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Le feu lesbien et l’homophobie ambiante

Je passe ma journée d’hier à travailler sur la série Manifest, pour la décrypter (de manière pertinente et visionnaire, en plus) = pas un seul partage ou retweet, et pas même un seul « like » sur les réseaux.

 

À côté de ça, je tombe accidentellement (pour voir les publications associées au hashtag #LGBT) sur un tweet d’une certaine femme politique Agnès Cerighelli qui crache sur le « lobby LGBT » … et là, salve d’applaudissements.
 

 

On est plus aimé et soutenu aujourd’hui en étant ouvertement homophobe et en tapant sur la « communauté homosexuelle » qu’en cherchant à la faire aimer et en expliquant que le « lobby LGBT » est en réalité le lobby hétérosexuel. C’est effrayant.
 

Pour terminer mon coup de gueule (qui ne servira pas à grand-chose), l’intuition que j’avais eue sur le lien entre le lesbianisme et le feu (c.f. l’ingrédient n°16) se révèle juste puisque Céline Sciamma sort bientôt un film lesbien intitulé « Portrait de la jeune fille en feu » (avec la comédienne Noémie Merlant, qui était d’ailleurs dans ma classe au Cours Florent en 2007… et que j’ai même dû embrasser sur la bouche dans le cadre d’un exercice théâtral : ce fut mon premier baiser hétéro haha !). Mais là encore, qui en parlera ?
 

Les femmes lesbiennes entre elles : un modèle de douceur…

Je discutais aujourd’hui avec un ami qui fréquente depuis 27 ans le « milieu homosexuel », et qui me racontait que la seule fois de sa vie où il s’est rendu, avec un autre pote gay, dans un bar lesbien, il avait été témoin d’une baston entre femmes-qui-« aiment »-les-femmes. Même si le constat est nié par les intéressées, parce qu’elles préfèrent cantonner la violence dans les mondes des hommes, et ne pas voir la brutalité de la pratique homosexuelle ou de la croyance en l’amour homosexuel tous sexes confondus, il apparaît que les femmes lesbiennes, entre elles, se crêpent énormément le chignon, se tabassent, s’insultent, sans que jamais personne ne relève cette forte tendance.

Mon ami me parlait par ailleurs d’une gérante de bar – qui connaît très bien le monde de la nuit, car elle a d’abord travaillé plusieurs années dans une boîte gay, puis ensuite dans une boîte lesbienne – et elle lui a assuré que dans le milieu homosexuel masculin, elle n’avait assisté qu’à 3-4 bagarres, alors que dans l’établissement lesbien qu’elle gérait, c’étaient des bagarres tous les jours ! Alors pour le refrain de la douceur lesbienne, nous repasserons ;-).

N.B. : Et faisons toujours gaffe à bien parler de la violence de l’acte homosexuel, et non de la violence des femmes lesbiennes prises individuellement.

 

Misandrie lesbienne… ou pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes

La Misandrie lesbienne… ou Pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ?

 

 

Misandrie, c’est quoi ce machin ?

 

Dans la série des dossiers qui fâchent et qui deviennent tabous à force d’être relégués au rang de « clichés faciles », je vous propose celui de la misandrie chez les femmes lesbiennes. Tiens tiens… « misandrie »… voilà un mot qui, bizarrement, n’existe toujours pas dans nos dictionnaires, contrairement à « misogynie »… car, si vous l’ignoriez, la méchanceté, dans notre société, n’irait que dans un sens : des hommes vers les femmes ; jamais l’inverse ! Les femmes ne seraient que des victimes pures et innocentes de l’ignoble gent masculine ! Les hommes, étant rangés du côté du « Sexe Fort », n’auraient pas le droit d’être faibles, de déroger au diktat de la toute-puissance et de la force physique du Superman. Ils ne pourraient pas être victimes de viol ! À l’inverse, les femmes seraient des modèles de douceur, de compréhension, d’intuition, d’amour (amour autosuffisant et conjugué au singulier, dans une monogamie satisfaite d’elle-même, bien entendu), les reines des sentiments… et finalement les reines des victimes. Le problème majeur actuellement se situe dans le fait qu’on ne relationnalise plus la violence, qu’on n’en fait plus un problème et un combat collectif, mais qu’on la personnifie en des êtres-épouvantails masculins qui finissent par être (pris pour) les hommes réels. Nos contemporains nous encouragent à manichéïser nos maux, à tracer un ligne blanche bien nette entre les éternelles victimes et les sempiternels bourreaux, entre la population née femme et la population née homme, sans comprendre que si les femmes sont de plus en plus violentées aujourd’hui, c’est bien parce qu’à la base les hommes aussi sont de plus en plus violentés et méprisés, par eux-mêmes déjà, mais également par leurs compagnes. Ces femmes qui considèrent qu’elles ont une revanche à prendre sur des prétendus siècles de domination patriarcale. Ces femmes qui font chaque fois davantage comprendre aux hommes qu’elles n’ont plus besoin d’eux pour jouir, penser, être équilibrées, vivre, être libres. Ces femmes qui, par des anachronismes grossiers et un mépris caché d’elles-mêmes (auto-mépris souvent inconscient car il passe par une haine des femmes du passé que les femmes contemporaines transforment en jumelles dans la victimisation, ou, dans le même mouvement, en rivales ignares à ne surtout pas imiter), incitent les hommes à perdre leur douceur et leur patience à leur égard. Le résultat, quel est-il ? De plus en plus, on voit les hommes caricaturés en beaufs et en gros bébés immatures, en violeurs, en Don Juan minables et irresponsables. Les nobles et courtois défenseurs des dames sont soit homosexualisés, soit singés en brutes épaisses et agressives. Et ne croyez pas que cette caricature ne blesse pas les hommes véritables, ceux qui sont forts et doux à la fois, ceux qui ne sont ni faibles ni violents ! C’est bien parce qu’elle a des effets dévastateurs sur eux qu’on constate dans les œuvres contemporaines et sur nos écrans un nombre croissant d’hommes en pleurs, humiliés, battus, voire assassinés par des femmes. Tout au long de son essai XY, Élisabeth Badinter recense dans les œuvres littéraires du XIXe siècle toutes les fois où on voit des hommes et des héros masculins pleurer. La recrudescence de la figure de l’homme moderne qui pleure parce qu’on l’émascule est très symptomatique de cette destruction symbolique, et parfois réelle, qui est en train de se produire à notre époque… et qui fabrique justement des talibans, des extrémistes blessés dans leur virilité, des futurs despotes, des petits machos « caillera », des adolescents-soldats. Par ailleurs, on observe dans la réalité de plus en plus de violences à l’encontre des pères de famille (peu protégés par la loi en cas de divorce), et on comptabilise une recrudescence des suicides de ces mêmes pères. La maltraitance opérée sur les hommes télévisuels sert d’exemple à beaucoup de femmes qui, dans des contextes très particuliers de conflits entre les sexes (divorce, rupture amoureuse, rivalité professionnelle, etc.), imitent les situations de vengeance que les médias ont orchestrées. Qu’on m’entende bien : Il n’y a aucune crise de la masculinité aujourd’hui (la masculinité n’étant qu’une affaire d’image(s) associée(s) à un certain sexe, qu’une simple question de genre, de mode, de culture ; pas de sexuation ni d’identité) : il n’y a qu’une crise identitaire de la part des femmes et des hommes qui aiment de moins en moins leur sexuation, et donc, par ricochet, leur relation à l’autre sexe. Le drame de notre époque, c’est que les femmes et les hommes ne veulent plus se rencontrer, et en sont de plus en plus fiers.

 

 

Du côté des femmes, cette fierté de la rupture d’avec les hommes a tendance à s’appeler « féminisme » ou « lesbianisme ». Alors bien sûr, de nombreuses femmes lesbiennes seront tentées de justifier la peur et parfois la haine des hommes chez certaines de leurs semblables en postulant que si ces dernières deviennent misandres, c’est en réaction à une violence première qui leur était extérieure et antérieure. Elles présenteront la misandrie comme une conséquence « logique », une stratégie de survie, une réponse méritée donc « presque justifiable », bref, comme une nécessité ; non comme une cause de la misogynie… ce qui est une absurdité puisqu’il se trouve que la misandrie n’est ni une cause ni une conséquence de la misogynie : elle n’est qu’une coïncidence, qu’un signe montrant une scission-uniformisation croissante, dramatique et inquiétante, entre les sexes, qui réclame au contraire un rapprochement et un renouement du dialogue entre les hommes et les femmes réels.

