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Le désir de viol

Par ‘désir de viol’, je n’entends pas seulement le désir de posséder quelqu’un sexuellement ou d’être possédé sexuellement, mais aussi le désir d’être objet ou fétiche sacré, d’être double, d’être quelqu’un d’autre, d’être une moitié d’Homme, d’être Dieu, d’aimer d’un amour fou.

 

Lien entre homosexualité et viol ?

Mon livre (Homosexualité intime + Homosexualité sociale) traite des liens entre désir homosexuel et viol. Cela peut choquer si on en reste à la définition sociale du mot « viol ». Mais en réalité, elle est plus vaste. Par « désir de viol », je n’entends pas seulement le désir de posséder quelqu’un sexuellement ou d’être possédé sexuellement, mais aussi le désir d’être objet ou fétiche sacré, d’être double, d’être quelqu’un d’autre, d’être une moitié d’Homme, d’être Dieu, d’aimer d’un amour fou.

Forum du livre à Nice en 2004

Je me trouvais au Forum du Livre de Nice en juillet 2004. J’avais déjà bien avancé dans la rédaction de mon livre, et, comme j’étais obligé de venir passer le concours du Capès dans cette ville du sud, j’ai eu la chance d’assister à une conférence-débat passionnante sur le thème « Est-on dépendant de la culture que l’on a reçue ? » lors de ce meeting littéraire. Ça prenait un peu l’allure d’un causerie populaire improvisée, où chaque participant pouvait prendre la parole quand l’animatrice la leur donnait. Le mariage de Bègles était encore présent dans toutes les mémoires, et le débat s’est donc peu à peu orienté vers le sujet de l’homosexualité. Et là, alors que tout le monde restait très courtois et politiquement correct à propos des personnes homosexuelles, un type de 70 balais a déboulé en pleine assistance pour hurler très fort : « De toute façon, ils ont tous été violés quand ils avaient 10 ans… ! ». L’ensemble des gens qui étaient là se sont alors insurgés à l’unisson contre le vieux pirate qui est clairement passé pour un fou. Le tollé général qu’il a soulevé était génial à observer. Personne n’a cherché à savoir si ce qu’il disait avait du sens, contenait un substrat de vérité. Non, tous se sont mis à le huer et à le traiter de tous les noms, avant de passer à un autre sujet. Moi, intérieurement, je me marrais. J’avais envie d’hurler l’aveuglement social concernant le désir homosexuel, et en même temps, je ne pouvais rire qu’intérieurement de ce monsieur qui causalisait trop vulgairement un lien entre viol et désir homosexuel pour espérer être entendu et ne pas mettre les pieds dans le plat. Pris en sandwich entre deux camps aussi homophobes l’un que l’autre, j’ai préféré m’écraser… pour préparer, quelques années plus tard, ma réponse…

 

La violence anodine du travestissement

J’ai remarqué que le maquillage sur un homme, mais plus fondamentalement la négation de son sexe (je n’ai pas dit « la négation de son genre sexué », attention), et donc de l’image qui va avec, sont germes de violence. Lors d’une soirée bal costumé 100 % gay à laquelle j’ai assisté, un de mes proches amis s’était travesti en femme. Sur lui, la féminité forcée rendait hyper vulgaire. C’était, j’avoue, hyper drôle de le voir oser porter une perruque noire de poufiasse, des talons hauts, des bas résilles immondes, et une mini-jupe qui lui allait super mal. Mais blague mise à part, j’ai pu être témoin d’un phénomène assez fascinant et beaucoup moins amusant : beaucoup d’hommes qui se trouvaient à proximité de cet ami sur la piste de danse ont commencé à se précipiter sur lui comme des bêtes. C’est fou ce que le déguisement de travesti peut appeler de pulsionnel chez certaines personnes déjà imbibées d’alcool. Simplement parce que mon pote en question s’était appliqué sur lui-même la sur-femme médiatique, la femme-objet, tout d’un coup, il devenait aux yeux des autres un pur objet de consommation, une fille facile, une « femme à violer ». Les hommes précieux et délicats qui nous entouraient se sont peu à peu métamorphosés sans crier gare en grosses brutes machistes à partir d’une certaine heure, et se sont rués sur lui, l’ont tripoté, l’ont maltraité même. Mon ami s’est retrouvé pendant la nuit à sucer des bites dans les toilettes. J’avais entendu un jour un homme homosexuel faire le constat suivant : que le maquillage sur un garçon avait une forte charge érotique, et que lorsqu’un individu dans une boîte était maquillé, il arrivait à coucher plus facilement. Depuis ce jour-là, je cesse de prendre le travestissement à la légère, de le considérer comme une activité uniquement raffinée et ludique.

Ari-Baba et les 40 violés

TOUT MAIS PAS L’INDIFFÉRENCE


 
 

Il était une fois, dans un Pays arc-en-ciel merveilleux, un jeune homme homosexuel appelé Ari-Baba (bon, moi, en fait) qui était entré innocemment dans la caverne du « milieu homosexuel » pour y rencontrer l’Amour et l’amitié. Il entendait dans la bouche de beaucoup de ses frères tellement d’horreurs et de drames, voyait dans les bars et les revues de la presse gay tellement de célébrations de la violence et des machos violeurs, observait tellement de femmes violées magnifiées par les œuvres de fiction homo-érotiques, qu’il s’est dit : comment est-ce possible qu’un tel enfer, présenté sous forme de trésor scintillant des mille et une nuits, puisse être à ce point caché par les personnes qui le connaissent et qui seraient logiquement censées le dénoncer ? comment se fait-il que socialement, on ait remplacé la réalité du VIOL pour le terme inexpliqué d’« HOMOPHOBIE ».

 
 

Comme certains censeurs gay friendly et preux défenseurs de la lutte contre l’homophobie ne veulent pas me croire, je vais vous présenter dans le détail le cortège de témoignages des personnes proches qui m’ont parlé tout simplement de ce qu’elles ont vécu et de ce qu’elles vivent encore. C’est pour vous, mes amis blessés, que j’écris ces lignes. Pour qu’on ne vous réduise pas au silence sous prétexte que « les homos ne souffriraient pas plus que les autres ». Pour qu’on ne vous oublie pas, et qu’on ne se serve pas de l’étiquette « Homophobie » pour nier ce que vous avez vraiment subi, et qui est ignoble. Pour que vous respectiez aussi votre liberté de ne pas reproduire ce viol.

