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Pas d’UMP à la prochaine Gay Pride !

Pas d’UMP à la prochaine Gay Pride !

Table ronde improvisée sur Facebook au sujet de l’égalité de droits pour les personnes homosexuelles

 

 

Voici l’intégralité d’un échange spontané datant de février 2010 et que j’ai entretenu avec deux internautes trentenaires de Facebook, Paul D. et Jérôme M., que j’avais dans mes contacts mais que je ne connaissais pas du tout en vrai. Tout a commencé quand j’ai lu sur le mur de Jérôme M. que ce dernier « aimait » le Groupe Facebook « Pas d’UMP à la Marche des Fiertés« . J’avais réagi gentiment en le commentant : « Qu’est-ce que c’est que ce groupe??? ^^ Qu’on soit de droite ou de gauche, elle est où, la tolérance qu’on demande aux autres si même entre homos on n’est pas unis et on alimente ce genre de sectarismes ? ». Ce « post« , pourtant anodin et qui aurait pu me passer sous le nez, nous a donné l’occasion de parler des droits « des » homos (mariage gay, homoparentalité, PaCS…) et a entraîné un dialogue sur les questions de société LGBT qui aurait pu s’éterniser, où chacune des parties s’est relativement bien prêtée au jeu et a développé librement son argumentaire. Je remercie donc chaleureusement Paul D. et Jérôme M. d’avoir pris le temps pour l’écoute et le dialogue… même si, à la fin, nous ne sommes pas toujours tombés d’accord. L’important est d’avoir échangé, malgré tout. Je me permets de saluer la qualité de leurs réflexions, leur rigueur et leur honnêteté intellectuelle, qui m’ont poussé dans mes retranchements, et qui ont vraiment contribué à élever le débat pour le rendre publiable et digne d’être connu.

 

N.B. : Dans ce petit débat virtuel, que j’ai tenu à ne pas fermer moi-même (même si j’aurais été tenté de le faire en répondant une dernière fois à Jérôme M. pour « boucler la boucle » en vainqueur… ce qui n’aurait pas été très fair-play de ma part) et à retranscrire tel quel (y compris avec mes « lol » et mes « mdr » ridicules : pour que l’échange soit un minimum possible et pacifié, je me suis forcé à rajouter une tonalité joviale à des phrases qui, échangées entre inconnus, auraient pu être mal prises dans le contexte froid et émotionnellement décuplé d’internet), je vous engage à faire attention dans le discours de mes interlocuteurs à 3 détails :

 

1 – D’une part à toutes les expressions du déni (« Je ne vois pas ce que tu veux dire… » ; « Tu as peut-être raison, mais je ne suis toujours pas convaincu.« ) ainsi que tous les indices de nonchalance, d’indifférence, de relativisme (« J’en n’ai rien à foutre » ; « Chacun fait ce qu’il veut. L’important, c’est d’être soi-même.« ; etc.).

 

2 – D’autre part comment est célébré et érigé en valeur indétrônable le Dieu « Égalité » (celui qui distribue des Droits) sans aucune remise en question.

 

3 – Et enfin toutes les marques d’anti-fascisme moralisant (références manichéennes qui ne se disent pas en termes religieux ou clairement moraux mais qui obéissent quand même à un axe bien/mal dans lequel le bien se situerait dans LEUR idée du progrès et de la démocratie, et dans lequel le mal serait des personnes humaines bien identifiables – Christine Boutin, Christian Vanneste, etc. – dont tous ceux qui ne les diaboliseraient pas comme de dangereux ennemis de la liberté seraient les pernicieux complices).

 

 

Mur de Jérôme M. :

 

Jérôme aime le groupe « Pas d’UMP à la Marche des Fiertés« .

 

Philippe Ariño :

 

Qu’est-ce que c’est que ce groupe??? ^^ Qu’on soit de droite ou de gauche, elle est où, la tolérance qu’on demande aux autres si même entre homos on n’est pas unis et on alimente ce genre de sectarismes ?

 

Jérôme M. :

 

Le fait que je fasse partie d’un groupe, que je publie un lien ou un article sur cette page ne veux pas forcément dire que je partage tout ou partie des opinions. J’ai décliné la première invitation à rejoindre ce groupe parce que je ne trouvais pas judicieux d’exclure, lors de dernière Gay Pride, Gay Lib. J’avais la même position que tu adoptes. Et je pensais que Gay Lib avait une carte à jouer, pour faire bouger les mentalités de l’intérieur. (Et je le pense toujours).

 

Si j’ai finalement intégré le groupe, c’est qu’il y a, dans ce groupe, des conversations, des échanges, des débats d’idées. Et évidemment des critiques de l’UMP voire de Gay Lib parce qu’il faut reconnaître que des propos tenus par la droite lors du Pacs aux gages lancés à l’électorat le plus conservateur lors de l’affaire du « Baiser de la Lune« , les positions de l’UMP filtre toujours avec un conservatisme nauséabond. On peine à voir les résultats de l’action de Gay Lib tant les conservateurs font entendre leur voix. Sans parler que sur le papier, les partis de gauche sont quand même nettement plus Gay Friendly que l’UMP.

 

Je pense aussi que l’orientation sexuelle n’est qu’une composante de notre identité et qu’il est somme toute normal que nous ayons des avis différents. Même s’il est primordial d’être unis pour la défense d’intérêts collectifs. Et personnellement, je ne demande pas de la tolérance. Je demande un peu plus que d’être toléré. Je demande comme beaucoup d’autres une égalité totale des droits.

 

Paul D. :

 

Je partage ton point de vue Jérôme et je trouve ton argumentaire brillant ! Chapeau.

 

Philippe Ariño :

 

S’inscrire dans un groupe, ce n’est pas forcément y souscrire… mouaif… si on veut… (lol) Cela reste quand même très rare, ici, les Facebookiens qui s’inscrivent dans un groupe qu’ils ne cautionnent pas. Je te mets au défi de m’en trouver, cher Jérôme, … (à part toi) :-)))

 

Sinon, je ne sais pas si on peut généraliser comme tu le fais sur la droite et sur l’UMP : ils n’ont pas qu’une voix, qu’un avis, et ils ne sont pas composés de personnes qui pensent pareil. (Je ne crois pas aux expressions du type « les propos tenus par la droite »). Il n’y a que « des » droites, même s’il existe une tendance. Et je peux te montrer aussi « des » gauches très homophobes et pas du tout « gay friendly« !!^^

 

Concernant d’ailleurs ladite « communauté homo », j’ai été étonné de voir que, au dernier SIGL (Salon International Gay et Lesbien de Paris), le stand de Gaylib’ était bien plus visité que son pendant de gauche : beaucoup de personnes homos, même si elles ne l’assument pas, se sentent plus attirées par la droite que par la gauche. Ce n’est ni bien ni mal : c’est une réalité à observer. Vouloir la disparition de l’UMP à la Gay Pride, c’est aussi mettre un couvercle sur toute cette part non minoritaire de personnes homos. Étant de gauche pourtant, je m’oppose (comme toi) à cette fermeture. Et rejoindre un groupe qui défend cette fermeture, quoi que tu en dises, ce n’est pas neutre.

 

Je suis d’accord quand tu discutes le mot « tolérance » (que j’ai employé alors que je ne l’aime pas, car pour moi, il ne veut rien dire : on peut tolérer tout et n’importe quoi tout en étant fermé d’esprit et de coeur. Le terme que j’aurais dû employer est celui d’accueil.)

 

Et pour moi, « égalité de droits » n’équivaut pas à « égalité des identités ». Étant différents des personnes « hétéros » (pas foncièrement, certes, mais quand même profondément : ce qui touche à la sexualité et à l’orientation sexuelle n’a beau pas nous définir entièrement, c’est quand même un poids qui pèse sur notre identité), nous n’avons pas à réclamer TOUS leurs droits (nos réalités – désirantes, conjugales, relationnelles, politiques, légales… – sont parfois communes, parfois différentes).

 

À toi la balle ^^.

 

Jérôme M. :

 

^^ Si je ne m’étais pas inscrit à ce groupe, il n’y aurait pas eu cet échange de « balle(s) », alors cette inscription a quelque chose de positive au fond.

 

Des échanges et débats d’idées ont également lieu sur le mur du groupe et ça m’intéresse tout autant. Alors, certes, ce n’est pas neutre de rejoindre ce groupe : je ne rejoins que des groupes qui m’interpellent. Pour autant, ça ne signifie pas que j’approuve l’exclusion de Gay Lib à la Gay Pride.

 

Je suis d’accord avec toi que nombre d’homosexuels sont politiquement à droite et à mon sens les exclure de la Gay Pride porterait atteinte à quelque chose de fondamental, à une liberté d’expression élémentaire. Mais ceux qui ont protesté contre la participation de Gay Lib à la dernière Gay Pride ont également exprimé quelque chose : leur incompréhension à l’adhésion par des homosexuels à un parti politique qui milite pour une vision conservatrice du couple et de la famille et qui refuse d’accorder aux couples homosexuels des droits équivalents aux couples hétérosexuels…

 

Je suis d’accord avec toi qu’on peux trouver à gauche, des politiciens pas franchement gay friendly comme on peux trouver à droite des politiciens favorables à une égalité de droits au moins sur le papier : Hervé Morin s’est exprimé par exemple en faveur à l’adoption par des couples homosexuels.

 

Il n’en demeure pas moins que (toujours sur le papier) les partis de gauche ont inscrit l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe dans leur programme alors que l’UMP est toujours favorable à une politique discriminatoire : des contrats différents en fonction qu’il s’agit de couples homos ou hétéros.

 

Je ne suis pas convaincu par ton paragraphe sur l’opposition égalité des droits et égalités des identités. À mon sens, il ne devrait pas y avoir de différence dans une république laïque et démocratique entre les individus et entre les couples. Que ceux-ci soient hétérosexuels ou homosexuels importe peu. Une inégalité de droits ne devrait pas être acceptable…. même si dans les faits, cette inégalité de droits ne choque a priori que peu de monde.

 

 

Philippe Ariño :

 

Tu me rassures 😉

 

Moi aussi, j’aime beaucoup que tu te sois un peu « trahi » dans le choix du groupe !^^

 

Concernant le « papier » (de la droite) dont tu parles, je crois qu’il vaut mieux considérer plutôt les personnes derrière. Même si je suis de gauche, je ne pense pas que la droite milite, comme tu dis, « pour une vision conservatrice du couple et de la famille ». Crois-moi : pour être dans l’enseignement ZEP et croiser à longueur de temps des gamins avec des familles absentes, déstructurées, ou démissionnaires, je me dis que les bases d’une famille traditionnelle et aimante font vraiment défaut (la droite a le mérite de rappeler l’importance de ces bases). Et ça, ce n’est ni « vieux jeu », ni « réac » : c’est nécessaire.

 

En ce qui me concerne, je ne suis pas pour que les couples homos aient les mêmes droits que les couples dits « hétérosexuels ». Les couples homos sont différents, ils ne fonctionnent pas pareil dans bien des aspects (la conception d’un enfant, la gestion de l’infidélité – plus fréquente -, l’absence de la différence des sexes, les conséquences de la différence du regard social, l’organisation du couple, l’entourage amical, etc.). Je ne suis pas pour que les individus homos aient des droits radicalement différents des personnes « hétéros », ni pour qu’ils aient les mêmes droits. Je suis juste pour qu’ils aient d’autres droits. Pas les mêmes. Le droit suit et reconnaît les identités, les différences. Il n’est pas « bon » et « sacré » en soi. Sinon, il participe à une entreprise extrémiste d’uniformisation (sous des prétextes pourtant jolis sur le papier : la défense de la différence, de l’égalité, de l’amour, de la justice, etc. etc.). Le « tous pareil » n’est pas synonyme de « justice ». Il est important de respecter les différences. Et le premier pas pour que celles-ci se mélangent, c’est déjà de les reconnaître et de ne pas tout passer sous un rouleau compresseur. Tout mélange n’est pas forcément réussi et heureux. Encore une fois, mettre le mélange, l’égalité, ou le droit, sur un piédestal peut se révéler injuste et inapproprié aux PERSONNES.

 

J’ai beau être gay et pour la reconnaissance du désir homosexuel, je ne suis par exemple pas pour un pastiche du mariage « hétéro », ni pour un pastiche de la famille par la famille homoparentale. Le couple homo et le couple « hétéro » sont des réalités différentes : il n’y a pas à faire d’équivalence là où il n’y a pas lieu d’en faire, même par le biais du droit et des lois. Ça n’a rien de « discriminatoire » que de souligner des différences de réalités, et donc de droits.

 

Tu sacralises « l’égalité de droits », mais tout ce qui est possible ne nous est pas forcément profitable, ni adapté à notre réalité, à notre contexte. Rien ne sert de quémander des droits qui ne s’adaptent pas à qui nous sommes, tout ça pour « être comme le voisin », faire comme ferait Monsieur Tout le monde et rentrer dans le moule. Faire de « l’égalité de droit » un but en soi, une Vérité immuable, positive et incontestable, c’est du conformisme à mes yeux, de l’extrémisme. Et c’est dangereux. Pourquoi faire obligatoirement comme le modèle hétéro, sous prétexte qu’on aurait le droit d’être pareil ? Et pourquoi ne saisissons-nous pas, en tant que personnes habitées par un désir homosexuel, le « droit d’être différents » ?

 

Jérôme M. :

 

Je ne suis évidemment pas contre les familles « traditionnelles et aimantes ». Je ne minimise pas l’importance d’un lien filial et je n’ignore pas l’importance d’une base familiale stable pour le développement de l’identité d’un enfant.

 

Si selon toi, je sacralise « l’égalité des droits », je ne sacralise cependant pas le modèle hétérosexuel de la famille. Je pense que d’autres schémas sont possibles, que les familles hétérosexuelles ne sont plus de toutes façons aussi stables qu’autrefois et que les familles d’aujourd’hui sont souvent recomposées. Les pères et mères biologiques ne sont plus les seuls référents dans l’éducation de nombre d’enfants et les beaux parents ont dans certaines situations un rôle éducatif à jouer. Au modèle traditionnel sont venus se greffer une multitude d’autres modèles familiaux hétérosexuels comme il n’existe pas une seule conception de la famille homoparentale mais des situations de vie bien différentes. Parler de singer le modèle hétérosexuel n’a pas de sens. Les homosexuels ne revendiquent plus dans la grande majorité à avoir un modèle de vie subversif.

 

Je ne partage pas ton avis sur les différences fondamentales entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Je ne suis pas persuadé que les différences entre les couples et entre les individus soient de l’ordre de l’orientation sexuelle.

 

En tant qu’individu et à titre personnel, je me sens plus proche de certains de mes amis hétéros que de mes amis homos. Et ça n’a rien à voir avec leur orientation sexuelle. La différence ne se situe pas là. Il en va de même pour les couples. Tous les couples hétéros ne sont pas liés à la conception d’une famille et la conception d’un enfant. Tous les couples homos n’ont pas une conception libertine de l’infidélité. Sur l’organisation du couple, là encore, il y a des situations de vie bien différentes indépendantes de l’orientation sexuelle.

 

Bref, je ne vois pas bien en quoi, le droit devrait être différent entre les couples s’agissant de couples homosexuels et de couples hétérosexuels.

 

Sans doute attaches-tu trop de valeur aux petites phrases : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » ou la version de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.« 

 

Je m’arrête là, je vais être en retard au boulot.

 

 

Paul D. :

 

J’avoue ne pas non plus être d’accord avec Philippe. Je ne vois pas en quoi les couples homo sont différents des couples hétéro. Je ne connais que des couples différents les uns des autres, mais je n’ai encore jamais trouvé de caractères communs aux uns ou aux autres en fonction de l’orientation sexuelle des personnes du couple. Beaucoup d’homo aspirent à se fondre dans le moule de la société. Beaucoup d’hétéro aspirent à s’en démarquer. Quant à ta sortie sur la fidélité, elle me fait tout de même dangereusement penser à celle de Vanneste sur le sujet.

 

Je ne pense pas non plus que dans ce cas précis comme dans l’absolu, une égalité des droits entraîne une « entreprise extrémiste d’uniformisation » (pour te citer). À la rigueur, une égalité des devoirs pourrait entraîner cette uniformisation. Mais le droit n’est pas une obligation. C’est une possibilité. Les hétéro ont le droit de se marier, le font-ils tous pour autant ? Non. Au contraire: de plus en plus se pacsent. Que toi, à titre personnel, tu ne veuilles pas singer le mariage hétéro, je le comprends tout à fait, je le respecte et je peux même, par certains côtés, partager cet avis. Mais le droit n’est pas fait pour toi et moi. Le droit est un champs des possibles qui englobe tout et son contraire (tu peux te marier, tu peux ne pas te marier / tu peux voyager, tu peux ne pas voyager / tu peux attaquer ton patron en justice, tu peux ne pas le faire…), ce serait une égalité des devoirs qui entraînerait l’uniformisation, mais je pense que l’égalité des droits, au contraire, est la plus grande façon d’exprimer sa personnalité car elle donne le choix à l’individu.

 

Par ailleurs, il me semble que, dans sa très très grande majorité, la droite milite pour une vision conservatrice du couple et de la famille. Je ne sais pas si elle a raison ou tort (perso, je pense qu’elle a tort) mais je crois qu’il est difficile de le nier.

