Archives par mot-clé : vent

Code n°173 – Train

train

Train

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

TRANS…SIBÉRIEN ET ARRIÈRE-TRAIN

 

Le train occupe une place très importante dans la fantasmagorie homosexuelle. Par exemple, dans toute l’œuvre de Marcel Proust, il est extrêmement présent. Et comme le souligne le philosophe Giacomo Leopardi, le train est le tout premier moyen de locomotion au monde qui a aboli les distances et le temps. Et on pourrait tout aussi bien rajouter les sexes et la différence des sexes !

 
TRAIN enfant noir et blanc
 

Peut-être que l’association entre homosexualité et train étonnera, car dans l’imaginaire collectif, le train est souvent défini comme un « jeu de garçons ». Mais croire le contraire, c’est pourtant ignorer que la pratique et le désir homosexuels sont une émanation du machisme, et plus largement d’un élan amoureux désincarné, peu libre, effréné, violent, cinématographique, visant la toute-puissance mais niant les limites et les faiblesses humaines. Un élan narcissique, en somme. D’ailleurs, testez, si vous rentrez dans un métro, la place prédominante qu’occupent les miroirs ; observez les attitudes des gens qui s’y trouvent : le train est vraiment LE lieu privilégié de la drague narcissique, de la recherche du semblable, où il est impossible de ne pas se voir reflété quelque part, où beaucoup de monde se regarde à foison dans les vitres ou les portes coulissantes et a la possibilité de se scruter les uns les autres. Pas étonnant que le train soit devenu, symboliquement, iconographique, et parfois concrètement, le moyen de transport le plus plébiscité par la communauté homosexuelle pour les rencontres amoureuses. Les trains sont des lieux fortement fantasmatiques, donc bisexuels.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Télévore et Cinévore », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Voyage », « « Plus que naturel » », « Vent », « Symboles phalliques », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », à la partie « Port » du code « Eau », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Métro-homo-bobo :

Film "V For Vendetta" de James McTeigue

Film « V For Vendetta » de James McTeigue


 

Le train est un moyen de locomotion particulièrement présent dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité : cf. le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo, la pièce La Cage aux Folles (1975) de Jean Poiret, le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan (avec le personnage de Cal – James Dean – assis sur le toit d’un train), le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini (avec Hannah, l’héroïne lesbienne regardant le RER parisien), le roman Les Clochards célestes (1963) de Jack Kerouac, le film « Les filles du botaniste » (2006) de Daï Sijie, le film « Chicken » (2001) de Barry Dignam, le film « Warm Nights On A Slow Moving Train » (1987) de Bob Ellis, le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron, le film « W » (1998) de Luc Freit, la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou, le film « Le Crime de l’Orient-Express » (1974) de Sidney Lumet, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Giallo Samba » (2003) de Cecilia Pagliarani, les romans Mi Novia Y Mi Novio (1923) et A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana, le film « Passagers » (1998) de Jean-Claude Guiguet, le film « Moments » (1979) de Michal Bat-Adam, le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, la pièce The Milktrain Doesn’t Stop Any More (Le train de l’aube ne s’arrête plus ici, 1963) de Tennessee Williams, le film « Last Summer » (2013) de Mark Thiedeman, le film « V For Vendetta » (« V pour Vendetta », 2006) de James McTeigue, la chanson « Saint Claude » de Christine & the Queens, le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel (avec les retrouvailles de Louis et Nathan, au ralenti, sur le quai de la gare), le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, la chanson « Il aimait les garçons » de Kelly, la chanson « Nous voici réunis » de Charpini et Brancato, la chanson « Mon Petit Pédé » des Wampas, etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Comment j’ai mangé du chien (2002) d’Evgueni Grichkovets sont décrits à bord d’un train deux « marins qui s’étreignent », apparemment très soucieux de leur apparence, très propres sur eux, « jetant des regards autour d’eux pour savoir si on les regarde ». Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, l’engagement militant LGBT du jeune Joe, homosexuel est suspendu à un train de banlieue, train qui prend une importance démesurée. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit que sur la fraterie de quatre enfants dont il fait partie, ils sont deux, sa sœur et lui, à avoir fait un coming out : « Ça fait un beau ratio ! ». Il fait la remarque qu’avec sa frangine, qui a choisi d’être chauffeur routier, de se comporter en mec, de changer les plaquettes de freins de leur père, et lui qui a décidé d’assumer sa féminité, d’être hôtesse de l’air, il a dû y avoir « inversion. Leurs parents ont cherché une explication à cette émergence massive d’homosexualité dans la famille nucléaire, et en concluent que c’est parce que c’était sans doute dû au fait que leur gars et leur fille travaillent « tous les deux dans les transports ». Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, le train électrique symbolise l’amour saphique entre Carol et Thérèse. Thérèse vend des poupées et des trains dans un magasin de jouets. Carol dit être plus intéressé par les trains électrique et tâte le terrain désirant de sa future compagne : « D’où vient cette science des trains électriques ? » Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Oren, le héros homo israélien travaille « dans l’urbanisme et les trains ». Dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, vantant l’Amour homosexuel, tous les personnages gays ou gays friendly défendent le train. Hugo et Patrick tentent de sauver/restaurer une ancienne gare (celle que, il y a 150 ans, avaient fondée Monsieur Carroll et son compagnon secret) sur le point d’être transformée en centre commercial.

 

Certains héros homosexuels assurent adorer les gares, le train, le métro, et parfois même s’y identifient schizophréniquement : cf. la pièce Un train dans la tête (2007) d’Alberto Lombardo. « Petit pantin, t’es vraiment bête. Le petit train, tu l’as dans la tête. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « [Je prends le métro pour aller] Nulle part. Je prends le métro parce que j’adore le métro. J’y passe des heures. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « On dirait trop un tramway… Non, un métro… un métrosexuel. » (Nono, l’un des héros homos, s’adressant à un autre ami homo, Vivi, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez ; « Tanguy reprit sa place en se disant qu’il avait passé toute son enfance dans des trains. » (le narrateur homosexuel du roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 49) ; etc. cf. la définition de « métrosexuel » est expliquée un peu plus bas dans cette page).

 

Par exemple, Dans la pièce The Mousetrap (La Souricière, 1952) d’Agatha Christie (mise en scène en 2015 par Stan Risoch), Christopher Wren, le héros homosexuel, est tellement déjanté qu’il quitte la scène en faisant « tchou-tchou » comme le train, de manière hyper efféminée.

 

Dans la pièce The Importance To Being Earnest (L’Importance d’être Constant, 1895) d’Oscar Wilde, le jeune Jack a été retrouvé dans un sac de voyage laissé à la consigne de la gare Victoria, près de la ligne de Brighton. Il est sans origine et sans identité. La seule identité à laquelle il peut se raccrocher, c’est le lieu (= le train) de son abandon :

 

Chasuble – « Mr. Moncrieff, à quelle gare avez-vous dit vouloir vous rendre ?

