Archives par mot-clé : théâtre

La pièce L’homme révolté au théâtre L’Essaïon : Enfin on nous raconte une histoire !


 

Belle surprise hier soir en allant voir L’Homme révolté de Michael Kohlhaas ! Non seulement elle est bien interprétée, le thème musical est excellent, et on ne s’ennuie pas une seule seconde, mais en plus, on regoûte à un plaisir de plus en plus rare (et menacé par les one-man-shows et les stand-up qui ont du mal à tenir une histoire et sa morale tout du long) : celui de se faire raconter une histoire aboutie. Le plaisir du conte. Une épopée médiévale allemande qui nous déroule la vie (et la descente aux enfers) d’un héros Michel Locas, figure inversée du Job de la Bible. Une histoire avec une morale puissante et pleine d’enseignements et d’actualité pour notre monde, car elle nous montre la dérive de l’intention justicière et du légalisme. Non, effectivement, défendre la Justice et la Loi en soi n’est pas juste et peut conduire l’Homme à être très injuste et aux graves dérives de la révolte. Bravo à Gilbert Ponté pour son énergie, son goût des mots, sa profondeur et sa foi !

Pièce Les Vœux du Cœur au Théâtre de la Bruyère : Et si vous arrêtiez de nous prendre sincèrement pour des cons ?

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Je reviens d’aller voir la pièce Les Vœux du Cœur de Bill C. Davis, qui se jouait ce soir au Théâtre de la Bruyère à Paris. Ça applaudit fort à la fin. Mais non. Ça ne le fait pas. Car cette pièce est un tissu de mensonges sur l’Église catholique, le célibat, l’homosexualité, la foi, la prêtrise. Les comédiens parlent de réalités qu’ils ne connaissent pas. Par exemple, sont-ils allés à l’association Courage et savent-ils que ce n’est pas le club de frustrés refoulés homophobes qu’ils dépeignent ? Non. Ont-ils interrogé des prêtres sur leur joie dans le célibat continent ? Non. Vont-ils à la messe ? Non. Mais ils ne se contentent pas de parler d’une Église qu’ils ne fréquentent pas : en plus, ils Lui disent ce qu’Elle doit faire et ce qu’Elle ne ferait pas ! Hallucinant. Et toujours avec les meilleures intentions du monde : pour « L’humaniser », « L’ouvrir », « L’aider à aimer et à vaincre sa peur de la sexualité ». Mais pour qui ils nous prennent et pour qui ils se prennent ? Que savent-ils, ces libertins insatisfaits de l’amour, prônant la désobéissance pendant 1h30, de ce qu’est aimer vraiment ? de ce qu’est la force du célibat consacré ? de la force de l’engagement durable et épanouissant dans le mariage ? Les prêtres, en vrai, ne s’expriment pas du tout comme ça : la plupart ne sont pas des gros bébés maladifs privés d’amour parce que privés de « sexe ». Au contraire, ils vivent leur célibat de manière épanouie et beaucoup plus libre que bien des libertins enchaînés à leur libertarisme insatisfaisant et dont le seul cadre d’exigence est leurs « sentiments ». Au lieu de vouloir le bonheur des prêtres à leur place, je conseille à la troupe de théâtre des Vœux de l’amour de rencontrer vraiment le Christ (personne, comme par hasard, complètement zappée dans cette pièce sur… le christianisme… il fallait oser !), de venir à Courage, ou de rencontrer en chair et en os des cathos au lieu de nous caricaturer de manière certes vraisemblable mais pas du tout réaliste. Vraiment, arrêtez de prendre les cathos et votre public pour des cons. Et surtout, arrêtez de vous prendre pour l’Église. Merci.
 
 
 

Je vous renvoie également à l’article suivant.

Série « Théâtre » (stages d’été aux Cours Florent, à Paris, en juillet-août 2007)

THÉÂTRE

Annie et moi

Stage d’été « Comédie musicale » aux Cours Florent (Annie et moi)

Stage "Comédie musicale" (Violette Blanckaert et moi, pour "Victor, Victoria")

Stage d’été « Comédie musicale » (Violette Blanckaert et moi, pour « Victor, Victoria »)

Stage "Comédie musicale" (chorégraphe : Michel ; metteur en scène : Jérôme Dupleix ; chant : Paul)

Stage d’été « Comédie musicale » (chorégraphe : Michel ; metteur en scène : Jérôme Dupleix ; chant : Paul)

Stage "Comédie musicale"

Stage d’été « Comédie musicale »

 

Stage d'été "Scène" (Alexia Erb et moi)

Stage d’été « Scène » (Alexia Erb et moi)

Stage d'été "Scène" (promo d'Antonia Malinova)

Stage d’été « Scène » (promo d’Antonia Malinova, la Grande)

Cours florent 7

 

Festival de théâtre de rue "Les Parfums de Lisbonne" au Café Lapeyronie, à Paris, mis en scène par Graça Dos Santos (ici avec Géraldine Gaultier)

Festival de théâtre de rue « Les Parfums de Lisbonne » au Café Lapeyronie, à Paris, mis en scène par Graça Dos Santos (ici avec Géraldine Gauthier)

 

 

 

 

 

 

Code n°57 – Emma Bovary « J’ai un amant ! » (sous-codes : Théâtre / Drama Queen / Mélodrame / « C’est atrrroce ! » /« Tout m’énerve » / « Oh mon Dieu ! »)

Emma Bo 

Emma Bovary « J’ai un amant ! »

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Elle disait : ‘Un amant ! Un amant ! J’ai un amant !’ Elle répétait cela sur le même ton ; et toujours le même mot revenait comme si elle n’en connaissait plus d’autres… » (Liliana dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 63)

 
 

La théâtralité sincère de l’homosexualité

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Qui a dit que se retrouver face à soi-même, à son image dans le miroir, à ses propres actes, ou face au Réel et à Ses limites, était facile pour tout le monde ? Aux vues des réactions hystériques des héros homosexuels des fictions (et parfois des personnes homosexuelles réelles) devant tout cela, on comprend que le désir homosexuel est un élan qui montre une difficulté des êtres humains à s’accepter eux-mêmes et à assumer leurs actes. Le concert qu’ils créent – ça passe de l’étonnement esthétisé, au dégoût, puis au rire et aux larmes – ne fait pas diversion pour autant. L’affichage de l’indignation ne parviendra jamais à se substituer au Réel, ni à faire écran à l’objet d’indignation lui-même.

 

Avec la disparition du sens du tragique et du grave dans nos sociétés, avec le déclin de l’Espérance (Celle qui croit en la victoire de la Vie sur la mort… mais tout en regardant la mort en face !) au profit de la glorification de l’« espoir » et de l’« optimisme », ne nous étonnons pas de voir apparaître dans les œuvres artistiques et même dans les attitudes quotidiennes de nos contemporains, des réactions hystériques, des comédies sérieuses, des singeries mélodramatiques, des actes cinématographiques posés sincèrement par des gens souffrant d’atrophie du cerveau et du cœur.

 

 

Signe de la virtualisation de nos existences, de la désincarnation de nos amours, et aussi de notre refus de penser et d’être responsables de nos actes : l’actuelle lubie mondiale pour l’indignation. Ils prolifèrent partout sur Facebook, Twitter, dans les médias, dans les villes et les villages, dans les manifs et les cercles d’amis : les indignés par-ci, les outrés par-là, les choqués partout. On lit sur les réseaux sociaux un affichage collectif de l’effarement (« Je suis trop choqué… », « Ça s’fait trop pas. », « Comment c’est abusé ! », etc.) qui prévaudrait sur l’analyse sur le bon jugement, ou qui se substituerait à l’action. Si je me choque, je n’ai plus rien à justifier ni à faire : je reste sans voix et sans mains puisque « les bras m’en tombent ». Et paradoxalement, la nouvelle doxa politique, médiatique, artistique, n’a jamais autant traqué l’indignation : il ne faudrait se choquer de rien, trouver tout normal (l’homosexualité, la chirurgie esthétique, le mariage homo, l’inceste, la guerre, les divorces, les manipulations sur embryons, l’euthanasie, etc.), tout tolérer, trouver la violence belle et juste, refuser toute forme de tradition. S’offusquer reviendrait à avouer ses fautes, à être coupable de ce qui nous indigne à juste titre. Sale temps pour la dénonciation des injustices, pour le jugement (nécessaire !) des actes, pour l’acceptation de nos limites et de nos vulnérabilités humaines…

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Bovarysme », « Clown blanc et Masques », « Amant triste », « Main coupée », « Mort = Épouse », « Mort », « Jeu », « Folie », « Différences physiques », « Artiste raté », « Passion pour les catastrophes », « Focalisation sur le péché », « Miroir », « Planeur », « Extase », « Moitié », « Cour des miracles », « Doubles schizophréniques », « Musique comme instrument de torture », « Substitut d’identité », « Voyeur vu », « Espion », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Appel déguisé », « Blasphème », « Homosexualité noire et glorieuse », « Reine », « Actrice-Traîtresse », « Viol », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Haine de la beauté », « Se prendre pour le diable », « Adeptes des pratiques SM », à la partie « Paradoxes du libertin » du code « Liaisons dangereuses » et à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Théââââtre et Opérâââ :

Dans les fictions traitant d’homosexualité, il est courant que le personnage homosexuel soit fan de théâtre, fasse partie de groupe de théâtreux, ou se rende régulièrement à l’opéra : cf. le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le film « Elena » (2010) de Nicole Conn (avec les nombreux amis gays de la troupe de théâtre estudiantine de Varry), le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier, le sketch du directeur de théâtre androgyne Gérard Saint Brice dans Les Petites Annonces d’Élie Sémoun, le film « Fame » (2009) de Kevin Tancharoen, le film « I Love You Baby » (2003) de David Menkes et Alfonso Albacete,  le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, le film « Fat Girls » (2006) d’Ash Christian (avec le gay fan de théâtre), le film « Philadelphia » (1993) de Jonathan Demme (avec la scène d’écoute de la Callas), le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha (avec Gabriel qui est acteur de théâtre), le film « In & Out » (1997) de Frank Oz (Howard est amateur de théâtre), le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, etc. « Smokrev revint fréquemment dans la boutique. Il achetait toujours quelque chose : un jour une collection de gravures sur l’architecture viennoise, le lendemain, une biographie des compositeurs d’opéras italiens, etc. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 299)

 

Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Hugo, le personnage homosexuel, travaille son adaptation théâtrale des Hauts du Hurlevent et cherche à être comédien. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, la camionnette LGBT porte une énorme inscription : « OUT LOUD : Theater Group ». Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Romain, l’un des héros homosexuels, joue du théâtre contemporain. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Paul, homosexuel, est comédien de théâtre. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, lorsque Benjamin dit qu’il « adore le théâtre », son amant Arnaud s’insurge « Encore un truc de pédale ! ». Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Atos Pezzini, homosexuel, est un homme de théâtre : il joue un clown blanc dans un opéra-bouffe Pagliacci. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Peter et Tom se rencontrent pour la première fois à l’opéra. Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, le héros homo, écoute Maria Callas.

 
 

Cyrille – « Entrer en scène ? Mais je suis en train d’en sortir !

Hubert – C’est la vie de théâtre, quand c’est fini c’est pour recommencer. Votre perruque, Cyrille.

Cyrille – Je n’ai pas joué Hamlet depuis un siècle ! Je ne me souviens même plus du texte…

Hubert – Jouez n’importe quel personnage, ils se valent tous. »

(Copi, Une Visite inopportune (1988), p. 68)

 
 

Souvent, le héros homosexuel ne s’éprouve pas jouer un rôle quand il est sur scène. Dans son esprit, il ne « joue » pas un personnage : il EST lui-même. Mieux que ça ! Il AIME.

 

Par exemple, dans le roman Deux Garçons (2014) de Philippe Mezescaze, Hervé Guibert (alors âgé de 14 ans) et Philippe (le narrateur de 17 ans) tombent amoureux à la Rochelle alors qu’ils prennent le même cours de théâtre et qu’ils doivent jouer une scène de Caligula. Dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, le passant homosexuel lit du Racine. Dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau, c’est en jouant une pièce de théâtre déguisée en garçon pour son premier grand rôle, sur la place de son village, que la jeune Pauline se découvre lesbienne. Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, le jeune héros homosexuel, Barthélémy, veut devenir comédien plutôt que chef d’entreprise. Dans le film « Sherlock Holmes » (2008) de Guy Ritchie, c’est précisément au moment où Sherlock Holmes invite Watson à l’opéra qu’on comprend l’ambiguïté homosexuelle de leur relation. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite André un homme qui le drague dans un hammam en lui proposant tout son carnet d’adresses du milieu artistique : « Je suis très introduit dans le milieu du théâtre. » Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, aller au ballet, selon Édouard (l’un des héros homos), c’est comme faire son coming out : cela reviendrait au même. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk contemple symboliquement sa mort prochaine dans un opéra. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria et Valentine prennent la pièce qu’elles répètent (et où elles doivent jouer le rôle d’un couple lesbien qui se déchire) pour réelle : « C’est une interprétation de la vie, parfois plus vraie que la vraie vie. » (Valentine) ; « C’est une pièce littéraire mais non moins vraie. » (Maria) Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, a été fortement influencé par la carrière de théâtre-amateur de sa mère, fan des planches. Elle lui demandait de jouer sa réplique au théâtre. Plus tard, dans la laverie où il rencontre régulièrement Rémi, secrètement amoureux de lui et comédien de théâtre dans la vie, il doit également lui donner la réplique pour l’aider à apprendre son rôle dans Cyrano de Bergerac. Les deux hommes finissent par se prendre à leur jeu dramatique et à tomber amoureux l’un de l’autre. Rémi semble être attiré par le monde confiné et précieux de l’opéra : « Si tu vas à l’Opéra, tu seras le seul à pogoter ! »

 

