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Le feu lesbien et l’homophobie ambiante

Je passe ma journée d’hier à travailler sur la série Manifest, pour la décrypter (de manière pertinente et visionnaire, en plus) = pas un seul partage ou retweet, et pas même un seul « like » sur les réseaux.

 

À côté de ça, je tombe accidentellement (pour voir les publications associées au hashtag #LGBT) sur un tweet d’une certaine femme politique Agnès Cerighelli qui crache sur le « lobby LGBT » … et là, salve d’applaudissements.
 

 

On est plus aimé et soutenu aujourd’hui en étant ouvertement homophobe et en tapant sur la « communauté homosexuelle » qu’en cherchant à la faire aimer et en expliquant que le « lobby LGBT » est en réalité le lobby hétérosexuel. C’est effrayant.
 

Pour terminer mon coup de gueule (qui ne servira pas à grand-chose), l’intuition que j’avais eue sur le lien entre le lesbianisme et le feu (c.f. l’ingrédient n°16) se révèle juste puisque Céline Sciamma sort bientôt un film lesbien intitulé « Portrait de la jeune fille en feu » (avec la comédienne Noémie Merlant, qui était d’ailleurs dans ma classe au Cours Florent en 2007… et que j’ai même dû embrasser sur la bouche dans le cadre d’un exercice théâtral : ce fut mon premier baiser hétéro haha !). Mais là encore, qui en parlera ?
 

Les goûts musicaux lesbiens : les 18 ingrédients qui peuvent plaire aux femmes lesbiennes dans les chansons

(Retrouvez le pendant gay de cette chronique sur ce lien.)
 

Quelles sont les chansons qui réunissent le plus les femmes lesbiennes, sans que nécessairement l’interprète soit elle-même lesbienne/femme ou que la chanson parle ouvertement d’homosexualité féminine et soit militante ?
 

 

 

J’ai essayé de répondre à cette question. Ça m’aura pris une semaine de travail (si si)… mais au vue des réactions positives de mes amies lesbiennes et de leurs confirmations, je n’ai pas perdu mon temps ! Vive la musique ! Vive surtout les femmes lesbiennes et leur sororité que bien souvent elles ignorent alors qu’elle est bien réelle ! Voilà donc, à mon avis, les 18 ingrédients qui, s’ils sont placés dans les chansons, peuvent attirer un certain nombre de femmes lesbiennes :
 

1 – Voix-dégaine
 

Exemple : « Billie Jean » de Michael Jackson
 

 

2 – Tristesse rétro
 

Exemple : « Avec le temps » de Léo Ferré
 

 

3 – Voix fatiguée
 

Exemple : « Twist in my sobriety » de Tanita Tikaram
 

 

4 – Ritournelle
 

Exemple : « Tom’s dinner » de Suzanne Vega
 

 

5 – La gratte
 

Exemple : « Me and Bobby Mc Gee » de Janis Joplin
 

 

6 – Terroir moustachu
 

Exemple : « La Montagne » de Jean Ferrat
 

 

7 – En anglais
 

Exemple : « Mutate » de Jeanne Added
 

 

8 – Voix inaccessiblement grave ou planante
 

Exemple : « Mmm Mmm Mmm » de Crash Test Dummies
 

 

9 – La Bourgeoise maternelle haïe
 

Exemple : « Maman a tort » de Mylène Farmer
 

 

10 – Destruction de la féminité commerciale (Je suis un mec)
 

Exemple : « As a man » d’Anna Calvi
 

 

11 – Non (Rébellion)
 

Exemple : « Répression » de Colette Magny
 

 

12 – Gros mots
 

Exemple : « Chanson con » de Juliette
 

 

13 – Beats et pulsations
 

Exemple : « Inside Out » de Madonna
 

 

14 – Batterie
 

Exemple : « I don’t want a lover » de Texas
 

 

15 – Moto (ou bruit de moteur)
 

Exemple : « En voiture Simone » de Bella Donna
 

 

16 – Feu
 

Exemple : « On brûlera » de Pomme
 

 

17 – Sadomasochisme (Mutilation corporelle)
 

Exemple : « Sex Appeal » de Sexy Sushi
 

 

18 – Wo
 

Exemple : « Perfect World » de Gossip
 

 

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes?

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes ?

 

 

L’homosexualité, une affaire d’hommes ?