 

Philippe Ariño :

 

Comment Paul ??? Tu ne vois pas en quoi les couples homos sont différents des couples « hétéros » ? Je peux te rafraîchir la mémoire si tu veux ^^ : pas de possibilité de procréation du couple homo (va dire qu’un enfant peut naître de deux hommes, ou bien de deux femmes… et tu passeras pour un fou ^^), pas de présence de la différence des sexes (va dire que le couple homo n’est pas composé de 2 hommes, ou de 2 femmes… et tu rejoindras là aussi la science-fiction ^^), pas le même accès à la procréation médicalement assistée (va dire aux couples homos essayant d’avoir des enfants que ce sera aussi facile pour eux que dans un couple femme-homme ! Ils te riront au nez), pas la même organisation ni le même porte-monnaie (plus de temps libre, de voyages, de dépenses dans le « milieu homo »), pas les mêmes fonctionnements (dû notamment au contrôle de la visibilité, de la volonté des partenaires de ne pas se voir tout le temps ou de ne pas vivre sous le même toit par exemple), pas les mêmes pratiques sexuelles, pas le même entourage amical, pas les mêmes centres d’intérêt ni les mêmes engagements politiques, pas la même manière de s’organiser, pas le même regard social (va dire que se faire traiter d’homo dans la rue ou sur une cour d’école équivaut à se faire traiter d’hétéro ; va dire que le « coming out » est une démarche anodine et sans conséquence). Pour la seule question de la fidélité, je peux te donner des statistiques et des études sociologiques (sérieuses et très « gay friendly » en plus) qui te montrent pourtant que les couples homosexuels sont en général moins fidèles que les couples « hétérosexuels », en considérant pourtant les nombreuses exceptions à cette tendance : je n’invente rien, et ça n’a rien d’un discours « fasciste vannestien » lol. Ce sont des différences objectives, incontournables. Après, que certaines d’entre elles soient justifiables ou non, généralisables à « tous » les individus homos, c’est une autre histoire (et je ne crois pas, je te rassure, qu’elles soient généralisables à toutes les personnes homos). Mais il n’y a pas lieu de moraliser systématiquement ces différences de manière manichéenne, ou de croire que, parce qu’elles sont évoquées, on les moralise. Celui qui les souligne n’est pas en train de hiérarchiser entre le « bien » d’un côté et le « mal » de l’autre. Dire qu’elles existent, ce n’est pas les justifier, les condamner. C’est dire que nous sommes différents et qu’il n’y a pas à nier l’unicité des individus, des situations, des configurations. Il est heureux que, même si nous avons à cohabiter ensemble et que nous formons partie d’une même humanité, belle et plurielle, les personnes homos et les personnes « hétéros » ne soient pas mises dans le même panier. Pour moi, la différence de traitements (du point de vue des lois) entre personnes homos et personnes « hétéros » n’est pas « mauvaise » en soi : nous n’avons pas tous les mêmes besoins, les mêmes identités, les mêmes limites ou qualités. Le couple homo a des avantages que le couple « hétéro » n’a pas, et inversement. Le couple homo a des richesses que le couple « hétéro » n’a pas (étant minoritaires, je trouve même que les couples homos ouvrent des voies nouvelles, doivent faire preuve de davantage d’inventivité). Il est donc normal que le droit se penche sur les personnes au cas par cas. Dire, dans un relativisme bon ton, que « tout se vaut » (alors que c’est pertinemment faux), c’est nier le cas par cas. Oui, je maintiens, c’est de l’extrémisme, même s’il se dit en des termes très généreux et politiquement corrects.

 

Concernant ce que tu dis sur le « droit », il y a, je trouve, un amalgame entre le « droit social » (dans le sens légal du terme, c’est-à-dire celui qui vise à l’universel, qui a des implications sociales concrètes) et le « droit personnel » (dans le sens de libre arbitre, de liberté, que chacun possède, qui concerne l’individu, qui est légitime, et qui n’a pas nécessairement d’applications concrètes). Du point de vue personnel, je pense que ce n’est pas parce qu’a priori nous avons le droit de « tout faire » que tout est par conséquent « à faire » (de manière individuelle, et, de surcroît, de manière universelle). Ce n’est pas parce que tout est possible que tout nous est profitable (je me réfère au fait que tu dises que ce qui est bien en soi, c’est « d’avoir le choix » ; pas d’en poser un ; moi, je crois précisément le contraire). Le droit individuel, quand il se dirige vers l’universel et qu’il s’étend vers ce que tu appelles si justement « le champs des possibles », s’arrête là où les droits fondamentaux des autres sont bafoués (ça marche comme pour la liberté : la liberté personnelle s’arrête là où la liberté fondamentale de l’autre est niée ; elle n’est pas bonne en soi. Le droit, c’est kif-kif).

 

P.S. : lol ! Jérôme, la prochaine fois, réfléchis à deux fois avant de dire que tu fais partie d’un groupe FB (je plaisante bien sûr ^^ ; j’aime beaucoup notre petit débat en fait)…

 

Paul D. :

 

Ouh, ben ça c’est d’la réponse… Mais je ne suis pas convaincu pour autant. Les exemples que tu donnes pour justifier d’une différence fondamentale entre les couples homo et les couples hétéro sont conjoncturels. J’ai l’impression que tu opposes ton propre univers et ta propre expérience de l’homosexualité (que tu ériges en vérité générale) à une certaine idée de l’hétérosexualité. Il n’y a pas à mon avis de centre d’intérêt, d’engagement politique, de fonctionnement, d’ami ou d’achat compulsif (je reprends délibérément les exemples que tu as donnés) exclusivement homo ou exclusivement hétéro. Je crois que ce que nous sommes est plus complexe que ça et que notre orientation sexuelle ne détermine rien d’autre que notre orientation sexuelle. Je suis homo, ça veut dire que je suis attiré physiquement par les hommes, mais ça ne veut pas dire forcément que je kiff Madonna, que je pars à Saint-Barth en dehors des vacances scolaires, que j’ai voté pour Delanoë ou que je m’habille en D-Squared.

 

Pour tes statistiques sur la fidélité, je demande à les voir, et surtout je demande à voir comment ils ont été calculés.

 

Quant à la question du droit, je parlais bien sûr des lois. Et pas de philosophie.

 

Philippe Ariño :

 

Si tu veux qu’on en vienne aux statistiques (même si je ne les trouve pas si justes que ça car elles peuvent encourager à une généralisation que je rejette), on va le faire !lol

 

Alors par exemple dans l’ouvrage de référence de Janine Mossuz-Lavau « La Vie sexuelle en France » (Éd. de la Martinière, Paris, 2002, p. 372), il est dit que les personnes homosexuelles ont en général plus de partenaires sexuels que les personnes dites « hétéros ». D’après l’enquête ACSF (si tu veux, tu peux aller consulter : c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux ^^), le nombre moyen de partenaires s’élevait en 1991-1992 à 11 pour les personnes « hétéros » et à 13,7 pour les personnes homos. Parmi les moins de 30 ans, les personnes homos ont souvent collectionné une cinquantaine d’amants, les personnes « hétéros » moins d’une vingtaine. Il apparaît effectivement que les premières se caractérisent en moyenne par une moindre propension à développer des liens durables avec un partenaire privilégié.

 

Par ailleurs, en 2008, en France, la moyenne du nombre de partenaires chez les personnes homosexuelles est de 6,6 partenaires pour les femmes lesbiennes, et de 15,4 pour les hommes gay. L’existence de relations extraconjugales est plus fréquente dans les couples d’hommes homosexuels que dans les couples de sexe différent. Ainsi, 1 homme sur 3 qui vit en couple avec un homme depuis plus d’un an rapporte avoir eu un autre partenaire dans les 12 derniers mois (versus 3,5 % des hommes vivant en couple avec une femme). Les hommes homo-bisexuels déclarent avoir eu 10,4 rapports en moyenne au cours des 4 dernières semaines contre 8,6 chez les hommes hétérosexuels (pas de différence avec les femmes) (« Enquête sur la Sexualité en France » (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 251). Par ailleurs, n’en déplaisent aux femmes lesbiennes, « elles ont un nombre plus important de partenaires que les femmes qui n’ont eu que des partenaires masculins. » (Idem, p. 254)

 

Voilà pour les sondages.

 

D’autre part, cher Paul, je ne sais pas d’où tu tires que je cherche à « justifier une différence fondamentale entre les couples homo et les couples hétéro », que « j’oppose » hétérosexualité et homosexualité (je les trouve au contraire jumeaux et non opposés, même si, dans notre discussion, j’ai parlé de leurs différences, parce que ce sont leurs différences que toi et Jérôme avez niées). Je n’ai jamais parlé d’actes, de comportements, « exclusivement homos » (relis, s’il te plaît, ce que j’ai marqué : je parle de tendances ; je ne déblatère pas de « généralités » ni de « clichés » sur « les » homos, c’est toi qui caricatures ^^).

 

Et enfin, si pour toi, parler des « droits » en termes humains et non simplement en termes froidement législatifs (tu te places uniquement du côté des « lois ») ça revient à « philosopher », je suis fier d’être un philosophe alors ! 😉

 

Paul D. :

 

Ben là quand même, je te trouve un chouia de mauvaise foi ! Tu écris un post dans lequel tu démontes mes arguments pour arriver à la conclusion qu’homo et hétéro sont différents en tous points (procréation, organisation, fonctionnement, style de vie, réseau d’amis, centre d’intérêts, engagement politique, regard social, rapport à l’autre…) et ensuite tu me reproches d’interpréter ce post comme instaurant une différence fondamentale entre couple homo et couple hétéro. Si opposer les homo et les hétéro à la fois par leur rapport à l’autre et par leur rapport à soi ce n’est pas opposer homosexualité et hétérosexualité de façon fondamentale, je ne sais pas ce qu’il te faut!

 

Pour les sondages, je ne nie pas qu’il y ait des publications sérieuses pour dire que les homo sont plus infidèles que les hétéro, je les ai lues aussi. Mais j’émets des doutes non pas quant au sérieux de l’enquête mais sur la vérité des conclusions. Je sais, c’est un cliché de dire que les chiffres et les enquêtes on leur fait dire ce qu’on veut, mais dans chaque cliché il y a quand même une part de vérité. Je suis journaliste et quand je lis certains articles de certains confrères sur des sujets que j’ai également traités et que je constate que nos conclusions sont différentes, voire opposées, à partir des mêmes chiffres et parfois des mêmes interviews, je deviens beaucoup plus prudent avec les enquêtes et les statistiques. C’est pour ça que je demande à voir comment ces chiffres ont été trouvés, qui a été interrogé, où, quand, sur quelles tranches d’âges, dans quelles catégories socio-pro, comment les personnes ont été recrutées, par qui, dans quelles circonstances, pourquoi ont-elles répondues, etc.

 

Bon, après, mea culpa, je reconnais que c’est moi qui ai caricaturé avec Madonna et les vacances scolaires. Mais c’est parce que j’aime plus Madonna. (mais je ne vais pas devenir hétéro pour autant. – j’espère -)

 

Philippe Ariño :

 

Cool ! lol ! En fait, nous sommes d’accord !^^

 

Je ne suis pas friand non plus des statistiques, car en effet, on peut les utiliser pour transformer les clichés en personnes réelles, les tendances en généralités abusives.

 

Après, perso, j’aime les coïncidences (j’ai pas dit les « causes ») et les tendances que les sondages révèlent maladroitement, froidement. Car, en effet, il n’y a généralement pas de cliché sans feu.^^ (je me tue à le dire dans mon bouquin).

 

Je ne pense pas être de mauvaise foi quand j’essaie de parler à la fois des divergences et des ressemblances entre les personnes homos et les personnes « hétérosexuelles » : j’appelle ça plutôt le sens de la nuance ^^ (sachant que si j’avais dressé uniquement le tableau des divergences, ou uniquement le tableau des ressemblances, il y a de fortes chances pour que je sois en effet tombé dans la caricature – manichéenne ou uniformisatrice – ).

 

Je suis ravi de savoir que tu es journaliste. Je suis ravi que tu sois homo. Je suis ravi que Jérôme (mais où est-il passé, ce blaireau qui s’inscrit à des groupes FB débiles et qui après se casse lâchement en courant ?…lol) nous ait mis en lien. Je suis ravi de notre échange.

 

Jérôme M. :

 

Eeeeeeeeeehhhhhhhhhh ! C’est moi le blaireau ? 😉

 

Les seules choses dans lesquelles je me retrouve dans ta description de la vie très différente des couples homosexuels, c’est pour :

 

1) la différence des sexes : C’est clair que nous sommes du même sexe avec mon compagnon 🙂 Et que ça entraîne des … pratiques sexuelles … différentes [encore que ^^]

 

— > Mais en quoi cela justifie des droits différents ? Je ne suis pas, comme Paul, fan du mariage et je ne suis pas sur que je viendrais à me marier si j’en avais la possibilité. Je suis pacsé et je suis satisfait personnellement de cette forme de contrat. [Merci à ceux qui se sont battus pour la création du Pacs au passage] Mais il ne s’agit pas de cela. Mais juste du fait qu’il n’y a aucune raison dans une société démocratique, républicaine et laïque qui se revendique des droits de l’homme et qui reconnaît les couples homosexuels d’exclure du mariage ces derniers. Au nom de quoi en fait cette exclusion se justifie ? Parce que c’est sans doute cela la question : Qu’est ce qui dans nos supposées différences justifie que certaines unions soient réservées aux seuls hétérosexuels ? En quoi l’ouverture du mariage aux homosexuel(le)s constituerait une menace pour le mariage des hétérosexuel(le)s ?

 

2) Le fonctionnement du couple : Il se trouve que je ne vis pas toute la semaine sous le même toit que mon compagnon. Mais en réalité, ça n’a rien à voir avec mon orientation sexuelle et tout à voir avec ma profession. D’ailleurs, j’ai plusieurs collègues bien hétéros qui vivent la même situation que moi.

 

Pour le reste, pour tout ce qui concerne le budget, les voyages, les partenaires sexuels, l’infidélité, les besoins … j’ai franchement l’impression de ne pas être dans les « normes homosexuelles ».

 

Je suis persuadé que beaucoup d’autres homosexuel(le)s ne se reconnaissent pas dans la description d’un certain microcosme homosexuel que tu décris. Je suis convaincu qu’un nombre non négligeable d’homosexuel(le)s aspirent à une égalité des droits même s’ils ne veulent pas tous se marier, adopter…

 

Paul D. :

 

Oui, d’autant plus que je ne le connais pas vraiment, Jérôme… c’est le deuxième post que j’écris sur son mur. j’avais créé un groupe sur les propos de Vanneste et on s’était facebooké à ce moment-là. C’est fou quand même. Et dire que le siècle dernier les gens se rencontraient dans la vraie vie!

 

Philippe Ariño :

 

* à Paul : MMMMDDRRR! (je sais pas pourquoi je te trouve provincial… : peut-être parce que je suis allé voir tes photos FB et que je me suis dit que tu faisais très « bobo / citadin qui ne s’assume pas » lol!)

 

Allez, ce serait cool que tu nous dises, maintenant que tu as vendu la mèche, dans quel trou paumé de la Creuse tu fais de la peinture sur soie (mdr), et où habite vraiment ta famille dans le Marais (cet antre de perdition lol)!!!^^

 

Sinon, (je me répète), pour moi, un choix, un droit, une loi, ne sont pas bons et indiscutables du simple fait d’être POSSIBLES. Beaucoup de choses nous sont possibles, mais tout ne nous est pas PROFITABLE : ce n’est pas parce que j’ai le choix que je choisis au mieux ; ce n’est pas parce que j’ai une plus grande variété de « possibilités » devant moi que je suis plus libre et que je vais bien choisir ; en plus, la « liberté de refuser » n’est pas en soi l’expression d’une vraie liberté, car contrairement à la vraie liberté qui s’oriente vers un « OUI », vers une adhésion POSITIVE (qui implique certes le renoncement, mais le renoncement n’est pas son but absolu), la « liberté de refuser » s’oriente prioritairement vers un « NON » (si j’étais dur, je dirais qu’elle est la « liberté du sale gosse » ou « du caprice » ^^).

 

Paul D. :

 

Mais avant de devenir l’antre de perdition que nous connaissons, le Marais était bien pire encore. Pensez donc, y’avait que des étrangers, principalement des juifs, parce que c’était tellement le quartier le plus pourri de Paris, aucun Français ne voulait s’y aventurer alors on y parquait les immigrés. Voilà comment nous sommes arrivés en France, à Paris et dans le quartier. C’est vrai que ça a bien changé depuis Malraux, Picasso et Beaubourg.

 

Sinon, en effet, ce n’est pas parce que tu as le choix que tu vas bien choisir. Mais si tu as le choix, ça s’appelle une démocratie, si tu n’as pas le choix ça s’appelle une tyrannie (au sens grec, pas au sens moderne).

 

Ceci posé, j’ai toujours pensé que la meilleure solution pour une société est une autocratie éclairée. À l’unique condition que ce soit moi l’autocrate. Mais comme c’est compliqué à réaliser, c’est pour ça que je suis démocrate. (À regret, mais que veux-tu… faut bien se résigner)

 

Philippe Ariño :

 

Pour moi, la démocratie et la liberté, ce n’est pas d’ « avoir le choix » : c’est de « choisir » (et de faire le meilleur choix possible). ^^ Beaucoup de gens à qui on donne tous les choix finissent par choisir la tyrannie dont tu parles (par refus de l’engagement). Ce n’est pas parce qu’on te propose la liberté que tous la prennent et en font bon usage 😉

 

Jérôme M. :

 

Philippe, tu t’es défendu à plusieurs reprises de sombrer dans les clichés. Tu as même parlé de « généralités abusives » et pourtant ta vision du mariage est pleine de clichés. C’est une vision très traditionnelle et surtout très judéo-chrétienne.

 

Le mariage n’est plus, en France, depuis la Révolution Française l’affaire des religieux. Seul le mariage civil a une quelconque valeur aux yeux de l’État. Et même tes références religieuses ne reflètent pas non plus la réalité française. L’Église catholique n’est pas la seule à être pratiquée en France et même si tout nous renvoie dans notre calendrier à cette religion, elle n’a pas plus de valeur qu’une autre religion aux yeux de la loi. Nous vivons, grâce à … DIEU 😉 dans un pays laïc.

