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Code n°12 – Appel déguisé

appel déguisé

Appel déguisé

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ça hurle en moi « J’ai mal ! »… mais personne, pas même moi, n’y prête attention !

 

Le paradoxe du cri au secours du personnage homosexuel (et, a fortiori, de son émetteur artistique réel), c’est qu’il dénonce un viol/un fantasme de viol en même temps qu’il ordonne, par une injonction mi-sérieuse mi-cynique, qu’on le cache. Exactement comme l’injonction paradoxale de la demande de silence (l’interjection « Chuuut !!! ») qui, si elle est faite avec excès, finit par faire plus de bruit que le calme initialement réclamé. Sous prétexte que les personnes homosexuelles ne seraient pas les seules à souffrir, ou que le malheur ne serait pas typiquement homosexuel (ce qui est totalement vrai), beaucoup d’entre elles, par phobie d’une pathologisation de l’homosexualité sur leur personne, par peur d’une nouvelle stigmatisation victimisante/misérabiliste à leur encontre, vont par conséquent défendre avec véhémence l’idée inverse qui consiste à dire qu’elles et leurs pairs ne souffriraient jamais (ce qui n’est pas moins absurde). Mais leur hargne les trahit. Provocation, intimidations, obscénités, travestissement, colère pour « normaliser » un désir homosexuel qui n’a justement rien de « normal » (cf. « Mais on ne souffre pas !!! » hurlent les militants du FHAR), exhibition provocatrice, rires gras, scotch sur la bouche des « fouilleurs de merde », etc. : la communauté homo appelle avec insistance à ce qu’on ne l’écoute pas… mais paradoxalement, cette insistance appelle.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Manège », « Déni », « Solitude », « Milieu homosexuel infernal », « Homosexualité noire et glorieuse », et « Désir désordonné » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel lance un S.O.S. :

APPEL Copi Difficulté

 

On entend parfois les artistes homosexuels crier leur douleur, sur le mode dramatique ou parodique, comme par exemple dans le roman Biographie d’une douleur (2007) de Didier Mansuy, le roman La Difficulté d’être (1947) de Jean Cocteau, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi, le film « Quels adultes savent ? » (2003) de Jonathan Wald, le film « Keiner Liebt Mich » (« Personne ne m’aime », 1993) de Doris Dörrie, le film « Lost And Delirious » (« La Rage au cœur », 2001) de Léa Pool, le film « Ich Will Doch Nur, Daß Ihr Mich Liebt » (« Je veux seulement que vous m’aimiez », 1976) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce Love ! Valour ! Compassion ! (1994) de Terrence McNally, le film « ¿ Por Qué Le Llaman Amor Cuando Quieren Decir Sexo ? » (1993) de Manuel Gómez Pereira, « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, la chanson « Comme j’ai mal » de Mylène Farmer, le film « Tu crois qu’on peut parler d’autre chose que d’amour ? » (1999) de Sylvie Ballyot, le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, le roman Une douleur normale (2013) de Walter Siti, la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, la chanson « Au secours » de Véronique Rivière, la pièce Orage (et des espoirs) (2017) d’Alexis Matthews, le one-man-show Aimez-moi ! (2018) de Pierre Palmade, etc.

 

« Ma longue agonie n’est pas celle de ma vie mais celle d’une lignée de filles incapables de la flamme qui soutient une famille. » (Copi, Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « C’est terrible. Je suis tout seul. Dans le noir. » (Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « Il fait toujours nuit pour moi. » (Léo, le héros homosexuel du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « Maintenant, je pleure. » (Jean-Pierre, l’homme rejeté par les deux femmes lesbiennes qui l’entourent, dont Fanny sa femme, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu crois qu’on sera heureux un jour ? » (cf. la réplique finale de Vincent à son amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Dans cette ville, on ne pouvait jamais être sûr de ce qui s’était passé. La souffrance s’imprégnait-elle dans les murs des bâtiments, les cris capturés telle une image sur une plaque photographique ? » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos de Berlin, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 39) ; « J’étais pas épanoui totalement. Il me manquait quelque chose. » (Jeanfi, le steward homo dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « J’ai jamais eu de chance avec les p’tits copains. J’ai toujours été spolié. » (idem) ; « Tante Eva, pensez-vous qu’aucune société ne veuille de moi ? » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Je me suis toujours trompé dans mes choix. » (George s’adressant à son amant Paul, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; « Être un homme libéré, tu sais, c’est pas si facile. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « C’est pas drôle d’être homo. Y’a des mecs dans la salle, ce soir ? Bande de salauds ! C’est vous qui nous faites souffrir ! » (Fabien Tucci, homosexuel, en pleurs, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Devenir gay, c’est pas très gai. » (idem) ; « ta vie est une période transitoire. » (Guen, homosexuel, s’adressant avec mépris à son amie lesbienne Ninon, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; « Arrête de faire semblant d’être ce que tu n’es pas. » (Ninon, idem) ; « Même si la racine de cet amour est bonne, comme l’est la racine de tout autre amour humain, son tronc et ses branches ont été courbés. Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ce désir déréglé. J’en souffre. Mais je refuse d’appeler l’arbre courbé un arbre droit. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repoussant son élan physique et sentimental pour le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 419) ; « Il y a une partie bonne et l’autre partie est une blessure infligée par le sitra ahra. Cette blessure, est-ce qu’elle vous fait mal ? Oui, elle me fait mal. » (Pawel parlant de son élan homosexuel, idem, p. 477) ; « C’est moi que je n’aimais plus. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « J’aimerais être sous morphine tout le temps. » (Thibault, malade du Sida, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; « Vous pensez que j’ai un problème ? » (Virginia Woolf confiant sa gêne par rapport à son incapacité à aimer et au désir passionnel que lui voue son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.
 

Un dessin de Jean Cocteau de 1926, dans l’album Maison de Santé, représente un gnome nu tracé d’un trait tremblé, avec une bulle où figure un « J’ai mal ! » Dans son spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008), Michel Hermon parle du cri de l’enfant qui retentit dans la nuit parce qu’il est laissé seul : le spectateur comprend que l’enfant, c’est l’artiste lui-même. Dans le film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André, la petite Marie vit super mal d’avoir été conçue sans amour par ses quatre « parents » homosexuels.

 

À la fin de son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le comédien homosexuel, filme son public en leur demandant de compléter sa phrase « Le coming out… », par un hurlement collectif euphorique « ÇA PEUT FAIRE MAL ! ».
 

