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Code n°92 – Humour-poignard (sous-code : Blague virant au drame)

Humour-poignard

Humour-poignard

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

 

L’humour langue-de-pute, autrement dit humour acerbe et bourgeoisement cruel (ceux qui le poétisent diraient « camp » ou « queer ») caractérise une grande partie des personnages homos des fictions, et parfois aussi les personnes homos réelles. En règle générale, l’humour devient violent à partir du moment où la conscience d’être drôle ou de faire rire échappe à l’être humain, où l’objet mimé parodiquement est en réalité protégé/adulé dans la (simulation de) destruction, ou bien lorsque l’acte humoristique est saturé d’intentions (parodiques, esthétiques, spirituelles). Dans notre société, c’est exactement ce que nous avons le loisir d’observer avec les jeux de mots publicitaires, qui déforment les dictons populaires à souhait et font semblant de faire des fautes d’orthographe énormes… mais ces déformations caricaturales ne sont drôles et subtiles que si nous connaissons la réalité originale qu’elles malmènent. Dans le cas contraire, elles ne nous font pas rire. Elles peuvent même nous agresser, car elles servent le mensonge et alimentent notre ignorance. Si, dans l’esprit de la personne qui méconnaît le Réel auquel le slogan publicitaire renvoie, le bon mot n’est pas connecté à sa sphère de conscience, celui-ci la manipulera, lui mentira, et mettra en exergue son ignorance/sa fermeture. C’est pourquoi les blagues employées par les personnes homosexuelles, qui souvent usent de l’humour pour s’éloigner du Réel (je pense aux parodies dans le play-back, au désir d’être objet, dans le travestissement, aux médisances des cyniques, aux blagues « en dessous de la ceinture » où règnent des fantasmes non-assumés… et pas toujours contrôlés…) agissent en général comme un poignard qui les enfonce un peu plus dans l’isolement et le délire narcissique.

 
 

N.B. 1 : Je vous renvoie également aux codes « Douceur-poignard », « Amant triste », « Cour des miracles », « Cirque », « Clown blanc et Masques », « Parodies de mômes », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Femme-vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Androgynie bouffon/tyran », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », à la partie « Carte » du code « Inversion », aux parties « Imitateurs » et « Travestissement » du code « Substitut d’identité », à la partie « Accident » du code « Passion pour les catastrophes », à la partie « Silence amusé » du code « Déni », à la partie « Jeu virant au drame » du code « Jeu », à la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », et à la partie « Mélodrame » du code « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

N.B. 2 : Je précise à tout hasard que ce code ne concerne pas, contrairement à ce que les plus bisexuels et les plus homophobes des personnes homosexuelles croient, uniquement les individus homosexuels efféminés et les femmes lesbiennes masculines. Pas besoin d’être un minet « maraisienne » pour être cynique et sarcastique ! Je dirais même que ce chapitre s’adresse beaucoup plus aux personnes sur qui l’homosexualité ne se voit pas !

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Ha ha ha ha, hi hi hi hi, ho ho ho ho,

hé hé hé hé, hum hum hum hum,

bof bof bof bof, aïe aïe aïe aïe

 

HUMOUR Gay Pride

 

Dans le quotidien et les créations artistiques des personnes homosexuelles, une grande place est laissée à l’humour. Malheureusement, celui-ci ne s’oriente pas vers une saine catharsis étant donné qu’il vise en priorité le déni de souffrances, le narcissisme, et la destruction. Les comiques homosexuels, souvent très appréciés le temps d’un spectacle, sont en général d’impitoyables observateurs des comportements humains, des personnalités à la base très timides qui pour se venger d’un passé douloureux et d’un présent affectif pas plus heureux ont tendance à s’offrir le luxe de sombrer dans la violence des calembours sardoniques « mouillés d’acide » (comme le chante Charles Aznavour dans « Comme ils disent »), quitte à se la retourner d’abord contre eux-mêmes, pour ensuite la renvoyer au public dans une simulation de destruction qu’Umberto Eco appelle « captatio malevolentia » (figure rhétorique par laquelle un comédien feint de s’aliéner le public pour mieux le rendre réceptif à la monstration de sa propre mutilation).

 

Cependant, les clowns homosexuels ne maîtrisent pas toujours le retour inattendu du premier degré dans leur soi-disant usage du second. Le motif de l’accident, très courant dans la fantasmagorie homosexuelle, illustre parfaitement ce possible basculement inconsciemment désiré du mythe « humoristique » à la réalité fantasmée. Le passage brutal du rire à l’incident dramatique, de l’humour pris au sérieux par des personnages qui ne savent plus arrêter leur blague à rallonge, du revirement inattendu entre le « jeu » et le viol, nous est fréquemment présenté.

 

Concrètement, il arrive aux personnes homosexuelles d’effectuer un va-et-vient incontrôlé entre tragédie et dérision, larmes forcées et rires mécaniques, parodie fantaisiste et plaisanterie sérieuse. Par exemple, on a du mal à croire qu’Alfred Jarry et ses successeurs se soient pris totalement à la rigolade lorsqu’ils ont inventé en 1898 la discipline de l’absurdité instituée baptisée « pataphysique », quand par la suite ils ont fondé en 1948 le Collège de Pataphysique, puis créé un calendrier pataphysique. Dans un tout autre style, le profil déluré de l’armée d’opérette de Yukio Mishima, surnommée la « Société du Bouclier », prêtait à sourire… jusqu’au moment où le romancier japonais s’est révélé très ferme dans son délire puisqu’il tenta un coup d’État et mit fin à ses jours en se faisant hara-kiri. De leur côté, Andy Warhol, Pierre Loti, ou encore Salvador Dalí, ont très souvent montré par leur vie qu’ils ont pris leurs propres « blagues » mégalomaniaques au pied de la lettre. Enfin, on peut parfois été frappé par le visage stoïque et étonnamment sérieux – « professionnel » même ! – que les magnifiques et flamboyants hommes transgenres arborent tout pendant qu’ils amusent la galerie pendant les Gay Pride. Manuel Vásquez Montalbán a tout à fait raison de mettre en doute l’humour bon-enfant des humoristes homosexuels qui mettent en scène un « drame qui ressemble à une comédie… ou une comédie qui est un drame » (Manuel Vázquez Montalbán, Los Alegres Muchachos De Atzavará (1988), p. 265). Le tragique et le comique ne sont jamais incompatibles, surtout quand nous nous forçons à nier leur possible mariage. L’auto-parodie est généralement l’espace de la « violence intériorisée » (Claude Leroy, La Parodie (1977), p. 60). C’est sans doute ce qui fait dire au Dr Franck-N-Furter du film « Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, que « ce n’est pas chose aisée que de s’amuser ». L’usage – que certaines personnes homosexuelles rendent systématique – du stéréotype, de la caricature, du comique de répétition, de l’humour noir, du kitsch, du « second degré », possède une certaine violence : celle de la réification. L’individu qui, pour se fuir, s’enchaîne à une image déréalisante ou à un personnage caractérisé par sa superficialité, qui plus est sous couvert de l’humour, laisse souvent de glace ou nous oblige au rire jaune et poli parce que nous devinons sa douleur d’exister et son regret de ne pas incarner ce qu’il mime. Il nous expose en quelque sorte ce dont personne ne peut être fier : son désir de mort.

 

On remarque que beaucoup de personnes homosexuelles cherchent à ne pas prendre leur fantasme de viol au sérieux. Mais en faisant diversion pour évacuer sa violence, elles l’actualisent par un rire dénégateur, inapproprié aux drames qu’il soulève. Derrière la répétitive blague potache, le calembour scatologique ou cassant, est souvent exprimée une envie d’auto-destruction, une frustration d’amour inavouée, un enchaînement aux media, une fausse exorcisation de la peur de la sexualité, une bêtise qui se présente comme de l’esprit, un manque d’amour de soi transformant l’audace en vulgarité, la parodie en égoïsme, le besoin des autres en cynisme agressif. Humour et désir de mort ne s’opposent pas toujours, et bon nombre de sujets homosexuels en fournissent la preuve à travers leurs recours à l’humour camp. Ils ont tendance à ne savoir rire d’eux qu’entre eux et aux dépens des autres, dans l’auto-parodie excessive. À cause du regard malveillant et complexé qu’ils se portent, ils peuvent devenir extrêmement susceptibles. Dès que l’humour vient de l’extérieur, ils demandent souvent à ce qu’il cesse. « Du côté des médias, on souhaiterait une diminution des blagues sur les ‘folles […] On peut imaginer les ravages qui s’ensuivent sur un jeune en questionnement. » (Michel Dorais, Mort ou fif (2001), p. 113) Les « blagues à pédés », les petites attaques ou railleries, les boutades sur les hommes efféminés, plus bêtes que méchantes, résonnent souvent comme de véritables insultes quand ils leur donnent le poids qu’elles n’auraient jamais eu s’ils ne les avaient pas eux-mêmes cautionnées. Alors que l’humour aimant nous aide à rigoler sainement de nous-mêmes, et qu’il ne fait pas rire aux dépens de l’autre mais avec l’autre (… même s’il prend parfois le risque de le bousculer dans une simulation de destruction : l’humour qui ne dérange pas les meubles n’a pas grand intérêt…), c’est comme si, pour un certain nombre de personnes homosexuelles, la simulation de destruction par le rire passait par l’actualisation incontrôlée de cette destruction puisque l’amour de soi n’est pas assez présent et qu’en désir, la Réalité n’est pas toujours respectée. Or, si l’humour aimant permet d’approcher une réalité désagréable pour la rendre moins abrupte et plus humaine, jamais il ne la nie, ni ne l’édulcore. Il ne cherche pas à gommer constamment la frontière entre sérieux et non-sérieux. C’est bien souvent le contraire que fait l’humour employé par la majorité des sujets homosexuels : même si la dédramatisation qu’il propose est bien intentionnée et semble a priori lutter contre la morosité ambiante, il apporte une avalanche de frivolité inappropriée à des situations qui, sans être dramatiques, ne sont pas légères. Il n’est jamais interdit de démystifier la souffrance par l’humour. Mais il y a un temps pour tout : un pour rigoler, un pour être sérieux, un pour être sérieux tout en rigolant, un autre pour rire quand il ne faut pas… et le délire s’éternise souvent beaucoup trop chez certains sujets homosexuels pour qu’ils se respectent réellement eux-mêmes. Quand la légèreté humoristique n’a pas sa place dans un contexte où la souffrance humaine n’est pas reconnue et dénoncée, il agit involontairement comme un glaçon.

 

En découvrant l’échec de leur entreprise de dérision, la plupart des personnes homosexuelles vont inconsciemment retourner la carte psychique du comique et sombrer dans le tragique singé de la Drama Queen, toujours pour nier leur véritable souffrance. C’est rassurant d’un certain côté (nous les voyons parfois aux bords du suicide en début de soirée… puis danser sur les tables à la fin : leur tristesse a duré le temps d’une averse), et inquiétant d’un autre (qui nous assure, par exemple, qu’un sujet homosexuel suicidaire ne va jamais, les jours de profond spleen, mordre précipitamment à l’hameçon de sa théâtralité et passer à l’acte irréparable ?). C’est parce que la détresse homosexuelle ne se dit pas souvent simplement et sans se styliser à l’excès, que nous devrions lui prêter encore plus d’attention, la trouver touchante. La mise en scène mélodramatique que beaucoup de personnes homosexuelles composent est signifiante, même si elle paraît à première vue théâtrale, fausse, et forcément un peu risible puisqu’elle mime exactement les simulations de crises d’abandon de la femme fatale télévisuelle. « Ènième coup de téléphone de François P., qui m’énerve considérablement : il dit qu’il m’aime, et qu’il ne m’appellera plus jamais, car il va se tuer demain, je n’ai même pas envie de le croire ou de ne pas le croire, je reste indifférent, tout juste agacé : qu’il fasse ce qu’il veut, je ne le connais pas. » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (1976-1991), p. 23) La « c-homo-édie », pourrions-nous l’appeler, par la lassitude/indifférence qu’elle engendre chez la majorité des personnes homosexuelles qui la jouent pourtant chroniquement, et qui la trouve navrante à force de croire qu’elles la connaissent par cœur, n’est pas assez analysée en termes de nature du désir homosexuel qui, je le crois, est par essence tragi-comique, et cause beaucoup plus de maux invisibles qu’il n’y paraît. Du coup, ceux qui la rejettent la déifient fréquemment, et sont tentés de l’actualiser parfois. Beaucoup de personnes homosexuelles figent leur appel de détresse, souvent justifié, en mouvement esthétique surchargé de pathos cinématographique, pour occulter leur souffrance réelle, qui, une fois ignorée à force d’être esthétisée, peut s’aggraver. Dans le malheur, elles ont tendance à se prendre narcissiquement trop au sérieux ou pas assez au sérieux, si bien que leurs proches hésitent à les écouter, et perdent patience à essayer de démêler chez elles d’un côté ce qui fait partie du fantasme de souffrance, et, de l’autre, ce qui est de l’ordre de la souffrance véritable.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le personnage homo se croit ou est cru plus drôle que les autres :

Dans les fictions traitant d’homosexualité, très souvent, le personnage homo se croit ou est cru plus drôle que les autres : il serait le maître du délire : « Plus on est de folles, plus on rigole ! » (Dick dans le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot) ; « C’est d’un chiant les soirées sans homos ! » (David dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 1 « À la recherche du prince charmant ») ; « Tout est drôle. » (Pierre, le héros homosexuel faisant passer un casting à des femmes qu’il veut utiliser comme mère-porteuse, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Dès qu’il y avait une blague débile à faire, Jean n’était pas loin. » (Alex parlant de son ex-amant Jean, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc. L’humour et le rire seraient l’apanage de l’homosexualité : cf. la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, etc. « Mon coiffeur a un rire très… coiffeur. » (Laurent Gérard dans son one-man-show Gérard comme le prénom, 2011)

 

Par exemple, dans le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2004) de Frank Oz, Roger, le personnage homo, est la bonne humeur incarnée. Il est très sympa, frivole, toujours partant pour s’amuser. Il enchaîne les répliques tordantes. Il ne prend jamais rien d’autre au sérieux que son look. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, « un hétéro et un homo se découvrent amoureux. Sans clichés, ni préjugés, il franchiront toutes les étapes avec beaucoup d’humour ».

 

Pensons également à tous les rôles de « rigolo » et de « fouteur d’ambiance » qui lui sont réservés : cf. Agrado le transsexuel M to F à la langue bien pendue dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, le Maître de Cérémonie dans le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, l’équipe de volley-ball LGBT du film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun, Arnold le meilleur ami gay du héros homo Georges dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Cody l’homosexuel nord-américain excentrique et hyper efféminé du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, les flamboyants travestis du film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, etc.

 

C’est souvent par le biais de la blague potache cochonne que s’exprime l’humour « décalé et ravageur » du héros homosexuel. Par exemple, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval nous fait une lecture sulfureuse d’extraits enfantins de Oui-Oui chauffeur de taxi, avec l’histoire détournée de la queue du chat.

 

Le protagoniste homosexuel pare souvent son humour de « second degré », d’autoparodie, de caricature, de romantisme, ou d’une carcasse de suffisance narcissique tellement excessive qu’on doute de l’humilité de la démarche : cf. le roman Yo No Tengo La Culpa De Haber Nacido Tan Sexy (C’est pas de ma faute si je suis né si sexy, 1997) d’Eduardo Mendicutti. « Je suis très à cheval sur la plaisanterie. J’aime l’humour. Et accessoirement les charades. » (Jules, le dandy homo austère et sans humour, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Si une chose nous fait rire, il nous suffit d’un regard pour nous comprendre. » (Matthieu par rapport à son amant Jonathan dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc.

 

Concernant l’humour qu’emploient les héros homosexuels et transgenres, il ferait apparemment mourir de rire tout le monde (cf. je vous renvoie aux codes « Milieu homosexuel paradisiaque » et « Mère gay friendly » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), il serait « désopilant », « tout-puissant », « libératoire », « jubilatoire », « génial », « révolutionnaire », « queer ». Et paradoxalement, ces adjectifs sont employés par une élite petite-bourgeoise de pseudos artistes iconoclastes bisexuels sans humour, qui préfère jouer la comédie de l’extase euphorique et dithyrambique plutôt que de reconnaître qu’elle crée des œuvres « avant-gardistes » qui emmerdent tout le monde et font à peine sourire… : « Je suis productrice. Rayon ‘humour’. » (la productrice hyper cassante de la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) On en a de bons exemples de ce décalage entre noirceur et humour, résolu un peu vite par l’excuse de « l’Art », avec la troupe des « Farfadets de Limoges » des Petites Annonces (2007) d’Élie Sémoun (dirigée par le metteur en scène hilare/stoïque nommé saint Brice) qui est une parodie du théâtre contemporain (très bisexualisé et bisexualisant) ; ou encore avec le sketch parodique crypto-lesbien « Le Doutage » du trio Les Inconnus : « J’aimerais être comme toi : pleine d’humour… »

 

 

L’humour dont il est question dans les œuvres traitant d’homosexualité flirte souvent avec l’hébétude, le rêve éveillé du schizophrène, ou le sourire jaune béat : « Le sourire aux lèvres, continuer à vivre en pièces détachées. » (cf. la définition du verbe « vivre » par Denis, le narrateur homosexuel, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « J’ai rêvé qu’on pouvait s’marrer. » (l’imitation parodiquement macabre de Mylène Farmer dans le spectacle La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly) Le rire esquisse une angoisse. Par exemple, dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, lorsque Kevin commence à ressentir une attraction amoureuse pour son copain Chiron, le jeune héros homosexuel, il se contente d’en rire : « T’es marrant, tu sais ? ».

 
 

b) Le clown triste :

En réalité, le rire homosexuel fictionnel semble plus mécanique que justifié par la liberté, l’intelligence humaine, la claire conscience de ce qui amuse : « L’autre sœur eut un rire hystérique. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 89) Par exemple, dans la série nord-américain Modern Family (2009-2011), Cameron, un des héros homos, est un clown raté qui n’arrive pas à faire rire. Plein de chansons du répertoire homosexuel laissent échapper un rire nerveux : cf. la chanson « Vis à vis » d’Étienne Daho, la chanson « Porno-graphique » de Mylène Farmer, la chanson « Nolwenn ohwo ! » de Nolwenn Leroy, la chanson « Wanna Be » des Spice Girls, la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la chanson « Over-protected » de Britney Spears, etc. Par exemple, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, les deux amants Léo et Gabriel sont pliés de rire au cinéma devant un film d’horreur où des mariés se font massacrer par un robot.

 

Micheline – « Qu’est-ce qui te fait rire, Ahmed ?

Ahmed – Rien, je ne sais pas, mais je ne peux pas m’arrêter ! (Il a une crise de fou rire) Oh, mais qu’est-ce que j’ai, moi ! »

(cf. un extrait de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

Quand le héros homosexuel rit ou fait rire, c’est en général lié au désir de se fuir soi-même, d’être objet, de devenir robot, donc finalement au désir de mourir. C’est la raison pour laquelle, même pendant ses show d’imitations parodiques, il arbore un sérieux et une attitude stoïque qui contrastent complètement avec son intention d’amuser la galerie. « Le fond de leur rire avait quelque chose de métallique. » (Pretorius parlant des clients de l’Hôtel du Transilvania, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « Le plus sérieusement du monde, Cody [l’homosexuel nord-américain hyper « grande folle »] allume une cigarette, tire une taffe, s’étouffe, tousse, ouvre la fenêtre, jette sa clope et dit ‘Bon, on dirait que Catherine Denouve elle fume plus, hein ? Ah lalah, j’espère que j’aurai pas mes period si je rencontre l’homme, tu comprends, je veux pas avoir du sang pendant mon premier sex session, quoi.’ » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011) de, p. 102) ; « Elle rit jusqu’à ce qu’elle dût s’arrêter pour reprendre haleine et cracher du sang, car elle avait dû se mordre la langue dans son effort pour faire cesser ce rire hystérique ; un peu de sang resta sur son menton, jeté là par ce rire d’agonie. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 257). Dans l’épisode 363 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 25 décembre 2018, André Delcourt, le père de Chloé l’héroïne, fait son coming out, après un « mensonge » et une disparition de plus de 35 ans, pendant lesquels il a abandonné femme et enfants (Anna et Chloé). Il passe son temps à faire le pitre et le joueur, mais il finit par avouer à son ex-femme Marianne que cette légèreté est un masque qui occultait son homosexualité : « Pourquoi je faisais toujours le con, à ton avis ? Pourquoi j’estimais que jamais rien n’était sérieux ? »

 

Comme cet humour n’est pas le fruit d’une vraie liberté mais d’une soumission aux images médiatiques déréalisantes, fatalement, il rend mélancolique le protagoniste homosexuel. Derrière l’humour et après la fête homosexuelle, il y a souvent le revers de médaille de la tristesse. « J’ai pour amis des folles comme moi, des amis pour passer un moment, pour rigoler un peu. Mais dès que nous devenons dramatiques… nous nous fuyons. Chacune se voit reflétée dans l’autre, et est épouvantée. Nous nous déprimons comme des chiennes, tu peux pas savoir. » (Molina, le héros homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 205) ; « À l’heure où naît un jour nouveau, je rentre retrouver mon lot de solitude. J’ôte mes cils et mes cheveux, comme un pauvre clown malheureux de lassitude, je me couche mais ne dors pas. Je pense à me amours sans joie, dérisoires… » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’avais peur que les bouffonneries du travesti me dépriment. […] J’en avais trop vu de ces pathétiques créatures dans ma jeunesse pour trouver celle-là vraiment drôle. » (Jean-Marc, le héros homosexuel parlant du travesti Sandra Deelicious, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, pp. 173-175) ; « Voir un ami travesti pleurer. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc. Je vous renvoie aussi à tous les personnages homosexuels des fictions filmés avec le rimmel qui coule, comme des « rigolos tristes » : cf. le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron (avec Paulo, le clown triste et travesti), le film « Nos vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot (avec le déprimant travesti M to F « Miss Sophistication »), le film « Muriel » (1994) de P. J. Hogan (avec le pathétisme des actrices « roses-bonbons »), le roman El Ángel De La Frivolidad Y Su Máscara Oscura (L’Ange de la frivolité et son masque sombre, 1999) de Luis Antonio de Villena, le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello (avec la répétition du Lac des Cygnes de Tchaïkovski), le film « Victor Victoria » (1982) de Blake Edwards (avec Toddy, l’homosexuel frivole mais abandonné), le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion (avec Adrien en larmes dans sa piscine, après son acte de trahison), etc. Par exemple, dans le film « Monsieur Max » (2007) de Gabriel Aghion, Max Jacob se définit comme un « clown triste », un « pitre ». Les héros homosexuels, en bons maniaco-dépressifs « Jean-qui-rit Jean-qui-pleure », sont en général sujets à des accès subits de joie ou de cafard.