 

Les femmes lesbiennes qui finalement ne se gendarmeront pas quand je parle de misandrie à leur encontre seront celles qui ne se poseront pas en victimes des hommes, mais bien en amies ; celles qui sauront se regarder elles-mêmes sans systématiquement extérioriser la misandrie sur les hommes, ni la géméliser en parfait miroir d’une « misogynie des mâles » qui l’aurait précédée. Je les vois, ces nombreuses femmes lesbiennes pour qui les hommes gay ne sont en quelque sorte que de « simples collaborateurs », des « faux frères », des « demi-frères » (après un divorce inavoué : le divorce d’avec une différence des sexes respectée et bien vécue) : en tout cas pas des véritables amis. L’homosexualité constitue un bien fragile dénominateur commun. S’il n’y a pas, entre nos congénères lesbiennes et nous les hommes, un minimum de gratuité et d’amitié désintéressée, la misandrie pointe le bout de son nez.

 

Quatre exemples de misandrie lesbienne

 

Je commencerai ce Phil de l’Araignée par vous raconter quatre histoires véritables, dont trois qui me sont arrivées personnellement (au festival de cinéma LGBT « Chéries-Chéris » tout d’abord ; à l’Hôtel Millénium avec l’Autre Cercle ensuite ; et enfin au festival Cineffable de Paris), et une qui m’a été rapportée par un ami marseillais (et qui vaut son pesant d’or !). Elles indiquent l’existence d’une misandrie chez certaines femmes lesbiennes, misandrie que je tente d’expliquer mais qu’en aucun cas je ne veux justifier : si j’écris sur la misandrie, c’est justement en vue de lutter contre ce type de sectarismes, de dénoncer des mécanismes de peur qui sont souvent inconscients, rarement décortiqués, et de plus en plus banalisés par nos contemporains.

 
 
–       Festival « Chéries-Chéris » :
 

Je me trouvais le dimanche 14 novembre 2010 dernier au festival de cinéma LGBT parisien « Chéries-Chéris » au Forum des Images. Je ne sais pas ce qui m’a pris cette année d’aller voir prioritairement la programmation lesbienne (je me lesbianise, ça doit être ça ! ;-)). En règle générale, une infime part des garçons gay vont voir des films lesbiens. En bons consommateurs passifs, garçons comme filles homosexuels vont là où leurs goûts les orientent, c’est-à-dire chacun de leur côté (même si cela se vérifie moins chez les femmes lesbiennes, qui peuvent faire preuve d’une plus grande ouverture à l’égard des garçons). C’est aussi pour cette raison que je lis de plus de plus de romans lesbiens, que je me spécialise dans la culture lesbienne, que je vais voir autant de films traitant d’homosexualité masculine que de films sur l’homosexualité féminine, en y découvrant justement que dans les grandes lignes le désir homosexuel a les mêmes caractéristiques, qu’il soit ressenti par un homme ou par une femme, et quoi que puissent en dire ceux qui le particularisent et le compartimentent selon les genres, les sexes, les individus, les cultures, les orientations sexuelles, pour mieux lui tourner le dos.

 

 

J’ai donc assisté, lors du festival « Chéries, Chéris », à la projection d’une dizaine de courts-métrages lesbiens, majoritairement conçus par des réalisatrices lesbiennes. Mais un seul parmi eux faisait exception : c’était le film « Corps à corps ». Il rentrait bien dans la thématique lesbienne, mais son réalisateur, Julien Ralanto, présent à la projection, et s’étant rendu disponible également à la fin pour répondre aux éventuelles questions du public, a été affiché comme « un » hétéro gay friendly. Une fois la série des courts-métrages passée, l’idée d’un échange avec un réalisateur homme a visiblement fait peu d’émules, puisque la salle de cinéma s’est vidée de moitié. Malheureusement pour Julien Ralanto, ce n’est pas parce que certaines femmes lesbiennes n’ont pas bougé de leur siège qu’elles sont restées en amies pour autant ! Le débat n’aura pas dépassé plus de 10 minutes. Ralanto n’a eu droit qu’à deux pauvres interventions, qui n’étaient même pas des questions d’ailleurs, mais plutôt des réactions : d’abord une journaliste d’un magazine lesbien, qui lui a demandé de quel droit il se permettait, en tant qu’homme, de toucher au thème lesbien et de l’aborder dans un film (Qu’y connaît-il puisqu’il n’est pas lesbienne lui-même ? Ce n’est qu’un homme, qu’un étranger, qu’un sarrasin ! Seule l’espèce lesbienne et celles qui expérimentent le désir lesbien dans leur corps sont autorisées à parler de lesbianisme ! Dehors, les romanos !) ; ensuite, une femme lesbienne qui a critiqué le lien que le réalisateur a fait entre le viol et la révélation de l’homosexualité de son héroïne (un lien certes chronologique dans le film mais non-causalisé ; en revanche, cette spectatrice, en le causalisant – y compris dans le rejet – a prouvé que c’était bien elle et non Julien Ralanto qui faisait du lesbianisme une conséquence du viol). Visiblement, il ne faut plus rien associer de mauvais à l’homosexualité lesbienne ; il s’agit d’être POSITIF, de retirer tout ce qui est « négatisse » et qui pourrait ternir l’image cucul que la communauté des amazones veut maintenant imposer de ses amours. Alors que « Storm » (2009) de Joan Beveridge, un autre court-métrage nord-américain de la série des courts-métrages proposée à cette soirée « Chéries, Chéris » (un film soit dit en passant complètement bobo et abordant pourtant de sujets tout aussi graves que le viol : infidélité, matricide, inceste, pédophilie, meurtre…), a conquis et fait applaudir toute la salle parce qu’il s’achève sur une happy end qui conforte l’assemblée lesbienne dans ses rêves romantiques de midinette, « Corps à corps » en revanche a provoqué grimaces, bouderie, réactions de révolte, scandale, haine misandre, chez le public lesbien. Peut-être parce qu’il osait aborder l’homosexualité telle qu’elle est vraiment : comme une blessure qui ne définit par l’individu dans son entier, une blessure qui n’est ni banale ni souriante. Et quand on connaît, dans le vécu secret des femmes lesbiennes, la place importante qu’occupe le viol, ne serait-ce que fantasmatiquement, on trouve ces grognements encore plus de mauvaise foi. Je suis sorti de ce petit débat ahuri par la fermeture et la connerie de ces militantes lesbiennes qui n’aiment pas les hommes et qui ne l’avoueront jamais parce qu’elles enroberont leur misandrie sous des prétextes plus ou moins techniques (la mauvaise construction narrative du film, le jeu des acteurs, le choix de la musique, etc.). En fait, si Julien Ralanto avait été une femme, elles l’auraient accueilli tout autrement. Je n’ai rien pour le prouver, bien sûr… si ce n’est que, derrière les attaques faites au jeune réalisateur – qui a réussi à rester très courtois et qui a donné des bâtons pour se faire battre en se présentant d’office comme un réalisateur néophyte et ignorant tout de la « question homo », réclamant poliment les corrections et les éclairages des membres d’une communauté qui lui serait étrangère et inaccessible – on ne voyait rien de construit, et surtout on lisait un reproche injustifiable : comment peut-on rejeter une personne du simple fait qu’elle a un sexe opposé au nôtre, un sexe qu’elle n’a pas choisi ?

 
 
–       Conférence à l’Autre Cercle :
 

Autre exemple assez parlant de misandrie lesbienne. J’avais été invité le 8 juin 2010 à faire une conférence pour présenter mon livre devant l’association L’Autre Cercle[1], à l’Hôtel Millénium du Boulevard Haussmann à Paris, face à 80 personnes attablées. La veille de mon intervention, déception : on m’a demandé… que dis-je, ordonné !, de changer complètement mon topo. Je ne pouvais plus parler de mon livre, mais devais obligatoirement traiter d’un seul thème (qui ne constitue pourtant qu’une sous-sous-partie de mon essai) : la mixité gay/lesbienne dans la communauté homo. Apparemment, la publicité de la soirée aurait été faite exclusivement sous cet intitulé, et une délégation de femmes lesbiennes se déplacerait exprès pour entendre parler de ce sujet ! Il ne fallait surtout pas les décevoir. J’ai donc modifié à la dernière minute mon texte.