L’icône gay par excellence en France, Mylène Farmer, n’a pas été choisie comme porte-parole de la communauté homosexuelle par hasard. En effet, elle est la plus plaintive des chanteuses françaises : « 8, j’ai mal. » (cf. la chanson « Maman a tort ») ; « Pauvre humanité muette… » (cf. la chanson « Leïla ») ; « Comme j’ai mal, je ne saurai plus comme j’ai mal. » (cf. la chanson « Comme j’ai mal ») ; « Je suis saignée aux quatre veines. » (cf. la chanson « Agnus Dei ») ; « Elle a deux vies mais pas de chance, pas d’équilibre, mais elle fait de son mieux, elle penche. » (cf. la chanson « Lonely Lisa ») ; « C’est bien ma veine, je souffre en douce. » (cf. la chanson « Je t’aime Mélancolie ») ; « Je cherche une âme qui pourra m’aider. » (cf. la chanson « Désenchantée ») ; « Un sentiment de n’être rien du tout. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre ») ; « Si je suis en prison, et j’y suis, pourquoi pas une autre. Délivrez-moi, ta, talala. Je suis pas là, suis pas de ce monde. » (cf. la chanson « Monkey Me ») ; etc. Elle donne corps et voix à la plainte cachée de beaucoup d’individus homo-sensibles.

 
 

b) Que lamente le personnage homosexuel ?

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

C’est d’abord l’expression d’un vide existentiel, d’un dégoût de vivre, qui ne se rapporte pas à quelque chose de précis. Un malaise global qui renvoie à un Tout dont les contours sont difficiles à cerner, mais qui certainement touche un peu à l’ensemble des domaines de la vie (affectif, amical, professionnel, spirituel, etc.) : « Je suis dans le vide. J’ai rien. » (Didier à sa maman, dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, le héros homo efféminé évoquant son adolescence, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je préfèrerais être heureuse. » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Quand je réfléchis, j’ai 38 ans et je n’ai rien vécu. […] Je suis en jachère. » (Marcy, l’héroïne lesbienne de la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim) ; « J’ai l’impression d’être un tableau… abstrait. » (François parlant de Dominique qui le prend pour une bête curieuse parce qu’il est homo, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) ; « Je suis une caricature. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée. […] J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval, le travesti M to F, dans son one-(wo)man-show Entre copines, 2011) ; « Ma vie est un échec. Et je ne sais même pas comment j’en suis arrivé là… » (Hugo, l’homosexuel refoulé de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Je ne sais rien faire. » (Gwendoline à la fin du one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. […] C’est une chance et une souffrance. » (Damien, le travesti M to F racontant son adolescence et la perception de sa « transsidentité », dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Quant à moi, je serai la conteuse de ces malheurs. » (l’actrice parlant de la vie de Dorian Gray, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (2012) d’Imago) ; « Ah si ! J’ai une vie privée ! Privée de tout, c’est vrai… mais privée quand même. » (cf. le sketch « La Solitude » de Muriel Robin) ; « Elle doit être triste, ta vie. » (Greg, le héros gay s’adressant à son amie bisexuelle Jézabel, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) ; « Je n’en peux plus de toute cette merde. Je ne sais plus à quoi m’accrocher ! » (Mélodie, l’héroïne bisexuelle dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Personne ne m’a jamais respecté. » (Loïc, personnage homo, dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, passe aux aveux : « Je ne suis pas sûr de m’aimer. » Quand Isabelle le flatte (« Vous n’avez jamais rien raté ? »), il lui répond laconiquement et cyniquement : « Seulement ma vie privée. » Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, Adineh l’héroïne transsexuelle F to M envie Rana la femme mariée, et pense s’exiler en Allemagne pour se faire opérer et changer de sexe : « Tu crois que ta vie sera meilleure une fois que tu seras opérée ? » lui demande Rana. « Non, je n’en suis pas sûre. » rétorque Adineh.

 

Souvent, les plaintes du personnage homosexuel s’originent dans son insatisfaction personnelle par rapport au désir homosexuel, et à la relation amoureuse homosexuelle en général, même si la part de lui-même qui veut encore « y croire » vient les démentir : « Comment peut-on arriver à être heureux quand on est gay ? » (Didier dans le one-man-show Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’aurais aimé être un pédé heureux. » (Éric Caravaca dans le film « Dedans » (1996) de Marion Vernoux) ; « Qui a dit ‘Montre-moi un homosexuel heureux, je vous montrerai son cadavre.’ ? » (Michael, le héros homo du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Pourquoi être gay est-ce si difficile ? » (Eddie, déçu que Scott, qui l’a dépucelé, ne le rappelle plus et l’ait pris pour un simple « plan », dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Bon, vous savez quoi ? Être homo, c’est pas toujours gai/gay. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Tu cherches ta vie entière un amour, et quand tu l’as trouvé, tu souffres. Tu souffres autant que tu es heureuse. » (la voix narrative de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ma vie ne se résume à rien. Personne à aimer. J’ai été toute ma vie un homme seul. Un homosexuel. » (Hanz dans la pièce Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes) ; « Un homosexuel est un homme qui souffre et qui a mal. […] Depuis que je suis petit, mon existence est un calvaire. […] Personne ne m’a jamais dit je t’aime. » (Bernard, le héros homosexuel déclaré de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « J’arrive pas à déchiffrer les raisons de cet amour-là. » (Stéphane, le héros homosexuel s’adressant à son jeune amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson); « Est-ce que je ne suis pas en train de m’attacher artificiellement à un lien qui finalement ne vaut rien ? » (Adrien en parlant de sa relation foireuse avec Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) ; « Vous savez, dans la vie, j’ai couché avec plus d’hommes qu’on peut en dénombrer dans la Bible. Jamais un homme m’a dit ‘Je t’aime’… et que j’ai cru. Ça m’embête énormément. » (Arnold, le héros homosexuel du film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart) ; « Ça fait cinq, […] si je repense à mes amours. […] Ils m’ont tous détesté à la fin […] on ne s’est pas vraiment aimés. » (Willie, le héros homosexuel du roman La meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 279) ; « Plus je vieillis, moins le sexe m’intéresse. Je cherche quelqu’un à qui parler. C’est dur à trouver. » (le protagoniste du film « À la recherche de Garbo » (1984) de Sidney Lumet) ; « Cette succession d’états riches en émotions avait rythmé nos vies jusqu’à ce qu’elles s’y résumassent, sans autre perspective qu’attendre, jouir puis pleurer. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 8) ; « Je souffre de ne pas savoir quelle blessure vous me faites. » (le narrateur homosexuel parlant à l’inconnu du parc, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « Mais de quoi étais-je donc le complice ?? […] Mais de qui étais-je donc complice ? » (Luca, le chanteur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Tu sais très bien que la vie que tu m’offres n’est faite que de pleurs, de déchirures et de tracas. » (Fanchette à son amante Agathe, dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago) ; « Y’a toujours au fond de moi une petite voix qui disait non à tout ça. » (Tom, le héros homo catho par rapport à la pratique homo, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « J’aurais mieux fait de me casser une jambe le soir de notre rencontre. » (Thomas s’adressant à son amant François, dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy) ; « L’homosexualité, c’est pas pour moi. » (idem) ; « Amour, étoile que je n’ai pas. » (le chœur des prostitués homosexuels chantant dans la voiture, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « L’Amore Te fotte. » (cf. une inscription sur le mur dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Personne ne semble se rendre compte que j’existe. » (Nina, l’héroïne lesbienne dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Je ne suis rien. Je n’existe pas. » (idem) ; « Personne ne m’aime. Personne ne m’entend. » (idem) ; « J’ai peur de partir à la dérive. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant en pleurs à son amante Vera, idem) ; etc.
 