Jack (s’interrompant, l’air désespéré) – Quelle gare ! Qui diable vous parle d’une gare ? Ce que je veux simplement, c’est retrouver le nom de mon père. »

 

Dans cette pièce, il est curieux comme certains personnages (souvent hystériques et violents/violés) passent leur temps à la gare, apparemment pour rien : « Jusqu’à hier, j’ignorais qu’il existât des familles ou des personnes qui eussent un terminus pour origine. » (Lady Bracknell) ; « Venez, ma chérie, nous avons déjà manqué cinq trains, si ce n’est six. En manquer un de plus risquerait de nous exposer, sur le quai, à des commentaires déplacés. […] Je me rends compte que je n’ai pas manqué moins de neuf trains. Il n’en reste plus qu’un. » (Lady Bracknell s’adressant à Gwendoline, idem) ; etc. La gare annonce l’homosexualité latente du héros, Jack/Constant : « J’ai manqué le dernier train ! Mon neveu, il me semble que vous faites preuve d’une certaine frivolité. » (Lady Bracknell s’adressant à Jack, idem)

 
 

Il arrive que le héros homosexuel vive juste à proximité d’une voie ferrée : cf. Strella le transsexuel M to F dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (il dit s’être habitué au passage des trains), les héros du film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, Nicolas et Gabriel (les deux potes gays parlant de tous les circuits de métro parisien qu’ils font au quotidien, en les transposant à la montagne autrichienne) dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, etc. Parfois, il se prend même pour le train ! « J’ai l’air d’un train. » (c.f. la chanson « Le Petit Rouquin du Faubourg Saint-Martin » de Fortugé).

 

Au départ, le train représente l’éloignement du Réel (il permet en effet de passer d’un lieu à un autre en un clin d’œil, et abolit, par sa rapidité, l’espace-temps qu’on peut observer dans la vie quotidienne), l’illusion-cinéma (comme le fil de la bobine cinématographique), un cliché bobo romantique rebattu (l’amour « beau » parce qu’impossible et improbable), voire le désir homosexuel lui-même : cf. la pièce A Streetcar Names Desire (Un Tramway nommé Désir, 1947) de Tennessee Williams, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le poème « Le Fil Pensée » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson (les premières images du film sont un plan fixe sur le défilement des vitres d’un bus qui passe), etc. « J’ai raté le train. Je ne le vois plus. » (Ada, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Adieu, Jolie, mon train va partir. » (Silvano dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 23) ; « Je me suis fait belle, belle, belle. Pour aller les voir. Je remercie toute l’équipe de la gare Saint Lazare. Gentils machinistes aux doux accents du Gard, qui m’ont permis de prendre le train du mois d’août. Je m’en vais déverser les flots de mon coming out. Je suis un garçon sensible et réfléchi. En grandissant, je ne me suis jamais affranchi de ces nuits de veille au douloureux vague à l’âme. J’ai compris bien trop tard que j’étais une femme. » (cf. la chanson « Coming out » d’Alexis HK) ; « Tu n’étais pas comme moi qu’un usager anonyme du 7h19, gare du Ranci-Villecomble-Montmerveil ; mais quoique le hasard seul nous eût placés en vis-à-vis ce jour-là, notre rencontre s’inscrivit au premier instant comme une évidence dans son livre. […] Je ‘lisaisMaurice, le roman d’Edward Morgan Forster, et toi aussi, mais tu le disais vraiment, et en version originale. Qui étais-tu, que voulais-tu ? Si je m’affichais avec ce livre, qu’il me semblait avoir suffisamment lu en voyant le film qu’en avait tiré James Ivory, c’était parce que j’aspirais à un amour aussi… comment dire ? Romantique. Par ce truchement, peut-être forcerais-je le destin ? » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Un Jeune homme timide », (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 42-43) ; « Seul demeurait face à moi le jeune homme aux doigts de cristal. […] Pour tout témoin étranger à ce manège, c’eût été un spectacle risible que ces deux jeunes personnes isolées désormais dans ce wagon de chemin de fer, épiant réciproquement les tressaillements de leurs mains. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 64) ; « Le train s’arrêta comme ses lèvres étouffaient sur les miennes le dernier écho de notre épithalame. » (idem, p. 68)

 

 

Le train symbolise souvent l’effet cinéma. Par exemple, dans le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron, Philippe regarde défiler le réel à travers les vitres du train roulant à grande vitesse. Dans le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, Ramón, hypnotisé par le train qui passe devant lui, est cet homme face à la pellicule cinématographique. « François de Séryeuse, bouleversé par la scène du train, s’interrogeait. À aucun moment, se demanda-t-il, ne ressemblé-je à ces femmes du train ? » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), p. 74) ; « Je suis dans ce train comme on regarde un film. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 16) ; etc. Le train est comme une salle obscure ou un livre feuilleté par le personnage homosexuel : « Le bruit des rails vous obsède. Vous vous effondrez au milieu du wagon. Semprun essaie de vous retenir. Mais il est trop tard. On ne quitte pas un tel wagon. » (le narrateur homosexuel du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 187)

 

Film "L'Inconnu du Nord-Express" d'Alfred Hitchcock

Film « L’Inconnu du Nord-Express » d’Alfred Hitchcock


 

Le train est le vecteur d’exil de la différence des sexes, donc de l’homosexualité. Par exemple, dans la scène finale du film « Aniel » (1997) de Francois Roux, Marc, qui a découvert son homosexualité, quitte sa femme, et le jeune homme qui l’a initié au désir homosexuel, en prenant le train et en tirant un trait sur toute sa vie hétérosexuelle d’avant. Dans le film « W Imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Likacz voyage en train pour retrouver son amant Adam, exactement comme il fait le pas d’assumer son homosexualité et ses sentiments pour un autre homme. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Hank raconte comment il a viré sa cuti dans une gare : « La première fois que je l’ai fait, c’était pendant la grossesse de ma femme.  Il y avait une réunion de professeurs, à New York. Ma femme ne se sentant pas bien, j’y suis allé seul. Et dans le train, j’y ai pensé. J’y pensais, j’y pensais pendant tout le voyage. Et peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, à la fin du film, Clara part retrouver Sonia en train pour assumer leur « amour » lesbien. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, le train est le symbole du changement de genre sexué.

 


 

D’ailleurs, les rencontres amoureuses homosexuelles dans les œuvres homos se concrétisent fréquemment dans un train ou dans les lieux de transit que constituent les gares : cf. le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano (Roberto et César se draguent dans une gare), le roman lesbien Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « L’Âge atomique » (2012) d’Héléna Klotz (avec Victor et Rainer dans le train), le film « Ceux qui m’aiment prendront le train » (1998) de Patrice Chéreau, le roman Mr Norris Changes Trains (1935) de Christopher Isherwood, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera (avec les regards soutenus entre les deux passagers d’un train, qui vont finir par « baiser » ensemble en descendant du convoi), le film « Ossessione » (« Les Amants diaboliques » (1943) de Luchino Visconti (avec Gino et son amant secret le gitan Giuseppe, qui se découvrent pour la première fois dans une locomotive), le roman Strangers On A Train (1950) de Patricia Highsmith, le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, etc. « J’ai rencontré un homme dans le train qui m’a donné son adresse. » (le jeune Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) mis en scène par Antonia Malinova) ; « Je suis sorti avec Marcel. Il est sorti avec Marcel. Je suis sorti avec Marcel. Il est sorti avec Marcel. Je suis sorti avec Marcel. Il est sorti avec Marcel. Dans le métro on s’est rencontrés. » (cf. la chanson « Oh les filles oh les filles » du groupe Au Bonheur des Dames) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Laurent, le fils qu’on soupçonne homo, a rencontré Floriane dans un train à Noël ; en réalité, on ne la voit jamais… et on devine que la « Floriane » en question serait plutôt un Florian. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, la rencontre amoureuse entre Omar et Xav s’est faite à la station de métro Poissonnière à Paris. Dans le film « Petit Cœur » (2012) d’Uriel Jaouen Zrehen, une fille est troublée par une autre fille, le temps d’un regard dans le métro. Dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall, Ernst le Berlinois et Cliff se rencontrent dans le train. Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la narratrice lesbienne, raconte comment elle drague (au culot) une jeune religieuse dans un train.

