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La censure lesbienne par le prétexte de la différence entre homosexualité masculine et l’homosexualité féminine

Beaucoup de femmes lesbiennes (ou leurs défenseurs) se servent de la différence des sexes pour n’attribuer les caractéristiques universelles du désir homosexuel qu’aux hommes homosexuels, et pour ne pas se sentir concernées par les discours sur l’homosexualité. On les entend dire par exemple que l’homosexualité féminine n’a absolument rien à voir avec l’homosexualité masculine, et que, pour le coup, tout propos analysant le désir homosexuel est nécessairement « trop généraliste », « machiste », « misogyne », « excessif ». Je m’oppose bien évidemment à leur lecture sexiste et dénégatrice des faits. Car, même si le désir homosexuel se vit différemment selon les sexes, il n’en reste pas moins qu’il est violent et divisant du côté gay comme du côté lesbien. La différence des sexes n’agit que dans un second temps, dans la phase de réception et d’actualisation du désir homosexuel… et là, en effet, au sujet de la gestion, il y a quelques différences entre l’homosexualité masculine et le lesbianisme, mais qui restent très secondaires par rapport aux grandes lignes générales qu’on peut relever du désir homosexuel (Non, les femmes lesbiennes ne sont pas nécessairement plus douces, plus sentimentales, plus fidèles, que les hommes gay : celles qui le croient, en général, nous démontrent par leurs actes tout le contraire!). Nos amies lesbiennes sont tout sauf douces entre elles, non du fait d’être femmes, ni du fait d’être lesbiennes, mais du fait d’être ensemble en couple homo ! C’est bien la conjugalité homosexuelle, donc l’acte, qu’il faut pointer du doigt; pas la personne homosexuelle ni son homosexualité. Si l’on s’en tient à l’analyse du désir homosexuel en lui-même, il y a très peu de différences entre les hommes et les femmes homosexuels. L’homosexualité masculine et l’homosexualité féminine se font miroir, parfois dans les extrêmes. Et c’est quelqu’un comme moi, qui étudie davantage l’homosexualité féminine que l’homosexualité masculine, qui peut vous l’assurer. La violence du rejet de la différence des sexes (celle-ci étant par définition LE socle du Réel), les effets rassurants mais aussi pervers de la recherche de ressemblance, le manque d’espace dans la relation, tout cela s’observe sans exception dans les couples homosexuels, tous sexes confondus. Une grande majorité de femmes lesbiennes, par sexisme et misandrie inconscientes, préfèrent focaliser l’attention sur la différence femme/homme pour ne pas avoir à réfléchir sur le sens profond du désir homosexuel et sur la portée des actes que celui-ci leur fait accomplir quand elles s’y soumettent. Mais n’oublions pas que celles qui s’appuient subitement, dans leur argumentaire, sur la différence des sexes pour montrer patte blanche, sont celles qui l’ont tout autant préalablement exclue de leur couple que les hommes !

Misandrie lesbienne… ou pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes

La Misandrie lesbienne… ou Pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ?

 

 

Misandrie, c’est quoi ce machin ?

 