Par exemple, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, les deux amants homosexuels s’avouent l’un à l’autre la souffrance qu’ils s’infligent en restant ensemble : « Je ne vais pas bien. » dit Franz à Léopold qui lui répond : « Moi non plus. » À la fin de l’intrigue, Franz est tellement au fond du trou (« Je suis malheureux ! Personne ne peut me comprendre. ») et tellement mal consolé par son ex-compagne Vera (« Pourquoi pleures-tu ? » lui demande-t-elle… ce à quoi Franz rétorque : « Parce que je suis malheureux ! Je passe par toute la gamme de la souffrance. Tant de malheur ! ») qu’il finit par se suicider par empoisonnement.

 

La détresse du protagoniste homosexuel est souvent profonde et superficielle, les deux à la fois, puisqu’il est complice de son propre malheur (et de la censure de celui-ci !) : c’est ce qui la rend amère et difficilement détectable. « J’ai pleuré. De vraies larmes, parce que Loche était parti sans moi, et de fausses larmes, parce que je voulais qu’on m’arrête, qu’on m’interroge. » (Julien Brévaille, le héros homosexuel du roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 69) ; « Je suis terriblement heureux et insatisfait. » (idem, p. 14)

 

Dessin de Keith Haring

Dessin de Keith Haring


 

Bizarrement, et contre toute attente, ce n’est pas l’homophobie sociale qui attriste le plus le héros homosexuel : son vrai problème, sa réelle souffrance, c’est l’homophobie intériorisée, c’est la méchanceté des personnes homosexuelles entre elles, c’est la lâcheté et la faiblesse de l’amour homo. Dans la B.D. Kiwi au paradis (1999) de Teddy of Paris, par exemple, les derniers mots du dessinateur après avoir dépeint le désenchantement de la découverte du monde homosexuel, s’adressent aux lecteurs en ces termes : « Bon courage à tous, il vous en faudra. » (Christophe Gendron, Triangul’Ère 1 (1999), p. 151) Difficile d’être plus clair.

 

Les personnages homosexuels se plaignent de leur communauté homosexuelle. Avec eux, on oscille entre jérémiades peu crédibles et invocation très sérieuse : « Quand je pense à la souffrance de tout le peuple gay… » (Omar, le héros homosexuel de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Si seulement nous pouvions ne pas nous haïr autant… C’est ça notre drame. » (Michael, le héros homo du film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin) ; « J’ai pour amis des folles comme moi, des amis pour passer un moment, pour rigoler un peu. Mais dès que nous devenons dramatiques… nous nous fuyons. Je t’ai déjà raconté comment c’est, chacune se voit reflétée dans l’autre, et est épouvantée. Nous nous déprimons comme des chiennes, tu peux pas savoir. » (Molina à son amant Valentín, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 205)

 

Enfin, le cri poussé par le personnage homosexuel est un appel lancé à toute sa société pour qu’elle ne le laisse pas tomber, mais aussi, vu qu’elle ne répond pas comme lui l’espère, et qu’elle fait l’autruche, l’expression d’une profonde déception : « Et sous les apparences, le prix du vêtement, personne ne voit les plaies et le sang de celui qui survit. » (cf. la chanson « Retour à toi » d’Étienne Daho) ; « Personne ne sait consoler un vague à l’âme trop singulier. On vous répond que ça va passer, mais moi je sais que ça va rester. » (cf. la chanson « Pleurer en silence » de Mélissa Mars) ; « Pendant très longtemps, j’ai pas eu le droit de m’exprimer. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « On m’accuse de distribuer ce que chacun vient déposer en moi. » (Julien Brévaille dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 176) ; « Il faut que je me rende à l’autre bout de la ville pour le baby-sitting : personne n’a encore compris que c’était plutôt moi qui avais besoin de me faire garder. » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 24) ; « Je suis jalouse, envieuse, pourquoi voudrait-on que je ne le sois pas ? Qu’est-ce que j’ai à moi, qu’est-ce qu’on m’a donné ? » (Cécile, l’héroïne lesbienne face à une famille, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 142) ; « Je ne suis pas seulement ta fille, mais une fille de la terre ! Tu me parles de misère, mais est-ce que tu connais la terre ? La terre de la pissotière, tu en connais l’odeur, ma mère ? » (Lou, l’héroïne lesbienne s’adressant à Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « L’énorme bêtise, elle l’a faite en me quittant. Elle m’a trop fait souffrir. Elle m’a largué sans aucun état d’âme. » (Julien, le héros bisexuel, parlant de Zoé, la femme qui l’a quitté, avant qu’il ne devienne homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc.

 
 

c) Comment le personnage pousse son cri ?

D’abord, l’appel du personnage homosexuel est silencieux. Il passe par un murmure discret, et surtout par les regards de détresse. Des regards comme ceux que Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, perçoit dans le « milieu homosexuel » de son époque : « Et leurs yeux, Stephen n’oublia jamais leurs yeux, ses yeux d’obsédés, ces yeux tourmentés des invertis… […] Stephen apercevait leurs faces ravagées et pleines de reproches, aux yeux mélancoliques et obsédés d’invertis […] Des fusées de douleur, de brûlantes fusées de douleur… leur douleur, sa douleur, soudées ensemble en une immense et dévorante agonie. […] toute la misère de chez Alec. Et l’envahissement et les clameurs de ces autres êtres innombrables… » (pp. 562-571) On entend le monologue intérieur de certains héros homosexuels insatisfaits de leur relation amoureuse du moment. Leur appel prend alors la forme de l’exaspération contenue, du sentiment paniquant et assommant à la fois de ne pas se sentir à leur place, du malaise ruminé dans le secret et difficile à exprimer (parce qu’il concerne la personne soi-disant « aimée ») : « Michael ronflotait doucement à côté de moi. Sa main gauche était plaquée contre ma poitrine comme s’il avait voulu m’empêcher de bouger, me clouer sur place. Une angoisse suffocante m’étreignait le cœur. Je regardais le si beau profil de Michael, je pensais aux cadavres de codoms [préservatifs] dans le fond de la poubelle de la salle de bains et je me disais c’est pas ça, c’est pas ça que je voulais, c’est pas ce que je veux. » (Jean-Marc parlant de son amant Michael dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 260) ; « Je savais que c’était faux, que je n’aimais pas Michael d’amour mais là, juste à ce moment-là, je voulais le croire. » (idem, p. 299) ; « Arrête avec ces bouquins. Ça fait du mal à tout le monde. Même à toi, ça te fait du mal. Au fond, je suis sûr que tu souffres encore plus que moi. » (Suki s’adressant à son amie lesbienne Juna à propos de ses livres de magie, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.

