une existence morne et ennuyeuse. Dans le film « Como Esquecer » (2010) de Malu de Martino, Julia, qui semblait pourtant vivre une belle idylle avec Helena, finit inexplicablement à la fin du film par prendre son indépendance et par quitter son amante : « Tout glisse et roule sur moi. Rien ne pénètre. »

 

Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? » Finalement, les deux femmes sont incapables de s’engager pleinement ensemble : « Charlotte, ça fait cinq mois. On fait quoi ? On va où ?? J’vois tes yeux. Et j’vois mon amour qui te pèse. »
 

Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien, le héros homosexuel, a en amour « l’art de se mettre dans des situations impossibles » (p. 44) ; mais il retombe à chaque fois dans le même panneau avec ses conquêtes masculines successives : « Enfin Adrien, t’as quand même souffert de cette relation, non ? T’es en train de reproduire le même schéma ! » (Nathalie lui parlant de son couple « foireux » avec Malcolm, idem)

 

Dans le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi, Naima, la collègue de caisse de Valentin, le héros homo, ne sait pas trop comment gérer les turpitudes de la vie sentimentale de ce dernier : « Mais si t’arrêtais de te mettre dans des histoires impossibles, on n’en serait pas là. »

 

Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le couple Paul-Erik se délite peu à peu après quelques années de vie commune. « Tu vas pas y arriver [à rester avec moi]. » (Paul s’adressant à Erik, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) Erik est présenté comme celui qui aime (trop) et Paul comme celui qui n’aime pas (assez) et qui remet en doute sans arrêt l’amour qu’Erik lui porte. Et en effet, leur couple se casse la figure. « En vérité, je ne l’aimais pas assez. » conclut Erik. Et quand un pote à lui, Igor, l’envie d’avoir été 9 ans avec Paul, Erik rit cyniquement : « Je ne me sens pas… chanceux. »… car il sait le prix que ça lui a coûté de tenir à bout de bras une relation aussi fragile et tortueuse ! « On va enfin arrêter de faire comme si. » (Paul s’adressant à son amant Erik)

 

Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., on assiste au même délitement du couple Matthieu/Jonathan. Après les premiers moments de la passion et des jolis voyages, après que le couple se soit installé dans le confort d’un appart design, l’ennui commence à s’installer rapidement : « Deux ans de couple chez les pédés, c’est comme les vies chez les chiens. Faut multiplier par 7. » (Jonathan) Pour tuer l’ennui, ils songent à avoir un chien. Ils ont de plus en plus de mal à sauvegarder l’humour entre eux : « Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il faut que je me force pour le faire rire. » (Jonathan parlant de son copain Matthieu)

 

Le personnage homosexuel devine inconsciemment la faiblesse de son désir homosexuel, de l’amour que son compagnon lui promet, ou de l’« amour » qu’il lui offre, bref, de l’amour homo en général : « J’entends ton cœur fatigué d’avoir aimé, Allan, Allan. » (cf. la chanson « Allan » de Mylène Farmer) ; « Nous sommes pathétiques. » (Paul à son pote homo Eddie, quand ils se racontent leurs histoires de cœur, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Qui de nous deux vide l’autre ? » (les héros du spectacle Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou) ; « Cassie, je crois qu’on devrait arrêter. » (Anna dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « Est-ce que je ne suis pas en train de m’attacher artificiellement à un lien qui finalement ne vaut rien ? » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) ; « Excuse-moi mais tout à coup j’ai peur de ce qui arrive […] peur de ne pas pouvoir te donner tout ce que tu veux, pas le temps, pas le désir. » (Lucas à son amant Martin, dans le film « L’Homme que j’aime » (1997) de Stéphane Giusti) ; « Des histoires d’homos, t’en as pas marre ? » (Rachel à son ami homosexuel Robbie, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « J’me demande vraiment c’que j’fous avec un mec pareil. » (Mimil en parlant de Jeff, dans la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob) ; « Mais est-ce que je te connais ? » (Basile à son amant Dorian, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Mathilde, dis-moi ce qui cloche ? » (la voix narrative s’adressant à son amante, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 46) ; « Je ressens comme un vide. Mon désir est intact. La jouissance n’a pas su le combler. Que manque-t-il ? Il s’agit en effet d’un manque, d’une absence, d’un défaut de. » (idem, p. 161) ; « Je désespère de mon désir. Je m’efforce de l’alimenter et le con demeure indifférent. » (idem, pp. 173-174) ; « Max est plus boudeur que jamais. Au fond il boude tout le temps, il serait temps que j’en prenne conscience… » (François à propos de son « chéri », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 111) ; « La lâcheté, la lassitude. Quelque chose en moi a cédé… » (Bjorn à propos de son couple avec Jan, idem, p. 159) ; « Nous nous aimions toujours mais nous ne savions plus comment faire pour en parler et à chaque tentative de l’un, l’autre lui tournait le dos. On n’y arriverait jamais ! » (Bryan et son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 285) ; « Avec toi, ça ne pouvait pas durer. C’était écrit avant que ça commence. » (Stéphane s’adressant à son jeune ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Ce type d’amour ne dure pas. Tu peux fuir la Réalité. Elle te rattrapera. » (le père s’adressant à sa fille lesbienne Claire et à la compagne de celle-ci Suzanne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc.

 

Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis et Luther s’avouent vivre une « relation absurde » à travers Internet ; d’ailleurs, Denis en parle avec une voix susurrée, alanguie, endormie et anesthésiante, qui dit bien la virtualité et la pénibilité de l’amour qu’il est en train de vivre (« Avant d’être un homme, avant d’être mon amour, tu es un fond d’écran »).

