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Un combat quasi-infaisable dès le départ

Je vous le concède largement : en toute objectivité, dans ce combat contre le « mariage pour tous », nous étions (quels que soient nos efforts, notre calme dans la détermination, notre nombre, notre inventivité, la qualité et l’étonnante rapidité de nos réflexions internes, le courage des organisateurs, etc.) conduits dans une impasse, vers une victoire quasi impossible à remporter, tellement la distribution des cartes a été inégale dès le départ, tellement nous traînions les casseroles du PaCS (l’illusion de paix, le placebo, l’eau dormante, que cette union civile votée en 1999 !), tellement les porte-parole idéaux pour l’opposition au « mariage pour tous » étaient objectivement une espèce rare (il eût fallu qu’ils soient homos et qu’en plusils dénoncent la pratique homosexuelle : pas facile à trouver, en effet, ce genre d’oiseaux !), tellement le mammouth du déni social de la différence des sexes était gros et à dégraisser depuis bien plus longtemps que le « mariage gay » (l’homosexualité n’est que le climax social le plus saillant de l’expulsion de la différence des sexes ; certainement pas le seul : les dossiers de l’avortement, des divorces, de la pilule, de l’ouverture de l’adoption aux célibataires, de l’autorisation de la PMA aux couples hétéros, etc., avaient préparé l’arrivée du « mariage homo » et auraient déjà mérité notre massive mobilisation d’opposition ! Le « non » que nous avons scandé dans les rues cette année semble s’être cristallisé autour de l’homosexualité et des personnes homosexuelles, mais c’est une illusion d’optique créée par les mass media : car c’est au nom de toutes les atteintes à la dignité de l’être humain que nous avons finalement défilé contre le « mariage pour tous » : non contre cette loi seule) !

J’avais pourtant prévenu dès le départ en septembre dernier à saint-Sulpice les 50 « têtes de réseau » de notre mouvement d’opposition qui se sont regroupés pour penser ensemble à un plan d’action (et qui visiblement ne semblaient pas se rendre compte de l’étendue du chantier, et de la vétusté de nos troupes/armes/arguments) que nous avancions en terre hostile, marais-cageuse et ultra select : avec les argumentaires centrés sur la filiation et les conséquences du « mariage homo », nous n’en mènerons pas large, disais-je ; la seule « tare » qui vous sera reprochée, c’est de ne pas être vous-mêmes homos ! ; mesurons que nous nous attaquons, avec l’arrivée de cette nouvelle loi, pas seulement aux droits de l’enfant bafoués, mais à un problème bien plus épineux qu’il n’en a l’air, bref, au sanglier blessé de l’homosexualité, qui est beaucoup plus vaste, complexe, dangereux, que nous ne l’imaginons, car il remet en cause tout un tas de dysfonctionnements sociaux qui dépassent largement le problème de la pratique homosexuelle, mais dont la pratique homosexuelle est seulement le signe le plus invoqué/nié actuellement dans notre société pour cacher ces derniers. Autrement dit, la bête que nous voulons combattre n’est pas à la portée de tous les chasseurs ! Nous ne sommes pas tous égaux à ce niveau-là ! Et de souligner cette inégalité ne remet absolument pas en cause vos compétences d’experts pour d’autres combats. Mais ce combat-ci contre le « mariage homo » nécessite des experts homosexuels, qui mettent en garde contre les 2 dangers principaux de la loi : la banalisation de la différence des sexes, et la justification sociale de la pratique homosexuelle. À mon insu : c’est comme ça ! Les seuls qui seront écoutés et craints sur les plateaux télé, ce sont eux, car pour l’instant, l’opposition au « mariage pour tous » est vue socialement comme « homophobe ». Et les gens se taisent dès qu’ils voient une seule personne homosexuelle opposée à « ses » droits. Alors notre leadership, par la force des choses, est extrêmement réduit ! Comprenons-le, même si c’est pas facile. Acceptons-le avec humilité et cédons pour une fois notre place de chef si c’est nécessaire.