 

Il se trouve que ta définition du mariage : « l’union d’amour en vue de la composition d’une famille de sang » n’est pas à ma connaissance celle du Code Civil. L’amour n’est pas présent dans le Code. Pas plus que le Code Civil ne définit le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme. Ni qu’il définit le mariage comme ayant pour but la composition d’une …. « famille de sang » ou d’une famille tout court.

 

Tous les hétérosexuels n’ont pas vocation à faire des enfants et certains homosexuels aspirent à en avoir, voire ont déjà des enfants (Que ces enfants soient biologiques ou adoptifs). Et ça ne date pas d’hier.

 

Tu parlais que je sacralisais le droit mais aucune raison a priori de sacraliser le mot et le concept du mariage : inutile de changer le nom : le mariage civil existe depuis la révolution.

 

En ce qui concerne, la famille traditionnelle et biologique : je ne la renie pas. Je suis féru de généalogie et je suis très attaché à ma famille même si elle a connu depuis de nombreuses évolutions et recompositions. Il se trouve que tous les enfants ne grandissent pas au sein de leur famille biologique et que l’adoption existe depuis des lustres. Il se trouve que même des célibataires peuvent adopter et ce depuis de nombreuses années en France (donc sans le double et sacro saint référent masculin-féminin). Il se trouve aussi que l’homosexualité ne date pas d’hier et que les homosexuels font des enfants depuis des lustres. Il se trouve que les couples homosexuels sont de mieux en mieux acceptés par la société (même si l’homophobie demeure une réalité) et que de nombreux couples élèvent déjà des enfants… Il se trouve que des homosexuels célibataires adoptent déjà et que certains en couple ont obtenu (à titre individuel mais c’est déjà une avancée) un agrément pour adopter. L’adoption par des couples homosexuels, c’est pour demain.

En fait, ce qui nous oppose n’est pas rien. Tu considères le PACS comme un pacte fourre tout qui a presque perdu de sa valeur initiale parce qu’il s’est « hétérosexualisé » !!!

 

Je considère moi que les individus et les couples (À partir du moment où l’homosexualité n’est pas considérée comme une infraction pénale ni comme une maladie mentale ou autre) sont égaux et ne doivent pas faire l’objet de distinction aux yeux de la Loi. Je ne me serais jamais pacsé si le PACS n’avait concerné que les homos et même si je ne souhaite pour le moment pas me marier, je trouve inadmissible que le mariage soit réservé aux seuls hétérosexuels.

 

Bref, je ne suis pas convaincu par tes exemples et démonstrations de la différence entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Chaque individu est différent de l’autre et chaque couple est a priori différent de l’autre. Un couple homosexuel peut avoir plus de point commun a priori avec un couple hétérosexuel qu’avec un autre couple homosexuel.

 

Et le fait qu’il n’y ait pas d’altérité sexuelle ou que le couple homosexuel ne puisse pas avoir biologiquement un enfant ne devrait pas avoir d’incidence sur la possibilité de se marier ou d’adopter. C’est d’ailleurs le cas dans de plus en plus de pays et j’espère que les choses continueront d’aller dans ce sens même si cela entraîne le réveil de religions sur le déclin.

 

Jérôme M. :

 

« Ce n’est pas parce qu’on te propose la liberté que tous la prennent et en font bon usage 😉 »

 

Certes ! Mais ça n’est, en rien, une raison pour ne pas proposer la liberté !

 

 

Philippe Ariño :

 

Meeeerde, Jérôme, t’es chiant, on avait dit que j’avais pas le temps de bien répondre aujourd’hui !!! lol

 

Tu écris : « Ce n’est pas parce qu’on te propose la liberté que tous la prennent et en font bon usage 😉 Certes ! Mais ça n’est, en rien, une raison pour ne pas proposer la liberté ! »

 

J’ai jamais dit le contraire ! On est bien d’accord ! ;-)…

 

Tu dis que ma vision du mariage était pleine de clichés… mais lesquels ? Ai-je idéalisé le mariage, dit qu’il était idéal, facile (et ce, pour tous les êtres humains) ? JAMAIS. J’ai juste dit qu’il s’appliquait uniquement aux couples intégrant la différence des sexes. Ça n’a rien d’une défense inconditionnelle, d’une idéalisation, d’une image d’Épinal, du mariage et du couple femme-homme. Loin de là !

 

Tu parles de mes références religieuses… mais où les vois-tu exprimées dans mes propos ? J’avoue que là, tu vas chercher loin…lol. Je serais curieux de savoir où tu vois une once de propos « judéo-chrétiens » : moi, je te parle de bon sens, de manière civilisée et humaine ; après, chacun de nous a ses convictions et ses croyances (et puis la culture « judéo-chrétienne » dont tu parles comme si elle était le diable en personne, lol, je te signale que c’est celle dont nous sommes issus, qu’on le veuille ou non. On ne balaie pas d’un revers de main ses origines ; et tant mieux : tout n’est pas à garder, tout n’est pas à jeter : c’est ça la liberté.)

Je suis d’accord sur ce que tu dis sur l’importance de la laïcité. Je suis d’ailleurs un fervent défenseur de la laïcité (et m’oppose à tout « laïcisme » qui vise à annuler les différences, tout ça parce que la laïcité propose une cohabitation pacifique des différences religieuses).

 

Si l’amour n’est pas dans le Code civil (je regrette d’ailleurs qu’il n’en parle pas assez), il est encouragé, tout comme la composition d’une famille, lors du mariage à la mairie. D’ailleurs, le Code Civil, contrairement à ce que tu dis, stipule bien que le mariage concerne l’union d’un homme et d’une femme (sinon, le PaCS n’aurait jamais vu le jour). En revanche, je suis d’accord que la composition d’une famille est présentée comme une option, mais celle-ci est encouragée, non martelée comme une évidence ou une obligation.

 

Je n’ai jamais dit que les personnes dites « hétérosexuelles » devaient obligatoirement « faire des enfants », que la paternité adoptive comptait pour du beurre, et que la différence des sexes ou l’existence des enfants était LA condition sine qua non pour qu’on puisse parler d’amour vrai (on voit assez, autour de nous, des couples incluant la différence des sexes et s’aimant pourtant moins que des couples par exemple homosexuels, ou des couples femme-homme stériles)

 

Quand tu dis « Il se trouve aussi que l’homosexualité ne date pas d’hier et que les homosexuels font des enfants depuis des lustres. », tu peux me dire comment ils font en couple pour avoir leurs propres enfants ? mdr ! Là encore, tu te situes d’un point de vue individuel… mais je te dirais que depuis des lustres, le couple homosexuel n’a jamais été procréatif, et n’a jamais eu d’enfants.

 

Quand tu annonces, comme une prédiction inéluctable, que : « L’adoption par des couples homosexuels, c’est pour demain », je te dirais : ça n’a rien d’une fatalité. C’est pour demain SI ON VEUT. (Tu parles comme un prospectus publicitaire ou une campagne politique ^^) On est libres que ce ne soit pas « pour demain », justement. Certes, il existe, du point de vue des individus, des paternités biologiques chez les personnes homosexuelles ; certes, il existe des paternités adoptives (porteuses de bien des valeurs) chez les personnes homosexuelles au sein de leur couple. Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut imposer sous forme de loi et de droit cette possibilité à tout le monde. Désolé, mais pour moi, même si la paternité adoptive peut être bénéfique pour un enfant (et je parle là aussi des familles monoparentales, des célibataires « hétéros » qui adoptent), je crois qu’elle ne remplace pas la présence de deux parents femme et homme qui s’aiment (je prends soin de souligner « qui s’aiment », car l’existence de la différence des sexes ne suffit pas) ni qu’elle lui est équivalente (même les parents adoptifs reconnaissent volontiers que la paternité adoptive, aussi bien vécue soit-elle, n’équivaut pas à une paternité biologique aimante). Ça arrive que, à cause des incidents de la vie, des êtres humains n’ont pas eu la chance de bénéficier des richesses de cette union désirante femme-homme aimants (union faillible, défectueuse, mais « idéale dans son imperfection » à mes yeux) : disparition prématurée d’un des deux parents, divorce, abandon, etc.. Mais ce n’est pas pour ça qu’on doit cesser de la présenter comme un modèle social fondateur, comme la base de toute société humaine, et qu’on doit la substituer par des parodies de « familles » (le mot est fort, mais j’en vois pas d’autres…^^).

 

Tu te gendarmes parce que je dis que le PaCS est un pacte « fourre-tout » et qu’il s’est « hétérosexualisé »… mais pourtant, regarde bien, Jérôme : par exemple, rien que si on considère l’année 2007, sur les 100 000 contrats de pacte civil de solidarité signés en France, 95% ont été conclus par des couples hétérosexuels… Et je ne te parle même pas du nombre de ruptures de PaCS du peu de couples homos qui se sont massivement pacsés au début de la création du contrat…

 

Si tu trouves  » inadmissible que le mariage soit réservé aux seuls hétérosexuels », c’est que tu n’as pas suivi mon explication plus haut qui disait que le couple homo ne cadrait pas avec ce que l’État et l’Église proposent quand ils parlent de « mariage ». « Ne pas correspondre » ne signifie pas « être mauvais » ou « être défectueux » : c’est juste que le couple homo, parce qu’il n’inclut pas la différence des sexes et qu’il n’est pas, de fait, procréatif, est différent et qu’il ne rentre pas dans ce cadre spécifique-là. Je ne dis pas qu’il n’y a pas autre chose à inventer pour les couples homosexuels, mais simplement, le mariage républicain, civil, et/ou religieux n’est pas à la taille des couples homosexuels. Ça ne rentre pas. Ce n’est ni injuste, ni discriminatoire : c’est une réalité. C’est un FAIT.

 

Au passage, je trouve assez bizarre que tu demandes non le mariage mais « le droit de le refuser », ou bien le mariage « pour les autres ». Qui sont ces « autres » que tu défends ? (même si tu n’as pas employé explicitement ce terme) Existent-ils vraiment ou sont-ils des projections de ce que tu voudrais (…refuser) ? Qui est ce « Tout le monde » dont tu te fais le porte-parole ? (l’ensemble de la société ? la communauté homosexuelle ? les rares couples homos qui voudraient se marier ?) Pourquoi vouloir pour les autres ce que tu ne voudrais pas pour toi-même ? Je ne comprends pas trop, là…

 

Je ne comprends pas non plus ta phrase : « Je ne suis pas convaincu par tes exemples et démonstrations de la différence entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Chaque individu est différent de l’autre et chaque couple est a priori différent de l’autre. Un couple homosexuel peut avoir plus de point commun à priori avec un couple hétérosexuel qu’avec un autre couple homosexuel. » Ce n’est pas parce qu’entre couples homos il existe ou peut exister plus de différences qu’entre un couple hétéro et un couple homo (ce qui m’arrive parfois de le penser pour certains de mes amis homos en couple) que cela gomme pour autant les différences de faits et de réalités entre les couples « hétéros » et les couples homos…

 

Je ne suis pas d’accord quand tu écris que « le fait qu’il n’y ait pas d’altérité sexuelle ou que le couple homosexuel ne puisse pas avoir biologiquement un enfant ne devrait pas avoir d’incidence sur la possibilité de se marier ou d’adopter » : moi, je crois que si un couple femme-homme par exemple en arrive à demander l’adoption, c’est bien parce qu’il n’arrive pas à avoir d’enfants. Et si une société humaine s’en fichait de savoir si ses citoyens pouvaient avoir des enfants, elle s’en ficherait de son avenir, de son bonheur, et ne serait pas tournée vers la vie (l’indifférence aux enfants, c’est quelque chose de triste). Et si une société défend l’altérité sexuelle, c’est bien qu’elle sait que nous en sommes tous issue et qu’elle est porteuse de vie. Sans la différence des sexes, nous ne serions pas là pour en parler ;-). Elle est le socle de notre origine, identité, et de notre vie (individuelle, sociale). Pour moi, la différence des sexes n’est pas « bonne » en soi : elle n’est un trésor extraordinaire que si elle est couronnée par la liberté (de la vivre ou de la laisser de côté), par le respect à son encontre.

 

Bon, allez, il faut que je continue de bosser… (lol)


 

Paul D. :

 

Oh ben si quand même! ton discours est très judéo-chrétien… d’ailleurs tu écris à plusieurs reprises « église » « religion » et le champ lexical autour. Et les arguments que tu mets en avant résonnent un peu de morale judéo-chrétienne.

 

Je ne dis pas pour autant que ça amoindrit tes arguments. Je dis juste que, consciemment ou non, ton discours se situe de ce côté-là des influences. Mais je suis d’accord avec toi pour dire que c’est notre culture et que, pour ou contre, ça détermine malgré tout ce que l’on est et ce que l’on pense.

 

Sinon je suis vraiment épaté. Mais comment fais-tu pour écrire autant et aussi vite? (Et sinon encore, c’est dans quel arrondissement Savigny?!!!) (et encore sinon, ce serait bien que j’arrive à bosser moi aussi… -c’est trop nul les week-ends!)

 

Philippe Ariño :

 

mdr! gros smack Paul!^^

 

(« arrondissement de Savigny »… ptdr! : c’est la meilleure de l’année, celle-là!lol)

 

(N.B. : VISIBLEMENT, UN « POST » DE JÉRÔME MANQUE, CAR J’Y RÉPONDS PAR LA SUITE, EN LE CITANT… DONC TOUT N’A PAS ÉTÉ PERDU.)

 

Philippe Ariño :

 

Jérôme, je te réponds un peu tardivement (j’avais à bosser par ailleurs).

 

Bon, on va reprendre ton dernier papier (long !lol)

 

Tu écris : « Où je vais chercher tes références judéochrétiennes ? Sans doute dans ta vision du mariage comme réservé aux seuls couples hétérosexuels ». Alors je te corrige tout de suite : c’est pas uniquement « ma » vision (lol) (c’est une réflexion qui est mûrie depuis des années et des années par nos ancêtres), ni celle de ceux à qui tu m’associes comme pour discréditer, voire diaboliser, ce que je pense (les Boutin, et tous ceux que tu juges comme des fondamentalistes et des fachos en puissance… Mais qui sont les fachos, en fait ? Tu sais, j’ai beau ne pas être d’accord avec Christine Boutin, jamais je n’aurai la fermeture de penser qu’elle ne dit que des conneries et qu’elle est le diable en personne ; j’ai beau rejeter les fondamentalismes religieux – tu qualifies presque « les religions monothéistes » de dangereuses sectes -, je ne veux pas basculer dans un athéisme tout aussi fondamentaliste que les fondamentalismes montrés du doigt ; j’ai beau être de gauche, je ne diabolise pas la droite en utilisant Sarko comme un méchant homme-épouvantail pour prouver que tel argument est fermé ou non…). Je n’ai rien inventé : le mariage inclut la différence des sexes. Il n’y a pas de différences des sexes dans les couples homos. C’est la réalité du mariage. Après, si on veut transformer le mariage, on peut le faire. Mais ce ne sera plus le mariage, et il n’en méritera pas le nom. Qu’est-ce que tu veux que je te dise de plus ?lol

 

Tiens, tu me demandais de prouver par la citation que même le Code Civil disait que le mariage était réservé au couple femme-homme. Docilement, je suis allé voir (j’ai qu’ça à foutre, franchement… lol) www.legifrance.gouv.fr, le chapitre intitulé « Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage« . En fait, il n’est pas question des couples homosexuels, c’est-à-dire que les expressions employées sont soit « les époux« , soit « l’homme et la femme » (ex : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus.« , article 144). Il est spécifié d’ailleurs le respect de la différence des générations : « En ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur. » (article 162) ; « Les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement. » (article 148). Voilà m’sieur !^^

 

Tu écris : « Tu es bien conscient que je n’ai, à aucun moment, parlé de couple homosexuel mais bien …. d’homosexuels. » C’est bien ce que je te reproche : une vision finalement très individualiste du couple et du mariage ^^. Alors que, quand même, le mariage concerne toujours deux personnes.

 

Tu écris : « Je ne vois pas en quoi une possibilité offerte par le droit est « imposée » à qui que ce soit et encore moins à tout le monde. » Et bien je te dirais que entre la permission donnée sous forme de loi et l’acte, il n’y a qu’un pas. Et que même si la loi ne t’impose rien en soi, n’a pas le pouvoir d’agir à ta place, elle est quand même là pour te dire que quelque chose est possible et souhaitable, elle est là pour te rappeler la réalité et y coller un maximum, et elle peut t’encourager à envisager des réalités qu’elle a cherché à définir. Or, du point de vue uniquement anthropologique, le couple homosexuel n’inclut pas la différence des sexes et n’est pas procréatif. La famille homosexuelle n’est pas une réalité, même si elle est désirée. L’expression « famille homosexuelle » est impossible (au sens propre du terme « impossible »). Pareil pour le « mariage gay ». Les termes « mariage » et « couple homo » sont quasi incompatibles. L’expression « mariage gay » est antinomique. Car, je me répète, la réalité du mariage et la réalité du couple homosexuel ne collent pas ensemble. Leur seul point commun, c’est le couple. Mais un couple (qu’il y ait différence des sexes en son sein ou non d’ailleurs) n’est pas systématiquement synonyme de « mariage » ni de « famille ». Le mariage ne sacre pas le couple : il sacre la différence des sexes qui donne accès à la famille. Le couple homo donne accès à d’autres choses très belles… mais pas à la différence des sexes ni à la famille. Que veux-tu que je te dise d’autre ? C’est pas moi qui ai créé le monde ainsi. ^^

 

Tu écris : « Tu as une conception différentialiste qui me laisse perplexe. Est ce une façon de refuser un modèle que tu considères soit trop petit bourgeois soit trop hétéronormé ? Est ce parce que tu as l’impression que les homosexuels doivent être subversifs que tu leur refuses des droits équivalents ? » Je te répondrai que je ne mets pas mes résistances au mariage gay du côté de la volonté (subversive, « anti-quelque chose », antibourgeoise, anti-hétéro, ou autre…) mais du côté du constat et du bon sens.^^

 

Tu écris : « Je pense, moi, que c’est pour demain, parce qu’il me semble évident que malgré quelques réactions homophobes médiatisées, de plus en plus de pays vont dans ce sens. » Tu sais, quand bien même tous les pays du monde s’accorderaient à dire que le mariage entre personnes de même sexe est possible et juste, ça ne changerait rien à la réalité. Ce n’est pas parce qu’a priori tout le monde croit à un mythe que ce mythe deviendra réel. Il existe des croyances humaines ajustées au réel (ça s’appelle la foi porteuse, humaniste) et puis il y a des croyances peu ancrées dans le réel (ça s’appelle les superstitions, les mythes populaires, les contes, les sectes).