 

Les femmes lesbiennes : minorité invisible ? cachée ? méprisée ? silencieuse ? ou simplement  discrète ? Il est bien difficile de donner un nom à la population lesbienne mondiale, « nation » que certains individus, dans un élan euphorique de générosité, n’hésitent pas à qualifier de « minorité majoritaire » victorieuse, comme les mythiques et conquérantes amazones. Il faut le reconnaître : numériquement, la communauté lesbienne est moins imposante que la communauté gay (Bourdieu, par exemple, dans Les Études gay et lesbiennes, note que dans le mouvement gay et lesbien, il y a 90 % de gays et 10 % de lesbiennes). Non pas simplement parce qu’on l’entendrait/verrait moins (comme certains se plaisent à le croire pour soutenir des arguments victimisants du type « Si on ne voit pas les lesbiennes, c’est parce qu’elles sont doublement discriminées – en tant qu’homosexuelles et en tant que femmes ! »), mais aussi de fait. À moins que les femmes lesbiennes soient une espèce « planquée » préférant vivre dans un clandestinité heureuse et ne fréquentant que des squats souterrains la nuit, ce qui m’étonnerait franchement, je me surprends à pousser le cri seventies de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? » Oui, où sont passées les filles lesbiennes que l’on voit de plus en plus dans les vitrines télévisuelles et pourtant toujours aussi peu dans la réalité ? Est-ce que l’homosexualité concernerait majoritairement les hommes ? On est en droit de le penser, même si, à l’ère de l’« égalité » et de la parité des sexes, on finit par s’interdire ce constat.

 

Alors si vous le voulez bien, pour une fois, j’aimerais bien qu’on se penche un peu plus sur la communauté lesbienne, et qu’on essaie de comprendre pourquoi ce fossé existe entre hommes gay et femmes lesbiennes, car on en apprendra beaucoup sur la nature même du désir homosexuel. Ce n’est pas un hasard si notre société et la grande majorité des personnes homosexuelles évitent de traiter de cet écart numérique, car celui-ci pointe du doigt la probable influence qu’exercent certaines femmes et certains hommes dans le meurtre symbolique (et parfois réel) de la paternité-masculinité, dans le viol des femmes réelles, dans l’émergence du désir homosexuel.

 
 

Un constat de terrain

 

C’était l’année de mon coming out, en 2002. J’ai eu la chance d’être le témoin direct d’une phase de transition assez brève et spectaculaire dans le « milieu homosexuel » français, alors que je me trouvais dans la belle ville de province d’Angers. Il n’y avait pas à l’époque 36 000 bars homos dans lesquels aller : un bar nommé Le Cargo (et qui, depuis, a coulé… paix à son âme) accueillait la grande majorité de la « population sans contrefaçon » angevine. Le mérite qu’avait ce lieu par rapport aux bars et discothèques des grandes villes comme Paris, c’est que l’absence de choix permettait une plus grande mixité, un brassage nécessaire, presque spontané. Et c’est incroyable comme en l’espace de 6 mois seulement, entre janvier et juin 2002, j’ai pu voir le public de cet établissement gay friendly mixte d’habitude majoritairement fréquenté par les garçons (alors que les deux propriétaires étaient des femmes) subitement changer de clientèle. Comme descendues du ciel, les sirènes lesbiennes ont débarqué en masse au Cargo. Leur présence ne me dérangeait absolument pas (sauf, bien sûr, quand je me faisais bousculer pour une Marie-Jo en puissance qui n’avait que mépris pour la gente masculine « machiste » ou trop « folle » que je représentais, ou bien quand la programmation musicale « s’hétérosexualisait » dangereusement en parodie de fête beauf « de mecs »…) : au contraire, je trouvais qu’une ambiance vraiment mixte adoucissait bien souvent les esprits, rendait les rituels de la drague masculine un peu moins brutaux et consuméristes qu’à l’ordinaire, et favorisait les amitiés désintéressées. Mais j’avoue que là, la révolution a été un peu brutale. En seulement quelques mois, nous avons tous assisté d’abord à l’apparition-éclair d’une communauté lesbienne jusque-là invisible et très minoritaire, puis à la phase de compartimentation du supermarché homosexuel en sous-sous-parties de communauté (les trans, les bear, les bis, les folles, les seniors, les fem, les butch, les internautes, les hors-milieu, etc.), et ensuite, ô paradoxe, à la disparition de cette même communauté lesbienne qui, à peine installée, a vite plié bagage pour chercher d’autres horizons plus « radicalement féminins ». Chacun rentrait chez soi et fermait la porte, alors même que la fête n’avait pas commencé. J’apprenais qu’il y avait « des soirées 100 % filles » d’un côté, des « week-end bords de mer 100 % mecs » de l’autre, bref, que les sexes ne voulaient plus se rencontrer. En cette année de grâce 2002, les retrouvailles avec les femmes lesbiennes auront été de courte durée. Que s’est-il donc passé ? La communauté lesbienne est-elle une peuplade-fantôme, une étoile filante, un simple rêve ? On y croirait presque. On serait tentés de se demander s’il y a plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes. Quand je faisais moi-même ce constat ou que je l’entendais de la bouche de certains de mes amis gay, je me contentais de relever sans chercher à trouver une réponse. Je me disais qu’« invisibilité » ne rimait pas systématiquement avec « inexistence », mais plutôt avec « censure », « mépris machiste », « misogynie ancestrale », ou « ignorance personnelle ». Ce n’est qu’en restant plusieurs années dans le « milieu homosexuel » et en me penchant sur la communauté homosexuelle féminine (quand celle-ci me faisait bon accueil et me laissait rentrer… ce qui n’a pas toujours été le cas) que j’ai compris que cette invisibilité n’était ni totalement surnaturelle, ni le fruit d’un choc culturel proprement personnel et non-universalisable.