 
 

c) Le clown violé et souvent violent :

Je vous renvoie avec insistance à la partie « Jeu virant au drame » du code « Jeu » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

 

La particularité du rire homosexuel fictionnel, c’est qu’il n’est ni contrôlé ni libre, qu’il est souvent accidentel, et donc potentiellement emprisonnant et agressif : « Ok, tout ça n’était qu’un jeu. Ok, on s’est prix au sérieux. Le rire au fond des yeux. Nuit magique. » (cf. la chanson « Nuit magique » de Catherine Lara) ; « La seule chose qu’on aurait pu lui reprocher, c’est qu’il n’avait pas le sens de la mesure. C’était trop maintenant, il se laissait entraîner. » (Claudio par rapport au spectacle drolatique travesti de François, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 97) ; « La crise, ça veut dire qu’il faudra carrément se fendre à deux… de rire. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « L’homme se frotta les yeux et gémit. Il avait un crâne chauve constellé de taches de vieillesse ; sa bouche, large avec des lèvres fines, aurait été une bénédiction pour un clown. » (Jane, l’héroïne lesbienne décrivant le vieux Karl Becker, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 62) ; « Sa large bouche s’étira pour former un sourire et il ressembla à nouveau à un clown triste. » (idemp. 67) ; « Tielo trouvait ça tordant. C’était un peu paradoxal – j’envisageais de révéler mon homosexualité à nos parents, et en même temps je mentais à toutes les filles que je rencontrais. » (Petra se travestissant en homme, et s’adressant à son amante Jane, idem (2012), p. 83) ; « Ses lèvres fines étaient sèches et gercées, blanchies par le froid, mais sa bouche était toujours large et clownesque et il était facile de l’imaginer en train de hanter un cortège de fantômes. » (Jane décrivant le vieux Herr Becker, idem, p. 218) ; « Je doute que vous sachiez plaisanter. » (le Commandant Denniston s’adressant au mathématicien asocial homosexuel Alan Turing, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; « Arrêtez de vous cacher derrière votre humour qui ne fait pas rire grand monde. » (Dr Katzelblum, homo, s’adressant à son patient homo Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Par exemple, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, l’homosexualité entre Bruno et Pablo commence par une boutade en soirée, et finit par être prise au sérieux. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand balance sur le faible sens de l’humour des lesbiennes camionneuses pas commodes, notamment avec le personnage de Joyce, la femme en cuir insensible avec qui le couple Rodolphe/Claudio avaient initialement prévu d’avoir un enfant, et qui se révèle un vrai monstre : Joyce dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangés 4 »… pour conclure hyper sérieusement « Non, j’déconne. Humour lesbien. C’est particulier. Je sais, je n’en ai pas. » Elle compte même couper en deux l’enfant que le couple Rodolphe/Claudio comptaient faire avec elle dans leur projet de coparentalité : « On fait 50/50 avec l’enfant ? Je prends la tête et vous les jambes ? » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, parle d’un « clown géant » auquel il doit faire face, lors d’un jeu de rôle où il ne distingue pas la réalité de la fiction. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, pendant la messe, Ziki ose caresser la main de Kena, sa copine, alors qu’elles peuvent être vues… ce qui n’amuse pas du tout Kena qui sort en trombes de l’assemblée pour demander à Ziki d’être plus discrète. Ziki prétexte « l’humour » : « Je m’amusais. C’est tout. »

 

Plus les séquences filmiques des œuvres homosexuelles sont volontairement clownesques, plus elles annoncent en général l’arrivée d’un drame cinématographique. Pensons par exemple à la scène du mariage des quatre nazis travestis dans le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Jours de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (préfigurant la tuerie finale), à la danse collective en tutu dans le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello (annonçant la mort prochaine des protagonistes emportés par le Sida), à l’usage grinçant et amer de l’humour dans le film « Orange et Pamplemousse » (1997) de Martial Fougeron (racontant les déboires pathétiques d’un internaute qui va d’humiliation en humiliation parce qu’il n’a pas le physique de rêve que demandent ceux qui veulent le sauter), à la scène de passage à tabac d’un homme laissé pour mort par les Nazis intercalée à un spectacle de cabaret comique mené par le Maître de Cérémonie dans le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, à la séquence du tabassage d’Enrique par l’amant de sa femme filmée en parallèle avec le show travesti de son fils transsexuel M to F Michael en boîte dans le film Gun Hill Road (2011) de Rashaad Ernesto Green, etc.

 

Film « Das Flüstern Des Mondes » (« Whispering Moon », 2006) de Michael Satzinger ("Ce n'est qu'une blague")

Film « Das Flüstern Des Mondes » (« Whispering Moon », 2006) de Michael Satzinger (« Ce n’est qu’une blague »)


 

Le pathétisme de l’humour du héros homosexuel dit souvent une grande souffrance existentielle, une misère amoureuse. Généralement, le rire agit dans les fictions homo-érotiques comme un paravent du viol, de l’inceste, de la haine de soi, de la mort ou de la vieillesse : « Viens, dupons notre monde par un air rieur. » (Macbeth s’adressant à sa femme après avoir perpétré leur meurtre, Acte I, scène 7, dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare, p. 77) Par exemple, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Didier veut « continuer à rigoler » avec son voisin homo Bernard ( = coucher de temps en temps).

 

Vianney – « Non, je ne fume pas, mais ça ne me dérange pas, j’aime bien les bouches qui sentent le tabac froid, ça me rappelle mon père.

Mike – T’as couché avec ton père ?

Vianney –

Mike – C’était de l’humour, bon, ok, je me tais. »

(cf. le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 85)

 

Comme le héros homosexuel ne veut pas regarder sa réalité souffrante en face, ni la douleur de ceux qui l’entourent, il lui arrive en général de se servir de l’humour comme d’un système de censure redoutable, une matraque, un instrument de viol, pour se venger de ceux qui ont osé identifier sa blessure ou ses actes mauvais. Il passe de la blague à l’agression, en une fraction de seconde : « Ces gars qui se maquillent, ça fait rire les passants. Mais quand ils voient du sang sur nos lames de rasoir, ça fait comme un éclair dans le brouillard. » (cf. la chanson « Quand on arrive en ville » de Johnny Rockfort et Sadia dans l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) Par exemple, dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy maniéré avec son monocle, se gausse méchamment de Marguerite en feignant de l’aduler. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et son amant Thomas pratiquent un amour piquant gossip (rire-poignard). François décrit Thomas comme « Monsieur Je casse toujours tout le monde », à l’« humour ravageur. ».

 

La force comique que le héros homosexuel met en place n’est ni sociale ni véritablement conviviale : cf. la B.D. Humour secret (1965) de Copi. C’est plutôt un humour personnel, autistique, caustique, narcissique, fait de private jokes seulement compréhensibles à une minorité de cyniques comme lui. Un humour qui n’exorcise rien, en dépit du fait qu’il soit noir et qu’il parle ouvertement de souffrance, de mort, de sexe, de maladie : « Comment ça va, ton cancer ? » (Mimi à son ami Fifi, travesti M to F comme lui, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Nous ne sommes pas sûrs que le cadavre qu’ils nous ont rendu est le bon, tant il est calciné. » (le narrateur parlant de la mère de son amant Pietro, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 14) ; « Qu’est-ce qu’on s’est poilés à Fukushima. » (Didier Bénureau dans son one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Machiniste – « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort !

Auteur – C’est ça l’art ! »

(Copi, La Nuit de Madame Lucienne, 1986)

 

Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, aime pratiquer l’humour grinçant : « Des mecs comme moi sont les rois de l’ironie. » Il s’extasie au départ devant la camaraderie explosive des drag-queens entre elles dans leurs vestiaires du cabaret… (« Vous êtes hyper sarcastiques, mais personne n’est violent. ») juste avant de changer d’avis en voyant qu’elles s’envoient réellement des objets pour se blesser. Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne, est odieuse : elle flingue, par un cynisme bien calibré, tous les membres de son entourage… et le piège se retournera contre elle. Dans le film « Joe + Belle » (2011) de Veronica Kedar, Joe, l’héroïne lesbienne, est une jeune trafiquante de drogue très cynique. Dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire rit toujours de tout et dans le sarcasme, y compris quand il s’agit de mort ou de crime. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, a un humour très cassant. Elle et sa copine Charlène nous offrent des « grands » de rires nerveux tout le temps. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel a la prétention de dire que les homosexuels ont toujours le mot pour rire : « Nous ne sommes jamais à court d’humour. » Mais en réalité, lui et ses amis passent leur temps à s’insulter l’air de rien : « On a beaucoup d’ironie sur nous-mêmes. » ; « Qu’est-ce que tu fous, connasse ? » ; « T’as dormi où, p’tite salope ? » ; « Non ! Non ! C’est de l’amusement. C’est de l’auto-dérision. »

 

Même entre amants homosexuels fictionnels, on observe beaucoup d’humour vache et narquois, basé sur l’humiliation mutuelle et les petits « pics » désagréables (« Je teste la force de ton amour pour moi – ou bien je te prouve mon amour – au point d’en devenir imbuvable et d’accepter que tu le sois avec moi ! ») : cf. le film « Giorni » (« Un Jour comme un autre » (2003) de Laura Muscardin, le film « I Love You Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes (avec l’humour pas sympa dans le couple Daniel/Marcos), etc. « Tu me casses les burnes, Paul Wood. » (Jack à son amant Paul, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « C’était une blague. » (Engel juste après avoir fait son baiser volé à Marc, dans un élan homophobe, dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant) ; etc. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, la photo de Nathan et de Louis s’embrassant secrètement à une soirée de jeunes circule sur les réseaux sociaux : Nathan fait croire que c’était un jeu, pour faire mentir la photo. « Quand j’ai embrassé ce garçon, c’était pour de rire. » (Nathan)

 

La méchanceté homosexuelle soi-disant « humoristique » (« Mais j’rigole ! Je te taquine ! ») dépasse le cadre du couple et s’élargit bien sûr à la sphère « amicale » et sociale. Tuer son opposant/amant par un jeu de mots bien senti est, aux yeux du héros homosexuel, un art de séduction fabuleux, une occasion d’auto-satisfaction parfaite ! « J’ai encore plein de sarcasmes en réserve. » (Arnold, l’un des héros homosexuels de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « J’ai la langue acérée, le verbe assassin. » (Charlène Duval dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Moi, j’aime l’acide, l’amer. » (idem) ; « Comme si, vers la quarantaine, les gays basculaient dans le cynisme. » (Bjorn, l’un des héros homosexuels du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 159) ; « Le cynisme, c’est l’humour des gens qui sont beaux. » (cf. une réplique de la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Il faut que je m’adapte. Aujourd’hui, c’est l’humour de ceux qui ricanent du malheur des autres qui marche. » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Les gens, ils croient qu’on se marre chez les PD. Mais c’est pas vrai. On ne se marre pas. » (Loïc, homosexuel, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc. Le personnage homosexuel est connu pour manier l’humour comme il donnerait des coups de griffes ou viserait sa victime au revolver à bout portant. Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, « les fiottes pleines d’esprit acide » sont mises à l’honneur. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Mourad, l’un des deux héros homosexuels, est grand fan de la cruauté cynique de la garce de l’histoire, Amande : « Mourad [l’homo] jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (p. 83) ; « Il était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (idem, p. 415)

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, c’est un florilège de coups bas entre amis et amants homosexuels qui se balancent des blagues cyniques dans une joute verbale destructrice pendant toute une soirée : « Cette folle est très amusante, non ? » (Michael par rapport à Harold, avec agressivité) Par exemple, la conversation entre Alan et Michael à propos d’Emory, le héros gay dont l’efféminement agace suprêmement Alan ne manque pas de sel :

Alan – « C’est son humour, j’imagine…

Michael – Il sait être drôle.

Alan – Oui… Si on trouve ça drôle… Il fait très tapette. »

 

À la surprise générale, le héros homosexuel ne rigole pas du tout, même quand il semble proposer quelque chose d’objectivement farfelu et de comique. « Il n’y a rien de comique [dans cette pièce], on ne rit pas une seule fois ; c’est pervers, c’est tout. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Vous plaisantez toujours sur des choses où il n’y a pas de raison de rire. » (Antonietta s’énervant contre son ami homosexuel Gabriele, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « Une plaisanterie banale se termine tragiquement. Tu m’as griffé. » (Gabriele parlant à Antonietta, idem) ; « Il m’a bloqué direct. Zéro Humour. » (Jérémy Lorca parlant de ses amants homos qui n’ont aucun humour sur les sites de rencontres, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc. Plus susceptible qu’il ne le montre, il se sert parfois du prétexte de l’humour pour violer à son tour ceux qui l’ont/l’auraient agressé. Par exemple, dans le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, l’amusant travesti Félicia finit par agresser les occupants du bar qui se sont moqués de lui. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne, le héros homosexuel, filme sans arrêt le couple Vanessa-Ludovic « pour de rire » jusqu’au moment où il obtient leur rupture. Dans le film « Where The Truth Lies » (« La Vérité nue », 2005) d’Atom Egoyan, un duo comique, Lanny Morris et Vince Collins, très connu aux États-Unis, est lié à un meurtre d’une femme découverte morte dans leur suite.

 

Par exemple, dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, est très susceptible et ne rigole pas du tout : « On ne fait pas d’humour sur la Farmer ! »
 

L’« humour » du protagoniste homosexuel se radicalise quelquefois en système politico-économique dictatorial, sous couvert paradoxalement de lutte « anti-fasciste » et de légèreté comique vengeresse : « Quand Rakä ramassa des pierres pour casser les vitraux de la Sainte-Chapelle, je l’imitai ; nous éclatâmes tous de rire, laissant échapper notre angoisse. » (Gouri, le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979), p. 90) Par exemple, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, Nelligan critique à juste titre l’invasion médiatique des humoristes (qu’il appelle « les niaiseux ») dans le milieu de la télé, au détriment des émissions sérieuses ou culturelles qui font moins recette : « Ce sont les nouveaux curés de la télé. » ; Robert, le producteur, dit quant à lui qu’il « est là pour faire de l’argent avec le rire ». Le masque de l’humoriste homosexuel cache bien souvent le visage du tyran aux méthodes pas drôles du tout !

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les membres de la communauté homo se croient ou sont crus plus drôles que les autres :

Très souvent, les personnes homosexuelles se croient ou sont crues plus drôles et plus libérées que les autres. « Beaucoup d’homosexuels possèdent un sens critique aigu, parfois même une tournure d’esprit satirique et anti-conformiste, qui découlent en grande partie de leur homosexualité. » (Marc Daniel, André Baudry, Les Homosexuels (1973), p. 68) ; « La parodie, signe à elle d’une certaine liberté d’esprit, s’impose comme le genre le plus queer des Lumières britanniques. » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 45) ; « La comédie, c’est notre meilleure arme pour faire changer les choses. » (Lea Delaria, lesbienne, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) ; « Aujourd’hui, c’est moi qui vais rigoler à gorge déployée » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Les Français et le rire » (2013) de Stéphane Bégoin sur la chaîne France 5, « les » homos sont présentés comme les tenants de l’humour, les précurseurs d’une nouvelle légèreté.

 

Par exemple, il existe en France une association homosexuelle de convivialité baptisée Les Mâles Fêteurs. Et on compte parmi les artistes homosexuels un certain nombre d’humoristes célèbres : Muriel Robin, Pierre Palmade, Graham Chapman (des Monty Pythons), Marc-Olivier Fogiel, Élie Kakou, Thierry Le Luron, Jarry, Philippe Jullian, Laurent Ruquier, Jennifer Saunders et Dawn French, Michel Heim, Shirley Souagnon, etc. Les personnes homosexuelles sont connues pour être les « maîtres du délire » : « Ils mettent une ambiance de dingue dans mes concerts ! » (la chanteuse Zazie en parlant des individus homosexuels, dans la revue Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 24) Dans « leurs » boîtes, on s’y amuserait, paraît-il, plus qu’ailleurs.

 

Certains créateurs homosexuels forcent d’ailleurs leur public à ne considérer leurs œuvres que comme de simples bouffonneries sans prétention et sans interprétation à tirer. Des chefs-d’œuvre de dérision. Par exemple, dès le début de la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi (dans la mise en scène de Cyrille Laïk et Suzanne Llabador en 2010), la comédienne qui joue Irina nous prévient que nous allons assister à un spectacle qui n’est qu’une « énorme blague ».

 

L’humour et le rire seraient l’apanage de l’homosexualité : « Être gay ne se résume pas à parler d’homophobie, de Sida et d’homoparentalité. Nous revendiquons le droit à la légèreté. » (Franck Besnier dans « L’Édito » du magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 3) ; « Je m’emmerde dans les dîners d’hétéros, ça manque d’humour. » (Claude, homosexuel, cité dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 16)

 

Certains créateurs bobos bisexuels se payent souvent le luxe d’être triviaux (… et ça ne fait rire qu’eux), car leur instrumentalisation de la thématique de l’homosexualité se pare de militantisme. Par exemple, dans « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, je pense à la blague (la seule du film) potache sur les huîtres, symboles saphiques cousus de fil blanc et graveleux. Adèle, qui n’aimait pas les huîtres, finit par les aimer (ha ha ha, qu’est-ce qu’on rigole…). Rire (ou faire rire) avec des choses étiquetées « incorrectes et choquantes » par le bisexuellement et le boboïsement correct, c’est (se) donner l’illusion d’un engagement et d’un héroïsme.

 

À en croire les critiques gays friendly (souvent homosexuels eux-mêmes), l’humour qu’emploient les héros homosexuels et transgenres, ou les créateurs homosexuels, serait « désopilant », « tout-puissant », « jubilatoire », « génial », « révolutionnaire », « queer » : « L’humour, chez Copi, est le plus radical des garde-fous contre la pédanterie. » (Marcial Di Fonzo Bo dans l’article « Le plus Bo des Argentins » de Franck Sourd, sur le journal Les Inrockuptibles, daté le 30 mars 2005) ; « J’ai toujours trouvé que la profession dite d’‘humoriste’ avait quelque chose de borné. Pourtant Copi empruntait les sentiers de l’humour et si en chemin on se prenait à frissonner c’était peut-être bien d’être confronté soudain au sentiment de l’absolu ! » (Myriam Mézières dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 77) ; « Doué pour tout, Copi. L’humour et la vie surtout. » (cf. l’article « Copi, à jamais pas conforme » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Quotidien de Paris publié le 15 décembre 1987) ; « Un rire désespéré et libératoire celui qui traverse tout le théâtre de Copi » (cf. l’article « Le Rire désespéré de Copi, la folie totale d’Eva Perón » de Brigitte Salino, dans le journal Le Monde publié le 5 mars 2006) ; « La transgression, c’est toujours quelque chose qui m’intéresse. Dans la vie. Dans mon travail. Et c’est quelque chose que j’aime dans la culture gay en général. C’est de vraiment twister les choses, de les rendre différentes. Et en fin de compte qu’arriver à coder quelque chose, je trouve que c’est assez drôle. » (Michel Gaubert interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. Et paradoxalement, ces adjectifs sont employés par une élite petite-bourgeoise de pseudos artistes iconoclastes bisexuels sans humour, qui préfère jouer la comédie de l’extase euphorique et dithyrambique plutôt que de reconnaître qu’elle crée des œuvres « avant-gardistes » qui emmerdent tout le monde et font à peine sourire… On en a un bon exemple avec la troupe de théâtre contemporain parodiée par les Inconnus, qui pense avoir de l’humour, alors que rien de ce qu’elle présente ne peut objectivement déclencher l’hilarité.

 

 

« J’aime et je me gausse quand personne ne ri(rai)t : mon rire est politique et minoritaire/pro-minorités. » Pour illustrer cette idée, je revois les rires forcés et satisfaits de certains spectateurs bobos au moment de la représentation – minable plus que blasphématoire – de la pièce épate-bourgeois Golgota Picnic (2011) de Rodrigo García au Théâtre du Rond-Point à Paris. Sans être des ricanements, ce type d’esclaffements ne sont pas des rires francs, mais rien que des rires intentionnalisés, surpolitisés, surchargés de paraître, de snobisme, de jugements, d’ignorance, étant donné que ce qu’on regarde est de la pure provocation adolescente. C’est « l’affreux rire de l’idiot » dépeint par Arthur Rimbaud dans son poème « Une Saison en enfer » (1873), un spasme mécanique, poussé, agressif, hystérique parfois, conquérant, qui se croit – malgré le gouffre d’ignorance qu’il traduit – plus intelligent et distingué que les autres.

