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Code n°98 – Innocence

Innocence

Innocence

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Qui veut faire l’innocent fait le coupable

 

Vidéo-clip de la chanson "Sans contrefaçon" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer


 

En écho à l’essai La Tentation de l’innocence de Pascal Bruckner (un livre que j’aime beaucoup), je vais traiter ici du code de l’innocence dans les œuvres homosexuelles, c’est-à-dire de toutes les fois où les personnages homosexuels se représentent comme des anges, se rêvent sans taches et sans blessures, et ceci de manière presque inversement proportionnelle à leur pureté effective puisqu’en général ils sont (ou se sentent) coupables d’un viol qu’ils ont subi (ou qu’ils ont fait subir). Ce qui est pratique avec l’innocence, même si le pacte qu’elle nous propose est objectivement odieux, c’est qu’elle nous propose d’être éternellement blanchis, d’être des légumes insensibles et en bonne santé ou bien des zombies bienheureux baignant dans une complète béatitude immatérielle, à condition que nous cédions notre liberté. Et c’est en effet une vraie tentation humaine que l’évitement de la souffrance et de la culpabilité à tout prix, surtout dans les moments où notre responsabilité nous pèse comme un joug parce que nous avons mal agi. Ce fut la tentation du diable, c’est dire ! Alors vive la vieillesse, la fatigue de l’engagement, la lourdeur de notre condition humaine, l’exigence de nos idéaux, les merdes qui nous arriveraient à cause de notre liberté ! Les personnages homosexuels, en pleurant l’époque irréelle où ils auraient été Adam et Ève tout à la fois, nous rappellent combien il est douloureux de délaisser ses idéaux plutôt que de les vivre.
 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Viol », « Mariée », « Folie », « Oubli et Amnésie », « Douceur-poignard », « Déni », « Jardins synthétiques », « Planeur », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Amoureux », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Mère gay friendly », « Éternelle jeunesse », « Clonage », « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Vierge », « Parodies de Mômes », « Homosexualité noire et glorieuse », « Maquillage », « Appel déguisé », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Solitude », « Haine de la beauté », « Clown blanc et Masques », « Amant diabolique », « Je suis un Blanc-Noir », « Passion pour les catastrophes », « Première fois », « « Plus que naturel » », « Main coupée », et « Fleurs », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

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FICTION

 

a) La nostalgie de l’innocence :

Roman À mort l'innocent ! d'Arthur Ténor

Roman À mort l’innocent ! d’Arthur Ténor

 

Souvent, dans les fictions homo-érotiques, le personnage homosexuel, en rupture avec ses idéaux profonds, rêve de retrouver l’innocence de l’ange ou de l’enfant : cf. le roman Les Innocents (1952) de Francis Carco, le film « Les Innocents » (2003) de Bernardo Bertolucci, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, l’album Le Square des innocents (1974) de Catherine Lara, le film « L’Innocent » (1976) de Luchino Visconti, le roman Journal d’un innocent (1996) de William Cliff, le roman L’Innocent (1931) de Philippe Hériat, le roman El Inocente (1966) de Juan José Hernández, la pièce El Inocente (1968) de Joaquín Calvo Sotelo, le roman La dernière innocence (1953) de Cécile Bertin, le roman The Age Of Innocence (1920) d’Édith Wharton, le film « Born Innocent » (1974) de Donald Wrye, le film « Neige » (1981) de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, le film « Pequeña Paloma Blanca » (2003) de Christian Barbé, le film « Innocence » (2003) de Bernardo Bertolucci, le film « Up The Chastity Belt » (1971) de Bob Kellett, le film « Ah ! Si j’étais restée pucelle » (1969) de Günter Schlesinger, le film « I’m Cool I’m Good » (2010) de Stanya Kahn, le film « Innocenti » (2008) de Jean-Baptiste Erreca, le film « Le Sexe des anges » (2011) de Xavier Villaverde, le film « The Innocence Of Muslims » (« L’Innocence des musulmans », 2012) de Nakoula Basseley Nakoula, le roman L’Amant pur (2014) de David Plante, le film « Innocent » (2005) de Simon Chung, etc.