Ce 5 septembre, j’ai été le plus écouté sur le coup, mais je n’ai finalement pas été compris par ceux qui allaient devenir, par opportunisme, les chefs de file de notre mouvement.

Aujourd’hui, je m’en rends compte. Tel que le débat a été posés dans les termes par nos dirigeants (sur un registre uniquement affectif, amoureux et victimiaire ; très peu rationnel), et vu la place extrêmement étroite et inconfortable dans laquelle nous ont maintenus la plupart des médias grâce à la présomption d’homophobie, les seuls porte-parole du mouvement d’opposition qui auraient pu être réellement crédibles et puissants étaient les personnes homosexuelles continentes. Pas uniquement les personnes homosexuelles : je dis bien « les personnes homosexuelles continentes », qui vivent par leur personne et par leur vie l’inverse de ce que défend concrètement la loi (= la pratique homosexuelle), à savoir la non-pratique homosexuelle. Les personnes homosexuelles qui pratiquent leur homosexualité et qui s’opposent à une loi qui pourtant va dans le sens de la justification sociale de leur pratique, sont des pantins, se tirent une balle dans le pieds, affichent leur propre contradiction, restent dans l’image, et desservent notre cause. Seules les personnes homosexuelles continentes pouvaient être les chefs de file de ce mouvement d’opposition au mariage. Autrement dit quasiment personne à l’heure actuelle, mis à part moi (et quelques amis intimes qui ne commencent à se réveiller que maintenant) ! Donc vous voyez, ça vous donne beaucoup de circonstances atténuantes 😉 ! C’était finement joué de la part de nos gouvernants de nous amenés sur un ring dans lequel ils savaient que nous avions très peu de combattants par rapport à eux (quand bien même eux avaient le nombre, mais pas la qualité). C’était très rusé et pervers de leur part de nous conduire sur le terrain extrêmement flou, nouveau et tabou de l’homosexualité et de l’homophobie – alors que le mariage n’a rien à voir, en principe, avec celles-ci –, terrain qu’ils ne maîtrisent pas davantage que nous, en plus !, et où seules les personnes homosexuelles avaient le droit de s’exprimer, d’être écoutées, auraient pu parler en connaissance de cause si seulement elles avaient le courage de regarder leur souffrance et leurs mauvaises conduites en face.

Notre combat était donc quasi perdu d’avance. Ça vous enlèvera peut-être pas mal de culpabilité de le savoir ! Ça vous en rajoutera en revanche une nouvelle : la culpabilité au moins de ne pas avoir profité à leur juste valeur des quelques rares personnes homosexuelles continentes (ou du moins opposées à la pratique homosexuelle) qui étaient quand même là, sachant que votre erreur tactique est déjà excusée par la marge de manœuvre extrêmement réduite qui vous était impartie, par le manque de temps, et par le fait que vous n’avez jamais choisi réellement vos représentants médiatiques. Ces derniers vous ont été imposés… et comme on vous a dit qu’il n’y avait personne d’autre, vous leur avez fait à peu près bon accueil… en connaissant leurs limites, en sachant que ce n’est certainement pas pour eux ni pour leurs beaux yeux que vous avez massivement manifesté : vos convictions personnelles vous auraient fait vous lever de toutes façons. J’en veux cependant beaucoup aux quelques chefs de file de notre mouvement qui n’ont pas su, à cause de leur orgueil et de leur soif de paraître, penser aux priorités, s’effacer pour mettre en avant ceux qu’ils savaient pourtant plus compétents qu’eux sur ce combat-ci. Ils portent une responsabilité très grave. Aussi grave que celles de nos dirigeants socialistes gay friendly.

 

Rototo sorti : libération !