 

Tu insistes à nouveau sur la notion d’égalité (« Il me semble que ça va dans le sens d’une évolution du droit en faveur de davantage d’égalité entre les individus et cela me semble à moi une bonne chose »), comme si le seul emploi du terme « égalité » suffisait à légitimer tout ce qu’elle permettrait, comme s’il était un mot magique. Sache d’une part que nous, les êtres humains, ne sommes pas égaux, tout simplement parce que nous sommes uniques, que nous avons nos limites, et que nous sommes tous différents. Et d’autre part, l’égalité de droits me semble un idéal social à viser DANS LA MESURE OÙ l’inégalité des identités est reconnue. L’inégalité des identités n’est pas systématiquement le fruit d’une injustice (ça peut être le cas, mais pas toujours) : c’est parfois un état de faits. Or, ce qui est gênant, c’est que les fondamentalistes de l’identité ou de l’égalité, à force de vouloir à tout prix une « égalité de droits » (mais sans s’adapter aux gens, aux différences, aux cas par cas, aux réalités), finissent par amalgamer « égalité de droits » (juste) et « égalité des identités » (impossible). Et ça, c’est dangereux. On peut vouloir le « bonheur du monde » sans le monde… et ça, ça a toujours donné des dictatures. L’histoire humaine en atteste sans arrêt.

 

 

Tu écris : « Je ne partage pas ta conception que le droit doit s’appliquer différemment en fonction des différences factuelles. » Je te réponds que si le droit, dans n’importe quelle société humaine qui soit, ne se fonde pas d’abord sur les PERSONNES, leur(s) réalité(s), et ensuite sur leurs rêves humanistes (parce qu’il met les idéaux, les rêves humanistes avant les personnes), il construit des mythes, il accrédite des fantasmes et leur donne corps (un corps législatif), et c’est comme ça que le monde coure à la catastrophe. Il devient une dictature (toute dictature humaine met la vérité avant les hommes, les bonnes intentions avant les personnes… et ne se voit donc plus agir concrètement).

 

Tu écris : « Tu fais des différences entre filiation biologique et filiation adoptive. Je n’ai jamais dit qu’il n’y en avait pas. Je ne vois pas trop ce que ça change, ceci dit, pour l’adoption par des personnes de même sexe. » Ça change que dans le cas des couples homos, il y a de toute façon au moins un des deux membres du couple qui vivra la filiation adoptive, qui n’est pas aussi similaire à une filiation biologique aimante.

 

Tu écris : « Que dire de ton expression (tu reconnais d’ailleurs toi même qu’elle est forte) : « parodie de famille » ? Sache qu’elle viens de te ranger dans mon esprit gendarmesque dans la case « Boutin  & cie » … et pourtant, Dieu (encore lui), sait à quel point je déteste mettre les gens dans des cases .^^ » Tu sais, ce n’est pas parce que j’ai jugé l’expression dure qu’elle ne me paraît pas pour autant juste et que je la changerais. Oui, je persiste et signe : le mariage gay est pour moi une mascarade, quand bien même il soit fait avec sincérité et que je respecterai mes amis homos et que je serai à coup sûr quand même ému par cette mascarade le jour où des couples d’amis m’inviteront à assister à leur mariage. (une chose, c’est ce que je pense ; une autre, ce sont les personnes et l’amitié qui nous lie). Et pareil pour l’idée de famille homoparentale : pour moi, ce n’est pas une famille. Après, le jour où une amie lesbienne à moi m’a présenté, alors que je défilais à la Gay Pride parisienne 2009, son petit bout de chou, je n’ai pas craché à la gueule du gamin, je te rassure !lol (je me suis même extasié devant son petit blondinet… même si ce dernier restera son enfant biologique à elle et pas, comme elle me le disait, l’enfant d’elle et de sa copine). Pareil pour les personnes transsexuelles de mon entourage. On ne me fera jamais avaler qu’on peut changer de sexe, et que la personne qui est en face de moi et qui est née garçon est vraiment une femme parce qu’elle se sent sincèrement femme depuis sa jeunesse et qu’elle s’est fait opérer. Je ne vais pas cautionner un mensonge identitaire, une mascarade, même pour « faire plaisir » ou « récompenser une sincérité ». Après, ça n’empêche que face aux quelques personnes transsexuelles de mon entourage, je ne remets pas sans cesse le couvert sur ce qui m’apparaît comme un mensonge flagrant, et je ris avec eux, discute, les charrie. Il y a ce que je pense (la théorie), et puis les gens (qui comptent plus que la théorie). Mais je n’ai jamais cessé de dire « ils » devant/concernant mes amis transsexuels nés garçons (je n’ai jamais féminisé en « elles »… ce qui les agace parfois gentiment). Ce n’est pas pour faire chier mon monde ni pour être original ni parce que je serais « buté ». Simplement, j’aime coller à la réalité (vivante, mouvante, mystérieuse) et j’aime la vérité. Elle rend service à tout le monde.

 

Quand tu écris à propos du PaCS « Il se trouve que ce qui me plaît dans cette union, c’est qu’elle soit ouverte à tous, sans distinction opérée sur l’altérité sexuelle ou non des membres du couple. Une union homosexuelle serait en plus d’être profondément discriminatoire, complètement stigmatisante. », je suis limite d’accord avec toi ;-). Désuniversaliser le couple homo est dangereux. Mais l’universaliser l’est tout autant. J’ai pas vraiment de moyen terme à proposer, à part, je te dis, une union spécifique aux couples homos (pour qu’ils puissent être protégés et reconnus par la loi quand même) mais qui ne s’appelle pas « mariage » ni « famille ».

 

Tu écris : « Est il vraiment besoin de revenir sur le rôle de l’Église dans un État laïc ? » Ayant été bien formé sur ce qu’est la laïcité lors de ma formation IUFM pour être prof, je peux te parler de la laïcité sans problème. Je crois comprendre que pour toi, un État laïc est un état où les confessions religieuses sont invitées à rester dans le domaine exclusivement privé, et en gros, à se la fermer. Or, ça, c’est du laïcisme. La vraie laïcité n’est pas en faveur d’une indifférence aux religions, d’une disparition des religions, ni même d’un cloisonnement des religions dans la sphère du privé. Elle est pour une juste distinction de l’Église et de l’État (« distinction » ne veut pas dire « séparation totale »), et surtout, elle est en faveur d’une cohabitation pacifique et SOCIALE entre les religions (non une « indifférence mutuelle » ou une exaltation du privé : les religions ont aussi leur mot à dire par rapport aux questions sociales : on vit en démocratie, très cher), tout en respectant la liberté de culte et les traditions ancestrales, culturelles et religieuses du pays où la laïcité est choisie (on ne va pas supprimer le calendrier chrétien en France, par exemple, parce que la France est un pays de tradition judéo-chrétienne). Désolé de te dire que ta position par rapport aux religions n’est, à mon sens, pas du tout « laïque » (dans le sens noble du terme), mais en fait « laïciste » (voire relativiste, méprisante, et laïcarde ^^) puisque tu dis : « Je me moque de la position de l’Église sur le mariage comme je me moque de savoir la position de la Mosquée de Paris, du Conseil Représentatif des Musulmans de France, de l’UOIF ou que sais je encore sur le port du hidjab, du niqab, de la burqa ou de tout voile, intégral ou non. » Je suis sûr que tu peux mieux faire 😉

 

Tu écris : « Le mariage est civil en France depuis la Révolution. » Pardon ??? ^^ Ce n’est pas parce qu’il est possible, depuis la Révolution, de ne pas en passer obligatoirement par l’église pour se marier, que le mariage devient civil en France depuis la Révolution. Le mariage ne cesse pas d’être religieux (en plus d’être civil depuis la Révolution). Il n’est pas que civique.

 

Tu t’étonnes que je trouve bizarre le fait que tu demandes non pas un droit pour lui-même mais pour avoir le « droit de le refuser » ? Eh bien parce que le droit « demandé pour lui-même » est pour moi l’expression d’une vraie liberté, alors que le droit « demandé pour être refusé » est la démarche du conformisme ou du caprice. Et le « droit demandé pour les autres » et non « pour soi-même + les autres » m’apparaît comme l’utilisation des autres comme un bon prétexte (un prétexte en apparence solidaire, altruiste) pour justifier ce caprice.

 

Tu écris : « Quant à savoir si les homosexuels qui souhaitent se marier et adopter des enfants existent vraiment, je me demande dans quelle tour d’ivoire vis tu ? À mon tour de te poser des questions du coup parce que là, j’ai l’impression que nous vivons dans des univers complètement différents ! Ça ressemble à quoi un homosexuel sur la planète que tu vis ? Jamais tu n’as croisé d’homosexuels qui souhaitaient se marier et avoir des enfants. Sérieusement ? » Et bien je ne pense pas vivre dans une toute autre planète que la tienne (lol). Je n’ai pas à me plaindre du point de vue du nombre de rencontres de personnes homos que j’ai faites depuis 9 années dans le « milieu homo » ! et je crois avoir croisé, à travers mes sorties, mes cercles d’amis, grâce à mon livre, au travers de mes engagements associatifs homos divers et variés, assez de gens pour t’assurer que le désir de se marier et de fonder une famille est très minoritaire dans la population homosexuelle (en tout cas chez les gens homos que j’ai rencontrés, qui est un échantillon plus que respectable et représentatif). Tu transformes en « évidences » la paternité ou le mariage gay, alors que je n’ai quasiment entendu que des personnes qui ne voulaient pas s’engager vraiment en couple durable, qui ne voulaient certainement pas (je cite) « s’embarrasser d’un gamin », et qui trouvent le mariage complètement (je cite) « dépassé, anachronique, bourgeois, hypocrite ». À mon tour de te demander dans quelle planète (hétéro, homo, terrestre) tu vis ?^^ (tu me paies le voyage ?)

 

Tu écris : « Que dire à ton ode à la vie et à la famille hétérosexuelle que je n’ai pas déjà dit ? » Alors je t’arrête tout de suite ! lol ! La famille hétérosexuelle, je ne l’ai jamais défendue. Je n’ai, c’est pas dur, aucun bien à en dire de cette famille-là (trouve-moi un seul passage où je défends le couple hétérosexuel, où je l’idéalise). Je ne défends pas le couple hétérosexuel mais uniquement le « couple femme-homme aimant ». Tu vas trouver que je joue sur les termes, mais pourtant, c’est très important : je développe la différence entre « couple hétéro » et « couple femme-homme aimant » pendant plusieurs pages de mon livre, alors je ne vais pas m’étendre ici. Pour te résumer, pour moi, le couple hétéro est violent, ressemble au couple-objet de la médecine légale et de la télé, et n’est pas du tout un modèle social à imiter, par les couples femme-homme d’une part, par les couples homos d’autre part.)

 

Tu conclues en disant « J’ai tout dit. Il ne s’agit pas de lutter contre la famille hétérosexuelle mais d’offrir aux homosexuels la possibilité de se marier et d’adopter des enfants parce qu’ils sont tout à fait aptes à cela ». Et je te demande : Et pourquoi donc ? (^^)

 

Enfin, je voulais terminer par ces quelques mots (car notre échange commence à ressembler à une vraie joute verbale !! ^^). Je voulais juste te dire (et vous dire : je pense à Paul) mon plaisir de discuter avec toi et Paul… à tel point que je me dis que ce serait tout à fait le genre d’échange qui mériterait d’être publié, comme on publierait les discussions d’une table ronde publique, avec la courtoisie/respect de ceux qui échangent sans forcément arriver à tomber d’accord (et c’est pas le but, en fait : on ne tombera pas d’accord sur tout… mais j’aime le plaisir qu’on a à développer un argumentaire, à chercher à affiner notre pensée, à égratigner et charrier l’autre, à bousculer les meubles, à être ensemble tout simplement. C’est pas si courant d’aborder de front des questions qui, mine de rien, sont sans cesse survolées, dans les débats sur l’homosexualité, et qui reviennent pourtant toujours. Alors gardons cette liberté de ton, ce désir de passer au peigne fin notre pensée et les paroles de l’autre. Qui sait ? On en fera peut-être quelque chose, de cet échange Facebook (moi, j’ai mon blog d’écrivain ; Paul est journaliste ; toi, Jérôme, tu as une très belle plume, et un discours fort, pertinent – je dis pas qu’il me ferait presque m’arracher les cheveux, parce que ça te ferait trop de plaisir lol… mais il me pousse dans mes retranchements, et ça m’oblige à être plus prudent, à bien choisir mes mots, et c’est très agréable au final –). Jouons-la comme Ferré/Brassens/Brel, rien que pour le trip !^^ (Faut juste que Paul nous ponde le prochain billet, et qu’il soit brillant et long… ce qui n’est pas gagné… lol)

 

Jérôme M. :

 

Tu es dans l’interprétation la plus totale sur ce que je pense des croyants en général. Il se trouve que je suis croyant et que j’ai longuement eu une pratique religieuse. Il se trouve que ma pratique religieuse n’était pas catholique mais musulmane. C’est une des raisons pour laquelle ta façon de tout faire tourner autour de la religion catholique en semblant ne pas voir les autres traditions religieuses présentes sur le sol français depuis longues dates et en semblant ne pas voir qu’une très grande majorité des français ne se réfèrent aux traditions religieuses que quand la mort les touche.

 

Je n’ai jamais dit dans mes propos que Christine Boutin était le Diable. C’est encore une fois un terme qui n’a de sens que dans la religion. Je n’ai pas non plus dit que c’était une facho en puissance. Je n’ai pas fait de référence avec le fascisme ou le nazisme. Je sais raison gardée et j’évite habituellement de faire de telles comparaisons. Ceci dit on pourrait s’amuser à reprendre les thèmes de Boutin, Vanneste et consorts et à faire un état des lieux sur la partie la plus religieuse de … l’UMP.

 

En ce qui concerne, le Code Civil, dans tes trouvailles, nulle trace d’une définition du mariage qui le définirait comme étant celui d’un homme et d’une femme. En Français et même en droit, « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus« , ça ne signifie nullement que l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage ENSEMBLE. Ça veux surtout dire que ni l’homme ni la femme ne peuvent contracter de mariage avant 18 ans révolus, que les deux sexes sont concernés par cette condition d’âge. Inutile cependant de s’appesantir là dessus : nous savons tous que si cette condition n’est pas clairement définie par le Code, le mariage était dans l’esprit des législateurs de l’époque celui d’un mariage entre un homme et une femme.

 

Film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq

 

« Tu écris : « Tu es bien conscient que je n’ai, à aucun moment, parlé de couple homosexuel mais bien …. d’homosexuels. » C’est bien ce que je te reproche : une vision finalement très individualiste du couple et du mariage ^^. Alors que, quand même, le mariage concerne toujours deux personnes. »

 

–> Quand tu me cites, prends la peine de ne pas sortir les phrases de leur contexte et tu t’apercevras peut être que tes analyses sont erronées. Je parlais d’homosexuels qui ont des enfants. Et j’ai même détaillé vu que tu feignais de ne pas comprendre : je te parlais d’homosexuel(le)s ayant une vie de couple hétérosexuelle et d’autres qui en avaient eu lors d’unions hétérosexuelles et qui pouvaient avoir par la suite une vie de couple homosexuelle voire être célibataires. Il n’en demeure pas moins qu’ils rentrent dans le thème qui est : les homosexuels ne sont pas stériles et peuvent avoir des enfants. Je ne vois pas comment tu peux en déduire que ma vision du couple est individuelle, je ne faisais, dans ce cas précis, que constater un état de fait et non parler de ma conception des choses.

 

Tu te réfères ensuite au bon sens pour justifier ta conception traditionaliste et profondément religieuse du mariage. On tourne en rond, j’ai l’impression. Le mariage étant civil depuis plus de deux cents ans et n’étant pas défini par la loi, ta conception du mariage comme le préambule à la constitution d’une famille.

 

Les hétérosexuels n’ont pas attendu le Pacs pour se passer du mariage pour constituer une famille. Les homosexuels non plus. Et tout ceci n’a rien d’un mythe… L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe est déjà une réalité dans de nombreux pays.

 

Tu poursuis en me traitant à demi mots de fondamentaliste après m’avoir dit plus haut que j’assimilais les religieux à des fondamentalistes. On n’est pas loin d’atteindre le Point Godwin, j’ai l’impression ^^.

 

Tu parles ensuite de dictature et là je préfère te laisser dans tes délires. Reviens avec nous Philippe. Je ne te parle que d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples homosexuels à partir du moment où l’homosexualité n’est plus considérée par la loi comme un comportement déviant et où les couples homosexuels sont non seulement tolérés de fait mais où on leur propose d’autres unions légalement reconnues.

