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Code n°10 – Androgynie bouffon/tyran

androgynie bouffon

Androgynie bouffon/tyran

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Vous vous souvenez des dessins animés de votre enfance, ou encore des B.D. dans lesquelles on voit un héros entouré de deux marionnettes – généralement un angelot et un diablotin – qui sont ses clones, et qui se disputent sans arrêt entre elles parce qu’ils ne sont jamais d’accord ? Vous visualisez les petites voix de la Conscience et de la Culpabilité qui se livrent bataille en lui pile au moment du choix cornélien, ou quand il est sur le point de faire une grosse bêtise ? Et bien je trouve que ces mises en scène de conflit intérieur entre deux personnages bouffon/tyran qui se mènent une vie impossible, mais qui pour autant restent inséparables (d’ailleurs, ils passent leur temps à s’échanger les rôles) sont typiques dans les œuvres artistiques traitant d’homosexualité. Sûrement parce que le désir homosexuel écartèle la conscience qu’il habite et la coupe en deux. Cette schizophrénie de l’âme, elle arrive généralement quand nos actes ne sont pas conformes à notre conscience et à nos bonnes intentions ; quand nous ne voulons pas assumer ce que nous faisons. Plus on se rêve éternelle victime – pour mieux mal agir en secret et en toute impunité –, plus on devient bourreau sans même s’en rendre compte. L’existence faite de dérision et de légèreté cache bien souvent des drames et des larmes invisibles. Derrière le Jean-qui-rie pleurniche Jean-qui-pleure (… et vice et versa). Comme le désir homosexuel est plus bien-intentionnel que fondé sur le Réel, il est logique qu’il nous encourage à vouloir porter les deux masques, en apparence antithétiques, de la clownesque bataille entre le valet lourdingue et son maître psychorigide. Dans les œuvres homosexuelles, ce duo fusionnel amusant est pourtant le signe d’un désir de viol chez celui qui les met en scène, la marque de l’écartèlement d’une conscience humaine en proie à ses désirs de rupture/fusion avec les autres. Il n’est pas rare que l’inconstance du désir homosexuel prenne, dans les créations artistiques, la forme de la farce sado-masochiste.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Doubles schizophréniques », « Désir désordonné », « Violeur homosexuel », « Jumeaux », « Adeptes des pratiques SM », « Moitié », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », « Promotion ‘canapédé’ », « Défense du tyran », « Clown blanc et Masques », « Douceur-poignard », « Homosexuel homophobe », « Femme et homme en statues de cire », « Femme fellinienne géante et pantin », à la partie « Amant-marionnette ou marionnettiste » du code « Amant diabolique », et à la partie « Je suis fier d’être un monstre » du code « Homosexualité noire et glorieuse », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le couple homosexuel explosif est composé de deux marionnettes grand-guignolesques figurant un tyran et un serviteur qui lui est soumis :

Vidéo-clip de la chanson "Optimistique-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer


 

On peut retrouver ces personnages chamailleurs dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut (avec le couple homo formé par Dieu et Satan, et entourant Bill), le spectacle-performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec les ombres chinoises du tyran et du bouffon), le Muppet Show (avec les grands-pères Statler et Waldorf), dans le film « La Femme et le Pantin » (1931) de Josef Von Sternberg (avec le maire et son bras-droit, Alphonso et Pacco), la chanson « Egotrip » du spectacle musical Starmania de Michel Berger (avec Stella Spotlight et Zéro Janvier), le « Medley Cette Année-là » au concert des Enfoirés en 1998 (avec Pierre Palmade et Patrick Juvet), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec Cyrille, le héros homo, et Hubert, son journaliste-bras-droit), le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears (avec Omar et Johnny), le film « Vatel » (1999) de Roland Joffé, le tableau La Cour du roi doré (2007) de Thierry Brunello, le film « Sens unique » (1987) de Roger Donaldson, le film « Mont-Dragon » (1970) de Jean Valère (avec Madame la colonelle et sa servante), la pièce Le Cri de l’ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le poème « República » de Néstor Perlongher, le roman La Terrasse du roi lépreux (1969) de Yukio Mishima, le film « Une étrange affaire » (1981) de Pierre Granier-Deferre (avec Louis et son rapport exclusif avec son supérieur, le film « Mauvaise Passe » (1998) de Michel Blanc (avec Pierre, le prof de lettres dépendant de Tom, l’escort boy), le film « Beau Travail » (2000) de Claire Denis (entre l’adjuvant et le jeune légionnaire), le film « La Fille de Monaco » (2008) d’Anne Fontaine (entre l’avocat et son garde du corps), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le roman Prince et Léonardours (1987) de Mathieu Lindon, le film « Furyo » (1983) de Nagisa Oshima (Jack Celliers et le Capitaine Yonoi, jouant au chat et à la souris), le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp (avec sa Majesté Frédéric et son goûteur Nicolas), la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, la bande dessinée homo-érotique Batman (avec Batman et Robin en lutte contre le Joker efféminé), la chanson « L’Aventurier » d’Indochine (avec Bob Morane et Bill Ballantine), le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth, la veuve Merteuil et calculatrice, et Brahim son bras-droit homo), le film « Huit Femmes » (2002) de François Ozon (avec Louise et sa servante Gaby), les films du duo homo-érotique Laurel et Hardy (cf. le documentaire « The Celluloïd Closet » (1995) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman), la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena, le roman L’Agneau carnivore (1975) d’Agustín Gómez Arcos, la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas (avec le jeu ambigu entre le geôlier et le prisonnier), le film « Jan-Ken-Senso » (1971) de Shuji Terayama, le film « It’s Love Im After » (1937) d’Archie Mayo, le film « Holy Matrimony » (1943) de John M. Stahl, le film « Mon capitaine, un homme d’honneur » (1995) de Massimo Spano, les tableaux de Moktar, la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare (avec le couple criminel Macbeth-Lady Macbeth), la pièce Arlequin, valet de deux maîtres (2008) de Goldoni, le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon (avec le duo sadomaso formé par la grande Allemande robuste et sa compagne petite, toutes deux en couple lesbien, et qui violent les vierges), le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec le duo SM composé de la gouvernante stricte et de la femme-enfant ingénue), la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks (avec Igor et Freddie le Dr Frankenstein Junior), etc.

 

Par exemple, dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, les deux lesbiennes Lucie et Léonore doivent, lors d’un casting, interpréter une scène entre une Reine autoritaire et une servante. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François s’extasie devant Thomas, son amant qui l’a quitté, et se remémore « son air sournois et machiavélique qui lui va si bien ». Dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, Fred (le héros homosexuel) et Alice (la « fille à pédé(s) ») se chamaillent comme les deux moitiés schizophréniques d’une même personnalité déchirée : « Tu joues la meilleure amie, et puis après, tu joues la parfaite hystéro qui m’arrache la moitié du visage ! […] Arrête de me toucher ! J’vais finir en morceaux avec toi ! » (Fred) Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, les deux amants Jean et Luc se comportent comme de vraies girouettes qui s’insultent, s’adorent, se déchirent, disent qu’ils se taisent pour en réalité parler encore plus : « Je parlais pour parler. » (Jean) Dans le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) du travesti M to F Charlène Duval, Madame Raymonde et Charlène Duval disent s’adorer « comme des copines », mais en même temps s’envoient sans arrêt des vacheries dans la gueule. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah humilie son amante Charlène devant les autres camarades, la traite comme sa bouffonne et arrive à s’en victimiser : « Tu m’auras bien fait du mal en tous cas. En même temps, je ne mets pas tout sur le dos. Moi aussi, je me suis laissée faire. […] Putain, t’es forte. Tu fais encore ta petite victime. Tu prends ton air de chien battu. […] Avec toi, je me sens mal. Je mens. Je me sens dure. Tu me donnes le mauvais rôle. ». Dans la pièce Lettre d’amour à Staline (2011) de Juan Mayorga, des couples étranges se forment : d’abord entre le poète Boulgakov et sa femme – qui se met dans la peau de Staline – (« Tu es la femme que j’aime. Comment puis-je imaginer que tu es Staline ? »), et ensuite entre Boulgakov et un Staline homosexuel (« C’est toi le poète et moi le lutteur. » affirme impérieusement le dictateur). On peut également penser au passage célèbre de Sodome et Gomorrhe où la rencontre amoureuse entre le très aristocrate Palamède de Guermantes, baron de Charlus et le valet Lupien est racontée avec beaucoup d’humour. Ce n’est que lorsque ces duos apparaissent dans le scénario de cette pièce que les enjeux de pouvoir se modifient entre les personnages. Les combinaisons par binôme indiquent deux choses : l’émergence d’un désir sexuel ambigu (= homosexuel) d’une part, et de la violence destructrice d’autre part. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, pendant le cours d’histoire, Nathan simule un malaise alors que le prof parle de l’accord (pacte de non-agression) entre Hitler et Staline pendant la Seconde Guerre mondiale, pour être amené à l’infirmerie par son futur amant Jonas, qu’il va draguer en même temps qu’humilier et manipuler.

 

Le dramaturge argentin Copi est le spécialiste des pièces où le personnage central est en proie à des voix intérieures délirantes, comme s’il ne s’éprouvait plus du tout jouer (d’ailleurs, quand Copi montait sur scène pour interpréter ses propres personnages, il arrivait qu’il soit complètement camé lui-même !). Il s’agit généralement d’un héros homosexuel hystérique et schizophrène, parfois transsexuel, semblant souffrir du syndrome Gilles de la Tourette : « Arrêtez ! Ma bonne m’assassine à coups de massue et mon chien afghan me mord les chevilles ! » (« L. », le héros travesti M to F en parlant de Goliatha, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Où est-elle, cette salope, que je la tue ! » (Jolie parlant de sa fille Graciela, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 75) ; « Ne tirez pas, Madame, je suis aveugle ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; etc. Le bouffon et le tyran de Copi sont généralement un adulte-petite fille envoyé(e) faire le tapin par une mère-transsexuel despotique ; mais ils peuvent être également un rat et son maître-courtisan, ou bien une matrone bourgeoise et son domestique. Ces partenariats violents renvoient presque systématiquement à l’inceste, à l’homosexualité, au viol, à la prostitution.

 

L’androgynie entre le bouffon et le tyran peut s’observer entre frères, et indiquer une transgression de la différence des générations : cf. le roman J’ai tué mon frère dans le ventre de ma mère (2011) de Sophie Cool, la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth et Paul, les frangins incestueux), etc. « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne s’adressant à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Une dame ici ? Ce ne peut être que ma belle-sœur. Dites-lui que j’ai détesté sa robe de chambre et que je n’ai pas l’intention de les recevoir. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; etc.

 

La dualité bouffon/tyran dans les œuvres homosexuelles fait également référence à la différence des espaces (on le voit plus largement dans le code « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » du Dictionnaire des Codes homosexuels), c’est-à-dire à la double appartenance du personnage homosexuel à des classes sociales dites « opposées ». « Quand c’est pas la Boche, c’est la Juive. » (Laurent Spielvogel imitant Marlène Dietrich puis Barbara, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Mon frère homo va épouser un des sujets de sa majesté. » (l’avocat dans le film « Non-stop » (2014) de Jaume Collet-Serra) ; etc. À la fin du film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, par exemple, la juxtaposition des deux enterrements (d’un côté les funérailles carnavalesques du père des parias homosexuels, Bob ; de l’autre la mise en bière totalement guindée et triste du Maire de la ville) montre la division intérieure vécue par le personnage homosexuel de Scott (Keanu Reeves), fils du maire côté jour et délinquant queer côté nuit. Dans le dessin animé South Park, Herbert Garrison discute à la façon d’un ventriloque avec une marionnette actionnée par sa main droite, qu’il appelle « M. Toque ». Pendant quelques épisodes, Garrison remplace « M. Toque » par « M. T-shirt », une simple brindille vêtue d’un T-shirt, qui porte sur elle le triangle rose, référence directe au symbole cousu sur la chemise des personnes homosexuelles sous l’Allemagne nazie. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le couple homosexuel est composé d’un tyran et d’un bras droit qui lui est soumis… et bien sûr, les rôles s’interchangent : « J’attire sans souci les hommes des plus exigeants. » (Gatal, le héros homo, parlant à ses deux « pères ») ; « Tu seras mon soldat si tu veux bien. » (Gatal s’adressant à son fiancé, qui est aussi son directeur à qui il obéissait comme un subalterne). Le fiancé de Gatal, en lui tendant sa main, lui fait le salut nazi.

 

Film "Peter Pan" de Walt Disney

Film « Peter Pan » de Walt Disney


 

Un jeu d’honneurs à sauver s’instaure parfois entre les partenaires homosexuels. La paranoïa amoureuse aussi. L’amant gay n’accepte pas la Règle d’or de l’Amour qui consiste à consentir à appartenir, à se donner entièrement soi-même sans peur de mal se livrer : « Je l’aime beaucoup et c’est quelqu’un de très important pour moi. Mais ça ne lui donne pas le droit de régenter ma vie. » (Bryan à propos de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 192) ; « Je suis voleur. Vous êtes Roi. Autrement dit, nous sommes deux frères. » (cf. le poème de Lacenaire adressé au Roi, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, met sur le même plan sa relation de subordination au commandant de bord de l’avion qu’il occupe avec la fellation : « Ben c’est le commandant… » dit-il avec un geste obscène.

 

Un bras de fer commence, en dépit du plaisir que les amants semblent partager ensemble. La comparaison (« je suis meilleur que toi/je suis un gros nul par rapport à toi ») est la condition de leur fusion, le centre névralgique de leur querelle. Ils ne peuvent rester ensemble que parce qu’ils se jaugent l’un l’autre et se reprochent sans cesse de trop se ressembler/de ne pas assez se ressembler. Leur conflit est par conséquent éminemment gémellaire, narcissique. Il suffit d’une pique de comparaison, d’une remarque-serpent où les points de suspension et les jugements implicites appuient là où ça fait mal (genre : « MOI, je suis aimable et attentionné. Contrairement à toi… ») pour réveiller l’autre de son sommeil et subir ses foudres. La comédie de pestes que se jouent le bouffon et le tyran, dans laquelle il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, nous montre que l’amour homosexuel n’est pas un lien valorisant, mais un amour de la comparaison dépréciative : « Je me sens toujours nul à tes côtés. » (Bryan s’adressant à son amant Kevin, idem, p. 218) ; « J’ai tout pouvoir sur toi ! » (idem, p. 163) ; « En général, elle se plie à ma volonté. » (Vera l’héroïne lesbienne parlant de son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si je comprends bien, ma relation avec Lola est sous ton contrôle ? » (Nina s’adressant à Vera, idem) ; « Je me demande si tu ne manœuvres pas dans l’ombre pour manipuler Lola. » (Nina s’adressant à Vera, idem) ; « Ta dépendance et ta soumission avec cette fille me gêne profondément. » (Nina s’adressant à son amante Lola, idem) ; etc. Trop se comparer aux autres témoigne d’un gros complexe d’infériorité/de supériorité ; ne pas assez se comparer aux autres rend tout aussi orgueilleux et indifférent.

 

Un rapport de force s’établit très vite entre le maître et l’esclave : selon le schéma dialectique hégélien, l’esclave dépasse son bourreau et cherche à le soumettre. Montent chez le picaresque valet des désirs de symbiose avec son chef : « Voglio far il gentiluomo/Et non voglio più servir. » (« Je veux moi-même être le maître et ne veux plus servir. », c’est la première phrase de Leporello dans l’Acte I, scène I, de l’Opéra Don Juan de Mozart, 1787) Le tyran et sa laquais sont unis dans un mariage fictionnel grotesquement forcé, comme on peut le constater dans le roman Le Corps du soldat (1993) d’Hugo Marsan, le roman Pompes funèbres (1947) de Jean Genet, le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, la bande dessinée Rocky & Hudson, les cowboys gays (2013) d’Adao Iturrusgarai, etc. On retrouve l’amour entre le prisonnier et le policier dans le film « East Palace West Palace » (1996) de Yuan Zhang, le film « Shoot Me Angel » (1995) d’Amal Bedjaoui, le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault, le film « Hellbent » (2005) de Paul Etheredge-Ouzts, le film « À couteau tiré » (1983) de Roberto Faenza, le film « Le dernier saut » (1969) d’Édouard Luntz, le film « Lang Tao Sha » (1936) de Wu Yonggang, etc. Le dominant et le dominé sont unis à l’amour à la mort ! : « Maître et esclave côte à côte : elle le maître et moi l’esclave. » (Laura par rapport à son couple avec Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 38) ; « Who is the master ? Who is the slave ? » (cf. la chanson « Voices » de Madonna) ; « Les garçons préfèrent toujours ceux qui les malmènent. » (Laurent Spielvogel imitant André, un homme gay d’un certain âge, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « On n’arrive jamais à s’aimer sans se marcher sur les pieds. Moi, je suis avec toi parce que tu m’fais du bien. Toi, tu te sers de moi pour arriver à tes fins. On fait tout ce qu’on peut pour pouvoir se rendre heureux mais on n’est jamais contents tous les deux en même temps. Ego trip, toi tu fais ton Ego trip. Ego trip, moi je fais mon ego trip. Comment veux-tu qu’on s’aime ? » (Stella Spotlight et Zéro Janvier, dans la chanson « Egotrip » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Parfois je me demande si je suis un des acteurs du scénario ou si je suis en train de rêver. Suis-je une victime, pauvre victime innocente de l’intrigue ? Ou bien suis-je, à mon corps défendant mais à mon esprit consentant, en train de manipuler les autres ? » (François, un des héros homos du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 109) ; « Toi et moi on est pareils. On se ménage parce qu’on joue chacun très bien au jeu de l’autre. Je connais très bien ton jeu. J’y joue très bien. Toi aussi d’ailleurs. Mais tu sais, je suis meilleur que toi. Je te bats quand je veux. Alors, ne me provoque pas. Je te préviens. » (Harold, le héros homo s’adressant à son colocataire gay Michael, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

Dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, la relation bouffon/tyran entre Omar et Hassan II est transposée sur le terrain amoureux, entre Khalid/Omar : « Je suis au pied du trône. Aux pieds de mon commandeur. Mon bonheur n’est plus. Mon amour n’est plus. Je suis un condamné. Un fou du Roi. » (Omar face à Hassan II, p. 13) ; « Dans la nuit du mardi au mercredi, le palais est venu à moi. Cela a duré toute la nuit. C’était comme dans une pièce de théâtre. Un casting était organisé afin de choisir un bouffon pour le Roi. Un fou du roi. On est venu me chercher. » (Omar, p. 24) ; « Non, je ne serais jamais un bouffon du roi. Pourtant, au fond de moi, j’aurais bien aimé le devenir. » (idem, p. 25) À la fin du roman, les rapports s’inversent : Karim, l’amant riche qui couchait avec Omar, le gars du peuple, finit par devenir le bouffon : « Je n’étais pas la victime de Khalid. J’étais son bourreau. » (idem, p. 171) Dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, Jeanne n’arrête pas de demander au facteur de « cesser de la contredire ». Dans le film « The Servant » (1963) de Joseph Losey, on observe le même revirement brutal entre bouffon et tyran : un jeune et riche aristocrate engage un valet de chambre qui, peu à peu, exerce une totale domination sur lui. Les bourreaux et les victimes du film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Jours de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini se mélangent également, et collaborent en vue d’illustrer la dualité violente de la dictature de Salò. Dans le roman Radcliffe (1963) de David Storey, Léonard Radcliffe, soumis au joug de son amant Vic, avoue son propre despotisme sous-jacent : « Le pire dans tout ça, c’est qu’une partie de moi l’aime et l’autre partie de moi ne lui sera jamais soumise. » (Gregory Woods, Historia De La Literatura Gay (1998), pp. 132-133) D’ailleurs, à la fin de l’histoire, Léonard, jadis homosexuel soumis et passif, finit par tuer Vic et par devenir l’homosexuel actif et prédateur une fois incarcéré. Ici, le violé devient violeur. Presque systématiquement, l’androgynie bouffon/tyran n’est que la figuration fantasmatique d’un conflit paranoïaque et hystérique qui se joue à l’intérieur d’un même personnage, comme c’est le cas par exemple avec le protagoniste de la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, qui rêve d’être « à la fois gibier et chasseur ». Dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, c’est la guerre entre les deux rivales Doris (l’héroïne lesbienne) et Peggy/Truddy (qui se dit elle-même « schizophrène ») : Truddy se fait passer pour la secrétaire de Doris, avant de dévoiler sa véritable identité et son plan machiavélique pour humilier sa maîtresse : « Alors comme ça, je ne sais pas jouer ? […] Moi, je ne sais pas jouer. Mais j’ai su te réduire en poussière rien qu’en jouant. » (Truddy) ; « Il est clair, Truddy Hobson, que tu es folle comme un âne. » (Doris) ; etc. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Jenko (le grand beau gosse) et son collègue Schmidt (le gros petit) se disputent beaucoup : « Tu me tires vers le bas. » (Jenko) ; « Tu étais une petite fleur et je t’étouffais. » (Schmidt) Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Il le juge ennuyeux, empoté en voiture, un peu trop plat, et finit par le tromper. Louis, le frère d’Antoine, s’étonne que leur couple prétende encore en être un : « Je ne comprendrai jamais comment un type aussi gentil peut te supporter… »

 

ANDROGYNIE Guignol

 

Dans les fictions homo-érotiques, la présence du bouffon et du tyran démontre plus fondamentalement que le héros homosexuel vit un conflit spirituel, voire une possession diabolique. « Il faut au moins un mentor et un disciple pour réussir une quête. » (la voix-off d’Audrey, l’agresseur homophobe, parlant d’Anton ou de Vlad, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Chacun de nous porte en lui le Ciel et l’enfer. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Comme le diable et son valet, on marche ensemble. Nous sommes unis comme un vieux couple. Pour le meilleur… après le pire. » (Lacenaire s’adressant à son complice Avril, dans la pièce Lacenaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; etc. Par exemple, dans la pièce Nationale 666 (2009) de Lilian Lloyd, Sophie est en lutte entre ses deux consciences, Louise la diablesse et Angélique l’ange. Dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Maxence, le héros homosexuel, est entouré du diable et de l’ange. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, le psy (Dr Apsey) comme l’amant (Jonathan) sont tous deux les petites « voix » diaboliques de la conscience torturée du héros homosexuel Frank. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, à la fois le Rat est une simple marionnette en mousse inoffensive qui n’a que le pouvoir que Vicky, sa maîtresse, lui confère (« Ce Rat n’est qu’une marionnette, il est animé par une main, vous le savez mieux que personne, puisque vous l’avez fabriqué. Il serait incapable de tuer tout seul. » dira l’Auteur), mais il dépasse et domine Vicky qui soutient qu’il « a un esprit. C’est le Diable ! ».

 
 

b) Le bouffon :

La figure du bouffon, qui – soit dit en passant – est davantage une allégorie de la folie (dans le sens homosexuel du terme) qu’une allégorie de la joie, apparaît dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec l’acrobate-paysan Uloomji), le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron (avec Paulo faisant le clown devant son amant), le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or » (1967) de John Huston (avec Anacleton, le farfelu serviteur du Major), le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec les deux bouffons viscontiens face à la grande bourgeoisie), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec le facteur fou), le roman Le Fou du Père (1988) de Robert Lalonde, le spectacle musical Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le film « Le Fou du Roi » (1983) d’Yvan Chiffre, le film « Le Roi danse » (2000) de Gérard Corbiau (avec l’attachement de Lully à Louis XIV), le film « Casanova » (1976) de Federico Fellini, la pièce Bang, Bang (2009) des Lascars Gays, le film « Gosford Park » (2001) de Robert Altman (avec Arthur, le valet homo), la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard (avec Dzav déguisé en joker Jean Sans Peur), la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier (avec Bernard, le héros homo déguisé en bouffon), la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, etc.

 
 

Michèle – « Et vous Malcolm, que faites-vous ?

Malcolm – À vrai dire, en ce moment pas grand-chose, je distrais, comme dirait Adrien. »

(cf. le dialogue entre Malcolm, l’amant d’Adrien, et Michèle, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 55)

 
 

Par exemple, dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, Mrs Venable, en parlant du fauteuil de son fils homosexuel Sébastien dans lequel le Dr Cukrowiz s’assoit, signale que « c’est un siège de bouffon, très rare, qui date du XVe siècle ». Dans le film « Monsieur Max » (2007) de Gabriel Aghion, Max Jacob se définit comme un « clown triste », un « pitre ». Oscar est surnommé « bouffon » par Charles Newman, son patron, dans le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, le protagoniste homo Jason se présente comme un « bouffon » face à une Varia despotique. Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, est traité par Brad, le méchant du film, de « Cendrillon » et de « bouffon ». Dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, le duo Bill/Étienne est qualifié de « lutins farfelus et fantoches ».

 

La figure du bouffon peut indiquer un désir de soumission ou l’impression de ne pas exister pour soi-même : « J’ai grandi en coulisses. Mon grand-père était un clown. » (le Machiniste de la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai besoin d’un mentor et j’ai besoin que tu m’épaules. » (Jean-Jacques s’adressant à son amant-bras-droit Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc. Par exemple, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann est l’assistant soumis de Julien, son maître qui le méprise : « Mais qu’il est con… » ; « Tu vas répondre, feignasse ?! » ; « Toi, t’es nul. » ; etc. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, le cri final d’amour que pousse Rachel à Luce pour l’appeler en plein embouteillages est en réalité une insulte que son amante lui avait appris sur un stade de foot américain : « T’es qu’un branleur n°9 !!! » Le tout est filmé comme une magnifique déclaration d’amour…

 
 

c) Le maître cruel, le gendarme Flageolet :

N.B. : Je vous renvoie également au code « Homosexuels psychorigides » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

On retrouve le motif du méchant maître dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet (avec la coalition explosive entre les deux servantes Solange et Claire, tramant une machination pour se débarrasser de « Madame », leur maîtresse despotique et invisible), le roman Mon valet et moi (1991) d’Hervé Guibert, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec le glacial Major Weldon interprété par Marlon Brando), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, etc.

 
 

Cyrille – « Comment me trouvez-vous, Hubert ?

Hubert – Effrayant, maître !

Cyrille – Vous serez toujours mon meilleur public. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

La tyrannie s’applique au moins à l’un des deux membres du couple homosexuel, sinon aux deux : « Nous sommes deux personnes. Nous sommes deux bourreaux aussi. » (Louis et son frère siamois, dans la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Vous savez ce que ça fait de vivre avec la Gestapo ? » (Larry, en parlant de Hank, son amant qui l’aime et qui ne supporte pas de le voir infidèle, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « J’avais l’impression d’avoir donné mon âme à un être qui met une fleur à sa boutonnière. » (Basile le peintre par rapport à Dorian Gray, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; etc. Le bouffon menteur est bien souvent le « tyran du tyran », comme c’est le cas du personnage homosexuel Frank de la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes : le Dr Apsey, qu’il mène en bourrique, avoue leur gémellité : « À vos yeux, je suis un tyran […]. Mais la restriction vient de vous. Pas de moi. » Les jambes de Flageolet flageolent face à son nouvel arroseur…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

N.B. : Je vous renvoie également au code « Défense du tyran » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sont d’abord senties méprisées, considérées comme des pauvres types ou des bouffons. « J’étais le clown de service… […] On m’incluait dans l’équipe non parce que j’étais bon, mais parce que j’étais drôle. Ce rôle me plaisait, je l’entretenais. […] Être le Guignol de service, brouiller sans cesse mon identité, c’était insupportable. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 22-30) Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans rappelle que « joker » a été, aux États-Unis, un des synonymes d’« homosexuel » (p. 271).

 

Une fois arrivées à l’âge adulte, pour se venger de ce ressenti ou de ce vécu honteux, certaines inversent la vapeur et se comportent en bouffons vengeurs. « Après dîner, nous faisons un enregistrement de L’École des femmes avec Jouvet. Cette pièce souvent si comique est proprement déchirante. Le vrai sujet est l’incompréhension humaine, Agnès victime et bourreau, ou précisément bourrelle de son bourreau. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, mars 1981, p. 19)

 

Pièce Les Bonnes de Jean Genet

Pièce Les Bonnes de Jean Genet


 

La scission androgynique bouffon/tyran du psychisme homosexuel/humain est décrite par bien plus de célébrités homosexuelles qu’on ne pourrait le croire : « J’ai déjà un titre provisoire : Confession d’un masque, et je voudrais, en écrivant là mon premier roman autobiographique, me disséquer moi-même, avec la double résolution dont parle Baudelaire : être ‘et la victime et le bourreau’. » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 73) ; « Je trouvais les personnages de valets de chambre fascinants. Ils vivaient dans l’intimité de leurs maîtres, connaissaient d’eux leurs caractéristiques les moins avouables. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des Singes (2000), p. 277) ; « C’est lui-même qui sera en même temps le tribunal et l’accusé, le gendarme et le voleur. » (Jean-Paul Sartre en parlant de Jean Genet, dans la biographie Saint Genet (1952), p. 31) ; « Farceur et espiègle, mais avant tout irrévérencieux, il a quelque chose d’un fou du roi dont les grelots seraient fêlés. » (Thibaut d’Anthonay à propos de Jean Lorrain, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, pp. 313-314) ; « Cette expérience m’était à tel point incroyable que, je préférais me taire, craignant sans doute de passer pour un être anormal et déséquilibré. Mais rien ne pouvait jamais m’ôter l’absolue certitude, que je n’avais pas rêvé ni été victime d’une hallucination. J’étais la victime et le témoin, c’est sûr, la cible d’un amour impossible. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; « Bien entendu, je ne suis pas dupe. Je sais très bien que je sers d’alibi au Système. À la limite je sais très bien que je sers d’alibi – je peux être méchant ? – à une société que je déteste. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Par exemple, Copi a joué à de nombreuses reprises Les Bonnes de Genet (et pas seulement en français ; il est allé les interpréter en italien à Turin). Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev, très despotique (« Je préfère mourir qu’obéir. ») passe son temps à se faire passer pour la victime, en particulier de son mentor et amant Constantin Sergueïev (« Il m’opprime/m’oppresse. »).

 

Le présentateur homosexuel français Laurent Ruquier a quelque chose du bouffon toujours hilare… mais hilare de balancer les autres et d’organiser des arènes où sont dévorés ses invités.

 
 

Des rôles de bouffon/tyran, de dominé/dominant, de passif/actif, clairement identifiables dans le couple homo ?

Cette fusion entre le bouffon et le tyran n’est pas qu’identitaire. Elle a pu être relationnelle. Il est déjà arrivé dans l’histoire humaine que le serviteur et son maître « fricotent » ensemble. C’est le cas très connu des « mignons » efféminés qui entouraient rois et autres chefs. Par exemple, Lorenzo de Médicis (qui devint le personnage de la pièce d’Alfred de Musset Lorenzaccio en 1834) a été l’amant de son cousin Alexandre de Médicis, avant de l’assassiner par un complot. « La passion homosexuelle amène les accouplements les plus monstrueux. Le maître et son domestique, le voleur et l’homme sans casier judiciaire, le goujat en guenilles et l’élégant, s’acceptent comme s’ils appartenaient à la même classe de la société. Le millionnaire et le va-nu-pieds fraternisent ; le fonctionnaire et le repris de justice échangent leurs ignorantes caresses. » (cf. l’article « Criminel » de Michael Sibalis, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 111) ; « J’aime l’aventure, l’ambition. J’aime commander. Et les femmes soumises. » (Maïté, femme lesbienne, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Hegel serait ravi de voir l’apparent équilibre qu’ont trouvé Hitler et Röhm à s’utiliser l’un l’autre comme tyran et bouffon. « Il y aurait une raison pour laquelle Hitler choisit et prend le risque d’utiliser Röhm à un si haut niveau. Comme le dira Franz Pfeffer von Salomon, un ancien chef des SA, Hitler préfère choisir des hommes avec des points faibles, de sorte qu’il puisse actionner le ‘frein d’urgence’ en cas de nécessité. Grâce au point faible de Röhm, mais aussi toute la clique homosexuelle de la SA seraient sous contrôle. Röhm est lui-même conscient de sa dépendance à l’égard d’Hitler, à cause de sa propre homosexualité. En 1932, dans un accès de profonde résignation, il avoue franchement à Kurt Lüdecke, un compagnon d’Hitler à Munich dans les années 1920 : ‘Je le reconnais, pour ma honte que la vulnérabilité que tu m’as mentionnée m’a livré entre ses mains. C’est une chose terrible… J’ai perdu mon indépendance pour toujours… Tu sais comme moi comment Hitler peut jeter quelqu’un par terre… Et c’est nous, nous-mêmes, qui avons fait de lui ce qu’il est… Ma position est si précaire… Je fais mon job, le suivant aveuglément, loyal jusqu’au bout – il n’y a rien d’autre que je puisse faire.’. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 229-230) ; « Jamais dans l’histoire de l’Allemagne un homosexuel avoué n’avait accédé à ce niveau du pouvoir suprême, tout fragilisé qu’il fût, nous l’avons dit, par d’éventuelles menaces de chantage suspendues par Hitler lui-même au-dessus de sa tête comme autant d’épées de Damoclès. Dès lors un combat mortel est engagé ente Hitler et son ‘second’. » (idem, pp. 243-244)
 

Beaucoup de personnes homosexuelles soupirent d’agacement dès qu’on aborde la question de la domination et de la soumission au sein de leurs couples. En général, pour imposer une censure sur leurs actes, elles préfèrent caricaturer la gêne de leur société par rapport à la pourtant très marquée inégalité des rôles sexuels pendant le coït génital homosexuel (« plus marquée » ? Assurément ! Il suffit de faire un petit tour sur les sites de rencontres Internet gays, où la mention de la « passivité » et de l’« activité » revient bien plus souvent que le « 50/50 » ou l’« auto-reverse », pour s’en convaincre : l’inégalité génitale dans les couples homos, quoi qu’on en dise, est plus marquée entre deux hommes ou entre deux femmes qu’entre une femme et un homme) sous forme de questions stupides – « Qui fait l’homme ? Qui fait la femme ? » – pour ne pas avoir à y répondre, ou pour aboyer que le couple homo est totalement démocratique, que la question n’est pas de savoir qui fait quoi au lit, qui pénètre qui, mais uniquement de « tout faire » sans se poser de question, d’« inventer », de ne pas s’attribuer de rôles précis, de « sortir des carcans hétérosexistes », d’« improviser ». Pendant le coït homosexuel, tout serait question d’« amour », d’« échanges ». Ce n’est pas aussi simple. On voit bien au niveau des pratiques déjà simplement génitales qu’à l’intérieur des couples homos, les face-à-face se font plus rares, les « emboîtements » corporels sont moins évidents, la « syntaxe naturelle des corps » s’opère avec moins de poésie, la réciprocité est encore moins marquée, le réel occupe à priori moins de place, que dans un couple qui intègre la différence des sexes. Le fantasme, le jeu puéril, la mise en scène violente et humiliante, la sexualité régressive, la bestialité (dans les positions – à quatre pattes, contre le dos de l’autre, en fœtus – tout comme dans les pratiques – suçons, morsures, masturbation, fellation, sodomie, parfois même fist-fucking, scatologie et coprophagie), prédominent. La ressemblance physique entre les partenaires rassure dans un premier temps, mais sans la bouffée d’oxygène et l’espace qu’offrent les différences – et notamment la différence des sexes –, l’air vient vite à manquer dans le couple homosexuel, y compris pendant les coïts génitaux ; et cette carence ressurgit en violence, en pratiques de bouffon/tyran concrètes. « Il y a toujours des bars fétichistes, des clubs SM, avec des donjons et des esclaves. » (Bryan Safi, homosexuel, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) Dans les films pornos gays, on ne voit quasiment pas de rapport égalitaire entre les partenaires : ils sont toujours de type soumission/domination (exactement comme dans le porno hétéro). Nous ne pouvons pas faire l’économie de parler également des rôles génitaux pris par chacun des membres du couple homosexuel lors des coïts (j’évoquais un peu plus haut les adjectifs substantivés « Actif », « Passif », « Auto-reverse »), que ces coïts soient gays ou lesbiens importent peu d’ailleurs… même si une certaine idéologie sexiste et misandre cherche de plus en plus à nous faire croire aujourd’hui que cette répartition n’est due qu’à une affaire de pénétration et de possession d’un pénis, et que donc la tentation des rapports de domination/soumission ne menacerait que les hommes homosexuels, et pas du tout les femmes lesbiennes. Rien de plus faux ! Un autre régime de pouvoirs s’installe entre les femmes lesbiennes, tout aussi malsain et déséquilibré que pour leurs homologues mâles. J’en tiens pour preuve la place prédominante que peut occuper le sadomasochisme dans les sphères relationnelles et conjugales lesbiennes. Les femmes ne sont pas naturellement plus douces et plus sentimentales d’être dépourvues d’un pénis ! Bien au contraire ! Mes amies lesbiennes vous confirmeront en masse que les femmes lesbiennes, en général, se comportent entre elles en vraies harpies et despotes ! Dans le secret de l’alcôve comme en société !

 

Pour revenir plus largement aux rapports de domination amoureux, il me semble que l’absence de la différence des sexes dans tout couple homosexuel incite les partenaires à « marquer la différence » autrement… et de manière justement pas très heureuse, pas très maîtrisée, au final. On voit que des mécanismes comportementaux étranges, agressifs, se mettent en place, sans que les acteurs les décident vraiment. « Pour le psychanalyste Alfred Adler, la tendance à la dépréciation du partenaire, généralement normal, ne manque jamais. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 197) Des fossés inédits, qui ne seront pas forcément sexuels ou physiques d’ailleurs, apparaissent entre les amants : chacun se place en victime et reconnaît de plus en plus en l’autre son tyran. Et se profile le début de la fin de la relation. Par exemple, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, les relations amoureuses se suivent et se ressemblent inlassablement. On dirait que l’écrivain se cherche toujours des couples qui obéissent au même fonctionnement bancal, où l’un des amants endosse le rôle de la victime passive et complaisante, et l’autre partenaire plutôt le rôle du dominateur (parfois dominé par sa ventouse d’amant puéril et trop maternant !) : « J’étais dans la dictature amoureuse. Je précipitais les choses. Je ne voulais pas attendre. Il fallait le forcer à se révéler. » (Abdellah à propos de Javier, p. 41) Le plus bizarre dans cet arrangement déséquilibré, c’est que chacun semble apparemment y trouver son compte : « J’étais heureux et j’avais peur. Tu étais l’homme, le roi. J’acceptais ton pouvoir. » (Abdellah s’adressant virtuellement à son « ex » Slimane, p. 114) On entend Abdellah Taïa s’exprimer comme une amoureuse éconduite casse-pied, possessive, « attachiante », saoulante… aussi tyrannique que ladite « tyrannie » qu’il dénonce chez Slimane : « Je dois toutefois avouer que, même en plein enfer, une partie de moi était heureuse, aimait ça, ce machisme, cette dictature… Je me disais alors : ‘C’est ça l’amour, c’est ça l’amour… j’ai de la chance… Il faut tenir le coup… C’est ça l’amour…» (idem, p. 117)

 

Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent consent à ce que, dans son couple chaotique avec Pierre Bergé, ce dernier prenne la place du dictateur : « Un tyran, ça me va. » Et lorsqu’il trompe Pierre avec Jacques (l’amant de Karl Lagerfeld), Jacques le rassure : « Avec Karl, je fais le clown. Toi, en revanche, tu m’inquiètes. Tu me troubles. » Ce à quoi Yves lui répond : « Quand on aime, on est en danger. Moi, c’est ça qui me plaît. » Pierre Bergé n’hésite pas à brider et à humilier Yves quand ce dernier ne répond pas comme il faudrait aux journalistes : « Si c’est pour dire des conneries pareilles… » Le duo Bergé/Saint-Laurent a vraiment fonctionné concrètement sur le modèle inversant du dominant/dominé.

 

Autre exemple, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy diffusé dans l’émission Tel Quel sur la chaîne France 4 le 14 mai 2012, Charlotte et Marion, en « couple », s’engueulent souvent parce que Charlotte ne se sent pas libre et que Marion veut l’aider ; même si elles veulent donner une image positive de leur couple, on les voit se prendre la tête devant les caméras : « Mais laisse-moi ! T’es chiante !! » (Charlotte)

 

Film "Les Enfants terribles" de Jean-Pierre Melville

Film « Les Enfants terribles » de Jean-Pierre Melville


 

L’échange des masques bouffon/tyran est parfois vécu dans le cadre de la relation simplement filiale, comme on le constate entre Didier Éribon et son père en fin de vie : « L’homme que j’avais connu, vociférant à tout propos, stupide et violent, […] dans les mois, les années peut-être, qui avaient précédé sa mort, avait cessé d’être la personne que j’avais détestée pour devenir cet être pathétique : un ancien tyran domestique déchu, inoffensif et sans forces, vaincu par l’âge et la maladie. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 31)

 

Quel que soit le type de relation (de parenté, amoureux, professionnel, politique…), on constate finalement que ces mises en scène bouffon/tyran, relatées très souvent par des personnes homosexuelles, visent à démontrer/occulter des réalités sexuelles et psychiques violentes telles que le viol, l’inceste, la prostitution, le sadomasochisme, l’infidélité, la schizophrénie, etc. Nous aurions tort de n’y voir qu’un vaudeville divertissant. Je pense aux violences conjugales vécues au sein de nombreux couples homos (par exemple, Sacha Buyse – de Secret Story 8 – qui s’est fait battre par son compagnon).

 
 

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Code n°26 – Cercueil en cristal

cercueil en cristal

Cercueil en cristal

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Beaucoup de choses dans la vie (peur, jalousie, violence, honte, souffrances, etc.) peuvent nous enfermer et nous replier sur nous-mêmes. Précisément dans les moments où nous nous sentons ou bien sommes méprisés, isolés, utilisés, exposés comme des objets, contrôlés, possédés, limités. Mais nous ne nous en rendons pas toujours compte, a fortiori les fois où nous sommes complices de ce cloisonnement, ou bien lorsque nos bonnes intentions (sentimentales surtout) rendent les barreaux de notre prison invisibles à nos yeux. Se traiter ou être traité comme un objet, même si ça isole, peut apporter la satisfaction temporaire du narcissisme et du donjuanisme. Certes, je suis peut-être incarcéré par mon geôlier, mais il me traite quand même vachement bien ; j’ai l’impression d’être aimé et d’être moi-même dans mon placard en plexiglas qui me donne malgré tout une vue imprenable sur le monde extérieur, une reconnaissance inédite et subversive !

 

Film "Banche-Neige et les 7 nains" de Walt Disney

Film « Banche-Neige et les 7 nains » de Walt Disney


 

L’identité homosexuelle et la pratique amoureuse homosexuelle, qui sont objectivement des carcans enfermants, caricaturaux et faux car ils éloignent la personne qui s’y adonne des deux trésors qui font son identité, son amour et sa joie profondes – la différence des sexes et la différence entre Créateur et créatures – (qui peut, en effet, se réduire à ses pulsions, à ses fantasmes ? à ses tendances sexuelles, aux personnes qui l’attirent sexuellement, à sa pratique au lit ? Personne) constituent pourtant des refuges parfaits pour un individu en panne d’identité, ou blessé par des mauvais exemples d’expérience de la différence des sexes ou d’Église. En plus, elles sont tellement enrobées socialement de bons sentiments – on les appelle « amour », « vérité totale de l’individu », « liberté » – qu’elles ont tout pour être considérées comme la vitrine ouverte sur le Monde, la prisons invisible dans laquelle on nous fait croire que d’y rentrer revient à en sortir, à s’émanciper, à quitter le placard (« coming out » signifie « sortir du placard »). « In & Out » comme l’a filmé Frank Oz !

 

Mais les nombreuses références des personnes homosexuelles (pratiquant leur homosexualité) à la souffrance de vivre dans une cage de verre où elles se sentent végéter comme dans un cercueil, malgré un coming out apparemment réussi et une vie de couple homo apparemment installée et satisfaisante aussi, nous mettent la puce à l’oreille. La place des synesthésies dans leurs écrits (autrement dit une ultra sensibilité, qui confine à la sensiblerie mais aussi à la plainte muette qui n’a pas conscience de sa détresse) est d’autant plus intéressante qu’elle montre implicitement que le contact qu’elles établissent avec le monde extérieur est souvent dévitalisé, se fait à travers la vitre du miroir jamesbondien. Et nous découvrons que l’enfermement impulsé par l’identité et la pratique homosexuelles est bien réel.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Eau », « Amant narcissique », « Ennemi de la Nature », « Miroir », « Vampirisme », « Femme allongée », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Frankenstein », « Île », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Milieu homosexuel paradisiaque », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », « Entre-deux-guerres », « Déni », « Femme au balcon », « Mort », « Sommeil », « Planeur », « Cirque », « Inversion », et aux parties « Diamants » et « Momie » du code « Homme invisible » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Enfermé sous une plaque de verre :

Bien souvent, dans les fictions homo-érotiques, il est question d’un cercueil en cristal où le héros homosexuel est parfois enfermé : cf. le film « Behind Glass » (1981) de Ab Van Leperen, le roman Le Cercueil de cristal (1920) de Maurice Rostand, le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Les Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le film « El Techo De Cristal » (1971) d’Eloy de la Iglesia, la photo Sense Of Space (2000) des frères Gao, le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Au commencement » d’Étienne Daho, le vidéo-clip de la chanson « Chanson d’ami » de Zazie, le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec le héros transsexuel M to F Rosário face à l’aquarium carré), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le film « La Cage dorée » (2020) de Ruben Alvès, etc.

 

Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, la salle de bains hexagonale de Jolie est entourée de miroirs. Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, il n’y a pas de miroirs à l’Hôtel du Transsilvania, au grand damne de Prétorius, le vampire homosexuel. Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, Orphée, du fond du lac où il se trouve immergé, voit le plafond aquatico-humain qui s’est formé au-dessus de sa tête. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, les trois héros homosexuels sont aux bords de la mer dans un abri de secouristes vitrés et sans toit.

 

Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie et Florianne, qui se sont connues à la natation synchronisée (là où, du fond du bassin, elles voient souvent le plafond de verre aquatique), font de la poésie à deux sous, allongées amoureusement sur un matelas en regardant le plafond de leur chambre : « Le plafond, c’est sûrement le dernier truc que voient plein de gens. Au moins 90% des gens qui meurent, tu crois pas ? En plus, quand tu meurs, la dernière chose que tu vois, elle reste imprimée dans ton œil. Un peu comme une photo. T’imagines le nombre de personnes qui ont des plafonds dans les yeux ? » dit « métaphysiquement » Marie. Et Floriane de s’extasier devant tant de profondeur : « Je ne regarderai plus jamais le plafond comme avant. »

 

Film "Naissance des pieuvres" de Céline Sciamma

Film « Naissance des pieuvres » de Céline Sciamma


 

« Comme d’un cercueil vert en fer-blanc, une tête de femme à cheveux bruns fortement pommadés » (Arthur Rimbaud, « Vénus Anadyomène », Poésies 1869-1872) ; « Dans mon lit, là, de granit, je décompose ma vie. […] Emmarbrée dans ce lit-stèle, je ne lirai rien ce soir. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Ce bruit que fait ce tourniquet en se déplaçant sur son axe, cette espèce de miaulement triste, je l’entends quelquefois quand j’essaie de me recueillir, et je l’entendrai sans doute sur mon lit de mort, à l’heure des tentations dernières. » (Emmanuel Fruges à propos d’un tourniquet rempli de cartes postales, dans Julien Green, Si j’étais vous (1947), Éd. Plon, Paris, 1970, p. 150) ; « En regardant autour de lui il avait l’impression d’explorer un coin secret de sa mémoire, de se promener à l’intérieur de son propre cerveau. Les cartes se trouvaient là-bas. […] Il examina une carte ou deux (dans la pénombre on y voyait à peine), puis de l’index il poussa un peu le tourniquet qui fit entendre un espèce de miaulement. À côté de ce tourniquet, il y en avait un autre qui offrait aux regards des portraits d’acteurs et d’actrices. Camille jeta un coup d’œil sur ces visages satisfaits et se sentit tout à coup envahi d’une tristesse profonde. Ce tourniquet miaulait aussi en se déplaçant sur son axe. ‘Qu’est-ce que j’ai donc ? pensa le jeune homme. Ce bruit, ce grincement a quelque chose qui serre le cœur.’ » (Camille dans la papeterie, Idem, p. 293) ; « Il y avait des miroirs partout chez elle. » (Océane Rose-Marie parlant d’une de ses amies lesbiennes, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Je passais prendre la bouillotte et embrasser grand-mère, que je surprenais souvent à moitié déshabillée, danseuse obèse et déchue, environnée de tout un Niagara de dentelles, de chairs gélatineuses qui moutonnaient à l’infini par la grâce du double reflet de l’armoire à glaces et de la psyché. Ces miroirs étaient le seul luxe en ce logis […] » (le narrateur homosexuel décrivant sa grand-mère, dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 12) ; « Et dans ma prison de verre, moi je ne sais plus comment faire. » (c.f. la chanson « Des larmes » de Mylène Farmer) ; etc.

 

Certains personnages homosexuels ont même choisi le cercueil en cristal comme leur passion, leur métier et leur vie. C’est le cas de certains patineurs artistiques, enfermés dans leur palais de glace : cf. le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Étienne, homosexuel, est patineur professionnel), le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton, etc. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, le héros homosexuel le plus efféminé de la bande, affirme avoir « fait du patin à glace » dans sa jeunesse.

 

Étienne dans le film "Ma vraie vie à Rouen" d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Étienne dans le film « Ma vraie vie à Rouen » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 
 

b) La vitrine agréable de l’homosexualité et de l’état amoureux homosexuel :

Film "Presque rien" de Sébastien Lifshitz

Film « Presque rien » de Sébastien Lifshitz


 

La révélation de l’homosexualité du héros homosexuel est présentée comme la sortie d’un placard invisible : cf. le vidéo-clip de la la chanson « It’s OK To Be Gay » de Tomboy. « Aujourd’hui, c’est toi qui dois sortir du placard. Et dire à ton père que tu m’aimes. » (Rozidanio s’adressant à son amant Chris, dans la pièce Happy birthgay papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Cameron Drake, l’acteur hétéro gay friendly, qui a été oscarisé pour son rôle de gay, déclare que « d’aucun placard il ne saurait sortir ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum, homosexuel, a écrit un livre intitulé Sortir du placard par la petite porte.

 

Et la vie de couple homosexuel s’apparente à une nouvelle bulle. Par exemple, dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, c’est le couple homosexuel qui est présenté comme une prison de verre : « Dans une cage de verre carrée, deux hommes. »

 

Il est fréquent de retrouver des scènes de films homo-érotiques où le héros homosexuel et son amant « font l’amour » dans une chambre entourée de miroirs : cf. le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (entre Paul et un de ses amants de passage), le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano (entre César et Roberto), le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell (avec Tommy recherchant son amant Hedwig dans la forêt de linge étendu), le film « Átame » (« Attache-moi », 1987) de Pedro Almodóvar, le film « Grande École » (2003) de Robert Salis, le film « Boat Trip » (2003) de Mort Nathan, le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, etc. L’« amour » homosexuel est montré en quelque sorte comme un « narcissisme à deux » (cf. je vous renvoie au code « Amant narcissique » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Film "Grande École" de Robert Salis

Film « Grande École » de Robert Salis


 

« Nous sommes revenues plusieurs fois dans la chapelle, et à chaque fois tu me tendais le miroir. Tu as mis du rose sur mes paupières, sur ma bouche, du noir sur mes cils […]. En voyant le résultat, tu battais des mains, m’embrassais comme on embrasse son reflet. » (Cécile s’adressant à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 39) ; « Mon placard d’amour. » (un personnage homo s’adressant à un autre, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Avec Terrier on baisait de mieux en mieux. J’avais l’impression de lui faire du bien. J’étais la première personne à qui il avait dit qu’il était séropo. Il faut dire qu’il avait appris ça la première fois qu’il avait fait un test, à vingt ans. Sept ans plus tôt, donc. Depuis qu’il me l’avait avoué il ne faisait plus ses cauchemars où on lui clouait son cercueil sur la tête et où il poussait sur la planche de toutes ses forces mais ça ne s’ouvrait pas et là il se réveillait. Je l’avais aussi un peu relooké. Obligé à couper la mèche qui lui cachait le visage et aussi les ongles qu’il portait longs. Il était beaucoup plus beau. Peut-être un peu moins timide. » (Guillaume Dustan, Dans ma chambre (1996), p. 14) ; « Quand est-ce qu’on refait l’amour ? On le réinvente maintenant comme à chaque fois. L’amour est le facteur exponentiel des corps. On se multiplie l’un l’autre. Rien de tout ça ne nous a été transmis, appris. Tout ça on l’avait dedans. » (les comédiens N°1, N°2, n°3 en dialogue, dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, se voit offrir par sa cousine (avec qui elle a couchée) un miroir qui va servir d’œil voyeuriste à tous les ébats lesbiens qu’Alexandra va vivre dans sa chambre : « C’était un miroir assez banal d’apparence avec un encadrement très simple, et de plus assez petit. […] Situé par exemple en face d’un lit, il permettait d’assister à tout ce qui est le plus souvent impossible à voir, dans une complète et insoupçonnable tranquillité. Selon ce que nous serions en mesure de combiner, en logeant notamment dans la chambre des personnes très amoureuses, cela nous mettrait à notre tour dans les meilleures dispositions. Les scènes que nous verrions nous surprendraient souvent tant quelquefois les couples entre eux ont des habitudes étranges dont il est impossible de se douter dans d’autres circonstances. […] veiller au bon emplacement du miroir […] Nous étions toutes trois [Alexandra, Marie et la bonne] d’un enthousiasme sans borne, imaginant les situations et les intimités que nous pourrions surprendre en toute impunité. » (pp. 135-136) ; « À travers le miroir, on voyait bien la chambre et le lit. Au bout d’un moment, on vit la bonne entrer. Elle se mit à se déshabiller, puis, s’allongeant sur le lit langoureusement, bien en face de nous, se caressa tour à tour le bout des seins et le plus sensible. Je sentais que Marie était tétanisée par la peur que cela ne me déplaise. Dans un effort d’audace, pourtant, elle me prit par la taille. De l’autre côté du miroir, la bonne, se sachant observée, les cuisses bien écartées, faisait avec ses doigts des mouvements qui laissaient voir toute la profondeur de son intimité. Malgré l’état de peu de réceptivité dans lequel j’étais, j’en fus vite troublée. Ses poses étaient terriblement provocantes, et bientôt je sentis monter en moi une envie féroce de me satisfaire. Marie, dans le noir où nous étions, avait beaucoup plus d’assurance et me caressait presque. De son côté, comme elle l’aimait, la bonne s’était introduit tous les doigts d’une main à l’intérieur du ventre et de l’autre se frottait en cadence sa partie la plus sensible. Marie releva assez ma robe pour passer sa main entre mes cuisses et, sans pour autant me dévêtir, trouva, étant femme, très facilement le bon chemin. Elle se mit à toucher ma fente. Déjà mouillée, je savais que je viendrais très vite. Cela ne manqua pas, je me lâchai d’un coup, sans pouvoir attendre. » (idem, p. 152) ; etc.

 

C’est tout le « milieu homosexuel » qui semble fonctionner comme une cage dorée où les clients se sentent tous « hors milieu » parce qu’ils arpentent des boîtes et des discothèques qui, avec leurs miroirs partout, leur donnent une impression d’infini : « Aux murs étaient suspendus des miroirs copieusement peints de petits amours et copieusement souillés par les mouches. » (Stephen, l’héroïne lesbienne décrivant l’établissement gay le Narcisse, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 502)

 
 

c) La prison invisible qui fait souffrir :

Film "In A Glass Cage" d’Agustí Villaronga

Film « In A Glass Cage » d’Agustí Villaronga


 

Le cercueil de l’homosexualité fait d’autant plus souffrir qu’il fait croire à une fausse libération : cf. le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la nouvelle « Cercueils sur mesure » dans le roman Musique pour caméléons (1980) de Truman Capote, le film « Prison sans barreaux » (1937) de Léonide Moguy, le film « Prison Without Bars » (1938) de Brian Desmond Hurst, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard (sur le clonage qui retire la liberté et l’unicité du héros homo, même s’il lui donne accès à l’éternité), le film « Tras El Cristal » (« In A Glass Cage », 1987) d’Agustí Villaronga, le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg (avec David Bowie entouré d’écrans de télé), la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi (qui se déroule dans un building qui va se faire percuter par un hélicoptère), Film « Remember Me In Red » (2009) d’Héctor Ceballos, le roman J’ai tué mon frère dans le ventre de ma mère (2011) de Sophie Cool, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le corps de Madame Lucienne caché dans l’armoire), etc.

 

Film "Oedipe (N+1)" d'Éric Rognard

Film « Oedipe (N+1) » d’Éric Rognard


 

D’ailleurs, le cercueil en cristal renvoie souvent à la schizophrénie (cf. je vous renvoie à la partie « Crâne en cristal » du code « Chevauchement de la fiction sur la Réalité » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.).

 

Film "Remember Me In Red" d'Hector Ceballos

Film « Remember Me In Red » d’Hector Ceballos


 

Le héros homosexuel quitte ce qu’il envisageait comme un carcan (son corps, sa famille, ses amis, la différence des sexes, le Réel, l’Église, le monde, sa condition humaine, etc.) pour rentrer dans un nouveau carcan, aux contours beaucoup plus flous, celui des paradis artificiels (télé, mode, fétichisme, amours désincarnées, fantasmes, pulsions, schizophrénie, etc.), qu’il a l’impression d’avoir choisi. « On sort de notre boîte pour rentrer dans une autre. Et comme ça, la boucle est bouclée. On n’en parle plus. » (cf. la chanson « Danse avec les loops » de Zazie) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 53) ; « Je suis Vincent tout entièrement Vincent rien que Vincent. Et tout coincé qu’il est dans sa prison de verre, Garbo n’en terrorise pas moins Vincent de son puissant mépris. » (idem, p. 54) ; « C’était comme s’il y avait un épais mur de verre entre nous. » (Laurent parlant de l’incommunicabilité avec son amant André, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Je n’en peux plus, je veux crier !!! Sors-moi de cette putain de boîte en cristal !!! » (cf. la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora) ; etc. C’est ce va-et-vient, cette fausse liberté, qui apparaît dans toute sa froideur et son ironie (cf. je vous renvoie à la partie « Mise en scène de son propre enterrement » dans le code « Mort » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Notre protagoniste homosexuel rentre dans une chambre froide, un palais des glaces vide d’humanité et qui le conduit à la mort et à l’isolement social : cf. la pièce Le Frigo (1983) de Copi (traitant de la schizophrénie, de l’inceste et du viol), la pièce Loretta Strong (1978) de Copi (avec le frigidaire, métaphore du ventre maternel ou du tombeau), etc. Par exemple, dans le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, Pierre, devant la glace des sanitaires, se dit à lui-même : « Jamais tu feras partie de la société, t’as pas de couilles, t’es qu’un déchet. » Dans le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1987), Antonio, le héros homosexuel, se cloître dans sa salle de bain et dans son mutisme.

 

« Je suis une moitié de mime. Je suis entré dans la boîte en verre… mais je ne sais pas en sortir. » (Santiago dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Derrière les fenêtres j’envie des mondes qui ressemblent aux songes. Derrière les carreaux tombent en lambeaux des êtres. » (cf. la chanson « Derrière les fenêtres » de Mylène Farmer) ; « Le monde est froid. Subitement distant verni aseptisé. Je le regarde à travers cette vitre. Je le vois loin, hors de portée. J’en suis comme en retrait, exclue, ou au moins séparée. […] C’est entre huit et neuf ans que je me suis décollée du monde – ou plutôt qu’il a décollé de moi pour être donné en spectacle – et depuis je cherche en vain comment y rentrer et m’y fondre, comment retraverser la vitre. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) ; « Fasciné par les lointaines galaxies, je somnambulais sous un ciel noir que voilaient peu à peu les laiteuses brumes de l’aube. […] La nuit finissante transformait cette fenêtre en miroir, et c’était en soi-même qu’il semblait dangereux de se pencher. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Terminus Gare de Sens » (2010) d’Essobal Lenoir, pp. 63-64) ; etc. Par exemple, dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, David Bowie meurt assassiné dans sa cabine à UV, comparée à un sarcophage. Dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le narrateur homosexuel évoque la présence du « cercueil vaporeux » (p. 220) de son ami homosexuel suicidé, Quentin. Dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, le héros homosexuel fracasse à mort le crâne du mec qu’il vient d’embrasser sur la bouche dans un vestiaire de douches d’une piscine municipale.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Les personnes homosexuelles parlent parfois de leur fascination pour l’enfermement ou pour les placards et les vitrines fermées : « On trouve toujours dans mes chansons le mot placard. J’étais hanté par les placards. Ils me font encore peur. » (Charles Trénet dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata) Le célèbre coiffeur Antoine de Paris, d’origine polonaise, était ami proche de Maurice Rostand. Il adorait son livre Cercueil de cristal. En 1927-31, Antoine a construit à Paris une maison de verre (4, rue Saint-Didier) et il dormait dans un cercueil de cristal. Romaine Brooks, homosexuelle elle aussi, dormait dans un lit de verre.

 

Je vous renvoie au documentaire « The Celluloïd Closet » (1995) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, et le chapitre « The Glass Closet » dans l’essai Epistemology Of The Closet (1990) d’Eve Kosofsky Sedgwick, dans lesquels l’homosexualité et l’homophobie sont vraiment présentées comme un cercueil invisible.

