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Code n°150 – Promotion « canapédé » (sous-codes : Ascension sociale / Dandy / Riches / Bourgeois / Goût de l’argent / Député)

Promo canapédé

Promotion « canapédé »

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

En direct de la rue des Francs-Bourgeois… ou des bourgeois francs

 

Film "Jet Set 2" de Fabien Onteniente

Film « Jet Set 2 » de Fabien Onteniente


 

Sans pour autant être vraie et aimante, la bourgeoisie (dans le sens post-moderne du terme : l’attrait pour le « devenir-objet » et pour le matérialisme) est très sincère et franche. Et le désir homosexuel, étant par définition le désir d’être objet (vous irez voir le code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels pour ceux qui ne le connaissent pas encore) et le désir sincère qui ne parvient pas à être pleinement vrai, est particulièrement bourgeois. Ce que je dis n’est pas nouveau. Déjà, dans la Bible, il est fait mention que Sodome et Gomorrhe étaient des villes bourgeoises. Et si nous regardons autour de nous, il n’est pas difficile de constater que la pratique et la visibilité de l’homosexualité sont prioritairement observables dans les sphères de pouvoir, de luxe et de matérialisme déshumanisant de la gauche caviar. Pas étonnant que certains pays de l’Hémisphère Sud les considèrent aujourd’hui comme des « vices occidentaux » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 162) venant des Blancs riches.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence et n’est pas systématique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le désir homosexuel peut être ressenti par des gens objectivement sans argent ou par des individus au train de vie bobo (bourgeois-bohème). Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel pratiqué, et non du désir homosexuel seulement ressenti. Bien avant d’être un signe extérieur de richesse effective, l’homosexualité cherchant à s’incarner est d’abord un désir de richesse matérielle. Dans les fictions homo-érotiques, force est de constater que le personnage homosexuel joue souvent le dandy bourgeois ou le jeune homme arriviste qui louvoie avec le monde de l’argent et de la Jet Set grâce à son homosexualité… et plus on nie la part de vérité de ce cliché, plus il s’actualise.

 

On le voit dans bien des corps de métiers (mode, sport, médias, théâtre, opéra, hôtellerie, etc.) : l’homosexualité pratiquée est un moyen d’insertion à l’intérieur de certains milieux professionnels et sociaux. Dans le monde du libéralisme économique déshumanisé et conquérant, certaines personnes n’hésitent pas à user de leur prétendue « identité homosexuelle » (… ou de la pratique discrète des actes homosexuels « entre deux réunions », « sous le bureau », ou « dans la salle de la photocopieuse ») pour gravir les échelons de leur entreprise ou de leur milieu professionnel/artistique/politique. Elles semblent prêtes à tout pour arriver à leurs fins. Elles mêlent sans complexe génitalité et travail, vie privée et carrière, business et séduction. Et si on les soupçonne d’arrivisme, de corruption, de semi-prostitution, ou d’élitisme de nouveaux riches (les cercles d’artistes dandys ou d’universitaires homosexuels petits-bourgeois du début du XXe siècle ne sont pas si loin de nous !), elles avancent avec le masque du nouveau spectre de la communauté homosexuelle : l’Homophobie dans le Travail. Mais pourtant, aucune n’ignore la force de corruption de pouvoir qu’exerce le désir homosexuel actualisé.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Patrons de l’audiovisuel », « Prostitution », « Bourgeoise », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », « Solitude », « Lunettes d’or », « Amour ambigu du pauvre », « Homosexuel homophobe », « Innocence », « Défense du tyran », « Poupées », « Pygmalion », « Homosexualité vérité télévisuelle ? », « Androgynie bouffon/tyran », « Faux révolutionnaires », « Faux intellectuels », à la partie sur l’appât du gain dans le code « Artiste raté », à la partie « matérialiste » du code « Collectionneur » et à la partie « Apocalypse » du code « Entre-deux-guerres » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Dans les fictions homo-érotiques, énormément de héros homosexuels expriment leur haine des bourgeois et des riches : « Je hais les mini et les super-puissants !!! Je les vomis. » (Belle Espérance en parlant des « gens de la Haute » dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Sales bourgeois ! » (Daphnée, la bourgeoise par excellence, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le film « La Cérémonie » (1995) de Claude Chabrol, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert détruisent une famille de bourgeois. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, l’Étranger sème le trouble en couchant avec tous les membres d’une famille aisée. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott, le héros homosexuel, le fils du maire, rentre en conflit avec son milieu social d’origine pour vivre dans des squats. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, les bourgeois sont moqués.

 

Mais la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

Le héros homosexuel devient bourgeois d’abord parce qu’il désire se faire objet, qu’il nie son humanité et qu’il rejoint donc la violence et les mondes déshumanisés. « Bande de faux-culs, vous les bourgeois ! Vous êtes les premiers à défiler dans les manifs ‘Les pédés au bûcher !’, mais on vous voit dans les bois ! » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Depuis longtemps, Jason n’était plus capable d’apprécier le spectacle de la nature pour lui-même. En bon dandy féru de décadence, et ayant entretenu son raffinement avec le soin maniaque que l’on prend à s’occuper d’un bonzaï, il était saturé de culture. Un flot de références picturales ou littéraires venait faire écran à toute impression spontanée, et spécifier la teneur même de son émotion. C’est ainsi que la mer, à l’horizon, lui parut avoir revêtu son plus beau bleu Klein. […] La transparence de l’air lui rappela quelque ciel italien de Corot. Quant aux hortensias qui exhibaient avec une joyeuse fierté leurs gros pompons roses, bleus et mauves, ils semblaient sortis du costume d’Arlequin d’une fête galante de Nicolas Lancret. » (Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 31) Par exemple, dans le film « Gigola » (2010) de Laure Charpentier, l’héroïne lesbienne incarne parfaitement la figure de la garçonne envahie par les objets : elle est vêtue d’un smoking, porte un œillet rouge à la boutonnière, brandit une canne à pommeau d’argent incrusté d’une tête de cobra.

 

Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître. Il consiste à dire : « Je ne désire pas profondément une personne ou un objet, mais je le prétends parce que je sens que c’est désiré par ‘les autres’ (… et surtout par ceux du sexe complémentaire !) ». C’est l’élan mimétique largement décortiqué par René Girard : « Oui, elle était bandante, c’est le mot. Les mâles de la salle de jeu et moi, nous le savions bien. Et tout à coup j’ai eu envie de les battre sur leur propre terrain. Apparemment tout le monde avait envie de cette belle brune. Pourquoi pas moi ? » (Suzanne, l’héroïne lesbienne bourgeoise du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 237)

 

Certains héros homos créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : cf. le bourgeois le châtelain libertin organisant des parties SM dans son manoir dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la bourgeoisie incorrecte dans la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, etc. « Vous êtes un mondain pour vos amis, un snob pour vos détracteurs. Je ne tranche pas. Après tout, je suis comme vous. » (Vincent, le jeune héros homosexuel s’adressant à la figure de Marcel Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 26) Par exemple, dans la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel voue une passion sans limite pour le « trash bourgeois » et « l’érotisme de salon » (p. 97). Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le jeune héros homosexuel, joue le dandy à part de ses camarades de lycée : il s’habille avec chapeau haut de forme et canne de « Lord anglais », avec un œil caché de pirate.

 

L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp des héros homosexuels n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces derniers restent enchaînés au paraître : « Quelques pédés paradent et ça sent le pédant. » (l’un des héros de la pièce Intérieur ou la Traversée spectaculaire d’un foutoir devenu trentenaire (2011) de Jérôme Thibault) La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images et aux objets.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Film "Victor Victoria" de Blake Edwards

Film « Victor Victoria » de Blake Edwards


 

Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde du paraître, il y a une idolâtrie. En effet, beaucoup de personnages homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse ») : cf. le film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, le roman Le Dernier des Médicis (1994) de Dominique Fernandez, le film « Déclin de l’Empire américain » (1986) de Denys Arcand, le roman Feu le monde bourgeois (1966) de Nadine Gordimer, le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, etc. Par exemple, dans le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá, José María est le dernier maillon d’une famille aristocrate en décadence. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les amantes Thérèse et Carol sont l’archétype des deux grandes bourgeoises qui aiment vivre dans le luxe et le désuet. Je vous renvoie au code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel des fictions est souvent issu d’une famille bourgeoise : par exemple Lars dans le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato, Julien dans le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, François dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Tala et Leyla dans le roman I Can’t Think Straight (2011) de Shamim Sarif (les deux amantes sont toutes deux héritières de très bonne famille), Tadzio dans le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewics, Kyril le dandy avec son monocle dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Ignacio dans le film « Le Bal des 41 » (« El Baile de los 41 », 2020) de David Pablos, etc. Dans la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Henriette, le héros travesti M to F, se définit lui-même comme un « fils-à-papa ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne, l’héroïne lesbienne, se fait traiter de « bourgeoise des Chartrons ». Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Hervé appartient à la « petite noblesse bretonne » (p. 62). Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les deux « pères » de Gatal, le héros homosexuel, ont tenu à ce que leur fils suive sa scolarité dans les « écoles les plus chères et les plus cotées ».

 
 

Lou – « Je ne suis pas assassine, je suis une fille riche !

Mimi – Riche, dit-elle, archi-riche ! C’est Mademoiselle d’Onassis ! »

(Lou et Mimi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 
 

L’homosexuel, dans bien des cas, est présenté comme le fils de la bourgeoisie. « L’idéal d’la féminité, c’est d’être née avec du blé ! C’est comm’ ça qu’elle’ pond’ des pédés. […] Ell’ font d’eux des efféminés. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, parlant à Suzanne, la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Ainsi que le montre le début du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, la bourgeoisie serait congénitale et engendrerait l’homosexualité. Par exemple, dans le roman Le Bal des folles (1977), Copi-narrateur se définit lui-même comme un « fils de bourgeois » (p. 143), et décrit ses camarades homosexuels comme des bourges : « Elles sont toutes des bourgeoises tarées. » (p. 130) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, les homos sont définis comme des « bourgeois arriérés ». Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Matthieu-Alexandre, le fils aîné de la bourgeoise Marie-Muriel, est homo : il fait partie d’un club très fermé d’art, et sa mère anti-mariage-pour-tous ne se rend même pas compte de sa tendance, même si elle l’avoue à son insu : « Il est tellement sensible… » Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie est le prototype du gosse de bobo qui va se marier avec un autre homme de sa classe et de sa situation, Antoine : « Il est successful, il est riche. » Il trouve même qu’il a finalement une vie « trop cadrée ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Freddie, l’hétéro de base, sous-entend qu’il a compris l’homosexualité cachée de Tom, le héros homosexuel, quand il tourne en dérision l’intérieur riche de son appartement : « C’est tellement… bourgeois… ». Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Audrey, la journaliste noire, qualifie au départ les préoccupations homosexuelles de Rupert par rapport à John de « petits problèmes de riches ».

 

Film "Maurice" de James Ivory

Film « Maurice » de James Ivory


 

« Je me demande pourquoi il y a toujours autant de pédales chez les bourgeois. Ça doit être l’absence d’effort physique. À force de rien foutre assis sur des fauteuils, leurs gènes deviennent mous et dégénérés. » (le boucher joué par Philippe Nahon dans le film « Seul contre tous » (1998) de Gaspard Noé) ; « Toi, t’es aristocratique. » (Vanessa s’adressant à son mari homosexuel Laurent, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel, parlant à Hubert dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « C’est la classe, les gays ont tout. […] Et j’suis fier, et j’suis snob. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, s’adressan à Suzanne, la copine de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener), etc.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « Tout comme aujourd’hui, jadis, on retrouvait plus de compassion pour la communauté homosexuelle dans les milieux aisés de notre population. La classe moyenne avait de tout temps marqué du mépris et du dégoût envers ces ‘gens-là’ comme ils disaient. » (Ednar à propos de la Martinique, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 27) Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Souvent, dans les films homo-érotiques, c’est ambiance bourgeoise et salon de thé : cf. la chanson « À table » de Jann Halexander, les vidéo-clips des chansons « Maman a tort », « Libertine » et « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la relation sensuelle entre les petites filles modèles et leurs gouvernantes), le film « Une dernière nuit au Mans » (2010) de Jeff Bonnenfant et Jann Halexander, le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1987) de Manuel Vázquez Montalbán, le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries, le film « The Queen » (2006) de Stephen Frears, le film « Rocco et ses frères » (1960) de Luchino Visconti, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1982) de Pedro Almodóvar, le film « Amours particulières » (1969) de Gérard Trembaciewicz, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec les parties mondaines du couple lesbien Catherine S. Burroughs/Muriel Gold), le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester, le film « Il Disco Volante » (1964) de Tinto Brass, le film « Fraude Matrimoniale » (1977) d’Ignacio F. Iquino, le film « Le Feu Follet » (1963) de Louis Malle, le film « Dandy Dust » (1998) d’Hans A. Scheirl, le film « Concussion » (2013) de Stacie Passon (avec Abby, la lesbienne fortunée), le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2014) de Frank Oz (avec le couple de bourgeois homosexuels fraîchement installé dans la bourgade bourgeoise de Stepford ; l’un d’eux est politicien de droite), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin (avec le précieux dandy criminel, Lacenaire), etc.

 

Fictionnellement, les politiciens, magistrats, députés ou businessmen fortunés sont souvent homosexuels : cf. le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « El Diputado » (1978) d’Eloy de la Iglesia, la trilogie « Dead Or Live » (1999-2002) de Takashi Miike (avec le maire homo), le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil (avec le maire homo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger (avec le sénateur Brig Andersen), le film « Que le meilleur l’emporte » (1964) de Franklin J. Schaffner (avec le gouverneur Cantwell), le film « The Barber, l’homme qui n’était pas là » (2001) de Joel Coen (avec le chef d’entreprise gay), le film « Jack le Magnifique » (1979) de Peter Bogdanovich (avec le sénateur homo), le film « Hécate, maîtresse de la nuit » (1982) de Daniel Schmid (avec le diplomate joué par Bernard Giraudeau), le film « Brylcream Boulevard » (1995) de Robbe de Hert (avec le politicien homo), le film « Charmant Garçon » (1999) de Patrick Chesnais (avec le Ministre de la culture), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill (avec le vieux ministre), la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier (avec Georges, le notaire marié et secrètement homosexuel), le dessin animé « Les Douze Travaux d’Astérix » (1976) de René Goscinny et Albert Uderzo (avec le directeur efféminé de la Maison qui rend fou), etc. « Il est pédéraste ? Alors on en fera un bon sénateur ! » (les deux sénateurs dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky) ; « George Washington était une lesbienne noire. » (le professeur d’histoire souhaitant une grande liberté de ton dans ses cours, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Les hommes politiques, c’est un peu comme les homosexuels. Ça te fait gober tout et n’importe quoi. Et plus c’est gros, plus ça passe. » (Samuel Laroque parlant de ses pairs homos, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « À la mairie de Paris, y’a vraiment beaucoup de pédés ! » (Laurent Violet dans son one-man-show Faites-vous Violet, 2012) ; « J’oublie toujours que ce Ministère des Finances est comme une ruche. » (Mathilde, jalouse que son meilleur ami homo Guillaume ait fait une rencontre amoureuse au travail, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Ils [les hommes politiques] en sont tous. » (un des quatre héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Les pédés obtiennent toujours tout les premiers. » (Senel Paz, Fresa Y Chocolate (1991), p. 10) ; « Les folles sont partout… même au gouvernement ! » (le pasteur Ralph, homosexuel refoulé, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc. Par exemple, dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, le Ministre de la Sécurité Intérieure, Benyamin Landau, est homosexuel. Dans le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg, David Bowie est PDG. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand présente satiriquement le Prince Charles comme un homo, et laisse entendre que vu sa vie débridée et ses déboires avec les femmes, le coming out du président François Hollande serait « imminent ». À la fin, il dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les bien introduits dans les meilleures sociétés, les politisés ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jurgen est l’amant du patron de la boîte de Petra, elle-même homosexuelle.

 

D’ailleurs, le lien entre homosexualité et Franc-Maçonnerie est opéré inconsciemment même dans les films gays friendly tels que « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, où l’expression « être du bâtiment » équivaut à dire « être homosexuel ».
 

On retrouve beaucoup dans les fictions homo-érotiques la figure du bourgeois homo : Bernard le bobo homo sophistiqué dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Georges l’homosexuel bourgeois dans la pièce La Cage aux folles (1973) de Jean Poiret, Jean Desailly en un grand bourgeois inverti dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, Gabriel de la Serna dans la B.D. Muchacho (2006) d’Emmanuel Lepage,Jean-Paul le pédé bourgeois avec son petit chien de compagnie surnommé « Cocteau » dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier), le Baron Lovejoy dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le narrateur homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le dandy de la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, Pietrino le dandy efféminé dans le film « Toto Cue Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, les dandys oisifs du film « Godelureaux » (1960) de Claude Chabrol, Mathias dans le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, les deux artistes Sulki et Sulku dans le film « Musée haut, Musée bas » (2011) de Jean-Michel Ribes, David et Philibert les dandys capricieux dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, Stephen l’héroïne lesbienne dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, le baron Charlus et Swann dans le roman À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust, la dandy lesbien dans le film « Love Is The Devil » de John Maybury, Jacques-Henri dans les films « Les Visiteurs » (1992) et « Les Visiteurs II, les Couloirs du Temps » (1998) de Jean-Marie Poiré, le dandy homosexuel du film « Quartet » (1948) d’Harold French, Harold pédé dandy qui case des mots de français quand il parle anglais dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Jules le poète maudit snob dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Philippe le « dandy macho » homo dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, etc.

 

Dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels fictionnels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages : « Nous menons une vie bourgeoise. » (Pretorius en parlant de lui et de son amant Dracula, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zach et Nate se rencontrent dans un cocktail mondain et se draguent. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, fréquente les salons anglais smart de thé, où il drague les bons pères de famille bourgeois : Samuel (Omar Sy), son ami hétéro, lui reproche de s’acheter des « lustres à 6 milliards » d’euros.