 
 

1 ) HOMOSEXUALITÉ ET VIOL : UN LIEN HOMOPHOBE ?

 

 

Comment ça ? On ne vous a pas mis au courant ? On ne vous a pas dit pourquoi il faut « un peu » arrêter d’applaudir au coming out des personnes homosexuelles comme on le fait, arrêter de banaliser l’amour homosexuel comme s’il était équivalent à n’importe quel type de relations humaines à deux sous prétexte qu’on l’appelle « Amour », arrêter de vouloir faire signer à une nation entière le « mariage pour tous » comme s’il allait de soi ? Moi qui ai amorcé depuis 10 ans une étude (qui n’en est qu’à ses balbutiements, en plus) sur les liens non-causaux entre désir homosexuel et viol, moi qui suis parfois le dépositaire de confidences d’amis homos ayant été abusés sexuellement dans leur enfance (j’ai écrit « 40 » mais en réalité, à ce jour, j’en connais 70, ce qui commence à faire beaucoup ! … mais comme ces révélations sont soumises en général au secret amical, tous ceux qui « savent » se taisent !), je vous demande pour une fois de redescendre sur Terre et d’ouvrir bien grand vos oreilles au lieu de jouer aux hypocrites ou de vous satisfaire de l’ignorance.

 

 

Pour qui se prennent-ils, tous ces défenseurs des « droits des homos », partant en guerre contre l’homophobie, et qui osent me juger comme « un dangereux homophobe » et me regarder d’un œil torve comme si j’étais un criminel, pour la simple et bonne raison que j’ose parler de ce lien (évident mais mal connu) entre viol et homosexualité, un lien dont personne ne parle, pas même les victimes concernées !?! On marche sur la tête ! Ce sont ces militants homosexuels, hétéros, bisexuels et friendly, les vrais criminels et les vraies personnes homophobes ! puisqu’ils ne considèrent pas l’homophobie telle qu’elle est : un acte de viol ! Ils nient les faits pour les détourner en matraque identitaire diabolisante. Ils ont transformé l’ACTE violent à l’encontre des individus homosexuels et au nom de leur orientation sexuelle (= l’homophobie) en ACCUSATION DE PERSONNES (= les homophobes), en scotch à mettre sur la bouche de tout contradicteur. Ils sont capables d’une violence inouïe pour préserver leurs images de marque et leurs utopies amoureuses personnelles, pour censurer ces réalités violentes dont une minorité d’entre eux a été victime, et pour désigner comme « homophobe » tout individu qui révèlera au grand jour leur petite comédie de la croisade contre l’homophobie. Honte sur eux ! Et honte à ceux qui me conseillent, face à mes recherches, de « parler d’autre chose que d’homosexualité » (parce que ce thème m’enfermerait et qu’on en ferait vite le tour), ou de « parler d’autre chose que du viol » (parce que ça dévaluerait l’homosexualité) ! Honte à ceux qui me demandent de me taire parce que ce que je peux dire, « même si c’est juste, donne du grain à moudre » à ceux qui font l’amalgame entre homosexualité et pédophilie, ou homosexualité et criminalité ! Honte à ces censeurs qui me musèlent et qui me haïssent parce que je donnerais une mauvaise image des couples homos, des cathos homos, et que je pousserais même des jeunes en quête d’une image positive de l’homosexualité au suicide ! Honte à ces chroniqueurs-radio qui ricanent derrière mon dos et gloussent à propos de mes « codes » qu’ils ne comprennent pas ! Honte à ces critiques qui disent que mes livres sont mal écrits, qu’ils sont trop universitaires, « à la limite de la probité intellectuelle », et que je me sers du thème sensationnaliste du viol pour faire parler de moi ! Honte à tous ces gens ! Leurs actes parlent contre eux ! C’est leur silence sur l’homosexualité qui tue véritablement nos frères homosexuels, et non ce que je dis sur le viol ! Ras le bol de ceux qui inventent aux personnes homosexuelles des « discriminations » (= le refus de l’accès des couples homos au mariage, par exemple) pour ne pas traiter des vraies discriminations et violences qui leur sont faites/qu’elles reproduisent parfois (= le viol) !

 

Leur faut-il un dessin pour qu’ils comprennent ? Ne voient-ils pas qu’ils se servent du Sida, de l’« Homophobie », du soi-disant « devoir de cohésion communautaire », ou de la course aux « droits des homos », comme autant de cache-misère pour nourrir leur propre homophobie intériorisée et continuer à haïr leurs « amis » homosexuels dans un parfait semblant de camaraderie ? Par leur désinvolture, leur mollesse, leur ignorance, leur relativisme, ils cultivent le déni et le mensonge. Je suis en colère devant tant d’hypocrisie sociale sur le viol, hypocrisie qu’ils nourrissent en prétextant toujours que ce sont les autres les fautifs et eux les victimes ! Oublient-ils que tout violeur a été victime avant de violer (même si, heureusement, à l’inverse, toute victime ne violera pas) ???

 

Certains ne me croient pas, me disent obsédé morbidement/homophobiquement par le lien (non-causal) entre viol et homosexualité. D’aucun trouvent que j’extrapole, et soutiennent que je suis une voix extrêmement minoritaire dans le « milieu homosexuel », et peu représentative de ma communauté. Ils ne comprennent pas que mon étude ne vient pas de moi (je n’ai pas été violé dans mon enfance, en plus), n’est pas qu’un point de vue personnel et isolé : je ne fais que rapporter ce que mes nombreux amis m’ont dit. Ce n’est pas parce que je suis un des seuls à en parler ouvertement qu’il n’y a personne à mes côtés !