 

 
 

b) Gare à tes fesses !


 

Mais l’évacuation du Réel que le train symbolise, même si dans un premier temps elle ravit et enchante, finit par désarçonner et entraîner le héros homosexuel dans une course sentimentale folle, souvent destructrice. Le train est alors personnifié en désir-passion incontrôlable qui défile comme l’éclair, un inconscient qui domine l’être humain et le défigure. « On raconte qu’elle a fait le voyage de Louxor au Caire dans un train de feu. » (Clive à propos de l’écrivaine lesbienne Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « La locomotive a relâché… » (cf. la seule phrase que Gabriel arrive à peine à déchiffrer en braille sur le livre de son amant aveugle Léo, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) Bref, c’est la victoire de la machine et des instincts inhumains sur l’Homme : cf. le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (le tableau fétiche du couple homo Paul-Erik est la photo d’une femme qui loupe de peu son métro, et qui a un regard décontenancé, affolé), le film « Krampack » (2000) de Cesc Gay (Dani, le héros homo, jaloux d’Elena, est à deux doigts de la pousser sur le passage d’un train à grande vitesse pour la tuer), la chanson « Regarde-moi » de Céline Dion, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (où le train est le théâtre de l’inceste : « Et cette petite fille qui roule en express pour la première fois, au lieu d’écouter le tam-tam des machines, dévore le visage de son frère. »), etc. Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), le jeune Julien – dont le père va faire un surprenant coming out qui va ébranler toute la famille, se coince le pied (dès le tout début du téléfilm) dans la portière du train. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’un des héros homosexuels, raconte qu’il a fait un cauchemar avec Franz, son « ex » : il lui donnait rendez-vous sur un quai de gare, mais ce dernier ne venait pas, et en revanche était remplacé par une drôle de cavalière : « Et là, Romy Schneider traverse le quai sur un cheval noir. » Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, le train est symbole de rupture amoureuse entre Konrad et Donato. D’ailleurs, Ayrton, le petit frère de Donato, ne le voit pas d’un très bon œil : « Ce train fait un boucan d’enfer. » Dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, les voyages en train ou en bus de Marilyn sont toujours synonymes de déprime.

 

« Quelle est la différence entre un train et un psy ? Quand le train va trop vite, il déraille. » (Jonathan, l’un des héros homosexuels de la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Une de ces machines ressemblant à un train de Walt Disney faillit l’[Truddy] écraser. L’homme noir qui la conduisait riait, il fit demi-tour et refonça sur elle. » (cf. la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 31) ; « S’habiller en blanc avec les trains noirs, ça se remarque. » (Cherry, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « En ce moment, j’ai du mal avec le métro. » (Nicolas, l’un des héros gays du film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Le vent est parfois si méchant. […] J’ai encore raté le train. » (Suki, l’héroïne lesbienne parlant de son billet envolé et qui lui a fait perdre son train, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Si le train déraille, je t’en supplie. Réclame le corps avant mes parents. Je t’aime Adar. » (Antoine s’adressant à son amant Adar, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « Train de retard.[…] Mais pour les gens, je déraille. » (c.f. la chanson « Get up Girl » de Mylène Farmer) ; etc.

 

De manière plus triviale mais aussi inconsciente, la locomotive figure également un symbole phallique, voire même le viol (le train qui rentre en gare, qui sort et qui rentre dans un tunnel, serait comme un pénis qui sodomise ou pénètre un orifice génital ou anal) : cf. le vidéo-clip de la chanson « XXL » de Mylène Farmer (avec la chanteuse en tête de train, crucifiée, avec le « train au cul » si je puis dire), la chanson « Le Trou de mon quai » des Charlots (avec un sous-texte homo très clair), le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse (avec Liza Minnelli simule un orgasme au moment du passage du train), le film « Túnel Russo » (2008) de Eduardo Cerveira, etc. « Le halètement d’un train en partance rappelait une poitrine oppressée. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 60) ; « Le tramway s’incrusta dans la Rolls. Les vitres arrière volèrent en éclats. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 79) ; « Je t’ai montré mon arrière-train. » (cf. la chanson « Porno Graphique » de Mylène Farmer) ; « Y’a des baisers volés dans les trains de Tsarine… » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; etc. D’ailleurs, dans les expressions employées dans le « milieu » homo, « faire le petit train » ou la queuleuleu suggère une activité libertine : « Allez, on fait le p’tit train ! Tout le monde s’encule ! » (Raphaël Beaumont dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Quand vous étiez petits et que vous jouiez au p’tit train, Riton voulait toujours faire la locomotive. » (la mère de Léo s’adressant à son fils homosexuel, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; « Tu as un billet 1ère classe. Je suis le chef de train. » (Palomino, l’amant de Sergueï Eisenstein, en train de le sodomiser, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc. Par exemple, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, Irina a « baisé » avec sa « mère » dans le transsibérien, avec les menottes. Dans les dernières images du vidéo-clip de la chanson « Gay Bar » du groupe Electric Six, le train électrique rentrant doucement dans une montagne illustre « subtilement » la sodomie. Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri se cache derrière un wagon de train dans le but de vivre son premier « plan cul » (avant d’être surpris par un surveillant) : le train est ici le paravent de la débauche.

 

Le train renvoie parfois à un désir d’hyper-masculinité, un élan machiste (donc particulièrement bisexuel). Il est le vecteur de la pulsion, de l’amour précipité : cf. la nouvelle « La Servante » (1978) de Copi (avec l’enfant-rat jouant au petit train), etc. « Tout le monde a un secret. Tu es pédé par exemple et nous n’en avons jamais parlé. Si je me tape des machinos de théâtre, tu es amateur de ceux de la S.N.C.F. qui sont plus virils ! » (la Comédienne s’adressant à l’Auteur, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) Par exemple, dans le film « A Streetcar Named Desire » (« Un Tramway nommé Désir », 1950) d’Élia Kazan, le train est clairement associé au désir homosexuel : il est même question d’un « désir violent ». Portable : Dans l’épisode 96 « Trois anges valent mieux qu’un ! » de Joséphine ange gardien, pour réunir le couple Fabio/Martin, Joséphine envoie un faux texto (de son propre cru) à Fabio de la part du téléphone portable de Vincent : « 10h devant le resto, ou je me jette sous un train. (Vincent) » Et la menace marche puisque le couple se réconcilie.
 