 

 

Certes, le militantisme homosexuel des années 1960-1970 est clairement né des mouvements féministes (et pas systématiquement lesbiens, d’ailleurs). Certes, les progrès concernant la visibilité des femmes lesbiennes sont sensibles et encourageants, du moins sur le papier : on remarque aujourd’hui que les femmes lesbiennes sont moins isolées dans les associations homosexuelles qu’il y a 10 ans ; on voit surgir peu à peu des présidentes d’associations homosexuelles (Le Mag, ou le Centre LGBT de Paris, par exemple), des professeures universitaires au rang des Queer and Gender Studies nord-américaines, des « soirées filles » en boîtes, des speed-dating exclusivement féminins, des librairies spécialisées dans la production littéraire lesbienne et/ou féministe, des sites de rencontres Internet rien que pour les femmes, des revues « spéciales filles », des bars réservés à une clientèle lesbienne, des festivals de cinéma lesbien (ex : Cineffable en France), des chars 100 % lesbiens aux Marches des Fiertés, des films pornos spécifiquement lesbiens, des émissions de télé sur l’homosexualité féminine, des événements mondiaux réservés aux femmes lesbiennes (le Dinah Shore aux États-Unis), etc..

 

 

Mais cependant, on est encore loin de voir les femmes lesbiennes occuper les premières places de la communauté homosexuelle, tant au niveau du nombre que de l’importance des charges qui leur sont confiées. On entend certaines d’entre elles s’en plaindre, parfois ouvertement (rien que le titre choisi par la comédienne Océane Rose-Marie pour sa pièce La Lesbienne invisible – un one-woman-show qui cartonne en ce moment à Paris – suffit à l’illustrer) ; mais le plus souvent, cette plainte est silencieuse et se règle mal, c’est-à-dire par l’isolement et la rupture avec la communauté homosexuelle masculine. Est-ce une conséquence d’un mauvais accueil ou d’un refus délibéré de ne pas se mélanger ? Sûrement les deux, on n’aura jamais la réponse. Force est de reconnaître qu’en règle générale les réseaux relationnels lesbiens ne brillent pas par leur chaleur et leur ouverture aux membres du sexe qui les ont/auraient violées (Pour vous donner un bref exemple, alors que je voulais participer au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris, le Cineffable, au Théâtre du Trianon, en novembre 2007, j’ai été refoulé à l’entrée par un groupe de sept femmes lesbiennes du simple fait d’« être un homme » et qu’elles ne se voyaient pas « supporter la présence d’un seul homme dans la salle ». J’ai à peine pu me défendre que ce qui au départ était sorti en boutade de leur bouche a fini par devenir un ordre…). Après, ce qui est sûr, c’est que dans les faits, dans le « milieu homosexuel », la communauté lesbienne fait beaucoup moins le poids que son pendant masculin, et ce, depuis la naissance du communautarisme homosexuel. Les premiers bars homosexuels du début du XXème, les cabarets, et les thés dansants, réunissaient toujours une majorité de garçons. Les femmes ne se retrouvaient que dans des sphères sociales plus réduites (les salons lesbiens, les cercles intellectuels, les élites artistiques bourgeoises…). Aujourd’hui, c’est la même chanson : le monde lesbien est circonscrit aux groupes amicaux, aux réseaux relationnels privés, à des milieux extrêmement minoritaires (milieu sportif entre autres, mais aussi associatifs, féministes, musicaux). D’autre part, quand on pense aux chefs de file de la communauté homosexuelle, on cite d’emblée des hommes (Oscar Wilde, Marcel Proust, André Gide, Jean Genet, Jean Cocteau, … Steevy Boulay). Qui, à part les connaisseurs, ferait d’abord mémoire des femmes et évoquerait en premier lieu Sappho, Natalie Clifford Barney, Virginia Woolf, Radclyffe Hall, Colette, Monique Wittig, K.D. Lang, ou Lady Gaga ? Très peu de monde. Les femmes lesbiennes passent très souvent au second plan. Rien qu’en France, actuellement, la revue Têtu se vend plus que les quelques magazines lesbiens proposés (Lesbia Magazine, La Dizième Muse, Têtue, etc.), même si ces derniers ont le mérite d’exister. Les films pornos lesbiens ne soulèvent pas l’enthousiasme de la communauté lesbienne, alors