 

L’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : cf. la chanson « la bourgeoisie des sensations » de Calogéro (traitant précisément des méandres de la bisexualité), le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le roman Le Portrait de Dorian Gray (1891) d’Oscar Wilde (avec le dandy refusant de vieillir), le roman Le Goût de Monsieur (2004) de Didier Godard, etc. « J’ai des acouphènes en avion. » (Jean-Paul, le pédé bourgeois du film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « J’ai rencontré cet homme [Éric] qui me subjugua par son esprit vif et ses manières d’aristocrate. » (Albert Russo, L’Amant de mon père (2000), p. 25) ; « Je suis un misanthrope élitiste assumé. » (Karl Lagarfeld cité dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; etc. Par exemple, dans la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander, le narrateur célèbre le snobisme comme un raffinement, un « art de vivre » noble, une originalité exceptionnelle (homosexuelle, même !), « l’élégance du luxe de la Différence » : « Mais j’avais un problème : quoi porter ? On ne s’habillait pas n’importe comment pour aller à l’opéra. […] Je n’allais tout de même pas me présenter devant le Tout-Montréal déguisé en cousin pauvre ! Même si je n’étais que le cousin pauvre du cousin pauvre ! […] J’aimais mieux faire artiste que péquenaud. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 39)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Les héros homosexuels affichent à maintes reprises leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste (ou bobo anti-matérialiste) et les Jet Set : cf. le tableau Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol, le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le film « Le Cercle des poètes disparus » (1989) de Peter Weir, le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, le film « Gigolo » (2004) de Bastien Schweitzer, le film « J’en suis » (1997) de Claude Fournier, les films « Jet Set » (1999) et « People » (2004) de Fabien Onteniente, le film « Années volées » (1998) de Fernando Colomo, le film « Bezness » (1992) de Nouri Bouzid, le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, le film « Noblesse oblige » (1949) de Robert Hamer, le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, le film « Costa Azzura » (1959) de Vittorio Sala, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, le film « Primary Colors » (1998) de Mike Nichols, le film « Les Rênes du pouvoir » (1999) de George Hickenlooper, le film « The Ritz » (1976) de Richard Lester, le film « L’Amour » (1972) de Paul Morrissey, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Pretty Persuasion » (2005) de Marcos Siega, le film « High Art » (1998) de Lisa Cholodenko, le film « Riches et célèbres » (1981) de George Cukor, le film « Ho Visto Le Stelle ! » (2003) de Vincenzo Salemme, le film « Per Finto O Per Amore » (2002) de Marco Mattolini, le film « A.K.A. » (2001) de Duncan Roy (fonctionnant comme un roman d’apprentissage), le film « Gamin de Paris » (1992) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, le roman L’Ami de passage (2014) de Christopher Isherwood (avec une bande d’homosexuels qui gravitent autour d’Ambrose, un Anglais riche et dépravé), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis (avec le cercle de petits bourges puceaux, homophobes… et homosexuels), la chanson « Je cherche un millionnaire » de Coccinelle, etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, accède au milieu branchouille des artistes. « Goudron organisait tant de salons et de soirées fréquentées par des centaines de personnes ridicules de toutes sortes. Il les collectionnait, vous savez. » (le pervers Comte Smokrev s’adressant à Pawel Tarnowski, au sujet de son mécène homosexuel Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 308)

 

Film "Gigola" de Laure Charpentier

Film « Gigola » de Laure Charpentier


 

« J’ai des relations mondaines. J’ai des relations. J’connais la baronne du Maine. Son fils Absalon. » (cf. la chanson « Les Relations mondaines » de Charles Trénet) ; « Moi ce que je vise, c’est le fric. » (Tedd, l’un des héros homosexuel du film « Cruising », « La Chasse » (1980) de William Friedkin) ; « C’est ma dernière mission là-bas, avait alors promis Ginette. Je ne pars que pour six mois. Je ferai une tonne d’argent, et l’on va l’avoir, notre maison de campagne. » (Ginette s’adressant à son amante Lucie, dans son roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 30) ; « J’adore la vélocité de l’argent. » (une phrase du poème Howl (1956) d’Allen Ginsberg) ; « Que c’est beau, le fric. » (la bourgeoise imitée par Rodolphe Sand, dans le one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Comme j’suis vénale… J’adore le fric ! » (Blanche-Neige dans le one-(wo)man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Vous êtes la Reine des Affaires ! » (François Dourdan s’adressant à Marina, le travesti M to F, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « J’ai toujours voulu être capitaliste. […] J’ai un capital : c’est mon corps. Je suis une capitaliste interne. […] J’ai décidé de capitaliser mon corps de l’intérieur. » (Nathalie Rhéa se justifiant d’avoir pris du poids, dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « La nuit, je restais éveillée dans mon lit, oubliant un moment la dure réalité de mes seize ans et de ma condition de faible femme dénuée de fortune, pour imaginer que j’étais l’homme des films. Je voulais la richesse, le pouvoir, la célébrité […]. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 24) ; « Le fric… j’ai grand besoin de fric. » (le Baron Lovejoy, homosexuel, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « J’ai toujours rêvé d’habiter dans un 4 étoiles. » (Dany, le jeune héros homosexuel du film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Avec toutes ces conneries, on a perdu beaucoup d’argent. On est passé à l’émission ‘Money Drop’ de Florence Boccolini, spéciale couples gays. » (Benjamin parlant de lui et de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Par exemple, tous les personnages du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (Fabien, Emmanuel Fruges, etc.) émettent le souhait de vivre dans le luxe ; notamment, Fabien regrette « de ne pas être riche » (p. 42) : « Il se mit à courir à la recherche de la première personne qui lui parût heureuse, mais surtout riche. » (idem, p. 82) Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane veut devenir « aussi riche que Madonna ». Dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, le narrateur homosexuel ne cache pas ses appétits carriéristes. Dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, Paola joue la proximité avec les célébrités. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Roy Cohn est de mèche avec la « First Lady » des États-Unis. Dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie est obsédé par l’envie d’être célèbre.

 

Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif est donnée aux héros homosexuels de classe aisée comme aux héros sans le sou. « Il faut que je t’avoue quelque chose : je ne suis pas riche. Je suis une mythomane. En fait, j’habite dans une chambre de bonne, rue Monsieur-le-Prince. » (Micheline, le travesti M to F, s’adressant à Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

On observe que le personnage homosexuel évolue souvent dans un univers capitaliste très mécanisé et déshumanisé : cf. le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer, le roman La Comédie humaine (1825) d’Honoré de Balzac (avec le personnage de Vautrin), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, la pièce La Machine infernale (1934) de Jean Cocteau, la chanson « Chain Reaction » de Diana Ross, la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, la chanson « Material Girl » de Madonna, la chanson « Telephone » de Lady Gaga, etc. Je vous renvoie également la partie « Automates » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution homosexuelle) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les œuvres homo-érotiques, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) Je vous renvoie à la partie « Amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants fictionnels se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Tu aimes les bijoux, hein ? Prends ça aussi. Et le collier. Tiens, tiens, ne me remercie pas. […] Tu aimes l’argent, hein ? » (Evita s’adressant à l’infirmière, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Ici, on dit ‘partners’ pour deux hommes qui vivent ensemble, comme s’ils fondaient une affaire commerciale, comme s’ils construisaient une nouvelle société. Gordon et Sean ne sont peut-être que cela. » (Claudio, l’un des héros homosexuels parlant d’un couple d’amis homos à lui, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 100) ; « En plus, mon keum est architecte. Il est pété de thune. C’est pas mal pour une vieille pédale comme moi ! » (Serge parlant de son compagnon Victor au jeune Basile, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.

 

Le héros homosexuel fait passer sa quête bourgeoise de paraître pour un élan combatif, une curiosité, une ouverture vers l’inconnu. On retrouve parfois dans les fictions homo-érotiques la magie des récits des romans d’apprentissage. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F ne cache pas ses prétentions de gloire et de pognon : « Je viens à Paris pour être une star. » Il/Elle se caricature en Miss France vulgaire, courtisé(e) par un producteur, Monsieur Benamou, qui s’intéresse mystérieusement à lui/elle et veut en faire son égérie pour son agence de sosies : « Si ça se trouve, on va gagner des ronds… » accepte Zize après rapide réflexion. Il/Elle est pris(e) pour une prostituée par un passant dès son arrivée à la Gare de Lyon de Paris.

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent. L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment entre Frédéric et son bras droit Nicolas dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, entre Cédric le botaniste et son jeune étudiant stagiaire Laurent dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, entre Gérard Lanvin et son mystérieux supérieur Michel Piccoli chargé de réorganiser l’entreprise dans le film « Une étrange affaire » (1981) de Pierre Granier-Deferre, entre le professeur Daniel Auteuil et l’escort boy Stuart Townsend dans le film « Mauvaise Passe » (1998) de Michel Blanc, entre l’adjuvant Denis Lavant et le jeune légionnaire Grégoire Colin dans le film « Beau travail » (2000) de Claire Denis, entre l’avocat Fabrice Luchini et Roschdy Zem son garde du corps dans le film « La Fille de Monaco » (2008) d’Anne Fontaine, entre le Duc de Richelieu et son jeune et beau Louis-Marie de Montédour-Trémainville dans le roman Le Crépuscule des bourbons (2012) de Philippe Gimet, etc. Par exemple, dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie et Léonore couchent ensemble pour réussir dans le milieu artistique. Dans la comédie musicale Le Rouge et le Noir (2016) d’Alexandre Bonstein, Géronimo parle d’« introduire » son patron, le Marquis de la Mole. Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José toujours appelle son futur amant Ander « patron ». Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, chef de chantier, est en couple avec son ouvrier arabe Rachid. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny se laisse entretenir par Shane, et son ambition est de « devenir riche ». Dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, Pierre est un ministre homosexuel, et Nicolas (qui devient l’amant) monte en grade dans son cabinet. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Sigrid profite de son amante Helena, plus âgée qu’elle, pour devenir son assistante et monter en grade dans son entreprise. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel de 14 ans, dans la chanson. Mais pour cela, Davide passe d’abord à la casserole. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra favorise l’ascension de Karin (son amante) dans le monde du mannequina. Dans le film « La Partida » (« Le Dernier Match », 2013) d’Antonio Hens, Reinier rencontre Juan, un quadragénaire espagnol et voit en lui son passeport pour quitter Cuba et la misère. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Vincent, agent artistique, est l’amant de Stéphane (qui a toujours rêvé d’être une star). Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Claudio essaie de s’attirer les faveurs économiques de Gordon. Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, Juan le jardinier homo désire « faire grimper son derrière en même temps que sa carrière » (p. 147). Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, les consultants sont traités de « bande de pédés ! » (p. 194). Dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, le verbe « pistonner » utilisé par Gérard remplace le verbe « sodomiser ». Dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber, François Pignon découvre qu’en faisant au faux coming out, non seulement il ne sera pas viré de son entreprise comme initialement prévu mais il montera en grade. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, sort avec des amants plus âgés et riches que lui, qui l’entretiennent. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, homosexuel, est vendeur dans un magasin de vêtements féminins et fait passer son compagnon Thomas pour un livreur : « C’est bon pour le commerce. » lui dit-il pour justifier son mensonge homophobe. Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, le couple homo est composé de Barthélémy, un Blond dont les dents rayent le parquet, fils de bonne famille potentiellement à la tête d’un Empire industriel important, et de Brahim, un Maghrébin, fin stratège et bras droit d’Élizabeth (la tante de Barthélémy, un vrai requin, à la tête de l’entreprise familiale). Ces deux ambitieux sortent ensemble pour réunir leurs appétits carriéristes. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et l’aide à trouver un travail de cascadeur. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse d’intérêt. Julien exploite sexuellement et professionnellement Yoann en tant qu’assistant et « plan cul » ponctuel. Et ce dernier semble disposé à se laisser corrompre, à jouer « la bonne » : « Je suis un petit peu son PM : Personal Manager. » ; « J’adore mon job. » ; « T’es chouette comme patron. » ; etc. Yoann est de plus en plus gourmand. Julien le comprend : « Je t’augmente. » « De combien ? » lui demande Yoann. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel se moque du cliché selon lequel « Le gay aurait toujours un travail de rêve ». Au contraire, il fait du conseil téléphonique pour les banques, et se plie à une séduction hypocrite très commercial. En revanche, en génitalité, il reproduit le même business : quand il tente d’expliquer à son éditeur hétéro la notion d’« actif » et « passif », ce dernier lui rétorque : « C’est quoi l’actif ? C’est quoi le passif ? Moi, à part dans un bilan comptable, je sais pas ce que c’est. » Je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Homosexuels psychorigides » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’homosexualité est présentée comme une force de conviction professionnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut. « C’est dingue ! Ma boss est lesbienne ! » (Florence, l’héroïne lesbienne, parlant de son nouveau job aux États-Unis, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « La passion financière resurgissait continuellement de ses propos. Sur un ton de plaisanterie, Julien évoquait le projet d’user de ses charmes pour séduire un célèbre milliardaire homo. […] L’argent, toujours l’argent ! »  (Benoît Duteurtre décrivant un jeune homosexuel arriviste, dans le roman Gaieté parisienne (1996), pp. 72-97) ; « Par l’intermédiaire de l’un d’eux, j’ai fait connaissance avec le milieu homosexuel local. À la Marsa, il y avait un couple célèbre. Donald, un Libano-Américain richissime d’au moins soixante-dix ans, et Sami, un Tunisien trente ans plus jeune que lui. Ils organisaient des fêtes privées, plus ou moins clandestines. […] Dans ces soirées, il y avait beaucoup de touristes. Des résidents étrangers, des huiles des milieux culturels et diplomatiques. Des intouchables, en bref. Beaucoup de fric, et même de l’alcool. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 343) ; « Je suis le genre de garçon qui est monté à Paris depuis la Meurthe-et-Moselle, et qui était prêt à gravir les échelons de l’échelle sociale. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, Nathalie et Sandrine décident d’utiliser le sexe comme arme de progression sociale et se font embaucher dans une entreprise : « Les femmes fatales sont en général narcissiques ou lesbiennes, frigides avec les hommes. Elles ne jouissent que si elles en ont envie, donc pas souvent, c’est ce qui fait leur force. » (Nathalie) Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas dit qu’« il ne faut pas mélanger sexe et travail », mais immédiatement après se justifie de draguer lourdement le beau et jeune serveur autrichien qui s’occupe de sa table au chalet de montagne ; son pote gay Gabriel semble être dans la même démarche : « Ma vie est un entretien d’embauche ! » Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le mariage homo et l’amour homo sont considérés comme un moyen de toucher le pactole de l’héritage. Selon Dodo, il s’agit de « faire semblant d’être gay pour réussir ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite André un homme qui le drague dans un hammam en lui proposant tout son carnet d’adresses du milieu artistique : « Je suis très introduit dans le milieu du théâtre. » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Joël se fait passer pour un trader, un magnat de la finance, et attire ainsi dans ses filets un bel athlète croate dans une discothèque. Ce dernier est prêt à faire affaire avec lui : « On est pareils. On mise sur le pétrole, sur le gaz. Je veux te sucer. » Au moment du coït et de se faire sucer par lui à l’hôtel, Joël l’insulte en plein orgasme de « sale capitaliste ! ».

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « En serez-vous ? Si vous en êtes, faut reconnaître qu’à notre époque, ça mène à tout. Pour réussir, il faut en être. Un p’tit effort, Zou ! En serez-vous ? » (cf. la chanson « En serez-vous ? » des duettistes Gilles et Julien, en 1932) ; « Vous voulez vraiment que je vous dise ? J’veux coucher avec vous. […] On a quand même le droit d’avoir envie de son patron ! » (Armand à son patron Paul, qu’il va finir par sucer, dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie) ; « Je suis quand même plus amoureuse avec ta carte de crédit. » (cf. la chanson « Fais-moi un chèque » de Jena Kanelle) ; « Vous avez déjà pensé à être mannequin ? C’est possible avec les bonnes connexions, vous savez… » (Monsieur Chateigner, client d’un hôtel de luxe, cherchant à draguer le jeune et joli garçon d’hôtel Anthony, dans le film « Consentement » (2011) de Cyril Legann) ; « Le job, c’est de l’argent, et l’argent, c’est que pour le sexe ! Time is money, money is sex. » (la Comtesse Conule de la Tronchade dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 51) ; « Duccio connaît le directeur de casting. Mais malgré ça, il n’a pas été pris. » (Bernard en parlant d’un de ses potes homos faisant du porno, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Il s’appelle R., il a dix-neuf ans tout juste et la naïveté de croire que le monde du spectacle l’attend. […] Je mens, je dis que j’ai déjà mis en scène une pièce. Il est intéressé. Je dis ‘t’es prêt à tout pour jouer dans ma prochaine pièce ?[…] Dans le fond, je m’en fous de parler, tout ce que je veux c’est le baiser. » (Mike le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 67) ; « J’essaye de dénicher la petite bonne qu’il me faut, et il s’en présente beaucoup de nouvelles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne couchant avec toutes ses domestiques, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 13) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, met sur le même plan sa relation de subordination au commandant de bord de l’avion qu’il occupe avec la fellation : « Ben c’est le commandant… » dit-il avec un geste obscène.

 

L’homosexualité se présente comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale : « Dès que j’ai su qui j’étais, j’ai su que j’allais monter l’échelle sociale. J’ai vu passer les ascenseurs. […] Grimper ! Grimper ! […] Monter en grade. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Si on est gay, on attire les médias, et donc les producteurs. » (Dzav et Bonnard dans leur pièce Quand je serai grand, je serai intermittent, 2010)

 

Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le monde où la différence des sexes a été totalement rejetée se trouve être un espace totalement mécanisé, où les personnages homos sont des robots qui se clonent entre eux et ne vivent que pour leur travail, leur image, leur production : Gatal, le héros homosexuel, par exemple, travaille en tant que chef de produits, dans une boîte qui s’appelle Craker Booster… et qui lui demande sans cesse des résultats, une charge de travail inhumaine. Il va être contraint de s’accoupler avec son directeur. Négoce est le personnage homosexuel entremetteur, un mafieux crapuleux, un chasseur de têtes engagé par des « couples de pères homos » pour arranger des mariages homos entre des jeunes hommes célibataires : « Merci. Vous savez mon fond de commerce… » Dans cette pièce, le sperme et la procréation sont véritablement des monnaies d’échange : « Ta semence est épaisse et riche. » (le Père 2) Et la formation des couples homos obéit à une logique principalement stratégique, productiviste, mécaniste et capitaliste.
 

Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le jeune Vincent (au chômage) est sorti avec Stéphane, l’écrivain célèbre et de vingt ans son aîné, pour la gloire, l’image, le luxe et l’ascension sociale : « Je me suis dit qu’avec toi j’allais progresser. » Quand Stéphane lui demande : « Tu m’aurais aimé si j’avais été pauvre, inconnu ? », Vincent lui avoue que « non », mais il s’en sort en lui prétextant qu’il aurait refusé de l’aimer autrement que ce qu’il était : riche et connu. Mais l’exploitation est réciproque, car Vincent passe son temps à reprocher à Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante que l’or. » (le gigolo homosexuel de la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2011) de Javier de la Torre, le client Rubén appelle Eloy le prostitué avec qui il couche « mon amour, mon petit » : ce dernier lui renvoie la monnaie de sa pièce (si on peut dire) puisqu’il lui « fait payer » sexuellement le fait que celui-ci le paye financièrement pour du sexe.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile : « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) C’est pour cela que la « promotion canapédé » semble, aux yeux des personnages homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son Eugène de Rastignac.

 

La soif d’ascension sociale peut même pousser le héros homosexuel à la trahison (de lui-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. « Je suis sûr que n’importe quel autre espion lui aurait arraché son triste bien par la force, mais je ne suis ni un simple sbire ni un voleur à la tire : ich bin zivilisiert. » (Heinrich, l’espion sophistiqué du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 46-47) ; « Un vrai bourgeois, le présumé d’Al Qaïda ! » (Billy à propos de son compagnon de cellule et amant Rasso, dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas) ; etc. Par exemple, dans le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, Statross Reichmann, un bourgeois métis bisexuel, vit une relation tourmentée avec Hans, un jeune homme blanc d’extrême droite. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnages à la fois homosexuels et homophobes. Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, la jalousie de Régis, personnage hétéro, vis à vis de son petit frère Vincent, ne fait que s’accroître quand ce dernier fait son coming out : « Si j’avais su qu’il fallait être pédé pour réussir… »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Parmi les personnes homosexuelles, beaucoup expriment leur haine des bourgeois et des riches (cf. je vous renvoie au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ce qu’elles ont un mal fou à comprendre, c’est que la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois, et notamment aux bourgeois de la gauche caviar ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

La plupart d’entre elles deviennent bourgeoises d’abord parce qu’elles désirent se faire objet, qu’elles nient leur humanité et qu’elles rejoignent donc la violence et les mondes déshumanisés. Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître : « Truman Capote était étonnamment innocent. Il prit les riches qui aimaient la publicité pour la classe dominante, et il prit beaucoup trop ses aises parmi eux, pour finalement se rendre compte qu’il n’était pour eux qu’un animal de compagnie dont ils pouvaient très bien se passer, comme ce fut le cas lorsqu’il publia de terribles ragots sur leur compte. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 359)

 

Certains auteurs homosexuels créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : « [La visibilité homosexuelle], c’est même un peu BCBG. J’aimerais qu’une année, la Gay Pride passe dans les cités. Parce que, pour l’instant, on reste trop chez les Marie-Chantal. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 56) ; « L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » (Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999)

 

Dans son essai Camp (1983), Mark Booth situe les origines du mouvement camp (particulièrement homosexuel) au XVIIe siècle français dans les pratiques de cour à Versailles, sous Louis XIV. Et dans son article « Notes on Camp » (1964), Susan Sontag assimile les sujets homosexuels actuels à des « aristocrates du goût » qui « ont lié leur intégration sociale à la promotion du sens esthétique ». Dans son article « Le Style Camp » (L’Œuvre parle, 1968), elle montre combien la marginalité camp des artistes homosexuels signe l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie : « Le dandy d’autrefois haïssait la vulgarité. Le dandy moderne, passionné de Camp, apprécie la vulgarité. […] Le dandy était un être suréduqué. […] Il avait la vocation du ‘bon goût’. Le connaisseur du Camp a découvert des plaisirs plus ingénieux. Il ne s’agit plus d’apprécier la poésie latine, des vins rares et des gilets de velours, mais de goûter aux plus épicés, aux plus communs des plaisirs, aux arts dont se délecte la masse. […] [Le Camp est] un groupe social, formé par cooptation, composé pour une bonne part d’homosexuels, et qui joue ce rôle improvisé de l’aristocratie du goût. […] Le rapport existant entre l’homosexualité et le goût camp demanderait une explication. On ne saurait confondre le goût camp et le goût homosexuel, mais il est évident qu’il y a entre l’un et l’autre des interférences et d’indéniables affinités. […] Le goût camp comporte toujours un élément de prosélytisme […] Les homosexuels fondent dans la promotion de valeurs purement esthétiques un espoir de disparition du ban social qu’ils encourent. Le Camp décompose la moralité. Il neutralise l’indignation morale, patronne la légèreté et le badinage. » (pp. 444-447)

 

Mais rien n’y fait. L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp choisie par beaucoup de personnes homosexuelles n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces dernières restent enchaînées au paraître. Elles nous proposent parfois des mises en scène grotesquement sérieuses de libertinage, des remake réchauffés du Marquis de Sade… un peu sur le modèle de la Fistinière, ce relais-château près d’Assigny (France) où des adeptes du SM se retrouvent pour se torturer entre eux (mais avec art et méthode, attention !).

 

La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images, aux objets, aux intentions (idolâtres ou destructrices) plus qu’au Réel et aux personnes.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks


 

Certains artistes homosexuels s’expriment comme des petits-bourgeois, même s’ils pensent que la parodie de bourgeoise qu’ils jouent conjurera parodiquement le sort : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Et après ça, on prétend que c’est moi qui ai un goût de chiotte ! » (idem, p. 92) ; « Le hasard voulut que nous nous retrouvassions… » (le narrateur de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 73) ; « Conditions de vie innommables ! […] Une crise arrive dans le pays, c’est la débâcle c’est la faillite. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Le chaos est dans l’air. » (cf. la chanson « Gabon » de Jann Halexander) ; « Finie la prison de Turcs, et place au terrain de cricket ! » (Guillaume, le héros bisexuel en Angleterre, dans le film autobiographique « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « J’ai toujours rêvé de visiter les châteaux de Louis II de Bavière. » (idem) ; etc.

 

Mais rien n’y fait. Énormément de personnes homosexuelles se comportent en bourgeois à cause de leur enchaînement au paraître. Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde des images déréalisantes, il y a une idolâtrie. En effet, il arrive que des sujets homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse »). Passéisme classique des antiquaires, collectionneurs et des voyageurs dépressifs… : cf. l’essai Éloge du snobisme (1993) de Jacques de Ricaumont, Un jeune homme chic (1978) d’Alain Pacadis, Le Dictionnaire du snobisme (1958) de Philippe Jullian, etc. Par exemple, Lucien Daudet (le fils homosexuel d’Alphonse Daudet) vivait mal le fait d’avoir un nom de famille sans particule. Dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend qu’André Breton trouvait Jean Cocteau trop mondain. Alfred Krupp, l’homme le plus riche d’Allemagne au début du XXe siècle, qui emploie plus de 50 000 personnes, se livre à des pratiques homosexuelles avec des jeunes gens.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. « Sylvain devait penser au contraire que le procureur était ridicule. Qu’il parlait comme un pédé. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 140) ; « Ils ont des façons délicates/ Tous auraient pu être traités de ‘pédés’ au collège. Les bourgeois n’ont pas les mêmes usages de leur corps. Ils ne définissent pas la virilité comme mon père, comme les hommes de l’usine. (Ce sera bien plus visible à l’École normale, ces corps féminins de la bourgeoisie intellectuelle.) Et je me le dis quand je les vois, au début. Je me dis ‘Mais quelle bande de pédales Et aussi le soulagement ‘Je ne suis peut-être pas pédé, comme je l’ai pensé, peut-être ai-je depuis toujours un corps de bourgeois prisonnier du monde de mon enfance’. » (Eddy Bellegueule, homosexuel et venant d’un milieu prolétaire, décrivant son entrée dans l’internat du prestigieux Lycée Michelis, op. cit., p. 218) Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence, du fantasme, et n’est pas systématique. Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel, mais pas réservée à lui. Elle est particulière à la pratique de celui-ci. Après, dans l’histoire des personnes homosexuelles, on découvre que l’attachement au matériel a pu camoufler/engendrer des souffrances. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il apparaît clairement que le « couple » Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent compense par le matériel son manque d’amour : il y a des tableaux partout chez eux ; tout est centré sur le fric et les objets. En 1908, selon Weindel et Fischer, les adeptes de l’homosexuels « se recrutent dans le monde des théâtres, ou dans les classes élevées de la société » (p. 91).

 

Force est de reconnaître que beaucoup d’individus homosexuels sont issus d’une famille bourgeoise : « Vous savez, les fils de bonne famille comme moi […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 11) ; « Dès les premiers jours, je fus happé par un groupe de jeunes filles qui me décrétèrent mignon comme un ‘petit blanc’ et donc enfant de riche et de bonne éducation. Bientôt, ma personne fit le tour de la classe auprès des collègues masculins qui, jalousement, trouvèrent à leur tour que j’étais efféminé et que cet aspect attirait la compagnie des filles. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 46) ; « Moi, je la vois [mon enfance] comme une période qui ne nous a pas du tout armés. Je vais grandir moins vite que les autres. » (Christian, le dandy quinquagénaire homo, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

À la base, la création de l’homosexualité et même de l’hétérosexualité est bourgeoise : « C’est le XXe siècle bourgeois qui a voulu figer les choses pour enfermer les gens dans des petites cases. » (le rabbin Haïm Korsia dans l’émission Les Enfants d’Abraham sur le thème « Adoption homosexuelle : Pour ou contre ? », diffusée sur la chaîne Direct 8 le 1er décembre 2009)

 

Le sujet homosexuel, dans bien des cas, est présenté/se présente comme le fils de la bourgeoisie : « Les personnes homo-bisexuelles ont un niveau d’étude plus élevé que les personnes hétérosexuelles […]. Quant aux hommes, la déclaration d’une pratique homosexuelle est plus fréquente parmi les professions intellectuelles et cadres des entreprises, les professions intermédiaires de la santé et du secteur social et les employés de commerce. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 257) ; « On [les homos] est plus riches que les hétéros. » (Éric Garnier dans à l’émission radio Homo Micro du 3 mai 2006 sur Radio Paris Plurielle) ; « Marc était très dépensier, il le reconnaissait lui-même, et très élégant, ceci expliquant cela. » (Paula Dumont, l’auteure lesbienne décrivant son meilleur ami homo, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 77) ; « Dieu sait si nous autres, les invertis, nous sommes prudents en matière d’argent, quoi qu’en dise la légende ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 87) ; « Vous avez un sacré pouvoir d’achat, vous, les couples gays ! Ça part dans les relais-châteaux… » (Dominique de Souza Pinto, femme politique lesbienne à la conférence « Le Lobby gay… Un bruit de couloir » à l’Amphithéâtre Érignac à Sciences-Po Paris, le mardi 22 février 2011) ; « La population gay est celle qui possède le plus fort pouvoir d’achat du marché musical. » (la voix-off du documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. Les personnes homosexuelles, de par leur statut de « vieux garçons célibataires à deux » (ou de « vieilles filles ») ont, il est vrai, un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, en général.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « C’est épouvantable ce que j’ai pu entendre. Dans ces milieux-là, en usine, ça n’existe pas l’homosexualité. Un milieu de cols blancs, un milieu universitaire, c’est probablement une fourmilière pour les gays, c’est le paradis. » (un témoin homosexuel ayant grandi dans un milieu ouvrier, cité dans l’essai Mort ou fif (2001) de Michel Dorais, p. 73) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; etc. Ce n’est pas un hasard si un certain nombre de cinéastes de la « Nouvelle Vague » du cinéma français des années 1960 (Jean-Luc Godard notamment) considéraient l’homosexualité comme un signe d’embourgeoisement. Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pierre Drieu La Rochelle

Pierre Drieu La Rochelle


 

Pour avoir assisté en vrai à des dîners mondains et des « soirées Grand Siècle » à la Thierry Ardisson, j’ai remarqué que souvent, dans les regroupements entre personnes homosexuelles, c’était ambiance bourgeoise et Précieuses de salon design. On trouve un nombre important de jet-setter dans le « milieu homosexuel » (agréé… ou pas) : Stéphane Bern, Frédéric Mitterrand, Roger Stéphane, Georges Mandel, Brummel, Robert de Montesquiou, Luis Cernuda, Andy Warhol, Lucien Daudet, Jan Lechon, Oscar Wilde, Marcel Proust, Siegfried Sassoon, Maurice Rostand, Ernest Thesiger, Jacques Chazot, Matthieu Galey, Jacques Fath, Tennessee Williams, Alain Pacadis, Truman Capote, Jean Cocteau, Francis Poulenc, Bola de Nieves, Bertrand Delanoë, Cecil Beaton, Christophe Girard, Natalie Clifford Barney, Antonio de Hoyos, Elton John, etc. « Jean Sénac adorait rencontrer des personnalités. » (cf. le documentaire « Jean Sénac, le Forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika)

 

Les cercles intellectuels de dandys homosexuels existent depuis très longtemps. En voici quelques exemples : la Confrérie du Comte de Vermandois en 1681, la Wickersdorf fondée par Gustav Wyneken en 1906, le groupe londonien de Bloomsbury, le salon parisien lesbien de Romaine Brooks, l’Homintern d’Oxford dans les années 1930, la Société des Apôtres à Cambridge, le salon parisien de Winnaretta et du prince Edmond de Polignac, les salons de thés lesbiens de la chanteuse Suzy Solidor, les salons de Jacques de Ricaumont invitant le Tout-Paris, la Resi espagnole des années 1930, les soirées au Palace en 1980, les soirées privées des Bains Douches, les réunions parisiennes du cercle intellectuel La Rive opposée, etc., sans compter le monde associatif ou télévisuel actuel. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on voit une reproduction des réunions de dandys décadents de Karl Lagerfeld.

 

Je connais parmi mes amis homos des presque-caricatures vivantes de bourgeois. Et dans les plus connus des dandys et des bourgeoises télévisuels, on peut citer Gabriel de la Serna, Oscar Wilde, Marcel Proust, Natalie Barney, Suzy Solidor, Jean Cocteau, Pascal Sevran, Gertrude Stein, etc. « Ce dandy fin de siècle [Jean Lorrain] avait le goût des bijoux aux enroulements inquiétants et des pierres ‘vénéneuses’. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188) Par exemple, dans l’article de Cavana sur l’édition de la pièce Une Visite inopportune (1988), le dramaturge argentin Copi est décrit comme un « aristocrate » (p. 76). Ce dernier ne dément pas l’affirmation : « Avec un ami, j’ai vendu des dessins sur le pont des Arts, mais je restais très bourgeois. […] Mon père qui m’envoyait de l’argent était en exil dans une ambassade. » (le dramaturge homosexuel argentin Copi, cité dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987)

 

Dans la classe politique et dans le milieu huppé des magistrats, des maires, des chefs d’entreprise et des députés, force est de constater qu’on retrouve une forte pratique homosexuelle (ce qui est logique, car la vie politique implique un éloignement de la famille, une surcharge de travail qui réclame une compensation affective débordante, un célibat tout donné à une cause, un égocentrisme et un goût de l’image auquel il est difficile de résister). On trouve beaucoup d’hommes homosexuels au pouvoir : Bertrand Delanoë (Maire de Paris), Harvey Milk (1930-1978), Uzi Even (ex-député israélien, David Girard (1960-1990), Sunil Babu Pant (politicien gay du Népal), André Boisclair (ex-chef du parti québécois), Frédéric Mitterrand, Jack Lang, Xavier Bettel (Premier ministre luxembourgeois), Klaus Wowereit (le maire de Berlin), Corine Mauch (la maire de Zürich), François Fillon (giton de Joël le Theule), Emmanuel Macron (avec le président de Radio France Mathieu Gallet), etc. Anne Holt, ex-Ministre de la Justice norvégienne, est ouvertement lesbienne. La première ministre islandaise est lesbienne. Les entrepreneurs homosexuels créent des corporations et des réseaux « 100% gay ». Par exemple, en France, le SNEG est le Syndicat National des Entreprises Gaies, et défend tous les patrons et entreprises qui se disent gays friendly ou homosexuels.

 

Cette observation peut être faite aussi dans la sphère « privée » du couple homosexuel. N’oublions pas que dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages, d’infidélités libertines bourgeoises. Ils se goinfrent de loisirs et d’images.

 

Par ailleurs, beaucoup d’acteurs, en interprétant des rôles de bourgeois au cinéma ou au théâtre, ont cultivé une apparence efféminée ou singé une pratique homosexuelle : cf. Jean-Marc Thibault dans le film « La Belle Américaine » (1961) de Robert Dhéry, Jean Carmet dans le film « La Métamorphose des Cloportes » (1965) de Pierre Granier-Deferre, Jacques Sereys dans le film « La Chamade » (1968) d’Alain Cavalier, Guy Michel dans le film « Le Mouton enragé » (1973) de Michel Deville, etc.

 

La plupart du temps, l’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : « Il est doté de cette classe anglo-saxonne qui me fascine au plus haut point. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 15)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Le fils (gay) de Magic Johnson

Le fils (gay) de Magic Johnson


 

L’homosexualité, on le remarque bien dans notre société, se marie très bien avec la branchitude et le petitembourgeoisement. Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif, c’est donné aux gens de classe aisée comme aux gens sans le sou : « Elle avait toujours aimé traîner dans les boutiques, même quand elle n’avait pas d’argent à dépenser. » (Martine, la compagne de Paula Dumont parlant de son ex-compagne Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), pp. 152-153)

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles ne cachent pas leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste et les Jet Set. « Félix Sierra aime les bijoux et le luxe. » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 186) ; « Je rêve de devenir riche un jour. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 57) ; « Je ne serai jamais qu’un pauvre petit Français sans le sou condamné à sécher sur des désirs insensés. » (idem, p. 58) ; « L’argent me manquait et l’indispensable de l’argent dans ma vie n’était plus à démontrer. Mes échecs fréquents étaient là pour souligner l’importance de mes mouvements réactionnels aspirés par cette vie. […] Même réduit à son strict minimum, l’argent supporte toute la symbolique de l’échange, de la médiation entre la société et l’individu. C’est une chaîne impossible à rompre, mais si l’excès d’argent pèse aux riches, combien est davantage contraignant le manque d’argent pour ceux qu’on dit pauvres ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 119) ; « L’argent était devenu quelque chose de très important pour moi. Le matériel était ce qui me maintenait dans la relation. » (Rilene, femme homosexuelle, évoquant sa relation de 25 ans avec Margo, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Pour être libre, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut de l’argent. » (Axel, une femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; etc. Par exemple, le dramaturge argentin Copi, dans ses B.D. et dans ses pièces, parle sans arrêt d’argent : c’est une obsession chez lui. Dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), l’écrivaine lesbienne Paula Dumont en vient à exprimer en boutade son « regret de ne pas avoir été élevée chez les milliardaires comme Natalie Barney » (p. 104). Quand on demande à Andy Warhol ce qu’il aime le plus, il répond sans hésiter « l’argent » (cf. le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet). Le peintre espagnol Salvador Dalí voulait devenir, selon ses propres termes, « légèrement multimillionnaire », et fut baptisé par André Breton d’« Avida Dollars » : l’artiste attaqué répliqua en disant : « Ce fut André Breton, pour piquer à vif mon attirance pour l’or, qui inventa cet anagramme… Il croyait ainsi mettre au pilori mon admirable nom, mais il n’a rien fait d’autre que composer un talisman… L’Amérique m’a accueilli comme l’enfant prodige et m’a couvert de dollars… L’or m’illumine et les banquiers sont les suprêmes prêtres de la religion Dalinienne. » (Salvador Dalí) Dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), Denis Daniel avoue avoir conservé des « goûts du luxe » (p. 46), même si par ailleurs, il cherche à tout prix à se débarrasser de l’image du « petit-bourgeois » qui lui colle à la peau depuis son enfance et qui le fait tant souffrir (idem, p. 68).