 

CERCUEIL innamoramento01

Album « Innamoramento » de Mylène Farmer


 

Loin d’être une fin en soi, le coming out reste un départ et même le début d’un enfermement inédit. « C’est très difficile, quand t’es sortie du placard, d’y retourner. Je crois que c’est impossible. » (Fanny Corral, lesbienne, dans le documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) Le problème, c’est que trop de fois il aboutit à un carcan et à une caricature de soi plus qu’à un nouvel horizon pour la personne qui le fait, car la réflexion sur l’ambiguïté du désir homosexuel n’a généralement pas été amorcée. Le coming out, au lieu de nous permettre de sortir de cadres sociaux qui nous avilissent/aviliraient, nous enferme plutôt dans un cercueil d’autant plus dangereux qu’il est invisible, comme la vitrine illuminée de la poupée Barbie exposée dans les supermarchés : c’est la raison pour laquelle nous retrouvons souvent le motif du placard en cristal ou en cellophane dans les œuvres homosexuelles. Aux personnes homosexuelles de savoir ce qu’elles veulent vraiment annoncer. Personnellement, je suis partisan d’instaurer un coming out qui révèle qu’une personne n’est pas réellement homosexuelle, mais qu’elle est habitée par un désir homosexuel universellement humain qui l’appelle à être quelqu’un d’autre qu’« un homosexuel », ou mieux dit, qu’« un hétérosexuel inversé ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Optimistique-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Optimistique-moi » de Mylène Farmer


 

Beaucoup de personnes homosexuelles se sentent existentiellement vivre (surtout à cause de leur croyance aux identités homosexuelles et hétérosexuelles, et à cause de leur pratique homosexuelle) dans un cercueil en cristal, éloignées du monde, avec une blessure invisible qui leur fait ressembler à Monsieur Tout-le-Monde mais qui les isole concrètement et fortement quand même : « Entre la vie et moi, une vitre mince. » (Fernando Pessoa cité dans le documentaire « Pessoa l’Inquiéteur » (1990) de Jean Lefaux) Par exemple, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt, Tamàs Dombos, militant homosexuel hongrois, raconte son sentiment d’enfermement par la protection policière lors des premières Gay Pride de Budapest : « On avance dans des cages, comme les animaux d’un zoo. Voilà ce qu’on ressent quand on manifeste en Hongrie. »

 

Steven Cohen au Grahamstown Festival 2012

Steven Cohen au Grahamstown Festival 2012 (Afrique du Sud)


 

Dans le documentaire « Debout ! Une Histoire du Mouvement de Libération des Femmes 1970-1980 » (1999) de Carole Roussopoulos, Franceline Dupenloup parle de l’existence d’un « plafond de verre » concernant l’expérience sociale lesbienne. L’essayiste Geneviève Pastre parlera également de cette même limite invisible eu égard au jargon féministe et lesbien actuel, qui aime en ce moment parler, surtout au niveau de l’homophobie dans le travail, d’une « frontière infranchissable impalpable », d’une « résistance invisible ». Le monstre indiscernable de l’Homophobie… qui n’est autre que les limites du Réel et la vanité de leurs fantasmes identitaires/amoureux. « Le placard de Lorca était transparent et ne semblait pas facile à supporter. » (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 245) ; « Rafael de León reste enfermé par ses exégètes dans son placard de verre. » (idem, p. 346) ; « Il existe un toit en cristal pour l’investigation sur les sujets gays. » (idem, p. 465) ; « Le placard de Jacinto Benavente était transparent. » (idem, p. 71) ; « J’avais atteint le fameux plafond de verre, qui n’est connu que de ceux qui le posent et de celui qui s’y cogne. » (Jean-Pierre, homme homosexuel de 68 ans, licencié abusivement par l’entreprise Crédit Agricole qui l’employait, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; etc. Parfois, l’usage de l’image du cercueil en cristal est l’autre nom de l’homophobie intériorisée, donc invisible.

 

Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Edwarda, une visiteuse du musée illuminée, observe dans un tableau de Balthus représentant une femme dans sa salle de bain un fantôme ou une Alice enfermée dans un placard-miroir : « Le miroir devait faire la même taille que la toile. » Edwarda lui prête des intentions : « Peut-être qu’elle est assez loin d’elle. » Le tableau laisse dépasser sous la jupe de la jeune femme le sexe, mais la « critique » angélise et asexualise le personnage : « Les gens pensent que c’est de l’érotisme mais c’est stupide. C’est profondément religieux. »
 

Photographie de Long Tran

Photographie de Long Tran

 

Certaines personnalités homosexuelles ont même choisi le cercueil en cristal comme leur passion, leur métier et leur vie. C’est le cas de beaucoup de patineurs artistiques (Brian Boitano, Blake Skjellerup, Johnny Weir, Brian Orser, Guillaume Cizeron, etc.), enfermés dans leur palais de glace. Celui-ci a pu/peut être concrètement leur cercueil. Plusieurs patineurs homos sont morts du Sida : le Tchécoslovaque Ondrej Nepela, le Britannique John Curry, etc. Le premier, également triple champion du monde en 1971, 1972 et 1973, est mort le 2 février 1989 à l’âge de 38 ans à Mannheim, en Allemagne. Le second, champion du monde en 1976 et âgé de 44 ans, s’est éteint il y a vingt ans, le 15 avril 1994, à Stratford-upon-Avon, en Angleterre. Victime de complications respiratoires pour l’un, d’une crise cardiaque pour l’autre, conséquences du Sida qui les rongeait depuis quelques années. Entre ces deux destins brisés, le Canadien Rob McCall, médaillé de bronze en danse sur glace avec Tracy Wilson aux Jeux de Calgary en 1988, disparut lui aussi des suites du Sida le 15 novembre 1991.

 

Ondrej Nepela

Ondrej Nepela

 

Le cercueil en cristal ressemble aux enfers. Par exemple, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, se décrit « en sueur dans son placard ».
 
 

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Code n°45 – Désir désordonné (sous-codes : Blessure / Sauvage / Albator)

Désir désordonné

Désir désordonné

 

 

« Je suis un mutant, un nouvel homme, je ne possède même pas mes désirs, je me parfume aux oxydes de carbone, et j’ai peur de savoir comment je vais finir. » (Francis Cabrel, « Ma place dans le trafic »)

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

L’Église catho serait la seule à dire que les actes homos sont intrinsèquement désordonnés ? Pas du tout. Les personnes homos l’ont dit avant Elle !

 

Qu’est-ce que le désir homosexuel et quel est son sens ? Voilà pour moi la vraie question qui vaille le coup en matière d’homosexualité. Le reste (l’identité homo, l’amour homo, la communauté homo, la culture homo) se légitime beaucoup moins, et ne trouve sa raison d’être que parce que le désir homosexuel existe ; c’est bien la seule chose dans l’homosexualité dont on soit sûr qu’elle existe, d’ailleurs. Par conséquent, si un phénomène est présent, y compris « en suspension », il peut s’étudier en tant que réalité (désirante, fantasmatique, symbolique). Je suis un des rares qui pensent que le désir homosexuel, même s’il ne s’essentialise pas en espèce (« les » homosexuels) ni en amour éternel (l’« amour homosexuel »), a quand même une nature et ses caractéristiques propres… qu’il partage bien souvent avec le désir hétérosexuel.

 

N’étant pas fondé sur les quatre rocs du Réel que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence entre Créateur et créatures, il était à prévoir que ce désir homosexuel – qui rejette clairement la différence de sexes (et un peu moins les deux autres différences) –, s’il est pratiqué, ne trouve pas son canal, ait du mal à s’incarner, et s’éparpille dans tous les sens, pour s’actualiser de manière désordonnée et partielle dans les réalité humaines et relationnelles. Quand l’Église catholique dit que les actes homosexuels sont « intrinsèquement désordonnés », Elle a plus que jamais raison, quand bien même, vue de loin, cette expression ecclésiale résonne comme « intrinsèquement homophobe », car certains ne cherchent pas à la comprendre.

 

Le désir homosexuel est l’expression du climat fortement anti-naturaliste de nos sociétés actuelles qui encouragent l’individu à s’éloigner du Réel pour rejoindre les paradis virtuels, à vider ses actes de leur portée symbolique, et à dissocier l’être du faire, le corps de l’esprit, les actes de leurs sens. Même si la schizophrénie n’est pas l’apanage du désir homosexuel, je crois que celui-ci fait partie, avec le désir hétérosexuel, des plus puissantes forces humaines écartelantes qui existent. Si j’avais à en donner une seule définition, je pourrais dire que le désir homosexuel tend davantage à la désunion réifiante de l’être qu’il habite qu’il ne veille à son unité humanisante. C’est la raison pour laquelle bon nombre de personnes homosexuelles l’associent inconsciemment ou volontairement à la schizophrénie.

 

Souvent, dans leurs discours, elles ne dissocient pas le désirant du désiré ; elles croient qu’elles ne doivent leur existence qu’à elles-mêmes et qu’elles sont leurs désirs. « Ce que nous désirons, c’est qu’on nous désire. » (Néstor Perlongher, « El Sexo De Las Locas » (1983), p. 34) En somme, elles adoptent une conception unilatérale et égocentrique du Désir : « Le désir ignore l’échange, il ne connaît que le vol et le don » (p. 219) écrivent Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur Anti-Œdipe (1972/1973). Il n’est plus lié à l’unité ni à la vie puisqu’elles le comparent narcissiquement à la schizophrénie ou à elles-mêmes.

 

« L’homosexuel » est, comme dirait Hugo Marsan, l’allégorie d’un « désir fantôme ». Il correspond à la créature littéraire nommée l’androgyne, décrite pour la première fois par Platon dans son Banquet (380 av. J.-C.), ou à l’être imaginaire créé par la science il y a un peu plus d’un siècle, en 1869. Quand cette créature habite l’Homme, parce que celui-ci désire s’y identifier, elle le blesse et le divise. C’est là sa particularité. L’androgyne est l’autre nom de la souffrance. C’est pourquoi Patrice Chéreau et Hervé Guibert, dans leur grande intuition, ont donné à la personne homosexuelle le nom cinématographique d’« Homme blessé ».

 

Tout mon travail sur le désir homosexuel m’a déjà permis de dégager 7 caractéristiques principales du désir homosexuel, qui montrent par le bon sens (et non des arguments religieux) que l’intuition de l’Église catholique sur la nature désordonnée, fragile, et violente du désir homosexuel, est inspirée et avérée. À mon avis, le désir homosexuel :

1 – est un désir de viol (et parfois le signe d’un viol réel)

2 – traduit un éloignement du Réel (surtout par rapport aux 4 « rocs » du Réel cités ci-dessus)

3 – est un désir d’être objet

4 – dit une peur d’être unique (… donc d’être aimé/d’aimer)

5 – est un désir de se prendre pour Dieu (on revient à la haine de soi)

6 – est un désir idolâtre (c’est-à-dire pour et contre lui-même : il mériterait de s’appeler « homophobie » ou « absence de désir »)

7 – est un désir de fusion-rupture (sincère mais non vrai, amoureux mais non aimant, identique au désir hétérosexuel et tout aussi violent que lui ; moins fort que le Désir du couple femme-homme aimant)

 

Ces 7 points sont le fruit de toutes mes études d’« homosexologue ». C’est mon E = MC2 à moi, la formule de ma Bombe « H » (« Homosexualité ») ! Et il n’y a pas de copyrights. Vous pouvez les récupérer et les ré-utiliser à loisir, car ils vous seront très utiles et éclairants. Ils illustrent bien pourquoi il y a désordre dans le désir homosexuel, et que celui-ci n’est que le voyant rose d’un désordre social beaucoup plus étendu dans les couples hétérosexuels.

 

Pour compléter ma réflexion sur le désir homosexuel, je vous encourage fortement à lire ce qui se passe côté complexité, cette fois du point de vue du couple homosexuel et de l’amour homosexuel (et non plus simplement sur un plan individuel, ou du point de vue du désir homosexuel, comme je vais vous l’expliquer ici), avec les codes « Manège », « Appel déguisé », « Liaisons dangereuses », et avec la partie sur la « Schizophrénie » de mon code « Doubles schizophréniques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Liaisons dangereuses », « Se prendre pour Dieu », « Doubles schizophréniques », « Milieu psychiatrique », « Appel déguisé », « Déni », « Androgynie Bouffon / Tyran », « Viol », « Moitié », « Amant diabolique », « Amant narcissique », à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature » et à la partie « Fatigue d’aimer » et « Ennui » du code « Manège », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

Le désir homosexuel (tout comme le désir hétérosexuel) est le signe d’un désir divisant et schizophrénique, d’une blessure.

 
 

a) Tout désir est considéré par le héros homosexuel comme un dieu auquel il faut se soumettre :

DÉSORDONNÉ Nicolas Dutriez

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, une grande place est laissée au désir : cf. le film « L’Heure du désir » (1954) d’Egil Holmsen, le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche, le film « I Want What I Want » (1971) de John Dexter, le film « Nincsen Nekem Vagyam Semmi » (« C’est ce que je veux et rien d’autre », 2000) de Kornel Mundruczo, le recueil de poèmes La Realidad Y El Deseo (La Réalité et le Désir, 1936) de Luis Cernuda, le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du Désir », 1986) de Pedro Almodóvar, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane, le héros homosexuel, travaillant dans la « Compagnie du Désir », qui monte des spectacles pour enfants), le film « Basic Instinct » (1992) de Paul Verhoeven, le film « À mon seul désir » (2023) de Lucie Borleteau, etc.

 

Mais quel type de désir le héros homosexuel défend-il ? Des grands désirs (amour vrai, amitié, engagement de couple, fidélité, rêves, promesses, don entier de soi aux autres, abandon de sa personne, actions de charité concrètes pour les autres, obéissance et service, combats pour la vie, liberté audacieuse encadrée par la raison, Dieu, etc.) ou bien des petits désirs (fantasmes, passion, imaginaire, sentiments, état amoureux, sincérité, envies, goûts, pulsions, instincts, bonnes intentions, plaisirs éphémères des sens, bien-être, etc.) ? Dans son cas, on se situe davantage dans les petits désirs, ceux qui anesthésient la révolte de ne pas donner un sens plus profond à sa vie, ceux qui compensent le manque des grands désirs, ceux qui ne favorisent pas l’unité et la conscience mais au contraire qui accentuent le désordre. L’élan homosexuel du héros ressemble davantage à une absence de désir (ou à un manque de confiance en soi) qu’à un désir, en fait : « Je sais pas ce que je veux. […] Je sais qu’aimer toute une vie, c’est tellement rare ! » (Didier, le héros bisexuel après sa nuit d’« amour » avec Bernard, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Je l’aime et je ne l’ai pas choisi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto) ; « Je m’étais profondément attaché à lui et ne cherchais pas à savoir jusqu’où irait notre relation. » (Ednar par rapport à son amant Grégoire, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 143) ; « C’est vrai que je ne suis pas tout à fait sûr de savoir ce que je recherche. » (Benji, l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Je ne sais pas à quoi ça rime de défendre les droits gays, mais je le fais pour les autres. » (Mark, le chef LGBT du film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Je ne sais pas ce que je veux. Je n’ai jamais su dire non. » (Thérèse, l’héroïne lesbienne, s’adressant en pleurs à son amante Carol, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « Moi qui avais déjà si peu d’affinité avec ma propre existence… » (Jean-Claude Janvier-Modeste, Un Fils différent (2011), p. 133) ; « Ednar ne vivait que pour survivre. Il avait tant morflé dans sa jeunesse, qu’il avait fini par se détester lui-même car il ne s’était jamais senti réellement bien dans sa peau. » (idem, p. 141) ; « J’étais une épave. Je me sentais vraiment mal. » (Emory, le héros homo efféminé évoquant son adolescence, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc.

 

En général, le personnage homosexuel parle du désir comme d’une formidable énergie – à consommer la plupart du temps égoïstement (ou à la rigueur à deux, avec son partenaire temporaire) –, d’une puissance euphorisante, d’un désordre jouissif irréprochable… même s’il est bien en peine après de justifier par les mots pourquoi chez lui une telle fascination pour l’éclatement, mis à part en sentimentalisant, en esthétisant, ou en politisant à l’extrême son idolâtrie. D’un air éthéré ou malicieux, après avoir idolâtré l’ordre, il prône arbitrairement « l’ordre du désordre », la « révolution de l’inversion », la « vérité » des improvisations et des errances d’un désir capricieux pseudo inattendu : « L’ordre, c’est la beauté. » (Rudolf, l’un des héros gays du film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Le Nouvel Ordre a triomphé. Tous les homos, les maudits, sont pourchassés. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « L’ordre n’était pas toujours un masque. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh) ; « J’ai eu finalement pas mal de temps pour m’habituer au désordre. » (le héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « L’ordre est la vertu des médiocres. » (Gabriele, le héros homosexuel du film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977), d’Ettore Scola) ; « Un Junkie, c’est quelqu’un qui aime beaucoup le désordre. » (Pablo dans le film « La Ley Del Deseo », « La Loi du désir » (1987), de Pedro Almodóvar) ; « La première chose qui frappa Stephen dans l’appartement de Valérie fut son splendide et vaste désordre. […] Rien ne se trouvait là où il aurait dû être, et la plupart des choses se trouvaient là où elles n’auraient pas dû se trouver. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of LonelinessLe Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 321) ; « Jason revoyait avec une épouvante émue la blessure de Mourad. Mais face au spectacle de sa tour d’ivoire en ruine, il n’éprouvait pas que de la douleur. Il ressentait aussi une extase inconnue. Une sorte de soulagement paradoxal, très doux, en même temps qu’enivrant. Le désordre avait aussi ses grâces. » (Jason découvrant son homosexualité et son amour pour Mourad, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 245) ; « La règle, c’est qu’il n’y a pas de règles. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc.

 

Chez le personnage homosexuel s’opèrent deux mouvements apparemment opposés. D’un côté, il va dire qu’il possède parfaitement ses désirs (ce sera le culte de la subjectivité volontariste et individualiste) et que ces derniers ordonnent au Réel : « Une personne est d’autant plus authentique qu’elle ressemble à ce qu’elle a toujours rêvé d’être intensément. » (le transsexuel Agrado dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar) ; « J’étais désirer-être. » (cf. le poème « Incurable » (1996) de David Huerta, p. 121) ; « Ne jamais rien sacrifier à sa propre cohérence. » (Adèle, la « fille à pédé », dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « J’vis ma vie comme je le ressens ! » (Dany dans le film « Sexe, gombo et beurre » (2007) de Mahamat-Saleh Haroun) ; « Qu’on soit homo, hétéro, bi, mono, l’essentiel est de vivre ma vie comme on le souhaite. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « L’esprit fort est le roi. Il règne ainsi sur la matière. » (cf. la chanson « Méfie-toi » de Mylène Farmer) ; etc. Mais d’autre part, comme il constate que ses désirs ne sont pas des ordres, et qu’il n’est pas Dieu, il se transforme en marionnette passive de ses petits désirs. Il se livre pieds et poings liés à la pulsion : « Depuis cette nuit-là, elles [Gabrielle et Émilie] s’écrivent, s’interrogent sans relâche sur la nature de leur sentiment, sur ce fol élan réciproque que rien ne laissait prévoir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 12) ; « C’est arrivé comme ça. […] Ça arrive par surprise. » (Marie avouant qu’elle est tombée amoureuse d’Aysla, dans le téléfilm « Ich Will Dich », « Deux femmes amoureuses » (2014) de Rainer Kaufmann) ; « C’est incroyable, la force de ça. » (Claude en parlant de son désir de draguer, dans le film « Déclin de l’Empire américain » (1985) de Denys Arcand) ; « Comment exprimer le plaisir de parler au gré de nos désirs ? » (c.f. la chanson « La Parole » de Charpini et Brancato) ; « Je suis totalement gouvernée par mon désir. C’est embêtant. » (Lola, l’héroïne lesbienne en couple avec Vera… mais aussi Nina, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Ne penses-tu pas que l’objet du désir ne prend pas trop de place dans notre vie ? » (Vera s’adressant à Lola, idem) ; « C’est le désir. Ça ne se contrôle pas. » (David Miller dans le film « La Vanité » (2015) de Lionel Baier) ; « Vénus a allumé dans le corps d’Hyppomène et d’Atalante un désir auquel il leur était impossible de résister. » (Orphée dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Très souvent dans ma vie, ce que je prévois n’arrive jamais. C’est toujours au moment où je m’y attends le moins que tout bascule dans l’horreur. Quand je crois au bonheur, le temps et les événements, qui nous ignorent, en décident autrement et rien ne se passe comme prévu. Mais inversement, de sinistres soirées selon mes prévisions, finirent en feux d’artifices. » (Bryan, l’un des héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 27) ;« Et puis un jour, l’autre moitié de moi s’est réveillée. On ne peut rien faire contre ça. » (Martin, le héros homosexuel s’adressant à son ex-femme Christine, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8 « Une Famille pour Noël ») ; « Je suis épatée, émerveillée par mes désirs, subjuguée au point que je deviens docile à la toute puissance du fantasme. » (la voix narrative du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 30) ; « Le courant est en train de m’emporter. » (Santiago à son amant Miguel, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León) ; « Je me suis laissé entraîner par la marée. » (idem) ; « Fallait-il […] que je me livre à la force ? Je vais me livrer, impuissant pour ma part, à cette force. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 37) ; « C’est bizarre : On a cette chose en soi et on ne la combat pas, car on l’ignore. » (Martha, l’une des deux héroïnes lesbiennes, à Karen, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » de William Wyler) ; « Sur le moment, je perdais le contrôle. Et après, je me rendais compte de ce que j’avais fait. » (Vincent, le héros homosexuel ayant des accès de violence avec son ex-compagnon Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Ce que tu ressens en ce moment, c’est cette force qu’on ne peut pas arrêter. » (Heck, le mari malheureux de Rachel, découvrant avec impuissance l’homosexualité de sa femme Rachel, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, Emmanuel a « la manie du rangement des désordonnés profonds » (p. 152). Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le jeune héros homosexuel Vincent recouche sans trop de conviction avec son ex-amant Stéphane, de 20 ans son aîné… et leur nuit de sexe laisse place à l’incertitude : « Tu crois qu’on sera heureux un jour ? » « Ces choses-là se décident sans nous, j’en ai bien peur. » lui rétorque Stéphane (c’est la dernière réplique de la pièce, qui montre combien le désir homosexuel fuit le Désir).

 

« Pawel cherche la source de cette douleur. Essaie de la comprendre. L’homme que je cherche est en moi. Quel est cet homme ? Est-ce l’icône de mon père perdu ? Est-ce donc cela la source de la blessure primitive : la sensation laissée par l’absence du père.[…]Même si la racine de cet amour est bonne, comme l’est la racine de tout autre amour humain, son tronc et ses branches ont été courbés. Je ne sais pas pourquoi je suis attiré par ce désir déréglé. J’en souffre. Mais je refuse d’appeler l’arbre courbé un arbre droit. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, repoussant son élan physique et sentimental envers le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 419) ; « Ce désir n’est pas bon, chuchota Pawel. Mais où puis-je aller pour y échapper ? » (Pawel après avoir vu David nu, idem, p. 472) ; « Il y a une partie bonne et l’autre partie est une blessure infligée par le sitra ahra. » (Pawel parlant de son élan homosexuel, idem, p. 477)
 

Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018), Julia devient, très jeune, une femme pasteur évangélique promotionnant l’ordre (son grand slogan, c’est « Mets ta maison en ordre ! »). Elle insiste sur ce concept car en réalité, elle subit le grand désordre chez elle puisque son père la viol : « La maison de Julia est dans un désordre indescriptible. » dit-elle. L’ordre dont il est question est donc, en filigrane, le viol.
 
 

b) Le désir homosexuel entraîne le héros homosexuel dans le désordre :

La soumission du personnage homosexuel à ses petits désirs est souvent marquée par un trouble qui fendille l’identité et l’amour, une impression d’être son propre esclave, de ne pas être maître de sa vie ni libre, de ne pas être unifié. Ce n’est pas un hasard si le lexique du désordre revient comme un leitmotiv dans les œuvres homosexuelles : cf. le roman El Desorden (1965) de Terenci Moix, le film « Le Désordre » (1961) de Franco Brusati, le roman Mes désirs font désordre (2003) de Nicolas Dutriez, le film « Vierge, ascendant désordres » (2004) d’Erwan Chuberre, le film « Les Enfants du désordre » (1989) de Yannick Bellon, le roman Dans le désordre (2012) de Claude Régy et Stéphane Lambert, la nouvelle « Désordre » (1929) de Thomas Mann, le roman Le Désordre du Temple (2011) d’Antoine Blocier, le film « Désordres » (2013) d’Étienne Faure, le film « Les Pâtres du désordre » (1968) de Nico Papatakis, la prestation de SweetLipsMesss lors de la scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris (avril 2009), le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le roman Désordres (2017) de Jonathan Gillot, la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc. « Mon Dieu, quel désordre ! Je n’arrive plus à m’y retrouver ! » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Jamie était une piètre ménagère, et très désordonnée ; si elle faisait la cuisine, elle mettait tout sens dessus dessous. » (Jamie, une des protagonistes lesbiennes, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 462) ; « J’ai jamais vu un mec qui avait l’air aussi propre sur lui et qui était autant bordélique. » (Polly, l’héroïne lesbienne par rapport à son meilleur ami gay Simon, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 13) ; « Ordre et discipline. » (Jarry parlant du tatouage de Jean-Claude, le commissaire de police, dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Tu es censé être un chien ordonné. » (Citron parlant tout seul à son chien, dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic) ; « C’est le bordel dans ma vie. Il faut que je mette un peu d’ordre. » (Julien, le héros bisexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Tu crées la pagaille autour de toi. » (sir Harold Nicolson) « Je ne suis pas dans la pagaille ! » (Vita Sackville-West, lesbienne, répondant à son mari, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; « Les bombes à retardement servent à semer le désordre. » (Tommaso, le héros homosexuel parlant de sa grand-mère décédée et insoumise, dans le film « Mine Vaganti », « Le Premier qui l’a dit » (2010) de Ferzan Ozpetek) ; « Toi et moi, on a des choses à mettre en ordre tous les deux. » (Rosa s’adressant à Julien dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; « Occupe-toi d’abord du désordre de la nuit… » (Marie insinuant à son mari Alexandre qu’il lui aurait caché ses tendances homosexuelles, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « L’Amour est un désordre. » (c.f. la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony MacMurrough, en caressant les cheveux ébourrifés de son jeune prostitué Doyler, qualifie ce dernier de « désordonné… vraiment… ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, a déclenché une baston dans un club gay The Boys qu’il fréquente habituellement. Les flics venus l’arrêter déroulent son passif délictueux : « Apparemment, c’est pas la première fois que tu fous le bordel au Boys… ». Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel finlandais, dit qu’il a quitté son pays pour vivre librement son homosexualité loin de sa famille à Paris, mais décrit sa vie parisienne comme « agitée ».
 

Le désir homosexuel incite à l’éclatement symbolique du corps et du cœur : cf. le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, le film « Les Corps ouverts » (1998) de Sébastien Lifshitz, etc. « Jésus veut que j’aie une vie ordonnée. » (Tom, homosexuel croyant, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Mon corps est moins pur que mon âme, je le disperse et je l’offre. » (Max Jacob dans le film « Monsieur Max » (2007) de Gabriel Aghion) ; « Cette femme a dû commettre beaucoup de désordre dans le cœur des hommes. » (Stan par rapport à la femme au collier de perles, dans la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé) ; « Au milieu, il y a cette publicité qui me fait froid dans le dos, où l’on voit une jeune femme se désagréger. Je touche Chloé pour vérifier qu’il ne lui manque rien. […] Je voudrais tant qu’elle se rassemble, cesse de s’éparpiller, de partir en miettes. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 64) ; « Nous devrions faire le bilan de nos déviations » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; etc. Dans les fictions, en général, l’élan homosexuel n’est pas facteur d’ordre ni d’unité. Par exemple dans Le Banquet (380 av. J.-C.) de Platon, concernant le désir homosexuel, il est justement question d’un « amour désordonné ». Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, les premières images filmées sont celles d’une chambre (la chambre du protagoniste homosexuel Matthieu) en complet désordre. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M est définie en tant que « Gender Identity Desorder » par son médecin. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, voit sa vie chamboulée par l’amour d’une femme : on le voit essayer de partager en deux une carcasse de poulet… comme pour illustrer le déchirement qu’est le désir bisexuel.

 

Le désir homosexuel porte en germe la rupture plus que l’unité, d’une part au cœur de l’individu qui le ressent, et d’autre part dans le couple homosexuel : « L’amour, si tu savais, c’est du désordre. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Partout, je sens ton odeur, ton désordre. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 158) ; « Nous sommes deux femmes qu’un désir de partage rassemble. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p 41) Le désir homosexuel ne semble pas favoriser la correspondance et la simultanéité des désirs de chacun des deux amants du couple : « Les gestes que tu attends de moi ne répondent pas à ce que nous attendons de nous. » (Pierre dans le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 186) ; « Ce qui me rend heureux te rend triste. » (une réplique du film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « C’est quand même vachement déstabilisant. » (Damien évoquant ses expériences homosexuelles, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Je ne suis même pas homo. Il y a deux ans, j’ai juste aimé follement l’homme de la vie de l’ancienne femme de la mienne. Depuis, tout est rentré dans l’ordre. » (Rémi parlant son histoire avec l’hétéro Damien, le copain de son ex Marie, idem) ; etc.

 

Le héros homosexuel a tendance à décrire son penchant homosexuel comme un désir compliqué, difficile à gérer : cf. le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le film « Cap Tourmente » (1993) de Gérard Ciccoritti, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le roman Le Cœur entre deux chaises (2012) de Frédéric Monceau, le film « The Love Paradox » (2000) de Clifton Ko, le roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana, la chanson « L’Inconstant » d’Étienne Daho, les films « Désirs volés » (1997) et « Le Désir en ballade » (1989) de Jean-Daniel Cadinot, le roman Le Désir fantôme (1999) d’Hugo Marsan, etc. « Je suis trop compliquée. » (Peyton, l’héroïne lesbienne parlant à son amante Elena, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Avec toi, je me sens mal. Je mens. Je me sens dure. Tu me donnes le mauvais rôle. » (Sarah s’adressant à son amante Charlène, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Si au moins je me comprenais moi-même. » (Charlotte, l’héroïne lesbienne du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Vous, vous êtes plutôt compliqué. » (Antonietta s’adressant à son ami homosexuel Gabriele, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « C’est diablement déplaisant pour moi [de vous désirer]. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

Il fait vivre des « humeurs vagabondes » (cf. la chanson « L’Adorer » d’Étienne Daho) et entraîne le personnage homosexuel dans l’espace fluctuant de la non-identité, de la dualité : « L’ambiguïté, c’est ton truc. » (Clara à son meilleur ami homo JP, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, l’épisode 1 « À la recherche du prince charmant ») ; « En fait, je ne sais pas trop comment je suis. Je ressens des trucs bizarres. » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « J’aime les filles et les garçons, j’aime tout ce qui est bon. Je suis bi… zarrement faite. » (Anne Cadilhac, Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] était parfois hypersensible et souffrait en conséquence. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 62) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le héros homosexuel, parlant de lui-même à la deuxième personne du pluriel, fait référence à « une force confuse » (p. 12 puis p. 46) ; « Il y a cette voix en vous qui vous oblige. Comment leur parler de la voix ? […] Comment leur faire entendre que c’est votre nature ? » (idem, p. 135) Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, la voix narrative pose la question de l’impossibilité de l’union entre les amantes homosexuelles, en se demandant quelle est la nature paradoxale de la force de séparation qui les régit, et qui est pourtant censée les unir : « Mais qui tire en arrière ?!? Quel homme ? Quel enfant mort-né ? Quel bouffon ? » Dans le film « Bulldog In The Whitehouse » (« Bulldog à la Maison Blanche », 2008) de Todd Verow, le président des Etats-Unis bute face à la même énigme : Pourquoi le désir homosexuel est pour et contre lui-même ??? « Depuis que je suis petit, on me dit qu’aimer un homme c’est mal. Mais on ne m’a jamais dit pourquoi. Vous pouvez me le dire ? Bobby dit qu’il n’y a rien de mal à ça… que tout le monde a besoin d’aimer quelqu’un, et que son sexe n’a pas d’importance. Alors pourquoi je ne peux pas l’aimer ? » Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, se dit « torturé » (p. 393) : « J’ai l’esprit tortueux. » (idem, p. 328) ; « J’ai toujours envie de te voir et d’être à tes côtés mais dès que tu t’approches de moi, je n’ai qu’une envie : celle de fuir, de t’ignorer, de passer près de toi sans te voir. Comment peut-on être aussi compliqué ? Pourquoi mon esprit me commande-t-il le contraire de ce que mon corps réclame ? Pourquoi ai-je peur de toi ? » (Bryan à son amant Kévin, idem, p. 210) Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Emma, l’une des héroïnes lesbiennes, se qualifie « d’un peu bizarre » comme fille.

 

D’une certaine manière, le désir homosexuel se place contre l’ordre naturel, social, et divin… et le personnage homosexuel le devine, bien souvent dans la révolte : « Dieu, qui a créé le ciel et la terre, aurait pu décréter qu’un frère et une sœur pouvaient se marier, que deux femmes pouvaient procréer ensemble. Dans Sa façon d’ordonner le monde, Il aurait pu donner à ceux qui sont les plus proches la possibilité de s’accoupler. Il aurait ainsi offert à Ses créations un bien-être plus grand. Pour quelle raison, alors, ne l’a-t-Il pas fait ? » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 174) On retrouve dans son discours des réminiscences du péché originel : « Ses yeux étaient immenses, ses cheveux tombaient en désordre sur ses épaules. La peau de son ventre faisait des plis, rentrait en elle-même. Je me suis rendu compte que nous étions nues. » (Ronit, l’héroïne lesbienne décrivant sa copine Esti après leur nuit d’amour, idem, p. 243)

 

Le désir homosexuel écartèle parce qu’il opère un double mouvement de vie et de mort : « Je ferme les yeux sur nos dernières nuits. Qui nous sépare ? Qui nous unit ? » (cf. la chanson « J’attends » de Mylène Farmer) ; « T’es déchirée ? Déjà ? » (Bernard, le héros homosexuel s’adressant au transsexuel M to F Géraldine dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; etc. Dans son poème « Unidad En Ella », l’écrivain espagnol Vicente Aleixandre nous parle justement de la dualité des désirs homosexuel et hétérosexuel, qui sont un seul et même « désir d’amour ou de mort ».

 

C’est la raison pour laquelle le désir homosexuel est souvent défini/représenté dans les fictions par une blessure, une cicatrice, une balafre : cf. le roman La Vie blessée (1989) d’Hugo Marsan, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, le film « La Brèche de Roland » (2000) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, la chanson « Escargot » d’Éric Mie, le film « Fracture du myocarde » (1990) de Jacques Fansten, la chanson « Point de suture » de Mylène Farmer, le film « Torn Curtain » (« Le Rideau déchiré », 1966) d’Alfred Hitchcock, le roman De Perlas Y Cicatrices (1998) de Pedro Lemebel, le film « Les Souffrances » (2001) de Louis Dupont, le roman Blessés (2005) de Percival Everett, le film « Riparo » de Marco Simon Puccioni, le film « Les Blessures assassines » (2000) de Jean-Pierre Denis (avec les sœurs incestueuses), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (la grande plaie dans la cuisse de Jan, le héros homo), le roman L’Âge blessé (1998) de Nina Bouraoui, le film « Blessure » (2011) de Johan Vancauwenbergh, la série britannique Beautiful People (2009) de Jonathan Harvey (avec l’épisode « Ma première balafre », en anglais « How I Got My Gash »), le film « Separata » (2013) de Miguel Lafuente, le roman Blessés (2013) de Percival Everett, la chanson « La Blessure » d’Emmanuel Moire, etc.

 

Nathan dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier


 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, l’un des héros homosexuels, porte une cicatrice sur la joue. Elle intrigue son amant Jonas : « Il a une cicatrice qui va de là à là. » révèle-t-il à ses parents, de retour du collège. Et elle semble être la marque de l’homosexualité de Nathan, puisque la maman gay friendly de ce dernier l’aime beaucoup et tente de la faire aimer aussi à Jonas : « Tu sais que je l’adore, ta cicatrice, mon chéri. Elle te donne plein de charme. C’est pas Jonas qui dira le contraire. Hein, Jonas ? » Pour expliquer cette balafre, Nathan fait croire à son amant qu’il a été abusé dès la classe de CM1 dans son école catholique de Saint Cyprien par un prêtre, qui l’aurait forcé à lui faire une fellation et qu’il aurait mordu au sexe… et ce prêtre, en représailles, lui aurait donné un coup de calice coupant au visage : « Du coup, il a pris la coupe qui était posée sur l’autel. Schlaaa… Il m’a fait ça. » On découvrira que l’entaille que Nathan porte sur sa joue ne vient pas du coup de calice, mais d’un lynchage collectif qu’il a subi aux autos tamponneuses à l’âge de 9 ans dans un parc d’attractions appelé Magic World. En effet, il s’est fait tamponner par une meute de voitures qui l’a chargé, au point que Nathan a été éjecté de sa voiture et s’est fait défigurer : « Et schlaaack ! La joue coupée en deux, sur la barrière de protection. » dira la maman de Nathan. La balafre de Nathan signera son arrêt de mort puisqu’à la fin, le prédateur homo qui tue le jeune homme dans sa voiture le flatte d’abord de manière perverse par rapport à celle-ci : « Elle est mignonne la petite cicatrice… »
 

« Je passe par toute la gamme de la souffrance. Tant de malheur. » (Vera dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. C’est une chance et une souffrance. » (Damien, le travesti M to F parlant de lui-même par une métaphore, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez, qui dit avoir retrouver son unité en se travestissant en femme, idem ; il va quand même voir ensuite avec son nouvel ami – transgenre comme lui – Damien un film expérimental nommé « Éclat de viande »…) ; « Oui, tu as des cicatrices mais ce n’est pas grave. Ta vie serait plus simple si tu arrêtais de te torturer. » (Michael, le héros homo se moquant de son colocataire gay aussi, Harold, passant des heures devant sa glace à se mettre des crèmes, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Mais il n’oubliera jamais cette cicatrice que tu lui as faite. » (Michael s’adressant à Alan par rapport à Justin, idem) ; « Alors Didier, pour toi, est-ce qu’on peut refermer une cicatrice ? » (le présentateur télé s’adressant à Didier, l’un des héros homos, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « J’aime la cicatrice. » (le jeune Mathan, homosexuel, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « C’est l’attirance de deux femmes avec la même blessure. » (Klaus parlant des deux personnages lesbiens d’Helena et Sigrid dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas) ; « Toutes les cicatrices se rouvrent. » (Junn, la mère de Kai le héros homosexuel, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « La différence, c’est que toi tu n’es pas stigmatisée. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Tous les hommes sont des ignobles soldats allemands avec une cicatrice dans la lèvre. » (Alfonsina, l’ouvreuse dans un ciné porno, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Tu rouvres cette vieille blessure. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West revenant amoureusement à la charge, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

DÉSORDONNÉ Albator gay

 

Par exemple, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le héros homosexuel de 19 ans, dit avoir un lien secret avec Albator. Dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon et dans le film « Bug » (2003) d’Arnault Labaronne, le pirate Albator est le personnage préféré du héros homosexuel. Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne ressemble au fameux pirate : « Elle rejette en arrière la mèche qui vient lécher son visage d’Albator moderne comme au ralenti et j’ai peur qu’elle veuille que l’on fasse l’amour ensemble. » (p. 14) Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Franck chante « Albator » au chat de Matthieu, nommé Stelly (Stelly était d’ailleurs la protégée d’Albator). Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Torturé par son homosexualité, Zachary, le jeune héros homosexuel, se dessine le même éclair sur le front que David Bowie. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky Fantomas est une femme avec une cicatrice sur la joue gauche, avec une attelle à la jambe ; elle a été victime d’un attentat au drugstore (et peut-être qu’elle-même portait la bombe). Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca ne comprend pas pourquoi il souffre (« Sur mon poitrail, aucune cicatrice. ») et pourtant, il se sent coupable de quelque chose. Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Yvette évoque l’existence d’un type surnommé « Dédé la Balafre » : « On l’appelle Dédé. Et parfois, on lui dit ‘La Balafre’. » Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les deux héroïnes principales, à savoir Jane (lesbienne en couple avec Petra) et la jeune Anna (13 ans), ont la même éraflure sur le visage, à cause d’un lanceur de pierres qui a sévi autour de leur immeuble : « joue éraflée » (p. 33) ; « Jane se sentit un peu dépassée. Il était possible que la fille et elle aient été victimes du même lanceur de pierres. » ( p. 44) ; « Jane songea une nouvelle fois à Anna, à l’ecchymose au-dessus de son œil qui reflétait presque la sienne. » (p. 54) ; « Vous avez une coupure sur le visage. » (un flic s’adressant à Jane, idem, p. 147) ; etc. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homo, s’exerce au décryptage graphologique de l’écriture de l’homme qu’il aime, Dick : « C’est une blessure. » dont les lettres de Dick seraient signe. Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, c’est au moment où Oliver sort avec le jeune Elio que sa plaie sur l’aine gauche se réouvre : « Je crois que ça s’infecte. » Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, au moment où il ressent une attirance pour son camarade Kevin, lui découvre sur la joue une petite plaie. Je vous renvoie bien évidemment au code de la « Moitié » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Il est signifiant que beaucoup de personnages homosexuels s’auto-proclament blessés de la vie, déchirés au niveau du désir et de l’amour, entre leur conscience et leurs actes sexuels : « Nous, les écorchés du cœur » (Louis II de Bavière dans la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux) ; « Je suis déchiré. » (Malcolm, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Ici, les gens sont atypiques, on dit qu’ils sont fous, déments, déviants, cinglés, moi je crois qu’ils sont plutôt fêlés. C’est comme une blessure, c’est comme une coupure. » (Cécile à propos des habitants de l’hôpital psychiatrique où est internée son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 76) ; « Je ne suis pas mort… mais je suis séparé. » (Antonin Artaud, « Les Nouvelles révélations de l’être », 1937) ; « Au-delà de son orientation sexuelle, il percevait chez lui une fragilité. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 111) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à Zaza dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « l’homme blessé » (dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « De l’alcool ! Du coton ! Des ciseaux ! Du sparadrap ! Ça m’a l’air très mauvais cette blessure ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « C’est vrai qu’elle n’a rien, Fougère. C’est une petite blessure qu’elle a. C’est du cirque. » (Joséphine dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Je ne sais pas quoi penser de tout ça… Vraiment pas. Tout ce que je sais… Tout ce qu’on m’a appris… dit que c’est mal. Pourtant, l’autre soir, j’étais bien. C’est vrai. Je suis complètement paumé. J’ai l’impression d’être déchiré de l’intérieur. » (Seth dit à son amant David, dans le film « And Then Came Summer » (2001) de Jeff London) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne parle pas forcément d’une blessure. Il se cantonne à la définir comme un mal-être invisible, une faiblesse, une fragilité, une défaillance : « Je ne peux pas vous guérir. Votre tourment n’est pas dû à la maladie. » (Dr Apsey, le psy du héros homosexuel Frank, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes) ; « Je suis trop fragile et beaucoup trop désirable. » (le transsexuel Roberto/Octavia La Blanca dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Je je suis si fragile qu’on me tienne la main. » (cf. chanson « Libertine » de Mylène Farmer) ; « J’ai besoin qu’on me tienne la main. Je suis fatiguée. […] J’me sens tellement seule, fragile, et provisoire. » (Charlène Duval lors de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « J’aime les garçons un peu fragiles. » (un protagoniste homo dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « J’avais oublié combien elle était fragile. Sur le moment, j’ai été incapable de penser à autre chose ; appuyée contre moi, elle reposait entre mes bras et sur ma poitrine, et je la sentais à peine tant elle était légère. » (Ronit par rapport à son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 142) ; « Il est tellement sensible. » (Marie-Muriel parlant de son fils aîné homosexuel Matthieu-Alexandre, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Je suis un garçon très sensible et attentionné. » (Max, idem) ; « Nous sommes très fragiles. Nous tombons. Nous échouons. Mais est-ce que c’est plus grave que ça ? » (le narrateur de la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust) ; « Tu préfères avoir un visage couvert de furoncles ou un mari un peu trop sensible ? » (Solange s’adressant à sa fille Zoé marié à un homme bisexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Je suis fragile, moi. J’ai eu les oreillons petit. » (Yoann, le héros homosexuel, idem) ; « Mon fils est un garçon fragile. Il ne faut pas le tourmenter. » (la mère d’Adrien s’adressant à Anna par rapport à son fils homo, dans le film « Frantz » (2016) de François Ozon) ; « T’es un peu fragile, toi… » (Léonard s’adressant à Jonas, le héros homosexuel, après avoir bu de l’alcool ensemble, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Ton ami est un garçon très émotif. » (Jean s’adressant à son fils Otis par rapport à son camarade homo Adam, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « T’es tendre et fragile pour me rendre docile. » (c.f. la chanson « Pas un garçon » d’Emmanuelle Mottaz) ; etc. Par exemple, dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Maryline, l’héroïne bisexuelle, décrit Gérard son mari violent et qui l’a violée comme « un être beaucoup plus sensible qu’on ne le croit ».

 

Parfois, le héros homosexuel se dit torturé par un désir incompréhensible, malveillant, mystérieusement insatisfaisant : cf. le film « Me Siento Extraña » (1977) d’Enrique Marti, le film « Petite fièvre des 20 ans » (1993) de Ryosuke Hashiguchi, etc. Dans le film « Un Tramway nommé Désir » (1950) d’Élia Kazan, par exemple, Blanche associe le désir homosexuel à un « désir brutal » allant aussi rapidement qu’un tramway. Dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le protagoniste parle de son désir « qui s’apparente à la mort ». Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, évoque une « brûlure froide ». L’émoi homosexuel fait parfois souffrir : « J’ai ressenti un flux. Comme un coup de poing. Avec un peu de tristesse. » (Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Le désir est à la racine de tous les maux. » (une réplique du film « Fire » (2004) de Deepa Mehta) ; « De temps en temps, ses yeux s’emplissaient de larmes à cause de son douloureux désir. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 205)

 

Le désir homosexuel, de par sa nature d’élan désunifiant, peut avoir une parenté avec la schizophrénie : il arrive que le personnage homosexuel « s’absente sur place », ne connecte plus ses actes avec son cœur ou sa conscience : « Je le vois bien que vous êtes là. Mais moi, est-ce que je suis là, moi ? Voilà le problème. » (Jeanne au Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Aujourd’hui je ne sais pas ce qu’il m’arrive. » (idem) Le vent du désordre homosexuel donne parfois l’impression d’unité dans l’écartèlement, car il apporte quelques petites compensations (la tendresse, la compagnie et la fin de la solitude, le bien-être sensitif et érotique, etc.) : « M. Fruges sentit un souffle chaud sur son oreille […] Alors des douleurs le poignirent aux jointures de ses membres, comme si on l’eût écartelé, mais cette torture cessa d’un seul coup pour être suivie d’une curieuse sensation de bien-être répandue dans toutes parties de son corps. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 143) ; etc.

 

Mais au final, le désir homosexuel est présenté comme un désir sauvage, violent, passionnel, qui rend incontrôlable une personne qui, en temps normal, est plutôt équilibrée : cf. le film « Wilde Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, le roman Alexis O El Significado Del Comportamiento Uraño (1932) d’Alberto Nin Frías, le roman Chanson sauvage (1918-1921) de Claude Cahun, le film « Relatos Salvajes » (« Les Nouveaux Sauvages », 2015) de Damián Szifron, le roman Les Garçons sauvages (1971) de William S. Burroughs, le roman Sauvage (2011) de Nina Bouraoui, le film « The Wild Dogs » (2002) de Thom Fitzgerald, la chanson « Walk On The Wild Side » de Lou Reed, le film « Le Messie sauvage » (1972) de Ken Russell, le film « Wild » (2015) de Troye Sivan, le film « Sauvage » (2019) Camille Vidal Naquet, etc. « J’ai des impatiences et des amuseries d’enfant sauvage. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 9) ; « Tu as l’air d’un sauvage de Bornéo. » (la mère de Idgie, s’adressant à sa fille lesbienne, dans le film « Fried Green Tomatoes », « Beignets de tomates vertes » (1991) de John Avnet) ; « Vous êtes des bêtes sauvages ! » (Lucie s’adressant à Martine, Michèle et Jules, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « J’suis une sauvage ! » (cf. la chanson « And I Hate You » de Mélissa Mars) ; « J’avoue : je me suis trompée ! J’ai dépensé des millions à te vouloir excentrique, bien élevée en liberté, en même temps sauvage et chic, cultivée et anarchique ! » (Solitaire à sa fille lesbienne Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Quand je dis que je ne suis pas fiable, je suis lucide. » (Cécile, l’héroïne lesbienne du roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 142) ; « C’est un maniaque du désordre, celui qui a fait ça. » (Omar en parlant de l’agresseur homosexuel/homophobe de Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « S’il y en a qui connaît l’animal qui est en moi, c’est bien toi, non ? » (Pierre s’adressant à son amant Benjamin dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Tu es irréel et moi animal. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Luther, l’un des héros homosexuels, a pour parfum Eau Sauvage de Dior. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, le skinhead efféminé est décrit comme « un Peter Pan sauvage » (p. 95). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la mère de Steve le héros homo porte le parfum Eau Sauvage de Christian Dior.

 

Le désir désordonné tourmente, met le personnage homosexuel dans tous ses états. « Il vous est apparu si désemparé. […] Qu’est-ce qui peut bien l’avoir conduit à cet état ? » (la voix narrative du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 191) ; « Ils [« les pédés »] sont flous, excessifs, durs. » (les quatre personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « C’est comme un mal en moi qui m’effraie qui me tord. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Je suis super mal en ce moment. » (Clara, perdue dans sa sexualité et son orientation sexuelle, et qui commence à coucher avec n’importe qui et à faire n’importe quoi, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; etc. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan, le héros homosexuel, décrit sa transformation en Jean-qui-rit/Jean-qui pleure sous l’effet désordonné de l’amour homo : « Des moments sublimes où régnaient en moi une joie et une confusion absolue. Des instants d’angoisse qui basculaient toujours de façons inattendues en allant de la panique à d’intenses moments de bonheur. À chaque fois, je rentrais la tête dans les étoiles, partagé par des envies successives de rire ou de pleurer, parfois les deux ! » (p. 360) Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, vivait une relation amoureuse cachée avec Charles, un homme décrit comme un alcoolique suicidaire : « Cet homme vivait dans une grande souffrance ».

 

Film "Les Enfants du désordre" de Yannick Bellon

Film « Les Enfants du désordre » de Yannick Bellon


 

Le désir homosexuel apparaît comme un désir effréné, compulsif, difficilement contrôlable, peu libre et libérant : « Les pédés sur le net ne pensent qu’au cul. » (Nono dans la pièce « Copains navrants » (2011) de Patrick Hernandez) ; « Fatalement, Grégoire savait tout cela [= mes infidélités], mais il misait sur le temps qui, selon lui, me ferait émerger du désordre de ma vie sentimentale. » (Ednar parlant de son amant, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 144) ; « En somme, le plus difficile dans notre histoire amoureuse était de pouvoir maîtriser mon irrésistible instabilité qui perturbait notre couple après quatre années de vie commune. » (idem, p. 155) ; « Je m’approchai et lui présentai ma boîte à capotes aux emballages bariolés. Pour vivre dans l’indépendance et le désordre, ne fallait-il pas user de cette monnaie-là ? » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 59) ; « Il y a quelque chose en moi qui me dévore C’est une rage sans limite. Je n’ai aucune explication pour ça. » (João, le héros homosexuel du film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz) Par exemple, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos, François, l’homosexuel, dit qu’il a pour habitude d’« assouvir tous ses fantasmes » : il fonctionne au carburant de l’envie, comme s’il était le pantin de ses pulsions.

 

Dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, à travers le discours de la narratrice lesbienne, Alexandra, on voit tout à fait la voracité et le manque de liberté impulsés par la force désirante homosexuelle : « Je ne suis pas avertie et connais peu des forces étranges qui se manifestent quelquefois en moi. Elles me submergent d’un désir si soudain que mon ventre me réclame le soulagement qu’il lui faut. […] À certains moments, mon vice est le maître de tout. » (p. 28) ; « Je veux trouver par moi-même ce qu’il me faut, ne dépendre de rien d’autre que de mon propre désir. » (idem, p. 38) ; « J’eus des chaleurs et des poussées d’une intensité terrible. J’avais besoin d’un soulagement rapide. Trop nerveuse pour me maîtriser, en pleine crise, j’étais à l’affût du moindre sourire me permettant d’espérer le corps d’une femme qui, comme moi, serait dans cette quasi douleur du manque de chair et prête à s’offrir sur l’instant. […] Jusqu’où me mènerait cette force si exigeante ? » (idem, p. 44) ; « À ce moment, il m’apparut que seule la force – ou plutôt le chantage – me permettrait d’obtenir ce que maintenant j’en voulais : du plaisir. » (idem, p. 49) ; « Ma mauvaise nature m’avait appris que mon plaisir était plus grand quand il était pris sans prudence, à l’instant où il se présentait. Voilà maintenant que je pensais contre la réalité, m’imaginant comme une femme qui vivrait avec une autre femme, dans, si j’ose dire, la sécurité d’un couple. […] Il me fallait assouvir cette faim que j’avais du féminin. D’autant que je prenais conscience que seul le corps, chez les femmes, m’intéressait. Je ne me sentais pas capable d’aimer vraiment. Mon désir se manifestait dès que le corps d’une autre me paraissait accessible, me souciant seulement du plaisir que j’en espérais. On ne peut pas appeler cela de l’amour. En société, j’imaginais les femmes qui m’entouraient déshabillées et offertes, et très vite, dans un état presque halluciné, je leur prêtais des postures ou des situations que je n’ose décrire, même dans mon carnet… Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon ‘vice’ m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. » (idem, pp. 56-57) ; « Je suis préoccupée car je sais que ces moments où il ne se passe rien sur le plan qui m’intéresse font monter en moi, dans l’ombre, des désirs trop forts et trop soudains qui me pousseront à agir, sans que je puisse résister. » (idem, p. 75) ; « Cette bizarre disposition qui me pousse résolument vers les femmes n’entraîne-t-elle pas celles qui m’entourent, comme une mauvaise herbe prendrait possession d’un jardin auparavant bien ordonné ? Une sorte de maladie qui se propagerait, pervertissant les esprits et les corps, mais aussi ouvrant les cœurs et révélant les âmes ? » (idem, p. 97-98) ; « Je compris que les amies allemandes de ma cousine étaient mues par une force invisible qui exigeait que le plaisir qu’elles prenaient des femmes se répandît, si possible, dans l’univers entier, et que pour parvenir elles comptaient beaucoup sur la contagion. » (idem, p. 110) ; « Lorsque dans sa lettre j’ai lu le mot « envie », j’ai eu instantanément une forte poussée de désir. » (idem, p. 131) ; etc.

 

Le désordre dont il est question dans les œuvres homosexuelles est bien souvent synonyme de « viol » consenti, de débauche délectable : « Nos cent rats de la soldatesque dormaient en désordre. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 147) ; « Alors, le silence revient dans la chambre de mon enfance. Je regarde les volets fermés sur la fenêtre ouverte […] et le lit où nous nous trouvons étendus, dans le désordre des draps de famille, ceux où figurent les initiales des noms du père et de la mère, comme des armoiries ridicules. Je regarde ce tout petit monde qui n’est pas à notre mesure, ce lieu étrange où je n’imaginais pas perdre ma virginité, cet espace incertain où nous tanguons délicieusement. » (Vincent en parlant de son couple avec Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 68) ; « Le jeudi, j’ai fait quelque chose de mal. […] J’ai senti la culpabilité me brûler le visage tandis que je demandais la chose en question, et dans ma tête une petite voix disait : ‘Celle-là, elle n’est pas pour toi. […] Tu essaies de voler ce que tu ne désires même pas.’ Parce que tu t’y connais, en désir ? Ça, au moins, c’est notre domaine, pas le tien. Et pourquoi tu parles de voler ? Je l’ai trouvée la première. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, entend une voix maléfique avec qui elle dialogue, au moment où elle prétend voler le cœur d’Esti, une femme mariée, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 223-224) ; etc. Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, il est question du « corps en désordre » (p. 151) d’Arlette. Dans le nouvelle « La Mort d’un phoque » (1983) de Copi, le narrateur se fait trucider la bite « au milieu d’un désordre phénoménal (les tables cassées parmi les bouteilles arrosées de confettis) » (p. 22)

 

Le héros homosexuel va même jusqu’à dire que son désir homosexuel est démoniaque et qu’il faut s’en méfier parce que lui-même ne le maîtrise pas. C’est son « doux démon », en quelque sorte : cf. la chanson « Protect Me From What I Want » du groupe Placebo, la pièce Sortilegio (1942) de Gregorio Martínez Sierra, la chanson « Mon démon » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger, la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer, etc. « Le serpent aussi donnait des ordres de l’ordre de l’ordre, si j’ose dire. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 107) ; « Je me bats contre une douleur fantôme qui me hante depuis des mois, des années. » (Muriel Bonneville, Mi-ange, mi-démon (2006), p. 7) ; « Longtemps, Adrien avait cru ce penchant, ce mauvais penchant, surmontable. Dieu serait plus fort que son désir. Il saurait même dissiper, extirper jusqu’à sa racine ce mal profond. Il avait bien fini par comprendre, de guerre lasse, que la blessure resterait longtemps. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 25) ; « À n’en pas douter, quelque chose a été profondément bouleversé en moi et je ne suis plus celle que j’étais avant de poser le pied sur votre île. Aurais-je bu un philtre à mon insu ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 143) ; « Laisse-toi cueillir âme sœur exquise, à la marge limite banquise, le désordre des sens, le démon qui te pique, comme la nature chimique de mon attachement à toi. » (cf. la chanson « Les Fleurs de l’interdit » d’Étienne Daho) ; etc. À la fin de son roman Le diable au corps (1923), l’écrivain français Raymond Radiguet, évoque la présence d’un « homme désordonné ».

 

Le désir homosexuel entraîne parfois le héros homosexuel (et son amant fictionnel) dans des sentiers escarpés inattendus et désagréables : « Et bien tu peux lui dire de ma part qu’il [le désir] nous a fait un sale coup. » (Arnaud à son amant Mario, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) Par exemple, dans la chanson « Réveiller le Monde » de Mylène Farmer, il est question du « souffle démon ».

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Tout désir est considéré comme un dieu auquel il faut se soumettre :

Beaucoup de personnes homosexuelles laissent une grande place au désir dans leurs discours et leurs vies. Actuellement, elles ont d’ailleurs tendance de le rebaptiser « droit » (« désir » et « droit » commencent par la même lettre : ça doit être pour ça…). Selon une certaine pensée homosexuelle et féministe, le corps humain n’aurait pas d’importance. Nous serions davantage des anges que des humains. Nous ne serions que des émotions, des sensations, des êtres désincarnés, de purs esprits : « Le désir n’a pas de genre biologique. » (Stéphanie Arc) ; « Le sexe anatomique n’a pas d’importance. C’est l’individu qui compte. La Nature ne dit rien du désir. » (Michèle Ferrand) ; « Vous ne croyez pas que l’Amour est plus important que la biologie ? » (Jean-Marc Morandini face à Albéric Dumont, dans la matinale d’Europe 1, mardi 16 septembre 2014) ; etc. C’est la raison et la (non-)volonté plus que les corps qui dirigeraient le Monde. « Queer est plus généralement cet art même du déplacement, touristique ou zoophilique, stylistique ou corporel, l’art d’être où rien ne vous attend. » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 15)

 

Mais de quel « désir » parlent-elles, au juste ? Des grands désirs (amour vrai, amitié, engagement de couple, fidélité, rêves, promesses, don entier de soi aux autres, abandon de sa personne, actions de charité concrètes pour les autres, obéissance et service, combats pour la vie, liberté audacieuse encadrée par la raison, Dieu, etc.) ou bien des petits désirs (fantasmes, passion, imaginaire, sentiments, état amoureux, sincérité, envies, goûts, pulsions, instincts, bonnes intentions, plaisirs éphémères des sens, bien-être, etc.) ? Dans le cas des sujets homosexuels, on se situe malheureusement davantage dans les petits désirs, ceux qui anesthésient la révolte de ne pas donner un sens plus profond à sa vie, ceux qui compensent le manque des grands désirs, ceux qui ne favorisent pas l’unité et la conscience, mais au contraire qui accentuent le désordre. « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. J’ai imaginé les deux garçons, le grand aux cheveux roux et le petit au dos voûté, me contraignant à toucher leur sexe, d’abord avec mes mains puis avec mes lèvres et enfin ma langue. J’ai rêvé qu’ils continuaient à me cracher au visage, les coups et les injures ‘pédé’, ‘tarlouze’ alors qu’ils introduisaient leur membre dans ma bouche, non pas un à un mais tous les deux en même temps, m’empêchant de respirer, me faisant vomir. Rien n’y faisait. Chaque contact de Sabrina avec ma peau me ramenait à la vérité de ce qui se passait, de son corps de femme que je détestais. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 193) L’élan homosexuel est davantage un manque de désir qu’un désir, en fait : « Plus j’avançais, plus je me rendais compte que rien ne me prédisposerait d’une facilité dans mes rapports avec les autres garçons. Ces rapports effectivement, contribuaient à m’instruire que je rentrais dans une société dont le grand principe est le refoulement. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 74) ; « Le transsexuel est généralement un individu sans volonté. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 342) ; « Qu’est-ce que je veux au juste ? Je ne peux pas lui répondre, je ne le sais plus moi-même. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 337) ; « Que de fois tu m’as dit qu’il valait mieux faire la liste de ce que j’aime, plutôt que celle – interminable – de ce que je n’aime pas ! » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 65) ; etc.