Même si intellectuellement le héros homosexuel est capable de faire la différence entre la fiction théâtrale et la Réalité, dans son cœur ce n’est pas si net. La raison du cœur et la raison de la tête ne se retrouvent pas systématiquement : « Moi, ce que je veux faire, c’est du théâtre. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « D’habitude, je ne m’identifie à aucun des trois personnages en particulier quand j’écoute cette scène. Je ne suis pas de ces amateurs d’opéra qui rêvent d’être Maria Callas souffrant aux pieds de Giuseppe di Stefano ou Renata Tebaldi aux prises avec le vilain Tito Gobbi, non, rien en moi ne me porte à m’imaginer en Floria Tosca plongeant le couteau dans la poitrine du sombre Scarpia. […] Je ne suis pas du tout porté à m’identifier aux personnages féminins plus qu’aux autres. […] C’est bien beau de sublimer, mais je commence à être pas mal vieux pour rêver que Jean Bersé se meurt d’amour pour moi ou que Guy Provost m’enterre sous des tonnes de fleurs coupées parmi les plus rares et les plus odorantes. Ce petit théâtre ne suffit pas à remplir ma vie ni à combler mon besoin d’amour. […] Je dis toujours à tout le monde, surtout à ceux qui le détestent, que ce que j’aime à l’opéra c’est que rien, jamais, n’est réaliste pour la simple raison que tout est chanté. C’est le théâtre parfait, la transposition complète : tout est permis parce que tout est absurde et tout est absurde parce que tout est chanté. C’est absurde de chanter de sublime façon pendant quinze minutes avec un poignard plongé dans la poitrine comme Riccardo dans Un bal masqué. […] Mais la beauté de l’opéra, souvent, tient justement dans la seule présence de la musique parce que ce qui est chanté est vraiment trop bête… On pardonne à la musique ce qu’on ne pardonnerait jamais au texte, on s’accroche aux sensations que nous procure la musique plutôt qu’au sens de ce qui est chanté, on se laisse aller à sentir plutôt qu’à penser. En fait, l’opéra nous donne la permission d’être quétaines ! Les chic connaisseurs de Bayreuth et de la Scala, l’engeance la plus snob et la plus discriminatoire du monde, le savent-ils qu’ils sont de vénérables quétaines ? J’y pense souvent et je ris dans ma barbe naissante. Alors, avec ce sens de la dérision qui me caractérise depuis mon enfance, cette façon que j’ai de toujours transposer ce qui ne fait pas mon affaire – les peines, les punitions, les revers de toutes sortes, pour les vivre à travers la culture plutôt que dans la réalité de façon à ne pas vraiment souffrir –, il me vient cette idée, sans doute parce que j’ai peur du premier amour qui pourrait me tomber dessus à tout moment, d’aimer en chantant ! Comme à l’opéra ! Je me vois me déclarer à un autre gars en serinant un air magnifique. » (Michel Tremblay, La nuit des princes charmants (1995), pp. 18-20) ; « Et des jeunes gens comme moi, amoureux fous de l’opéra, conscients ou non de leur différence, qui scrutaient chaque nouveau visage, beau ou laid, se présentant aux doubles portes d’entrée, à la recherche d’un signe de reconnaissance, d’un regard un tant soit peu insistant, peut-être même d’un sourire. Je tombais moi-même amoureux aux trente secondes, convaincu que tel ou tel spectateur regardait dans ma direction, plantait son regard dans le mien, hésitait à m’aborder. » (idem, p. 43) ; etc. Au fond, l’identification homosexuelle au théâtre ou à l’opéra marque un vide identitaire, un ennui existentiel, une absence ou une insatisfaction d’amour : « Il n’est pas étonnant que les héros d’opéra et leurs invraisemblables aventures m’aient autant passionné pendant cette période particulièrement plate de mon existence. […] Je vivais partout sauf à Montréal, à toutes les époques sauf à la mienne, dans toutes les couches de la société sauf dans celle où j’étais né : je hurlais à m’en péter les cordes vocales mes amours malheureuses et je suppose que ça me consolait de mes amours inexistantes. » (idem, p. 38) ; « Et il [Silvano] partit en courant vers le théâtre Odéon avec une agilité qui lui fit penser qu’il avait un corps de vingt ans. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 139) ; etc.

 

Le rapport qu’entretient le héros homosexuel par rapport au théâtre est idolâtre : il substitut le théâtre au Réel, et s’en venge si jamais il découvre que théâtre et Réel ne sont pas permutables. Par exemple, dans le roman Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian, le héros homosexuel, tombe amoureux d’une comédienne qui joue Roméo et Juliette de Shakespeare : « J’aime une comédienne : Sibyl Vane. […] Ne trouvez-vous pas que seules les actrices sont dignes d’amour ? » Mais il aura suffi d’une représentation médiocre pour qu’il la jette comme un déchet et la pousse au suicide.

 

Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Madame Lucienne veut tuer au revolver l’Auteur « parce que le théâtre la fait souffrir depuis qu’elle est gosse ! Parce qu’au théâtre tout est faux ! » Oui : aux yeux du naïf idolâtre des arts, le seul crime/viol du monde fictionnel, c’est de ne pas parvenir à être réel !

 

L’adoration du personnage homosexuel par rapport aux cantatrices est également idolâtre. Il les conspue autant qu’il les adore : « Je déteste les cantatrices d’opéra, il est impossible de les faire taire. » (Cyrille, le héros homosexuel s’adressant à Regina Morti dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Elle [Vicky, l’actrice défigurée alias « Vicky Fantômas] était actrice, elle était une des victimes de l’attentat du drugstore, vous vous en souvenez ? Elle a été presque déchiquetée, elle a perdu l’usage d’un bras et d’une jambe. Parfois, elle vient s’asseoir dans les derniers rangs, la tête cachée dans un foulard. Je l’ai vue rôder ce soir devant le théâtre. » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Nous sommes enfermés dans le théâtre ? » (la Comédienne, op. cit.) ; etc.

 

En fin de compte, il détruit le théâtre ou l’opéra pour mieux prouver que ces derniers sont immortels, « réels », et que son acte cynique de destruction confirmera par son impuissance le « pouvoir » de la comédie, de l’irréel, du théâtre.

 
 

b) Les montagnes russes émotionnelles de la Drama Queen :

 

Comme le théâtre ou l’opéra athées éloignent du Réel, ils font fatalement vivre toutes les montagnes russes des sentiments et des passions du narcissisme humain qui peuvent exister : compassion sensibleriste, peur, surprise, tristesse (autoparodique), colère, violence (nous allons les décortiquer chacune). En général, le héros homosexuel passe par toutes les couleurs émotionnelles de l’arc-en-ciel. « Je ne savais pas que la vie c’était tant d’émotions ! » (Bryan, le héros homo du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 208) Dépression et pression assurées !

 

Liz Taylor dans "Suddenly Last Summer" de Joseph Manliewicz

Liz Taylor dans « Suddenly Last Summer » de Joseph Manliewicz


 
 

b) 1 – Rêverie narcissique émue :

Au départ, c’est le miel narcissique de la Diva émue par elle-même. Le héros homosexuel, à travers le jeu dramaturgique, plane sur son petit nuage : « Oh mon Dieu ! Mes yeux n’ont jamais vu de richesses pareilles ! » (Lourdes-Marilyn trouvant un miroir dans son coffre, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier)

 
 

b) 2 – Peur et indignation :

Film "Guillaume et les garçons, à table!" de Guillaume Gallienne

Film « Guillaume et les garçons, à table! » de Guillaume Gallienne


 

Ensuite, le personnage homosexuel exprime son éloignement du Réel par la (mauvaise) surprise et la peur. Il s’horrifie devant son propre reflet spéculaire : cf. le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné (avec le coming out halluciné devant la glace), le recueil de poésies Le Cri écrit (1925) de Jean Cocteau, le one-man-show Jefferey Jordan s’affole ! (2013) de Jefferey Jordan, le film « Warum, Madame, Warum » (« Pourquoi, Madame, pourquoi », 2011) de John Heys & Michael Bidner, la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (avec un poster qui parodie le tableau du Cri d’Edvard Munch, mais avec Omar Simpson), le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan (où Hubert, le héros homosexuel, a placardé sur la porte de sa chambre le tableau Le Cri d’Edvard Munch), etc. On le voit passer au registre de l’indignation muette, faussement contenue. Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel) fait souvent des pauses théâtrales pour manifester son exaspération hallucinée (ex : elle s’arrête net dans la rue quand le sac plastique de ses courses se rompt).

 

Robert Mappelthorpe

Robert Mappelthorpe


 

Souvent, ce héros fait un focus sur le visage (le sien ou celui de l’acteur/actrice auquel il s’identifie) : cf. le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche (avec l’arrêt sur image du visage expressionniste et inquiet de Louise Brooks dans un de ses films des années 1920), la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev (avec Katia devant son miroir), etc. « Le boucher lui mit la tête dans la lunette, elle fixa des yeux le tissage du panier et se dit ‘Ce n’est pas vrai’ à l’instant où la lame lui coupait le cou. » (cf. la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 40) ; « Tous en ligne pour le tirage au sort. L’animateur tire le tableau Le Cri de Munch. Tout le monde crie. » (cf. les didascalies de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Quand je levai les yeux sur son image dans la glace, je bondis. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 119) ; etc. Par exemple, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la Reine a, selon le Rat, un « visage théâtral ». Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le tableau fétiche du couple homo Paul/Erik est la photo de la femme qui loupe son métro, et qui affiche une mine paniquée, décontenancée.

 

Film "Drugstore Cowboy" de Gus Van Sant

Film « Drugstore Cowboy » de Gus Van Sant


 

Le héros homosexuel commence à paniquer parce que, à cause du théâtre et de son éloignement du Réel, il ne se voit plus agir, il ne ressent plus ce que font ses mains, il ne comprend pas ce qui lui arrive ni son état schizophrène : « Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » (le héros homosexuel suite à son coming out, dans le film « Komma Ut », « Coming Out » (2011) de Jerry Carlsson) ; « Mais de quoi étais-je donc le complice ?? Mais de qui étais-je donc complice ? » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Oh mon Dieu !!! » (Zize, le travesti M to F dans son one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Oh mon Dieu. » (Micheline, le héros transsexuel M to F, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « I’m shoking !!! Oh my God ! » (Marina, le travesti M to F de la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « Oh mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! » (Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Je ne sais pas… oh, mon Dieu, je ne sais pas ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne après avoir repoussé Martin, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 134) ; « Oh, mon Dieu, quelle curieuse destinée que la mienne ! » (le Rat dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Oh mon Dieu, elle a reçu une balle dans l’œil ! » (Joséphine s’adressant à Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Oh, mon Dieu… » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Oh, mon Dieu, quelle décadence pour moi et notre famille ! » (Solitaire, op. cit.) ; « Oh mon Dieu, je suis perdu ! Elvire, je suis devenu comment dire ! Un homme de nuit qui frotte les murs de Paris pour autant dire un vampire. » (Pédé, op. cit.) ; « Même si Emma, malade de maladie, se dit, se dit, se dit… » (cf. la chanson « Hypocondries » du Beau Claude) ; « Chui désolée. Chui désolée. » (Charlène se confondant en excuses, dans les sanglots, après avoir tué son amante Sarah par asphyxie, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé. » (Andreas face à son amant Stefan, dans le film « Katter », « Tomcat », (2016) de Klaus Händl) ; etc.

 

Par exemple, tout le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky filme une jeune danseuse bisexuelle qui s’observe avec angoisse dans le miroir. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, le héros gay efféminé, se scrute devant son miroir : « Je ne suis pas prête pour le gros plan, M. DeMille. Il va falloir attendre. ». Puis Alan surgit de manière impromptue dans la chambre, et fait sursauter Emory, qui hurle de manière théâtrale : « Oh mon Dieu ! Il m’en veut encore !! »

 

Film "Volver" de Pedro Almodovar

Film « Volver » de Pedro Almodovar


 

Le héros homosexuel se met en posture de surprise ou de honte… mais ce n’est jamais qu’une posture. Il joue sur lui les effets d’une action qu’il continue de poser ou qu’il a déjà posée, pour faire diversion et la cacher. « Mais qu’est-ce que j’ai fait ?!? Je l’ai tué !!! » (Peggy face au vieux Douglas qu’elle a assommé à coups de marteau, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Ah, j’l’ai tué : j’ai pas fait exprès… J’l’ai tué. » (Saint Loup dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « It’s a shame !  Such a shame ! » (cf. la chanson « Such A Shame » du groupe Talk Talk) ; « Mon Dieu, aide-moi !!! » (Wayne face au cadavre de Jimmy, dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper) ; « Mon Dieu… Qu’ai-je fait ? » (Marcelle, la mère dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Oh ! Professeur ! Qu’est-ce que j’ai fait ! Excusez-moi ! » (Regina Morti ayant renversé le sorbet sur le professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; etc.

 

La Drama Queen homosexuelle fait tout ce vacarme car elle ne veut pas, en réalité, assumer ses actes et sa complicité au mal qui l’assaillirait. « Donald !!! Donald !!! Qu’est-ce que j’ai fait ??? […] Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Ça commence. L’angoisse. Je la sens. Seigneur, je n’y arriverai pas !!! » (Michael, le héros gay en larmes, après avoir traîné en procès tous ses amis homos, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) Par exemple, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, Madeleine, l’héroïne, est la figure par excellence de la fugitive qui joue les persécutées fuyant le régime nazi, parce qu’en réalité elle couche avec l’ennemi et collabore sans l’assumer.

 

Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, part toujours dans des grandes crises réactionnelles, passant de l’effroi à la passion en allant jusqu’au dégoût le plus fort, juste pour le plaisir de mettre en scène ses émotions qu’il gère mal (d’ailleurs, il passe son temps à décrire l’hystérie de sa sœur Florence avec qui il maintient une relation très fusionnelle) : « Grand Dieu !! » ; « Doux Jésus !! » ; « Quelle situation abominable !! » ; etc.
 

Dans le film « Ossessione » (« Les Amants diaboliques », 1942) de Luchino Visconti, Gino, l’homme qui a commis un meurtre que sa conscience refuse de porter, cherchera à différentes reprises dans l’histoire à lire sur le visage des autres l’effroi qu’il ne peut plus lire en lui-même : il s’adresse à la danseuse (« Tu dois me trouver monstrueux… ») ou à la petite fille (« Tu trouves que je suis méchant ? »).

 

« N’oublie pas mon cher amour. C’est moi qui fais tomber le rideau. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Je me retourne, et la frayeur imprimée sur les traits du garçon me frappe. » (la psychiatre face au cadavre de Cyril, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 222) ; « Beauté d’une violence sauvage, dans l’Enlèvement de Proserpine, avec ce Pluton […] dont l’effroi se lit même dans la barbe. » (le narrateur homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 20) ; « Rabbi, j’ai peur d’un crime que je pourrais commettre. » (Louis dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même, contemplant terrorisée mon propre visage dans l’ouverture en forme d’ogive, depuis la pierre tombale où je subissais ce terrible attentat. En revanche, mon agresseur lui-même n’était dans mon rêve qu’une masse sombre et sans visage. » (Bathilde dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 303) ; « En entrant dans la pièce, je faillis pousser un cri. Face à moi, au-dessus de la cheminée, je venais de découvrir mon portrait en pied. Après quelques minutes dont je vous épargnerai la description (tremblements convulsifs et sueurs froides, grelottements et halètements, sensation d’égarement et de colère impuissante), je me rapprochai du tableau et me calmai en l’observant plus attentivement. Il ne s’agissait pas de moi, même si la ressemblance entre la jeune fille représentée et moi-même était troublante, mais d’une jeune femme en costume élisabéthain. […] La tête de la jeune femme, livide, était posée sur une grande fraise comme sur un plateau. Un tel air d’effroi se peignait sur ce visage que je sentis la pitié m’envahir. Le besoin de contempler le tableau d’encore plus près  […]. Imaginez mon épouvante, imaginez ma terreur, et dites-vous bien qu’en dépit de leur intensité elles ne surpassaient ni ma curiosité ni ma détermination ! » (idem, pp. 304-305) ; « Le désastre est total. » (cf. la phrase qui suit le départ de la reine Marie-Antoinette avec Virginie Ledoyen-Madame de Polignac, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; etc.