 

Le sociologue Daniel Welzer-Lang, dans ses recherches, s’en était lui-même étonné : « À les écouter, il n’est pas abusif de parler de TABOU. Il ne s’agit pas seulement de honte. […] Comment expliquer que des hommes – qui pour certains ont lutté des années ensemble, revendiquant le droit de disposer de leur corps, de leurs désirs, des hommes qui, contrairement à d’autres mâles, ont pris l’habitude de se rencontrer pour parler d’eux, de leur vie la plus intime…– n’aient jamais parlé de ces scènes de viol entre eux ? Énoncent même qu’ils n’en ont jamais discuté avec leurs compagnons après plusieurs années de vie commune… Quel est le sens de ce tabou ? » (Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, 1988)

 

 

Selon moi – et surtout selon les faits réels –, le désir homosexuel est le signe d’un viol réel, j’espère minoritairement vécu, et plus largement d’un fantasme de viol, partagé par l’ensemble des personnes homosexuelles, sans exception. À ce jour, je ne connais pas d’individu homosexuel qui n’ait pas choisi comme modèle d’identification la femme violée cinématographique (autrement dit la féminité fatale) et/ou le super-héros macho asexué (Superman). Plus une personnalité connaît un succès phénoménal mais paradoxalement une vie privée et amoureuse désastreuse (elle a perdu tous les hommes de sa vie autour d’elle, elle s’est fait avorter, elle est suicidaire, elle a connu l’inceste ou le viol, etc.), plus elle a des chances de devenir icône gay ! Judy Garland, La Callas, Barbara, Dalida, Madonna, Mylène Farmer, Lady Gaga, si vous m’entendez…

 

Après, je ne fais du viol ni une cause ni une généralité de l’homosexualité. Je cite prudemment les statistiques[1]. Pas de raison par conséquent, et j’insiste sur ce point, pour tenir ou me prêter ce genre de syllogismes absurdes : « Toute personne qui a été violée deviendra homosexuelle. » ou « Toute personne qui est homosexuelle a été violée et violera. » En revanche, au nom des drames réels dont le désir homosexuel est le signe, la société n’a pas à applaudir ou à banaliser l’homosexualité. Même les sujets homosexuels qui n’ont pas été objectivement violés – et ils sont heureusement nombreux ! – ont cependant tous connu un effondrement identitaire pendant l’enfance (la psychanalyse parle parfois d’« effondrement narcissique du Moi ») qui présage, s’il n’est pas identifié, d’une recherche de violence. L’énonciation d’une homosexualité a été pour eux la résolution de leur peur d’exister, ou bien de leur sentiment d’être méprisés/peu considérés par leur milieu familial, scolaire, amical, social, vécu comme une dictature.

 

Dans le vécu des personnes homosexuelles, le viol n’est pas forcément un fait réel au départ. Il peut être le fruit d’une peur d’être aimé, d’un fantasme enfantin face à l’« enjeu de vie » de la génitalité, d’un rapport complexé à son corps… que quelques médias malveillants se sont accaparés. Par exemple, je sais combien le dégoût des hommes homosexuels pour le corps de la femme s’origine souvent dans les icônes cinématographiques de la féminité fatale, du danger sexuel. J’entends dans la bouche de pas mal de femmes lesbiennes cette peur-panique de la génitalité avec les hommes : elles parlent de « se faire prendre par les mecs » comme si tous les mâles étaient des violeurs en puissance. La plupart, avant de s’être dit « lesbiennes », ont un passé hétéro assez lourd.

 

 

Je tiens enfin à préciser que le désir de viol, même s’il est particulièrement marqué dans le désir homosexuel, n’est pas non plus spécifique au désir homosexuel ; il est humain, également partagé par les personnes hétérosexuelles (mais pas les couples femme-homme aimants) et tous les individus à la sexualité blessée. Il n’y a pas lieu d’homosexualiser le viol (l’homosexualité n’est que le signe particularisé de viols sociaux que s’infligent les hommes et les femmes) ni de totalement dissocier viol et homosexualité.

 

Dans les débats sur l’homophobie, n’ayez pas peur d’appeler un chat « un chat ». Vous devez oser prononcer l’impressionnant mot « viol », toujours en lui préférant la périphrase « fantasme de viol » (elle causalise et diabolise moins notre discours) car parfois, ce sont vraiment des viols qui ont été perpétrés. Être attachés aux faits réels nous permettra d’être véritablement aimants, quand bien même il s’agisse parfois d’approcher une réalité souffrante et des contextes dramatiques. Parler du viol en lien avec l’homosexualité ne revient certainement pas à « violer à nouveau », à « désirer le viol », à « (le) provoquer » ou à « en suggérer l’idée aux autres ». Pas plus que ce n’est « s’haïr soi-même », « juger les personnes », « vouloir le mal des homos », « voir le mal partout » et être « homophobe » ! Quand il y a souffrance objective, il est plus que nécessaire de la dénoncer et de la juger/condamner sans détour. Ceux qui m’accusent actuellement d’être un exemple typique d’« homophobie intériorisée » et de « non-amour de moi-même » parce que je dénonce les viols vécus par un nombre beaucoup trop important de personnes homosexuelles (on a tenu le même procès à Frédéric Martel quand il a sorti Le Rose et le Noir en 1996… donc ça va, je le prends bien !), avouent à leur insu leur déni : ils essaient de cacher l’homophobie (leur propre homophobie) à l’intérieur de moi, comme une boulette de papier froissée qu’on glisse de force dans une bouteille pour ne surtout pas la lire, la comprendre, la rendre publique, la faire leur. Oui, en effet, cette homophobie est bien intériorisée. Mais ils oublient de dire par qui ! Moi, je ne demande qu’à ce que leur papyrus, où est inscrit leur haine d’eux-mêmes illustrée par leur désir homosexuel pratiqué (et parfois par le viol qu’ils ont réellement vécu !), sorte de moi et soit lu à haute voix ! Je suis fier d’être « homophobe » tel qu’ils l’entendent… car être « homosexuels » comme eux, cela reviendrait à être véritablement homophobe !