Le train est le support de l’élan homosexuel ET homophobe. Par exemple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, le père de Chris (le héros homo) dit qu’il a vu dans le métro deux mecs qui s’embrassaient, et qu’il les a insultés en vociférant que « c’était sale ! ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, utilise le reflet de la vitre du compartiment du train pour se donner l’illusion spéculaire qu’il embrasse Dick sur la bouche. Le train dans ce film représente la schizophrénie.

 

Enfin, le train dans les œuvres homo-érotiques évoque également un bolide conduisant vers la mort (physique ou psychique) : cf. la chanson « Voyage sans retour » de la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon (avec le Cocaïne-Express, baptisé le « Train de la Mort »), le film « Une poule, un train et quelques monstres » (1969) de Dino Risi, le film « Terror Train » (1980) de Roger Spottiswoode, le film « Agathe et Lou » (2013) de Noémie Fy, etc. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize travesti M to F associe son « affreux » voyage en TGV vers Paris à la prostitution (« P’tin, j’y vais. » = TGV) et à la morgue (il est assis aux côtés d’une vieille dame à l’article de la mort). Dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, Alexandre, le jeune héros homosexuel, met fin à ses jours en se jetant du haut du train. Dans le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, Omar, un Pakistanais homosexuel, vit avec son père tout près de la voie ferrée (où s’est suicidée sa mère) et voit sans arrêt le train passer. Dans le roman Pasión Y Muerte Del Cura Deusto (1924) d’Augusto D’Halmar, Deusto, le héros, meurt écrasé par un train. Le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas commence par le voyage en train de Valentine et Maria, où elles apprennent la mort du dramaturge qu’elles venaient rencontrer. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, ne se voit pas prendre le métro avec « un mort » (comprendre son vieil aspirateur usagé, Tornado, qu’il traite comme un être humain, son bébé, son chien).

 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, le train est le lieu de la mort et du viol : Jane, l’héroïne lesbienne, se fait agresser par des skinheads : « Une autre rame déboula dans la station avec fracas. Jane sentit le souffle d’air chaud sur sa peau. Les gens s’inquiétaient-ils tous de leur envie de se jeter sur les voies. Les portes des voitures s’ouvrirent et les punks poussèrent des acclamations. Elle leva les yeux pour voir quelle était la source de leur excitation, se demandant si elle devait emprunter une autre sortie pour les éviter, puis elle aperçut les talons hauts et le manteau rouge familiers. Elle vit Anna ouvrir grand les bras et tournoyer parmi les hommes. L’un d’eux poussa un cri de joie et l’attrapa. Ils s’embrassèrent puis il la poussa vers ses compagnons qui l’embrassèrent à leur tour. Leurs baisers étaient profonds et brutaux ; la fille s’y soumettait, s’arc-boutant dans une parodie de passion hollywoodienne, son rire haut perché et nerveux. » (p. 94)
 

Dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, le train est la symbolisation du désir homosexuel, mais aussi des destructions terribles que ce dernier opère quand il s’actualise. Dès le début du film, Evelyne, l’héroïne du film, fait arrêter son mari Ed en voiture : « T’as entendu ça ? Le train… » Ensuite, elle écoute l’histoire d’amour entre Idgie et Ruth, qui débute par la mort tragique du grand-frère d’Idgie, Ruddy, qui était aussi promis à être le futur mari de Ruth : Ruddy s’est coincé la chaussure sur un des rails de la voie ferrée, et n’a pas pu s’en extraire à temps pour échapper au train qui l’a écrabouillé. Plus tard, une fois arrivées à l’âge adulte, Ruth et Idgie tombent amoureuses l’une de l’autre, notamment grâce à une virée épique dans un train où elles pénètrent clandestinement : « T’aimes les trains ? Tant mieux ! On va bien s’entendre ! » Leur liaison charnelle prend la métaphore du train : « On ne va pas encore jouer au train, Idgie ? » À la fin, Ruth, maltraitée par un mari violent avec qui elle a un fils qu’elle baptise « Buddy junior », vit une dernière mutilation dans son existence à cause du train : son fils perd son bras, arraché par le passage du train.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Métro-homo-bobo :

Même si cela peut surprendre, il existe mine de rien des liens non-causaux très étroits entre désir homosexuel et train. Ce n’est pas par hasard si, dans son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Roland Barthes qualifiait le train de « lieu de formation des idées » (p. 75). Le fantasme sexuel est une force qui court aussi vite qu’un TGV, surtout quand il ne s’attache pas au Réel, comme c’est le cas du désir homosexuel.

 

TRAIN Tee-shirt

 

Par exemple, le stade « métrosexuel » (dénomination donnée aux hommes sophistiqués qui seraient hétérosexuels mais qui physiquement prennent tellement soin de leur corps et de leurs petites affaires qu’ils donneraient à croire qu’ils sont homosexuels refoulés/cultivés) est l’autre nom donné à la bisexualité, la première marche vers l’homosexualité. Le métro peut donc symboliquement conduire vers une sexualité désincarnée, donc homosexuelle. Dans le documentaire « Lesbiennes, gays et trans : une histoire de combats » (2019) de Benoît Masocco, Hervé Latapie, gérant de la boîte Le Tango à Paris, raconte comment s’organisaient les rencards amoureux homos dans les trains de la capitale. Par exemple, dans les années 1970, il y avait une publicité pour les métros parlant de « la deuxième voiture »… et celle-ci a été détournée par le public homosexuel pour se donner rendez-vous secrètement : « Les homos rentraient dans la deuxième voiture du métro. »

 

Puis quand on regarde les portraits de personnes homosexuelles à la télévision, au cinéma, ou que vous nous observez dans la vraie vie, vous pourrez remarquer que notre vie amoureuse, nos endroits d’homo-sociabilité, nos lieux de travail, sont souvent liés aux rails et aux chemins de fer. Par exemple, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, est filmée une femme lesbienne de 70 ans en train de marcher le long d’une voie ferrée. Toujours dans ce même reportage, Catherine, une autre femme lesbienne, travaille dans la compagnie des wagons-lits. Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, le cheminement d’acceptation de l’« identité intersexe » de Déborah est suggéré par les voyages en train de celle-ci.

 

Au « hasard » de mes rencontres, j’ai entendu une femme sexagénaire qui m’a raconté qu’elle a travaillé toute sa vie (pendant 30 ans, quand même) dans la compagnie des wagons-lits, en France. Et elle m’a assuré que la quasi-totalité de ses collègues de travail était homosexuels !

 

Par ailleurs, le petit ami de Richard Descoings (l’ancien directeur de Sciences Po Paris), n’était autre que Guillaume Pégy, directeur actuel de la SNCF. De plus, il existe en France une association LGBT nommée Gare !, regroupant parmi les cheminots et leurs sympathisants, une majorité de personnes homosexuelles.

 

 

Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev est passionné de trains électriques. D’ailleurs, il est tout fier d’annoncer qu’il est né dans un train transsibérien. Et le train, par la suite, désigne l’impulsivité de son désir. Dans une scène étonnante où on le voit en train de faire marcher son train électrique, il tente un rapprochement physique avec son camarade de danse Yuri… mais ce dernier marque la distance et installe un rocher-tunnel sur le trajet du train, pour lui faire comprendre qu’il n’est pas intéressé par l’homosexualité. À la fin du film, face à une horde de journalistes, il fait du train sa marque de fabrique, d’identité et sa raison existentielle, et finit en boutade : « Je peux vivre n’importe où. Je suis bien né dans un train ! ».
 