Dans la série des dossiers qui fâchent et qui deviennent tabous à force d’être relégués au rang de « clichés faciles », je vous propose celui de la misandrie chez les femmes lesbiennes. Tiens tiens… « misandrie »… voilà un mot qui, bizarrement, n’existe toujours pas dans nos dictionnaires, contrairement à « misogynie »… car, si vous l’ignoriez, la méchanceté, dans notre société, n’irait que dans un sens : des hommes vers les femmes ; jamais l’inverse ! Les femmes ne seraient que des victimes pures et innocentes de l’ignoble gent masculine ! Les hommes, étant rangés du côté du « Sexe Fort », n’auraient pas le droit d’être faibles, de déroger au diktat de la toute-puissance et de la force physique du Superman. Ils ne pourraient pas être victimes de viol ! À l’inverse, les femmes seraient des modèles de douceur, de compréhension, d’intuition, d’amour (amour autosuffisant et conjugué au singulier, dans une monogamie satisfaite d’elle-même, bien entendu), les reines des sentiments… et finalement les reines des victimes. Le problème majeur actuellement se situe dans le fait qu’on ne relationnalise plus la violence, qu’on n’en fait plus un problème et un combat collectif, mais qu’on la personnifie en des êtres-épouvantails masculins qui finissent par être (pris pour) les hommes réels. Nos contemporains nous encouragent à manichéïser nos maux, à tracer un ligne blanche bien nette entre les éternelles victimes et les sempiternels bourreaux, entre la population née femme et la population née homme, sans comprendre que si les femmes sont de plus en plus violentées aujourd’hui, c’est bien parce qu’à la base les hommes aussi sont de plus en plus violentés et méprisés, par eux-mêmes déjà, mais également par leurs compagnes. Ces femmes qui considèrent qu’elles ont une revanche à prendre sur des prétendus siècles de domination patriarcale. Ces femmes qui font chaque fois davantage comprendre aux hommes qu’elles n’ont plus besoin d’eux pour jouir, penser, être équilibrées, vivre, être libres. Ces femmes qui, par des anachronismes grossiers et un mépris caché d’elles-mêmes (auto-mépris souvent inconscient car il passe par une haine des femmes du passé que les femmes contemporaines transforment en jumelles dans la victimisation, ou, dans le même mouvement, en rivales ignares à ne surtout pas imiter), incitent les hommes à perdre leur douceur et leur patience à leur égard. Le résultat, quel est-il ? De plus en plus, on voit les hommes caricaturés en beaufs et en gros bébés immatures, en violeurs, en Don Juan minables et irresponsables. Les nobles et courtois défenseurs des dames sont soit homosexualisés, soit singés en brutes épaisses et agressives. Et ne croyez pas que cette caricature ne blesse pas les hommes véritables, ceux qui sont forts et doux à la fois, ceux qui ne sont ni faibles ni violents ! C’est bien parce qu’elle a des effets dévastateurs sur eux qu’on constate dans les œuvres contemporaines et sur nos écrans un nombre croissant d’hommes en pleurs, humiliés, battus, voire assassinés par des femmes. Tout au long de son essai XY, Élisabeth Badinter recense dans les œuvres littéraires du XIXe siècle toutes les fois où on voit des hommes et des héros masculins pleurer. La recrudescence de la figure de l’homme moderne qui pleure parce qu’on l’émascule est très symptomatique de cette destruction symbolique, et parfois réelle, qui est en train de se produire à notre époque… et qui fabrique justement des talibans, des extrémistes blessés dans leur virilité, des futurs despotes, des petits machos « caillera », des adolescents-soldats. Par ailleurs, on observe dans la réalité de plus en plus de violences à l’encontre des pères de famille (peu protégés par la loi en cas de divorce), et on comptabilise une recrudescence des suicides de ces mêmes pères. La maltraitance opérée sur les hommes télévisuels sert d’exemple à beaucoup de femmes qui, dans des contextes très particuliers de conflits entre les sexes (divorce, rupture amoureuse, rivalité professionnelle, etc.), imitent les situations de vengeance que les médias ont orchestrées. Qu’on m’entende bien : Il n’y a aucune crise de la masculinité aujourd’hui (la masculinité n’étant qu’une affaire d’image(s) associée(s) à un certain sexe, qu’une simple question de genre, de mode, de culture ; pas de sexuation ni d’identité) : il n’y a qu’une crise identitaire de la part des femmes et des hommes qui aiment de moins en moins leur sexuation, et donc, par ricochet, leur relation à l’autre sexe. Le drame de notre époque, c’est que les femmes et les hommes ne veulent plus se rencontrer, et en sont de plus en plus fiers.

 

 

Du côté des femmes, cette fierté de la rupture d’avec les hommes a tendance à s’appeler « féminisme » ou « lesbianisme ». Alors bien sûr, de nombreuses femmes lesbiennes seront tentées de justifier la peur et parfois la haine des hommes chez certaines de leurs semblables en postulant que si ces dernières deviennent misandres, c’est en réaction à une violence première qui leur était extérieure et antérieure. Elles présenteront la misandrie comme une conséquence « logique », une stratégie de survie, une réponse méritée donc « presque justifiable », bref, comme une nécessité ; non comme une cause de la misogynie… ce qui est une absurdité puisqu’il se trouve que la misandrie n’est ni une cause ni une conséquence de la misogynie : elle n’est qu’une coïncidence, qu’un signe montrant une scission-uniformisation croissante, dramatique et inquiétante, entre les sexes, qui réclame au contraire un rapprochement et un renouement du dialogue entre les hommes et les femmes réels.

 

Les femmes lesbiennes qui finalement ne se gendarmeront pas quand je parle de misandrie à leur encontre seront celles qui ne se poseront pas en victimes des hommes, mais bien en amies ; celles qui sauront se regarder elles-mêmes sans systématiquement extérioriser la misandrie sur les hommes, ni la géméliser en parfait miroir d’une « misogynie des mâles » qui l’aurait précédée. Je les vois, ces nombreuses femmes lesbiennes pour qui les hommes gay ne sont en quelque sorte que de « simples collaborateurs », des « faux frères », des « demi-frères » (après un divorce inavoué : le divorce d’avec une différence des sexes respectée et bien vécue) : en tout cas pas des véritables amis. L’homosexualité constitue un bien fragile dénominateur commun. S’il n’y a pas, entre nos congénères lesbiennes et nous les hommes, un minimum de gratuité et d’amitié désintéressée, la misandrie pointe le bout de son nez.