 

En général, le désir désordonné – ils diront « amoureux », « improvisé », « artistique », « révolutionnaire » – est considéré comme un dieu : « Copi défend le plus grand des désordres, et c’est cette anarchie antisociale et festive, qui se branle de tout, que l’on devrait revendiquer. » (Marcial Di Fonzo Bo dans l’article « Le plus Bo des Argentins » de Franck Sourd, sur le journal Les Inrockuptibles du 30 mars 2005) ; « Je suis pour l’ordre. Vive l’ordre ! … Évidemment, l’ordre le plus raffiné est celui qui fait la plus grande place au désordre ! » (Renaud Camus dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic) ; « Contre la droite et l’ordre moral : nos désirs font désordre. » (cf. un tract LCR que j’ai vu à la Gay Pride de Paris en 2008) ; « Il est de l’ordre en forme de désordre. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « Tout le bazar indispensable aux happenings de Mirna. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 282) ; « C’était un peu n’importe quoi dans tous les sens. » (Philippe Morillon parlant des soirées orgiaques de la boîte gay du Palace dans les années 1980, dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », défend auprès de Descartes les vertus de « l’amour déréglé » homosexuel. Ernst Röhm, dès 1928, écrit ses Mémoires d’un traître et confie : « Étant immature et mauvais, je suis plus en faveur de la guerre et du désordre que de l’ordre bourgeois bien élevé. […] J’affirme d’emblée que je ne fais pas partie des braves gens et que je n’ai aucune envie de leur ressembler. » (p. 267 et p. 362)
 

DÉSORDONNÉ 1 LCR

 

Est souvent exprimé par les personnes homosexuelles le désir d’être le Désir, ou bien une déification des désirs personnels au détriment des désirs collectifs. Par exemple, Michel Foucault souhaite privilégier « le lien du désir à la réalité » et non celui de la Réalité au désir (Michel Foucault, « Préface » de L’Anti-Œdipe, dans l’essai Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), p. 136). Dans son article « Avatares De Los Muchachos De La Noche » (1989), le poète argentin Néstor Perlongher se prend pour son désir : « Dérive du Moi, dérive du désir. » (pp. 46-47) L’identification à son désir traduit une conception égocentrique de l’amour, qui ne fonctionnerait qu’en circuit fermé : « Nous ne voulons pas qu’on nous pourchasse, ni qu’on nous arrête, ni qu’on nous discrimine, ni qu’on nous tue, ni qu’on nous soigne, ni qu’on nous analyse, ni qu’on nous explique, ni qu’on nous tolère, ni qu’on nous comprenne : ce que nous voulons, c’est qu’on nous désire. » (Néstor Perlongher, « El Sexo De Las Locas » (1983), p. 34) Se cache en toile de fond de cette auto-sacralisation orgueilleuse un mépris de soi : par exemple, dans son essai King Kong Théorie (2006), Virginie Despentes se définit comme une personne « plus désirante que désirable » (p. 11).

 

 

En général, les personnes homosexuelles parlent du désir comme d’une formidable énergie – à consommer la plupart du temps égoïstement (ou à la rigueur à deux, avec son partenaire temporaire) –, d’une puissance euphorisante, d’un désordre jouissif irréprochable… même si elles sont bien en peine après de justifier par les mots pourquoi chez elles une telle fascination pour l’éclatement, mis à part en sentimentalisant, en esthétisant, ou en politisant à l’extrême leur idolâtrie pour Eros. « Je me rendais compte, moi, que c’était toute ma personne, tout mon désir refoulé depuis toujours, qui m’entraînait dans cette situation. Je brûlais d’excitation. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 152) D’un air éthéré ou malicieux, elles prônent arbitrairement « l’ordre du désordre », la « révolution de l’inversion », la « vérité » des improvisations et des errances d’un désir capricieux pseudo inattendu : « Le désordre est le principe anti-social par excellence. » (cf. l’article « Apologie du désordre » de Mohamed Belmorma, publié dans la revue Minorités.org, 9 juillet 2011) ; « Les choses sont venues dans le désordre. » (Pierre Bergé parlant à la fois de sa relation avec Yves Saint-Laurent, et de la progression de ses collections, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; etc. Le romancier Érik Rémès dit avoir « un problème très infantile vis-à-vis de la loi, de l’ordre » (cf. l’article « Érik Rémès, écrivain » de Julien Grunberg, sur le site www.e-llico.com consulté en juin 2005).

 

Dans les discours, est très souvent confondu le désir libre avec le consentement (« Le désir justifie tout, pourvu qu’il soit partagé. » déclare par exemple Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003), p. 191). Or, ce sont deux choses bien distinctes. La réciprocité et la liberté apparente que semble comprendre le consentement mutuel ne sont que poudre aux yeux pour ne pas se regarder mal agir. Car se mettre d’accord pour poser une action amoureuse et sexuelle à deux, même si on se dit adultes vaccinés, sincères, amoureux, et apparemment conscients des actes qu’ils posent, n’est pas une garantie de bien agir, ni une assurance d’agir librement. Pour prendre des exemples précis, une prostituée et son client peuvent très bien se mettre d’accord « sur le papier » pour respecter une parfaite transparence dans la consommation mutuelle : l’acte qu’ils poseront restera une exploitation ; pareil pour le cas des couples homosexuels où chacun des deux partenaires va voir ailleurs : quand bien même ils estiment qu’ils ont le droit de s’être infidèles à partir du moment où ils se le disent (certains voient même cette franchise comme une nouvelle preuve d’amour qui va renforcer leur couple déjà à l’article de la mort ! un comble…), la violence de l’infidélité reste inchangée. Ce n’est pas les intentions, la franchise, le consentement, la transparence, la sincérité, qui font la justesse d’un acte ; c’est aussi l’acte en lui-même. En sacralisant leurs petits désirs au détriment de la reconnaissance des actes, beaucoup de personnes homosexuelles signent à leur insu l’arrêt de mort du vrai Désir, et s’exposent à se soumettre à la pulsion, aux fantasmes amoureux, aux affres de la passion sentimentale éphémère, à l’absence de liberté. Elles se rendent compte qu’elles posent des choix sans conscience et sans liberté : « C’est mes choix et je ne les ai pas choisis. » (la phrase d’Amina, une jeune femme lesbienne de 20 ans, venant conclure le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014)

 

C’est comme si, chez elles, s’opéraient deux mouvements apparemment opposés. D’un côté, elles vont dire qu’elles possèdent parfaitement leurs désirs et que ces derniers ordonnent au Réel. Mais d’autre part, comme elles constatent que leurs désirs ne sont pas des ordres, et qu’elles ne sont pas Dieu, elles se transforment, pour noyer leur orgueil ou leur déception, en marionnettes passives de leurs petits désirs. Elles se livrent pieds et poings liés à leurs instincts, comme subjuguées par leur propre orgueil : « Le désir rend souvent aveugle et nous sommes des proies tellement faciles ! » (Denis Daniel, Mon Théâtre à corps perdu (2006), p. 119) ; « C’est, je pense, l’intérieur qui commande. » (Pierrot, le papy fermier de 83 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Chacun peut être ce qu’il veut. » (Victoria Broackes interviewée dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 
 

b) Le désir homosexuel : un désir intrinsèquement désordonné :

En réalité, les personnes homosexuelles ne maîtrisent pas autant qu’elles le disent leur désir. En effet, elles veulent s’en rendre les objets d’avoir trop cherché à posséder leur(s) objet(s) de désir. Naît souvent de ce rapport idolâtre et passionnel au désir un trouble, une impression d’être son propre esclave (ou, ce qui revient au même, esclave de ses pulsions). « Tel un jeu de Yo-Yo, je désespérais et reprenais courage en face de ce mal de vivre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 57) ; « Aveuglé par cette impression de m’être arraché à un mal qui jusque-là m’avait semblé incurable, j’oubliai quelque temps la résistance du corps. Je n’avais pas envisagé qu’il ne suffisait pas de vouloir changer, de mentir sur soi, pour que le mensonge devienne vérité. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 174) ; « Je peux pas me contrôler. » (Yves Saint-Laurent parlant de ses pulsions sexuelles et de son addiction à la drogue, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Je ne savais pas encore que quelque chose en moi ne tournait pas rond. » (Rilene, femme lesbienne dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Je sentais déjà au fond de moi que quelque chose ne tournait pas rond. » (le dessinateur homo Ralf König, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Ce n’est pas un hasard si le lexique du désordre revient comme une marotte dans leurs discours : cf. le documentaire « Zucht Und Ordnung » (« Law And Order », 2012) de Jan Soldat), l’essai Gender Trouble (Trouble dans le genre, 1990) de Judith Butler, la biographie Désordres : Lettre à un père (2012) d’Elsa Montensi (où la fille écrit à son père homosexuel), au documentaire « Çürük – The Pink Report » (2010) d’Ulrike Böhnisch, à l’essai Disorders (2020) de Joseph Sciambra ; etc. « Qu’est-ce que l’homosexualité dans une famille, comment y réagit-on, quelles conséquences ce désordre entraîne-t-il ? » (cf. l’interview de Franco Brusati par Claude Beylie, dans la revue L’Avant-Scène Cinéma, n°277, 1er décembre 1981) Je vous renvoie au nom de la maison d’édition Laurence Viallet – Désordres (Musardine) publiant des auteurs homosexuels, à l’essai La Famille en désordre (2002) d’Élisabeth Roudinesco, etc. Dans leur essai Le Cinéma français et l’homosexualité (2008), Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni définissent le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau comme un « film des désordres du désir » (p. 227). Dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, le compositeur homosexuel Érik Satie est surnommé « l’Ange du Bazar ». Dans l’avant-propos des Cahiers (1919) de Vaslav Nijinski, Christian Dumais-Lvowski aborde la question des « désordres intérieurs » du célèbre danseur étoile homosexuel.

 

DÉSORDONNÉ Désordres Cocteau

 

En règle générale, même si ce n’est pas toujours très conscient, il est fait référence à un désir homosexuel compliqué, difficile à gérer, peu viable, qui fragilise et rend paradoxal celui qui le ressent durablement : « On constate que l’homosexualité fait problème à l’homosexuel, alors même que le coming-out est devenu chose courante. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 198) ; « Si le mot ‘paradoxe’ devait être incarné, il prendrait alors inévitablement l’apparence de Stéphane. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 48) ; « Tu es l’homme le plus compliqué de la terre, tu le sais bien. » (Laurent en parlant de manière infantilisante à son amant André, frustré de son indifférence, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; « Plusieurs fois, je tentai le diable, courant les rues, les squares, le soir, à la recherche d’âmes sœurs. J’eus en quelques semaines plusieurs expériences homosexuelles fort diverses, brèves ou compliquées. J’en ressortis affreusement blasé et dégoûté. Je me disais à moi-même : ‘S’agit-il véritablement d’inhibitions ou était-ce une disposition effectivement invertie ? » (idem, p. 111) ; etc. Selon les mots de Bernard Grasset, Marcel Proust était « l’homme le plus compliqué de Paris » (cf. l’article « Proust au miroir de sa correspondance » de Luc Fraisse, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 32). Dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel, il est question de la permanente « intranquillité » qui habite Stefan Sweig. Je vous renvoie également à l’article de Didier Lestrade intitulé « La Folle compliquée », publié sur Minorités le 10 juillet 2011.

 

Dans son documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011), Patricia Mortagne demande à son père de 67 ans (qui a fait un coming out tardif) : « Si tu avais pu ne pas vivre ton homosexualité, tu l’aurais fait ? » ; et ce dernier lui fournit une réponse paradoxale : « Sûrement : ça perturbe énormément, quand même. »

 

Le désir homosexuel n’est pas de tout repos : « Depuis l’âge de 16 ans, je savais que j’étais vraiment attirée par les femmes, je le savais, je le sentais ce truc-là. C’était assez paradoxal, parce que la première connaissance que j’ai eue de l’homosexualité, j’étais plutôt prête à la rejeter, à l’éviter. » (Laura, une femme lesbienne de 49 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 52) ; « Moi je me dis, je viens d’un milieu plutôt intello, alternatif, où a priori, c’était possible d’assumer ça plutôt facilement, et en fait je me suis grave pris la tête pendant dix ans et je ne sais pas pourquoi. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, idem, p. 54) Par exemple, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), Jean-Michel Dunand se définit comme un « adolescent bouillonnant de vie et meurtri par ses contradictions ». (p. 19)

 

Il n’est jamais simple, au niveau du désir sexuel, de s’éloigner du corps, et en particulier du corps humain sexué. Cela implique parfois des douleurs physiques, mais surtout une perte de joie, une tourmente intérieure, comme le montrent ces propos : « Travailler pour me retrouver pratiquement à découvert chaque mois, personne pour m’aider, peur de pas pouvoir tenir le coup dans ma solitude, et plus ce gros problème d’homosexualité qui me ronge au plus haut lieu dans mon corps, jusqu’à des maux de têtes, diarrhées quotidiennes, sorte de dégoût et de fatalisme. Voila ma situation actuelle. […] Alors je me dis que je dois accepter d’être homo mais je ne trouve pas attirant le corps d’un homme, mais que si j’ai cette vision c’est que émotivement inconsciemment j’ai envie d’aller vers ça et que j’ai dû faire un déni d’homosexualité dans l’enfance et que ça m’a complètement fragmenté dans ma vie. Beaucoup de psys expliquent ceci aussi car aller contre sa propre nature qui est en premier lieu notre sexualité, ben c’est la destruction assurée dans toute notre vie et notre être. […] Dès que ma mère a appris qu’elle était enceinte de moi elle a hésité à me garder. Vient ensuite la naissance où l’accouchement fut une boucherie tant pour elle en perfusion de sang et moi avec l’oreille déchirée, je suis arrivé dès le départ dans la souffrance. […] Maintenant je ne suis même plus attiré par quelques corps que ce soit, comme si j’étais un asexué sans âme, comme si la tristesse avait pris possession de tout mon être. […] Une fois, seul en leur présence, je trouve de la tristesse, du vide, un sentiment de malaise – c’est inexplicable – mélangé à un système de pensée de perversité et d’égoïsme (moi-je). Je me sens mal a l’aise à leurs cotés. Comme si c’était la mort, l’extinction. Je me rends compte en les observant qu’ils sont malheureux intérieurement. Même s’ils sont passés du cotés homosexuel, ils sont restés toujours tristes en eux mêmes. Pas qu’on ne les comprenne pas, même si ça peut en faire partie, mais comme si il y a un problème d’incarnation dans la matière. » (cf. le mail d’un ami Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014)

 

Je crois en effet que le désir homosexuel incite à l’éclatement symbolique du corps et du cœur : « Je ne suis pas contradictoire, je suis dispersé. » (Roland Barthes, « La Personne divisée », dans l’essai autobiographique Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 127) Dans l’émission Radioscopie sur France Inter le 6 mai 1976, Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, avoue qu’il a toujours été amoureux dans toutes ses relations, mais q’il s’agissait d’un « amour assez dispersé ». Soit dit en passant, on entend souvent dans le discours des personnes homosexuelles le désir de « s’éclater » dans les fêtes, dans la consommation de drogues, dans les passions amoureuses. Les verbes « tomber amoureux » ou « adorer » l’emportent sur celui d’« aimer (s’engager) ». On reste dans le registre de la passion amoureuse, aussi puissante qu’éphémère et déstructurante.

 

Le philosophe Roland Barthes en cours

Le philosophe Roland Barthes en cours


 

Le désir homosexuel (tout comme le désir hétérosexuel) est le signe d’un élan divisant, d’une blessure identitaire et affective : cf. la photo Andy Warhol avec cicatrices (1969) de Fischer.

 

Parfois, les personnes homosexuelles se décrivent comme un pirate avec une cicatrice, et s’identifient aux visages coupés. « Mireya [l’héroïne de la série La Vie désespérée de Mireya, la Blonde de Pompeya] taillade le visage du Morocho, son homme, avec une bouteille de vin Mendoza qu’elle a cassée sur le comptoir en étain du café El Riachuelo. Mireya court désespérée dans la rue. Il pleut des cordes. La blonde s’appuie contre un réverbère et pleure à chaudes larmes. Ses pleurs se mélangent aux gouttes de pluie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 247) ; « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; etc. Par exemple, elles disent leur passion pour le manga japonais Albator et ce personnage est parfois utilisé comme pseudonyme sur les sites de rencontres Internet.

 

L’action de se couper le visage n’est pas à prendre dans son sens littéral, mais à mon avis, à interpréter comme un refus d’accepter son identité humaine, et plus largement la réalité de la sexualité. Pour certaines personnes homosexuelles, la découverte de la différence des sexes a parfois été bêtement vécue comme un coup de hache, une séparation définitive de l’Amour (femme/homme, mais aussi créature/Créateur). C’est le cas de l’écrivain Jean Genet, par exemple. « Il ne meurt pas. La conscience reflue, Genet renaît de ses cendres ; la tante-fille, coupée en deux par le couteau d’abattoir, se recolle. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 133)

 

De par sa nature de force désunifiante, le désir homosexuel peut même avoir une parenté avec la schizophrénie (cf. je vous renvoie au code « Doubles schizophréniques » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Je ne me ferai pas que des amis en énonçant cela (je rappelle, pour la petite histoire, que l’Association Psychiatrique Américaine – APA – décida en 1973 aux États-Unis de rayer l’homosexualité de sa liste des « désordres mentaux »), mais tant pis : c’est de l’observation de terrain. Il arrive que certaines personnes homosexuelles « s’absentent sur place », présentent des traits de bipolarité psychiques, ou, sans aller jusqu’à ses extrêmes pathologiques, soient simplement lunatiques et bien atteintes par la névrose. Il suffit de faire un tour sur les sites de rencontres homos sur Internet pour constater que les trois quarts de la population interlope adoptent des attitudes névrotiques qui laissent perplexe… À force de discuter avec les internautes, on se demande même si ces forums sociaux ne sont pas des hôpitaux psychiatriques non-agréés, des ersatz de groupes de thérapie collective, des nids de névrosés, ou des mouroirs du désir, tant les « dials » n’ont très souvent ni queue ni tête, et qu’on ressort de ce Salon de l’Illétrisme généralisé en finissant par croire que « les gays et les lesbiennes sont tous chelous ». De même, les lieux de drague et de désir homos constituent pour la plupart des espaces du viol consenti et organisé, où se développent des blessures et des désordres plus ou moins visibles : « Les lieux gays sont hantés par l’histoire de cette violence : chaque allée, chaque banc, chaque espace à l’écart des regards portent inscrits en eux tout le passé, tout le présent, et sans doute le futur de ces attaques et des blessures physiques qu’elles laissèrent, laissent et laisseront derrière elles – sans parler des blessures psychiques. Mais rien n’y fait : malgré tout, c’est-à-dire malgré les expériences douloureuses que l’on a soi-même vécues ou celles vécues par d’autres et dont on a été le témoin ou dont on a entendu le récit, malgré la peur, on revient dans ces espaces de liberté. » (Didier Éribon à propos des parcs et de jardins, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), p. 221) Les lieux d’homosociabilité disent en général les errances et le caractère désordonné du désir homosexuel.

 

Dans son essai Le Règne de Narcisse (2005), Tony Anatrella identifie chez les sujets homosexuels un symptôme de dépression, d’effondrement de la personnalité ou de la volonté : « Celui-ci [le sujet homosexuel] se manifeste par des comportements incohérents, capricieux, autoritaires et instables. Ainsi un rendez-vous prévu la veille est refusé le lendemain matin. » (p. 64) Ce n’est pas faux que de le dire.

 

En 1932, Freud démontre bien, dans son étude « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité » que, souvent, le sujet se convertit à l’attirance des personnes de même sexe que lui à la suite d’une meurtrissure narcissique. D’ailleurs, certaines personnes homosexuelles osent, à de rares occasions, montrer leur plaie existentielle, même si leur aveu reste encore très codé et symbolique : « Je porte désormais une alliance. J’y ai fait graver un signe qui symbolise une fracture. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 144) ; « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. […] Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître. » (Eddy Bellegueule dans son roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 13) ; « À la vérité, nous sommes tous plus ou moins victimes, à la base, d’une blessure d’amour, du véritable amour humain. Blessure que, dans la plupart des cas, nos mères ne surent pas soigner. Notre nature de faibles nous a conduits à négliger à notre tour cette plaie que nous avions le devoir de panser. Ainsi négligée (disons le mot : entretenue), la blessure est devenue un ulcère chronique et le mal affreux ne cesse d’en suinter, comme un pus d’amour perverti, fétide, et nauséabond. » (Jean-Luc, homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 92) ; « Pendant de longs jours, j’eus l’impression d’être guéri : la vision ignoble de ce garçon, que je croyais viril, les images de cet homme singeant la femme en présence d’un autre homme tout aussi efféminé, tout cela endormait en moi toute velléité de recommencer. Toutes mes aventures, je les avais eues ou menées sous le signe de cette domination : en un mot, je ne m’étais jamais vu moi-même. Sensible et féminin, désirant d’impossibles caresses, j’eus alors la révélation que l’on n’est pas fait pour cela ; je sus qu’il y avait, en cet individu, quelque chose de détruit, comme en moi-même. Une sorte de timidité sexuelle faisait de nous ‘les invertis’, des monstres, des malades. Ainsi, il m’arrivait parfois de ne pas croire à ma propre homosexualité. » (idem, p. 110)

 

Certaines personnes homosexuelles dévoilent leur fragilité, leur sensibilité à fleur de peau… même si immédiatement après, elles jouent les fières : c.f. le one-man-show Sensiblement viril (2019) d’Alex Ramirès.
 

Par exemple, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), l’écrivaine lesbienne Paula Dumont se désarme devant son lecteur, se met à nu en disant que ses aventures amoureuses lesbiennes sont révélatrices chez elle d’une « grande fragilité dans le domaine sentimental » (pp. 114-115) ; « Si mon homosexualité consiste à chercher à combler la carence affective dont j’ai souffert quand j’étais petite, je me demande aujourd’hui s’il ne vaut pas mieux renoncer à la quête, vouée d’avance à l’échec, d’une compagne susceptible de panser les blessures de la petite fille que j’ai été il y a plus de cinquante ans. Car la gamine en souffrance sera de toute manière toujours là, à gémir sur ses plaies… »

 

Certaines personnes homosexuelles disent être torturées par un élan malveillant. Il est même parfois défini comme un désir sauvage, violent, passionnel, qui rend incontrôlable une personne qui, en temps normal, est plutôt équilibrée. Par exemple, dans l’excellent article « El Pez Doncella » de Manuel Rivas, publié dans le journal El País le 18 octobre 1998, l’Ève masculinisé, dans le nouvel ordre anthropologique imposé par la post-modernité, donne naissance à un drôle d’Adam, un « homme sauvage » homosexuel. Le désir homosexuel, dans la mesure où il tend vers l’asexuation, rejoint le monde animal, bestial, minéral, barbare (je vous renvoie au documentaire « Mortel désir » (1992) de Mario Dufour). Le peintre Paul Gauguin, par exemple, avait déjà souligné « le côté androgyne du sauvage, le peu de différence de sexe [qu’il y a] chez les animaux. ». Il n’est pas le seul. Certains auteurs homosexuels associent le désir homosexuel à la sauvagerie : « L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » (Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999) ; « Concha était belle comme un félin sauvage, sans âge, puissant, toujours prêt à bondir. » (Arias en parlant du trans Concha Bonita dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 30) ; « Mon maître d’école fit remarquer à mes parents que je souffrais d’un manque d’affection et de tendresse qui démontrait à ses yeux, l’évolution d’une personnalité renfermée, amère, et presque sauvage. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 21) ; « Ce qui me plaisait plutôt, c’était de ressembler à Philomène dans sa féminité. En effet, sa façon de marcher, de s’habiller ou de se tenir, dégageait un moment de magie qui me séduisait. Je la comparais de surcroît à une fleur sauvage, poussée au milieu d’une plate-forme cultivée. » (idem, p. 48) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles vont même jusqu’à dire que leur désir homosexuel est démoniaque (parfois parce qu’il a été considéré comme tel par autrui) : cf. je vous renvoie à la partie « Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. « Je sentais chaque centimètre de mon corps me distendre et m’étirer. Indéfiniment. De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 69) ; « La prière de délivrance ne m’apporta aucun répit et eut pour seul effet de convaincre mes condisciples que le diable avait son mot à dire dans l’hystérie dont j’avais fait preuve. On me proposa de renouveler ce type de prière. Dès qu’on m’imposait les mains, je criais, mes gestes étaient désordonnés, mon corps agité de soubresauts. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 88) ; « J’ai grandi caché dans mon secret. Longtemps je me suis blotti en lui comme s’il me protégeait d’une menace indistincte. Il a fini par faire partie de moi. […] Un poison me rongeait […] Le vrai nom de ce venin, l’homosexualité, je n’en avais aucune idée. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 13) ; « J’étais dans l’horreur de ma propre confusion. Je la voyais bien. Je la comprenais parfaitement. Je marchais avec elle en silence, en bataille, jamais en paix. Je n’y pouvais rien, j’étais dominé par cette force supérieure, invisible, inconnue, et qui m’entraînait vers le chaos intime. Je voyais de temps en temps en moi l’image de ma sœur Lattéfa qu’on disait possédée. Qui l’était. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 86)

 

L’écrivain français André Gide définit justement « l’inverti » comme celui qui « dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé ». (André Gide, Journal, 1889-1939, p. 671) En réalité, ce n’est pas le désir homosexuel qui est diabolique, mais uniquement la liberté que l’on emploie pour l’actualiser et s’y adonner. Pour le dire autrement, ce n’est pas tant le désir homosexuel qui est désordonné que le rapport idolâtre, réifiant et essentialisant à ce désir homosensible.

 

D’une certaine manière, le désir homosexuel, s’il est figé en espèce ou en amour éternel, se place contre l’ordre naturel, social, et divin… et les personnes homosexuelles le devinent, bien souvent dans la révolte : « Rien au monde n’était insolite : les étoiles sur la manche d’un général, les cours de Bourse, la cueillette des olives, le style judiciaire, le marché du grain, les parterres de fleurs… Rien. Cet ordre, redoutable, redouté, dont tous les détails étaient en connexion exacte avaient un sens : mon exil. C’est dans l’ombre, sournoisement, que jusqu’alors j’avais agi contre lui. Aujourd’hui, j’osais y toucher, montrer que j’y touchais en insultant ceux qui le composent. » (Jean Genet, Le Journal du Voleur (1949), p. 206) Il est cependant fort probable que le désordre homosexuel soit le parfait miroir d’un désordre social qui se fait passer pour « ordre » ( = l’hétérosexualité), mais qui, dans son durcissement, cache mal sa fragilité et son désordre interne. En effet, les opposants au désir homosexuel, dans leur empressement à ranger l’homosexualité dans la catégorie des désordres sociaux à éradiquer comme une mauvaise herbe, s’inculpent eux-mêmes à leur insu. Par exemple, actuellement, l’armée turque considère l’homosexualité comme un « désordre mental » et réforme les jeunes hommes gays du service militaire (cf. le documentaire Çürük – The Pink Report (2010) d’Ulricke Böhnisch) Certains promoteurs de l’éducation-guérison des personnes homosexuelles, considérant que le désordre du désir homosexuel peut être redressé et désappris, diabolisent beaucoup trop la nature désordonnée des penchants homosexuels – en tressant un scénario-catastrophe d’extinction de race humaine, ou bien en cultivant le binarisme manichéen simpliste entre civilisation et barbarie – pour ne pas prouver leur propre désordre. « Imaginons quelques instants le chaos dans lequel plongerait l’humanité si la moitié féminine de la population du monde se refusait à la moitié masculine. Ne serait-ce pas là un désordre fondamental pour la population masculine du monde entier ? C’est un tel désordre que vit la population GEI face à la population hétérosexuelle qui se refuse à elle. » (Chekib Tijani parlant des personnes homosexuelles, dans son essai 700 millions de GEIS (2010), p. 68) Il n’y a que l’amour et le respect des personnes qui finalement ordonnent le désordre, l’assouplissent, le consolident et jouent avec comme de la terre molle et malaxée. Les obsédés de l’ordre hétérosexuel (soi-disant « naturel ») et du désordre homosexuel, en voulant éradiquer la glaise homosexuelle, avortent pour le coup leur projet de sculpture humaine vivante, et se privent de leur propre matière première. Ils font au bout du compte la même erreur que la majorité des personnes homosexuelles : ils réduisent celles-ci à leur désir homosexuel, créent une espèce homosexuelle qui n’existe pas (même si c’est en termes de « construction culturelle » à démanteler, de « pathologie guérissable », de parfaite antithèse d’une hétérosexualité dite « naturelle »,  qu’ils la présentent), et entretiennent les désordres humains observables dans tous les couples homosexuels ET hétérosexuels.

 

Le désir homosexuel, en tant que tel, est un désir désordonné dans le sens non pas moralisant et figé du terme « désordre » (« désordonné » ne veut pas dire « mauvais »), mais plutôt dans son sens évolutif, transitionnel (transitionnel jusqu’à un certain point : toujours dans le cadre des possibles humains et humanisés), libre. Il est désordonné parce que « primitif », « informe », « peu développé », « adolescent », « non encore abouti », « non encore modelé et façonné », « perfectible ». Dans la Bible, et spécialement la Genèse, le tohu-bohu – désignant un état de grand désordre avant la Création du monde – n’est pas quelque chose de négatif, ni de diabolique, ni de mauvais (d’ailleurs, en soi, le mal n’existe pas : on ne peut parler que d’absence du bien). Le tohu-bohu est le désordre avant l’arrivée et l’Ordre de Dieu. Le désordre est chronologiquement originel, enfantin, flasque, mais du point de vue de l’Éternité et de l’essence, il n’est pas originel. Seul le Bien est l’alpha et l’oméga de la vie, est essentiel et premier. Le désordre homosexuel s’inscrit donc dans une perspective d’évolution et de chemin vers l’ordre. Comme le tas de terre glaise qui n’a pas été encore travaillé et embelli par les mains du Sculpteur. Le désir homosexuel, s’il est compris, est la matière première utile d’une belle œuvre à venir.

 

Enfin, pour parachever le tableau du désir homosexuel en tant que désir divisé contre lui-même, il faut se méfier de son apparente douceur qu’il affiche comme « fragile ». On voit bien, même dans les faits réels, que cette fragilité d’apparat présentée par bon nombre de personnes homosexuelles comme une identité à respecter, est un alibi doucereux et hypocrite pour se justifier d’être encore plus violent qu’à l’habitude. On a pu le constater lorsque l’humoriste lesbienne Muriel Robin, pour présenter son autobiographie intitulée Fragile lors de l’émission On n’est pas couchés de Laurent Ruquier diffusée le 20 octobre 2018 sur la chaîne France 2, s’est comportée de manière absolument odieuse face au jeune chroniqueur homo Charles Consigny, à propos d’un désaccord sur la GPA (Gestation Pour Autrui). Qui a cru que les gens qui mettaient en avant leur « fragilité » étaient doux ? Ils sont les seuls à le croire !
 

 
 

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Code n°61 – Éternelle jeunesse (sous-code : Peur de vieillir)

éternelle jeu

Éternelle jeunesse

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Vidéo-clip de la chanson "Lonely Lisa" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer


 

Le culte de l’éternelle jeunesse, particulièrement palpable dans le « milieu homosexuel » tant la date de péremption semble avoir été fixée à 25 ans, montre l’élan incertainement et fantasmatiquement incestueux et pédophile du désir homosexuel, quand bien même un certain nombre de personnes homosexuelles sont sûres et certaines de n’être attirées que par des individus mûrs et adultes (cf. je vous renvoie aux codes « Pédophilie » et « Parodies de mômes » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Il traduit en négatif une angoisse de la vieillesse. On entend celle-ci exprimée par beaucoup de sujets homosexuels, y compris chez ceux qui n’ont que la vingtaine. Même s’ils savent bien qu’il leur faudra à un moment ou un autre renoncer à finir avec un petit jeune de vingt ans, ils ne se défont pas de cette utopie pour autant. Chaperonner un éphèbe pré-pubère, ou se trouver un père de substitution à travers un amant, c’est un moyen détourné de faire le bain de jouvence du Pygmalion, mais aussi de revivre une jeunesse perdue en se substituant aux enfants.

 

La communauté homosexuelle tend de plus en plus à parler au nom des enfants, à se placer en valeureuse gardienne de leurs droits, surtout depuis les débats sur l’homoparentalité. Sa soudaine passion pour le monde juvénile frise parfois l’angélisme. Certains de ses artistes affectionnent les chœurs d’enfants et les superposent souvent à leur propre voix. Ils emballent l’enfance de papier rose bonbon anti-choc (« Il n’y a pas de drame dans l’enfance » affirme tout sourire Arturo Carrera, dans son poème « Roturas, Chatarra De Juguetes ») alors qu’on sait pertinemment qu’elle constitue un moment où les êtres sont plus fragiles qu’à l’âge adulte parce qu’ils doivent apprendre à se construire. Ce camouflage indique généralement un éloignement du réel, mais plus gravement un traumatisme identitaire et personnel vécu précisément dans l’enfance.

 
 

N.B. : Je vois également aux codes « Parodies de mômes », « Eau », « Conteur homo », « Petits Morveux », « Amant diabolique », « Se prendre pour Dieu », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Pédophilie », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Innocence », « Vierge », « Planeur », « Scatologie », « « Première fois » », et à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La jeunesse éternelle :

Film "Wild Side" de Sébastien Lifshitz

Film « Wild Side » de Sébastien Lifshitz


 

Très souvent dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel refuse de grandir, ou vénère une jeunesse angélique : cf. la chanson « Est-ce que tu viens pour les vacances ? » de David et Jonathan, le roman Toutes les filles son belles à vingt ans (2014) d’Andromak, les chansons « Plus grandir », « Dessine-moi un mouton », et « Et si vieillir m’était conté » de Mylène Farmer, les films « J’embrasse pas » (1991) et « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy (avec l’idéalisation de l’amitié d’adolescence), le roman La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec la figure christique du jeune Tadzio), le film « David’s Birthday » (« Il Compleanno », 2009) de Marco Filiberti (le jeune et beau David séduit Mateo), le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon (avec des images récurrentes d’un jeune enfant… sans doute des réminiscences du héros, Romain), le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz (avec les perpétuels flash-back sur la jeunesse du héros transsexuel), le roman Agostino (1944) d’Alberto Moravia, le roman La Confusion des sentiments (1927) de Stefan Sweig, le film « L’Été de Kikujiro » (1999) de Kitano Takeshi, le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, la pièce El Público (1930-1936) de Federico García Lorca (avec l’expression de l’angoisse du vieillissement), le film « Meteorango Kid, Heroi Intergaláctico » (1969) d’Andrés Luis de Oliveira, le film « Billy Budd » (1962) de Peter Ustinov, le film « Violence et Passion » (1974) de Luchino Visconti, le film « Oublier Venise » (1979) de Franco Brusati, le film « Le Portrait de Doriana Gray » (1975) de Jess Franco, le film « Morgane et ses Nymphes » (1970) de Bruno Gantillon, le film « Chuck And Buck » (2000) de Miguel Artera, le film « Prick Up » (1987) de Stephen Frears, le film « Kids Return » (1996) de Takeshi Kitano, le film « Murmur Of Youth » (1997) de Lin Cheng-sheng, le film « Ricky » (2009) de François Ozon (avec Ricky, le bébé doté d’ailes), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta (avec l’un des titres de chapitre : « L’Enfant surnuméraire »), les tableaux d’Hannes Steinert (2007) (célébrant un retour à l’enfance), le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec la scène des bulles de savon dans la prairie), etc.

 

Le jeune Alexandre dans le film "Les Amitiés particulières" de Jean Delannoy

Le jeune Alexandre dans le film « Les Amitiés particulières » de Jean Delannoy


 

En général, le héros homosexuel idéalise complètement l’enfance : « Je suis fou des enfants. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 68) ; « Notre théorie c’est de sauver les enfants ! » (Jean-Marc, le héros homosexuel de la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Il n’y a pas de drame dans l’enfance. » (cf. le poème « Roturas, Chatarra De Juguetes » (1985) d’Arturo Carrera) ; « Rien ne vaut la jeunesse ! […] Rien n’est plus cher que la jeunesse ! » (la « Voix » à Jeanne, dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « J’ai seize ans et je sais parfaitement ça, que d’avoir seize ans, c’est un triomphe. » (Vincent, l’un des héros homosexuels du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 14-15) ; « C’était l’enfance, le temps de l’innocence. » (Stéphane Corbin, Les Murmures du temps, 2011) ; « Je suis pubère. Dieu me préfère. J’veux mourir blond, avec une tête de p’tit garçon. Je veux mourir mince, ne pas me nourrir avant de mourir. Je veux rester jeune. » (Jean-Ba, l’enfant de chœur de 14 ans interprété par Didier Bénureau, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Tu sais ce que j’aimerais ? Que tu ne grandisses pas aussi vite. » (Tessa s’adressant à sa fille Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Charles et moi, nous nous connaissions depuis la plus tendre enfance… » (Thomas, le héros homosexuel parlant de manière ambigu d’un ami défunt, dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields) ; etc. Par exemple, dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Jean raconte qu’il se déguisait en Marie Ingalls de la série La Petite Maison dans la prairie quand il était petit. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, William, le héros homosexuel (le plus jeune du couple homo formé avec Georges), veut rester en enfance : « Pourquoi faut-il grandir, Adèle ? c’est si bon, l’enfance. »

 

Il se crée son petit monde imaginaire, fait de poupées, de loisirs, de jeux, de vacances, de films et de dessins animés, de danse : cf. le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le film « Boys Don’t Cry » (1999) de Kimberly Peirce, le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, le roman Nicolas Pages (1999) de Guillaume Dustan (dans lequel les pulsations de la discothèque sont comparées aux sensations prénatales de l’enfant dans le ventre de sa mère), le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari (la protagoniste lesbienne, Mnesya, écoute une boîte à musique), etc.

 

Film "15" de Royston Tan

Film « 15 » de Royston Tan


 

Par exemple, le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer dépeint un monde où la sexualité est proche de l’enfance : un jeune homme est un arbre nourricier, un autre une poupée, une femme âgée est aussi une enfant. Dans la pièce Un petit jeu sans conséquence (2012) de Jean Dell et Gérard Sibleyras, Patrick, le héros homosexuel, joue avec ses jeux de plages. Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque affiche sa nostalgie des dessins animés (Candy, les Schtroumpfs, etc.) et des chanteuses pour enfants (Dorothée, Chantal Goya, etc.).

 

Parfois, le héros homosexuel est fasciné par un mobile enfantin suspendu au plafond : cf. le film « Le bon coup » (2005) d’Arnault Labaronne, le film « Fast Forward » (« D’un trait », 2004) d’Alexis Van Stratum, le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar, le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat, la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier (avec la boule à facettes annonçant l’amour lesbien), le lustre hypnotisant se balançant dans l’arrière-scène du concert (2008) d’Étienne Daho, le film « The Prom Queen » (« La Reine du bal » (2004) de John L’Écuyer, etc.

 

Le personnage homosexuel se présente comme un être exceptionnel, un enfant à la maturité d’adulte, et/ou un adulte à la pureté enfantine. « Le haut de mon corps a 27 ans, et le bas, 17 ans. » (Wang Ping dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; « Vous savez que mes seize ans ont déjà dit adieu à l’enfance tout en continuant – ainsi, on gagne sur les deux tableaux – d’offrir l’image de l’enfance. » (Vincent, le héros homosexuel de 16 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 23) ; « Je parle d’un petit garçon et je dis que c’est mon frère. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Je ne suis pas un enfant. » (Davide, le héros homosexuel de 14 ans, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc. Par exemple, dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, Bill est décrit comme un « bébé géant ». Le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta se présente comme un conte philosophique raconter par un enfant adulte, surdoué, visionnaire.

 

Très souvent dans les œuvres homosexuelles, l’âge est une tromperie : cf. le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les quatre nains du cimetière, décrits comme des « enfants au visage de vieillards »), le roman Les Vieux Enfants (2005) d’Élisabeth Brami, etc.

 

Ce jeu sérieux sur la confusion des générations est particulièrement bien illustré dans l’œuvre du dramaturge homosexuel argentin Copi. En effet, rares sont les fois où ses personnages ont une claire idée de l’âge qu’ils ont, ou qu’ont les gens qui les entourent :

 

Jeanne – « Quand est-ce que tu cesseras d’être vieille ?

Louise – Vieille ? Je ne m’en étais jamais aperçue.

Jeanne – […] Depuis que nous sommes petites j’ai rajeuni de jour en jour, tandis que toi tu es restée toujours aussi vieille ! »

(Copi, La Journée d’une rêveuse (1968), pp. 36-37)

 

« C’était une Indienne de 12 ans mais elle avait la poitrine d’une femme de 20 ans. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 156) ; « Son tailleur bleu-ciel qui lui faisait paraître plus jeune à La Rochelle disparaissait ici à côté de l’affublement baroque de Jolie, qui devait avoir pourtant trente ans de plus qu’elle. » (cf. la description de Solange, op. cit., p. 167) ; « [Le Maire] pensa que Jolie de Parma avait à peine 50 ans. Elle en avait 60. Quant à Solange Soubirous, il lui en donna à peine 40. » (idem, p. 177) ; « Et il [Silvano] partit en courant vers le théâtre Odéon avec une agilité qui lui fit penser qu’il avait un corps de vingt ans. » (idem, p. 139) ; « Silvano […] crut qu’Arlette était une gamine. Ce n’est que le jour où il se rendit à la mairie pour déclarer Didier qu’il sut qu’elle avait 36 ans. » (idem, p. 106) ; « Elle était bien plus vieille que je ne le croyais. » (Ahmed à propos de Madame Ada dans la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi, p. 42) ; etc.

 
 

b) Le refus de vieillir :

L’idéalisation de la jeunesse et de l’enfance s’accompagne pour le coup d’une angoisse très forte, chez le personnage homosexuel, du temps qui passe et de la vieillesse : « La jeunesse est une drogue. Et je vois pas comment je pourrais m’en passer. » (Anne – interprétée par Muriel Robin – dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan) ; « Si je m’aperçois que je vieillis, je me tue ! » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1891) d’Oscar Wilde) ; « J’ai une ride de stress ! » (le Schtroumpft Coquet dans le film d’animation « The Smurf », « Les Schtroumpfs » (2011) de Raja Gosnell) ; « La jeunesse est la seule chose qui compte en ce monde. […] Que c’est triste. Je vais devenir vieux. » (Lord Henry, idem) ; « Il s’avéra que même si j’étais destinée à vieillir et à mourir, je pourrais avoir une jumelle, installée dans un satellite se déplaçant à la vitesse de la lumière, qui ne vieillirait pas au même rythme que moi. » (Anamika, l’héroïne lesbienne qui prétend rechercher « l’immortalité », dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 219) ; « Je supporte pas l’idée de vieillir. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Ça devrait être interdit de vieillir. » (Saint Loup, le couturier homosexuel du film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « Premièrement, je n’ai aucun ride !!! » (Fred, le héros homosexuel de la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Quel malheur que tu sois devenu vieux ! » (la Mère à « L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, p. 31) ; « Vous, Oiseaux-Comédiens, aidez-moi à franchir le miroir… de l’enfance perdue. » (Camarade Constance dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Les pédés sont pires que les femmes. À 30 ans, ils pensent que c’est fini. Il n’y a pas que la beauté ! » (Michael, le héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Comment te dire ? Je suis un vieux pantin en lendemain de fête, un vieux pantin entre les mains d’un enfant bête. » (cf. la chanson « En miettes » d’Oshen, Océane Rose-Marie, la lesbienne invisible) ; « C’est vraiment dégueulasse de vieillir. » (Henry s’adressant à Jonas, le héros homosexuel, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Plus il vieillit, plus il est aigri. » (Jean, homo, parlant de son co-équipier Joël, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; « Tais-toi… Hier soir, je me suis arraché cinq cheveux blancs… » (André, homosexuel, se désespérant de voir le temps qui passe, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. »

 

Par exemple, dans le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, Aschenbach regarde l’écoulement du sablier avec amertume. Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Héloïse, en voyant son corps d’enfant devenir adulte, crie à la « malédiction » (p. 362). Dans le film « Je vois déjà le titre » (1999) de Martial Fougeron, l’angoisse de la vieillesse homosexuelle est clairement abordée. Dans le film musical « Victor, Victoria » (1982) de Blake Edwards, la phrase « vieille pédale pathétique ! », dirigée contre Toddy, est présentée comme la pire des insultes qui puisse être entendue par une personne gay. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano s’imagine qu’en 2009 il aura 70 ans alors qu’il en sera plutôt à 100. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, « Lukas » – initialement Miriam – passe son temps à se scruter dans le miroir, s’imposant l’angoisse éternel du Dorian Gray. Dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa dit son angoisse de la quarantaine : « Qu’est-ce qu’on a comme avenir quand on a passé la quarantaine ? » Le film « Circuit » (2001) de Dirk Shafer raconte l’histoire d’un prostitué terrifié à l’idée de vieillir. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria, pile au moment où elle doit se mettre au théâtre dans la peau d’une lesbienne, Helena, attirée par la « jeunesse » de Sigrid au point de se suicider, éprouve un vertige par rapport à son âge vieillissant réel. Dans son concert Free : The One Woman Funky Show, (2014), Shirley Souagnon regrette sa jeunesse : « Chuis fracassée. Chuis adulte. Chuis vieille. » Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, présente l’inconvénient de son métier : « Y’a le revers de la médaille : tu vieillis plus vite que d’habitude. » Il se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique » pour rajeunir. Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte, qui vit pourtant hors de sa sphère de conscience, joue à être un fœtus qui n’est pas encore sorti du ventre de sa mère : « Voilà. Je suis un vieux fœtus à présent. »

 

Vivant douloureusement le passage des années, certains personnages homosexuels décident de se suicider : « J’aurais dix-huit ans à jamais. » (Kévin, s’exprimant après son suicide, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 461) Par exemple, dans le film « Traitement de choc » (1972) d’Alain Jessua, un quinquagénaire homosexuel obnubilé par la jeunesse rentre dans un établissement de cure censé lui redonner jouvence et santé : « Ce traitement, c’est toute ma vie : je peux continuer de plaire, d’aimer, de rester jeune. » Il mettra fin à ses jours après avoir été chassé, faute d’argent.

 
 

c) Derrière l’idéalisation, il y a… :

Cette idéalisation de la jeunesse bute à un moment donné contre sa propre inconsistance, contre le Réel ; ou alors on découvre chez le héros homosexuel que le rêve de l’enfance a été brisé par un choc, un viol, une accélération trop prématurée vers le monde adulte, l’adolescence angoissée de la chenille qui craint de devenir papillon. Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, un des personnages, âgé de 16 ans, et écrivant à son père pour lui annoncer son homosexualité, se définit comme un « enfant qui a poussé trop vite », qui n’a pas vécu pleinement son temps de l’enfance. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, c’est juste après avoir frôlé le viol par trois racailles qui voulaient vivre « un plan » avec lui que Guillaume s’éclipse en chantant la fameuse comptine enfantine « Il était un petit homme, pirouette cacahouète ».

 

En général, le héros gay feint l’innocence enfantine quand il ne veut pas assumer ses actes honteux d’adulte, ou bien parce qu’il veut masquer sa haine de lui-même par le vernis de suffisance de la jeunesse conquérante qu’il serait le seul à incarner. « Je suis comme un enfant qui aurait grandi trop vite. Un être hybride, mi-enfant, mi-adulte. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 48) ; « Il est temps que tu grandisses maintenant. Et va voir à quoi ressemble le vrai monde. » (le père d’Éric s’adressant à son fils homo Éric, dans l’épisode 3 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn).

 

Très souvent dans les œuvres homosexuelles, la différence des générations est gommée, les rapports parents/enfants sont inversés ou érotisés : « Il faut que je me rende à l’autre bout de la ville pour le baby-sitting : personne n’a encore compris que c’était plutôt moi qui avais besoin de me faire garder. » (la narratrice lesbienne dans le roman Apologie de la passivité (1999) de Karin Bernfeld, p. 24) ; « Et sa mère n’a pas d’âge ! » (Mimi à propos de Solitaire, la mère de Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Elle est une fille comme moi ! Comme moi, qui suis fille de femme comme elle sera mère d’une fille ! » (Solitaire en parlant de sa fille Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Anna ressemble tellement à Greta que ça pourrait presque être elle. » (Jane, l’héroïne lesbienne parlant de la mère et de la fille de 13 ans, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 177) ; « Si t’es un bon papa, alors tu fais qu’est-ce que je veux… » (l’enfant à son père, dans la nouvelle « L’Histoire qui finit mal » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 5) ; etc. Par exemple, dans le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, ce sont les enfants qui éduquent leurs parents : Félix apprend à son pseudo « père » à pêcher. Dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi, Evita infantilise sa propre mère et la gronde comme si elle était une enfant. Dans la chanson « Lisa tu étais si petite » de Faby, il est question de ces « enfants qui grandissent plus vite que les parents »

 

Après « L’Amour n’a pas de sexe », place à « L’Amour n’a pas d’âge » ! En général, la séparation-rupture de la différence entre l’enfant et l’adulte préfigure ou illustre une violence, un inceste, une monstruosité, la pédophilie, le clonage : « Me voici : la Solitaire ! Je suis une fille-mère abandonnée par sa fille qui à moi quiconque préfère ! » (Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’ai peur qu’il naisse anormal, avec la tête de ma mère et le corps d’un animal ! » (Lou accouchant de son bébé, idem) ; « La jeunesse qui rayonne à chaque instant de vous, voilà ce que la Reine aime chez Sidonie. » (cf. une réplique du film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Vous me faites à chaque fois l’effet d’un bain de jouvence. » (la Reine Marie-Antoinette à son amante Madame de Polignac, idem) ; etc.

 

Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les héros homosexuels sont obnubilés par la procréation et leur descendance assurée par le clonage, parce qu’en réalité, ils font de l’horloge biologique et de la vieillesse des monstres.
 

Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane est bloqué par un idéal physique de jeune homme angélique qu’il recherche chez tous ses amants : « Malgré leurs impuretés, ces êtres restent très purs, sans taches, comme si rien ne pouvait les abîmer. » Vincent, son « ex », le lui fait remarquer : « T’as toujours été obsédé par l’éternelle jeunesse. » Et Stéphane confirme : « Oui, de jeunesse figée, fossilisée, je suis fasciné. »
 

Paradoxalement, ces mêmes réalisateurs homosexuels qui idéalisent l’enfance, pratiquent l’art iconoclaste du détournement parodique, pour se venger/se défendre inconsciemment (eux diront « ironiquement ») de leur attachement naïf à une jeunesse irréelle, télévisuelle, et avant tout plastique : « Mon lifting est de travers ! » (Solitaire dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) Par exemple, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), Charlène Duval, le travesti M to F, raconte qu’il lit encore du Enid Blyton et des Oui-Oui : il en fera une lecture détournée très sulfureuse, afin de prouver sa distance critique. Mais qui a dit que l’ironie était un gage de détachement ? Moi, je suis justement persuadé du contraire.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La jeunesse éternelle :

Si on les écoute bien, on découvre qu’un certain nombre de personnes homosexuelles idéalisent complètement l’enfance : « C’est merveilleux quand l’enfance et la grande personne sont mêlées. » (Jean Cocteau, dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « La seule chose qui me différenciait des hommes ‘normaux’, c’est que j’adorais l’éclat de cette déesse : la jeunesse. » (Witold Gombrowicz, Journal, 1957-1966) ; « Quand on est jeune, on se sent immortel. On est beau. » (Jonathan, séropositif et homosexuel, dans le documentaire « Prends-moi » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « L’enfant triomphe, parce qu’il dit et parce qu’il ne dit pas. Il triomphe parce qu’il ne parle pas sérieusement : il trompe, il détrompe, il enchante. » (Roberto Echavarren, Medusario (1996), p. 149) ; « C’est l’insouciance, le bien-être, et le bonheur à l’état pur. Et on n’est pas encore égratigné par la vie. » (Denis parlant de l’enfance, dans le documentaire « Une Vie de couple avec un chien » (1997) de Joël van Effenterre) ; « Jamais peut-être auparavant dans l’histoire, observe Klaus Mann, les jeunes gens n’avaient été jeunes de façon aussi consciente, éclatante et provocante que la génération allemande de ces années-là. On disait : ‘Je suis jeune’ et on avait formulé une philosophie, poussé un cri de guerre. La jeunesse était une conjuration un défi, un triomphe. » (Klaus Mann, Journal, p. 135) ; etc. Dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti définit le « paradis de l’asexuation » (recherché par beaucoup de femmes lesbiennes) comme « une masculinité qui doit rester dans le registre de l’enfance ou de l’adolescence » (p. 93).

 

Bien souvent, les individus homosexuels se présentent comme des grands enfants, et rentrent le plus sincèrement/ironiquement du monde dans la peau de ces gamins tout-puissants que la publicité et le cinéma ont déifiés puis diabolisés. « J’ai 12 ans à l’intérieur de moi. » (le peintre nord-américain Keith Haring, cité dans l’article « Keith Haring » d’Élisabeth Lebovici, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 237) ; « L’adolescence, voilà mon territoire. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 32) ; « Je suis encore un prématuré quelque part. » (Axel, une femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « J’ai toujours voulu rester un enfant dans ma tête. » (le youtubeur Newtiteuf, en janvier 2017) ; etc. Le poète homosexuel français Jean Cocteau se définissait comme « un éternel adolescent » (cf. Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 91).

 

Par exemple, les concerts du chanteur Mika ressemble à des cours de récré géante, colorées et naïves. Dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque fait chanter à son public des chansons de Chantal Goya. Dans le vidéo-clip de sa chanson « Je suis gay », Samy Messaoud joue avec son ourson en peluche. Les sketchs d’Anne Roumanoff, dans lesquels l’humoriste imite souvent des enfants, sont très appréciés de la communauté LGBT.

 

« Mon envie dans ce film est de faire apparaître la relation que j’ai eue avec Pêche. Parce qu’elle a été sans doute une soupape à mes questions. Parce que j’avais trouvé en lui quelqu’un à qui m’accrocher. À travers cette histoire intime avec Pêche, mais aussi à travers les failles et les choses du monde normées et non normées assimilées, ressortira le cheminement d’un enfant, de sa construction, de ses peurs anciennes face à son homosexualité, mais aussi de ses désirs et secrets les plus beaux qu’il n’ait imaginés. » (Thomas Riera parlant de son documentaire « Pêche, mon petit poney » (2012) sur sa figure-jouet)

 

Vidéo-clip de la chanson "Parler tout bas" d'Alizée

Vidéo-clip de la chanson « Parler tout bas » d’Alizée

 

Sous l’Allemagne nazie, les mouvements de jeunesse des Wandervögel (littéralement : Oiseaux migrateurs) étaient imprégnés d’homosexualité et apportèrent « leur idéalisme juvénile » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 13)
 

Les membres de la communauté homosexuelle sont parfois friands des chorales des petits chanteurs à la croix de bois. Les chœurs d’enfants dans les films « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, ainsi que dans les chansons « Heal The World » de Michael Jackson (avec, à la fin, la voix d’une gamine qui se superpose à celle du chanteur), « Where’s The Party » de Madonna, « Tomber 7 fois » et « Libertine » de Mylène Farmer, « J’ai demandé à la Lune » du groupe Indochine, « Parler tout bas » d’Alizée, « Fallait pas commencer » de Lio, etc., montrent un attrait réel pour l’enfance folklorique. Par exemple, le compositeur homosexuel Benjamin Britten utilisait beaucoup les chorales d’enfants dans ses compositions musicales. Le compositeur Érik Satie a écrit des comptines pour les enfants.

 

Derrière cette idéalisation homosexuelle se cache un sentiment de ne pas avoir eu de vraie jeunesse, justement ! « Finalement, j’ai pas été jeune. C’est ce qui me manque beaucoup. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton)

 
 

b) Le refus de vieillir :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

L’idéalisation de la jeunesse et de l’enfance s’accompagne pour le coup d’une angoisse très forte, chez les individus homosexuels, du temps qui passe et de la vieillesse : « Je ne veux pas vieillir. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 168) ; « Bien sûr, sur les dessins, je fais plus jeune que mon âge. » (Peter Gehardt, ironique, dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « Et là, tu peux pas lutter. On ne pardonne pas à un gay de vieillir. » (Guillaume parlant de son amant Xavier qui l’a quitté pour un petit jeune, dans le documentaire « Cet homme-là est un mille-feuilles » (2011) de Patricia Mortagne) ; « J’avais honte de moi devant lui. Je me sentais vieux, blasé. Mais j’étais avec lui, je comprenais tout ce qu’il désirait, tout ce qu’il ne désirait pas. Il était dans le malheur avec une fraicheur miraculeuse. […] Je l’ai aimé. » (Abdellah Taïa racontant ses sentiments face à un jeune domestique noir, Karabiino, qu’il convoite, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), pp. 74-75) ; « Ça va être un mariage de vieux avec de la musique de vieux. » (Pierre se plaignant de la musique qu’il choisit avec Bertrand pour leur playlist de « mariage », dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « La vieillesse est un naufrage. Elle me fait peur. Une espèce d’horreur physique. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « La puberté, ça a vraiment été un choc pour moi. » (Iris, homme M to F, qui s’appelle initialement Gabriel, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; etc. Par exemple, lors de son concert Les Murmures du temps (2011), le chanteur Stéphane Corbin exprime sa peur de vieillir. Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, le dandy homo de 50 ans, se lamente de vivre une « phase de vieillissement prématuré » ; quant à Thérèse, âgée de 70 ans, elle semble montrer la vieillesse comme une impasse terrible (« L’âge qui a été dur, c’est cinquante ans. L’âge où j’ai renoncé à séduire. ») de laquelle elle a tenté plusieurs fois de contourner en sortant avec des femmes qui avaient quasiment 30 ans de moins qu’elle (passions souvent dévorantes et destructrices) pour retrouver sa jeunesse perdue.

 

Alors vous allez me dire : « Ils ont peur de vieillir… mais c’est le cas de tout le monde ! Ce n’est pas propre aux homos ! » Et je vous répondrai : Oui et non. Même si bien évidemment ils n’ont pas le monopole du jeunisme, leur attachement au corps mortel et à la beauté plastique adolescente (donc celle qui passe) les expose particulièrement à la phobie idolâtre de la mort.

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), par exemple, Jean-Louis Chardans décrit – avec un ton défaitiste et misérabiliste qui ne serait pas le mien – « l’enfer de la vieillesse » pour les individus homosexuels, « car l’homosexualité n’a nulle pitié pour les individus décatis. Les derniers jours de ceux dont le nom n’est pas célèbre prennent souvent l’allure de l’agonie des insectes au seuil de l’hiver : délaissés de tous, sans famille, ils cherchent jusqu’au bout à demeurer la ‘jeune folle’ fardée de leur vingt ans. » (p. 14) Il est question, chez les personnes homosexuelles, de « l’attrait de la beauté angélique des éphèbes » (p. 346).

 

Vivant douloureusement le passage des années, il n’est pas rare que personnes homosexuelles décident même de se suicider. Le baron Adelswärd-Fersen, par exemple, ne supportant pas l’idée de vieillir, mit fin à ses jours en 1923 à l’âge de 43 ans. Il est certain que les enfants, dans la vie d’un Homme, aide à vieillir, à voir de l’avant, à mourir sereinement ; et que les personnes homosexuelles, ne pouvant pas procréer en couple homosexuel, ne s’assurent pas de vieux jours reposants et chantants. Celles qui ont eu des enfants d’un précédent mariage dit « hétéro » en conviennent sans discuter. Sachant que je ne dis pas par là qu’il suffit d’avoir engendré un enfant naturellement pour vivre une vieillesse heureuse.

 
 

c) Derrière l’idéalisation, il y a… :

L’idéalisation homosexuelle de la jeunesse bute à un moment donné contre sa propre inconsistance, contre son immatérialité, contre le Réel ; ou bien on finit par découvrir que le rêve de l’enfance a été brisé par un choc, un viol, une accélération trop prématurée vers le monde adulte, l’adolescence angoissée de la chenille qui craignait de devenir papillon : « J’ai vite pris la mesure de ce qu’était la vie d’adulte. » (Véronique, femme lesbienne interviewée dans l’essai Les Chrétiens et l’homosexualité (2004) de Claire Lesegretin, p. 259) ; « Mon enfance, elle a été éclipsée par des situations de famille, des choses compliquées, que je comprenais trop bien. » (le chanteur homosexuel Charles Trénet dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata) ; « Moi, je vois mon enfance comme une période qui ne nous a pas du tout armés. Je vais grandir moins vite que les autres. » (Christian, le dandy homo de 50 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Et pour dire clairement et exactement les choses en une phrase, j’ai le sentiment de ne jamais avoir eu d’enfance. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 42) ; « Là où les choses commencent à se corser, c’est effectivement en 4e. Il y a un truc terrible qui se passe chez les garçons à ce moment-là, c’est la puberté. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 21) ; « J’ai vécu dans la peur des métamorphoses. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 39) ; « Un accident l’a buté sur un souvenir d’enfance et ce souvenir est devenu sacré ; dans ses premières années, un drame liturgique s’est joué, dont il était l’officiant : il a connu le paradis et l’a perdu, il était enfant et on l’a chassé de son enfance. Sans doute cette ‘coupure’ n’est pas très aisément localisable : elle se promène au gré de ses humeurs et de ses mythes entre sa dixième et sa quinzième année. Peu importe : elle existe, il y croit ; sa vie se divise en deux parties hétérogènes : avant et après le drame sacré. » (Jean-Paul Sartre à propos de Jean Genet, dans la biographie Saint Genet (1952), p. 9) ; « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. » (cf. la première phrase d’Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 13) ; etc. Le documentaire « Jenny Bel’Air » (2008) de Régine Abadia, tirant le portrait du fameux travesti M to F du mythique Palace à Paris, présente « l’histoire d’un petit garçon à qui on a volé une enfance » (cf. le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 80).

 

Par exemple, le shota est un genre de mangas représentant des gamins de 10 ans dans des scènes homosexuelles avec des adultes : cette réalité de la pédophilie est occultée dans les traductions.