Pourquoi voit-on des recoupements aussi nombreux entre homosexualité et réseau ferroviaire des trains ? Parce que l’un comme l’autre brouillent les frontières du Réel : la première, ce sera plus avec la différence des sexes, le second, ce sera plus avec la différence des espaces, sachant que ces deux différences se font écho et sont les « rocs » d’un même Réel. Au départ, le train accélère l’éloignement du Réel (il permet en effet de passer d’un lieu à un autre, et abolit, par sa rapidité, l’espace-temps de la vie quotidienne), favorise l’illusion-cinéma (comme le fil de la bobine cinématographique), le sentiment amoureux (l’amour sera perçu comme « encore plus beau » dans un train parce qu’improbable, furtif et inaccessible), voire le désir homosexuel lui-même. « J’étais déjà amoureux avant même de l’accueillir à sa descente du train. […] Yann était devant moi, beau et aussi gauche que moi. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 83-84) ; « Les hétérosexuelles ont toujours un métro de retard quand il s’agit de reconnaître leur attirance pour d’autres femmes. » (Oshen, alias Océane Rose-Marie « la lesbienne invisible », lors de son concert parisien à L’Européen, le 6 juin 2011) ; « Tu m’abandonnais. Tu partais. Dix minutes après, je courais après toi dans les rues du 18e arrondissement. Rue de Clignancourt. Boulevard de Barbès. Rue Doudeauville. Rue… Et le petit pont. Et le petit banc. Tu étais là. Tu m’attendais là. Assis sur le petit banc. Je te rejoignais. Et on regardait ensemble les trains de la gare du Nord passer. Dans le silence. » (Abdellah Taïa s’adressant virtuellement à son « ex » Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 120) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. Nous avons pris le train. Pour moi, c’était comme si nous étions partis pour toujours. Légers, sans valise, à la gare centrale. Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. […] Ce que j’aimais, c’était longer la voix ferrée avec toi. On aurait continué jusqu’à l’infini. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 150-156) ; etc.

 

TRAIN Inde

 

D’ailleurs, les rencontres amoureuses homosexuelles se concrétisent relativement souvent dans les trains ou dans les lieux de transit que constituent les gares. « C’est dans le train que j’ai rencontré Matthias l’Allemand et son ami Raphaël qui était polonais. On a fait connaissance. On s’est débrouillés pour se retrouver tous les trois dans une voiture, dans un compartiment. Et là, on n’a pas dormi. On a fait l’amour avec le train qui marchait, qui traversait la nuit. » (Abdellah Taïa, le romancier marocain homosexuel, évoquant un « plan à trois » dans un train) Par exemple, les Britanniques George Merrill et Edward Carpenter, qui furent amants pendant 40 ans, se rencontrèrent dans un train.

 

Certains amis homosexuels habitant à Paris m’ont indiqué les lignes de métro les plus prisées pour la drague homosexuelle (la ligne n°1, apparemment), et m’ont raconté les épisodes incroyables qu’ils ont vécus dans les trains-couchettes ou les rames de métro (par exemple, un occupant de leur wagon qui, juste avant de partir, leur a laissé un papier avec un numéro de téléphone préparé à l’avance – le stock déjà prêt… – ; ou bien leurs frasques sexuelles dans des trains de nuit). À tous les coups, j’hallucine car ça me dépasse complètement, ce genre de fonctionnements !

 
 

b) Gare à tes fesses !

Mais l’évacuation du Réel que le train encourage, même si dans un premier temps elle enchante, finit par entraîner certaines personnes homosexuelles dans une course amoureuse folle, souvent destructrice, car ce sont les pulsions et les fantasmes qui prennent le dessus sur l’amour ajusté au concret et aux personnes.

 

Le train peut dire une fuite ou une absence de désir, donc une violence (homosexuelle ou hétérosexuelle : peu importe, c’est pareil). « Le soir, j’étais souvent réveillé par un bruit métallique, un grincement qui augmentait peu à peu. Je croyais qu’un tramway s’était arrêté en face de chez nous et qu’il ne parvenait plus à démarrer. Le conducteur essayait en vain et son véhicule avançait et reculait de quelques mètres, dans un rythme qui devenait effréné, frénétique. C’était comme si voyageaient dans le tramway un singe et son dompteur. Je pouvais entendre les cris hystériques du singe, la voix rauque du dompteur, qui dialoguaient. D’abord ils se disputaient, ensuite ils élevaient la voix, ce n’étaient plus des mots : c’étaient des râles, des soupirs. Il y avait aussi les hurlements du singe très aigus. L’étonnant, c’est que tout s’arrêtait d’un coup. On n’entendait jamais le tramway repartir. D’ailleurs, il n’y avait pas de tramway qui passait devant chez nous. L’eau coulait dans la salle de bains. Au bout de quelques années, tu m’as dit : ‘C’étaient tes parents. »  (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), pp. 153-154) ; « Je fais la chasse aux pigeons dans les toilettes des gares. » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; etc.

 

TRAIN trans metro

 

De manière plus triviale mais aussi inconsciente, la locomotive figure également un symbole phallique, voire même le viol (le train qui rentre en gare, qui sort et qui rentre dans un tunnel, serait comme un pénis qui sodomise ou pénètre un orifice génital ou anal) : « Je me suis pris un TGV dans la figure » (Delphine découvrant brutalement ses sentiments amoureux pour Ghislaine, dans l’émission L’Amour est dans le pré du lundi 18 octobre 2021, sur la chaîne M6) ; « Les transports en commun sont des lieux privilégiés de la transphobie. » (une intervenante lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « ‘Je la prends par-derrière. Ça me plaît tout autant.’ [Nacho parlant de « la Cochonne », la prostituée de la caravane] Un train passa sur la voie ferrée voisine. La Cravache, la boîte de tôle et de carton, fut violemment ébranlée. Les lumières clignotèrent. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 259) ; « J’avais été trahi par mes parents mais je conservais un caractère à donner ma confiance. Il y avait, près de chez nous, un dépôt SNCF où un ouvrier montait les voitures sur les wagons. On aimait bien l’observer. Il était gentil. Un jour il m’a proposé de l’accompagner chez lui. Moi, j’étais toujours partant pour me balader. Une fois arrivés dans sa chambre, il m’a donné un bonbon, m’a couché sur le lit, et il m’a violé. Moi je trouvais ça bizarre, je ne comprenais pas tout ce qui se passait. À tel point que je suis revenu le voir, le lendemain, avec mon copain. Il nous a virés violemment, soutenant qu’on avait fait des conneries et qu’il ne voulait plus entendre parler de nous. On n’a pas compris ce changement subit d’attitude. Sur le coup, c’est cette trahison-là qui m’a le plus blessé, pas le viol. » (Père Jean-Philippe à 12 ans, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 44) ; etc. D’ailleurs, dans les expressions employées dans le « milieu » homo et à l’extérieur, « faire le petit train » ou la queuleuleu suggère souvent une activité libertine. Mais dans les faits, le registre est beaucoup moins comique, étant donné que la rencontre entre le monde des trains et le monde homosexuel se fait souvent à travers la prostitution, le viol, l’infidélité, la clandestinité, la misère sexuelle, les accidents. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il a fini par tromper son homme dans le sous-sol de la gare de l’Est, par une rencontre sexuelle de fortune, violente et furtive. Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, va sur le Grand-8 d’une fête foraine avec son papa. Et on le voit beaucoup dans le métro, ruminant sa solitude.