 

Généralement, l’amour homosexuel fictionnel semble rarement à la bonne cuisson : soit l’un des deux amants aime trop pendant que l’autre ne l’aime pas assez, soit c’est l’inverse. « Je te quitte parce que tu as trop d’amour pour le gâcher contre moi. Et moi pas assez. » (« T. » à son amant Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 126) ; « Chui désolé Rodolphe. Je ne t’aime plus. Il vaut mieux qu’on arrête là. » (Pierre s’adressant à son amant Rudolf, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; etc. En tous cas, les partenaires se retrouvent involontairement à ne pas s’aimer en même temps… comme les pôles magnétiques de deux aimants positifs, qui se repoussent, ne se rencontreront jamais, et partageant un trop-plein de ressemblances : « Tout notre couple : un mensonge. » (Phillip à son amant Steven, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Nous n’avons rien vécu ensemble. » (le narrateur homosexuel à propos de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 150) ; « Ma vie sentimentale est un fiasco. » (Claire dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) d’Adeline Blais et Anne-Lise Prat) ; « Dieu, c’est trop terrible d’aimer ainsi… c’est l’enfer… il y a des moments où je ne puis plus le supporter ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne à son amante Mary dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 484) ; « Je l’aimais… mais pas assez. » (Arnold dans le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Est-ce que je l’aime assez ?… Et ça veut dire quoi, ‘assez’ ? » (idem) ; « J’étouffe. Je me sens prisonnière. Je me sens coupable, au fond, de t’avoir si mal aimée. » (une femme parlant à son « ex » Éléonore, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à son amant Zaza, dans la pièce La Cage aux Folles (1973) Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Malgré les bonheurs que Marie me donnait tous les jours, ce bel amour simple ne me suffisait déjà plus. Cette inclination que j’ai pour la conquête est sans doute le pire. Je me sens toujours amoureuse du plus difficile, de l’impossible même, et donc condamnée à n’être jamais comblée. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 204-205) ; « Je dois avouer que son goût de la possession rendait la relation trop difficile. Sa surveillance continuelle déclenchait chez moi une sorte de violence intérieure que je m’efforçais de contenir au mieux. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, parlant de son amante Marie, trop possessive, op. cit., pp. 225-226) ; « À chaque fois c’est pareil, ça marche et j’ai l’impression que je serais heureuse jusqu’à la fin de ma vie, et au bout de six moi, ça y est, on s’engueule pour un rien, on se parle mal, et surtout on se fait la gueule comme ça, tssss. […] J’ai perdu du temps, j’ai perdu du temps. » (Polly par rapport à son amante Claude, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 76-77) ; etc.

 

L’amour homosexuel semble être à la fois mal ajusté et trop faible. « J’ai mal de toi, j’ai mal près de toi. » (cf. la chanson « J’roule, j’déroule, j’enroule » lors du concert d’Hervé Nahel le 20 novembre 2011) ; « Quand je le vois, il a pas l’air à fond comme moi. Pfff, ça me déprime. » (Mike par rapport à sa relation amoureuse avec Léo, op. cit., p. 101) ; « On va dire qu’on est un couple gay avec l’un des deux qui fait la gueule. » (Leroy, un des flics déguisés en homos cuir, à Peyrac, son collègue flic efféminé, dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe) ; etc. Par exemple, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel est un chien fou, tandis que Philippe ne l’assume pas en tant qu’amant et est plus nonchalant. Dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, quand Mousse demande à Paul s’il aime vraiment son petit copain Serge, il lui répond avec peu de conviction qu’« il l’aime bien ».

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, lorsque Bryan laisse libre court à l’effusion de ses sentiments pour Kévin (« Je t’aime, qu’est-ce que je t’aime ! je t’aime trop ! »), ce dernier lui rétorque qu’« on ne peut pas trop aimer, qu’au contraire, ce n’est jamais assez ». Mais Bryan insiste : « Si ! J’avais déjà aimé avant toi mais je n’avais jamais autant souffert. Quand on souffre comme ça, c’est qu’on aime de trop. » (p. 427) Le désir homosexuel réserve de mauvaises surprises au héros homosexuel, qui croyait pourtant évoluer en terrain connu et aimant, et qui vit un mauvais réveil. Son amant lui apparaît au fil du temps comme un illustre inconnu, et c’est souvent la panique : « Plus je te vois, plus je réalise que je ne te connaissais pas. Je pensais t’aimer à jamais et pour toujours. Je me trompais. Je t’ai trop aimé. Mais aussi mal aimé, comment est-ce possible ? » (Bryan à son amant Kévin, idem, p. 303)

 

Le constat de la vacuité des relations amoureuses homosexuelles est général (parce que la différence des sexes – ou son rejet – est aussi général dans la pratique homo). « Je n’étais jamais heureux ici. Je me suis trompé. » (Rudolf parlant de l’appartement dans lequel il a vécu avec son amant Pierre, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael s’amuse, en maître de cérémonie machiavélique, à faire accoucher tous ses amis homos du constat de la vanité de leurs amours homos : « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Vincent, le jeune novice gay, découvre le monde homosexuel où les amants se succèdent et ne restent pas : « Tout va plus vite chez les gays. » (Damien) « Ben j’crois que je n’ai plus très envie d’être gay… » (Vincent).

 
 

c) Le phénomène de l’infidélité dans le couple homosexuel fictionnel :