 

Les individus homosexuels sont les premiers à croire en leur réputation d’« humoristes révolutionnaires ». D’ailleurs, ils présentent souvent leur propre « esprit comique » comme une grâce divine, inattaquable et indétrônable : « Le clown, il peut tout être. Le clown, il est au-delà. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)

 

En réalité, l’humour employé est beaucoup plus trivial et nu qu’il n’y paraît. C’est souvent par le biais de la blague potache cochonne que s’exprime le mieux le calembour « décalé et ravageur » du plaisantin homosexuel. On entend souvent de sa part la même ironie salace, dans laquelle les sous-entendus sexuels, tirés par les cheveux, s’enchaînent à une cadence infernale. Et il faut bien reconnaître que, le temps d’un week-end, d’un show travesti, d’une « soirée délire » entre potes, ou d’un défilé de Gay Pride, les métaphores filées « en dessous de la ceinture », le jeu grandiloquent de la superficialité kitsch, et les références à la vulgarité télévisuelle bon marché, sont soit touchants, soit carrément à mourir de rire ! 24h/24, et en amour, c’est une autre affaire… mais à petite dose, et dans le cadre chaleureux de l’« amitié sans prise de tête », ça reste franchement sympa et convivial. L’humour facile et déréalisé est exactement à l’image du désir homosexuel : sur le coup, il peut être objectivement efficace, déclencher émotions et fous rires en cascade une fois que nos nerfs sont lancés et chauffés. Mais efficacité et contenu ne sont pas nécessairement synonymes…

 
 

b) Le clown triste :

La réputation d’humour des comiques homosexuels est à nuancer et à revoir fortement à la baisse une fois qu’on regarde les faits, la durée, le sens, et ce qui est construit en amour. Ils parent souvent leur humour de « second degré », d’autoparodie, de caricature, ou d’une carcasse de suffisance narcissique tellement excessive qu’on doute de l’humilité de leur démarche : « Tu es marié ? Quelle horreur ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, s’adressant à un homme qui lui plait, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 74) Beaucoup d’entre eux, quand ils sortent une blague, ne « déconnent pas tant que ça » : ils prêchent le faux pour savoir le vrai, balancent une blague dont on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon (« Je te tripote, mais c’est pour de rire, tu sais : je suis très tactile. »), et pencheront du côté sérieux ou du côté ludique que décidera leur auditeur : leurs calembours expriment souvent un test, un manque d’assurance et de liberté, un attachement au desiderata des autres, une démission, une faiblesse, une soumission, une angoisse de ne pas être aimé et cru. On ne les a tellement pas crus dans leur adolescence !

 

Par exemple, un film comme « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha a la prétention d’être une comédie légère, mais il nous raconte des histoires existentielles tellement pathétiques et vouées à l’échec, à travers le parcours amoureux des trois potes homos Nicolas, Gabriel et Rudolf, qu’il semble que le réalisateur et ses personnages se retrouvent à s’auto-parodier eux-mêmes. Autre exemple : dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, l’humour noir y est tellement présent que le spectateur sent une auto-détestation sous-jacente chez le comédien, empêchant de rire de bon coeur. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca pratique l’humour grinçant typiquement gossip gay.

 

À la longue, l’humour porté par une majorité d’individus homosexuels suinte la vanité, la prétention, la bêtise, le manque d’inventivité, le manque d’amour de soi et des autres, l’impression de ne pas être pris au sérieux. « Les homosexuels sont, dit-on, fort peu drôles, exception faite des cas où ils se miment eux-mêmes avec exagération. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 24) ; « On dira que Grand-Guignol et folinguerie sont les masques de la pudeur de Copi. Soit. L’ensemble cependant, drame compris, constitue une amusette assez anodine, même si elle peut scandaliser encore quelques boétiens attardés. Cette amusette, drôle au début, ensuite s’éternise et s’appesantit. Elle ressortit au genre du théâtre pour copains, celui qu’on fait entre soi, dans le grenier, les soirs de nouvel an précisément. Mais on éprouve quelque gêne aussi à voir les homosexuels, au théâtre comme à la ville, non seulement se complaire à leur propre dérision (que les bien-pensants charitables diront « émouvante » ou tragique) mais surtout se conformer à l’image que les autres se font d’eux : des monstres assez dérisoires. Ces minauderies sophistiquées, ces hanches tortillées, ces piaillements appliqués, assortis de la drogue, de l’hystérie et de l’infanticide – avec tout l’humour noir qu’on voudra, celui qu’on reconnaît volontiers à Copi – n’amusent que deux sortes de gens : les copains et les poujadistes. Cela fait, il est vrai, de nombreux Français. » (cf. l’article « La Tour de la Défense de Copi : La Cage aux folles version rive gauche » de Gilles Sandier, dans le journal Le Matin de Paris, publié le 26 novembre 1981) ; « Tu es toujours en train de prendre les choses à la légère, de te moquer tout le temps. » (André reprochant à son amant Laurent son inconstance, sa mollesse et son indifférence amoureuse, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « J’ai été mal dans ma peau jusqu’à l’âge de 20 ans. Je me trouvais moche, je ne plaisais pas. J’ai vite compris qu’il fallait que je séduise par autre chose que mon physique. J’avais l’humour caustique, un peu anglais. J’étais vieux à 20 ans et jeune à 40, l’âge où j’ai commencé à déboutonner mon corset. » (Stéphane Bern, Paris Match, août 2015) ; etc.

 

En ce qui concerne ma propre expérience et mon ressenti de l’ambiance qui règne dans les cercles relationnels LGBT (y compris ceux qui se disent « hors ‘milieu’ »), je dirais que globalement, j’ai rencontré quelques personnes homosexuelles individuellement/amicalement très drôles (voire hyper drôles), mais dès qu’elles étaient en couple homo ou qu’elles cherchaient à croire à ce dernier, elles devenaient pathétiques, compliquées, vulgaires et langues-de-pute. Parmi les humoristes qui se présentent ouvertement comme « homosexuels », je me rends compte que les rares qui arrivent vraiment à faire rire un large public sont ceux qui ont un minimum de recul sur leur désir homosexuel, qui en soulignent les ambiguïtés, et qui ne le justifient pas (c’est-à-dire très peu de gens, au final ! : Océane Rose-Marie, pour ne citer qu’elle, fait partie des rares exceptions). Dès qu’un humoriste tente de justifier d’une identité ou d’un amour homosexuel, son sens comique s’éteint à petit feu ou dégouline en naïveté guimauve, en vulgarité facile ou en militantisme gonflant.

 

Avec les « soirées pétasses » entre amis que j’ai vécues, notamment dans ma période étudiante angevine (en 2002-2003), je me suis bien amusé, je le reconnais. Mais au bout du compte, on n’abordait tellement pas de sujets profonds ni nos drames personnels (si on le faisait, c’était purement factuel, et dans la confidence adolescente de déboires sentimentaux non-analysés), on parlait tellement peu de nous-mêmes, on jouait tellement à se fuir dans la superficialité, que je crois qu’on ne se comprenait pas vraiment. Rares sont les fois où j’ai eu la chance de recevoir des conseils solides et avisés de la part de mes « potes » homosexuels pratiquants. Certes, avec eux, on a en commun ce sens du ridicule assumé, ce goût de la critique acérée, le plaisir de la fête. Et ça fait du bien, dans les cercles relationnels homos, de « se lâcher » sans complexe, de médire pour ne rien dire, de « s’éclater », de partager des goûts étonnamment communs, de devenir quelqu’un d’autre et d’enfiler le masque du carnaval de temps en temps. Mais sur la durée, du point de vue existentiel, de l’Amour, de la profondeur, de l’amitié profonde et solide, ou même de la foi, ça ne comble pas. Ça peut même foutre le cafard, car on se sent isolé, incompris, et en décalage, quand bien même on soit parfois entouré des bras de « son homme » et de la compagnie de nombreux amis gay friendly à l’humour familier (mais si peu chaleureux !).

 

Ça va vous paraître curieux, ce que je vais vous dire, mais ma référence d’humour aimant, c’est mon propre père. Mon papa, espagnol d’origine, il n’est pas bête du tout (puisque c’est un homme de Dieu), mais ce n’est pas un intello. Son humour n’est pas raffiné comme l’attendent certains individus bobos et pseudo « lettrés », qui ont la « beauf attitude » en horreur. Il a au contraire l’humour facile. Il adore les spectacles de clowns, et les chutes Vidéo Gags le font hurler de rire, c’est vous dire ! Il est bon public, mais uniquement à partir du moment où c’est facile à comprendre, ouvert à tous, où on ne se moque de personne, où tous les gens impliqués dans la blague ressortent vainqueurs. Sinon, il décroche, fait répéter les blagues parce que les calembours étaient trop privés, trop rapides ou trop cyniques. Et maintenant, quand je me retrouve seul dans un groupe d’amis et de connaissances où j’imagine que mon père serait humoristiquement largué, je me sens hyper mal à l’aise, en dépit de la qualité parfois objective des bons mots qui fusent entre les invités. Je vois mentalement comment mon père rirait ou ne rirait pas s’il était là. Et ça décide de ma état d’humeur/de rire en société. Pour rire de bon cœur, j’ai besoin qu’il y ait de l’amour universel, de la bienveillance, de l’ancrage dans le Réel… chose que je ne sens pas du tout dans les groupes relationnels homosexuels, ou dans la personnalité du sujet homosexuel pratiquant.

 

En réalité, le rire homosexuel semble plus mécanique que justifié par la liberté, l’intelligence humaine, la claire conscience de ce qui amuse. Par exemple, dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, l’écrivain Renaud Camus arbore un sourire très crispé. Et pour ma part, je vois rarement des personnes homosexuelles aimer rire de toutes leurs dents, de bon cœur.

 

Quand les individus homosexuels rient ou font rire, c’est en général lié au désir de se fuir soi-même, d’être un objet esthétique, de devenir robot, donc finalement au désir de mourir. Ils provoquent le fou rire, comme l’explique très bien Bergson qui a écrit sur les liens entre l’humour et le « devenir objet », parce qu’ils deviennent glaçants et irréels. Par exemple, lors de la représentation de la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le marionnettiste Jonathan Capdevielle est constamment pris d’hilarité nerveuse, censée passer pour spontanée, alors que ce qu’il raconte est absolument macabre et violent.

 

« Le Possédé. Comme tel, il souffre. Tout ce qui ne lui plaît pas le fait tellement saigner qu’il porte plainte ; mais il jouit encore tellement lorsqu’il porte plainte qu’il est incapable de se voir en train de porter plainte et de rire de lui-même. C’est ainsi qu’il est comique, d’un douloureux comique que plus personne n’ose nommer ainsi. C’est un comique de doléance, comme il y a un comique de répétition, et ce nouveau comique, absolument inconnu des anciennes littératures, est souvent très réussi. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 71)

 

Pendant leurs show d’imitations parodiques, certaines personnes homosexuelles arborent un sérieux et une attitude stoïque qui contrastent complètement avec leur intention d’amuser la galerie. « Le voging, c’est une façon d’être sérieux. » (Kassandra Ebony, le transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) Cela me marque particulièrement lors des play-back travestis (les garçons qui imitent par exemple les chorégraphies de Mylène Farmer montrent une application et un sérieux qui laissent songeurs, qui font sourire jaune : on a l’impression qu’ils rient intérieurement très peu), ou bien lors des « happening » osés des hommes transsexuels taillés comme des mannequins de haute couture pendant les Gay Pride et les soirées en boîtes (on les voit, perchés sur leurs hauts talons aiguilles d’échassier, rentrer dans des magasins, mettre une ambiance de folie… mais eux restent paradoxalement impassibles, concentrés à 100% dans leur rôle de duchesse hautaine décalée). Le masque de fer créé par l’inconscience et la haine de soi… ça me scotche toujours autant !

 

Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, lorsque la narratrice transgenre F to M se fait un pénis avec un préservatif qu’elle rembourre de coton (pénis artificiel surnommé « le paquet »), le public observe qu’elle ne plaisante pas tant que ça, en réalité.
 

Comme l’humour homosexuel n’est pas le fruit d’une vraie liberté mais d’une soumission aux images médiatiques déréalisantes, fatalement, il rend souvent mélancoliques les sujets homosexuels. Derrière l’humour et après la fête homosexuelle, il y a souvent le revers de médaille de la tristesse. « Copi dans la vie avait l’air triste. Comme beaucoup de grands comiques. » (cf. l’article « Mort de Copi » de M. N., dans le journal Le Figaro, publié le 15 décembre 1987) ; « En fait, je n’aime pas aller au Cargo [ancien nom d’un bar gay de la ville d’Angers]. L’ambiance festive me plait et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. » (cf. un extrait d’un mail qu’un ami homo de quarante ans m’a écrit en 2003)

 

Pour nier leur mal-être existentiel ou leurs souffrances, beaucoup de personnes homosexuelles usent de l’humour, ce dernier étant l’un des remparts humains les plus crédibles et les plus « innocents » qu’offrent les bonnes intentions. En effet, plutôt que de reconnaître simplement que « quelque chose ne va pas », elles préfèrent s’esclaffer de rire pour montrer à leur interlocuteur qu’elles ne sont pas aussi folles – ou qu’elles sont bien plus folles ! – qu’il ne le croit. Mais une blessure mal soignée ou ignorée risque toujours de se réveiller et de s’étendre au moment où l’on s’y attend le moins. Et là, l’humour a ses limites.

 

La menace de l’humour autocentré guette les personnes trop gays friendly ou pro-pratique homosexuelle (comme le montre la juste réprimande de Laurent Ruquier face aux Lascars Gays en 2013).

 
 

c) Le clown violé et souvent violent :

Je vous renvoie avec insistance à la partie « Jeu virant au drame » du code « Jeu » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La particularité de l’humour employé par un certain nombre de personnes homosexuelles, c’est qu’il n’est ni contrôlé ni libre, qu’il est souvent accidentel, et donc potentiellement emprisonnant et agressif. Par exemple, avec l’excentrique Pierre Loti, on passait de la bouffonnerie au goût très sérieux et obsessionnel de la reconstitution minutieuse d’ambiances atemporelles. De même, la folie travaillée et rigolote de Salvador Dalí était pourtant très « premier degré » et vénale. Et l’armée japonaise d’opérette de Yukio Mishima, que personne ne prenait au sérieux, s’est révélée finalement un délire violent et dramatique pour son fondateur.

 

L’humour surréaliste homosexuel, par définition, n’est pas maitrisé. Celui qui le pratique pense que non, car il programme le fait de ne pas programmer. Mais au final, cela revient au même : ce n’est pas parce qu’on met de la volonté dans le hasard, de la conscience dans la pitrerie accidentelle, qu’on y met pour autant de la liberté et de la qualité. Ce n’est pas un hasard si le « troisième degré », dans le registre humoristique, n’existe pas, et équivaut, même si ça ne fait pas plaisir à celui qui le revendique, à un « premier degré ».

 

Par exemple, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, l’homosexualité, en tant qu’identité et qu’acte, est déproblématisée, montrée comme touchante, exotique, rigolote, sensible : ce n’est pas du tout ça dans la réalité. Il n’y a quasiment aucune interprétation ou dénonciation de la violence ou de la souffrance des personnages. C’est du « Amélie Poulain » à la sauce gay, sans la moindre remise en cause du mode de vie homo. Gallienne ne dénonce pas grand-chose : il dit « Chacun son parcours : voici le mien. » Il n’est pas allé bien loin : il s’est défaussé. Rien n’est dramatisé (isolement amical, calvaire au collège et à l’armée, tentative de suicide, dictature incestueuse maternelle, tentative de meurtre par le frère, plan cul qui se finit en « touze » et en viol, désenchantement amoureux, crise de la personnalité, absence paternelle, cure psychanalytique, etc.) alors que ce qui est raconté est objectivement grave. Ce film ne joue pas son rôle. Il lisse et police tout dans la sensiblerie éthérée et dans l’auto-mise en scène parodique. L’homosexualité et l’hétérosexualité sont totalement banalisées. Cela rend ce film, qui à bien des égards pourrait paraître touchant, pathétique.

 

Les personnes homosexuelles se prennent bien plus au sérieux qu’elles ne le pensent. Dans toute blague humaine, il y a toujours un fond de vérité… et les communautaires interlopes ne dérogent pas à cette règle ! Par exemple, les acteurs soi-disant « hétéros » qui ont joué le temps d’un film le « délire travesti », ou un rôle homosexuel, sont souvent très sérieusement homosexuels dans la vraie vie (je pense notamment à John Travolta, à Emmanuel Moire, à Greta Garbo). Plus le délire comique d’un individu homosexuel s’éternise ou se systématise, plus il s’actualise, ou bien indique en général un drame, un profond mal-être existentiel.

 

 

Il y a sous une forme de dérision l’expression d’un sentiment de vivre dans un monde dérisoire, un sentiment de vacuité : « Le monde entier amusait Copi, le langage l’amusait, sa propre manière de l’estropier en français ou en italien, tout comme les accents divers de ses amis de langue espagnole. » (cf. l’article « Le Petit Sommeil », préface de Giovanni Gandini, dans le recueil d’illustrations Un Livre blanc (2002) de Copi, p. 10)

 

Le pathétisme de l’humour du sujet homosexuel dit souvent une grande souffrance existentielle : « Une parodie est toujours une manière de se moquer, mais d’affirmer en même temps que quelque chose est sérieux. » (Michel Balmont); « La tragédie parfois revient, mais comme farce. » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 85) ; « Bizarre ? Vous avez dit bizarre ? Le jeu, toujours désarçonnant, relève ici de la provocation surréaliste. Une sorte de facétie pirandellienne (l’acteur à la recherche d’une identité) en forme de clownerie onirique. Telle est la nature de Copi, et son humour : bariolé et dérangeant. Avec, au cœur, une angoisse d’enfant perdu. Une gentillesse portée sur la mort et l’érotisme, Eros et Thanatos, étroitement liés. » (cf. l’article « La Nuit de Madame Lucienne : Exercices de style » de Pierre Marcabru, publié dans le journal Le Figaro, le 23 mars 1986)

 

Par exemple, dans le documentaire Et ta sœur ! (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, on voit bien que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence occupe un double rôle de clowns et de pleureuses. De même, dans l’article « Copi, blagueur et douloureux » de Pierre Marcabru sur le journal Le Figaro daté du 27 octobre 2001, le dramaturge argentin Copi est défini comme un « humoriste désespéré ». Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn et Jup, les deux amis travestis, singent des rires sardoniques démoniaques ininterrompus.

 

Faites un tour sur les sites de rencontres homos sur Internet, et vous verrez combien l’humour y est soit absent, soit pesant et complètement sclérosé par la drague ou la légèreté des ambitions. Tant qu’il n’y a pas de recherche de Vérité, de reconnaissance de ses propres souffrances, ni le minimum de gratuité de l’amitié désintéressée, difficile de tomber sur des gens drôles et simples à la fois. Je vous mets au défi de m’en trouver !

 

Je me méfie de l’hilarité ou du côté « pince-sans-rire » du masque du clown homosexuel. Et je ne suis pas le seul ! « Cocteau souffrait énormément, et déguisait cette souffrance sous les calembours. » (Pierre Bergé cité dans l’article « Cocteau est aujourd’hui le plus moderne » de Gérard de Cortanze, sur le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 39) ; « Le plus difficile pour moi était d’avoir à côtoyer toute la journée de vrais travestis. Ces garçons étaient très gentils, touchants, sensibles et généreux. Ils arrivaient le matin, après avoir joué leur spectacle la nuit dans un cabaret, ils étaient blêmes, le cheveu triste, pas maquillés. Je les entendais parler entre eux de leurs problèmes quotidiens, de leurs amants, de leurs menus tracas, on sentait en eux un désespoir, un malaise permanents. Ils semblaient vraiment seuls, abandonnés. Et, malgré toute leur gentillesse et leurs attentions, je me sentais sur une autre planète, je ne parvenais pas à être à l’aise. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 391) ; « En vieillissant, ils deviennent effrayants, leurs tics se multiplient, leurs rides se creusent : ce qui hier encore, faisait rire, avec les ans, donne la nausée. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 39) ; « Ces gens sont douloureux ; ils portent une part de l’humaine souffrance. » (cf. l’article « La Tour de la Défense de Copi : La Cage aux folles version rive gauche » de Gilles Sandier, dans le journal Le Matin de Paris, publié le 26 novembre 1981)

 

Le rire homosexuel cache parfois le fantasme de viol/de mort. « Dieu t’a déjà punie, tu as un cancer. » (une des trois tantes d’Alfredo Arias dans l’autobiographie de ce dernier, Folies-Fantômes (1997), p. 148) ; « Ce génie pour la découverte de formes absurdes, tragi-comiques de l’art théâtral fonctionnait comme une sorte de baume qui cicatrisait les blessures causées par ces rencontres violentes. » (Alfredo Arias parlant de son ami Copi, idem, p. 16) ; etc. Par exemple, le romancier Jean-Louis Bory, le clown affable et taquin qui amusait constamment la galerie à l’émission radiophonique du Masque et la Plume, a fini par se suicider. Je pense aussi aux nombreux rôles mélodramatiques choisis par l’humoriste lesbienne Muriel Robin. Dans le registre musical cette fois, Bola de Nieves, ou bien encore Charles Trénet, sont décrits comme des « hommes tristes qui chantaient joyeux » (par exemple, la chanson entraînante « Je chante » de Charles Trénet évoque le suicide). Je retrouve ce visage de clown riant despotique chez le présentateur télé Laurent Ruquier. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Bambi, le fameux artiste transsexuel M to F, raconte avec un visage toujours souriant et un humour ravageur les drames pourtant nombreux de son existence.

 

Généralement, le rire utilisé dans la communauté homo agit comme un paravent du viol, de l’inceste, de la haine de soi, de la mort ou de la vieillesse : « J’ai cru que c’était une blague, une espèce de farce. Un épouvantail. » (le cycliste qui a découvert le corps inanimé de Matthew Shepard, battu à mort, dans la docu-pièce Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman) ; « Quand j’ai commencé ce travail, je pensais que Wilde était un écrivain amusant, mais à présent je sais que ce n’est pas le cas. Tous ses personnages vivent dans la terreur d’être découverts. » (Neil Bartlett, Who Was That Man ? A Present For Mr Oscar Wilde, 1993)

 

Comme l’individu homosexuel ne veut pas regarder sa réalité souffrante en face, ni la douleur de ceux qui l’entourent, il lui arrive de se servir de l’humour comme d’un système de censure redoutable, d’un poignard, d’un instrument de viol, pour se venger de ceux qui ont osé identifier sa blessure ou ses actes mauvais : « L’humour est l’arme de la folle camp. » (Esther Newton citée dans l’essai Folles de France (2008) de Jean-Yves Le Talec, p. 255) ; « C’était un gentil […]. Un cœur, Copi. Un amour d’être humain, tendre et insolent, généreux et féroce, sarcastique et désespéré… » (cf. l’article « Copi, à jamais pas conforme » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Quotidien de Paris publié le 15 décembre 1987) ; « Ma grand-mère, un bon écrivain de théâtre, riait comme une folle quand je lui lisais mes pièces. Elle voyait en son petit-fils une méchanceté qui lui était propre […] une certaine méchanceté pour critiquer les autres. […] J’avais 16 ans quand elle est venue voir ma première pièce représentée, avec les meilleures comédiens argentins. Une des vieilles comédiennes avait été sa maîtresse. » (le dramaturge argentin Copi, cité dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, sur le journal Libération du 15 décembre 1987)

 

Avec les « humoristes » bobos homosexuels, on peut passer de la blague et du sourire doucereux à l’agression, en une fraction de seconde. Par exemple, en 1979 à San Francisco (États-Unis), un groupe de comédiens et d’activistes, baptisé les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, a eu l’idée de se déguiser en religieuses et de défiler dans les quartiers gay de la ville en faisant des pitreries… mais leur comédie « humoristique », matinée de prévention et de solidarité, louvoie presque systématiquement avec la vulgarité, le blasphème, la provocation, l’agressivité et le totalitarisme intellectuel.