 

 

En débarquant dans cette soirée huppée, je ne connaissais quasiment personne. Je me suis donc mis à discuter avec le groupe de femmes qui se trouvait déjà sur place et qui était le plus proche de moi. Pendant que je faisais connaissance, une femme quinquagénaire très dynamique a déboulé en trombe dans le groupe pour saluer chacune de ses camarades. Arrivée à moi, elle a refusé de m’embrasser, en me disant qu’« elle ne faisait la bise qu’aux femmes ». N’était-ce qu’une boutade ? Il faut croire que non puisqu’elle m’a quand même bien zappé au final. La « Soirée Mixité » démarrait fort ! Cela dit, à table, je me suis retrouvé avec des voisins adorables et accueillants. Nous avons eu droit, pendant l’entrée et le plat de résistance, à un topo de 15 minutes sur « l’homophobie intériorisée », animé par trois « psys gay » (c’est ainsi que se nomme leur association. On ne rigole pas, svp…), un exposé qui a été ovationné à la fin et gratifié de commentaires émus de la part de certaines personnes de l’assistance… euphorie émotionnelle qui restera pour moi un mystère encore aujourd’hui, puisqu’on nous a servi la souplette habituelle : à savoir que « les » homos sont tous des victimes, encore et toujours, y compris des victimes d’eux-mêmes et de leur propre homophobie intériorisée, surtout quand ils refusent de reconnaître LES Vérités « fondamentales » que seraient leur identité homo et leurs amours « particulières ». Trop profonde, la remise en question personnelle… menée jusqu’au bout, en plus… trop émouvante… bravo…

 

Moi, je devais passer pendant le fromage et le dessert ;-). Le chef de cérémonie m’a annoncé au micro et m’a invité à prendre place devant tout le monde. Je savais que ce que j’avais prévu de dire ne tiendrait jamais en un quart d’heure : j’ai donc suivi mes notes de loin. Pour commencer mon exposé, j’ai fait preuve d’une audace provocatrice qui a été tellement conviviale que certains convives ont cru que l’incident avait été scénarisé d’avance. En effet, en prenant le micro, j’ai d’abord raconté à l’assistance ce qui s’était passé avec Florence en début de soirée (car c’était bien comme cela qu’elle s’appelait, cette femme qui avait refusé de me faire la bise, uniquement parce que j’étais un homme… ; je m’étais préalablement informé sur son prénom, pour la surprendre et la faire venir sur le devant de la scène) et publiquement, j’ai prévenu que je ne commencerai mon topo qu’à la condition que Florence vienne me faire la bise qu’elle me devait, cette bise qui illustrait à elle seule que la mixité prônée par l’Autre Cercle était loin d’être une réalité ! Son bisou serait l’enterrement de la hache de guerre, et le signe public que j’étais un véritable ami d’une mixité gay/lesbienne encore peu évidente vu l’accueil qui m’avait été réservé. Florence, folle de joie, a joué le jeu. Elle est venue toute contente et sautillante me faire la bise comme on vient accomplir son gage. Ma demande a dû la surprendre. Mais juste après avoir réparé son acte misandre par une bise, voilà qu’elle en a reposé inconsciemment un autre, cette fois sur un mode fusionnel : elle m’a pour le coup forcé à lui faire un bisou sur la bouche pour succéder à la bise qu’elle jugeait certainement trop sage et chaste (comme quoi, il n’y a pas d’âge pour se comporter comme un ado… Les personnes homos ne maintiendront-elles qu’un rapport idolâtre d’attraction/répulsion, de rupture/fusion avec les membres du sexe « opposé » ?). Me sachant attendu au virage par un public intrigué de cette drôle de réconciliation inter-sexes, je n’ai pas voulu jouer au garçonnet pudibond ni ai eu le temps de refuser ses lèvres : je lui ai rendu poliment son « piou ». Et la conférence a pu commencé.

 

À peine ai-je pris la parole que déjà, je voyais qu’un groupe de femmes dans le fond de la salle s’agitait, soupirait, trépignait sur place, râlait dès que je faisais une référence culturelle lesbienne. Bref, c’était évident : ma seule présence masculine les exaspérait. Elles n’écoutaient pas ce que je disais. J’aurais pu raconter n’importe quoi : elles voyaient un homme face à elles, qui plus est un homme qui parlait d’elles, femmes lesbiennes, … et cela leur était tout simplement insupportable ! Un jeune, de surcroît… (jeune = qui ne connaît rien de la vie) ! Et puis qui parle des personnes homosexuelles du passé en plus… (Il faut qu’il réactualise ses fiches ! Quel réac’ ! Radclyffe Hall, c’est l’obscurantisme et le lesbianisme coupable incarné ! Oscar Wilde, c’est un fantôme qui n’a rien à nous apprendre !) ! Et puis qui parle de sa propre expérience en sombrant dans le témoignage… (Il ne regarde les choses qu’à travers la petite lorgnette de son maigre vécu personnel, donc sans recul, en prenant les clichés pour des vérités et des généralités sur « les » homos ! Ce que la jeunesse est prétentieuse dans son aveuglement !).

 

Alors que ceux du premier rang, qui me prêtaient une attention sans faille, n’ont pas vu une once de misogynie, de machisme, d’homophobie, ou de misandrie, dans mon discours (et pour cause ! Il n’y en avait pas ! Mon propos visait à parler des obstacles réels à la mixité, pour justement mieux la permettre et la défendre), certains convives qui ne m’écoutaient que d’une oreille se sont mis à croire que, parce que je parlais des difficultés du mélange femme-homme, y compris dans la communauté homo (et d’autant plus dans la communauté homo !… où la différence des sexes est particulièrement rejetée et vécue comme une blessure intime en chaque individu homosexuel), je les justifiais et les créais. Incroyable procès d’intentions…

 

Au départ, je ne me suis pas rendu compte de l’inimitié ambiante, trompé par l’accueil de mes auditeurs de devant. J’ai fini mon topo en ayant eu l’impression de ne pas avoir été à côté de la plaque, mais au contraire, avec l’assurance d’avoir démystifié le concept de mixité homosexuelle pour le rendre plus grave, plus nuancé, plus possible, plus concret. Tellement satisfait de mon passage, et conforté par les quelques réactions de mon auditoire le plus proche, je ne m’attendais pas à la gifle qui allait m’être adressée ; je n’aurais jamais imaginé que je serais aussi mal compris par les gens du fond de la salle.

 

Et là, coup de théâtre, qui en a surpris plus d’un, et qui m’a surpris moi-même. Une dame d’une soixantaine d’années, qui faisait partie du groupe des femmes qui dès le début de mon intervention avait pris le parti de ne pas m’écouter et de me faire dire l’inverse de ce que j’ai raconté, et qui apparemment « l’ouvre tout le temps » en réunion (et souvent à mauvais escient), a réclamé le micro, et a dit en gros que mes paroles l’ont scandalisé et que ça ne lui donnait vraiment pas envie d’acheter mon livre. Bing ! Prends ça dans les dents ! Elle s’est mise à expliquer sa propre vision de la mixité (une vision qui reprenait point par point ce que j’avais pourtant développé et illustré dans mon explication), mais en la présentant comme l’antithèse de mon propre propos. Je comprenais, quand elle parlait, qu’elle n’avait absolument pas écouté ce que j’avais dit. Car au fond, nous étions d’accord. C’est juste qu’elle ne voulait pas partager avec moi la même vérité que nous dessinions ensemble. Elle me reprochait finalement ce qu’on ne peut jamais reprocher à quelqu’un : d’être présent, d’exister, d’être ce qu’il est (un être humain avec un des deux sexes, jeune, avec son passé, son vécu, ses références, ses goûts…), et de ne pas être nous.

 

Un autre convive attablé au fond de la salle s’est mis à dire que ce que je proférais sur la difficulté des communautés gay et lesbienne à se mélanger n’étaient que « clichés » (et pour cause : j’ai en effet parlé des clichés, des représentations romanesques et cinématographiques de cette mixité si difficile à construire ! sans en faire des vérités et des généralités sur l’ensemble « des » homos). C’est là que j’en suis venu à parler de mes propres expériences de rejets que j’ai subies de la part de certaines femmes lesbiennes. En ultime exemple, je montrai dans la salle de l’Hôtel Millénium la répartition spontanée des invités, car il était flagrant qu’il n’y avait eu aucune volonté de mélange entre eux : on y voyait une « table de femmes » séparée des autres tables exclusivement remplies d’hommes ! Comment permettre une vraie mixité si on nie qu’on lui fait obstacle, et qu’on chante un joli slogan sans le mettre en pratique ? Comment permettre la rencontre entre l’homme et la femme si on nie que la communauté homosexuelle s’est construite en grande partie sur l’hétérophobie et sur une haine/peur de la différence des sexes ?