Un rototo me gênait depuis que les Manif Pour Tous (17 novembre 2012, 13 janvier 2013 et le 24 mars) existaient en France. Ce rototo venait d’une part du décalage que je ressentais entre le but visé (un but juste : le retrait d’une loi inique et grave pour notre Humanité) et les moyens mis en œuvre/les personnes mises en avant pour atteindre ce but. Et d’autre part, mon malaise venait du fait que je pressentais mon utilité objective et primordiale dans ces événements, pressentiment qui me dépassait et avait peu à voir avec mon orgueil ou mon désir de briller (car les défenseurs de la loi ne reprochent à leurs interlocuteurs anti-mariage-pour-tous qu’une seule chose : de ne pas être homosexuels !… en plus d’être homophobes)… et en même temps, je la voyais niée ou inexploitée, cette utilité. J’avais alors l’impression d’un immense gâchis. Et ceux qui croyaient en moi parmi les manifestants aussi, d’ailleurs ! Enfin, je constatais qu’il ne suffisait pas, pour être un leader crédible de ces Manifs Pour Tous, d’être homosexuel et de l’afficher : il fallait aussi coupler l’affichage de son homosexualité avec la remise en cause, pour soi-même et pour les autres, de la pratique de celle-ci, pratique que la loi du « mariage pour tous » justifie tacitement. Sinon, les personnes homosexuelles qui se mettent en avant juste parce qu’elles s’annoncent homos et qu’elles demandent de ne pas être assimilées à l’homosexualité médiatique (parce qu’en toile de fond elles se défendent de pratiquer leur homosexualité dans le privé), ou juste pour les mêmes raisons que des personnes non-homosexuelles (à savoir les conséquences du « mariage pour tous » sur les enfants), prennent finalement des rôles de caniche et de potiche inutile et opportuniste. Les pro-mariage-pour-tous ont tout à fait raison de les assimiler à des « animaux de compagnie ».

Puis le rototo est sorti aujourd’hui ! Et me voilà super soulagé ! Heureux ! Je n’avais jamais osé décider de rompre avec la Manif Pour Tous explicitement, de continuer mon chemin sur une autre route. J’en devinais la nécessité, mais je n’avais pas posé librement le choix. Je le subissais depuis novembre dernier. Maintenant, c’est décidé, et je crois, c’est irrévocable : même si, en théorie, j’aurais eu carrément ma place dans les MPT, en pratique je ne l’ai pas eue, je ne l’ai toujours pas et tel que c’est parti, je ne l’aurai pas. Donc je n’ai plus à m’en faire ou à pleurer. Ma place est ailleurs, aux affaires de l’Église plutôt qu’aux affaires de César. Choix libérant : je décide officiellement de ne plus faire partie du Collectif de la Manif Pour Tous. Contrairement à ce qui a pu être dit, cette décision n’est pas vieille ; je n’avais pas quitté de moi-même le Collectif depuis le 13 janvier, comme l’ont laissé croire avec mépris certains chefs de file de la MPT, soucieux de me présenter comme un diviseur ou un agitateur faisant sa crise d’égo. Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends cette décision. Avant, je faisais encore partie du Collectif de la MPT (via Homovox), mais je ne comptais m’y engager pleinement et y revenir qu’à la condition d’être en accord avec la majorité des slogans des Manifs et avec les figures du leadership choisies pour les porter, et à la condition d’y avoir une place primordiale, non par orgueil mais par observation du poids objectif qu’avaient mes propos et ma personne (homosexuelle) dans les différentes manifestations publiques sur le « mariage pour tous » (poids que je ne vois porté et représenté aujourd’hui que par mon frère Jean-Marc Veyron Lacroix). Ces conditions, dès le 17 novembre 2012, n’ont pas été réunies. Je quitte donc désormais officiellement la Manif Pour Tous qui, malgré les chiffres encourageants et impressionnants de la dernière d’il y a deux jours (1,7 millions, quand même !… pardon, 300 000…), malgré la bonne foi et le courage des manifestants (que je salue avec joie et fierté pour leur bienveillance à mon égard), prend un tournant inquiétant et peu souhaitable : je ne me reconnaissais déjà pas du tout dans les slogans et le choix des porte-parole des Manifs du 17 novembre et du 13 janvier, qui ne remettaient pas en cause les deux dangers principaux de la loi, à savoir la banalisation sociale de la différence des sexes et la justification sociale de la pratique homosexuelle ; je me reconnais encore moins dans la tournure durcie et politicienne du 24 mars et dans le « Printemps français », où la demande de retrait du projet de loi se mute en putsch politique, en ordre de démission et en règlement de comptes gauche/droite.