 

« Moi aussi, tout petit, je croyais en moi. Mais j’ai changé. » (Môn, l’un des héros transgenres M to F s’adressant à Chaï, dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun) ; « Nous reste-il du temps pour redevenir innocents ? » (cf. une réplique dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Tous mes idéaux, des mots abîmés. […] Pourtant, je voudrais retrouver l’innocence. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « Ai-je jamais été innocent ? Si je l’ai jamais été, c’est parti très vite. Très vite, je crois avoir compris les jeux des grands, leurs enjeux, leurs discussions murmurées, leurs sous-entendus, leurs lâchetés, leurs espérances. Très vite, je n’ai plus été dupe. J’ai perdu ça : la naïveté, la fraîcheur, l’inconscience. » (Vincent, l’un des héros homosexuels du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 24) ; « J’étais innocent. » (Robbie, le héros homosexuel du film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « Mais comment retrouver l’innocence du commencement, la belle frénésie des toutes premières heures et la virginité perdue ? » (idem, p. 117) ; « Quand j’étais petit, j’avais des rêves, des ambitions. […] Maintenant, je vivote. » (Benoît, l’un des héros homosexuels parlant de l’amour, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; etc.
 
 

b) Qui veut faire l’innocent fait le coupable :

Film "Sexe des anges" de Xavier Villaverde

Film « Sexe des anges » de Xavier Villaverde


 

Le héros homosexuel est parfois tellement attiré par l’innocence qu’il tente de la dérober, de la prendre de force : « En société, j’imaginais les femmes qui m’entouraient déshabillées et offertes, et très vite, dans un état presque halluciné, je leur prêtais des postures ou des situations que je n’ose décrire, même dans mon carnet… Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon « vice » m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Quand tu m’as connue, j’étais innocente et je le suis toujours. » (Rosa, la prostituée, s’adressant à son client Jules, juste avant de vivre un échange sexuel SM, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc.
 

Par excès de purisme ou de perfectionnisme, beaucoup de personnages homosexuels jettent l’éponge de leurs idéaux profonds, ou bien cherchent, quitte à être jusque-boutistes, à reconquérir leur innocence par un don sacrificiel d’eux-mêmes dans la débauche. Une sorte d’innocence inversée : cf. le roman L’Innocence du diable (2001) d’Éyet-Chékib Djazari, le film « Totò Che Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec l’ange qui fait caca), le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal Alex-Vincent, le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel (Vassili rencontre Angelo inanimé dans le Bois de Boulogne), le roman La Pérdida Del Reino (1972) de José Bianco, etc. Par exemple, beaucoup de pièces de Tennessee Williams traitent de la perte de l’innocence.
 

À travers la tournure interrogative notamment, on trouve la simulation d’innocence en rapport avec l’homosexualité dans des films tels que « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, ou bien « Pourquoi pas ! » (1977) de Coline Serreau. En générale, cette simulation cache de noirs desseins : « Je suis l’enfant insouciant. Je n’ai pas de morale. » (Vincent, le héros homosexuel de 16 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 46-47) « On ne peut pas être innocents deux fois. » (Maria, l’héroïne jouant le rôle d’une lesbienne, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; « Je ne me souviens plus de ce que j’ai fait ces quatre derniers jours mais l’important est de savoir que je n’ai pas tué. Mon roman n’existe plus tant pis mais je suis innocent, c’est le principal. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des folles (1977), pp. 133-134) ; « La dignité… ça fait longtemps qu’elle m’a quittée, celle-là… » (Jack, l’un des héros homosexuels de la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « La plus grande chute est celle qu’on fait du haut de l’innocence. » (Merteuil dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller) ; etc. Par exemple, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015), Jefferey Jordan explique qu’il « voit du sexe partout même dans les comptines pour enfants » : selon lui, « Au clair de la lune » est une chanson « érotique », et « Les 3 Petits Cochons, là, c’est carrément dans une soirée SM ! »
 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola s’amuse d’entretenir ouvertement avec Nina une relation lesbienne « extra-conjugale » qu’elle qualifie de « liaison somme toute bien innocente » auprès de sa copine régulière Vera.
 