 

Quatre exemples de misandrie lesbienne

 

Je commencerai ce Phil de l’Araignée par vous raconter quatre histoires véritables, dont trois qui me sont arrivées personnellement (au festival de cinéma LGBT « Chéries-Chéris » tout d’abord ; à l’Hôtel Millénium avec l’Autre Cercle ensuite ; et enfin au festival Cineffable de Paris), et une qui m’a été rapportée par un ami marseillais (et qui vaut son pesant d’or !). Elles indiquent l’existence d’une misandrie chez certaines femmes lesbiennes, misandrie que je tente d’expliquer mais qu’en aucun cas je ne veux justifier : si j’écris sur la misandrie, c’est justement en vue de lutter contre ce type de sectarismes, de dénoncer des mécanismes de peur qui sont souvent inconscients, rarement décortiqués, et de plus en plus banalisés par nos contemporains.

 
 
–       Festival « Chéries-Chéris » :
 

Je me trouvais le dimanche 14 novembre 2010 dernier au festival de cinéma LGBT parisien « Chéries-Chéris » au Forum des Images. Je ne sais pas ce qui m’a pris cette année d’aller voir prioritairement la programmation lesbienne (je me lesbianise, ça doit être ça ! ;-)). En règle générale, une infime part des garçons gay vont voir des films lesbiens. En bons consommateurs passifs, garçons comme filles homosexuels vont là où leurs goûts les orientent, c’est-à-dire chacun de leur côté (même si cela se vérifie moins chez les femmes lesbiennes, qui peuvent faire preuve d’une plus grande ouverture à l’égard des garçons). C’est aussi pour cette raison que je lis de plus de plus de romans lesbiens, que je me spécialise dans la culture lesbienne, que je vais voir autant de films traitant d’homosexualité masculine que de films sur l’homosexualité féminine, en y découvrant justement que dans les grandes lignes le désir homosexuel a les mêmes caractéristiques, qu’il soit ressenti par un homme ou par une femme, et quoi que puissent en dire ceux qui le particularisent et le compartimentent selon les genres, les sexes, les individus, les cultures, les orientations sexuelles, pour mieux lui tourner le dos.

 

 

