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Code n°144 – Photographe (sous-code : Caméraman / Filmer sa vie)

Photographe

Photographe

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La photo qui tue le désir

 

Yves Saint-Laurent

Yves Saint-Laurent


 

Pour beaucoup de personnes homosexuelles, l’identité ou l’amour, c’est triste à dire mais ça se réduit à un flash photo : ça nous semble fugace et vrai à la fois. C’est comme si notre désir érotique s’était statufié, figé, suite à ce clic lumineux, et que nous cherchions sans arrêt à nous faire croire que ce moment est éternel, beau, qu’il ne doit pas bouger, que nous pourrions y demeurer à jamais.
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Substitut d’identité », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Pygmalion », « Peinture », « Espion homo », « Voyeur vu », « Homosexualité vérité télévisuelle ? », « Miroir », « Bobo », « Actrice-Traîtresse », « Regard féminin », « Télévore et Cinévore », « Patrons de l’audiovisuel », « Amant modèle photographique », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Poids des mots et des regards », « Lunettes d’or », « Amant narcissique », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 
 

FICTION

 

a) Ma vie comme un flash :

Film "Ma vraie vie à Rouen" de Ducastel et Martineau

Film « Ma vraie vie à Rouen » de Ducastel et Martineau


 

Dans les fictions homo-érotiques, on ne compte plus le nombre de photographes ou de caméramen, soit parce que le héros homosexuel est effectivement passionné de photos et en fait son métier ou sa technique de drague, soit parce qu’il tombe amoureux d’un photographe : cf. le film « And Then Came Lola » (2009) d’Ellen Seidler et Megan Siler, le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin (Harold, le coloc gay de Michael, est photographe de mode), le film « Elle + Elle : leur histoire d’amour » (2012) de Sranya Noithai (avec June, l’héroïne lesbienne qui est une jeune photographe), le film « La Doublure » (2005) de Francis Veber (avec le photographe de mode, efféminé), le film « My Brother The Devil » (2012) de Sally El Hosaini (avec Sayyid, le héros homosexuel), le film « Elena » (2010) de Nicole Conn (avec Elena, une des héroïnes lesbiennes), le film « Somefarwhere » (2011) d’Everett Lewis (avec Price, le héros homo reporter, qui dès les premières images du film est montré en train de prendre des photos), le film « Darling » (1965) de John Schlesinger, la chanson « Flash » de Stéphanie de Monaco, le film « La Vie intermédiaire » (2009) de François Zabaleta (avec le jeune photographe homosexuel), le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo (avec le personnage de Giulia, photographe), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec Ernesto, le caméraman), la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, les films « Le Caméscope » (1999) et « Un Parfum nommé Saïd » (2003) de Philippe Vallois, le film « Regarde-moi » (2001) de Sylvie Ballyot et Béatrice Kordon, le film « Du poil sous les roses » (2000) d’Agnès Obadia et Jean Julien Chevrier, le film « Les Yeux brouillés » (1995) de Rémy Lange, le film « Nagua » (1983) d’Amos Gutman, le film « Piccadily Pickups » (1999) d’Amory Peart, le film « Omelette » (1997) de Remi Lange, le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec Leni Riefenstahl), le film « Tous les papas ne font pas pipi debout » (1998) de Dominique Baron, le film « Hammam » (1996) de Ferzan Ozpetek (avec le personnage de Mehmet), le film « Boogie Nights » (1997) de Paul Thomas Anderson, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (avec le personnage d’Éric), le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper (avec le personnage de David), le film « Love/Juice » (2000) de Kase Shindo, le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « The Linguini Incident » (1992) de Richard Shepard, le film « Hong Kong Night Club » (1998) de Watanabe Takayoshi, le film « Maman Küster s’en va au ciel » (1975) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Feuille » (2004) de Youxin Yang, le film « Quai des Orfèvres » (1947) d’Henri-Georges Clouzot (avec le personnage Dora), le film « Boys Don’t Cry » (1998) de Kimberly Peirce, le film « The Fluffer » (2001) de Richard Glatzer, le film « Head In The Clouds » (2003) de John Duigan, le film « Nieh Tzu » (« Garçons de Cristal », 1987) de Yu Kan-ping, le film « La Petite Mort » (1995) de François Ozon, le film « By Design » (1981) de Claude Jutra, le film « Pecker » (1998) de John Waters, le film « Les Yeux de Laura Mars » (1977) d’Irwin Kershner, le film « High Art » (1998) de Lisa Cholodenko, le film « Moments » (1979) de Michal Bat-Adam, le film « Jeu de miroir » (2002) d’Harry Richard, le film « Le Chant des sirènes » (1987) de Patricia Rozema, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « À corps perdu » (1988) de Léa Pool, le film « Bezness » (1991) de Nouri Bouzid, le film « Le Club des cœurs brisés » (2000) de Greg Berlanti, le film « 200 American » (2003) de Richard Lemay, le film « Elephant » (2003) de Gus Van Sant, le film « Folle d’elle » (1997) de Jérôme Cornuau, le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver, la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim (avec le personnage lesbien de Marcy), le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela (avec Julián Suárez, surnommé « la Photographe »), le film « Le Traqué » (1950) de Frank Tuttle et Boris Lewin, le film « La Salamandre » (1969) d’Alberto Cavallone, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le film « L’Important c’est d’aimer » (1974) d’Andrzej Zulawski, le film « Working Girls » (1986) de Lizzie Borden, le film « Delirium » (1987) de Lamberto Bava, le film « Memory Pictures » (1989) de Pratibha Parmar, la pièce La Photographie (1986) de Jean-Luc Lagarce, le film « Rosebud » (1974) d’Otto Preminger (avec la patronne lesbienne d’une boutique de photos), la biopic « Life » (2015) d’Anton Corbijn, l’épisode 95 « Disparition au lycée » de la série Joséphine ange gardien (avec Océane, la photographe lesbienne), etc.
 