 

Il existe une étroite relation entre la spéculation boursière effrénée et l’homosexualité : certaines personnes homosexuelles cherchent à faire fructifier leur cœur comme si c’était un plan épargne (avec un capital-sentiments, un capital-tendresse, un capital-sincérité, un capital-sexe, etc.). À ce sujet, les mots de l’essayiste lesbienne Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003) ne laissent aucun doute : « Je VEUX que l’amour me rapporte. Finis les investissements en pure perte, les amantes perdues au détour d’une querelle. […] Si l’amour n’est plus l’aventure, je ne suis pas loin de me demander quel intérêt il peut y avoir. Intérêt : encore du vocabulaire d’épargnante ! » (pp. 170-171) Le lien entre capitalisme et homosexualité a été étudié par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe, Capitalisme et Schizophrénie (1972).

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les discours et les faits, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. Je vous renvoie à la partie « amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants en union homo se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Entre eux et moi, l’argent s’imposait, c’est vrai. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de ses amants, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 122) Par exemple, le poète homosexuel Sergueï Esenin, de son propre aveu, a fait de son statut de « poète-paysan » un moyen d’ascension sociale et d’accès à la célébrité. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Gaétane, un homme transsexuel M to F, se compare à Rastignac, le jeune personnage de Balzac.

 

Dans certaines sphères professionnelles et relationnelles, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « Jeune garçon de 19 ans cherche personne aisée et distinguée pour payer ses études. » (Berthrand Nguyen Matoko passant une annonce, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 100) ; « De nos jours, les homosexuels forment deux catégories : ceux qui s’y adonnent par goût, et ceux qui s’y livrent par calcul ; les seconds vivant, bien entendu, aux crochets des premiers. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 54) ; « J’ai toujours pensé que perdre ma virginité ferait avancer ma carrière. » (la chanteuse Madonna citée dans la pièce Ma première fois(2012) de Ken Davenport) ; « La société française ne fait en cette matière, comme en d’autres, qu’imiter le monde américain. Aussi connaîtrons-nous, à l’instar des États-Unis, l’étape suivante, avec des entreprises qui courtiseront les homosexuels, chercheront à les recruter et s’afficheront gay friendly. » (Alain Minc, Épîtres à nos nouveaux maîtres (2002), p. 72)

 

L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment dans des milieux comme l’art, l’Éducation Nationale, le show business, le prêt-à-porter, la haute couture, le sport, l’hôtellerie, etc. (je vous renvoie aux codes « Patrons de l’audiovisuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels : « Le citoyen moyen, lui, devient de plus en plus tolérant, et peut-être aussi de plus en plus indifférent. Finalement, dans une famille bourgeoise, aujourd’hui, quand on parle de Valentino, le garçon coiffeur de Madame, on ne parle même plus de sa sexualité. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 55) ; « À dix-neuf ans, lui, le petit étudiant, se trouvait, par les hasards de l’amour, l’amant de l’un des premiers secrétaires d’ambassade des U.S.A. En quelques mois, nouveau prince de Paris, Jean-Luc se voyait offrir sa loge réservée à l’Opéra, une voiture et tout l’argent de ses désirs. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 73) ; « J’étais, à l’époque, très innocent encore, semblait-il et, il faut le dire, très beau ; je fus tour à tour la ‘maîtresse’ d’un écrivain célèbre et d’un attaché à l’ambassade des États-Unis. » (idem, p. 84) ; etc.

 

Des amis vendeurs chez Zara à Paris, par exemple, m’ont certifié que tous leurs collègues étaient homos, et avaient été choisis en grande partie pour ça… même si ça peut difficilement être prouvé. Lors de mon voyage en Côte d’Ivoire en juin 2014, des Ivoiriens m’ont raconté que les entreprises qui engagent leurs employés à condition qu’ils virent homos était une pratique de plus en plus répandue.

 

L’homosexualité est considérée par certains patrons ou certains employés comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale, comme une force de conviction personnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut : « Je le voyais, Abdellah. Naïf. Amoureux. Paresseux. Ambitieux. Décidé à conquérir Paris. Impatient. » (Abdellah Taïa parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 63) ; « Dès le début de sa carrière, Cocteau entre de plain-pied, après une adolescence fiévreuse et brûlante d’enfant gâté, dans les hauts parages de la société parisienne. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 204) ; « J’ai cultivé l’ambiguïté [sexuelle] pour vendre beaucoup de disques. » (la chanteuse Amanda Lear dans l’émission « Jean-Louis Bory 2 ») ; « Un jeune homme désireux de se faire une carrière dans n’importe quel domaine n’a aucune chance s’il se présente, ne serait-ce qu’une seule fois, accompagné de sa femme ou de sa fiancée, fût-elle la femme la plus brillante, la plus sensationnelle de la capitale. Ses sorties même, s’il veut réussir, il doit les organiser en compagnie de garçons de son âge, sinon plus jeunes. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 17) ; « En face de la ‘maffia rose’ de ceux qui ‘en sont’, de la ‘grande famille’, de l’inconsciente et toute-puissante franc-maçonnerie des pédérastes, les jeunes n’hésitent plus : pour réussir, ils s’enrôlent, eux aussi. » (idem, p. 18) ; « On les retrouve dans les salons de la meilleure société. […] Ils sont nombreux, sinon très nombreux, dans les postes élevés de l’administration, des ministères, dans les coulisses même de la diplomatie (Roger Peyrefitte, dans Les Ambassades, nous a permis d’y jeter un coup d’œil). » (idem, p. 20) ; « Les titres de noblesse et les noms ronflants parent les invertis d’une curieuse auréole. Qu’on porte le pantalon étroit et la veste à pont, ou le pardessus court et une légère moustache, on se fait appeler la grande duchesse de Montreuil, la marquise de Vaugirard, la vicomtesse de Meudon. Les grands noms, arrangés à la mode tutupanpanse croisent et s’apostrophent le long des allées historiques où les moineaux roturiers n’en ont jamais tant entendu. C’est un petit Sodome à la mode du XVIIe siècle. » (idem, p. 25) ; « Son enfance est marquée par sa honte d’être pauvre, et sa soif de mondanités, qui le pousse dès l’âge de 20 ans à la conquête du Tout-Paris. » (Michel Larivière à propos de Philippe Jullian, dans le Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 199)

 

Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon expose la correspondance entre son coming out et le « transfuge de classe » (p. 25) qui l’a éloigné du milieu ouvrier dont il était issu : « Pourquoi, moi qui ai tant éprouvé la honte sociale, la honte du milieu d’où je venais quand, une fois installé à Paris, des gens qui venaient de milieux sociaux si différents du mien, à qui je mentais plus ou moins sur mes origines de classe, ou devant lesquels je me sentais profondément gêné d’avouer ces origines, pourquoi donc n’ai-je jamais eu l’idée d’aborder ce problème dans un livre ou un article ? » (p. 21) ; « La décision de quitter la ville où je suis né et où j’avais passé toute mon adolescence pour aller vivre à Paris, quand j’avais 20 ans, signifia en même temps pour moi un changement progressif de milieu social. » (p. 22) ; « Mon frère correspondait sans problème et sans distance au monde qui était le nôtre, aux métiers qui se proposaient à nous, à l’avenir qui se dessinait pour nous. Moi, je n’allais pas tarder à éprouver et cultiver l’intense sentiment d’un écart que les études et l’homosexualité concourraient à installer dans ma vie : je n’allais être ni ouvrier, ni boucher, mais autre que ce à quoi j’étais socialement destiné. » (p. 111)

 

L’humoriste Akim Omiri dans sa première partie du spectacle En état d’urgence (2017) de Mathieu Madenian au Bataclan, raconte comment un producteur l’a harcelé sexuellement en lui faisant des avances de nature homosexuelle pour qu’il passe des « petits plateaux aux grandes salles ».
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Devant mon représentant, mes absences commencèrent à faire désordre. Je donnais l’impression de ne rien faire et d’être immensément riche. Ce qui, mal s’en fut, suscita d’énormes questions. Il pensait, en effet, que j’étais tombé dans une histoire de drogue. Le moyen le plus sûr était de l’ignorer totalement, lorsqu’il souhaitait faire ma chambre de fond en comble. Mais s’avouer homosexuel et, par-dessus le marché, se faire entretenir, n’était pas mieux non plus. […] À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de son métier de prostitué-escort boy, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 115) ; « Des séances de photos en spectacle où le corps avait la parole, je devins l’ovation des plus belles fesses, du plus beau sourire… […] Je plaisais aux hommes et en contrepartie, l’argent me plaisait. » (idem, p. 120) ; « De Brazzaville à Paris, mes rapports sexuels définissaient une périlleuse échelle sociale très discutée. Le déshonneur n’existait plus, rien d’autre non plus. Poches pleines ou vides, les jours se suivaient intrinsèquement et ne se ressemblaient pas. » (idem, p. 123) Par exemple, dans le documentaire « Habana Muda » (« La Havane muette », 2011), Chino, un Cubain sourd, en plus d’enchaîner les petits boulots, vend ses charmes le soir aux touristes étrangers ; l’un d’eux, José, tombe amoureux de lui et lui propose de l’emmener au Mexique pour lui dénicher un vrai métier.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile. C’est pour cela que la « promotion canapédé » (néologisme-maison) semble, aux yeux de certains individus homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son poulain. Mais dans les faits, nous remarquons que la soif d’ascension sociale n’est pas du tout poétique : elle peut même pousser à la trahison (à soi-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. Je vous renvoie aux codes « Amour ambigu du pauvre », « Prostitution », « Liaisons dangereuses », « Homosexuel homophobe » et « Méchant Pauvre » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Par exemple, le 12 octobre 1998 à Laramie aux États-Unis (Wyoming), Aaron McKinney et Russell Henderson, les assassins de Matthew Shepard (jeune homme homosexuel), s’étaient attaqués à lui pour leur dérober des objets. D’ailleurs, le soir du meurtre, ils lui ont piqué sa carte bancaire, ses fringues, ses chaussures, et avaient l’intention de le cambrioler : « Matthew, c’était une pute pétée de tune ! » On voit bien que socialement, l’un des fruits de la pratique homosexuelle, à savoir l’argent, symbolise et est parfois le moteur de l’homophobie.

 

 
 

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Code n°151 – Prostitution (sous-codes : Défense de la prostitution / Interdit d’aimer / Prostituée tueuse / Prostituée tuée)

Prostitution

Prostitution

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Pratique homosexuelle = prostitution gratuite

 

Cela reste pour moi un mystère… Comment nos sociétés actuelles arrivent-elles à persuader la majeure partie de la population que l’homosexualité est une identité « normale », un amour « banal », surtout quand on voit l’envers du décor, et les nombreuses confluences entre monde homosexuel et prostitution ? Ça me dépasse. Pourtant, j’arrive facilement à comprendre qu’on ne puisse pas réduire (et heureusement !) la communauté homosexuelle à une nation de prostitués et de maquereaux… mais de là à n’établir aucun lien (ne serait-ce qu’un lien désirant, symbolique, fantasmatique) reconnaissant que dans le désir homosexuel il y a une forte part de recherche de consommation et de réification de soi/de l’être « aimé », là, j’avoue qu’on a de sacrées œillères… pour ne pas dire de la merde dans les yeux ! Même s’ils sont soi-disant une minorité, beaucoup d’individus homosexuels se prostituent concrètement, ou bien louent les services de prostitués, ou vivent un rapport amoureux conjugal très centré sur le matériel, ou se laissent entretenir comme des putes par leur copain, ou sacralisent la prostitution en image d’Épinal (et bobo !) magnifique. Si l’argent n’est pas toujours la première monnaie d’échange dans le trafic prostitutif homosexuel, il est souvent remplacé par les corps eux-mêmes et par la sincérité. Est-ce mieux ?

 

Vidéo-clip de la chanson "California" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer


 

À force de styliser sur les écrans la figure de la prostituée-garce / ou du « bad boy » bear, à qui de nombreux artistes homosexuels offrent iconographiquement les moyens de s’émanciper dans l’exhibition pornographique et de se venger de ceux qui voulaient jadis la/le censurer (pensez par exemple aux prostituées-tueuses des vidéo-clips des chansons « California » et « Libertine » de Mylène Farmer ; pensez à la figure du Maghrébin dans les films pornos), il n’est pas rare d’entendre au sein des associations féministes ou dans la bouche d’individus homosexuels une défense ouverte de la prostitution : « Qu’est-ce qui est choquant ? Que des garçons parfois très jeunes se prostituent pour subvenir à leurs besoins immédiats ? Ou que la société dans son ensemble ait créé des situations de détresse telles que la prostitution soit devenue un passage presque obligé ? Et puis, pourquoi considérer d’emblée que la prostitution est dégradante ? » (Nicolas Henri interviewé par Erwan Chuberre, dans le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 47)

 

Le soutien homosexuel de la prostitution s’intègre dans le déni de l’homosexualité et du fantasme de viol. Par exemple, peu de prostitués masculins se définissent comme « homos » : ils disent qu’ils couchent avec des hommes par besoin, et non pour laisser s’exprimer une orientation sexuelle fièrement assumée en tant qu’identité amoureuse (même si c’est parfois le cas). Par leur attrait pour la/le prostitué(e) imagé(e), certaines personnes homosexuelles révèlent l’une des clés de leur souffrance en amour et de leur désir homosexuel : la discordance entre le but noble recherché et les moyens moins nobles qu’elles utilisent parfois pour l’atteindre. Pietro Citati, en parlant de Marcel Proust, décrit justement le déchirement homosexuel à travers la prostitution : « Proust aimait particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter. Lui, qui savait plus que tout autre que l’amour ne s’achète pas, a cherché à plusieurs reprises à acheter l’amour. C’est à la fois une merveilleuse discordance et une tragédie. » (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 25)

 

La grande majorité des femmes célébrées par les personnes homosexuelles incarnent la prostituée, la féminité fatale. Cette femme violée, exploitée, mais qui consent à rentrer dans un système qui l’aliène, les fascine, parce qu’elle est leur jumelle de désir. La prostituée – plus métaphorique que réelle – incarne la trahison à soi, la soumission active, le viol consenti, intégré, assumé, défendu et dissimulé par tout type de victimes, y compris homosexuelles. Elle est l’allégorie de l’homosexualité émancipée, de l’homophobie intériorisée, l’illustration vivante de la violence personnifiée qui se déguise en engagement fier et libre : il est aujourd’hui fréquent d’entendre des prostituées revendiquer naturellement leur statut de « travailleuses du sexe » ou de stars du porno. Certaines personnes homosexuelles et la prostituée ont en commun qu’elles s’interdisent toutes deux d’aimer. Elles couchent avec leurs clients ou leurs amants à condition qu’ils ne s’attachent pas sentimentalement à elles. L’identification homosexuelle à la prostituée nous dit quelque chose d’important de ce que beaucoup d’individus homosexuels vivent en amour : un sentiment d’exploitation, et parfois une consommation réelle.

 

Parce que la prostituée imagée a le pouvoir de dévoiler, par ce qu’elle représente, la vraie nature de leur désir homosexuel, certains personnages homosexuels la tuent à l’écran. Beaucoup de personnes homosexuelles ont des comptes à régler avec la prostituée-chanteuse. N’oubliez pas que c’est elle qui, à l’image, les a tuées, les a virées de son trottoir (les « gens du trottoir d’en face » ou « de l’autre rive » sont souvent des expressions servant à qualifier les membres de la communauté homosexuelle), ou leur a demandé de devenir homosexuelles. « Change de trottoir ! Le mien est piégé. Sors du trou noir, je fais mon métier ! J’ai peur de rien. Je suis une femme pressée ! » (Claire Litvine dans la chanson « Une Femme pressée » des L5)

 
 

N.B. 1 : Ce code est indissociable du code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Notamment la partie sur les prostituées de luxe.