 

Mylène Farmer en concert (Medley, 1999)

Mylène Farmer en concert (Medley, 1999)


 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°177 – Vent

vent

Vent

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

LES HÉROS HOMOS SE PRENNENT UN (POUR LE) VENT

 

Film "Vent d'ouest" de Tim Stattel

Film « Vent d’ouest » de Tim Staffel


 

Les personnages homosexuels fictionnels ont tendance à se prendre pour le vent. Ils le personnifient, lui attribuent des sentiments humains, en général désincarnés et mélancoliques. Le vent incarne leur désir de disparaître, de devenir des anges transparents et immatériels, de mourir esthétiquement (façon « bobo » : bourgeois-bohème), d’être des purs esprits. Il est également la représentation de leur désir amoureux homosexuel, de l’amant (littéralement, ils désirent « se prendre un vent » !), d’un élan aérien au départ magique, et qui, comme il est désincarné et inhumain, comme il rejette la différence des sexes, devient incontrôlable et violent.

 

Comme le dit un proverbe marin, « En voile, tous les vents sont bons quand on connaît la direction ». En revanche, étant donné que le désir homosexuel est un élan qui n’a majoritairement pour but que la jouissance sexuelle de soi avec un autre soi-même, et qu’il ne veut pas s’imposer de direction, il finit par devenir, selon les dires des héros homosexuels, et parfois même des personnes homosexuelles, une rafale méchante ou un pet de lapin plutôt qu’une brise légère et vivifiante.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Télévore et Cinévore », « Bovarysme », « Planeur », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Conteur homo », « « Plus que naturel » », « Eau », « Bobo », « Train », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Ombre », « Musique comme instrument de torture », à la partie « Paravent » du code « Maquillage » et à la partie « Schizophrénie » du code « Doubles schizophréniques », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 
 

 

FICTION

 

 

a) Le vent amoureux du désir homosexuel :

Film "L'Homme de sa vie" de Zabou Breitman

Film « L’Homme de sa vie » de Zabou Breitman


 

Il est souvent question du vent dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité : cf. les chansons « Rêver » et « Libertine » de Mylène Farmer, le film « Il Vento, Di Sera » (2004) d’Adriano Adriatico, le tableau Alexandre (2006) d’Orion Delain, la chanson « Candle In The Wind » d’Elton John, la chanson « When The Wind Blows » de David Bowie, la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le poème « Le Fil Pensée » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec Patrick Laviosa jouant au piano « Autant en emporte le vent »), le film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, le film « Maurice » (1987) de James Ivory (qui commence par une scène de cerfs-volants), le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer), le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec le vent dans les arbres, régulièrement filmé), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec les images d’éoliennes dès le début), le film « Vent chaud » (2020) de Daniel Nolasco, la chanson « Aire Soy » de Miguel Bosé et Ximena Sariñana, la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc.

 

Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Hugo le héros homosexuel travaille son adaptation théâtrale des Hauts du Hurlevent. Dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, Émilie compare la propriété terrienne de son amante Gabrielle (Bois-Rouge) à « Tara, la propriété de Scarlett O’Hara, dans Autant en emporte le vent » (p. 50). Dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le héros homosexuel fait du cerf-volant avec l’un de ses amants. Dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, Dom, le mari d’Aysla (l’héroïne lesbienne), construit des éoliennes. Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Vincent et Jean, deux co-équipiers homosexuels de water-polo, font un play-back sur la chanson « Sous le vent » de Garou et Céline Dion. Ça arrive à plusieurs reprises dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont que les deux amants homos, Léo et Rémi, imitent en expirant le souffle du vent, pour se prendre pour le vent en personne.

 

« Moi, j’aime les choses avec de l’air. » (l’un des héros homosexuels du film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Il nous faut du vent. » (cf. la chanson « Il nous faut » de Tom Dice et Elisa Tovati) ; « J’aime les fleurs et le vent dans les branches. » (Aldebert dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. C’est le vent qui court sous la peau. Et c’est t’apprendre avec les doigts qui me rend tout chose. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Hmmm… Sacré courant d’air aujourd’hui. » (Arnaud, le héros homo, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Ce que tu fais, c’est du vent ! Tu es l’armée de l’air à toi tout seul ! » (Cecilia la couturière cassant Dallas, son assistant homosexuel, dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien) ; etc.

 

Il arrive même que le héros homosexuel se prenne pour le vent : cf. le film « Los Hijos Del Viento » (1995) de Fernando Merinero, le film « Quatre garçons dans le vent » (1964) de Richard Lester, etc. « Moi je suis comme le vent. » (cf. la chanson « L’Alizé » d’Alizée) ; « J’suis un enfant de la pollution. Le nez au vent, je respire vent. » (Ziggy, le héros homosexuel de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Être soi, marcher dans le vent. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer) ; « Il avait viré comme le vent. » (c.f. la chanson « L’Oubli » de Michel Rivard) ; etc. Il est un courant d’air, une victime de la mode. Il s’identifie à ses pulsions, marche au gré de ses fantasmes. Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, accorde une importance désirante, fantasmatique et identitaire très forte au vent (« Soy un amante de la libertad. Soy libre como el viento. » entend-on à un moment donné), au souffle des femmes (« La plus grande différence des femmes, c’est leur souffle. Il varie tout le temps. »). Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca rentre dans la peau d’une actrice vieillissante qui fait des publicités, Marie-Astrid : « Dans ‘Autant en emporte le vent’, en 1939, c’est moi qui faisais le vent. »

 

C’est parce qu’il se prend pour le fils du vent. Par exemple, dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon surnomme son propre père « Vooouin » tellement il est un homme qui passe vite, qui est absent ou qui se comporte comme un courant d’air.
 

L’image-mouvement cinématographique ou littéraire, symbolisée par le vent, suscitant souvent le désir homosexuel ou bisexuel chez le personnage homosexuel. « ‘Il a peur du vent, c’est certain’, et Quintus m’observait en train de feuilleter son livre. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 148) ; « Il faut tourner les pages, ok, mais y’a du vent. » (cf. la chanson « Chapitre-toi » de Mélissa Mars) ; « Nous sommes loin de sa belle démarche immobile. Orphée et son guide se traînent, tour à tour empêchés et emportés par un grand souffle inexplicable. » (la voix-off de Jean Cocteau décrivant la descente en enfer d’Orphée et d’Heurtebise collés contre un mur, dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Jolie, crinière au vent, ses dessous dépassant de l’ouverture du fourreau pailleté, boitant sur une seule chaussure, traînant d’une main le renard, de l’autre son sac, le [Silvano] suivit sans rien dire. […] Son maquillage dégoulinait. Jolie de Parma, celle qui l’avait tant ému au cinéma ! réalisa-t-il tout d’un coup. Hier encore, vous étiez mon idole, mon idéal de femme. » (Silvano dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, pp. 22-23) Par exemple, dans le film « L’Ange bleu » (1930) de Josef Von Sternberg, le professeur Emmanuel Rath souffle sur la carte postale de Lola Lola (Marlene Dietrich) pour lui insuffler la vie de ses fantasmes (et soulever sa robe !).