qu’ils sont célébrés en masse par beaucoup d’hommes homosexuels. Quand on se balade dans le quartier du Marais à Paris, on voit une majorité d’hommes. Très peu de femmes. Il n’y a pas d’équivalents lesbiens aux bars gay l’Open ou le Cox (les femmes voudraient faire pareil qu’elles ne pourraient pas y prétendre : les établissements lesbiens comme le « feu » Troisième Lieu ou la Baby Doll ne font pas pitié, loin de là, mais ne rivalisent pas avec les bars masculins du Marais). Par ailleurs, ce n’est pas demain la veille qu’on verra une chaîne lesbienne voir le jour. Déjà que Pink TV s’essouffle, alors qu’elle est prioritairement destinée à un public gay… Et si on regarde du côté du cinéma, c’est le même constat : les films grand public lesbiens (y compris « La Rumeur », « Sex Revelations », « Boys don’t cry », « Gazon maudit », « La Vie d’Adèle »…) n’atteindront jamais la popularité d’un film comme « Le Secret de Brokeback Mountain » ou « Pédale douce », le rayonnement d’un téléfilm comme « Juste une question d’amour ». À tort ou à raison ? Là n’est pas la question. C’est une réalité, tout simplement. J’imagine mal qu’une pièce comme La Cage aux Folles, traitant de l’homosexualité masculine, retrouve un aussi grand succès dans une version lesbienne. Autant ne pas y penser ! L’homosexualité masculine est plus flamboyante, visible, risible, décapante, populaire, conviviale, transgressive, que l’homosexualité lesbienne. L’homosexualité féminine est une orientation caméléon, qui se fond dans la masse d’une société machiste et androgyne où la différence des sexes est diluée dans un « Sans contrefaçon, je suis un garçon » généralisé. Le look garçon manqué, signe d’une uniformisation et d’une asexualisation sociale, choque beaucoup moins que l’efféminement sur un corps de garçon. On associera plus facilement les gestes de tendresse entre femmes à l’amitié qu’à l’amour. On acceptera que deux copines se tiennent par la main dans la rue, alors que chez des garçons, cela paraît presque automatiquement suspect (sauf dans le Maghreb… encore que…). L’homosexualité masculine est plus dure à porter quelque part, car elle est plus discutée/discutable, plus évidente d’être paradoxalement perçue comme surnaturelle, jugée plus violente du coup : il est donc logique que, une fois assumée, et à partir du moment où l’opinion publique s’est laissée convaincre par les media qu’elle s’appelait « amour », elle soit davantage plébiscitée et qu’elle cueille les fruits médiatiques de son exceptionnalité. L’homosexualité masculine paraît plus consistante, plus imitable d’être jugée inimitable et incompréhensible par notre société. L’homosexualité féminine, au contraire, est plus insignifiante, plus vulgarisée, plus fragile. On la prend moins au sérieux. D’où l’hypothèse que le manque de visibilité saphique soit le signe que l’homosexualité est un désir qui concerne davantage les hommes que les femmes. Les femmes qui parlent de leur désir homosexuel ne sont d’ailleurs pas souvent crues : on pense qu’elles ne sont pas « vraiment lesbiennes », que leur homosexualité est juste une passade, une mauvaise passe. L’homme étant jugé plus « actif » pendant l’acte sexuel que la femme (et il est certain que pendant le coït sexuel, il le soit : c’est lui qui pénètre, non lui qui est pénétré), et la femme plus encline à simuler, on donne à l’homme un plus grand taux d’homosexualité. Le lesbianisme passe pour un entêtement voulu : le retour « à la normale » (comprendre « l’hétérosexualité ») est envisageable ; on accrédite finalement beaucoup plus ces pauvres « cas désespérés de la sexualité » que seraient les hommes gay, ces êtres vivant une orientation sexuelle imposée, que les femmes lesbiennes. Au final, dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, la défense de l’homosexualité féminine équivaut à un soutien de la bisexualité plus que de l’homosexualité[1]. En revanche, on interdira beaucoup plus aux hommes le statut de « bisexuels ». C’est la différence entre le lesbianisme (qui serait un comportement, comme la bisexualité) et l’homosexualité masculine (qui serait un désir et une identité indélébiles).