N.B. 2 : Je vous renvoie également aux codes « Méchant pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Voleurs », « Violeur homosexuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Actrice-traîtresse », « Femme-Araignée », « Promotion « canapédé » », « Don Juan », « Bobo », « Pygmalion », « Inceste », « Amant comme modèle photographique », « FAP amoureuse de son meilleur ami homosexuel », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Voyage », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Ville », « Entre-deux-guerres », « Amant diabolique », « Adeptes des pratiques SM », à la partie « Amant-objet » du code « Pygmalion », à la partie « Femme-pute » dans le code « Destruction des femmes », à la partie « Trou noir » du code « Oubli et amnésie », à la partie sur les gigolos-tueurs du code « Homosexuel homophobe », la partie « Maman-putain » du code « Matricide », la partie « Prostituée noire » du code « Noir », à la partie « Tendresse » du code « Douceur-poignard », à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », et à la partie « Désir d’être pris pour un objet » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

Film "200 American" de Richard LeMay

Film « 200 American » de Richard LeMay


 

Il est extrêmement souvent question de prostitution dans les œuvres homo-érotiques : cf. le film « Broken » (2010) de Kent Thomas, le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, le film « Sagwan » (2009) de Monti Parungao, le roman A Thousand And One Night Stands : The Life Of Jon Vincent (2001) de H. A. Carson, le film « The Docks Of New York » (« Les Damnés de l’océan », 1928) de Josef von Sternberg, le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, le film « Souffle au cœur » (1971) de Louis Malle, le film « Tenue de soirée » (1986) de Bertrand Blier, le film « The Living End » (1992) de Gregg Araki, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le roman Kept Boy (1996) de Robert Rodi, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Insects In The Backyard » (2010) de Tanwarin Sukkhapisit, le film « Les Fraises des bois » (2011) de Dominique Choisy, le film « Teslimiyet » (« Other Angels », 2010) d’Emre Yalgin, le film « Des jeunes gens modernes » (2011) de Jérôme de Missolz, la pièce Balm In Gilead (1965) de Lanford Wilson, le roman Shuck (2008) de Daniel Allen Cox, le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, le roman Can’t Buy Me Love (2001) de Chris Kenry, le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, le film « Flesh » (1968) de Paul Morrissey, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, la poésie « Oda A Walt Whitman » (1940) de Federico García Lorca, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman Closer (Plus proche, 1990) de Dennis Cooper, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, le film « Belle de jour » (1966) de Luis Buñuel, le roman Murder Most Fab (2008) de Julian Clary, le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, le film « Sibak » (« Les Danseurs de minuit », 1994) de Mel Chionglo, le roman Yes, Yes, Yes (1990) d’Hisao Hiruma, la pièce Pal Joey (1940) de Richard Rodgers, Lorenz Hart et John O’Hara, le film « In The Flesh » (1997) de Ben Taylor, le roman Quand je suis devenu fou (1997) de Christopher Donner, le film « Zipper And Tits » (2001) d’Hiroyuki Oki, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « L’École de la chair » (1998) de Benoît Jacquot, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, le film « Sugar » (2004) de John Palmer, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, la pièce Entertaining Mr Sloane (1964) de Joe Orton, la pièce The Boys In The Band (1968) de Mart Crowley, le film « Justice pour tous » (1979) de Norman Jewison, le film « Piccadily Pickups » (1999) d’Amory Peart, le film « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, le roman User (1994) de Bruce Benderson, le film « New York 42e rue » (1982) de Paul Morrissey, le roman After Nirvana (1997) de Lee Williams, le film « My Addiction » (1993) de Sky Gilbert, le film « Le Livre de Jérémie » (2004) d’Asia Argento, le roman Martin And John (1994) de Dale Peck, le film « Passé sous silence » (2003) de James Mérendino, le film « Taxiboy » (2001) de Veronica Chen, le film « Manille » (1975) de Lino Brocka, le roman Sarah (2000) de JT LeRoy, le film « Les Croque-Morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama, le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, le film « Garçons d’Athènes » (1998) de Constantino Giannaris, le roman Mysterious Skin (1995) de Scott Heim, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le film « Smukke Dreng » (« Joli Garçon », 1993) de Carsten Sonder, le roman Rent Boys (1997) de David Macmillan, le roman Setting The Lawn On Fire : A Novel (2005) de Mack Friedman, le film « Morirás En Chafarinas » (1995) de Pedro Olea, la chanson « House Of The Rising Sun » du groupe The Animals, le roman Suburban Hustler : Stories Of A Hi-Tech Callboy (1999) d’Aaron Lawrence, le roman Down There On A Visit (1966) de Christopher Isherwood, le film « Le Rôti de satan » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Bordella » (1976) de Pupi Avati, le film « The Gemini Affair » (1974) de Matt Cimber, le film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, le film « Where The Day Takes You » (1992) de Marc Rocco, le film « Skin And Bone » (1995) d’Everett Lewis, le film « Johns » (2002) de Scott Silver, le film « Speedway Junky » (1998) de Nickolas Perry, le film « Mr Smith Gets A Hustler » (2002) d’Ian McCrudden, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Die Blaue Stunde » (1992) de Marcel Gisler, le film « Er Moretto, Von Liebe Leban » (1985) de Simon Bischoff, le film « Rosatigre » (2000) de Tonino De Bernardi, le film « Septej » (1995) de David Ondricek, le film « Empire State » (1986) de Ron Peck, le roman Last Exit To Brooklyn (1957) d’Hubert Selby Jr, les romans City Of Night (1963) et Numbers (1967) de John Rechy, la chanson « Quand on arrive en ville » de la comédie musicale Starmania de Michel Berger, le roman Midnight Cowboy (1965) de James Leo Herlihy, le roman Boy Culture (1996) de Matthew Rettenmund, le roman Brutal (1996) d’Aiden Shaw, le roman The Queen Of Hearts : A Transsexual Romance (1998) de Brad Clayton, la pièce Trafficking In Broken Hearts (2005) d’Edwin Sanchez, le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « La Habana Muda » (2011) d’Éric Brach, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la chanson « Ma Marloupette » de Sandrey, la chanson « Tous des putains ! » de Jean Guidoni, la chanson « I’m The Boy » de Serge Gainsbourg, etc.

 

Par exemple, dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, Marcello fait une remarque étrange au jeune héros homosexuel, Barthélémy (« Vaut mieux être gigolo que pédé ! »)… sans se douter de l’homosexualité de ce dernier, et sans réaliser la signifiance de ses dires puisque Barthémémy fréquente énormément de gigolos dans le « milieu homo ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, à sa sortie du train à la gare de Lyon, Zize, le travesti M to F, est pris sérieusement pour une pute par un pépé. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde compare son meilleur ami homo Guillaume à une prostituée, car ce dernier l’informe qu’il va coucher avec un homme marié (son amour de jeunesse, Michael) dans un hôtel : « Et maintenant, tu es dans une chambre d’hôtel comme une pute. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi, le héros bisexuel, dit qu’il vit à Montmartre, à côté des « putes ».

 

Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, tous les personnages sont prostitués : officiels/agréés (Martine, péripatéticienne de métier), officieux (Michèle, l’actrice-bimbo), sentimentaux (Jules, le héros homosexuel, qui a joué le rôle d’une prostituée sur le tournage du film « Les Misérables » ; il se décrit comme un tapin gratuit auprès de ses trois camarades de jeu, Michèle, Martine et Lucie : « Oui, moi aussi, je suis comme vous. Je suis une pute. Je suis une pute. Comme vous. »).

 

Quelquefois, le terme « prostitution » s’étend plus largement à l’« infidélité », au « devenir objet exhibé », ou à la « diabolisation de la sexualité et des corps ». En effet, un personnage peut être considéré comme une « pute » ou un « prostitué » quand il se donne à voir comme un objet, de manière indécente et irrespectueuse vis à vis de lui-même et des autres (souvent à travers les médias), ou bien parce que son corps est méprisé. « Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes ? » (Solange à Delphine, sa sœur qui lui montre leurs robes rouges de music-hall, dans le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « T’as l’air d’une pute. Cache-moi ces mamelles. » (Alba, l’héroïne lesbienne, à sa servante Claudia, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; etc.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Il n’est pas rare que le héros homosexuel fictionnel passe à l’action et se prostitue réellement contre de l’argent : cf. le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec Strella, le héros transsexuel M to F), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Emmanuel, le héros homosexuel, qui se vend chez le voisin âgé de son immeuble), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec Mike et Scott, les deux gigolos, par ailleurs amants), le roman Autobiographie érotique (2004) de Bruce Benderson (avec Romulus, le « prostitué roumain qui glande en Hongrie »), le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Ezri et Robbie qui vont faire le tapin dans les parcs), le film « Journal d’un prostitué » (2001) de Tamfik Abu Wael, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec Bjorn, l’homosexuel jadis prostitué), le film « Un Fils » (2003) d’Amal Bedjaoui, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le film « Tiresia » (2003) de Bertrand Bonello, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, la chanson « One Night In Bangkok » de Murray Head, la chanson « I’m A Gigolo » de Cole Porter, le film « Breakfast At Tiffany’s » (1961) de Blake Edwards (avec le gigolo Varjak), le film « Midnight Cowboys » (1969) de John Schlesinger (avec le prostitué Joe Buck), le film « Revolutions Happen Like Refrains In A Song » (« Les Révolutions surviennent comme des refrains dans les chansons », 1987) de Nick Deocampo, le roman Less Than Zero (Moins que zéro, 1987) de Brett Easton Ellis, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat (avec les trois prostitués urbains), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill, le film « Macho Dancer » (« Danseurs machos », 1988) de Lino Brocka, le film « Cop » (1988) de James B. Harris, le film « Via Appia » (1990) de Jochen Hick, le film « Fill’em » (1992) de Sky Gilbert, le film « Gossenkind » (« L’Enfant de la rue », 1992) de Peter Kern, le film « Being At Home With Claude » (« À la maison avec Claude », 1992) de Jean Beaudin, le film « Die Blaue Stunde » (« L’Heure bleue », 1992) de Marcel Gisler, le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder, le film « Hatachi No Binetsu » (« La Légère Fièvre des vingt ans », 1993) de Ryosuke Hasiguchi, le film « Post Cards From America » (« Cartes postales d’Amérique », 1994) de Steve McLean, le film « Dupe Od Mramora » (« Anus de marbre », 1995) de Zelimir Zilnik (sur les prostitués travestis en Serbie), le film « Tattoo Boy » (1995) de Larry Turner, le film « The Toilers And The Wayfarers » (1996) de Keith Froelich, le film « The Unveiling » (« Le sans voile », 1996) de Rodney Evans, le film « Tapin du soir » (1996) d’Ane Fontaine, le film « Johns » (1996) de Scott Silvers, le film « Private Shows » (1997) de Blaine Hopkins et Stephen Winter, le film « Star Maps » (1997) de Miguel Arleta, le film « Hard » (1998) de John Huckert, le film « Speedway Junky » (1999) de Nickolas Perry, le film « Circuit » (2001) de Dirk Shafer (racontant l’histoire d’un prostitué terrifié à l’idée de vieillir), le film « Aka » (2002) de Duncan Roy, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Los Novios Búlgaros » (« Les Amants bulgares », 2003) d’Eloy de la Iglesia, le film « Yeladim Tovim » (« Brave garçon », 2004) de Yair Hochner, le film « Eighteen » (« Dix-huit », 2004) de Richard Bell, le film « Ethan Mao » (2004) de Quentin Lee, le film « Dirty Little Sins » (« Sale petit péché », 2005) de Kett Blakk, le film « Transamerica » (2005) de Duncan Tucker (un transsexuel M to F découvre qu’il a un fils qui se prostitue dans la ville de New York), le film « Breakfast On Pluto » (2005) de Neil Jordan, le film « Into It » (2006) de Jeff Maccubbin, le film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot, la série Dante’s Cove (2006) de Michael Costanza (où Kevin avoue à son petit ami qu’il se fait parfois payer ses faveurs sexuelles), le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot (avec Andrea qui est escort-boy), le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh (Alexandra veut louer les services d’une prostituée), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, qui se prostitue), etc.

 

« Il [Pedro/Maria-José] fut élevé par son frère aîné qui l’habillait en fille et le prostitua dès l’âge de six ans. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 30) ; « On m’appelait Fifty Dollars. 50 $ pour une passe, c’est pas mal, non ? » (Jacques Nolot, racontant comment il est passé de la prostitution à une homosexualité « assumée », dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) ; « Déshabillez-vous, s’il-vous-plaît. Ne posez pas de questions. […] Silence ! Tu te tais ! » (Monsieur Chateigner s’adressant impérieusement à Anthony, son beau garçon d’hôtel, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Je suis une pute minable. » (Peter, l’amant nain du film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, Lulu retrouve à l’âge adulte un ancien camarade de foot (homosexuel), en train de faire le trottoir à Pigalle. Dans le roman Ta Mère (2010) de Bernard Carvalho, Andreï est poussé à se prostituer par ses camarades soldats de l’armée russe. Dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Christian Bordeleau, Carmen est « putain sur la rue Saint Laurent ». Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd couche avec des hommes « pour du fric ».

 

Le personnage homosexuel est aussi client de prostitué(e)s : cf. le film « My Hustler » (« Mon Prostitué », 1965) d’Andy Warhol et Chuck Wein, le film « L’Orpheline » (2011) avec Noémie Merlant (avec Jean-Claude Dreyfus dans son rôle de proxénète), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julián Schnabel, le film « My Hustler Boyfriend » (« Mon petit ami le prostitué », 2004) de Peter Pizzi, etc. « Il paraît que c’est un truc de pédés, d’homos refoulés, les mecs qui niquent des gonzesses dans tous les coins. » (Fred à son ami Greg, dans le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin) ; « J’ai connu des putains… de ténèbres. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer). Par exemple, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval essaie de ramener des cocktails mondains où il se rend des « p’tits jeunes sans cervelle » pour les faire venir chez lui. Dans le sketch des Faux Cambrioleurs d’Elie Sémoun, un homme dont on fête l’anniversaire-surprise, finit par avouer, sous la pression d’un cambrioleur imaginaire, qu’il « s’est tapé » des jeunes prostitués lors de son dernier voyage « touristique » en Thaïlande. Dans un des sketchs de Franck Dubosc, Mike, un ami à lui, accueille plusieurs jeunes hommes exotiques dans son lit (comparés aux « Rois mages » apportant leur corps en cadeau), au village-vacances où ils se trouvent. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, prospecte de se chercher une mère-porteuse pour avoir un enfant, et voit en Isabelle, qui se définit comme « une salope » qui ne peut pas se satisfaire d’un seul homme, une collaboratrice intéressante. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués tels que Doyler. Le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso traite de la prostitution masculine, et pire que ça, de la prostitution juvénile. Davide, le héros homosexuel, n’a que 14 ans, et vend quand même son corps aux hommes. Rettore, son camarade prostitué, finit par mourir à la fin du film : on suppose qu’un de ses clients l’a éliminé.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, la prostitution, au départ, est une réalité qui est occultée et singée par l’humour cynique. En effet, Emory, le personnage homo le plus « grande folle », fait mine de faire le tapin sur le trottoir à côté d’un lampadaire, avec un humour queer provocateur très courant dans le « milieu homo » : « Tu veux mon corps ? Faut me payer. » dit-il à Larry qui passe en voiture. Mais on découvre par la suite que ce n’est pas qu’une blague, et qu’il est à la fois souteneur (il louera les services d’un jeune prostitué décérébré, Tex, qu’il offrira en cadeau d’anniversaire à son pote Harold) et prostitué réel (« Vous avez plus de chance que moi.  Quand je ne me fais pas arrêter, mon client a une maladie vénérienne. »).

 

Le film « Fast Forward » (« D’un trait », 2004) d’Alexis van Stratum laisse entendre que la prostitution est le passage obligé de l’homosexualité vieillissante : le héros homosexuel âgé qui veut continuer à jouir de la beauté des jeunes corps qu’avant la valeur marchande de son propre corps lui permettait d’obtenir gratuitement, se voit obligé de sortir le chéquier…

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Vidéo-clip de la chanson "Moi Lolita" d'Alizée

Vidéo-clip de la chanson « Moi Lolita » d’Alizée


 

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Régulièrement dans les fictions homo-érotiques, la relation amoureuse (homosexuelle) est placée sous le signe de l’argent : cf. le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung (p. 63 et p. 117), le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, le film « Rockbitch » (1998) de Wim Verbulst, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, le film « The Price Of Love » (1995) de David Burton Morris, le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, le tout début du vidéo-clip de la chanson « Moi, Lolita » d’Alizée, etc.

 

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, plus Stephen, l’héroïne lesbienne, sent qu’Angela lui échappe, plus elle la soudoie avec des cadeaux… mais c’est déjà trop tard : « Elle ne pouvait acheter l’amour d’Angela. » (p. 246). Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent passe son temps à reprocher à son amant Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution : cf. le film « Un Ragazzo Come Tanti » (« Un Homme comme tant d’autres », 1983) de Gianni Minello, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, le film « Happy Together » (1997) de Wong Kar-Wai, le roman L’Ange impur (2012) de Samy Kossan (Samy s’est prostitué dès l’âge de 15 ans ; puis il rencontre l’« amour » avec Joey, un autre prostitué qui est encore plus dangereux que lui), etc.

 

Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, par « amour » pour Jean, accepte que ce dernier soit son proxénète et finit par se prostituer. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, la relation de « couple » est mise sur le même plan que la relation prostitutionnelle. Par exemple, Petra demande à son amante Jane si elle a déjà payé pour coucher. Elle lui répond que non. Petra lui rétorque : « Et toutes ces fois où tu es super gentille avec moi ? ». Jane lui renvoie la pareille. Au départ, Petra répond par la blague : « J’ai payé ta place de cinéma, alors j’espère que tu vas accepter de coucher avec moi une fois qu’on arrivera à la maison. » (Petra s’adressant à son amante Jane, p. 77) Ensuite, voyant l’attraction interdite de sa compagne pour les prostituées (et notamment la jeune Anna), elle ironise : « Ça te fascine, hein ? T’aimerais qu’on en ramène une un jour ? » (p. 78) Enfin, on apprend que dans sa jeunesse, Petra a loué les services d’une prostituée en la payant : « Je ne sais pas trop si on peut dire que j’ai payé pour m’envoyer en l’air » (p. 84), avance-t-elle en faisant croire que la prostituée et elle y ont trouvé leur plaisir. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso Davide, le héros homo de 14 ans, est enculé contre un mur en verre, sur fond rouge, par un autre prostitué. Ce dernier l’abandonnera après l’avoir usé. Pire, il l’entraînera de force à la prostitution pour qu’il ait le droit d’habiter chez lui.

 

Certains protagonistes considèrent même que la prostitution et l’argent sont les moteurs de leur désir amoureux. Par exemple, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Wassim avoue à Malik qu’il a besoin de donner un billet à son copain pour jouir et l’aimer davantage : « Tu sais ce que j’aime le plus ? Les gigolos. » Dans le film « El Diputado » (« Le Député », 1978) d’Eloy de la Iglesia, un prostitué adolescent, indicateur de la police, tombe amoureux de sa victime. Dans le film « 200 American » (2003) de Richard LeMay, un homme d’affaires new-yorkais devient amoureux d’un prostitué australien. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort.

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que l’argent, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s fictionnels serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution dans les œuvres homo-érotiques n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), etc. Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement ! Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Sheela, pour les cours particuliers que lui donneraient Anamika (l’héroïne lesbienne), lui propose très sérieusement de la payer « en monnaie de baisers » (p. 97).