 

Dans les romans de Philippe Besson, l’effroi est considéré comme contagieux : « Il regarde dans ma direction. Je comprends à l’expression de son visage que le mien doit dire l’épouvante. » (Lucas, le héros homosexuel du roman Son frère (2001) de Philippe Besson, p. 38) ; « J’ai été frappé par l’expression affolée de ma mère, la peur sur elle, l’effroi. » (idem, p. 41) Luca, le cadavre en décomposition du roman Un Garçon d’Italie (2003), interroge le gendarme qui découvre son corps : « Pauvre carabinier : je te fais donc tellement peur ? » (p. 15)

 
 

b) 3 – Mélancolie et souffrance singées :

Film "Satreelex, The Iron Ladies" de Yongyooth Thongkonthun

Film « Satreelex, The Iron Ladies » de Yongyooth Thongkonthun


 

Après l’indignation esthétisée, c’est la tristesse teintée d’hilarité et de cynisme autoparodique qui marque la captation du héros homosexuel pour l’irréalité théâtrale. Il se laisse aller à la scénarisation complaisante de sa mélancolie et de sa souffrance. Comme une vraie Drama Queen ! : cf. le film « Lucky Luke » (2009) de James Huth (avec Jessie James interprétant Hamlet, avec un Melvil Poupaud en grande duchesse drapée), le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (Alan pleurant au téléphone avec Michael au début du film), le dessin de saint Sébastien (2001) de Thom Seck, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Mélodrame » (1976) de Jean-Louis Jorge, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec Jeanne en plein cœur de l’hiver), le film « The Saddest Music In The World » (2003) de Guy Maddin, le film « Homemade Melodrama » (1982) de Jacqui Duckworth, le film « Tristesse et Beauté » (1984) de Joy Fleury, le spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008) de Michel Hermon, la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec les points d’exclamation et d’interrogation), la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, le sketch « Mélodrame » de Muriel Robin, etc.

 

 

Et voilà un florilège de l’inclination homosexuelle au mélodrame : « La tragédie, ça touche à l’essence même de l’être humain. On ne peut y échapper. » (un des profs de littérature d’Adèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « C’est le drame qui me fait avancer. » (cf. une réplique de la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Le tragique est votre sujet de prédilection. » (le narrateur homosexuel se vouvoyant lui-même, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 215) ; « Il était de ces natures mélancoliques qui franchissent d’un bond les abîmes entre le désespoir et une joyeuse confiance, quittes à retomber ensuite un peu plus bas qu’auparavant. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 178) ; « J’aime le cinéma avec une préférence pour les mélos. » (Billy, le héros homosexuel du film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver) ; « On est tous acteurs de nos vies. Certains restent sur le bas côté. » (Michael, le maître de cérémonie de sa bande de copains homos, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je m’accroche à la certitude que l’amour ne dure pas. » (Sylvie dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Nicolas aimait la mélancolie sur fond de musique funky. Dans l’ancien ventre de Paris, il s’inventait un art de vivre à distance, où toute valeur était périmée, toute vérité fausse. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 35) ; « Les gays adorent dramatiser. » (François, l’un des héros homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 126) ; « Je suis malheureuse !!! » (la geisha travestie M to F japonaise tragédienne dans le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Y’a eu une catastrophe !… J’étais effondré à cause de ma dinde ! » (Romain Canard, le coiffeur homo, par rapport à sa dinde au four, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « Ô, mon Dieu, que quelqu’un vienne à mon secours, s’il vous plaît ! Les travelos me trucident ! » (Lou, l’héroïne lesbienne de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’ai presque couru jusqu’aux toilettes, comme si j’allais vomir au lieu de pleurer, me suis assise sur le couvercle de la cuvette et j’ai pleuré, pleuré, sans comprendre pourquoi. J’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bains, les traces de larmes, les yeux rouges, et je me suis souvenue d’une chose, juste une chose, d’un moment semblable, d’une époque semblable. Où je me regardais dans ce miroir. En pleurant. Je savais ce que c’était. La sonnette de la porte d’entrée a retenti. » (Ronit, l’une des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 167) ; « Je me suis enfermée à clé dans la salle de bains. Je me souviens des gouttes de sang écarlates dans le lavabo, d’une couleur incroyable, du tourbillon rouge et rose quand j’ai ouvert le robinet. Je me souviens d’avoir pleuré, un peu. D’avoir été étonnée de pleurer. De m’être regardée dans le miroir, au-dessus du lavabo, d’avoir vu mon visage en pleurs, sans reconnaître mon propre reflet. » (idem, p. 219) ; « Au secours ! Au viol ! » (le Gode vibreur dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Le visage de la Reine qui pleurait à grosses larmes et criait : ‘Tout le monde me trahit, même les bateaux-mouches ! » (Bijou dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 28) ; « Vous êtes la Sarah Bernhardt de l’Assistance publique ! » (l’Infirmière s’adressant à Cyrille, le héros homosexuel dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « J’aime être pathétique. » (Eddie, l’un des héros gays du film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Le mélodrame, ça a été toujours été ton truc. » (Erik s’adressant à son amant Paul dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs) ; « Ton côté mélo-drama typique des pédés, hahaha ! » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à son meilleur ami homo Simon, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 17) ; « Et toi, toujours aussi mélodramatique… » (Jean-Louis s’adressant à son amant Paul, dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Nous sommes les amants maudits ! » (Raulito s’adressant à son amant Cachafaz juste avant de se suicider ensemble, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Nous sommes bien déchus, mon pauvre Chrysanthème ! » (la Reine s’adressant au vendeur d’eau, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’ai un penchant pour le mélodrame. » (Ronit, l’une des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 25) ; « Je quitte cette maison. Elle est maudite ! » (Goliatha dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Quelle mauvaise idée, vouloir te déguiser en Édith Piaf. C’est moi, la tragédienne, pas toi ! » (Luisito s’adressant à Jacques dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 221) ; « Personne ne me veut du bien ! Je suis seul dans mon destin ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « La jeune prostituée écrasa sa joue contre la vitre et se mit en pleurer convulsivement. » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 50) ; « Je suis terriblement heureux et insatisfait. » (Julien Brévaille dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 14) ; « Restons ici, ma Fifi ! Moi je vais mourir aussi ! C’est mon dernier printemps ! » (Mimi s’adressant à Fifi son autre compagnon travesti M to F comme lui, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tu peux pas t’empêcher d’être théâtral. » (Vincent s’adressant à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Avec toi, c’est tout ou rien. Tout de suite le mélo. » (Clément s’adressant à Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny, le héros homosexuel, est qualifié par Abbey, une de ses amies, de « Reine du mélo ». Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, dit qu’il a une tendance à « l’imitation de chanteuses mélodramatiques décédées comme Rosemary Clooney, Dionne Warwick, Ethel Merman » ; et son ami Lévi le soupçonne d’avoir une propension au mélodrame. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Rudolf, romancier homo, se met dans la peau de sa grand-mère, qu’il choisit pour héroïne de son nouveau roman. Il la décrit marchant au ralenti dans la vie, en train de regarder les passants : « Leurs mouvements sont beaux. Brusquement, elle pleure. » Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, tous les héros homos sont des Drama Queens, alternant les grandes crises pédaloïdes dépressives et les esclandres disproportionnées de folle capricieuse. Je pense notamment à la scène mélo (qui n’arrive même pas à arracher des larmes au spectateur) où Dany, embarqué par la police, avec sa fausse mèche blonde qui dépasse de la fenêtre, scande le prénom de son frère : « Ody !!!! Ody !!! Ody !!! »

 

Comme le héros homosexuel n’est pas totalement idiot et a des moments d’auto-réflexion sur le ridicule de son éloignement du Réel (il s’entend pleurnicher théâtralement), il mêle parfois le rire à ses larmes : cf. la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet (qui est une parodie des soap opéras, où tous les passions sont grossies à grands traits). « Triste elle fait la grimace devant sa glace. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Maniaco-dépressif. » (cf. la chanson « If » d’Étienne Daho et Charlotte Gainsbourg) ; « Le malheur me va si bien. » (Valentine en veuve dans la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev) ; « Les vieux travelos éclatèrent de rire en se regardant dans la glace des chiottes. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi) ; « Vidvn riait devant le miroir de l’archevêque, pavoisant. » (Copi, La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 125) ; « Je ris de me voir si con dans ce miroir. » (cf. la chanson « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « La fête et le drame, c’est la même chose. » (Julien Brévaille dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 54) ; « Ah, je jouis ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Je sanglote, et je jouis. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 47) ; « C’est un chagrin qui a du charme. » (cf. la chanson « Pleurer en silence » de Mélissa Mars) ; « Sentiment qui me mène à l’infini, mélange du pire de mon désir, je t’aime mélancolie. » (cf. la chanson « Je t’aime mélancolie » de Mylène Farmer) ; « Ma vie est une tragicomédie : elle est remplie de paradoxes. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Mais l’auto-satisfaction narcissique que peuvent lui apporter ces instants de lucidité auto-parodique rajoute en général un écran à son désespoir et une couche à la conscience de son orgueil.

 

Par exemple, dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, le personnage de China est l’archétype de la Drama Queen dépressive qui se débat dans sa recherche d’irréalité, dans sa théâtralité : elle s’extasie (« Quelle chance ! Ah, quel bonheur ! ») ou s’horrifie (« Mon Dieu, j’ai mis trop de rouge ! Quelle foule ! Quelle excitation ! » ; « Ah, mon manteau de loutre est tout mité ! J’ai plus qu’à demander à la voisine qu’elle me prête son renard ! ») pour tout et pour rien. Cet excès (et amplitude) dans les réactions n’est qu’un signe de son indifférence à l’horreur, à la Vérité, et tout simplement à la Réalité (son bébé meurt d’empoisonnement par sa faute, et cela ne lui fait ni chaud ni froid, par exemple). Elle est un automate, une vraie bourgeoise. Dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier, le héros homosexuel, sombre dans une crise de pleurs hystériques face à un moineau mort, et parle ensuite de son « hypersensibilité artistique », donc en réalité de toute la charge esthétique et ironique de son étonnement agressif face au réel.

 

Après s’être perdu dans cette euphorie paradoxale de la mélancolie, le personnage homosexuel finit par se venger sur lui-même et sur les autres de sa propre naïveté…

 
 

b) 4 – Agressivité théâtralement sincère :

La tristesse du héros homosexuel (= de ne pas voir le théâtre se concrétiser suffisamment à son goût) laisse très vite place à la colère et à la destruction violente. Il prend le plaisir esthétique de s’énerver, de soupirer d’agacement : cf. le roman Tout m’énerve (2000) de Pascal Pellerin, le spectacle Tout m’énerve (1989) de Muriel Robin, la chanson « J’en ai assez » de Jenifer, la chanson « J’en ai marre » d’Alizée, la chanson « And I Hate You » de Mélissa Mars, le film « La Plainte de l’Impératrice » (1990) de Pina Bausch, la chanson « Adélaïde » d’Arnold Turboust, la chanson « Ça m’énerve » de Gunther, le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, le film « Office Lady Rape : Disgrace ! » (1986) d’Hisayasu Sato, la chanson « It’s A Sin » du groupe Pet Shop Boys, les films « The Shame » (2007) et « Kakaphony » (2007) de Ricardo Rojstaczer, le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner, etc.

 

Il passe aux (auto-)insultes prononcées avec préciosité : « Vous êtes un vrai salaud… » (Suzanne, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « J’enviais clairement chez Sophie, et pour cause, l’indescriptible laideur de sa nouvelle physionomie. » (Vincent Garbo parlant d’une de ses camarades de classe qu’il a défigurée avec de l’acide, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 65) ; « Je suis affreuse !! » (l’actrice Huma Rojo dans le film « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1999) de Pedro Almodóvar) ; « J’ai à peine figure humaine’, constata-t-elle avec dépit en considérant son visage devant la glace. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 319) ; etc.

 
 

Alba – « Tu t’es regardée dans un miroir dernièrement ?

Zulma – Non.

Alba – Eh ben fais-le. Tu feras des cauchemars. »

(cf. dialogue entre Alba et sa mère Zulma dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet)

 
 

Le héros homosexuel trouve une forme de jouissance narcissique à rejouer les répliques des méchants de dessin animé : « Elle [Madeleine] est partie ! […] Où qu’elle soit, je la retrouverai ! […] De toute manière, elle n’ira pas loin… je suis sûr qu’elle n’imagine pas l’enfer qui l’attend. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 80) ; « C’est insensé ! Quelle bande d’incapables ! » (idem, p. 140) ; « Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je suis folle ! Je vais me pendre à la vieille poutre apparente ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « On se dit partout ‘connasses’. On s’insulte de sales pestes. » (cf. la chanson « L’Amour ça va » du groupe Mauvais Genre) ; « Je hais la baie de Gênes ! » (Cyrille, le héros homosexuel, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Ah je la [Linda] hais ! » (Loretta Strong, le héros transgenre M to F, dans la pièce éponyme (1978) de Copi) ; « Ordure ! Ordure ! Joséphine ? Oh, mon Dieu, j’ai fait un malheur ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Hubert, je vous déteste. » (Cyrille, le héros homosexuel, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je n’ai pas commandé cette horreur. » (Cyrille à propos de la robe de chambre, idem) ; « Vous allez me raser cette monstruosité jusqu’à la dernière pierre ! » (idem) ; « Je passe regarder une vitrine de chaussures rue du Four, toutes me paraissent horribles. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 16) ; etc.