Par exemple, dans la biopic « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Allen Ginsberg n’arrête pas de photographier. Dans la pièce Hors-piste aux Maldives (2011) d’Éric Delcourt, Francis, le héros homosexuel, est choisi comme le photographe attitré du séjour par la bande de vacanciers. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Joe est préposé « photographe officiel » du bal caritatif Pervers & Mineurs. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le jeune héros fashion victim, prend tout en photo avec son téléphone portable. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Suki, l’une des héroïnes lesbiennes, se prend en photo en selfie.
 

« Comme tous les pédés, je veux aller voir la rétrospective de Nan Goldin à Beaubourg. » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 89) ; « Ma seule activité de loisir jusque-là avait été la photographie noir et blanc. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 18) ; « C’est dingue comme j’adore prendre des photos ! » (Max, l’un des héros homosexuels, qui répète cette phrase à plusieurs reprises dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; « Vous avez des yeux de photographe. » (Catherine S. Burroughs s’adressant à Jean-Marc, homosexuel, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 221) ; etc.
 

Film "Xenia" de de Panos H. Koutras

Film « Xenia » de de Panos H. Koutras


 

Très souvent, le personnage homosexuel fait de sa vie un roman-photo narcissique, un vidéo-clip façon journal intime vintage : cf. la pièce Le Rôle de ma vie (2004) d’Erwann Chuberre. Il se filme souvent lui-même : cf. le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, le film « This Car Up » (2001) d’Éric Mueller, le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, la B.D. Kang (1984) de Copi, le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi (avec Miriam, l’héroïne transsexuelle F to M qui se construit une vie par la photo), le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino, etc. Justement, dans le film « Billy’s Hollywood Screen Kiss », un homme travesti M to F, en regardant la photo que Billy a prise de lui, s’exclame « J’adooore cette photo ! » dans un élan auto-adulation spontané. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne filme son corps d’athlète avec sa caméra, et harcèle tous les gens de son entourage (la revue Têtu trouve cela magnifique qu’il « ait une caméra à la place du cœur »). Dans le roman El Gladiador De Chueca (1990) de Carlos Sarune, le protagoniste enregistre tous les événements de son quotidien sur un dictaphone. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Hubert filme sa propre vie et ses réflexions, comme un journal intime. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le vieux disquaire muet a coutume de collectionner les photos instantanées qu’il prend de tous les jeunes hommes androgynes qu’il croise dans son magasin… et il entreprose celles-ci dans son arrière-boutique, comme des reliques sacrées dans un mausolée. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse, l’héroïne homosexuelle, fait des photos et décide de changer de métier, en passant de vendeuse de jouets dans un magasin à journaliste-reporter. Son amante Carol lui pose cette question : « C’est ce que vous voulez être ? Un photographe ? » La monstration des photos, et l’intérêt pour le travail photographique de l’autre, résonnent comme une déclaration d’amour : « Vous me montreriez vos photos ? » Pour soudoyer Thérèse, Carol débarque chez elle en lui offrant une mallette pleine de pellicules photographiques et d’un nouvel appareil-caméra.
 