 

 

L’homosexualité féminine, une fois banalisée sur les écrans (voire décrédibilisée et « beaufisée » : dès le départ elle a été stigmatisée comme une sexualité-rince l’œil pour hétéros vicelards dans les films pornos, ou réduite à un harem, à un foyer de prostitution…), a perdu sa valeur de modèle d’amour possible et beau. On l’a décrédibilisée assez vite. En revanche, l’amour gay, présenté pourtant comme un « amour par défaut », a finalement tiré bien davantage son épingle du jeu : il est impossible… donc finalement rendu plus possible que l’amour lesbien. Plus c’est gros, plus ça passe ! Nos sociétés des contes de fées modernes asexualisants se mettent à défendre comme des évidences ce qu’elles ne cherchent pas à comprendre. Il est plus facile pour elles de soutenir un couple gay qu’elles ne comprennent pas qu’un couple lesbien qu’elles peuvent davantage analyser comme l’effet d’un peur de la sexualité, comme un phénomène « curable » et passager. L’homosexualité féminine nous est présentée comme une maladie chronique ; l’homosexualité masculine, comme un handicap de naissance. C’est là toute la différence ! L’amour homosexuel apparaît comme plus pur que l’amour lesbien : les femmes lesbiennes ont davantage de chances d’avoir un passé dit « hétéro » et de « pactiser » avec le monde hétéro que les hommes gay, qui n’ont très souvent pas de passé « hétéro ».

 

 

Ce n’est pas évidemment pas en termes naturalistes (et donc sexistes), ni en termes d’« activités génitales » (actif/passif), qu’il faut, à mon avis, envisager la différence entre homosexualité masculine et homosexualité féminine, même si « différence » il y a. C’est au niveau de la nature du désir homosexuel que tout se joue.

 
 

Le désir homosexuel masculin a-t-il devancé le désir homosexuel lesbien ?

 

S’il n’y a pas d’essence éternelle masculine ou féminine (et encore moins gay ou lesbienne), le désir homosexuel est ressenti autant par des hommes que par des femmes, c’est indéniable. Mais je crois qu’il concerne davantage les hommes car c’est un désir machiste, qui s’attaque à la force masculine des hommes réels pour mettre en avant une sur-féminité violente niant les limites et les faiblesses humaines.

 

Le désir hétérosexuel, un désir misogyne et machiste, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend aux femmes réelles. Quant au désir homosexuel, un désir tout aussi misogyne et machiste que le désir hétérosexuel, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend majoritairement aux hommes réels. Il est donc logique que ce soit les hommes qui se sentent en priorité homosexuels par rapport aux femmes. Nous nous trouvons dans une société qui combat le père par un culte de la mère-objet maternante niant la mort et les fragilités humaines : une mère machiste en somme, trop maternante pour ne pas être violente. On peut alors aisément comprendre que des pères de substitution, refusant la paternité biologique pour lui préférer une auto-paternité narcissique, soient par conséquent plus nombreux.