 

Il arrive cependant que le cri de détresse du personnage homosexuel se fasse visible et bruyant. Il prend alors davantage la forme de l’exclamation quand il exprime la révolte, et la forme de l’interrogation (qui n’attend pas forcément de réponse, d’ailleurs ; cela peut être une posture esthétique, ou une provocation « gratuite » et agressive) pour la dénonciation et les appels à l’aide : « C’est moi, Linda ! Mais moi je crie ! Vous m’entendez ?!? Allô !!! » (cf. une réplique de la pièce Loretta Strong (1974) de Copi) ; « Mais qu’est-ce qu’elle a, ma p’tite chanson ? » (un des protagonistes homos, parlant de la comédie d’amour qu’il sert à tous ses amants successifs, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Pourquoi est-ce que tu m’as laissé dans le noir pendant toutes ces années ? » (le héros homosexuel s’adressant à son père dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « M’entendez-vous ? Je crie, je hurle que vous ne m’aurez pas. Je lutterai. De toutes mes forces, je vous défie. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 52) ; « Je suis sûr d’être dans le vrai. Où est le mal Julien ? » (Pierre s’adressant à son amant Julien, dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?!? Si seulement j’étais un pervers, je mériterais qu’on me crache dessus ! Mais si à l’intérieur de moi je me sens doux et femme ! » (José María, le transsexuel M to F du roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá) ; « Alors putain, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?!? » (Louis dans la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Et ma vie, quand est-ce qu’elle commencera ? Quand est-ce que ce sera mon tour d’avoir quelque chose à moi ? » (Molina, le héros homosexuel efféminé du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 239) ; « Il faut que je sache la vérité. La vérité sur la vie et sur l’amour. La vérité sur la vérité. J’étais au bord des larmes. Pourquoi une personne qui savait tout ne pouvait-elle pas me prendre à part et tout m’expliquer ? Comment se fait-il que les gens ne sachent rien ? Comment des milliards de personnes avaient-elles pu passer sur cette Terre pendant des milliers d’années sans jamais avoir trouvé la réponse à ces questions ? Je mourrais s’il me fallait encore attendre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 193) ; « Non, mais franchement. Sincèrement. Il faut que je comprenne. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je me suis laissé aller à vivre mes sentiments. Est-ce un crime ? Je n’ai pas le droit d’aimer ? Si ! Mais pas lui, c’est ça ? Seulement, on ne choisit pas. Tu crois qu’on peut lutter contre ? Tu crois que je n’ai pas essayé ? Mais plus je me refusais d’y croire et plus je l’aimais ! Qu’est-ce que j’y peux ? » (Bryan, le héros homosexuel s’adressant à sa mère, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 336)

 

Souvent, le cri du héros homo s’épuise en mélancolie, en isolement de bête farouche, en auto-mutilation, en déni de souffrance. Son entreprise de destruction est dirigée essentiellement vers lui-même. Voilà le drame. « Cet isolement, c’est une sauvagerie, rien d’autre. Oui, une barbarie. Mais inoffensive. À la fin, ça ne détruira que moi. Ce qui m’attend, c’est de me consumer, de m’annuler. » (Leo, le héros homosexuel dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 66) ; « Tu dis : je suis l’homme sans ascendance, ni fraternité, ni descendance. Je suis cette chose posée au milieu du monde mais non reliée au monde. Je suis celui qui ne sait pas d’où il vient, qui n’a personne avec qui partager son histoire et qui ne laissera pas de traces. Ainsi, quand je serai mort, c’est davantage que le nom que je porte qui disparaîtra, c’est mon existence même qui sera niée, jetée aux oubliettes. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Les personnes homosexuelles lancent un S.O.S.:

Étant donné la dureté des relations dans le « milieu homosexuel », et les tensions au sein de leur(s) couple(s), beaucoup de personnes homosexuelles crient leur souffrance, même si elles préfèrent bien souvent extérioriser leurs problèmes sur « les clichés »… et « la société » (dont elles font pourtant bien partie elles aussi, malgré ce qu’elles croient ; et sûrement, en effet, que la société, par son silence et son indifférence à leur douleur, pèchent par omission dans cette affaire !). Sans misérabilisme, sans faire du malheur une spécificité typiquement homosexuelle – les personnes homosexuelles ont bien assez tendance à se définir elles-mêmes comme une « race maudite » pour qu’on en rajoute une couche ! –, je vais simplement vous dresser maintenant une liste des lamentations de la communauté homosexuelle, celle que la presse gay spécialisée, et même S.O.S. Homophobie dans ses rapports annuels !, ne publient jamais (Si je ne le fais pas, de toute façon, un jour, les pierres crieront !) :

 

« De quel droit je m’inflige une telle douleur quotidiennement ? » (Keegan après son « changement de sexe », dans le documentaire « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar) ; « Je me pose des questions, moi qui ai toujours crié sur les toits n’avoir aucun problème d’identité. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 16) ; « Seul le passé me donne le vertige. […] Si je me penche sur la réalité de ma vie affective et sexuelle, elle est beaucoup moins rose. Idem pour ma solitude. […] Allons donc, ma vie ne sera donc qu’une suite de malentendus ?! » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 9, puis p. 78, et enfin p. 111) ; « Je suis juste en train de mourir et je n’ai pas d’amour vers qui me tourner pour me poser des questions. […] C’est dommage, tout cet amour disponible… » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, mis en scène dans la pièce Ébauche d’un portrait, 2008) ; « Personne ne peut prétendre vivre la marginalité dans le bonheur. On peut simplement parfois en éprouver une jouissance. » (Jean-Paul Aron, « Mon Sida », dans Le Nouvel Observateur, 30 octobre 1987) ; « Je regrette toujours ensuite cet épisode sordide où je fais chaque fois l’épreuve de mon délaissement. » (le philosophe Roland Barthes concernant son expérience des backrooms) ; « Je dessine pour ne pas entendre. Les cris. » (Yves Saint-Laurent dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « J’aimerais partir. Ne rien faire. Pour tout oublier. Devenir sage. […] La vie est un enfer. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Oui, j’ai une vie ratée. » (Jean-Pierre, homme homosexuel de 68 ans, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Ses pulsions et ses désirs aplanis, il vécut totalement hors du circuit qui avait tant abîmé sa vie auparavant. » (Prologue à l’essai d’Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 9) ; « Dès son enfance, m’a raconté Maurice Pinguet, il avait compris qu’il était homo, mais il croyait que c’était là un rare malheur et qu’il n’aurait jamais la chance de rencontrer son semblable. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 64-65) ; « J’ai eu le sentiment d’une intensité terrible que j’avais gâché ma vie entière en ne suivant pas le Christ comme il le voulait. Alors où en suis-je à quatre-vingt ans ? Que vaut cette accumulation de livres que je laisse derrière moi ? » (Julien Green face au Saint Suaire de Turin, dans son autobiographie L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, 12 juillet 1981, p. 50) ; « Où trouverai-je la paix ? » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « L’existence que je mène me semble insignifiante et inutile. Totalement dépourvue de sens. » (Alexandre, jeune témoin homo de 24 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; « Je cherche à comprendre ce qui en moi te dérange. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, s’adressant aux gens, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Le 5 juillet 1869, Carl Ernest Wilhelm von Zastrow (1821-1877), dans le box des accusés pour un viol homosexuel qu’il a commis : « J’appartiens à ces malheureux qui à cause d’un défaut de leur nature ne ressentent aucune inclination pour le sexe féminin. J’ai souvent parlé de ça avec des hommes, qui alors m’ont traité froidement et inamicalement, de telle sorte que je me suis retrouvé seul au monde. »
 