 

Film "Les Enfants terribles" de Jean-Pierre Melville

Film « Les Enfants terribles » de Jean-Pierre Melville


 

Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a besoin du miroir pour croire en son horreur, pour se la rendre réelle. Elle récite comme une femme possédée un discours « diabolique » : « Il faut rendre la vie invivable. Il faut être laide à faire peur… » Dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans le sketch « Bonne Maman » de Didier Bénureau, le comédien travesti fait résonner son rire sardonique pour montrer la jouissance narcissique d’une grand-mère fictionnelle qui fait souffrir sa fille et sa famille par l’intermédiaire d’un drôle de miroir : le téléphone. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, traite sa nièce Claire de « glaire », et dit qu’elle est « hideuse ». Dans le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler, Mathilde, en se voilant la bouche avec son châle telle une musulman, s’épouvante elle-même devant sa glace.

 

Il y a chez certains personnages homosexuels un narcissisme de la destruction, à la Sabine Paturel : une jouissance de se montrer désespéré, capricieux, d’afficher ses accès de colère. « Simon raconte avec pudeur que le matin-même, il est allé dans l’appartement de Gilberto détruire chacune de ses affaires. Il a déchiré les chemises de Gilberto, consciencieusement, les unes après les autres, il a brisé le joli cendrier chiné ensemble contre la table du salon (Gilberto ne fume pas). Il a aussi déchiqueté les billets d’avion des vacances qu’ils avaient passés ensemble en Hollande, et tout un tas de papiers officiels. Simon dit ‘J’ai déchiqueté ces billets parce que c’est une manière de lui dire qu’il ne peut rien garder, même pas le souvenir heureux de ce voyage.’ Il a jeté par terre dans la salle de bain toutes les affaires de toilettes de Gilberto qui se sont cassées, parfum, rasoir, eau de toilette, etc., et sur le bureau, il a shooté son Mac, allant jusqu’à enfoncer complètement son pied dans l’écran. Il a écrasé des clopes sur le tapis en prenant soin de bien le cramer. Il a fermé les rideaux, parce que le soleil qui éclaboussait l’appartement le minait. Il est allé chercher un rasoir, et il a lacéré les rideaux. Il a fait le tour de l’appartement, et a trouvé à tout ce bazar quelque chose de touchant. Comme si sa rupture était enfin matérialisée par tous les morceaux éclatés de la vie de Gilberto, la leur depuis quelques mois. Il est allé chercher sa caméra chez lui. De retour dans l’appartement de Gilberto, il a filmé en laissant la caméra caresser ce champ de bataille de sa colère, en racontant (voix off) tout ce qu’il avait brisé. Il a terminé en filmant la boîte aux lettres dans laquelle il a laissé sa clef et y a donné un énorme coup de poing qui l’a complètement déformé. ‘Voilà. J’ai monté le film toute la journée, je l’ai appelé a-mor(t). Et c’est tout.’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), pp. 109-110)

 

On entend beaucoup de formules telles que « C’est atrrroce ! », « C’est glauque », « C’est abominable ! », « C’est affreux ! » en bouche des personnages homosexuels, en particulier les plus bobos ou les plus follasses. « Des larmes atroces coulent sur tes joues. » (Félix, l’un des héros homos du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 105) ; « Je suis absolument bouleversée, il vient de m’arriver une chose atroce ! Je me suis fait violer par mon chauffeur, c’est le mari de ma gouvernante, ce sont des gens terrifiants, elle s’habille en gitane pour me faire honte lors de mes réceptions. Elle surveille tous mes gestes, je l’ai surprise à me photographier dans ma baignoire ! Et son mari est un colosse qui m’a violée à deux reprises ! » (« L. », le personnage transgenre M to F s’adressant à Hugh, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « J’ai failli mourir d’une syncope ! Quelle journée atroce ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Maria-José se demanda si la haine qu’elle ressentait pour son frère Pedro n’était pas pour quelque chose dans son atroce destinée. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, pp. 37-38) ; « Toute cette mise en scène hospitalière a quelque chose de carcéral, de concentrationnaire, et lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie, l’héroïne lesbienne malade d’un cancer, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184) ; « Le frigidaire qui parle, il y a quelqu’un à l’intérieur ? Oh non, c’est dégoûtant, pas ça ! Je ne sais pas mais c’est horrible ! Je le referme ! » (Loretta Strong, le héros transgenre M to F, dans la pièce éponyme (1978) de Copi) ; « Moi ?!? Être une femme ?!? Oh quelle horreur ! » (Samuel Laroque dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Mais c’est ignoble ! C’est ignoble ! » (Micheline, le travesti M to F face au bébé mort, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Paris is horrible ! dit-elle, ouvrant les grands yeux. » (Marilyn dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 53) ; « C’est monstrueux ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Il y a des matins où je me regarde dans la glace et je me trouve affreuse. » (la Queta dans le roman Tiempos Mejores (1989) d’Eduardo Mendicutti) ; « Mon malaise s’estompait, mais l’image que me renvoya le miroir aurait pu être le fantôme d’une sœur jumelle morte. » (Laura, l’une des héroïnes lesbiennes du roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 118) ; « Tout à coup il s’aperçut dans une glace et demeura immobile, comme devant une apparition. Au milieu de ce décor qui ne parlait que de bien-être, l’austérité de son visage et de ses vêtements produisait un choc, et malgré lui il esquissa un geste d’horreur. » (Emmanuel Fruges dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 172) ; etc. Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Jonathan propose à son amant Matthieu de regarder le documentaire « Atrocité de la pédophilie en Thaïlande ». Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les hystériques ».

 

L’agacement, qui est en réalité une manière bon marché de se donner une contenance afin de masquer son manque de confiance en soi, est souvent le Joker brandit par la Drama Queen homosexuelle : « J’étais agacé par l’insistance de mon éditeur sur le nombre de nouvelles que devait comporter ce recueil. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, p. 77) ; « Une dame ici ? Ce ne peut être que ma belle-sœur. Dites-lui que j’ai détesté sa robe de chambre et que je n’ai pas l’intention de les recevoir. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 18) ; « Il est agaçant, ce conquistador ! » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je la déteste. » (le narrateur homosexuel parlant de Marilyn, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 94) ; « En arrivant à la maison il y a toujours un drame : Marilyn ne veut pas que les enfants fassent du bruit parce que ça empêche Pierre de méditer, nous finissons toujours par nous insulter, je leur dis de partir tous les deux ensemble et nous foutre la paix, elle me gifle, m’accuse d’être la cause de la mort de son serpent, je lui donne des coups de poing, elle pleure. » (idem, pp. 74-75) ; « Mon énervement s’est transformé en colère froide, celle du juge. Avoir changé les pilules me paraît un acte criminel contre l’identité humaine. Comme s’il n’y avait pas assez d’hommes normaux dans le monde ! » (idem, p. 41) ; « J’suis colère ! » (Gisèle, le travesti M to F dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur) ; « Vous m’agacccez, jeune freluquet. » (Mademoiselle Adélaïde dans la chanson « Adélaïde » d’Arnold Turboust) ; etc. Et ce n’est pas un hasard si l’agacement, socialement, est souvent identifié comme un signe d’homosexualité. « Des fois, quand tu t’énerves, tu fais un peu… tu fais un peu… Tout ça pour te dire que tu devrais faire attention. » (Alice, la « fille à pédés » mettant en garde son meilleur ami homo Fred de ses manières efféminées, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis)

 

Faire dire des mots forts, disproportionnés, est, dans l’esprit de beaucoup de créateurs homosexuels, une préciosité, une élégance, une nouvelle peau magnifique, une défense et une conjuration (inefficace !) de leur propre peur/cynisme/violence/haine d’eux-mêmes. « Le mélo, j’aime pas. Trop larmoyant. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Théââââtre et Opérâââ :

Dans la communauté homosexuelle, le théâtre dramatique et l’opéra sont des domaines où l’on rencontre énormément de personnes homosexuelles. Le théâtre a souvent constitué dans la construction identitaire de celles-ci une échappatoire idéale pour fuir les autres, le Réel et la différence des sexes : « L’art dramatique que je pratiquais au club du collège m’avait ouvert une porte inespérée. J’avais investi beaucoup d’efforts dans le théâtre. D’abord parce que mon père en était agacé et que je commençais, à cet âge, à définir toutes mes pratiques par rapport (et surtout contre) lui. Ensuite parce que, ayant un certain talent pour jouer la comédie, il constituait pour moi un espace de reconnaissance. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014), p. 201) ; « Mes goûts aussi, toujours automatiquement tournés vers des goûts féminins sans que je sache ou ne comprenne pourquoi. J’aimais le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées. » (idem, p. 29) ; « Guillaume II est superficiel et agité, incapable de travailler sérieusement, sentimental et théâtral, arrogant et parfois même violent, et il recherche les applaudissements comme un homme de théâtre. » (Baechler cité dans l’essai Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, pp. 48-49) ; etc. J’en sais quelque chose puisque j’ai suivi pas mal de cours de théâtre, de la fac jusqu’à l’âge adulte. Et avec le temps, un certain nombre de personnes homosexuelles se sont installées dans ce cocon pourpre-velour avec leur(s) copain(s), afin que la scène théâtrale leur fournisse le « rôle de leur vie », leur identité et leur amour. Parmi elles, il y a pléthore d’artistes ébouriffants, de chanteurs lyriques, de costumiers, de comédiens bisexuels torturés (et torturants !) et de directeurs de théâtre. « À 5 ans sur scène, déjà ! À 65 ans sur scène… encore ! » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 19)

 

L’opéra, le théâtre et les ballets chorégraphiques (classiques ou néo-classiques) attirent énormément les sujets homosexuels. « Les grands thèmes qui fondent les mécanismes du théâtre (le double, le masque, le secret, l’aveu, le corps, etc.) sont étrangement noué à la construction de l’homosexualité. » (cf. l’article « Théâtre » de Xavier Lemoine, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 465) On compte parmi les cantatrices pas mal d’icônes gays : Mady Mesplé, Maria Callas, Elisabeth Schwarzkopf, Natalie Dessay, etc. Beaucoup d’égéries gays (je pense en particulier à Dalida, à Maria Callas, à Mylène Farmer, à Lady Gaga et surtout à Jeanne Mas) adoptent sur scène un vrai jeu de tragédiennes (regards fixes en l’air, concerts hollywoodiens, interpellation d’un personnage fictif rendu réel et présent, larmes et sérieux, création d’un scénario dramatique dans un univers qui pourrait se contenter de n’être que musical, etc.). Certaines d’entre elles sont même bisexuelles voire lesbiennes : Françoise Raucourt, Greta Garbo, Sarah Bernhardt, Joséphine Baker, Mylène Farmer, etc. Et chez les compositeurs d’opéras, il y a beaucoup de personnes homosexuelles : Benjamin Britten, Richard Wagner, Franz Schubert, Piotr-Illitch Tchaikovsky, Leonard Bernstein, etc.

 

Dans les années 1940-1950 en France, la police connaissait les viviers et les milieux où gravitaient les personnes homosexuelles. Et bien entendu, les théâtres en faisaient déjà partie. « Dans les grandes agglomérations, les homosexuels notoires et reconnus sont en général fichés par la police. ‘Sauf en période de Carnaval, Mardi Gras, Mi-Carême, ou avec une autorisation spéciale de la Préfecture de Police, il est interdit de se vêtir et d’évoluer en public dans un costume du sexe opposé’. Les artistes de variétés dits ‘travestis’ n’ont pas le droit de descendre en costume de scène dans la salle du cabaret ou du théâtre où ils travaillent. » (Jean-Louis Chardans citant l’article 331 du Code Pénal datant du 8 février 1945, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 257) En 1908, selon Weindel et Fischer, les adeptes de l’homosexuels « se recrutent dans le monde des théâtres, ou dans les classes élevées de la société » (p. 91). Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », produit des pièces de théâtre avec sa compagne Ebba : « Tes fêtes et représentations fastueuses mènent l’État à la banqueroute. » (la voix-off s’adressant à Christine) Elle ouvrira même le premier théâtre public de Rome. Autre exemple, Fritz Feldtmann, homosexuel, est le directeur du théâtre de Brenne.

 

C’est toujours le cas aujourd’hui. Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko, qui connaît bien les lieux de sociabilité homosexuelle, décrit ceux qu’il appelle les « vautrés dans la culture » : « Ces hommes qui, à travers promenades et conversations érudites sur les pièces de théâtre, l’opéra, les musées ou les voyages, parlant le plus souvent deux à trois langues, vous font faire un marathon culturel en s’affirmant intellectuels et appartenant à une autre catégorie de gens. Entre eux et moi, l’argent s’imposait c’est vrai. Mais leurs convictions également. » (p. 122)

 

La confluence entre homosexualité et théâtralité n’est pas un scoop. La passion du théâtre, poussée à bout, conduit à une déformation, une inversion voire une destruction symbolique de la différence des sexes, donc au final à l’homosexualité : « Si on ‘joue’, alors on est capable de tout jouer, l’homme, la femme, la vie, la mort. » (cf. l’article « L’Acteur, médian sexuel » de Jean Gillibert, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 94) ; « Ce soir ce que je vous propose, c’est de tout faire à l’envers : on va commencer par la fin d’ailleurs, on va tout bousculer, on va se mettre cul par-dessus tête, la tête à l’envers, on va dire ce qu’il y a derrière les mots, ce qu’on n’a pas le droit de dire, voire un peu ce qui n’est pas la réalité… Ce qui n’existe que dans les théâtres… » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 85)

 
 

b) Les montagnes russes émotionnelles de la Drama Queen :

 

En brouillant la frontière entre fiction dramaturgique et théâtre, beaucoup de comédiens, de metteurs en scène ou d’acteurs homosexuels basculent dans le métathéâtre. À travers ce métathéâtre, les acteurs se soucient moins d’agir que de s’analyser. Ils se regardent eux-mêmes jouer un rôle. C’est le théâtre dans le théâtre. Le métathéâtre est « une combinaison de l’esprit de la tragédie défunte avec les plus anciennes techniques de la comédie. » (cf. l’article « De la tragédie au métathéâtre », L’Œuvre parle (1968) de Susan Sontag, p. 179) ; « À la base de toutes les œuvres de métathéâtre se retrouve le sentiment de l’équivalence de la vie et du rêve. Mais les rêves peuvent être tranquilles, ou agités, ou tourner au cauchemar. Le rêve moderne, le rêve illustré par les créations du métathéâtre contemporain, est un cauchemar : cauchemar des répétitions, de l’enlisement de l’action, d’une sensibilité à bout de nerfs. » (idem, p. 183) ; « Il y a des musiciens sur la scène et un commentateur pour donner des explications au public et l’inviter à voir dans la pièce un jeu, une représentation. » (idem, p. 184)

 

Comme le théâtre ou l’opéra athées éloignent du Réel, ils font fatalement vivre toutes les montagnes russes des sentiments et des passions du narcissisme humain qui peuvent exister : compassion sensibleriste, peur, surprise, tristesse (autoparodique), colère, violence (nous allons les décortiquer chacune). Les personnes homosexuelles dépendantes du théâtre passent par toutes les couleurs émotionnelles de l’arc-en-ciel. Dépression et pression assurées ! Je vous renvoie par exemple à l’article « La Folle compliquée » (2011) de Didier Lestrade.