J’ai donc assisté, lors du festival « Chéries, Chéris », à la projection d’une dizaine de courts-métrages lesbiens, majoritairement conçus par des réalisatrices lesbiennes. Mais un seul parmi eux faisait exception : c’était le film « Corps à corps ». Il rentrait bien dans la thématique lesbienne, mais son réalisateur, Julien Ralanto, présent à la projection, et s’étant rendu disponible également à la fin pour répondre aux éventuelles questions du public, a été affiché comme « un » hétéro gay friendly. Une fois la série des courts-métrages passée, l’idée d’un échange avec un réalisateur homme a visiblement fait peu d’émules, puisque la salle de cinéma s’est vidée de moitié. Malheureusement pour Julien Ralanto, ce n’est pas parce que certaines femmes lesbiennes n’ont pas bougé de leur siège qu’elles sont restées en amies pour autant ! Le débat n’aura pas dépassé plus de 10 minutes. Ralanto n’a eu droit qu’à deux pauvres interventions, qui n’étaient même pas des questions d’ailleurs, mais plutôt des réactions : d’abord une journaliste d’un magazine lesbien, qui lui a demandé de quel droit il se permettait, en tant qu’homme, de toucher au thème lesbien et de l’aborder dans un film (Qu’y connaît-il puisqu’il n’est pas lesbienne lui-même ? Ce n’est qu’un homme, qu’un étranger, qu’un sarrasin ! Seule l’espèce lesbienne et celles qui expérimentent le désir lesbien dans leur corps sont autorisées à parler de lesbianisme ! Dehors, les romanos !) ; ensuite, une femme lesbienne qui a critiqué le lien que le réalisateur a fait entre le viol et la révélation de l’homosexualité de son héroïne (un lien certes chronologique dans le film mais non-causalisé ; en revanche, cette spectatrice, en le causalisant – y compris dans le rejet – a prouvé que c’était bien elle et non Julien Ralanto qui faisait du lesbianisme une conséquence du viol). Visiblement, il ne faut plus rien associer de mauvais à l’homosexualité lesbienne ; il s’agit d’être POSITIF, de retirer tout ce qui est « négatisse » et qui pourrait ternir l’image cucul que la communauté des amazones veut maintenant imposer de ses amours. Alors que « Storm » (2009) de Joan Beveridge, un autre court-métrage nord-américain de la série des courts-métrages proposée à cette soirée « Chéries, Chéris » (un film soit dit en passant complètement bobo et abordant pourtant de sujets tout aussi graves que le viol : infidélité, matricide, inceste, pédophilie, meurtre…), a conquis et fait applaudir toute la salle parce qu’il s’achève sur une happy end qui conforte l’assemblée lesbienne dans ses rêves romantiques de midinette, « Corps à corps » en revanche a provoqué grimaces, bouderie, réactions de révolte, scandale, haine misandre, chez le public lesbien. Peut-être parce qu’il osait aborder l’homosexualité telle qu’elle est vraiment : comme une blessure qui ne définit par l’individu dans son entier, une blessure qui n’est ni banale ni souriante. Et quand on connaît, dans le vécu secret des femmes lesbiennes, la place importante qu’occupe le viol, ne serait-ce que fantasmatiquement, on trouve ces grognements encore plus de mauvaise foi. Je suis sorti de ce petit débat ahuri par la fermeture et la connerie de ces militantes lesbiennes qui n’aiment pas les hommes et qui ne l’avoueront jamais parce qu’elles enroberont leur misandrie sous des prétextes plus ou moins techniques (la mauvaise construction narrative du film, le jeu des acteurs, le choix de la musique, etc.). En fait, si Julien Ralanto avait été une femme, elles l’auraient accueilli tout autrement. Je n’ai rien pour le prouver, bien sûr… si ce n’est que, derrière les attaques faites au jeune réalisateur – qui a réussi à rester très courtois et qui a donné des bâtons pour se faire battre en se présentant d’office comme un réalisateur néophyte et ignorant tout de la « question homo », réclamant poliment les corrections et les éclairages des membres d’une communauté qui lui serait étrangère et inaccessible – on ne voyait rien de construit, et surtout on lisait un reproche injustifiable : comment peut-on rejeter une personne du simple fait qu’elle a un sexe opposé au nôtre, un sexe qu’elle n’a pas choisi ?

 
 
–       Conférence à l’Autre Cercle :
 

Autre exemple assez parlant de misandrie lesbienne. J’avais été invité le 8 juin 2010 à faire une conférence pour présenter mon livre devant l’association L’Autre Cercle[1], à l’Hôtel Millénium du Boulevard Haussmann à Paris, face à 80 personnes attablées. La veille de mon intervention, déception : on m’a demandé… que dis-je, ordonné !, de changer complètement mon topo. Je ne pouvais plus parler de mon livre, mais devais obligatoirement traiter d’un seul thème (qui ne constitue pourtant qu’une sous-sous-partie de mon essai) : la mixité gay/lesbienne dans la communauté homo. Apparemment, la publicité de la soirée aurait été faite exclusivement sous cet intitulé, et une délégation de femmes lesbiennes se déplacerait exprès pour entendre parler de ce sujet ! Il ne fallait surtout pas les décevoir. J’ai donc modifié à la dernière minute mon texte.

 

 

En débarquant dans cette soirée huppée, je ne connaissais quasiment personne. Je me suis donc mis à discuter avec le groupe de femmes qui se trouvait déjà sur place et qui était le plus proche de moi. Pendant que je faisais connaissance, une femme quinquagénaire très dynamique a déboulé en trombe dans le groupe pour saluer chacune de ses camarades. Arrivée à moi, elle a refusé de m’embrasser, en me disant qu’« elle ne faisait la bise qu’aux femmes ». N’était-ce qu’une boutade ? Il faut croire que non puisqu’elle m’a quand même bien zappé au final. La « Soirée Mixité » démarrait fort ! Cela dit, à table, je me suis retrouvé avec des voisins adorables et accueillants. Nous avons eu droit, pendant l’entrée et le plat de résistance, à un topo de 15 minutes sur « l’homophobie intériorisée », animé par trois « psys gay » (c’est ainsi que se nomme leur association. On ne rigole pas, svp…), un exposé qui a été ovationné à la fin et gratifié de commentaires émus de la part de certaines personnes de l’assistance… euphorie émotionnelle qui restera pour moi un mystère encore aujourd’hui, puisqu’on nous a servi la souplette habituelle : à savoir que « les » homos sont tous des victimes, encore et toujours, y compris des victimes d’eux-mêmes et de leur propre homophobie intériorisée, surtout quand ils refusent de reconnaître LES Vérités « fondamentales » que seraient leur identité homo et leurs amours « particulières ». Trop profonde, la remise en question personnelle… menée jusqu’au bout, en plus… trop émouvante… bravo…