 

En parlant de l’adoption, tu écris :  » Ça change que dans le cas des couples homos, il y a de toute façon au moins un des deux membres du couple qui vivra la filiation adoptive, qui n’est pas aussi similaire à une filiation biologique aimante. » Là, je ne te suis pas. Ça ressemble vaguement à un plaidoyer antiadoption et finalement, je vais presque m’excuser de t’avoir comparer à Christine Boutin, tu sembles finalement beaucoup plus réac qu’elle en réalité. ^^ Je t’ai dit l’importance que revêtait pour moi le lien filial mais en même temps, je ne vois pas trop en quoi tu peux qualifier la filiation biologique d’aimante et la comparer à la filiation adoptive sans qualificatif. Une filiation biologique peut très bien être sans amour filial et une filiation adoptive peut s’avérer bien plus riche en amour qu’un lien biologique. Évitons de tomber dans une conception du monde trop fantasmée.

 

Tu dis plus loin : « Je crois comprendre que pour toi, un État laïc est un état où les confessions religieuses sont invitées à rester dans le domaine exclusivement privé, et en gros, à se la fermer. » Fais un effort Philippe. C’est toi l’intellectuel. C’est toi le prof, écrivain à ses heures….. tu devrais réussir à me lire sans tomber dans l’interprétation la plus hâtive. Je n’ai pas dit que les croyants n’avaient pas leur mot à dire. Je n’ai aucun souci avec les croyants les plus ouverts d’esprits et d’ailleurs certains sont tout à fait pour le mariage homosexuel. J’ai juste dit que je me moquais de connaître la position de l’Église sur le mariage, c’est quelque peu différent. Il se trouve qu’entre les hadiths du Prophète Mohammed sur les homosexuels, les versets du Coran, de l’Ancien et du Nouveau Testament sur le sort que les bons croyants sont censés réservés aux homosexuels, je me moque un peu de savoir quelle est la position des religions. Et l’État n’est pas censé gouverner le pays en se référant à la Bible même si Boutin l’a exhibée à l’Assemblée. La fin de ton propos est du même ordre. Tu es dans l’interprétation. À croire que tu ne fais qu’une lecture superficielle de mes propos.

 

Non, je ne suis pas opposé au fait religieux et non je ne suis pas un farouche laïcard. J’ai longtemps eu une pratique religieuse et je m’en suis éloigné depuis, c’est exact. Il se trouve que je ne fais plus la politique de l’autruche, c’est à dire, je ne fais pas le tri dans les textes religieux en fonction de ce qui me dérange ou non. Je peux difficilement faire attraction d’un texte sacré ou des propos d’un envoyé de Dieu appellant à tuer les homosexuels par exemple.

 

Il est évident que je n’ai pas les mêmes rapports que toi à la Laïcité et au fait religieux. Pour moi, il est évident que le mariage est avant tout civil en France parce qu’il se trouve que le mariage religieux n’a aucune valeur. La loi ne parle de mariage religieux uniquement pour rappeler que ce dernier ne peux avoir lieu avant un mariage civil et punir ceux qui procéderaient à une cérémonie religieuse avant un mariage civil. Un mariage religieux n’est aucunement reconnu devant la Loi alors je ne vois pas trop en quoi il devrait continuer d’être la référence pour s’opposer à l’ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe. C’est hallucinant !

 

« Tu t’étonnes que je trouve bizarre le fait que tu demandes non pas un droit pour lui-même mais pour avoir le ‘droit de le refuser’ ? Eh bien parce que le droit ‘demandé pour lui-même’ est pour moi l’expression d’une vraie liberté, alors que le droit ‘demandé pour être refusé’ est la démarche du conformisme ou du caprice. Et le ‘droit demandé pour les autres’ et non ‘pour soi-même + les autres’ m’apparaît comme l’utilisation des autres comme un bon prétexte (un prétexte en apparence solidaire, altruiste) pour justifier ce caprice. » Heureusement que des gens comme Badinter, Simone Veil, Victor Schoelcher et tant d’autres se sont montrés « capricieux »…. ^^^

 

C’est sûr que si tu n’as rencontré qu’une très grande majorité d’homos ne voulant pas « s’embarrasser de gamins » et trouvant le mariage comme « petit bourgeois », nous ne devons pas vivre dans le même monde. Non pas que j’insinue que ces personnes n’existent pas. Peut être même constituent elles la majorité. Mais est-ce que cela signifie pour autant que le souhait exprimé par quantités d’homosexuels comme de très très capricieux hétérosexuels d’ouvrir le mariage aux personnes du même sexe est illégitime et non représentatif ? N’est tu pas sûr d’en avoir rencontré ne serait ce qu’un ? Ni dans les milieux associatifs LGBT ? Ni à la lecture de GayClic ou d’autres médias Gays ? Ni sur aucun groupe Facebook ? Ni dans la vraie vie ? Sérieusement ? ^^^^ À mon humble avis, je préfère des gens (hétéros et homos) qui veulent offrir une famille à un enfant qui est privé de la sienne à des gens qui ne veulent pas s’embarrasser de gamins. Si les premiers seraient capricieux, que dire des seconds ?

 

« Tu conclues en disant ‘J’ai tout dit. Il ne s’agit pas de lutter contre la famille hétérosexuelle mais d’offrir aux homosexuels la possibilité de se marier et d’adopter des enfants parce qu’ils sont tout à fait aptes à cela’. Et je te demande : Et pourquoi donc ? (^^) »

 

—-> Parce qu’ils ne sont pas différents des hétérosexuels, ne t’en déplaise. Parce qu’ils peuvent apporter de l’amour et de la stabilité à des enfants. Parce que c’est ce qu’ils font déjà depuis longtemps.  Parce que tous les homosexuels n’aspirent pas tous à une vie de multiplications et d’accumulation de partenaires sexuels. Parce que nombre d’entre eux ne vivent pas différemment de leurs frères/soeurs/amis/relations hétérosexuelles…. Parce qu’ils peuvent très bien avoir les mêmes désirs d’enfants que des hétérosexuels sans que ceux des seconds seraient considérés comme légitimes et ceux des premiers considérés comme des caprices.

 

Ta conclusion est fort sympathique mais il se trouve que le ton enjoué du début se perd un peu. Sans doute la fatigue d’une journée de travail ou l’agacement d’être comparé à un « fondamentaliste » même de la laïcité qui qualifierait de « fachos » les religieux. Je ne sais pas.  J’ai en tout cas apprécié avoir cette conversation avec toi ainsi que les interventions de Paul… J’ai bien conscience que tous les homosexuels ne sont pas favorables au mariage et à l’adoption par d’autres homosexuels. J’ai bien compris les distinctions que tu opères entre couples hétéros et couples homos mais très honnêtement je ne suis pas convaincu.

 

 

 » Au passage, je trouve assez bizarre que tu demandes non le mariage mais ‘le droit de le refuser’, ou bien le mariage ‘pour les autres’. Qui sont ces ‘autres’ que tu défends ? « 

 

Il n’y a rien de bizarre là dedans. En quoi cela est bizarre ? On ne peux revendiquer un droit sans le souhaiter pour soi-même ? Des blancs n’ont-ils pas milités pour la fin des discriminations envers les noirs ? Badinter et d’autres politiciens hétérosexuels n’ont-ils rien fait pour les homosexuels ? J’avoue ne pas comprendre ce que tu veux dire.

 

Quant à savoir si les homosexuels qui souhaitent se marier et adopter des enfants existent vraiment, je me demande dans quelle tour d’ivoire vis-tu ? À mon tour de te poser des questions du coup parce que là, j’ai l’impression que nous vivons dans des univers complètement différents ! Ça ressemble à quoi un homosexuel sur la planète que tu vis ? Jamais tu n’as croisé d’homosexuels qui souhaitaient se marier et avoir des enfants. Sérieusement ?

 

Pourquoi vouloir pour les autres ce que je ne veux pas pour moi-même ? En plus de ce que j’ai déjà répondu plus haut, il se trouve que ce sont des décisions qui se prennent à deux. Dans un couple homosexuel comme dans un couple hétérosexuel. Que mon compagnon a déjà été marié et qu’il ne souhaite pas se marier de nouveau, qu’il a déjà un enfant et qu’il se trouve désormais trop vieux pour concevoir de s’occuper d’un enfant en bas âge. Il se trouve également que le PaCS me satisfait à titre personnel mais que je … « trouve inadmissible que le mariage soit réservé aux seuls hétérosexuels ». Mais je crois l’avoir déjà dit, non ? ^^

 

Pour l’adoption par des hétérosexuels, là encore, nous ne vivons décidément pas sur la même planète. Il existe des couples qui adoptent en plus de leurs enfants biologiques … juste parce qu’ils savent ce qu’est une famille aimante et qu’ils savent que nombre d’enfants sont soit orphelins soit abandonnés par leur famille de par le monde.

 

Que dire à ton ôde à la vie et à la famille hétérosexuelle que je n’ai pas déjà dit ? Rien en fait. J’ai tout dit. Il ne s’agit pas de lutter contre la famille hétérosexuelle mais d’offrir aux homosexuels la possibilité de se marier et d’adopter des enfants parce qu’ils sont tout à fait aptes à cela sans que cela ne soit qu’un caprice éphémère d’enfant gâté.

 

Où je vais chercher tes références judéochrétiennes ? Sans doute dans ta vision du mariage comme réservé aux seuls couples hétérosexuels et dans ta proposition d’instaurer une union civile réservée aux seuls homosexuels mais ne reprenant pas le mot du « mariage » …. Cela correspond aux positions de Boutin et multitude de personnes se revendiquant de religions monothéïstes. Cela correspond également au programme de Nicolas Sarkozy lors des présidentielles. …. (D’où le nom du groupe qui a inspiré cette conversation.) Ceci dit, je peux me tromper. Tu peux tout à fait avoir les mêmes idées que Boutin sans avoir les mêmes références religieuses.

 

Si je t’ai fait rire par ma phrase :  » Il se trouve aussi que l’homosexualité ne date pas d’hier et que les homosexuels font des enfants depuis des lustres. », j’avoue que toi, ta réaction m’a laissé perplexe : « tu peux me dire comment ils font en couple pour avoir leurs propres enfants ? mdr ! Là encore, tu te situes d’un point de vue individuel… mais je te dirais que depuis des lustres, le couple homosexuel n’a jamais été procréatif, et n’a jamais eu d’enfants. »

 

—> Tu es bien conscient que je n’ai, à aucun moment, parlé de couple homosexuel mais bien …. d’homosexuels. J’imagine que tu te doutes qu’il me reste deux ou trois notions de cours de biologie et je ne suis pas sans ignorer la nécessité de gamètes mâles et femelles.

 

J’imagine que tu n’es pas non plus sans ignorer que nombre d’homosexuels ont eu par le passé (et continue encore de nos jours à avoir) des unions hétérosexuelles par souci de se plier à la norme hétérosexuelle de la société, que beaucoup de ses homosexuel(le)s ont eu des enfants. Si le couple homosexuel est par définition stérile, les homosexuel(le)s ne le sont pas. D’ailleurs tu le reconnais quelques lignes plus loin : « Certes, il existe, du point de vue des individus, des paternités biologiques chez les personnes homosexuelles ; certes, il existe des paternités adoptives (porteuses de bien des valeurs) chez les personnes homosexuelles au sein de leur couple. »

 

Tu dis également :  » D’ailleurs, le Code Civil, contrairement à ce que tu dis, stipule bien que le mariage concerne l’union d’un homme et d’une femme ». Tu sembles être sûr de toi. Peux tu me citer l’article du Code Civil qui en dispose clairement ?

 

Plus loin, tu me reprends en disant que l’adoption par des homosexuels, c’est pour demain, uniquement si cela est un choix de société et tu poursuis en disant :  » Mais ce n’est pas pour cela qu’il faut imposer sous forme de loi et de droit cette possibilité à tout le monde. » Je ne vois pas en quoi une possibilité offerte par le droit est « imposée » à qui que ce soit et encore moins à tout le monde. Je ne suis pas franchement convaincu par notre conversation et j’avoue que tes positions et tes propos me heurtent un peu. Tu as une conception différentialiste qui me laisse perplexe. Est-ce une façon de refuser un modèle que tu considères soit trop petit bourgeois soit trop hétéronormé ? Est-ce parce que tu as l’impression que les homosexuels doivent être subversifs que tu leur refuses des droits équivalents ? Je pense, moi, que c’est pour demain, parce qu’il me semble évident que malgré quelques réactions homophobes médiatisées, de plus en plus de pays vont dans ce sens. Il me semble que ça va dans le sens d’une évolution du droit en faveur de davantage d’égalité entre les individus et cela me semble à moi une bonne chose vu que je ne partage pas ta conception que le droit doit s’appliquer différemment en fonction des différences factuelles. À étendre ce raisonnement, les femmes n’auraient toujours pas le droit de vote, les hommes seraient toujours les chefs de famille, les colonies avec des droits différents entre les « français » et les « français musulmans »… Je ne m’étends pas d’avantage sur ce chemin sinon je vais être, très vite, accusé d’atteindre le point Godwin. 🙂

 

Tu fais ensuite des différences entre filiation biologique et filiation adoptive. Je n’ai jamais dit qu’il n’y en avait pas. Je ne vois pas trop ce que ça change, ceci dit, pour l’adoption par des personnes de même sexe.

 

Que dire de ton expression (tu reconnais d’ailleurs toi-même qu’elle est forte) : « parodie de famille » ? Sache qu’elle vient de te ranger dans mon esprit gendarmesque dans la case « Boutin  & cie » … et pourtant, Dieu (encore lui), sait à quel point je déteste mettre les gens dans des cases .^^

 

Tu dis donc que je me « gendarme » du fait que tu qualifies le « PaCS » de  » pacte fourre-tout » et qu’il s’est « hétérosexualisé »… mais tu as dû louper un épisode à notre conversation. Tu as certes dit que le pacte s’était hétérosexualisé et dans ta conception différentialiste des couples, tu l’as regretté, souhaitant au fond la création d’une union hétérosexuelle (« il ne laisse pas vraiment de place au couple homosexuel en tant que tel. »). Inutile de me convaincre que le PaCS soit majoritairement devenu une union hétérosexuelle. Cela m’importe peu. Il se trouve que ce qui me plaît dans cette union, c’est qu’elle soit ouverte à tous, sans distinction opérée sur l’altérité sexuelle ou non des membres du couple. Une union homosexuelle serait en plus d’être profondément discriminatoire, complètement stigmatisante.

 

Quand tu dis plus loin encore :  » Si tu trouves ‘inadmissible que le mariage soit réservé aux seuls hétérosexuels’, c’est que tu n’as pas suivi mon explication plus haut qui disait que le couple homo ne cadrait pas avec ce que l’État et l’Église proposent quand ils parlent de ‘mariage’. « : Je te trouve un poil prétentieux. J’ai tout a fait suivi ton explication et je te rassure sur le fait que j’ai bien compris tes arguments mais je n’ai pas du tout été convaincu par ton argumentaire.

 

Est-il vraiment  besoin de revenir sur le rôle de l’Église dans un État laïc ? Je me moque de la position de l’Église sur le mariage comme je me moque de savoir la position de la Mosquée de Paris, du Conseil Représentatif des Musulmans de France, de l’UOIF ou que sais-je encore sur le port du hidjab, du niqab, de la burqa ou de tout voile, intégral ou non. Le mariage est civil en France depuis la Révolution. Et que dis le Code Civil sur la famille, le couple et le mariage ? Très peu de chose au fond. Est-ce que le Code a évolué ? Oui, sinon les femmes n’auraient pas les mêmes droits que les hommes aujourd’hui. Évoluera-t-il encore ? Inévitablement.

 

Misandrie lesbienne… ou pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes

La Misandrie lesbienne… ou Pourquoi beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ?

 

 

Misandrie, c’est quoi ce machin ?

 

Dans la série des dossiers qui fâchent et qui deviennent tabous à force d’être relégués au rang de « clichés faciles », je vous propose celui de la misandrie chez les femmes lesbiennes. Tiens tiens… « misandrie »… voilà un mot qui, bizarrement, n’existe toujours pas dans nos dictionnaires, contrairement à « misogynie »… car, si vous l’ignoriez, la méchanceté, dans notre société, n’irait que dans un sens : des hommes vers les femmes ; jamais l’inverse ! Les femmes ne seraient que des victimes pures et innocentes de l’ignoble gent masculine ! Les hommes, étant rangés du côté du « Sexe Fort », n’auraient pas le droit d’être faibles, de déroger au diktat de la toute-puissance et de la force physique du Superman. Ils ne pourraient pas être victimes de viol ! À l’inverse, les femmes seraient des modèles de douceur, de compréhension, d’intuition, d’amour (amour autosuffisant et conjugué au singulier, dans une monogamie satisfaite d’elle-même, bien entendu), les reines des sentiments… et finalement les reines des victimes. Le problème majeur actuellement se situe dans le fait qu’on ne relationnalise plus la violence, qu’on n’en fait plus un problème et un combat collectif, mais qu’on la personnifie en des êtres-épouvantails masculins qui finissent par être (pris pour) les hommes réels. Nos contemporains nous encouragent à manichéïser nos maux, à tracer un ligne blanche bien nette entre les éternelles victimes et les sempiternels bourreaux, entre la population née femme et la population née homme, sans comprendre que si les femmes sont de plus en plus violentées aujourd’hui, c’est bien parce qu’à la base les hommes aussi sont de plus en plus violentés et méprisés, par eux-mêmes déjà, mais également par leurs compagnes. Ces femmes qui considèrent qu’elles ont une revanche à prendre sur des prétendus siècles de domination patriarcale. Ces femmes qui font chaque fois davantage comprendre aux hommes qu’elles n’ont plus besoin d’eux pour jouir, penser, être équilibrées, vivre, être libres. Ces femmes qui, par des anachronismes grossiers et un mépris caché d’elles-mêmes (auto-mépris souvent inconscient car il passe par une haine des femmes du passé que les femmes contemporaines transforment en jumelles dans la victimisation, ou, dans le même mouvement, en rivales ignares à ne surtout pas imiter), incitent les hommes à perdre leur douceur et leur patience à leur égard. Le résultat, quel est-il ? De plus en plus, on voit les hommes caricaturés en beaufs et en gros bébés immatures, en violeurs, en Don Juan minables et irresponsables. Les nobles et courtois défenseurs des dames sont soit homosexualisés, soit singés en brutes épaisses et agressives. Et ne croyez pas que cette caricature ne blesse pas les hommes véritables, ceux qui sont forts et doux à la fois, ceux qui ne sont ni faibles ni violents ! C’est bien parce qu’elle a des effets dévastateurs sur eux qu’on constate dans les œuvres contemporaines et sur nos écrans un nombre croissant d’hommes en pleurs, humiliés, battus, voire assassinés par des femmes. Tout au long de son essai XY, Élisabeth Badinter recense dans les œuvres littéraires du XIXe siècle toutes les fois où on voit des hommes et des héros masculins pleurer. La recrudescence de la figure de l’homme moderne qui pleure parce qu’on l’émascule est très symptomatique de cette destruction symbolique, et parfois réelle, qui est en train de se produire à notre époque… et qui fabrique justement des talibans, des extrémistes blessés dans leur virilité, des futurs despotes, des petits machos « caillera », des adolescents-soldats. Par ailleurs, on observe dans la réalité de plus en plus de violences à l’encontre des pères de famille (peu protégés par la loi en cas de divorce), et on comptabilise une recrudescence des suicides de ces mêmes pères. La maltraitance opérée sur les hommes télévisuels sert d’exemple à beaucoup de femmes qui, dans des contextes très particuliers de conflits entre les sexes (divorce, rupture amoureuse, rivalité professionnelle, etc.), imitent les situations de vengeance que les médias ont orchestrées. Qu’on m’entende bien : Il n’y a aucune crise de la masculinité aujourd’hui (la masculinité n’étant qu’une affaire d’image(s) associée(s) à un certain sexe, qu’une simple question de genre, de mode, de culture ; pas de sexuation ni d’identité) : il n’y a qu’une crise identitaire de la part des femmes et des hommes qui aiment de moins en moins leur sexuation, et donc, par ricochet, leur relation à l’autre sexe. Le drame de notre époque, c’est que les femmes et les hommes ne veulent plus se rencontrer, et en sont de plus en plus fiers.