 
 

b) 1 – Rêverie narcissique émue :

Au départ, c’est le miel narcissique de la Diva émue par elle-même. Un certain nombre de personnes homosexuelles, à travers le jeu dramaturgique, feignent de planer sur leur petit nuage. Par exemple, dans son film autobiographique « Le Deuxième Commencement » (2012), André Schneider est metteur en scène de théâtre et raconte narcissiquement ses sensations pré et post-spectacle, de manière très bobo (il insiste notamment sur le silence, sur la sensation d’être éclairé par les projecteurs et de sentir son texte, son public, etc.). Dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013), le comédien Guillaume Gallienne se raconte en train de vivre son parcours théâtral comme un « Grand Chemin de la Réconciliation avec Lui-même (… et avec sa mère) », sur un ton éthéré, mi-amusé, mi-ému.

 
 

b) 2 – Peur et indignation :

Ensuite, certaines personnes homosexuelles expriment leur éloignement du Réel par la (mauvaise) surprise et la peur. Elles vivent une forme de mort psychique, qui n’est pas la mort physique, mais déjà un transfert de volonté et un transfert d’âme… pas très évident à vivre. « C’est ça, la mort. La vraie mort. La mort directe, consciemment. […] Se détacher de son corps, du monde, en vitesse, dans l’effarement. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 94) ; « Ils étaient 119 sur moi !!! » (Guillaume, le héros bisexuel parlant de son calvaire au lycée et de ses crises de tachycardie dans le dortoir des frères des Écoles Chrétiennes, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Il m’arrivait d’avoir une dizaine de partenaires par soir. Oh mon Dieu… c’est horrible… Je n’en dirai pas plus… » (Ken Jones, militant homo racontant la « liberté » sexuelle au début des années 1980 avant l’arrivée du Sida, dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco) ; etc. Par exemple, lors de sa tournée MDNA World Tour 2013, la chanteuse Madonna, en intro, débute son concert par sa propre voix-off scandant « Oh my God » à intervalles réguliers.

 

EMMA Toilettes

 
 

b) 3 – Mélancolie et souffrance singées :

Après, c’est la tristesse teintée d’hilarité et de cynisme autoparodique qui marque la captation de certaines personnes homosexuelles pour l’irréalité théâtrale : cf. le docu-fiction « Enfances » (2007) de Yann Le Gal (avec la fascination d’Hitchcock petit pour les tragédiennes), le concert Jeanne Mas revient ! (2008) de Jeanne Mas au Trianon, etc.

 

« Jean adorait la tragédie. » (cf. le documentaire « Jean Sénac, le forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika) ; « Décidé à l’avance que mon histoire aurait un dénouement malheureux, le mal ne pouvait être qu’un leurre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 126) ; « Bon, évitons de la jouer mélodramatique. » (André s’adressant à son amant Laurent au moment du départ, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Le mélo, ça a du bon. Ce n’est pas que négatif. Notre monde est tellement triste et terne. Un peu de mélo, ça ne fait jamais de mal. » (Michael Michalsky interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Peut-être n’a-t-on jamais filmé de cette façon la mélancolie d’un dimanche après-midi passé au cinéma lorsque la pluie tombe à la sortie ou celle d’être absent d’un groupe d’amoureux s’éloignant au bout d’une rue, insoucieux du désespoir d’un enfant exclu de leur joie simple. » (le journaliste Pierre Philippe décrivant le film « The Long Day Closes », « Une longue journée qui s’achève » (1991) de Terence Davies, dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 85) ; etc.

 

Pour ma part, depuis que je rencontre des personnes homosexuelles ou transgenres, je suis frappé de voir les profils dépressifs – et inconsciemment théâtraux – sur lesquels je tombe (en ne m’excluant pas du lot, dans la période où j’ai désiré pratiquer l’homosexualité ou lorsque j’ai carrément pratiqué). À tel point que je n’hésite plus, aujourd’hui, à qualifier le désir homosexuel comme un symptôme de maniaco-dépression, ou de théâtralité sincère. Celle-ci, je la lis et la vois dans toutes les œuvres fictionnelles qui traitent d’homosexualité et dans énormément de discours tenus par des personnes homosexuelles, y compris ceux qui veulent donner une image positive et authentique de l’homosexualité.

 

Par exemple, en lisant Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, j’ai l’impression d’entendre son auteur Denis-Martin Chabot pleurnicher pendant tout son roman, à travers ses personnages (qui d’ailleurs sont quasiment tous montrés à un moment donné en larmes, submergés d’émotion). On retrouve beaucoup d’archétypes mélos dans le choix de ces derniers : Ginette la compagne de Lucie qui s’en va en guerre en Afghanistan ; Marcel handicapé en chaise roulante après un accident ; Patrick le grand frère de Lucie mort tragiquement dans l’attentat contre les tours du World Trade Center ; Roger Marchand mort dans un accident de voiture ; Bertrand, l’acteur has been qui doit affronter le vieillissement et le deuil de son beau Patrick ; Ginette ou encore Bertrand qui sombrent dans l’alcoolisme ; Marc Saint-Jean emporté par le Sida ; Saïd et Ahmed le couple homo heureux qui se payent la foudre et Saïd qui y passe ; Imonfri infecté par le VIH ; etc. D’ailleurs, en leitmotiv, le roman contient çà et là de multiples références à la chanson « Voir un ami pleurer » de Jacques Brel. En parcourant ce livre, on a l’impression de voir une telenovelas, avec les catastrophes qui s’enchaînent, les situations relationnelles complexes et glauques (genre Lucie et sa copine Ginette ont un enfant grâce au don de sperme de Bertrand, le petit copain de Patrick, Patrick étant le frère de Lucie mort dans les Tours jumelles… et d’ailleurs, en hommage à Patrick, le fils de Bertrand et de Lucie s’appelle Patrick. Trop beau… Mais Ginette délaisse Lucie, et Lucie est aussi abandonnée par le père biologique de son fils). Les personnages d’Accointances semblent toujours accablés de tous les malheurs de la Terre, même s’ils cachent leur peine pour ne pas paraître théâtraux. Mais nous, lecteurs, on la lit en filigrane quand même à toutes les lignes, donc cette fausse pudeur nous apparaît encore plus comme un surplus de mélodramatisme, justement : « Lucie déprime, mais elle cache bien son désarroi pour que son fils ne subisse pas ses états d’âme. » (p. 29) ; « Jusque-là, elle avait réussi à berner tout le monde. » (p. 30) ; « Lucie cache bien sa détresse, stoïque comme la vie le lui a appris, mais elle sait qu’elle ne pourra pas tenir encore longtemps. » (p. 30) Il y a une esthétisation de la souffrance à travers l’identification à la veuve, mais à la veuve dans sa version bobo bisexuelle. « Pour l’acteur que le drame et la tragédie ont suivi pendant toute son existence, le destin semble enfin être généreux. Il aime et est aimé en retour. » (p. 55) On a l’impression de suivre une série américaine : soit c’est le scénario catastrophe (l’accident de tricycle de Marcel filmé au ralenti, le réveil de Marcel à l’hôpital, le père de Marcel qui bat sa femme et qui sort avec une call-girl blonde platine, l’oncle homo de Marcel qui collectionne les ruptures amoureuses et qui va vivre chez sa sœur, des familles recomposées, des histoires de famille tordues…), soit c’est les violons et les scènes guimauve. Sourire/Pleurs/Sourire/Pleurs. La maniaco-dépression, en somme.

 

L’histrionnisme homosexuel est un trouble de la personnalité proche de l’hystérie, caractérisé par un fort niveau émotionnel et un besoin d’attention exagéré. « Le 8 décembre 1990, la neige, à gros flocons, blanchissait la ville. […] Je déambulais au milieu des passants qui se délectaient de vins chauds et achetaient des lampions pour les enfants. […] Le contraste entre le souvenir de ma précédente visite à Fourvière et ce que j’expérimentais ce soir-là, seul et désabusé, augmenta mon sentiment d’inutilité et de gâchis de mon existence. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 99) Par exemple, lors de son concert à l’Essaïon (décembre 2007), Stéphane Corbin dit sa passion pour les chansons tristes et nostalgiques (notamment « A Sombra » du groupe Madredeus).

 

Comme l’individu homosexuel n’est pas totalement idiot et a des moments d’auto-réflexion sur le ridicule de son éloignement du Réel (il s’entend pleurnicher théâtralement), il mêle parfois le rire cynique à ses larmes. « La tragédie parfois revient, mais comme farce. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 85) ; « Le kitsch est empreint de faux dramatisme, de pathos et de sentimentalisme. » (Lionel Souquet, Le Kitsch de Manuel Puig (1996), p. 123) ; « La théâtralisation des souffrances dues à un idéal sentimental difficilement réalisable est à l’origine d’un humour spécifique qui caricature de façon ironique le milieu propre. Tout comme l’humour de tout autre groupe minoritaire, tels l’humour juif ou celui des Noirs américains, il n’est totalement compréhensible qu’aux membres du groupe. Cet humour emprunte nombre d’images aux comédies sentimentales hollywoodiennes. D’ailleurs, les héroïnes du milieu sont souvent des stars qui symbolisent la femme objet : cet être apprécié et sollicité pour ses qualités sexuelles tout en revendiquant d’être compris comme un être humain et fragile. » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 193) ; « J’ai voulu faire un drame à mécanisme de vaudeville. » (Jean Cocteau parlant de sa pièce « les Parents terribles », dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; etc. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans montre l’état maniaco-dépressif, les « accès subits de joie ou de cafard » (p. 378), le « romantisme exagéré ou déplacé » (idem), comme des indices d’homosexualité.

 

Mais l’auto-satisfaction narcissique que peuvent apporter aux personnes homosexuelles ces instants de lucidité auto-parodique rajoute en général un écran à leur désespoir et une couche à la conscience de leur orgueil. « Je crois que je me fige alors dans une souffrance esthétique. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 59) La tragicomédie agit comme un masque temporaire : « Ce génie pour la découverte de formes absurdes, tragi-comiques de l’art théâtral fonctionnait comme une sorte de baume qui cicatrisait les blessures causées par ces rencontres violentes. » (Alfredo Arias parlant du travesti M to F Coco, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 16) Par exemple, c’est drôle qu’un gars aussi inexpressif que le réalisateur Gaël Morel fasse des films aussi chagrins et larmoyants (comme le film « Après lui », en 2006) par exemple. Et il avoue lui-même sa complaisance dans la mélancolie, même si celle-ci fuit la grandiloquence et prend la forme de la pudeur bobo : « Moi, j’étais très spleené dans mon adolescence… et j’adorais ça ! J’étais même très fier d’être aussi spleené. » (Gaël Morel pendant la rencontre-dédicace à la Librairie Les Mots à la Bouche à Paris, le 16 septembre 2008, pour la sortie du film « New Wave »)

 

Après s’être perdu dans cette euphorie paradoxale, l’individu homosexuel finit par se venger sur lui-même et sur les autres de sa propre naïveté…

 
 

b) 4 – Agressivité théâtralement sincère :

La tristesse de certaines personnes homosexuelles (= de ne pas voir le théâtre se concrétiser suffisamment à leurs yeux) laisse très vite place à la colère et à la destruction (symboliquement et parfois concrètement) violente : cf. la photo La Faute énorme de Duane Michal, les tableaux de Francis Bacon montrant des personnages qui hurlent, etc. Il y a chez la plupart des individus homosexuels un narcissisme de la destruction, à la Sabine Paturel : une jouissance de se montrer perdue (c’est le personnage de la « folle perdue »), capricieux, d’afficher son « goût du scandale (c’est le comportement dit de « folle ») » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 291) et ses accès de colère, pour « un peu » justifier son désespoir et sa complicité au mal.

 

Je vous renvoie à l’affection que portent certaines personnes homosexuelles à la mégère hystérique Cruela d’Enfer du dessin animé « Les 101 Dalmatiens » de Walt Disney par exemple (cf. le code « Reine » de mon Dictionnaire des codes homosexuels).

 

Les artistes homosexuels usent beaucoup d’une forme de métathéâtre qui emprunte au surréalisme agressif : le happening. Il repose principalement sur la maltraitance du public, mais aussi sur celle des comédiens entre eux. « Le surréalisme peut constituer un arsenal technique de la terreur. L’art moderne se fondant sur la découverte de l’irrationnalité du rêve sous les apparences logiques de la vie, on concevra aisément qu’il s’efforce de conquérir, en même temps que la liberté du rêve, sa puissance émotionnelle. » (cf. l’article « Les Happenings : Art des confrontations radicales », L’Œuvre parle (1968) de Susan Sontag, p. 415) Le happening a, selon Susan Sontag, trois caractéristiques essentielles : « En premier lieu, l’objectivation ou la dépersonnalisation des personnages ; en second lieu, l’importance accordée au spectacle et au bruitage, au détriment de la parole ; enfin, une volonté délibérée d’éprouver durement le public, en usant des techniques d’épouvante du surréalisme ». (idem, p. 417)

 

Sur scène ou dans leur quotidien, les personnalités homosexuelles théâtrales s’enlaidissent ou deviennent méchantes pour se prouver à elles-mêmes leur soi-disant « horreur » : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pou la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167)

 

Par exemple, lors de la spéciale Vampirisme et Homosexualité au Centre LGBT de Paris le 12 mars 2012, le romancier homo Tony Mark, le grand invité de la soirée, et auteur de beaucoup de fictions sur le vampirisme, a avoué que ce qui lui a plu dès son plus jeune âge dans le personnage de Dracula, c’est « sa théâtralité ».

 

On entend beaucoup de formules telles que « C’est atrrroce ! », « C’est glauque », « C’est abominable ! », « C’est affreux ! » en bouche des personnes homosexuelles, en particulier les plus bobos ou les plus follasses : cf. l’article « Eva Perón, parfaitement pas atroce » de Jean-Pierre Thibaudat dans le journal Libération du 8 juin 1993. Dans l’émission Radioscopie sur France Inter, diffusée le 3 avril 1969, Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, emploie souvent l’adjectif « atroce ».