 

Moi, je devais passer pendant le fromage et le dessert ;-). Le chef de cérémonie m’a annoncé au micro et m’a invité à prendre place devant tout le monde. Je savais que ce que j’avais prévu de dire ne tiendrait jamais en un quart d’heure : j’ai donc suivi mes notes de loin. Pour commencer mon exposé, j’ai fait preuve d’une audace provocatrice qui a été tellement conviviale que certains convives ont cru que l’incident avait été scénarisé d’avance. En effet, en prenant le micro, j’ai d’abord raconté à l’assistance ce qui s’était passé avec Florence en début de soirée (car c’était bien comme cela qu’elle s’appelait, cette femme qui avait refusé de me faire la bise, uniquement parce que j’étais un homme… ; je m’étais préalablement informé sur son prénom, pour la surprendre et la faire venir sur le devant de la scène) et publiquement, j’ai prévenu que je ne commencerai mon topo qu’à la condition que Florence vienne me faire la bise qu’elle me devait, cette bise qui illustrait à elle seule que la mixité prônée par l’Autre Cercle était loin d’être une réalité ! Son bisou serait l’enterrement de la hache de guerre, et le signe public que j’étais un véritable ami d’une mixité gay/lesbienne encore peu évidente vu l’accueil qui m’avait été réservé. Florence, folle de joie, a joué le jeu. Elle est venue toute contente et sautillante me faire la bise comme on vient accomplir son gage. Ma demande a dû la surprendre. Mais juste après avoir réparé son acte misandre par une bise, voilà qu’elle en a reposé inconsciemment un autre, cette fois sur un mode fusionnel : elle m’a pour le coup forcé à lui faire un bisou sur la bouche pour succéder à la bise qu’elle jugeait certainement trop sage et chaste (comme quoi, il n’y a pas d’âge pour se comporter comme un ado… Les personnes homos ne maintiendront-elles qu’un rapport idolâtre d’attraction/répulsion, de rupture/fusion avec les membres du sexe « opposé » ?). Me sachant attendu au virage par un public intrigué de cette drôle de réconciliation inter-sexes, je n’ai pas voulu jouer au garçonnet pudibond ni ai eu le temps de refuser ses lèvres : je lui ai rendu poliment son « piou ». Et la conférence a pu commencé.

 

À peine ai-je pris la parole que déjà, je voyais qu’un groupe de femmes dans le fond de la salle s’agitait, soupirait, trépignait sur place, râlait dès que je faisais une référence culturelle lesbienne. Bref, c’était évident : ma seule présence masculine les exaspérait. Elles n’écoutaient pas ce que je disais. J’aurais pu raconter n’importe quoi : elles voyaient un homme face à elles, qui plus est un homme qui parlait d’elles, femmes lesbiennes, … et cela leur était tout simplement insupportable ! Un jeune, de surcroît… (jeune = qui ne connaît rien de la vie) ! Et puis qui parle des personnes homosexuelles du passé en plus… (Il faut qu’il réactualise ses fiches ! Quel réac’ ! Radclyffe Hall, c’est l’obscurantisme et le lesbianisme coupable incarné ! Oscar Wilde, c’est un fantôme qui n’a rien à nous apprendre !) ! Et puis qui parle de sa propre expérience en sombrant dans le témoignage… (Il ne regarde les choses qu’à travers la petite lorgnette de son maigre vécu personnel, donc sans recul, en prenant les clichés pour des vérités et des généralités sur « les » homos ! Ce que la jeunesse est prétentieuse dans son aveuglement !).

 

Alors que ceux du premier rang, qui me prêtaient une attention sans faille, n’ont pas vu une once de misogynie, de machisme, d’homophobie, ou de misandrie, dans mon discours (et pour cause ! Il n’y en avait pas ! Mon propos visait à parler des obstacles réels à la mixité, pour justement mieux la permettre et la défendre), certains convives qui ne m’écoutaient que d’une oreille se sont mis à croire que, parce que je parlais des difficultés du mélange femme-homme, y compris dans la communauté homo (et d’autant plus dans la communauté homo !… où la différence des sexes est particulièrement rejetée et vécue comme une blessure intime en chaque individu homosexuel), je les justifiais et les créais. Incroyable procès d’intentions…

 

Au départ, je ne me suis pas rendu compte de l’inimitié ambiante, trompé par l’accueil de mes auditeurs de devant. J’ai fini mon topo en ayant eu l’impression de ne pas avoir été à côté de la plaque, mais au contraire, avec l’assurance d’avoir démystifié le concept de mixité homosexuelle pour le rendre plus grave, plus nuancé, plus possible, plus concret. Tellement satisfait de mon passage, et conforté par les quelques réactions de mon auditoire le plus proche, je ne m’attendais pas à la gifle qui allait m’être adressée ; je n’aurais jamais imaginé que je serais aussi mal compris par les gens du fond de la salle.