 
 

2 ) TÉMOIGNAGES VIVANTS D’AMIS

 

Peu de temps après la création de mon site L’Araignée du Désert fin 2008, alors que j’étais l’un des pionniers du traitement public de la relation non-causale entre l’homosexualité-hétérosexualité et le viol, j’ai reçu un mail très long d’un pédopsychiatre, maintenant ami, qui est tombé par hasard sur mes écrits, et qui m’encourageait à continuer d’écrire sur le viol, à diffuser mon message, parce qu’il suit beaucoup de jeunes patients homosexuels ; et il m’assure que la plupart d’entre eux ont été violés ou ont subi des attouchements sexuels dans leur jeunesse. Quand je lis ce genre de témoignages, qui viennent à moi sans que j’aie eu à les réclamer, je respire, parce que le vent de censure sur la souffrance est tel dans la communauté homosexuelle actuelle qu’à certains moments, j’en arriverais à douter de moi-même, à me dire que j’y vais un peu trop fort en parlant du viol en lien avec l’homosexualité, même si j’ai toujours veillé à minoriser cette coïncidence à une poignée de personnes homosexuelles pour ne pas le transformer en généralité sur « les » homos.

 

Ce n’est pas la première fois qu’un professionnel de l’enfance et de l’adolescence m’interpelle vivement à ce sujet. Déjà, en 2010, dans un hôpital public de Paris, lors d’une prise de sang « de contrôle », j’avais sympathisé avec une infirmière spécialisée dans les maladies infectieuses, qui m’avait confié qu’elle voyait défiler une flopée de personnes homosexuelles dans son cabinet. Dès qu’elle a entendu le thème que je traite dans mes livres, elle m’a coupé la parole : « Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de patients homosexuels que je rencontre ici et qui me racontent leur viol ! C’est hallucinant ! » Quand je me suis retrouvé à témoigner à Lille en septembre 2012, une autre femme, psychologue cette fois, présente dans l’assistance où je parlais, m’a donné raison à propos du lien entre viol et homosexualité : 3 des 5 jeunes homosexuels qu’elle suit en thérapie ont été violés. Dans cette même ville, j’ai eu l’occasion de rencontrer en vrai le psychanalyste Jacques Arènes : il m’a confessé en privé qu’il avait lui-même observé chez ses patients homosexuels un forcing dans l’initiation à l’homosexualité ou dans le passage à l’acte, un manque de liberté… mais que s’il en parlait ouvertement, il se ferait lyncher en place publique ! Cette peur des thérapeutes de dévoiler le viol homosexuel (ou viol sur personnes homosexuelles), bien logique puisqu’ils sont soumis au secret professionnel, avait déjà été similaire à celle de Freud qui, en son temps, avait préféré (parce qu’il sentait la patate chaude que constituait ce dossier !) remplacer, concernant l’homosexualité et ses patientes autrichiennes souffrant d’hystérie, la thèse du viol par celle du complexe oedipien !

 

Mais pas besoin de trouver ses sources nécessairement bien loin, du côté uniquement scientifique, ni de chercher les petites bêtes, pour tomber nez à nez avec le viol. De ma propre expérience, ça s’est toujours fait dans des contextes banaux et amicaux. Dernièrement, une amie de 45 ans, qui vit en couple depuis 10 ans avec une femme de 20 ans de plus qu’elle, me faisait la réflexion : « C’est incroyable, parmi mes amies lesbiennes, le nombre de femmes qui ont été violées… ». Un jour, un ami homosexuel quarantenaire, un brin provocateur, et tout à fait d’accord avec ma théorie du viol homosexuel, a voulu tester mes dires sur un forum de discussion gay sur NRJ. Il a balancé sur ce dial Internet la question « Qui a déjà été violé ? ». Sur les 400 connectés, il a reçu en quelques minutes au moins une dizaine de réponses positives !

 

À chaque fois qu’un ami souscrit à mes découvertes, je tombe des nues. J’ai beau y être préparé, je n’arrive jamais à m’y faire. C’est quand même fou. Entendre le mot « viol » est toujours violent. Je suis pris entre la révolte de devoir taire ces révélations par respect de la confidentialité, et l’immense joie de recevoir le cadeau de la confiance que je n’attendais absolument pas et qui m’est spécialement offert, même s’il concerne un sujet très grave. Alors au fur et à mesure que j’avance dans la vie, j’emmagasine les preuves d’amour, j’emmagasine… (dans mon coffret à araignées étincelantes)… et à un moment donné, je n’en peux plus de garder tous ces bijoux pour moi ! Il n’y a plus de place. Ça déborde ! J’en détiens, des secrets lourds, qui bien souvent sont ignorés du conjoint de ces mêmes amis (qui ne lui ont rien dit du viol qu’ils ont vécu !), au point que je passe parfois aux yeux de leur « partenaire » pour un dangereux « briseur de couples » ou un « fouteur de merde » si je tente ne serait-ce que de soulever un peu le couvercle de leur tambouille conjugale explosive ! Mais je sais de quoi je parle, puisque j’ai entendu les faits de mes propres oreilles, vu en cachette des amis me parler du drame de leur vie (que parfois ils banalisent pour « aller de l’avant », pour « croire en l’amour homo quand même »). Et ça, ça ne s’oublie jamais.

 

 