 

« Ce fut un voyage épouvantable. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 88) ; « Tu n’étais pas contente de me voir pleurer, mais j’éprouvais une tendresse particulière pour la Princesse indienne de Patagonie. Le jour où on l’a fait prisonnière et où la sorcière de la tribu ennemie lui a arraché ses boucles d’oreilles, j’ai trouvé le monde injuste. J’aurais voulu pouvoir voler jusqu’à la Terre de Feu et la reprendre aux mains d’êtres aussi sauvages. Je sais : c’était un feuilleton radiophonique. Mais il me donnait un avant-goût des atrocités à venir. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 157-158) ; « À l’époque, il y avait de la discrimination partout. C’était affreux. » (Carmen Xtravaganza, le transsexuel M to F évoquant les années 1970 aux États-Unis, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « J’ai horreur de ça. » (Karl Lagerfeld, s’exprimant toujours avec des expressions radicales, dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Par exemple, dans le Figaro du 24 février 1980, le dramaturge homo argentin Copi fait une simulation d’interview avec ses propres personnages. Il s’adresse à la Eva Perón de son spectacle et lui fait faire sa promo d’Eva Perón : « En deux mots, quel ton voulez-vous que je donne à votre pièce ? » Et « Eva » de répondre : « Je voudrais que ce soit atroce. »

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, le texte est parsemé (inconsciemment, je crois) d’adjectifs tels que « insoutenable », « atroce », « grotesque », « lamentable », qui marquent des postures interloquées. Dans les romans de Vincent Petitet, on décèle des marques de dandysme d’écriture, des tics de préciosité bobo-camp : il aime bien le verbe « toiser », par exemple, ou encore « C’est pas très glamour » ; tout ce qui marque une peur, une laideur ou une haine pas assumées. L’humoriste homosexuel Pierre Palmade adore utiliser l’expression « être sur les nerfs », et joue souvent des personnages d’excédés (tout comme sa complice lesbienne Muriel Robin, avec son fameux sketch de « l’Addition » ou de « la Réunion de chantier »).

 

L’agacement, qui est en réalité une manière bon marché de se donner une contenance afin de masquer son manque de confiance en soi, est souvent le Joker brandit par la Drama Queen homosexuelle. Et ce n’est pas un hasard si socialement il est souvent reconnu comme un signe d’homosexualité (cf. le fameux « C’est agaçant, à la fin ! » du chameau du dessin animé « Astérix et Cléopâtre » (1968) de René Goscinny, Albert Uderzo, et Lee Payant).

 

 

Dire des mots forts, disproportionnés, est, dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, une préciosité, une élégance, une nouvelle peau magnifique, une défense et une conjuration (inefficace !) de leur peur/cynisme/violence. Par exemple, dans le « milieu » homosexuel, ça se traite facilement entre amis de « putes », de « pétasses », de « bitch », de « connasses », de « garces ». Les insultes fusent autour d’un féminin vulgarisé et insultant.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi

 
 

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État des lieux du théâtre homo actuel

État des lieux du Théâtre homo actuel

 
 
 

Histoire d’âmes (2010) de Lilian Lloyd

 
 

Dans ce nouveau Phil de l’Araignée, je vais sortir mon masque d’homme de théâtre pour vous proposer un petit tour d’horizon de ce qui se joue au sujet de l’homosexualité sur les scènes des salles de France et d’ailleurs, depuis les années 1975 à nos jours[1]. Actuellement, le regard panoramique sur la création dramaturgique crypto-gay fait défaut, et comme j’ai assisté à beaucoup de représentations et de mises en scène, je pense être apte à vous proposer une typologie relativement complète des pièces de l’homosexualité dans le théâtre contemporain.

 

Pendant mes deux premières années à Paris, de 2006 à 2008, avant que mon livre ne paraisse, j’avais décidé d’étoffer mes références dramaturgiques homosexuelles. J’étais assez satisfait de mon bagage culturel cinématographique, romanesque, télévisuel : il me manquait le théâtre ! Je me suis donc résolu à rattraper mon retard et à explorer l’univers homo-érotique des planches. En deux ans, j’ai vu rien moins que 160 pièces traitant d’homosexualité. Je me baladais dans Paris, à Avignon, à Madrid, mon carnet de notes en main. Le Pariscope, je l’épluchais chaque semaine consciencieusement, et c’était devenu ma Bible. J’ai presque toujours eu le nez creux pour identifier les drames qui parlaient d’homosexualité. Pour qu’une pièce puisse rentrer dans la catégorie de « pièce homosexuelle », il fallait qu’elle remplisse un des trois (sinon les trois) critères suivants : soit l’auteur devait être connu comme une personne homo (assumée ou non), soit le héros ou l’un des personnes secondaires devait être homo-bis-trans, soit le public visé/attiré par cette pièce devait être homo. À présent, j’ai largement dépassé les 200 pièces visionnées (je n’ai pas fait le compte exact, mais je dois en avoir vues pas loin de 250). Depuis 2006 (j’avais commencé un peu avant : en 2003), je cours de grands théâtres en petits cabarets, de Théâtres Nationaux en minuscules salles de 15 personnes. Ma petite expérience de comédien a aiguisé au fur et à mesure mon regard et mes attentes[2].

 

Encore aujourd’hui, je continue mon investigation du théâtre homo français et international. Je dis « international » car certaines pièces étrangères arrivent en France, et que, même si je suis évidemment plus proche du théâtre francophone et parisien, je ne pense pas qu’il y ait fondamentalement une grande différence entre le théâtre homo français et le théâtre homo étranger, ni entre le théâtre homo de la capitale et celui de la province, ni entre le théâtre lesbien et le théâtre gay. Le désir homosexuel est atemporel et ne change pas, en dépit des époques, de la singularité des auteurs, de leur identité sexuée et de leur vécu. Au milieu d’un public anonyme plongé dans l’obscurité, je suis là, comme un vrai Sherlock Holmes, à l’affût des détails que personne ne semble entendre/comprendre sauf moi, émerveillé et surpris par la justesse de mon Dictionnaire (même si certains penseront que je « sur-interprète » pour donner raison à mes projections personnelles). Je ressors très souvent d’une pièce de théâtre homosexuelle tout joyeux, avec l’envie irrépressible de crier ma trouvaille, tel l’archéologue ayant décelé les vestiges d’une cité antique cachée, … pendant que les autres spectateurs ressortent en baillant ou avec la maigre satisfaction d’avoir passé un « bon moment ».

 
 

La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret

 

Quand j’assiste à une pièce, il arrive que j’étonne, j’intrigue (souvent), j’agace (rarement), j’inquiète. On me prend pour un dangereux journaliste : « Mais qui était ce mec au premier rang qui n’arrêtait pas de griffonner des notes pendant notre pièce ??? » se demandent fréquemment les comédiens sur scène (ils me l’avouent quand on se parle après le spectacle). J’apporte une lecture nouvelle qui dépasse le simple terrain des goûts (j’aime/j’aime pas) pour aller au sens des mots et des actions scéniques. En général, les auteurs de théâtre, les metteurs en scène, et les comédiens, que j’attends parfois à la fin de leur show, apprécient que je ne fasse pas de critique boboïsante Télérama ou de lecture moralisante de leur travail, que je ne me centre pas uniquement sur mes petits goûts et mes petites impressions (« La mise en scène était moyenne, je n’aurais pas fait ça comme ça. » ; « Tel comédien n’était pas sincère et jouait mal. » ; « J’adore l’écriture de cet auteur : c’est lumineux, émouvant, corrosif, vraiment avant-gardiste. C’est génial. Et tellement drôôôle… » ; « J’aime beaucoup ce que vous faites… » ; etc.) mais au contraire que je m’attache à ce que je vois et entends, sans chercher à dire si j’ai aimé ou pas… car la plupart du temps, je n’aime pas le théâtre créé par les auteurs homos ou traitant d’homosexualité : il me passionne vu qu’il contient plein de symboles à commenter, mais objectivement, je le trouve fade, de mauvaise qualité, totalitaire, politiquement correct – y compris dans l’anti-politiquement correct –, vide d’idées fortes qui aideraient à vivre. Pour moi, un vrai critique de théâtre ne doit pas commencer par donner son avis : il a le devoir de courtoisie et d’écoute envers la création dont il dresse le portrait, bien avant de se positionner « pour » ou « contre ». S’il a aimé, cela doit à peine se voir dans un premier temps. S’il a détesté aussi. Tant d’œuvres sont balayées d’un revers de main, n’ont pas le temps d’exister, d’être goûtées et analysées, parce qu’on les considère hâtivement comme trop « clichées » ou trop « merdiques »… C’est en analysant d’une part cette auto-censure de la communauté homo/hétéro envers sa propre production, et d’autre part le langage inconsciemment codé d’œuvres jugées mineures, que j’ai découvert un trésor ! Il n’y a fondamentalement aucune pièce homosexuelle à éviter. Même celles qui m’ont le plus ennuyé, elles m’ont finalement passionné. Même les plus mauvaises ont été riches d’enseignement sur le désir homo, à l’insu des naïfs et sincères cerveaux des dramaturges qui les ont pondues.

 

Alors les quelques catégories de théâtre homo que je vais vous dessiner à présent ne sont pas hiérarchisables en termes de bon ou de mauvais goût, de pièces à éviter, à huer, ou au contraire à aller voir absolument. Des goûts et des couleurs, il n’y a rien d’écrit (même si je ne cacherai pas mes préférences). Tout ce que je souhaite, c’est qu’à l’issue de la lecture de ce petit catalogue non-exhaustif du théâtre gay et lesbien, je vous donnerai encore plus envie d’assister à des pièces sur l’homosexualité, et surtout à celles qui regorgent de clichés qui agacent le plus la communauté homosexuelle. Ce sont ces dernières qui détiennent le plus de clés de l’énigme du désir homosexuel.

 
 

1 – Le Boulevard beauf gay friendly :

 

Bonjour Ivresse! (2010) de Franck Le Hen

 

Dans cette catégorie, on peut y caser notamment La Cage aux Folles(1973) de Jean Poiret, Pauvre France (1982) de Ron Clark et Sam Bobrick, Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Les Monologues du Pénis (2007) de Carlos Goncalves, Les Deux Pieds dans le Bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Un Lit pour trois (2010) d’Yvan Tournel, Et Dieu créa les folles… (2009) de Corinne Natali, Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Nos Amis les bobos(2007) d’Alain Chapuis, Pas folle, le Gay ! (2006) de Gianni Corvi,Transes… Sexuelles (2007) de Rina Novi, Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, À plein régime (2008) de François Rimbau, D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon, Open Bed (2008) de David Serrano, Une Cigogne pour Trois (2008) de Romuald Jankow, Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet, Les Homos préfèrent les Blondes (2007) de Franck Le Hen, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, On la pend cette crémaillère (2010) de Jonathan Dos Santos, etc.

 

Ce sont, en somme, toutes des pièces de la vulgarisation de l’homosexualité, qui effleurent le sujet uniquement parce que c’est à la mode, mais sans l’approfondir vraiment. À mi-chemin entre le Théâtre de Boulevard et « Le Miel et les Abeilles », ces comédies – souvent taxées de « ringardes » – privilégient le registre du divertissement, en exploitant jusqu’à l’usure les quiproquos qu’offre la confusion des sexes ou des genres. Ce sont aujourd’hui les pièces de l’homosexualité qui remportent le plus de succès. Si elles abordent la question du couple homo, c’est soit pour le montrer comme acceptable et beau, soit pour le rendre digne de pitié (dans le second cas, la victimisation est de mise et sera montrée comme un audacieux engagement politique en faveur des « discriminations homophobes »). Le point commun entre ces différentes créations, c’est qu’on ne sait toujours pas, même après les avoir vues, si oui ou non elles ont été écrites par des individus homos ou des individus hétéros bien-pensants. Le doute est permis, tant il est beaucoup plus question de bisexualité, de libertinage généralisé, d’anti-normes et d’anti-identités, que d’amour homo. Le personnage homo n’est d’ailleurs pas toujours mis en avant ni à son avantage : il peut être une figure secondaire, plus ou moins bien intégrée au reste des autres personnages. Il est présenté comme un être à la fois complètement extra-terrestre (arrive alors la flamboyante figure de la tapette, du travesti efféminé, ou du transsexuel insupportable, qui va amuser la galerie), ou au contraire complètement invisible (tant son étiquetage sexuel ne doit pas le déterminer comme uniquement « homosexuel » mais comme un simple « amoureux errant »).

 

 

Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim

 

Ce sont des pièces qui, clairement, suivent le sens du vent. Leur époque parle de l’homoparentalité, de la bisexualité, de la transsexualité, de la nécessaire libération des femmes et de la reconnaissance de leur « plaisir sans l’homme », des droits « des » homos ? Eh bien elles vont donc s’en faire docilement le relais, de manière complètement décomplexée et relativiste ! Entre la farce potache et la pièce pseudo engagée, ces « clowneries de Réveillon » sympathiques et touche-à-tout des soi-disant « tabous sociaux » (le sexe, la domination masculine, la religion, la politique, l’argent, l’orgasme féminin, etc.) n’approfondissent rien. Leur message sur le désir homosexuel est très simpliste et manichéen. Il ne prône que l’acceptation inconditionnelle des différences, et un mode de vie libertaire. C’est léger. Et aucun des spectateurs ne va s’en plaindre à la sortie puisqu’on ne lui a pas servi autre chose de plus goûteux. « Monsieur Tout le Monde » se rend habituellement à ce type de pièces pour rigoler un bon coup, se changer les idées, et certainement pas pour en tirer une analyse approfondie sur l’homosexualité.

 

Pour finir de parler de ces vaudevilles gay friendly rafraîchissants dont personne ne semble vraiment prêter attention mais que pourtant beaucoup connaissent et vont quand même voir, il est étonnant de voir comment l’ouverture populiste vers le monde « hétéro » dont ils témoignent agace prodigieusement les membres de la communauté homo qui détestent se voir « stigmatiser positivement » sous forme de clichés qu’ils jugent caricaturaux et insultants. C’est bien parce qu’ils prouvent la faiblesse risible du désir homosexuel que ces shows sont boudés par une grande partie des personnes homosexuelles. Et pourtant, dans leur naïveté, ils sont les livres ouverts de l’homosexualité, des nids à symboles ! Le code homosexuel est le langage de l’inconscient collectif violent : il fait rire, pleurer, et on ne comprend pas pourquoi il parvient à provoquer deux réactions aussi contraires tant celui-ci s’annonce sous les hospices de la banalité. C’est purement et simplement fascinant.