 

En général, la séparation-rupture de la différence entre l’enfant et l’adulte préfigure ou illustre une violence, un inceste, une monstruosité : « Je savais que j’étais le seul à avoir une double vie. Une vie d’enfant et une vie d’adulte. (Et je ne comprenais rien à ces deux vies.) » (Christophe Tison racontant comment il a été abusé par un adulte à l’adolescence, dans son autobiographie Il m’aimait (2004), p. 63)

 

C’est la raison pour laquelle, concernant l’amour homosexuel de l’enfance, on constate que le « pas du tout » succède très vite au « passionnément » (cf. je vous renvoie au code « Petits Morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « La jeunesse de Proust se caractérise par un immense sentiment de bonheur. […] Mais à un moment donné de son existence, il comprit que le bonheur n’était pas pour lui, et il y a renoncé. » (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 24) Pour ma part, je sais que j’ai vécu une enfance très heureuse, mais aussi que mon cauchemar a commencé dès l’entrée en collège, à l’adolescence, donc à partir du moment où les camps garçons/filles se sont mieux dessinés, où la société m’a demandé de sortir de l’enfance…

 

Dans la communauté homo, la vénération toute récente de la jeunesse, des joies de la paternité, même si elle doit bien sûr être considérée, respectée, et entendue comme un besoin sincère et légitime de laisser une trace vivante et durable sur cette Terre, me semble être aussi un moyen de faire diversion sur les réels problèmes à l’intérieur des couples homosexuels. Au-delà des intentions, elle traduit des drames personnels vécus par chacun des deux partenaires (surtout dans l’enfance), et aussi un refus de s’ancrer dans le Réel, dans son corps sexué, dans la réalité de la famille naturelle, dans sa responsabilité et sa liberté d’adulte. Comme le dit si justement Pascal Bruckner dans son essai La Tentation de l’innocence (1995), « le bébé devient l’avenir de l’homme quand l’homme ne veut plus répondre ni du monde ni de soi. » (p. 100)

 
ÉTERNELLE tétine
 
 

(Je rappelle pour finir que ce code fonctionne en doublon avec le code « Parodies de Mômes » dans ce même Dictionnaire.)

 

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Code n°82 – Fusion (sous-code : Polysémie de l’adverbe « contre » ; Feu)

fusion

Fusion

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pour percevoir que la chaleur du désir de fusion (typiquement hétérosexuel et homosexuel) avec l’être aimé est finalement bien glaciale et violente, il nous suffit de nous émerveiller de la beauté de notre unicité, et de comprendre que dans la vie, la fusion précède et génère toujours une rupture : une rupture de vie quand on essaie d’accueillir la différence des sexes comme un trésor (la plus belle rupture de vie, c’est la coupure du cordon ombilical), une rupture brutale à plus ou moins long terme quand la différence des sexes est crainte et rejetée.

 

Le désir homosexuel est un élan de fusion, à la fois réchauffant et étouffant, une force d’union mais surtout de rupture. Je vais vous l’illustrer en particulier à travers la présence réitiérée de la polysémie de l’adverbe « contre » dans les fictions et les discours homosexuels (exemple : je suis contre toi/collé à toi ; je suis contre toi/opposé à toi).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Moitié », « Amant narcissique », « Vampirisme », « Amoureux », « Désir désordonné », « Clonage », « Eau », « Substitut d’identité », « Île », « Extase », « L’homosexuel = L’hétérosexuel », « Viol », « Pygmalion », et « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Le fantasme humain de la gémellité et de l’uniformité

 

FUSION Soleil

 

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’Il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (-380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux.

 

Aujourd’hui, les androgynes existent toujours en fantasme dans la tête de nos contemporains (on le voit clairement dans le monde de la publicité, avec ces hommes-objets et ces femmes-objets coupés en deux, ou bien fusionnant ensemble dans les films pornos)… mais sans le savoir, on les appelle différemment. On les a baptisés « l’homosexuel » (en 1869) et « l’hétérosexuel » (en 1870). « L’homosexuel » comme « l’hétérosexuel », ces deux créatures scientifiques ne renvoyant pas à des êtres humains réels, sont des jumeaux, historiquement mais aussi symboliquement parlant, puisqu’ils traduisent une conception androgynique du couple amoureux : les couples « hétérosexuels » comme « homosexuels » se veulent formés de deux moitiés séparées l’une de l’autre, et censées, selon la mythologie scientifique, cinématographique ou sentimentaliste (le prince charmant et la princesse), se compléter parfaitement dans la fusion (cf. je vous renvoie aux codes « L’homosexuel = l’hétérosexuel » et « Moitié » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont prisonnières du mythe du bonheur dans la ressemblance parfaite. En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, elles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique (par exemple, Alfred Jarry, a inventé le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi). Elles envisagent de créer un couple neuf où chacun de ses membres trouverait à travers l’autre son miroir parfait dans lequel il se sentirait à la fois créé et Créateur. Par amour, elles promettent à leur partenaire d’être identiques à lui/elles (n’oublions pas que le mot homosexualité est composé du terme grec homo qui veut dire « même »), mais paradoxalement, elles n’en supportent pas l’idée et s’interdisent de penser qu’elles sont fantasmatiquement superficielles comme les miroirs. En refusant de se reproduire avec/par l’autre à travers la parentalité naturelle, parce qu’elles considèrent que le miroir leur permet de s’engendrer toutes seules sans l’aide de personne, elles décident que leur création se fera dans la copie parfaite (= l’image dans le miroir), et non plus dans l’original « imparfait » (= l’enfant).

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

Ainsi, elles se retrouvent souvent devant une situation délicate par rapport à leur amant : à la fois elles l’aiment tel qu’il est, mais aussi comme un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisé, … donc elles ne peuvent l’aimer vraiment pour lui-même. « Nous nous regardons. Nous cherchons l’un dans le regard de l’autre celui qu’on aime, celui à qui on parle chaque jour au téléphone depuis plusieurs jours, celui à qui on envoie des petits cadeaux guimauves. […] Je dis ‘Je t’aime Vianney’, parce que c’est la dernière fois que je le lui dirais, et pendant une seconde, dans ma tête, c’est le souvenir du garçon que j’aime qui me revient. Ce garçon qui est tellement Vianney et pas du tout lui dans une adéquation à laquelle je n’arrive pas à me faire. » (Mike, le héros homo du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 87) Certes, aucun amour humain, même entre une femme et un homme qui s’aiment profondément, n’est dénué de convoitise et de narcissisme : au sein d’une union, on aime toujours l’autre un peu pour soi, on essaie toujours de se réparer un peu à travers lui (… et ceux qui prétendent le contraire ne sont pas dans le donner-recevoir de toute relation humaine). Mais force est de constater que l’amour homosexuel tend à enfermer le sujet sur lui-même ou à l’y ramener par le truchement d’un corps semblable. L’élan égocentrique du désir homosexuel est visible dans de nombreux couples homosexuels : on a souvent l’étrange impression que ces derniers se composent de deux solitudes qui ne n’existent pas chacune pour elle-même, vivant l’une à côté de l’autre sans être véritablement unies, exactement comme dans le couple hétérosexuel ou dans les échantillons de figurines Barbie et Ken exposées en rang d’oignons sous cellophane dans les supermarchés.

 

Sigmund Freud a été bien inspiré de souligner la composante narcissique du choix d’objet sexuel dans le désir homosexuel (il a juste oublié de l’appliquer aussi aux couples hétérosexuels en dissociant clairement le couple hétérosexuel du couple femme-homme désirant). La sexualité homosexuelle est à double face, à l’image du miroir. Mylène Farmer ne chante-t-elle pas dans sa chanson « Pourvu qu’elles soient douces », que le nec plus ultra dans le paysage homosexuel, « c’est d’aimer des deux côtés » ? Tout porte à croire que l’homosexualité est un narcissisme érotisé. La preuve en est que dans les œuvres homosexuelles, les personnages gays se font souvent leur propre déclaration d’amour devant la glace, et que l’amant est souvent associé au reflet dans le miroir. De surcroît, ce dernier n’est généralement pas un gentil écran plat : il a tendance à user de la menace et à sectionner son partenaire amoureux.

 

Les histoires d’amour homosexuel se construisent généralement sur un malentendu existentiel puisqu’elles réunissent deux personnes qui individuellement et originellement ont voulu être quelqu’un d’autre qu’elles-mêmes (un dieu, une star de cinéma, une moitié d’Homme, un garçon quand elles sont nées filles, une fille quand elles sont nées garçons, etc.), et qui du coup désirent se substituer l’une à l’autre, ou ne faire qu’Un ensemble. « Je voulais me glisser dans son corps comme dans un pyjama. » (le juge Kappus parlant de son amant Julien, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 92) Elles ne se sont pas suffisamment tolérées elles-mêmes telles qu’elles étaient, en corps, en cœur et en esprit, pour ensuite être en mesure de s’accueillir mutuellement en vérité. La non-acceptation de soi, et la nécessaire épreuve douloureuse de ses limites qu’elle supprime, peut empêcher ensuite de bien aimer. Comme l’écrit très justement François Varillon, « l’amour ne se consomme pas dans l’absorption, ou fusion, de deux en un […]. Il veut à la fois la distinction et l’unité, l’altérité et l’identité. Dans la condition humaine, ce vœu profond : être non seulement uni à l’autre mais un-avec lui tout en restant soi, est incoercible et irréalisable. C’est pourquoi nul n’entre sans souffrance au royaume de l’amour. » (François Varillon, L’Humilité de Dieu (1974), p. 106) De manière presque générale, on peut affirmer à propos des unions amoureuses homosexuelles que la volonté de se substituer à l’autre a précédé le désir d’amour que la personne homosexuelle a ressenti pour son amant. « La forme d’amour la plus reculée dont je me souvienne, c’est mon désir d’être un joli garçon… que je voyais passer. » (Jean Genet, cité dans la biographie Saint Genet (1952) de Jean-Paul Sartre, p. 99)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’intéressent à leur amant non pas tant pour lui-même que pour combler leur propre vide existentiel. « Moi, je n’avais pas de moi. J’étais vide. Il me remplissait. » (Guillaume Dustan, Nicolas Pages (1999), p. 112) La jalousie apparaît alors comme l’expression détournée de l’adoration. Dans le couple homosexuel, nous assistons à ce que nous pourrions appeler une identification par absorption, comme l’exprime Olivier dans le reportage « Une Vie ordinaire » (2002) de Serge Moati : « Paradoxalement, je crois que j’étais un homme quand j’étais avec un homme. Je devenais un homme par rebonds, par personne interposée. » Certaines personnes homosexuelles vont se dérober à elles-mêmes sous le prétexte de l’union d’amour avec leur amant-paravent. « Je peux être caché derrière lui pour vivre sa vie. » (Laurent à propos de son amant bisexuel Jean-Jacques, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut)

 

Dans l’esprit de nombre d’entre elles, elles fusionneront avec leur amant, même si rationnellement, elles ont tout à fait pris conscience qu’elles n’y parviendront pas (la plupart d’entre elles savent encore faire la différence entre la réalité concrète et la science-fiction !). Elles parlent souvent de l’union corporelle fusionnelle avec leur amant(e), car l’amour homosexuel est à la fois un amour pour la personne aimée sans cette personne… ou sans soi-même.

 

Certaines personnes homosexuelles pensent avoir compris intellectuellement le piège du mythe de l’unité fusionnelle dans le couple, de la « solitude à deux sur une île » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 33), mais elles se voilent la face en attribuant ce piège uniquement aux couples femme-homme (qu’elles appellent à tort « hétérosexuels ») ou à l’institution du mariage. C’est ainsi qu’elles le réactualisent souvent dans les unions des semblables sexués. À en croire certains amants homosexuels, ils ont « toujours tout fait ensemble » (Mehdi et Christophe, « Pacsés… un jour mariés ? », dans le magazine Psychologies, juin 2004, n°231, p. 77), prétendent vivre une « relation fusionnelle » (Juliette et Sophie, op. cit., p. 76) depuis qu’ils se connaissent : ça a été « tout de suite, la fusion. » (David, 35 ans, en parlant de sa rencontre avec son copain Adrien, 24 ans, dans le recueil de témoignages Le Livre des Rencontres (2002) collectés par Michel Field et Julie Cléau, p. 144) Le fantasme de fusion est le propre des désirs homosexuel et hétérosexuel. Selon la promesse androgynique, tout Homme est censé rechercher sa « moitié » pour former un Tout autosuffisant avec elle.

 
 

Le désir fou de se substituer à l’amant réifié

 

Le désir de fusion, même s’il s’habille des meilleures intentions (la communion, le don total de soi, l’orgasme, la beauté de la symbiose passionnelle, le plaisir des sens, etc.), est en réalité un oubli de soi et de son partenaire, un désir de disparaître et de se fondre/se lover en l’autre, et j’irai même jusqu’à dire une tentative de viol. Car l’extase exige la fusion destructrice et la rupture radicale avec soi-même, la substitution ou la superposition forcées aux autres.

 

Le rapprochement homosexuel des corps se transforme en conflit à l’insu des amants homosexuels eux-mêmes. Nous le remarquons par exemple dans la polysémie de l’adverbe « contre », très utilisée par certains auteurs homosexuels (l’expression « être contre quelqu’un » peut signifier à la fois être « collé à lui » et « en opposition »).

 

L’humain a pressenti depuis longtemps déjà que la haine se trouve tout autant dans la dissymétrie foncière que dans la ressemblance « parfaite », la symétrie déshumanisée, l’écho, la rencontre policée et sans relief des semblables, l’uniformité, la plénitude orgueilleuse. Rien que l’expression « œil pour œil, dent pour dent » suffit à le démontrer. Il faut parfois pour des jumeaux ou des amants homosexuels beaucoup de temps avant de réaliser que l’amour « sans limites » qu’ils se vouent et qui leur apparaît irréprochable dans l’instant n’est pas si ajusté que cela. C’est sur la durée et avec un relatif éloignement qu’ils peuvent comprendre qu’un autre type de relation, moins fusionnelle mais non moins belle, est possible entre eux, sans pour autant gâcher les richesses objectives qu’offrent la gémellité ou l’homosexualité. La vraie rencontre humaine n’est délicieuse que dans la juste distance, celle qui sépare sans rompre, qui unit sans confondre. C’est le principal message de vie que les jumeaux et les personnes homosexuelles nous délivrent, bien souvent à leur insu.

 

La différence entre le désir de fusion destructeur et le désir d’Amour, c’est que le premier vise la fusion à travers l’effacement des corps et la substitution à l’autre – il dit « Je t’aime donc je suis toi » –, alors que le second cherche avec douceur la communion en sachant qu’elle sera incomplète tout en restant partiellement possible grâce à l’accueil d’un tiers. Le désir d’Amour respecte le mystère et la solitude des corps tout en prétendant goûter à la fusion. Au fond, il n’y a d’union d’Amour que dans la résistance à l’assimilation. La distance n’est pas seulement un mal nécessaire pour échapper aux méandres de l’amour platonique, mais une donnée inhérente à tout processus de différenciation sans laquelle il n’y aurait pas de soi distinct de l’autre, et donc d’amour véritable et incarné. L’amour ne peut être reconnu que dans un rapport de déliaison. Il faut un peu de déliaison pour qu’il y ait véritable liaison : c’est cela, la subtilité de l’union amoureuse authentique. Aimer quelqu’un, c’est le rendre autonome, lui laisser son espace de liberté, et lui donner les moyens de nous abandonner pour mieux le retrouver. Comme nous aimons trop l’autre pour le retenir, nous prenons le risque de le perdre. Et ce risque mesuré, c’est l’Amour.

 

En ce sens, l’excès de ressemblance dans le couple homosexuel, qui a rejeté la différence des sexes, peut être ferment de violence (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Cannibalisme », « Substitut d’identité », et « Vampirisme », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). L’accouplement sexuel entre deux clones est « l’impensable absolu » écrit Jacques André, le signe d’une irréelle synthèse du même avec le même, la « conjugaison entre l’incestueux et le totalitaire » (Jacques André, « L’Empire du même », dans l’essai Mères et filles, les menaces de l’identique (2003), p. 12). Dans les faits, le couple homosexuel ne parvient pas à la communion parfaite des semblables puisqu’il n’est pas concrètement composé de deux clones ; mais en désir, il y tend. Il reprend le « ne faire qu’Un tout en restant deux » de l’Amour vrai à son compte pour le détourner en « ne faire qu’Un à deux », et convertit le principe de respect de la différence, consubstantiel à l’amour, en une diversité évasive ou en un « égoïsme à deux » qui nie la différence par la schizophrénie et le mythe passionnel de la symétrie. « La symétrie, affirme Héctor Bianciotti, c’est l’amour, parce que c’est toujours deux en un. » (Héctor Bianciotti, « De La Melancolía De Las Perspectivas », 1983)

 

La fusion et la rupture sont deux phénomènes concomitants. On ne l’observe d’ailleurs pas uniquement chez les couples homosexuels : tout couple fusionnel finit par rompre… et initialement, on découvre dans l’histoire de chacun des partenaires qu’il s’est en général formé sur un terrain fissuré, sur la base de ruptures personnelles, familiales, amicales, sociales, non-assumées. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne en ces termes : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Le désir amoureux de rupture et de fusion mène un jeu d’attraction-répulsion destructeur, appelé pulsion de mort. Je te rejette parce que j’étouffe, je m’attache à toi et me fonds en toi parce que je désire disparaître, nous nous détruisons à deux dans le fantasme de fusion parce que nous désirons nous manger.

 
 

Le déni homosexuel de la violence du désir de fusion

 

L’excessive identification projective sur l’entourage – « l’être-pour-les-autres » – et sur l’être aimé fait souvent souffrir, et pourtant, semble banale à celui qui l’opère car dans l’instant, elle peut flatter son Ego : « On est là tous à se déchirer et on est tous très bien, à tenir compte des autres, à se mettre dans la peau des autres. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 487)

 

Pour l’esprit bisexuel qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de l’individu qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 

Bien sûr, à une ou deux exceptions près, nul amour humain n’est parfait (sauf celui de la Sainte Famille) : à tout couple il manquera des choses. Et l’engagement d’Amour vrai est un perpétuel ajustement, un « vouloir rester » plus qu’un « aimer en actes » 100% garanti. Mais dans le couple femme-homme qui s’aime, ce manque (appelé différence des sexes) permet au Désir de se glisser entre les deux partenaires. Dans le couple homosexuel, il s’immisce plus difficilement tant la fusion/division est désirée en son sein.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Film "La Vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche

Film « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche


 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, il est souvent question de la fusion : cf. le film « L’Un dans l’autre » (1999) de Laurent Larivière, le roman Je vis où je m’attache (1978) d’Yves Navarre, le film « Átame » (« Attache-moi ! », 1989) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Shut Up ! » de Mylène Farmer (avec la fin dans la fusion mortelle du couple d’amants transpercé par la flèche de Cupidon), le film « Bouche à bouche » (1995) de Manuel Gómez Pereira, la chanson « En nage indienne » d’Étienne Daho (« Serre-moi, si ton corps se fait plus léger, nous pourrons remonter. »), le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, le roman Deux larmes dans un peu d’eau de Mathieu Riboulet (racontant l’histoire de deux jumelles, dont l’une meurt à la naissance), le film « L’Âge atomique » (2012) d’Héléna Klotz, le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens, le film « Corpo Elétrico » (2018) de Marcelo Caetano, etc. Par exemple, dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, le héros, Fusion Man est précisément homo.

 

 

Parfois, la recherche de fusion amoureuse apparaît chez le héros homosexuel comme la résurgence d’un manque de détachement avec ses propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Ma famille est beaucoup dans la fusion. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Il a un trouble de l’attachement. » (Diane parlant de son fils homosexuel Steve, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan)

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, a depuis sa naissance, une forte tendance à faire ventouse avec les membres de son entourage de qui elle s’entiche. D’abord, quand elle était petite, elle collait toujours aux basques de sa nurse, Collins, dont elle était secrètement amoureuse : « Ne soyez pas toujours dans mes jambes, voyons, Miss Stephen. Ne me suivez pas partout et ne m’observez pas sans cesse. Je déteste être surveillée. » (p. 38) Ensuite, et pendant toute sa vie, Stephen sera un pot de colle dès qu’elle éprouvera des sentiments amoureux pour une femme : « Tout leur semblait fondu et ne faire qu’un, comme toutes deux ne faisaient qu’un à présent. » (Stephen par rapport à sa compagne Mary, op. cit., p. 416) ; « étrange et torturante fusion avec Mary » (idem, p. 485)

 

FUSION deux femmes serrées

 

Souvent, le personnage homosexuel vit dans le fantasme de fusionner avec son amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître lui-même : « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 330-331) ; « On ne peut pas rester deux jours sans se voir. » (idem, p. 367) ; « Tu crois qu’on est enchâssés ? » (Schmidt s’adressant à son pote Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Je vais t’envelopper dans la chaude intimité de mon désir. » (Lola l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Vera, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Si demain tu veux t’enchaîner toi aussi, tu n’hésites pas. » (Jean-Jacques s’adressant à son futur amant Jean-Marc, en lui tendant des menottes, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Prétorius, j’ai fait de vous un vampire. » (Dracula à Prétorius dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) ; « C’est un moment fort où se réveille l’eau qui dort, un moment clair où je me confonds à ta chair. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Nous sommes une, elle venue à moi. La greffe est intégrale. » (la narratrice lesbienne parlant de sa compagne Mathilde, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 64) ; « J’aimerais plonger en elle, la tête la première et qu’elle se fonde en moi, jusqu’aux pieds, en dedans. » (idem, p. 66) ; « Je veux que ça sorte de nous. Je veux que ça sorte de moi… Je te veux en moi. » (Charlie s’adressant à son amant Chris, dans film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Notre fusion » (la voix narrative à sa bien-aimée, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Ses mains encore dans mes cheveux. Ses yeux sérieux que je regarde de tout près bien qu’il fasse trop sombre maintenant pour y distinguer quoi que ce soit d’autre qu’un fugitif éclat de lumière. Alors une brusque exhalation de tout le corps – comme en ont les fleurs, par à-coups – venue on ne sait d’où, on ne sait de qui (peut-être à la fois de nous deux) nous inclut lentement dans le même remous, nous relie aux mêmes vibrations, comme si l’air entre nous les vêtements et jusqu’à la peau même tout avait disparu, abolissant jusqu’à la conscience claire d’être soi devant l’autre… » (Mireille Best, Hymne aux murènes (1986), p. 143) ; « Je l’ai rejoint dans le petit lit vert. Cela ne l’a pas réveillé. Il avait l’habitude. De moi. De mon corps. De nous. Deux. Un. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman dans Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Union, fusion, bonheur, ailleurs qu’avec moi, étaient donc possibles. Vraiment ? Pour lui ? Pour moi ? » (idem, p. 84) ; « Dès les premiers mots, j’ai su ce que nous venions de vivre intensément ensemble, cet échange, cette fusion, cette transformation, ce pacte, cette forêt noire […]. » (idem, p. 165) ; « Au début, c’est la fusion. » (Matthieu décrivant les habituelles positions de couples homos sur les canapés les premiers temps de leur formation, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « On reste ainsi, comme soudées l’une à l’autre. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 18) ; « Sans calcul, nous nous laissâmes aller, et bientôt, dans une complétude presque parfaite, chacune répondit à la douceur de l’autre, comme si nous ne faisions qu’une. » (idem, p. 63) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’avais l’impression d’arriver plus à l’intérieur de Pierre que par tous les culs et les chattes du monde. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 40) ; « Jane rêvait d’Anna. Elles étaient seules dans le noir, les doux cheveux de la fille retombaient sur le visage de Jane. Elle eut l’impression d’être au lit avec elle et se mit à paniquer ; ce n’était pas ce qu’elle voulait, tout allait de travers. Les lèvres de la fille se posèrent sur les siennes et elles s’embrassèrent, la langue d’Anna frémissante et insistante. Jane comprit à nouveau ce qu’elle était en train de faire et tenta de la repousser mais quelque force supérieure les collait l’une à l’autre. Elle sentait le poids du corps de la fille, la douceur de ses seins, et elle se tortilla pour se dégager, tentant désespérément de s’échapper, mais elle avait beau se tourner dans toutes les directions, elle était piégée. Elle repoussa Anna de toutes ses forces, mais sans résultat, elles étaient verrouillées l’une à l’autre, et brusquement Jane comprit ce qui les retenait là. Elles étaient scellées, l’une au-dessus de l’autre, sous le plancher de l’immeuble de derrière. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos d’une gamine mineure, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 222) ; « C’est normal que tu sois triste : deux oignons [allégorie de deux ex de Jérémy] qui se frottent, ça fait pleurer. » (le père de Jérémy Lorca consolant son fils gay, dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, Frédéric Delamont recherche « un amour presque parfait, une véritable fusion », où « l’un sans l’autre, on n’est rien ». Dans son one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008), Jérôme Commandeur dit que « les pédés collent entre eux ». Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Jean-Pierre décrit le couple Fanny/Catherine comme le « Club Sandwich », la rencontre spontané du ying et du yang. De par son métier, Catherine travaille sur des matières déformables : elle déclare qu’elle rêve d’une fusion entre les corps humains qui se déformeraient par la seule action du contact des peaux. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, à la question posée à Rachel l’héroïne lesbienne « Comment on sait qu’on a trouvé l’amour ? », celle-ci répond : « On se sent juste à l’abri, au chaud. » Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, l’amour lesbien, et le désir tout court, sont mis sous le signe de la fusion embrasante : « Ne joue pas avec le feu. » conseille sir Harold Nicolson à sa femme Vita Sackville-West, lesbienne, à propos de Virginia Woolf. Quand les deux femmes couchent ensemble, on voit en toile de fond le feu de cheminée. Et au début du film, Virginia conseille à Duncan de ne pas se laisser dévorer par son désir sexuel vis-à-vis de Vanessa : « Le sens-tu couler en fusion au-dedans de toi ? »

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille infernal : « On sera tous purifiés par l’eau chaude. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’adressant à son amant Palomino, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Je risque l’auto-combustion. » (Kai au contact du pied de son amant Richard sur son poitrail, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Cette nuit, ils ne font pas l’amour. Cette nuit, ils ne se défoncent pas. Plancher, sur le lit, les draps trempés. Il grelotte, il suffoque. Le thermomètre indique quarante de fièvre. Javier veille son ami. Passe la main sur son visage, le calme lorsqu’il s’agite trop, porte les verres d’eau, maintient le gant de toilette imbibé d’eau froide sur son front, caresse sa chevelure, sa nuque, lui raconte un tas d’histoires sans intérêt pour l’apaiser, le serre dans ses bras, embrasse sa joue en feu, l’aide à ingurgiter aspirine sur aspirine. Le jeune homme ne semble pas vraiment réagir. Les seules fois où il se lève, c’est pour se précipiter aux toilettes et vomir. Il refuse que le capitaine l’y accompagne, tire la chasse avant de sortir et revient se coucher illico. Javier est tenté un moment de l’emmener aux urgences, mais son amant l’en dissuade. Demain, il ira voir quelqu’un, promis. En attendant, il veut juste se reposer. S’il te plaît, mon amour. » (Antoine Chainas, Une Histoire d’amour radioactive, 2010) ; etc. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale. « On se prend dans les bras l’un de l’autre et on cherche nos bouches, qu’on embrasse voracement, qu’on viole avec la langue. Après un instant, en reprenant notre souffle, il dit ‘Ouhaou, c’est chaud !’ Je le prends par la main. Je me glisse devant lui, et ensemble nous marchons comme un seul homme dans l’appartement, Vianney parfaitement collé à ma nuque, mon dos, mes fesses, mes jambes. » (Mike, le héros homo, rencontrant pour la première fois un internaute, Vianney, et l’accueillant chez lui les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 84) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (idem, p. 86) ; « La même chose se renouvelait chaque jour : près de lui je brûlais de souffrance et loin de lui, mon cœur se glaçait. » (Stefan Zweig, La Confusion des sentiments (1928), p. 71) ; « ce bourreau à qui, malgré tout, j’étais attaché avec amour, que je haïssais en l’amant et que j’aimais en le haïssant. » (idem, p. 92) ; « En m’endormant, je rêvai que Linde et moi étions des particules tournant l’une autour de l’autre, se transformant brusquement en ondes, marées et courants. Mr Garg avait fait un commentaire à propos du dualisme que je n’avais pas noté. Si l’on croise un âne avec une jument, avait-il expliqué, on obtient une mule. La mule est-elle une ânesse ou une jument ? » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 31) ; « Ton regard… tes yeux. […] J’ai besoin de m’y perdre, de m’y noyer. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 317) ; « Ça brûle tellement le monde qu’on se jette en parallèle, ça brûle tellement qu’on cherche à se fondre. » (l’Actrice dans la pièce N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Que se passe-t-il quand une force qu’on ne peut pas arrêter rencontre un objet qu’on ne peut pas bouger ? » (Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Avec lui, j’étais comme un papillon attiré par la flamme de la bougie. » (Fabien à propos de son attitude avec son amant Herbert, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Nous devrions tous baiser. Femmes, hommes, animaux, tous en même temps. Que nous finissions tous ensemble, et que le monde explose, et nous mourrons comme ça, heureux. » (Hernán s’adressant à Fede à qui il propose un plan à trois avec son partenaire régulier, dans le film « El Tercero » (2014) de Rodrigo Guerrero) ; « C’est toi qui enflammes mon cœur. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu) ; etc.

 

Comme vous pouvez l’entendre dans mon podcast sur les goûts musicaux lesbiens (ingrédient n° 16 sur le feu), dans les fictions homo-érotiques, et parfois les discours, il est fascinant de voir que les lesbiennes ont souvent le feu au corps : feu de la passion dévorante et possessive ; métaphore du désir homosexuel lesbien qui met en surchauffe, aussi. On l’entend dans leurs chansons et dans celles qui traitent d’elles : « Close to my fire » (2013) de Joe Bonamassa, « Sapho et Sophie » (1990) d’Alain Chamfort, « Radiate » (2018) de Jeanne Added, « La Grenade » (2017) de Clara Luciani, « Just need your love » (2016) de Hyphen Hyphen, « On brûlera » (2017) de Pomme, « Learn to live » et « Lash out » (2019) d’Alice Merton, « Combustible » (2018) de Cœur de Pirate, la toute fin de la chanson « Deux ils, deux elles » (2013) de Lara Fabian (avec le craquage d’allumette), « Feu de bois » (2018) et « Démons » (2021) d’Angèle, la fin du vidéo-clip de la chanson « Oui ou non » (2019) d’Angèle (finissant en enfer après son accident de voiture), « Pleurs de fumoir » (2022) de Hoshi, l’album Chaleur humaine (2014) de Christine and the Queens, etc. On le voit dans leurs films : « Fille de Feu » (1932) de John Francis Dillon, « Opalo de Fuego » (1980) de Jesús Franco, « Feu follet » (2022) de João Pedro Rodrigues , « The Firefly » (2015) de Ana Maria Hermida, « Gasoline » (2001) de Monica Lisa Stambrini, « Bonfire » (2018) de Lou Morin, « Fire » (1996) de Deepa Mehta (film lesbien indien), « Portrait de la jeune fille en feu » (2019) de Céline Sciamma, la série Chicago Fire (2012) de Michael Brandt et Derek Haas, « Foxfire » (2013) de Laurent Cantet, etc. On le lit dans leurs romans : Tout feu tout femme (2019) de Julio Lezzie, Smoke and Fire (2014) de Julie Cannon, Forbidden Fires (1996) de Margaret Anderson, Embrase-moi (2021) de Kyrian Malone, The Forge (1924) et The Unlit Lamp (La Flamme vaincue, 1924) de Marguerite Radclyffe Hall, etc.. On l’observe au théâtre : les ateliers lesbiens « Comme nous brûlons » de la Mutinerie à Paris. Côté militant, dans les premières Gay Prides londoniennes, certaines lesbiennes portaient des badges et des pancartes les désignant comme incendiaires : « Lesbian ignite » (textuellement, « Lesbienne, mets le feu ! »). Il y a 2000 ans, saint Paul parlait déjà du désir homosexuel comme un feu dévorant : (Rm 1, 18 ; 26-27) : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et contre toute injustice des hommes qui, par leur injustice, font obstacle à la vérité. […] C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » Et si, très inconsciemment, les lesbiennes nous prévenaient du feu des enfers et étaient les gardiennes-avertisseurs de la pratique homosexuelle ?
 

 

Lors de la Soirée Slam poétique « Les Grandes Histoires » du 7 décembre 2022 à la Matreselva (Paris), la slameuse lesbienne nommée Palma a sorti inconsciemment lors de son passage récité une référence entre lesbianisme et feu : « On se fait insulter comme un vrai couple de femmes, sans oublier jamais que ce qui compte c’est notre flamme. » Éminemment autobiographique.
 

 

 

Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, rien que le titre suggère la fusion des deux amants Thomas et François. Mais ce n’est pas tout : leurs rapprochements corporels amoureux sont mis sous le signe de la chaleur. Par exemple, ils improvisent chez eux une « Soirée feu-de-bois-peau-de-bête » Plus tard, on apprend que lors d’un dîner en amoureux dans un resto, François a brûlé au troisième degré Thomas en lui renversant des moules bouillantes dessus. Enfin, après une nouvelle dispute, François s’emporte : « Je te brûle ton marche-pied de la salle de bain ! » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement.
 

Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, l’un des héros homosexuels, rentre, on ne sait trop pourquoi, à l’intérieur d’un collège désert, et pénètre dans une des salles de classe où il répète ce qu’il lit sur les murs : « Physique nucléaire… Physique nucléaire… » Dans le film lesbien archi cucul « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague, le commentateur « psy » (branché développement personnel, avec un zeste de spiritualité), expose sa théorie quasi irrationnelle de la « flamme jumelle » : il considère en effet que les amants (homos, hétéros, peu importe ! il suffit d’être « amoureux » !) sont comme deux flammes qui ne vont en former qu’une seule, sans même avoir maîtrisé consciemment leur symbiose : « En amour, un plus un font… un. Nous avons rarement l’occasion de voir tout l’art de l’amour. Mais ce que nous désirons tous : être aimés… d’un amour total, heathcliffien, unique, fusionnel. » Ce gourou gay friendly fait d’ailleurs tout pour que le couple lesbien Peyton-Elena se forme « naturellement ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la théorie du ying et du yang sert à justifier la supposée attraction homosexuelle entre les deux amis Schmidt et Jenko. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, une sorte de pasteur célèbre le mariage de Ben et Georges : il parle de l’amour comme d’une « énergie ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Arnaud, l’un des héros homos, croit, en amour et en matière de sexualité, au « principe de pressions réciproques », en s’appuyant sur un scientifique, Steinmann. Dans l’épisode 8 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, la formation du couple homo Éric/Adam est chimique et se forme en cours de chimie (sur un cours sur les valves pulmonaires et le cœur-organe !).

 

Au tout début du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, Michel explique à Mélodie que pour ne pas perdre un savon qui s’amenuise dangereusement vers sa fin, il faut le faire fusionner avec un gros savon neuf… et cette « fusion », en plus d’être écolo, se veut une illustration scientifique des rapports humains amoureux aussi (que lui, Mélodie et Charlotte vont vivre dans le triolisme). En parlant des deux morceaux de savon, il dit ceci : « Ça les rassemble et les unit en un seul individu. »
 

Le désir homosexuel fonctionne par associations mentales abolissant la différence des sexes, mais aussi la différence des générations et celle des espaces : « J’imaginais le corps de Linde et la carte du pays fusionnant les limites entre plusieurs États afin qu’ils se chevauchent. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 57) Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent (30 ans) ne supporte tellement plus la fusion amoureuse avec Stéphane (50 ans) qu’il le bat régulièrement et finit par quitter : « On était l’un sur l’autre. C’était étouffant ! » Dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell, la relation d’« amour » entre Charlotte et Mélodie fait yo-yo : « J’comprends pas pourquoi tu ne me quittes pas. (Mélodie à Charlotte). Charlotte n’est pas prête à tout quitter ni à renoncer à sa relation hétéro avec Michel, pour suivre Mélodie, ce qui fait que cette dernière a l’impression de compter pour du beurre. Et c’est quand Mélodie s’éloigne que Charlotte revient à la charge. Mélodie en perd son latin : « Alors c’est que ça ? Faut que je te fuis pour que tu me rattrapes ? »

. Par exemple, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills, Hugo, le héros gay, embrasse pour la première fois Patrick, en regardant une aurore boréale. Le couple y voit un signe qu’ils sont « deux âmes-sœurs qui se retrouvent » et qui se seraient connues avant même leur naissance terrestre, dans d’autres vies…
 

Film "Mel & Jenny" de Nana Neul

Film « Mel & Jenny » de Nana Neul


 

De manière générale, la juste distance entre les amants homosexuels fictionnels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) Étant toujours forcée, la fusion contient logiquement sa part de menace qui lui est consubstantielle : « C’était étrange, ta dépendance. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, très possessif, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « C’est vrai que c’est pas simple, une greffe. Faut faire attention au phénomène de rejet. » (Thierry, le héros homosexuel s’adressant à son amant Martin, par rapport à sa propre intégration dans la famille de Martin, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Toujours trop long à m’attacher et si long à me détacher. » (cf. la chanson « Au Jack au mois d’avril » d’Étienne Daho) ; « Lâche, c’est plus fort que toi, tu nous fais mal, ne t’éloigne pas de mes bras. » (cf. la chanson « Beyond My Control » de Mylène Farmer) ; « Pas de ça chez moi ! Je te rends ton baiser ! » (Nathalie s’adressant à Tatiana dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa) ; « Elle m’a parlé de Sarah qui alternait les promesses et les refus, qui la repoussait et revenait la chercher quand Jane, découragée, renonçait. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 65) ; « J’ai juste envie de vomir à chaque fois que tu me touches. » (Édouard s’adressant à son amant Georges, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Vous n’êtes pas un peu serrés tous les deux ? » (le père de Chris s’adressant à son fils et à Ruzy l’amant de ce dernier, sans comprendre encore qu’ils sont en couple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz) ; « J’étouffais. » (Aurora parlant de sa dernière relation lesbienne, dans le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio) ; « Moi qui nous croyais soudés… » (Georges s’adressant à son amant William, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Je brûle pour toi jusqu’à l’asphyxie. » (William s’adressant à Georges, idem) ; « Je vous trouve envahissante. Votre appétit m’étouffe. » (Fanny s’adressant à son amante Catherine, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; « Tu as pris toute la place. J’avais un tout petit bout de lit. » (Vlad, l’un des héros homosexuels, s’adressant au matin à son amant Anton dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier dit à son amant qu’il l’« étouffe ». Dans le film « Harakiri Children » (2008) d’Ivan Livakovic, deux hommes tombent amoureux et se retrouvent totalement isolés du monde… mais leur « nid d’amour » se révèlera être un véritable champ de bataille. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, le « couple » Gabriel et Philippe est en perpétuelle tension entre rupture et fusion : Gabriel est un chien fou très absorbant, tandis que Philippe est au contraire très distant, nonchalant et n’assume pas leur union ; et dès que les engueulades menacent la cohésion de leur tout, Gabriel se met toujours à promettre un PaCS pour rabibocher fiévreusement et artificiellement les choses. Même souci de « colle amoureuse qui colle mal », et où l’un des partenaires du couple est plus à fond que l’autre, avec le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider… alors que pourtant, tout semblait tenir sur la photo instantanée : « Nos deux cœurs sont collés ensemble. » (Laurent s’adressant à André) Dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel ne veut pas rester « scotché » à son amant Franck (« Si on commence comme ça, dans une semaine, on en aura marre l’un de l’autre. ») alors que Franck veut plus de proximité et d’engagement (« Ça ne va pas m’amuser longtemps. »). Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, Alfredo et Carlos passent par toutes les phases de l’élastique tendu et détendu de la passion : attraction, processus de séduction et rejet… Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, après leur engueulade, Michel plaque son copain Jean-Yves à cause de sa possessivité ou de son propre refus de s’engager : « Il commençait à s’attacher, alors… » Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, la relation amoureuse qui s’instaure entre Alfredo et Carlos est un processus complexe d’attraction, de séduction et de rejet. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, à maintes reprises, les crises d’étouffement physique de Charlène, l’héroïne lesbienne, coïncident avec les vissicitudes douloureuses de sa passion amoureuse pour Sarah. À la fin, Charlène finit par étouffer son amante avec un coussin tellement elle est odieuse. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ian est en couple avec John, mais ça semble compliqué : John a toujours refusé de « s’engager »… et c’est au moment où Ian décide de partir au Mexique que John se met à lui dire qu’il est « l’homme de sa vie ».

 

Dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, Polly, l’héroïne lesbienne, tombe de haut quand la relation fusionnelle qu’elle a partagée depuis quelques mois avec sa compagne Claude, se solde par une rupture impromptue : « Putain, mais je comprends pas. On est tellement dans la fusion, avec Claude, elle m’a fait un vieux plan parano. » (p. 75) Son pote homo Simon s’énerve brutalement contre sa naïveté : « Non mais t’es dans la fusion, toi, Polly, et tu crois encore aux contes de fées lesbiennes. Franchement, il te faudrait quoi ? Que la merveilleuse princesse endormie te tombe dans les bras et qu’elle soit ta copie conforme, pas de soucis, pas d’angoisse, deux jumelles incestueuses qui sont le reflet l’une de l’autre, la parfaite copie ? » (p. 76)

 

Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine vit en couple depuis longtemps avec Adar, un gars gentil mais fade, qu’il maltraite par son impatience, son exaspération croissante. Ils souffrent de vivre une relation sans forme, sécuritaire, sans avoir la force de rompre : « On ne peut pas quitter Adar. » avoue Antoine, « J’arrive pas à l’abandonner. » Louis, le frère hétéro volage d’Antoine, relève l’hypocrisie immature de ce fonctionnement de couple : « Tu sais, l’amour et la pitié, ça fait pas bon ménage. »
 

La fusion amoureuse homosexuelle n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’une refus de la solitude et de la liberté… d’une instrumentalisation mutuelle : « Tu comprends pas que je suis trop lâche pour te mettre dehors ?!? » (JP à son petit copain Ben, dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand, épisode 3 « État secret ») ; « Quand tu t’y mets, t’es une sang-sue. Et c’est d’un ennui mortel. Je te jure que t’es d’un ennui mortel. » (Dick s’adressant à Tom, le héros homosexuel, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; « On s’aime beaucoup mais on s’empêche de vivre. » (Nathalie à son amante Louise, dans le film « La Répétition » (2001) de Catherine Corsini) ; « Je retrouve ta chair. Je passe d’un monde à l’autre. Cela n’est pas si difficile. D’abord, tu me prends dans tes bras. Tu as ce geste immédiat, instinctif de rechercher mon contact, d’être comme moi, d’imprimer ton corps sur le mien, d’atteindre ce moment où ils sont en symbiose, où leurs épousailles les transforment en un seul objet. » (Vincent s’adressant à son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 63) ; « Je ne peux plus continuer avec Jo. Il ne se passe plus rien. On est passés d’une relation fusionnelle à une relation fraternelle. » (Matthieu parlant de la relation d’un an qu’il vit avec Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « S’aimer : résistance, dissonance. » (cf. la chanson « Love Song » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Pierre Bergé se voit reprocher par les amis ou la famille de Yves Saint-Laurent d’étouffer ce dernier : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé dans les œuvres homo-érotiques ; le personnage homosexuel se sent à la fois « tout contre » son partenaire, et « contre lui » : cf. le roman Tout contre Léo (2004) de Christophe Honoré, le film « Saturno Contro » (2007) de Ferzan Oztepek, la chanson « Mujer Contra Mujer » (« Une Femme avec une femme ») du groupe Mecano, la chanson « Amoureuse » de Véronique Sanson (« Quand je me serre tout contre lui, quand je sens que j’entre dans sa vie, je prie pour que le destin m’en sorte, je prie pour que le diable m’emporte. »), la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger, la chanson « Duel au soleil » d’Étienne Daho (« Tu es le soleil contre moi. »), la chanson « L’un contre l’autre » d’Élisa Tovati (« On était si bien l’un contre l’autre. Qu’est-ce qui nous a poussés l’un contre l’autre avec le temps ? »), le film « La Belle Image » (1950) de Claude Heymann, le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil, le film « Contracorriente » (2009) de Javier Fuentes-León, le film « Peau contre peau » (1991) de François Ozon, le film « Grégoire Moulin contre l’humanité » (2011) d’Artus de Penguern, la chanson « À contre-courant » d’Alizée, etc.

 

L’adverbe polysémique « contre » symbolise un amour homosexuel à la fois rassurant et destructeur : « J’ai rêvé en m’endormant, hier soir, que je te chantais une chanson douce, une chanson française, et que nous nous endormions près d’une cascade en pleine nature, à la belle étoile, l’un contre l’autre – l’un dans l’autre… » (Chris s’adressant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 119-120) ; « Je me pose tout contre lui. » (Kevin en parlant de Joe, dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton) ; « Je la serrai contre moi. Jamais encore je n’avais été si proche de ce qui, chez elle, m’échappait et m’attirait. » (Laura en parlant de son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 85) ; etc.

 

Les amants homosexuels sont très souvent en conflit parce qu’ils se placent systématiquement l’un contre l’autre, dans tous les sens du terme : « Depuis longtemps, nous n’avions pas été ainsi : corps contre corps. » (Kévin et Bryan, les héros homosexuels du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 284) ; « Kévin pleurait toujours. Je le pris dans mes bras et le serai très fort contre ma poitrine. Nous étions face à face, corps contre corps, les yeux dans les yeux. Ce moment-là, je l’avais trop désiré. Encore une fois l’impression de rêver ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, op. cit., p. 317) ; « On continua de parler, dans la pénombre de ma chambre, dans la chaleur de mon lit, l’un contre l’autre. » (Kévin et Bryan, op. cit., p. 326) ; « Elle [Harriet] peut s’amuser à vous jeter contre moi. » (Auguste à Théo dans le film « Un Mariage à trois » (2009) de Jacques Doillon) ; « Prends-moi dans tes bras, sans réfléchir, corps à corps, bouche contre bouche. » (Vincent à son amant Arthur dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 36-37) ; « Je me souviens de nous, marchant dans la rue, l’un contre l’autre, deux contre tous, à contresens. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Et j’ai compris. Khalid était mon ennemi. J’étais son ennemi. C’était écrit. Rien ne pouvait plus changer cette fatalité. J’ai fermé les yeux, moi aussi. Pour mieux me préparer au dernier combat. Le dernier round. Le dernier chapitre. L’un contre l’autre. » (Omar parlant de Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 163) ; « Ronit scruta l’obscurité, penchée vers la droite. Le mouvement la rapprocha d’Esti, elle se retrouva collée à elle, son flanc contre le sien. Elle fit la moue, perplexe. » (Ronit et Esti, les héroïnes lesbiennes, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 137) ; etc.

 

Par exemple, dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa raconte qu’elle préfère vivre seule et qu’elle a l’impression d’être contre le cul d’un cheval : elle rajoute que contre un corps, elle ne sait même pas où mettre ses jambes. Dans la chanson « Quelle heure est-il ? » de Bilal Hassani, l’étreinte vire à l’étouffement : « Je me sens serré dans tes bras. Des bras que je ne connais pas. Je me sens serré, s’il te plaît. Je suis trop serré contre toi. »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La recherche homosexuelle de la fusion :

Dans les discours de beaucoup de personnes homosexuelles désirant être pratiquantes, il est souvent question de la fusion, une fusion très proche du narcissisme, d’ailleurs : « Je ne me rappelle pas comment, ni pourquoi, mon union avec Jimmie s’est faite sur le sol carrelé blanc de la salle de bains de Merrywood. […] Nous étions là, ventre contre ventre, en train de ne former plus qu’un. […] Nous nous sommes donc simplement enlacés, reconstituant ainsi le mâle originel que Zeus avait divisé. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 47) ; « À deux, nos âmes fusionnent, nos cœurs se fondent l’un dans l’autre. » (Felice Newman, Les Plaisirs de l’amour lesbien, 2003) ; « Il y a souvent dans les amours dites ‘marginales’ cette impression de pulvérisation, quelque chose qui se délite, qui s’émiette, qui laisse en effet insatisfait. Parfois une impression de tristesse douloureuse. Il y a la lassitude, l’incuriosité. Alors ça ! Le nombre de couples, homos ou hétéros, qui ne font pas assez durer leur musique parce que l’un ou l’autre n’est pas assez curieux de l’autre, ou qu’il ne l’aime pas assez pour accepter de passer derrière l’autre… » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko déclare qu’il a ressenti très tôt « des sentiments de fusions et d’effusions proches de son attirance envers les garçons » (p. 96).

 

Sans faire trop de psychologie de comptoir, on peut quand même voir dans la recherche de fusion amoureuse une résurgence d’un manque de détachement de certaines personnes homosexuelles avec leurs propres parents, un rapport filial incestueux, ou une phase oedipienne mal gérée dans l’enfance : « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (White cité dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, sur Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Le sens de la réalité leur échappe parce qu’ils ont fait pour ainsi dire l’économie de l’étape oedipienne et que la séparation entre Moi et non-Moi n’existe pas pour eux. Leur vision du monde est de type fusionnel. » (Philippe Muray, Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), p. 97)

 

Par exemple, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013, on nous fait croire que la relation incestuelle, « fusionnelle » et de copinage entre le père homosexuel et sa fille biologique pourrait très bien se substituer à l’union conjugale passée du père et de la mère biologiques, par l’entremise magique du coming out (ils discutent « mecs » ensemble, peuvent faire du shopping et se conseiller vestimentairement). La séparation ou la rupture conjugale femme-homme est maquillée et surinvestie en fusion filiale, « grâce » à l’homosexualité.

 

À l’âge adulte, beaucoup d’entre elles vivent dans le fantasme de fusionner avec leur amant, de ne faire qu’Un avec lui pour le faire disparaître ou pour disparaître elles-mêmes : « Il devient plus qu’un simple corps et se transforme en une extension de mon être. Je n’existe qu’à travers lui. Qu’en lui. Je n’ai plus de vie propre, je fusionne avec lui. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 54) ; « Il se fascine sur l’Autre et fuit sa propre conscience de soi. » (Jean-Paul Sartre parlant de Jean Genet, dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 169) ; etc.

 

Il est fréquent que l’amour homosexuel soit comparé à une solution chimique combustible, à un feu de paille. La fusion, dans un premier temps source de chaleur et d’union réconfortante, laisse vite place à la rupture glaciale : « Antoine aime être auprès de Bruno. Il aime sa chaleur. Il en a besoin. Mais il arrive un moment où il faut se détacher et le corps n’obéit pas… » (cf. résumé du film « Chaleur humaine » (2012) de Christophe Predari dans le catalogue du 19e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, en octobre 2013, p. 58) ; « Je crois que mon coloc veut me serrer. » (cf. la chanson « Mon Coloc » de Max Boublil) ; « Vous avez réussi à absorber ma vie entière. » (Oscar Wilde à son amant Lord Douglas, dans sa lettre De Profundis, 1897) ; « J’attends Slimane. Je suis Slimane. Tellement habité par lui. Respirant exactement comme lui. Dans Le Petit Robert, je cherche à le comprendre davantage. À me rapprocher encore plus de ce qu’il est. De ce qu’il fait quand il part au travail. Être là où je ne peux être avec lui. ‘FONDERIE : Atelier où l’on coule du métal en fusion pour fabriquer certains objets. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 107) ; « Disciple de Messmer ou adepte du mesmérisme, Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) croyait beaucoup au magnétisme et pour lui le courant érotico-magnétique était concentré dans l’organe sexuel masculin. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 79) ; etc.

 

Par exemple, pendant les trois longues heures du film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le spectateur n’a droit qu’à des gros plans très resserrés sur les visages des héros… quand ce ne sont pas des plans carrément flous d’être trop proches, ni des scènes filmées en caméra subjective. Il n’y a pas d’espace : ni entre les personnages (qui passent leur temps à s’embrasser), ni entre le réalisateur et ce/ceux qu’il filme. Cela montre bien que « La Vie d’Adèle », même dans sa forme, est un film égocentrique, narcissique, fusionnel et oppressant.

 

Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) suppose dans ses écrits que « le plaisir de l’homosexuel est supérieur au déplaisir de son partenaire – comme si, encore une fois, ils pouvaient être mesurés et comparés -, et que donc, la somme des deux étant positive, cette relation est justifiée. Nul besoin de dire qu’on est là sur une pente glissante extrêmement dangereuse, où l’on peut justifier toutes sortes de mise en esclavage d’une minorité par une majorité au nom du « bien commun ». Nul besoin non plus d’insister sur les germes de totalitarisme que contient cet utilitarisme sexuel ». (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 86)
 

La présence physique, et le rapprochement des corps ne sont pas systématiquement synonymes du rapprochement des cœurs. Parfois, ils peuvent même être un mirage occultant l’absence d’amour, l’incroyable isolement qui se vit dans le couple homosexuel : « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Souvent, la juste distance entre les amants homosexuels est difficilement trouvée, et génère bien des tensions (celles qui fonctionnent en yoyo) ; parfois même des viols : Vladimir Marinov nous parle à juste raison de cette « tension entre liaison et déliaison excessives » impulsée par les désirs dispersants tels que les désirs homosexuel ou hétérosexuel, qui ne sont que des variantes de la pulsion de mort. « La pulsion de mort n’est pas plus associée à un mouvement de déliaison outrancier qu’à un mouvement de liaison excessif ; les deux mouvements, poussés à l’extrême, peuvent devenir destructeurs ; de fait, ils sont complètementaires et inséparables. » (cf. l’article « Le Narcissisme dans les troubles de conduites alimentaires » de Vladimir Marinov, dans l’essai Anorexie, addictions et fragilités narcissiques (2001), p. 59) Dans les couples hétérosexuels comme homosexuels, il y a peu de place pour le Désir tant la fusion en leur sein est désirée : « Il n’y a pas de désir entre nous. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 334) ; « Dans le rapport homosexuel, il va y avoir un rapport de forces qui va s’établir… un rapport de forces qu’il faut essayer d’éviter. Mais entre deux hommes ou entre deux femmes, à cause du conditionnement qui nous entoure, il y a un rapport d’autorité, de domination, de possession qui essaie de s’exercer. Et c’est là qu’il faut suffisamment d’amour pour éviter ce rapport de possesseur à possédé. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Pensons également au nom de scène choisi par la chanteuse/le chanteur français(e) Desireless, ainsi qu’au titre de la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard. La fusion recherchée n’est en général pas communionnelle, mais plutôt le signe d’un refus de sa propre solitude et liberté : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi, l’essai Comme un seul homme (2012) d’Emmanuel Pierrat, etc. Je vous renvoie aux codes « Viol », « Pygmalion » et « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Ce qui est vrai en amour homosexuel (= cette violence de la fusion désirée) l’est aussi pour le rapport de beaucoup de personnes homosexuelles vis à vis du monde qui les entoure. On observe un manque de distance, un manque de chasteté, un manque de maturité, qui confinent à l’orgueil de se prendre pour Dieu et de s’auto-suffire : « Je suis vivant. Le monde n’est pas seulement une chose posée là, extérieure à moi-même. J’y participe, il m’est offert, mais ce n’est plus ma vie. Je suis la vie. » (« C. » en épitaphe dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 6) ; « Tu l’as dit toi-même. Je ne sais pas couper les liens que j’ai avec les autres. » (Xavier, homosexuel, s’adressant à sa fille, dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne) ; « L’idée, c’est qu’on soit tous les deux le père biologique. Ce serait des jumeaux avec la même mère biologique et le sperme de nous deux. » (Christophe à propos de Bruno, son compagnon, avec qui il programme une GPA avec mère porteuse, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015) ; etc.

 
 

b) Polysémie de l’adverbe « contre » :

Film "En chair et en os" de Pedro Almodovar

Film « En chair et en os » de Pedro Almodovar


 

Le double sens de l’adverbe « contre » est très employé par les personnes homosexuelles ; elles se sentent à la fois « tout contre » leur partenaire, et « contre lui ». L’adverbe polysémique « contre » symbolise en général un amour homosexuel rassurant et destructeur : « Le chanteur est arrivé : la foule s’est agitée, elle s’est compressée en direction de la scène. Le corps de l’homme s’est retrouvé poussé contre le mien, et à chaque mouvement de foule nos corps entraient en friction. Nous étions de plus en plus serrés l’un contre l’autre. Il souriait, gêné et amusé, le corps irradiant l’odeur de la sueur. J’ai perçu son changement d’état, son sexe se dresser progressivement et cogner le bas de mon dos. » (Eddy Bellegueule dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 177) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. J’ai imaginé des hommes qui m’auraient saisi les bras pour m’empêcher de faire le moindre mouvement et auraient introduit leur sexe en moi, un à un, posant leurs mains sur ma bouche pour me faire taire. Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) ; « Je haïssais Chouaïb. Il ne m’attirait plus. Mais je voulais rester ainsi pour toujours, nu, collé à lui tout aussi nu, peau contre peau, vivant dans le chaos de cette guerre intime, sexuelle. » (Abdellah Taïa à propos de son cousin Chouaïb dont il est amoureux, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 23) ; « Je ne pouvais pas dormir. Excité par mes souvenirs encore tout frais de nous deux la veille du retour à Paris, intensément dans le désir et les sentiments bruts, silencieux, loin, puis proches, corps contre corps. » (Abdellah Taïa à propos de Javier, op. cit., pp. 39-40) ; « Slimane ne m’avait donc rendu que quelques pages de notre journal. Il avait gardé le reste pour lui, l’avait peut-être détruit. Brûlé. Tout ce que nous avions écrit ensemble, corps contre corps, mains jointes presque, il l’avait pris pour lui, volé pour lui.  La mémoire écrite de notre histoire lui appartenait désormais. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, op. cit., p. 110) ; « Slimane, je n’arrive plus à t’appeler cher Slimane, tellement je suis en colère. Contre toi. Contre moi. Contre cette injustice que tu m’imposes. Contre l’amour qui n’a plus aucun sens aujourd’hui pour moi et qui, pourtant, est encore là, au fond de mon cœur. Contre cette censure que tu te permets d’exercer dans notre ‘Journal amoureux’. » (idem, p. 112) ; « On s’oublie le long du corps de l’autre, de sa douceur et sa chaleur. On s’oublie réellement, je veux dire, on ne sait plus très bien où l’on et, on agit avec instinct, les yeux mi-clos, le cerveau éteint. C’est bon et vain à la fois. […] On devient deux corps étrangers posés l’un contre l’autre, encore chauds, encore endoloris par endroit. On est presque surpris par cette indélicatesse de l’autre de s’être laissé aller si promptement à ses instincts les plus vils. La recherche égoïste et rageuse du plaisir à l’encontre de l’autre. Je filme. Il me regarde avec étrangeté, sans ses lunettes écailles. Dans son regard, il n’y a ni douceur ni tendresse, juste un étonnement, un questionnement. Je murmure : ‘Quand on ouvre les yeux, on doit se souvenir contre qui on s’est échoué.’ » (Mike à son amant d’un soir, « P.-O. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 57-58) ; « Je flairais un brin d’allégresse, lorsque la sensation de ses doigts pour me pousser à danser contre lui pénétrait sur ma chair, créant une vive douleur. Cependant, je désirais cette souffrance pour reprendre conscience de mon corps, comme emporté loin de moi par la vague de plaisir. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66) ; etc. Par exemple, en 1875, Heinrich Marx s’exprime à propos de l’acte sexuel entre un homme et un Uraniste : « Puisque l’Uraniste a un corps principalement charnu et tendre, en serrant les cuisses l’une contre l’autre, il offre une place pulpeuse à la place des organes féminins, qui est capable de s’adapter à l’organe d’amour de l’homme. Pendant la jouissance, comme dans l’amour ordinaire, l’homme et l’Uraniste sentent passer un courant magnétique. »

 

Entre fusion et confusion, il n’y a qu’une seule syllabe de différence ! (… et pas n’importe laquelle !). Enfin, pour la petite histoire, je ne crois pas que Fire Island soit un lieu de villégiature homo par hasard…

 
 

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Code n°84 – Haine de la beauté (sous-code : Beauté du diable)

haine de la beauté

Haine de la beauté

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

 

Victimes de la beauté plastique et corporelle

donc fatalement ennemies

de la Beauté plus profonde

 
 

On entend souvent dire que les personnes homosexuelles auraient une sensibilité particulière pour l’art, une acuité plus accrue pour créer et apprécier la Beauté que n’importe qui. Elles seraient nées esthètes (mélomanes, épicuriennes, stylistes, etc.) sans le vouloir, comme par magie ! Cette idée reçue a la peau dure, et me semble en réalité un énorme canular que la société a orchestré pour les asservir tout en les flattant démagogiquement, et pour les réduire au silence à propos des violences qu’elle leur a infligées. Un « Va dessiner » qui résonne comme un souriant « Dégage ». Ce n’est pas parce qu’on adore la Beauté qu’on L’aime, et qu’on ne La dénature pas/détruit pas. L’idolâtrie cache toujours une haine jalouse. Et les personnes homosexuelles, parce qu’elles ont voulu/veulent posséder la Beauté comme un objet avec lequel elles pourraient magiquement fusionner afin de s’oublier elles-mêmes, n’ont pas une relation chaste à Celle-ci. Leur manque de distance par rapport à la Beauté (se) traduit en général (par) la création de kitsch et de camp (des arts de mauvaise qualité, il faut le dire), et par la croyance de la toute-puissance de la mort, de la méchanceté, et de l’artifice.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Différences physiques », « Maquillage », « Pygmalion », « Reine », « Amant diabolique », « Scatologie », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Adeptes des pratiques SM », « Actrice-traîtresse », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « Défense du tyran », « Femme fellinienne géante et pantin », « Artiste raté », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Vomi » du code « Obèses anorexiques », et la partie « Kitsch » du code « Fan de feuilletons », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

La passion destructrice pour la Beauté

HAINE 1 Bête

Film « La Belle et la Bête » de Jean Cocteau


 

Il est difficile d’expliquer pourquoi bon nombre de personnes homosexuelles, connues pour être les rois des esthètes, sont attirées par le bas de gamme kitsch, l’idiotie, et le laid. L’une des raisons que j’invoquerai, c’est leur rapport fanatique à la Beauté. Dans leurs rêves asexués, parce qu’elles ne se sont fiées qu’à un certain type de beauté (la moins intéressante, la plus évidente et superficielle, à savoir la beauté plastique défendue par les magazines de mode), pour délaisser la vraie Beauté (la Beauté grave de la Croix et de la Résurrection), elles s’imaginent naïvement que le beau est forcément bon, innocent, et tout-puissant. Elles confondent l’esthétique avec l’éthique au point qu’elles se disent qu’elles aiment d’amour ce qu’elles trouvent visuellement beau.