 

Le machisme – et le désir homosexuel est un désir machiste : un machisme inversé, où la femme avec un sexe d’homme est LE modèle social à imiter[2] – est un désir porté majoritairement par des hommes (… y compris des hommes honteux de leur masculinité !), même s’il n’est pas réservé qu’aux hommes bien entendu. Certains media nous incitent à nous identifier à un homme proche de Superman, asexué, tout puissant, sans limites, sans fragilité, sans corporéité, et nous poussent à reconnaître en la femme un ange naïf et dangereux, une femme phallique, féline, violée et violente, dotée d’un sexe masculin, et se vengeant d’une domination masculine présentée comme éternelle et historique. Or, s’il est vrai que beaucoup d’hommes font du mal aux femmes dans notre société, on fait très peu mention et mémoire du mal que de nombreuses femmes infligent aux hommes. Et cette injustice non-dénoncée finit par s’humaniser maladroitement, crier avec son sparadrap sur la bouche, se personnifier en l’homme homosexuel. Les personnes homosexuelles nées garçons sont la mémoire muette et inconsciente du viol des femmes (cinématographiques et réelles) et du viol opéré sur les hommes par des hommes machos et des femmes machistes refusant leurs soi-disant « faiblesses de femmes ».

 

Le désir homosexuel dit une crise de la masculinité et surtout une remise en cause de la force/fragilité des hommes. C’est la force masculine – une force fragile, douce – qui est depuis quelques décennies attaquée, caricaturée, et ridiculisée. On se retrouve dans une société de plus en plus couveuse, maternante, bien-intentionnée, agressivement compréhensive, qui refuse les limites, l’autorité, et les aspérités du Réel. Les nouvelles mères sont les futures femmes lesbiennes, des working girls indépendantes, « célibattantes », qui croient pouvoir se passer très bien des hommes pour « faire des enfants » et avoir du plaisir au lit.

 

Je vois une autre raison, plus essentialiste que constructionniste cette fois, expliquant que la nature du désir homosexuel s’agence davantage avec une manière particulièrement masculine de vivre ses désirs et de gérer sa sexualité. À mon avis, le désir homosexuel oriente les individus vers une sexualité plus compulsive, instinctive, parcellaire, dispersée, éphémère… Il cadre donc mieux avec la sexualité hygiénique, mécanique, pulsionnelle, moins sentimentalisée et cérébrale, des hommes. En matière de sexualité, les femmes sont moins gourmandes sur l’instant, moins titillées par leurs désirs sexuels immédiats (ce qui ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas, en matière de génitalité, se comporter en vampires nymphomanes sur la durée… parfois plus que bien des hommes !). Elles sont plus globales dans leur manière d’appréhender la sexualité. Les femmes fréquentant les sex-shops sont une espèce extrêmement rare. Ce sont les hommes qui, depuis la nuit des temps, ont eu besoin d’aller au bordel pour se défouler. Il est donc compréhensible que cette différence entre les sexes se transpose dans le « milieu homosexuel » : qui se rencontre dans les pissotières, les lieux de drague, les bars, les saunas, les backrooms ? Certainement pas les femmes lesbiennes. Il y a bien eu des essais d’introduction de backrooms dans les établissements lesbiens : cela a été un bide monumental, une grosse blague ; on s’est forcé récemment à faire des films pornos lesbiens, par souci d’équité et d’égalité-uniformité des sexes, mais cela ne correspond pas concrètement à un besoin féminin répandu. Les hommes restent les hommes, qu’ils soient homosexuels ou non. Et comme le « milieu homosexuel » assume plus un rôle de défouloir sexuel que de cadre pour un engagement d’amour durable, il n’est pas étonnant qu’il attire davantage les hommes que les femmes. Et qu’il y ait donc plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes.

 
 

Une cohabitation difficile

 

 

 

Pour camoufler leur machisme et leur misogynie, beaucoup de femmes lesbiennes et d’hommes gay font diversion en cultivant entre eux une pseudo égalité (de nombre, de droits, d’identités, de capacités, d’amour…) et une amitié artificielle censée prouvée à la face du monde qu’ils sont tous deux absolument capables d’intégrer avec succès la différence des sexes au sein de leurs relations interpersonnelles. Dans le « milieu homo », cette contrefaçon porte le doux nom de « mixité » (sa jumelle « parité » est partie faire de la politique…). S’il pouvait y avoir une légende derrière ce mot, on lirait ce genre de discours : « Je t’aime tant que je ne crains rien de toi. Je m’approche de l’autre sexe à condition qu’il ne me demande pas de me donner entièrement à lui ». Selon cette logique, l’autre est considéré comme un parfait « collègue ». « Pour moi, les hommes, ce sont des camarades et je suis leur égale » entendons-nous de la part de certaines femmes lesbiennes[3].