APPEL Cocteau
 

Il est rare que ce soit les personnes homosexuelles qui disent elles-mêmes leur souffrance… ce qui est plutôt logique, et pas spécifiquement homosexuel d’ailleurs : la souffrance reste une chose difficile à extraire de soi, quelle que soit notre orientation sexuelle. C’est à travers les témoignages des proches que nous apprenons le calvaire que vivent certaines d’entre elles, non du fait d’être simplement homosexuelles, mais de vivre leur homosexualité en couple. « Jean Genet est le garçon le plus angoissé que j’ai jamais connu de ma vie. Et le plus malheureux. » (Jacques Guérin, cité dans l’article « Jacques Guérin : souvenirs d’un collectionneur » de Valérie Marin La Meslée, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 72) ; « Un homme émasculé n’est pas une femme, c’est un homme désespéré. » (Robert J. Stoller, en parlant des hommes transsexuels M to F, dans « Faits et hypothèses », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 218) ; « Cocteau souffrait énormément, et déguisait cette souffrance sous les calembours. » (Pierre Bergé, cité dans l’article « Cocteau est aujourd’hui le plus moderne » de Gérard de Cortanze, dans le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 39) ; « Il y a de la souffrance que la scène communique. » (Georges Banu, « Jeux théâtraux et enjeux de société », dans l’ouvrage collectif Le Corps travesti (2007), p. 5)

 

Souvent, c’est une blessure familiale et en lien avec la différence des sexes que les personnes homosexuelles montrent. Par exemple, À la fin de son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan avoue qu’à travers son spectacle, il a essayé de réunir ses parents divorcés, le temps d’une heure fictionnelle.
 

À ce sujet, j’aimerais vous partager une anecdote personnelle. Je me souviendrai longtemps de la réaction du président de mon association homo angevine Tonic’s, Stéphane, à la fin de la brillante conférence sur la vision de l’Église catholique sur l’homosexualité, donnée par la sœur dominicaine Véronique Margron, le 4 mars 2002, au Centre spirituel de la Pommeraye (Maine-et-Loire). Toute une délégation de l’asso était venue armée jusqu’aux dents, en ayant pour but de régler son compte à la religieuse, parce que l’un des membres de Tonic’s avait « sensiblement » modifié l’intitulé du débat (initialement très neutre : « Homosexualité : qu’en dit l’Église ? » ; aux oreilles du jeune homme qui aurait entendu l’annonce à l’église Saint-Laud, la conférence s’intitulait « Comment lutter contre le fléau de l’homosexualité ? ». No comment…). Et comme le discours de Véronique Margron était non seulement juste mais en plus pas du tout jugeant, la bande de pirates homosexuels que j’accompagnais a baissé les armes au fur et à mesure du débat, et s’est même adoucie au point de n’avoir plus rien à dire (c’était drôle à voir !). Et au moment des questions et de l’échange avec le public, j’ai vu le chef de Tonic’s se lever précipitamment de sa chaise (il était assis juste à côté de moi). Stéphane, spontanément, a pris la parole. Je craignais le pire. Je m’attendais à l’éclat de voix, à l’injure, à la révolte. Mais en échange, on n’a eu droit qu’à une petite phrase, poignante, presque sanglotante, pure, dépouillée de toute théâtralité. Une sorte de « mécresse, j’ai bobo là » : « Vous savez, eh bien c’est pas facile tous les jours… » Et Stéphane s’est rassis tout de suite après, sans rien rajouter d’autre. Intérieurement, j’étais « soufflé ». Le beau gosse de Tonic’s, le modèle de tous dans l’asso, celui qui donnait une image reluisante et enviée de l’homosexualité (homme engagé associativement, en couple durable avec un autre jeune et bel homme, vivant une vie apparemment normale – labrador, boulot correct, entourage amical solide, etc.) venait de passer naturellement aux aveux. C’était magnifique. Et tellement révélateur !

 

Certaines personnes LGBT pleurent au fond leur non-acceptation d’elles-mêmes telles qu’elles sont. Par exemple, dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, ne semble avoir aucune intériorité : il a du mal à parler, est très introverti, ne peut pas dire ce qu’il ressent, n’a aucun avis sur rien. Quand il est triste ou bien souffre, il a du mal à pleurer (« Je ne sais pas pourquoi je pleure. Les hormones… »), à extérioriser ses émotions. Ce sont les autres qui crient à sa place. Par exemple, sa prof et chorégraphe de danse classique, Marie-Louise Wilderijckx, vient vers lui, plein de compassion après l’avoir maltraité pendant un cours : « Je sais que tu souffres. »
 
 

b) Que lamente la personne homosexuelle ?

Souvent, les plaintes des personnes homosexuelles s’originent dans leur insatisfaction personnelle par rapport au désir homosexuel, et à la relation amoureuse homosexuelle en général, même si la part d’elles-mêmes qui veut encore « y croire » vient les démentir : « Ce sont mon sentiment, ma faiblesse qui ont fait de moi un monstre. Oui, un monstre, puisque, au moment où je fais le bilan de mon existence, je m’aperçois que je n’ai jamais rien compris de la vie… » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 80) ; « Votre devoir à vous qui lirez ces lignes, c’est de vous approcher de ceux qui vivent actuellement dans l’erreur, de détester cette erreur enfin mise à nu. » (idem, p. 93) ; « Vous avez déjà vu, vous, de l’homosexualité épanouie ? Et même si cela arrive quelquefois, on ne fait pas un film sur une situation homosexuelle heureuse. » (le réalisateur homo Patrice Chéreau à propos de son film « L’homme blessé », tourné en 1983) ; « Maintenant je ne suis même plus attiré par quelque corps que ce soit. Comme si j’étais un asexué sans âme, comme si la tristesse avait pris possession de tout mon être. […] Alors c’est ça ma vie que je dois vivre ?!? C’est ça mon chemin de vie ? Vivre avec des types, ressortir mon sexe plein de merde, me faire défoncer le cul ?!? C’est ça la beauté de cette vie, de ma vie ?!? » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Par rapport à la relation affective, j’arrive pas à trouver une relation stable, fidèle. J’arrive pas à trouver une relation affective. Ça ne marche pas. Je ne savais pas que le chemin était si tortueux. » (Pascal, homosexuel et séropositif, mettant en grande partie sur le compte du Sida l’échec de ses « amours » homos, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc.