Souvent, l’addiction et l’identification à la photographie confinent à l’idolâtrie schizophrénique. Le héros homosexuel se prend pour un cliché photographique ou s’y soumet : « On est spectateurs de sa vie. » (Matthieu, l’un des héros homosexuels de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je suis une photographie en noir et blanc. » (cf. la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander) ; « Quel pouvoir que celui de la photo, pensa Silvano. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 71) ; « Qu’on se fasse notre propre film. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; etc.
 

Concrètement, la photographie est un symbole de l’homophobie homosexuelle, de la haine de soi : beaucoup de héros homosexuels s’en servent comme une preuve qu’ils ne seraient pas aussi artificiels que « les homos du milieu ». Elle est un moyen pour eux de rejoindre la marginalité bobo-bisexuelle. « J’ai envie de vivre à la campagne et de vivre de mes photos. » (la tenancière lesbienne d’un bar, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 118) ; « J’peux te filmer ? » (Guillaume s’adressant à son pote Louis qui s’apprête à faire l’amour avec une fille, dans la pièce En panne d’excuses (2014) de Jonathan Dos Santos) ; etc.
 
 

b) Le couple homo dans la boîte : Prends-moi… en photo

Film "Week-End" d’Andrew Haigh

Film « Week-End » d’Andrew Haigh


 

En règle générale, le héros homosexuel, quand il n’est plus célibataire, essaie d’encadrer ou de mettre son couple en boîte, façon « selfie à deux ». Par exemple, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh, Russell veut immortaliser la voix de son « amant d’un week-end » Glen sur dictaphone. Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, le couple Miguel/Santiago se prend en photo, et Santiago mitraille Miguel tout le temps. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan rêve d’enregistrer tous les moments qui font son existence « romanesque » et son histoire d’amour avec son amant Kévin, comme s’il cherchait à vivre sa vie deux fois parce qu’il ne l’aurait pas habitée pleinement : « Si j’avais pu, j’aurais tout filmé. Ça ne t’arrive jamais d’avoir envie de filmer tout ce que tu vis, tout ce que tu vois ? Avoir une caméra à la place des yeux et te repasser le soir tout ce que tu as vécu dans la journée ? » (p. 74) Dans le roman Paysage avec dromadaires (2014) de Carola Saavedra, Erika, qui parle dans son magnétophone, a une trentaine d’années. Elle est peintre et sculpteur. Elle a une liaison avec Alex, photographe très coté. Mais ils ne vivent pas à deux mais à trois avec la très jeune Karen, une élève d’Alex. Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis et Luther, le deux amants, se font leur trip « photomatons en couple dans la Gare de Lyon ». Dans le film « Ghosted » (2009) de Monika Treut, Mei-li est une mystérieuse journaliste qui suit Sophie Schmitt. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik visite avec son amant Paul une expo composée de portraits photos : ils se choisissent une des photos comme mascotte de leur union. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse photographie constamment son amante Carol à la dérobée, dans son sommeil ou par surprise. « Vous m’avez prise en photo tout à l’heure ? » demande voluptueusement Carol, faisant mine de ne pas en être dérangée. Lorsque Thérèse développe ses clichés, son collègue Dannie les trouve magnifiques, sans connaître le modèle : « Tu as magnifiquement sublimé cette personne. »
 