 

Seules deux personnes ont ensuite pris le micro pour atténuer les propos de mes deux détracteurs qui m’avaient jeté des tomates et méprisé sans que je m’y attende. Mais comme ils n’ont pas abordé le contenu de l’exposé à proprement parler (j’ai même eu droit à une intervention un peu graveleuse qui n’avait rien à voir avec la discussion), j’ai été peu aidé, et me suis fait plumer sans trop riposter. J’étais intérieurement halluciné du niveau de réflexion que m’offraient certains membres de l’intelligentsia homosexuelle, mais je gardais mon calme et mon sourire, en me disant que ma gloire se trouvait ailleurs que dans l’image et l’instant. On m’avait revêtu du bonnet d’âne, mais sur la durée, ce n’était pas moi le perdant. Vraiment pas.

 

Le chef de cérémonie, influencé par le public et les 3 personnes qui s’étaient exprimées parcimonieusement (et dont l’opinion ne représentait pas du tout l’ensemble des avis de la salle), a clôturé le débat en me faisant passer pour le « polémiste » de service, frondeur, un brin « coquinou », et irrévérencieux (mais on ne lui en veut pas : on l’aime bien quand même)… comme la speakerine qui annonce avec un sourire forcé l’interruption brutale des programmes afin de dérouler discrètement le rideau à fleurs sur scène. Cette étiquette du « Provocateur » l’arrangeait, mais ne me va pas du tout. Je ne suis pas un provocateur. Jamais je ne cherche à faire du scandale gratuitement, et si ce que je dis provoque des remous, ce n’est pas parce que ce que je dis est faux ou scandaleux, mais plutôt parce que les actes que je dénonce sont opérés par des personnes qui refusent de se regarder agir. D’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai su après la conférence que la femme qui m’avait dit que mon livre c’était de la merde et qu’elle organisait des réunions mixtes, faisait énormément de sélection lors de ses causeries et n’était pas très ouverte aux hommes, malgré ses dires. La seule différence avec moi (et c’est sûrement pour cela que ça a « clashé » de son côté avec moi), c’est que chez elle, la mixité est concrètement un simple slogan qu’elle n’applique pas vraiment, alors que moi, je la vis et la favorise dans mes cercles amicaux homosexuels. Les mélanges ne me font pas peur. C’est le fossé entre mixité fantasmée et mixité réelle, entre intentions et actes, qui lui est apparu dans toute sa contradiction et sa violence. Cette grande bourgeoise s’est retrouvée face à quelqu’un qui applique et aime concrètement la mixité gay/lesbienne (… et qui, du coup, ne peux pas que l’idéaliser).

 

Le débat a pris fin. On m’a dit que rarement aux dîners de l’Autre Cercle les gens étaient restés aussi longtemps discuter à la fin ! C’est donc que mon intervention a bousculé les meubles ! C’est déjà ça, me direz-vous… Alors que les départs s’éternisaient, je voyais certains invités avoir honte de la bêtise de leur(s) camarade(s), et étaient indignés de l’accueil qui m’avait été fait par l’Autre Cercle. Quand je suis revenu à ma table, mes voisins m’ont fait comprendre que ce n’était pas la première fois que cette femme « pétait un scandale » et qu’elle perdait son calme et son jugement. L’ancienne présidente de l’association, une dame géniale et très ouverte, m’a assuré tout son soutien, et tentait de recoller les morceaux. Moi, bizarrement, je n’étais pas du tout effondré. Je savais ce que j’avais dit, et assumais entièrement mon exposé. J’ai même, contrairement à ce que j’aurais pu imaginer (vu comment mon livre avait été incendié en place publique par des personnes qui ne l’avaient pas lu), réussi à vendre une dizaine d’exemplaires de mon livre. Y compris Florence m’en a pris un ! Comme quoi… 😉 La misandrie n’est jamais victorieuse.

 
 
–       Festival Cineffable :
 


 

Dernier épisode qui m’est arrivé il n’y a pas si longtemps, et qui dénote d’une misandrie manifeste chez une grande partie des femmes lesbiennes. Je me suis rendu par curiosité au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris – « Cineffable : Quand les lesbiennes se font du cinéma » – organisé au Théâtre le Trianon, le 2 novembre 2007. J’arrive dans le hall d’entrée, et je suis arrêté par sept chiennes de garde – ne devant certainement pas faire partie de l’organisation du festival – qui m’ont dit textuellement qu’elles « ne tolèreraient pas la présence d’un seul homme dans les salles de projection ». Au départ, j’ai cru qu’elles plaisantaient. J’ai simulé l’étonnement amusé… avant de voir que ce qui avait été lancé comme une boutade par l’une d’entre elles a été validé très sérieusement par l’ensemble du groupe. J’ai été invité à débarrasser le plancher, tout bonnement. Dans la même journée, je suis allé au SIGL (le Salon International Gay et Lesbien au Carrousel du Louvre), et j’ai demandé aux stands associatifs si on avait le droit d’interdire ainsi la présence des hommes à l’entrée d’un festival de cinéma, même lesbien. On m’a évidemment répondu que non, et que Cineffable, même s’il s’adresse spécifiquement aux femmes lesbiennes, n’est pas un événement excluant ni sexiste. Pas pour toutes les participantes, visiblement…

 
–       « Des milliers de copines… » :
 


 

Un ami homo à la quarantaine bien tassée m’a raconté un jour une rencontre incroyable qu’il a faite à Marseille. Ça aura duré le temps d’un éclair. Il se baladait tranquillement dans la rue, quand une femme avec son chien tenu en laisse est arrivée derrière lui sur le même trottoir, et comme il gênait son passage et celui de son gracieux animal, au lieu de lui demander aimablement de se pousser, elle l’a carrément insulté de « sale pédé ! » L’ami en question est resté interloqué par la violence lapidaire de cette passante antipathique qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, et qui a identifié son homosexualité alors qu’elle n’est pas marquée sur lui et qu’il n’est pas spécialement efféminé. Quelle ne fut pas sa double surprise de voir cette même femme pénétrer un peu plus loin dans un bar lesbien ! Il m’a assuré que cette histoire était vraie, et je sais qu’il ne m’a pas menti. Quand l’homophobie intériorisée se couple avec la misandrie, cela semble improbable. Mais pourtant si, c’est possible ! On peut tout à fait être à la fois contre et pour soi-même ! pro-communautaire dans l’idée et anti-communautaire en actes ! femme et sexiste ! Toutes les haines se ressemblent, et elles concernent tout le monde, sans exception. Parce qu’on est libre, on est aussi potentiellement son pire ennemi.

 
 

La misandrie, reflet d’un viol fantasmé ou réel

 


 