 

Mais un beau jour, pendant qu’elles berçaient la Beauté en orgueilleuses mamans, elles ont découvert avec amertume le divorce parfois possible entre esthétique et éthique : ce qui est beau peut aussi faire le mal ; leur actrice hollywoodienne a desservi les systèmes politiques les plus abjectes ; et la vraie Beauté, parce qu’Elle aiment tous les Hommes et qu’Elle se laisse toucher, a consenti à se rendre potentiellement faible et instrumentalisable. Et ça, elles ne l’ont pas digéré : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. […] Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié ! » (le début du roman Une Saison en enfer (1869-1872) d’Arthur Rimbaud)

 

Depuis, certaines fuient la beauté comme la peste. « La beauté est trop amère, je suis un homme blessé » (Olivier Py, L’Inachevé (2003), p. 71). Finalement, elles reprochent à la Beauté d’être belle, forte et fragile à la fois, foncièrement bonne, et de n’être que cela. Parfois, elles regrettent qu’Elle ne se laisse pas dénaturer, même si Elle se laisse exploiter. Elles la voudraient objet magique soumis à leur volonté, instrument de pouvoir et de séduction, bijou qu’elles pourraient conserver dans leurs coffres, ou engendrer par l’art.

 

Paradoxalement, à la conviction qu’elles peuvent prendre la Beauté dans leurs mains et La créer elles-mêmes, va se superposer, du fait de leur échec, la conviction que la Beauté n’existe pas ou qu’Elle est inaccessible, inintelligible, diabolique, laide, dangereuse. Elles se vengent de leur propre naïveté en mêlant les extrêmes esthétiques, le très beau et le très laid. Comme Sylvano Bussotti, Hervé Guibert, Manuel Puig, et bien d’autres, elles passent insensiblement de la scatologie au raffinement glamour, du conte enfantin au gore. Le chœur des sorcières shakespearien dans Macbeth (1606) énonce le curieux credo esthético-éthique de la communauté homosexuelle : « Le hideux est beau, le beau est hideux. » Fini la beauté fade ! Maintenant, c’est la fascination pour la laideur, la monstruosité, la vieillesse ou la méchanceté qui gagne à leurs yeux une relative dignité, qui se pare de lucidité.

 

Tandis qu’elles continuent de croire que « tout est beau » (Andy Warhol, cité sur le site http://www.st-ambroise.org) avec des cœurs dans les yeux, certaines personnes homosexuelles établissent une frontière étanche entre beauté et bonté, et se servent de l’excuse de l’art pour instaurer un lien entre Beauté, Amour et mort. Elles vont ainsi trouver particulièrement belle non pas la mort en elle-même mais la représentation de la mort, la mise en scène du risque (notamment à travers la corrida, la boxe, le cirque, l’art gothique). Elles partent du principe que la Beauté est quelque chose qui ne durera jamais, que c’est la mort qu’elles admirent en Elle. Elles se passionnent, comme Luis Cernuda, pour « la splendeur de la fugacité et la beauté éphémère ». Elles croient que seule l’irruption subite de la mort dans la beauté arrivera à concilier la Réalité et leurs désirs.

 

C’est pourquoi elles peuvent trouver le mal beau. Elles sont esthétiquement attirées par les méchantes de dessins animés (Vampirella ou Cruella fait l’unanimité quand il s’agit pour certaines de se déguiser à l’occasion d’un bal masqué ou d’Halloween). Cette attraction pour la « beauté du diable » n’est pas très évidente à expliquer – en effet, comment peut-on fêter la Beauté par sa presque-négation ? –, mais force est de constater qu’elle est une réalité de leur désir. L’Homme qui amalgame l’éthique avec l’esthétique, et surtout qui fait passer l’esthétique avant l’éthique – alors que pourtant, l’esthétique obéit à l’éthique, comme la beauté obéit à la Réalité –, ne fait attention qu’à ce qu’il veut en oubliant la manière dont il le veut, est tenté de faire de l’échelle de ses désirs (j’aime/j’aime pas) son échelle de valeurs (c’est bien/c’est mal) ou de goûts (c’est beau/c’est laid). Et il souffre de placer ses désirs avant ce qu’il sait bien ou mal, de cette désunion entre ce qu’il veut et ce qu’il est, ce qu’il voit « beau » et ce qui devrait être dans l’idéal. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’une éthique humaniste préside à sa passion pour la beauté et pour la laideur. Tout ce qu’il produit, même de laid, il le fait au nom de la beauté (donc pour lui de l’amour !). La destruction de la beauté, venant de certaines personnes homosexuelles, n’est par conséquent pas sciemment exécutée : en aucun cas elle ne doit être rangée du côté de la perversion morale.

 
 

Le désir de mort décliné en goût de la merde : le kitsch et le camp « queer »

Pour une majorité de sujets homosexuels (mais on pourrait dire de même pour leurs alter-ego hétérosexuels), la merde, c’est un peu comme la madeleine de Proust : un fétiche du désir. La scatologie et le goût de la pisse s’étalent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques, et concernent également la personne homosexuelle lambda, même si celle-ci préfère les attribuer uniquement aux artistes étiquetés « atypiques » ou aux soi-disant « détraqués du ‘milieu’ » (cf. je développe beaucoup plus le thème dans le code « Scatologie » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Sans aller jusqu’à ces extrêmes, et quand leur esprit romantique impose la décence et le refus de la saleté, certaines personnes homosexuelles en restent généralement à la frontière du fantasme de merde légèrement actualisé (humour « pipi caca » ou « en-dessous de la ceinture », saleté couplée paradoxalement à une scrupuleuse coquetterie, focalisation sur le sexe, grossièreté langagière, etc.).

 

La régression au stade anal, bien avant de mériter d’être jugée odieuse ou gamine, doit à mon avis être comprise comme une difficulté d’avoir un corps « propre », au double sens du terme : non sale et à soi. Il existe dans l’usage de la scatologie une revendication légitime du droit à reconnaître les merdes de l’existence. Certaines personnes homosexuelles demandent en effet à la société sur-protectrice qui les a gavées pourquoi, depuis leur enfance, elle leur a barré l’accès à la merde (laideur, difformités, mort, privations, risques, efforts, combats, interdits, rappel des limites et des manques, etc.), celui qui leur aurait permis de comprendre que la Vie est plus forte que la mort. Arrivées à l’âge adulte, leur quête de la merde se fait alors plus autoritaire… et s’exprime parfois radicalement par le désir de la produire elles-mêmes et de la goûter ! Elles désirent montrer la merde qui se cache derrière le maquillage social (c’est pourquoi elles présentent souvent la blancheur comme perdue ou trompeuse), signaler que ce maquillage est lui-même de la merde, ou que la merde proprement dite n’est pas plus méprisable que celui-ci puisqu’elle peut embellir et dissimuler une réalité sociale jugée insupportable.

 

Pour dire une sexualité insatisfaisante et un rapport au monde décorporalisé, beaucoup de personnes homosexuelles élaborent une esthétique du mauvais goût appelée « kitsch ». Ce dernier procède de ce que j’appellerai un « baroque narcissique ». Bon nombre d’artistes homosexuels actuels ont tendance à se revendiquer du baroque pour conspuer le classicisme qu’ils jugent « mauvais » et d’arrière-garde. Ils s’éloignent à mon avis du vrai baroque, le « baroque humaniste », celui du métissage universel, prôné par Alejo Carpentier. Le baroque humaniste, contrairement au baroque narcissique, n’est pas un courant artistique créé pour s’opposer au classicisme et instaurer une élite néo-baroque, mais bien une maison universelle censée abriter aussi les soi-disant auteurs « classiques » : « Le baroque doit se voir comme une constante humaine. » (Alejo Carpentier, Razón De Ser (1980), pp. 38-65)

 

Le kitsch fait partie du baroque narcissique étant donné qu’il mêle l’amour du beau et de la merde, de la démocratie et du totalitarisme. Tous les régimes politiques, religieux, artistiques, qui jadis se sont caractérisés par leur volonté de détruire l’Homme et sa liberté, en sont les plus gros producteurs. Comme le souligne José Amícola dans son essai Manuel Puig Y La Tela De Araña Que Atrapa Al Lector (1992), « le kitsch relie tous les éléments les plus réactionnaires sous une forme artistique » (p. 127).

 

Nos sociétés actuelles attribuent à cet art « tape-à-l’œil » ou « pacotille » une légèreté qu’il n’a pourtant pas, puisque le kitsch est l’attrait pour le maquillage des systèmes despotiques. S’appuyant généralement sur le folklore et le divertissement bon marché pour amortir sa réelle violence, il est le vernis esthétique appliqué par les dictatures quand celles-ci cherchent à occulter l’absence totale de culture. Milan Kundera lui a probablement donné la meilleure définition qui soit : « Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde. […] Il est un paravent qui dissimule la mort. » (Milan Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être (1984), pp. 357-367) Les défenseurs du kitsch se proposent de sauver ce qui est destiné à la poubelle, à la fois pour dire que tout est artistique et que rien ne l’est si l’élite bourgeoise qui définit le bon du mauvais goût ne décide pas d’y investir son argent et son idéal de vie.

 

La différence entre le kitsch et l’art de qualité a l’air très mince. Sur la photo instantanée, ils semblent quasiment identiques. C’est sur la durée que le kitsch jaunit, car il privilégie l’image (autrement dit l’intention) à la Réalité. Le kitsch surgit de ce qui est humain et du regard amer que portent les Hommes sur leurs propres actes (pensez aux réactions que nous pouvons parfois avoir face aux photos de mariés exposées dans les magasins des photographes, condamnées au kitsch ou sauvées de lui selon notre clémence et notre paix intérieure). Tout est kitsch. On pourrait même dire qu’il y a du « kitsch presque objectif », selon la formule de l’éminent Jean-François Frackowiak, celui qui touche à la naïveté, à l’innocence touchante, à la bonté : il suscitera parfois le même rejet que les « bons sentiments ». Mais une chose devient « plus kitsch que les autres » quand l’Homme rentre à l’excès dans le paraître, le narcissisme, ou la jalousie.

 

Le kitsch est étroitement lié à la haine de la contrefaçon matérialiste, exprimée paradoxalement par un surinvestissement dans le paraître. En ce sens, « les filles et les garçons sans contrefaçon », autrement dit les personnes homosexuelles, méritent tout à fait leur titre d’« enfants du kitsch ». Ce n’est pas sans raison que Severo Sarduy allie homosexualité et kitsch quand il qualifie le mouvement artistique néo-baroque de « kitsch, camp et gay ». On retrouve le kitsch dans la naïveté paradisiaque des photos-peintures de Pierre et Gilles, dans l’accoutrement outrancier de Marianne James en cantatrice allemande, chez les artistes du Pop Art, dans les décors psychédéliques de Pedro Almodóvar, dans le dépouillement grunge et misanthrope du bobo underground, dans les « mises en scène-masturbation-intellectuelle » de Marcial Di Fonzo Bo, ou bien encore dans l’esthétique de Jean-Paul Gaultier. Les personnes homosexuelles sont souvent des grands amateurs de cet épate-bourgeois facile qu’est le kitsch. Arthur Rimbaud, par exemple, avoue sa passion pour les « peintures idiotes » et les « refrains niais » ; Paul Verlaine revendique les « images d’un sou » et les bibelots d’une culture de masse en désuétude (Daniel Grojnowski, « Sentes buissonnières », dans le Magazine littéraire, n°321, mai 1994, p. 45). Beaucoup de sujets homosexuels se désignent eux-mêmes comme des consommateurs incultes, des « enfants gâtés du capitalisme » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir (1996), p. 114), des « dandys déliquescents » (Jérôme Dahan dans la revue Platine, n°11, avril/mai 1994, p. 13) assumant avec fierté des goûts minables qui n’iraient pas avec leur rang. Leurs personnages (et parfois eux-mêmes) regardent les mauvais feuilletons de début d’après-midi pour mamies-gâteau, adulent les chanteurs-paillettes, et se montrent assez peu cultivés derrière leurs faux airs de premiers de la classe. Leurs goûts oscillent entre les extrêmes : elles peuvent aimer à la fois la mauvaise variet’ musicale et l’opéra classique, se forcer à consommer ce qui leur est présenté comme « de qualité » ou de se laisser aller à apprécier de la merde commerciale. Dans les deux cas, c’est souvent le paraître qui l’emporte sur le goût. Le kitsch attire l’œil et lui seulement, alors que l’art se prétend plus cérébral et veut aussi parler davantage au cœur.

 

Incroyable mais pourtant vrai : ce qui plaît à beaucoup de personnes homosexuelles dans la culture camelote, c’est (excusez l’expression, mais je n’ai pas d’autres mots) qu’on les prend pour des connes. Elles se rendent compte de l’hypocrisie sadique et souriante des médias ou du monde bourgeois, mais elles aiment ce culot-là. Il les fascine et les attire : on ose « se foutre de la gueule » de personnes aussi intelligentes et importantes qu’elles, apparemment en toute innocence, dans l’indifférence générale… et elles trouvent cela scotchant ! Elles développent une réelle passion pour la nullité, pour la bêtise télévisuelle, mais pas n’importe laquelle : la bêtise très sincère, qui se prend au sérieux, qui n’a pas conscience d’elle-même, qui est énoncée par la bimbo blonde ou la bourgeoise ultra-sophistiquée qui souhaitent réellement le bonheur de l’Humanité tout entière (et des bébés phoques !). Qui, je vous le demande, a bien pu favoriser le surprenant come-back de Chantal Goya dans les années 1990 ? Qui attaque et défend encore les stars oubliées, si ce n’est la communauté homosexuelle ? Il s’agit de renverser certaines valeurs en remettant à la mode ce qui a été effacé. Ce n’est pas compliqué : à partir du moment où en apparence et à l’image on leur veut du bien, les personnes homosexuelles adorent qu’on les berce d’hypocrisie, qu’on leur fasse avaler des couleuvres qu’elles engloutissent volontairement pour montrer à l’infantilisation qui elle est, qu’on les traite comme des débiles ou des gamins qu’elles ne sont plus. Car elles prennent un malin plaisir à contenter ceux qu’elles détestent, en pensant se venger d’eux en leur obéissant exagérément.

 

Certes, elles adorent qu’on les prenne pour des connes, mais attention : elles seules se donnent le droit de l’avouer. En règle générale, elles gardent le secret sur leur passion. La dévoiler reviendrait à montrer au grand jour leur goût secret pour la soumission et l’infantilisation, et donc leur retirerait tout le prestige d’avoir été les seules à avoir su déceler le « second degré » du totalitarisme, ou le « bon goût du mauvais goût ».

 

Ne nous trompons pas. Le kitsch homosexuel n’est pas uniquement réductible au folklore Gay Pride, ni même à la surcharge que nous observons dans l’appartement d’un Renato de Cage aux Folles : il peut être au contraire assez minimaliste et dépouillé. C’est alors l’excès de dépouillement qui évoque le charme ronflant du kitsch. Le rapport de distance des personnes homosexuelles avec le kitsch oscille entre proximité et rupture absolues. En général, elles aiment que leurs goûts de daube ne soient pas pris totalement au sérieux, que leur fausse distance par rapport à leur attrait pour la merde et le totalitarisme culturel soit tenue secrète. Elles vont alors se construire un écran cynique à leur passion du kitsch, appelé « camp ».

 

Ce courant « artistique » découle naturellement du rose du kitsch : il n’est que sa face cachée, noire et agressive. On compte beaucoup de représentants du camp parmi les personnes homosexuelles. Ceux-ci rêveraient que la frontière entre le kitsch et le camp soit infinie. En réalité, elle est dérisoire : ce sont encore une fois les deux marionnettes d’une même conscience qui simulent le duel, car finalement, le kitsch et le camp se rejoignent totalement dans les extrêmes, dans l’inversion.

 

La distinction entre eux serait d’abord chronologique : le camp est historiquement un néo-kitsch apparu dans les années 1960. Par ailleurs, le kitsch et le camp divergeraient quant à l’intention : le camp constituerait une forme de kitsch consciemment produit (contrairement au kitsch qui serait « naïf », « populaire », « bête », « commercial »), un « kitsch second degré », ou plus radicalement un « anti-kitsch ». La différence se ferait aussi dans la thématique : le camp se vengerait du kitsch par un goût de la laideur davantage marqué (pornographie, scatologie, films d’épouvante, drogues, apolitisme ou militantisme anti-« système », nihilisme seventies, etc.), un irrespect systématique pour tout ce qui est commun, un rejet de la naïveté, un humour beaucoup plus trash et décalé, ou une totale « neutralité ». En ce sens, un homme tel que Frédéric Sanchez, qui s’habille « classique », en noir, pour ne pas rentrer dans les « clichés homos », qui affirme haut et fort que « ni Sheila ni Dalida ne donneront de la voix dans son mange-disque », qu’« il déteste le kitsch » et qu’il est un « anti-DJay » (cf. l’article « Frédéric Sanchez, Illustrateur sonore », sur le site www.e-llico.com, consulté en juin 2005), est le prototype de l’Homme camp, donc kitsch, car l’anti-kitsch est aussi une attitude kitsch. « L’essence du Camp, c’est ça, non ? Ridiculiser, essayer de détruire quelque chose qu’on aime, pour démontrer que c’est indestructible » fait remarquer à juste raison Emir Rodríguez Monegal (dans son article « El Folletín Rescatado, Entrevista A Manuel Puig » (1972), Revista De La Universidad de México, vol. XXVII, n°2, octobre 1975, pp. 25-35). Rien n’est totalement kitsch en soi, et tout est fatalement kitsch puisque tout ce qui est humain est kitsch. Se révolter contre l’humain, c’est être à nouveau humain. Le camp est contre lui-même et contre le kitsch, c’est-à-dire qu’il se nie et s’adore. Il gomme ses origines, fait un « kitsch du kitsch » en croyant s’en éloigner, croit qu’il ne copie pas parce que précisément il copie dans l’inversion. Voilà son paradoxe. La meilleure façon d’échapper au kitsch totalitaire, c’est finalement de ne pas le fuir à tout prix, de tolérer d’être un peu kitsch par la force des choses, non parce que nous l’aurions désiré mais à cause de notre (amour de la) condition humaine. Sinon, nous nous condamnons à y retomber sous une forme plus masquée en créant un kitsch ironiquement intentionné, totalitaire en somme.

 

Ce n’est pas par hasard que le monde intellectuel voit en général le kitsch et le camp comme des sous-genres artistiques gémellaires puisque ces derniers sont une atteinte à l’intelligence humaine alors qu’ils se prétendent justement « géniaux de subtilité (ou de nullité) », l’un par le rêve sucré, l’autre par l’horreur gore. La dictature du camp est celle qui se place en grande ordonnatrice du bon et du mauvais goût. Ses promoteurs homosexuels pensent qu’ils peuvent se permettre, parce qu’ils possèdent à eux seuls la définition du bon goût, de franchir de temps en temps la frontière d’un mauvais goût qui auraient aussi la saveur d’un inédit et transcendant « bon goût » réservé à leur élite bobo. Pour eux, il y a un « mauvais ‘mauvais goût’ » et un bon « mauvais goût » (le « mauvais goût sain » comme dirait le Prétextat Tach d’Amélie Nothomb, dans le roman Hygiène de l’assassin, 1992) dont eux seuls connaîtraient la recette.

 

Du coup, ils ne voient pas qu’ils font de la merde à force de dire qu’ils la font. Ils se présentent comme des artistes d’avant-garde, ceux qui « sentent » le beau dans la laideur, qui trouvent, à l’image des décadents de la fin du XIXe siècle, la rédemption dans la médiocrité. Ils se plaisent à croire – sûrement parce que la société les y a aidé – que les personnes homosexuelles sont de grands créateurs. D’un point de vue uniquement quantitatif, c’est indéniable. Mais qualitativement, il y a de quoi nuancer… (cf. je vous renvoie au code « Artiste raté » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels)

 

Les personnes homosexuelles, comme tout être humain, ont à apprendre à aimer la Beauté et à découvrir qu’Elle les aime. Car elles ne L’aiment pas assez, c’est une évidence !

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

 
 

À force d’étudier des œuvres de fictions traitant d’homosexualité, on constate très vite qu’il existe un antécédent lourd entre Beauté et homosexualité (cf. le roman Marcos, Amador De La Belleza (1913) d’Alberto Nin Frías, le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, le film « The Pretty Boys » (2011) d’Everett Lewis, le film « O Beautiful » (2002) d’Alan Brown, le roman Toutes les filles son belles à vingt ans (2014) d’Andromak, le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie Macdonald, etc.). La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie. Beaucoup de héros homosexuels semblent obnubilés par la Beauté : « Je vous avais dit : j’aime le beau et je mourrai beau. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Manifestement, il a tout pour lui : beau, intelligent. » (Guillaume, le héros homosexuel, par rapport à Grégory le petit copain de Gérard, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Il est beau. » (Elio parlant d’Oliver, son amant, dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino) ; « Le cœur de l’homme est touché par la beauté, si infime soit-elle, de la taille d’une fourmi ou d’une araignée. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 259) ; « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; etc. Par exemple, dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, c’est grâce à l’adjectif « guapa » (« belle » en espagnol) que Mariela devine l’homosexualité de son mari Miguel. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory, l’un des personnages homosexuels, a scotché, pendant son adolescence, sur un beau garçon ; et, les yeux fixés dans le vide, comme ensorcelé, il n’arrive pas à se défaire de son souvenir : « Il est absolument beau. » Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel insiste pour que ses neveux soient des tops models : « On a envie que nos neveux soient cultivés. Et surtout beaux. Oui, c’est très important pour nous, les gays. »

 

Certains personnages homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. je vous renvoie au code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être les hommes les plus beaux de la Terre : « Déjà que vous nous piquez tous les beaux mecs, laissez-moi au moins notre intuition ! » (Alice à son meilleur ami homo Fred, dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Je veux être beau. Je veux qu’on me désire et que tout le monde ait envie de coucher avec moi. » (Pierre, le héros homosexuel de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Salut ma beauté ! » (Ninon, la lesbienne claquant la bise à son pote homo Guen, dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt) ; etc. Par exemple, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Martin, « l’homo » présumé, a la réputation d’être beau. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo raconte à son amant Rémi une métaphore de leur couple : celle d’un canard jaune (Rémi), plus beau que les autres, qui tombe amoureux d’un lézard (lui, en l’occurrence), et ensemble ils font du trempoline pour sauter jusqu’aux étoiles. D’ailleurs, Léo présente Rémi comme un garçon qui se distingue par sa beauté : « Toi, t’es jaune, mais beaucoup plus beau que les autres. »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée, éphémère et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que le héros homosexuel les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Moi qui suis chrétien, je trouve ça beau d’aimer les corps : ‘aimer la chair, c’est aimer l’Homme’. » (Chris parlant à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 127) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo parlant du jeu des regards à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; « À 18 ans, j’allais me faire des soins en institut de beauté. » (le protagoniste homosexuel dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Le rugby se mit à me plaire et, piètre joueur, malgré mes muscles inutiles, je devins une sorte de photographe officiel du club. La photo était un solide alibi dans mon admiration de la beauté. » (le narrateur homo de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 22) ; « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) ; « Il rêvait d’être un acteur célèbre, adulé. Il se voyait beau comme Matt Damon, Brad Pitt ou Johnny Depp, s’imaginant baraqué, avec des jambes hypermusclées qui lui permettraient de bondir et de courir après des bandits pour les arrêter. Il remporterait un oscar ou deux, ferait la une de tous les journaux et serait poursuivi par des paparazzis. Il voulait tant qu’on l’aime… » (Marcel, l’un des héros homos du roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 18)

 

Très souvent dans les fictions, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus de place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vraie beauté n’en a jamais conscience. » (cf. la chanson « Vis-à-vis » d’Étienne Daho) ; « Tu sais pas encore que t’es vraiment beau. Ça te rend si séduisant. » (Jacques, le héros homosexuel quinquagénaire s’adressant à son jeune amant Mathan de 19 ans, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas. » (Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « Sa beauté indiscutable se passait de l’intelligence. L’élégance avec laquelle elle portait un corsage entièrement brodé de diamants sous une hermine et une toque en plumes d’oiseau de paradis pour monter les escaliers de l’Opéra, la faisait paraître d’un naturel parfait chez les figurants de la jet society. » (cf. la description de María-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 32) ; « Ralph était merveilleusement beau, et la parfaite beauté physique a souvent l’étrange effet de spiritualiser la passion qu’elle inspire. » (Ramon Fernandez, Philippe Sauveur, 1924) ; etc. Par exemple dans le roman L’Amour en relief (1982) de Guy Hocquenghem, la Beauté est figurée par un jeune Tunisien aveugle qui ne devine rien de la grâce qu’il dégage. Même scénario avec le personnage de Rob, l’homosexuel aveugle à l’intrigant et innocent éclat, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, ou encore avec le personnage de Léo dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro.

 

À entendre le héros homosexuel idolâtre et esthète, la « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! « La Beauté est une des formes du Génie. Que dis-je? Elle surpasse même le Génie, n’ayant pas comme lui à se démontrer. » (Dorian Gray dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, p. 41) ; « Que la beauté soit toujours dans nos vies.» (Romeo détournant l’écriteau « Que la beauté vive en cette demeure » qu’il lit dans la maison de peintre qu’habite son futur amant Johnny, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc.

 

Le personnage homosexuel ne croit pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, il n’aime pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Il adule la beauté plastique. Autrement dit, il est médusé devant la beauté comme il l’est face à une œuvre d’art. Dans son esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (il pense que ce qu’il trouve beau, il l’aime d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté) : « J’aimais tout de lui, ses tableaux, ses vêtements… Tout ce qui le concernait me fascinait. Il n’y avait pas une seule ombre au tableau. Il était drôle, généreux et toujours plus beau ! » (Bryan par rapport à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 16) ; « Aimer un garçon, ça ne veut rien dire. Ce n’est pas pour ça qu’on est homo. D’ailleurs, je ne l’aimais pas. Je le trouvais beau, c’est tout ! » (idem, p. 32) ; « Kévin avait raison, nous fîmes plein de choses ensemble. À commencer par la peinture, nous y consacrions tous nos mercredis après-midi… puis tous nos week-ends… puis n’importe quand ! C’était un fabuleux prétexte pour nous retrouver. Comme promis, il fut très patient même si, au début, il prenait un peu trop au sérieux son rôle de professeur. Je n’en avais jamais eu d’aussi beau. Pour la première fois de ma vie, j’étais amoureux de mon prof. » (idem, p. 82) ; « Cette fichue peinture à la fois nous réunissait et nous séparait » (idem, p. 82) ; « Quoi que maman dise, elle était belle, cette infirmière : je l’aime. » (cf. la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer) ; « Tu es belle. Je t’aime. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani dans l’un d’eux. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 64-65) ; etc.

 

Parfois, le protagoniste homosexuel préfère sa beauté à lui-même, à sa personne, ou aux autres : « Ce nouveau Narcisse s’éprendra de sa propre beauté. » (la conteuse à propos de Dorian Gray, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mise en scène par Imago en 2012) ; « Je choisis mes amis pour leur beauté. » (Lord Henry, idem)

 

Il a tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Il parle plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « Puis lui vint la conviction que cette femme était belle : elle ressemblait à une fleur étrange qui aurait poussé dans l’obscurité, quelque fleur rare, quelque fleur pâle sans tache ni imperfection. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos d’Angela Crossby, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 173) Cette beauté abstraite a la fadeur « idyllique » de l’androgynie angélique (dans le double sens d’« androgyne » : une « moitié d’être humain », ou bien un « ange asexué, ni homme ni femme ») : « À ce moment, elle ne connaissait rien d’autre que la beauté et Collins, et les deux ne faisaient qu’un seul être, qui étaient Stephen. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant d’elle-même, op. cit., p. 26) ; « Faisons à nous deux un héros de roman. […] J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai l’esprit. Tu seras la beauté. » (Cyrano à Christian dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Arlette était la fille la plus belle que Silvano eût rencontrée à Paris, elle avait l’air d’un éphèbe. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 104) ; « Plus beau que jamais, il ressemblait à un ange… à mon ange. » (Ednar à propos de son amant Dylan, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 37)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, le héros homosexuel, parce qu’il se croit aussi divin qu’Elle, va tenter de L’approcher, de La posséder, de la mettre en boîte ou sous verre : « Hillary pose devant ce photographe qui s’applique pour immortaliser la beauté de la jeune femme. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Je les regardais s’engouffrer tous dans l’escalier qui menait au balcon, lorsque je reconnus Perrette Hallery de dos… accompagné d’une magnifique femme en manteau de poil de singe, rousse à mourir sous son chapeau à voilette, la peau laiteuse et la démarche assurée. Le cliché de la belle Irlandaise, Maureen O’Hara descendue de l’écran pour insuffler un peu de splendeur à l’ennuyeuse vie nocturne de Montréal, la Beauté visitant les Affreux. […] La fourrure de singe épousait chacun de ses mouvements et lui donnait un côté ‘flapper’ qui attirait bien des regards admiratifs. Les hommes ne regrettaient plus d’être là, tout à coup. » (le narrateur homo observant son futur amant accompagnant sa jolie maman rousse à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 44) ; etc. Par exemple, dans le film « Death In Venice », « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le débat entre le musicien homosexuel Von Aschenbach et son ami Alfred tourne précisément autour de la prétention homosexuelle à la création de la Beauté. Bien évidemment, c’est Aschenbach qui défend le pouvoir absolu du créateur sur Elle, contrairement à son acolyte qui ne pense pas que la Beauté vienne uniquement de l’artiste et de ses sens (« La beauté, fruit du labeur… Quelle illusion ! »).

 

Le goût de la beauté plastique entraîne le héros homosexuel vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, son fanatisme possessif/fétichiste le détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant : « Seul Jioseppe Campi est capable d’imiter la beauté ! » (Campi, le sculpteur déifié du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 12) ; « Je remarque toutes les fautes de goût de cet appartement. […] Je cherche la place que tu vas prendre entre tous ces meubles. » (le héros de la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des personnages homos aime faire venir dans son appartement parisien des gigolos « banlieusards » qu’il considère comme de jolis bibelots, des « beautés exotiques ».

 

Le rapport passionnel du héros homo à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans les œuvres homosexuelles, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! (cf. le film « Belle Maman » (1998) de Gabriel Aghion) : « Il y a des centaines de photos de maman. Elle était si belle… Il ne fallait pas la toucher tant elle était si belle… » (Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) d’Antonia Malinova) ; « Regarde : tu es beau, intelligent, bon élève. Tes parents vivent dans le mythe d’un fils parfait. » (Chris à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 112) ; « Aujourd’hui, c’est moi l’homme. Un homme pour mon père. Beau et fort pour mon père. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 35) ; « C’était l’heure matinale où sortait le jeune et beau papa du huitième, dont il était justement dommage qu’il fût papa, ou plus exactement qu’il eût commis cette faute de goût avec une maman. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 70) ; « La beauté de sa mère était toujours une révélation pour elle ; elle [Stephen] la surprenait chaque fois qu’elle la voyait ; c’était l’une de ces choses singulièrement intolérables, comme le parfum des reines-des-prés sous les haies. […] Anna disait parfois : ‘Qu’avez-vous donc, Stephen ? Pour l’amour de Dieu, chérie, cessez de me dévisager ainsi !’ Et Stephen se sentait rougir de honte et de confusion parce qu’Anna avait surpris sa contemplation. » (Stephen, l’héroïne lesbienne à propos de sa propre mère, Anna Molloy, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 49) ; « Ma mère était belle. Sa beauté était sans doute sa liberté. Les voisines la jalousaient. La maudissaient. Elles avaient raison. Ma mère était belle mais je ne le voyais pas. Ma mère était jeune. Elle était ma grande sœur. C’est le rapport qu’elle a imposé entre nous. » (Stephen, op. cit., p. 36) ; « Sa mère était tellement parfaite que tout ce qui lui advenait devait à son tour être parfait… […] Elle avait été la belle Anna Molloy, très admirée, très aimée et sans cesse courtisée. » (idem, pp. 112-113) ; « Mes deux cousins, ces deux beaux mecs de mon âge que j’avais repérés au cimetière » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 409) ; « Non ! Mais t’es beau, t’es bien foutu… T’es bourré de talent. Tout ce que tu tentes te réussit, […] tu séduis qui tu veux. » (le père de Bryan à son fils homosexuel, op. cit., p. 412) ; « Il passa de plus en plus de temps devant son écran, se créant tout un univers de rêve. Il avait ainsi un père qui ne l’eut pas abandonné et une mère qui ne chercha pas tant à le contrôler en voulant trop le protéger. Son oncle n’hésiterait pas à lui offrir son corps et sa beauté, car Marcel adulait son oncle, homme séduisant toujours entouré de beaux mecs aussi attirants que lui. Il lui arriva souvent de se branler en rêvant à ce type au charme irrésistible qui dormait dans la chambre d’à côté, ou en train de lui faire l’amour. » (Marcel par rapport à son oncle Alain, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 19) ; « Ça doit être mon père qui m’a fait ainsi [= homosexuel] ! Il était trop beau lui aussi ! Comme un gamin-papillon, j’étais fasciné par sa beauté d’homme solitaire. Peut-être que je m’y suis brûlé les ailes ! Je devrais jeter toutes ces photos que j’ai de lui ! Cesser de penser que j’aurais hérité de lui cette attirance pour les garçons. Un désir refoulé qu’il m’aurait transmis en quelque sorte. Et tout cela, parce qu’il nous prodiguait, à moi et à mon petit frère, la tendresse de la mère perdue. » (Adrien parlant de son jeune amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

La découverte progressive que la vraie Beauté ne se possède pas (sinon, on La fait mourir et Elle pourrit dans nos coffres : n’oublions pas qu’Elle n’est belle qu’à la condition d’être vivante et libre !) engendre chez le héros homosexuel une auto-dévalorisation de soi, une comparaison excessive avec l’amant fantasmé pour ses atouts physiques, un désir de fusion frustrant et potentiellement obsédant, une suspicion croissante par rapport à la beauté plastique/à la vraie Beauté : « Mais pourquoi la Beauté n’est-elle pas contagieuse ? » (Helena dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Je sais qu’on peut tout pardonner, sauf la beauté et le talent. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt) ; « Beaucoup trop jolies pour être honnêtes. Beaucoup trop. » (cf. la chanson « Beaucoup trop jolies » de Véronique Rivière) ; « Tu réjouis mon œil et embellis mon âme. Je ne peux m’empêcher de te regarder. Tu me fascines. Tu es beau, tu es trop beau. Chaque détail de toi me chavire. On dirait que tu as été fait pour ça. Pour me séduire. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 211) ; « En plus, t’as toutes les qualités que je n’ai pas. […] T’es beau, t’es nature, t’es droit et fidèle. Tu dis toujours la vérité. Moi, je fais tout le contraire. » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 325) ; « Je voudrais être dans ton corps, je voudrais être toi ! […] T’es beau, je voudrais te ressembler mais aussi mieux te connaître, savoir qui tu es, ce que tu ressens, ce que tu penses, ce que tu aimes et ce que tu détestes… » (Bryan à Kévin, op. cit., pp. 330-331) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur des espérances du héros homosexuel, ce dernier dévalue à la fois la beauté et la Beauté : « J’ai misé trop haut sur l’échelle de la beauté. » (Zach, le héros homosexuel, après s’être pris un vent par Nate, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « La beauté se détraque. » (Charlène Duval lors de son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Le laboratoire du corps humain transforme toute la beauté du monde en dégoût. » (Jérémy Patinier, La Fesse cachée (2011), p. 98) ; « La Nature est injuste ! La Beauté est injuste ! Et bien le corps aussi ! » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Mais pourquoi toute ma vie ai-je été esclave de la beauté ? » (Jacques, le héros homo quinquagénaire, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « J’ai bien trop su salir le beau que tu mettais dans nos nous. » (c.f. la chanson « Comme ça » d’Eddy de Pretto) ; etc. Comme son attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession (prostitution ?), la beauté finit par laisser de marbre et par provoquer le dégoût : « Elle me répète qu’elle m’aime et je joue avec elle comme un petit animal effrayé. Ses baisers me donnent la nausée. La manière dont elle s’est jetée dans mon lit, dont elle s’est couchée contre moi, sans que je lui demande rien, me dégoûte. […] Son insouciance, sa beauté me répugnent. » (Heinrich en parlant de Madeleine, dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 65) ; « Il n’y a rien de plus monstrueux que la beauté d’une strip-teaseuse. » (l’Auteur dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Harold, l’un des héros homosexuels, crie sa douleur de ne pas être né aussi beau qu’il le voudrait, et sa vengeance contre la beauté des autres : « Il a une beauté naturelle peu naturelle. » (dit-il par rapport au beau gosse décérébré Tex) ; « La beauté est superficielle !… Et c’est éphémère. Si éphémère. » Il écorche, au passage, la beauté de son colocataire Michael, gay lui aussi : « Michael est le charme… désincarné. » Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Kyril, le dandy anarchiste efféminé, scande qu’il ne veut « plus de religion ! » et déclare la mort de l’art : « Merde à la beauté ! »

 

Dans l’esprit du héros homosexuel, la beauté est liée à la mort, s’annonce comme une catastrophe : cf. le roman El Amargo Don De La Belleza (1996) de Terenci Moix, le film « Fatal Beauty » (1987) de Tom Holland, le vidéo-clip de la chanson « Beau Malheur » d’Emmanuel Moire, le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson (avec le concours de beauté détruit par un violent orage en 1974), le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder (où la beauté est liée à la prostitution), la chanson « Beau » de Lou (parlant du suicide d’un homosexuel), etc. « Tu es tragiquement beau. » (Mike à « M. », dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 39) ; « Moi, le premier jour, je me suis dit : ‘Tiens, il est beau !’ Le lendemain aussi… Le troisième je te cherchais partout, et le quatrième tu me manquais déjà. Ensuite, tu m’as pourri la vie ! » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 112) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; « La beauté peut blesser aussi profondément qu’un glaive à deux tranchants. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 137) ; « La beauté est le début de la terreur. » (une réplique prononcée dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger) ; « Une figure admirable, c’est pire que tout. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « Rhabille-toi où je vais mourir. (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son jeune filleul nu, Jim, aussi homosexuel, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc.

 

Dans la chanson « L’Adorer » d’Étienne Daho, par exemple, il est question de « l’infidèle à la beauté assassine ». Dans la pièce Confessions d’un Vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Prétorius décrit le « visage beau et terrifiant » d’un inconnu qu’il a rencontré. Pendant le concert du groupe Indochine Météor Tour à Bercy le 16 septembre 2010, sont intercalées sur écrans géants des scènes de guerre avec des images de majorettes, de reine de beauté. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. »

 

La Beauté, comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! ») ferait mal : « N’avons-nous pas souvent été blessés par ceux qui ‘ne font que dire la vérité’ ? Les pensées véritables ne doivent pas toutes être dites. […] Nous ne devrions pas nous précipiter pour ouvrir grand les portes et autoriser la lumière à éclairer des lieux discrets. Car ceux qui ont vu les mystères cachés nous parlent de beauté, mais aussi de douleur. Et il est préférable que certaines choses demeurent invisibles, que certains mots ne soient pas prononcés. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 99-100) ; « Quand on se réveille, je propose que l’on retire nos bandeaux, mais Vianney trouve ça prématuré. Il geint ‘Pas cette fois, s’il-te-plaît…’ Avant qu’il ne parte, je lui raconte l’histoire de La Symphonie Pastorale de Gide. Vianney dit que c’est triste, cette fille aveugle à qui on fait croire que le monde est beau, et qui, quand elle recouvre la vue, s’aperçoit qu’on lui a menti. » (Mike racontant son « plan cul » avec un certain Vianney, un garçon laid qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 85-86) ; etc.

 

Dans beaucoup d’œuvres de fiction homo-érotiques, la beauté n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! C’est plutôt un handicap, un cadeau empoisonné qui assigne un sombre destin. « Il y a des moments, je voudrais être laid, ne plus séduire, ne plus être désiré. » (Malcolm dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « Vous devez fatiguer de vous faire dire que vous êtes beau. » (Amanda s’adressant au héros homosexuel Nelligan, dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; etc. Par exemple, dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, le personnage du Don Juan homosexuel, Vincent Garbo, est « irrémédiablement affligé d’une beauté plus proche d’une inhumaine perfection que de l’harmonie d’un beau dans la nature toujours composé de quelques baveux détails » (p. 39). La Beauté est considérée comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perd tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « La chasse d’eau, c’est mon éjaculation. Dès qu’un beau gosse me sort sa jolie queue molle et commence à la manipuler, je gicle. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 82) ; « Je suis devant lui. Je rêve. […] Il a du charme. Détermination. Cruauté. Tendresse. Tout est là. Je le reconnais. […] Il m’attire, il me domine. Je suis à lui. Il est le Roi. Le roi Hassan II. Il est beau. Je l’aime. Sans douter, je l’aime. On m’a appris à l’aimer. À dire son nom. À le crier. Il est beau. Il est important. Tellement beau, tellement important. » (Khalid, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 9) ; « Et s’il y avait de la divinité dans tout ça, c’était dans la beauté elle-même. C’était à la beauté même qu’il fallait rendre un culte. » (idem, p. 78) ; « Je t’ai vu descendre du ciel, un matin d’hiver. Je t’ai vu seul, sombre et silencieux. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 453) ; « Je tremble devant votre beauté et votre pouvoir. » (le Rat à la Reine, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Agnès me plaisait parce qu’elle était belle et que mon point faible, à moi, c’est la beauté des femmes. » (Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, pp. 222-223) ; « Et puis, il est si beau ! » (Adrien, excusant toutes les infidélités de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 45) ; « Putain, ce salaud, plus il est dégueulasse, plus il est beau. » (Doumé à propos de son amant Willie, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 157) ; « Quand la porte s’est ouverte, je suis resté planté devant elle comme une grosse merde. Elle portait une robe noire moulante et décolletée, qui faisait ressortir sa peau laiteuse, ses seins pareils à deux blocs de beurre frais. Aux pieds, elle avait des mules en soie noire, avec un liseré genre plumes d’autruche de la même couleur. Elle avait des ongles vernis eux aussi de la même couleur, enfin si on considère que le noir est une couleur, aussi bien ceux des mains que ceux des pieds, comme j’ai pu m’en rendre compte quand elle a négligemment fait glisser sa mule gauche pour caresser son mollet droit avec ses orteils. Sa tenue, ça faisait limite pute du quartier rouge à Amsterdam, sauf que sur elle c’était superclasse, je sais pas comment vous dire, elle était superbelle, et superflippante. Je m’assois sur le tabouret en ébène. Elle m’apporte un verre avec une substance un peu trouble dedans, genre sirop d’orgeat ou de gingembre, vous voyez ce que je veux dire ? Je lui demande ce que c’est. Elle me dit de deviner. Je goûte. Un machin indescriptible. Amer, mais avec une note de citron, de sucre, et un arrière-goût un peu fade aussi, limite farineux, sauf que la farine ça a pas de goût, alors je dirais limite lacté, mais plus comme du lait en poudre que comme du vrai lait. Je lui dis que je ne devine pas. Et alors là, véridique, elle me fait : ‘C’est un philtre d’amour.[…] les auréoles des seins qui pointent sous le tissu, qui ont l’air de vouloir le transpercer […] Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo. » (Yvon en parlant de Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 262-264) ; « Corinne, assise à ses pieds, observait Jason, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle. » (Corinne, op. cit., p. 83)

 

Dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), la beauté est considérée comme dangereuse, comme une occasion de tomber. Pawel Tarnowski, homosexuel continent, parlant de Goudron, l’écrivain plus âgé que lui et qui a tenté de le pervertir dans sa jeunesse, évoque la faiblesse de ce dernier pour sa beauté juvénile : « L’écrivain qui ne cherchait qu’une aventure amoureuse, ne l’aurait pas regardé deux fois s’il n’avait pas été séduisant. » (p. 173) Plus tard dans le roman, le Comte Smokrev, libertin et pédophile, ayant reconnu chez Pawel la même faiblesse homosexuelle pour la jeunesse qu’il éprouve lui-même, tente de le mettre à l’épreuve par rapport au jeune David, que Pawel a pris sous son aile : « Nous apprécions tous les deux… la beauté. [Il jeta un regard subtil à David de l’autre côté de la pièce.] Il représente un danger pour vous. » (Smokrev, p. 483)
 

On observe chez beaucoup de héros homosexuels vieillissants un mépris croissant pour la Beauté, et pour leurs pairs homosexuels plus jeunes et plus beaux qu’eux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe gay. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il fête la beauté de magazine en croyant honorer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets homosexuels : « Sans passer pour des imbéciles, ils n’étaient pas, pour la plupart, des intellectuels. […] Ils fréquentaient plus volontiers les salles de musculation que les salles de lecture. […] Ils ne différaient pas, en cela, de beaucoup de gays de leur âge. […] C’étaient tous de charmants égoïstes, comme on l’est à cet âge, et un peu plus encore quand on est beau et gay. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), pp. 134-140) Le héros homosexuel, tandis qu’il essaie de s’attirer les faveurs des petits jeunes qu’ils idéalisent dans l’angélisme, se venge de sa faiblesse sur la nouvelle jeunesse homosexuelle, en la qualifiant très fréquemment de « superficielle », d’« arrogante », de « lâche », de « naïve », d’« ingrate », d’« inexpérimentée », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

HAINE 2 Francis Bacon

Tableau « A Terrible Beauty » de Francis Bacon


 

La déception du héros homosexuel par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression.

 

On voit en effet le personnage homosexuel fictionnel perdre la boule uniquement parce qu’il ne se remet pas de la beauté qu’il contemple : « Tu es beau, calme, irrésistible, mais pas de doute : envahissant. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 210) ; « Il est même trop beau pour moi, moi qui n’ai jamais eu aucune assurance sur mon physique. » (Adrien en parlant de son amant Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 60) ; « Tu es beau, tu es trop beau, c’est inhumain ! » (Bryan à son copain Kévin, op. cit., p. 300) ; « Comment fais-tu ? T’es trop beau. T’es infernal. » (idem, p. 317) Le roman Le Pavillon d’or (1956) de Yukio Mishima raconte justement comment un moine, rendu fou par la perfection d’un temple, devient incendiaire : « Je voudrais tordre le cou à celui en qui j’ai cru si fort, celui en qui mes lectures savent bien que j’ai cru : le dieu du Beau. » (p. 73) ; etc. Dans la comédie Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, la beauté est réduite à un trophée diabolique (= le prince charmant) que l’ensemble des divas cherchent à posséder, se disputent, et finissent par détruire dans un emballement collectif incompréhensible : une fois qu’elles l’ont écartelé, elles regrettent amèrement d’avoir « tuer la Beauté même ». Dans la poésie Le Condamné à mort (1942), Jean Genet tient un double discours quant à la beauté : à la fois il l’adore (« La beauté, toujours je l’ai servie ! ») et il la hait (« Mutile la beauté ! »). Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se montre particulièrement impitoyable face à ses prétendants amoureux si seulement ils ont le malheur de ne pas correspondre à ses critères physiques.

 

Le héros homosexuel jalouse la Beauté et veut La violer : « Promettez-moi d’apprendre à salir la beauté, mon ami. » (Jacques s’adressant à son ex-amant Mathieu, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « J’ai remarqué qu’Antoine, il est beaucoup plus musclé que moi. […] Il est drôlement bien foutu. » (Julien parlant de son voisin de pupitre, le bel Antoine, dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « Cette perfection avec laquelle tu m’humilies… je me souviens avoir eu envie de te profaner, de te faire payer ta beauté. » (Denis à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Ô beauté, ô splendeur, bonté ! Puissé-je ne vous avoir jamais rencontrées !… Mon sort est de vous annihiler, je suis voué à votre destruction… Je vous ai en mon pouvoir, et je veux vous détruire. » (Claggart dans l’opéra Billy Budd (1951) de Benjamin Britten) ; « C’est le rêve de ta vie de te faire bien empaler, enculé efféminé, petite Reine de la Beauté du podium de ton quartier. » (Fifi d’adressant à Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Nous étions deux filles. Vous étiez la plus belle à l’orphelinat. Quand on nous passait en revue vous étiez toujours la préférée des parents d’adoption. » (Vicky à la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai été beaucoup plus belle que vous. » (idem) ; « Je ne sais pas quand, ni où, mais je sais que je te baiserai. J’en fais la promesse sur la tombe de ton pote. T’es trop beau ! Je n’y suis pour rien si tu me fais bander ! » (Laurent parlant à Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 459) ; etc. Dans le film « Nettoyage à sec » (1997) d’Anne Fontaine, par exemple, Jean-Marie se fait sodomiser par le beau et provoquant Loïc dans le sous-sol de son pressing, avant de lui coller le fer à repasser brûlant sur la figure et de le tuer en le jetant violemment par terre. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, est dessinatrice et détruit ses croquis et ses toiles.

 

Ce que le héros homosexuel reproche à la Beauté, c’est au fond le mal qu’il Lui fait en cherchant à la posséder pour lui seul, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’il mise sur Elle. « Nous avons été cruels et nous avons été splendides. » (Dorian Gray à son amant Basile, suite à la mort de Sybille qui s’est suicidée parce que Dorian l’a répudiée, dans la pièce Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, mis en scène par Imago en 2012) Par exemple, dans les fictions homo-érotiques, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques ou un mensonge identitaire : cf. le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec le sauna et sa magnifique déco gréco-latine), le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot (avec le personnage homo de Marcel, surfant sur des sites Internet homos, et mentant sur ses attributs physiques, pour draguer : il se décrit « comme étant beau, grand et découpé. » p. 19)

 

C’est parce qu’il atténue la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », que le héros homosexuel se met parfois à désirer le viol. Il lui arrive de trouver le diable beau : cf. la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec le dandy esthète homosexuel et cruel, le baron Lovejoy), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, le film « Dirty Love » (2009) de Michael Tringe, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat, etc. Par exemple, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, au moment où Mike, le narrateur homosexuel, apprend par son amant d’un soir qu’ils ont baisé sans capote alors que ce dernier lui avoue après-coup qu’en fait il est malade du Sida, que l’état de beauté est décrété : « Je trouve R. très beau, d’une beauté troublante. Toujours à quatre pattes dans la lumière tamisée de la chambre, sur la couette blanche, avec cette odeur de merde qui flotte dans l’air et dans le fond de nos bouches ce goût amer d’amour triste, comme s’il n’y avait plus que nous au monde. » (pp. 71-72)

 

Le protagoniste homosexuel sacralise le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable (cf. la chanson « Les Liens d’Éros » d’Étienne Daho) : « Nature du décès : j’me suis fait violer par trois beaux jeunes hommes. » (Lucienne dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Rien n’est plus émouvant qu’une belle femme qui souffre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 77) ; « Tu avais le visage dévasté par le chagrin. Que tu étais beau ! » (Bryan face à son amant Kévin en deuil pour lui, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 462) ; « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (le narrateur du roman Chambranle (2006) de Jacques Astruc, p. 97) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « ‘Maintenant, je suis Nelson. Je suis au milieu de la bataille de Trafalgar… J’ai reçu des balles dans les genoux !’ Pourtant, c’était réellement beau de souffrir. » (Stephen, l’héroïne lesbienne se mettant mentalement dans la peau d’un héros, dans le roman Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 32) ; « Hugues n’était vraiment pas mal, dans le genre austère. Mourad lui trouvait un petit quelque chose de Corto Maltese. Le côté baroudeur, pirate des mers du Sud. Il avait sûrement une belle cicatrice de guerrier quelque part. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 82) ; etc. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice », mais persiste à le trouver charmant : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau ! »

 

HAINE 3 Divine

Divine


 

Il est fréquent que le héros homosexuel s’identifie à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes : « Sa sœur cadette, la duchesse de Malaga, était réputée être la plus belle femme d’Espagne et avait fait tourner la tête à plusieurs couronnes jusqu’au moment où, à sa majorité, elle dût décider entre trois jeunes rois et qu’elle déclara tout simplement qu’elle entrait dans les Ordres. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 9) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par le personnage homosexuel : « À présent, les choses vont changer Alba. Je suis belle et je veux que ça se sache. » (Claudia à sa compagne Alba dans la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « Je m’imaginais une jeune fille très belle, très intelligente, très perverse. » (l’Auteur en parlant de l’héroïne qu’il a créée, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’étais Marlon Brando. Un vieil homme qui avait de la classe et de la cruauté. Un vieil homme irrésistible, généreux, impitoyable, sanguinaire. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168) ; « Le sourire éthéré dont s’auréola le visage de l’ange me fit soupçonner quelque chose de pas catholique. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 114) ; « Pour tirer par la queue le beau diable qui se débattait derrière moi » (idem, p. 116) ; « Il lui fallait se conforter dans l’idée décevante que les gens beaux […] sont généralement méchants. » (Corinne dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 79) ; « Le cynisme, c’est l’humour des gens qui sont beaux. » (Lourdes dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la beauté cristallise la violence de la jalousie : Dorian Gray, par sa beauté, inspire la « terreur » à Lord Henry ; et il est captif de sa propre image : « Je suis jaloux du portrait que tu as fait de moi ! » (Dorian à son amant-peintre Basile, idem)

 

Parfois, dans le discours du héros homosexuel, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment » : « Il [Mourad, un des deux personnages homosexuels] était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 415) ; « Mourad jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (idem, p. 83) ; « La lumière de la lune se suffisait à elle-même, et les éléments du décor se recomposaient harmonieusement, lui révélant, sans plus de raison ni avec moins d’évidence, que l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté. » (Jason, l’autre héros homo du même roman, p. 246) ; etc.

 

Le héros homosexuel se rend parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… mais il est quand même prêt à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « J’ai toujours été écœurée par le militarisme, et la tradition prussienne est ce qu’il y a de pire. Sa mécanique humaine est effrayante. Pourtant, ils sont beaux ces jeunes hommes dans leurs uniformes. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 49) Par exemple, dans le film « Un Héros très discret » (1995) de Jacques Audiard, le Capitaine plaque tout pour suivre un bel Américain : « Il s’appelle Marlon, il a 20 ans, il vient de Virginie, il est beau comme un char d’assaut. Il me fait découvrir le jazz et le charme violent des armées victorieuses. Ah, Albert, l’amour, l’amour ! »

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

Dans son désir de substitution à la Beauté, le héros homosexuel essaie de troquer la Beauté contre la laideur (comprendre, dans son esprit, « contre lui-même ») ou contre la cruauté. Pour cela, il use majoritairement de l’inversion. « Tout cela rappelait Malcolm et portait Adrien à chercher l’amour des Noirs. Il s’interrogeait souvent sur les raisons secrètes du désir de cette beauté-là. Un désir de puissance, de virilité ? D’inverser l’ordre de l’Histoire ? D’aimer l’absolument autre ? Peut-être tout cela à la fois. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), pp. 34-35) ; « Moi, je faisais la Belle et Dalida la Bête. » (la figure momifiée de Catherine Deneuve dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque) ; « Vos gueules, les moches ! […] Nous, les belles… » (Gwendoline, la lycéenne transgenre M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Excusez-moi, il faut que j’aille chier. Pardon… que je me repoudre le nez. » (la mère, autre personnage transgenre M to F, idem) ; « Avant, ça sentait le vomi. Maintenant, le vomi à la rose. » (Michael, l’un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc. En effet, il va très souvent présenter la Beauté comme laide, et le laideur comme belle. Et cette profession de foi artistique constitue, selon lui, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

Par exemple, dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, un Festival de la Laideur est inauguré. Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, la scatologie surgit au beau milieu de la soirée d’anniversaire très habillée. Dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot, le couturier homosexuel Saint Loup, passé maître des diaprures et du raffinement, offre pourtant une scène de diarrhée dantesque. La pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier s’affaire à détruire les archétypes de la beauté physique… pour en imposer d’autres tout aussi rigides ! : ceux des rondeurs, des différences anatomiques « rejetées », des complexes, de la laideur, etc. Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie, la diva-chanteuse de cabaret, censée être gracieuse, chante des chants grossiers (« Va chier !! »). Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand arrive en tutu sur scène alors qu’il est bien grassouillet. Dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque, la Schtroumpfette fait des films d’épouvante.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom : « Comme dans un conte de fées, l’ogre se transforma en un prince de légende […] dont on peinait à croire qu’il était issu de cet œuf pourri. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Queue du diable » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 117) ; « Les hauts murs du musée vomissaient massivement des chapelets de chairs marmoréennes, de musculeuses cuisses de facture classique, figées dans leur éternité. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir 2010, p. 107) ; « J’essaie même pas d’embellir. Tout est moche, de toutes façons. » (Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Pour apprécier la beauté, il faut connaître la laideur. » (Leevi, le héros homosexuel, dans le film « A Moment in the Reeds », « Entre les roseaux » (2019) de Mikko Makela) ; etc.

 

Le héros homosexuel célèbre le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges : cf. le film « Belle Salope » (2010) de Philippe Roger, la pièce Amour, gore et beauté (2009) de Marc Saez, la chanson « Ugly/Pretty » de Christine & the Queens, etc. « Pourtant, qu’il est beau d’être moche ! » (cf. la chanson « Jolie à tout prix » du concert Tirez sur la pianiste (2011) d’Anne Cadilhac) ; « Tu es très belle avec ton poncho qui sent l’âne. » (Océane Rose Marie à son amie Bérénice, dans son one-woman-show La Lesbienne invisible, 2009) ; « Ahmed tourne le regard vers la Seine et l’île de la Cité, avec la Cathédrale Notre-Dame. Il se demande s’il y a encore un Quasimodo qui y vit, prêt à tout par amour pour lui. Il s’imagine en un grand Tzigane ténébreux et sensuel, dansant sur le parvis, mais en pleurs parce que son beau Phébus l’a laissé pour épouser un autre garçon, Fleur-de-Lys, alors qu’il est lui-même poursuivi par Frollo, un prêtre déterminé à en faire son amant secret. Dans ses fantasmes, l’Algérien adapte sans gêne les grands classiques français à sa guise ! » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 52) ; « Quant à moi, rien ne me fait jouir de la chasse comme un beau pet tonitruant émis à contretemps, suivi d’un long étron qu’on largue en plein milieu du trou dans un clapotement vif éclaboussant les fesses d’un conspirateur heureux de sa délivrance. » (le personnage du « chiotte public », dans la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 86) ; « Dites non au bonheur, dites non à la beauté ! » (le héros travesti du one-man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Les créatures du dortoir, lasses que leur beauté fût un sinistre drame, vouèrent un culte à la laideur. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 53) ; « Vestale de la Beauté monstrueuse » (Warda dans le roman Hawa (2011) de Mohamed Leftah) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « J’observe la saleté de la gare de Florence, cette saleté que les gens laissent derrière eux, celle que les courants d’air transportent. Je respire les odeurs de friture, d’urine, de combustible mélangées. Je vois l’épaisse couche grise qui recouvre tout, qui finit par se déposer sur les peaux. […] Il est malsain, sans doute, ce goût pour la laideur ordinaire. » (Leo dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 21) ; « Il [Florencio] alla s’asseoir sur le bord du divan, luttant contre la nausée que l’odeur du vomi lui donnait. » (cf. la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 19) ; « Iris urinait contre une roue de la voiture pendant que Carina poudrait de poivre ses moustaches en bavardant avec elle. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 44) ; « Est-ce que tu vas t’arrêter ? Parler de sperme, franchement… Tu te crois dans un salon mondain, enfin ? » (Luc à son amant Jean, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Mimi chia, elle avait mal au ventre après toutes ces émotions. Les eunuques la parfumèrent d’encens. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978), p. 95) ; « Son visage et ses beaux cheveux blonds étaient couverts d’excréments. » (cf. la description de la « jolie » Truddy, dans la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 33) ; « Madame est bonne ! Madame nous adore. Elle nous aime comme ses fauteuils… comme son bidet, plutôt comme le siège en faïence rose de ses latrines. Et nous, nous ne pouvons pas nous aimer… la crasse n’aime pas la crasse. » (Solange et Claire dans la pièce Les Bonnes (1947) de Jean Genet) ; « Toi, Saïd, mon fils unique, tu épouses la plus laide femme du pays d’à côté et de tous les pays d’alentours […]. Mais surtout, tu n’aurais pas le courage de… la traiter en femme moche. Tu vas vers elle à contre-coeur : vomis sur elle. » (la mère s’adressant à son fils, dans la pièce Les Paravents (1966) de Jean Genet) ; etc.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même si le héros homo ne la conscientise pas ainsi, dit sa déception de lui-même et du monde, son refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin son plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre son propre attachement crispé à celle-ci. En effet, il considère qu’une personne belle physiquement ne peut pas être homosexuelles, même si parfois il lui arrive de rire de ce raccourci. « Attends, Sonia, elle peut pas être lesbienne. Elle est trop belle. Tous les garçons, ils craquent sur elle. » (Clara, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa meilleure amie Zoé qui lui annonce que Sonia est lesbienne dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) Beaucoup de personnages homosexuels, y compris dans l’opposition, nient et finalement cautionnent à leur intuition le lien qui existe entre homosexualité et laideur. Par exemple, l’humoriste Océane Rose-Marie, lors de son one-man-show La Lesbienne invisible (2009), part en guerre contre le « préjugé tenace » de la mocheté homosexuelle : « Je tiens à préciser que ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles. » Et en effet, ce n’est pas la laideur mais le sentiment de laideur qui semble, dans les fictions comme dans la réalité, moteur du désir homosexuel. Mais certains esprits homophobes le laissent croire, sans doute parce que cela correspond à une croyance et un ressenti intime du personnage homo. Par exemple, dans l’épisode 259 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 1er août 2018, le méchant Don Juan Raphaël dit à Sandrine, l’héroïne lesbienne, qu’il ne serait jamais sorti avec elle parce qu’elle serait « trop moche », et que c’est à cause de sa laideur qu’elle n’a pu s’offrir que des femmes à l’âge adulte.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La beauté plastique désincarnée, élue déesse innocente et toute-puissante de la communauté homosexuelle :

À force d’entendre le discours des personnes homosexuelles, on constate très vite qu’il y a chez elles un lourd antécédent entre Beauté et homosexualité. La Beauté est le lieu d’une blessure secrète… la blessure de l’idolâtrie : « La seule règle de vie qui semble légitime, c’est le souci de la beauté. » (Pierre Louÿs dans le documentaire « Pierre Louÿs : 1870-1925 » (2000) de Pierre Dumayet et de Robert Bober) ; « J’ai une théorie. Les Alexandre sont tous beaux. » (l’écrivain Ron l’Infirmier dans l’émission Homo Micro le 12 février 2007) ; « Nous aimons les belles choses. Et la majorité des homos aiment les belles choses. D’ailleurs, la mode est lancée par les homosexuels. » (Bernard et Antoine, en couple depuis 35 ans, mais avec infidélité consentie, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc. Sans doute aussi la blessure de l’inceste : « La beauté masculine dans ce qu’elle peut avoir de plus fin. » (Dominique Fernandez en parlant de son père qui l’a abandonné, dans la biographie Ramon (2008), p. 13)

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans insiste sur « l’attrait de la beauté angélique des éphèbes » (p. 346) chez beaucoup de personnes homosexuelles.