En réalité, par amant interposé, le héros homosexuel flatte son propre narcissisme/voyeurisme. La photographie est un alibi esthétisant pour draguer et laisser libre cours à ses pulsions. « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; « Le mec qui nous prenait en photo était gay et nous faisait des clins d’œil. » (Max et Fred, les deux amants, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval) ; etc. Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik, le héros homosexuel, conçoit des films. Son dernier reportage est un documentaire intitulé « À la recherche de Avery Willard », sur un photographe de nus homosexuels. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, le premier petit copain de Joe, avec qui il sortira pendant le bal caritatif Pervers & Mineurs, lui demande d’entrée de jeu une faveur (bref, un alibi pour le draguer) : « Tu me prends en photo ? » Dans le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, Steven, le héros homosexuel, photographie l’équipe de foot du campus pour soi-disant assurer les reportages journalistiques du lycée… et se rapproche du beau John. Dans le film « Fotostar » (2002) de Michele Andina, Konrad travaille dans un magasin de développement de photos… et se masturbe dans les toilettes devant des photos de magazine de lutte olympique. Il tombera amoureux d’un des clients dont il tire les négatifs photographiques.
 

Les couples homosexuels fictionnels s’imaginent vivre un magnifique cliché ensemble : « Depuis, on chante notre amour comme dans les parapluies de Cherbourg. » (les protagonistes homos de la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy)
 

Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, le groupe de militants Act-Up est obsédé par les photos. Toutes leurs actions sont guidées par le fait qu’elles soient immortalisées sur pellicule. Ils font limite l’amour à la caméra. Par exemple, juste après leur opération coup-de-poing dans un laboratoire pharmaceutique, ils se retrouvent tous ensemble dans le métro en train de fantasmer sur le mystérieux (et beau) photographe qui a couvert l’événement dans la presse : « On parle du VRAI sujet… ? Le photographe !!! » s’excitent-t-ils, comme des adolescentes.
 
 

c) La photo vivante et violente :

 

Ce souhait de vivre en mode REPLAY témoigne en réalité d’une vraie désillusion, d’un sentiment de passer à côté de sa vie, d’une vision désenchantée et arrêtée de l’Amour. Par exemple, dans le roman lesbien Je vous écris comme je vous aime (2006), Émilie et Gabrielle, qui ne se sont vues pourtant qu’une seule fois, et qui ne se reverront plus jamais, se servent de l’échange épistolaire comme d’un miroir narcissique ressassant inlassablement le souvenir ré-écrit et ré-enchanté de leur soi-disant rencontre « amoureuse » : « Ma Gabrielle, lorsque les douleurs et la nausée sont trop fortes, j’use de tout ce qui me reste de concentration pour repasser le film de notre fugace rencontre. À peine un court-métrage, quelques séquences tournées sans montage et que ma mémoire parfois épuisée refuse de décoder. Voilà votre scénariste hors du coup ! » (Émilie, p. 173) Le film délirant repasse en boucle ! « Voyez comme la scénariste que je suis file la métaphore cinématographique. » (idem, p. 149)
 

Le monde de la photo engouffre le personnage homosexuel dans le monde du paraître, de l’immortalité qui ne parviendra jamais à être éternelle (car une photo, ça jaunit, forcément ; et c’est mort), dans la consommation, et même parfois dans la prostitution, le viol et la mort : cf. le roman Carnaval de Manuel Blanc (avec un photographe qui manipule ses modèles), le film « Storm » (2009) de Joan Beveridge, le film « Brigade des mœurs » (1984) de Max Pécas, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, etc. « Dans cette ville, on ne pouvait jamais être sûr de ce qui s’était passé. La souffrance s’imprégnait-elle dans les murs des bâtiments, les cris capturés telle une image sur une plaque photographique ? » (Jane, l’héroïne lesbienne à propos de Berlin, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39)
 