N’en pouvant plus de plier sous le poids d’une relation amoureuse trop légère, le personnage homosexuel en arrive souvent à tromper son copain, puis ensuite à le quitter. On retrouve la thématique de l’infidélité dans de nombreuses œuvres homosexuelles : cf. la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo (avec le couple Arnaud-Mario), le docu-fiction « La Dany : la diva du parc Bolivar » (2010) de Julie Giles et Jim Giles, le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin, le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec le couple Ilan-Robbie), le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano (avec l’infidélité dans le couple Roberto/Raúl), la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour, la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson (avec Vincent trompant son amant plus âgé, Stéphane), le film « Como Esquecer » (2010) de Malu de Martino (où Helena trompe Julia avec l’élève de cette dernière, Carmen), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (où Price est infidèle à son copain), le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (où Paul trompe son amant Jérôme, tout pendant qu’il le recherche dans tout New-York), etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Hubert trompe son copain Antonin au pensionnat. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules et Quentin ont vécu ensemble des « soirées d’orgie homosexuelles à plusieurs ». Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, quand Isabelle demande à son meilleur ami homo Pierre si son couple avec Benjamin se passe bien, il répond : « Ça se passe. » (ils sont depuis 8 ans ensemble, quand même). Elle poursuit en s’enquérant de savoir s’il le trompe, ce à quoi Pierre avoue cyniquement : « Oui. Je suis un mec. » Il finit par dire que la seule chose qu’il a ratée dans sa vie, c’est « sa vie privée ». Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Joley sort avec un jeune étudiant et trompe son amant George. Dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, les amants Jack et Paul simulent une infidélité pour tester leur couple. Dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le 15 octobre 2013, Luc et Yoann se font des infidélités. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, vit l’infidélité avec tous ses amants. Dans le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis, Price est infidèle à son copain pendant son voyage en Irak. Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Glenn est pro-infidélité, alors que Russell, son copain, croit au grand Amour. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien est infidèle à son amant Hugues. Dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Thierry le héros homosexuel est de temps en temps infidèle à Martin. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, tous les couples homos sont infidèles : le père de Gatal trompe son « mari » avec Négoce, Gatal se fait tromper par son fiancé (avec une histoire sordide de coucherie dans un hôtel). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik trompe Paul avec qui il est en couple depuis des années : il va voir ailleurs… et par téléphone « rose », se rend compte qu’il tombe sur Paul lui-même ! Dans ce même film, l’infidélité est montrée comme une preuve d’amour : pendant que Paul se fait sodomiser par un inconnu dans un hôtel de passe, il susurre dans l’orgasme le prénom d’Erik (qui se trouve juste dans la salle d’à côté, en voyeur). Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Norbert trompe Vivien en embrassant un garçon qu’il est allé chercher sur Internet ; si bien que Stéphane, un des potes gays de Vivien, conseille à ce dernier de se débarrasser de son insupportable « mari », en soutenant que la fidélité chez les homosexuels ne dépasse jamais le stade des dix ans, et qu’elle frise l’anomalie si jamais elle s’éternise : « Après dix ans avec le même mec, la date de péremption est largement dépassée. » Toujours dans cette même pièce, on n’est peu étonné de constater que les personnages qui dénigrent la fidélité et la foi en l’amour éternel sont aussi les mêmes qui relativisent les aventures extra-conjugales : par exemple, Nono et Stéphane finissent par convaincre Vivien de revenir auprès de Norbert, en lui faisant croire qu’embrasser sur la bouche, ce n’est pas vraiment « tromper ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite un homme, André, qui le drague au hammam et qui est en couple durable avec un certain Raymond qui le trompe avec des gigolos, accumulant « de nombreuses infidélités ». Par ailleurs, le propre couple de Laurent et de son copain Marco, avec qui il est depuis trois ans, exclut la monogamie : « Un coup par-ci un coup par-là, c’est normal entre mecs. » (Laurent imitant un vieux pote gay du sud). Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, pourtant en couple depuis 18 ans avec Serge, malade du VIH, le trompe fréquemment, même si pour lui, ce n’est pas de la tromperie : « J’le trompe pas. J’veux dire… j’mens pas. Le moins possible. On est dans une relation ouverte. En confiance. » Selim, l’un de ses plans culs de Victor, reconnaît que ce fonctionnement est monnaie courante : « Comme beaucoup de pédés… » constate-t-il laconiquement. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West oublie Virginia Woolf dans les bras de Mary Campbell. Et Virginia, la mort dans l’âme, décrit son ex-amante comme une étoile incapable de briller pour une seule personne.

 

Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Il le juge ennuyeux, empoté en voiture, un peu trop plat, et finit par le tromper. Louis, le frère d’Antoine, s’étonne que leur couple prétende encore en être un : « Je ne comprendrai jamais comment un type aussi gentil peut te supporter… » Antoine et Adar souffrent de vivre une relation sans forme, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » Antoine trompe Adar avec un « ex », Alexis, qui lui aussi vit/vivait en couple avec un certain Romain : « D’ailleurs, je comprends pas trop ce que je foutais avec lui. » avoue Alexis à Antoine, pour le redraguer. Quant à Adar, Antoine finit par découvrir que celui-ci le trompe aussi de son côté, pendant ses absences. Pour autant, Ils s’auto-persuadent qu’ils vivent en couple fidèle : « J’espère finir comme les parents, avec quarante ans d’amour malheureux. » (Antoine)
 

Régulièrement dans les fictions, le choc de l’infidélité dans les couples homosexuels est totalement banalisé, voire montré comme un vrai chemin d’émancipation : « Je change souvent de partenaires. La vie de couple, ça me déprime. » (un protagoniste homosexuel dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Tout ce qui est engagement, c’est pas trop mon truc. » (Shirley Souagnon, lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux en Suisse, sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; « Je peux quitter n’importe qui, n’importe où. » (Hannah, la lesbienne qui ne sait pas s’engager, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini) ; « On est pédé, Polly, c’est une chance. Ça veut dire que des histoires d’amour aussi belles, aussi importantes, on en aura plein tout au long de notre vie. Si on était hétéro, t’imagines, on serait marié avec notre premier flirt ! » (Mike le héros homosexuel parlant à sa meilleure amie lesbienne Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 121) ; « Je n’ai aucune relation stable. Je suis un 7 que les 9 rejettent. » (Zach, le héros homosexuel dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « T’es le seul homo fidèle sur Paris. » (Pierre, le héros homo dont « au moins 50 homos connaissent l’adresse » apparemment, reprochant à son amant Benjamin son attachement à la fidélité, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Chez les garçons, coucher deux soirs de suite avec un type, c’est quasiment le début d’une histoire. » (Vincent, l’un des héros homosexuels de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tout le monde sait que trois ans en ‘temps PD’, ça fait 21. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « Je croyais avoir le culte de la fidélité. Mais avec toi, tout est allé très vite. » (Pierre Bergé s’adressant à Yves Saint-Laurent allant draguer sur les quais de Seine, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Suit l’histoire de deux amies allemandes qui vivaient ensemble. Avec le temps, pour varier et donner plus d’intensité aux plaisirs qu’elles avaient pris l’habitude d’en séduire une troisième sans pour autant, bien sûr, que leur couple en fût atteint. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 105) ; « C’est pas naturel de coucher seulement avec une seule personne. » (Frankie critiquant la monogamie, et se justifiant que lui et son amant Todd aillent voir ailleurs, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson) ; etc.