Film "Innocent" de Simon Chung

Film « Innocent » de Simon Chung


 

Parfois, le héros homosexuel a vraiment été dépossédé de son innocence par un véritable viol, ou par un viol psychique (harcèlement) : cf. le roman À mort l’innocent ! (2007) d’Arthur Ténor. « Mon cœur, tu l’as volé, et sans détour. » (Benji s’adressant à son amant Maxence qui lui a fait perdre son innocence et sa virginité, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Partager mon ennui le plus abyssal au premier venu qui trouvera ça banal. » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) ; « J’aime être propre : avant et après. […] La douche, c’était le grand moment. » (Eloy, le prostitué libertin en pleurs dans le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre) ; etc.
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

a) La nostalgie de l’innocence :

la chanteuse Björk

la chanteuse Björk


 

Comme l’explique Jean-Louis Chardans dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), les personnes homosexuelles dites, à une certaine époque, « pédérastes » ont parfois été surnommées aussi « catamini », autrement dit « chattemittes, ceux qui jouaient les innocents » (p. 126).
 

L’innocence a toujours exercé dans la communauté homosexuelle une grande fascination. Je vous renvoie à l’essai Preservation Of Innocence (1949) de James Baldwin, à l’autobiographie Journal d’un innocent (1976) de Tony Duvert, au roman biographique Si tout n’a pas péri avec mon innocence (2013) d’Emmanuelle Bayamack-Tam, etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont fascinées par l’innocence (plus cinématographique et littéraire que réelle) : « C’était l’enfance, le temps de l’innocence. » (Stéphane Corbin lors de son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey en février 2011) ; « Dors comme une enfant innocente. » (Ebba, au lit avec son amante la reine Christine, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. Par exemple, l’histoire du Petit Prince de Saint-Exupéry est l’un des livres favoris de James Dean, Néstor Perlongher, Mylène Farmer, Jacques-Yves Henry. Je vous renvoie au code « Conteur homo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup de chanteuses ou d’actrices un peu lunaires (Jackie Kennedy, Valérie Lemercier, Björk, Mylène Farmer, Charlotte Gainsbourg, Vanessa Paradis, Céline Dion, etc.) sont des icônes gays.

 

Il est extrêmement fréquent, dans le discours des personnes homosexuelles, d’entendre la confusion entre sincérité et Vérité, ou bien entre perfectionnisme et perfection, purisme et pureté, intentions et Réalité. « Mais je suis pur et vertueux ! » (Jean-Louis Bory, ironique au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) Pas étonnant que la déception et la dépression subséquentes à cette idolâtrie pour l’innocence arrivent vite. Par exemple, dans son article « Cuba, El Sexo Y El Puente De Plata » (1986) sur son essai Prosa Plebeya (1997), Néstor Perlongher parle de la « nostalgie ironique d’une perte » (p. 120).
 
 

b) Qui veut faire l’innocent fait le coupable :

Film "La Vierge des tueurs" de Barbet Schroeder

Film « La Vierge des tueurs » de Barbet Schroeder


 

« Qui fait l’ange fait la bête. » écrivait Pascal. Par excès de purisme ou de perfectionnisme, beaucoup de personnes homosexuelles jettent l’éponge de leurs idéaux profonds, ou bien cherchent, quitte à être jusque-boutistes, à reconquérir leur innocence par un don sacrificiel d’elles-mêmes dans la débauche. Une sorte d’innocence inversée. Dans leur discours dénégateur de la violence sexuelle qu’elles vivent, c’est très marqué, cette croyance en une pureté déchue et ressuscitée par l’esthétisation de la chute. Je l’ai entendu en bouche de la totalité de mes amis gays libertins, gros consommateurs de sexe.

 

Parfois, elles ont vraiment été dépossédées de leur virginité par un véritable viol, ou un viol auquel elles se sont identifiées. « Au fil de ces rencontres, je fins par me faire ‘prendre’. Assurément. Puisque j’avais ressenti ce corps étranger qui me pénétrait lentement et sûrement. Mais de la façon la plus banale sans doute. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 114) Par exemple, le romancier québécois Denis-Martin Chabot raconte dans l’émission Homo Micro (diffusée sur Radio Paris Plurielle le 27 mars 2006) que son roman Innocence (2007) retrace « cette fameuse perte de l’innocence que nous avons perdu ce 11 septembre 2001 ».

 

Au fond, les personnes homosexuelles ne croient ni en la pureté ni en l’innocence. « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; « Je trouve ça tellement élégant, la manière dont il bafoue l’innocence. » (Celia, la conservatrice de musées face à un tableau « monstrueux », dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc. Le désir homosexuel exprime ce rapport idolâtre déçu avec la virginité.
 
 

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