 

Les personnes homosexuelles réclament en général que vérité soit faite sur l’Amour et la sexualité. Même si elles ne savent pas le demander, elles souhaitent tout simplement qu’on les aime, et pas seulement qu’on les aime pour qui elles croient être, en tant qu’« homosexuels », mais qu’on les aime pour ce qu’elles sont. Le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, par exemple, termine par une phrase accablante d’un homme transsexuel, Claire, qui nous met devant l’urgence de ne pas prendre les binarismes identitaires « homo » et surtout « hétéro » actuels comme base de notre morale humaine : « Si ces codes (féminin/masculin ; hétéro/homo) n’existaient pas, je n’aurais peut-être pas eu besoin de me transformer. » Car cela crée des drames réels, lourds de conséquences.

 

Le bilan sur le couple homosexuel qu’on a l’occasion d’entendre de la part des personnes homosexuelles de notre entourage, est sensiblement le même : en amour, très peu ont trouvé/trouvent ce qu’elles cherchaient/cherchent. « Que vouloir de plus ? L’amour. C’est le point obscur de ma vie. » (Brahim Naït-Balk, Un homo dans la cité (2009), p. 11) ; « Jamais personne ne me dit que je suis belle. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) C’est comme si l’insatisfaction concernant le couple homosexuel (mais c’est sensiblement pareil pour le couple hétérosexuel) était généralisée. Quand bien même elles s’estiment parfois très bien servies, elles exposent à un moment ou un autre la vanité de leur désir et souffrent sur la durée des affres du désenchantement amoureux. Quelquefois, le retour en arrière sur leur parcours sentimental, même s’il n’est pas désespéré, leur donne le vertige. Certaines se fourrent dans de beaux draps en s’engageant dans une relation avec une personne qui semble les aimer davantage qu’elles ne l’aiment. Elles la trouvent « bien », l’apprécient beaucoup, c’est sûr … mais ne sont pas vraiment emballées ni spontanément attirées par elle. Elles expérimentent souvent un décalage culpabilisant, paniquant. Elles voudraient en théorie combler le vide horrible de leur célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans leur vie, elles étouffent, et se demandent pourquoi on ne leur fiche pas la paix !

 

Certains auteurs homosexuels, dans leurs autobiographies, se désarment enfin, osent se mettre à nu sans pleurnicherie, juste pour dire que leurs aventures amoureuses sont révélatrices chez eux d’une « grande fragilité dans le domaine sentimental » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 115) : « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… » (idem, p. 114) ; « Quel gâchis que mes amours ! » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; « Pendant des années, je pensais : ‘Je ne connais pas ce garçon’. » (André parlant de Laurent avec qui il est resté dix ans en couple, dans le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Tu sais, si ça n’a pas marché entre nous, c’est qu’il y avait des raisons. » (André s’adressant à Laurent, idem) ; etc.

 

Banderole d'Act Up

Banderole d’Act Up


 

Concernant maintenant le « milieu homosexuel », beaucoup de personnes homosexuelles ne se retrouvent pas dans leur communauté d’adoption. Pour vous l’illustrer, je voudrais vous retranscrire tel quel un extrait d’un mail qu’un ami homo, qui avait 40 ans à l’époque, m’a envoyé. C’était en 2002, pendant ma période étudiante dans la ville d’Angers, où je commençais à fréquenter les associations LGBT, et que j’allais au bar-boîte homosexuel Le Cargo : « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse… et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoirs vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo. L’ambiance festive me plaît et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. »

 

Ce que je ressens très fort de la part de mes frères communautaires, c’est un appel à témoin(s) pour que des personnes homosexuelles exemplaires, dont on puisse être fier, se lèvent et montrent un visage BEAU de l’homosexualité, délivrent un message fort et juste. « Pourquoi n’existe-t-il pas de modèles forts de la vie et de l’amour homosexuels ? » (Jean-Luc Hennig cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 8) La soif de modèles est profonde dans le « milieu homosexuel ». Peu de personnes gay ou lesbiennes osent formuler tout haut, comme Laura dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, un mécontentement relativement général : « Ce que j’ai perçu du milieu homosexuel et du monde homosexuel, ça ne me plaît pas. Je ne me reconnais pas là-dedans. […] L’homosexualité, ce n’est pas très net… Je me dis : ‘Ils sont frappés’. Moi, j’ai rarement connu des homos bien dans leur tête, en couple depuis des années. C’est n’importe quoi. […] Tu vois, moi, j’ai grandi et je n’ai pas eu de modèle homosexuel… Là, aujourd’hui, il n’y a pas un mec ou une nana que j’admire en tant qu’homosexuels. Pourtant, j’en ai croisé des gens ! Moi, j’aimerais qu’il y ait des modèles, des mecs intelligents, des mecs instruits, des mecs simples, artistes qui se fassent connaître. Moi, j’en ai marre des gens destroy. » (pp. 281-282) Ce qui est difficile et paradoxal dans cet appel à candidatures, c’est que presqu’à chaque fois qu’une personne homosexuelle s’avance pour parler de l’homosexualité en vérité dans les media, elle est très vite critiquée, jalousée, détruite, traînée en procès de haute trahison, accusée de crime de lèse majesté, par les communautaires homosexuels soi-disant « hors milieu » (comme ils disent tous d’ailleurs !) parce qu’elle ose montrer que le désir homosexuel est signe d’une blessure, d’une souffrance !

 

Pourtant, certaines personnes homosexuelles en appellent indirectement à entreprendre un travail d’homotextualité sur leurs œuvres artistique. « Quel lien a l’homosexualité avec la presse, les comédies musicales, les films de Disney, Judy Garland, Alaska ? » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 330) C’est toujours le même discours qui revient de la part des créateurs homosexuels : « Ma vie doit être légende, c’est-à-dire lisible. » dit Jean Genet ; Gus Van Sant, de son côté, assure que « tout est dans ses films » ; Andy Warhol affirme que l’essentiel se trouve dans ses toiles, qu’il n’y a pas de sens caché ; François Ozon déclare que l’homosexualité n’est pas problématisée dans ses films (« Dans mes courts-métrages, elle est donnée telle quelle. » cf. l’entretien avec Philippe Rouyer et Claire Vassé, « La Vérité des corps », dans la revue Positif, n°521/522, juillet/août 2004, p. 41) ; « Je crois que mon travail est un chaos parfaitement ordonné. » explique Bacon (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton)

 
 

c) Comment la personne homosexuelle pousse son cri ?