 

Cependant, malgré ces essais de temporisation qui ne font pas longtemps paravent, on nous laisse entendre, à nous lecteurs ou spectateurs, que l’infidélité fait véritablement mal aux deux membres du couple homosexuels qui l’expérimentent : « Un recoin de lui gardait imperceptiblement rancune à Jean de cette archéologie de passades. » (Laurent par rapport à Jean, son amant « régulier », dans la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 49) ; « Le charme est rompu. J’ai peur de partir à la dérive. » (Lola, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera à propos de leurs infidélités « extraconjugales », dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Mon mec m’a jeté hier. Parce que je l’ai trompé. Beaucoup trop. » (Jonas, le héros homosexuel, parlant de Samuel, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Hank et Larry sont socialement en « couple » et ont pourtant convenu que « tous ceux avec qui Larry trompe Hank s’appellent ‘Charlie », bref, que l’infidélité est leur secret de Polichinelle et peut faire partie de leur fonctionnement « conjugal ». Mais Hank subit plus qu’il n’accepte vraiment la situation. Il dit sa souffrance, et son compagnon ne supporte pas cette « tyrannie« . Larry se justifie d’être volage et que c’est dans sa nature d’être un Don Juan infidèle : « Oui, je les aime tous ! Et Hank refuse de comprendre qu’il me les faut tous. Je n’ai pas la mentalité d’un homme marié ! » En somme, le duo Hank/Larry est en instance et encore plus menacé par l’infidélité. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo Nathan euthanasie son amant Sean, malade du Sida, puis ensuite le tromper le soir même de sa mort, avec Arnaud… mais tout ça est présenté comme de l’« amour ». Nathan sanglote en même temps qu’il jouit.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Et c’est reparti pour un tour de manège désenchanté !

On trouve à de rares occasions (mais tout de même) des croisements dans le réel entre le manège et l’homosexualité. Par exemple, en 1792, en France, un pamphlet pro-homosexualité – même si elle ne s’appelait pas encore comme cela à l’époque – revendiquant la libre disposition de son corps, s’intitulait Les Petits Bougres au Manège (d’ailleurs, « un bougre » était l’ancêtre de ce qui allait devenir plus tard« un inverti » puis « un homosexuel »). Un peu plus tard, on peut souligner que le poète français Jean Cocteau aimait particulièrement les manèges avec des chevaux de bois. Et beaucoup plus proche de nous, le SIGL (Salon International Gay et Lesbien) du 3-4 novembre 2007 a eu lieu dans un lieu hautement symbolique : le Carrousel du Louvre. D’autre part, je vous renvoie à la photographie Manège (2011) d’Emilio Gomariz (représentant un tourbillon de bras masculins), au docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec la grande roue des Tuileries), au documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson (diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014, avec les images d’Amina et de sa copine dans un manège : une grande roue de parc d’attractions), au docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke.

 

C’est d’un point de vue symbolique que le motif du manège m’intéresse, car une fois transposé dans le Réel, il peut témoigner de la présence d’un jeu de séduction égocentré, d’un désir puéril, d’une circularité mythique déréalisante, d’une absence de sens, d’une angoisse existentielle. « J’observais imperceptiblement ce manège avec une étrange fascination, reprochant toutefois à mon complice son silence et la manière dont il manifestait avidement ses envies. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66)

 

Par exemple, Vaslav Nijinski dessinait beaucoup. Ses dessins ont le cercle pour motif dominant. Selon le professeur de psychiatrie américain Peter Ostwald, dans son essai Vaslav Nijinski, un saut dans la folie (1993), auteur d’une importante étude sur Nijinski, nous pourrions « interpréter la persistance des formes circulaires dans l’art de Nijinski comme une tentative de maintenir équilibre et intégrité face aux dangers de désintégration qui menaçaient son existence. »

 

Certaines personnes homosexuelles ont en effet le sentiment, en amour homosexuel, ou, de manière plus globale, dans leur vie, de tourner bêtement en rond : « Quand je me suis retrouvé dans la rue, j’ai été saisi de vertiges, j’ai senti que tout tournait autour de moi. J’étais sur un manège. Si je voulais avancer, il fallait que je saute et que je regagne vite la sortie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 156)

 
 

b) Le manège est une métaphore de la complexité (et de la fatigue que celle-ci engendre!) au sein du couple homosexuel :

MANÈGE 4 voiture

Film « Holding Trevor » de Rosser Goodman


 

D’emblée, on constate que certaines personnes homosexuelles nous parlent beaucoup de l’ennui, ou bien qu’elles s’y identifient (… comme si elles l’incarnaient à elles seules : c’est très curieux, cette posture esthétique, quasi narcissique, pour se « donner un genre »…). « Enfant, je m’ennuyais souvent et beaucoup. Cela a commencé visiblement très tôt, cela s’est continué toute ma vie. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 30) ; « Le dandy du XIXe siècle était un être suréduqué. Il prenait la pose du dédain, ou encore de l’ennui. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, dans l’essai L’Œuvre parle (1968), p. 444) Pensons par exemple au nom que s’est choisi le groupe musical homosexuel Ennui Breathe Malice.

 

Selon moi, l’un des terrains porteurs les plus fertiles (et les plus mal connus, pourtant) du désir homosexuel, c’est l’ennui. Je connais tellement de personnes – et je peux m’inclure dans le lot ! – qui sont venus à l’homosexualité pour tuer l’ennui, ou qui passent d’amant en amant, d’état amoureux en état amoureux, parce que précisément elles s’embêtent ! L’état passionnel (sans engagement et sans joie derrière) naît souvent d’une suractivité insensée ou d’une inaction.

 

L’ennui et la fatigue sont des réalités individuelles et relationnelles qui, tout en se sentant, sont difficile à prouver scientifiquement. Et pourtant, je les vois en toute personne homosexuelle pratiquante que je rencontre. « Une seule fois dans ma vie, après le gros coup de fatigue que j’ai subi en 1993, je suis allée consulter un psychiatre, pendant sept mois, à raison de deux séances par semaine. J’étais ravie de ne pas avoir affaire à une femme, car j’avais très peur de faire un transfert, c’est-à-dire de tomber amoureuse de ma psy hypothétique. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 113) ; « Aux côtés d’hommes, je m’ennuie très rapidement. Même en présence d’homosexuels, un peu de conversation mais après c’est tout, ça me saoule de causer, je m’ennuie très vite auprès d’eux. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Par rapport à la relation affective, j’arrive pas à trouver une relation stable, fidèle. J’arrive pas à trouver une relation affective. Ça ne marche pas. Je ne savais pas que le chemin était si tortueux. » (Pascal, homosexuel et séropositif, mettant en grande partie sur le compte du Sida l’échec de ses « amours » homos, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc.