On observe à travers la démocratisation des appareils photos un processus fictionnel bien avancé grâce à Internet : l’auto-érotisation et l’auto-pornographisation par la caméra. C’est le cas du film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2004) de Pedro Almodóvar (avec les amants homosexuels avec une caméra qu’ils se pointent en plein feu de l’action), le film « Saturn’s Return » (2001) de Wenona Byrne (avec les amants se filmant en train de copuler), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec les coïts homos filmés à la caméra), le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, etc.
 

« Sur un site de rencontre je discute avec P.-O. Je lui explique que je cherche un garçon qui accepterait que je filme notre rencontre. Il écrit qu’il accepterait. Je garde ma caméra numérique au poing. » (Mike, le narrateur homosexuel dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 56) ; « Ahh, qu’est-ce que ça rend sûr de soi de tenir une caméra, hein ? Et si moi je la prenais et que je te filmais ? » (P.-O. s’adressant à Mike son « amant d’un soir », idem, p. 57) ; « Je décide qu’on baisera là, pour le clignotement rouge sur nos peaux, sur la sienne surtout. Je tiens la caméra à bout de bras pour avoir un grand angle sur nous. » (Mike, idem) ; etc.
 
Affiche-CHERIES-CHERIS-2014
 

Par exemple, dans le film « The Parricide Sessions » (2006) de Diego Costa, Diego tente de convaincre son père de jouer devant sa caméra le rôle de ses différents amants. Dans le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, Ramón passe son temps à se filmer lui-même (y compris quand il « fait l’amour »). Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, les protagonistes se filment tout le temps, y compris quand ils « baisent » ou que leurs scènes de vie quotidienne ne revêtent aucun intérêt (esthétisme bobo oblige…).
 

Le photographe est souvent inquisiteur, indiscret, intrusif, un violeur : cf. le film « Smooth » (2009) de Catherine Corringer (avec le photographe voyeuriste) « Comme vous êtes mystérieux, entouré de fumée, Zach. Je veux savoir ce que vous regardez, ce que vous pensez. Parfois, je passe des jours à cadrer les gens. Ma vie entière est cinématographique. Je me masturbe même de façon cinématographique. » (Tommy dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Marilyn se précipite régler sa caméra. » (le narrateur homosexuel décrivant une furie, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 35) ; etc. Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny filme son futur amant Chris Wachowsky : il le dévore des yeux pendant l’interview.
 

La photo a cela de cruel qu’elle se base quand même sur le Réel (le modèle qu’elle encadre est bien vivant et humain, lui), mais qu’elle peut donner aux esprits fragiles qui la préfèrent au Réel l’impression qu’ils sont capables de se passer du Réel et des humains… et alors là, bonjour les frustrations, les angoisses (de la vieillesse, de la mort), les déceptions, les actes de rébellion et de vengeance, les jalousies, les attaques du Réel pour forcer les choses.
 

Le héros homosexuel est tellement en colère contre les appareils photos (et les mirages qu’ils lui font vivre) que parfois il les détruit : cf. le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le film « What Can I Do With A Male Nude ? » (1985) de Ron Peck, etc.
 