 

Et là, coup de théâtre, qui en a surpris plus d’un, et qui m’a surpris moi-même. Une dame d’une soixantaine d’années, qui faisait partie du groupe des femmes qui dès le début de mon intervention avait pris le parti de ne pas m’écouter et de me faire dire l’inverse de ce que j’ai raconté, et qui apparemment « l’ouvre tout le temps » en réunion (et souvent à mauvais escient), a réclamé le micro, et a dit en gros que mes paroles l’ont scandalisé et que ça ne lui donnait vraiment pas envie d’acheter mon livre. Bing ! Prends ça dans les dents ! Elle s’est mise à expliquer sa propre vision de la mixité (une vision qui reprenait point par point ce que j’avais pourtant développé et illustré dans mon explication), mais en la présentant comme l’antithèse de mon propre propos. Je comprenais, quand elle parlait, qu’elle n’avait absolument pas écouté ce que j’avais dit. Car au fond, nous étions d’accord. C’est juste qu’elle ne voulait pas partager avec moi la même vérité que nous dessinions ensemble. Elle me reprochait finalement ce qu’on ne peut jamais reprocher à quelqu’un : d’être présent, d’exister, d’être ce qu’il est (un être humain avec un des deux sexes, jeune, avec son passé, son vécu, ses références, ses goûts…), et de ne pas être nous.

 

Un autre convive attablé au fond de la salle s’est mis à dire que ce que je proférais sur la difficulté des communautés gay et lesbienne à se mélanger n’étaient que « clichés » (et pour cause : j’ai en effet parlé des clichés, des représentations romanesques et cinématographiques de cette mixité si difficile à construire ! sans en faire des vérités et des généralités sur l’ensemble « des » homos). C’est là que j’en suis venu à parler de mes propres expériences de rejets que j’ai subies de la part de certaines femmes lesbiennes. En ultime exemple, je montrai dans la salle de l’Hôtel Millénium la répartition spontanée des invités, car il était flagrant qu’il n’y avait eu aucune volonté de mélange entre eux : on y voyait une « table de femmes » séparée des autres tables exclusivement remplies d’hommes ! Comment permettre une vraie mixité si on nie qu’on lui fait obstacle, et qu’on chante un joli slogan sans le mettre en pratique ? Comment permettre la rencontre entre l’homme et la femme si on nie que la communauté homosexuelle s’est construite en grande partie sur l’hétérophobie et sur une haine/peur de la différence des sexes ?

 

Seules deux personnes ont ensuite pris le micro pour atténuer les propos de mes deux détracteurs qui m’avaient jeté des tomates et méprisé sans que je m’y attende. Mais comme ils n’ont pas abordé le contenu de l’exposé à proprement parler (j’ai même eu droit à une intervention un peu graveleuse qui n’avait rien à voir avec la discussion), j’ai été peu aidé, et me suis fait plumer sans trop riposter. J’étais intérieurement halluciné du niveau de réflexion que m’offraient certains membres de l’intelligentsia homosexuelle, mais je gardais mon calme et mon sourire, en me disant que ma gloire se trouvait ailleurs que dans l’image et l’instant. On m’avait revêtu du bonnet d’âne, mais sur la durée, ce n’était pas moi le perdant. Vraiment pas.

 