 
MANÈGE bulle
 

Cela paraît totalement subjectif de le dire ; mais cette impression que le couple homosexuel ne rayonne pas assez, qu’il vit dans une semi-illusion d’amour, qu’il vit quelque chose de « bien mais pas top », s’appuie dans mon cas sur une observation concrète du vécu des individus homos ; et je ne suis pas le seul à faire ce constat. « C’est pas le grand amour. Mais c’est bien. » (Bernard parlant de sa relation avec Jacques dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Si les personnes homosexuelles s’écoutaient davantage elles-mêmes, elles s’entendraient aussi révéler leur propre lassitude, et leur aspiration plus profonde à la simplicité en amour.

 

Par exemple, dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, le couple homosexuel fait parler une marionnette d’un pèlerin qui dit : « Je suis très fatigué. J’ai beaucoup marché. »… Tout un symbole, surtout quand on sent, au détour de certaines phrases que d’échangent les amants une fausse compréhension mutuelle : « Gustav… Au bout de 8 ans, tu ne me connais pas ? » (Luca à Gustav)

 

À son époque, Plutarque (- 45 av. J.-C. ; 125) parlait déjà du couple « privé de grâce » formé par deux personnes du même sexe, et du couple femme-homme uni par la « grâce » du mariage et de l’amour (cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 76). Cela est très vrai, même si ça ne fait pas toujours plaisir à entendre quand on essaie de se convaincre du contraire, à coups de sincérité.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko aborde « l’amertume de l’homosexualité » (p. 68). Dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider David et Thierry, le spectateur est témoin de la lourdeur d’une relation entre Laurent et André qui n’ose pas s’avouer à elle-même sa médiocrité : ils ont été ensemble pendant 8 ans, puis se remettent ensemble, bon gré mal gré. Et les couples homos d’amis de leur entourage, qu’ils croyaient solides, rompent également. « Tu as pourtant détesté 7 ans sur les 8 ans qu’on a passés ensemble. » (Laurent à André) ; « J’ai détesté la première année et la dernière année des 10 ans qu’on est restés ensemble. » (André à Laurent) ; « Tu sais, si ça n’a pas marché entre nous, c’est qu’il y avait des raisons. » (André à Laurent) ; « C’était bien, vraiment bien… jusqu’à ce qu’on soir rattrapés par cette fichue routine. » (Laurent) ; « On se disputait tout le temps la dernière année. » (André) ; « Je pense qu’il a fini par s’ennuyer. Après quelques années, c’est difficile d’étonner son amoureux. J’étais malheureux. » (André parlant de Laurent) ; « Le sexe, c’était une jolie compensation. » (Laurent) André semble plus amoureux de Laurent que l’inverse, et André est tenté à tout instant de capituler face au manque de désir de son copain, car il en a marre de porter le couple pour deux : « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’» ; « Tu es toujours en train de prendre les choses à la légère, de te moquer tout le temps. » ; « Je m’ennuie facilement. » (Laurent) ; « Il en avait marre de moi. » (André par rapport à Laurent) Dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata, Charles Trénet avoue qu’il souffre, en amour, d’un « mal mauve », celui « de l’ombre et du remord ».

 

Je crois que les tensions et la routine qui s’installent très vite dans les couples homosexuels – même si elles guettent dans une moindre mesure les couples femme-homme aussi – viennent de la nature-même du désir homosexuel, qui, comme il s’appuie davantage sur le fantasme que sur le Réel (le Réel dont le « roc » principal est la différence des sexes), est un désir faible, lâche, discordant, encourageant à la fatigue de (mal) aimer. C’est certainement pour cette raison que beaucoup de personnes homosexuelles en parlent comme d’un amour complexe et lourd, « bien gentil » mais qui ne fait pas le poids : « De satisfaction, je n’en avais pas eue. Bien au contraire, je restais choqué et animé d’un profond dégoût. […] Je n’étais donc pas comblé, malgré tout ce que j’avais toujours pensé de la relation sexuelle entre deux hommes. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; « Cette relation que j’avais définie d’amour, n’avait été en fait qu’un peau froissée. » (idem, p. 73) ; « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec Yoro, op. cit., p. 140) ; « Tu as fini par me fatiguer. M’épuiser. Je n’avais plus la force, au bout d’un an et demi d’amour intense, possédé, de répéter les mêmes histoires, de subir ton autorité, d’être moins que toi dans l’amour. » (Abdellah Taïa s’adressant à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 120) ; « Il m’épuisait, je t’assure, mais je le supportais à cause de ma solitude et de sa grande gentillesse. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 117) ; « Putin de vie de merde à courir après n’importe quoi. J’aimerais m’asseoir et dormir, mourir comme ça. » (Bruno Ulmer dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël Van Effenterre) ; « Dans ces lieux calmes se nouent et se dénouent des intrigues souvent fort compliquées. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 23) ; « Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, op. cit., p. 86) ; « Les aventures sentimentales sont la plupart du temps, de courte durée chez les homosexuels. » (idem, p. 84) ; « J’ai passé des années éblouissantes avec elle. Extrêmement fatigantes ! (rires) » (Thérèse, une témoin lesbienne de 70 ans, par rapport à une jeune amante allemande « désinvolte » avec qui elle a vécu une relation passionnelle qui l’a beaucoup blessée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Ma vie, aussi longtemps que je vous eus à mes côtés, fut entièrement stérile. » (Oscar Wilde s’adressant par lettre à son amant Lord Alfred Douglas, De Profundis, 1897) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