 

La mixité au sein de la communauté homosexuelle est malheureusement plus un beau principe bien intentionné qu’une pratique. Je le constate quand, par exemple, je vois qu’au fil des années, les bars mixtes se transforment en établissements uniquement lesbiens ou strictement gay dans les petites villes de province. Même à San Francisco (États-Unis), le « Centre du monde homosexuel », les personnes lesbiennes et gay ne se côtoient pas vraiment : il y a d’un côté le quartier de Castro (pour les garçons) et de l’autre le quartier de Mission (pour les filles). Au fond, il n’existe pas vraiment de ville homosexuelle. Actuellement, le processus de séparation entre les femmes lesbiennes et les hommes gay est tellement avancé que la plupart des femmes lesbiennes voyant un homme gay lire des ouvrages sur le lesbianisme le regardent avec des yeux ronds, comme s’il n’était pas logique qu’il puisse s’intéresser à « leur » culture à elles.

 

Autre exemple parlant : la durée de vie des associations mixtes homosexuelles est particulièrement réduite[4]. Ceci est expliqué notamment par le fait que le dénominateur commun de la communauté homosexuelle soit l’orientation sexuelle : les hommes gay y viennent parce qu’ils sont attirés par les hommes ; les femmes lesbiennes par les femmes. Il est donc forcé qu’un jour ou l’autre, la scission femme/homme se fasse.

 

Nous pourrions nous dire que les hommes gay et les femmes lesbiennes ont peu de chances de se retrouver esthétiquement et éthiquement, d’autant plus que dans leur système de pensée, leurs affinités relationnelles obéissent d’abord à leurs goûts et préférences sexuelles. Les femmes lesbiennes ont souvent pour idéal d’identification esthétique ce que les hommes gay prétendent détester : l’homme macho. Et inversement, les hommes gay ont un goût spécial pour les femmes-objets très féminines, que les femmes lesbiennes refusent d’être et rejettent violemment. Beaucoup de femmes lesbiennes adorent les sports collectifs, les travaux manuels réservés aux hommes… tout ce que les garçons gay haïssent !

 

Cependant, les hommes homosexuels ont un rapport ambigu avec les femmes lesbiennes, car ces dernières sont la transposition dans la réalité concrète de la femme forte et guerrière que tous deux convoitent (la seule différence, c’est que les femmes lesbiennes vont s’y identifier et la désirer sexuellement, alors que les hommes gay se contenteront simplement de s’y identifier). Ils aiment esthétiquement l’icône que les femmes lesbiennes ont voulu imiter, mais pas son actualisation homosexuelle, celle-ci les dégoûtant plus qu’autre chose. Le libertin garde pour la « femme plus que femme » un intérêt méprisant, tout comme la libertine voue à Don Juan et à la gent masculine qu’il représente une haine viscérale maquillée généralement en indifférence.

 

 

Même si certaines femmes lesbiennes se targuent d’être plus « sérieuses et sentimentales » en amour que les hommes (je ne sais pas d’où elles tirent un conte pareil… Peut-être parce qu’elles considèrent la pénétration vaginale par le pénis « mâle » comme l’unique MAL possible pendant un coït), elles sont tout aussi dures, infidèles, mufles, entre elles, que le seraient deux hommes entre eux. Il n’est pas rare que leur relation s’oriente vers le sadomasochisme[5]. Et les rituels de la drague saphique ne manquent pas de cruauté bien souvent. Je ne crois absolument pas que les femmes lesbiennes soient « plus douces » et « matures » dans leur(s) couple(s) homosexuel(s) et leur sexualité que les hommes gay du simple fait d’être femmes… même si, pour leur défense, j’ai quand même remarqué que les femmes lesbiennes avaient une conscience associative ou de l’engagement conjugal durable plus forte que les hommes gays « en général »… ce qui ne m’empêche pas de considérer qu’au-delà de la différence femme/homme, c’est le désir homosexuel, l’irrespect de la différence des sexes, et l’univers uniformisant des ressemblances, qui sont facteurs de violence. Qu’on soit né homme ou qu’on soit né femme.

 

Les femmes lesbiennes se plaignent très souvent du manque de mixité dans les associations. Pourtant, elles font autant bande à part que leurs homologues masculins. Minorité dans la minorité, elles jouent de leur double statut d’exclues (en tant que femmes et en tant que lesbiennes) pour s’isoler encore plus des hommes gay. Beaucoup d’entre elles n’ont aucune sympathie pour les « folles », ni pour les hommes que les personnes gay représentent, tout comme de nombreux hommes gay méprisent les femmes lesbiennes. Certains ne gardent de la femme lesbienne que l’image d’une camionneuse antipathique qui ne leur adresse pas la parole quand elle débarque dans leur groupe d’amis, et qui ne fait la bise qu’aux filles… (authentique !)