Le chef de cérémonie, influencé par le public et les 3 personnes qui s’étaient exprimées parcimonieusement (et dont l’opinion ne représentait pas du tout l’ensemble des avis de la salle), a clôturé le débat en me faisant passer pour le « polémiste » de service, frondeur, un brin « coquinou », et irrévérencieux (mais on ne lui en veut pas : on l’aime bien quand même)… comme la speakerine qui annonce avec un sourire forcé l’interruption brutale des programmes afin de dérouler discrètement le rideau à fleurs sur scène. Cette étiquette du « Provocateur » l’arrangeait, mais ne me va pas du tout. Je ne suis pas un provocateur. Jamais je ne cherche à faire du scandale gratuitement, et si ce que je dis provoque des remous, ce n’est pas parce que ce que je dis est faux ou scandaleux, mais plutôt parce que les actes que je dénonce sont opérés par des personnes qui refusent de se regarder agir. D’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai su après la conférence que la femme qui m’avait dit que mon livre c’était de la merde et qu’elle organisait des réunions mixtes, faisait énormément de sélection lors de ses causeries et n’était pas très ouverte aux hommes, malgré ses dires. La seule différence avec moi (et c’est sûrement pour cela que ça a « clashé » de son côté avec moi), c’est que chez elle, la mixité est concrètement un simple slogan qu’elle n’applique pas vraiment, alors que moi, je la vis et la favorise dans mes cercles amicaux homosexuels. Les mélanges ne me font pas peur. C’est le fossé entre mixité fantasmée et mixité réelle, entre intentions et actes, qui lui est apparu dans toute sa contradiction et sa violence. Cette grande bourgeoise s’est retrouvée face à quelqu’un qui applique et aime concrètement la mixité gay/lesbienne (… et qui, du coup, ne peux pas que l’idéaliser).

 

Le débat a pris fin. On m’a dit que rarement aux dîners de l’Autre Cercle les gens étaient restés aussi longtemps discuter à la fin ! C’est donc que mon intervention a bousculé les meubles ! C’est déjà ça, me direz-vous… Alors que les départs s’éternisaient, je voyais certains invités avoir honte de la bêtise de leur(s) camarade(s), et étaient indignés de l’accueil qui m’avait été fait par l’Autre Cercle. Quand je suis revenu à ma table, mes voisins m’ont fait comprendre que ce n’était pas la première fois que cette femme « pétait un scandale » et qu’elle perdait son calme et son jugement. L’ancienne présidente de l’association, une dame géniale et très ouverte, m’a assuré tout son soutien, et tentait de recoller les morceaux. Moi, bizarrement, je n’étais pas du tout effondré. Je savais ce que j’avais dit, et assumais entièrement mon exposé. J’ai même, contrairement à ce que j’aurais pu imaginer (vu comment mon livre avait été incendié en place publique par des personnes qui ne l’avaient pas lu), réussi à vendre une dizaine d’exemplaires de mon livre. Y compris Florence m’en a pris un ! Comme quoi… 😉 La misandrie n’est jamais victorieuse.

 
 
–       Festival Cineffable :
 


 

Dernier épisode qui m’est arrivé il n’y a pas si longtemps, et qui dénote d’une misandrie manifeste chez une grande partie des femmes lesbiennes. Je me suis rendu par curiosité au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris – « Cineffable : Quand les lesbiennes se font du cinéma » – organisé au Théâtre le Trianon, le 2 novembre 2007. J’arrive dans le hall d’entrée, et je suis arrêté par sept chiennes de garde – ne devant certainement pas faire partie de l’organisation du festival – qui m’ont dit textuellement qu’elles « ne tolèreraient pas la présence d’un seul homme dans les salles de projection ». Au départ, j’ai cru qu’elles plaisantaient. J’ai simulé l’étonnement amusé… avant de voir que ce qui avait été lancé comme une boutade par l’une d’entre elles a été validé très sérieusement par l’ensemble du groupe. J’ai été invité à débarrasser le plancher, tout bonnement. Dans la même journée, je suis allé au SIGL (le Salon International Gay et Lesbien au Carrousel du Louvre), et j’ai demandé aux stands associatifs si on avait le droit d’interdire ainsi la présence des hommes à l’entrée d’un festival de cinéma, même lesbien. On m’a évidemment répondu que non, et que Cineffable, même s’il s’adresse spécifiquement aux femmes lesbiennes, n’est pas un événement excluant ni sexiste. Pas pour toutes les participantes, visiblement…

 
–       « Des milliers de copines… » :
 


 

Un ami homo à la quarantaine bien tassée m’a raconté un jour une rencontre incroyable qu’il a faite à Marseille. Ça aura duré le temps d’un éclair. Il se baladait tranquillement dans la rue, quand une femme avec son chien tenu en laisse est arrivée derrière lui sur le même trottoir, et comme il gênait son passage et celui de son gracieux animal, au lieu de lui demander aimablement de se pousser, elle l’a carrément insulté de « sale pédé ! » L’ami en question est resté interloqué par la violence lapidaire de cette passante antipathique qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, et qui a identifié son homosexualité alors qu’elle n’est pas marquée sur lui et qu’il n’est pas spécialement efféminé. Quelle ne fut pas sa double surprise de voir cette même femme pénétrer un peu plus loin dans un bar lesbien ! Il m’a assuré que cette histoire était vraie, et je sais qu’il ne m’a pas menti. Quand l’homophobie intériorisée se couple avec la misandrie, cela semble improbable. Mais pourtant si, c’est possible ! On peut tout à fait être à la fois contre et pour soi-même ! pro-communautaire dans l’idée et anti-communautaire en actes ! femme et sexiste ! Toutes les haines se ressemblent, et elles concernent tout le monde, sans exception. Parce qu’on est libre, on est aussi potentiellement son pire ennemi.