 

La force comique que l’individu homosexuel met en place n’est généralement ni sociale ni véritablement conviviale. C’est plutôt un humour personnel, autistique, caustique, narcissique, fait de private jokes seulement compréhensibles à une minorité de cyniques comme lui. Un humour qui n’exorcise rien, en dépit du fait qu’il soit noir et qu’il parle ouvertement de souffrance, de mort, de sexe, de maladie. « Son humour n’unit pas, il divise. » (cf. l’article « Copi, blagueur et douloureux » de Pierre Marcabru, dans le journal Le Figaro, le 27 octobre 2001) ; « J’ironise un peu sur tout. » (le dramaturge Jean-Luc Lagarce dans son Journal, 1992) ; « un sourire au coin des lèvres aussi chargé d’amitié que d’ironie » (Jorge Lavelli décrivant le dramaturge Copi, dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 29) ; « Quand on est très loin, on imite, on prend les influences sans problème. Plus tard, que reste-t-il de tout cela ? Rien. Sinon une certaine méchanceté pour critiquer les autres. » (Copi parlant de lui-même dans l’article « Copi : Le Théâtre exaltant » (1983) de Michel Cressole, p. 53)

 

Par exemple, lors de sa conférence du 18 novembre 2010 « Différences et médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, le dandy-romancier Christophe Bigot parle de « sauver la médisance » : « Il y a du brillant dans le père siffleur. » dira-t-il ; « J’ai pas mal de tendresse pour Amande, le personnage de la garce dans L’Hystéricon. » ; « J’aime l’humour british. » D’ailleurs, Les Médisances a failli être le titre du roman.

 

Brigitte et Josiane (Benoît Dubois & Thomas Vitiello : les Mauvaiiises)

 

Même entre amants homosexuels, on observe beaucoup d’humour vache et narquois, basé sur l’humiliation mutuelle et les petits « pics » gratuits, enfermants, désagréables : « Notre art est fondé sur l’humiliation en public. Nous nous traitons de merdes ou de salauds. » (Gilbert et son amant George, cités dans l’article « Gilbert and George » d’Élisabeth Lebovici, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Par exemple, dans le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober, André Gide décrit Pierre Louÿs comme un « mauvais farceur ».

 

La méchanceté homosexuelle soi-disant « humoristique » (« J’rigole… Je te taquine… Qui aime bien châtie bien… ») dépasse le cadre du couple et s’élargit bien sûr à la sphère « amicale » et sociale. Tuer son opposant/amant par un jeu de mots bien senti est, aux yeux de beaucoup de personnes homosexuelles, un art de séduction fabuleux, une occasion d’auto-satisfaction parfaite ! Par exemple, dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé est exposée la suffisance « cassante » du précieux homosexuel qui fait rire jaune. Dans l’article « Le Style Camp » de son essai L’Œuvre parle (1968), Susan Sontag dépeint très bien « l’esthétisme mêlé d’ironie des homosexuels » (p. 447). Ce n’est pas par hasard si cette essayiste associe l’humour camp à l’autosatisfaction (cf. l’article « Notes On Camp » (1964) de Susan Sontag, dans l’essai A Susan Sontag Reader (1982), pp. 105-119).

 

Les individus homosexuels sont connus pour manier l’humour comme ils donneraient des coups de griffes ou viseraient leur victime au revolver à bout portant. Par exemple, lors de l’émission radiophonique Homo Micro du 3 avril 2006, sur Radio Paris Plurielle, le lesbianisme n’est pas associé à l’humour : bien au contraire, à en croire les quatre intervenantes lesbiennes sur le plateau, « une lesbienne, ça ne rigole pas ». Attention ! Pas touche !

 

À la surprise générale, certaines personnes homosexuelles, prêtes en toute circonstance à se moquer de tout et de tout le monde (sauf d’elles-mêmes !), ne rient pas du tout, même quand elles semblent proposer quelque chose d’objectivement farfelu et de comique. « Il ne s’est jamais regardé lui-même avec humour. » (Francisco García Lorca en parlant de son frère homosexuel Federico, dans sa biographie Federico Y Su Mundo (1980), p. 159) ; « Je ne suis plus capable de supporter les éternelles blagues sur les tapettes qu’on entend dans les émissions de variétés. Ça devient insupportable d’entendre ça. » (un témoin homosexuel cité dans l’essai Mort ou fif (2001) de Michel Dorais, p. 78) ; « Le problème n’est pas que l’on fasse des blagues sur l’homosexualité (peu de phénomènes sociaux y échappent et l’humour n’a rien de négatif en lui-même, au contraire !), mais que l’on entende que cela, ou presque, à propos d’homosexualité sur les ondes publiques et aux heures de grande écoute, accentuant la gêne, la honte, voire la haine de soi chez les jeunes (comme chez les moins jeunes) qui ont des attirances homosexuelles. Plus encore : cela conforte et attise le sexisme, l’efféminophobie et l’homophobie. La violence tournée contre soi – dont le suicide – ou contre les autres – les actes homophobes – en est, hélas, le résultat direct ou indirect. Enfin, les médias ne pourraient-ils pas faire un effort pour contribuer à l’acceptation de ces jeunes en montrant davantage de personnages positifs et réalistes de jeune vivant l’homosexualité ou la bisexualité ? » (Michel Dorais, op. cit., pp. 106-107) Plus susceptibles qu’elles ne le montrent, elles se servent parfois du prétexte de l’humour pour violer (verbalement) à leur tour ceux qui les ont/les auraient agressées, à commencer par leurs jumeaux d’orientation sexuelle (c’est ce qu’on pourrait appeler « la force comique du viol », comme dans la chanson enfantine française qui termine par « Le fromage est battu, le fromage est battu… ») : « La réalité de la bastonnade est loin de nuire à la force comique. La comédie, tout aussi bien que la tragédie, exige un bouc émissaire, quelqu’un qui sera rossé, mis au banc de l’ordre social. » (cf. l’article « Les Happenings : Art des confrontations radicales » dans l’essai L’Œuvre parle (1968) de Susan Sontag, p. 419) ; « La clandestinité a produit les traits les plus saillants de la culture homosexuelle : le langage et l’humour. Le dictionnaire de l’argot homosexuel établi aux États-Unis donne des centaines d’exemples d’un vocabulaire plein de nuances sur l’amour, la drague, mais aussi la timidité, l’angoisse et son revers, le cynisme agressif. L’usage des prénoms féminins et d’adjectifs et de diminutifs ‘prétentieux’ exprime souvent à la fois le jeu de cache-cache social et l’ironie que beaucoup d’homosexuels cultivent dans leur présentation de soi. L’image de la ‘folle perdue’ que les hétérosexuels se font de l’homosexualité et la réalité du style de certains homosexuels réunit tous les éléments des préjugés anti-homosexuels et de l’humour du milieu. La ‘folle perdue’, cette image diffusée dans nombres nombre de blagues et de pièces de boulevard, est le cas limite de l’homosexuel qui a accepté de tout faire pour correspondre à la caricature que ceux qui l’oppriment se font de lui. » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 194) Il y a dans l’autoparodie homosexuelle une homophobie intériorisée… et parfois celle-ci s’extériorise.

 

Selon certains critiques, l’humour homosexuel serait d’autant plus bon et désopilant qu’il est violent. Par exemple, l’humour décalé et agressif du dramaturge argentin Copi est applaudi d’être « molto divertente e crudele » (cf. l’article René de Ceccatty, « Copi, c’est autre chose ! », dans l’ouvrage collectif Il Teatro Inopportuno Di Copi (2008) de Stefano Casi, p. 22) ; « E tutto questo costituisce un mondo comico, violento» (cf. l’article « Copi, c’est autre chose ! » de René de Ceccatty, dans l’essai Il Teatro Inopportuno Di Copi (2008) de Stefano Casi, p. 19) ; « On a perdu aujourd’hui pareille insolence, pareil esprit libertaire. » (cf. l’article « Copi : Le Visionnaire » de Fabienne Pascaud, dans le journal Télérama, n°2882, le 6 avril 2005, p. 68) cf. l’article « Humour horrifiant » de Pierre Marcabru, dans le journal Le Figaro le 31 octobre 1981, par rapport à la pièce La Tour de la Défense (1974).

 

À en croire la majorité des personnes homosexuelles, l’humour noir ou affreux (dit « gay, kitsch & camp ») serait le fin du fin du sens de l’humour et du « bon goût », il « exploserait joyeusement la normalité » (Jean-Michel Rabeux par rapport à l’œuvre de Copi, cité dans l’article « Copi conforme » de Fabienne Arvers, sur le journal Les Inrockuptibles, publié le 29 janvier 2002) : « Copi n’hésite pas à nous faire éclater de rire avec la plus terrible des situations. » (Guy Hocquenghem à propos du dramaturge Copi, dans l’édition 1988 de la pièce Une Visite inopportune) ; « L’humour selon Copi, c’est de l’esprit, mais pas au sens méchant du salonard, l’esprit comme hasard, et comme faux pas volontaire. L’esprit, non de l’homme spirituel, mais de la cruauté comique. » (idem) ; « Ce goût de la provocation joyeuse. » (cf. l’article « Copi, à jamais pas conforme » d’Armelle Héliot, dans le journal Le Quotidien de Paris publié le 15 décembre 1987) ; « On rit, on ne peut s’interdire de rire en parlant de Copi, parce que, par-delà la tragédie et la mort terrible, on le revoit lui, si gentil, si facétieux, si joyeusement provocateur. » (cf. l’article « Copi : toujours souffrir, toujours mourir, et toujours rire ! » d’Armelle Héliot, dans le Quotidien de Paris, publié le 16 février 1988) ; etc.

 

Ce qui est éthiquement gênant dans ce schéma de pensée, c’est qu’on nous fait croire qu’humour et férocité vont forcément de pair, que la violence est « vraie » et se justifierait à partir du moment où elle est jugée « drôlissime et drolatique ». En gros, le moyen justifierait la fin.

 

De fil en aiguille, il n’est pas rare que l’« humour » des personnes homosexuelles se radicalise quelquefois en menace, en système politico-économique dictatorial, sous couvert paradoxalement de lutte « anti-fasciste » et de légèreté comique vengeresse. Par exemple, quand je regarde les émissions télé de celui que j’appellerais le « bouffon rieur et tyrannique » (à savoir l’animateur homosexuel Laurent Ruquier), émissions fondées principalement sur le calembour et le lynchage des invités sur le plateau, je me dis que l’excuse du rire a très bon dos, et que ceux qu’on nous présente aujourd’hui comme des « humoristes » (même les non-homosexuels, les « friendly » : Gérald Dahan et autres Sofia Aram) sont pire que des dictateurs identifiés comme tels, car eux, ils nous tuent avec le sourire et en se lavant les mains. Le masque de l’humoriste homosexuel cache bien souvent le visage du tyran aux méthodes pas drôles du tout, et aux méthodes très peu démocratiques ! « Oui, oui. On est mal-baisés !’ Oui. On avait un humour époustouflant ! À partir de ce moment-là, j’étais persuadée que tout le monde était homosexuel. » (une témoin lesbienne de 70 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz)

 

 

La violence de l’humour – ou, en l’occurrence du manque d’humour et de recul – de certains communautaires homosexuels fait parfois froid dans le dos… Ce n’est pas toujours grave, heureusement. Mais c’est au moins hallucinant. Par exemple, lors de l’avant-première de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco au Théâtre Clavel de Paris, en février 2012, un des spectateurs, à l’issue du spectacle, s’en est pris physiquement à l’acteur qui jouait le rôle du père homophobe d’Édouard, le héros homosexuel. On voit à travers cet accrochage que certains individus sont tellement en souffrance, et formatés à aboyer dès qu’ils entendent le mot « homophobie », qu’ils perdent tout humour et tout ancrage dans le Réel.

 

Aussi étrange que cela puisse paraître, il existe bien, malheureusement, une jouissance à détruire, une forme d’hilarité instinctive dans la vengeance. Il y a fort à parier que des Caroline Fourest sont sincères et se croient drôles (en même temps que subversives) quand elles lancent les Femen « casser du cathos-fachos ».

 

C'était juste pour rigoler... (dixit Caroline Fourest) Pas d'humour, les intégriste...

C’était juste pour rigoler… (dixit Caroline Fourest et ses Femen) Pas de second degré, ces intégristes…

 

En France, dans beaucoup de pièces de théâtre actuelles, nées du contexte national clivant du « mariage pour tous », on voit de plus en plus se développer un humour vengeur et capricieux, où leurs auteurs homos ou/et gays friendly à la fois caricaturent les opposants aux lois étant passées au nom « des homos », mais paradoxalement aussi massacrent ces mêmes lois comme les cadeaux empoisonnés qu’elles sont réellement et qu’ils n’ont jamais véritablement voulues parce qu’elles se calquent exactement sur les diktats de l’homosexuellement et de l’hétérosexuellement correct : je pense par exemple aux pièces-mauvaise-foi telles que Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, Mâle matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, En ballotage (2013) de Benoît Masocco, etc. Ces pièces, « collant » soi-disant à l’actualité, se voulant corrosives ou pied-de-nez à la Manif Pour Tous (alors qu’elles ne sont que le fruit de projections haineuses un peu à côté de la plaque), ressemblent à une auto-punition d’avoir été aussi égoïstes, bobos-homos-consensuels dans l’anti-conformisme. L’humour qu’ils s’y développent (et qui ne fait rire que la bourgeoise bobo du premier rang s’auto-persuadant que son enthousiasme « jubilatoire » est « politique ») n’est que cynisme et bas règlement de comptes. Même les spectateurs qui devraient en rire restent stoïques. Car la vengeance déguisé en humour glacerait même nos meilleurs amis.
 
 

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Code n°164 – Substitut d’identité (sous-codes : Play-back / Imitateur / Travestissement)

substitut d'identité

Substitut d’identité

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Faut m’aimer à ma place et m’attendre au tournant. »

(cf. la chanson « J’ai pas 20 ans » d’Alizée)

 

Dragqueen

Dragqueen


 

Quand on ne s’aime pas un minimum soi-même, qu’on reporte l’amour qu’on se doit en cherchant à être quelqu’un d’autre ou à se mettre en couple avec un semblable sexué qui comblera partiellement cette haine de soi, comment en toute logique prétendre aimer ensuite l’autre tel qu’il est vraiment ? C’est la première question qu’on devrait se poser au sujet des « couples » homosexuels et des personnes homosexuelles – qui ont beaucoup de retard par rapport à l’acceptation d’elles-mêmes, non pas en tant que personnes homosexuelles mais en tant que personnes aimantes et aimables.

 

Leanne Payne, intellectuelle lesbienne nord-américaine, a tout à fait raison de dire que dans l’homosexualité, il y a une forme de jalousie, de complexe et de peur qui s’exprime : on recherche chez les semblables sexués ce dont on croit manquer.
 

Dans les fictions homo-érotiques, on constate que bon nombre de personnages homosexuels (mais aussi de personnes homosexuelles réelles) expriment leur désir de devenir quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes, pour échapper aux contingences humaines et à l’horizon d’une vie qui promet d’être banale. Ils désirent, par leurs attitudes et leur mode de vie, être riches/pauvres, être une femme (quand ils sont nés hommes) ou homme (quand elles sont nés femmes), être beaux, être célèbres, être objet, être éternellement jeunes, vivre à une autre époque, nier leur unicité et la souffrance inhérente à leur condition humaine. Cette fuite et haine de soi sont rarement étudiées dans l’étiologie de l’homosexualité : pourtant, elles sont frappantes, évidentes, et suffiraient à ébranler la « certitude » qu’a la société par rapport à l’identité homo, et même par rapport à la fiabilité du désir homo.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Fusion », « Maquillage », « Extase », « « Je suis différent ! » », « Amant narcissique », « Bergère », « Jumeaux », « Pygmalion », « Voleurs », « Fan de feuilletons », « Moitié », « Amour ambigu du pauvre », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Musique comme instrument de torture », « Inversion », « Clown blanc et Masques », « Cannibalisme », à la partie « Autocensure anti-identitaire » du code « Déni », et à la partie « Automates » du code « Poupées », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Photo I Wanna Rob A Bank de Jason Collett

Photo I Wanna Rob A Bank de Jason Collett


 

On n’en parle très peu aujourd’hui. Et pourtant, cela saute aux yeux dès qu’on s’arrête pour rencontrer un peu les personnes concernées. Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un garçon, une fille, un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet cité dans l’essai Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99) L’omniprésence des play-back dans les œuvres homosexuelles illustre bien la volonté de substitution fusionnelle à l’amant. L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » (Olivier, 37 ans, parlant de la découverte de son homosexualité, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) Ce dernier, plus apprécié par son aspect physique que pour ses qualités intérieures, est censé les conforter dans la très haute et la très basse image qu’elles ont d’elles-mêmes ; en un mot, les aimer à leur place (c. f. la chanson « J’ai pas 20 ans ! » d’Alizée). Mais avec le temps, elles finissent par lui reprocher d’obéir sans broncher à leur orgueilleuse demande, de leur mentir et de les entretenir dans un rêve illusoire. Car personne ne peut faire à notre place ce travail d’amour de nous-mêmes, ni s’imprimer en nous telle une presse, ni même nous figer en image contagieuse.

 

« Tu m’as aimée pour mon image, mais m’aimeras-tu pour ce que je suis ? » Voilà la question fondamentale de Cendrillon que beaucoup de personnes homosexuelles rêveraient de poser à leur amant, mais qu’elles ne lui soumettent que très rarement car elles connaissent déjà la triste réponse : elles lui demandent de leur révéler leurs propres richesses, parce qu’elles/il doute(nt) trop d’elles. Cette conception de l’amour qui fait dépendre l’amour de soi principalement de l’amant ne traduit pas la confiance mais au contraire une démission mutuelle. À bien y réfléchir, nous pouvons nous demander comment il peut y avoir un amour juste entre deux personnes qui se désirent à ce point hors d’elles-mêmes, qui ont fondé leur union sur la déception de soi et la substitution réifiante. « Ennemi de soi-même, comment aimer les autres ? » chante Étienne Daho dans sa chanson « Retour à toi ». Il semble qu’il faut déjà s’aimer un minimum soi-même pour pouvoir aimer l’autre tel qu’il est et pour lui demander de nous aimer tels que nous sommes. Et dans la majorité des couples homosexuels, il est clair que les questions sur l’estime de soi n’ont généralement pas été réglées. Ces dernières restent souvent noyées pour un temps par l’adoration. Il est fréquent de voir que beaucoup de personnes homosexuelles remplacent dans leur discours le verbe « aimer » par celui d’« adorer » dès qu’elles parlent de leur(s) amant(s). Malheureusement, l’amour-idolâtrie, l’autre nom de l’amour homosexuel, n’équivaut pas exactement à l’amour. Il est plutôt un désir de fusion-rupture à l’objet de désir. L’admiration permet l’émerveillement et le respect de l’être aimé dans la juste distance. En revanche, l’adoration n’inclut pas une reconnaissance de la Réalité. Elle se traduit par une captation des yeux et un désir inconscient d’agression, de possession. Le regard idolâtre ne respecte pas l’être aimé : il dévore ce qu’il veut sincèrement honorer. Parfois, dans la réalité concrète, certaines personnes homosexuelles regardent leur amant sans le voir, c’est-à-dire sans le reconnaître dans son individualité et ses limites, et sans lui laisser sa liberté. Quand bien même elles vivent avec lui au jour le jour, elles passent à côté de lui. Elles pourraient dire, comme le protagoniste du roman Temps voulu (1979) d’Yves Navarre : « Je l’ai aimé. […] Et je l’aime encore. Mais l’ai-je vraiment connu ? » (Yves Navarre, Le Temps voulu (1979), p. 8) Pour illustrer ce curieux aveuglement, Jean Cocteau se filme en portant des yeux postiches pour exprimer, selon ses propres termes, qu’il « regarde Jean Marais sans le voir » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky).

 

L’adoration n’est pas l’amour : elle est un versant de la haine. Il ne suffit pas de haïr oralement quelque chose pour en être détaché, ni de se faire à deux une déclaration d’amour fou pour vivre à l’abri des désirs de destruction de l’objet de désir. La fascination a quelque chose à voir avec la haine : nous détestons, et secrètement nous envions. Le nœud du fanatisme qui unit la haine à l’adoration est la déception : rien de pire qu’un fan déçu qui présente la jalousie sous les traits de l’amour, avant parfois de la laisser agir avec une violence inouïe. Je crois que l’amour homosexuel est un subtil mélange d’amour vrai et de fanatisme. Il a le parfum de la vénération inconditionnelle que le fan porte à sa vedette. Celle-ci sait pertinemment que le jour où elle ne lui proposera rien de nouveau et qu’elle apparaîtra sans maquillage dans la rue, il ne la reconnaîtra pas et ne se battra pas pour la repêcher. Elle a conscience de l’amour-pacotille dont elle est aimée. Le fan homosexuel a aussi compris cela, et souffre à la place de sa star de l’amour éphémère qu’il lui porte. L’idole lui annonce leur médiocrité mutuelle. L’idolâtrie est un amour désespéré et haineux entre deux victimes qui jouent constamment à s’échanger les rôles de victimes et de tyrans jusqu’à ce que destruction et engloutissement (fantasmé et parfois réel) s’en suivent.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le personnage homosexuel cherche à changer d’identité et à usurper celle d’un autre :

L’usurpation d’identité (en amour notamment) est un sujet omniprésent dans les œuvres de fiction homosexuelles : cf. le chanson « Sois-moi – Be me » de Mylène Farmer, la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry, le film « Dans la peau de John Malkovich » (1999) de Spike Jonze, le film « Seconde Peau » (1999) de Gerardo Vera, le film « Persona » (1966) d’Ingmar Bergman, le roman Si j’étais vous… (1947) de Julien Green (racontant l’histoire d’un homme se mettant successivement dans la peau de différentes personnes), le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, la chanson « Mourir comme lui » du Teenager du spectacle musical La Légende de Jimmy (1990) de Michel Berger, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (traitant de l’usurpation d’identité opérée par un fan incontrôlable), le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen (où le transfert identitaire se fait grâce à un ordinateur), la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa, le film « Si j’étais star » (2003) de Patrick Mimouni, le film « Quand je serai star » (2004) de Patrick Mimouni, « I Was A Male Yvonne De Carlo » (1970) de Jack Smith, le film « Man To Man » (1992) de John Maybury, la chanson « Optimiste » de Stéphane Corbin, la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec Cyrano se faisant passer pour Christian auprès de la belle Roxane), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (avec l’identification autoparodique des fans de David Bowie à leur idole), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec une mère qui, pour surmonter la mort de son fils décédé dans un accident de voiture, tombe amoureuse de l’assassin de ce dernier), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks (sur le transfert d’identités), etc. Par exemple, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, Jean-Louis va chez le psy à la place de son ami(e) transgenre M to F Jessica (initialement Jean-Charles), et ce dernier fait passer Jean-Louis pour lui vis-à-vis de son propre père. Dans l’épisode 6 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn Adam, le héros homo, fait croire que c’est lui le gagnant du concours de dissertation du lycée, alors que c’est Maeve qui a rédigé son devoir à sa place. Il est plagiaire.