 

 

Du côté des femmes, cette fierté de la rupture d’avec les hommes a tendance à s’appeler « féminisme » ou « lesbianisme ». Alors bien sûr, de nombreuses femmes lesbiennes seront tentées de justifier la peur et parfois la haine des hommes chez certaines de leurs semblables en postulant que si ces dernières deviennent misandres, c’est en réaction à une violence première qui leur était extérieure et antérieure. Elles présenteront la misandrie comme une conséquence « logique », une stratégie de survie, une réponse méritée donc « presque justifiable », bref, comme une nécessité ; non comme une cause de la misogynie… ce qui est une absurdité puisqu’il se trouve que la misandrie n’est ni une cause ni une conséquence de la misogynie : elle n’est qu’une coïncidence, qu’un signe montrant une scission-uniformisation croissante, dramatique et inquiétante, entre les sexes, qui réclame au contraire un rapprochement et un renouement du dialogue entre les hommes et les femmes réels.

 

Les femmes lesbiennes qui finalement ne se gendarmeront pas quand je parle de misandrie à leur encontre seront celles qui ne se poseront pas en victimes des hommes, mais bien en amies ; celles qui sauront se regarder elles-mêmes sans systématiquement extérioriser la misandrie sur les hommes, ni la géméliser en parfait miroir d’une « misogynie des mâles » qui l’aurait précédée. Je les vois, ces nombreuses femmes lesbiennes pour qui les hommes gay ne sont en quelque sorte que de « simples collaborateurs », des « faux frères », des « demi-frères » (après un divorce inavoué : le divorce d’avec une différence des sexes respectée et bien vécue) : en tout cas pas des véritables amis. L’homosexualité constitue un bien fragile dénominateur commun. S’il n’y a pas, entre nos congénères lesbiennes et nous les hommes, un minimum de gratuité et d’amitié désintéressée, la misandrie pointe le bout de son nez.

 

Quatre exemples de misandrie lesbienne

 

Je commencerai ce Phil de l’Araignée par vous raconter quatre histoires véritables, dont trois qui me sont arrivées personnellement (au festival de cinéma LGBT « Chéries-Chéris » tout d’abord ; à l’Hôtel Millénium avec l’Autre Cercle ensuite ; et enfin au festival Cineffable de Paris), et une qui m’a été rapportée par un ami marseillais (et qui vaut son pesant d’or !). Elles indiquent l’existence d’une misandrie chez certaines femmes lesbiennes, misandrie que je tente d’expliquer mais qu’en aucun cas je ne veux justifier : si j’écris sur la misandrie, c’est justement en vue de lutter contre ce type de sectarismes, de dénoncer des mécanismes de peur qui sont souvent inconscients, rarement décortiqués, et de plus en plus banalisés par nos contemporains.

 
 
–       Festival « Chéries-Chéris » :
 

Je me trouvais le dimanche 14 novembre 2010 dernier au festival de cinéma LGBT parisien « Chéries-Chéris » au Forum des Images. Je ne sais pas ce qui m’a pris cette année d’aller voir prioritairement la programmation lesbienne (je me lesbianise, ça doit être ça ! ;-)). En règle générale, une infime part des garçons gay vont voir des films lesbiens. En bons consommateurs passifs, garçons comme filles homosexuels vont là où leurs goûts les orientent, c’est-à-dire chacun de leur côté (même si cela se vérifie moins chez les femmes lesbiennes, qui peuvent faire preuve d’une plus grande ouverture à l’égard des garçons). C’est aussi pour cette raison que je lis de plus de plus de romans lesbiens, que je me spécialise dans la culture lesbienne, que je vais voir autant de films traitant d’homosexualité masculine que de films sur l’homosexualité féminine, en y découvrant justement que dans les grandes lignes le désir homosexuel a les mêmes caractéristiques, qu’il soit ressenti par un homme ou par une femme, et quoi que puissent en dire ceux qui le particularisent et le compartimentent selon les genres, les sexes, les individus, les cultures, les orientations sexuelles, pour mieux lui tourner le dos.

 

 

J’ai donc assisté, lors du festival « Chéries, Chéris », à la projection d’une dizaine de courts-métrages lesbiens, majoritairement conçus par des réalisatrices lesbiennes. Mais un seul parmi eux faisait exception : c’était le film « Corps à corps ». Il rentrait bien dans la thématique lesbienne, mais son réalisateur, Julien Ralanto, présent à la projection, et s’étant rendu disponible également à la fin pour répondre aux éventuelles questions du public, a été affiché comme « un » hétéro gay friendly. Une fois la série des courts-métrages passée, l’idée d’un échange avec un réalisateur homme a visiblement fait peu d’émules, puisque la salle de cinéma s’est vidée de moitié. Malheureusement pour Julien Ralanto, ce n’est pas parce que certaines femmes lesbiennes n’ont pas bougé de leur siège qu’elles sont restées en amies pour autant ! Le débat n’aura pas dépassé plus de 10 minutes. Ralanto n’a eu droit qu’à deux pauvres interventions, qui n’étaient même pas des questions d’ailleurs, mais plutôt des réactions : d’abord une journaliste d’un magazine lesbien, qui lui a demandé de quel droit il se permettait, en tant qu’homme, de toucher au thème lesbien et de l’aborder dans un film (Qu’y connaît-il puisqu’il n’est pas lesbienne lui-même ? Ce n’est qu’un homme, qu’un étranger, qu’un sarrasin ! Seule l’espèce lesbienne et celles qui expérimentent le désir lesbien dans leur corps sont autorisées à parler de lesbianisme ! Dehors, les romanos !) ; ensuite, une femme lesbienne qui a critiqué le lien que le réalisateur a fait entre le viol et la révélation de l’homosexualité de son héroïne (un lien certes chronologique dans le film mais non-causalisé ; en revanche, cette spectatrice, en le causalisant – y compris dans le rejet – a prouvé que c’était bien elle et non Julien Ralanto qui faisait du lesbianisme une conséquence du viol). Visiblement, il ne faut plus rien associer de mauvais à l’homosexualité lesbienne ; il s’agit d’être POSITIF, de retirer tout ce qui est « négatisse » et qui pourrait ternir l’image cucul que la communauté des amazones veut maintenant imposer de ses amours. Alors que « Storm » (2009) de Joan Beveridge, un autre court-métrage nord-américain de la série des courts-métrages proposée à cette soirée « Chéries, Chéris » (un film soit dit en passant complètement bobo et abordant pourtant de sujets tout aussi graves que le viol : infidélité, matricide, inceste, pédophilie, meurtre…), a conquis et fait applaudir toute la salle parce qu’il s’achève sur une happy end qui conforte l’assemblée lesbienne dans ses rêves romantiques de midinette, « Corps à corps » en revanche a provoqué grimaces, bouderie, réactions de révolte, scandale, haine misandre, chez le public lesbien. Peut-être parce qu’il osait aborder l’homosexualité telle qu’elle est vraiment : comme une blessure qui ne définit par l’individu dans son entier, une blessure qui n’est ni banale ni souriante. Et quand on connaît, dans le vécu secret des femmes lesbiennes, la place importante qu’occupe le viol, ne serait-ce que fantasmatiquement, on trouve ces grognements encore plus de mauvaise foi. Je suis sorti de ce petit débat ahuri par la fermeture et la connerie de ces militantes lesbiennes qui n’aiment pas les hommes et qui ne l’avoueront jamais parce qu’elles enroberont leur misandrie sous des prétextes plus ou moins techniques (la mauvaise construction narrative du film, le jeu des acteurs, le choix de la musique, etc.). En fait, si Julien Ralanto avait été une femme, elles l’auraient accueilli tout autrement. Je n’ai rien pour le prouver, bien sûr… si ce n’est que, derrière les attaques faites au jeune réalisateur – qui a réussi à rester très courtois et qui a donné des bâtons pour se faire battre en se présentant d’office comme un réalisateur néophyte et ignorant tout de la « question homo », réclamant poliment les corrections et les éclairages des membres d’une communauté qui lui serait étrangère et inaccessible – on ne voyait rien de construit, et surtout on lisait un reproche injustifiable : comment peut-on rejeter une personne du simple fait qu’elle a un sexe opposé au nôtre, un sexe qu’elle n’a pas choisi ?

 
 
–       Conférence à l’Autre Cercle :
 

Autre exemple assez parlant de misandrie lesbienne. J’avais été invité le 8 juin 2010 à faire une conférence pour présenter mon livre devant l’association L’Autre Cercle[1], à l’Hôtel Millénium du Boulevard Haussmann à Paris, face à 80 personnes attablées. La veille de mon intervention, déception : on m’a demandé… que dis-je, ordonné !, de changer complètement mon topo. Je ne pouvais plus parler de mon livre, mais devais obligatoirement traiter d’un seul thème (qui ne constitue pourtant qu’une sous-sous-partie de mon essai) : la mixité gay/lesbienne dans la communauté homo. Apparemment, la publicité de la soirée aurait été faite exclusivement sous cet intitulé, et une délégation de femmes lesbiennes se déplacerait exprès pour entendre parler de ce sujet ! Il ne fallait surtout pas les décevoir. J’ai donc modifié à la dernière minute mon texte.

 

 

En débarquant dans cette soirée huppée, je ne connaissais quasiment personne. Je me suis donc mis à discuter avec le groupe de femmes qui se trouvait déjà sur place et qui était le plus proche de moi. Pendant que je faisais connaissance, une femme quinquagénaire très dynamique a déboulé en trombe dans le groupe pour saluer chacune de ses camarades. Arrivée à moi, elle a refusé de m’embrasser, en me disant qu’« elle ne faisait la bise qu’aux femmes ». N’était-ce qu’une boutade ? Il faut croire que non puisqu’elle m’a quand même bien zappé au final. La « Soirée Mixité » démarrait fort ! Cela dit, à table, je me suis retrouvé avec des voisins adorables et accueillants. Nous avons eu droit, pendant l’entrée et le plat de résistance, à un topo de 15 minutes sur « l’homophobie intériorisée », animé par trois « psys gay » (c’est ainsi que se nomme leur association. On ne rigole pas, svp…), un exposé qui a été ovationné à la fin et gratifié de commentaires émus de la part de certaines personnes de l’assistance… euphorie émotionnelle qui restera pour moi un mystère encore aujourd’hui, puisqu’on nous a servi la souplette habituelle : à savoir que « les » homos sont tous des victimes, encore et toujours, y compris des victimes d’eux-mêmes et de leur propre homophobie intériorisée, surtout quand ils refusent de reconnaître LES Vérités « fondamentales » que seraient leur identité homo et leurs amours « particulières ». Trop profonde, la remise en question personnelle… menée jusqu’au bout, en plus… trop émouvante… bravo…

 

Moi, je devais passer pendant le fromage et le dessert ;-). Le chef de cérémonie m’a annoncé au micro et m’a invité à prendre place devant tout le monde. Je savais que ce que j’avais prévu de dire ne tiendrait jamais en un quart d’heure : j’ai donc suivi mes notes de loin. Pour commencer mon exposé, j’ai fait preuve d’une audace provocatrice qui a été tellement conviviale que certains convives ont cru que l’incident avait été scénarisé d’avance. En effet, en prenant le micro, j’ai d’abord raconté à l’assistance ce qui s’était passé avec Florence en début de soirée (car c’était bien comme cela qu’elle s’appelait, cette femme qui avait refusé de me faire la bise, uniquement parce que j’étais un homme… ; je m’étais préalablement informé sur son prénom, pour la surprendre et la faire venir sur le devant de la scène) et publiquement, j’ai prévenu que je ne commencerai mon topo qu’à la condition que Florence vienne me faire la bise qu’elle me devait, cette bise qui illustrait à elle seule que la mixité prônée par l’Autre Cercle était loin d’être une réalité ! Son bisou serait l’enterrement de la hache de guerre, et le signe public que j’étais un véritable ami d’une mixité gay/lesbienne encore peu évidente vu l’accueil qui m’avait été réservé. Florence, folle de joie, a joué le jeu. Elle est venue toute contente et sautillante me faire la bise comme on vient accomplir son gage. Ma demande a dû la surprendre. Mais juste après avoir réparé son acte misandre par une bise, voilà qu’elle en a reposé inconsciemment un autre, cette fois sur un mode fusionnel : elle m’a pour le coup forcé à lui faire un bisou sur la bouche pour succéder à la bise qu’elle jugeait certainement trop sage et chaste (comme quoi, il n’y a pas d’âge pour se comporter comme un ado… Les personnes homos ne maintiendront-elles qu’un rapport idolâtre d’attraction/répulsion, de rupture/fusion avec les membres du sexe « opposé » ?). Me sachant attendu au virage par un public intrigué de cette drôle de réconciliation inter-sexes, je n’ai pas voulu jouer au garçonnet pudibond ni ai eu le temps de refuser ses lèvres : je lui ai rendu poliment son « piou ». Et la conférence a pu commencé.

 

À peine ai-je pris la parole que déjà, je voyais qu’un groupe de femmes dans le fond de la salle s’agitait, soupirait, trépignait sur place, râlait dès que je faisais une référence culturelle lesbienne. Bref, c’était évident : ma seule présence masculine les exaspérait. Elles n’écoutaient pas ce que je disais. J’aurais pu raconter n’importe quoi : elles voyaient un homme face à elles, qui plus est un homme qui parlait d’elles, femmes lesbiennes, … et cela leur était tout simplement insupportable ! Un jeune, de surcroît… (jeune = qui ne connaît rien de la vie) ! Et puis qui parle des personnes homosexuelles du passé en plus… (Il faut qu’il réactualise ses fiches ! Quel réac’ ! Radclyffe Hall, c’est l’obscurantisme et le lesbianisme coupable incarné ! Oscar Wilde, c’est un fantôme qui n’a rien à nous apprendre !) ! Et puis qui parle de sa propre expérience en sombrant dans le témoignage… (Il ne regarde les choses qu’à travers la petite lorgnette de son maigre vécu personnel, donc sans recul, en prenant les clichés pour des vérités et des généralités sur « les » homos ! Ce que la jeunesse est prétentieuse dans son aveuglement !).

 

Alors que ceux du premier rang, qui me prêtaient une attention sans faille, n’ont pas vu une once de misogynie, de machisme, d’homophobie, ou de misandrie, dans mon discours (et pour cause ! Il n’y en avait pas ! Mon propos visait à parler des obstacles réels à la mixité, pour justement mieux la permettre et la défendre), certains convives qui ne m’écoutaient que d’une oreille se sont mis à croire que, parce que je parlais des difficultés du mélange femme-homme, y compris dans la communauté homo (et d’autant plus dans la communauté homo !… où la différence des sexes est particulièrement rejetée et vécue comme une blessure intime en chaque individu homosexuel), je les justifiais et les créais. Incroyable procès d’intentions…

 

Au départ, je ne me suis pas rendu compte de l’inimitié ambiante, trompé par l’accueil de mes auditeurs de devant. J’ai fini mon topo en ayant eu l’impression de ne pas avoir été à côté de la plaque, mais au contraire, avec l’assurance d’avoir démystifié le concept de mixité homosexuelle pour le rendre plus grave, plus nuancé, plus possible, plus concret. Tellement satisfait de mon passage, et conforté par les quelques réactions de mon auditoire le plus proche, je ne m’attendais pas à la gifle qui allait m’être adressée ; je n’aurais jamais imaginé que je serais aussi mal compris par les gens du fond de la salle.