 
 

La misandrie, reflet d’un viol fantasmé ou réel

 


 

Que reste-t-il des relations femme/homme quand chacune des deux parties prend systématiquement le masque de l’offensé ? Plus grand-chose. Est-il vrai que beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ? En acte, certainement que oui (même si ce n’est pas le cas de toutes les femmes lesbiennes) : leurs attitudes, leurs expressions de mépris, de peur, voire carrément de dégoût, à l’égard des hommes en général, parlent d’elles-mêmes ![2] ; en intentions et sciemment, non. Pour une raison toute simple : rares sont celles qui n’ont pas confondu l’homme fictionnel (ce Marlon Brando assis devant sa télé, avec sa bière à la main, ses films en noir et blanc, ses biceps, sa goujaterie…) avec l’homme réel ; rares sont celles qui n’ont pas pris la masculinité, le genre, ou l’image médiatique des hommes, pour le sexe mâle réel et les êtres humains concrets qui le portent. Par conséquent, elles n’ont pas l’impression d’en vouloir véritablement aux hommes quand elles s’attaquent à l’ « homme en théorie » ou à « l’idée (historique, anthropologique, politique, artistique…) de l’homme », car intellectuellement, elles savent encore faire la différence entre une image de magazine et un être humain ! C’est pourquoi je crois volontiers en la sincérité d’une Marie-Jo Bonnet quand elle écrit que la haine lesbienne des hommes est un « mythe homophobe »[3], même si objectivement elle ment et que sa haine des hommes est lisible dans ses propos. L’expression « hommes » est dans l’esprit de beaucoup de femmes lesbiennes une sorte de mélange fantasmagorique hybride entre les hommes fictionnels et les hommes réels ; ou bien réductible aux pires exemples d’hommes de leur entourage, rarement aux modèles plus positifs. C’est une haine aveugle. Comme toutes les haines. Nées de l’ignorance – une ignorance qui se pare souvent d’un vernis pseudo intellectuel et historique – et de la peur – une peur parfois souriante et calme, qui porte l’hypocrite nom de « mixité », de « parité », d’« amitié homo/hétéro » ou de « complicité entre lesbienne et gay ». On en vient au cœur de ce qui, pour moi, peut expliquer la misandrie : c’est le fait que le désir homosexuel (et ici lesbien) puisse être à la fois qualifié de désir d’amour et de désir de viol. Dans le cas lesbien, le viol, plus fantasmé que réel – même si dans énormément de cas, on est surpris de voir le nombre de femmes lesbiennes qui révèlent un viol survenu dans l’enfance ou l’adolescence – est la clé de voûte de l’édifice identitaire homosexuel : si le viol génital ne fait heureusement pas légion, nombreuses sont les femmes lesbiennes à avoir pu vivre le rapport tactile avec un garçon comme un viol. Et les hommes d’aujourd’hui ont sûrement une énorme part de responsabilité dans cette histoire.

 

Plus tard, je vous raconterai la misogynie tout aussi incroyable des hommes gay envers les femmes, lesbiennes comme les femmes dites « hétérosexuelles ». Car là encore, il y a beaucoup à dire !

 


[1] L’Autre Cercle est un groupement homosexuel mixte réunissant la crème de la crème de la communauté homo : s’y retrouvent des politiciens, des magistrats, des avocats, des enseignants, des écrivains, des hommes et des femmes supposés cultivés et éduqués. Et certains de ses membres m’avaient connu parce qu’ils étaient venus à mon émission de radio « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle.

[2] Dans leur bouche, les hommes sont souvent assimilés à des violeurs potentiels ; beaucoup de femmes lesbiennes, contrairement aux hommes gay, ont un passé « hétéro » plus chargé et long, avant de se déclarer exclusivement en couple lesbien, pour tourner radicalement une page douloureuse (ou jugée ainsi) de leur existence ; par ailleurs, l’expression « se faire prendre par un homme » est récurrente dans leur discours.

[3] Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?, Éd. Odile Jacob, Paris, 2004, p. 152.