Que reste-t-il des relations femme/homme quand chacune des deux parties prend systématiquement le masque de l’offensé ? Plus grand-chose. Est-il vrai que beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ? En acte, certainement que oui (même si ce n’est pas le cas de toutes les femmes lesbiennes) : leurs attitudes, leurs expressions de mépris, de peur, voire carrément de dégoût, à l’égard des hommes en général, parlent d’elles-mêmes ![2] ; en intentions et sciemment, non. Pour une raison toute simple : rares sont celles qui n’ont pas confondu l’homme fictionnel (ce Marlon Brando assis devant sa télé, avec sa bière à la main, ses films en noir et blanc, ses biceps, sa goujaterie…) avec l’homme réel ; rares sont celles qui n’ont pas pris la masculinité, le genre, ou l’image médiatique des hommes, pour le sexe mâle réel et les êtres humains concrets qui le portent. Par conséquent, elles n’ont pas l’impression d’en vouloir véritablement aux hommes quand elles s’attaquent à l’ « homme en théorie » ou à « l’idée (historique, anthropologique, politique, artistique…) de l’homme », car intellectuellement, elles savent encore faire la différence entre une image de magazine et un être humain ! C’est pourquoi je crois volontiers en la sincérité d’une Marie-Jo Bonnet quand elle écrit que la haine lesbienne des hommes est un « mythe homophobe »[3], même si objectivement elle ment et que sa haine des hommes est lisible dans ses propos. L’expression « hommes » est dans l’esprit de beaucoup de femmes lesbiennes une sorte de mélange fantasmagorique hybride entre les hommes fictionnels et les hommes réels ; ou bien réductible aux pires exemples d’hommes de leur entourage, rarement aux modèles plus positifs. C’est une haine aveugle. Comme toutes les haines. Nées de l’ignorance – une ignorance qui se pare souvent d’un vernis pseudo intellectuel et historique – et de la peur – une peur parfois souriante et calme, qui porte l’hypocrite nom de « mixité », de « parité », d’« amitié homo/hétéro » ou de « complicité entre lesbienne et gay ». On en vient au cœur de ce qui, pour moi, peut expliquer la misandrie : c’est le fait que le désir homosexuel (et ici lesbien) puisse être à la fois qualifié de désir d’amour et de désir de viol. Dans le cas lesbien, le viol, plus fantasmé que réel – même si dans énormément de cas, on est surpris de voir le nombre de femmes lesbiennes qui révèlent un viol survenu dans l’enfance ou l’adolescence – est la clé de voûte de l’édifice identitaire homosexuel : si le viol génital ne fait heureusement pas légion, nombreuses sont les femmes lesbiennes à avoir pu vivre le rapport tactile avec un garçon comme un viol. Et les hommes d’aujourd’hui ont sûrement une énorme part de responsabilité dans cette histoire.

 

Plus tard, je vous raconterai la misogynie tout aussi incroyable des hommes gay envers les femmes, lesbiennes comme les femmes dites « hétérosexuelles ». Car là encore, il y a beaucoup à dire !

 


[1] L’Autre Cercle est un groupement homosexuel mixte réunissant la crème de la crème de la communauté homo : s’y retrouvent des politiciens, des magistrats, des avocats, des enseignants, des écrivains, des hommes et des femmes supposés cultivés et éduqués. Et certains de ses membres m’avaient connu parce qu’ils étaient venus à mon émission de radio « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle.

[2] Dans leur bouche, les hommes sont souvent assimilés à des violeurs potentiels ; beaucoup de femmes lesbiennes, contrairement aux hommes gay, ont un passé « hétéro » plus chargé et long, avant de se déclarer exclusivement en couple lesbien, pour tourner radicalement une page douloureuse (ou jugée ainsi) de leur existence ; par ailleurs, l’expression « se faire prendre par un homme » est récurrente dans leur discours.

[3] Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?, Éd. Odile Jacob, Paris, 2004, p. 152.

 

 

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes?

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes ?

 

 

L’homosexualité, une affaire d’hommes ?

 

Les femmes lesbiennes : minorité invisible ? cachée ? méprisée ? silencieuse ? ou simplement  discrète ? Il est bien difficile de donner un nom à la population lesbienne mondiale, « nation » que certains individus, dans un élan euphorique de générosité, n’hésitent pas à qualifier de « minorité majoritaire » victorieuse, comme les mythiques et conquérantes amazones. Il faut le reconnaître : numériquement, la communauté lesbienne est moins imposante que la communauté gay (Bourdieu, par exemple, dans Les Études gay et lesbiennes, note que dans le mouvement gay et lesbien, il y a 90 % de gays et 10 % de lesbiennes). Non pas simplement parce qu’on l’entendrait/verrait moins (comme certains se plaisent à le croire pour soutenir des arguments victimisants du type « Si on ne voit pas les lesbiennes, c’est parce qu’elles sont doublement discriminées – en tant qu’homosexuelles et en tant que femmes ! »), mais aussi de fait. À moins que les femmes lesbiennes soient une espèce « planquée » préférant vivre dans un clandestinité heureuse et ne fréquentant que des squats souterrains la nuit, ce qui m’étonnerait franchement, je me surprends à pousser le cri seventies de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? » Oui, où sont passées les filles lesbiennes que l’on voit de plus en plus dans les vitrines télévisuelles et pourtant toujours aussi peu dans la réalité ? Est-ce que l’homosexualité concernerait majoritairement les hommes ? On est en droit de le penser, même si, à l’ère de l’« égalité » et de la parité des sexes, on finit par s’interdire ce constat.

 

Alors si vous le voulez bien, pour une fois, j’aimerais bien qu’on se penche un peu plus sur la communauté lesbienne, et qu’on essaie de comprendre pourquoi ce fossé existe entre hommes gay et femmes lesbiennes, car on en apprendra beaucoup sur la nature même du désir homosexuel. Ce n’est pas un hasard si notre société et la grande majorité des personnes homosexuelles évitent de traiter de cet écart numérique, car celui-ci pointe du doigt la probable influence qu’exercent certaines femmes et certains hommes dans le meurtre symbolique (et parfois réel) de la paternité-masculinité, dans le viol des femmes réelles, dans l’émergence du désir homosexuel.

 
 

Un constat de terrain

 

C’était l’année de mon coming out, en 2002. J’ai eu la chance d’être le témoin direct d’une phase de transition assez brève et spectaculaire dans le « milieu homosexuel » français, alors que je me trouvais dans la belle ville de province d’Angers. Il n’y avait pas à l’époque 36 000 bars homos dans lesquels aller : un bar nommé Le Cargo (et qui, depuis, a coulé… paix à son âme) accueillait la grande majorité de la « population sans contrefaçon » angevine. Le mérite qu’avait ce lieu par rapport aux bars et discothèques des grandes villes comme Paris, c’est que l’absence de choix permettait une plus grande mixité, un brassage nécessaire, presque spontané. Et c’est incroyable comme en l’espace de 6 mois seulement, entre janvier et juin 2002, j’ai pu voir le public de cet établissement gay friendly mixte d’habitude majoritairement fréquenté par les garçons (alors que les deux propriétaires étaient des femmes) subitement changer de clientèle. Comme descendues du ciel, les sirènes lesbiennes ont débarqué en masse au Cargo. Leur présence ne me dérangeait absolument pas (sauf, bien sûr, quand je me faisais bousculer pour une Marie-Jo en puissance qui n’avait que mépris pour la gente masculine « machiste » ou trop « folle » que je représentais, ou bien quand la programmation musicale « s’hétérosexualisait » dangereusement en parodie de fête beauf « de mecs »…) : au contraire, je trouvais qu’une ambiance vraiment mixte adoucissait bien souvent les esprits, rendait les rituels de la drague masculine un peu moins brutaux et consuméristes qu’à l’ordinaire, et favorisait les amitiés désintéressées. Mais j’avoue que là, la révolution a été un peu brutale. En seulement quelques mois, nous avons tous assisté d’abord à l’apparition-éclair d’une communauté lesbienne jusque-là invisible et très minoritaire, puis à la phase de compartimentation du supermarché homosexuel en sous-sous-parties de communauté (les trans, les bear, les bis, les folles, les seniors, les fem, les butch, les internautes, les hors-milieu, etc.), et ensuite, ô paradoxe, à la disparition de cette même communauté lesbienne qui, à peine installée, a vite plié bagage pour chercher d’autres horizons plus « radicalement féminins ». Chacun rentrait chez soi et fermait la porte, alors même que la fête n’avait pas commencé. J’apprenais qu’il y avait « des soirées 100 % filles » d’un côté, des « week-end bords de mer 100 % mecs » de l’autre, bref, que les sexes ne voulaient plus se rencontrer. En cette année de grâce 2002, les retrouvailles avec les femmes lesbiennes auront été de courte durée. Que s’est-il donc passé ? La communauté lesbienne est-elle une peuplade-fantôme, une étoile filante, un simple rêve ? On y croirait presque. On serait tentés de se demander s’il y a plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes. Quand je faisais moi-même ce constat ou que je l’entendais de la bouche de certains de mes amis gay, je me contentais de relever sans chercher à trouver une réponse. Je me disais qu’« invisibilité » ne rimait pas systématiquement avec « inexistence », mais plutôt avec « censure », « mépris machiste », « misogynie ancestrale », ou « ignorance personnelle ». Ce n’est qu’en restant plusieurs années dans le « milieu homosexuel » et en me penchant sur la communauté homosexuelle féminine (quand celle-ci me faisait bon accueil et me laissait rentrer… ce qui n’a pas toujours été le cas) que j’ai compris que cette invisibilité n’était ni totalement surnaturelle, ni le fruit d’un choc culturel proprement personnel et non-universalisable.