 

Souvent, le héros homosexuel exprime son désir d’être quelqu’un d’autre que lui-même, car il ne s’accepte pas tel qu’il est : « J’ai toujours voulu être quelqu’un d’autre. » (Rabii dans le film « Adieu Forain » (1998) de Daoud Aoulad-Syad) ; « J’aimerais bien échanger ma vie avec un autre. » (Luc s’adressant à Bruno, dans le film « Corps inflammables » (1995) de Jacques Maillot) ; « Je voudrais être n’importe qui excepté moi. » (Frankie dans le roman Frankie Addams(1946) de Carson McCullers) ; « Pourquoi suis-je moi et pas toi ? » (le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « J’aime qu’on m’aime pour ce que je ne suis pas. » (David Forgit, le comédien travesti M to F, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Tu me croirais si je te disais que j’aimerais bien être à ta place ? » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Les races n’existent pas. Y’a l’espèce humaine. C’est tout. L’autre, c’est moi. Moi ailleurs, à un autre moment. Mon pays, c’est toi. Mon amour. » (Pierre Fatus, le Blanc qui se prend pour un Noir, dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Arrête de faire semblant d’être ce que tu n’es pas. » (Ninon, la lesbienne, s’adressant à Guen le héros homosexuel, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; « Je n’ai jamais été comme toi. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse dont elle découvre le corps nu pour la première fois, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Oui, vous n’êtes pas à ma place. » (Vera l’héroïne lesbienne s’adressant à Nina, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc.

 

Le désir de changer d’identité naît d’abord de l’identification excessive du personnage homosexuel à ses héros de papier, ses stars de cinéma ou de magazine. « J’aurais adoré être elle. » (Marilyn Lenorman en parlant de son idole Marilyn Monroe, dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « James Bond, sors de ce corps ! » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Mourir comme lui, je voudrais mourir comme lui, avant d’avoir gâché ma vie à trop vouloir vivre comme lui. » (cf. la chanson « Mourir comme lui » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Je rêvais de prendre la place de l’un d’eux. » (Kevin, le héros homosexuel regardant un couple homosexuel faire l’amour sur une plage, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Après tout, si ça plaît à l’héroïne, ça devrait lui plaire aussi à elle. » (Perrine, cherchant à imiter en vain son idole Amélie Poulain, dans le film « Le Fabuleux Destin de Perrine Martin » (2002) d’Olivier Ciappa) ; « S’ils tombent, pensais-je, je meurs avec eux. » (Roger en regardant des trapézistes, dans le roman L’Autre (1971) de Julien Green, p. 20) ; « On se met à la place de Meryl Streep. Eh oui ! Encore elle ! » (Matthieu, l’un des héros homos se programmant une soirée ciné avec son « chéri », dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Et là, je me voyais courir dans les champs, cheveux au vent, comme dans la Petite Maison dans la prairie, avec la petite fille qui se cassait la gueule. » (Fabien Tucci, homosexuel, s’identifiant à Laura Ingals, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « J’ai l’impression d’être Beyoncé au Stade de France. » (Fred, le trans M to F, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc. Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Hugo, le héros gay, s’identifie aux personnages du roman Les Hauts du Hurlevent. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane rêve d’être acteur, de devenir comme Madonna. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt joue la « princesse », sa Beyoncé ; et il décrit le supposé délire homosexuel de son collègue Jenko : « Il se prend pour Harvey Milk. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca passe son temps à se prendre pour Rihanna, Dalida, Brigitte Bardot, Alizée, Céline Dion : « T’as des cheveux, tu te prends pour Beyoncé. »

 

Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées déguisées chez lui. La dernière qu’il a faite, c’était « dessins animés de notre enfance » (il était déguisé en Princesse Sarah). Il aime aussi se farder en Lady Gaga. Et il cherche ensuite à s’identifier aux personnes de son entourage qui correspondent « le moins mal » à la femme-pbjet (par exemple, il s’adressera à Mme Bioray, la bourgeoise de l’histoire, en ces termes : « Quand je serai vieux, j’aimerais tellement être comme vous ! »). Dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa dit qu’elle est le sosie black de Marilyn Monroe. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, rêve que par le voyage dans un pays imaginaire que personne ne connaîtrait sauf lui, « il pourrait s’inventer sa propre personnalité ». Dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, arrive travesti en Mylène.

 

Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, s’identifie à un homme, Dick, sur le point de se marier avec une femme. La première fois qu’il l’observe sur la plage, avec des jumelles, il laisse échapper sa schizophrénie : « C’est mon visage. », tout en apprenant l’italien avec une méthode assimile. Tom imite en tous points Dick, au point de s’habiller comme lui, d’imiter sa voix et son écriture. Après avoir tué Dick, Tom se fait passer pour lui. On découvre qu’à la base de cette schizophrénie se cache un grand manque à être : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux être quelqu’un d’autre que n’être personne. »
 
 

b) Le personnage homosexuel cherche à changer d’identité sexuée :

SUBSTITUT Garçonne

The Drag King Fem Show


 

Chez le héros homosexuel, le désir de se substituer à une autre personne concerne particulièrement la différence des sexes : il rêve d’incarner cette différence à lui seul, et renie sa sexuation d’origine : « Je veux être une femme. » (Molina, le héros gay du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 24) ; « Je voudrais être une fille. » (Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, Film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « Je ne puis sentir que je suis une femme. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 266) ; « En ce temps-là, elle avait désiré être un garçon… » (idem, p. 134) ; « Douze ans : l’âge où je me suis senti le plus fille de ma vie ? » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 39) ; « Je préfèrerais être un fils. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant à sa mère, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 180) ; « Dans la famille, on est de gauche de père en fils. » (Rodolphe Sand se mettant dans la peau de Joyce, une lesbienne camionneuse, dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Je veux devenir un play-boy professionnel. […] J’entrerai dans l’armée. […] Ce sera que pour fréquenter l’école militaire. Pour m’entraîner et avoir un corps magnifique. Je veux dire un corps rude et robuste comme le vôtre. » (Anamika s’adressant à Adit, op. cit., p. 206) ; « Ceci dit, il y a une femme dans plus d’un homme. » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « L’intuition féminine… ben tu peux pas comprendre. Je suis une femme, moi. » (Benjamin, l’un des héros homosexuels, ironique, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Je suis un jeune garçon, non pas une femme, ma mère ! » (Lou, l’héroïne lesnienne dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je n’ai aucun problème avec les hommes. La preuve : j’ai un mec à l’intérieur de moi. » (Shirley Souagnon, humoriste lesbienne, dans l’émission Bref à Montreux (Suisse) sur la chaîne Comédie +, diffusée en décembre 2012) ; « J’aimerais être une femme parfois. Je suis jaloux de tes orgasmes. J’vois bien que l’intensité du plaisir est plus forte chez toi. J’ai entendu dire que la femme jouissait huit plus que l’homme. » (Jupiter s’adressant à Junon, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « J’ai emprunté à la femme. Pourquoi les hommes ne feraient pas comme les femmes ? » (Rudolf Noureev, dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener, Suzanne, une des deux héroïnes lesbiennes, fait une thèse sur « l’identité sexuelle »… mais pour justement substituer aux identités sexuelles fondatrices homme-femme celles, beaucoup moins réelles et incarnées, d’hétérosexuels-homosexuels. Le père de Claire – la compagne de Suzanne – essaie de la ramener au Réel, et de lui expliquer que la pratique homo ou l’identité homosexuelle/hétérosexuelle sont des tentatives erronées d’identification à ses pulsions, à ses actes génitaux et à ce qu’on croit être les enfants : « C’est la grande loi de Dieu : une femme est une femme, un homme est un homme. […] Homosexuel donne hétérosexuel. Hétérosexuel, c’est le contraire pratique d’homosexualité, qui montre bien la folie de ce monde. […] L’homosexualité est une infantilisation. »

 

Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit que sur la fraterie de quatre enfants dont il fait partie, ils sont deux, sa sœur et lui, à avoir fait un coming out : « Ça fait un beau ratio ! ». Il fait la remarque qu’avec sa frangine, qui a choisi d’être chauffeur routier, de se comporter en mec, qui changeait les plaquettes de freins de leur père, et lui qui a décidé d’assumer sa féminité, d’être hôtesse de l’air, il a dû y avoir « inversion : « Les hôtesses de l’air sont des femmes comme vous et moi. »
 

Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Kena, l’héroïne lesbienne garçonne, est exceptionnellement admise à jouer au foot avec les garçons. Cela étonne Ziki, la future amante de Kena, qui aimerait bien elle aussi être intégrée à l’équipe masculine… et les gars lui répondent qu’ils ont inclus Kena uniquement parce que « Kena, elle joue comme un mec ».
 

Film "Guillaume et les garçons, à table!" de Guillaume Gallienne

Film « Guillaume et les garçons, à table! » de Guillaume Gallienne


 

Le personnage homosexuel aime se déguiser et rentrer dans la peau d’une personne du sexe « opposé ». Je ne vais pas dresser la très longue liste des œuvres de fiction homosexuelles où le travestissement est montré, mais simplement me contenter de citer les quelques œuvres qui me reviennent en tête : cf. le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (Guillaume se travestit en Sissi dans sa chambre), le film « Il ou elle » (2012) d’Antoine et Pascale Serre (Florent Hostein s’habille en femme régulièrement), le film « Unconditional » (« Inconditionnel », 2012) de Bryn Higgins (Owen se travestit, et ce qui semblait au départ un jeu devient sérieux), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (Jules, le poète homo, aime se travestir), le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec l’association fictive l’ATEB : l’Association des Travestis Évêques Belges), le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner (avec le personnage de Robin), la chanson « Travesti » de Sadia dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity (avec Kate qui se travestit en Nate), la chanson « Comme un garçon » de Sylvie Vartan, la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon, le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (avec le personnage de Jian Cheng), le film « Une Voix d’homme » (2001) de Martial Fougeron, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le film « La Meilleure façon de marcher » (1976) de Claude Miller (avec Philippe qui se travestit en cachette), le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Tootsie » (1982) de Sydney Pollack, le film « Nos Vies heureuses » (1999) de Jacques Maillot (avec François déguisé en « Miss Sophistication »), la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, le film « Ocaña, Retrato Intermitente » (1979) de Ventura Pons, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec le personnage d’Arnold), la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton (avec le personnage de Kevin), le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot, la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Veronese (avec un homme en robe de soirée), le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau), le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues, le film « Mathi(eu) » (2011) de Coralie Prosper, le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie, la chanson « It » de Christine & the Queens, etc.

 

Par exemple, dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel raconte que les gays adorent organiser des soirées déguisées à thèmes : « On s’imagine que le gay adore se travelotter. » ; « Les soirées déguisées, on adore ça. C’est le moment parfait pour être quelqu’un d’autre. Pour montrer son double. » Dans le film « Sing » (« Tous en scène », 2016) de Garth Jennings, Gunther, le cochon homosexuel, se prend pour Lady Gaga. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Vita Sackville-West, raconte que dans son autobiographie Challenge, elle s’habille en homme pour vivre sa relation lesbienne avec Violet Trefusis.
 

Bien souvent, le personnage homosexuel aime devenir objet (ou personne de l’autre sexe) à travers les objets qu’il porte : « Willie aimait les perruques, les bijoux. » (Tristan Garcia, La Meilleure part des hommes (2008), p. 55) ; « Cole Porter, je suis sûr qu’il portait des porte-jarretelles. » (Alex dans le film « Music and Lyrics » (« Le Come Back », 2007) de Marc Lawrence) ; « Je portais des vêtements d’homme que je chinais au marché aux puces ; on pouvait acheter des beaux tailleurs années 50 pour quelques marks à l’époque. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 82) ; « Jane avait vu des photos de Petra jeune, les cheveux lissés en arrière, vêtue de tailleurs stricts à carreaux ou à rayures, un feutre penché de façon désinvolte sur la tête, ressemblant tour à tour à David Bowie dans sa phase berlinoise et à Al Pacino jeune à la mode ‘ Scarface’. » (idem, p. 82) ; etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, se prend pour des tableaux, et se peint en autoportrait. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M ne croit pas qu’elle est une fille : « Je ne peux pas épouser un homme. Je ne suis pas une fille. » D’ailleurs, à la fin du film, elle revend les bijoux de sa mère, décédée quand elle avait 5 ans. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel utilise les bijoux de ses femmes pour se féminiser.

 

Il y a souvent un fond d’inceste dans ce désir de vouloir changer de genre sexué, venant de la mère ou de la soeur de sang : « Mes plus anciens souvenirs étaient quand je mettais les robes de ma sœur. » (Bambi, star trans M to F, s’exprimant dans le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017)
 

Dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau, Pauline, l’héroïne lesbienne qui, étant jeune, s’est déguisée en garçon pour son premier rôle dans une pièce de théâtre qu’elle a jouée sur la place de son village, s’est prise quelque année plus tard pour son déguisement en assumant sa nouvelle « identité de genre/sexe » ( = son homosexualité).

 

Le travestissement peut se faire également par le biais d’un simple changement de prénom, ou l’expression d’un coming out (cf. je vous renvoie à la partie sur les pseudonymes du code « Déni », ou bien au code « Clown blanc et Masques » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « À partir de maintenant, je m’appelle Samantha. » (Shirin, l’une des héroïnes lesbiennes du film « Circumstance », « En secret » (2011) de Maryam Keshavarz) ; « Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine  Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina’. » (Mike, le narrateur décrivant Cody, le héros gay efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « Je change de tête comme de vêtement. » (c.f. la chanson « Il ou Elle » de Bilal Hassani) ; etc. Par exemple, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, l’écrivain homo à succès, a changé son nom de famille pour nier sa lignée parentale, et s’est choisi un pseudonyme. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Philippe, l’écrivain homo à succès, a changé son nom de famille pour nier sa lignée parentale, et s’est choisi un pseudonyme. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros gay parisien, en même temps qu’il fait son coming out, décide de changer d’identité et de s’affubler d’un pseudonyme branchouille ridicule : « Jean-Kévin ». Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik dit qu’il change toujours de nom lorsqu’il drague.

 

Une valeur sacrée (excessive) est généralement donnée au travestissement dans les œuvres homosexuelles. Par exemple, dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, la grand-mère de Méral, au seuil de son lit de mort, reconnaît le travestissement de sa petite-fille comme vrai. Dans la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, le travestissement est signe de paix puisque les crises de Claudette, le héros transsexuel M to F, doivent être systématiquement soulagées par l’inversion vestimentaire de ses anciens camarades de fac. Le paraître serait le Roi et « le » Remède aux troubles identitaires ou amoureux. Dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe, le travestissement est signe d’invisibilité, de camouflage idéal : « C’est fini, les couvertures ringardes : vous êtes un couple gay à Miami. » (cf. la phrase dite aux deux flics Leroy et Peyrac) C’est exactement le même cas de figure dans le film « La Croisière » (2011) de Pascale Pouzadoux (Raphaël décide de se travestir en femme, pour passer inaperçu sur le bateau et espionner sa femme), ou encore le film « Mrs Doubtfire » (1993) de Chris Columbus (où un père de famille, suite à son divorce, essaie d’approcher ses enfants qu’il ne peut plus, en se faisant passer pour leur nounou). Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, se prend pour ses actrices.

 

Spectacle cubain de travestis

Spectacle cubain de travestis


 

Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, le grand jeu de Guillaume, le héros bisexuel, c’est d’imiter sa mère, sa grand-mère, ses tantes puis toutes les femmes… et le pire, c’est que tout le monde se ferait avoir (au téléphone, etc.) : « J’arrive hyper bien à l’imiter, ma mère. » Cette comédie finit par le rendre extrêmement dépressif, car il voit bien qu’elle a du mal à s’incarner dans le Réel : « Pourquoi ma mère n’est-elle pas heureuse ? Pourtant, je suis une fille, comme elle. » Quand il essaie d’intégrer le groupe des danseuses de sevillanas andalouses, il finit par se faire éjecter, par exemple.

 

Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau d’une petite fille modèle ridiculement habillée en princesse par ses parents… et qui, à cause de son déguisement, ne peut pas exister. Pourtant, pendant toute la pièce, paradoxalement, elle se déguisera en plein de personnages (surtout très machistes) afin d’acquérir une invisibilité (et aussi une consistance !) : « Changer de vêtement pour ne pas être reconnue. » Elle retrace la vie des « modèles de saintes travesties » qui auraient jalonné l’histoire de l’Église catholique. Et elle croit que le fait de s’habiller en homme la transforme en vrai homme : « Mon costume dit à l’homme = Je suis ton égale. »
 

Les personnages homosexuels n’ont parfois même pas conscience d’être travestis même quand ils le sont objectivement. Par exemple, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Éric, le héros homosexuel noir (très voging), nie qu’il se travestit, comme par auto-transphobie : « J’aime me déguiser. Mais je ne suis pas un travesti. »
 

Le travestissement est une attitude idolâtre par rapport aux apparences vestimentaires, confondues avec le corps réel. Et comme cet amalgame ne fait pas durablement illusion, et finit par décevoir cruellement, le héros homosexuel a tendance à vouloir détruire/immortaliser son rêve dans la destruction de son déguisement, le tout dans un même mouvement : « Elle avait pris un certain plaisir à se travestir en jeune Nelson. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 133) ; « Stephen déchirait les vêtements dont elle avait tant aimé se vêtir pour les remplacer par ceux qu’elle détestait. Comme elle haïssait les robes fragiles, et les ceintures, et les rubans, et les petits grains de corail, et les bas à jour ! » (idem, p. 29) ; « Je m’imaginais découper ces vêtements, les brûler, les enterrer là où personne ne foule jamais la terre. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 29) ; etc. Dans le film « Sancharram » (2004) de Licy J. Pullappally, Kiran, l’héroïne lesbienne, se retire dans un accès de révolte les boucles d’oreille, et tous les attributs extérieurs de sa féminité. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria a du mal à rentrer dans la peau d’Helena, la lesbienne malheureuse qu’elle doit interpréter : « Je me sens mal dans sa peau. »

 

Le travestissement indique chez le héros homosexuel un certain égocentrisme narcissique : « Avec une perruque, j’accepte votre regard, je déclare votre jugement moins lourd sur moi… vous pouvez me trouver belle et laide, vous pouvez me regarder, me dévisager avec un sourire aux lèvres, une larme dans les yeux ou plisser le front, je ne suis plus moi-même… Je m’en fous je ne suis pas là. Je joue pour moi, pas pour vous. » (l’actrice de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier).

 

La transgression de la différence des sexes n’est absolument pas douce. Par exemple, le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan traite des désastres du transfert d’identité : la belle prostitué Chloé essaie de se mettre dans la peau du mari de Catherine, son amante ponctuelle, pour détruire la vie de celle-ci. Elle finira par mourir d’avoir cherché à être un homme.

 
 

c) Le personnage homosexuel cherche à usurper l’identité de son amant :

Mais sans aller jusqu’à désirer changer de sexe, une autre catégorie de héros réalise son rêve de substitution identitaire grâce à la recherche de la composition d’un couple. L’excuse de l’« Amour » est une merveilleuse aubaine pour se fuir soi-même et se donner, à travers un amant « de passage » (dans le sens quasi littéral de l’expression), l’illusion d’être quelqu’un d’autre : « Laisse-moi être comme toi, laisse-moi être toi. » (cf. la chanson « Le Grand Secret » du groupe Indochine) ; « Moi seule je sais qui tu es. » (Elle s’adressant à son amante Delphine, dans le film « D’après une histoire vraie » (2017) de Roman Polanski) ; « J’aime les Russes. Enfin… surtout les femmes russes. Je suis une femme russe. » (Anne Cadilhac dans son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « C’est par toi que je vivrai, toute ma vie. » (Georges parlant à Alexandre, son amant mort, dans le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy) ; « Jamais l’un sans l’autre, je serais… ce que tu es ! Promis ! » (Bryan s’adressant à Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 141) ; « L’âme de François-Charles a plus d’existence pour moi que la mienne. J’ai eu si souvent envie d’être lui. À la façon dont le romancier anime ses créatures, je me suis glissé dans sa peau. Il est mon personnage. Mon héros. Est-ce parce qu’il est beau ? Est-il beau ? Je le trouve beau, cela suffit. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 28) ; « Nous nous complétons. Nous nous sommes devenus indispensables. Il est tout ce que je ne suis pas, tout ce que je ne puis être. […] Je veux qu’il réussisse tout ce que je ne réussirai jamais. Il est bien dans sa peau. Moi pas. Toujours d’accord avec lui-même, à la manière d’un arbre qui pousse sans histoire, harmonieux. Moi pas. » (idem, p. 34) ; « Envie de lui… envie de lui ressembler, tout simplement. » (le héros homosexuel parlant de Patrick, un de ses amis fréquentant la même salle de sport que lui, dans le one-man-show Gérard, comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « L’espace d’une minute seulement, il m’a semblé que maintenant, moi… j’étais toi. » (Molina, le héros homosexuel, après la nuit d’amour avec son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 208) ; « Si tu tues quelqu’un que tu aimes, c’est comme te tuer toi. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Je veux croire alors qu’un ange passe, qu’il me dit tout bas : ‘Je suis ici pour toi, et moi c’est toi. » (cf. la chanson « L’Autre » de Mylène Farmer) ; « J’aimerais bien être à l’intérieur de ta tête. » (Danny s’adressant à son futur copain Chris, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Martin, c’est ma vie. » (Thierry, le héros homosexuel parlant de son compagnon, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; etc.