J’irai même jusqu’à dire que le désir homosexuel, plus qu’un désir, est une absence de désir, une frustration. Si on y réfléchit bien, il mériterait à peine le qualificatif de « désir », d’ailleurs : « Le grand point faible de l’homosexualité, c’est sa lâcheté. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, idem, p. 103). Même s’il est, en intentions, libertaire, il est beaucoup plus à associer à un refoulement du désir qu’à l’expression d’une liberté profonde : « À force de refouler tout ce qu’on ressent, amour, désir, angoisse, chagrin, douleur et larmes légitimes, on finit par devenir des infirmes du sentiment et par ne plus rien ressentir du tout. » (Paula Dumont dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 100) ; « Il est tout aussi inexact d’écrire que j’aime les femmes ou que je suis attirée par les femmes parce que rares sont celles qui m’ont réellement attirée. La plupart ne me font ni chaud ni froid et je dois même avouer que beaucoup me réfrigèrent complètement. » (idem, p. 101) ; « Ce n’est pas de l’amour toujours, c’est peut-être un amour maintenant mal alimenté. J’ai peur de souffrir, j’ai peur de la fragilité du désir. » (Catherine dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 53) ; « Je n’arrivais pas à prendre au sérieux cette peur de l’amour et du désir sur laquelle elle revenait sans cesse et il me semblait, tant l’amour peut rendre présomptueux, que j’en viendrais assez facilement à bout. » (Paula Dumont, idem, p. 53) ; « J’ai eu une jeunesse par moment inutilement malheureuse. Et puis il y a eu l’amour platonique en Virginie… » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, décembre 1982, p. 210) ; etc.

 

Cruel constat (pourtant si avéré !) : généralement, les personnes homosexuelles, en mettant en avant leurs « envies » et leurs pulsions dans leur recherche d’amour, en définitive ne savent pas ce qu’elles veulent, ni aimer vraiment comme elles pourraient aimer vraiment dans un autre cadre d’amour. Elles se rabattent par défaut sur le couple homosexuel parce qu’elles croient qu’il n’y a que « ça » pour elles, que cette formule contente/anesthésie pour un temps leurs appétits sexuels ou simplement leurs besoins de tendresse, mais ce choix n’est pas le fruit de leur volonté profonde : « Comme je n’aime pas les femmes, il ne me reste que les garçons qui ne savent pas ce qu’ils veulent, les égarés, les perdus. » (Ernestito dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 269) ; « Le transsexuel est généralement un individu sans volonté. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 342) ; « Sans trop savoir au juste ce que je voulais, je savais tout au moins ce que je ne voulais plus. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 190)

 

En général, l’amour homosexuel fictionnel semble rarement à la bonne cuisson : soit c’est trop cuit, soit pas assez (et cela ne semble pas dépendre de la qualité humaine individuelle de chacun des partenaires du binôme homo : la preuve qu’on se situe bien là face aux limites objectives du désir homosexuel lui-même, et non dans le jugement de la « capacité à aimer » des homos !) ; soit l’un des deux amants aime trop pendant que l’autre ne l’aime pas assez, soit c’est l’inverse. En tout cas, les partenaires se retrouvent involontairement à ne pas s’aimer en même temps… comme les pôles magnétiques de deux aimants positifs, qui se repoussent, ne se rencontreront jamais, et partageant un trop-plein de ressemblances, une illusion d’amour. C’est plus fort qu’elles et leurs sincérités : les personnes homosexuelles finissent par avouer qu’elles ont du mal à alimenter la flamme du désir homosexuel : « Nous avions voulu croire que le fait de ne plus être seules nous amènerait à nous aimer, mais il nous a fallu déchanter. Nous avions fait, sans le savoir, un mariage de raison. Nous nous étions trompées toutes les deux parce que nous avions trouvé pendant quelque temps notre compte dans cette illusion. » (Paula Dumont parlant de son couple avec Martine, op. cit., p. 73) ; « Chaque fois que j’ai eu une liaison avec une femme, les débuts ont été, sur le plan physique, tout feu tout flamme, pour se calmer ensuite plus ou moins vite et finir par s’éteindre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 110) ; « Je prie pour que je puisse l’aimer suffisamment… Il faut avoir tant de force pour aimer beaucoup. Je redoute les assauts de la lassitude. » (Klaus Mann, Journal (1989-1991), p. 53) ; « J’ai perdu beaucoup de temps. Toute ma jeunesse. » (Pierre, homosexuel, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Quand Lulu m’écrivait des lettres brûlantes, que je viens de classer comme on classe une affaire, il était d’une sincérité absolue. Son silence aujourd’hui les rend caduques. À quoi servent des mots tendres empilés dans une boîte en carton ? Tous les Lulu se ressemblent. Je reste stoïque face à la fatalité. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 161-162) ; « Je voyais ce qui m’attendait : souffrir, souffrir pour quelqu’un d’indéfinissable et qui, sans me le dire, ne voulait déjà plus de moi. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 43)

 

Parfois, pendant les temps de pause de leur course effrénée à l’amour, elles se posent la question fatidique du SENS du désir homosexuel, et lancent un terrible « Mais à quoi bon ? » : « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… » (Paula Dumont dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 114) Par exemple, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), Denis Daniel présente son ami Pierre comme « un homo éternellement insatisfait » (p. 109).

 

Je vous renvoie à l’admirable description de la lourdeur inexplicable (et à mon sens généralisable) du couple homosexuel dans le blog mi-fictionnel mi-autobiographique de Jérôme sur www.trouverunmec.net : « Paris, le 19 mars 2008. Cher Y., […] je comprends ta lassitude, mais je ne comprends pas pourquoi elle s’est installée sans qu’on ne remarque quoi que ce soit. […] Nous ne savions pas, nous nous faisions confiance, sans doute un peu trop, et nous n’avons pas vu que peu à peu, les liens se distendaient. Nous faisions des choses ensemble, mais étions-nous ensemble ? La nuance est là, et je n’arrive pas trop à mettre des mots dessus mais je suis persuadé que c’est à ce stade-là que le bât blesse. Je ne vais pas t’ennuyer longtemps, il n’y a pas grand chose à dire. Nous nous séparons et il faudra que je t’oublie. Dans une histoire, on ne souffre jamais en même temps. Desproges disait qu’il y en avait toujours un qui souffrait et l’autre qui s’emmerdait, j’étais le premier, toi le second. » (cf. l’article « Correspondance interrompue 2 », datant du mardi 8 juillet 2008). Le descriptif du schéma de couple homosexuel « l’un s’ennuie/l’autre souffre » – les rôles pouvant être interchangeables – est également fait dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel. Et je trouve, pour l’avoir expérimenté moi-même dans les couples homosexuels que j’ai essayé de former à une période, et en observant les couples d’amis homosexuels qui vivotent autour de moi (même si parfois ils durent… preuve que la quantité n’est pas toujours gage de qualité…), que ce constat « l’un s’ennuie/l’autre souffre », qui pourrait résonner comme un fatalisme (parce qu’ils condamnent sans exception les actes homosexuels et le désir homosexuel à l’insatisfaction), est d’une étonnante lucidité, et ne devrait pas nous attrister, nous, personnes homosexuelles, car il ne dit rien de notre capacité individuelle d’aimer, et pourra même nous forcer à élargir notre gamme de modalités d’aimer, dans une société qui nous oblige à réduire le bonheur uniquement au « Couple ».