 

Certains couples homos fictionnels pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! c.f. La pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec la relation d’« amour » entre Raulito, le prostitué, et Cachafaz, son « mac »), le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel (avec les deux amants prostitués, Vassili et Angelo), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec la relation ambiguë entre Loïc et Lionel), la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane (avec Mitchell tombant amoureux d’un gigolo), etc. Par exemple, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, la rencontre entre George, le héros homosexuel universitaire, et le prostitué Carlos, est filmée comme une belle (parce que désespérée !) idylle. Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Alain, 48 ans, est en couple avec un jeune amant brésilien, Roberto, 19 ans, traité de « gigolo ». Avec la prostitution, c’est la différence de classes sociales qui serait soudain pulvérisée, c’est merveilleux… : cf. le film « Hustler White » (« Prostitué blanc », 1996) de Nick Castro et Bruce LaBruce, le film « Happy Hookers » (« Prostitués heureux », 2006) de Ashish Sawhny (relatant la vie de trois prostitués en Inde), etc.

 

Il arrive que le héros homosexuel, bercé par ses illusions d’amour ou stimulé par ses pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme une action banale et possiblement amoureuse : « Je ne suis pas devenu pute. » (Jean-Marie, homosexuel, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « Partager mon ennui le plus abyssal au premier venu trouvera ça banal… » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) ; « Les jeunes prostitués qui se trouvaient Place Dauphine le fascinaient. […] Sa présence ici n’était pas insensée. Elle était juste nécessaire. » (Adrien, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 26) ; « Le premier métier : la prostitution ? » (Omar, l’un des deux héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 93) ; « Enfin j’ai reçu une lettre de ma cousine. Elle ne dit rien de ce que nous avons fait ensemble, sinon qu’elle finit sa lettre par je t’embrasse’. Trois fois à la suite. Elle m’écrit surtout pour me dire le bien que je lui ai fait en lui prêtant la somme dont elle avait grand besoin et qui la sauve tout à fait. » (Alexandra, la narratrice lesbienne ayant vécu une liaison amoureuse avec sa cousine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 75) ; etc.

 

Selon l’hypocrite client homosexuel fictionnel, ou le non moins hypocrite prostitué, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ». « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry d’adressant à son amante Ada, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Il m’arrivait aussi d’être fréquenté par certains voisins en mal de chaleur humaine. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 56) ; « Toi non plus tu n’as pas d’argent. Je te propose une chose : moi je taille une pipe à toi, et toi tu me tailles une pipe. » (un homme au travesti M to F Paletta, dans le film « Toto Che Visse Due Volte », « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « En fait, si t’étais une femme, tu serais une pute gratuite, pour le plaisir ?’ Cody rit. » (Mike, le narrateur homosexuel, s’adressant à Cody, son pote gay nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina.’ » (Cody, op. cit., p. 101) ; « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante, que l’or ! » (cf. la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) ; etc.

 
 

Adrien – « T’as raison, on n’achète pas la tendresse, presque machinalement.

Malcolm – T’inquiète, j’te ferai rien payer. »

(cf. le dialogue entre Adrien, le héros homosexuel, et son amant-prostitué noir, Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 28)

 
 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnages homosexuels – pourtant souvent lettrés, esthètes, éduqués, spirituels, réputés « raffinés » et « romantiques », a priori peu vénaux – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », ou bien au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains héros (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. « Moi, j’suis pas une pute ! Je suis une intellectuelle ! » (Raulito le prostitué, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi)

 

En général, les acteurs fictionnels de la prostitution atténuent et excusent la violence de la prostitution par le prétexte de l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, etc.), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

La prostitution gratuite, camouflée par la « légitimité » de « l’amour » homosexuel, de la drague, et de la fougue des passions, est la porte ouverte à l’actualisation banalisée du viol : « Il râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel parlant du chauffeur de taxi maghrébin qui le viole, dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 44)

 

Par exemple, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, on constate que la protagoniste lesbienne française, Kim (Muriel Robin), dans sa grande naïveté militante, confond le tourisme sexuel avec l’Amour. En effet, alors qu’elle dîne dans un restaurant thaïlandais avec Louis (Jean Réno, jouant le rôle d’un médecin qui l’accompagne dans sa démarche d’adoption, et qui vit sur place en Asie du Sud-Est), elle s’offusque de voir ce dernier casser la figure à deux hommes dînant ensemble, et qui ont l’air d’être en couple : « Vous êtes homophobe ? » lui demande-t-elle, indignée. Louis lui coupe froidement le sifflet : « Non : je suis contre la prostitution. »

 

Le client fictionnel a souvent ce double discours puant, hypocrite, et pourtant sincère, de celui qui, en même temps qu’il loue les services de son prostitué et l’enfonce donc un peu plus dans la misère, cherche en l’en sortir. Il tient exactement les propos compassionnels et pseudo ascétiques du sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter… »

 

Le déni du viol chez le prostitué homosexuel ou son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée, carrément schizophrène : « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 27)

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels fictionnels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer. La prostitution leur sert de rempart pour ne pas assumer leur désir et leurs actes (homo)sexuels : « Y’a que les pédés qui se la touchent sans payer. » (Rachid à Karim, dans le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat) Par exemple, dans le film « Chop-Shop » (2009) de Ramin Bahrani, Alejandro insiste pour sucer Carlos sous l’excuse de la prostitution. Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homos, dit qu’il s’est déjà prostitué : « Ça m’excitait d’être un jouet sexuel. » Et Mathan, son futur amant, plaisante en remarquant qu’il est passé à un autre type de prostitution : « Maintenant, tu couches avec tout le monde, mais sans rémunération… » Le cadre « légalisé »/balisé de la prostitution fait office de paravent à la fois de la pratique homosexuelle mais aussi de l’homophobie des deux héros.

 

Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, pendant la nuit, vient dans la chambre de sa maman, la réveille pour lui demander conseil au sujet de son premier béguin pour un garçon de sa classe, Nicholas. Elle lui donne ce conseil : « Fais tout. » Mais elle lui délivre aussi un avertissement faustique (l’interdit d’aimer) : « Mais ne lui demande pas s’il t’aime. Crois-moi, je m’y connais. » Phil remercie sa mère maquerelle (qui s’autoproclame elle-même « BITCH ») : « Merci Mum. Tu m’as bien aidé. »
 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « Non, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] ne se laissera pas ligoter au piège passionné de cette inconnue ! » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 24) ; « C’est plus fort qu’elle, cette façon de couper court aux effusions pleurnichardes, de mentir à son cœur morfondu, de s’interdire tout amour. » (idem, pp. 42-43) ; « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie s’adressant à son amante, op. cit., p. 69) ; « Elle [Gabrielle] en rougit encore. Comme du mot ‘amour’, qu’elle s’est si longtemps interdit de prononcer. » (idem, p. 126) ; « Je veux pas que tu tombes amoureuse. » (Anna s’adressant à son amante Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 51) ; « Elle était toujours sur le point de m’aimer, et je ne le voulais à aucun prix. » (Suzanne concernant sa liaison éphémère avec Agnès, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 225) ; « Parole donnée, contrat signé. N’oublie jamais : INTERDIT D’AIMER. » (le diable parlant à James Dean, dans la chanson « Cinq » du Clergyman, dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger) ; « Le lys veut dire : je te défie de m’aimer. » (Luce la fleuriste face à Rachel sa future amante dont elle tombe amoureuse, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Je ne te parle pas d’amour. Je sais très bien que ça te ferait rire. » (Julien, l’amoureux éconduit de Rosa, la prostituée, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc.

 

Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » (cf. le film « Défense d’aimer » (2001) de Rodolphe Marconi, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le roman Ya No Sufro Por Amor (2006) de Lucía Etxebarría, etc.) – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle.

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire (cf. le film « L.I.E. », « Mensonge » (2001) de Michael Cuesta). La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « La vierge devient pute. » (« X », le héros homosexuel du film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka) ; « La Vierge est une pute ! Tu te rends compte, canard ? » (Philibert à son amant, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « On est toutes des salopes pour les hommes. » (Léa, la femme violée de la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, la femme est considérée comme « la reine des putes » par le héros homosexuel (interprété par Rocco Siffredi). Dans le film « Mauvaise Passe » (1999) de Michel Blanc, Pierre (Daniel Auteuil) quitte sa famille et s’enfuit à Londres, où il rencontre Tom (Sam Townsend), un prostitué, qui l’amène à s’enfermer dans son monde obscur de sexe et d’argent.

 

Entre le héros homosexuel et la prostituée/le prostitué, il existe un double mouvement idolâtre-schizophrène-paradoxal-divisant-passionnel d’attraction/répulsion, d’adoration/destruction… que l’on perçoit tout à fait dans le couple homosexuel fictionnel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, composé d’Omar et Khalid : tandis que Khalid dit qu’« il n’aime pas les putes », Omar s’oppose à lui par un laconique : « Moi, oui. » (p. 117)

 

On découvre derrière cette idolâtrie un lourd contentieux. La prostituée ou le prostitué finit par être détesté(e) par le héros homosexuel étant donné qu’il/elle est considéré(e) comme le père ou la mère indigne qui lui a donné la vie (par exemple, dans le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, Zapata et Hawa, les deux jumeaux, sont le fruit de la rencontre entre un soldat américain et une prostituée ; dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, Arthur, un des héros homosexuels, est un enfant issu d’une liaison de prostitution : son père, l’écrivain bisexuel Marcel Proust, a couché avec une prostituée, pour l’avoir ; et je vous renvoie aussi au long chapitre « Maman-putain » du code « Matricide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’à la figure de la mère-maquerelle du code « S’homosexualiser par le matriarcat »). Il/elle apparaît, aux yeux du client, comme une tentation désirante dangereuse, mais également comme un souvenir désagréable d’une initiation forcée à la sexualité. Par exemple, dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, Enrique force son fils transsexuel M to F Michael à aller voir une prostituée pour le faire changer de force d’orientation sexuelle ; cela se transformera en séance de torture mentale pour le jeune homme. Dans le film « Jeux d’amour chez les jeunes filles » (1971) de F. J. Gottlieb, une mère engage une prostituée pour déniaiser son fils et l’empêcher qu’il devienne homo. Dans le film « El Transexual » (1977) de José Jara, Lorna est forcé à aller au bordel par son père pour se « convertir » à l’hétérosexualité. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco J. Lombardi, Joaquin se fait emmener par son père ultra-conservateur dans un bordel pour le faire « devenir un homme ». Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la prostituée, fouette Jules et le méprise.

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué a même pu se solder par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme/arrivisme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le héros homosexuel, parlant de Malcolm, son amant-prostitué, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homosexuel, révèle qu’il s’est jadis pris un coup de poignard par une femme. Et Quentin, son amant secret, a lui aussi eu une relation avec une prostituée (Martine) avant de se convertir à l’homosexualité. Jules Jules, sur scène, se conduit très mal avec ses deux compagnes-prostituées : il donne une gifle à Michèle (l’actrice-pétasse) et traite Martine (la prostituée « professionnelle ») de « morue » : en les attaquant, il semble vouloir réveiller en elles les prostituées-tigresses : « Vous êtes des bêtes sauvages !!! » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, pendant qu’il fait ses mots-croisés, Léo, le héros homosexuel, réfléchit tout haut (pour finalement trouver la bonne solution : le mot « Occiput ») : « 7 lettres : prostituée assassinée ou crâne. »

 

Le héros homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre (cf. la prostituée borgne du film « Le Trou noir » (1997) de François Ozon), un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère… « Gigi lui [le prince Koulotô] prit le portefeuille dans sa poche intérieure ; une liasse de billets de 500 francs roula sur le trottoir. Les deux vieux travelos se précipitèrent pour la ramasser, la mirent dans un de leurs sacs et coururent jusqu’à l’angle de la rue des Martyrs. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, pp. 88-89) ; « Avec sa bouche d’anthropophage rouge carrosserie, ses cheveux façon perruque en nylon du Crazy Horse, elle aurait pu jouer dans une parodie porno de films de vampires. » (Jason, le héros homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 56) ; « Partir à la recherche de Greta a été comme entrer dans un des cercles de l’Enfer. » (Jane, l’héroïne lesbienne en quête de Greta la prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 177) ; etc.

 

La prostituée de l’homosexuel est souvent une prédatrice sensuelle et dangereuse, allongée comme une féline sur un canapé, en combinaison cuir (cf. la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho). « Assise sur le canapé, elle lisse sous ses doigts les éraflures laissées dans le cuir par les griffes de son vieux chat, mort la veille. » (cf. la description de l’héroïne lesbienne, Gabrielle, les toutes premières lignes du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 10) Par exemple, dans la chanson « À force de retarder le vent » de Jann Halexander, la prostituée tueuse et bourgeoise fixe l’homosexuel de son regard félin, et « murmure à son chat ».

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, la prostituée lesbienne ou le prostitué masculin incarne souvent la figure de la tentation destructrice. « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) Dans le film « Between Love And Goodbye » (2008) de Casper Andreas, April, la sœur de Kyle, ancienne prostituée, essaie de briser le couple Marcel/Kyle. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme. Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, une prostituée lesbienne et vénéneuse, Chloé, attire dans ses filets Catherine, une femme mariée, au point de s’insérer de manière très intrusive dans sa vie ; ce triangle amoureux finira mal puisque Chloé meurt défenestrée.

 

Le prostitué/la prostituée symbolise l’allégorie du meurtre élégant, le climax du viol ou de la mort « acceptable » : « Jolie s’empara d’une brosse d’argent et le frappa sur la tête. Le Sénateur tomba la tête la première dans l’eau. » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 27-28) Il est présenté(e) comme un être qui conduit symboliquement à la mort : « La jeune prostituée sortit son couteau à cran d’arrêt de son décolleté et poignarda sauvagement à la gorge la boulangère, qui se mit à râler. » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 54). Par exemple, dans le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela, Matiitas se tire un coup de fusil dans l’anus après s’être enfermé à l’intérieur de la chambre de la prostituée Aix qui l’a initié à la génitalité. Dans le film « Lonely Boat » (2012) de Christopher Tram et Simon Fauquet, la prostituée Macha se fait frapper par Erwann. Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, « Big Demon » est le nom du prostitué transsexuel M to F du Bois de Boulogne. Dans le film « American Gigolo » (1980) de Paul Schrader, un gigolo est soupçonné de meurtre. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume se fait « défloré » violemment par Ingeborg, une séduisante assistante d’une station thermale norvégienne (qui lui fait un lavement d’anus en lui introduisant un tuyau). Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Alban Mann traite sa propre fille de « pute » (p. 18), et finira par la tuer, comme il a assassiné sa femme Greta, elle-même prostituée « professionnelle ». Jane, l’héroïne lesbienne, vengera les deux femmes en tuant Mann au couteau. Et tous les personnages tentent d’assassiner la prostituée, y compris celle-ci qui cherche à se supprimer : « Greta est une pute. Je l’attends. Quand elle descendra l’escalier l’escalier je lui ferai un croche-patte et je lui enfoncerai les yeux dans les orbites. » (Frau Becker, p. 213) ; « Je me souviens de deux prostituées, des belles filles, qui venaient à la clinique, et qui avaient sauté ensemble main dans la main vers la mort. » (Alban Mann, p. 234)

 

Film "Matador" de Pedro Almodóvar

Film « Matador » de Pedro Almodóvar


 

Le/la prostitué(e) fictionnel(-le)s apparaît comme le/la rebelle qui se venge en tuant son proxénète ou en se débarrassant de l’homosexuel : cf. le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz (avec le gang des prostitués-amants qui assassine Sébastien), la chanson « Il m’déroute » de Christiane Nere, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec Louna, la prostituée tueuse), le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec Maria qui poignarde ses amants lors de leurs ébats amoureux), le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer (avec la prostituée de luxe qui achève le maquereau de sa sœur jumelle exploitée), le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les prostituées-tueuses), la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti (avec Salomé, la dangereuse prostituée), le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, (avec la prostituée qui pousse son client sur la voie routière), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Martine, la prostituée vengeresse), etc. Je vous renvoie également au code « Actrice-Traîtresse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Par conséquent, il est logique que le héros homosexuel finisse souvent par tuer la prostituée/le prostitué : cf. le film « Lonely Boat » de Christopher Tram et Simon Fauquet, la pièce Requiem pour une garce (2011) de David Sauvage, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman (avec Peter Egerman), le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec le meurtre iconographique de la prostituée), le film « L’Aurore » (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, le film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec le meurtre final), le film « L’Année des treize lunes » (1978) de Rainer Werner Fassbinder, le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le film « Sometimes Aunt Martha Does Dreadful Things » (1971) de Thomas Casey, le film « Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan » (1973) de Chu Yuan, le film « Tubog Sa Ginto » (1971) de Lino Brocka, le film « Amours mortelles » (2001) de Damian Harris, le film « En El Paraíso No Existe El Dolor » (1995) de Víctor Sacca, le film « Rocher d’Acapulco » (1994) de Laurent Tuel, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (où Loïc pousse sa meilleure amie Marie – qu’il a traitée de « pute » – au suicide), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki (avec la scène de maltraitance du héros lors d’un « plan cul » qui tourne mal), le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz (avec Monique, l’ex-prostituée qui se suicide), la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec « Lola Lola », la danseuse découpée en morceaux dans une malle), etc. « C’était une putain. Rien n’était assez bon pour lui. […] Il avait la peau douce comme une fille. » (Felix Tesla après avoir tué le prostitué Leland, dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Les filles qui se font violenter sont souvent hyper sexualisées. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 55) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana, la prostituée est tuée car c’est elle qui envoie le personnage homosexuel de Julio à la prostitution. Dans le roman Moïra (1950) de Julien Green, le protagoniste homosexuel étrangle la prostituée qui le force à la sexualité. Dans le film « Pulsions » (1980) de Brian de Palma, Bobbi, un transsexuel M to F en devenir, tue les femmes trop désirables et sexuellement trop actives. Dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, João, le héros transsexuel M to F, maltraite Loretta. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra, traitée de « pute » par Raúl, l’un des héros homosexuels, finit par achever au couteau de cuisine ce dernier qui allait la tuer. À la fin de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le Baron Osvald Lovejoy, homosexuel, tue Scarlett, la prostituée, avec son flingue. Dans le film « Jagdfzenen Aus Niderbayern » (« Scènes de chasse en Bavière », 1969) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel, poignarde « la Tonka » au ventre (« Je lui ai crevé son ventre ! », dit-il en la traitant de « prostituée ») parce qu’elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte de lui ; il finit par la battre à mort, en l’insultant violemment (« Tu vas te taire, salope !! »). Dans le film d’épouvante « In The Blood » (« Dans le sang », 2006) de Lou Peterson, un jeune homme donne rendez-vous à un prostitué latino ; et ça finit mal, bien sûr !