 

Quelquefois, le vent est personnifié et sentimentalisé par le héros homosexuel, qui se rend totalement esclave de lui : cf. le premier recueil de poésies Perfil Del Aire (1927) de Luis Cernuda, la chanson « Laisse le vent emporter tout » de Mylène Farmer, etc. « C’est un vent étrange que je n’ai jamais senti dans aucun autre endroit. C’est un vent léger et qui m’aime. » (Marta dans le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek) ; « La nuit dernière, j’ai rêvé que je volais au-dessus de Hendon [États-Unis]. Le vent m’entourait de tous les côtés, mes poumons en étaient remplis. Hendon s’étalait sous moi. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, se prenant pour un oiseau, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 301) ; « Malcolm se leva et fit signe à Adrien de le suivre. Il le conduisit dans une petite pièce adjacente. Il alluma la lumière et tendit le bras : ‘Regarde, c’est beau non ? Tu vois, ça c’est celui je préfère !’ Adrien s’approcha. Un enfant dont le visage n’était pas vraiment celui d’un enfant, plutôt celui d’une créature sortie d’un monde fantastique, mi-homme mi-volatile, chevauchait une bicyclette aux roues enflammées. La chevelure abondante, prise au vent, ressemblait à un plumage d’oiseau. Le plumage d’oiseau qui vole à contresens. Le rouge et l’orange dominaient. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 30) ; « Dehors, par la porte-fenêtre encore ouverte, c’est toujours l’été, toujours le soleil, à peine un léger souffle qui fait se soulever un rideau, une chaleur, une douceur sur tout. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 22) ; etc.

 

Roman Sur mes quais d'Anne Loyer et Ingrid Chabbert

Roman Sur les quais d’Anne Loyer et Ingrid Chabbert


 

Le vent symbolise tout bêtement le désir homosexuel : « Il est difficile de traduire avec des mots d’adulte ce que j’ai ressenti : un souffle d’air pur, de vent… » (Suzanne décrivant son premier émoi lesbien, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 22) ; « Je la vis en bas des marches – avec elle, un courant d’air chaud s’engouffra dans la cage d’escalier. » (Laura parlant de son amie Sylvia, dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 160) ; « J’ai eu envie de me branler. Je me suis mis sur le dos, j’ai gardé les yeux entrouverts […]. Je voyais se découper sur le ciel des visages, des corps habités, des sexes multiformes et des culs sculptés. Le vent mélangeait tout ensemble et remuait les feuilles froissées derrière moi. » (Claudio, l’un des héros homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 103) ; « … De nouveau mon cœur frémit sous Eros, comme les chênes des monts sous l’assaut du vent. » (la poétesse lesbienne Sappho) ; « Au bord du flot il s’arrêta, la tête basse, traçant de la pointe du pied des figures sur le sable humide ; puis il entra dans la flaque marine qui à son endroit le plus profond ne lui montait pas au genou ; il la traversa et avançant nonchalamment il atteignit le banc de sable. Là il s’arrêta un instant, le visage tourné vers le large ; puis se mit à parcourir lentement la longue et étroite langue de sable que la mer découvrait. Séparé de la terre ferme par une étendue d’eau, séparé de ses compagnons par un caprice de fierté, il allait, vision sans attaches et parfaitement à part du reste, les cheveux au vent, là-bas, dans la mer et le vent, dressé sur l’infini brumeux. » (le narrateur homosexuel décrivant le jeune et beau Tadzio, dans le roman La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, p. 107) ; etc. Par exemple, dans son roman Les Oiseaux (414 av. J.-C.), Aristophane fait naître Éros bisexué d’un « œuf sans germe », fruit du vent, pondu par « la nuit aux ailes noires, avant toute chose ».

 
 

 

b) Un vent pas comme les autres :

En général, le vent dépeint dans les fictions homo-érotiques n’est pas doux du tout. Il a la violence de la rafale ou du souffle inconsistant. À l’instar des passions, il domine le héros homosexuel et lui fait oublier son identité : cf. le film « Accroche-toi, y’a du vent ! » (1962) de Bernard Roland, etc. « Le vent est parfois si méchant. » (Suki, l’héroïne lesbienne parlant de son billet envolé et qui lui a fait perdre son train, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Comme une vague se retire pour mieux revenir, mes sentiments refirent surface avec une force inouïe, décuplée et incontrôlable. J’étais comme le capitaine d’un navire perdu en pleine tempête, sans savoir quoi faire. Parfois persuadé qu’il valait mieux faire demi-tour, parfois convaincu de mon insubmersibilité et qu’il fallait au contraire aller de l’avant. Mais peu importe puisque la barre ne répondait plus et que j’allais au hasard, porté par les vents, par cette force invisible qui s’appelle l’amour et qui n’obéit à aucune règle, à aucune loi ni à aucune logique. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 36) ; « Le vent se chargera de disperser nos paroles de même qu’on efface des mots sur une page. » (Brittomart s’adressant à Fabien, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 72) ; « Je veux bien que tu sois libre mais, Lou, tu n’es pas un tigre dans le vent de l’aventure ni dans le sens du destin ! » (Solitaire à sa fille Lou dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mon cœur est confortable, bien au chaud, et je laisse passer le vent. Mes envies s’éteignent, je leur tourne le dos, et je m’endors doucement. Sans chaos ni sentiment. » (cf. la chanson « Si maman si » de France Gall) ; « Vous vous étiez compromis entre vous, pédés et gouines, à ventiler vos problèmes sans venir nous emmerder ! » (Ahmed dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Quel vent bizarre ! J’avais jamais vu de vent si noir ! » (Venceslao dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi) ; « Effaçons-nous, car le vent commence à souffler. » (cf. dernière réplique de Raulito à son amant Cachafaz, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « C’est le début du printemps, les frimas d’avril, elle laisse derrière elle les arbres que le vent fait frissonner, une jeunesse pauvre et digne, des illusions peut-être et elle pénètre dans la chaleur artificielle d’une ancienne demeure bourgeoise reconvertie en maison close. Elle vient vendre son corps puisque c’est tout ce qu’il lui reste. » (Vincent, le héros homosexuel décrivant la mère d’Arthur, son amant, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 203) ; « L’air est si salé qu’il ronge le béton et le fer. » (Donato s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Les fenêtres de l’immeuble abandonné n’avaient pour la plupart plus de vitre. La lumière brilla une nouvelle fois, faible et vacillante ; cela pouvait-il être le vent qui s’engouffrait par une fenêtre sans carreau, et qui faisait trembler une flamme ? » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, pp. 56-57) ; « La lourde porte en bois s’ouvrit en grinçant, laissant s’engouffrer une rafale de vent et de feuilles mortes dans l’allée centrale. » (idem, p. 125) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, travesti M to F, habite un village « où il y a un vent à décorner tous les cocus ». Dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, il est question d’« un vent venu de nulle part ». Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Giraudie, on entend toujours le vent, et pas du tout de musique : il est annonciateur de la mort de presque tous les protagonistes. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, l’un des héros homosexuels, Négoce, fait mention du « plus redouté des vents du Nord » ; et en effet, sur scène, le vent ouvrant et fermant violemment les quatre fenêtres de la maison bourgeoise homo-hétéro décoiffe tous les personnages homosexuels et les conduit à la mort.