 

Et là, coup de théâtre, qui en a surpris plus d’un, et qui m’a surpris moi-même. Une dame d’une soixantaine d’années, qui faisait partie du groupe des femmes qui dès le début de mon intervention avait pris le parti de ne pas m’écouter et de me faire dire l’inverse de ce que j’ai raconté, et qui apparemment « l’ouvre tout le temps » en réunion (et souvent à mauvais escient), a réclamé le micro, et a dit en gros que mes paroles l’ont scandalisé et que ça ne lui donnait vraiment pas envie d’acheter mon livre. Bing ! Prends ça dans les dents ! Elle s’est mise à expliquer sa propre vision de la mixité (une vision qui reprenait point par point ce que j’avais pourtant développé et illustré dans mon explication), mais en la présentant comme l’antithèse de mon propre propos. Je comprenais, quand elle parlait, qu’elle n’avait absolument pas écouté ce que j’avais dit. Car au fond, nous étions d’accord. C’est juste qu’elle ne voulait pas partager avec moi la même vérité que nous dessinions ensemble. Elle me reprochait finalement ce qu’on ne peut jamais reprocher à quelqu’un : d’être présent, d’exister, d’être ce qu’il est (un être humain avec un des deux sexes, jeune, avec son passé, son vécu, ses références, ses goûts…), et de ne pas être nous.

 

Un autre convive attablé au fond de la salle s’est mis à dire que ce que je proférais sur la difficulté des communautés gay et lesbienne à se mélanger n’étaient que « clichés » (et pour cause : j’ai en effet parlé des clichés, des représentations romanesques et cinématographiques de cette mixité si difficile à construire ! sans en faire des vérités et des généralités sur l’ensemble « des » homos). C’est là que j’en suis venu à parler de mes propres expériences de rejets que j’ai subies de la part de certaines femmes lesbiennes. En ultime exemple, je montrai dans la salle de l’Hôtel Millénium la répartition spontanée des invités, car il était flagrant qu’il n’y avait eu aucune volonté de mélange entre eux : on y voyait une « table de femmes » séparée des autres tables exclusivement remplies d’hommes ! Comment permettre une vraie mixité si on nie qu’on lui fait obstacle, et qu’on chante un joli slogan sans le mettre en pratique ? Comment permettre la rencontre entre l’homme et la femme si on nie que la communauté homosexuelle s’est construite en grande partie sur l’hétérophobie et sur une haine/peur de la différence des sexes ?

 

Seules deux personnes ont ensuite pris le micro pour atténuer les propos de mes deux détracteurs qui m’avaient jeté des tomates et méprisé sans que je m’y attende. Mais comme ils n’ont pas abordé le contenu de l’exposé à proprement parler (j’ai même eu droit à une intervention un peu graveleuse qui n’avait rien à voir avec la discussion), j’ai été peu aidé, et me suis fait plumer sans trop riposter. J’étais intérieurement halluciné du niveau de réflexion que m’offraient certains membres de l’intelligentsia homosexuelle, mais je gardais mon calme et mon sourire, en me disant que ma gloire se trouvait ailleurs que dans l’image et l’instant. On m’avait revêtu du bonnet d’âne, mais sur la durée, ce n’était pas moi le perdant. Vraiment pas.

 

Le chef de cérémonie, influencé par le public et les 3 personnes qui s’étaient exprimées parcimonieusement (et dont l’opinion ne représentait pas du tout l’ensemble des avis de la salle), a clôturé le débat en me faisant passer pour le « polémiste » de service, frondeur, un brin « coquinou », et irrévérencieux (mais on ne lui en veut pas : on l’aime bien quand même)… comme la speakerine qui annonce avec un sourire forcé l’interruption brutale des programmes afin de dérouler discrètement le rideau à fleurs sur scène. Cette étiquette du « Provocateur » l’arrangeait, mais ne me va pas du tout. Je ne suis pas un provocateur. Jamais je ne cherche à faire du scandale gratuitement, et si ce que je dis provoque des remous, ce n’est pas parce que ce que je dis est faux ou scandaleux, mais plutôt parce que les actes que je dénonce sont opérés par des personnes qui refusent de se regarder agir. D’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai su après la conférence que la femme qui m’avait dit que mon livre c’était de la merde et qu’elle organisait des réunions mixtes, faisait énormément de sélection lors de ses causeries et n’était pas très ouverte aux hommes, malgré ses dires. La seule différence avec moi (et c’est sûrement pour cela que ça a « clashé » de son côté avec moi), c’est que chez elle, la mixité est concrètement un simple slogan qu’elle n’applique pas vraiment, alors que moi, je la vis et la favorise dans mes cercles amicaux homosexuels. Les mélanges ne me font pas peur. C’est le fossé entre mixité fantasmée et mixité réelle, entre intentions et actes, qui lui est apparu dans toute sa contradiction et sa violence. Cette grande bourgeoise s’est retrouvée face à quelqu’un qui applique et aime concrètement la mixité gay/lesbienne (… et qui, du coup, ne peux pas que l’idéaliser).

 

Le débat a pris fin. On m’a dit que rarement aux dîners de l’Autre Cercle les gens étaient restés aussi longtemps discuter à la fin ! C’est donc que mon intervention a bousculé les meubles ! C’est déjà ça, me direz-vous… Alors que les départs s’éternisaient, je voyais certains invités avoir honte de la bêtise de leur(s) camarade(s), et étaient indignés de l’accueil qui m’avait été fait par l’Autre Cercle. Quand je suis revenu à ma table, mes voisins m’ont fait comprendre que ce n’était pas la première fois que cette femme « pétait un scandale » et qu’elle perdait son calme et son jugement. L’ancienne présidente de l’association, une dame géniale et très ouverte, m’a assuré tout son soutien, et tentait de recoller les morceaux. Moi, bizarrement, je n’étais pas du tout effondré. Je savais ce que j’avais dit, et assumais entièrement mon exposé. J’ai même, contrairement à ce que j’aurais pu imaginer (vu comment mon livre avait été incendié en place publique par des personnes qui ne l’avaient pas lu), réussi à vendre une dizaine d’exemplaires de mon livre. Y compris Florence m’en a pris un ! Comme quoi… 😉 La misandrie n’est jamais victorieuse.

 
 
–       Festival Cineffable :
 


 

Dernier épisode qui m’est arrivé il n’y a pas si longtemps, et qui dénote d’une misandrie manifeste chez une grande partie des femmes lesbiennes. Je me suis rendu par curiosité au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris – « Cineffable : Quand les lesbiennes se font du cinéma » – organisé au Théâtre le Trianon, le 2 novembre 2007. J’arrive dans le hall d’entrée, et je suis arrêté par sept chiennes de garde – ne devant certainement pas faire partie de l’organisation du festival – qui m’ont dit textuellement qu’elles « ne tolèreraient pas la présence d’un seul homme dans les salles de projection ». Au départ, j’ai cru qu’elles plaisantaient. J’ai simulé l’étonnement amusé… avant de voir que ce qui avait été lancé comme une boutade par l’une d’entre elles a été validé très sérieusement par l’ensemble du groupe. J’ai été invité à débarrasser le plancher, tout bonnement. Dans la même journée, je suis allé au SIGL (le Salon International Gay et Lesbien au Carrousel du Louvre), et j’ai demandé aux stands associatifs si on avait le droit d’interdire ainsi la présence des hommes à l’entrée d’un festival de cinéma, même lesbien. On m’a évidemment répondu que non, et que Cineffable, même s’il s’adresse spécifiquement aux femmes lesbiennes, n’est pas un événement excluant ni sexiste. Pas pour toutes les participantes, visiblement…

 
–       « Des milliers de copines… » :
 


 

Un ami homo à la quarantaine bien tassée m’a raconté un jour une rencontre incroyable qu’il a faite à Marseille. Ça aura duré le temps d’un éclair. Il se baladait tranquillement dans la rue, quand une femme avec son chien tenu en laisse est arrivée derrière lui sur le même trottoir, et comme il gênait son passage et celui de son gracieux animal, au lieu de lui demander aimablement de se pousser, elle l’a carrément insulté de « sale pédé ! » L’ami en question est resté interloqué par la violence lapidaire de cette passante antipathique qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, et qui a identifié son homosexualité alors qu’elle n’est pas marquée sur lui et qu’il n’est pas spécialement efféminé. Quelle ne fut pas sa double surprise de voir cette même femme pénétrer un peu plus loin dans un bar lesbien ! Il m’a assuré que cette histoire était vraie, et je sais qu’il ne m’a pas menti. Quand l’homophobie intériorisée se couple avec la misandrie, cela semble improbable. Mais pourtant si, c’est possible ! On peut tout à fait être à la fois contre et pour soi-même ! pro-communautaire dans l’idée et anti-communautaire en actes ! femme et sexiste ! Toutes les haines se ressemblent, et elles concernent tout le monde, sans exception. Parce qu’on est libre, on est aussi potentiellement son pire ennemi.

 
 

La misandrie, reflet d’un viol fantasmé ou réel

 


 

Que reste-t-il des relations femme/homme quand chacune des deux parties prend systématiquement le masque de l’offensé ? Plus grand-chose. Est-il vrai que beaucoup de femmes lesbiennes n’aiment pas les hommes ? En acte, certainement que oui (même si ce n’est pas le cas de toutes les femmes lesbiennes) : leurs attitudes, leurs expressions de mépris, de peur, voire carrément de dégoût, à l’égard des hommes en général, parlent d’elles-mêmes ![2] ; en intentions et sciemment, non. Pour une raison toute simple : rares sont celles qui n’ont pas confondu l’homme fictionnel (ce Marlon Brando assis devant sa télé, avec sa bière à la main, ses films en noir et blanc, ses biceps, sa goujaterie…) avec l’homme réel ; rares sont celles qui n’ont pas pris la masculinité, le genre, ou l’image médiatique des hommes, pour le sexe mâle réel et les êtres humains concrets qui le portent. Par conséquent, elles n’ont pas l’impression d’en vouloir véritablement aux hommes quand elles s’attaquent à l’ « homme en théorie » ou à « l’idée (historique, anthropologique, politique, artistique…) de l’homme », car intellectuellement, elles savent encore faire la différence entre une image de magazine et un être humain ! C’est pourquoi je crois volontiers en la sincérité d’une Marie-Jo Bonnet quand elle écrit que la haine lesbienne des hommes est un « mythe homophobe »[3], même si objectivement elle ment et que sa haine des hommes est lisible dans ses propos. L’expression « hommes » est dans l’esprit de beaucoup de femmes lesbiennes une sorte de mélange fantasmagorique hybride entre les hommes fictionnels et les hommes réels ; ou bien réductible aux pires exemples d’hommes de leur entourage, rarement aux modèles plus positifs. C’est une haine aveugle. Comme toutes les haines. Nées de l’ignorance – une ignorance qui se pare souvent d’un vernis pseudo intellectuel et historique – et de la peur – une peur parfois souriante et calme, qui porte l’hypocrite nom de « mixité », de « parité », d’« amitié homo/hétéro » ou de « complicité entre lesbienne et gay ». On en vient au cœur de ce qui, pour moi, peut expliquer la misandrie : c’est le fait que le désir homosexuel (et ici lesbien) puisse être à la fois qualifié de désir d’amour et de désir de viol. Dans le cas lesbien, le viol, plus fantasmé que réel – même si dans énormément de cas, on est surpris de voir le nombre de femmes lesbiennes qui révèlent un viol survenu dans l’enfance ou l’adolescence – est la clé de voûte de l’édifice identitaire homosexuel : si le viol génital ne fait heureusement pas légion, nombreuses sont les femmes lesbiennes à avoir pu vivre le rapport tactile avec un garçon comme un viol. Et les hommes d’aujourd’hui ont sûrement une énorme part de responsabilité dans cette histoire.

 

Plus tard, je vous raconterai la misogynie tout aussi incroyable des hommes gay envers les femmes, lesbiennes comme les femmes dites « hétérosexuelles ». Car là encore, il y a beaucoup à dire !

 


[1] L’Autre Cercle est un groupement homosexuel mixte réunissant la crème de la crème de la communauté homo : s’y retrouvent des politiciens, des magistrats, des avocats, des enseignants, des écrivains, des hommes et des femmes supposés cultivés et éduqués. Et certains de ses membres m’avaient connu parce qu’ils étaient venus à mon émission de radio « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle.

[2] Dans leur bouche, les hommes sont souvent assimilés à des violeurs potentiels ; beaucoup de femmes lesbiennes, contrairement aux hommes gay, ont un passé « hétéro » plus chargé et long, avant de se déclarer exclusivement en couple lesbien, pour tourner radicalement une page douloureuse (ou jugée ainsi) de leur existence ; par ailleurs, l’expression « se faire prendre par un homme » est récurrente dans leur discours.

[3] Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?, Éd. Odile Jacob, Paris, 2004, p. 152.

 

 

Les ravages de la sincérité

Les Ravages de la sincérité

C’est bien parce que l’usage amoureux de la sincérité peut maquiller les plus bas instincts humains qu’André Gide l’a maudite : « Que cette question de la sincérité est irritante ! Sincérité ! »[1] Comme le dit le fameux proverbe, « L’Enfer est pavé de bonnes intentions ». En d’autres termes, il ne suffit pas de « désirer aimer », de « rêver d’amour universel », de « penser aux autres » (surtout à ceux qui se trouvent à des kilomètres de nous… pour mieux oublier notre entourage proche) ou de dire qu’on « aime », pour aimer vraiment en actes. Il y a toujours un fossé entre nos désirs et nos actes, et celui-ci s’appelle « liberté », « responsabilité », « incarnation », « confiance », « relation d’altérité ». Si on veut, dans nos fantasmes, le neutraliser, nous nous préparons à faire violence. Nous ne sommes pas les créateurs de l’Amour à nous tout seuls, ni les possesseurs solitaires de la recette de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. Et plus nous le croyons, plus nous agissons mal. Aucun assassin, aucune dictature humaine, n’agit en vue du mal, même si nos médias nous incitent à le croire en déguisant nos dirigeants politiques en méchants de dessins animés et en personnifiant nos névroses sociales en dangereux serial killers ou en pédophiles. En sincérité, l’homme méchant est toujours « bienveillant en théorie », il défend toujours des valeurs particulièrement positives et libertaires : la sécurité, la liberté, le progrès, la pureté, la diversité, le partage, l’éradication du mal, l’amour, la tolérance, etc. Mais c’est parce qu’il n’a pas pris soin de savoir comment il les défend que ses actes deviennent parfois désastreux. Le mal est très sincère : le seul problème, c’est qu’il n’est pas vrai pour autant. La sincérité, contrairement à ce que notre société nous laisse croire (parce qu’elle applaudit au « potentiel » de l’individu, à ses « capacités », aux « probabilités/sondages », aux « envies de réussir », plutôt qu’aux actes…), n’est pas équivalente à la Vérité : elle peut y conduire, certes, mais seulement si elle est donnée au bon maître. Et si le bon maître n’est pas défini et identifié, chanter la liberté inconditionnelle « sans foi ni loi », vanter les bienfaits de la sincérité et des bonnes intentions, revient à encourager les mauvaises actions. L’être démissionnaire tient facilement le discours de l’intention et de la sincérité pour justifier sa démobilisation : « Peu importe de mal agir, finalement, si j’ai essayé. L’important n’est-il pas de participer ? de cumuler les expériences, négatives comme positives ? J’ai aimé. J’ai été vivant. J’ai voulu bien faire. C’est l’essentiel ! Et je ne donne de leçon à personne, donc je ne laisserai à personne le soin de juger de mes actes ! » Alors à ces apôtres infantilisants de la bonté sincère, artistique, esthétisée, intentionnelle, qui entretiennent en nous les regrets déculpabilisés (les pires, finalement…), on a envie de retirer les lunettes pour les nettoyer, et de leur demander : Après avoir beaucoup parlé de quantité, quid de la qualité ? Et ta Vie alors ? Et les autres ? Et le résultat visible de tes bonnes intentions, t’en fais quoi ? L’Amour n’est pas qu’une affaire de mérite et d’actes, c’est vrai, mais Il est quand même content quand son travail est fait ! Comme les parents étouffants, on peut vouloir le bien de notre fils sans le faire. On peut désirer le bien de l’Humanité, sans y participer. Pour bien agir, il est nécessaire de dépasser le terrain des bonnes intentions. Nos désirs d’amour ne doivent pas se réduire à des slogans publicitaires jolis sans consistance. L’Amour n’est pas qu’intentions, que consentement mutuel ou « petit arrangement à deux (sans la société) », que perception individuelle de la Vérité, que sentiments amoureux. Il est surtout un Mystère extérieur concret qui ne se possède pas, qui vient à nous avant que nous venions à Lui, qui existe bien au-delà de notre logique humaine et de notre perception de Lui. Il est un chemin indiqué par les autres et surtout par l’Amour-même. Il est une Personne révélée, un être humain qui se donne à voir à tout le monde sans exception.