 
 

2 – Les pièces communautaires :

 
 

Madame Mouchabeurre (2009) de Michel Heim, par les Caramels Fous

 

Parmi les fictions que je baptiserais de « pièces communautaires », on peut trouver des pièces telles que Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Bang Bang (2009) des Lascars Gays, Faim d’année(2007) de Franck Arrondeau, La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, Panique à Bord (2007) de Stéphane Laporte, Le Cabaret des Hommes perdus (2006) de Christian Siméon,L’Opération du Saint-Esprit (2007) des Caramels fous, Un Barbu sur le Net (2007) de Louis Julien, Angels in America (2008) de Tony Kushner, Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, Comme ils disent… (2009) de Christophe Dauphin et Stéphane Rocher, Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, Bent (1979) de Martin Sherman, etc.

 

Cette catégorie est moins gay friendly que clairement homo. Même si elle se rapproche « dangereusement » de la première catégorie dont il était question ci-dessus, et qu’elle use et abuse des mêmes ressorts comiques et des clichés les plus courus de la culture homosexuelle (notamment le personnage de la Grande Folle, de la lesbienne butch/fem, ou du Steevy abonné au club de muscu), elle prétend à davantage de recul par rapport aux pièces « beaufs » de l’homosexualité. Elle passe pour ainsi dire du kitsch au camp, du rire à l’ironie et à l’auto-dérision, de l’idéalisation à la destruction. Les pièces communautaires, clairement affichées « homos », ciblent déjà une population homo un peu plus restreinte, une « clientèle labélisée » on va dire. Elles sont sponsorisées par Têtu, Le TangoPREF Mag, ou Yagg, et sont parfois programmées dans des festivals 100 % gay. On a l’impression qu’elles se jouent davantage « entre copains qui se connaissent », devant une assistance familiale, acquise d’avance, et triée sur le volet, que pour un large public néophyte. Contrairement aux comédies de boulevard, ici, les comédiens, ou l’auteur, ou le metteur en scène, si ce n’est pas les trois réunis, s’affichent clairement en tant qu’« homos ». Ce type de pièces est plus militant, plus politisé. Le personnage de l’homosexuel n’est plus seulement là pour faire rire : il monte aussi sur scène pour défendre son identité ou son amour homosexuels, et il est le personnage principal. Les références communautaires peu généralistes (lepoppers, les us et coutumes internes au monde homo, les pratiques sexuelles, le Sida, l’humour « langue de pute », la déportation sous le nazisme, etc.), les emprunts artistiques (la citation des chanteuses icones gay par exemple), et les private joke du « milieu homo », y sont plus nombreux. Les pièces communautaires, à la différence des pièces beaufs, ont tendance à jouer davantage sur la corde sensible et mélodramatique. On y voit certes toujours la même Zaza, mais cette fois, son maquillage coule, elle a une jambe de bois, elle a été défigurée dans un accident de voiture, elle a perdu sa jeunesse d’antan, elle se venge sur son public : c’est la femme violée et violente qui est mise à l’honneur dans ces pièces communautaires ; et l’amour homo déçu qui est chanté… même si, là encore, on assiste toujours à la même idéalisation aveugle de l’identité homo et de l’amour homo, quand bien même celle-ci soit pleurnicharde, plus raffinée (avec les gants de velours de Lisa Minelli), plus intimiste, plus chargée de pathos, plus cynique, plus chantante (au passage, il n’est pas étonnant qu’on trouve dans cette catégorie de pièces un plus grand nombre de comédies musicales : la nostalgie sentimentaliste est le carburant de ces spectacles 100 % gay qui empruntent énormément au music-hall).

 
 

3 – Les pièces psychologiques :

 
 

Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay

 

Souvent, les pièces psychologiques homos sont des huis-clos qui promettent d’être riches en analyse. Ils sont censés nous sortir de l’habituel marasme intellectuel dans lequel le théâtre LGBT semble plongé : on peut citer par exemple Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce, Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri, Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay, Homosexualité(2008) de Jean-Luc Jeener, Quand mon cœur bat je veux que tu l’entendes (2008) d’Alberto Lombardo, Un Cœur en herbe (2010) de Christophe Botti, Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, Une Journée particulière (1977) d’Ettore Scola, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig,Confidences (2008) de Florence Azémar, Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, Sur ma colline(2009) de Marc Weidemann, Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, Les Larmes amères de Petra Von Kant (1971) de Fassbinder, Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, etc.

 
 

Happy Birthday Daddy (2008) de Christophe Averlan

 

Ces pièces ne cherchent plus à faire rire ni à détruire les clichés de l’homosexualité. Elles mettent précisément en scène des personnages clairement homosexuels qui utilisent ces mêmes clichés de l’homosexualité pour soi-disant les « dépasser », les « transcender », en se positionnant intellectuellement en deçà de l’étiquetage post-moderne des sexualités. Ce théâtre d’introspection n’est ni chagrin, ni trop ennuyant à suivre, ni de la masturbation intellectuelle. Il vise à rejoindre les personnes homosexuelles au cœur de leurs réflexions et de leurs interrogations quotidiennes : on trouve ainsi un théâtre plus réaliste, plus proche de nous, où on peut aisément s’identifier aux protagonistes, où les méchants et les gentils n’existent plus. Il propose des dialogues parfois musclés et bien écrits, qui font réfléchir. Concrètement, on pourrait très bien dire qu’il s’agit de débats théâtralisés (sur la confusion des sentiments, sur le coming out, sur la vie de couple homo, sur les ambiguïtés du désir homosexuel, sur la diversité capricieuse de la communauté homosexuelle et de ses combats politiques), des discussions qui restent ouvertes même quand le rideau final est tombé. Le seul gros bémol de ces pièces psychologiques, c’est qu’on nous ressert toujours les mêmes thématiques (Comment faire son coming out ? Comment gérer l’annonce de son homosexualité au travail et avec la famille ? Comment lutter contre l’homophobie ? Faut-il vivre la fidélité exclusive au sein de son couple homo ? Faut-il adopter des enfants ou se marier quand on est homo ? Quel est mon rapport au communautarisme et au ghetto marchand gay ? Comment gérer l’arrivée de la vieillesse et le monde de la drague homosexuelle ? Homosexualité et foi, quelle issue ? etc.) pour mieux évacuer la question du bien-fondé de l’identité homosexuelle ou de la force d’amour du désir homosexuel. Toute résistance et contestation de ces deux piliers idéologiques de la communauté homosexuelle mondiale est interprétée au diapason de la victimisation homosexuelle et du rejet social homophobe. Du coup, on tourne autour du pot ; on n’affronte pas les sujets ; on brasse généralement de fausses problématiques puisqu’on ne veut pas questionner la nature authentico-artificielle (ou, si vous voulez, mi-aimante mi-violente) du désir homosexuel, ni les coïncidences de ce dernier ; on se focalise bêtement sur les « comment ? » plutôt que sur les « pourquoi ? ». La discussion de fond est alors prise en sandwich entre le témoignage émotionnel « je » (autrement dit, on nous livre un échantillon de portraits de personnages gay ou lesbiens qu’on veut sortir des archétypes habituels) et la réflexion désabusée sur la vacuité de la communauté homosexuelle, de l’identité globale de l’individu, ou de l’amour en général. Vu la perspective qu’offraient à priori ces pièces psychologiques, autant dire qu’on ressort vraiment déçu du sur-place intellectuel dont on a été témoin pendant une heure et demie, surtout si on aime habituellement creuser à fond un thème et qu’on a un tant soit peu de passion des débats où « ça parle de quelque chose » ! Alors je me tourne vers nos dramaturges homosexuels et j’ai envie de leur demander : Mais quand est-ce que les discussions qu’ils mettent en scène vont ENFIN décoller et que le théâtre homo sortira de ses bien-pensances pour nous bousculer vraiment ?

 
 

4 – Les pièces de l’homosexualité invisible :

 
 

Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo

 

Une autre grande famille de pièces homosexuelles est celle des créations de l’homosexualité de l’ombre, une homosexualité qui est vécue par des personnalités qui préfèrent la cantonner dans la sphère strictement privée : je pense à des créations comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, L’Orféo (2009) d’Alessandro Striggio, Macbeth (1623) de William Shakespeare, Guantanamour (2008) de Gérald Garutti, Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob, Casimir et Caroline (2009) de Ödön von Horváth, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, L’Héritage de la femme-araignée (2007), Doubles (2008), Les Frères du Bled (2010) de Christophe et Stéphane Botti, etc.). Loin de leur jeter la pierre à cause de leur manque de visibilité homosexuelle, je trouve au contraire que ces pièces gagnent en profondeur par leur pudeur et leur discrétion. D’ailleurs, en y assistant, on tombe souvent sur d’« heureux hasards », sur des indices d’homosexualité latente nichés presque accidentellement dans les textes ou dans l’intrigue, ayant miraculeusement passé le grillage du tamis de la censure homophobe : il faut généralement aller les chercher, et être un bon connaisseur des codes symboliques employés par le désir homosexuel, pour les identifier. Mais on y arrive sans trop de mal quand même !

 

On pourrait croire qu’il s’agit de pièces datant d’une époque révolue, où l’homosexualité n’était pas dite au grand jour parce que condamnée à la damnation et au silence (je pense par exemple au théâtre de William Shakespeare, Jean Cocteau, Federico García Lorca, Colette, Tennessee Williams, etc.), mais en réalité, il n’en est rien, et je ne pense pas que cette censure soit fondamentalement une question de contexte historique : elle a à voir avec la nature-même du désir homosexuel, qui se nie tout en se disant. Ce théâtre de l’homosexualité invisible revient actuellement en force (Fassbinder, Stefan Zweig, Harold Pinter, Jean-Luc Lagarce, Gilles Tourman, Jérôme Savary, Jérôme Commandeur, etc.), surtout dans notre climat social qui est de plus en plus à l’asexualité et à la contestation des nouvelles catégories marchandes de la sexualité (gay/lesbienne/bi/trans/hétéro).

 

 

Guantanamour (2008) de Gérald Garutti

 

Il s’agit d’un théâtre écrit ou joué par des artistes qui ne veulent pas placer leur identité homosexuelle ou leur amour homosexuel sur un piédestal, ni tomber dans un prosélytisme et un militantisme qu’ils jugent caricaturaux et agaçants. Attitude à priori intelligente et ouverte ! Cet éloignement par rapport au désir homosexuel a ceci de positif que ces spectacles crypto-gay nous proposent une pensée plus universelle sur l’amour, une distance critique salutaire nous permettant de laisser l’homosexualité à sa juste place de détail de notre identité. Le problème, c’est que le désir homosexuel y est tellement peu visible et peu assumé par ces « auteurs homosexuels de l’ombre » que leur approche de la sexualité est soumise à une censure qui appauvrit le sens de leur production. S’éloigner à l’excès du tableau homosexuel revient à le rejoindre sans s’en rendre compte, à le transformer en mur transparent qui nous empêche d’accéder à une pensée plus large sur l’identité et l’amour. Le désir homosexuel a beau ne pas être notre désir profond, il existe tout de même et est à prendre en compte : plus on nie le conditionnement dont il est le témoin et/ou l’agent, plus il nous conditionne à notre insu.

 

Cette catégorie de pièces est la moins facile à analyser au niveau des codes du désir homosexuel, car le sujet de l’homosexualité est peu présent dans les mots des comédiens. Fatalement, cela donne des textes moins riches pour l’homotextualité. Cela dit, plus on cherche à mettre un couvercle sur le désir homosexuel, plus il ressort d’une manière codée dans les discours, sous forme d’un hiéroglyphe dont le langage échappe même à celui qui l’a écrit. C’est la raison pour laquelle il n’est pas inintéressant de se pencher très sérieusement sur ces pièces de l’homosexualité invisible, en veillant toutefois à ne pas tout « homosexualiser » sous prétexte qu’on connaît par ouï-dire l’homosexualité de tel metteur en scène/comédien, ou que ces spectacles seraient l’expression d’une homosexualité latente indiscutable et divine du fait d’être effacée.

 
 

5 – Le Théâtre Queer, performer :

 
 

Cannibales (2008) de Ronan Chéneau

 

Dans un tout autre style, on retrouve le Théâtre queer. Il réunit des pièces telles que Jerk (2008) de Dennis Cooper, Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely, Le Frigo (1983) de Copi, Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, My Scum (2008) de Stanislas Briche, Des Lear (2009) de Vincent Nadal, La Star des Oublis (2009) d’Ivane Daoudi, Golgotha (2009) de Steven Cohen, Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, Le Cabaret des Utopies (2008) du Groupe Incognito, etc.

 

Ces pièces « originales », réservées à une élite culturelle issue des conservatoires d’arts modernes, font la joie des snobs en mal de créativité, haïssant l’art populaire… Le souci, c’est qu’elles font par ailleurs l’ennui de l’ensemble de la population normalement constituée ! Pénibles à suivre, il est fréquent qu’elles ne fassent pas l’unanimité (certains spectateurs quittent la salle avant la fin des représentations…), qu’elles rasent profondément leur monde (et pour cause ! : elles sont objectivement chiantes et traînent souvent en longueur). Elles ont pour caractéristique de ne pas faire rire. Elles sont jouées d’ailleurs avec un cérémoniel sérieux : même les « pétages de plombs » (s’il y en a) des comédiens, qui au départ faisaient sourire par leur hilarité parfois hystérique, finissent par glacer l’assistance tellement ils arrivent de manière impromptue dans l’intrigue et semblent involontaires, égoïstes. Mais attention ! Il ne faut surtout pas critiquer ces pièces queer ni dénoncer leur nullité : car c’est de l’Art ! et l’Art n’aurait absolument rien à partager avec l’éthique ! Bien évidemment, ces oeuvres dramatiques n’ont pas toujours de trame narrative ou d’histoire à raconter. Elles procèdent de l’écriture automatique. Elles sont des terrains d’expérimentation, des « laboratoires de l’acteur » comme dirait Hélène Zidi-Cheruy. Elles utilisent toujours les mêmes ficelles idéologiques et esthétiques : la scatologie, la pornographie, les drogues, l’anticléricalisme, l’attaque du pouvoir politique et des bourgeois, les dialogues incohérents, l’association de mots par homophonie et non pour leur unité de sens, le Pop Art à la sauce seventies, etc. Il existe une étroite collaboration entre théâtre homosexuel queer et nouvelles technologies, arts audiovisuels. Les dramaturges de l’homosexualité anti-normative aiment mélanger le théâtre avec l’outil multimédia, la photo, les effets spéciaux (images au ralenti, en accéléré, sur écran géant, déformées ou liées à des sons inédits, etc.), la danse, le cirque, les jeux de lumières, les écrans de télévision occupant toute la scène, les décors design et improbables, les arrangements musicaux électro, etc. Le théâtre queer louvoie avec le cinéma, la musique, les arts plastiques, et surtout leshappenings (ceux qui cherchent à tout prix à surprendre et à provoquer leur public, quitte à le maltraiter). Généralement, à la fin de la représentation, on a envie de souhaiter bon courage au personnel de ménage ! Les comédiens ont laissé derrière eux un beau bazar ! (eau sur scène – quand ce n’est pas sur le public ! –, peinture, faux sang, farine, œufs, acte iconoclaste à l’encontre d’une toile ou d’un miroir, pluie de polystyrène, etc.). Les pièces queer semblent se tourner vers le passé (par exemple, elles réadaptent au « mauvais goût » du jour les pièces du répertoire dramatique classique : je pense notamment à la mise en scène de La Religieuse (1760) de Denis Diderot par Anaïs Gabay en 2008, à l’adaptation « libre » duFunambule (1958) de Jean Genet par Pierre Constant en 2008, à la pathétique mise en scène d’Une Saison en Enfer d’Arthur Rimbaud par Nâzim Boudjenah en 2008, à la version SM des Précieuses Ridicules de la pièce de Molière par Damien Poinsard, etc.)… mais ce retour vers la tradition n’est que poudre aux yeux : il ne s’agit pas de « faire mémoire » ni d’honorer les ancêtres, mais au contraire de travestir l’histoire dans un esthétisme « trash-bourgeois » loufoque, qui n’a la puissance que des intentions ( = la dénonciation anti-fasciste et la défense de la liberté illimitée) et du mime. Les artistes néo-baroques s’imaginent que mimer le problème supplante l’action ou la recherche de solutions : la monstration muette d’une violence déproblématisée et livrée brute sur scène serait à elle seule un acte politique « ultra révolutionnaire », « jubilatoire », « courageux »… alors que rien, concrètement, n’est proposé.