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la jolie prostituée, fait promettre au jeune Moustique qu’elle a dépucelé de jouer à un jeu jusqu’au bout. Ce dernier promet avant de savoir quelle en est la teneur : « À quoi on joue ? » demande-t-il, excité. Il déchante quand elle lui demande de lui enfoncer dans le ventre un gros couteau de cuisine : « Tu vois ce couteau ? Tu vas me l’enfoncer dans le ventre. C’est pour avoir une chance. Une chance sur deux. » Par « amour », il va obéir à sa demande. Mais, pris de remord, Moustique se jettera dans les bras de la prostituée nommée « Quarante », comme si c’était lui qui avait reçu le coup de couteau : « Pourquoi elle m’a fait ça, Quarante ? »

 

Le meurtre de la prostituée/du prostitué ressemble finalement en tous points au meurtre homophobe, suscité par l’homosexualité pratiquée. Par exemple, dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, une boulangère laisse sa propre fille se prostituer sur le trottoir juste en face de sa boutique, et va chercher à s’en débarrasser : « La jeune prostituée pissait sur le trottoir (pour ce faire, elle avait soulevé sa mini-jupe en lamé, elle n’avait même pas de caleçon, le petit caniche léchait son urine dans le caniveau). » (p. 51) ; « La jeune prostituée jaillit de derrière la voiture et projeta un pavé sur la vitrine qui vola en éclats. Mme Pignou fut blessée au front par un éclat de verre. » (idem, p. 53) ; « La boulangère allait dans l’arrière-boutique et revenait avec un fusil de chasse. Elle visa la vitrine, tira à plusieurs reprises, plusieurs œufs volèrent en éclats. La jeune prostituée poussa un cri et alla se cacher derrière une voiture. ‘Je l’ai ratée, la pute !’ s’écria la boulangère. » (p. 53) ; « La jeune prostituée s’effondra sur la chaise en formica et se mit à sangloter, se maculant les joues de ses mains inondées du sang de la boulangère. » (idem, p. 55) Mme Pignou reproche en réalité à sa fille leur gémellité d’actions, puisqu’elle a été jadis prostituée aussi : « Je suis une ancienne fille de joie. » (p. 52) L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie fictionnelle ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. Le héros homosexuel érige un bûcher en l’honneur du prostitué/de la prostituée pour lui prouver qu’il/elle est éternel(le), pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir : « La jeune prostituée était devenue une torche vivante, elle courait dans tous les sens, s’écrasant contre les derniers miroirs qui volaient en éclats. » (idem, p. 55)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, et de la femme fatale croqueuse d’hommes (par exemple, Mylène Farmer dans le vidéo-clip de sa chanson « California »). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. Dans les fictions, les personnages homosexuels pratiquants et les prostitué(e)s fictionnel(le)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. « Ton métier, c’est de te faire violer. » (David s’adressant à son frère prostitué Dodge, dans le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern) ; « Je veux que tu me butes. » (la prostituée s’adressant à Dick son client bisexuel, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; etc. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject. Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, est à la recherche de prostituées avec qui avoir des aventures, et cherche à imiter les hommes machos qu’elle jalouse. « Je le comprends et j’envie sa vie de noceur ! Ces hommes-là ont compris la valeur de ce qu’ils louent. Si j’en trouve le moyen, je veux connaître cet instant où, en payant le prix, je pourrai choisir et monter avec une femme pour lui faire tout ce que j’aime… Je voudrais être cet homme qui va au salon, rencontre, paye et s’en va, sans séduction, sans attendre, comme un animal. » (p. 34) ; « Ayant remarqué mon petit manège, elle [la prostituée] s’avança, certaine cette fois que j’étais revenue pour elle. […] Elle me prit par le bras et m’entraîna dans un coin sombre, comme elle devait le faire pour décider le client quand il n’était pas sûr de lui. Elle ouvrit un peu mon manteau et chercha entre mes jambes ce qu’il n’y avait pas. Elle entreprit de me palper plus avant. Je me mis à la regarder bien en face. […] Elle m’attrapa le bras violemment. Terrorisée, j’eus l’énergie de m’enfuir, courant comme je le pouvais dans mon accoutrement, manquant de trébucher dix fois sur mon pantalon trop long… Je l’entendis qui disait quelque chose comme : ‘J’ai d’la moralité, moi !’ Puis, très clairement, le mot ‘ordure’ claqua dans la nuit. » (pp. 40-41) ; « L’amour de Marie était devenu assez pesant. […] Maintenant que je l’avais possédée, je n’avais plus vraiment de désir pour elle. Sans doute aurais-je aimé vivre comme beaucoup d’hommes, sans cesse en recherche de nouveauté, tout à la joie de la découverte. […] Si j’avais été une femme qui prenait du plaisir avec les hommes, j’aurais sans doute été une courtisane, ou pis encore… » (pp. 207-208)

 

Par la pratique de la prostitution, le/la prostitué(e), tout comme son client, prétendent « inverser/transcender les rapports de domination femme-homme », bref, gommer la différence des sexes, ou bien l’incarner à eux seuls (cf. le film « Prends-moi » (2005) d’Everett Lewis). « Oui, j’étudie les hommes depuis des années, professionnellement… un peu comme une prostituée en somme… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, converti à l’homosexualité, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas une putain, c’est moi qui paie ! » (Maria-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 36) ; « Je suis déjà sorti avec une femme. Finalement, je suis devenu gay ; elle, actrice porno. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Dans les fictions homo-érotiques, la prostitution n’est pas simplement une violation de la différence des sexes. Elle se double d’une violation de la différence des générations (= inceste) et de la différence des espaces (= racisme). C’est la raison pour laquelle beaucoup de créateurs homosexuels figurent la relation mère-fille comme une union transsexuelle maquerelle-prostituée (dans laquelle, bien souvent, les rôles s’interchangent d’ailleurs, puisqu’il s’agit concrètement d’une schizophrénie, de l’expression d’une transsidentité cynique). Par exemple, dans l’œuvre théâtrale et romanesque de Copi, ce duo maman-fille prostituées est un grand classique. « Ma mère, que fais-tu ici ? Je t’ai interdit de venir traîner dans mon territoire ! » (Lou parlant à sa mère Solitaire à Montmartre dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi (cf. planche "Telle mère telle fille")

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi (cf. planche « Telle mère telle fille »)

PROSTITUTION Telle mère 2
 

On l’observe aussi dans beaucoup de spectacles travestis ou transsexuels. Notamment, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, « relooke » sa nièce Claire comme une pute et la laisse sur un parking pour qu’elle fasse son apprentissage de la « sexualité »… ou plutôt de la prostitution. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, trois générations de prostituées (grand-mère, mère et fille) se succèdent (« Oui, j’ai fait carrière au bois… » dit la mère), s’injurient entre elles (« Toutes des putes ! Même maman ! »), et ne sont que les trois facettes d’un même désir de se mépriser et de déprimer en rigolant (« J’suis totalement dépressive ! » ; « Ridicule, oui, mais pas médiocre ! »), quitte à prendre la terre entière pour une nation de prostituées damnées (« Mes sœurs salopes, prenez le taureau par les couilles ! » conclut la fille Gwendoline).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

PROSTITUTION Koltès

Pièce « Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès


 

Même dans le réel, il existe des rapports étroits entre homosexualité et prostitution. Dans toute société humaine, à n’importe quelle époque, et dans n’importe quel pays, ils sont constatables (et je ne parle pas que de la prostitution masculine en disant cela : je me réfère aussi à la prostitution féminine !). Souvent, le pratique des actes homosexuels et de la prostitution coïncident avec des contextes de misère, de crise, de pauvreté, de dictatures, et de guerres. « En relisant les écrits des auteurs latins, on en arrive à se convaincre qu’à Rome, la prostitution masculine était presque aussi générale et aussi ardente que la prostitution féminine. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 126) ; « Les familles patriciennes avaient coutume de donner à leurs fils, à partir du jour de leur puberté, un jeune esclave qui partageait leur lit et qui était destiné à satisfaire leurs premiers élans voluptueux. Les jeunes esclaves portaient des cheveux flottants. Le jour de son mariage, le jeune Romain qui voulait indiquer sa fidélité à son épouse, faisait couper les cheveux à ses esclaves. La loi romaine ne permettait cette prostitution que chez les esclaves, les affranchis, les étrangers. Le châtiment de mort n’intervenait que pour les hommes libres. » (idem, p. 127) ; « Dans un tract politique nazi du 16 septembre 1919, on pouvait lire ce slogan : ‘L’Allemagne est en train de devenir une ‘maison chaude’ pour les fantasmes et l’excitation sexuelle.’Cette formule correspondait à une réalité certaine. Des touristes du monde entier venaient à Berlin, parce qu’elle était surnommé ‘Sin City’… On pouvait même trouver des filles de 10-11 ans portant des habits de bébés qui se promenaient de minuit à l’aube en concurrence avec des blondes luxuriantes, nues dans leurs manteaux de fourrures. Ou avec des garçons habillés en poupées, poudrés, les yeux faits, et du rouge aux lèvres. Pas moins de deux mille prostitués mâles sillonnaient les rues de Berlin, tous listés par la police. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 31) ; « Si l’Occupation [1942-1944] avait radicalement supprimé la progression de la drogue en France, elle y avait en revanche développé l’homosexualité. Assez répandue outre-Rhin, la pédérastie s’étendit à la suite du passage des soldats allemands dans notre pays. Jusqu’alors, elle était le fait de quelques intellectuels ou de quelques blasés qui constituaient une confrérie très fermée. Les véritables invertis physiologiques se montraient encore plus discrets. Bref, la pédérastie n’était pas descendue dans la rue. Par goût, par entraînement, par intérêt, par lâcheté, de nombreux jeunes gens, et des moins jeunes, subirent l’initiation germanique. À la Libération, l’arrivée des Nord-Africains, les difficultés économiques, la fermeture des bordels, encouragèrent cette vague d’homosexualité. Pour la première fois à Paris, il existait une prostitution masculine avouée sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. C’est pourquoi la loi d’avril 1946 sur la prostitution n’établit aucune distinction de sexe. » (André Larue, Les Flics, 1968) ; « Les prostitué(e)s et les homosexuels sont les proies privilégiées des polices des mœurs partout dans le monde. » (Gayle Rubin, Marché au sexe (2001), p. 95) ; « Bien à l’âge de neuf ans, j’ai été abusée sexuellement par un adolescent et sa sœur. J’ai alors expérimenté une activité hétérosexuelle et homosexuelle affreuse à un très jeune âge et en même temps, j’étais élevée par la télévision – j’avais la permission de regarder des films réservés aux adultes, des films d’horreur, des films à contenu sexuel, donc mon éducation à l’amour et au sexe s’est faite par l’abus et en gros par la négligence parentale, puisqu’ils nous autorisaient à regarder ces choses. » (Shelley Lubben, ex-actrice porno) ; « Je pourrais également être prostitué – et même travesti, navré si cela vous choque. Violé à l’âge de 12 ans, j’ai grandi dans une famille où l’inceste était monnaie courante. Les hommes de mon enfance – à commencer par mon père – n’étaient pas à la hauteur. Pire, ils auraient dû me dégoûter d’être un homme. » (Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 17) ; etc.

 

Il existe de nombreux croisements indirects entre la pratique de la prostitution et l’émergence de l’homosexualité. Dans certains pays, les actes homosexuels et prostitutifs génèrent d’ailleurs les mêmes châtiments (lapidation, meurtre, emprisonnement, peine de mort, etc.). Par exemple, dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), Jean-Claude Janvier-Modeste raconte comme lui/son personnage s’est fait lapider par les gens de son village en Martinique à cause de son homosexualité.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Certaines personnes homosexuelles se prostituent réellement, et racontent leur expérience : Berthrand Nguyen Matoko, John Rechy, Rupert Everett, Arthur Rimbaud (qui « s’encrapulait » avec de vieux messieurs : il écrivit à son ancien professeur Izambard qu’il se faisait « cyniquement entretenir »), Antonio Ruiz, Quentin Crisp, Joey Stefano, Richie McMullen, David Wojnarowicz, Aiden Shaw, tous les acteurs porno, etc. « Ali couche avec des hommes plus âgés qui le payent, ou accepte de se louer  comme escort-boy. En somme, il se prostituait… » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) Cette réalité n’est pas très connue car non seulement la prostitution est un acte honteux, mais en plus, elle est en général mêlée aux crimes homophobes. Par exemple, le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy D’Errata retrace la vie de Luka Magnotta, le premier web killer de notre époque, escort boy, strip-teaseur, acteur porno occasionnel et mannequin raté. En Suède, un ex-président de l’Inter-LGBT suédois RFSL a été condamné à 5 ans de prison pour abus sexuels graves sur 5 jeunes hommes, incitation à la prostitution par ses victimes pour financer ses achats alimentaires… et de drogues.

 

Je vous renvoie à l’essai Doubles Vies : Enquête sur la prostitution masculine homosexuelle (2010) d’Hervé Latapie, à l’autobiographie Arthur X. : Mémoires d’un travesti prostitué homosexuel (1850-1861) de H. Legludic, à l’autobiographie The Basketball Diaries (1963) de Jim Carroll, à l’autobiographie Sex Workers As Virtual Boyfriends (2002) de Joseph Itiel, à l’autobiographie My Father And Myself (1968) de J. R. Ackerley, à la biographie Enchanted Boy (1989) de Richie McMullen, à l’autobiographie Close To The Knives (Au bord du gouffre, 1991) de David Wojnarowicz, à l’essai American Studies (1994) de Mark Merlis, à la biographie Assuming The Position : A Memoir Of Hustling (1999) de Rick Whitaker, au roman partiellement autobiographique L’Enfant ébloui (1995) de Rachid O, à l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett, à la biographie Wonder Bread And Ectasy : The Life And Death Of Joey Stefano (1996) de Charles Isherwood, à l’autobiographie Chicken : Self-Portrait Of A Young Man For Rent (2002) de David Henry Sterry, aux documentaires « Four Rent Boys And A Sangoma » (2003) de Catherine Muller, « Rue Curiol » (2013) de Julian Ballester, « Le Beau Mec » (1978) de Wallace Potts, « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (deux jeunes Maghrébins témoignent de leur quotidien dans des sex-shops parisiens dans lesquels ils travaillent en tant que gigolos), « Tierra Madre » (2011) de Dylan Verrechia (Aidee est lesbienne et strip-teaseuse), « Not Angels But Angels » (1994) et « Body Without Soul » (1996) de Wiktor Grodecki (sur la prostitution masculine à Prague), « Vestida De Azul » (1977) d’Antonio Giménez Rico, « 101 Rent Boys » (2000) de Barbato et Bailey, « Femminielli » (1993) de Michele Buono, Carmine Fornari, et Piero Ricciardi, « Oliver » (1983) de Nick Deocampo, « El Lugar Sin Límites » (1978) d’Arturo Ripstein (sur l’homosexualité au Mexique), « Night Scene » (2004) de Cui Zi’en, « Les Garçons du trottoir » (2003) de Ruthie Shatz et Adi Barash, « Yawmeyat A’her » (« Journal d’un prostitué », 2001) de Tawfik Abu Wael, « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut, « Super 8 ½ » (1994) de Bruce LaBruce, « Portrait Of Jason » (1967) de Shirley Clarke, « Maybe I Can Give You Sex ? » (« Peut-être puis-je vous proposer mes faveurs sexuelles ? », 1992) de Rune Layumas et Jurgen Bruning, « A Kind Of Family » (« Une Sorte de famille », 1992) d’Andrew Koster, « Boys From Brasilia » (1993) de John-Paul Davidson, le film « Hooks To The Left » (2006) de Todd Verow, etc. Je vous encourage aussi à consulter la thèse (1987) de Néstor Perlongher sur la prostitution des Michês au Brésil, ainsi que les reportages de Maryse Choisy dans le milieu des prostituées, et les précieux travaux de Michel Dorais, Peter Aggleton, Cudore L. Snell, Robert P. McNamara, Leon E. Pettiway, Robin Lloyd, sur la prostitution masculine.

 

Actuellement, les lieux de drague homosexuelle (pissotières, jardins publics, saunas, aires d’autoroute, métro, librairies spécialisées, cinéma, Minitel, Internet, plages nudistes, forêts, etc.) permettent aux réseaux de prostitution masculine de s’installer et de s’étendre en toute discrétion.

 

Dans ma vie, j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer, parmi mes amis homosexuels, des jeunes hommes qui se prostituent. Et ceux-là, généralement, tendent immédiatement l’oreille ou me demandent tout de suite la carte de visite de mon site dès qu’ils entendent que j’ai traité dans mes écrits des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol ! Et ne croyez pas que ces amis soient forcément des garçons honteux de leur « gagne-pain » occasionnel, ou qu’ils crèvent la faim ! Bien souvent, ils vivent parallèlement une vie de « couple bien rangé » avec un partenaire régulier, et font le tapin juste pour arrondir les fins de mois ! J’en connais même qui sont de vrais « fils à papa », de famille bourgeoise, bien sous tous rapports, et qui se déplacent pour « tailler des pipes » à la Défense à de jeunes ingénieurs rencontrés sur Internet ! Donc je suis loin de « glauquiser » la prostitution. L’horreur a quelque chose de très banal par moment.