 

 

Certes, le militantisme homosexuel des années 1960-1970 est clairement né des mouvements féministes (et pas systématiquement lesbiens, d’ailleurs). Certes, les progrès concernant la visibilité des femmes lesbiennes sont sensibles et encourageants, du moins sur le papier : on remarque aujourd’hui que les femmes lesbiennes sont moins isolées dans les associations homosexuelles qu’il y a 10 ans ; on voit surgir peu à peu des présidentes d’associations homosexuelles (Le Mag, ou le Centre LGBT de Paris, par exemple), des professeures universitaires au rang des Queer and Gender Studies nord-américaines, des « soirées filles » en boîtes, des speed-dating exclusivement féminins, des librairies spécialisées dans la production littéraire lesbienne et/ou féministe, des sites de rencontres Internet rien que pour les femmes, des revues « spéciales filles », des bars réservés à une clientèle lesbienne, des festivals de cinéma lesbien (ex : Cineffable en France), des chars 100 % lesbiens aux Marches des Fiertés, des films pornos spécifiquement lesbiens, des émissions de télé sur l’homosexualité féminine, des événements mondiaux réservés aux femmes lesbiennes (le Dinah Shore aux États-Unis), etc..

 

 

Mais cependant, on est encore loin de voir les femmes lesbiennes occuper les premières places de la communauté homosexuelle, tant au niveau du nombre que de l’importance des charges qui leur sont confiées. On entend certaines d’entre elles s’en plaindre, parfois ouvertement (rien que le titre choisi par la comédienne Océane Rose-Marie pour sa pièce La Lesbienne invisible – un one-woman-show qui cartonne en ce moment à Paris – suffit à l’illustrer) ; mais le plus souvent, cette plainte est silencieuse et se règle mal, c’est-à-dire par l’isolement et la rupture avec la communauté homosexuelle masculine. Est-ce une conséquence d’un mauvais accueil ou d’un refus délibéré de ne pas se mélanger ? Sûrement les deux, on n’aura jamais la réponse. Force est de reconnaître qu’en règle générale les réseaux relationnels lesbiens ne brillent pas par leur chaleur et leur ouverture aux membres du sexe qui les ont/auraient violées (Pour vous donner un bref exemple, alors que je voulais participer au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris, le Cineffable, au Théâtre du Trianon, en novembre 2007, j’ai été refoulé à l’entrée par un groupe de sept femmes lesbiennes du simple fait d’« être un homme » et qu’elles ne se voyaient pas « supporter la présence d’un seul homme dans la salle ». J’ai à peine pu me défendre que ce qui au départ était sorti en boutade de leur bouche a fini par devenir un ordre…). Après, ce qui est sûr, c’est que dans les faits, dans le « milieu homosexuel », la communauté lesbienne fait beaucoup moins le poids que son pendant masculin, et ce, depuis la naissance du communautarisme homosexuel. Les premiers bars homosexuels du début du XXème, les cabarets, et les thés dansants, réunissaient toujours une majorité de garçons. Les femmes ne se retrouvaient que dans des sphères sociales plus réduites (les salons lesbiens, les cercles intellectuels, les élites artistiques bourgeoises…). Aujourd’hui, c’est la même chanson : le monde lesbien est circonscrit aux groupes amicaux, aux réseaux relationnels privés, à des milieux extrêmement minoritaires (milieu sportif entre autres, mais aussi associatifs, féministes, musicaux). D’autre part, quand on pense aux chefs de file de la communauté homosexuelle, on cite d’emblée des hommes (Oscar Wilde, Marcel Proust, André Gide, Jean Genet, Jean Cocteau, … Steevy Boulay). Qui, à part les connaisseurs, ferait d’abord mémoire des femmes et évoquerait en premier lieu Sappho, Natalie Clifford Barney, Virginia Woolf, Radclyffe Hall, Colette, Monique Wittig, K.D. Lang, ou Lady Gaga ? Très peu de monde. Les femmes lesbiennes passent très souvent au second plan. Rien qu’en France, actuellement, la revue Têtu se vend plus que les quelques magazines lesbiens proposés (Lesbia Magazine, La Dizième Muse, Têtue, etc.), même si ces derniers ont le mérite d’exister. Les films pornos lesbiens ne soulèvent pas l’enthousiasme de la communauté lesbienne, alors qu’ils sont célébrés en masse par beaucoup d’hommes homosexuels. Quand on se balade dans le quartier du Marais à Paris, on voit une majorité d’hommes. Très peu de femmes. Il n’y a pas d’équivalents lesbiens aux bars gay l’Open ou le Cox (les femmes voudraient faire pareil qu’elles ne pourraient pas y prétendre : les établissements lesbiens comme le « feu » Troisième Lieu ou la Baby Doll ne font pas pitié, loin de là, mais ne rivalisent pas avec les bars masculins du Marais). Par ailleurs, ce n’est pas demain la veille qu’on verra une chaîne lesbienne voir le jour. Déjà que Pink TV s’essouffle, alors qu’elle est prioritairement destinée à un public gay… Et si on regarde du côté du cinéma, c’est le même constat : les films grand public lesbiens (y compris « La Rumeur », « Sex Revelations », « Boys don’t cry », « Gazon maudit », « La Vie d’Adèle »…) n’atteindront jamais la popularité d’un film comme « Le Secret de Brokeback Mountain » ou « Pédale douce », le rayonnement d’un téléfilm comme « Juste une question d’amour ». À tort ou à raison ? Là n’est pas la question. C’est une réalité, tout simplement. J’imagine mal qu’une pièce comme La Cage aux Folles, traitant de l’homosexualité masculine, retrouve un aussi grand succès dans une version lesbienne. Autant ne pas y penser ! L’homosexualité masculine est plus flamboyante, visible, risible, décapante, populaire, conviviale, transgressive, que l’homosexualité lesbienne. L’homosexualité féminine est une orientation caméléon, qui se fond dans la masse d’une société machiste et androgyne où la différence des sexes est diluée dans un « Sans contrefaçon, je suis un garçon » généralisé. Le look garçon manqué, signe d’une uniformisation et d’une asexualisation sociale, choque beaucoup moins que l’efféminement sur un corps de garçon. On associera plus facilement les gestes de tendresse entre femmes à l’amitié qu’à l’amour. On acceptera que deux copines se tiennent par la main dans la rue, alors que chez des garçons, cela paraît presque automatiquement suspect (sauf dans le Maghreb… encore que…). L’homosexualité masculine est plus dure à porter quelque part, car elle est plus discutée/discutable, plus évidente d’être paradoxalement perçue comme surnaturelle, jugée plus violente du coup : il est donc logique que, une fois assumée, et à partir du moment où l’opinion publique s’est laissée convaincre par les media qu’elle s’appelait « amour », elle soit davantage plébiscitée et qu’elle cueille les fruits médiatiques de son exceptionnalité. L’homosexualité masculine paraît plus consistante, plus imitable d’être jugée inimitable et incompréhensible par notre société. L’homosexualité féminine, au contraire, est plus insignifiante, plus vulgarisée, plus fragile. On la prend moins au sérieux. D’où l’hypothèse que le manque de visibilité saphique soit le signe que l’homosexualité est un désir qui concerne davantage les hommes que les femmes. Les femmes qui parlent de leur désir homosexuel ne sont d’ailleurs pas souvent crues : on pense qu’elles ne sont pas « vraiment lesbiennes », que leur homosexualité est juste une passade, une mauvaise passe. L’homme étant jugé plus « actif » pendant l’acte sexuel que la femme (et il est certain que pendant le coït sexuel, il le soit : c’est lui qui pénètre, non lui qui est pénétré), et la femme plus encline à simuler, on donne à l’homme un plus grand taux d’homosexualité. Le lesbianisme passe pour un entêtement voulu : le retour « à la normale » (comprendre « l’hétérosexualité ») est envisageable ; on accrédite finalement beaucoup plus ces pauvres « cas désespérés de la sexualité » que seraient les hommes gay, ces êtres vivant une orientation sexuelle imposée, que les femmes lesbiennes. Au final, dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, la défense de l’homosexualité féminine équivaut à un soutien de la bisexualité plus que de l’homosexualité[1]. En revanche, on interdira beaucoup plus aux hommes le statut de « bisexuels ». C’est la différence entre le lesbianisme (qui serait un comportement, comme la bisexualité) et l’homosexualité masculine (qui serait un désir et une identité indélébiles).