 

Par exemple, l’ancien ministre de la culture français, Jack Lang, est imité, non sans raison, par le comique Laurent Gerra comme un idolâtre de la beauté masculine (il répète sans arrêt : « Quel bel homme ! »).

 

Certains hommes homosexuels sont d’ailleurs connus pour être les incarnations vivantes de la beauté (cf. le code « Don Juan » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), et donnent aux homosexuels la réputation d’être des mecs plus beaux que la normale (exemple : James Dean, Marlon Brando, Ricky Martin, George Michael, Zakary Quinto, etc.)… contrairement aux femmes lesbiennes qui seraient soi-disant devenues « lesbiennes parce que trop moches ». Dans son one-woman-show La Lesbienne invisible (2008), l’humoriste Océane Rose-Marie joue justement à moquer et à s’insurger contre ce cliché fallacieux mais tenace sur les femmes lesbiennes : « Ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles ! »

 

Mais de quelle beauté/Beauté parle-t-on au juste ? Celle avec un petit « b » (la beauté visuelle, plastique, réifiée, esthétique, inconsciente, présentée comme immortelle, mais qui est figée et mortelle) ou celle avec un grand « B » (la Beauté intérieure, éternelle, libre, consciente d’Elle-même, résurrectionnelle, celle qui comprend et dépasse la mort, la vieillesse, la maladie, la haine) ? Il semblerait que l’individu homosexuel, globalement, les ait fait fusionner au profit de la « petite » beauté… même si, en intentions, c’est moins clair. En général, il choisit le camp de la beauté plastique et superficielle : « Dans sa jeunesse, ma tante est une belle jeune femme, très douce, très tendre et très élégante, de vieilles photos l’attestent. Allez savoir si ce n’est pas là que j’ai pris, très tôt, mon goût marqué pour les très belles femmes douces, charmantes, élégantes ? » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), pp. 19-20) ; « Moi. Petit. Adolescent des années 80. […] Je n’ai qu’une seule idée en tête. Une obsession. Une actrice égyptienne ; mythique, belle, plus belle que belle. Souad Hosni. Une réalité. Ma réalité. Je suis pressé d’aller dans mon autre vie, imaginaire, vraie, entrer en communion avec elle, chercher en elle mon âme inconnue. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 10)

 

Très souvent dans le discours des personnes homosexuelles, la Beauté est associée à l’innocence absolue, tellement absolue qu’Elle ne laisserait plus tellement de la place à la conscience, à la liberté humaine, et finalement au désir : « La vie est une orgie de beauté et d’expériences. » (José Pascual cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 147) ; « Tu aimais la beauté, Yves. » (Pierre Bergé s’adressant dans un hommage post-mortem à son amant Yves Saint-Laurent, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc. La « Beauté » serait inviolable, intouchable, à l’abri de la critique, toute-puissante, virginale, incapable d’être dénaturée par l’Homme. Elle serait la Présence céleste descendue Elle-même sur certains objets « artistiques » ! La grande majorité des membres de la communauté homosexuelle ne croient pas en l’Incarnation divine, mais plutôt en la Matérialisation divine. Au fond, ils n’aiment pas la Beauté réelle, quotidienne, incarnée, relationnelle, tachetée d’imperfections. Ils adulent la beauté plastique. Autrement dit, ils sont médusés devant la beauté comme ils le sont face à une œuvre d’art. Dans leur esprit, l’Éthique fusionne avec l’esthétique (ils pensent que ce qu’ils trouvent beau, ils l’aiment d’amour), l’Amour se confond avec l’art (… ou, ce qui revient au même, se dissocie totalement de l’art et de la Beauté). Ils ont tendance à ne pas lier la Beauté à l’Humanité incarnée, sexuée, réelle, libre dans son chemin vers la mort-vaincue-ensuite-par-la-Vie. Ils parlent plutôt d’une beauté aérienne, minérale, dévitalisée, inaccessible, fétichisée : « C’est tellement beau que ça en devient irréel. » (Francine en parlant de « ses » jumelles qu’elle aurait eues avec sa compagne Karen, le jour de la naissance à la maternité, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger) Le beau serait dans l’impossible, dans les airs. Par exemple, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, quand Jacques demande à Madeleine qu’est-ce qu’elle est en train de lire, elle lui répond : « C’est une pièce de théâtre. Un long monologue. C’est beau. Insaisissable. » (p. 265)

 

Tout en considérant la Beauté comme inviolable par les autres, certains individus homosexuels vont tenter de L’approcher, de La posséder, de La mettre en boîte ou sous verre, parce qu’ils se croient aussi divins qu’Elle : « Quel malheur que je ne sache ni dessiner ni sculpter. Autrement, je ferais volontiers ton portrait ou ton buste, pour éterniser ta beauté. » (Ernesto s’adressant à Nacho, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 257) Le goût de la beauté plastique les entraîne souvent vers le purisme, la maniaquerie, l’orgueil du Pygmalion (qui exploite et consomme son amant, qui se prend pour Dieu), la grâce mortelle des objets (un objet, c’est froid et inerte comme la mort, rappelons-le), et pour le coup, leur fanatisme possessif/fétichiste les détourne de la pureté, de l’Amour vrai, et du monde vivant. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il est étonnant de découvrir la beauté « objective » et clinquante des appartements de Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent… mais de constater qu’elle vidée de joie et d’âme car elle est purement narcissique et matérialiste.

 

Leur rapport passionnel à la beauté plastique est potentiellement violent et déshumanisé, car il possède de fortes accointances avec l’inceste (inceste avec un proche parent, ou même plus simplement avec une mère symbolique telle que l’actrice), avec le manque de chasteté et de distance par rapport à l’objet de désir. Dans leur discours, à chaque fois qu’il est question de Beauté, l’inceste ou le viol rôdent très souvent dans les parages ! « Tatoué comme une bête à l’abattoir, je revêtais désormais une beauté étrange et maladive dans le grand silence de mon secret […]» (Berthrand Nguyen Matoko évoquant le viol consenti qu’il vient de vivre, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 70)

 

Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on voit que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis.

 

Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte comment sa grand-mère, pour préserver les idéaux de beauté de son petit-fils, camoufle l’acte de prostitution qu’ils observent ensemble dans une rue par une supposée relation filiale « belle » entre un père et son fils : « Je crois que tu as menti, ce soir d’été. On est descendus sur la terrasse pour sentir la fraîcheur de la nuit et on a entendu une voiture s’arrêter. On s’est déplacés silencieusement pour espionner. On a vu le beau garçon, l’athlète qui faisait de délicats dessins de fleurs. Il faisait chaud. Il était presque nu dans la voiture. Sa peau brillait, recouverte d’une fine pellicule de sueur. Le conducteur de la voiture était un homme plus âgé, aux cheveux blancs. Ils se sont embrassés sur la bouche. Et tu m’as dit que c’était son père. » dit Alfredo à sa mamie ; ce à quoi elle lui répond : « C’est vrai, un père qui aime profondément son fils. » (p. 165)

 
 

b) À force d’être trop désincarnée dans l’idolâtrie, la Beauté apparaît décevante, voire monstrueuse et diabolique :

HAINE 4 Grimace

Photo par Shawn Shawhan


 

L’attachement excessif à la beauté plastique humaine entraîne fatalement chez certaines personnes homosexuelles une déception du Réel vivant, et une angoisse du temps qui passe : « Je pensais que l’amour protégeait du malheur. Que la beauté, la candeur, la jeunesse protégeaient de tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 237) ; « J’imaginais Lole couchée dans le petit lit, regardant le plafond et les murs où étaient accrochées les photos et les affiches de sa fille Clara, chanteuse folklorique argentine. Elle devait regretter la beauté de Clara, la beauté radieuse de ces photos. Elle devait serrer les poings pour retenir ses larmes. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 71) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. […] Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

La beauté physique n’étant pas à la hauteur de leurs espérances, elles dévaluent à la fois la beauté et la Beauté : « Un beau visage, c’est le commencement de la souffrance. » (Julien Green dans l’émission Apostrophe, sur la chaîne Antenne 2, le 20 mai 1983) ; « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), pp. 66-67) ; etc. Comme leur attrait pour les belles choses a un goût amer d’inceste ou de possession, la beauté finit par les laisser de marbre et par provoquer le dégoût. Dans leur esprit, la Beauté est liée à la mort, s’annonce sous la forme d’une catastrophe. Tout comme la Vérité (cf. « Y’a que la Vérité qui blesse ! »), Elle ferait mal.

 

Elle n’est pas présentée comme un atout, une valeur positive et humaine. Tout le contraire ! Elle serait plutôt un cadeau empoisonné, qui assigne un sombre destin : le destin de la star suicidaire. Beaucoup d’individus homosexuels La considèrent comme un danger mortel et diabolique, qui soumet et asservit à la fois celui qui La porte et son adulateur. Ce dernier perdrait tous ses moyens, ne semble avoir aucune résistance face à Elle : « Genet n’aime que l’apparence, ne se soumet qu’à l’apparence, laquelle est à la fois le Mal, l’Autre et la Beauté. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 122) ; « Je ne suis pas innocente. J’ai toujours succombé à la beauté. J’écris pour dire ce ravissement-là. » (la romancière Nina Bouraoui dans l’émission Culture et Dépendances, sur la chaîne France 3, le 9 juin 2004) ; « L’infernale beauté de Tarik Ramadan […] Sa beauté est infernale. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), pp. 10-11) ; « J’ai vu ses beaux yeux bleus, en effet, et j’ai fait comme tout le monde : j’ai oublié la démocratie. » (Philippe à propos du beau dictateur de Syrie, idem, p. 90) ; « Ce jour-là, une envie de meurtre flottait comme un parfum vénéneux chez Concha Bonita. Elle dormait tranquillement sans soupçonner combien ceux qui l’entouraient souhaitaient la voir disparaître à jamais. Ses cheveux dessinaient des arabesques sur l’oreiller argenté. Ses traits étaient parfaitement harmonieux. Elle avait victorieusement résisté aux années. Concha était belle comme un félin sauvage, sans âge, puissant, toujours prêt à bondir. » (Alfredo Arias en parlant de l’homme transsexuel M to F Concha Bonita, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 30) ; « Sa beauté me détruit. » (Christophe Honoré en évoquant Sébastien, un camarade de classe, dans son autobiographie Le Livre pour enfants (2005), p. 74) ; « Estelle avait un fils, Stéphane, né d’un premier mariage malheureux, et ce fils venait de partir à Paris où il voulait faire, disait-il, des études de théâtre. Il était beau et séduisant, avait la beauté du diable, ne laissait personne indifférent ; il suscitait tantôt un malaise immédiat, tantôt un vif intérêt. Il aimait et sentait la musique er les beaux-arts, il dessinait, il jouait de plus d’un instrument. Or, un jour de la même année 1983, Estelle, devant témoin, apprend, de la bouche même de son fils, avec les détails les plus crus, que ce fils, délibérément (il était hétéro), s’était engagé comme prostitué homo dans un ‘sauna’ à Paris. C’était par ‘perversion’, en un sens technique de ce mot, que Stéphane en personne employait en me parlant de lui-même. Celui qui se souille ainsi le fait pour souiller par là un monde hostile, pour défier la censure maternelle et, avant tout, pour châtier son père qui l’avait abandonné. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), p. 233) ; « Le dark coexiste avec la beauté d’une manière parfaite. » (le chanteur homosexuel Mika dans l’émission The Voice 5 sur la chaîne TF1 le 5 mars 2016) ; etc.

 

Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand est obsédé par le monde de la peinture, et c’est sa mère qui l’a initié à cette drogue : « On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. Nous étions en plein syndrome de Stendhal. Ivres de beauté. » (la voix-off de la maman) Mais curieusement, pendant tout le reportage, le passionné de peinture va se mettre en quête du motif de la monstruosité dans les œuvres picturales qu’il observe, au point d’en faire son sujet d’étude : il veut « un truc qui soit à la fois beau, à la fois pas beau ».
 

À l’intérieur même du « milieu homo » (et plus largement dans notre société, qui paradoxalement est obsédée par la beauté médiatique pour mieux délaisser et détruire les vrais Beautés des gens dits « ordinaires »), on observe un mépris croissant des individus homosexuels « âgés » pour leurs pairs plus jeunes et plus beaux, mépris qu’ils ont du mal à s’approprier tant par ailleurs ils connaissent leurs fantasmes de jeunesse et leur célébration du jeune éphèbe. Le jeunisme, étant un mouvement idolâtre (puisqu’il célèbre la beauté de magazine en croyant célébrer la vraie Beauté), s’accompagne bizarrement d’un mépris des petits minets, qualifiés très fréquemment de « superficiels », d’« arrogants », de « lâches », de « naïfs », d’« ingrats », d’« inexpérimentés », etc.

 
 

c) Une obsession/déception de la beauté plastique qui va jusqu’à la violence et la destruction :

La déception des personnes homosexuelles par rapport à la beauté s’accompagne en général d’un mouvement incontrôlé de destruction ou de viol, visant paradoxalement non pas à détruire la beauté mais à la restaurer/à la transformer en Beauté par la laideur et l’agression. Ce qu’on idolâtre, on veut le détruire, comme le montrent ces paroles de l’homme transsexuel Humberto Capelli, qui chante en théorie la beauté du sexe… pour mieux détruire concrètement le sien : « Le sexe est si beau, si frais, si merveilleux. » (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 251)

 

Par exemple, le one-woman-show transgenre Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, proposant un spectacle travesti détruisant la beauté féminine et masculine, est comme par hasard l’initiative et la création d’un groupe « artistique » qui a choisi de s’appeler « Embellie radicale ».
 

On voit même certaines personnes homosexuelles perdre la boule uniquement parce qu’elles ne se remettent pas de la beauté qu’elles contemplent : elles jalousent la Beauté et veulent La violer. Comme le souligne à juste raison Diane de Margerie à propos de l’écrivain japonais Yukio Mishima, « Chez lui, on trouve le désir de profaner et de tuer la beauté parce qu’elle est trop belle » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 21)

 

Ce qu’elles reprochent à la Beauté, c’est au fond le mal qu’elles Lui font en cherchant à La posséder pour elles seules, c’est l’espoir démesuré et égocentrique qu’elles misent sur Elle. Par exemple, quand le nom de la « Beauté » est applaudi, c’est généralement une diversion pour occulter de sombres pratiques (prostitution, « plans cul » d’un soir, luxure, consommation des corps, etc.) ou un mensonge identitaire.

 

C’est parce qu’elles atténuent la brutalité et la réalité du viol par l’esthétique, par la « Beauté », qu’elles se mettent parfois à désirer le viol. Par exemple, il leur arrive de trouver le diable beau.

 

Elles sacralisent le viol ou la souffrance en estampe magnifique, en beauté désirable : « Héba, la demi-sœur, est celle qui m’a le plus touché. Je pourrais même dire que, quelque part, je suis tombé amoureux d’elle. Dans une Égypte qui voile de plus en plus ses femmes, Héba était libre, avec sincérité et conviction. Elle était belle comme une star de cinéma, comme Mervat Amine, dont j’avais aimé tant de films, surtout les comédies romantiques. Elle fumait avec élégance et sans provocation. Elle était habillée en permanence en noir, ce qui donnait encore plus de charme à sa silhouette très allongée. […] Les hommes étaient subjugués, ils la mangeaient des yeux mais n’osaient pas lui manquer de respect. Elle passait, et tout le monde se posait cette question : Mais qui est cette femme ? C’était une star. Et pas que pour moi. C’était une femme-mystère avec un peu de tristesse dans les yeux. Un être exceptionnel autour duquel on pourrait construire un film, écrire un roman, un recueil de poésie. […] En présence d’une femme qui n’a rien oublié du passé et de ses blessures, qui n’a pas encore tourné la page et qui était dans cette douleur, devant nous, simple, sans manières artificielles. Digne. Belle. Belle. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 69-71) Par exemple, dans son roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), Marguerite Radclyffe Hall célèbre « la tristesse de toute beauté » (p. 251)

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles s’identifient à la femme cinématographique qui use de sa beauté comme d’une arme redoutable qui manipule les hommes, à celle par qui le scandale arrive : « Mes tantes paternelles étaient au nombre de trois. Elles étaient toutes les trois célibataires. […] Il semble que l’aînée, la plus belle, ait souffert d’une déception amoureuse et qu’elle ait dans son désespoir décidé de vivre recluse et d’entraîner ses frères et sœurs dans un même renoncement. Les femmes ont suivi. Les hommes se sont échappés. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 105) ; « Mon ami artiste avait esquissé l’aînée, la belle, celle qui avait provoqué le drame. » (idem, p. 112) La beauté fatale, en tant qu’instrument de vengeance et de pouvoir maléfique, est généralement enviée, désirée par la communauté LGBT. Parfois, dans la bouche de certaines personnes homosexuelles, l’adverbe « atrocement » ou « affreusement » est prononcé avec une telle jouissance frétillante qu’il pourrait être remplacé par « joliment ».

 

Même si elles se rendent parfois compte que la beauté plastique est le ressort classique employé par tout système totalitaire humain… elles sont quand même prêtes à mordre à cet hameçon facile comme si c’était du pain béni : « Cette année, les cadets de cinquième année étaient d’une particulière beauté. Au moment d’aller à la douche, quand nous étions tous forcés de nous déshabiller, la beauté de leur corps athlétique imposait un silence presque religieux. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 194)

 

L’obsession des personnes homosexuelles pour la beauté plastique, et donc pour un vernis kitsch dissimulant la mort, dévoile des pratiques et des viols qu’elles ont pu vivre. Par exemple, dans le documentaire « Beauty And Brains » (2010) de Catherine Donaldson, on nous montre que les concours de beauté sont une manière pour certaines personnes transgenres du Népal de camoufler/vaincre les viols et les abus qu’elles ont subis par le passé. Autre exemple : pendant le concert Météor Tour du groupe Indochine (à Paris Bercy, le 16 septembre 2010), des images de guerre sont intercalées à des documents d’archives sur les majorettes et les reines de beauté de la Seconde Guerre mondiale. Il existe une corrélation non-causale entre la glorification de la beauté plastique et les guerres : il est temps que nous nous en rendions compte !

 
 

d) Le mélange sacralisé du beau et du laid :

La soumission (inconsciemment devinée) à la beauté plastique, et au cortège de mauvaises actions qu’elle implique, est généralement illustrée/camouflée par un écran kitsch & camp, ces deux courants artistiques plaçant l’inversion destructrice sur un piédestal. En effet, de nombreux individus homosexuels vont présenter le beau comme laid, et le laid comme beau ; et cette profession de foi artistique constitue, selon eux, le summum de la Beauté (… et pour les lecteurs avertis que nous sommes appelés à être, elle est dans le fond le summum du déni du fantasme de viol, et parfois du viol réel).

 

HAINE 5 couple lesbien

 

Dans les œuvres homosexuelles, surtout celles écrites par des artistes homos dandys, ou par ceux qui se revendiquent héritiers du Marquis de Sade, le beau et le laid sont sans cesse mêlés : je vous renvoie par exemple au roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, à la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, etc. Dans le film « Salò O Le 120 Gionate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, on passe insensiblement du raffinement précieux (avec notamment le discours caressant des conteuses) à l’horreur totale (les scènes de torture).

 

Par exemple, dans la pièce Orphée (1926) de Jean Cocteau, la phrase que le cheval dicte à Orphée, c’est « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers et Orphée la trouve extraordinaire, magnifique… » Quand on décompose les initiales, ça fait « M.E.R.D.E.».

 

Dans le recueil de nouvelles Le Mariage de Bertrand (2010) d’Essobal Lenoir, on est proche du détournement de la naïveté des contes pour enfants. On a du « trash », de la scatologie, au beau milieu de la reconstitution d’un monde imaginaire pourtant très enfantin et poétisé. Par exemple, dans la nouvelle « La Carapace », on assiste à la description d’un gamin qui a du mal à faire caca, et qui a des délires scatologiques, mais cette poussée s’emballe en envolées lyriques, en délires scatologiques. Dans la nouvelle « Kleptophile » (2010) du même auteur, au rayon parfumerie d’un grand magasin, la description des produits cosmétiques est associée à la sueur, à la bestialité, au mensonge.

 

Dans la croyance de l’artiste homo bobo, le beau surgirait de la merde, la poésie déborderait des latrines et se trouverait au cœur des backroom. Par exemple, Sylvano Bussoti combine dans son univers l’extrême beauté (je rappelle qu’il est décorateur, dessinateur, illustrateur, calligraphe) et l’extrême laideur (il montre un goût prononcé pour la scatologie et le sadomasochisme). De même, le romancier Hervé Guibert a commencé sa carrière en écrivant des contes pour enfants… pour finir par des écrits extrêmement sombres, parfois scatologiques. Manuel Puig, quant à lui, oscille insensiblement du raffinement glamour au pipi caca, des paillettes à la laideur camp : « Dans les dorures et les diaprures, la scatologie fait irruption. On croit rêver, et l’on se réveille en se tenant les tripes. » (Albert Bensoussan dans son prologue au roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 3) Chez Jean Cocteau, le beau et le laid se côtoient aussi très souvent (cf. le film « La Belle et la Bête », 1945). Derek Jarman, le réalisateur britannique, se passionne à la fois pour le théâtre élisabéthain… et pour l’esthétique de Ken Russel, l’humour punk kitsch !

 

La haine de la Beauté vient paradoxalement du bourgeois esthète homosexuel : pensons aux contes d’horreur macabre sensationnaliste El Monstruo (1915), El Árbol Genealógico et El Caso Clínico d’Antonio de Hoyos. Ils sont nombreux, ces auteurs nés dans des milieux sociaux plutôt aisés (Paul Verlaine, Alexandre Delmar, Philippe Besson, etc.), qui dans leurs romans, se plaisent à placer leur personnage homosexuel dans des décors et des contextes sordides qu’ils n’ont jamais connus personnellement, pour donner plus de réalisme et d’impact à leur désir d’authentifier l’amour homosexuel.

 

Beaucoup d’individus homos célèbrent le très beau et le très moche comme le plus raffiné, le plus jubilatoire, le plus rare (et parfois le plus drôle) des mélanges. « Visconti pouvait aussi bien être distingué, élégant et aristocrate que tigre sauvage rugissant des insanités. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 279) Ils ont un amour du beau qui va jusqu’à l’affreux : « Le Camp n’a que des prétentions esthétiques. […] Le dernier mot du Camp : affreux à en être beau ! » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), pp. 442-450) ; « Je suis pas jolie. Mais je suis marrante. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla).

 

Tous les auteurs homos que je connais qui passent du raffinement esthétique à la merde, ou inversement, expriment la difficulté à habiter leur corps, à le considérer comme unique et beau. Ils adoptent un discours de grande bourgeoise libertine, de Sœur de la Perpétuelle Indulgence au milieu d’un sauna, mais ils n’assument pas tant que cela de parler à visage découvert. Ce sont des révolutionnaires trouillards.

 

L’inversion entre le beau et le laid, même s’ils ne la conscientisent pas ainsi, dit leur déception d’eux-mêmes et du monde, leur refus d’aller chercher la Beauté au-delà du paraître et des objets, et enfin leur plan de vengeance dirigé contre la beauté plastique et contre leur propre attachement crispé à celle-ci.

 
 

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Code n°89 – Homosexualité, vérité télévisuelle ? (sous-codes : Miroir d’homosexualité / Porno)

Homosexualité télévisuelle

Homosexualité, vérité télévisuelle ?

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Un désir homosexuel sérieux mais quand même essentiellement superficiel

 

TÉLÉVISUELLE Morandini

Sébastien et Milan dans l’émission de télé-réalité Qui veut épouser mon fils? de Jean-Marc Morandini (j’adore la réaction amusée des spectateurs du public derrière…)


 

L’homosexualité est-elle aussi indiscutable et « naturelle » que nos médias et les personnes gays friendly veulent bien le faire croire ? Aux vues des vecteurs de découverte ou d’expression ou de pratique du désir homosexuel – des vecteurs liés intimement au monde des objets et des images médiatiques -, non. Ce sont surtout les écrans de télé qui apprennent aux personnes homosexuelles leur homosexualité et qui à présent les forcent à l’outing, tout ça avec les meilleures intentions du monde. Ces écrans ne sont pas que supports ou outils d’un désir qui aurait déjà existé avant eux. Ce sont les hommes-objets, bien avant d’être des êtres de chair et de sang, qui ont été les messagers de l’homosexualité… ce qui suffit à discréditer en partie la croyance en la « vérité » ou la « nature » homosexuelle. Non pas que le désir homosexuel n’utilise pas les corps ou la Nature pour se former, se faire sentir et s’exprimer. Mais c’est dans un second temps. Avant l’action ou le désir, il y a eu la croyance aux images, à une rumeur, à des sentiments brodés par le cinéma. Il y a eu une idolâtrie et une sentimentalisation érotisante des images et des objets.

 

Le désir homosexuel, parfois profond, n’en est pas pour autant fondamental, car il surgit surtout de nos écrans télévisuels, Internet, cinématographiques, bien avant d’émaner d’une Incarnation réelle, positive, et bien avant de se lire/s’évaluer à travers le contact des corps.

 

Dès que le paraître prédomine sur l’être, nous pouvons être sûrs que le désir homosexuel n’est pas loin ! Les premières personnes homosexuelles connues ont souvent été médiatiques avant d’exister dans notre quotidien, et les premières personnes sur qui les sujets homosexuels ont flashé sont d’abord des acteurs ou des hommes-objets publics, comme si tout concourait à nous illustrer que l’homosexuel est un être majoritairement mythique, et que les personnes réelles qui cherchent à s’y identifier ont déjà commencé à quitter le Réel, sont en processus de réification.

 

Sacha, "le gay" tout désigné de l'émission Secret Story 8 (2014) sur TF1

Sacha, « le gay » tout désigné de l’émission Secret Story 8 (2014) sur TF1


 

Est-il pourtant si juste de dire que l’orientation homosexuelle est une mode due à la télé, sachant que des personnes homosexuelles ont existé avant la naissance du petit écran et du cinéma ? Bien sûr que non. Si la télé a assurément accéléré les choses et donné au désir homosexuel davantage de matière et de puissance, les interférences entre le monde fictionnel et la sexualité des individus réels restent à ranger du côté de la coïncidence et non de la causalité. On n’a peu de réponses sur l’origine précise de l’homosexualité. Mais la coïncidence de la modernité ultra-médiatisée est forte et à reconnaître ! Plus un peuple se réfugie dans le virtuel, la consommation et le matérialisme (et d’aucun savent que les objets sont asexués et utilisables quand même dans la luxure), plus il se dirige vers l’homosexualité.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ont cru apprendre leur désir homosexuel à travers la télé, une image de magazine, un témoignage médiatique qui a agi comme un déclencheur (de ce qui existait déjà ? Pas sûr…). Nous allons mener l’enquête et écouter les individus directement concernés.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Miroir », « Don Juan », « Télévore et Cinévore », « Amant modèle photographique », « Amant narcissique », « Tomber amoureux du leader de la classe ou d’un personnage de fiction », « Patrons de l’audiovisuel », « Moitié », « Pygmalion », « Poids des mots et des regards », « Poupées », « Bovarysme », Peinture », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Chevauche de la fiction sur la Réalité », « Substitut d’identité », « Musique comme instrument de torture », « Fan de feuilletons », et « Promotion ‘canapédé’ », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Chère télé, tu m’as fait homo ! :

Tableau Outside The Box de Chuck Gumpert

Tableau Outside The Box de Chuck Gumpert


 

Dans les fictions homo-érotiques, les stimuli du désir homosexuel que ressent le héros homosexuel sont presque toujours les images violentes ou déréalisées de la télévision, du cinéma, de la radio et des magazines qu’il a regardées ou entendues : « La Vérité dorénavant sort de la bouche de nos écrans. » (cf. la chanson « Déconnecter » du groupe L5) ; « On a fait une expo, vu deux films, et on a fini par coucher ensemble. » (Matthieu en parlant de son amant Jody, avec qui il trompe son copain actuel Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « J’ai été au cinéma, et d’un seul coup, je me suis dit que j’étais gay. » (Damien, le héros homo de la pièce Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois) ; « C’était toujours avec autant de vivacité que les images torrides de notre rencontre initiale me poursuivaient, aussi bien dans mes rêves, que pendant la journée, lorsque mon corps croisait […] le corps presque nu d’un mannequin plaqué sur une affiche de sous-vêtements, ou d’une eau de toilette. » (Éric, le héros homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 145) ; « Ben affirme avoir été attiré par les hommes plus âgés depuis qu’il a commencé à se branler devant des magazines – il avait douze ans et vivait à Colorado Springs. Il se rappelle qu’il rentrait de l’école à fond de train pour chercher dans le dernier Sports Ilustrated de son père une photo de Jim Palmer en caleçon, vision qui le mettait en transe. » (Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, pp. 22-23) ; « Il est loin le temps des câlins contre sa joue comme dans les pages de la Redoute ! » (le gode vibreur parlant, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Au moment où elle [Sheela] grimpait dans son car, elle se retourna pour me lancer un grand sourire. On aurait cru un mannequin dans une pub de shampoing. Les femmes s’éloignaient dans le lointain puis virevoltaient pour montrer leur visage au public. J’avais l’impression qu’il y avait du glamour dans ma vie. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, pp. 166-167) ; « C’est comme ça que j’ai fini avec un tatouage de Jean-Pierre Pernaud sur la jambe. » (Arnaud, le héros homo, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Moi, c’est par un coup de fil que tout à commencer. » (Rémi racontant sa rencontre amoureuse avec Damien, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; etc.

 

« Faire télévisuel », cela revient à « faire homosexuel ». Par exemple, dans le film « RTT » (2008) de Frédéric Berthe, le duo de policiers qui doit suivre les héros en filature avec une couverture discrète – choisit d’imiter les deux héros de la série Deux flics à Miami, mais dans leur version gay : « C’est fini, les couvertures ringardes : vous êtes un couple gay à Miami. » leur ordonne le chef de mission. Dans son concert Free : The One Woman Funky Show (2014), Shirley Souagnon rit de détenir en sa personne tous les critères qui font d’elle le prototype parfait de l’OVNI télévisuel qui va susciter l’intérêt médiatique : « Femme, homosexuelle et noire : ces trois personnes, c’est moi ! » Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Tom, le héros homosexuel, fait son « coming out » devant les caméras de télé venues le fimer chez lui à la campagne. Cindy, le prototype de la potiche hétérosexuelle servant de couverture médiatique à Tom, a joué pour les bienfaits de l’émission de télé-réalité voyeuriste Secret Story le rôle d’une lesbienne portant le secret suivant : « Je suis sortie avec une ancienne lesbienne bodybuildée et j’ai quatre orteils. » D’ailleurs, toute la pièce est bourrée de références publicitaires ou télévisuelles : à un moment, les personnages participent à un grand jeu de télé-réalité (Stars chez eux) où le principe, pour gagner de l’argent, c’est de sortir un maximum de noms de marques. À la fin, Louis, l’un des héros homo, dit à son futur amant Tom que s’il avait osé être un modèle télévisuel gay assumé, lui aurait eu plus de facilité à s’assumer homo quand il était ado. Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton, le héros homosexuel, dit à la vieille Olga que les couples gays sont les stars taillées pour faire partie des jeux télévisés débiles. Le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, les militants filment leur vie. Et même leur mort, ils l’exploitent pour écrire des communiqués de presse « engagés ».

 

La télévision est souvent choisie par le héros homosexuel comme support d’identification homosexuelle. Par exemple, dans le film « Charlotte dite ‘Charlie’ » (2003) de Caroline Huppert, Charlie part feuilleter le roman Carol de Patricia Highsmith à la librairie, écoute Macha Béranger à la radio, mate une scène érotique entre deux femmes à la télévision. Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Vincent se dit troublé et fasciné dans sa propre sexualité à cause du film « Le Secret de Brokeback Mountain » qu’il a vu la veille à la télé. Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Bertrand, le héros homosexuel, déclare sa flamme à Didier – à l’insu de de dernier, bien évidemment – dans l’émission Y’a que la Vérité qui est vraie (parodie du talk-show de TF1 Y’a que la vérité qui compte) pour nourrir son fantasme non-réciproque d’amour homo. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homo, se masturbe avec des photos d’hommes dans les magazines. Dans le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, c’est en regardant une revue pornographique chez les louveteaux que Steven découvre qu’il est homo. Dans le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, Jonathan, 18 ans, se masturbe devant des revues. Dans le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, Maurice demande à son jeune amant Roy où il a appris son homosexualité : Roy lui répond : « En regardant la télé. » Dans le one-man-show Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, le déclencheur de l’homosexualité d’Hervé est le catalogue de la Redoute. Dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, Martial adolescent se branlait devant Albator, le pirate balafré. Dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, James dit que son homosexualité a été révélée par le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant. Dans le film « Le Placard » (2000) de Francis Veber, l’homosexualité de François Pignon n’est réelle qu’à la télévision, au JT montrant les chars de Gay Pride. Dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch (2015), Fabien, le héros homosexuel, revient sur la genèse de son homosexualité : « Ça remonte à l’époque où je feuilletais les 3 Suisses de ma mère. » Plus tard, il déclare que la télé assigne l’homosexualité aux gens : « À la télé, tout le monde savait que Steevy Boulay était gay… sauf lui ! » Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Rachel, l’héroïne lesbienne, a loué un DVD pornographique lesbien intitulé « Georgie Bush » ; mais sa mère débarque, et sa fille est tétanisée à l’idée de voir son secret démasqué.

 

Le couple de futurs mariés Emily et Howard, dans le film "In & Out" de Frank Oz

Le couple de futurs mariés Emily et Howard, dans le film « In & Out » de Frank Oz


 

Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard Brackett apprend son insoupçonnée homosexualité de la bouche d’un de ses anciens élèves, Cameron Drake, qui l’a remercié en tant que « gay » (« Je dédie cet Oscar à ce super prof qui est gay. ») devant des millions de téléspectateurs en recevant l’Oscar du meilleur acteur pour un film où il a joué le rôle d’un homo. Les journalistes et les médias se saisissent de cet outing pour traquer Howard. Pour ce dernier, il y a bien eu un avant et un après Cérémonie des Oscars : « Avant les Oscars, c’était différent parce que vous n’étiez pas… » (Mike, un des élèves de Howard, craignant pour ses fesses, dans les vestiaires de la fac) Ensuite, Howard s’entend confirmer son homosexualité par la télé, dans les émissions et les Journaux Télévisés, et devient hystérique auprès d’Emily, sa prétendue future épouse, dès qu’il voit un présentateur-télé efféminé qui fait de l’aérobic dans le petit écran : « Éteins-moi ce mec !!! » La télévision – et surtout la rumeur qu’elle a colportée – semble avoir créé de toute pièce son homosexualité. Et d’ailleurs, notre prof de lettres finira en couple avec un journaliste de la télé, Peter Malloy, à qui il reprochera au départ d’« être le plus pur produit de la télévision. »

 

Les films pornos semblent avoir eu un impact important dans la découverte du désir homosexuel, comme le montrent des films tels que « Afrika » (1973) d’Alberto Cavallone, « Faut pas penser » (2014) de Raphaël Gressier et Sully Ledermann (avec la référence au film « Le Secret de Brokeback Mountain »), etc. « Nous commencerons par cet acteur pornographique. Ça commence toujours par là. » (Samuel Ganes dans son one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle, 2009) ; « Je me surpris à dérouler dans ma tête un film porno dont je ne faisais plus partie. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 26) ; etc. Par exemple, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella matte des films pornos lesbiens pour s’exciter, pendant que sa compagne Dotty est au lit avec elle. Dans le film « Le Faux-cul » (1975) de Roger Hanin, Hélène Duc est amatrice de revues pornos lesbiennes. Pendant le concert Météor Tour (2010) d’Indochine à Paris Bercy, la voix-off d’un enfant dit qu’il regarde des films pornos avec sa mère. Dans la pièce En panne d’excuses (2014) de Jonathan Dos Santos, au moment où Guillaume doit faire du bouche à bouche à son meilleur ami Louis qui s’asphyxie, il pense immédiatement à la pornographie homosexuelle : « Ça devient du porno gay, ton truc… On n’est pas des bêtes ! ». Dans la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, le narrateur homosexuel évoque avec nonchalance « qu’il y a du sexe dans son ordinateur ».

 

Film "Garçon stupide" de Lionel Baier

Film « Garçon stupide » de Lionel Baier


 

Beaucoup de héros homosexuels viennent d’ailleurs de la télé et y travaillent. « Y’a plein de bis [= bisexuels] dans les séries TV. Sauf que j’en suis pas. » (Lennon, le héros finalement bien homosexuel, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Romain, t’es un vrai cliché sur pattes. » (Romain Canard, le coiffeur homosexuel se parlant à lui-même, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; « J’ai le même truc que ce pédé de Rock Hudson. » (Ron, le héros hétérosexuel parlant du VIH, dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée) ; « Oh la la… Y’a vraiment beaucoup de pédés là-bas ! » (Laurent Violet se référant au monde de la télé, dans son one-man-show Faites-vous Violet, 2012) ; « Chez les pédés, c’est fréquent de tomber sur des mecs qui veulent être chanteur, acteur, mannequin. » (Matthieu, l’un des héros homos de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Avec toutes ces conneries, on a perdu beaucoup d’argent. On est passé à l’émission ‘Money Drop’ de Florence Boccolini, spéciale couples gays. » (Benjamin parlant de lui et de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Ruzy, l’un des héros homosexuel, est une star du football très médiatisée. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Jonathan fait figurant dans les films. Dans le film « I Love You Baby » (2001) d’Alfonso Albacete et David Menkes, Marcos, l’un des héros homo, joue des petits rôles dans des téléfilms série B. Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Max, le héros homosexuel, déclare qu’il est un « acteur amateur en fin de droit », et en désespoir de cause et de contrat, il se retrouve à accepter un casting avec Mumu, une amie lesbienne, qui se trouve être un casting d’un film porno où ils ont évidemment du mal à jouer les rôles que la voix-off du régisseur leur commande : « Qu’est-ce qu’il vous prend, Palmade et Moresmo ? On n’est pas sur un char ! » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca fait de la figuration pour la publicité. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, les amants François et Thomas se sont rencontrés en regardant ensemble un match de foot Paris-Guingamp à la télé.

 
 

b) L’homosexualité, une réalité venue du miroir ou de l’écran :

Le soupçon d’homosexualité a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. Je vous renvoie au film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Par exemple, dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François, le héros homosexuel se répète plusieurs fois de suite devant sa glace qu’il est homo. Dans le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, Sita, l’héroïne lesbienne, fait de même. Dans le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, Pierre devant la glace des sanitaires se dit à lui-même : « Jamais tu feras partie de la société, t’as pas de couilles, t’es qu’un déchet. » Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, les premières images montrent le héros bisexuel devant sa glace, en train de se maquiller et de révéler son homosexualité. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, la photo de Nathan et de Louis s’embrassant secrètement à une soirée de jeunes circule sur les réseaux sociaux : Nathan fait croire que c’était un jeu, pour faire mentir son acte.

 

Je vous renvoie bien évidemment au code « Miroir » dans mon Dictionnaire des Codes homos, pour compléter ce sous-chapitre.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

 

a) Chère télé, tu m’aurais fait homo !

À bien y regarder, les toutes premières personnes homosexuelles que nous avons connues sont toutes sorties de nos écrans. « De l’amour entre garçons, on n’en parlait jamais ou presque peu, par inadvertance en tout cas, et uniquement dans certains milieux, pour commenter tel ou tel événement lié à une star de cinéma ou de la chanson. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 60)

 

Et cela se confirme aujourd’hui avec les présentateurs-télé, les pubs, les images de Gay Pride, les personnages de séries ou les candidats de télé-réalité. « Dans la réalité, une mouvance gay s’exprime dans les médias d’une manière provocatrice qui me dérange et le tapage médiatique qui en résulte offre une vision unilatérale de l’homosexualité. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 132) ; « La télévision invente son personnage favori : le bon gay, que tout le monde adore. » (la voix-off du documentaire « Tellement gay ! Homosexualité et Pop Culture », « Out » (2014) de Maxime Donzel) ; « Il y a plein de personnages gays à la télé. » (Rich Juzwiak, idem) ; etc.

 

 

Par exemple, en 2009, 18 personnages sur 106 (à savoir 3%) dans les séries américaines sont homos. Et même les héros jadis hétérosexuels se mettent à faire leur coming out ou à s’offrir une petite fantaisie homo-bisexuelle coquine (cf. la sitcom Hélène et les garçons). Par exemple, dans la série Demain nous appartient diffusé en 2017 sur la chaîne TF1, l’homosexualité est vraiment mise à l’honneur, sans être non plus vraiment problématisée ni traitée. Beaucoup de personnages sont soit en couple (Sarah et Yasmine, Sandrine et Laurence), soit homos déclarés (Étienne, l’interne à l’hôpital de Sète), soit homos suspectés (Rachel).

 

 

L’homosexualité, concrètement, s’annonce comme un outil et un champ de propagande télévisuelle. En France, ceci est très clairement visible avec les deux mass médias Canal + et ARTE. Canal + (qui s’appelait initialement La Sept et que certains surnomment ironiquement « Anal + » tellement l’idéologie et la pratique bobo-bisexuelle y sont implantées) fut la seule chaîne de télé en France à proposer les premières Nuits Gay. La chaîne de télévision franco-allemande ARTE a une programmation particulièrement gay friendly et propose carrément en 2014 une plate-forme interactive « Easy Coming Out », pour aider le téléspectateur à faire son coming out ! Sa programmation est de plus en plus homosexuelle, à tel point qu’à côté de Pink TV, je vois à peine la différence… sauf par rapport à l’affichage explicite de l’homosexualité et à la censure du porno homo, mais à part ça, c’est presque pareil !

 

Dans les discours et témoignages de beaucoup de personnes homosexuelles, les stimuli du désir homosexuel qu’elles ressentent sont presque toujours les images violentes ou déréalisées de la télévision, du cinéma, de la radio et des magazines qu’elles ont regardées ou entendues. Par exemple, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati, Olivier dit que ce sont les catalogues de vente par correspondance de sa mère qui ont servi de révélateurs de son homosexualité. De son côté, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar nous parle également de « ces gars qui posent dans les pages ‘sous-vêtements masculins’ des catalogues de vente par correspondance » (p. 72) et qu’il avoue avoir regardé quand il était seul pendant son adolescence. Dans l’émission Bas les Masques (1992) de Mireille Dumas, Éric, homosexuel, affirme avoir maté étant jeune les revues du bureau de tabac de ses parents. Dans son autobiographie Suspiros De España (1993), Terenci Moix achète des revues de culturisme américaines dans un kiosque de las Ramblas de Barcelone ; il dit aussi sa fascination pour les péplums au cinéma, et les aventures orientales de John Hall dans « Les Mille et une nuits » (1942) de John Rawlins. Dans le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder, une des intervenantes lesbiennes, affirme que son homosexualité a trouvé corps grâce à son dictionnaire : il a suffi qu’elle voit le mot « homosexualité » nommé et acquérir un statut de nomenclature scientifique pour y croire pour elle. Dans son autobiographie  Mauvais Genre (2009), Paula Dumont dit que c’est en lisant le mot « homosexualité » dans Les Discours du Docteur O’Grady (1922) d’André Maurois, qu’à 14 ans, elle a reçu un électrochoc : « L’homosexualité existait, j’étais homosexuelle. » (p. 76) Le célèbre blogueur Julien Dachaud alias Newtiteuf révèle carrément qu’il a découvert son homosexualité au moment où il est « rentré sur Youtube » et à cause de ses vidéos (1’50).

 

« La première fois que j’ai entendu le mot homosexuel, c’était à la radio, j’avais quatorze ans, et j’écoutais la radio le soir tard, dans mon lit. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 64) ; « Ma découverte de la sexualité, c’est d’abord au travers de photos que je l’ai faite. Des photos pornographiques que mon père cachait dans un placard et sur lesquelles j’étais tombé par hasard. Ces photos montraient des couples en train de mimer l’acte sexuel à deux ou à plusieurs : c’est à cause de ces photos que j’ai découvert la masturbation, et pour moi la sexualité s’arrêtait à cela, car je n’ai pas reçu d’éducation sexuelle de mes parents. » (Philippe, homosexuel séropositif, dans son autobiographie L’enfer est à vos portes, 1991) ; « Mes frissons se cantonnent à la lecture de catalogues de vente par correspondance. Je contemple rêveusement les pages où les mannequins posent en sous-vêtements, admirant leurs torses et fixant leurs slips d’un regard interrogateur. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 20) ; « C’est sur Internet qu’Isaac a pu mettre un nom sur ce qu’il traversait. » (la voix-off parlant d’Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6) ; « Je me suis cherchée toute seule sur Internet… un psychologue. » (Jackie, homme M to F, idem) ; « Ouais : c’est Internet. » (Lucas Carreno, femme F to M, parlant de sa transidentité, pendant le débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; etc.

 

Le joli couple homosexuel médiatique/livresque a souvent été pris par les personnes homosexuelles pour le couple homo réel, pour une identité personnelle réelle, pour un amour réel : « Jack et Ennis sont comme tous les amants. » (Thomas Sotinel cité dans l’article « Le Secret de Brokeback Mountain : à l’ouest, un amour impossible » du journal Le Monde daté du 17 janvier 2006) ; « J’ai récemment tenu une conférence à Harvard sur la manière dont les films nous façonnent tout au long de notre enfance. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 33) ; « C’est par les livres que c’est venu. » (Luc, homme homosexuel cité dans l’essai L’Homosexualité dans tous ses états (2007) de Pierre Verdrager, p. 87) ; etc.

 

La scène d’un baiser cinématographique lesbien ou gay, ou la vue d’un coming out ou d’un « couple » homo à la télé, a pu agir comme un électrochoc dans l’esprit de beaucoup de gens. Par exemple, Susie Bright parle du baiser de Marlene Dietrich travestie en homme dans le film « Morroco » (1930) de Josef Von Sternberg comme un événement-clé dans la découverte de son homosexualité (cf. le documentaire « The Celluloïd Closet » (1995) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman). Dans son documentaire « Yang + Yin : Gender In Chinese Cinema » (1997), Stanley Kwan dit qu’il a éprouvé ses premiers émois sexuels devant les corps nus des films de Kung Fu (cf. l’essai L’Homosexualité au cinéma (2007) de Didier Roth-Bettoni, p. 663). Dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, Empar Pineda raconte qu’au cinéma « elle préférait se concentrer sur les protagonistes masculins des films, et qu’elle s’identifiait peu au rôle assigné à la femme, même si elle commençait à sentir de l’attirance pour elle. » (p. 164)

 

Il semble même que l’image télévisuelle ou cinématographique ait précédé (et créé) le sentiment homosexuel : « Avant même de savoir si j’étais gay, je me branlais devant les pubs de slips Calvin Klein. » (le chanteur homosexuel Jake Shears dans le documentaire « Sex’n’Pop, Part IV » (2004) de Christian Bettges) ; « Le rôle de Frank-N-Furter dans ‘The Rocky Horror’… J’étais obsédé par ce personnage. Sans le ‘Rocky Horror Picture Show’, je ne sais pas si j’aurais fait mon coming out aussi tôt. Je l’ai fait à 15 ans, un peu grâce à ce film. » (idem) ; « Au début, je me le cachais. Non, je ne suis pas comme ça, non, je ne suis pas comme ça. Et puis je me suis dis : quand j’étais petite, y’avait quand même ça, ça et ça… Je regardais les filles à la télé. » (Sophie, jeune femme lesbienne, dans l’émission Ça se discute, diffusée sur la chaîne France 2 le 18 février 2004) ; etc.

 

Moi-même, même si j’ai été attiré sexuellement à l’adolescence par les hommes avant de savoir ce que les mots « hétérosexualité » et « homosexualité » signifiaient, j’ai quand même été excité homosexuellement d’abord et avant tout avec des images télévisuelles (pas nécessairement érotiques ou pornos, d’ailleurs) et des photos de magazine.

 

Avec la télé et le cinéma, on oscille constamment deux questions : « Sont-ils moyen/vecteur d’homosexualité ? ou moteur/créateur d’homosexualité ? ». Et on n’aura jamais la réponse. C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf : on ne sait pas trop qui de l’écran et qui de la personne a commencé. Mais tout semble dire que c’est d’abord l’écran, ou plutôt une relation à l’écran que l’image qu’il diffuse a suscité par sa violence et son irréalité. Par exemple, à l’émission radiophonique Ce n’est que de l’Amour de RCN Nancy du 18 octobre 2011, Thibaut Fougères, gérant de Outplay, affirme que c’est à 15 ans, devant un film, qu’il a découvert son homosexualité : « Toutes personnes homosexuelles s’est identifiées dans un film gay ou lesbien. Moi, je me souviens, quand j’avais 14-15 ans, c’est en regardant un film gay que je me suis identifié, et que je me suis découvert, et que je me suis assumé. Le cinéma permet de faire son coming out. »

 

Le réalisateur brésilien Daniel Ribeiro raconte que c’est en regardant le film « Beautiful Thing » (1996) d’hettie McDonald que l’homosexualité a pris forme dans sa tête et dans son corps : « Il y a une quinzaine d’années, quand j’avais 16 ans, ce que je voulais voir c’était des personnages gays décrits de façon positive parce que ce qui m’intéressait au cinéma c’était de voir des personnages dans lesquels je pouvais me reconnaitre. L’exception étant ‘Beautiful Thing’, qui parvenait à montrer qu’être gay, c’était possible. » (Daniel Ribeiro, entretien réalisé le 23 juin 2014)

 

Dans son roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule raconte comment le fait qu’il regardait la télé et ne jouait pas au foot comme les jeunes de son âge (10 ans) a été vite identifié comme une preuve d’homosexualité par ses parents : « Et pis tu sais bien, il est un peu spécial Eddy, enfin pas spécial, un peu bizarre, lui ce qu’il aime c’est regarder tranquillement la télé. » (le père d’Eddy qui n’ose pas nommer explicitement sa suspicion d’homosexualité sur son fils, p. 32) Et à la même période, l’homosexualité télévisuelle lui a sauté dessus, l’a pris au dépourvu et, par l’intermédiaire de la rumeur et des regards des autres puis par son propre consentement personnel, est venue achever en lui son atavisme symbolique. « Sur l’autre chaîne il y avait un homosexuel qui participait à une émission de téléréalité. C’était un homme extraverti aux vêtements colorés, aux manières féminines, aux coiffures improbables pour des gens comme mes parents. L’idée même qu’un homme aille chez le coiffeur était mal perçue. […] Il les faisait beaucoup rire – toujours les rires – à chacune de ses prises de parole. ‘Ah ! Celui-là il fait du vélo sans selle. J’aimerais pas ramasser la savonnette à côté de lui. Lui, pédé ? Plutôt se faire enculer.’ L’humour qui à certains moments cédait la place au dégoût ‘Faut les pendre ces sales pédés, ou leur enfoncer une barre de fer dans le cul.’ C’est à ce moment, au moment où ils faisaient des commentaires sur l’homosexuel de la télévision, que je suis rentré au collège. Il s’appelait Steevy. Mon père s’est tourné vers moi, il m’a interpellé ‘Alors Steevy, ça va, c’était bien l’école ?’ Titi et Dédé se sont esclaffés, un véritable fou rire […] : ‘Steevy, oui c’est vrai que maintenant que tu le dis, ton fils a un peu les mêmes manières quand il parle.’ L’impossibilité, encore, de pleurer. J’ai souri et je me suis précipité dans ma chambre. » (idem, pp. 116-117) Plus tard, Eddy entretient avec les modèles pornographiques hypersexués qu’il a vus un rapport idolâtre de peur/fascination qui le conduit à reproduire concrètement avec ses cousins certaines scènes dans un hangar : « En rentrant chez moi je pleurais, déchiré entre le désir qu’avaient fait naître en moi les garçons et le dégoût de moi-même, de mon corps désirant. […] Mon cousin a demandé ‘On pourrait faire comme dans le film, les mêmes trucs.’ […] C’était le début d’une longue série d’après-midi où nous nous réunissions pour reproduire les scènes du film et bientôt les scènes de nouveaux films vus entre-temps. » (pp. 150-154)

 

Est-ce un hasard si l’année du procès d’Oscar Wilde (= 1895) correspond à l’année de l’invention du cinéma ? Je ne crois pas. Je vous renvoie également au code « Télévore et Cinévore » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Par exemple, dans le documentaire « Looking For Gay Bollywood » (2012) de Nasha Gagnebin se penche sur la représentation de l’homosexualité dans le cinéma indien.

 

TÉLÉVISUELLE Croquis

 

Je ne compte plus, dans mon entourage homosexuel, le nombre de personnes ayant découvert leur homosexualité (ou craint d’être homosexuelles) rien qu’à cause du porno ou d’une émission de télé avec une personne qui se présentait/était présentée (comme 100% homosexuelle). « J’ai été baigné très tôt dans la pornographie et continue encore à me masturber tous les jours. Dans les scènes pornos, la réalité est différente de ce qu’on nous voit dans la réalité car il n’y a pas de douceur. C’est sauvage. J’ai essayé d’arrêter le porno et la masturbation, pensant que ça m’aiderait à obtenir de la masculinité mais je n’ai pas pu tenir plus de 2 mois. » (cf. le mail de Pierre-Adrien, 30 ans, reçu le juin 2014) Un jour, un jeune homme de 20 ans est venu me voir à la fin d’une messe, à Paris, pour me présenter sa fiancée, pour me féliciter pour mes livres, et pour me dire ensuite en privé qu’il s’était posé sérieusement la question de l’homosexualité suite au visionnage de scènes pornographiques sur Internet, avant de comprendre que c’était une fièvre d’adolescence due à la découverte de la puissance de la jouissance génitale (il ne m’a pas fourni la conclusion exactement en ces termes, bien sûr, mais c’est comme ça que je l’interprète). Et il m’a également révélé que lorsqu’il avait osé parler de ses troubles à ses meilleurs potes, ces derniers, à sa grande surprise, lui avaient répondu : « Ben nous aussi, on s’est posé la question ! » Il ne faut donc pas que nous sous-estimions le fort pouvoir identificatoire homo-érotique que le porno exerce, y compris quand il s’annonce comme hétérosexuel. L’homosexualité, sans pour autant être réductible à une mode, est en grande partie un symptôme d’époque, et d’époque matérialiste, consumériste, médiatique. Beaucoup de garçons et de jeunes hommes regardent du porno depuis les années 1990 (et surtout depuis qu’il est en libre service). C’est quand même la deuxième industrie mondiale la plus juteuse (c’est le cas de le dire…). Le traitement dégradant des femmes, les images flatteuses de l’hypermasculinité, la vue de personnes de notre propre sexe en pleine action et en plein orgasme, encourage forcément à la masturbation et aux questionnements identitaires homo-bisexuels. Même si le désir homosexuel n’a pas attendu l’existence du porno pour être ressenti, on peut quand même dire qu’il est décuplé par la démocratisation de cet instrument de débauche qu’est le porno.

 

« J’ai demandé au ciel de me dire pourquoi je suis là ? Qui j’étais ? Et quelques jours plus tard, on dit que le hasard n’existe pas, je regardais la télé le soir en zappant les chaînes, je vois un film érotique chouette et je vois un homme de dos, et l’autre personne je la voyais pas et après je me rends compte que ce sont deux homosexuels. Je n’avais jamais vu d’homosexuel en chair et en os et de les voir en plus en plein acte de violence. J’ai eu comme un coup de poignard, une monté de colère, un viol de mon être, une déchirure, je savais ce que c’était des pédés mais le voir physiquement a été comme un choc, comme une balle en pleine tête et à partir de ce moment-là ma vie est devenue un enfer, car je suis quelqu’un de craintif, et le moindre problème qui surgit faut que je tente de le résoudre sinon je peux paniquer très vite et là je me remémore ces images sans cesse. À m’en faire gerber et presser ma tête et ma poitrine continuellement comme dans un étau. Je me suis dit : ‘T’es un homme et eux aussi donc tu peux faire cet acte aussi’ et que je ne pouvais imaginer qu’un homme puisse descendre aussi bas dans l’instinct animal malsain. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014)

 

Thomas et son amant dans la série Poubelle la vie... pardon, Plus belle la vie

Thomas et son amant dans la série Poubelle la vie… pardon, Plus belle la vie (France 3)


 

TÉLÉVISUELLE plus belle itv

 

Parfois, plutôt que de défendre franchement le mythe de l’identité homosexuelle ou de l’amour homo, c’est la mythification du mot « homophobie » que la télévision construit, (ou encore la politisation de l’identité homosexuelle, et toutes ses branches de fausses réalités : « l’homoparentalité » en première ligne). « Dans les médias, où l’on est tellement friand de spectacle, c’est-à-dire de peur et fascination mêlées d’une pointe de transgression, les animateurs raffolent de l’‘homoparentalité’. Leur fascination est comparable à celle que chacun peut éprouver face aux grands escrocs ou aux grands fauves. » (Jean-Pierre Winter, Homoparenté (2010), p. 201) Par exemple, dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2002) de Moisés Kaufman, la ville de Laramie (Wyoming, USA) est assaillie par les journalistes en quête de sensationnalisme médiatico-morbide autour de la mort du jeune homosexuel Matthew Shepard : « Les médias ont poussé les gens à s’intéresser à cette histoire. » souligne un riverain.

 
 

b) L’homosexualité, une réalité venue du miroir ou de l’écran :

Il n’y a qu’à regarder le nombre de miroirs de notre existence (les tables de lycée, les plexiglas des métros, les graffitis aux toilettes publiques, etc.) où sont gravés les mots « PD » ou « enculé » pour découvrir que l’homosexualité est une vérité avant tout spéculaire.

 

Par exemple, dans l’émission Jour après Jour (2000) présentée par Jean-Luc Delarue sur France 2, Jérôme affirme qu’il a été obligé de répéter plusieurs fois à son propre reflet dans le miroir qu’il était homo pour assumer une homosexualité qu’il ressentait comme monstrueuse.

 

« Je me regarde dans la glace et je contemple mon visage. […] Je me dis à voix haute que je suis homosexuel ! Je me le répète deux, trois, quatre fois. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 119)

 

L’affirmation future de l’homosexualité, martelée comme un slogan, a parfois suivi le chemin inverse du déni quelques années auparavant : « Je me disais ‘Je suis peut-être homosexuel mais je ne ressemble pas à ça, je ne suis pas homosexuel comme ça’. […] J’inaugure ainsi un journal intime qui perdurera des décennies. Il faut d’abord que je me protège. J’écris donc une espèce de préambule dans lequel j’inscris plus de cent fois : ‘Je ne suis pas homosexuel. » (Jean Le Bitoux à 18 ans, Citoyen de seconde zone (2003), pp. 48-56)

 

L’Homme qui se prend pour « l’homosexuel », et que nous appelons dans le langage usuel « l’homosexuel », est une vue de l’esprit concrétisée, un mirage indéniable né d’une volonté de fusion impossible entre l’Homme et ses projections désirantes (télévisuelles). Les personnes homosexuelles sont constamment en travaux d’être « homosexuelles ». C’est sûrement ce qui fait dire à Ron dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear : « Je ne connais pas un mec qui soit entièrement gay ». Seul un certain désir peut être qualifié d’homosexuel. Pas une personne.

 

TÉLÉVISUELLE Génération Steevy

 

Au fond, beaucoup de personnes homosexuelles regrettent d’être simplement considérées par les autres comme l’incarnation vivante du mythique « homosexuel », de ne pas être reconnues dans leur globalité humaine. La première phrase du film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » (1998) de Tommy O’Haver l’illustre bien : « La plupart du temps, ce qu’on voit en moi, c’est l’homosexuel. » La seule chose qui réunit les personnes homosexuelles entre elles n’est pas réelle. Elles la nomment « discrimination », « homophobie », « destin », « sentiments », « pulsions », « identité homosexuelle », « sensibilité pour l’art », « différence », etc. Elle ne peut être qu’une essence artificielle quand elle obéit prioritairement à l’impalpable et aux modes. Il était « chic » d’être homo à Oxford dans les années 1920 ; il est « branché » d’être homosexuel en 2007. « L’homosexualité est par essence une construction de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ; en tant que telle, elle est autant un signe de modernité que l’atonalisme en musique, que le cubisme en peinture, ou que le monologue intérieur dans le roman. » (Humphrey Carpenter, The Brideshead Generation : Evelyn Waugh And His Generation (1989), p. 81). Elle ne se réduit évidemment pas qu’à une mode ou d’influence télévisuelle, sinon, les personnes qui ont ressenti un désir homosexuel à des époques qui ont pré-existé à l’invention de la télévision et d’Internet n’existeraient pas ; mais elle est aussi cela. Aujourd’hui, l’espèce homosexuelle s’étale dans les publicités, investit les sitcoms et les films, existe beaucoup plus grâce aux médias qu’en elle-même.