 
 

c) Le phénomène de l’infidélité dans le couple homosexuel : plus accru qu’ailleurs ?

À mon sens, c’est cette obéissance scolaire et aveugle des personnes homosexuelles au poncif médiatique du « Couple » qui illustre le mieux ce qu’est véritablement le désir homosexuel (un désir de disparaître et de vivre à travers un autre parce qu’on se prend pour une moitié d’Homme), et qui explique également pourquoi l’amour homosexuel s’inscrit difficilement sur la durée, la fidélité et la joie.

 

Cela s’explique par le fait que, dans le fonctionnement égocentrique du désir homosexuel, la « fidélité à soi-même » prévaut sur la fidélité à l’autre. « Ma propre vision de l’existence où la fidélité à soi-même et la recherche de l’épanouissement personnel sont primordiaux. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 40) Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, le 6 mai 1976, Jean-Louis Bory, au micro de Jacques Chancel, évoque « la difficulté que l’amour dure ».

 

Et ne venez pas me dire que le phénomène de l’infidélité dans les couples homos, « c’est du cliché », et que cela n’a rien d’une tendance très marquée du désir homosexuel ! Ce serait archi-faux. Une fois n’est pas coutume : je vais puiser (même si je n’aime pas le faire, habituellement, car cela encourage à l’essentialisation du désir homo, et donc au jugement des personnes) dans les statistiques pour vous montrer que l’infidélité est un processus spécifique non pas aux personnes homosexuelles (en tant qu’individus) mais au couple homo, aux actes homos, et donc au désir homosexuel.

 

Par ailleurs, une étude BienEtreGay et le club TBM, réalisée auprès d’un panel de 1500 hommes gays en France (dont 16,4% interviewés sont en couple) en 2011, montre que 75% des sujets gays ne croient pas au couple et à la fidélité.

 

Par ailleurs, d’après l’essai Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, en 2008 en France, la moyenne du nombre de partenaires chez les personnes homosexuelles est de 6,6 partenaires pour les femmes lesbiennes, et de 15,4 pour les hommes gay (p. 251). L’existence de relations extraconjugales est plus fréquente dans les couples d’hommes homosexuels que dans les couples de sexe différent. Ainsi, 1 homme sur 3 qui vit en couple avec un homme depuis plus d’un an rapporte avoir eu un autre partenaire dans les 12 derniers mois (versus 3,5% des hommes vivant en couple avec une femme). Les hommes homo-bisexuels déclarent avoir eu 10,4 rapports en moyenne au cours des 4 dernières semaines contre 8,6 chez les hommes hétérosexuels (pas de différence avec les femmes), n’en déplaisent aux femmes lesbiennes qui aiment à penser que l’infidélité est une « affaire de mâles », « elles ont un nombre plus important de partenaires que les femmes qui n’ont eu que des partenaires masculins. » (idem, p. 254) « 96% des homosexuels affirment pratiquer une drague furtive dénuée d’affect et de stabilité. » (Jacques Corraze, L’Homosexualité, 2002) Contrairement à l’idée reçue (selon laquelle on s’assagirait à l’âge adulte, qu’on ne s’engagerait qu’à partir de 25 ans dans le « milieu homo »), plus on est jeune, plus on est fidèle : « Les jeunes homosexuels sont plus nombreux que les autres à s’investir dans un rapport de fidélité : 55% des moins de 25 ans engagés dans une relation de couple déclarent cette union exclusive. Par la suite ce taux décroît régulièrement et après 35 ans, ce mode de vie devient minoritaire (moins de 40%). Pendant les deux premières années de la vie sexuelle, dans 67% des cas de relations stable, celle-ci est exclusive. Ce taux chute à 35% après 15 ans de vie sexuelle. »

 

Nombreux sont les couples homosexuels qui quantitativement demeurent longtemps ensemble, mais qui, qualitativement, ne s’épanouissent pas car ils acceptent les infidélités ponctuelles en leur sein. La question de l’amour n’est pas seulement celle de la durée : elle est surtout de la fidélité et de la joie renouvelée dans l’engagement exclusif à une seule personne et dans le don entier de sa personne. Par exemple, le couple Margaret Mead et Ruth Benedict passe 20 ans ensemble, mais ne reste pas fidèle. Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Xavier, après 26 ans de vie commune avec Guillaume, le trompe avec François, un petit jeune. Dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, on apprend que le jeune homme politique du Parti Social Démocrate allemand Michael Adam a trompé son compagnon sur son lieu de travail.

 

Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, Pierre/Bertrand se justifient de se tromper, en disant que c’est monnaie courante dans tous les couples normaux : « Si le couple est réduit à la fidélité, je pense qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de couples. » (Pierre) Et même quand ils vont voir ailleurs, ils estiment qu’ils ne se trompent pas. « Pour moi les histoires de sexe n’ont jamais été des histoires de sexe. » (Pierre) ; « Leur fidélité n’est pas sexuelle. Leur infidélité n’est pas synonyme de trahison. » (Voix-off)

 