 

 

L’homosexualité féminine, une fois banalisée sur les écrans (voire décrédibilisée et « beaufisée » : dès le départ elle a été stigmatisée comme une sexualité-rince l’œil pour hétéros vicelards dans les films pornos, ou réduite à un harem, à un foyer de prostitution…), a perdu sa valeur de modèle d’amour possible et beau. On l’a décrédibilisée assez vite. En revanche, l’amour gay, présenté pourtant comme un « amour par défaut », a finalement tiré bien davantage son épingle du jeu : il est impossible… donc finalement rendu plus possible que l’amour lesbien. Plus c’est gros, plus ça passe ! Nos sociétés des contes de fées modernes asexualisants se mettent à défendre comme des évidences ce qu’elles ne cherchent pas à comprendre. Il est plus facile pour elles de soutenir un couple gay qu’elles ne comprennent pas qu’un couple lesbien qu’elles peuvent davantage analyser comme l’effet d’un peur de la sexualité, comme un phénomène « curable » et passager. L’homosexualité féminine nous est présentée comme une maladie chronique ; l’homosexualité masculine, comme un handicap de naissance. C’est là toute la différence ! L’amour homosexuel apparaît comme plus pur que l’amour lesbien : les femmes lesbiennes ont davantage de chances d’avoir un passé dit « hétéro » et de « pactiser » avec le monde hétéro que les hommes gay, qui n’ont très souvent pas de passé « hétéro ».

 

 

Ce n’est pas évidemment pas en termes naturalistes (et donc sexistes), ni en termes d’« activités génitales » (actif/passif), qu’il faut, à mon avis, envisager la différence entre homosexualité masculine et homosexualité féminine, même si « différence » il y a. C’est au niveau de la nature du désir homosexuel que tout se joue.

 
 

Le désir homosexuel masculin a-t-il devancé le désir homosexuel lesbien ?

 

S’il n’y a pas d’essence éternelle masculine ou féminine (et encore moins gay ou lesbienne), le désir homosexuel est ressenti autant par des hommes que par des femmes, c’est indéniable. Mais je crois qu’il concerne davantage les hommes car c’est un désir machiste, qui s’attaque à la force masculine des hommes réels pour mettre en avant une sur-féminité violente niant les limites et les faiblesses humaines.

 

Le désir hétérosexuel, un désir misogyne et machiste, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend aux femmes réelles. Quant au désir homosexuel, un désir tout aussi misogyne et machiste que le désir hétérosexuel, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend majoritairement aux hommes réels. Il est donc logique que ce soit les hommes qui se sentent en priorité homosexuels par rapport aux femmes. Nous nous trouvons dans une société qui combat le père par un culte de la mère-objet maternante niant la mort et les fragilités humaines : une mère machiste en somme, trop maternante pour ne pas être violente. On peut alors aisément comprendre que des pères de substitution, refusant la paternité biologique pour lui préférer une auto-paternité narcissique, soient par conséquent plus nombreux.

 

Le machisme – et le désir homosexuel est un désir machiste : un machisme inversé, où la femme avec un sexe d’homme est LE modèle social à imiter[2] – est un désir porté majoritairement par des hommes (… y compris des hommes honteux de leur masculinité !), même s’il n’est pas réservé qu’aux hommes bien entendu. Certains media nous incitent à nous identifier à un homme proche de Superman, asexué, tout puissant, sans limites, sans fragilité, sans corporéité, et nous poussent à reconnaître en la femme un ange naïf et dangereux, une femme phallique, féline, violée et violente, dotée d’un sexe masculin, et se vengeant d’une domination masculine présentée comme éternelle et historique. Or, s’il est vrai que beaucoup d’hommes font du mal aux femmes dans notre société, on fait très peu mention et mémoire du mal que de nombreuses femmes infligent aux hommes. Et cette injustice non-dénoncée finit par s’humaniser maladroitement, crier avec son sparadrap sur la bouche, se personnifier en l’homme homosexuel. Les personnes homosexuelles nées garçons sont la mémoire muette et inconsciente du viol des femmes (cinématographiques et réelles) et du viol opéré sur les hommes par des hommes machos et des femmes machistes refusant leurs soi-disant « faiblesses de femmes ».

 

Le désir homosexuel dit une crise de la masculinité et surtout une remise en cause de la force/fragilité des hommes. C’est la force masculine – une force fragile, douce – qui est depuis quelques décennies attaquée, caricaturée, et ridiculisée. On se retrouve dans une société de plus en plus couveuse, maternante, bien-intentionnée, agressivement compréhensive, qui refuse les limites, l’autorité, et les aspérités du Réel. Les nouvelles mères sont les futures femmes lesbiennes, des working girls indépendantes, « célibattantes », qui croient pouvoir se passer très bien des hommes pour « faire des enfants » et avoir du plaisir au lit.

 

Je vois une autre raison, plus essentialiste que constructionniste cette fois, expliquant que la nature du désir homosexuel s’agence davantage avec une manière particulièrement masculine de vivre ses désirs et de gérer sa sexualité. À mon avis, le désir homosexuel oriente les individus vers une sexualité plus compulsive, instinctive, parcellaire, dispersée, éphémère… Il cadre donc mieux avec la sexualité hygiénique, mécanique, pulsionnelle, moins sentimentalisée et cérébrale, des hommes. En matière de sexualité, les femmes sont moins gourmandes sur l’instant, moins titillées par leurs désirs sexuels immédiats (ce qui ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas, en matière de génitalité, se comporter en vampires nymphomanes sur la durée… parfois plus que bien des hommes !). Elles sont plus globales dans leur manière d’appréhender la sexualité. Les femmes fréquentant les sex-shops sont une espèce extrêmement rare. Ce sont les hommes qui, depuis la nuit des temps, ont eu besoin d’aller au bordel pour se défouler. Il est donc compréhensible que cette différence entre les sexes se transpose dans le « milieu homosexuel » : qui se rencontre dans les pissotières, les lieux de drague, les bars, les saunas, les backrooms ? Certainement pas les femmes lesbiennes. Il y a bien eu des essais d’introduction de backrooms dans les établissements lesbiens : cela a été un bide monumental, une grosse blague ; on s’est forcé récemment à faire des films pornos lesbiens, par souci d’équité et d’égalité-uniformité des sexes, mais cela ne correspond pas concrètement à un besoin féminin répandu. Les hommes restent les hommes, qu’ils soient homosexuels ou non. Et comme le « milieu homosexuel » assume plus un rôle de défouloir sexuel que de cadre pour un engagement d’amour durable, il n’est pas étonnant qu’il attire davantage les hommes que les femmes. Et qu’il y ait donc plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes.

 
 

Une cohabitation difficile

 

 

 

Pour camoufler leur machisme et leur misogynie, beaucoup de femmes lesbiennes et d’hommes gay font diversion en cultivant entre eux une pseudo égalité (de nombre, de droits, d’identités, de capacités, d’amour…) et une amitié artificielle censée prouvée à la face du monde qu’ils sont tous deux absolument capables d’intégrer avec succès la différence des sexes au sein de leurs relations interpersonnelles. Dans le « milieu homo », cette contrefaçon porte le doux nom de « mixité » (sa jumelle « parité » est partie faire de la politique…). S’il pouvait y avoir une légende derrière ce mot, on lirait ce genre de discours : « Je t’aime tant que je ne crains rien de toi. Je m’approche de l’autre sexe à condition qu’il ne me demande pas de me donner entièrement à lui ». Selon cette logique, l’autre est considéré comme un parfait « collègue ». « Pour moi, les hommes, ce sont des camarades et je suis leur égale » entendons-nous de la part de certaines femmes lesbiennes[3].