J’ai en tête cet ami de l’Île de la Réunion, qui m’a révélé qu’un de ses moniteurs l’avait attouché sexuellement, alors qu’il était encore adolescent. Je repense à cette amie non-homosexuelle qui me raconte qu’elle est sous le choc car sa meilleure amie d’enfance vient de lui révéler qu’elle est lesbienne : quand elles avaient 9 ans toutes les deux, elles se sont fait agresser sexuellement alors qu’elles jouaient ensemble dans leur immeuble. Je me souviens de cet ami homo, la trentaine, qui m’a dit qu’il a été violé par son entraîneur de sport à l’âge de 12 ans… et les faits n’ont jamais été prouvés. Il a craché le morceau au moment où, terrassé par le sommeil, je m’apprêtais à clôturer précipitamment notre dialogue informel sur Facebook. Quand on voit ce beau jeune homme de l’extérieur, personne ne peut se douter qu’il a été violé : il est drôle, masculin, apparemment bien dans ses baskets ; il m’a expliqué que s’il a mis autant de temps à lire mon livre, ce n’était pas parce qu’il était dur à parcourir, mais uniquement parce que « … ben voilà… ». Je garde en mémoire ce dîner en tête à tête avec un autre ami homo de mon âge, qui, pareil, me lâche sa bombe : il a été violé et abusé par son oncle quand il était petit (rebelote !). S’en suit le père d’une très bonne amie à moi, particulièrement efféminé, et qui a été abusé par un homme pédophile de son entourage familial proche : cette amie a découvert à l’adolescence l’homosexualité cachée de son père quand elle est tombée sur un numéro de Têtu planqué dans son bureau… Dans ce cas précis, l’agresseur a également nié le viol et n’a jamais été inculpé. J’ai le souvenir de cette femme lesbienne de quarante ans, qui m’a remercié d’avoir écrit mon livre, et qui est venue spécialement de Belgique pour me rencontrer à Paris : elle m’a révélé qu’elle a été abusée étant jeune par un oncle, puis violée par son propre mari quelques années plus tard. Je connais un ami prêtre dont le frère est homosexuel et a une amie lesbienne qui leur a révélé qu’elle avait été violée dans son adolescence. On m’a également présenté le frère d’un ami, homosexuel, qui est sorti avec un jeune homme violé. Je me souviens de ce récent dîner intime avec un autre ami homo de mon âge, un grand artiste, et fin psychologue : lui aussi m’a raconté qu’il s’est fait violer à l’âge de 11 ans : il tenait pourtant la main de sa mère dans le métro, mais un inconnu a quand même réussi à le masturber sans que personne s’en aperçoive. Je me rappelle de cet ami de mon âge, originaire des DOM-TOM, qui est l’exubérance et l’humour même… mais qui m’a révélé aussi qu’il avait été abusé par un moniteur de centre aéré quand il était jeune. Je me remémore ce groupe de parole sur la « prévention suicide » lors d’un grand rassemblement national de l’association David et Jonathan (JAR) durant lequel j’avais proposé qu’on réfléchisse sur les liens probables entre désir homosexuel et viol. Le responsable du débat m’avait sèchement demandé de me taire… mais à la toute fin de l’échange, quand tout le monde est parti, une jeune femme lesbienne est venue me remercier chaleureusement d’avoir osé dire tout haut son drame personnel : « Quand tu as parlé des personnes homos violées, j’ai failli lever la main et crier fort : ‘Moi ! Moi ! C’est ce qui m’est arrivé ! Il a raison !!’ ». J’ai encore en mémoire ce garçon de mon âge, rencontré sur Internet, et qui, alors qu’on dînait tranquillement dans un McDo d’Orléans (sur un air de Star Academy…), a fondu en larmes devant moi pour me raconter le viol social qu’il avait subi dans son enfance. C’était une vraie fontaine de pleurs, surprenante mais pourtant magnifique : « Au collège, on se foutait de ma gueule parce que j’avais les oreilles en parabole… On m’appelait Dumbo… » Je me souviens aussi de ce garçon homo de 26 ans que j’ai rencontré en 2011 dans un RER parisien de la ligne C qui me conduisait à une soirée entre amis en banlieue. Ce jeune homme, particulièrement maniéré, venait de changer de train et avait l’air complètement paniqué quand je l’ai vu débarquer dans mon wagon vide. Il n’a pas tardé à se confier à moi en pleurant. En fait, il venait juste de se faire violer dans une précédent train du RER B par un type qui l’avait immédiatement identifié comme homo, qui l’avait frappé, volé, et forcé à faire une fellation. Et face à l’horreur de la situation, la première chose que nous avons été capables de faire tous les deux – avant d’aller au commissariat –, c’est de pleurer ensemble un bon coup ! Il n’en était pas à son premier viol. Il les enchaîne, et est connu des services de police. Je garde aussi en tête le témoignage hallucinant de mon ami Brahim Naït-Balk, l’animateur en chef de l’émission « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle, auteur d’Un Homo dans la cité (2010), une autobiographie où il raconte comment il s’est fait violer à l’âge adulte par les jeunes caïds qu’il encadrait en tant qu’éducateur. Je me rappelle aussi de cet homme de trente-cinq ans qui était mon voisin inattendu de sièges d’une pièce de théâtre que nous regardions ensemble au Festival de Théâtre Gay et Lesbien de Paris. Quand je lui ai parlé du titre de mon livre, qui devait initialement être Désir homosexuel et viol, il m’a sorti d’un air jovial : « Tiens ! C’est exactement ce qui m’est arrivé ! » Cet homme vit depuis très longtemps en couple avec son compagnon, et s’était effectivement fait violer quand il était jeune. Un autre ami homo de mon âge, qui a dévoré tous mes livres, m’a révélé qu’il s’est fait violer quand il était ado : son premier coït homosexuel forcé s’est déroulé dans les toilettes d’un bar. Un autre pote homo m’a confié que deux de ses amis à lui (dont son propre petit copain) ont été violés. Sinon, un ami homo m’a fait connaître, lors d’un apéritif, un jeune homme homosexuel, un peu androgyne, qu’il avait vu faire le tapin au Bois de Boulogne à Paris, et qu’il avait gentiment hébergé le temps d’une nuit. Ce garçon portait encore les traces de maquillage de la veille, et dès qu’il a entendu le thème de mon livre – les liens entre désir homo et viol –, il a sorti précipitamment un papier et un crayon pour noter les références. J’ai compris qu’il vivait le viol de près, et quotidiennement… Je me rappelle de cet autre ami homo quarantenaire, que j’ai connu dans la ville d’Angers, qui a été battu par son père quand il était petit, et abusé par son médecin de famille. Il m’a avoué qu’une fois, il s’était même fait violer par son amant régulier. Je me souviens encore de cet « ami d’ami », également homosexuel, qui a été violé et qui tombe dans l’enfer de la prostitution. Par ailleurs, j’ai reçu plusieurs mails d’hommes homosexuels m’annonçant qu’ils ont été violés : un homme d’âge mûr et catho venant de région parisienne, un autre de quarante ans domicilié au Canada, un autre de mon âge et libanais qui a été abusé dans son adolescence. Je viens également d’entendre dernièrement le récit du viol d’un ami ecclésiastique qui a découvert son homosexualité sur le tard, et qui a été abusé sexuellement à l’âge de 8 puis 12 ans : il m’a confié cela en tête à tête dans un petit salon de son monastère. J’ai eu l’occasion également de déjeuner avec un homme un peu plus âgé que moi, qui m’a été présenté par un pote, et qui m’a révélé qu’il avait été victime d’un homme pédophile dans son adolescence. Sinon, un ami journaliste sexagénaire m’a laissé clairement entendre qu’il avait été violé étant enfant par un homme plus âgé que lui. Il y a aussi cet ami martiniquais noir de 60 ans, Jean-Claude Janvier-Modeste, qui m’a dit qu’il avait été violé à trois reprises dans sa jeunesse, à 7 ans, puis 10 ans, puis 14 ans, par différents adultes (un copain de son grand frère, un entraîneur, puis un inconnu). Il m’a expliqué que les viols pédophiles étaient pratique courante en Martinique à son époque. Et le plus ahurissant, c’est que lorsque je lui ai demandé, devant témoins (c’était à la soirée « Négritude et Homosexualité » organisée au Théâtre du Temps le 11 octobre 2011 et consacrée à la sortie de son roman semi-autobiographique Un Fils différent), s’il voyait un quelconque lien entre la découverte de son homosexualité et les viols d’enfance qu’il avait subis, il m’a répondu catégoriquement que « non ». Que faire face à un tel déni de réalité… ? Dans la série des amis jadis abusés par des prêtres (qui ne font, à mes yeux, pourtant pas office de généralité sur le clergé catholique, puisque les prêtres abuseurs, anciens abusés, sont extrêmement minoritaires), j’ai aussi cet ami quinquagénaire qui a été violé par surprise par son confesseur. Autrement, je me souviens de ce garçon de mon âge, à présent séminariste catholique, qui m’a écrit tout de suite après mon passage à l’émission Dieu Merci ! (du 20 mai 2011) pour me dire qu’il voulait volontiers faire partie de ma bande d’amis homos pour m’accompagner à la messe dominicale. Par la même occasion, alors que nous prenions un bain de soleil aux Jardins du Luxembourg, il m’a appris qu’il a été violé par un prêtre de 40 ans alors qu’il venait juste de passer à l’âge adulte et qu’il ne se savait pas encore homo… J’ai en tête cet ami de 26 ans (encore séminariste) qui m’a dit qu’il s’était fait violer et sodomiser à l’âge de 14 ans par un prêtre de 30 ans complètement saoul (aujourd’hui incarcéré). Je repense aussi à cet ami – maintenant marié et qui garde son homosexualité secrète – et qui m’a avoué qu’il a été abusé par un prêtre dans sa jeunesse.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le viol peut venir également de la personne dite « passive », qui se place en victime, qui est parfois plus jeune que la personne qu’elle force au viol, qui dit explicitement vouloir être violée. N’oublions pas que le viol est un acte qui a lieu dans le cadre d’une RELATION de personnes (plus ou moins) libres (plutôt moins que plus, d’ailleurs) : il n’est pas des PERSONNES à isoler d’une relation, à diaboliser ou à innocenter totalement. Par exemple, un ami de mon âge, né au Brésil, m’a confié qu’il avait été abusé par un petit cousin très efféminé qui avait insisté pour qu’il le sodomise (l’inceste étant une pratique assez courante et banalisée dans son pays) : ce cousin était pourtant plus jeune que lui. L’acte pédophile n’est pas nécessairement opéré par un adulte sur un enfant : il peut se perpétrer entre deux adolescents du même âge qui, avec angoisse et maladresse, se sont masturber ensemble. Parmi mes amis qui ont été violés, deux insistent sur les images de sexes drus de leurs camarades qu’ils ont vus se masturber devant eux, et qui les ont fortement marqués. Par la suite, ils ont cherché à violer à leur tour, pour retrouver cet acte d’impudeur qui a blessé leurs yeux d’enfants.