Dans énormément de couples homosexuels (même présentés comme « mythiques » : Verlaine et Rimbaud, Marais et Cocteau, Saint-Laurent et Bergé, Solidor et Brémond d’Ars, etc.), l’infidélité est envisagée comme un « mode de vie » logique et parfois magnifique (une preuve d’amour et de confiance incroyables : « Tu m’aimes tellement que tu oses me faire mal ! Quelle audace ! Quelle entorse d’amour à nos propres idéaux ! ») : « Je suis allé marcher ailleurs. Tu m’y as poussé. Il fallait arrêter. Trahir. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 121) ; « Rien ni personne, malgré mon goût des aventures multiples dont certaines prirent de l’importance, ne parvint à mettre en péril une entente que la fin de l’accord charnel au bout d’une décennie ne menaça pas davantage. » (Christian Giudicelli parlant du « vieux couple » qu’il forme avec son compagnon Claude, dans son autobiographie Parloir (2002), p. 20) ; « Nous avons tout partagé, les angoisses, les espoirs, les joies mais aussi les maisons, les tableaux, les objets d’art. Parfois les amants. » (Pierre Bergé à propos de son « couple » avec Yves Saint Laurent, dans la revue Têtu, n°135, juillet-août 2008, p. 18) ; « Je n’aurai jamais été fidèle, même si, quand je faisais l’amour, j’étais tout donné à la personne. Je ne me suis jamais attaché. Et je n’en ai jamais souffert. » (Pierrot, le papy fermier homosexuel dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Fatalement, Grégoire savait tout cela [= mes infidélités], mais il misait sur le temps qui, selon lui, me ferait émerger du désordre de ma vie sentimentale. […] En somme, le plus difficile dans notre histoire amoureuse était de pouvoir maîtriser mon irrésistible instabilité qui perturbait notre couple après quatre années de vie commune. » (Ednar, le héros homosexuel du roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 144 puis 155) ; « J’avais erré des semaines entières entre les corps des autres, sans jamais comprendre ce qu’était la véritable relation sexuelle. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 120) ; « Jean Marais était très très très cavaleur. Et je pèse mes mots ! » (un des interviewés du documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) d’Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « Il faut être prêt à accepter cette Vérité qu’est l’infidélité. Et il faut en parler avec son partenaire. Quand on est amoureux, on a cette illusion d’amour. Et on s’éloigne de la réalité. » (Jonathan, séropositif et homosexuel, dans le documentaire « Prends-moi » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

Plein d’entourloupes langagières sont employées pour euphémiser les dégâts réels de l’infidélité homosexuelle. Par exemple, la relation entre la photographe lesbienne Claude Cahun et sa compagne Suzanne Malherbe est qualifiée de « foncièrement non conformiste et libertaire » (cf. l’exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries, à Paris, en juin 2011). Pierre Bergé voit dans le rappel de ses infidélités à Yves Saint-Laurent un complot « bourgeois » : « Bien sûr, on a eu des infidélités sexuelles, beaucoup ! Mais ce sont des propos bourgeois… Ce qui nous soudait était tellement plus important ! » (cf. propos recueillis dans cet article) Mais dans les faits, leur « couple » était criant d’ennuis de souffrance, même s’ils ont camouflés ces derniers par le matériel, le carriérisme et l’infidélité.

 

Ce sont même maintenant les lois en faveur du « mariage homo » ou de l’adoption des « familles » homoparentales qui servent de pare-feu. Certains individus homosexuels considèrent que l’accueil des enfants dans leur couple – alors même que celui-ci intègre souvent l’infidélité comme « mode de fonctionnement interne normalisé » – va rabibocher ou occulter la violence qu’ils s’infligent à deux en se trompant : « Je suis si heureux marié, devenu un marié dévoué, bientôt un père responsable (quand on sera prêts Marcelo et moi, on adoptera un enfant, voire deux, trois…). » (Eduardo Mendicutti, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 66, où il raconte quelques lignes plus haut les nombreuses infidélités à son « mari » qu’il exerce avec le consentement de ce dernier…)

 

Mais revenons au Réel en dépassant les intentions. Je l’ai vu et je continue de le voir dans les sphères relationnelles homosexuelles que je côtoie (et pas uniquement dans des contextes de « drague glauque » : je parle aussi et surtout des petits couples confortablement installés, PaCsés, et en apparence « bien sous tout rapport ») : objectivement, l’infidélité est un vrai drame dans les couples homosexuels, et ce, pour les deux membres de l’union… quand bien même, avec le temps, elle soit parfois « consentie à deux » et normalisée. Je suis même persuadé qu’elle est bien plus facteur de dépressions et de suicides que toutes les agressions homophobes dont les médias et les militants homosexuels font tant cas aujourd’hui pour ne surtout pas qu’on se penche sur les nombreuses blessures d’amour que s’infligent les personnes homosexuelles entre elles, dans le « milieu homosexuel » tout comme dans l’intimité des couples. « Le cocu peut rapidement devenir schizophrène. D’un côté, votre mari rentre tout câlin et aimant à la maison, vous répète en permanence que son aventure est terminée, qu’il est mal parce qu’il vous en a fait, qu’il veut finir le reste de ses jours blotti dans vos bras, vous appelle mon bébé ou mon doudou, passe son temps à vous embrasser en roucoulant et vous associe à de nombreux projets. D’un autre, vous lisez accidentellement les messages qu’il envoie à son ami et découvrez qu’il semble vivre l’enfer en votre compagnie et vous fait passer pour un immonde empêcheur de tourner en rond. Sans compter sur les cadeaux qu’il reçoit ou qu’il fait. De façon cocasse, il peut offrir les mêmes accessoires que vous avez eu la gentillesse de lui offrir, accessoires que vous pouvez également posséder (façon « Attention, une femme peut en cacher une autre » de Lautner). […] En résumé, il est impossible de savoir à qui son mari ment le plus, à vous, à lui ou à son nouvel ami. » . (cf. l’article « Loup y es-tu ? » du blog de Chondre, 25 juillet 2011) Quand il y a infidélité, tout le monde est victime et bourreau. Tout le monde souffre. L’infidélité est un échec de relation, non d’abord d’individus pris séparément.

 

En conclusion, je dirais que la tendance à l’infidélité dans le couple homosexuel n’est pas tant la faute de celui qui est laissé ou de celui qui va « voir ailleurs », n’est pas tant une histoire de personne et de soi-disant « incapacité à aimer/de mérite d’être aimé », que la marque de la faiblesse de la relation homosexuelle en général, que le signe de la lâcheté, de la fragilité, de la violence, intrinsèques au désir homosexuel. Elle ne peut donc pas donner lieu à des jugements de PERSONNES, mais uniquement au jugement du couple, de l’acte, et du désir homosexuels.

 

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