 

La mixité au sein de la communauté homosexuelle est malheureusement plus un beau principe bien intentionné qu’une pratique. Je le constate quand, par exemple, je vois qu’au fil des années, les bars mixtes se transforment en établissements uniquement lesbiens ou strictement gay dans les petites villes de province. Même à San Francisco (États-Unis), le « Centre du monde homosexuel », les personnes lesbiennes et gay ne se côtoient pas vraiment : il y a d’un côté le quartier de Castro (pour les garçons) et de l’autre le quartier de Mission (pour les filles). Au fond, il n’existe pas vraiment de ville homosexuelle. Actuellement, le processus de séparation entre les femmes lesbiennes et les hommes gay est tellement avancé que la plupart des femmes lesbiennes voyant un homme gay lire des ouvrages sur le lesbianisme le regardent avec des yeux ronds, comme s’il n’était pas logique qu’il puisse s’intéresser à « leur » culture à elles.

 

Autre exemple parlant : la durée de vie des associations mixtes homosexuelles est particulièrement réduite[4]. Ceci est expliqué notamment par le fait que le dénominateur commun de la communauté homosexuelle soit l’orientation sexuelle : les hommes gay y viennent parce qu’ils sont attirés par les hommes ; les femmes lesbiennes par les femmes. Il est donc forcé qu’un jour ou l’autre, la scission femme/homme se fasse.

 

Nous pourrions nous dire que les hommes gay et les femmes lesbiennes ont peu de chances de se retrouver esthétiquement et éthiquement, d’autant plus que dans leur système de pensée, leurs affinités relationnelles obéissent d’abord à leurs goûts et préférences sexuelles. Les femmes lesbiennes ont souvent pour idéal d’identification esthétique ce que les hommes gay prétendent détester : l’homme macho. Et inversement, les hommes gay ont un goût spécial pour les femmes-objets très féminines, que les femmes lesbiennes refusent d’être et rejettent violemment. Beaucoup de femmes lesbiennes adorent les sports collectifs, les travaux manuels réservés aux hommes… tout ce que les garçons gay haïssent !

 

Cependant, les hommes homosexuels ont un rapport ambigu avec les femmes lesbiennes, car ces dernières sont la transposition dans la réalité concrète de la femme forte et guerrière que tous deux convoitent (la seule différence, c’est que les femmes lesbiennes vont s’y identifier et la désirer sexuellement, alors que les hommes gay se contenteront simplement de s’y identifier). Ils aiment esthétiquement l’icône que les femmes lesbiennes ont voulu imiter, mais pas son actualisation homosexuelle, celle-ci les dégoûtant plus qu’autre chose. Le libertin garde pour la « femme plus que femme » un intérêt méprisant, tout comme la libertine voue à Don Juan et à la gent masculine qu’il représente une haine viscérale maquillée généralement en indifférence.

 

 

Même si certaines femmes lesbiennes se targuent d’être plus « sérieuses et sentimentales » en amour que les hommes (je ne sais pas d’où elles tirent un conte pareil… Peut-être parce qu’elles considèrent la pénétration vaginale par le pénis « mâle » comme l’unique MAL possible pendant un coït), elles sont tout aussi dures, infidèles, mufles, entre elles, que le seraient deux hommes entre eux. Il n’est pas rare que leur relation s’oriente vers le sadomasochisme[5]. Et les rituels de la drague saphique ne manquent pas de cruauté bien souvent. Je ne crois absolument pas que les femmes lesbiennes soient « plus douces » et « matures » dans leur(s) couple(s) homosexuel(s) et leur sexualité que les hommes gay du simple fait d’être femmes… même si, pour leur défense, j’ai quand même remarqué que les femmes lesbiennes avaient une conscience associative ou de l’engagement conjugal durable plus forte que les hommes gays « en général »… ce qui ne m’empêche pas de considérer qu’au-delà de la différence femme/homme, c’est le désir homosexuel, l’irrespect de la différence des sexes, et l’univers uniformisant des ressemblances, qui sont facteurs de violence. Qu’on soit né homme ou qu’on soit né femme.

 

Les femmes lesbiennes se plaignent très souvent du manque de mixité dans les associations. Pourtant, elles font autant bande à part que leurs homologues masculins. Minorité dans la minorité, elles jouent de leur double statut d’exclues (en tant que femmes et en tant que lesbiennes) pour s’isoler encore plus des hommes gay. Beaucoup d’entre elles n’ont aucune sympathie pour les « folles », ni pour les hommes que les personnes gay représentent, tout comme de nombreux hommes gay méprisent les femmes lesbiennes. Certains ne gardent de la femme lesbienne que l’image d’une camionneuse antipathique qui ne leur adresse pas la parole quand elle débarque dans leur groupe d’amis, et qui ne fait la bise qu’aux filles… (authentique !)

 

Heureusement, femmes lesbiennes et hommes gay ont en commun leur humanité, ce qui leur permet parfois de tisser de vrais liens d’amitié. Mais n’idéalisons pas le tableau. Beaucoup d’hommes gay ont l’impression désagréable que leurs relations avec les femmes lesbiennes ne se construisent que par intérêt, et réciproquement pour les femmes lesbiennes. Cela s’explique assez bien : l’attirance amicale qu’aurait créée l’attraction sexuelle n’est plus là. On se rend vite compte qu’entre femmes lesbiennes et hommes gay, ce manque de complémentarité symbolique des désirs sexuels influe même dans la qualité des relations simplement amicales. Chacune des parties a l’impression de passer bien après la recherche d’amant(e)s de l’autre, et de servir de « bouche-trou » lors des soirées. Pour le coup, la déférence gay envers les femmes lesbiennes vire souvent à une parodie de galanterie ou de copinage, qui indique parfois l’existence des braises d’un incendie qui ne demande qu’à s’étendre. Il n’est pas étonnant de voir que le binôme « amical » que forment l’homme gay et la femme lesbienne est très souvent totalitaire ou sado-maso – donc hétérosexuel – dans les fictions et parfois dans la réalité concrète[6]. La femme lesbienne et l’homme homosexuel simulent l’harmonie parfaite. En réalité, ils ne font que différer le moment de leur affrontement réel. Tant que leurs conquêtes pour les « droits sociaux des homos » ne cesseront de s’accumuler, ils joueront la comédie de l’amitié. Une fois qu’ils n’auront plus besoin l’un de l’autre et qu’ils auront souri ensemble pour la photo, ils risquent de se jeter/s’anéantir mutuellement s’ils ne travaillent pas ensemble à démasquer les ambiguïtés violentes de leur désir homosexuel.

 

Le paradoxe, c’est que tandis que les hommes gay rejètent les femmes lesbiennes, ils les attendent. La présence de celles-ci leur fait un bien fou. Il suffit qu’il y ait une seule femme lesbienne dans leurs rencontres majoritairement masculines pour qu’ils soient plus respectueux entre eux et qu’ils se tiennent mieux. Les femmes manquent véritablement aux hommes gay. Ils ne l’avouent pas souvent car leur désir le plus profond est encore trop encombré de fantasmes en tout genre pour qu’ils s’autorisent à en parler. Les femmes lesbiennes, quant à elles, expriment aussi le besoin d’avoir une bande d’amis garçons, même si elles soupirent à chaque fois qu’elles voient arriver les groupes de « mâles » dans « leurs » bars. En réalité, la désertion progressive des femmes lesbiennes dans le « milieu gay », ainsi que la séparation toujours plus marquée des sexes, sont peu profitables à l’ensemble des personnes homosexuelles… mais nous y tendons malheureusement, puisque de plus en plus, nous constatons un phénomène de compartimentation des minorités au sein même de la communauté homosexuelle. Le « narcissisme des petites différences » suit sa route… Qui l’arrêtera ?

 


 

[1] D’ailleurs, les hommes homosexuels cultivent aussi l’amalgame quand ils sortent la blague qu’ils pourraient devenir « lesbiennes » quand ils s’imaginent un jour virer de bord et sortir avec une femme.

[2] Je le décris justement dans mon essai Homosexualité intime, à la page 151, comme « un machisme peinturluré de rose ».

[3] Une femme lesbienne dans l’émission « La Vie à Vif » (1982), dans La Nuit gay sur Canal +, le 23 juin 1995.

[4] La seule exception où j’ai vu un mélange femmes lesbiennes/hommes gay réussi, c’est l’association chrétienne David et Jonathan. DJ est d’ailleurs l’association homosexuelle la plus durable de France : si sa couleur religieuse peut attirer les suspicions, elle devrait au moins forcer le respect pour sa longévité et l’ouverture à la différence des sexes qu’elle propose depuis 30 ans.

[5] Les Maudites Femelles, par exemple, est une association lesbienne SM existante en France.

[6] N.B. : Voir également le code « duo totalitaire lesbienne/gay » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.