 

Par exemple, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta aborde la question de la vie par procuration, du désir de se substituer à l’être aimé, de la perte d’identité dans le miroir symboliquement narcissique d’Internet : « Tu es mon amour parce que tu es celui que j’aimerais être. » (Denis s’adressant à son amant-internaute Luther)

 

Dans la pièce Soixantes degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien et Rémi, les héros bisexuels, se donnent la réplique pour répéter un rôle dans Cyrano de Bergerac. Les deux hommes finissent par se prendre à leur jeu dramatique (Damien joue Roxane, Rémi Cyrano) et à tomber amoureux l’un de l’autre. Ils en sont tellement troublés qu’ils en perdent leur identité : « Prends plutôt ma place. » lui dit Rémi à la dérobée.
 

Dans le film « Open » (2010) de Jake Yuzna, Cynthia, un jeune hermaphrodite, rencontre Gen et Jay, un couple qui se remet d’opérations de chirurgie plastique : à travers eux, elle découvre la pandrogonie, procédé à travers lequel deux personnes fusionnent leurs traits de visage afin de tenir compte de leur évolution à partir d’identités distinctes en une seule entité unifiée.

 

Dans le film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, grâce à une greffe, Simon va vivre avec le cœur de son amant François qui est décédé brutalement d’un accident de voiture ; cette transplantation est présentée comme une magnifique fusion d’amour qui permet la continuation de la vie.

 

Dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis, les deux amants secrets Jean-Michel et Jean-Jacques se collent la tête l’une contre l’autre et tentent un transfert d’identité et de charisme : « Tu as l’étoffe d’un homme politique. » (Jean-Michel) ; « J’aimerais pouvoir lire dans tes pensées, savoir ce qui te rend aussi fort. » (Jean-Jacques)

 

Dans certains cas de fictions homo-érotiques, on constate que le désir de substitution à l’autre cache un désir d’immortalité : « Je vis ta vie. Je vis-à-vis (= Je vis à vie). » (cf. la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho) ; « Dieu, quand je te rencontrerai, je serai un ange magnifique. » (Ray, le héros transsexuel M to F, vivant avec plein de photos d’actrices autour de sa glace, dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée) Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas couche avec Anat pour recoucher symboliquement avec Oren, son amant brutalement décédé.

 

En réalité, ce transfert d’identité génère l’angoisse du caméléon ou de l’électron libre qui s’expose à l’errance, à la désillusion amoureuse, à la consommation des corps, à la jalousie, à la trahison future : « Saïd jalouse secrètement les cheveux longs et noir foncé de son compagnon [Ahmed], qui passe au moins une demi-heure tous les matins à placer soigneusement avec des pommades et des gels. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 43) ; « Il ne dira pas qu’il se sent si seul qu’il passe de bras en bras. » (cf. la chanson « Il ne dira pas » d’Étienne Daho) ; « J’ai navigué de corps en corps. » (cf. la chanson « La Chanson du Navigateur » de Denis Daniel, dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 7) ; « Mon cœur ne bat que par sympathie ; je ne vis que par autrui ; par procuration, pourrais-je dire, par épousaille, et ne me sens jamais vivre plus intensément que quand j’échappe à moi-même pour devenir n’importe qui. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, p. 85) ; « Tu es qui je n’ai pas su être. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 183) ; « On relit toujours avec les yeux des autres, on ne vit plus ce que l’on vit. » (idem, p. 47) ; « On vit toujours l’amour des autres. D’autres histoires. De rencontres ? Jamais. Si peu. » (idem, p. 118)

 

Par exemple, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, l’héroïne transsexuelle F to M Miriam (qui se fait appeler Lukas) rêve de devenir le beau Fabio qu’elle cherche à séduire : « Je suis jaloux de sa dégaine ! » Elle ne supporte plus son identité de femme : « Miri n’existe plus ! » Dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue, la jalousie est clairement montrée comme un moteur d’homosexualité. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, c’est en entendant son voisin de cabine de douche se masturber (comme une voix intérieure) que le héros est excité homosexuellement.

 

Le héros homosexuel ne s’aime pas assez lui-même, et demande à son amant un travail d’estime de soi qui ne revient pas à ce dernier : « Faut m’aimer à ma place et m’attendre au tournant. » (cf. la chanson « J’ai pas 20 ans » d’Alizée) ; « J’suis un mec. Spécialement quand je suis avec toi. » (Jamie s’adressant à Ste, dans le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald) ; « Un mâle qui en baise un autre est un double mâle. » (Mignon dans le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet) ; etc. Il finira souvent par lui reprocher ce laisser-faire, ou par comprendre qu’on ne peut pas aimer véritablement quelqu’un si on ne s’aime pas un minimum soi-même : « L’amour… quelle drôle d’idée ! Comment puis-je prétendre à l’amour alors que je suis infichue d’avoir un soupçon d’estime de moi ? » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 163) ; « Inconsciemment je savais depuis longtemps pourquoi j’étais resté avec cet imbécile. […] C’est seulement le manque de confiance. » (François à propos de son « chéri » Max, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 115)

 

Parfois, les amants homosexuels fictionnels s’avouent le non-sens de leur illusion de symbiose, fusion impossible et forcée, où l’un des deux (voire les deux, au final !) disparaît et y perd son âme : « Tu voudrais être moi ! Je voudrais être toi ! C’est absurde ! » (Kévin s’adressant à Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 299) ; « Je ne suis plus moi, je suis toi… » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 309) ; etc. Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zachary Wells dit qu’il est en réalité Danny Reyes, et que le jeune étudiant (de 15 ans son cadet) se faisant passer pour Danny Reyes est un imposteur. Finalement, il acceptera la fusion identitaire (« Tu peux me sauver grâce à ta vie. » affirme Zach à Danny) et Danny essaiera de la fuir : « Écoute-moi : je ne suis pas toi ! »

 

Il est question du dédoublement de personnalité, pouvant aller jusqu’à la schizophrénie (cf. la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo ; le film « Collateral » (2004) de Michael Mann, où Max se fait passer pour Vincent), et ne se faisant pas sans angoisse : « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977), p. 134) ; « Je n’ai pas peur. Je suis sûr. Je suis Khalid. Je suis Khalid. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 180) ; etc. Le héros schizophrène a le chic de « s’absenter sur place », de ne pas s’éprouver présent quand il agit : « Je le vois bien que vous êtes là. Mais moi, est-ce que je suis là, moi ? Voilà le problème. » (Jeanne au Vrai Facteur, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi)

 

Dans la série nord-américaine United States of Tara (2009-2011), on retrouve le thème de l’homosexualité en lien avec la schizophrénie : Tara est une mère de famille qui a des troubles dissociatifs de l’identité, et elle se met par exemple dans la peau d’un vétéran du Vietnam tombant amoureux d’une femme (cf. le thème de l’homme dans un corps de femme).

 

Il arrive souvent que le héros homosexuel, en se travestissant, cherche à devenir la femme-objet cinématographique (qu’il prend pour sa mère réelle !) ou l’homme-objet. « Je suis fille de bijoutiers, moi ! » (Meri, le prostitué transsexuel M to F, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « J’ai été violé. » (Daniel s’adressant à Jonathan pour se justifier auprès de lui de porter du rouge à lèvres et de porter du parfum pour femme, dans le film « Madame Doubtfire » (1994) de Christ Columbus) ; etc. Par exemple, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu parle de sa mère en l’imitant comme s’il s’agissait de la mère cinématographique : « Parce que je le vaux bien. » Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques vit encore avec sa vieille mère et s’habille comme elle : « Ma mère elle-même s’habille en femme. » Dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella, transsexuel M to F, imite parodiquement la Callas qui se shoote et qu’elle adore pourtant : « Je l’ai vue à la télé et ça m’a rendu dingue. […] Notre seul point commun, c’est d’être cinglées. »

 

Le désir de se substituer à l’autre est avant tout un désir de mort ou de viol (envers soi-même ou dirigé vers un autre). D’ailleurs, l’être humain auquel le héros veut se substituer a pour particularité de ne pas être vivant (ou considéré comme tel) : c’est dans la fusion qu’il perd sa consistance ou sa raison d’être. « Sans frapper je suis entré dans la chambre de Khalid. Il dormait profondément. Sur le ventre. […] J’ai fermé les yeux. J’ai rêvé. J’étais chez Khalid. Je dormais avec mes vêtements de jour dans son lit. Seul dans son lit. Puis avec lui. Mais, du plus loin de mon sommeil, c’est moi qui parlais cette fois-ci. ‘Non, non, ce n’est pas moi… Oui, oui, c’est moi… Moi… Sûr… Sûr…’. » (Omar regardant son amant Khalid endormi, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) C’est la raison pour laquelle il est souvent réduit à un reflet narcissique froid, à un pantin, à une victime, à une personne violée, à un mort ou au diable : « Je reconnais alors la voix d’un cher défunt, d’un défunt qui ne respire plus que par mes lèvres : toujours, quand l’enthousiasme me donne des ailes, je suis lui. » (le narrateur homosexuel du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 66)

 

Par exemple, dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, le père Adam surprend le jeune Rudy se faire sodomiser violemment par Adrian, et projette complètement son homosexualité sur cette scène. D’ailleurs, plus tard, il va défroquer et annonce à sa sœur sur Skype : « Je vais me transférer moi-même. » Dans le film « Free Fall » (2014) de Stephan Lacant, Kay traite toujours son futur amant Marc de « gonzesse » pour le draguer et l’humilier en même temps. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Leopold, l’un des héros homosexuel, croit qu’il a tué un de ses clients parce qu’il l’a poussé au suicide : « Franz, j’ai tué quelqu’un, un de mes clients s’est tué la cervelle ! » Dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont veut par son amant vivre une vie par procuration, et se montre dangereux, despotique, intrusif, avec lui. Toujours dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, à la fin de l’intrigue, Omar propose à son amant Khalid d’échanger leurs identités : « Et si on changeait de noms ? Je veux dire échanger nos prénoms, juste nos prénoms… […] On ferme les yeux dix secondes. Après, chacun de nous deux sera l’autre. Je deviendrai toi, TU deviendras moi. » (p. 138) Ce jeu terminera mal puisqu’il finira par l’assassiner. Dans le film « Les Biches » (1967) de Claude Chabrol, Why, la jeune étudiante, tue Frédérique qu’elle voudrait être, jusqu’à s’approprier son identité.

 

La substitution d’identités, destructrice, infantilisante, et totalitaire, se fait pourtant au nom de jolis principes humanistes (l’amour, l’humour, la force de la passion, la compassion auprès des victimes, le partage des souffrances, etc.) : « Tu partages le sang de Pablo, Doris, Roger, Hilaire, Esteban et les autres. Tu ne t’appelles plus Félix Perlman mais Vincent Braconnier. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 59) ; « J’avais si envie que tu sois dans mon sexe. J’avais si envie que tu sois dans ma tête. » (cf. le poème « Des bleus d’amour » (2008) d’Aude Legrand-Berriot) ; « Je voudrais l’avoir attrapé… Je voudrais avoir attrapé votre épanchement de synovie, Collins, parce qu’ainsi je pourrais le subir à votre place. J’aimerais souffrir terriblement pour vous, Collins, comme Jésus a souffert pour les pécheurs. En supposant que je prie fortement, ne pensez-vous pas que je puisse l’attraper ? Ou supposez que je frotte mon genou contre le vôtre ? » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 30) ; « J’aimerais beaucoup être un Sauveur pour Collins… Je l’aime et je désire être blessée comme vous l’avez été ; […] Je désire être opérée à sa place. […] Elle s’endormit pour rêver que, par quelque étrange transposition, elle était Jésus. » (idem, p. 31) ; « Moi, j’veux jouer Lorenzaccio. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc. L’enfer est vraiment pavé de bonnes intentions de fusion !

 

Par exemple, dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, après de nombreuses années de stérilité, Aysla, femme mariée avec Dom, a réussi à avoir un bébé depuis qu’elle est amoureuse de Marie, en couple avec Bernd. Elle considère d’ailleurs son bébé comme celui de Marie.
 
 

d) Le personnage homosexuel se plaît à faire des play-back et des imitations :

Film "La Robe d'été" de François Ozon

Film « La Robe d’été » de François Ozon


 

L’un des supports les plus courus de la substitution d’identité chez les héros homosexuels, c’est bien sûr la musique, et notamment les play-back : cf. le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce (avec la scène du karaoké), les films « Huit Femmes » (2002) et « Robe d’été » (1996) de François Ozon, le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache (avec la boîte de travestis reprenant de chansons françaises des années 1980), le film « Muriel » (1994) de P. J. Hogan (mis sous le patronat du groupe ABBA), la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (la chanson « Finally » de Ce Ce Peniston est même play-backée en intégralité à la fin, comme pour prouver le manque de distance du réalisateur par rapport à ses goûts), l’épisode « État secret » de la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (avec le karaoké), la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer (avec le play-back sur une chanson de Sylvie Vartan), le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, le vidéo-clip de la chanson « Dolce Vita » de Zazie (reposant exclusivement sur le play-back), la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, le film « Juste un peu de réconfort » (2004) d’Armand Lameloise, le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, le film « Pôv’ fille » (2003) de Jean-Luc Baraton et Patrick Maurin (avec la chanson « Téléphone-moi » de Nicole Croisille play-backée en voiture par Doriane), la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim (rien moins que trois play-back durant toute la pièce ! Non, le ridicule ne tue pas !), le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (construit comme « Les Parapluies de Cherbourg » (1964) de Jacques Demy), le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le film « I Love You, Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec le play-back de François déguisé en Dalida), la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet (avec le play-back d’Octavia, le transsexuel M to F), l’adaptation de la pièce Jeffrey (2007) de Christian Bordeleau, le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec le play-back de Pietrino), le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel), la pièce Bang Bang (2009) des Lascars Gays (avec le play-back de Ryan), la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier (avec le play-back sur du Mireille Matthieu), la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy (toute la pièce tourne autour du play-back et des détournements gay de grands classiques de la variété française ; les personnages sont des juke-box sur pattes), le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec le play-back du jeune étudiant en histoire), la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (dans laquelle tous les héros sont habités par des chanteurs des années 1980… et notamment Jackie Quartz, la chanteuse adorée de Benoît), le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare (avec le play-back strip-tease sur « I Put A Spell On You » que fait Jérémie à son amant Antoine, pour se prouver qu’il est encore homosexuel), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec le principe du juke-box), le one-man-show Gérard, comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (où le héros gay fait des play-back de Mick Jagger), la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (Hugo, le héros homosexuel, fait plein de play-back, sur « It’s Raining Men » et d’autres daubes musicales), la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder (où Franz, l’un des héros homosexuel, passe son temps à play-backer des chansons mélancoliques), le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque (avec les play-back de la chanson « Rêver » de Mylène Farmer en concert, ou de Chantal Goya), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec les play-backs entrecoupant la pièce), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec le play-back sur Mike Jagger), la pièce Revenir un jour (2014) de Franck Le Hen, le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel (avec le play-back de Marlène Dietrich en entrée et en sortie), le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare (avec le play-back de Vincent et Jean, deux co-équipiers homosexuels de water-polo, sur la chanson « Sous le vent » de Garou et Céline Dion), etc. « Pour moi, être libre, c’est de chanter des chansons de cow-boy rodéo. » (Carmen dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Tout le monde dit que je ressemble à Ricky Martin. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « C’est moi qui fais Lady Gaga. » (idem) ; « Pas la soirée karaoké. Pardon, mais ça va être rempli de pédés. J’ai rien contre les fiotes. Mais si c’est pour chanter du Elton John, ça va… » (Topito, Quand t’annonces un truc à tes potes, avril 2017) ; etc.
 

L’artifice du play-back est dénoncé/défendu dans le film « Mulholland Drive » (2000) de David Lynch. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Klein, un homme de l’hôtel d’Idaho qui loue les services de Scott et Micke pour la nuit, leur interprète un play-back en prenant une lampe pour s’éclairer le visage de manière à créer un masque expressionniste terrifiant. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Rozy, le footballeur homosexuel noir nie qu’il est Brésilien plutôt que Noir. Et en début de pièce, on le voit danser et play-backer de manière très efféminée la chanson de Cindy Lauper « Girls Just Want To Have Fun » en faisant le ménage avec son plumeau. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, les deux frères Ody et Dany (le héros homo) sont fans de la chanson « Rumore » de Patty Bravo et dansent dessus. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., les deux amants Jonathan et Matthieu se mettent à parler comme dans les chansons du répertoire connu de la variété française. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard l’homo et Donatienne la FAP (« fille à pédés ») font du karaoké ensemble. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, fait l’Eurovision et se play-backe lui-même. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Rettore et Davide, les deux héros homosexuels, aiment play-backer les chanteuses italiennes des années 1960-1970.

 

Le désir de substitution d’identité ne concerne pas que le play-back. Il a aussi à voir avec l’imitation en général (par l’art et la science). La figure de l’imitateur revient souvent dans les œuvres homosexuelles : cf. le recueil Pastiches et Mélanges (1919) de Marcel Proust, la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le spectacle musical Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet, le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec l’imitation de Cristina Cardoula, la relookeuse de la chaîne M6), etc.

 

Dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, Bruno, le fils homosexuel, fait des imitations de Dalida ou de Mylène Farmer (sa mère se montre d’ailleurs toute fière de recoudre les costumes de scène de ce dernier). Dans le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, on observe un chevauchement entre identité fictive et identité réelle : par exemple, un va-et-vient s’opère entre Lena en vrai et Lena l’actrice ; de même, Harry déclare qu’« il s’est converti au pseudonyme ». Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, mobilise toute sa vie à jouer « le jeu de l’imitation ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, avoue qu’il a « un talent pour contrefaire les signatures, raconter des mensonges ». Il change aussi de voix et manipule tout son entourage. Par exemple, Dick, l’homme dont il est amoureux, lui demande une imitation : « Fais-moi une imitation. » Et Tom imite la voix du père de Dick, et la ressemblance est tellement frappante que Dick dit « C’est éblouissant. » et se tourne vers sa compagne en désignant humoristiquement Tom comme son père : « Marge, je te présente mon père. »

 

Dans la pièce 1h00 avec nous (2014) de Max et Mumu, Muriel fait un play-back sur Claude François, Max sur Shakira (il porte une robe de soirée et une perruque blonde) : « Je suis sosie d’une chanteuse très très connue : je suis sosie de Mireille Matthieu. Et de Nana Mouskouri. » (Max) Mais paradoxalement, ils n’assument pas d’être déguisés : « Pédé, ça veut pas dire travelo. » (Max à Muriel) Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, arrive en Madonna sur scène et s’annonce comme son sosie parfait : Monsieur Bénamou, son agent, veut avec lui monter une agence de sosies.

 

En général, le héros homosexuel postule que l’imitation, censée servir son modèle (une personne, un objet, un paysage, la réalité extérieure), est plus originelle et vraie que l’original. « Il n’y a pas à dire, Jioseppe a vraiment un don, qui lui permet d’aller au-delà même de la représentation vraie, pour toucher l’idéal. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Il ne se considère pas comme un simple imitateur de nature. » (idem, p. 11) Il ne fait pas la différence entre l’imité et l’imitant. Par exemple, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Vicky, la Comédienne, dit que lorsqu’elle joue, elle ne s’éprouve pas actrice : « Ce qu’il y a de plus éprouvant, c’est que soi-même on devient théâtral. » ; « Si au moins je sentais le personnage… » ; « Je n’ai pas l’impression de jouer la comédie mais d’imiter une actrice de cinéma détestable, comment s’appelait-elle ? Elle ne jouait que dans les films de vampires. »

 

Chez le héros homosexuel, même si c’est très inconscient, la prévalence de la simulation de Réel sur le Réel Lui-même cache au fond un désir de mourir et d’être objet. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a une passion (qu’il ne s’explique pas lui-même) pour « l’imitation de chanteuses mélodramatiques décédées comme Rosemary Clooney, Dionne Warwick, Ethel Merman ». Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, lors d’une séance de karaoké, où Steve (le héros homosexuel) se ridiculise, la prestation vire à la vision d’enfer : il voit tous les clients du bar ricaner (ils le traitent de « pédé »), puis en menace violemment un avec une bouteille de bière car il ne gère pas l’humiliation. Souvent, le héros homosexuel pense être étranger à lui-même à force de vouloir être quelqu’un d’autre : « J’ai l’impression d’avoir volé la place d’un autre. » (John parlant de son existence et ne se sentant pas légitime pour vivre, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles cherchent à devenir quelqu’un d’autre :

Dans sa préface de Si j’étais vous (1947), Julien Green confie son désir d’« échange de personnalités » (p. 8) qu’il a essayé de mettre en images dans son écrit romanesque. On retrouve la thématique de la substitution à l’autre dans le documentaire « Transgressions » (2002) de Stuart Gaffney, et dans le discours de certains écrivains bisexuels/homosexuels : « C’est moi qui suis toi. » (Christine Angot pendant la Sixième Nuit Blanche de Paris à la Librairie Les Cahiers de Colette, le 6 octobre 2007) Dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6, Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, s’identifie à un personnage de série, Teenwolf.