 

Le désir de viol existe, et n’est pas qu’une invention/projection du violeur qu’il faut à tout prix mépriser. Un ami homo quarantenaire m’a dit un jour que parmi ses « plans sexe » réguliers, il s’était retrouvé face à un amant beaucoup plus jeune que lui, et qui le forçait à lui faire revivre des scenari où il le violerait (genre « Prends-moi ! Piège-moi ! ») Et oui ! Le violeur peut être aussi le soi-disant « passif » du couple. Je me souviens de cet autre ami gay, écrivain à ses heures perdues, fils de bonne famille, qui s’est fait agresser dans le métro parisien (un homme s’est masturbé devant lui), qui s’est fait caillasser dans la rue en présence de son copain parce qu’ils se tenaient à lui de manière ultra-hautaine, ou encore qui s’est fait piquer son bel appareil photo dans un train par un groupe de trois garçons – blancs, je précise – qui l’ont traité de « sale pédé ! ». En discutant avec lui de son attitude provocante et de son déhanché de mannequin dans la rue, j’ai appris qu’il « recherchait explicitement le viol ». Plus tard, il a même accepté de se prostituer sur Internet et de faire des fellations à des bureaucrates bossant à la Défense. J’ai également un ami trentenaire qui a si peu de volonté et qui s’auto-victimise tellement qu’il ne voit pas qu’il s’offre comme la pute de son quartier en libre : n’importe quel internaute qui passe chez lui et qui insiste pour coucher arrive à son but. Il n’a aucune résistance. Et quand, avec mes amis, nous allions avec lui dans un bar gay, nous lui découvrions à chaque fois plein de nouveaux « ex » ! Je me rappelle également, en 2002-2003, de tous ces garçons que je croisais en première partie de soirées dans le bar homo angevin du Cargo, qui étaient là d’abord pour des « plans soft » avec des clients… et qui, s’ils n’avaient pas trouvé chaussures à leurs pieds, passaient la deuxième partie de soirée à « tapiner » dans la nuit glaciale du grand parking de la Rochefoucault : ni moi ni eux n’osions nous regarder dans les yeux tellement le choc des soirées était glauque. Je me souviens enfin de cet homme du Québec, qui a été abusé parce qu’il est tombé dans un guet-apens, et qui m’a écrit ces quelques lignes le 4 avril 2011 dernier (prouvant qu’on peut très bien être violé tout en se retrouvant en apparences dans la position de « l’actif ») : « La question sur l’homosexualité me secoue depuis plus de 14 ans aujourd’hui. Depuis bien longtemps, j’ai voulu comprendre cela. Je n’en savais pas grand-chose, jusqu’au moment ou par faiblesse, peur, – je ne sais pas comment le dire – je suis tombé, je dis bien, je suis tombé dans un piège. Une personne adulte, de plus de dix ans que moi, m’a introduit dans ce monde d’homosexualité. La personne m’a violé, bien que ce soit moi qui jouais le rôle de l’homme… »