L’appareil photo est l’instrument humanisé à abattre, le témoin gênant de l’idolâtrie du héros homosexuel : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. Je me rappelle Maman presque tous les jours. Je me souviens d’un après-midi en particulier. Nous étions sur les rives de la Sunshine Coast, dans le golfe d’Alaska. Partout il y avait de la neige, c’était blanc à perte de vue. Papa avait acheté un Polaroïd, Maman s’était assise sur un tas de neige. Son visage ce jour-là sera son visage pour toujours. J’entends tout à coup le clic de l’appareil, le zzz de la photo qui sort – petit à petit, le portrait se révèle… Je trouve ça magique. Et pourtant, lorsque les traits de Maman deviennent tout à fait nets sur le papier glacé, je ne la reconnais plus… Elle a déjà changé. Je la regarde, je regarde la photo, je la regarde, je reviens à la photo : ma mère s’enfuit ! Je pleure énormément. La photo tombe sur la neige. Quand mon père la ramasse, les couleurs ont suinté, le visage de ma mère n’est plus qu’une traînée rose. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 

a) Ma vie comme un flash :

Hervé Guibert

Hervé Guibert


 

La communauté homosexuelle (surtout celle qui se dit « hors milieu ») est un vivier de photographes et de caméramen : Mick Rock, Gisèle Freund, Cecil Beaton, Herb Ritts, Pierre Molinier, Pierre Keller, Harvey Milk, Claude Cahun, James Bidgood, Patrick Sarfati, Bruce Weber, Nan Goldin, Jean-Baptiste Mondino, George Platt Lynes, Wolfgang Tillmans, Robert Mapplethorpe, le baron Wilhelm Von Gloeden, Duane Michals, Jim French, Stéphane Riethauser, Andy Warhol, Pierre et Gilles, Mick Rock, Chocolat Poire, Joan Crisol, etc. Certaines sont fanas de photographie : Francis Bacon, Pierre Louÿs, Julien Green, Louis II de Bavière, etc. Par exemple, en 1996, Henri Chapier est élu président de la Maison Européenne de la Photographie.
 

On entend de la part de beaucoup de personnes homosexuelles une justification de l’entreprise de réification de l’homme par l’homme à travers la photo et la pornographie. C’est le cas par exemple dans le documentaire-fiction « Beefcake » (1998) de Thom Fitzgerald (racontant la vie « héroïque » du photographe de nus masculins Bob Mizer), dans l’essai Marché au sexe (2001) de Gayle Rubin, dans tous les numéros de la revue Têtu. Bon nombre de personnes homosexuelles sont photographes de métier :L’hétérosexuel puis l’homosexuel, c’est-à-dire l’homme-objet, sont des créatures créées de toutes pièces par certains photographes ou artistes homosexuels : Arno Breker, Robert Mapplethorpe, Yukio Mishima, Herb Ritts, le baron Wilhelm von Gloeden (le précurseur des photographes érotiques gays actuelles), Bruce Weber, etc. Un certain nombre de personnes homosexuelles exercent le métier de cinéaste également : Pedro Almodóvar, François Ozon, Gus Van Sant, Alfred Hitchcock, Pier Paolo Pasolini, Rainer Werner Fassbinder, Jean Cocteau, George Cukor, etc.
 

Certains sujets homosexuels aiment se (faire) prendre en photo. Les personnalités homosexuelles narcissiques ne manquent pas ! La chanteuse lesbienne Suzy Solidor décore ses salons parisiens uniquement de portraits d’elle : elle en possède plus de deux cents cinquante ! Robert de Montesquiou se fait portraiturer et photographier plus de deux cents fois dans sa vie ! : « Je voudrais que l’admiration pour moi allât jusqu’au désir physique. » (Robert de Montesquiou cité dans le Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 252) Frida Kahlo accède à la célébrité grâce à ses nombreux autoportraits. Hervé Guibert, Yukio Mishima, Louis II de Bavière, Cecil Beaton, Robert Mapplethorpe, Marcel Proust, Claude Cahun, Pierre Loti, Salvador Dalí, Andy Warhol, etc., aiment à se photographier dans un miroir ou à se portraiturer eux-mêmes. «Souvent, Dean se photographiait dans le miroir, passion qu’il garda toute sa vie. » (Ronald Martinetti, James Dean (1995), p. 62) Dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6, Laura, homme M to F, se filme en permanence. Il est « Youtubeuse ». C’est en s’auto-parodiant narcissiques que les personnes homosexuelles valident encore plus le cliché de l’orgueil spéculaire homo-érotique : «Ruse sublime du narcissisme, l’auteur fait semblant de faire semblant d’être narcissique. » (Pierre Jourde, La Littérature sans estomac (2002), p. 122)
 