 

Le porno pousse beaucoup de jeunes et de personnes homosexuelles à complexer de ce qu’ils sont profondément, et à imiter ce qu’ils ne sont pas : « Mon cousin a demandé ‘On pourrait faire comme dans le film, les mêmes trucs. […] Toi et Fabien vous ferez les femmes, et moi et Stéphane on fera les hommes. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 150-152) ; « Je voudrais rapporter le cas, que j’ai pu observer récemment, d’un jeune homme, fiancé à une jeune femme de la façon la plus bourgeoise, et qui tombe amoureux d’un homme plus âgé que lui, qu’il prend de son propre aveu d’abord pour modèle, puis pour maître et enfin pour amant. Cet amant lui-même, bien que ‘purement homosexuel’, me racontera plus tard que, nullement attiré par mon malade au départ, il n’avait été intéressé que par la présence de sa fiancée et la situation triangulaire créée lors d’un dîner. Lorsque le malade, jaloux de son amant, abandonna pour lui sa fiancée, cet amant se désintéressa complètement de lui. Interrogé par moi sur les raisons de ce revirement, il me dit : ‘L’homosexualité, croyez-moi, c’est vouloir être ce que l’autre est.’ » (Jean-Michel Oughourlian cité dans l’essai Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978) de René Girard, pp. 469-470)

 
 

b) Certaines personnes homosexuelles cherchent à changer d’identité sexuée : le goût du travestissement

Chez beaucoup de personnes homosexuelles, le désir de se substituer à une autre personne concerne particulièrement la différence des sexes : elles rêvent d’incarner cette différence à elles seules, et ont tendance à renier leur sexuation d’origine : « Avec Simone de Beauvoir, la femme veut être un homme. » (Gérard Leclerc, UDT pour Tous à Châteauneuf-sur-Cher au Château de Lignières, le 29 août 2013) ; « J’ai aussi regretté d’être un garçon et de devoir devenir un homme. […] J’aurais voulu être une fille. » (un patient homo dans l’article « Le Complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 442) ; « Moi, j’aurais vraiment voulu être un homme. Franchement. » (Maïté, femme lesbienne, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « J’ai mauvais genre. Bien qu’étant une femme, j’ai les cheveux courts comme les messieurs qui ne veulent pas se faire remarquer. En outre, je m’obstine à m’habiller de telle manière qu’on me prend souvent pour un homme. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 7) ; « Avec Simone de Beauvoir, la femme veut être un homme. » (Gérard Leclerc, lors de l’UDT pour Tous au Château de Lignières de Châteauneuf-sur-Cher,  le 29 août 2013) ; « J’avais décrété une fois pour toute que j’étais mieux réussi comme garçon que comme fille. » (la blogueuse Bab El dans son article « Tom Boy à l’affiche ») ; « À cette période, l’idée d’être en réalité une fille dans un corps de garçon, comme on me l’avait toujours dit, me semblait de plus en plus réelle. […] Je rêvais de voir mon corps changer, de constater un jour, par surprise, la disparition de mon sexe. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 155) ; « En accordant dorénavant beaucoup de temps à mon entourage professionnel notamment féminin, je m’intronisais aussi plus que jamais en femme, au point que les conversations que je tenais ressemblaient aux leurs. En effet, lorsque j’arrivais le matin, c’était pour parler de vêtements ou de cuisine ; de même que pendant les heures de déjeuner, je traînais les magasins avec ce même entourage à la recherche de petits bibelots de décoration. Ma condition était l’archétype voulu d’une vie de femme, mes propos et mes réactions, ceux d’une fille vivant seule. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 130) ; « La plupart des lieux de prédilection fréquentés par les homosexuels étaient urbains, civils, sophistiqués. Le scénariste américain Ben Hecht, à l’époque correspondant à Berlin pour une multitude de journaux des États-Unis, se souviendra longtemps d’y avoir croisé un groupe d’aviateurs, élégants, parfumés, monocle à l’œil, bourrés à l’héroïne ou à la cocaïne. Les hommes s’habillaient en femmes et les femmes en homme, travestis ou non. On pouvait fouetter ou se faire fouetter, sucer, inonder de pisse ou de merde, étrangler jusqu’à un fil de la mort. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 30) ; etc.

 

Comme dans leur cœur et leurs fantasmes esthétiques l’homme-objet est bien souvent confondu avec les hommes réels (et qu’il ne l’est pas intellectuellement) – et on pourrait faire le même parallèle avec la femme-objet –, on les entend parfois dire sincèrement qu’elles n’ont jamais voulu changer de sexe, ni être une femme quand elles sont nées garçon, ni être un homme quand elles sont nées femme : « Je ne les ai jamais considérés comme des rivaux. » (Paula Dumont parlant des hommes, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 115) ; « J’étais en adoration devant un animateur d’Europe 1, Jean-Louis Lafont, dont la voix et l’allure d’éternel adolescent me ravissaient. Je collectionnais les autocollants avec sa photo et passais tout mon argent de poche en achat de 45 tours. Europe 1 réalisait certaines de ses émissions en direct dans différentes villes de France, le fameux ‘Podium’. En prévision de son passage dans notre région, je me préparais donc à cet événement en endossant le rôle de sa femme imaginaire dans mes jeux. J’avais choisi un prénom de fée : je m’appelais Viviane Lafont. Je n’avais aucune envie de me transformer en femme. Mais, si je veux jouer avec le prénom d’enchanteresse que j’avais choisi, j’espérais qu’un petit miracle allait se produire et me rétablir dans la normalité environnante. Car j’avais très vite saisi que seule une femme avait le droit d’être attirée par les garçons. Si, par magie, je me réveillais un beau matin en fille, tout serait rentré dans l’ordre. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 29) ; « Je me sens tellement à l’aise avec elles que mon souhait de me transformer en fille réapparaît aussitôt. Il serait si simple d’être une femme et de devenir carmélite. À défaut, je serai carme. » (idem, p. 41) ; « On l’aime donc on s’habille comme elle. » (des fans gays de Lady Gaga, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Inside » (2014) de Maxime Donzel) ; etc. Par exemple, Karl Heinrich Ulrichs (1825 – 1895) se souvenait qu’à l’âge de 3-4 ans, il aimait s’habiller en fille et proclamait « Je veux être une fille. »

 

Le goût pour le travestissement est beaucoup plus répandu qu’on ne le croit dans les rangs LGBT, y compris chez des gens apparemment coincés et peu efféminés (ou bien féminins parmi les femmes lesbiennes). Depuis toutes petites, les personnes homosexuelles ont pris l’habitude de dissimuler, et en ont pris leur parti : « La discrétion sur ma vie privée était une chose strictement personnelle qu’il fallait protéger. Cette stratégie d’ailleurs avait admirablement bien fonctionné durant toute ma carrière. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 171) ; « Le travesti se sent complètement étranger à son propre sexe, ses sensations de femmes, ou d’homme, le saturent entièrement, sans que l’on puisse constater en lui le moindre signe de folie. » (C. Westphal, en 1870, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 306) Je vous renvoie par exemple à l’ouvrage collectif Le Corps travesti (2007) de Georges Banu, au documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier, etc. Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte les soirées interlopes déguisées où ses amis et lui jouaient plus ou moins avec distance les « stars du monde » (Diana Ross, Barbara Streisand, Dalida, Sylvie Vartan, etc.).

 

L’Histoire humaine ne cesse de montrer que beaucoup de personnes homosexuelles aiment se travestir : Henri III (constamment travesti en femme), le pape Paul II (en 1417), Charles de Beaumont (le fameux chevalier d’Éon), Félix Sierra, Malcolm Lowry, José Pérez Ocaña, Michael Jackson, Sir Elton John, Yukio Mishima, Edward Morgan Forster, Pierre Loti, Andy Warhol, David Bowie, Copi, Rachilde, Jean Guidoni, Charpini, Thierry le Luron, Vincent McDoom, Francis Bacon, l’Abbé de Choisy, Gabriele D’Annunzio, Félix Youssoupov, Miguel Frías Molina, Pirouletz, Quentin Crisp, Little Richard, Mathilde de Morny, Michel Journiac (il sortait dans la rue toujours maquillé), etc. Par exemple, en Allemagne, Einar Wegener (1882-1931), l’artiste peintre, qui était transsexuel, se déguisait comme sa femme, et se fit appeler « Lili Elbe »

 

Pierre Loti

Pierre Loti


 

Au XVIIe siècle, William Shakespeare se plaît à travestir les comédiens de ses pièces. Dans les années 1970-1980, le dramaturge argentin Copi joue sa pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer en bas résille à la Cité Universitaire de Paris. Pour sa pièce Le Frigo (1983), il endosse tous les rôles, change 14 fois de costumes. Dans son avant-dernière pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, jouée au Théâtre de la Bastille (hiver 1984), habillé de bleu marine, il interprète chacun des 11 rôles en changeant sa voix. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite pas moins d’une vingtaine de ses proches.

 

Le travestissement est bien sûr lié au carnaval (cf. le vidéo-clip de la chanson « Mister H » d’Inna Modja). Mais il acquiert une dimension sacrée, sentimentaliste. Celui qui se travestit se donne souvent l’illusion d’être tous les sexes (un tissu ou un vêtement est par essence genré mais pas sexué), de les « transcender », d’être Dieu ou bien le Roi de l’Authenticité/de l’Invisibilité : « On est bien d’accord qu’un vêtement n’a pas de chromosome XX ou XY… pourtant, il est genré. » (Laura, homme M to F, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Le romantisme français a été fasciné par le travestissement et l’inversion – Mademoiselle de Maupin, de Gautier, Sarrazine et La Fille aux yeux d’or de Balzac. Avec Seraphitus-Seraphita celui-ci reprend le thème swedenborgien de l’androgyne comme image de l’être parfait, de l’être angélique. » (cf. l’article « Monsieur Vénus et l’ange de Sodome : L’androgyne au temps de Gustave Moreau » de Françoise Cachin, dans l’essai collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 87) ; « On n’est pas une parodie de bonnes sœurs : on est des sœurs ! Point ! Je ne le fais pas par provocation. Même pas pour tirer sur l’Église. Si on voulait attaquer l’Église aujourd’hui, c’est comme tirer sur une ambulance. » (Sœur Belphégor, dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, sur la Congrégation des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence) ; « Les costumes et les accessoires continuent de fasciner David Berger. » (la du documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc.

 

Le travestissement via la destruction-sublimation de la femme-objet (ou de l’homme-objet dans le cas lesbien) n’est pas qu’un simple jeu rigolo avec soi-même : il est un auto-viol, une auto-déclaration de haine, comme l’illustre parfaitement cette planche dessinée par Copi.

 

Planche "Le Miroir" de la B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

Planche « Le Miroir » de la B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Celui ou celle qui se travestit à la fois vit l’euphorie de sa transformation et l’amertume de son mensonge (cf. la fin de la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) : « Je dérobais dans la chambre les vêtements de ma sœur que je mettais pour défiler, essayant tout ce qu’il était possible d’essayer : les jupes courtes, longues, à pois ou à rayures, les tee-shirts cintrés, décolletés, usés, troués, les brassières en dentelle ou rembourrées. Ces représentations dont j’étais l’unique spectateur me semblaient alors les plus belles qu’il m’ait été donné de voir. J’aurais pleuré de joie tant je me trouvais beau. Mon cœur aurait pu exploser tant son rythme s’accélérait. Après le moment d’euphorie du défilé, essoufflé, je me sentais soudainement idiot, sali par les vêtements de fille que je portais, pas seulement idiot mais dégoûté par moi-même, assommé par ce sursaut de folie qui m’avait conduit à me travestir. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 28-29)

 

Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, crée une nouvelle espèce queer de personnes homosexuelles ou transsexuelles – les « bixa-travesty », qu’il traduit par « trav-tapettes » – et qui renvoie à ceux qui ont le goût de se travestir, mais en souhaitant échapper aux canons de beauté féminine trop propre et à la lourdeur d’une opération chirurgicale ou de prise d’hormones. Il aime rentrer dans la peau de différents personnages (que les queer bobos appelleraient « polymorphes ») : « J’ai souvent changé de nom. »
 
 

c) Certaines personnes homosexuelles cherchent à usurper l’identité de leur amant :

Mais sans aller jusqu’à désirer changer de sexe, une autre catégorie de personnes homosexuelles réalise son rêve de substitution identitaire grâce à la recherche de la composition d’un couple. L’excuse de l’« Amour » est une merveilleuse aubaine pour se fuir soi-même et se donner, à travers un amant « de passage » (dans le sens quasi littéral de l’expression), l’illusion d’être quelqu’un d’autre : « Martine éprouvait pour moi une admiration sans bornes. D’après ses critères, j’étais celle qui avait réussi, alors qu’elle avait tout raté. Dans cette logique, il était souhaitable pour elle de rester dans mon ombre et de continuer à vivre ainsi, par procuration. » (Paula Dumont parlant de son « union mal assortie » avec sa compagne Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 72) ; « Lui, c’était un peu ce que je rêvais d’être : beau, libre dans sa tête, respecté, cultivé et surtout, capable de s’habiller comme bon lui semblait. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 73) ; « Il me fascinait et j’aspirais à lui ressembler. Et je me suis mis à parler, moi aussi, de Godard, dont je n’avais rien vu, et de Beckett, dont je n’avais rien lu. Il était évidemment bon élève et ne manquait jamais une occasion d’afficher une distance dilettante avec le monde scolaire. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 175) ; « Il avait la clairvoyance du chasseur et de l’athlète ; j’avais la myopie de l’écrivain et du lecteur. » (Gore Vidal, en parlant de son premier grand amour de jeunesse Jimmie Trimble, dans ses Mémoires (1995), p. 35) ; « Je n’ai jamais eu d’aventure avec quiconque. Des relations sexuelles, oui. Des relations amicales, oui. Les deux combinées ? Non. Jimmie, bien entendu, c’était autre chose – c’était moi. » (idem, p. 253) ; « Je pense que je l’envie. Je le trouve beau, beaucoup plus que moi. […] Mon sexe est pourtant plus long et plus gros. Mais c’est le sien que je voudrais avoir. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 47) ; « C’est en cela que réside l’homosexualité de Virginia Woolf : dans cette nécessité de tout vivre à travers une femme. La médiatrice devait être belle et séduisante, comme Vita Sackville-West l’aristocrate, et posséder un univers qu’elle, Virginia, ne possédait pas. » (cf. l’article « Vivre à travers une femme » de Diane de Margerie, dans le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 36) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « J’l’avais dans la peau. » (Guillaume en parlant de son amant Xavier, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; etc.

 

On lit derrière ce souhait de fusion avec l’être aimé, de substitution d’identité, un amour passionnel qui ressemble à la jalousie fanatique : « Son amour est une tentative désespérée pour devenir eux, il s’accompagne donc de haine : il les hait de n’être pas déjà lui. » (Jean Genet et ses conquêtes amoureuses homosexuelle, dans l’essai Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 147)

 

La substitution d’identités, destructrice, infantilisante, et totalitaire, se fait pourtant au nom de jolis principes humanistes (l’amour, la force de la passion, la compassion auprès des victimes, le partage des souffrances, etc.). Par exemple, dans son article « Pourquoi et comment notre vision du monde se ‘racialise’ ? », publié dans le journal Le Monde du 4-5 mai 2007, le sociologue Éric Fassin défend « un devenir-noir qui fait exploser le concept de race ». Le désir de transfert d’identité ne manque pas de violence mais aussi de sensualité, de charme. Notamment, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment à 13 ans il a projeté d’imiter un jeune homme plus âgé que lui qu’il a vu se masturber : « Je me laissais faire. Ravi. Je participais à sa jouissance. J’apprenais. Bientôt je l’imiterais, seul, en pensant à lui. » (p. 12)

 

Avec la récente identification de certains couples homosexuels à la famille traditionnelle naturelle, par le biais du projet de loi sur l’adoption ou le mariage, on a encore plus l’occasion d’observer les bonnes intentions – très déconnectées du Réel – de la projection identitaire impulsée par le désir homosexuel. Par exemple, lors de sa conférence « Homoparentalité aux USA » à Sciences-Po Paris le 7 décembre 2011, Darren Rosenblum, qui a obtenu une enfant avec son copain (grâce à une mère porteuse, donc une GPA : Gestation Pour Autrui), explique comment il a fini par se prendre pour la véritable mère de sa petite fille : « On est devenus très très proches de la femme qui a porté notre enfant. […] Je me sentais enceinte. […] Je soutiens que ces rôles de père ou de mère ne sont pas essentiels. Si dans une famille un homme veut être la mère, il doit pouvoir le faire ; si une femme veut être le père, il doit pouvoir le faire. » La substitution des identités, aussi irréelle et mensongère soit elle, se pare des meilleures intentions et des plus belles sincérités pour exercer sa violence.

 
 

d) Certaines personnes homosexuelles se plaisent à faire des play-back et des imitations :

Lady Gaga

Lady Gaga


 

L’un des supports les plus courus de la substitution d’identité chez les individus homosexuels, c’est bien sûr la musique, et notamment les play-back. « Sur ma lancée d’organisateur de jeux pour le quartier, je pris en charge les fêtes de la Saint-Jean. J’avais tout juste treize ans. Je montai une comédie musicale avec mes camarades, abusant du play-back. C’était le début du disco et je me trémoussais avec enthousiasme durant le spectacle, incarnant… des chanteuses. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), pp. 29-30) ; « Jimmy avait un don indiscutable pour le mime et la comédie. » (Ronald Martinetti dans sa biographie James Dean (1995), p. 25) ; « Le monde entier amusait Copi, le langage l’amusait, sa propre manière de l’estropier en français ou en italien, tout comme les accents divers de ses amis de langue espagnole. » (cf. l’article « Le Petit Sommeil » de Giovanni Gandini, dans la bande dessinée Un Livre blanc (2002) de Copi, p. 10) ; « J’imitais avec facilité. […] J’adorais faire le singe et je mimais les grandes personnes avec ce don qu’ont les enfants de copier un geste, une attitude, un trait, se transformant en marionnettes vivantes. » (Jean-Claude Brialy parlant de sa jeunesse, dans son autobiographie Le Ruisseau des singes (2000), pp. 23-27) ; « Là, tu donnais ta version de Carmen Miranda, la chanteuse brésilienne, si petite, si nerveuse. Tu l’imitais à la perfection. » (la grand-mère d’Alfredo Arias à son petit-fils, dans l’autobiographie de ce dernier Folies-Fantômes (1997), p. 159)

 

Thierry Le Luron et Coluche

Thierry Le Luron et Coluche


 

On compte parmi les personnes homosexuelles un certain nombre d’imitateurs possédant des talents de caricaturiste appréciés, ou des individus parodiant les gens de leur entourage : Pierre Jullian, Rafael Lorca, Mohammed VI du Maroc, Oscar Wilde, Colette, Robert de Montesquiou, Michel Catty (alias Michou), Charpini, Johnny Prieure, Thierry Le Luron, Juan Gallo, Jennifer Saunders et Dawn French, Henri Tisot, Patrick Adler, Juan Ribó, Camilo Sesto, Ismael Merlo, Yves Lecoq, sans oublier bien sûr le cortège des transformistes, travestis, dragkings, et des sujets transsexuels. Charles Trénet imitait le Maréchal Pétain. Les spectacles de travestis sont souvent fondés sur le play-back. Aux soirées spéciales « Mylène Farmer » de la boîte Le Tango à Paris par exemple, les sosies de Farmer se contentent de bouger les lèvres et de reprendre les chorégraphies de la chanteuse sans lui prêter leur voix et sans rajouter vraiment de leur personne (ils sont d’ailleurs étonnamment sérieux lors de leurs prestations : on a l’impression qu’ils n’ont aucune distance avec leur modèle adoré, ni même la claire conscience de jouer un rôle).

 

Transformiste Mylène Farmer

Transformiste Mylène Farmer


 

Dans sa Correspondance (1945-1970), l’écrivain Yukio Mishima rêve que l’imitation, censée reproduire et servir son modèle (une personne, un objet, un paysage, la réalité extérieure), soit plus originelle et vraie que l’original. « L’écrivain, tout en fuyant l’imitation, doit sans doute l’accepter. […] Il est impossible de faire la différence entre cette imitation essentielle et indispensable, et la création. » (pp. 42-43)

 

Cette confusion identitaire entretenue par bon nombre de personnes homosexuelles louvoie avec le dédoublement de personnalité, la schizophrénie. L’exemple du dramaturge Copi est à ce propos très parlant. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias, en parlant de son ami, explique que ce dernier ne fait pas la différence entre l’imité et l’imitant, entre la fiction et la réalité : « Son seul problème était de parvenir à se démaquiller. » (p. 12) Le frère de Copi va dans le même sens : « En ce qui concerne ses romans, Copi aimait ses personnages. Souvent il leur prêta son nom. Il prenait du plaisir à la confusion qui s’installait. » (Jorge Damonte dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 9)

 

 
 

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Code n°167 – Talons aiguilles (sous-code : Talons aiguilles rouges)

Actrice-traîtresseTalons Aiguilles

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

La « quenelle » dieudonnéenne, mais version homosexuelle

 

Film "Talons Aiguilles" de Pedro Almodovar

Film « Talons Aiguilles » de Pedro Almodóvar


 

Les talons aiguilles, en ce moment, c’est un peu le révolver queer des idéologues du Gender refusant les castrations symboliques pourtant salutaires.

 

Toutes les femmes réelles ne chaussent pas des talons hauts. En général, quand les talons aiguilles deviennent une habitude, c’est mauvais signe pour celle (ou celui) qui les porte. Cela veut dire qu’elle s’élève pour s’exposer en vitrine (comme un objet), qu’elle force sa féminité pour la rendre agressive et conquérante, qu’elle désire changer de sexes (c’est une féminité d’accessoire), qu’elle se prend pour un dieu surélevé, qu’elle va agresser d’une manière ou d’une autre (les talons aiguilles font partie de l’attirail sadomasochiste, du déguisement de la femme phallique – l’icône du danger sexuel machiste dont les prostitué(e)s sont les dignes représentant(e)s), qu’elle désire violer (le talon aiguille est un pénis artificiel) et être violé (le talon aiguille artificiel appelle à son remplacement par le pénis réel). Les talons aiguilles ne respectent pas la femme, ne sont pas connectés au Réel (les randonnées sur pavés ou en montagnes, je déconseille). Je veux bien croire qu’ils excitent érotiquement certains esprits souffrants en mal de domination/soumission/identité… mais très vite, ils font vivre trop haut et trop penché (ou en diagonale), font mal au dos, font perdre l’équilibre, donnent une identité de pacotille qui appelle à la violence.