APPEL culs à l'air

Documentaire « Sex Life In L.A. » de Jochen Hick


 

D’abord, l’appel au secours est silencieux. Il passe par un murmure discret, un cri réprimé : « À moi aussi on me demandait ‘Pourquoi tu parles comme ça [= avec autant de manières efféminées] ?’ Je feignais l’incompréhension, encore, restais silencieux – puis l’envie de hurler sans être capable de le faire, le cri, comme un corps étranger et brûlant bloqué dans mon œsophage. » (le narrateur homosexuel du roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p.p. 84)

 

Plus tard, c’est souvent la voie de la question (agressive), voire de l’exclamation colérique qui est empruntée. « Je veux scandaliser les purs, les petits enfants, les vieillards par ma nudité, ma voix rauque, le réflexe évident du désir. » (Claude Cahun, Aveux non avenus, 1930) ; « Je ne suis pas heureux et je ne tiens pas à l’être. Le spectacle des gens heureux ou qui croient l’être autour de moi me paraît tellement répugnant que je le crains terriblement. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc. Je vous dirige par exemple vers le documentaire « Je suis homo et alors ? » (2006) de Ted Anspach. Il y a aussi le fameux « pétage de plombs » de Christophe Martet face à Philippe Douste-Blazy pendant le Sidaction de 1996, qui a fait chuter les promesses de don (« Je suis en colère, merde ! C’est quoi ce pays de merde !?! ») L’appel homosexuel à la société se fait sous forme de cri : « Il y a une énorme violence à l’intérieur d’Act Up, à cause du désespoir, de la colère, des deuils. On utilise ce désespoir pour le diriger quelque part. » (Didier Lestrade cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 519)

 

Même les femmes lesbiennes toquent inconsciemment à la porte des hommes pour qu’ils les respectent davantage dans leur identité de femmes, qu’ils les reconnaissent dans la douceur et le souci de leur plaisir à elles… y compris quand certaines hurlent « Osez le clito ! » pour réhabiliter l’importance du clitoris dans la sexualité conjugale lesbienne. « C’est avant tout un message adressé aux hommes… pour leur dire : Wouhou, l’oubliez pas ! » lance une militante à l’antenne de l’émission Homo Micro de Paris Plurielle du 3 avril 2006.

 

C’est en plein cœur de la nuit des années de découverte du Sida (fin des années 1980 – début des années 1990) que la communauté homosexuelle a lancé ses plus beaux appels de désespoir, à la fois aux personnes aimées (« Je veux que tu vives ! » est l’un des slogans choisis par Act Up lors des premières Gay Pride) et à sa société qui se défile (« Silence =Mort »).

 

Parmi les fréquentes « fausses questions » que les personnes homosexuelles dirigent à leur société par rapport à l’homosexualité, on trouve beaucoup celle-ci : « Pourquoi ce serait mal ? » : « Si encore c’était un crime… mais là, je vois pas où est le mal ? » (Jérôme, invité à l’émission Jour après Jour, spéciale « Coming out : Le Jour où j’ai révélé mon homosexualité à mes proches »), France 2, novembre 2000) Elles jouent les interloquées, pour cacher l’objet d’indignation derrière la monstration de leur propre indignation. Cette manière de fuir la quête du meilleur, et de se rassurer dans la comparaison au mal ou au pire, est à mon sens typique de l’interjection homosexuelle.

 
 

d) Un dépassement des frontières homosexuelles:

L’appel des personnes homosexuelles n’est manifestement pas entendu par les personnes non-homosexuelles, comme le souligne Alain Minc dans Épîtres à nos nouveaux maîtres (2002) qui qualifie les secondes de « mol-pensants » : « Mol-pensants’, nous le sommes, non parce que nous pensons faux, mais parce que nous ne pensons plus. ‘Mol-pensants’, car nous avons abdiqué devant les minorités. » (p. 8) ; « Une fois de plus, vous n’avez même pas eu à revendiquer. Par lassitude ou manque de réflexion, nous ciselons, de notre propre chef, les instruments dont vous avez besoin. » (idem, p. 97)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles poussent leur entourage à bout pour tester jusqu’où il est capable d’aller pour les aimer. Celui-ci peut entendre, en lisant leur prose, un appel agressif dissonant qui n’emploie pas les moyens que son but requiert, qui cherche l’autre en feignant de ne pas le chercher. On a reproché à des Hervé Guibert ou des Guillaume Dustan l’exhibitionnisme violent, au lieu de voir dans leur impudeur un mime des mécanismes d’exclusion dont les personnes homosexuelles sont parfois victimes. À mon avis, tout a un sens, et à plus forte raison l’agressivité. Dans ce que profère l’autre, il y a toujours une part de Vérité, même s’il me l’exprime méchamment et que sa volonté est justement d’évacuer la Vérité. Y compris en me jetant une pierre ou en m’agressant verbalement, il me dit quelque chose de la beauté de l’Homme sans même le savoir, car la grâce de son humanité de lui appartient pas, et dépasse sa cruauté. C’est pourquoi la Gay Pride et la visibilité tapageuse des personnes homosexuelles n’ont absolument pas à nous choquer : elles sont juste temporairement dignes d’intérêt, et fondamentalement secondaires et inutiles. Nous devrions nous laisser toucher par les appels au secours de certains individus homosexuels, souvent camouflés dans un discours stéréotypé et lapidaire, qui ne se donnent pas les moyens de leur plainte, qui s’auto-sabordent par le cynisme et l’ironie. Ils attendent une parole, une réaction de notre part. On retrouve cette demande malhabile chez l’Eva Perón de Copi qui, derrière la farce agressive, s’adresse à notre indifférence laxiste face à l’homosexualité : « Je suis devenue folle, folle, comme la fois où j’ai fait donner une voiture de course à chaque putain que vous m’avez laissé faire. Folle. Et ni toi ni lui ne m’avez dit de m’arrêter. […] Quand j’allais dans les bidonvilles […] et que je rentrais comme une folle toute nue en taxi montrant le cul par la fenêtre, vous m’avez laissé faire. Comme si j’étais déjà morte, comme si je n’étais plus qu’un souvenir d’une morte. » (Copi, Eva Perón, 1970) Il y a dans l’attitude de provocation de nombreuses personnes homosexuelles un acte d’illustration visant à exposer aux autres ce qu’ils leur laissent impunément faire, un miroir brisé qui se veut le reflet de la lâcheté sociale. Au fond, elles regrettent amèrement le silence de leurs proches concernant leur situation souvent dramatique. « Mes parents n’entendent pas mon murmure. Mes chuchotements ne parviennent pas jusqu’à leurs oreilles. Ils n’entendaient déjà pas mes cris, il y a des années de cela. » (Luca, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 168) ; « Il m’arrive parfois de me poser la question sur ce que cela signifiait réellement : un groupe d’adultes qui feint ou qui ignore totalement nos complicités sexuelles. » (Berthrand Nguyen Matoko soulignant le silence complice de ceux qui n’ont pas dénoncé sa relation pédophile entre le père Basile et lui, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 37) ; « Je n’ai pas été un enfant à qui on disait qu’il était merveilleux. » (Stéphane Bern, Paris Match, août 2015) ; « À sept ans, ce garçonnet subit des attouchements sexuels de la part d’un collègue de travail de son père. Malheureusement, sachant que personne ne s’intéresserait à son problème, il ne put se confier. Adesse, sa mère, ne détectait pas les soucis de son fils, ni à quel point il était martyrisé par son frère. Il ne put jamais trouver les mots pour exprimer son désarroi et sa souffrance. […] Et voilà qu’en plus de toutes ces difficultés, un autre drame s’ajouta à son calvaire. Une nouvelle tentative d’agression sexuelle perpétrée par Octave [23 ans], l’un des meilleurs copains de son frère Hugues. À onze ans, la vie d’Ednar commençait par une descente aux enfers, cet abîme qui déjà le convoitait en le livrant à la merci et à l’incompréhension des personnes censées l’aimer et le protéger. Affecté par ce sentiment de culpabilité, cet enfant ne put dévoiler les secrets trop lourds à porter dans son cœur. Jamais dans sa famille il n’osa avouer son malheur dans le sous-bois. Il en parla à demi mots à ses copains de classe, qui eux non plus n’avaient pas le droit de répéter ces choses-là aux grandes personnes. À l’époque, il n’était pas permis aux jeunes enfants de dénoncer les perversités ni les égarements des anciens. […] Ce traumatisme inavouable fut l’un des plus grands secrets de sa vie. Et lorsqu’il devint adulte lui-même, il évoqua cette mauvaise rencontre comme ‘l’incident’ qui n’aurait jamais dû être […]. Décidément, le malheur s’acharnait sur cet enfant ; l’adolescent venait d’avoir treize ans, lorsqu’il tomba dans un autre piège. Cette fois un ancien collègue de son père l’attira chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. L’homme le poursuivit, en vain. Là non plus, il ne put se confier à un adulte et, pire, c’est lui qui culpabilisait. » (Jean-Claude Janvier-Modeste parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), pp. 12-14) ; « Il souffrait en silence ; personne ne décelait son mal-être, même pas Adesse, la mère aimante proche de son petit poète. » (idem, p. 16) ; « Cet enfant différent qui n’osait pas lui dire : ‘Maman, je souffre, j’ai besoin de savoir pourquoi la vie pour moi est synonyme de désarroi, et aussi pourquoi ma sexualité embarrasse autant les autres ? » (idem, p. 78) ; etc.