Depuis le 13 janvier 2013, ne voyant pas de changement notable dans les slogans et le leadership  de la Manif (nous sommes juste passés du rose au noir, mais ni l’une ni l’autre n’est la bonne couleur du Réel et de l’Amour), et n’ayant pas eu ma juste place, à la fois parce que je me suis tenu à distance tant que les chefs de file de la Manif n’étaient pas les plus légitimes et les plus crédibles (même si les leaders choisis ou auto-désignés ont des qualités indéniables, et leur place dans d’autres combats que celui du « mariage pour tous »), à la fois parce qu’on m’a tenu à distance délibérément, je tire maintenant ma révérence. Sans théâtralité. Sans amertume. Avec joie et librement. Si je restais encore solidaire des futures MPT, je sentirais le gaspillage de ma personne et de mon message, et c’est ça qui me rendrait malheureux. Je préfère quitter le Collectif en y mettant de la liberté, et en reconnaissant que son combat n’est pas le mien, et ne l’a jamais été dans les termes/moyens humains. Même si j’ai aimé la mobilisation des gens qui ont soutenu ses organisateurs.

Au bout du compte, c’est un faux point final que j’écris par cet article, car moi, je ne suis pas venu à vous par le biais de la Manif Pour Tous. Je n’ai pas eu besoin d’elle pour exister, pour faire mes conférences, pour parler d’homosexualité partout en France et ailleurs, pour écrire et faire connaître mon livre, pour me donner une légitimité, pour m’offrir une carrière ou une réputation. Et d’ailleurs, la Manif m’a très peu utilisé… donc ça tombe finalement bien !;-) J’avais décidé de ne pas me rendre à la Manif du 24 mars (d’avant-hier), car j’avais déjà senti la rupture entre elle et moi se consumer. J’irai encore moins maintenant aux prochaines. Mon truc, c’est de parler d’homosexualité en lien avec la foi et l’Église. C’est de défendre Jésus. Il faut rendre à César ce qui est à César, à Jésus ce qui est à Jésus. Je préfère assumer mon rôle de serviteur (défaillant) de Dieu, plutôt que de vivre écartelé entre César et Jésus. J’ai choisi aujourd’hui mon camp, et maintenant, ça me remplit de joie, même si j’ai conscience du gâchis. Que les organisateurs de la MPT, qui ont pris la place des « hommes de la situation » (comme moi ou Jean-Marc Veyron Lacroix, qui n’a toujours pas la place qu’il mérite car il est toujours considéré comme un porte-parole « aussi important que les autres » : ce n’est pas vrai : contextuellement, il est plus important que les autres) pour se mettre en avant alors que telle n’était pas objectivement leur place et qu’ils n’étaient pas les plus qualifiés pour être porte-parole, s’en mordent les doigts : s’ils ne le font pas, d’autres les leur mordront à leur place. Et ce ne sera pas moi.

 

Plus de Manif Pour Tous

À partir d’aujourd’hui, ne me parlez plus de la Manif Pour Tous. Je ne m’y suis jamais reconnu, et vu le chemin sucré-dynamité qu’elle prend, encore moins. Je continuerai, s’il le faut, à parler du projet de loi et à m’y opposer. Je continuerai à parler d’homosexualité et à faire des conférences sur mon livre. Mais tous ceux qui, sur les réseaux sociaux, me parleront de la MPT verront leurs propos supprimer. Merci.

Comme me l’a fait remarqué un ami, depuis le 24 mars, les manifestants et leurs opposants ne parlent plus d’homosexualité, de mariage ou même des enfants ! (… mais de comptage, de CRS, de gaz lacrymos, de « cé ki les méchants? cé vous ! »). Le cœur de mon témoignage est ailleurs, à présent.

Philippe Ariño (un homme libre), 26 mars 2013