 
 

Golgotha (2009) de Steven Cohen

 

Il y a dans ces pièces queerisantes pour snobinards soixante-huitards laïcards quelque chose de la nostalgie désabusée des enfants « désenchantés » homosexuels. On nous fait assister à un jeu de massacre (massacre des mots, des styles, des corps…), avec des comédiens qui se prennent pour des objets et qui miment sur leur propre corps, asexué pour l’occasion, nu de préférence, morcelé, puant, et sanguinolent, une oppression sociale mécaniste dont la communauté homosexuelle, et l’ensemble des êtres humains dont elle serait la digne représentante, pâtirait.

 

En quelques mots, ce théâtre sent le style bobo des trentenaires gauchistes dégoûtés par la gauche, déçus par l’amour en général, en panne d’identité. Ils nous déversent leur mal-être dans un romantisme sale et un peu « barré ». Si bien qu’après avoir vu leur déprime, on hésite à applaudir à la fin tellement on a trouvé ça minable. Leur délire narcissique et solitaire fait chier tout le monde, mais personne n’ose le dire. Les pièces queer n’ont qu’une seule chose à nous apprendre : c’est qu’elles n’ont justement rien à nous dire (du moins, c’est ce qu’elles donnent à croire !). Ayant choisi la révolte, l’anticonformisme et la destruction comme moyens privilégiés d’expression, elles imposent l’action par l’image, l’affirmation de l’identité humaine sur le mode de l’éclatement et de l’exhibitionnisme morbide. Selon elles, on n’« est » pas : on « devient ». On n’a pas de sexe (« le sexe, c’est une construction culturelle ») mais seulement un « genre » (genre mouvant, fluctuant, multiple, et indéfinissable). On n’est pas réel : notre corps est poétique et clinique. On n’a pas d’orientation sexuelle ni de désir permanent : on vibre pour « quelqu’un » quel que soit notre/son sexe, on « ressent », on est « amoureux », on est tous des anges, on vit d’extase, … et surtout on meurt. Inutile de dire que cette vision nihiliste et planante de l’amour témoigne d’un profond éloignement des réalités humaines, sociales et politiques (même si le mouvementqueer politise à l’extrême son verbiage poétisant pour nier qu’il fume un peu trop de la moquette…) et qu’il encourage scéniquement à toutes les excentricités. Mais ne nous laissons pas impressionner par ce pseudo bordel « insensé » qui n’est transcendant qu’en intentions : il est bien plus organisé et signifiant que ce que ses auteurs disent. C’est le foutoir organisé des surréalistes. Après tout, ce n’est pas parce que certains surréalistes ne se comprennent pas eux-mêmes que leur partition néo-baroque dissonante n’est pas déchiffrable par d’autres. Je dirais même plus ! Moins une pièce prétend donner du Sens, plus ce que son inconscient symbolique exprime en a !

 
 

6 – Les one-man-show homosexuels :

 
 

La Lesbienne invisible (2009-2010) d’Océane Rose-Marie

 

Dans cette catégorie, je classerais des œuvres telles que Vierge et Rebelle (2008) de Camille Broquet, Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Entre fous émois (2008) de Jarry, Jérôme commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, La Lesbienne invisible de Océane Rose-Marie,Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, Les Colocataires(2008-2010) de la Troupe d’Improvisation du Bout, J’ai jamais été aussi vieux (2010) de Pierre Palmade, Madame H. racontant sa Saga des Transpédégouines (2007), Nana allume la mèche (2009) de Nana,Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet,Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Les Histoires d’amour finissent mal en général (2009) de Jérôme Loïc,Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin, Le Jardin des Dindes (2009) de Jean-Philippe Set, etc.

 

Il existe un genre particulier de spectacles communautaires homos qui ne sont pas exactement des « pièces » à proprement parler : je veux parler des sketchs de cafés-théâtres, des performances dans les cabarets transformistes, des one-man-shows, et des stand-up. Comme ces représentations mêlent témoignage personnel et humour, et qu’en plus elles sont fondées sur la rapidité des répliques de leurs vedettes qui doivent enchaîner tout un tas d’idées à la seconde et passer du coq à l’âne, elles constituent d’autant plus une mine de renseignements capitale sur le désir homosexuel (Le registre comique ne repose-t-il pas en soi sur l’art de faire rire en disant pourtant les plus grandes vérités ?). Personnellement, ce sont dans ces one-man-shows apparemment légers et anodins que j’ai trouvé le plus de références involontaires aux codes de mon Dictionnaire symbolique du désir homosexuel. En plus de nous divertir, ils nous renseignent de manière très précise sur les liens qui unissent viol et homosexualité. Nous aurions tort de ne les considérer que comme de simples bouffonneries. Ils ont le charme, l’interactivité et la drôlerie des spectacles de transformistes, certes, … mais aussi la détresse existentielle et identitaire du travesti cinématographique. Je vous les recommande spécialement.

 
 

Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé

 
 

7 – Les pièces qui sortent du lot :

 

Je n’ai pas la recette d’une pièce homo réussie, rassurez-vous. Je n’ai pas non plus la clé du succès ou au contraire du « flop » d’un spectacle. Il y a tellement de facteurs extérieurs qui rentrent en ligne de compte en dehors de la pièce en elle-même et de ses comédiens, tellement d’ingrédients différents qui concourent à cette alchimie de la scène ! Le théâtre, inutile de le dire, c’est du spectacle vivant, donc, par conséquent aussi, perpétuellement étonnant. Une pièce peut être super bien écrite mais mal interprétée ; tout comme elle peut être intelligente et pourtant mal comprise par son époque ; ou bien mal écrite et sauvée in extremis par le charisme de ses interprètes[3]. Elle peut très bien parler d’un sujet bidon en substance, et quand même développer par l’humour et l’imaginaire un humanisme épatant. Je trouve que des pièces comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Western Love (2008) de Nicolas Tarrin, Fatigay (2007) de Vincent Coulon, Tante Olga (2008) de Michel Heim, Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Coming out (2007) de Patrick Hernandez (et y compris Le Clan des Divorcées(2006) d’Alil Vardar, avec l’explosif travesti Brigitte !), Se dice de mi en Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, sont de vraies réussites, quand bien même elles ne nous aient pas emmenés super loin dans la réflexion sur l’homosexualité. Je les ai beaucoup aimées, et les reverrais avec plaisir. Concernant le théâtre homosexuel, j’ai bien sûr des préférences et des conseils : mon cœur est allé à des pièces comme Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri (une des plus grandes pièces de réflexion sur l’homosexualité à mon avis), Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener (même si les discours prêtés aux hommes d’Église sont encore caricaturaux, malgré les efforts fournis pour les renouveler), Parfum d’Intimité(2008) de Michel Tremblay (un bijou de finesse signé Christian Bordeleau), Confidences (2008) de Florence Azémar. Mon podium (encore soumis à modification, car j’ai du temps devant moi pour découvrir d’autres pièces!) reste décerné au Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig (la pièce qui touche au plus juste à la face despotique du désir homosexuel), au one-woman-show d’Océane Rose-Marie La Lesbienne invisible (je ne m’en suis pas encore remis, de ce spectacle !), et au numéro indescriptible Entre fous émois(2008) de Jarry (mise en scène de Gilles Tourman ; Jarry utilise une flopée de « mes » codes homosexuels ! Il y en a un à toutes les phrases… et le pire, c’est qu’il ne le fait même pas exprès !).

 
 

Entre fous émois (2008) de Jarry

 

Après, on peut se demander à juste titre s’il suffit qu’une pièce nous fasse rire aux éclats, nous donne la chair de poule, ou nous arrache des larmes, pour décréter qu’elle est « bonne ». En effet, concernant la production dramaturgique homosexuelle, je continue de la trouver « moyenne », voire presque toujours médiocre. Il faut faire attention à ne pas nous fier qu’à notre perception instantanée (et pas toujours distancée) d’une pièce, et à ne pas nous laisser déborder par nos émotions immédiates, par le rire et la sympathie instaurés par la chaleur d’une salle de spectacle conviviale, par l’habileté et le bagou de certains show men capables d’improviser à partir de rien et de combler la possible absence de contenu d’une œuvre par un surinvestissement sur la forme.  Certaines pièces nous font objectivement ressentir des émotions peu banales (larmes, éclats de rire, peur, curiosité, etc.) mais pourtant instinctives et peu reliées à la force de leur(s) message(s). Et ce n’est que bien après, en rentrant chez soi, qu’on se pose la question fatidique : « Mais que m’a apporté la pièce que je viens de voir ce soir, qui m’a bien plu sur le moment mais que j’aurai oubliée dans un an ? En quoi elle m’a ouvert d’autres horizons, m’a appris des choses sur moi-même et sur les autres, m’a questionné en profondeur sur ma société ? Je ne demande rien de compliqué, pourtant. Juste un peu de bon pain pour m’émerveiller toujours davantage de la beauté du monde et des êtres humains. Au-delà des blagues, des bons jeux de mots, des rires, du talent indéniable des comédiens, de l’originalité de ce que j’ai vu, du strass, des beaux costumes et des jolies chansons, quelle personne ou quelle idée forte, quelle vérité ou quel combat tous ces instruments dramaturgiques ont-ils servi ? » Si on prend vraiment le temps de se poser la question, on se rend compte que quasiment aucune pièce homosexuelle ne nous apporte de quoi étancher un minimum notre soif de Vérité. C’est la raison pour laquelle je persiste à dire que je n’ai pas encore trouvé de production dramaturgique LGBT qui me comble pleinement dans ma recherche de définition de l’homosexualité. Je ne désespère pas. Encore faut-il que l’ambiguïté divisante du désir homosexuel (un élan humain mi-aimant, mi-violent) soit reconnue sans révolte, et que le lien non-causal entre viol et désir homosexuel soit traité et osé sur nos planches bien frileuses. Antonia, please, réchauffe-nous un peu tout ça avant qu’on s’endorme.

 
Antonia 2

Antonia Malinova dans Marilyn en chantée (2008) de Sue Glover

 


[1] J’ai décidé de ne pas traiter des concerts, même si je n’ai pas pour autant délaissé les spectacles musicaux, les comédies musicales, et les musicals.

[2] J’ai commencé officiellement à faire du théâtre à 20 ans, en 2000, à Angers, à l’atelier de Xavier Vigan (même si c’est l’Église catho et mes engagements en aumôneries des lycées ou des étudiants qui m’ont en réalité bien formé à la générosité…). J’ai ensuite endossé presque par accident le rôle du dictateur Salazar dans la pièce Les Longues Vacances de Salazar (1997) de Medeiro à la faculté de Villejean à Rennes en 2003, sous la direction de Graça Dos Santos, et ce fut la révélation. J’ai été quasiment deux heures sur scène, et le seul garçon de la troupe universitaire ! S’en sont suivies deux années dans la troupe franco-portugaise Cá et Là de Graça Dos Santos, alternant théâtre de rue et représentations publiques dans les ambassades. À l’été 2007, je vis une semaine de stage d’été aux Cours Florent qui m’a marqué à jamais car elle a été animée par la talentueuse metteur en scène et actrice bulgare Antonia Malinova (dans ma promo, j’ai eu le privilège de rencontrer des comédiens et comédiennes de qualité : Charles Poitevin, Alexia Erb, Aurélie Balaes, Marie Bigot, etc.). L’inscription aux Cours Florent à l’année sera pourtant une erreur. Je ne me suis pas retrouvé dans l’ambiance de compétition entre théâtreux qui se prennent très au sérieux. Je sors de là au bout de 6 mois seulement. La seule amitié forte que j’en garde, c’est celle avec un petit prodige du théâtre, un gars que je surnomme « JT » (= Jérôme Thibault), un inclassable, comme moi, avec qui je suis toujours en contact et qui va certainement être reconnu dans quelques années. Après l’expérience Florent, pour ne pas ressortir dégoûté du théâtre, j’accepte de jouer dans une petite production de Silvio Pistone, Ainsi va le monde, au Petit Théâtre du Bonheur, à Montmartre. J’enchaîne presque aussitôt avec deux années à l’École du one-man-show Le Bout à Pigalle, à l’atelier de Yoann Chabaud. Je retrouve le plaisir de la scène et du public. Je me réconcilie avec le théâtre et décide de placer ma priorité théâtrale dans la quête de Vérité (À quoi sert une œuvre théâtrale si elle est désarmée et sans combat ?) et la convivialité. Le registre de l’humour me plaît particulièrement: je trouve qu’il développe beaucoup plus de facettes d’une personnalité que la pure tragédie. En septembre 2010, je laisse le Bout pour intégrer l’atelier d’écriture du comédien-metteur en scène Christophe Botti, avec 10 autres artistes qui veulent également se lancer dans l’écriture d’une pièce à eux. J’ai un projet solide d’une pièce traitant d’homosexualité (comme par hasard…) sous le coude. Et elle est bien partie pour voir le jour d’ici un an !

[3] La comédienne et actrice Marina Foïs, qui a relevé incontestablement le niveau de la pièce pourtant décousue de Copi,La Tour de la Défense (mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo en 2005 au Théâtre de Bobigny), en fournit une parfaite illustration.