 

Film "L'Inconnu du lac" d'Alain Guiraudie

Film « L’Inconnu du lac » d’Alain Guiraudie


 

Le vent rend objet, amnésique, transforme certains personnages en électrons libres : « Je sais à peine comment je m’appelle : Polvareda. Peut-être qu’un vent m’a poussé de quelque part. Je n’ai ni foi ni patrie. Je suis une menteuse, ça oui, et je sais seulement que je mens. » (cf. le poème « Polvareda » de Copi, publié dans l’ouvrage La Pyramide ! / Loretta Strong (1999), pp. 99)

 

Le héros homosexuel essaie de freiner la course du vent/désir (cf. je vous renvoie à la grande place qu’occupent les paravents dans les œuvres homosexuelles : cf. le code « Maquillage » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « C’est là où vous me direz : laisser tomber les chiens, asseyez-vous sur une dune, allumez une cigarette en faisant paravent contre le vent avec vos mains en cornet et pensez à quelque chose d’autre. Je vous soupçonne d’avoir eu un chien dans votre jeunesse, ça c’est une idée typique d’un maître de chien, Maître. Connard. » (la voix narrative du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 13) Par exemple, dans sa chanson « À force de retarder le vent », le chanteur Jann Halexander parle d’un « vent retardataire ». Dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, s’y trouve dépeint un personnage homosexuel nommé « Fauche-le-vent ».

 

Chez l’artiste bobo homosexuel, le vent occupe une place très importante. Ce dernier esthétise sa déprime amoureuse au point de la rendre (au moins à ses yeux) belle/beau. Quoi de plus bisexuel que le vent ! Quoi de plus sanctifiant et rassurant que l’identification narcissique à l’Esprit-Saint ! Mais c’est un désir de feuille morte… « Je vais comme les gens de rien vers le destin. […] une brindille dans le vent, une goutte d’eau dans l’océan. » (cf. la chanson « Boulevard des Rêves » (2011) de Stéphane Corbin) ; « Il fixa des yeux une tache sur son bouvard. […] C’était une tache d’une forme bizarre qui fait songer à l’ombre d’une main sans pouce. […] Cela ressemblait à une main de voleur, mais de voleur qui eût volé autre chose que de l’or. ‘Un voleur de vent’, murmura Fabien. Et plus haut il répéta : ‘Voleur de vent, voleur de vent. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 29)

 
 

 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

 

a) Le vent amoureux du désir homosexuel :

Ce n’est pas un hasard si une grande partie de l’équipe du film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming (et notamment le décorateur George Cukor), était homosexuel. Dans l’imaginaire collectif, les personnes homosexuelles sont même parfois prises pour des vents, des courants d’air, des victimes de la mode : cf. l’émission de télé Queer : Cinq experts dans le vent (2004) sur la chaîne TF1.

 

5 experts

 

On observe une attraction particulière, esthético-érotique, des personnes homosexuelles pour le vent. Beaucoup d’œuvres homosexuelles utilisent l’air du ventilateur pour angéliser et diviniser leur modèle : cf. le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi (avec la chanteuse transsexuelle M to F au chant de velours, avec les cheveux battus par le vent artificiel d’un ventilo), les vidéo-clips « Don’t Tell Me » et « Frozen » de Madonna, le vidéo-clip de la chanson « 2 Become 1 » des Spice Girls, les vidéo-clips « XXL », « Dégénération » et « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer, l’affiche du concert Mylenium Tour (1999) de Mylène Farmer sur son échelle, la pochette de l’album « Post » de Björk, la charge esthétique du vent dans les mangas japonais, Shadoh interprétant « Rodéo » dans l’émission The Voice 2 (2013) sur la chaîne TF1, etc.

 

Photo de Mylène Farmer par André Rau

Photo de Mylène Farmer par André Rau


 

Cette attraction homosexuelle pour le vent s’accompagne régulièrement d’une fascination artistique pour les ralentis, qui donnent un effet aérien et du pathos à certaines scènes filmiques/réelles (souvent comiques au départ… et mélancoliques à la fin) : cf. le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, la pièce Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, le vidéo-clip de la chanson « Kelly Watch The Stars » du groupe Air, la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, le vidéo-clip « Stranger In Moscow » de Michael Jackson, etc.

 

Par exemple, le peintre britannique Francis Bacon est fasciné par les successions de photos sérigraphiques en noir et blanc d’Eadweard Muybridge (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton). Dans son autobiographie Impotens Deus (2006), Michel Bellin dit son attrait pour la sensualité du « ralenti cinématographique » (p. 63).

 

Le vent symbolise tout bêtement le désir homosexuel. Pour prouver que l’homosexualité est un élan aussi naturel que le vent, beaucoup de réalisateurs aiment filmer le vent dans les arbres : cf. le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitmann, le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, etc.

 
 

b) Un vent pas comme les autres :

En général, le vent dépeint par les personnes homosexuelles n’est pas doux du tout. Il a la violence de la rafale ou du souffle inconsistant. À l’instar des passions, il les domine et leur fait oublier leur identité : « Je voulais dire beaucoup de choses. Des histoires secrètes. Des mots d’été chauds. Mes impressions, ce que ce petit chef m’inspirait, les torrents qu’il était en train de provoquer en moi. Le feu. Le sang. La glace. Le vent. Je voulais surtout qu’il sache que malgré tout ce qu’on disait sur moi à Hay Salam, ‘la petite fille’, ‘la poupée’, malgré tous les surnoms de trahison j’étais encore vierge. Vierge vierge. Vierge des fesses. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 20-21) ; « Elle est venue, la star blonde de l’époque, bien des années plus tard, à Paris. Je traversais avec elle l’esplanade du Trocadéro, un jour d’orage. J’ai senti que je ne marchais plus dans la réalité, que nos corps étaient aplatis sur un écran blanc. Que le vent l’arrachait au sol et la faisait virevolter en l’air. J’ai bien regardé son visage. Vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau. » (Alfredo Arias s’adressant à sa grand-mère, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 170) ; « Les amourettes inquiètes d’homosexuel enténébré qui étoffent mon vieux passé personnel, malgré leurs émotions et leur poésie, n’ont laissé en moi que des traces de vent. » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel, Éd. Thélès, Paris, 2005, p. 31) ; etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Don't Tell Me" de Madonna

Vidéo-clip de la chanson « Don’t Tell Me » de Madonna


 

Chez l’artiste bobo homosexuel, le vent occupe une place très importante. Ce dernier esthétise sa déprime amoureuse au point de la rendre (au moins à ses yeux) belle/beau. Quoi de plus bisexuel que le vent ! Quoi de plus sanctifiant et rassurant que l’identification narcissique à l’Esprit-Saint ! Mais c’est un désir de feuille morte… Par exemple, lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey en février 2011, le chanteur Stéphane Corbin évoque sans cesse, avec complaisance narcissique, la fuite de son désir, de sa liberté : « J’entends le vent. » ; « Depuis ce jour d’hiver précoce, giflé par les rafales d’un vent d’est… »

 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.