 

Pour ce qui est de mon vécu personnel, même si je n’ai pas été violé à proprement parler dans mon enfance, je pense avoir subi une agression perturbante en 5e au collège (tous les garçons de ma classe m’ont encerclé dans un coin de la cour). Et plus tard, à l’âge adulte, je sais que dans ma recherche amoureuse, les hommes qui m’attiraient physiquement étaient des hommes mûrs, virils et poilus, qui allaient me dominer. Des bad boys paramilitaires de films pornos, en somme. Je me suis fait prendre d’ailleurs à mon propre jeu dans la période 2009-2011, puisqu’avec un des garçons avec qui je suis sorti, et qui était aussi passif que moi, j’ai été forcé d’être actif génitalement (= scénario connu de « l’arroseur arrosé »… ou plutôt ici, du « violeur violé »). Lors d’un de nos ébats amoureux, il m’a obligé, sans rien dire, à le pénétrer analement sans que la situation me laisse trop le choix (« Si ! T’as envie ! » me disait-il). Et une fois que je l’avais sodomisé (alors que ce n’était pas du tout mon truc), j’ai vu qu’il essayait absolument de me/se persuader que j’étais « 100 % actif », que « j’avais bien caché mon jeu » (coquinou, va !) et que « j’avais adoré ça ». Mouaif… Toujours pas convaincu…

Enfin, il existe d’autres types de viols qui ne s’appellent pas ainsi, parce qu’ils ne concernent qu’indirectement le viol par pénétration génitale, le viol-délit. Ils ne cessent pas pour autant d’être des viols, même s’ils méritent plutôt de s’appeler « violences » : je pense au visionnage d’images érotiques à la télé, au chantage psychologique, à la pression ou l’absence de liberté, à l’abus de confiance, à la maltraitance physique familiale, aux vols, au harcèlement moral, à l’isolement amical, aux tentatives de meurtre, ou carrément aux assassinats. J’inclus dans le tableau des violences l’inceste et les rapports incestuels : même si ça fait cliché, de nombreux amis homos me racontent les assauts violents et inquisiteurs de leur mère possessive. Concernant tous les chantages soumis à la tyrannie du consentement mutuel, je voudrais mentionner aussi tous ses amis qu’on a acculé à sortir avec des mecs qu’ils n’aimaient pas vraiment, ou qui vont au sauna pour s’oublier dans des étreintes semi-forcées, semi-consenties. Le viol démarre souvent par la banalité, et prend en compte non seulement l’acte posé, mais le ressenti de la personne qui le pose/le reçoit. Je me remémore par exemple ce jeune scout zozoteux à qui un camarade a mis une main au cul, geste anodin qui l’a pourtant beaucoup perturbé.

 

Toute la violence « innocente » et les atteintes à l’Amour que peut créer le porno dans le cœur d’un enfant sont parfois très présentes dans l’émergence du désir homosexuel. Je repense à cette amie lesbienne de 23 ans, me racontant l’impact démesuré et désastreux d’un film porno qu’elle avait vu avec ses deux grands frères à l’âge de 4 ans, en cachette des parents (qui possédaient ce genre de vidéos…). Je garde aussi en mémoire cet ami homo de mon âge, qui s’entêtait à me dire qu’il ne comprenait vraiment pas pourquoi je faisais autant le lien entre viol et désir homosexuel (il n’y mettait absolument pas de mauvaise volonté, pourtant !). Il estimait en toute bonne foi qu’il n’avait pas été violé, qu’il n’avait connu aucun traumatisme et que tout allait très bien dans son vie. Pourtant, récemment, un souvenir d’enfance – d’une violence grosse comme une maison – lui est revenu en tête, et lui a fait dire que « peut-être » il avait été l’objet d’un viol : en effet, quand il était pré-adolescent, avec son grand frère, ils avaient visionné des K7 VHS où leurs parents s’étaient filmés dans des scènes sado-masochistes. Et après ça, il osait encore me soutenir que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes !

 

 

Beaucoup plus graves sont les violences physiques populairement appelées « homophobie ». Par exemple, en 2003, à Angers, un de mes amis sexagénaires, Jacques, a été retrouvé mort étranglé dans son appartement. Après enquête de la police (qui est même allée interroger les locaux associatifs LGBT angevins), il fut prouvé que le meurtre est survenu au cours d’un jeu amoureux qui a mal tourné. J’ai aussi rencontré des amis qui ont été victimes d’actes homophobes, et qui à chaque fois endossaient une part de responsabilité dans l’agression, puisque soit ils avaient dragué par leur agresseur (par exemple, une de mes connaissances, assez allumeur, s’est fait balancer du haut d’un pont dans le fleuve de la Maine à Angers par un passant qui lui avait demandé du feu), soit ils sortaient d’un lieu de drague homo (ils se faisaient choper par des inconnus qui les avaient guettés à la sortie des bars gay), soit ils affichaient une fragilité suspecte qui, loin d’avoir provoqué le viol, l’a indirectement appelé car elle a fait écho à la fragilité sexuelle de leur violeur. Par ailleurs, un bon nombre de potes m’ont raconté aussi les vols d’objets que leurs amants de passage ont perpétrés à leur domicile… sans parler de ceux qui se sont fait harceler par téléphone par leur « ex » (qui se faisait passer pour un flic auprès de leurs parents pour leur soutirer des informations), ou bien ceux qui se sont fait courser en bagnole par lui ou suivre en filature. Les vrais scenari de films !