 

Par ailleurs, des personnes homosexuelles sont véritablement des clients de prostitué(e)s, même s’il n’est pas de bon ton de le révéler : Frédéric Mitterrand, Pier Paolo Pasolini, Rudolph Moshammer, Jean Genet, William S. Burroughs, John Rechy, Marcel Proust (qui a même créé son propre bordel !), tous les hommes et toutes les femmes fréquentant des saunas/les bars/les clubs pour y pratiquer l’homosexualité, etc. « Il est très difficile de trouver des témoignages de clients. Ils se sentent souvent honteux. Les médias les montrent comme des monstres ! » (Hervé Latapie cité dans l’article de Lucile Roger, sur le Têtu du vendredi 15 janvier 2010) Par exemple, le 3 avril 2012, Richard Descoings, le directeur de Science-Po Paris, homme marié, est retrouvé mort à 53 ans, nu sur son lit, suite à une crise cardiaque, dans un hôtel de New York : il s’acoquinait avec deux escort-boys qui ont pris la fuite. « Lors de mes rencontres anonymes, j’étais ce que l’on appelle un client. Je ne faisais rien pour procurer du plaisir à l’autre, ou du moins pas de manière délibérée. Lorsque je suis devenu trop vieux pour recevoir ce genre d’attentions de la part des jeunes, j’ai payé avec plaisir, me libérant ainsi du souci d’avoir à contenter quiconque, de quelque façon que ce soit. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 349) ; « Arrive pour Stéphane le service militaire, il déserte, disparaît pendant des mois dans les bas-fonds de Paris où j’ai fini par le retrouver, est repris, mis en asile psychiatrique militaire, et est gracié sur intervention de Mme Mitterrand, à la prière d’un haut fonctionnaire qui, épris de son charme, désirait avoir avec lui une liaison durable, une union. Cet amoureux malheureux téléphonait nuitamment à Estelle, la mère de Stéphane, en la suppliant, en vain, d’obtenir de son fils que ce fils adopte pour cela une conduite plus « cohérente » (c’était son mot) : ne plus se prostituer, cesser d’être dealer. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 236-237) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 113) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles cautionnent la prostitution, tout en reconnaissant lucidement ses limites : « J’ai pris le pli de payer pour les garçons. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 161) ; « Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément. […] L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système. » (idem, p. 315) Selon Marcel Proust, par exemple, la catégorie des hommes invertis formait une « race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et la parjure, à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dont l’espérance leur donne la force de supporter tant de risques et de solitudes, puisqu’ils sont justement épris d’un homme qui n’aurait rien d’une femme, d’un homme qui ne serait pas inverti et qui, par conséquent, ne peut les aimer ; de sorte que leur désir serait à jamais inassouvissable si l’argent ne leur livrait pas de vrais hommes, et si l’imagination ne finissait par leur faire prendre pour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués. » (Marcel Proust, 1972, p. 16)

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains couples décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Généralement, leur relation amoureuse est placée sous le signe de l’argent : « En 1942, lors d’un voyage à Cannes, je fis, dans un cabaret la connaissance d’un jeune barman. Pour le revoir, pour être plus souvent à ses côtés, je poussai même la folie jusqu’à louer un appartement dans l’immeuble qui abritait le cabaret. Tous les jours, à la même heure, j’étais là, rivé au comptoir, afin de bavarder un peu avec lui. Pour lui, je dépensais sans compter. Un soir, enfin, tous mes espoirs furent satisfaits… Stupidement, je lui offris – luxe suprême à l’époque – une moto. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, pp. 86-87) ; « J’ai toujours su que je me prostituais. Pour rien. Pour un Mickey Parade et une soirée télé, une religieuse au chocolat et des fraises Haribo, un tour en voiture ou une séance de cinéma avec sa glace à la vanille. Peut-être aussi parce que tout simplement, Didier était infiniment gentil avec moi. Infiniment attentionné. » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), p. 76)

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution… même s’ils finissent par se rendre compte que cela revient au même : « Par la porte entrouverte, j’apercevais un étranger, couché dans mon lit, satisfait après notre affreuse passion. Qui était-il ? qui nous avait poussés l’un vers l’autre, comme ‘les autres’ vers les putains ?… Quelle impasse ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 98) ; « Quand j’étais un peu plus jeune, j’ai connu des hommes assez riches. Je n’ai pas fait de prostitution, non, disons que je me faisais gâter. » (Bruno, un gars bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Pour la première fois, j’eus l’impression de faire la pute. Le tapin. J’adoptais l’attitude la plus faussement détachée possible, ne regardant rien, fixant tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ;

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que de la monnaie sonnante et trébuchante, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), le sexe, la sincérité, etc.

 

Bon nombre de romanciers, de chanteurs et de réalisateurs homosexuels prennent comme cadre amoureux homosexuel des récits où se mêlent monde bourgeois et monde underground du prolétariat facile à acheter (Bernard-Marie Koltès, Hervé Guibert, Patrice Chéreau, Marcial di Fonzo Bo, Marcel Proust, Jann Halexander, Philippe Besson, etc.). Le tourisme sexuel et artistique sert de « bonne » excuse pour pratiquer une prostitution sans complexe ! Je vous renvoie au titre évocateur de l’autobiographie Escapades Of A Gay Traveler : Sexual, Cultural, And Spiritual Encounters (2003) de Joseph Itiel, racontant des tribulations prostitutives aériennes ! Énormément de photographes homosexuels ont choisi pour modèles « artistiques » des prostitués : Alberto Sorbelli, Larry Clark, Terry Richardson, Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, Jack Pierson, Wilhelm von Gloeden, Philip Lorca di Corcia, etc.

 

Les transactions et les exploitations continuent de se faire ! Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement !

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, on observe que, sous couvert de justification de l’« amour » homosexuel et de la possibilité de l’orgasme 100% féminin, le réalisateur et toute son équipe ont basculé dans le machisme inconscient du proxénète. En effet, dans l’histoire, Adèle et Emma, les deux femmes en « couple », passent leur temps à s’insulter de « sale pute », de « traînée », de « prostituée », ou bien se proposent de « se payer en nature » au moment de la réconciliation sur l’oreiller. Quant à l’ambiance sur le tournage, Kechiche a tellement poussé à bout ses actrices pour qu’elles se fassent jouir devant sa caméra que ces dernières ont avoué à des journaux qu’elles s’étaient senti traitées comme des « prostituées » … même si la carotte de la « bonne cause », l’excuse du « rôle artistique » et la récompense de la Palme d’or, ont réussi à atténuer cette violence.

 

Certains couples (homos) pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! Par exemple, dans la publicité pour Kwixo (mars 2012), un maître-nageur se fait palper par un ami pour une question d’argent… et finit par aimer ça : « Tu sais, Éric, j’aimais bien quand tu cherchais mon porte-feuille. »

 

 

Il arrive que certains individus homosexuels, bercés par leurs illusions d’amour ou stimulés par leurs pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme un acte banal, magique, un loisir « plaisant et naturel » : c’est comme cela qu’on peut considérer, par exemple, la forte consommation de pornographie chez la plupart des personnes homosexuelles (petit rappel historique : la « démocratisation/banalisation » de la pornographie est très récente : rien qu’en France, elle est arrivée seulement en 1975). Ils nous présentent les prostitués comme des « Messieurs-Tout-le-monde » sans problème, arrivant à concilier leur activité prostitutive avec leur quotidien. Le film « Boy Wonder » (2005) de Kery Isabel traite justement de la double vie d’un homme alternativement « normal » et travesti prostitué. Par ailleurs, des essais comme ceux de Maria Nengeh Mensah (Luttes XXX : Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe, 2012) tentent de décriminaliser la prostitution, de la présenter comme une réponse « logique et justifiée » à une oppression machiste et patriarcale.

 

Il arrive que des individus homosexuels et/ou féministes se mettent à célébrer la prostitution comme une transgression « géniale », « forte », « anti-conformiste », « jusque-boutiste », « anormative », « inversante », « émancipante », « responsable », « libre », « révolutionnaire », « couillue ». « Il y a des garçons et des filles à qui l’on donne cent euros, une poignée de dollars, parce qu’ils les valent et que ça nous simplifie l’existence. On appelle ça le sexe, et c’est très bon pour la santé. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 190) ; « Interdire la prostitution, et pourquoi donc ? » (idem, p. 212)

 

Par exemple, dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, certaines femmes lesbiennes féministes se mettent à justifier un « droit à la prostitution féminine ». Dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira parle de la prostitution comme d’« une pratique qui devrait être démystifier » (p. 266). Dans la partie « Éloge ambigu du contrat » de son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Barthes défend également la prostitution. Dans l’émission Ça commence aujourd’hui (spéciale « À moins de 20 ans, elles sont tombées dans la prostitution ») sur France 2 diffusée le 17 mars 2023, Alexia, jeune ex-prostituée (avec des hommes), se découvre exclusivement lesbienne et dit que l’homosexualité l’a aidée à se réconcilier avec son corps.

 

Cette justification de la prostitution peut se faire par défaut, par pur sexisme. C’est souvent ce qui arrive à des associations féministes comme Ni putes ni soumises, qui ne voient la prostitution que sous le prisme manichéen de la domination des hommes par les femmes, et non comme ce qu’elle est vraiment : un machisme qui n’a pas de sexe spécifique. Elles oublient un peu vite qu’il existe une exploitation de l’homme sur l’homme, ou de la femme sur l’homme, qui s’appelle aussi « prostitution masculine », « nymphomanie », « banque de sperme », « PMA », « cougarisme », et j’en passe.

 

À en croire ces libertins militants, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « poétique », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ou du mariage ». « Je vais être obligé d’avouer quelque chose d’un peu personnel. Moi, j’ai toujours été attiré par les pissotières, par ce contact, par ce qui se passe entre des corps étrangers qui se rencontrent au départ pour uriner, et au bout de quelques secondes, de quelques minutes, ça se transforme en autre chose. J’ai toujours trouvé ça très poétique, très entraînant, et je dois avouer que ça me rappelle la sexualité enfantine de groupe que j’ai eue avant l’âge de 12 ans. J’ai pris ma retraite sexuelle à l’âge de 12 ans. Entre l’âge de 12 et 22 ans, il s’est rien passé. Et cette fascination pour les pissotières rejoint un peu ça : ce côté gentil, bienveillant, ce côté étranger et tout d’un coup on se donne l’un à l’autre, pendant un p’tit moment, et complètement dans l’interdit… Malheureusement, il n’y a plus de pissotières à Paris. » (le romancier Abdellah Taïa à l’émission Homo Micro du 25 septembre 2006, sur Radio Paris Plurielle) ; « Cette cérémonie [de la prostitution entre les jeunes Indiennes et des marins] qui perpétue le viol possède un atout : elle exclut le mariage. Le couple argentin, dès le mariage, ne se parle plus. » (le dramaturge argentin Copi en août 1984 à Paris, cité dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 90)

 

La réalité de la violence de la prostitution masculine peut être également euphémisée et romantisée en goût du voyage (on parle concrètement de « tourisme sexuel »), en aide humanitaire (on parle d’« escort-boys »), de rencontre des Peuples (on parle d’« amants exotiques ») : cf. l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, le documentaire « Not Angels But Angels » (« Rien que des anges », 1994) de Wiktor Grodecki, etc.

 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnes homosexuelles – pourtant souvent lettrées, esthètes, éduquées, spirituelles, réputées « raffinées » et « romantiques », à priori peu vénales – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » et au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains individus (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. Le déni du prostitué homosexuel ou de son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée : « Je me découvrais dans la confrontation entre le garçon que j’étais et l’argent qui dominait. Pourtant, je continuais à m’entêter et par-là même, de manière très troublante, prouvais une détermination à vouloir foncer et à repousser la haine qui naissait de ces rencontres. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 109) ; « J’étais très naïf et idiot, m’attachant à l’argent, et à une sorte de défi qui m’empêchait de dénoncer ma propre honte. » (idem, pp. 113-114) ; « Comment, osais-je me dire, que j’allais être un prostitué ? » (idem, p. 116)

 

En général, la violence de la prostitution est toujours être atténuée et excusée par l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

Le client tient souvent ce double discours puant, hypocrite (et pourtant sincère !) de celui qui, en même temps qu’il loue les service de son prostitué et l’enfonce un peu plus dans sa misère, cherche en l’en sortir : « Il faut arrêter cette vie. » dit le haut-fonctionnaire qui entretient Berthrand Nguyen Matoko… tout en « baisant » avec lui (cf. Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 125).

 

Chez l’esprit bobo persiste un indécrottable fantasme de convertir la prostituée/le prostitué, en prince charmant ou en princesse charmante, façon conte de fée underground « à la Week-end » (le film d’Andrew Haigh… l’archétype du film bobo bear qui plait aux célibataires homos qui croient au sexe sans croire en l’Amour). Même si en théorie le libertin prétend que « l’amour n’a pas de règle », qu’il ne se décide pas, qu’il n’est pas guidé par le désir et la liberté humaine, qu’il est circonstance inattendue, il s’impose justement que l’amour ne se trouve que là où il n’a pas l’air de s’y trouver, y compris dans la violence, la consommation, et le contexte glauque de la prostitution. (« J’ai rencontré mon copain au Bois de Boulogne. Pourtant, lui comme moi ne sommes pas du tout ‘milieu’… »). Son anticonformisme de principe, bien intentionné, a aussi sa part de naïveté de midinette romantique, même si l’intéressé refusera de se l’avouer ! Être pris en défaut d’ingénuité hypocrite : rien de pire pour l’homme homosexuel bobo !

 

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer.

 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « J’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 53) Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle. « Je me savais incurablement sentimentale. » (idem, p. 190) ; « La sagesse populaire a raison de comparer l’amour à une rage de dents. » (idem, p. 183)

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire. La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « J’avais suivi une prostituée – naturellement vieille et décatie – et ne sus que m’enfuir devant les audaces cupides de l’horrible femme : tout ce qu’avaient pu inventer mes cauchemars au sujet des filles se trouvait réuni là, ignoble, sordide. C’était donc cela, l’amour des femmes : cette sorcière avare, pressée, aux gestes obscènes ? » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81)

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué s’est soldée concrètement par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. En général, l’individu homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre, un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère, un assassin…

 

C’est parfois ainsi qu’il/elle se comporte (cf. je vous renvoie au code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le phénomène des prostitués homosexuels tueurs, bien qu’isolé, est malheureusement beaucoup plus répandu que l’opinion publique et que nos médias veulent bien le penser. Par exemple, le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans. Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, a été étranglé par un câble par un prostitué. Álvaro Retana, le romancier espagnol, a été assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est massacré dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été sauvagement tué par Pino Pelosi, un jeune prostitué homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. Aux États-Unis, en 1997, le jeune prostitué de 27 ans Andrew Phillip Cunanan, s’est attaqué à quatre clients homosexuels (dont un ingénieur de 28 ans – à coups de marteau –, un riche agent immobilier de 72 ans – lardé de coups de sécateur, puis enrubanné comme une momie avec un rouleau adhésif –, et le fameux grand couturier Gianni Versace).

 

Le retour de bâton ne se fait pas attendre… car il arrive aussi très souvent que des prostitué(e)s se fassent liquider par leurs clients/amants homosexuels, parce que les premiers les ont exploités, ou bien parce que les seconds se sont sentis cruellement trahis ! Par exemple, en 1949 en Espagne, une prostituée, Carmen Broto, plus connue sous le nom de « Cocotte », a été assassinée par un homme homosexuel. Le 23 décembre 2002, dans les Hauts-de-Seine, Philippe Digard (26 ans) étouffa et tua Ilia, un jeune prostitué homosexuel. Costas Taktsis, l’écrivain grec, a été étranglé le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. Dans le documentaire Et ta sœur ! (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, on voit que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence tiennent très scrupuleusement les comptes des meurtres de prostituées de par le monde, sur un registre nommé le Livre des Martyres.

 

Si les prostitué(e)s ne sont évidemment pas tous tué(e)s physiquement par leur maquereau ou leur client (et heureusement), ils/elles sont en revanche régulièrement maltraité(e)s, vidé(e)s de leur âme, et poussé(e)s dans le vide. Les sociologues s’accordent pour dire que bon nombre de personnes transsexuelles, travesties, ou prostituées, se suicident.

 

Et concernant les viols, du côté du prostitué/de la prostitué(e) comme de celui de son client homosexuel/bisexuel, le cadre légal et pourtant secret/clandestin/anonyme de la prostitution est la porte ouverte à tous les chantages, à tous les viols qui ne pourront même pas être dénoncés par les victimes. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans décrit les « générations de maîtres-chanteurs » (p. 39) qui se succèdent dans les sphères relationnelles (homosexuelles) de la prostitution. Par exemple, dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang est relaté un viol sur un prostitué (p. 123).

 

L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. L’individu homosexuel érige un bûcher en l’honneur de son client/de son vendeur pour lui prouver qu’il est éternel, pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir. Dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand, qui est un fin connaisseur du monde de la prostitution puisqu’il y a souscrit, explique clairement les mécanismes de l’homophobie qui se jouent dans le cadre de la relation ambigu client/prostitué : « Les plus graves menaces surgissent quand on est trop gentil ; le garçon est troublé, il s’expose à éprouver de la sympathie, il ne peut plus mépriser commodément. Si sa nature est franchement mauvaise, il peut prendre peur, s’enrager et devenir incontrôlable avec des pulsions de meurtre pour se débarrasser du gêneur qui a bousculé son équilibre et ses habitudes. […] Des Pelosi la grenouille [en référence au prostitué qui a assassiné le cinéaste Pasolini], j’en ai croisé pas mal dans des endroits glauques à Paris. […] Je sais que je ne suis pas le seul à être hanté par ce crime et par tout ce qu’il laisse supposer. » (pp. 163-164)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie. Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, de la femme fatale croqueuse d’hommes (cf. le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. « Dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Pour être plus précise : elle se comporte exactement comme un homosexuel en back-room. Telle que mise en scène dans les films, elle veut du sexe, avec n’importe qui, elle en veut par tous les trous et elle en jouit à tous les coups. Comme un homme s’il avait un corps de femme. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 101) Quand je parle d’intériorisation du viol dans le cas de la prostitution homosexuelle, j’ai des illustrations à foison. Par exemple, l’application I-Phone Grindr, permettant de détecter quelles sont les personnes homosexuelles qui se trouvent au plus près de notre circonférence géographique, est le support parfait d’une prostitution « librement » consentie : c’est un gaydar, une prémisse de la puce électronique sous la peau, reléguant la personne qui s’en sert à l’état de prostitué en « libre service », « mobile », consommable sur place. « Corps et technique entretiennent des rapports de plus en plus intimes, d’assistanat. » (le sociologue Éric Sadin parlant d’un de ses amis gays lui montrant l’application Grindr, lors de sa conférence La Société de l’anticipation à l’INHA, le 31 octobre 2011) C’est la même chose sur les sites de rencontres Internet, faussement « gratuits », où règne l’auto-pornographisation, l’auto-érotisation… même si cette forme de prostitution, qui transforme tout internaute en bout de viande sur un étalage, s’est démocratisée au point de faire oublier sa violence injonctive, puisque l’utilisateur se choisit lui-même comme « mac », et se prostitue apparemment de plein gré.

 

PROSTITUTION Grindr

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes et les prostitué(e)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject, comme l’expliquent très bien Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut dans leur essai Le Nouveau Désordre amoureux (1977).

 
 

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