 

Heureusement, femmes lesbiennes et hommes gay ont en commun leur humanité, ce qui leur permet parfois de tisser de vrais liens d’amitié. Mais n’idéalisons pas le tableau. Beaucoup d’hommes gay ont l’impression désagréable que leurs relations avec les femmes lesbiennes ne se construisent que par intérêt, et réciproquement pour les femmes lesbiennes. Cela s’explique assez bien : l’attirance amicale qu’aurait créée l’attraction sexuelle n’est plus là. On se rend vite compte qu’entre femmes lesbiennes et hommes gay, ce manque de complémentarité symbolique des désirs sexuels influe même dans la qualité des relations simplement amicales. Chacune des parties a l’impression de passer bien après la recherche d’amant(e)s de l’autre, et de servir de « bouche-trou » lors des soirées. Pour le coup, la déférence gay envers les femmes lesbiennes vire souvent à une parodie de galanterie ou de copinage, qui indique parfois l’existence des braises d’un incendie qui ne demande qu’à s’étendre. Il n’est pas étonnant de voir que le binôme « amical » que forment l’homme gay et la femme lesbienne est très souvent totalitaire ou sado-maso – donc hétérosexuel – dans les fictions et parfois dans la réalité concrète[6]. La femme lesbienne et l’homme homosexuel simulent l’harmonie parfaite. En réalité, ils ne font que différer le moment de leur affrontement réel. Tant que leurs conquêtes pour les « droits sociaux des homos » ne cesseront de s’accumuler, ils joueront la comédie de l’amitié. Une fois qu’ils n’auront plus besoin l’un de l’autre et qu’ils auront souri ensemble pour la photo, ils risquent de se jeter/s’anéantir mutuellement s’ils ne travaillent pas ensemble à démasquer les ambiguïtés violentes de leur désir homosexuel.

 

Le paradoxe, c’est que tandis que les hommes gay rejètent les femmes lesbiennes, ils les attendent. La présence de celles-ci leur fait un bien fou. Il suffit qu’il y ait une seule femme lesbienne dans leurs rencontres majoritairement masculines pour qu’ils soient plus respectueux entre eux et qu’ils se tiennent mieux. Les femmes manquent véritablement aux hommes gay. Ils ne l’avouent pas souvent car leur désir le plus profond est encore trop encombré de fantasmes en tout genre pour qu’ils s’autorisent à en parler. Les femmes lesbiennes, quant à elles, expriment aussi le besoin d’avoir une bande d’amis garçons, même si elles soupirent à chaque fois qu’elles voient arriver les groupes de « mâles » dans « leurs » bars. En réalité, la désertion progressive des femmes lesbiennes dans le « milieu gay », ainsi que la séparation toujours plus marquée des sexes, sont peu profitables à l’ensemble des personnes homosexuelles… mais nous y tendons malheureusement, puisque de plus en plus, nous constatons un phénomène de compartimentation des minorités au sein même de la communauté homosexuelle. Le « narcissisme des petites différences » suit sa route… Qui l’arrêtera ?

 


 

[1] D’ailleurs, les hommes homosexuels cultivent aussi l’amalgame quand ils sortent la blague qu’ils pourraient devenir « lesbiennes » quand ils s’imaginent un jour virer de bord et sortir avec une femme.

[2] Je le décris justement dans mon essai Homosexualité intime, à la page 151, comme « un machisme peinturluré de rose ».

[3] Une femme lesbienne dans l’émission « La Vie à Vif » (1982), dans La Nuit gay sur Canal +, le 23 juin 1995.

[4] La seule exception où j’ai vu un mélange femmes lesbiennes/hommes gay réussi, c’est l’association chrétienne David et Jonathan. DJ est d’ailleurs l’association homosexuelle la plus durable de France : si sa couleur religieuse peut attirer les suspicions, elle devrait au moins forcer le respect pour sa longévité et l’ouverture à la différence des sexes qu’elle propose depuis 30 ans.

[5] Les Maudites Femelles, par exemple, est une association lesbienne SM existante en France.

[6] N.B. : Voir également le code « duo totalitaire lesbienne/gay » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.