 

 

Je pense enfin à tous ceux qui, comme moi, au départ, n’étaient pas pré-destinés à violer/désirer être violés parce qu’ils n’ont effectivement pas été violés dans leur enfance, parce qu’ils ont grandi dans des draps de soie, parce qu’ils sont connus pour être des crèmes de garçons, et que l’idée même d’être dominés en « amour » ne leur effleure pas l’esprit… mais qui, de par leur fuite du Réel, leur manque de confiance en eux, leur idolâtrie des médias, se mettent, une fois arrivés à l’âge adulte, à rechercher des modèles amoureux de type « violeurs », qui pallieront à leur manque-à-être ou à leur fuite d’eux-mêmes. C’est exactement mon cas. Et je le vois aussi autour de moi. Par exemple, j’ai un ami homo de mon âge qui se salit dans des lieux de baise, et qui m’a avoué qu’il se reconnaissait exactement dans ma description du discours intérieur de l’homme qui s’auto-persuade que finalement « il l’a bien cherché et qu’il a aimé ça ». J’ai en mémoire un de mes anciens élèves de terminale, un garçon très efféminé, qui a sûrement grandi dans du coton (comme moi), qui était très ami des filles de sa classe, et qui, à défaut d’avoir été violé dans son enfance, se lançait pourtant dans une recherche amoureuse de type violent. Quand j’ai lu son « post » Facebook, son cri de révolte (« Mais pourquoi est-ce qu’ils me prennent tous pour une pute ? »), j’ai compris que si le viol n’avait pas précédé son coming out, il l’avait à coup sûr succédé. J’ai aussi parmi mes potes homosexuels un garçon particulièrement maniéré, qui s’offusquait dès que je parlais du viol en lien avec l’homosexualité : il ricanait… jusqu’au jour où j’ai deviné, sans qu’il m’en parle, qu’il avait été maltraité à l’école et que dans ses « plans cul » il mettait en scène des viols. Un jour que je me trouvais à la librairie parisienne LGBT Les Mots à la bouche, un jeune prof de lettres de mon âge, d’apparence fragile et sophistiquée, est venu m’accoster pour me draguer ouvertement : j’ai découvert que ce garçon bien sous tous rapports, était adepte des plan SM (Sado-Maso) où il était violé, dominé, maltraité. Il m’a même montré fièrement le collier piquant et la laisse canine que venait de lui offrir son copain du moment ! Voyez-vous, il ne suffit pas de faire son coming out ou bien d’avoir été nécessairement violé pour désirer le viol : c’est parfois l’effondrement identitaire, la panne de personnalité, ou le manque de liberté, qui sont à l’origine du fantasme de viol homosexuel.

 

 

Pourquoi ne sait-on pas tous ces liens entre homosexualité et viol ? Parce que le viol n’est pas un acte totalement subi, totalement dénué de liberté. Tous les cas que j’ai cités sont peu connus et reconnus par les victimes elles-mêmes (qui parfois n’ont même pas parlé du viol à leur propre compagnon de vie !) pour des raisons diverses. La dénonciation du viol a toujours été très difficile à faire car d’une part le viol est un fait caché et honteux prenant l’apparence d’un bien, et d’autre part sa dénonciation peut foutre un bordel-monstre dans les familles, les cercles amicaux et la société. N’oublions pas que le violeur n’est en général pas un étranger, mais un proche parent. Parler du viol demande une énergie phénoménale à la victime qui veut le dénoncer. De plus, le viol a du mal à être prouvé tant il est nié par l’agresseur et justifié par les bonnes intentions. En effet, la victime du viol a pu, par stratégie de survie, banaliser l’agression et ré-écrire les faits sous forme de jolie romance, en donnant crédit aux sentiments et aux cadeaux de son bourreau, ou en lui attribuant au moins la découverte de son homosexualité (« Si j’ai joui, c’est que j’ai quand même aimé ça, quelque part… L’homme qui m’a initié à la génitalité m’a révélé mon attrait pour les garçons, finalement. »). Et puis humainement il n’a jamais été facile, a fortiori à un âge où on a peu de recul, de remettre en cause une violence ou un manque de liberté, surtout quand socialement ces derniers sont remplacés par les mythes sucrés et politisés de « l’identité homosexuelle », de « l’amour homosexuel merveilleux » et de « l’homophobie » (le mot-épouvantail qui renvoie au viol sans même le dénoncer !).

 

Alors s’il vous plaît, amis lecteurs, concernant le désir homosexuel, ne causalisons pas le viol en l’homosexualisant, mais n’ignorons pas non plus son existence, minoritairement en tant que fait réel, majoritairement en tant que fantasme. C’est la plus belle assistance et amitié que vous nous offrirez à nous, personnes homosexuelles. Votre indifférence bienveillante et gay friendly qui nie nos souffrances et nos drames intimes, nous n’en voulons pas ! Que lumière soit faite sur la caverne de nos viols, fantasmés et parfois réels ! Foi d’Araignée.

 
 

N.B. : Cet article est étroitement lié aux codes « viol » et « homosexuel homophobe » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Je vous suggère de compléter votre lecture par ces deux articles capitaux.


 

[1] Par exemple, le chercheur américain David Finkelhor affirme que les garçons agressés avant l’âge de 13 ans auraient quatre fois plus tendance que les autres à revivre des expériences homosexuelles (David Finkelhor, « Four Pre conditions : A Model », dans Child Sexual Abuse : New Theory and Research, 1984). D’après une enquête menée par le magazine gay The Advocate (n° 661-662, 23 août 1994) auprès de ses lecteurs (2500 questionnaires en retour), 21 % des répondants considéraient en effet avoir été victimes d’abus sexuels avant l’âge de 16 ans. « Les personnes ayant déjà eu des pratiques homo-bisexuelles ont beaucoup plus souvent que les autres subi des rapports sexuels contraints (tentatives ou rapports imposés) : 45,4 % des femmes homo-bisexuelles contre 14,9 % des femmes hétérosexuelles, 23,9 % des hommes homo-bisexuels contre 3,9 % des hommes hétérosexuels. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 262) ; « Les personnes qui ont eu des partenaires du même sexe déclarent beaucoup plus de rapports forcés que les personnes qui n’ont eu que des partenaires de l’autre sexe. Ainsi, 44 % des femmes ayant eu des rapports homosexuels dans leur vie déclarent avoir subi des rapports forcés ou des tentatives (contre 15 % des hétérosexuelles), dont 31 % avaient moins de 18 ans la première fois ; c’est le cas de 23 % des hommes qui ont eu des rapports homosexuels (contre 4,5 % des hétérosexuels), dont 15 % avaient moins de 18 ans la première fois. » (idem, pp. 385-389)