Soucieuses de mettre leur existence en boîte, d’en faire une cinéscénie éternelle, un nombre croissant de personnes homosexuelles se filment elles-mêmes pour satisfaire leurs appétits narcissiques. Par exemple, quand on demande à la photographe lesbienne Claude Cahun quels ont été les moments les plus heureux de sa vie, elle répond : « Le rêve. Imaginer que je suis autre. Me jouer mon rôle préféré. » (cf. l’Exposition « Claude Cahun » au Jeu de Paume du Jardin des Tuileries à Paris en juin 2011)
 

Film "Tarnation" de Jonathan Caouette

Film « Tarnation » de Jonathan Caouette


 

Le rapport de beaucoup de personnes homosexuelles aux caméras et appareils photos confine à l’idolâtrie. Je vous renvoie aux mémoires de Néstor Almendros Días De Una Cámara (1980), à l’essai Marcel Proust sous l’emprise de la photographie (1997) de Gyula Halász Brassaï, au livre La Photo, inéluctablement : Recueil d’articles sur la photographie, 1977-1985 (1999) d’Hervé Guibert. « Je me suis acheté un nouvel appareil photo : vous vous en foutez ? » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal (1992) de Jean-Luc Lagarce) Ceci est d’autant plus vrai depuis l’arrivée des webcam, et la vulgarisation des caméras portatives, mises à la portée d’un très grand nombre. Andy Warhol écrit son journal en filmant sa propre vie. Jonathan Caouette, dans son film autobiographique « Tarnation » (2003), s’enregistre lui-même en images depuis l’enfance. Hervé Guibert filme scrupuleusement son corps malade du Sida. Joseph Morder propose aussi de tourner en Super-8 tout ce qu’il voit dans sa vie. L’écrivain Abdellah Taïa, par exemple, a bien l’intention de faire de l’écriture un moyen d’immortaliser sa vie cinématographique : «Décidé. Le cinéma serait ma vie. En moi, malgré moi. Il n’y avait plus que cette vérité qui comptait. Qui continuait de parler. De suivre et d’écrire mon histoire. » (cf. l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 32) La mode des blogs, ces journaux intimes diffusés sur Internet, des pages persos sur les réseaux sociaux, a conquis beaucoup de membres de la communauté homosexuelle.
 

En réalité, la photographie est un symbole de l’homophobie homosexuelle : beaucoup d’individus homosexuels s’en servent comme une preuve qu’ils ne seraient pas aussi artificiels que « les homos du milieu », comme un moyen pour eux de se racheter une innocence et de rejoindre la marginalité bobo-bisexuelle : cf. le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec Laurent, homo et photographe de paysages), le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (intégralement tourné en caméra subjective, par un personnage qui marche, qui voyage), etc. « J’étais passionné de photos. » (Christian, le dandy homo-bobo de 50 ans dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz)
 
 

b) Le couple homo dans la boîte : Prends-moi… en photo

Aussi incroyable que cela puisse paraître, certaines personnes homosexuelles semblent avoir confondu leur appareil photo-caméra avec l’être aimé : « La caméra est ma partenaire. » (Kantuta dans le documentaire « Se dire, se défaire » (2004) de Kantuta Quirós et Violeta Salvatierra)
 

Mais ce narcissisme fétichiste homosexuel n’est pas nécessairement choquant, n’apparaît pas comme tragique. On a même plutôt envie de le soutenir tellement il caresse parfois dans le sens du poil nos propres fantasmes identitaires ou amoureux. « Je m’étais assez vite rendu compte de l’attirance que Martine éprouvait pour une photographe androgyne du journal local alors que nous vivions ensemble depuis moins d’un an. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 72) Il peut parfois avoir le charme exotique, puéril, rigolo, du docu-fiction autobiographique « à la Amélie Poulain » tel que le sympathique (mais mensonger) documentaire lesbien « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa raconte comment il tombe amoureux de Javier, un homme « photographe de plateau » (p. 36)
 
 

Ernestito – « Quel malheur que je ne sache ni dessiner ni sculpter. Autrement, je ferais volontiers ton portrait ou ton buste, pour éterniser ta beauté.