 

La raison principale qui donne à penser que les personnes homosexuelles sont des réalités fantasmées, c’est le vecteur qui leur a appris qu’elles pouvaient être l’incarnation vivante de « l’homosexuel » : quand on leur demande comment elles ont pris connaissance de leur homosexualité, elles répondent presque unanimement que les déclencheurs ont été les photographies, les sculptures, les livres, les magazines, les catalogues de vente par correspondance de maman, les films X, les programmes TV, les sites Internet, etc. Certaines disent explicitement que c’est en regardant la télé et une certaine catégorie d’images, c’est-à-dire des images violentes, pornographiques, ou bien déconnectée de la Réalité, que leur désir homosexuel s’est révélé. Après, bien sûr, elles ont été touchées par un proche en particulier, un camarade de classe, un professeur, une personnalité charismatique. Mais le fait que l’homosexualité ne soit pas prioritairement le fruit d’une rencontre réelle avec une personne de chair et de sang, est très significatif de la nature même du désir homosexuel : l’image déréalisante a presque toujours précédé la conscience de l’homosexualité. Plus des individus cherchent à devenir « l’homosexuel » (ou « l’hétérosexuel »), plus ils rentrent dans le monde de l’image déréalisante. À ce propos, il n’est pas étonnant que beaucoup de personnes homosexuelles investissent davantage l’univers de l’audiovisuel que de la réalité. Celles qui ne font pas partie des milieux artistiques à proprement parler s’arrangent pour se laisser happer par les images d’une autre manière, à travers leurs loisirs et leurs passions (la bande dessinée, les jeux vidéo, la photo, la musique, la poésie, la peinture, la mode, etc.).

 
 

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Code n°108 – Lune

Lune

Lune

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Étant donné que le désir homosexuel a rejeté la différence des sexes, il n’est pas ancré véritablement, durablement et sereinement dans le Réel. Pas étonnant, pour le coup, qu’il transporte jusqu’à la lune les individus qui s’y adonnent. Beaucoup de personnes homosexuelles confirment leur réputation de Jean de la Lune. Les titres de leurs ouvrages sont des signatures (cf. le roman Pierrot la Lune de Pierre Gripari, le film « Claire Of The Moon » de Nicole Conn, le film « Danny In The Sky » de Dennis Langlois, etc.). La lune, l’astre androgynique par excellence, comme l’explique Paul Rey dans son essai Le Désir (1999), symbolise le fantasme de changer de sexe, de devenir Dieu ou irréel.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Se prendre pour Dieu », « Fleurs », « Super-héros », « Funambulisme et Somnambulisme », « Sommeil », « Moitié », « Mère possessive », « Matricide », « Violeur homosexuel », « Voyage », « Vierge », « Ennemi de la Nature », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « « Plus que naturel » », et « Planeur » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

Film "La Fureur de vivre" de Nicholas Ray

Film « La Fureur de vivre » de Nicholas Ray


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, la lune est vraiment un leitmotiv : cf. le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock, le poème « Romance De La Luna, Luna » de Federico García Lorca, l’album Cendres de Lune de Mylène Farmer, le film « Full Moon In New York » (1989) de Stanley Kwan, la nouvelle « Comme la lune » (2000) de Daniel Meynard, le film « Les Serpents de la lune des pirates » (1973) de Jean-Louis Jorge, le roman Pierrot la Lune (1963) de Pierre Gripari, le roman La Lune noire d’Orion (1980) de Francis Berthelot, le roman Maybe The Moon (1999) d’Armistead Maupin, le film « La Face cachée de la lune » (2003) de Robert Lepage, le roman The Hidden Side Of The Moon (1987) de Joanna Russ, la chanson « Line » de Nicolas Bacchus, le film « Claire Of The Moon » (1992) de Nicole Conn, la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux (centré sur la vie de Louis II de Bavière, homosexuel notoire), le film « ¡ Cariño, He Enviado Los Hombres A La Luna ! » (1998) de Marta Balletbo-Coll, le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 jours de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, la nouvelle El Marqués De Sebregondi Llega Y Retrocede (1988) d’Osvaldo Lamborghini, la série Dante’s Cove (saison 2, 2006, avec Grace, la femme vouée à la lune), le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, la pièce L’Autre monde, ou les états et empires de la lune (vers 1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, la chanson « Dans la lune » de Zazie, le recueil de poèmes Los Adoradores De Luna (1976) de Jaime Manrique Ardila, le roman Latin Moon In Manhattan (1990) de Jaime Manrique Ardila, la chanson « The Naked Moon » du film « Le Signe de la Croix » (1932) de Cecil B. DeMille, le film « Dangerous Moonlight » (1941) de Brian Desmond Hurst, le film « Over The Moon » (1937) de Thornton Freeland, le film « Waiting For The Moon » (1987) de Jill Godmilow, le film « Moon 44 » (1990) de Roland Emmerich, le film « Poisson Lune » (1999) de Jose Alvaro Morais, la chanson « Le Soleil a rendez-vous avec la Lune » de Charles Trénet, le film « Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune ? » (2000) de Chris Vander Stappen, la chanson « Les Pieds dans la lune » des Valentins, le film d’animation « Le Baiser de la Lune » (2010) de Sébastien Watel (racontant l’histoire d’amour entre Félix, un poisson-chat, et Léon, un poisson-lune), le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec la lune filmée pendant quelques secondes, et que George, le héros homosexuel, regarde), le film « Il y a des jours… et des lunes » (1989) de Claude Lelouch (avec Francis Huster, prêtre en couple avec un antiquaire), le morceau « Clair de Lune » d’Érik Satie, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Moon Island), la pièce Scène d’été pour jeunes gens en maillot (2012) de Christophe et Stéphane Botti, le film « Plan B » (2010) de Marco Berger (où Bruno conte fleurette à Pablo en lui récitant un poème sur la lune), le film « Mille et une lunes » (2008) de Lyonel Kouro, le roman The Moon Is A Harsh Mistress (Révolte sur la Lune, 1966) de Robert A. Heinlein, le film « Reaching For The Moon » (2013) de Bruno Barreto, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, la chanson « Love Song » de Mylène Farmer, etc.

 

Film "Mille et une lunes" de Lyonel Kouro

Film « Mille et une lunes » de Lyonel Kouro


 

Le satellite le plus connu de la Terre symbolise en général l’éloignement du réel, ou plus gravement la folie, la perte de conscience, la captation de la raison par la pulsion désirante : « Tu étais dans la lune, Vicomte ? » (Antonin lisant les Liaisons dangereuses à son copain Hubert, dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan) ; « Depuis quelques temps, tu es toujours dans la lune mais tu penses à rien ! » (la mère de Bryan détectant inconsciemment une homosexualité chez son fils, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 8) Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano « vit dans la lune » (p. 30). Lune : Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, la mère de Nicolas (le héros homosexuel), n’arrête pas de dire à son fils qu’il est dans la lune. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, lorsque Adèle s’homosexualise, elle perd tellement pied avec le réel que sa mère, à table, lui fait gentiment remarquer qu’elle est dans la lune : « Dans la lune, Adèle… » Dans la pièce Lacernaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt, la lune est la voix de la conscience occultée par les deux criminels : « Un jour, tu nous feras repeindre la lune avec du crottin. » ; « Ça ne sera que la seconde couche. » lui répond cyniquement Lacenaire.

 

La lune apparaît comme un innocent motif esthétique : « Sur chaque tableau, Muriel Gold, dans des décors exotiques où trônait cependant toujours la même pleine lune. » (Jean-Marc, décrivant les tableaux de la lesbienne Catherine S. Burroughs, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 214) ; « Rakä et moi, profitant de la lune déjà haute dans le ciel, nous nous aventurions dans les plus hauts étages de la Cité dont la silencieuse et fraîche pénombre argentée nous intriguait. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi) ; « Au clair de lune, on voit les rats partout envahir la cité. » (le chœur des voisines dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Vois dans le ciel : la lun’ se lève ! » (Raulito à son amant Cachafaz, idem) ; « Ce soir, nous allons dîner au clair de lune, je vous réciterai les vers de Lorca. » (Cyrille, le héros homo s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « La lune m’a dit ‘J’adore !’ » (c.f. la chanson « Intersidérale » de Bilal Hassani) ; etc. Par exemple, dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Thor, le colocataire de Smith (le héros homosexuel) est « con comme la lune ».

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Mais en général, elle a une connotation narcissique, amoureuse, homosexuelle et incestueuse : « Lune, avec la mère enfin baisée… » (Allen Ginsberg dans son poème « Howl », 1956) ; « Elle attend que nous allions la séduire. » (Dorian Gray à propos de la lune, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « La lune et moi, on est pareil ! » (Mongola dans le spectacle comique À l’Olympia déjà ! (1992) d’Élie Kakou) ; « Tu crois que c’est toi, les étoiles ? Et moi, la lune ? J’avais cru que tu étais la lune. Moi aussi, j’ai été absente, tu sais. J’ai l’impression d’avoir été absente pendant tout ce temps. » (Esti à son amante Ronit dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 139) ; « La lune, son amie » (Cyrano dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Ton père avait, entre parenthèses, une tête de lune. » (la mère de Doña Rita dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « La lune me caresse le visage si je lui demande. » (Nathan dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez) ; « Et maintenant, la lune, énorme, se levait dans le ciel ; puis elle sembla s’immobiliser et regarder Stephen [l’héroïne lesbienne] fixement. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 60) ; « Tes lèvres sont fraîches comme la mer au clair de lune, mais le soleil levant succède à la lune. » (idem, p. 412) ; « Fly me to the moon. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Je suis aussi fier de toi que si tu avais marché sur la lune. » (Glen s’adressant à son amant Russell qui tente de s’imaginer qu’il fait son coming out à son père, dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Je pensais que je n’avais qu’à tendre la main pour toucher la lune. » (Danny parlant à son amant Zach de « leur » mère, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Arrêtez de chanter ‘Au clair de la lune’ à vos enfants. C’est une chanson érotique. Et Pierrot est gay. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; « C’est la pleine lune ce soir. C’est sûrement un signe. » (Sam, la mère toxique de Rupert le héros homo de 10 ans, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « On va aller vivre jusqu’à la lune. » (Léo s’adressant à son amant Rémi, dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont), etc. Par exemple, dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, il est question de « l’attraction de la lune ». Dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, on nous parle de la « déesse lune ». Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, c’est juste après le baiser lesbien qu’on nous montre la lune dans le ciel nocturne. La lune est l’incarnation de la passion ravageuse : « Marlène amoureuse, la pleine lune aussi. » (cf. la chanson « Mourir d’ennui » de Jeanne Mas) Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homo face à la lune, en croisière en bateau, rencontre son actrice-chanteuse fétiche de l’autre côté de l’océan : jusqu’à la fin, il prend Patty Pravo pour un substitut maternel et identitaire. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, la lune est l’amant homosexuel que Gatal, le héros homosexuel, se voit offert (et en réalité imposé) par ses deux « pères » en couple homo : « Réjouis-toi, cowboy. La lune sera rousse pour tes fiançailles. » lui dit son Père 1. Elle éclipse aussitôt le futur fiancé de Gatal qui, immédiatement après avoir entendue cette phrase, quitte la scène : « Je disparais. »

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi

 

Dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, Alexandre, le héros hétéro, feuillette un prospectus de prévention Sida dans la boîte gay Chez Eva dans lequel figure une publicité »La Face cachée de la lune ». Et plus tard, pour cette même raison, il est suspecté d’être de la jaquette par un de ses employés, André, ouvertement homosexuel : « Alors ? Ce soir, on nous montre la face cachée de la lune ? ». La lune est finalement cette part d’homosexualité qui résiderait dans l’hétérosexualité.
 

Souvent, la lune est associée au sexe féminin, donc à la mère primitive poétique qu’un élan incestueux pousse à rejoindre : « Une lune croit en même temps que je décoince les jambes. » (la jeune femme dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dieu a dit à la Lune de se renouveler chaque mois. C’est une couronne de splendeur pour ceux qui naissent des entrailles, car eux aussi, ils sont destinés à se renouveler, comme elle. » (cf. une citation du Kiddoush levana, apparaissant dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 126)

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Le personnage homosexuel vénère la lune comme une déesse à laquelle il s’identifie et rêve de s’unir dans une fusion fatale : « Être la lune, perdue dans tes étoiles, cachée derrière un voile pour annuler la pâleur de ma plume. Être la lune. » (cf. la chanson « La Lune » de Jeanne Mas) ; « J’ai demandé à la Lune ce que tu pensais. » (cf. une Habanera du musicien-chanteur Eduardo Sánchez de Fuentes dédié au poète homosexuel Federico García Lorca qui a voyagé à La Havane en 1930) ; « J’ai demandé à la lune si tu voulais encore de moi. » (cf. la chanson « J’ai demandé à la Lune » du groupe Indochine) ; « Accroché à la lune comme un effroyable pantin » (Yanowski lors de son concert Le Cirque des Mirages, 2009) ; « Vous êtes assises sur une faux ? C’est un croissant de Lune ? Attention, ça coupe ! Aïe, Linda ! Vous jaillissez de partout ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Jack Spencer, après avoir touché la lune, touche le fond. » (cf. l’article de journal décrivant le départ de Jack de l’Opéra, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt)

 

Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, apprend que les Noirs, face à la lune, deviennent bleus. Il s’identifie donc à cette nouvelle race homo-noire de semi-extraterrestre.
 

L’astre détruit ce qu’il avait pourtant fait vivre par la réification. Il démythifie en mythifiant, viole en rendant éphémèrement vierge, transforme les êtres humains en statues et en spectres (et c’est bien connu que la lumière de la lune, en même temps qu’elle éclaire, est fatale aux photos: elle les fait jaunir). Exactement comme le personnage de Léni dans le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-araignée, 1976) de Manuel Puig, sacralisée mais aussi meurtrie par l’action lunaire : « La brise éteint les bougies, qui faisaient toute la lumière. Seule entre la clarté de la lune, et elle éclaire Léni, qui ressemble à une statue de plus, grande comme elle est, avec sa robe blanche qui la serre de près, on dirait une amphore grecque […]. Elle a comme la certitude que des choses très importantes vont surgir dans sa vie, et presque sûrement pour aboutir à un tragique dénouement. Elle est à la fois une déesse, et une femme très fragile, qui tremble de peur. » (p. 57) On retrouve la même action destructrice – et paradoxalement magique – de la lune sur la reine du carnaval dans la pièce Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini (Dalida, la femme fatale qui s’achemine vers la mort, porte « sa robe blanche, comme une tache de lune »), ou encore dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi : « Alors, elle, resplendissante, monterait et redescendrait la Butte, comme une pute enveloppée de Chanel à la lumière de la lune, toute seule avec son destin, singe, guenon ou femme cruelle, souvenir d’un Carnaval solitaire de fille à bite ou d’homme sans apparat ! » (Fifi à propos de Lou) ; « Je veux t’attendre au zénith dans le ciel de la pleine lune ! Je veux ta virginité. » (Ahmed à Lou, idem) ; etc. La lune peut même prendre les traits du diable : « Sous la lune naissent parfois d’étranges créatures. » (cf. une réplique de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Je n’ai pas oublié de cette nuit-là […] son visage incandescent pareil à une lune rousse sous la lumière inactinique. » (le narrateur parlant de son amant Didier dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 27) ; « Pendant ce temps, l’uniquement objet [Jason, le héros homosexuel] du désir de Mourad, assis sur son balcon face à la lune, pleurait à chaudes larmes. […] La lumière de la lune se suffisait à elle-même, et les éléments du décor se recomposaient harmonieusement, lui révélant, sans plus de raison ni avec moins d’évidence, que l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), pp. 245-246) ; « Vous êtes mon astre et mon désastre : trop brève apparition, puis éclipse. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 32) ; etc. Par exemple, dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, la lune est filmée en gros plan quand Narcisse se suicide en se jetant du haut d’un immeuble.

 

Mais j’irai même plus loin en disant que la lune est celle qui donne l’énergie du viol. Par exemple, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie-Lou (2011) de Michel Tremblay, Léopold, avant d’aller violer sa femme Marie-Lou, a récité des poèmes à la lune (« Il disait à la lune qu’il ne voulait pas qu’elle s’en aille. »).

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Dans le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, tandis que les garçons vont se baigner dans un lac, Ignacio et le père Manolo s’excentrent. Ignacio, le jeune garçon qui se révèlera homosexuel, chante cette chanson dédiée à la lune, juste avant de se faire violer : « Moon River, jamais je ne t’oublierai, jamais je ne me laisserai emporter par les eaux, les eaux tourmentées du fleuve de la lune qui tourbillonne à mes pieds. Ô fleuve, ô Lune, dites-moi où se trouvent, Mon Dieu, le bien et le mal, dites-le moi. Je veux savoir ce qui se dissimule dans l’obscurité pour qu’enfin soit dévoilé… »

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

En temps normal, la lune homo-fictionnelle dénature, fait violence à la sexualité par la glorification de l’irréel, de l’inversion, de l’artifice, de l’androgyne (cette créature inexistante, qui a aboli la sexuation), par conséquent de l’homosexualité. « La lune, cette déesse des filles sans garçon… » (cf. une réplique de la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Me parlez-vous de loin, de votre île de la lune à l’envers qui invite à l’union ? » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 19) ; « J’ai l’impression que vous m’habitez, que vous me parlez sans cesse, de là-bas, de votre domaine sur l’île de la lune à l’envers. » (idem, p. 138) ; « Elle [Esti, l’héroïne lesbienne] s’était rendue au mikvé afin de se purifier de son mari, mais Ronit [son amante] allait revenir. En marchant vers sa maison, sous la lune décroissante, Esti sentit vaguement la marée s’inverser. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), pp. 36-37) ; « Au clair de la lune, je suis une catin. » (Tom, le fan de Mylène Farmer, dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil) ; etc. Par exemple, la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi commence précisément dans les studios de Télé-Lune ; y sévit une dictature prescrivant un nouvel ordre sexuel, une séparation arbitraire de l’Humanité, ainsi qu’une propagande maternante aseptisée : « Nous allons séparer nos chers spectateurs en mâles, femâles et transexuâles. […] La politique sur la Lune : tout est calme à l’heure qu’il est, une brise légère me caresse, je retouche mon maquillage à l’aide d’un pinceau aérien. C’est l’heure de la paix, pour nous, lunaires. » Dans la pièce La Pyramide ! (1975), du même auteur, quand la Princesse demande à sa mère la Reine « comment fait-on pour avoir un fils mâle ? », celle-ci lui répond : « C’est toujours pile ou face, une face la lune, l’autre le soleil. » L’identité sexuée est éclipsée au profit d’une androgynie lunaire bipolaire angélique.

 

Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, particulièrement gay friendly, la lune occupe le devant de la scène (« Regardez la lune ! Regardez la lune ! » s’exclame Aldebert ; « Ce soir, la dernière nuit du monde, restons tous ensemble regarder la lune. » dira un peu plus tard Claude)… et on comprend pourquoi ! Elle illustre l’errance amoureuse de tous les personnages, l’indifférenciation identitaire engendrée par la société matérialiste, uniformisante, imposant une bisexualité asexualisante.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Gabriel propose à son futur amant Léo de voir l’éclipse de lune : « La lune disparaît dans le ciel. » Léo lui demande l’intérêt de regarder les éclipses. Gabriel lui explique qu’il y a une éclipse quand « le soleil, la Terre et la lune sont tous les trois exactement alignés » Sous l’éclairage lunaire, Gabriel voit en Léo un androgyne illuminé à moitié par la lune et brûlé par le soleil de l’autre.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

Film "Noche Sin Luna" de Bethynia Cárdenas Íñiguez

Film « Noche Sin Luna » de Bethynia Cárdenas Íñiguez


 

La lune est une planète qui attire beaucoup de personnes homosexuelles. Elle a déjà inspiré les titres de certains de leurs écrits, des pseudonymes d’hommes travestis (exemple : Claire de Lune), ou bien des noms de lieux d’homosociabilité (cf. la revue La Luna De Madrid (1983) de Borja Casani, le bar gay The Full Moon Saloon d’Orlando, aux États-Unis ; beaucoup d’établissements lesbiens se font baptiser La Lune noire ; on peut aussi penser au fameux Moonwalk de Michael Jackson… qui n’est d’ailleurs pas une invention de Michael finalement). Par exemple, en 1974, Paul Morrissey et Andy Warhol ont travaillé sur un projet de musical à Broadway, intitulé Man On The Moon.

 
LUNE Soirée Lune
 

Certains individus homosexuels utilisent la lune comme un exutoire de leur amour non-donné. Elle est la Muse de leur fanatisme : « Ô Lune ! Tu as toujours été à mes côtés, m’éclairant dans les moments les plus terribles. Tu a été ma mère, ma véritable déesse ! » (Reinaldo Arenas, Antes Que Anochezca (1992), p. 340) ; « Mais vous êtes un détraqué de la lune ?!? » (Georges Beller à Steevy Boulay, dans la pièce Ma Femme est folle (2011) de Jean Barbier) ; « Sur le plan astronomique, […] la lune, se trouvant entre la terre et le soleil, reçoit la lumière du soleil, et, comme le soleil, éclaire la terre. Cette situation particulière investit la lune d’une surdétermination diffuse. En effet, dans cette perspective, la lune devient, par extension, l’astre qui instaure un lien entre le monde des dieux et celui des hommes. Voilà pourquoi elle dispense la folie. Or, c’est effectivement une folie divine qui possède et inspire ces médiateurs par excellence entre les dieux et les hommes, que sont les devins et les praticiens d’initiations ; lesquels, par choc en retour, se voient affectés de ce caractère bisexuel, qui caractérise les intermédiaires et les médiateurs de tout ordre. » (cf. l’article « Bisexualité et médiation en Grèce ancienne » de Luc Brisson, dans l’ouvrage collectif Bisexualité et différence des sexes (1973), pp. 38-39)

 

Film « Das Flüstern Des Mondes » (« Whispering Moon », 2006) de Michael Satzinger

Film « Das Flüstern Des Mondes » (« Whispering Moon », 2006) de Michael Satzinger


 

La lune a beau être bien lointaine et absente (objectivement, à part pour les gens vivant la nuit, elle occupe davantage nos songes que notre quotidien), elle renvoie quand même chez l’être humain au moins à une réalité psychique et fantasmatique, à un désir de toute-puissance originelle, d’irréalité androgynique égoïste (d’ailleurs, elle est le symbole même de la moitié ou du quartier), à un désir idolâtre fétichiste (de devenir objet), et donc à un fantasme de mort ou de viol incestueux : « Il y avait trois genres : originairement, le mâle était un rejeton du soleil ; la femelle, de la terre ; de la lune enfin, celui qui participe de l’un et de l’autre ensemble. » (Platon, « L’Humanité primitive », Le Banquet (- 385 av. J.-C.), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 34) ; « Dylan et Ednar ne cessaient de s’aimer sans témoins ; seules la lune et les étoiles pouvaient entendre l’écho de ce voix qui chuchotaient sur la falaise. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), p. 31) ; « J’ai été retrouvé la Femme lunaire. Elle m’a confié comment elle avait été violée par son père. » (Simone de Beauvoir, parlant de son amante « la femme lunaire », dans une lettre rapportée dans la pièce-biopic Pour l’amour de Simone (2017) d’Anne-Marie Philipe)

 

LUNE Cocteau

 

Tout porte à croire que la lune est l’éclairage scénique de la tragédie : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pou la première fois après l’accident. Nous étions à notre porte, sur la terrasse. Elle est rentrée comme une folle dans le poulailler et, pour se venger de sa tragédie, elle a égorgé, une à une, toutes les poules qui essayaient de s’envoler avec terreur. J’ai compris l’absurdité d’avoir des ailes sans pouvoir voler. Elle a fini par saisir le coq qu’elle a achevé avec les dents. Un nuage laissa filtrer les rayons d’une lune grise qui illumina le terrible visage monstrueux, ensanglanté par le sang du coq. Quelque temps après, elle est repartie. Elle a disparu dans la nature. Peut-être a-t-elle cherché dans la jungle la compassion des bêtes […]. Ce poulailler devint ma scène : il avait été le décor d’une véritable tragédie, je pouvais donc l’habiter de mes fantaisies. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167)

 

La lune occupe une place très importante dans le répertoire musical de Mylène Farmer, l’icône gay préférée de la communauté homosexuelle française : cf. la chanson « Vertige » (« Plus loin, plus haut, j’atteins mon astre. »), « Libertine » (« Cendre de lune, petite bulle d’écume, poussée par le vent, je brûle et je m’enrhume. »), « Paradis inanimé » (« Sous la lune m’allonger. ») ; « Looking For My Name » (« Oh ! I see the moon, I see no trace of you. »), « Pas le temps de vivre » (« Il est des heures où, quand la lune est si pâle, l’être se monacale. ») ; « Il n’y a pas d’ailleurs » (« Pour renaître de tes cendres, il te faudra réapprendre. Aimer vivre, rester libre. Délaisser tes amertumes, te frayer jusqu’à la lune un passage, il faut me croire. ») ; « Pourvu qu’elles soient douces » (« D’un poète tu n’as que la lune en tête. »), « Et si vieillir m’était conté » (« Bientôt la lune est pleine. ») ; les vidéo-clips « Tristana » et « L’Âme-stram-gram ». Dans l’univers farmérien, la lune se réfère en général à la maternité avortée, à un mortel inceste (avec soi-même), à l’impossibilité de l’amour homosexuel.

 

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Code n°138 – Passion pour les catastrophes (sous-codes : Accident / Télé voyeuriste)

Passion pour catas

Passion pour les catastrophes

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La catastrophe pour cacher et redorer la violence de l’homosexualité

 

Davantage performante que le registre de la comédie, l’alliance entre homosexualité et catastrophe dramatique fait en ce moment recette dans les cinémas et plus largement au service de la propagande identitaire et amoureuse LGBT. Le scénario-catastrophe conquiert de plus en plus les cœurs et est extrêmement efficace car il confère de la gravité, du réalisme et du dramatisme « beau » à l’homosexualité, tout en faisant diversion sur la gravité réelle des actes homos puisque ceux-ci sont totalement noyés ou dissociés ou blanchis par le fond cataclysmique noir qui les encadre. En revanche, c’est le surgissement téléphoné et illogique de la catastrophe, tombant comme un cheveux sur la soupe homosexuelle, qui est rarement identifié et dénoncé, mais qui est clairement malhonnête et violent, car il fonctionne sur le chantage affectif et l’instrumentalisation de la souffrance des vrais gens pour leur faire dire ce qu’on veut, et surtout ce qu’ils n’auraient jamais défendu, à savoir l’homosexualité.
 

La thématique homosexuelle est justifiée et diluée dans ces films de propagande parce qu’elle est couplée à un inattaquable thème dramatique suscitant la compassion (le handicap, la discrimination raciale, la pauvreté, un accident, une catastrophe naturelle, un conflit armé, une intolérance religieuse, l’homophobie gratuite, une maladie, etc.). Or une catastrophe dite « naturelle », tout comme le désir homosexuel, n’est jamais purement « naturelle ». Elle est un signe de péché, ne l’oublions pas. Et ce péché, c’est l’éjection, en amour, de la différence des sexes et de la différence Créateur/créatures.
 

Comme les films de blacksplotation (qui n’hésitent pas à marier le Gay Power au Black Power, l’anti-homophobie à l’anti-racisme, pour servir leurs propres intérêts), on peut constater actuellement que certains réalisateurs pro-gays surfent sur la vague victimiaire de la crise économique actuelle, des actes homophobes, de la maladie, de la mort cruelle, ou du cataclysme, pour donner corps à leurs propres fantasmes amoureux, pour faire passer l’homosexualité pour un « moindre mal » voire pour LA solution qui conjurera le mauvais sort « homophobe », « hétérosexuel », économique et politique, mauvais sort soi-disant « totalement extérieur et étranger à l’homosexualité ». Nous avons affaire à l’amalgame classique entre différence des sexes (souplement intangible) et différence des espaces (sans cesse changeante). C’est une démarche malhonnête et mensongère, en plus d’une exploitation des plus pauvres. Dans les films défendant l’homosexualité, l’accident est orchestré à des fins idéologiques irréalistes, mais paradoxalement pour prouver une réalité crue vraie : en effet, les réalisateurs homosexuels qui aujourd’hui construisent la beauté de leurs amours sur pellicule (parce qu’ils ne peuvent pas les vivre dans le Réel) sont maintenant persuadés qu’ils peuvent vivre leur vie par procuration avec les personnages idéalisés de leurs créations pathos, vraisemblables mais pas réalistes, sont persuadés qu’ils n’ont rien orchestré du tout. Malaise et circonspection. Nous sommes bel et bien arrivés à l’époque de la « minute difficile » annoncée par Jean Cocteau, où l’esthétisme émotionnel se substitue à l’intelligence, où la Vérité est confondue et occultée par la sincérité, où la plupart de nos contemporains et nos créateurs ne distinguent plus la fiction de la Réalité. J’ai de la peine et de la colère contre ces menteurs professionnels sincères, qui embarquent tant de monde dans leurs utopies. Car ça, c’est réellement catastrophique.

 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Ennemi de la Nature », « Première fois », « Plus que naturel », « Mort = Épouse », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Amour ambigu de l’étranger », « Innocence », « Voyeur vu », « Espion homo », « Homosexualité noire et glorieuse », « Inversion », « Homosexuel homophobe », « Milieu homosexuel infernal », « Viol », « Entre-deux-guerres », « Témoin silencieux d’un crime », « Mort », « Adeptes des pratiques SM », « Fan de feuilletons », « Femme au balcon », « Méchant pauvre », « Mère Teresa », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Bobo », « Amant diabolique », « Oubli et Amnésie », « Aube », « Humour-poignard », « Clonage », « Jeu », « Fresques historiques », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Amant triste », « Poids des mots et des regards », « Personnage homosexuel empêchant l’union femme-homme », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Clown blanc et Masques », à la partie « Paradoxes du libertin » du code « Liaisons dangereuses », et à la partie « Adieux » du code « Un Petit Poisson Un Petit Oiseau », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
 
 

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FICTION

 

a) L’accident et la catastrophe subis :

Vidéo-clip de la chanson "Les Mots" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer


 

Dans les fictions homo-érotiques traitant d’homosexualité, il est souvent question des catastrophes, de l’Apocalypse, de la fin du monde, des accidents, du déchaînement destructeurs des forces naturelles, tous ces événements apparemment extérieurs et indépendants de la volonté humaine : cf. le film « Catastrophes » (1996) d’Emma-Kate Croghan, la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec la référence au Radeau de la Méduse), le film « Concussion » (2013) de Stacie Passon, le film « The Last Island » (1990) de Marleen Gorris, Le tableau Le Radeau de la Méduse (1819) de Théodore Géricault, le film « L’Imposteur » (2005) de Christoph Hochhaüsler, la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès (sur fond de la guerre de Corée), le film « In & Out » (1997) de Franz Oz (avec la guerre du Vietnam), le roman Éden Éden Éden (1970) de Pierre Guyotat (avec la guerre d’Algérie), le vidéo-clip de la chanson « Les Mots » de Mylène Farmer (avec la catastrophe du Radeau de la Méduse), le film « Giorgino » (1994) de Laurent Boutonnat (sur fond de chute de l’Empire communiste), le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec l’épidémie de choléra et Venise en flammes), le vidéo-clip de la chanson « There Is A Light That Never Goes Out » du groupe The Smiths (parlant d’un accident de voiture et réalisé par Derek Jarman), le film « Vivere » (2008) d’Angelina Maccarone, le film « Hustler White » (1995) de Bruce LaBruce, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (avec l’accident de voiture), la chanson « Accident » de Barbara et Catherine Lara, le film « Almost Normal » (2005) de Marc Moody, le roman Incidents (1987) de Roland Barthes, le film « Les Amis » (1970) de Gérard Blain, le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, le roman Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill (sur fond de Première Guerre mondiale en Irlande), le film « Intrusion » (2003) d’Artémio Benki, la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès, le film « Mulholland Drive » (2000) de David Lynch, le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala (avec l’accident de Maxime), le roman Currito El Ansioso : Accidentada Historia De Un Gomoso Pervertido (1920) d’Álvaro Retana, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Un Nuage entre les dents » (1973) de Robin Davis, le film « No Soy Como Tú » (2012) de Fernando Figueiras (avec l’accident ferroviaire), le film « Elle + Elle : leur histoire d’amour » (2012) de Sranya Noithai (Bua souffre d’un cancer incurable), le film « La Nuit américaine » (1972) de François Truffaut, le film « L’Inattendue » (1987) de Patrick Mimouni, le film « The Linguini Incident » (1992) de Richard Shepard, le film « Lan Yu, histoire d’hommes à Pékin » (2001) de Stanley Kwan, le film « The Accident » (1999) de Julian Lee, le film « L’Incident » (1967) de Larry Peerce, le film « O Beijo » (1964) de Flavio Tambellini, le film « Rage » (1976) de David Cronenberg, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Total Loss » (2000) de Dana Nechushtan, le film « Tableau de famille » (2000) de Ferzan Oztepek, le film « Siegfried » (1986) d’Andrzej Domalik, le film « Respire ! » (2004) de Dragan Marinkovic, le film « Tras El Cristal » (1985) d’Agusti Villaronga, le film « Segunda Piel » (1999) de Gerardo Vera, le film « Haijiao Tianya » (« Incidental Journey », 2001) de Jofei Chen, le film « Más Allá Del Jardín » (1997) de Pedro Olea, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus (avec l’annonce subite du cancer des os de Chris, le héros homo), le roman Le froid modifie la trajectoire des poissons (2010) de Pierre Szalowski (avec le grand froid paralysant Montréal), le film « Indian Palace » (2011) de John Madden (avec la maladie incurable de Graham, le héros homo, qui veut revoir son premier amour, Manadj, avant de mourir), le film « Freeheld » (2015) de Peter Sollett (avec le cancer du sein de Laurel), le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, le roman L’Amant pur (2013) de David Plante (avec Nikos et sa tumeur au cerveau), le film « Un accident est si vite arrivé » (2006) d’Anne Crémieux, le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec la noyade inattendue d’Heiko, l’amant de Konrad ; puis la chute en moto d’Ayrton), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec le fatal accident de vélo d’Isabelle), etc.
 

Par exemple, dans le film « Adored Diary Of A Porn Star » (2004) de Marco Filiberti, Federico et son frère Riki sont témoins d’un accident de voiture mortel. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, la mère de Steve, le héros homosexuel, est victime d’un accident de voiture, heureusement sans trop de gravité : un chauffard lui coupe la route. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, le père David meurt en scooter. Dans le film « Bayaw » (2009) de Monti Parungao, Rhennan est témoin de la mort accidentelle de Pia, tuée par Nilo. Dans le film « Rebel Without a Cause » de Nicholas Ray (« La Fureur de vivre », 1955), les lycéens – dont Jim, le héros homosexuel – se rendent tous au Planétarium de Los Angeles, et assistent à une conférence sur la fin de l’Univers. Dans le film « Morgan » (2012) de Michael Akers, Morgan, le héros homosexuel, devient paraplégique suite à un accident dans une course cycliste. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette, l’héroïne lesbienne, regarde une scène d’un accident de voiture à la télé. Dans son one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007), Madame H. fait l’inventaire de toutes les catastrophes qui se sont déroulées au cours de l’Histoire de l’Humanité. Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, Anton regarde sur internet les agressions homophobes filmées : elles le vampirisent, le fascinent, l’obsèdent… et finalement, c’est ce qui va lui arriver à la fin du film. Dans le film « le Placard » (2000) de Francis Veber, dans sa cuisine, la radio allumée, François Pignon, le héros hétéro qui jouera l’homosexuel, éteint le bulletin des mauvaises nouvelles qui le submergent. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, dans le salon familial, pendant le dîner, Jonas, le héros homo et ses parents regardent à la télé les informations datant de 1997 et relatant la mort de la Princesse Lady Di. Plus tard, à l’époque contemporaine (15 juillet 2015), Jonas suit les infos cette fois annonçant la fusillade de Lafayette en Louisiane. Et enfin, dans la scène finale, on voit le père de Jonas suspendu aux mauvaises nouvelles du transistor de la cuisine, faisant état de la mort de Nathan. Dans le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar, Esteban, le jeune héros homosexuel, meurt dès le début du film dans un accident de voiture, avant d’avoir pu réaliser sa carrière artistique. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, dès que Rana, chauffeuse de taxi, découvre la transsexualité de sa passagère intersexe F to M Adineh, elle hurle, la gifle et la voit comme un monstre : « Me touche pas ! Sors de ma voiture !! » C’est en cherchant à la fuir qu’elle a un accident avec son taxi. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, un Allemand, est en couple épisodique avec Oren, un Israëlien, qui finit par se tuer dans un accident de voiture à Jérusalem.
 

En général, la catastrophe, l’épreuve (la maladie, la mort, le meurtre, etc.), l’accident (bête), arrivent de manière impromptue : « Il s’est fait renverser par ce chauffard de merde. » (Richard, pleurant son amant Kai, décédé dans la rue en allant prendre son bus, dans le film « Lilting », « La Délicatesse » (2014) de Hong Khaou) ; « Le jour de l’accident, tout s’est arrêté. » (Junn, la mère de Kai, idem) ; « La tour d’en face prend feu ! » (Micheline, l’homme travesti M to F décrivant un hélicoptère qui s’est scratché sur un immeuble, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc. Mais comme ils sont juxtaposés à une intrigue amoureuse voulue magnifique ou un instant de « vérité » comme le coming out, l’accident ou la catastrophe est vite jugé(e) comme méchant(e), cruel(-le), homophobe, meurtrier(e).
 
 

b) L’accident et la catastrophe homosexualisés :

Le héros homosexuel se prend parfois lui-même pour la catastrophe. Il dit : « Je suis catastrophique » : « Je suis Monsieur Sinistre. » (Elliot, le héros homosexuel du film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) Je vous renvoie au code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.
 

C’est parfois la pratique homosexuelle et le coming out qui provoquent ou qui sont l’accident, la catastrophe : cf. le film « Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty, la chanson « Dile A Tu Amiga » de Dalmata (le chanteur se fait renverser par une voiture, puis a des hallucinations lesbiennes en boîte), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (l’histoire homosexuelle démarre sur un accident de voiture), etc. « Je le vois avoir un accident de voiture. » (Bryan parlant de son amant Tom, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Le désastre est total. » (cf. la phrase subséquente au départ de la reine Marie-Antoinette avec Madame de Polignac, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « On pourrait appeler ça une Révélation. » (Steven évoquant l’accident qui a coïncidé avec son coming out, dans le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa) ; « Est-ce que tu sors avec une bande de tantes ? J’aurais pu deviner que ça allait arriver. Tes fantasmes paranoïaques d’arrestation et d’accident ont été le premier symptôme. » (Myrma Minkoff s’adressant à Ignatius le héros homo, dans le roman La Conjuration des imbéciles (1981) de John Kennedy Toole, p. 414) ; « J’ai eu un accident très très grave. Je suis tombée amoureuse des femmes. » (Océane Rose-Marie évoquant son adolescence, dans son one-woman-show Châtons violents, 2015) ; etc. Par exemple, dans le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, c’est le baiser homosexuel qui provoque l’accident de voiture de Manu et Philippe. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Peter, en voiture, manque d’écraser Howard, son futur amant qui roulait en vélo en pleine campagne. Dans la biopic « Vice » (2018) d’Adam McKay, c’est l’accident de voiture de Mary Cheney qui déclenche son coming out à sa famille. Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, Jim meurt dans un accident de voiture… mais son amant George revient en pèlerinage sur le lieu du drame, comme si celui-ci magnifiait leur amour. Dans son one-man-show Changez d’air (2011), Philippe Mistral dit qu’il a rencontré son « mari » pour la première fois le 11 septembre 2001. Dans le film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, après avoir subi une greffe cardiaque qui lui a sauvé la vie, Simon apprend que le donneur est en fait son compagnon François décédé dans un accident de voiture. Ils se sont mutuellement sauvés la vie et bien que séparés, ils vont finir leurs jours ensemble. Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, les deux amantes Stephen et Angela se rencontrent à cause d’un accident impliquant un chien. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan, le héros homosexuel, raconte que, quand il avait 19 ans, il a été pris dans une tempête de neige alors qu’il se trouvait en voiture avec son amant Arnaud. Ils ont été rendus invisibles. Nathan s’est imaginé un accident dans lequel une voiture se serait encastrée dans la leur, et que leurs corps calcinés auraient été ensuite retrouvés sans vie, constitueraient les funestes carcasses noircies d’une homosexualité vécue dans l’ombre et stigmatisée socialement. Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, a rencontré Nicholas lorsqu’ils n’avaient que 8 ans… et se retrouvent quelques années plus tard, dans le même lycée. Leur rencontre initiale d’enfance résonne comme un signe du destin (lié par une boule à neige en verre) : Phil a bousculé Nicholas qui sortait d’un supermarché et a fait renverser son sac plastique rempli de bouteilles d’eau minérale.
 

Film "The Burning Boy" de Kieran Galvin

Film « The Burning Boy » de Kieran Galvin


 

Dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, le premier baiser homosexuel entraîne la mort. En effet, c’est au moment où Ben donne à son meilleur ami Chill le signe charnel que ce dernier attendait tant que paradoxalement l’accident arrive. Ben essaie de relativiser l’acte qu’ils viennent de poser (« Écoute, ça va, c’est pas grave. Je sais que je te plais. ») mais Chill s’énerve, pousse son copain, qui finit par faire une mauvaise chute le laissant totalement inanimé dans un cabanon qui prendra entièrement feu. Ce film vise à faire comprendre au spectateur que le refus de sa propre homosexualité est criminel ; mais au-delà de cette dialectique idéologique, on nous montre en toile de fond que le baiser homosexuel tue.
 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, le héros homosexuel, essaie de forcer Alan, le héros hétéro, à assumer son attraction naissante pour Hank… en lui présentant son désir homosexuel comme un accident qu’il ne pourra pas éviter : « Tu n’arrives pas à partir. Comme pour un accident. On ne peut regarder ni détourner le regard. ». Plus tard, Donald, un pote gay de Michael, lui fait la remarque que les accidents n’existent pas : « Il n’y a pas d’accidents. » ; et Michael lui répond : « Je te souhaite d’en avoir un en rentrant. » L’amour est vraiment considéré par les personnages de ce film comme un déterminisme, une fatalité implacable, où le désir et la liberté humaine n’ont plus leur place.
 

L’accident, c’est en réalité la rupture radicale avec la différence des sexes. Par exemple, dans le film « Ander » (2008) de Roberto Caston, suite à un accident dans lequel il va se casser une jambe, Ander, le coureur de jupons, va découvrir son homosexualité.
 

L’accident ou la cata, c’est, aux yeux du héros homosexuel, la différence des sexes qui n’a pas su devenir communionnelle, qui a clashé, qui n’a pas survécu à la fusion ou qui s’est encastrée sur elle-même : « Un homme et une femme occupaient la grosse voiture de sport noire. Au même instant j’eus la vision de l’hôtel où ils allaient : un palais blanc, à Cannes ou à Monte-Carlo, avec sa haute grille de fer forgé et ses allées de gravier. […]Ils s’étaient encastrés sous le mastodonte, comme s’ils avaient fui quelque chose. L’espace d’un instant je les vis tous les deux dans leur automobile déchiquetée : courbés en avant dans leur sommeil. » (Laura, l’un des héroïnes lesbiennes, dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, pp. 149-151) Par exemple, dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, au moment où Solange et Silvano s’embrassent, Silvano se fait massacrer par les CRS. Au fond, c’est toute la sexualité qui est diabolisée et envisagée comme « accidentelle » ou « cataclysmique ». Ce n’est pas un hasard si le premier court-métrage de Pascal Alex-Vincent, daté de 2009, représentant un jeune adolescent de 18 ans (Gaëtan) et une jeune adolescente du même âge (Juliette) découvrant sereinement la génitalité ensemble dans une forêt, s’intitule « Tchernobyl » : pendant qu’ils « font l’amour », un speaker à la radio évoque une catastrophe nucléaire…
 

Beaucoup plus gravement (car quand le lien entre homosexualité actée et catastrophe est causalisé, il devient de l’homophobie : en effet, l’homosexualité actée ne provoque pas la Fin des Temps, même si elle en est l’un de signe ou voyant social), il arrive que ce soit le couple homosexuel – en famille « homoparentale » – qui soit désigné comme déclencheur des cataclysmes mondiaux, voire rendu responsable de la Fin du Monde si jamais il ne sacrifie pas l’un de ses membres. C’est le cas dans le film homophobe (en même temps que gay friendly… ce qui va ensemble) « Knock at the Cabin » (2023) de M. Night Shyamalan, qui met en scène un couple homo – Eric et Andrew – ayant obtenu par GPA (Gestation Pour Autrui) une petite fille asiatique, Wen, et qui est accusé/prévenu par 4 individus faisant irruption dans sa maison de vacances – présentés nommément comme « les 4 Cavaliers de l’Apocalypse » mais qui ne sont ni homophobes (ils passent leur temps à les disculper, à tenir le discours gay friendly de soutien ou de blanchissement du couple homo, et ils s’interdisent de sacrifier eux-mêmes la famille gay : ils préfèrent se suicider les uns après les autres et s’entretuer plutôt que de toucher à la famille homoparentale) – que s’il ne sacrifie pas un de ses trois membres, il provoquera des cataclysmes mondiaux et la Fin du Monde. Et le plus fou dans ce scénario – preuve que désormais la vague d’homophobie déferle actuellement sur nos écrans sans même que personne ne l’identifie, ne s’en offusque ni ne la dénonce, puisque c’est excusé par le surnaturel, la bonne intention et le ressort fictionnel/esthétique -, c’est que l’avertissement des 4 prophètes de malheur gays friendly qui se sacrifient – se révèle vrai : c’est bien le refus de la famille homoparentale de supprimer un de ses membres qui engendre et alimente l’enchaînement des fléaux à échelle planétaire (tsunamis, pandémie virale, crashs aériens, méga incendies), en plus du massacre méticuleux et successif des martyrs-avertisseurs ; et c’est bien le sacrifice final d’Eric (qui en arrive à gober la prophétie sacrificielle des 4 cavaliers de l’Apocalypse pesant sur son couple, et reposant sur la croyance au lien de causalité entre homosexualité actée et catastrophe) qui met un cran d’arrêt aux fléaux et qui permet à l’Humanité le retour à l’équilibre et à la normale. De surcroît, lors du dénouement, le spectateur découvre que les 4 « illuminés » ne l’étaient pas tant que ça vu qu’ils ont dit vrai sur leur propre vie dès le départ, et ont annoncé des événements terrifiants qui ont bien eu lieu. Donc finalement, le film cache ses intentions homophobes, en se drapant dans l’argument de l’irrationnel ou du genre « horreur » ou du film-catastrophe barré, ou dans le discours de l’innocence visionnaire mâtiné de zèle prophétique irrépressible et gay friendly qui ne se comprend pas lui-même (Par exemple, à aucun moment les voyants ne demandent au couple gay de se séparer, de se convertir, de rendre la petite Wen à sa mère, de nier leur homosexualité ou de reconnaître que leur situation est mauvaise et peccamineuse, ou de se convertir/repentir pour adhérer à une secte ou une Église évangélique). Mais au bout du compte, c’est bien le couple gay qui est à la fois présenté comme le sauveur de l’Humanité (pris séparément, en tant qu’individualités, et tant que l’homosexualité n’est pas pratiquée) mais aussi comme le fossoyeur de l’Humanité (dès qu’il forme couple et « famille »). Si ce n’est pas un message – et une conception du couple homo-acte ou de la famille homoparentale – homophobe, qu’est-ce que c’est ? Enfin, pour parachever ma démonstration et faire un clin d’œil au nom que j’ai donné inconsciemment à ce code (« Passion pour les catastrophes », j’ai expliqué à moultes occasions que la Marque de la Bête de l’Apocalypse serait actualisée par 4 choses principalement : 1) l’hétérosexualité (l’absolutisation des différences au détriment de la différence des sexes et de la différence Créateur/créatures ; promotion d’une bisexualité asexualisante) ; 2) la puce électronique RFID subcutanée, autrement dit le 666 sur la main ou sur le front ; 3) l’humanisme intégral (les valeurs du Christ, sans le Christ) ; la référence au mot « passion » (pas la Passion du Christ, évidemment, mais les goûts et la volonté personnels). Eh bien je ne me suis pas trompé. Car dans le film « Knock at the Cabin », c’est au moment où l’armoire à glace Leonard rencontre dans la forêt la petite Wen (8 ans) qui parle aux sauterelles qu’elle a enfermées dans un bocal, et qu’il lui serre la main pour sceller leur pacte apocalyptique (dans le sens mondain du terme, à savoir luciférien et catastrophiste : d’ailleurs, Lucifer est très présent tout au long du film, et Eric le reconnaît puisqu’il dit voir plusieurs fois « une silhouette dans la lumière »), qu’on voit furtivement mais distinctement tatoué sur la main droite de Leonard le mot « PASSION ». Et ça, je suis sûr et certain que c’est une coïncidence eschatologique qui a échappé au réalisateur M. Night Shyamalan.
 
 

c) L’accident et la catastrophe orchestrés :

Souvent, dans les fictions homo-érotiques, les événements accidentels ou dramatiques tombent comme un cheveu sur la soupe dans l’intrigue, et viennent à la fois briser l’« identité » et l’« amour » homosexuels, à la fois confirmer ceux-ci dans leur beauté, innocence et éternité. Le spectateur découvre que l’accident et la catastrophe dépeints ne sont pas si catastrophiques ni si fortuits que ça. « Dans son obsession du contrôle il avait besoin de prévoir l’imprévisible jusque dans ses moindres détails. » (Jason, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 377) Il semble qu’ils aient été programmés, et même voulus, « érotisés », « esthétisés » par le héros homosexuel. Et même si, au départ, il n’en avait pas l’initiative, il finit par s’y faire et par les considérer comme les cadres idéaux de sa personnalité et de son amour (ex : les plans drague calculés, la croyance aux coups de foudre, etc.) : cf. le roman Ma catastrophe adorée (2004) de Mathieu Lindon, le film « Les Yeux fermés » (2000) d’Olivier Py (parlant d’un accident tragique d’avion qui ne laisse aucune trace de tristesse chez le héros homosexuel), la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec le faux accident prétexté), la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche, le film « Play Dead » (2001) de Jeff Jenkins, le film « Pon Un Hombre En Tu Vida » (1999) d’Eva Lesmes, le vidéo-clip de la chanson « Beau Malheur » d’Emmanuel Moire, etc.
 

En quelque sorte, l’accident semble « naturaliser », « évidentialiser » le lien sentimental homosexuel. Par exemple, dans le film « Amour toujours » (1995) de Gabriel de Monteynard, nous retrouvons le thème de l’accident-pas-si-accidentel-que-cela : deux hommes tombent amoureux suite à un accident de vélo soi-disant involontaire. Ce qui se veut amour sincère et spontané en réalité se révèle être une surprise complètement scénarisée, une réalité trafiquée, puisque l’amant de Gustave Durant lui avoue à la fin qu’« il a provoqué l’incident qui a permis leur rencontre ». Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky a été victime d’un attentat au drugstore, attentat qui l’a fortement handicapée… et peut-être qu’elle-même portait la bombe. Dans la biopic « Ma Vie avec Liberace » (2013) de Steven Soderbergh, le pianiste virtuose Liberace attribue son coming out à sa vision de l’attentat de John Fitzgerald Kennedy à la télé : « Ce qui a tout fait basculer dans ma vie, c’est le jour de l’assassinat de Kennedy. »

 

Souvent déçu par ses expériences homosexuelles, le héros homosexuel tente de justifier son attraction pour les accidents/catastrophes par le cynisme ou le registre ironique : « J’irais bien voir ‘La Liste de Schindler’. Pour décompresser. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Qu’est-ce qu’on s’est poilés à Fukushima. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « L’enfer n’est pas pire que ce Monde. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc. Il rentre dans la peau de la bourgeoise grande folle, qui parle toujours de catastrophes, qui en voit partout, et qui aime se faire peur : « Un cataclysme ? Pourvu que ça n’arrive pas chez vous ! » (la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Y’a eu une catastrophe !… J’étais effondré à cause de ma dinde ! » (Romain Canard, le coiffeur homo, par rapport à sa dinde au four, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan) ; etc. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent est paniqué devant la télé avec ses amis, à regarder le JT sur la Guerre d’Algérie : « Tu te rends compte, si ça bascule, on aura l’air malins… » Et Betty, son amie bourgeoise, de répondre en riant : « J’ai toujours rêvé d’une catastrophe financière ! ». Dans l’épisode 68 « Restons zen ! » (2013-2014) de la série Joséphine Ange gardien, l’héroïne lesbienne Romane a remplacé la nouvelle de son homosexualité par celle d’un accident fictif pour éviter d’affronter son père. Ce dernier (Alain Richepin) réagit, par conséquent, très bien : « Ça va. Apparemment, ton accident, c’est pas trop grave. » Une fois qu’il découvre le pot aux roses, il demande à sa fille pourquoi elle lui a menti. Elle lui répond : « Parce que je voulais rester en Thaïlande et que j’ai inventé cette histoire d’accident, voilà. »
 

Film "Après lui" de Gaël Morel

Film « Après lui » de Gaël Morel


 

Mais la plupart du temps, c’est le registre sérieux, idolâtre, nostalgique, politique, dramatique et violent qui prend le dessus. « À t’entendre, on dirait que vous êtes sur le radeau de la Méduse. » (Colette s’adressant à Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 34) ; « Le chaos est dans l’air. » (cf. la chanson « Gabon » de Jann Halexander) ; « Tout est chaos à côté. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; etc. Certains héros homosexuels semblent craindre autant qu’être attirés par les drames humains, par morbidité, paranoïa-victimisante-qui-tient-chaud et voyeurisme malsains. C’est la raison pour laquelle certains sont fanas de la presse à scandale, de la télé-réalité, des émissions voyeuristes fondées dont le scandale et la mort sont le fond de commerce, des faits divers sur les accidents semi-orchestrés, des meurtres non-élucidés : cf. le ballet Alas (2008) de Nacho Duato (à propos de l’impact des journaux à scandale), le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec Bruno, le héros homosexuel psychopathe, et grand lecteur de press people), le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar (avec la « Télé Suicides en direct »),, le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone (avec la fausse émission Suicide en direct), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec l’attraction morbide et incestuelle d’une mère pour le meurtrier accidentel de son fils), les romans Un Garçon d’Italie (2003) et L’Homme accidentel (2008) de Philippe Besson, la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec l’émission de télé-réalité Stars chez eux menée par une présentatrice folle-dingue, Graziella), etc. D’ailleurs, les créateurs homosexuels maquillent mal leur complaisance ou leurs pulsions sadiques derrière la confortable excuse du « second degré ».
 

« Enfant, il examinait avec un soin particulier les photographies des journaux illustrés où la part la plus large était faite à l’assassinat. Aujourd’hui son destin voulait qu’il se trouvât lui-même à l’intérieur d’une de ces images violentes, ainsi qu’un spectateur qui se serait subitement transporté sur la scène et au milieu du décor qu’un instant plus tôt il regardait de la salle. » (Paul dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, pp.117-118) ; « Jane s’imagina des snipers embusqués parmi les monuments, une bombe frappant les tombes, les personnes déjà mortes projetées en l’air ; résurrection et Jugement dernier. » (Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 37) ; « La survie de notre espèce m’importe bien peu et, oserais-je le confesser ? Il m’arrive même parfois de rêver de l’écroulement des empires. » (la figure de Marcel Proust dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 96-97) ; « Une crise arrive dans le pays, c’est la débâcle c’est la faillite. […]La télé est éteinte au lieu d’être allumée. Moi qui rêvais de drames, ceux des autres, pas les miens… » (cf. la chanson « À table » de Jann Halexander) ; « L’an 2000 sera spirituel, c’est écrit dans ELLE. Du fun pour une fin de siècle. » (cf. la chanson « L’Instant X » de Mylène Farmer) ; « J’aime les scandales quand ils concernent les autres. » (Dorian, le héros homosexuel du roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; etc.
 

La catastrophe ou l’incident est utilisé(e) comme un gage/une preuve d’innocence par le héros homosexuel qui, pour ce faire, rentre dans un jeu de « folle perdue », de fashion victim, ou de vierge effarouchée bobo étonnée par elle-même. Il mime sur lui-même, de manière publicitaire, les effets de l’accident pour mieux se convaincre qu’il n’a rien orchestré : « Il n’y a pas de stratégie. Je ne sais pas avoir de stratégie. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 17) Le personnage homosexuel simule d’être surpris par sa programmation du hasard, d’être foudroyé par un amour incompréhensible qu’il aura pourtant initialement orchestré : « Il se passe une chose que je n’avais pas prévue. » (Éric s’adressant à son amant Sven, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 139) ; « Depuis cette nuit-là, elles [Gabrielle et Émilie] s’écrivent, s’interrogent sans relâche sur la nature de leur sentiment, sur ce fol élan réciproque que rien ne laissait prévoir. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 12) ; etc.
 

Chose incroyable mais réelle : le héros homosexuel se met alors à désirer vraiment l’accident, la catastrophe. Par exemple, dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Harper est à l’affût des « catastrophes cosmiques ». Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca tourne en dérision le tsunami d’Asie du Sud-Est. Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, à un moment, sur un écran géant, sont montrées au public des images de guerre, du tsunami japonais et de Fukushima, sur un air de fête et de gospel. Toute la bande d’amis libertaires célèbre leur idolâtrie millénariste : « Ce soir, la dernière nuit du Monde, restons tous ensemble regarder la lune. » (Claude) Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David lit la revue à scandales Voici. Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Victor est friand des histoires de disparitions racontées dans les journaux. Dans le film « L’Imposteur » (2005) de Christoph Hochhaüsler, Armin, le protagoniste, cultive une passion morbide : il adore observer les accidents de la route. Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel avoue son « petit goût de drame qui couve, de catastrophe qui mitonne » (p. 29). Il est fan d’opéras classiques dans lesquelles il peut observer les drames des autres (réels ou fictionnels) et y projeter son propre narcissisme mortifère : « Je suis un personnage muet qui assiste avec une joie méchante aux malheurs des autres. » (p. 18) ; « Le trio [des personnages de l’opéra La Bohème de Puccini] s’enroule autour de moi, je me vautre dedans, je vis avec une grande délectation les trois malheurs qui se déploient en même temps dans mon oreille, je peux vivre simultanément trois malheurs, c’est ça, je crois, qui me plaît le plus. » (idem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton, Doris, la présentatrice-télé lesbienne, confesse sans honte qu’elle attend impatiemment que les drames arrivent, que les bombes explosent, pour avoir un scoop qui la rendra célèbre : « Plus le monde va mal et mieux je me porte ! »
 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) L’accident et la catastrophe subis :

Dans les discours courants sur l’homosexualité, il est souvent question des catastrophes, de l’Apocalypse, des accidents, du déchaînement des forces naturelles, tous ces événements apparemment extérieurs et indépendants de la volonté humaine. Par exemple, le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein » (« Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi commence par une représentation du Déluge qui engloutit des poupées Ken gays. Dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010, la maman de Lucien, un jeune témoin homosexuel suisse, raconte la sensibilité de son fils « face aux nouvelles qu’ils écoutaient à la radio » petit.
 

Il y a un lien indéniable entre homosexualité et décadence, désir homosexuel et catastrophes. Il n’est pas causal. Mais l’arc-en-ciel est toujours signe de pluie, même s’il peut la précéder ou la suivre. J’ai souvent coutume de dire que le désir homosexuel ne crée rien, mais qu’il est le voyant rose d’une catastrophe déjà passée ou imminente. L’Histoire humaine me donne raison (cf. je vous renvoie au code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). « En l’an 1000. – Cette époque, pour laquelle la légende prédisait la fin du monde, connut un grand relâchement des mœurs. La sodomie (d’après les chroniqueurs du temps) devint alors le vice le plus répandu dans toutes les classes de la société, chez les princes comme chez les serfs, chez les évêques comme chez les moines. L’abbé de Clairvaux, Henri, écrivait au pape Alexandre III, en 1177 : ‘L’antique Sodome renaît de ses cendres ! » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 128) On peut penser notamment à la coïncidence entre les années folles et l’irruption de la folie nazie dans les années 1930 ; à la simultanéité de l’arrivée du Sida et la débauche de pratiques homosexuelles qui se vivaient dans les années 1970-1980. La permissivité, l’excès, la luxure, louvoient souvent avec les accidents, les catastrophes, les maladies. La Nature reprend toujours ses droits, et d’autant plus violemment qu’ils Lui ont parfois été injustement retirés.
 
 

b) L’accident et la catastrophe homosexualisés :

L’accident, dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, recycle la pulsion entre grande love story, en coup de foudre : « C’était un coup de foudre réciproque. » (Élisabeth par rapport à son amante Catherine dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Il a levé les yeux, a souri et moi je suis tombé amoureux, immédiatement, instantanément. On appelle ça le coup de foudre. Moi, j’appelle ça la reconnaissance mutuelle. […] Je ne l’ai pas quitté. Il ne m’a pas quitté. On a dansé ensemble. Une fois. Un slow. ‘Pull marine’. Isabelle Adjani. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 108)
 

L’accident était pourtant potentiellement l’espace salutaire laissé pour le doute face à l’homosexualité, pour la gêne face à la viol/au fantasme de viol (qui passera, aux yeux de certains militants pro-LGBT, pour de l’homophobie intériorisée) : « Faudrait pas qu’on ait un accident. » (la dernière phrase de Kamel s’adressant à son amant-ventouse Christian, dans l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, p. 168) Une intuition de la conscience humaine avertit les personnes homosexuelles que le véritable accident qui les fait souffrir, la catastrophe qui les guette, c’est uniquement le passage à l’acte homosexuel ainsi que les sentiments homo-érotiques assumés. Par exemple, la forme qu’a choisie Jean Cocteau pour déclarer sa flamme à Jean Marais par téléphone est signifiante. Il lui annonce une « catastrophe ». Cette catastrophe, c’est qu’il l’aime : « Il y a une catastrophe : je suis amoureux de vous. » Jean Marais lui répond que lui aussi (cf. l’article « Jean Marais : le Disciple dissipé » de Patrick Renaudot, dans le Magazine littéraire, n°423, septembre 2003, p. 33). Par rapport au roman La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Kurt Hiller lui a seulement reproché que « l’amour pour un garçon soit diagnostiqué comme un symptôme de décadence et décrit presque comme le choléra » (Philippe Simonnot, Le Rose et le Brun (2015), p. 122).
 