 

Face au mutisme social, elles se demandent quelles personnes seront vraiment capables de se laisser toucher par leurs appels. Elles font tout pour dissimuler leur souffrance, mais paradoxalement, elles regrettent que les autres ne la perçoivent pas, et leur reprocheront parfois d’y être indifférents !

 

Je reste convaincu que malgré leur auto-censure sur leur souffrance, les personnes homosexuelles sont finalement profondément blessées que leur société rentre dans leur jeu de la banalisation de l’homosexualité, qu’elle n’entende pas leur cri derrière leurs vociférations enjouées de Gay Pride : « C’est un poids de moins pour nous. Moi, je m’attendais à plus de cris et d’opposition. C’est cool ! » (Bryan s’adressant à sa mère et à la mère de son copain Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 358) ; « J’étais vraiment déçu… Si tout le monde accepte… » (Patrick, expliquant en boutade l’acceptation guillerette de son homosexualité par sa famille, lors du débat « Toutes et tous citoyen-ne-s engagé-e-s », le samedi 10 octobre 2009, à la Mairie du XIème arrondissement de Paris) ; « On voulait juste s’amuser. On ne pensait pas avoir autant de succès. On s’attendait même à provoquer plus d’indignation, de scandale en affichant notre homosexualité. » (Jimmy Somerville dans l’émission Sex’n’Pop 4 (2004) de Christian Bettges) ; « Le premier défilé d’homosexuels à Paris eut lieu en juin 1977. Je me souviens de notre départ de la rue Bonaparte jusqu’à Montparnasse ; cette marche eut lieu dans une ambiance festive et plutôt carnavalesque. Les pédés dans les rues, c’était du jamais vu ! Les badauds alignés sur le trottoir, ébahis, applaudissaient notre culot. Certains nous encourageaient à poursuivre le combat, pendant que d’autres exaspérés nous manifestaient leur hostilité. Cette première marche eut surtout un impact médiatique inespéré ; la presse écrite de gauche plaidait notre cause et la télévision commentait la ‘provocation’ : le courage de la minorité silencieuse prenait des proportions extraordinaires. » (Jean-Claude Janvier-Modeste parlant de sa participation au FHAR, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 173)

 

Et c’est vrai que la tolérance gay friendly de notre « démocratie de l’indifférence mutuelle », ainsi que les applaudissement actuels face à ce cri des sans-voix (que les sans-voix eux-mêmes renient !), sont révoltants. Il faut bien quelqu’un comme moi pour l’écrire, quand bien même les plaignants concernés se défilent et pourraient le faire mieux que moi !

 
 

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Tryptique Sexe-Souffrance-Mort

Je vous donne mon humble avis. Je ne crois pas que les arguments sur l’écologie, la Nature et l’Humanité auront un quelconque poids sur la conscience de nos contemporains. Ce sont des problématiques qui les barbent. Nous n’arriverons à vraiment toucher les coeurs d’aujourd’hui qu’en parlant de sexe (et surtout d’homosexualité), de souffrance (en particulier tous les mots en lien avec la peur et qui finissent par « -phobie ») et de mort (en lien avec le viol, les avortements, les suicides). C’est de cela dont les gens veulent entendre parler. J’insiste ici sur l’importance de la présentation : il n’y a pas à mettre d’abord en avant ce que l’on sait de juste et ce que l’on veut dire ; il y a à être drôles et sexys dans nos propos, corrosifs, à manier les paradoxes, à réveiller et à secouer les autres, à dénoncer sans agressivité les injustices, à acquérir un parfum de scandale (sans être scandaleux), à s’adapter aux besoins et aux intérêts de nos auditeurs ! La thématique Sexe-Souffrance-Mort, ça accroche un peu plus que l’écologie.

 

Le mal ne doit pas nous toucher

Si nous sommes vraiment en Dieu, rien ne doit nous atteindre profondément. La tristesse, la souffrance, la colère, la jalousie, la cruauté, le sarcasme, n’ont pas d’emprise durable sur nous. Si nous sommes touchés par eux, c’est parce que nous nous éloignons de Dieu sans nous l’avouer.