Nacho – J’ai un appareil photo. »

(Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 257)
 
 

Mais en réalité, la photomania homosexuelle est violente : plus on s’éloigne du Réel via la photographie, plus on s’éloigne de l’humain et de l’Amour. Je vous renvoie au documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order », 2012) de Jan Soldat (avec le couple de vieux amants nous présentant son quotidien sado-maso).
 
 

c) La photo vivante et violente :

Le monde de la photo engouffre les personnes homosexuelles dans le monde du paraître, de l’immortalité qui ne parviendra jamais à être éternelle (car une photo, ça jaunit, forcément ; et c’est mort), dans la consommation, et même parfois dans la prostitution et le viol : cf. la pub des « voleurs de couleurs » de Kodak par Jean-Paul Goude. Par exemple, le photographe nord-américain Avery Willard fait des nus à New York.
 

On observe à travers la démocratisation des appareils photos un processus social bien avancé (et inquiétant) grâce à Internet : l’auto-érotisation et l’auto-pornographisation par la caméra.
 

L’homosexualité de beaucoup de personnes homosexuelles semble avoir choisi comme support privilégié les photos (qu’on regarde ou qu’on se crée). La photographie est à la fois un reflet du Réel (dans le meilleur des cas), à la fois une projection de soi et de ses fantasmes. Et comme le désir homosexuel s’éloigne particulièrement du Réel (en rejetant son roc principal, à savoir la différence des sexes), il est logique qu’il s’origine principalement sur des photos déréalisantes (c’est-à-dire vraisemblables mais pas réalistes), violentes, pornographiques. « Ma découverte de la sexualité, c’est d’abord au travers de photos que je l’ai faite. Des photos pornographiques que mon père cachait dans un placard et sur lesquelles j’étais tombé par hasard. Ces photos montraient des couples en train de mimer l’acte sexuel à deux ou à plusieurs : c’est à cause de ces photos que j’ai découvert la masturbation, et pour moi la sexualité s’arrêtait à cela, car je n’ai pas reçu d’éducation sexuelle de mes parents. À l’école, c’étaient les débuts de l’éducation sexuelle et ce n’est pas avec ce que l’on nous disait que j’aurais pu comprendre grand-chose… l’acte homosexuel, par contre, m’était inconnu. C’est lors de vacances scolaires que je l’ai découvert à l’âge de douze ans, avec un homme d’une trentaine d’années… Il m’a proposé de monter dans sa chambre pour me montrer quelque chose. Les choses en question, c’étaient des photos pornographiques que ce monsieur faisait venir de Suède, de Hollande, de tous ces pays qui ont une réputation de mœurs très libérales. Ces photos… il y en avait pour tous les goûts : homosexualité masculine, féminine, enfant en cours de puberté en état d’érection, et même des photos de femmes en train de ‘faire l’amour’ avec des animaux. » (Philippe, homosexuel séropositif, dans son autobiographie L’enfer est à vos portes, 1991)
 

La photo a cela de cruel qu’elle se base quand même sur le Réel (le modèle qu’elle encadre est bien vivant et humain, lui), mais qu’elle peut donner aux esprits fragiles qui la préfèrent au Réel l’impression qu’ils sont capables se passer du Réel et des humains… et alors là, bonjour les frustrations, les angoisses (de la vieillesse, de la mort), les déceptions, les actes de rébellion et de vengeance, les jalousies, les attaques du Réel pour forcer les choses.
 
 

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