Mais malheureusement, le motif de l’accident sert d’alibi à beaucoup de personnes et de créateurs homosexuels pour ne pas à avoir à s’interroger sur les échecs et les insatisfactions de la pratique homosexuelle. Si ça n’a pas marché, « c’est le destin », « c’est le hasard », « c’est que c’était pas le bon moment ni la bonne personne », « c’est la vie », « c’est l’amour ».
 

« Le grand point faible de l’homosexualité, c’est sa lâcheté : surpris en flagrant délit ‘d’outrage aux mœurs dans un lieu dit public’, le pédéraste ne peut chercher aucun secours chez son partenaire de rencontre ; il est seul. Personne n’est jamais homosexuel… sauf celui qui se fait pincer. Une ignoble loi de la jungle régit notre existence et nous vivons dans la perpétuelle attente de la catastrophe. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 103)
 

 

c) L’accident et la catastrophe fantasmés et orchestrés :

Marilyn Monroe passant sur une bouche d'aération

Marilyn Monroe passant sur une bouche d’aération


 

La plupart des personnes homosexuelles n’écoutent pas leur conscience, et trouvent plutôt dans les accidents/catastrophes un motif esthétique fantasmé dans lequel masquer/justifier leurs sentiments et leurs actes homosexuels. Les cataclysmes et les incidents sont une façon de combler leur effondrement désirant/identitaire, ou bien leur fantasme victimisant de viol/mort. « Je rêve si souvent de catastrophes propices aux évasions héroïques et aux aventures ! » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 59) ; « Je me persuade que nous allons avoir un accident. C’est un jeu, une construction. J’anticipe le dérapage, les freins qui hurlent, les tonneaux, l’explosion du moteur. Et mon corps projeté dans un fossé. Je touche de mes mains le sang qui coule de mes tempes, j’ai perdu la voix. J’attends de savoir ce qu’on fera de moi après la mort des miens. […] Je frotte une dernière fois l’idée de ma mort pour en faire jaillir ma légende, et déjà la voiture freine, l’exceptionnel cesse. Je ne suis qu’un garçon quelconque et envieux. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), pp. 41-52) ; etc. Par exemple, dans son Journal (1992), Jean-Luc Lagarce raconte qu’il est tellement fasciné par les catastrophes qu’il tient un journal nécrologique des personnalités médiatiques défuntes. Andy Warhol aime prendre en photo les crashs d’avion, les défenestrations réelles. Truman Capote est attiré par la catastrophe et le crime odieux : cette passion est relatée dans la biopic « Scandaleusement célèbre » (2007) de Douglas McGrath. Dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein » (« Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi, Sofiane, musulman homosexuel de vingt ans, lit sa revue Closer.
 

Aussi dur que paraisse le constat, certaines personnes homosexuelles, de leur propre aveu, identifient l’apparition du Sida dans les années 1980 comme LA Catastrophe qui leur confère un statut de victimes homosexuelles : « Une certaine proportion d’homosexuels sont dans une sublimation de la séropositivité ou revendiquent une séroconversion volontaire. […] La séropositivité permet d’annoncer son homosexualité, de faire en quelque sorte partie du ‘club’. » (la Direction Générale de la Santé, citée dans l’essai Sida, le vaccin de la vérité (1995) de Thomas Montfort, p. 30)
 

Une grande part de la communauté homosexuelle trouve dans l’homophobie, les accidents ou les catastrophes une occasion en or de se rendre intéressante en se victimisant, de s’acheter un héroïsme à peu de frais. Elle survivrait à un danger permanent, à une oppression permanente qui pourrait surgir de tous côtés et à n’importe quel moment. « À l’époque, il y avait de la discrimination partout. C’était affreux. » (le danseur transsexuel M to F « Carmen Xtravaganza », dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé sur la chaîne Arte le 20 octobre 2014)
 

L’accident ou la catastrophe incontrôlée permettent à un certain nombre de créateurs/cinéastes homosexuels de donner corps magiquement/instantanément à leurs amours impossibles/insatisfaisantes. Ces événements tragiques tombent comme un cheveu sur la soupe dans les intrigues qu’ils filment, et viennent à la fois briser l’« identité » et l’« amour » homosexuels, à la fois confirmer ceux-ci dans leur pseudo beauté, innocence et éternité. L’accident et la catastrophe dépeints par les personnes homosexuelles militantes pro-gays ne sont pas si catastrophiques ni si fortuits que ça. Il semble même qu’ils aient été programmés, et même voulus, « érotisés », « esthétisés » par elles : cf. la photographie Catastrophe mauve (1963) d’Andy Warhol. Et même si, au départ, elles n’en avaient pas l’initiative, elles finissent par s’y faire et par les considérer comme les cadres idéaux de leur personnalité et de leur amour. Il s’agit de prouver l’amour par son contraire.
 

Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, à chaque fois que le mythe de l’amour homo éternel peut subir la moindre égratignure, les auteurs font survenir l’accident de manière totalement abusive, comme une forme de censure, et de justification de l’amour homo par la catastrophe scabreuse, injuste, homophobe : Bryan se retrouve dans le coma après un accident de moto ; son amant Kévin est sur le point de se pendre ; Bryan finit assassiné à la fin du roman par une agression homophobe inattendue. Ce roman tente de nous certifier deux convictions contradictoires : que l’amour homo est magnifique ET impossible.
 

De même, le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot obéit à la même spirale sentimentalo-tragique : tous les personnages vivent simultanément des amours homosexuelles totalement idéalisées ET aussi totalement dramatisées (ça va ensemble quand un désir rejoint l’irréel !) : Marcel a 4 ans quand il a son accident qui le rend tétraplégique ; Ahmed et Saïd sont frappés par la foudre (qui sera fatal à Saïd) pile au moment où ils s’embrassent ; Patrick, le grand frère de Lucie, meurt tragiquement dans l’attentat contre les tours du World Trade Center ; quant à Lucie, elle voit sa compagne Ginette partir à la guerre en Irak.
 

La juxtaposition cinématographique d’un mal accidentel et de l’homosexualité est une recette qui marche de plus en plus au cinéma et dans les séries car elle repose sur un chantage aux sentiments et des réalités humaines douloureuses qu’il est extrêmement difficile de cautionner. Tout comme le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure exploitait la difficulté du coming out pour justifier le « couple » homo, tout comme le film « Les Joies de la famille » (2008) d’Ella Lemhagen exploitait le malheur de l’orphelin pour justifier la « beauté » de l’adoption « homoparentale », tout comme le film « Beautiful Thing » (1996) d’Hettie MacDonald exploitait le malheur de la précarité et du chômage pour dépeindre une idylle amoureuse homosexuelle, tout comme le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears exploitait le malheur de la xénophobie pour justifier la force de l’« amour » homo, tout comme le film « Loin du paradis » (2002) de Todd Haynes exploitait le malheur du racisme pour justifier la « véracité » de l’« identité homosexuelle », tout comme le films « Love ! Valour ! Compassion ! » (1997) de Joe Mantello exploitait sincèrement le malheur du Sida pour justifier les « couples » homos, tout comme le film « Tom Boy » (2011) de Céline Sciamma exploitait le « malheur » de l’adolescence et de sa soi-disant « cruauté » pour justifier la schizophrénie transidentitaire d’une adolescente, tout comme le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq exploitait le malheur de la stérilité pour justifier la Gestation Pour Autrui (= les mères porteuses), tout comme le téléfilm « Un Amour à taire » (2005) de Christian Faure exploitait le malheur de la guerre pour justifier la force de l’histoire d’« amour » homo, tout comme le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald exploitait le malheur de la vieillesse et de la mort pour prouver la beauté du « couple » homo, tout comme le film « Harvey Milk » (2008) de Gus Van Sant exploitait le malheur de l’homicide et de la folie meurtrière pour justifier le courage du militantisme LGBT, tout comme le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenn Ficarra exploitait le malheur de la prison pour démontrer la puissance de l’amour entre deux hommes, tout comme le film « Week-end » (2011) d’Andrew Haigh exploitait le désespoir amoureux pour justifier la « beauté » des « plans cul », tout comme le film « Le Secret de Brokeback Mountain » (2005) d’Ang Lee exploitait le malheur de l’homophobie intériorisée pour rappeler l’urgence du coming out, le film « Pride » utilise également la misère du monde ouvrier et les maladresses parfois violentes d’un monde hétéro découvrant l’existence des personnes homosexuelles, pour nous faire signer aveuglément le certificat d’« amour » décerné à la relation entre deux personnes de même sexe. Désolé, mais cela reste du mensonge.
 

Quand nous voyons des films traitant de l’homosexualité et choisissant pour toile de fond des événements terribles venant détruire une romance ou une identité homosexuelle présentée comme idyllique, nous avons tous envie de dire à la fin de la projection que la spectaculaire catastrophe ou l’agression extérieure rendent les unions homosexuelles, sinon idéales, du moins justifiables, même si dans les faits, ces films sont bien éloignés de la réalité quotidienne des « couples » homosexuels de chair et d’os. Qui peut essayer de comprendre avec un certain détachement les mécanismes de l’homophobie, après avoir vu un tel carnage d’« amour » construit sur pellicule ? Qui peut paraître humain de remettre en cause une image d’Épinal de l’« amour » homosexuel contrebalancée par une violence visuelle assurément percutante, mais ô combien exagérée ? Difficile, par exemple, de ne pas avoir le cœur brisé en voyant sur les écrans le désarroi du mari de Cathy Whitaker dans le film « Loin du Paradis » (2002) de Todd Haynes, homme qui n’arrive résolument pas à réprimer ses penchants homosexuels malgré toute la bonne volonté du monde, ou de ressortir du visionnage du « Secret de Brokeback Mountain » (2006) d’Ang Lee en affirmant la bouche en cœur que l’« amour » homosexuel n’est pas réel et merveilleux, même si nous l’avons vu entravé. Qui peut humainement se réjouir de voir dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus la spoliation (pour reprendre les termes de cette chère Arlette Laguillier) des droits des mineurs, la répression policière, la maltraitance des villageois au chômage et crevant de froid en hiver sans chauffage, le rejet d’un adolescent homo par sa famille bourgeoise hétérosexiste ? Personne ! Vraiment personne !
 

Mais, je vous le demande, est-ce que l’Amour ne se manifeste que dans les cas extrêmes où la liberté humaine se rapproche de la nullité ? À travers de tels films, les réalisateurs homosexuels sont plutôt en train d’enfermer l’Amour et l’identité humaine dans un cadre déterministe et fataliste. Ils valident par un regard orienté vers des situations particulièrement dramatiques une vision de l’existence humaine et de l’Amour très négative. Ils énoncent que l’Homme n’est que rarement libre et heureux, et que c’est cela sa vérité d’amour et d’identité. Comment peuvent-ils espérer ensuite que leur défense du désir homosexuel apparaisse aux yeux de la société comme aimante ?
 

Il semble paradoxal de prouver l’Amour par son contraire. Face à ce nouveau type de « films choc » (qui, soit dit en passant, dans leur formule, ne s’opposent pas aux comédies sentimentales et enjouées de l’homosexualité), nous sommes pris entre l’extrême compassion et la méfiance de l’émotionnel, si bien travaillé par le cinéma. Au fond, la révolte et l’empathie ne sont que des effets recherchés par ceux qui créent le mythe du couple télégénique homosexuel heureux, ou de l’homosexuel assumé et émancipé post-coming out, pour masquer la réalité d’une union beaucoup moins rose dans les faits. Ils universalisent, en quelque sorte, un méfait opéré sur un personnage télévisuel homosexuel vivant un scénario-catastrophe, pour ensuite justifier leurs utopies personnelles et des revendications concernant la communauté gay très discutables dans la réalité concrète. L’injustice filmée ne laisse pas de marbre, c’est sûr. Mais il y a une sorte de malhonnêteté intellectuelle à traiter de l’homosexualité avec d’autres thèmes qui lui sont liés mais non de manière causale (par exemple la folie meurtrière des camps de concentration, le déferlement incontrôlé de l’homophobie dans certains milieux sociaux culturellement pauvres, une agressivité familiale exacerbée, l’émergence inopinée du Sida, le handicap, etc.). Malhonnêteté rehaussée par sa prétention (hypocrite) au réalisme et à la biographie, car souvent ce sont des films basés sur des personnes ayant déjà existé, ou sur des « faits réels ». Le pire, c’est que je crois que cette volonté naturaliste du réalisateur est sincère et qu’il ne s’est même pas rendu compte qu’il manipule le Réel et le public par l’émotionnel.
 

Ne nous laissons donc pas déborder par nos émotions : écoutons la Réalité, qui est bien meilleure conseillère. En effet, comme humainement et éthiquement nous ne pouvons pas cautionner la haine et le mépris, nous sommes encouragés à signer sans réfléchir à des versions idylliques et victimisantes de l’« amour » homosexuel. On se réveille. Le couple homosexuel n’est pas le couple homosexuel cinématographique. La communion fraternelle vécue entre personnes homos (parfois concrète et porteuse d’une chaleur amicale réelle, d’un vrai pouvoir d’actions associatives de solidarité) n’est pas le couple homo. C’est con de le dire mais c’est vrai. Ne confondons pas l’amitié avec l’amour, la solidarité avec l’amour conjugal, la sincérité de nos bonnes intentions avec la Vérité (on peut vouloir le bien sans le faire), les films avec la Réalité, l’euphorie (adulescente) avec la vraie joie.
 

L’autre manière (moins sucrée et en apparence moins naïve, moins pathos… mais au fond tout aussi naïve) de quitter le Réel, c’est, chez les artistes LGBT, la création d’accidents par la violence et par l’iconoclastie politico-artistique… reposant concrètement sur des pièces contemporaines, sur des films « masturbation intellectuelle » pornos et trash, sur des actions militantes ponctuelles genre « accident programmé » (les sitting, les dying, les dégradations de bâtiments, les kissing spontanés, les arrivées impromptues des Femen sur les lieux de culte catholique, etc.). Si l’on s’en tient uniquement au monde du théâtre LGBT actuel, la mise en scène de soirées-catastrophes, où s’enchaînent les engueulades, les règlements de compte, les accidents, les gags plus ou moins sérieux, est une spécialité de l’humour camp. Tout y est dramatique mais finalement peu grave tellement l’accident est grossier, répétitif, est un ressort dramaturgique systématique. Je pense par exemple aux pièces de Copi, de Denis Lachaud, de Rodrigo Garcia, etc. Ces œuvres iconoclastes qui finissent en apothéose de la destruction (les scènes de théâtre parfois sont défigurées d’eau, de peinture, de merde, après les happenings « accidentels » et « politiques ») chantent en réalité la victoire artistique des apparences et des sentiments sur le Réel et sur l’Amour incarné.
 

Les happenings déproblématisent totalement l’homosexualité, sont des mises en scène qui se veulent innocentes, spontanées, improvisées (car l’acte homosexuel y est présent, mais non-assumé, non-verbalisé, non-justifié en tant qu’identité ou en tant qu’amour) mais qui justifient les actes homos par omission (car la pratique scénique est déjà une justification). En somme, ce sont des instruments de censure particulièrement redoutables puisqu’ils orchestrent l’accident en enfermant le spectateur dans leur silence et dans les impressions qu’ils suscitent en lui : « Les incidents divers sont particulièrement abondants. […] Les uns font appel à la violence, d’autres à l’ironie ; les uns ressemblent à des Haï-Kaïs, les autres représentent des scènes épiques. […]Le Happening ne comporte aucune intrigue, ainsi pas d’élément interne de ‘suspens’ qui puisse susciter l’intérêt du spectateur, et finalement le satisfaire. […] Il n’est pas exact (comme le supposent certains amateurs de ce genre de spectacle) que les Happenings soient un jeu d’improvisation. Ils sont répétés avec soin pendant une période qui peut varier d’une semaine à un mois. […] Les éléments matériels, objets mous ou résistants, propres ou sales, utilisés selon leur nature, prennent, dans le Happening, une importance primordiale. Ce souci d’utilisation de la matière, qui fait que le Happening tient de l’art de la peinture, au moins autant que de celui du théâtre, apparaît encore dans une certaine façon de traiter les personnages comme des objets plutôt que comme des êtres individualisés. […] L’art, ainsi compris, est à l’évidence agressif. Agressivité à l’égard du conformisme présumé de son public, et à l’égard du milieu social lui-même. Par sa technique des oppositions flagrantes, le surréalisme cherche, sur la sensibilité, l’effet de choc. […] Le surréalisme peut viser des objectifs plus sérieux : le fondement d’une thérapeutique, par une rééducation de la sensibilité dans le domaine des arts, et par une sorte de traitement psychanalytique visant à la réforme du caractère. Et il peut constituer enfin un arsenal technique de la terreur. […] Les Happenings présentent trois caractéristiques essentielles : en premier lieu, l’objectivation ou la dépersonnalisation des personnages ; en second lieu, l’importance accordée au spectacle et au bruitage, au détriment de la parole ; enfin, une volonté délibérée d’éprouver durement le public. […] Dans les Happenings, le bouc émissaire, c’est le public. » (cf. l’article « Les Happenings : Art des confrontations radicales » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), pp. 403-420) La scénarisation de l’accident ou de la catastrophe dans les fictions homo-érotiques, en plus d’illustrer une lâcheté et une démission de la pensée, fait et veut faire violence. Ne nous y trompons pas : c’est de la censure pure… sauf qu’on a du mal à s’en rendre compte car le premier à se censurer, c’est le censeur même !
 
 

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Code n°163 – Sommeil (sous-code : Dormeur du Val)

Sommeil

Sommeil

 
 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Il y a des sommeils qui sont beaux, parce qu’ils sont connectés au Réel, à la Vérité et à l’Amour. Et puis des sommeils cauchemardesques, parce qu’ils sont l’expression de nos désirs de fuir notre Humanité et le Réel.

 

Le sommeil fictionnel ou réel que vivent les personnes homosexuelles pratiquantes – qui, par leurs actes sexuels, excluent le socle du Réel qu’est la différence des sexes – est donc souvent tourmenté. Au départ, il prend l’apparence de la tendresse du câlin matinal. Puis peu à peu, il montre son véritable visage : l’ennui, l’infantilisation oppressante dans le « couple » homo, parfois même la mort ou le viol. La somnolence métaphorique qui les gagne témoigne de leur révolte inconsciente et impuissante face à un désir de viol (ou un viol réel) qui aurait dû les choquer mais qui les maintient encore dans la peur, la léthargie et l’inaction. Cet assoupissement dont certains auteurs parlent s’apparente à la mort poétique du Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud : le corps respire et dort, mais le désir, la conscience et le vrai repos n’y sont plus.

 

Il arrive à beaucoup de personnes homosexuelles de dormir symboliquement les yeux ouverts, de se quitter elles-mêmes, de se trouver là sans être là, de s’absenter sur place. C’est ce sentiment qu’on éprouve dans les lieux de sociabilité homosexuelle tels que les locaux d’associations LGBTI, les bars, les discothèques, ou les soirées entre amis 100% gays. Les corps vivent mais les consciences sont comme anesthésiées, éteintes. Même si la fatigue prend des allures de fête, le feu ne se trouve plus dans les regards. Parce qu’on désire trop quitter le Réel et nos corps sexués.

 
 

 N.B. : Je vous renvoie aux codes « Femme allongée », « Regard féminin », « Planeur », « Mort », « Morts-vivants », « Aube », « Mère possessive », « Oubli et Amnésie », « Frankenstein », « Funambulisme et Somnambulisme », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Parodies de Mômes », « Drogues », « Voyage », « Vampirisme », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », à la partie « Fatigue » du code « Manège », à la partie « Momie » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le sommeil anesthésiant et idéalisé :

Film "L'Homme de sa vie" de Zabou Breitman

Film « L’Homme de sa vie » de Zabou Breitman


 

Il est beaucoup question du sommeil dans les œuvres homo-érotiques : cf. la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi, la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le serpent pris d’insomnie), les sculptures Dessins d’insomnie (1994-1995) de Louise Bourgeois, le film « Bedfellows » (2010) de Pierre Stefanos, le roman L’autre sommeil (1931) de Julien Green, le film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar, le film « Daniel endormi » (1988) de Michel Baena, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, les chansons « Le Grand Sommeil » et « La Notte la Notte » (1984) d’Étienne Daho, l’opéra La Somnambule (1972) de Vincenzo Bellini, le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala (avec le sommeil de Maxime), la comédie musicale Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec Pierre, le personnage narcoleptique et bisexuel), le film « Les belles manières » (1978) de Jean-Claude Guiguet (avec le héros neurasthénique), le film « Caballeros Insomnes » (« Les Chevaliers insomniaques », 2012) de Stefan Butzmühlen et Cristina Diz, le roman Lettres à un homme noir qui dort (2007) de David Dumortier, la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, etc.

 

Ce n’est pas un hasard si, dans la fantasmagorie de l’homosexualité ou de l’asexualité, la figure de l’hermaphrodite (ou transgenre) est souvent représentée endormie. Par exemple, dans le film « Le Sang du Poète » (1930) de Jean Cocteau, l’hermaphrodite allongé sur un sofa est joué par le fameux travesti M to F Barbette. En sculpture, l’hermaphrodite est figuré par un personnage endormi : cf. je vous renvoie à l’Hermaphrodite endormi et à l’Hermaphrodite Borghèse, deux marbres romains exposés au Musée du Louvre à Paris.

 

Film "Orphée" de Jean Cocteau

Film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Ce sommeil vécu par le héros homosexuel n’est pas tellement un sommeil réparateur ou un sommeil de repos. Il ressemble plutôt à une léthargie narcissique, à une rêverie éthérée, à un orgueil mégalomaniaque, à une indifférence : « Toi, tu dors toujours. » (Claude s’adressant à Philippe, dans le film « Une Histoire sans importance » (1980) de Jacques Duron) ; « Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas dormi… » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Quinze jours après le Lutetia, huit jours après l’arrivée de ta mère, tu émerges d’une longue insomnie. » (Félix, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 169) ; « Loin de me perdre dans la vie des autres, je m’y nourris, je m’en nourris. J’y secoue mon sommeil de larve. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 35) ; « Je ne dors plus, professeur. Je reste éveillé nuit et jour. » (Freddie s’adressant au professeur Goldberg dans le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] s’endormit pour rêver que, par quelque étrange transposition, elle était Jésus. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 31) ; « C’est décidé, demain, j’arrête… de me réveiller. » (Benoît, le héros homosexuel de la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « À l’aube, il s’arrache au sommeil sans avoir l’impression d’avoir dormi. » (Jim Grimsley, Dream Boy (1995), p. 85) ; « Ça alors… qu’est-ce que je peux dormir ! » (Valentín, le héros qui est endormi et empoisonné par son compagnon de cellule homosexuel Molina, dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig, p. 184) ; « Quand est-ce que les poissons dorment ? » (Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Mary, l’amante lesbienne de Stephen, est neurasthénique. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Micke, le héros homosexuel, fait des crises de narcolepsie. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, la chanson qui passe dans la boîte scande ces paroles : « Le dormeur doit se réveiller. » Dans le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose-Marie, Nathalie, l’une des personnages lesbiens, est insomniaque. Dans le film « Cibrâil » (2010) de Tor Iben, Cibrâil, le héros homosexuel, fait de drôles d’insomnies. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, on découvre qu’avant de mourir, Matthieu, le héros, avait des difficultés à s’endormir. Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Jean-Pierre, face à Catherine (l’héroïne lesbienne) endormie, dit qu’il fait de la narcolepsie. Dans son one-woman-show Chaton violents (2015), Océane Rose-Marie fait référence à « la copine insomniaque qui panique » de sa compagne.

 

Dans les créations artistiques homo-érotiques, le sommeil est souvent aussi le signe fictionnel de la schizophrénie : quand le héros dit que quelqu’un sommeille en lui (un être réel ou fictif), c’est qu’en général il annonce un dédoublement de personnalité peu bienveillant : « Pourtant sommeille en moi une princesse toute en délicatesse. » (Didier Bénureau dans le one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « N’oubliez jamais ça : En chacun de nous sommeille une mémé comme moi. » (David Forgit, le travesti M to F dans la peau de l’acariâtre Mémé Huguette, dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show, 2013) ; « Dans toute femme, il y a une Ève malveillante qui sommeille. » (Rodin, le héros homo de la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; etc. Par exemple, dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur tombe amoureux de son jouet en bois, « Kiki », que lui avait offert son parrain décédé quand il était petit : « Vous savez, la nuit, je rêve encore de lui. »

 
 

b) Le sommeil comme un coming out ou comme un acte homosexuel :

Film "Billy's Hollywood Screen Kiss" de Tommy O'Haver

Film « Billy’s Hollywood Screen Kiss » de Tommy O’Haver


 

Le sommeil peut être un indice d’homosexualité (= le désir mortifié). Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau se met dans la peau d’une mère qui homosexualise son jeune enfant et le gave de somnifères par l’empêcher d’avoir des contacts avec les femmes : « Jeanjean, il est gros, gros, qu’est-ce qu’il bouffe ! Et puis il dort ! […] Il lui faut ses 16h de sommeil ! ».

 

SOMMEIL Dessin

 

Le fait de dormir avec un homme du même sexe ou d’imaginer dormir avec est parfois vécu comme un coming out par le héros homosexuel. Par exemple, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Michel, le psychopathe homosexuel, ne veut surtout jamais dormir ni passer une nuit avec ses amants. Sinon, il les tue. À ses yeux, le sommeil équivaut à l’engagement social et identitaire homosexuel ; donc il ne veut pas l’assumer. Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia, c’est au réveil que Didier se rend compte qu’il est au lit avec un homme et qu’il vient de passer à l’acte homo : « J’suis hétéro. J’ai dérapé. J’allais pas bien. Il était là… » Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, c’est dans leur sommeil que Juna et Kanojo s’unissent corporellement.
 

Film "Tick Tock Lullaby" de Lisa Gornick

Film « Tick Tock Lullaby » de Lisa Gornick


 

Dans beaucoup de films traitant d’homosexualité, les amants homosexuels sont souvent filmés endormis : cf. le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec Kenny, l’amant endormi), la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (avec Jean-Louis, l’amant endormi), le film « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider (avec André qui regarde amoureusement son amant Laurent dormir), le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, le film « Le Sable » (2005) de Mario Feroce, le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, le film « Paulo et son frère » (1997) de Jean-Philippe Labadie, la chanson « Mais… il dort » d’Ingrid, la chanson « Tu dors encore » d’Étienne Daho, la pièce A Vision Of Love Revealed In Sleep (1989) de Neil Bartlett, la photo Sense Of Space (2000) des frères Gao, le tableau Sieste (2005) de Jacques Sultana, la photo Sleeping Cupid (1989) de Robert Mapplethorpe, le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, etc.

 

Film "El Cielo Dividido" de Julián Hernández

Film « El Cielo Dividido » de Julián Hernández


 

Le héros homosexuel voit son amant comme un rêve et il le regarde ensommeillé, comme son petit « bébé d’amour ». C’est pour lui une forme de « chasteté », d’humilité : il fait l’amour à distance, « par sommeil interposé » pourrait-on dire. L’amour est envisagé par le personnage homosexuel comme un assoupissement : « Malcolm s’était endormi […]. Adrien avait allumé une cigarette et il regardait son ami. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 50) ; « Tant de fois je l’ai regardée dormir… » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 143) ; « J’aimerais être là à vous regarder dormir. » (Marianne s’adressant à son amante Isabelle dans le concert d’Oshen – la Lesbienne invisible Océane Rose-Marie – à L’Européen à Paris le 6 juin 2011) ; « J’aurai eu le plaisir de t’avoir vu dormir. » (Nicolas Bacchus parlant de son « gisant vénitien » dans sa chanson « J’veux pas être jeune », lors de son concert Chansons bleues ou à poing, 2009) ; « Dors, dors, mon mort… dors, dors, oh, mi amor… » (le chant de Louise au Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Ton esclave endormi, tu peux pas l’oublier. » (c.f. la chanson « Antinoüs » d’Hervé Cristiani) ; « Dors, Doyler. Dors, mon amour. » (Jim dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Quand je te vois, j’ai l’impression que tu n’es pas réel. Que je suis dans un rêve. Comme si tu venais d’ailleurs ou que tu étais immortel ! […] Tu es comme j’aurais voulu être, mais comme je ne suis pas. T’es mon rêve ! » (Bryan s’adressant à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, pp. 141-142) ; « J’ai découvert une autre photo de toi, prise dans ton sommeil. […] Tu dormais, dans un grand lit défait. […] J’étais heureux de voir que tu dormais seul. » (Idem, p. 372) ; « Je m’assierai près du lit et je te regarderai dormir. » (Tommaso s’adressant par téléphone à son amant Marco, dans le film « Mine Vaganti », « Le Premier qui l’a dit » (2010) de Ferzan Ozpetek) ; « Es-tu un frère ? Es-tu un rêve ? À des milliers d’âmes anonymes. » (cf. la chanson « J’ai essayé de vivre » de Mylène Farmer) ; « Sans frapper je suis entré dans la chambre de Khalid. Il dormait profondément. Sur le ventre. […] J’ai fermé les yeux. J’ai rêvé. J’étais chez Khalid. Je dormais avec mes vêtements de jour dans son lit. Seul dans son lit. Puis avec lui. Mais, du plus loin de mon sommeil, c’est moi qui parlais cette fois-ci. ‘Non, non, ce n’est pas moi… Oui, oui, c’est moi… Moi… Sûr… Sûr…’. » (Omar, le héros homosexuel regardant son amant endormi, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 44) ; « Vous pouvez coucher dans le lit. Moi, je peux dormir assise. » (Mme Simpson dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Cette société m’était importune, elle ne devinait pas l’amour qui souffrait là dans l’ombre : je voulus dormir ! » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane (1870), p. 207) ; « Dors comme une enfant innocente. » (Ebba, au lit avec son amante la reine Christine, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc. Par exemple, dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, le bonheur « conjugal » homosexuel se réduit à un assoupissement cucul la praline : les amants se regardent tendrement faire la « grâce mat’ ». Dans le toute première scène du film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, on nous montre le « vieux couple » Ben/George en train de dormir dans sa chambre à coucher. Dans le téléfilm « Ich Will Dich » (« Deux femmes amoureuses », 2014) de Rainer Kaufmann, Marie, l’héroïne lesbienne, croit dans son sommeil qu’Aysla la baise et la dépucèle homosexuellement. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les amantes lesbiennes Carol et Thérèse se regardent dormir l’une l’autre. C’est au moment où Thérèse voit sa compagne dormir qu’elle tombe amoureuse d’elle et la prend en photo. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, les deux jeunes amants Léo et Rémi s’aiment surtout pendant qu’ils sont allongés et endormis.

 

Film "Westler" de Wieland Speck

Film « Westler » de Wieland Speck


 

La recherche d’amant(s) chez le héros homosexuel pratiquant équivaut non pas directement à la recherche d’un « plan cul » mais plutôt à celle d’un doudou. Ça passe mieux, à ses yeux ! (même si, dans les faits, le résultat est le même !) : « Je me demande s’il faut baiser avec quelqu’un pour dormir avec. » (Henri s’adressant à Franck, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie) ; « Nous passâmes le reste de la nuit blotties dans les bras l’une de l’autre, dormant à poings fermés. Des phrases entières du Kama Sutra défilaient sur l’écran de mes rêves. L’édition que j’avais lue était imprimée en petits caractères, il y avait en couverture une illustration d’un manuscrit ancien. Dans mes rêves, les phrases servaient de légendes à des photographies, les personnages étaient Linde, Rani, et un brahmin d’une caste supérieure sorti de je ne sais quel film. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 36) ; « J’étais toujours impressionnée par ce rêve que j’avais fait et qui se passait en Grèce, où des femmes ensemble s’adonnaient sans retenue à tous les excès. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Je suis comme l’on est au désert. Rien de ce qui m’intéresse n’est là, et je n’ai plus le cœur de provoquer ces instants qui pourtant m’étaient tout. Hier, il faisait ce grand froid qui gèle tous les échanges. Aucune visite. Mes rêves seuls me tiennent encore compagnie. Ils sont peuplés de ces Grecques qui avaient à l’époque toutes les facilités pour vivre des relations maintenant interdites, et la nuit je participe à tout ce que mon imagination peut inventer. » (Idem, pp. 73-74) ; « Une nuit, alors que tout le monde dormait, je m’étais levée et, après avoir entrouvert le rideau qui isolait le lit de la surveillante du dortoir, je m’étais glissée sous ses draps. Dans un demi-sommeil, elle me laissa faire. Je me blottis contre elle et commençai des caresses qu’elle ne refusa pas. De son côté, ses mains faisaient de même. J’étais dans un état d’émotion qui ne se pouvait imaginer. Ses doigts se portaient déjà sur mon intime, mais, dès que sa main se posa sur mes seins, à peine plus gros que ceux d’un garçon, elle me dit d’une voix qui, bien qu’étouffée, n’appelait aucune réplique : ‘Non, va-t-en, je ne veux pas, tu es trop petite. » (Alexandra racontant comment, au pensionnat, elle est allée se glisser sous les draps d’une grande, op. cit., p. 225)

 

Par exemple, dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav, l’un des héros homosexuels, est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice » mais il ne semble pas se rendre compte que c’est un cauchemar : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau. »

 
 

c) Le sommeil qui ressemble à un cauchemar, à un viol :

Film "Grande École" de Robert Salis

Film « Grande École » de Robert Salis


 

À la base de beaucoup d’œuvres homo-érotiques se retrouve le sentiment de l’équivalence de la vie et du rêve. Ressort de cette confusion une vision de la vie humaine souvent défaitiste, déterministe, désabusée. « Tout n’est qu’apparences. La vie est un grand rêve factice où je ne construis rien, où tout ce que je vois est fugitif. »

 

Comme le désir homosexuel s’éloigne de la différence des sexes, le rêve qu’il engendre est plutôt un cauchemar angoissant, un viol ou un fantasme de viol : cf. le film « Kemény Csajok Nem Álmodnak » (« Les Dures ne rêvent pas », 2011) de Zsofia Zsemberi, le film « J’ai pas sommeil » (1993) de Claire Denis (avec l’homosexuel psychopathe qui tue les vieilles dames), le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le roman Les Insomnies (1923) de Maurice Rostand, le film « Hubo Un Tiempo En Que Los Sueños Dieron Paso A Largas Noches De Insomnio » (1998) de Julián Hernández, le film « Pas de repos pour les braves » (2003) d’Alain Guiraudie, la chanson « Effets secondaires » de Mylène Farmer, le roman J’ai pas sommeil (2003) de Cédric Érard, le roman Memorias De Un Neurasténico (1911) d’Antonio de Hoyos, le tableau Les Griffes du dormeur (1995) de Michel Giliberti, le roman Le Sommeil du juste (2000) d’Emmanuel Ménard, le film « El Despertar » (1976) de Manuel Esteba, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, etc. Par exemple, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, Fabien se trouve plongé dans un « lourd sommeil » qui n’est « ni la mort ni la vie » (p. 302) : un état intermédiaire, celui des zombies. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’un des héros homosexuels, raconte qu’il a rêvé de son « ex » (« J’ai fait un cauchemar avec Franz. ») : il lui donnait rendez-vous sur un quai de gare, mais ce dernier ne venait pas. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le héros homosexuel, depuis qu’il se remet à avoir des attirances homosexuelles, ne trouve plus le sommeil : « Je dors pas. Je fais des cauchemars. »

 

« Tout ce que je veux c’est dormir. » (William, le héros homo dépressif, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « C’est mon cauchemar qui continue ! » (Orphée dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Je lui ai fait avaler de l’éther mais je ne l’ai pas tuée. Mais non, je vous jure que je ne l’ai pas violée. Elle était déjà violée quand je suis arrivé. » (le détective parlant de « L. » au commissaire, Le Frigo (1983) de Copi) ; « Tu semblais paralysé par un puissant sommeil ; j’en profitai. Il s’était peut-être aussi réfugié là, cet amour que nous avions pourchassé en vain. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Un Jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 45) ; « La nuit, je m’imaginais hypnotisé, épinglé dans ses collections, entre un papillon et une mygale. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 14) ; « Nanou dit que je fais des cauchemars. Une fois, j’ai réveillé tout le monde tellement j’ai crié fort. Je me rappelle que c’était à cause d’une pluie d’oiseaux morts qui tombaient sur moi. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 14) ; « J’ai rêvé des mouettes de Hendon, cette nuit-là, de la pointe acérée de leur bec et de la souplesse de leurs griffes. De cette façon qu’elles ont de tourner la tête sur le côté et de vous regarder d’un œil unique, perçant et impénétrable. Un rêve digne de Tippi Hedren, lorsqu’elle s’enfuit, poursuivie par des hordes de mouettes, sauf que ces oiseaux-là ne faisaient rien, n’attaquaient pas, n’entraient pas par la cheminée ni ne cassaient les vitres. Ils regardaient seulement. » (Ronit, l’une des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 162) ; « La nuit de mardi, j’ai fait un rêve ; un de ces rêves aussi familiers que ma propre peau, mais que je n’avais pas fait depuis longtemps. J’ai rêvé que je me préparais pour le shabbat, mais que j’étais en retard, très en retard. » (idem, p. 221) ; « Dans d’autres rêves, elle se moquait de moi avec sa copine, pendant les cours de Gritchov. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait de si comique dans ma tenue. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 59) ; « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même, contemplant terrorisée mon propre visage dans l’ouverture en forme d’ogive, depuis la pierre tombale où je subissais ce terrible attentat. En revanche, mon agresseur lui-même n’était dans mon rêve qu’une masse sombre et sans visage. » (Bathilde, op. cit., p. 303) ; « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 134) ; « Je n’ai jamais aimé terriblement le réveil. » (George, le héros homosexuel du film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « À son réveil, – minuit, – la fenêtre était blanche. Devant le sommeil bleu des rideaux illunés, la vision la prit des candeurs du dimanche. Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez. » (Arthur Rimbaud, « Les Premières Communions », dans Poésies 1869-1872, p. 84) ; « Réveil tragique succède. Un sommeil sans rêve. La forme de son corps ne veut rien dire pour moi. Cherchez le garçon, trouvez son nom, cherchez le garçon. » (cf. la chanson « Cherchez le garçon » du groupe Taxi Girl) ; « Mathilde, lâche-moi, je sature. Laisse-moi dormir, je t’en prie. Laisse-moi dormir. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 71) ; « Maintenant, je vais dormir. Dormir. » (John, le héros homo, s’adressant une dernière fois par écrit à Rupert juste avant de mourir d’une overdose, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; « À vrai dire, je crois que je ne dors jamais. […] En fait, depuis le moment où j’ai été déchiqueté avec mes camarades, je ne me suis jamais vraiment senti réveillé. » (Garnet Montrose, le héros homosexuel du roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 132) ; « On était au bord d’un lac. On regardait un coucher de soleil. Soudain, tout s’est écroulé. On s’est endormis. Et ils nous ont trouvés. » (Graham en parlant de son amour impossible d’adolescence avec Manadj, dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden) ; « Tom fait des cauchemars. » (Peter s’adressant à son amant Tom à la troisième personne, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, c’est au moment où Henri se voit offrir par le Dr Bosman sa première coucherie avec Jean (« Regarde-le comme il dort. Tache de ne pas le réveiller. Vas-y, prends-le. Je te le donne. Et surtout, ne le réveille pas. Il a tant besoin de sommeil. ») et où il le voit endormi (Bosman a administré des somnifères à Jean, qui reste inanimé) qu’il l’étrangle puis pleure sur son cadavre. Dans la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, Mikel, le héros homosexuel, mord le clitoris de Begoña pendant son sommeil. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, est rentrée en homosexualité comme en sommeil : « Il faut être naturellement somnolent. » lui conseille son amant mexicain Palomino avant de le sodomiser. Eisenstein dit que c’est de la faute de Palomino s’il a pris goût à la pratique de l’homosexualité : « Cañedo m’a initié à la sieste. [mexicaine] » Mary Sinclair, la bourgeoise, s’étonne de son endormissement : « Il est 10h du matin… et vous êtes encore en pyjama ? » En off, à sa secrétaire russe Pera, Eisenstein lance un appel au secours : « Délivre-moi des hommes qui s’endorment dans mon lit. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio est frustré parce qu’Oliver, son amant, est souvent endormi, donc inaccessible. D’ailleurs, la première image qu’il a de lui, c’est celle d’un homme écrasé de fatigue, et s’affale sur son lit sans lui parler.

 

Dans les fictions homosexuelles, les viols ont parfois lieu pendant le sommeil des personnages : cf. les chansons « Pourvu qu’elles soient douces » et « L’Annonciation » de Mylène Farmer, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le film « Viridiana » (1961) de Luis Buñuel, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar, etc.).

 

Le sommeil est lié aussi au vol. Par exemple, dans le film « La Manière forte » (2003) de Ronan Burke, un couple de femmes lesbiennes – en quête de sperme pour avoir un bébé – ausculte le corps d’Adam plongé dans un semi sommeil tourmenté, en enfilant les gants pour le pomper comme une vache. L’une d’elle, au moment où Adam commence à se réveiller, parle de lui comme d’un objet : « Nom d’un chien. C’est normal que ça soit aussi éveillé ? »

 

Chez le héros homosexuel, l’obsession réitérée de « ne pas dormir seul » a tout l’air d’une réminiscence de sexualité régressive (souvent puérile et incestuelle) : « Le huitième jour, une odeur de vanille fait surgir l’image de ta mère. Lorsque l’effluve s’agrémente d’un soupçon de bois de rose, l’image prend du relief. Statufié dans ton sommeil, tu jurerais qu’elle te fait face, que ses boucles noires titillent tes joues comme des plumes. » (Félix, le narrateur homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 167) ; etc. Par exemple, dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Max cauchemarde que la mère de Fred, son copain, l’agresse en cuir. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz, l’un des héros homosexuels, rêve à deux reprises qu’il se fait violer par son beau-père qui pénètre dans son lit : « Puis il est venu dans mon lit. J’avais l’impression de devenir de plus en plus petit. Comme une fille. Puis il est rentré en moi. ». Son amant Leopold tente de renouveler l’exploit, cette fois en y rajoutant la séduction d’une pratique amoureuse « équitable » : « Déshabille-toi et j’arriverai. Comme l’homme du rêve. » Mais cela ne retire en rien l’incestuosité et le déséquilibre de leur rapport. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, s’imagine en amant miniature dormant sur le gazon végétal puis le torse velu de son père fantasmé : il semble se rappeler d’un souvenir d’enfance quand il avait 2 ans (« Je m’endormais sur son torse. Il était hyper poilu. »).

 
 

d) Le sommeil comme une mort : le Dormeur du Val homosexuel

Tableau Le Dormeur du Val d'Olivier Bonnelarge

Tableau Le Dormeur du Val d’Olivier Bonnelarge


 

Menée à son terme, la violence du sommeil fictionnel homosexuel aboutit souvent à une issue plus tragique. Plus tranquille en apparences aussi. En effet, dans énormément de créations homo-érotiques, le sommeil s’apparente à la mort : cf. le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria, les films « Swimming Pool » (2002) et « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky (avec la femme suicidée dans la baignoire), le film « Wild Side » (2004) de Sébastien Lifshitz, la pièce Récits morts. Un rêve égaré (1973) de Bernard-Marie Koltès, le film « Œdipe (N + 1) » (2003) d’Éric Rognard (où le sommeil est un coma créant le clonage), etc.

 

« Je peux rentrer en contact avec les personnes mortes, ou les personnes en sommeil paradoxal. » (Noémie dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone) ; « Elle était petite de taille, sans âge et portait des habits noirs. Elle était sans doute une mendiante et elle avait hérité d’un certain pouvoir. Elle savait faire. Elle savait toucher. […] Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité. […] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. […] La dame en noir a lâché mon nez et de sa bouche a soufflé sur moi. » (Omar, le héros homosexuel racontant comment il est visité par la Mort, dans le roman Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, pp. 93-94) ; « J’me rappelle. Il dormait tellement longtemps. » (une ancienne amie portugaise de Matthieu, dont elle ignore la mort, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « Pierre, toujours immobile sombrait dans un sommeil immédiat, épais, dont je me demandais, avec une âpreté qui certaines nuit ressemblait à la haine s’il était feint, j’épiais passionnément la régularité du souffle. […] J’examine tous les gestes qui ont précédés ce sommeil froid, je recherche à provoquer l’attention du dormeur. […] Je – il dort. » (Jean-Louis Bory, La Peau des Zèbres (1969), p. 278) ; « Le masque étroit aux joues hâves avait cet air indéfinissable qui apparente les dormeurs aux morts. » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 306) ; « Le cadavre de Karim [un des héros homos] ressemblait davantage à un corps endormi et sans l’expression hébétée du visage, il aurait paru dormir pour de bon. » (Jean-Paul Tapie, Dix Petits Phoques (2003), pp. 73-74) ; « Je vois ses yeux fermés et la quiétude qui transparaît sur son visage. Il ne bouge plus. Est-il mort ? » (Thibaut de Saint Pol, Pavillon noir (2007), p. 99) ; « L’homme était mort ou dormait profondément. […] J’avais peur de le réveiller, c’est donc que j’y croyais encore, à sa vie. À la réflexion, c’est à partir de là que les choses ont commencé à se compliquer pour moi. » (Ashe, l’un des héros homos du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 16) ; « J’ai comme une envie de voir ma vie au lit. » (cf. la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer) ; « Chaque jour, même parcours, ne rien faire, attendre et voir. Errer dans les limbes de mon âme qui boîte. Rester dans ma chambre, me bercer dans le ouate. Dormir, me blottir contre mes idées noires. » (cf. la chanson « Je baille » du Beau Claude) ; « Quand on meurt, j’aimerais savoir ce qu’on ressent. On croit qu’on s’endort ? » (Jacques s’adressant à Enoch, dans le film « Friendly Persuasion », « La Loi du Seigneur » (1956) de William Wyler) ; etc.

 

Par exemple, dans le téléfilm « Prayers For Bobby » (« Bobby, seul contre tous », 2009) de Russell Mulcahy, Bobby, le héros homosexuel, juste avant de se suicider, déclare : « Je voudrai ramper sous une pierre et dormir pour toujours. » Dans l’univers de Mylène Farmer, le sommeil ressemble à la mort (cf. les vidéo-clips des chansons « Dégénération » et « Tristana », le sarcophage du concert Avant que l’ombre de 2006 à Bercy, etc..). Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, Elton John semble dormir dans son sommeil… alors qu’il est mort. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, après une chute en tire-fesses dans la montagne autrichienne, est retrouvé inanimé dans la boue par le groupe d’enfants de colonie de vacances d’Andreas, qui le croient mort ou endormi ; il est soigné par le bel Andreas.

 

Dans les fictions homosexuelles, la résurgence d’un homme dont on ignore s’il est endormi ou assassiné/mort n’est pas sans rappeler la fameuse figure poétique du Dormeur du Val (1870) d’Arthur Rimbaud. On retrouve le Dormeur du Val par exemple dans les vidéo-clips des chansons « C’est une belle journée » et « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo, dans le vidéo-clip de la chanson « Le Lac » d’Indochine, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, dans le film « Amnesia – The James Brighton Enigma » (« Amnésie, l’énigme James Brighton », 2005) de Denis Langlois, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec le suicide du guerrier anglais), dans le roman Le Corps du soldat (1993) d’Hugo Marsan, dans le spectacle musical Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, dans le film « Pour un soldat perdu » (1992) de Roeland Kerbosch, dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec le personnage de Michel), dans le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, etc. Par exemple, dans le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel, Vassili rencontre Angelo inanimé dans le Bois de Boulogne. Dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mère d’Adrien, le héros homosexuel, par une hallucination, croit voir en vrai son fils mort dans sa baignoire. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, on voit un homme proustien endormi sur un banc public. Et plus tard, Louis, le fils de Jacques (le héros homo), récite à Arthur, l’amant de Jacques, le « Dormeur du Val » qu’il a appris à l’école.

 

Film "Pour un soldat perdu" de Roeland Kerbosch

Film « Pour un soldat perdu » de Roeland Kerbosch


 

« Je suis resté longtemps à le regarder avant de réaliser. Il n’était pas endormi. Il était mort. […] Une fois de plus je m’étais enfui de chez moi. Je descendais la rivière pour y remplir ma gourde et il y avait un soldat prussien, pas beaucoup plus âgé que moi, qui dormait dans la clairière. Je suis resté longtemps à le regarder avant de réaliser. Il n’était pas endormi. Il était mort. Et c’est là que tout à coup les choses sont devenues claires pour moi. J’ai compris que si je voulais être le plus grand poète de ce siècle, je devais faire l’expérience de toute chose avec mon corps. Je ne pouvais plus me contenter d’être une seule personne. Je décidai d’être toutes les autres. J’ai décidé d’être un génie. J’ai décidé d’inventer le futur. » (Rimbaud dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « C’est comme dans l’enfance : j’ai déniché une nouvelle cachette. […] La terre me pèse un peu, bien sûr, mais j’aime l’idée de ne plus faire qu’un avec elle, de me fondre en elle, d’être envahi par elle, de m’en retourner en elle. […] Rimbaud avait raison, mais de cela je n’ai jamais douté. » (Luca, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 61) ; « La guerre est là. Elle a ton visage, Arthur. » (Vincent s’adressant à son amant dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 35) ; « Au matin, tu es recroquevillé dans les draps. Je songe que c’est dans cette position-là que les soldats s’endorment et se réveillent dans les tranchées. […] Je n’ose pas t’arracher au sommeil, au repos. » (Idem, p. 42) ; « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, op. cit., p. 175) ; « Il m’entraîne dans le métro, sans mot, c’est long, puis dans les labyrinthes du Louvre, sur une petite prairie isolée par une barrière de buissons aux branchages nus, l’herbe gelée crisse sous nos pas. Il enlève ses deux gros gants, son écharpe, son bonnet, son manteau, son pull, son tshirt, il ordonne ‘Fais pareil’. Quand il a fini, dans son petit slip made in India, il s’allonge dans l’herbe, sur le dos. Je le rejoins, transis de froid. Il se tourne et murmure doucement en grelottant ‘Maintenant respire, fort, à fond, le plus possible, sens les odeurs, ferme les yeux, le froid ça va passer quand tu auras oublié où tu es. On est bien là, non ?’ Je chuchote un ‘oui’ à peine audible, mais j’ai envie qu’il me prenne dans ses bras. Il ne le fait pas. Petit à petit, il tremble moins. Je le regarde. Il est apaisé et étrangement calme. Je l’aurais cru mort si son ventre ne se levait pas à intervalle régulier. Je le trouve beau, jeune, fort. Après un moment, il se rhabille, je l’imite. Je lui demande son prénom, il répond ‘H.’ et j’ajoute ‘Tu vois, ce qui est important, c’est de vivre chaque instant. Peu importe quoi, peu importe avec qui.’ Puis il dit ‘Adieu’ et il s’en va sans se retourner. Je hurle le plus fort possible ‘Connard, gros connard, sale pédé de merde, va crever.’ » (Mike, le narrateur homosexuel en parlant de « H. », un amant qu’il rencontre à la gare du Nord, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 61) ; « Dans le combat, il y avait un compagnon que j’aimais. » (Didier Bénureau en parlant de Morales, un camarade soldat de 20 ans, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Allongé le corps est mort. Pour des milliers c’est un homme qui dort… » (cf. la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer) ; etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Pourvu qu'elles soient douces" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Pourvu qu’elles soient douces » de Mylène Farmer


 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le sommeil anesthésiant et idéalisé :

Publicité des matelas Matelsom

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Évidemment, une fois ramené au monde réel, le sommeil, en lien avec l’homosexualité, n’est pas à prendre dans son sens littéral (les personnes homosexuelles dorment comme tout le monde, et pas plus ou moins que tout être humain), mais bien dans son sens symbolique (un sens qui n’en reste pas moins connecté au Réel… c’est-à-dire de « manque de désir et de joie »).

 

Au départ, cette sacralisation homosexuelle pour le sommeil passerait presque inaperçue ou pour un caractère rigolo et positif. En effet, certaines personnes homosexuelles vivent dans un état de sommeil durable, ou bien sacralise l’endormissement et les rêves : par exemple, René Crevel est décrit par Michel Leiris comme un « dormeur enfoui dans une chrysalide protectrice » (Michel Larivière, Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres, 1997). Jean Genet vit dans un état de « rêve éveillé » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 73).

 

« Soyons à l’image de nos rêves ! » (Pascale Ourbih, homme transsexuel M to F, dans l’éditorial de la plaquette du 17e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, le 7-16 octobre 2011) ; « Ce n’est pas le sommeil de la raison qui engendre des monstres, mais plutôt la rationalité vigilante et insomniaque. » (Michel Foucault dans sa « Préface » pour l’essai L’Anti-Œdipe (1973) de Gilles Deleuze et Félix Guattari, p. 133) ; « Nulle conscience plus lucide que celle des Endormis. » (Michel Foucault, Dits et Écrits I (1954-1988), p. 290) ; « Il y a un état de somnolence qui n’est pas le sommeil. Une sorte de vérité qui sort de nous et qui n’est pas le rêve ni la rêverie. » (Jean Cocteau cité dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « Ma première émotion artistique, je la dois à la radio. Je me souviens très précisément des soirs où, de mon lit, j’entendais le poste dans la salle à manger : Rina Ketty, Maurice Chevalier, Tino Rossi, Mistinguett chantaient et j’étais fasciné par ces voix lointaines qui berçaient mon imagination et m’endormaient dans un sommeil de fête. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des Singes (2000), p. 23) ; etc.

 

Je vous renvoie à la Salle des Dormeurs de la Villa Sospir décorée par Jean Cocteau. Lors de son concert à Rueil en 2008, Étienne Daho choisit pour décor un disque vinyle en spirale sur sa chanson « Le Grand Sommeil », comme pour figurer l’hypnose ou le lavage de cerveau par la musique.

 
 

b) Le sommeil comme un coming out ou comme un acte homosexuel :

Film "Sommerstur" de Marco Kreuzpaintner

Film « Sommerstur » de Marco Kreuzpaintner


 

Le sommeil apparaît bizarrement l’indicateur d’une identité homosexuelle. Par exemple, le fait de dormir avec un homme du même sexe ou d’imaginer dormir avec est vécu comme un coming out par certaines personnes homosexuelles. « Je viens juste de me rappeler à quel point Tennessee Williams [surnommé « L’Oiseau »] détestait coucher avec d’autres auteurs, ou avec des intellectuels tout court. ‘Je trouve très dérangeant de penser que la tête posée sur l’oreiller à côté de vous puisse penser, aussi’, dit l’Oiseau. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 350)

 

Ce sommeil, beaucoup d’individus homosexuels se convainquent qu’il est aussi grisant et léger que l’Amour vrai. Dans leurs discours, le bonheur conjugal est envisagé uniquement comme un endormissement, une défaillance, une démission de la volonté (cf. je vous renvoie au dessin Jeannot endormi (1939) de Jean Cocteau, à propos de Jean Marais). Selon eux, le « must » du moment d’amour serait le réveil-matin où les amants sont cloués au lit et se regardent tendrement l’un l’autre émerger du sommeil en se faisant des mamours. Par exemple, quand j’ai rencontré l’écrivain Alexandre Delmar à la Librairie Bluebook le 15 juin 2007, je lui ai demandé quel était selon lui le plus beau moment de l’amour : il m’a répondu d’emblée que c’était le matin, quand son compagnon du moment et lui comatent au lit (c’est hyper profond comme discours…). Le bonheur comme une anesthésie éphémère et silencieuse, un bien-être ponctuel, sous une couette bobo…

 

Film "Week-End" d'Andrew Haigh

Film « Week-End » d’Andrew Haigh


 

La recherche d’amant(s) chez l’individu homosexuel pratiquant équivaut non pas directement à la recherche d’un « plan cul » mais plutôt à celle d’un doudou avec lequel il fait un beau rêve (même si, dans les faits, le résultat est le même !). « Il s’immobilisa, interloqué devant cette nudité inattendue. ‘C’est un rêve. C’est un ange descendu sur terre’, soupira le vieux couturier. » (Jacques face à son modèle et amant de 16 ans, Pedro, le jeune cadet de 16 ans, dans l’essai Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 261) ; « Vous avez un homme qui dort profondément à vos côtés, vous êtes collé à lui, non en fait c’est lui qui s’est collé contre votre ventre et vous le protégez pendant son sommeil autant que lui vous protège – c’est juste qu’il ne le sait pas. Ah, je parle ENCORE du fait de dormir avec son amoureux. » (cf. l’article « Moi vs le Roi des rois » de Didier Lestrade, publié en mai 2012) ; « Dors comme une enfant innocente. » (Ebba, au lit avec son amante la reine Christine, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; etc.

 
 

c) Le sommeil qui ressemble à un cauchemar, à un viol :

Le désir homosexuel, de par son éloignement du « roc » de la Réalité qu’est la différence des sexes, fonctionne exactement comme le rêve. Les rêves ignorent la notion du temps, et un peu beaucoup la notion du Réel. Ils sont irrationnels, même s’ils se basent sur un substrat de réalité et qu’ils ont leur logique. Tout s’y passe au présent. Ils sont la scène de notre puissance émotionnelle, une puissance souvent incontrôlable car nous sommes en faiblesse et peu libres quand nous sommes à l’état d’ensommeillement. Ce n’est pas un hasard si les surréalistes – pour beaucoup homosexuels – ont raconté et dépeint des rêves qui virent aux cauchemars dans leurs créations artistiques : l’onirisme surréaliste flirte avec la violence. L’homosexualité aussi.

 

« Le temps nous enveloppa dans un tourbillon difficile à définir, celui de la léthargie du bonheur. J’avais fini par me dévoiler comme une fleur qui étale ses pétales en plein soleil. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant du père Basile, son violeur pédophile, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 34) ; « J’attendais. Mieux que ça, je rêvais. Un rêve comme celui du Bon Dieu qui couche avec Satan. » (Idem, p. 72) ; « Je vis dans ce monde-ci comme un être hypnotisé que tente de revenir à l’état de vigile et à la pleine conscience ; j’ai cédé au prestige d’une pure illusion et, à l’heure actuelle, mon réveil est difficile et douloureux. » (Julien Green cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « J’avais encore du mal à croire que tout cela était bien réel. J’avais plus l’impression de l’avoir vécu lors d’un de ces rêves éveillés. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 145) ; etc.

 

Les nuits sans sommeil sont connues par beaucoup de personnes homosexuelles qui fréquentent – sans l’assumer – les lieux de sociabilité gays et lesbiens (bars, boîtes, chat internet, etc.). Elles dorment sans dormir… et mettent ainsi un pied dans l’irréalité et la violence des fantasmes, des paradis artificiels. « Devant le petit miroir de sa loge, après avoir rasé, une fois de plus, son visage déjà ravagé par les nuits sans sommeil et les fards trop lourds, Claude se coiffe. » (Jean-Louis Chardans décrivant un homme travesti M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 36)

 

Chez les personnes homosexuelles pratiquantes, l’obsession réitérée de « ne pas dormir seules » a tout l’air d’une réminiscence de sexualité régressive (souvent puérile et incestuelle) : « Ma mère et moi étions très proches quand j’étais très jeune : ce qu’on dit des petits garçons, la proximité qu’ils peuvent avoir avec leur mère – cela avant que la honte creuse la distance entre elle et moi. Quand la nuit tombait, une peur inexplicable s’emparait de moi. Je ne voulais pas dormir seul. Je n’étais pourtant pas seul dans ma chambre, je la partageais avec mon frère et ma sœur. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 78-79) ; « En me rendant devant la chambre de mes parents ces nuits où, tétanisé par la peur, je ne trouvais pas le sommeil, j’entendais leur respiration de plus en plus précipitée à travers la porte, les cris étouffés, leur souffle audible à cause des cloisons trop peu épaisses. » (idem, pp. 81-82) ; etc.

 
 

d) Le sommeil comme une mort : les Dormeurs du Val homosexuels

SOMMEIL Regard braise

 

On retrouve parfois la figure de l’homme endormi qu’on croit mort ou qui joue au mort dans la vie concrète de la communauté homosexuelle (les nuits courtes, enfumées ; les attitudes de mollesse de personnes qui semblent shootées ; etc.).

 

Je vous renvoie aux fameux Die-in mis en scène par certains militants homosexuels (comme par exemple celui du Boulevard Henri IV de la Gay Pride parisienne de 1999), qui se couchent par terre en simulant que leur sommeil est mortel. Ces Die-in figurent en général le Sida et l’homophobie.

 

Rien d’étonnant non plus que les promoteurs du « mariage pour tous » soient les mêmes qui défendent maintenant le droit à l’euthanasie, en considérant le sommeil comme une mort.

 

Pierre et Gilles

Album Resérection d’Étienne Daho


 

Certaines célébrités homosexuelles ont également célébré la figure poétique du Dormeur du Val homosexuel : Philippe Besson, Pierre et Gilles, Mylène Farmer, Jean Cocteau, Étienne Daho, etc. Je vous renvoie à la photo par Claude Cahun de Natalia Kovenko dans La Dame masquée en 1924. Inutile de rappeler que le créateur du Dormeur du Val (octobre 1870), Arthur Rimbaud, était un homme bisexuel. Ce soldat prussien, tout fictionnel qu’il soit, peut renvoyer à un épisode réel : par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, Claude-Michel Cluny a eu une aventure avec un soldat allemand quand il n’avait que 14 ans.

 

Parfois, certains sujets homosexuels jouent les Dormeurs du Val pour tromper leur monde, par réel ennui de ce qu’ils vivent en amour (ils cultivent savamment leur nonchalance en esthétisme), ou pour draguer (exactement comme les voix-off bobos endormies et caressantes de François Zabaleta) : « L’été, c’est dans les parcs que je me promène. Je connais les bons endroits. Je m’étends dans l’herbe, à l’écart. […] Quand un gars s’approche et me plaît, je le laisse faire. » (Bruno, un garçon bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 205)

 
 

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