 

Pièce "Les Amazones 3 ans après..." de Jean-Marie Chevret

Pièce Les Amazones 3 ans après… de Jean-Marie Chevret


 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Femme fellinienne géante et Pantin », « Carmen », « Reine », « Bergère », « Destruction des femmes », « Putain béatifiée », « Prostitution », « Bourgeoise », « Actrice-Traîtresse », « Amant diabolique », « Tante-objet ou Maman-objet », « Symboles phalliques », « Un Petit Poisson Un Petit Oiseau », « Icare », « Femme allongée », « Se prendre pour le diable », « Adeptes des pratiques SM », « S’homosexualiser par le matriarcat », à la partie « Travestissement » du code « Substitut d’identité », à la partie « Catwoman » du code « Femme-Araignée », et à la partie « Pied cassé » du code « Se prendre pour Dieu », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

 

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FICTION

 

a) La fascination fétichiste homosexuelle pour les talons aiguilles :

Dans les fictions homo-érotiques, les talons aiguilles de la femme-objet surélevée fascinent le personnage homosexuel : cf. le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick, la pièce Les Homos préfèrent les blondes (2007) d’Eleni Laiou et Franck Le Hen, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008) de Michel Hermon (avec les talons aiguilles noirs posés sur le piano), la pièce « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec la chaussure de Cendrillon, fétiche du désir), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec le téléphone en forme de talons aiguilles), la pièce L’Émule du Pape (2014) de Michel Heim, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems (avec la femme et ses « hautes bottes »), etc.

 
talons aiguilles love
 

Les talons aiguilles, c’est l’accessoire par excellence de la femme-objet cinématographique déifiée, qui descend sur scène du haut de son grand escalier en forme de chaussure : cf. l’album « Music » de Madonna, la pochette de l’album « Mes courants électriques » d’Alizée (ainsi que la chanson « J’ai pas 20 ans »), le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliott (avec le toboggan en forme de talons aiguilles), etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, fait sembler de rouler les mécaniques pour marcher comme un hétéro, puis trahit son identité d’homosexuel en se foulant le « talon ».

 

TALONS Alizée
 

Les talons aiguilles aident le héros homosexuel à se sentir plus en confiance avec lui-même, à se vieillir, à décupler son pouvoir narcissique et phallique, à se consoler d’avoir (ou de manquer d’)un pénis puisqu’ils servent de pénis artificiels : cf. le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, etc. « Et puis au début il était juste fétichiste des talons aiguilles, soit, mais il a commencé à les porter. » (la femme parlant de son ex-compagnon Jean-Luc, converti à l’homosexualité, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ma marraine Janine, c’est ce que j’appelle ‘mes chaussures du pouvoir’. » (Vincent Nadal dans sa pièce Des Lear, 2009) ; « Mes talons hauts me donnent confiance. » (cf. la chanson « Sur un fil » de Jenifer) ; « Et mes talons aiguilles, un talent de fille, mélodie du vent. » (cf. la chanson « J’ai pas 20 ans » d’Alizée) ; « J’ai toujours été folle des chaussures. Avec des paillettes. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Ce ne sont pas des chaussures pour un garçon de ton âge. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère lui parlant, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je les aime bien ces chères chaussures… » (Laurent Spielvogel se retirant les talons aiguilles, idem) ; « J’aime surtout les talons hauts. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère, idem) ; « Excuse-moi mais je suis une vilaine fille à talons. Une vilaine fille ! Il faut que le monde entier soit au courant ! » (Éric le héros homo, dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Niña De Tus Ojos » (« La Fille de tes rêves », 1998) de Fernando Trueba, Castillo, le personnage homosexuel, se propose de retirer à Blas ses bottes ; celui-ci ne le supporte pas et l’éjecte, comme si le fait de se faire déchausser revenait à faire un coming out.

 

 

b) L’ange déchu qui tombe de ses chaussures :

En règle générale, les talons aiguilles sont l’attribut de la femme fatale, de la tigresse phallique qui viole les hommes avec son faux pénis (= le talon) pour ne pas être violée en retour, de la mère incestueuse qui homosexualise son fils et le pousse à la prostitution, de l’amant homosexuel qui sodomise sauvagement : cf. la pièce Les Amazones 3 ans après… (2007) de Jean-Marie Chevret, le film « Tacones Lejanos » (« Talons aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar (avec le talon-flingue), la nouvelle « L’Encre » (2003) d’un ami homosexuel angevin, le film « Blue Velvet » (1986) de David Lynch, la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec Garance, la lesbienne prostituée aux talons aiguilles), le vidéo-clip de la chanson « Je suis gay » de Samy Messaoud, la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi (avec les deux paires de bottes à talons aiguilles), etc.

 

Par exemple, dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les talons aiguilles symbolise le fantasme d’être une prostituée, d’être violé : « Anna s’habille comme une pute. […] Je crois qu’elle aimerait bien. Son maquillage, ses talons hauts qu’elle adore ; ce sont des choses que porterait une prostituée. » (Maria, la prostituée, décrivant la jeune Anna, p. 165) ; « Ils arrivaient dans leur propre rue. Jane [l’héroïne lesbienne] remarqua deux prostituées à l’angle, portant des bottes à talons hauts, des shorts moulants et des corsages encore plus ajustés. » (p. 37) Anna, l’adolescente de 13 ans, essaie de suivre le chemin de sa mère prostituée professionnelle en portant des talons aiguilles, en se déguisant en l’adulte pour couvrir les abus sexuels de son père sur elle. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Solange, la machiavélique belle-mère en pantalon panthère, porte des talons aiguilles rouges.
 
 

L. – « Si papa savait ce que tu es devenue, il en mourrait une deuxième fois !

Mère – Et s’il savait que c’est toi qui l’a tué, il en mourrait une troisième fois !

L. – Tu sais très bien que je n’ai pas tué papa ! Pourquoi est-ce que j’aurais tué papa ?

Mère – Parce qu’il te sodomisait ! Je t’ai vu l’assommer à coups de talon aiguille avant de l’étrangler avec des bas de soie ! »

(Copi, Le Frigo, 1983)

 

 

« La semaine suivante, Varia est arrivée en cours avant le professeur Gritchov, et accompagnée d’une camarade que je n’avais jamais vue. C’était une brune très maquillée, habillée tout en similicuir. Elle avait l’air encore plus diabolique que Varia. […] [Elle et sa copine] Je les aurais tuées. […] La nuit, Varia revenait me hanter. Je la voyais marcher vers moi, depuis l’extrémité d’un couloir interminable, percé de portes plus noires que des trappes, perchée sur ses talons qui perforaient le carrelage. Elle avançait, un fouet à la main, toute de blanc vêtue, la chevelure souple et ondoyante, les lèvres rouges et serrées. À quelques pas de moi, elle ouvrait sa bouche pour me sourire. Je découvrais alors des canines de vampire, maculées de sang. » (Jason, le héros homosexuel parlant de la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 58-59) ; « Je me suis mis à chercher Groucha dans tous les bâtiments. J’ai fini par la trouver assise dans un couloir, avec sa minijupe blanche remontée jusqu’en haut des cuisses, et ses talons aiguilles plantés dans le carrelage. » (Yvon en parlant de Groucha, idem, pp. 261-262) ; « Votre pied a-t-il résisté à mon talon ? » (Mathilde, l’amante lesbienne ayant marché sur le pied de la narratrice, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 13) ; « Ma mère a essayé de me finir à coups de talons aiguilles dans la face. » (David Forgit, le travesti M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; etc.

 

"Le Livre blanc" de Copi

Le Livre blanc de Copi


 

Par exemple, dans le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, Leonora (Liz Taylor), la femme machiste, pénètre symboliquement sa bonne car cette dernière n’arrive pas à lui retirer ses bottes. Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, la chaussure, et spécialement la botte, est souvent utilisée comme un instrument de torture : « Tu préfères recevoir un de ces fatals coups de bottes ? […] Sinon, je sors ma botte. » (Fred menaçant son amant Max) Dans la comédie musical Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphane Druet, le père de Yolanda la prostituée transgenre M to F a été « assassiné à coups de talons aiguilles ». Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, la psychanalyste est parodiée en femme SM, avec talons aiguilles rouges, perruque verte et fouet. Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, l’héroïne lesbienne machiavélique, descend un escalier en forme de talons aiguilles rouges, et décide de nuire à tout son entourage, par sadisme et mégalomanie : « J’ai planté bien profond mes talons aiguilles ! » Dans la pièce Les Paravents (1961) de Jean Genet, Saïd force sa mère à porter des talons aiguilles (« Vous ne voulez pas mettre vos souliers ? Je ne vous ai jamais vue avec des souliers à talons hauts. […] Mettez vos souliers à talons hauts. […] EN-FI-LEZ vos souliers ! […] Vous êtes belle, là-dessus. Gardez-les. Et dansez ! Dansez ! ») ; elle riposte faiblement puis exécute l’ordre filial (« Mais, mon petit, j’ai encore trois kilomètres. J’aurai mal et je risque de casser les talons. »). Le spectateur découvre que c’est finalement elle qui prend le dessus et qui achève son fils : « Ma Mère qui danse, ma Mère qui vous piétine sue à grosses rigoles… Les rigoles de sueur qui dégoulinent de vos temps sur vos joues, de vos joues à vos nichons, nichons à votre ventre… Et toi, poussière, regarde donc ma Mère, comme elle est belle et fière sous la sueur et sur ses hauts talons !… […] Dans ma vie, je les ai mis deux fois. La première, c’est le jour de l’enterrement de ton père. […] La deuxième fois que je les ai mis, c’est quand j’ai dû recevoir l’huissier qui voulait saisir la cabane. » (Saïd) Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, Alba chausse ses talons aiguilles rouges et raye avec une clé une belle jaguar noire. Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Rambo, l’un des personnages gays, cherche à déguiser son pote Adrien en vraie traînée, et lui tend une paire de talons aiguilles rouges.

 

Les talons aiguilles sont le symbole de la prétention diabolique du héros homosexuel à vouloir être quelqu’un d’autre, à être hautain. C’est la raison pour laquelle ils sont souvent rouges : cf. le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat (avec Amira Casar), la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec les escarpins rouges de Joséphine), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan (avec Diane, la mère-traîtresse aux chaussures compensées rouges), la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez (avec Kanojo, une des héroïnes lesbiennes), la pièce L’Amant (2007) de Boris Van Overtveldt (avec Sarah), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec Vera), la chanson « Les Démons de minuit » du groupe Image, le téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne (avec les talons aiguilles rouges de Sharon la lesbienne), la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, le conte Les Chaussons rouges d’Hans Christian Andersen, le film « Les Chaussons rouges » (1948) de Powell et Pressburger, le film « Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, la pièce La Estupidez (2008) de Rafael Spregelburd, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy (avec Stéphanie), le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Marie), le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes, le film « Birth 3 » (2010) d’Antony Hickling, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Scarlett, la danseuse du cabaret Au Cochon stupéfiant), la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat (avec Joséphine), la pièce musicale Rosa La Rouge (2010) de Marcial di Fonzo Bo et Claire Diterzi, le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec Arlette en sur scène), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec Heïdi, une des héroïnes lesbiennes), le film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton (avec Otho, le héros homo), la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd, le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le spectacle musical Une Étoile et moi (2009) d’Isabelle Georges et Frédéric Steenbrink, le one-woman-show lesbien Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, la pièce Golgota Picnic (2012) de Rodrigo Garcia, le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza (avec Abbey, la « fille à pédés »), la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine (avec Damien, l’homme travesti M to F), la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec les talons aiguilles rouges de Graziella, la présentatrice-télé psychopathe), etc. « J’ai peint en rouge un de mes souliers. » (le narrateur homosexuel du roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 40)

 

Le motif de la botte revient relativement fréquemment dans la fantasmagorie homosexuelle. Il renvoie au satanisme et à la monstruosité. « Le chauffeur maquisard a un visage terrible, d’assassin. […] C’est un boiteux ; un de ses souliers a une semelle très haute, avec un talon bizarre, en argent. » (Molina, le héros homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 52)

 

"The butch Manual" de Clark Henley

The Butch Manual de Clark Henley


 

Le pire, c’est que les talons aiguilles, qui constituent l’arme du crime (symbolique) de la femme-objet (ultra-féminisée et virilisée dans le même mouvement) vont être reniés et même détruits quand celle-ci finit par se rendre compte de leur caricature, de leur faux pouvoir, de sa propre prétention. « Ne jamais porter de talons ! » (Emory, le héros homosexuel très efféminé, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Laisse mes talons aiguilles faire de moi une fille sans me regarder comme un objet. » (cf. la chanson « Être une femme » d’Anggun) ; « Je pourchasse impitoyablement le maquillage, les talons hauts, les fioritures en tout genre, et cela avec de moins en moins de tolérance. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 223) ; etc. Il n’est pas rare de voir (surtout chez les héroïnes lesbiennes) la scène de destruction des bottes ou des talons aiguilles par le héros homosexuel : cf. le film « Benzina » (« Gazoline », 2001) de Monica Stambrini (les bottes cramées au briquet), le film « Shortbus » (2005) de James Cameron Mitchell, le film « Lesby Nenosi Vysoké Podpatky » (« Les Lesbiennes ne portent pas de talons hauts », 2009) de Viktoria Dzurenkova, le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec les talons aiguilles plongés dans l’aquarium), etc. Les talons aiguilles sont les masques et au fond les révélateurs du viol. Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, Octavia la Blanca, le transsexuel M to F, pour cacher qu’il vient de se faire violer, simule un problème de chaussures : « Non non, rien… Je me suis cassée un talon. »

 

 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La fascination fétichiste homosexuelle pour les talons aiguilles :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Il y a un lien entre pied et désir. Pas seulement parce qu’il serait une zone érogène. Mais parce que le pied nous connecte avec la Terre, avec le Réel, avec la plupart de nos actions. Par exemple, bien des théologiens nous expliquent que la foi vient d’abord par les pieds ; et je suis une des personnes convaincues que beaucoup de nos bonnes idées viennent en marchant. L’arrivée des talons aiguilles dans la vie des filles, puis dans la vie de certains hommes, symboliquement, nous indique une baisse du désir, de l’action, de la marche (ils ne sont pas faits pour la marche, d’ailleurs). Mais dans un premier temps, ce catapultage dans l’irréalité de l’artifice fascine, envoûte, ravit, fait paillettes et Jet Set.

 

« En 1913, Havelok Ellis, dans son étude Inversion sexo-esthétique : Ellis pense qu’il s’agit là d’une forme de symbolisme érotique, d’ailleurs souvent accompagnée de fétichisme du soulier, du corset, etc. et ayant des rapports de similitude avec le fétichisme érotique et avec le narcissisme. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 302) ; « Je portais une longue robe mauve […], des bottes noires qui me rendaient fortes. » (Joan Nestle, citée dans l’essai Attirances : Lesbiennes fems, Lesbiennes butchs (2001) de Christine Lemoine et Ingrid Renard, p. 25) ; « Depuis longtemps, Lita avait délaissé les chaussons de danse pour les talons aiguilles. Elle avait toujours détesté les chaussons qui la tassaient, qui la rendaient un peu naine. C’est la raison pour laquelle tous les rôles de son répertoire post-professionnel furent dansés sur les talons aiguilles et non les pointes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 295-296) ; « Il portait des chaussures différentes, des espadrilles vertes simples et très jolies. Je les ai tout de suite adorées. Je voulais les mêmes. […] Je voulais de toute façon avoir exactement les mêmes espadrilles que lui. » (Abdellah Taïa parlant de son domestique Karabiino, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 76) ; « La Chola [homme travesti M to F] avait caché ses courbes dans une serviette et avait formé avec une autre un énorme turban. Celle qui enveloppait son corps était trop petite et l’autre, immense, lui donnait une apparence de géante. Elle portait, matin et soir, des talons aiguilles, toujours pailletés. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 187-188) ; « Son casse-tête, ce sont les chaussures. » (la voix-off par rapport à Laura, homme M to F, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc.

 

Dessin "Shoes" d'Andy Warhol

Dessin Shoes d’Andy Warhol


 

Les chaussures à semelle compensée ou les talons hauts de la femme-objet surélevée fascinent bien des personnes homosexuelles : je pense à Pedro Almodóvar, Yves Saint-Laurent, Andy Warhol (il a d’ailleurs fait des publicités pour les chaussures : Shoes en 1955), Néstor Perlongher (qui a écrit un texte sur « el deseo de pie »), Claude Cahun (cf. son dessin Elles s’aiment en 1929), Mika (lors de son concert à Paris-Bercy en avril 2010, sur la chanson « Big Girl »), Steven Cohen (toujours perché sur ses échasses, avec des talons aiguilles en crânes), etc. Je vous renvoie au logo de l’association MiddleGender. Je pense aussi au chorégraphe homosexuel Yanis Marshall de la saison 2022 de l’émission Star Academy, qui est spécialisé dans les danses en talons hauts et qui fait même danser ses élèves garçons sur ces derniers : le danseur a expliqué que son rêve d’enfant serait de « monter un spectacle permanent, comme un petit Crazy Horse, où les hommes danseraient en talons ». Moi-même, très tôt dans mon enfance, j’avoue avoir été attiré par ce drôle de fétichisme des pieds (même si je n’ai jamais tenté l’expérience de chausser des talons aiguilles) : quand j’étais en grande section de maternelle, je dessinais déjà des femmes avec des talons aiguilles ; et quand j’ai, à l’adolescence, vue les chaussures écrase-merde improbables des chanteuses comme les Spice Girls, je reconnais les avoir enviées.

 

Spice Girls

Spice Girls

 
 

b) Les talons anguilles

Quand on se surélève, gare à la chute et à l’atterrissage ! Bien des artistes transgenres ou homosexuels, dans leur mise en scène, parodient la Miss France qui tombe de ses talons hauts parce qu’elle est enserrée par les carcans de sa féminité d’accessoire : Thierry Le Luron, Bruno Bisaro, David Forgit, Zize, etc. « Est-ce moi qui tangue comme une ombre sur les talons d’une reine en cavale ? » (cf. la chanson « Les Enfants de l’aube » de Bruno Bisaro)

 

Concert d'Alizée

Concert d’Alizée en 2004


 

« La Chola [homme travesti M to F] avançait d’un pas décidé, malgré le déséquilibre que provoquaient ses talons aiguilles qui s’enfonçaient dans le chemin de terre battue. Sur son passage, flottait un délicieux parfum douceâtre. Ses formes étaient exaltées par un tailleur blanc moulant et une petite ceinture rouge. La Chola s’arrêta devant une maison basse, peinte à la chaux et surmontée d’un énorme écriteau où l’on pouvait lire ‘Église scientifique’. De part et d’autre de la porte étaient peints deux angelots assis chacun sur son nuage. Elle frappa. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 233)

 

TALONS SM
 

Les talons aiguilles sont le symbole de la prétention diabolique de l’individu homosexuel à vouloir être quelqu’un d’autre, à être hautain, à ne pas reconnaître ses limites, à vouloir se transformer en objet ou en prostitué : cf. les clichés du « Christ homosexuel » en talons aiguilles (1999) de la photographe lesbienne Élisabeth Olsson. « Entre la fin de l’été et l’âge du grand pas (16 ans), je suis obsédé par une seule chose. Les talons aiguilles. Dès que je croise une femme dans la rue qui en porte, je la poursuis dans l’espoir qu’elle me remarque, et que nous fassions l’amour. […] J’enfilais les talons aiguilles de ma mère, nous avions la même taille, et je m’observais dans la grande glace de la chambre à coucher de mes parents. Je fus émerveillée de voir mes jambes mises en valeur. Le plaisir des bas sur la peau donnait le frisson, et la hauteur des talons, me rendait narcissique en regardant mes jambes. Ce n’était plus moi, garçon dans la glace, mais les jambes d’une superbe garce. » (Cf. un texte d’un homme travesti du Québec, Vanessa, consulté en juin 2005) C’est la raison pour laquelle ils sont souvent rouges : cf. le documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger (avec les talons aiguilles rouges dans le magasin de sextoys). Par exemple, dans le documentaire « Et ta sœur » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, les talons aiguilles rouges sont filmés par terre, renversés sur un plancher.

 

Le port du talon-aiguille est un clin d’œil voilé à la sodomie.

 

Chorégraphie de Yanis Marshall

Chorégraphie de Yanis Marshall


 
 

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La violence anodine du travestissement

J’ai remarqué que le maquillage sur un homme, mais plus fondamentalement la négation de son sexe (je n’ai pas dit « la négation de son genre sexué », attention), et donc de l’image qui va avec, sont germes de violence. Lors d’une soirée bal costumé 100 % gay à laquelle j’ai assisté, un de mes proches amis s’était travesti en femme. Sur lui, la féminité forcée rendait hyper vulgaire. C’était, j’avoue, hyper drôle de le voir oser porter une perruque noire de poufiasse, des talons hauts, des bas résilles immondes, et une mini-jupe qui lui allait super mal. Mais blague mise à part, j’ai pu être témoin d’un phénomène assez fascinant et beaucoup moins amusant : beaucoup d’hommes qui se trouvaient à proximité de cet ami sur la piste de danse ont commencé à se précipiter sur lui comme des bêtes. C’est fou ce que le déguisement de travesti peut appeler de pulsionnel chez certaines personnes déjà imbibées d’alcool. Simplement parce que mon pote en question s’était appliqué sur lui-même la sur-femme médiatique, la femme-objet, tout d’un coup, il devenait aux yeux des autres un pur objet de consommation, une fille facile, une « femme à violer ». Les hommes précieux et délicats qui nous entouraient se sont peu à peu métamorphosés sans crier gare en grosses brutes machistes à partir d’une certaine heure, et se sont rués sur lui, l’ont tripoté, l’ont maltraité même. Mon ami s’est retrouvé pendant la nuit à sucer des bites dans les toilettes. J’avais entendu un jour un homme homosexuel faire le constat suivant : que le maquillage sur un garçon avait une forte charge érotique, et que lorsqu’un individu dans une boîte était maquillé, il arrivait à coucher plus facilement. Depuis ce jour-là, je cesse de prendre le travestissement à la légère, de le considérer comme une activité uniquement raffinée et ludique.