Quand on laisse la primauté à la sincérité, généralement, on a tendance à tout miser sur les émotions, les sentiments, le ressenti, plutôt que sur des choses plus extérieures à notre épiderme et à notre conscience auto-centrée du monde. Dans ces cas-là, on dit par exemple qu’on « aime » quand on est simplement « amoureux » et quand on trouve une chose esthétiquement belle : la sincérité nous fait constamment confondre l’esthétisme avec l’éthique. On bascule dans la sensiblerie sans forcément s’en rendre compte. On programme, en bon bobo (bourgeois-bohème) qui se respecte, ce qui ne se programme pas, à savoir l’improvisation et l’Amour. Tout, selon l’individu qui dissocie sincérité et actes, devrait se faire « sur un coup de tête », à l’improviste, par hasard (il voit le hasard comme un destin), dans un pays lointain et vierge de toute humanité (vive la campagne et l’agriculture biologique !). Le credo du Sincère, c’est de penser le paradoxe suivant : son désir se trouve partout où il ne désire pas. Toutes ces manigances pour créer l’Amour par lui-même n’ont pour seul et unique but que d’évacuer de sa vie le Désir pour lui substituer ses propres intentions. Il ne voulait pas se rendre à telle soirée ? À l’entendre, il va forcément y trouver l’Amour de sa vie ! (et le perdre dans un accident tragique juste après… : c’est tellement plus fort, les amours impossibles, la force des adieux…). Il veut prouver à quelqu’un qu’il l’aime ? Il s’éloignera théâtralement de lui ou/et au contraire s’imposera comme un psychopathe. Il fréquente des lieux virtuels ou de débauche sexuelle, où la spiritualité semble absente ? C’est là qu’il rencontrera miraculeusement l’âme-sœur et la pureté, sans nul doute ! Une idée est défendue sans conviction, sans explication intelligible, sans recherche explicite du Bien, et sans espérance, par un artiste ? Il la trouvera géniale et vraie ! Dans le système de pensée étriqué du Sincère, la Vérité ne se résumerait qu’à l’assouvissement des pulsions, pulsions justifiées du simple fait de se situer dans l’instant, d’être nouvelles, d’être sensibles, d’être individuelles et subjectives. Pour celui qui ne jure que par la sincérité, la Vérité n’est qu’une myriade éclatée de points de vue que l’on ne retrouvera jamais… mais comme il fait de cet éclatement un symbole intentionnel fort d’universalité et d’ouverture aux autres, il en oublie que par son choix de cantonner le Vrai dans le point de vue, il ne recherche plus tellement la Vérité, mais au contraire il L’édulcore dans le relativisme, le « chacun son avis », l’espace confiné de la conscience individuelle/individualiste. Aux oreilles de l’homme moderne qui sacralise la franchise et la nécessité d’être soi-même, cela semble incroyable que l’honnêteté rime autant avec « indifférence » ou « démission ». Et pourtant, ce sont les paradoxes de la sincérité qui permettent à ce point de séparer/faire fusionner les désirs des actes !

Le plus grand film bobo de tous les temps, celui dont la puanteur de la sincérité dégouline de toute part, et qui à mes yeux dit la profonde crise d’idéaux que notre monde occidental déchristianisé traverse en ce moment, c’est bien « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré ! Le Sincère est un grand déçu de l’Amour, non pas parce qu’il défend concrètement l’Amour vrai et qu’il trouverait des obstacles sur sa route, mais parce qu’il démissionne devant son devoir de recherche active d’Amour, parce qu’il s’attache à détruire ses rêves de Prince Charmant (qu’il attribue sans arrêt aux autres, et jamais à lui-même !) pour prouver par l’iconoclastie qu’ils sont indestructibles. Le bobo sincère est un romantique qui s’ignore, un vrai naïf finalement : il déteste le sentimentaire qu’il veut rester jusqu’à l’agonie finale éternelle. Pour lui, l’amour et la mort se confondent en une seule et même icône sacrée : lui-même ! « Lui-même » qui n’est autre qu’une veuve-châtelaine qui sera passée éternellement à côté de l’amour toute sa vie parce qu’elle aura gaspillé son temps à « désirer aimer » (Pour la petite note gay friendly, amusez-vous, si vous voulez, à relever dans les chansons de Mylène Farmer toutes les occurrences faites au « désir d’aimer » : c’est assez marqué, ce discours de Miss France désabusée, dans nos productions fictionnelles homosexuelles…).

Il y a quelque chose de la Drama Queen se complaisant dans la comédie de l’artiste maudit, chez cet homme de la sincérité. Comme il ne voit la réalité et ses actions qu’à travers la lorgnette de ses bonnes intentions, il n’arrive pas à comprendre que ce n’est pas tant ses intentions, ses désirs de bien faire, ses idées (en soi indiscutables : « Il faut respecter la différence. » ; « L’amour n’a pas d’âge puisqu’il est éternel » ; « L’important, c’est d’aimer l’autre dans sa singularité et tel qu’il est. » ; « Aimer, c’est tout donner, et faire ce que l’on veut. » ; « L’essentiel, c’est la communication. » ; etc. : très bien, après tout !), qu’il doit remettre en cause, mais bien son application personnelle de ces beaux principes, ainsi que l’idée erronée qu’il s’en fait. Par exemple, « Tout donner » n’a jamais impliqué, en acte, de se laisser vider son compte en banque par son amant. « Donner de la tendresse » n’a jamais encouragé à l’infidélité, à la luxure, ou à la prostitution. « S’accepter soi-même » n’a jamais induit la caricature du coming out (quand on est homo). « Donner sans rien attendre en retour » n’a jamais signifié la soumission en amour, ni annulé la demande d’engagement que l’on fait à l’autre pour le responsabiliser. Se débarrasser de son surplus d’argent en s’imaginant faire preuve d’une incroyable générosité, ou porter un ruban rouge au nom de la lutte contre le Sida, ne sont que des pastiches de solidarité si on ne donne pas de sa personne, de son temps, et qu’on ne s’adresse pas concrètement aux personnes qu’on prétend aider et aimer. Est-il besoin de dire ces évidences ? : L’Amour n’est pas que des mots, l’Amour n’a rien de confortable, de rose, de rassurant, d’évident, de certain : Il requiert un don de soi qui n’est pas facile, une action qui nous arrache de notre fauteuil et à notre propre paresse, une compassion qui coupe net le robinet de nos larmes d’émotion déplacées ou excessives. Il réclame des fruits, des vrais ! Il appelle à un choix entier… même s’il ne l’impose jamais. Le paradoxe de l’Amour se situe bien là : dans sa fragilité-force.

Obsédé par l’idée d’originalité, de naturel, ou de « bon goût » (voire de « bon goût du mauvais goût »), au détriment du respect des autres, le Sincère est un dandy parfois désarçonnant, difficile à vivre et à contenter, pervers dans ses agissements. Elle est insupportable et touchante à la fois, la comédie théâtralement sincère (tous les termes de cette périphrase comptent) du séducteur bobo sincère ! On le voit pleurnicher sur les chansons de Barbara, en étant persuadé d’être le Roi du Bon Goût (donc de l’Amour, selon lui !) que personne ne comprendra… sauf ses amant(e)s de passage. Il nous regarde avec ses yeux de chien battu, soupirant contre la cruauté de la vie qui ne l’aurait pas épargné, persuadé de la profondeur sacrée de ses silences qui ne sont souvent que des vides. On a toujours l’impression, quand il nous parle, qu’il se prend pour une Reine-mère qui dirait des phrases hyper belles qui vont faire date, qu’il va clamser dans la minute (« J’m’en sens pas bien… Et si je vous dis que je vous aime ?… » ; « Je me rappellerai toujours de la première fois où je t’ai vu et où tu m’as dit… etc. etc. » susurre notre malade imaginaire d’une main tremblante et avec une émotion travaillée), qu’il parle comme s’il rédigeait à tout instant ses mémoires… (y compris quand il nous demande le sel !) C’est ridicule. Oui. Complètement naze même. Mais tellement sincère !

Morale de l’histoire : Il ne s’agit pas de diaboliser la sincérité. Celle-ci n’est qu’un outil qui, s’il dessert concrètement un mauvais acte, est un poison, mais qui, s’il est au service d’une relation durablement constructive et d’un Amour reconnu comme plus grand que soi, est une bénédiction. Nous n’avons pas à simplement désirer l’Amour, pas plus que nous n’avons à faire l’Amour (quelle horreur d’expression que celle de « faire l’amour »… : elle ne choque pas le Sincère, mais elle devrait pourtant nous choquer tous ! L’Amour ne se fait pas : Il s’accueille.). Nous avons juste à participer humblement, concrètement, et énergiquement, à Son Action.


[1] André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), Éd. Gallimard, Paris, 1997, p. 84.

Les Secrets de mon Dictionnaire des Codes homosexuels

Les Secrets de mon Dictionnaire des Codes homosexuels

 

Fouilles arachnéennes

 
 

Comment me sont venus les codes de mon Dictionnaire des Codes homosexuels ? Je me devais bien de revenir un jour ou l’autre sur les secrets de fabrication de ce répertoire « fait maison », sur la genèse des signes qui définissent l’univers symbolique que je développe au compte-goutte tous les lundis depuis janvier 2009 à l’émission radio « Homo Micro » sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM), et qui sont censés regrouper ce qui revient le plus souvent d’une oeuvre homosexuelle à une autre, et parfois d’une vie de personne homosexuelle à une autre. Cette tentative d’universalisation du désir homosexuel a la particularité – paradoxale pour certains, car ils voient dans ma quête limitée d’Universel une réification dangereuse – de ne pas essentialiser le désir homosexuel en identité ou en amour, mais juste de définir le langage symbolique et la nature du désir homosexuel. Autrement dit, les codes de mon Dictionnaire ne sont pas des « vérités » éternelles et systématiques sur les personnes homosexuelles, ni des généralités donnant corps aux clichés les plus répandus sur elles. Ils ne justifient rien : ils exposent et expliquent simplement les fonctionnements paradoxaux d’un désir idolâtre – le désir homosexuel – qui n’est pas un désir essentiel. Il est superficiel et violent, tout comme le désir hétérosexuel.

 

À long terme, j’aimerais, quand mes finances et mon emploi du temps me le permettront, développer le site de l’Araignée du Désert (notamment grâce au Quiz), pour illustrer vraiment mon travail d’artisan et que celui-ci soit compris dans toute son ampleur. Je possède, par codes, des extraits et encore des extraits de films qui sommeillent dans mes archives. Par exemple, rien que pour le code des « chiens » dans les œuvres homosexuelles, j’ai déjà une dizaine de scènes cinématographiques à vous montrer, où les amants homosexuels se reniflent, s’aboient dessus, se comparent à des chiens… et je précise que tous ces moments d’anthologie n’ont pas été créés par des personnes extérieures à la communauté homo, par des « méchants homophobes » qui voudraient du mal « aux homos ». Non non. Ces clichés viennent des personnes homosexuelles elles-mêmes ! Cela en dit long sur la nature homophobe et idolâtre du désir homosexuel… J’ai hâte de vous montrer les contradictions (logiques) des personnes homosexuelles, ces individus qui sont les premiers à être homophobes et contre eux-mêmes!

 

La découverte des 186 codes recensés dans mon Dictionnaire ne s’est pas faite magiquement. Ma vie personnelle m’a aidé à en trouver certains (et c’est pour cela que je vous propose ce « Phil de l’Araignée » un peu intimiste) … mais pas tous. La grande majorité des codes de mon Dictionnaire ne renvoie pas à mon propre vécu d’ailleurs. Par exemple, je ne suis pas un grand amateur de chocolat, de corrida, de boxe, ni des chats, et je n’ai jamais rêvé d’être Icare ou de devenir coiffeur ;-). Je n’ai jamais connu le viol génital, alors que mon essai parle essentiellement des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol. Il existe seulement quelques correspondances entre les symboles homosexuels de mon Dictionnaire et ma propre vie. Le reste du travail est venu de mon observation de terrain, de mes déductions et des essais pour relier les idées et les personnes entre elles (n’est-ce pas le sens premier du mot « symbole » que celui d’alliance?). Je n’ai découvert et conceptualisé mon Dictionnaire que les deux dernières années de la rédaction de mon essai (un peu trop tard d’ailleurs pour me souvenir de toutes les oeuvres artistiques que j’avais vues au tout départ « bêtement »… Il a fallu que je fasse un travail de mémoire pour me souvenir des premières lectures, des premiers films que j’avais vus sans les bonnes lunettes…). Je me revois encore à 24 ans, en cette année 2004-2005, dans ma petite chambre d’étudiant à Rennes, avec partout par terre des milliers de bouts de papier où étaient inscrites toutes mes observations, et ce qui allait devenir mon Dictionnaire sans que je ne le sache encore (je n’avais quasiment pas de place où poser mes pieds au sol, et je m’étais lancé l’ultimatum de classer ces innombrables papiers par association d’idées pour trouver un plan cohérent en 3 jours, sans quoi je comptais tout laisser tomber…). Ce Dictionnaire des codes homosexuels est donc le fruit d’un long travail de maturation. Une fouille archéologique à elle seule, qui n’en est qu’à ses balbutiements.

 

Dire que ces codes ont une histoire qui m’est propre, cela encouragera peut-être certaines personnes à les vider d’universel, à s’en désolidariser, pour dire que j’ai projeté dans mon Dictionnaire ma propre vie et fais de mon cas une généralité. Certes, je suis aussi parti de mon vécu et de mes références personnelles pour élaborer mon écrit ; mais cela n’est vrai que dans un second mouvement. C’est d’abord mon observation innocente et néanmoins attentive de toutes les œuvres artistiques parlant de près ou de loin d’homosexualité qui a donné naissance à mon Dictionnaire. Ma vie et mes goûts de personne homosexuelle m’ont assurément aidé à les reconnaître, souvent dans l’émerveillement et l’amusement. Mais si ces codes n’étaient que le fruit de ma propre imagination et l’expression d’une vision du monde très égocentrée, je ne les verrais pas dans autant de fictions, de pièces de théâtre, et de films, qui me sont encore inconnus, que je découvre peu à peu aujourd’hui, et qui sont réalisés par des gens qui ne connaissent même pas l’existence de mon Dictionnaire. Les échos entre mes écrits et ces œuvres, qu’on le veuille ou non, sont troublants. Je n’aurai pas assez de toute ma vie pour les découvrir!

 
Hitler gay photo

The Producers (2005) de Mel Brooks

 

À ceux qui, parce que je soulève des lièvres peu rassurants sur la nature mi-aimante mi-violente et irréelle du désir homosexuel, critiquent mes codes, en y voyant une tentative de diabolisation/stigmatisation de leurs sacro-saintes « identité homosexuelle » et « amours homosexuelles », en y reconnaissant des « clichés » réducteurs à ne pas analyser (ils soutiennent qu’une chose est « cliché » comme ils diraient qu’elle n’existe pas ; et paradoxalement, ils prennent ces codes pour des vérités, ou, par ricochet, pour des anti-vérités, sur « les » homos), à ceux qui se revendiquent des Gender & Queer Studies et qui se croient absolument pro-homosexuels parce qu’ils défendent aveuglément les droits des personnes homosexuelles au mariage, à l’égalité, à l’adoption, qu’ils soutiennent la diversité et la transgression des genres sociaux, et qu’ils prônent l’amour trans-identitaire au-delà des étiquettes homo/hétéro/bi/trans, j’ai envie de dire d’une part qu’il n’y a pas de cliché sans feu, et d’autre part que leurs réflexions et travaux sont bien plus homophobes que les miens qui, au contraire, mettent des mots et un sens aux discours et aux œuvres artistiques qu’ils voient sans voir. Ils s’approprient la culture homosexuelle pour mieux l’éclater et la piétiner. Ils cherchent à fuir ce que le monde fictionnel a à nous apprendre, en voyant l’homosexualité partout et nulle part, en moralisant en termes de « bons clichés » ou de « mauvais clichés » les codes qui nous indiquent le sens du désir homosexuel. Les personnes homophobes ne sont pas du côté que l’on croit, ni systématiquement du côté de ceux qui se présentent comme défenseurs de l’homosexualité et de « l’Amour » en général. Plus on porte aux nues l’homosexualité sans chercher à l’analyser et à décrire son ambiguïté violente, plus on fait le lit de l’homophobie. Et après, on s’étonne que, dans des pays où l’homosexualité est de plus en plus présentée comme « normale », les attaques homophobes se multiplient et se durcissent toujours davantage… Les études gaies et lesbiennes actuelles, à peine nées, sentent déjà la mort et l’anesthésie du cerveau.

 
 

Histoire autobiographique des codes

 

Je vais maintenant me prêter à l’exercice de vous parler des échos qui existent entre quelques-uns des codes de mon Dictionnaire et ma propre vie, pour le « fun » bien sûr (c’est toujours amusant de voir comment les vies de personnes homosexuelles, ayant pourtant vécu à des époques parfois différentes et à des milliers de kilomètres les unes des autres, se ressemblent et entrent en résonance : j’ai déjà fait cette expérience gémellaire avec des artistes comme Manuel Puig, Néstor Perlongher, Reinaldo Arenas, Gore Vidal, Federico Garcia Lorca…), mais aussi pour vous montrer combien mon existence est à la fois très singulière et très (homosexuellement?) universelle. Peut-être que, pour tel ou tel détail, goût, événement ou manière de le vivre, certains parmi vous se reconnaîtront dans notre/mon désir homosexuel…

 
 

J’ai choisi de traiter seulement 7 codes :

 

1 – le code « Jumeau » (sous-codes : « Inceste entre frères » ; « Main coupée » ; « Chiens ») : LA PEUR D’ÊTRE UNIQUE

2 – le code « Conteur » (sous-codes : « Lune » ; « Télévore et cinévore » ; « Dessins animés » ; « Haine de la Réalité » ; « Fresques historiques » et « La Mélodie du Bonheur » ; « Solitude » ; « Voyage » ; « Roue de secours ») : LA FUITE DU RÉEL

3 – le code « Poupées » (sous-codes : « Viol = se prendre pour un objet »; « Marionnettes » ; « Différences physiques »; « Fleur ») : LE DÉSIR D’ÊTRE OBJET

4 – le code « Femme-objet violée » (sous-codes : « Poids des mots » ; « Bergère » ; « Bourgeoise »; « Femme étrangère »; « Tante-objet » ; « Destruction de la femme »; « Femme violée dans une forêt un soir d’été ou de carnaval en forêt » ; « Don Juan » ; « Règles »; « Dix Petits Nègres » ; « Mère folle » ; « Catwoman » ; « Super-héros ») : LE DÉSIR D’ÊTRE VIOLÉ ET DE S’EN VENGER

5 – le code « Amant diabolique » (sous-codes : « Cruella » ; « Se prendre pour le diable » ; « Doubles schizophréniques » ; « Chute » ; « Voleurs » ; « Je suis mort ») : UNE FASCINATION POUR LA BEAUTÉ DU DIABLE

6 – le code « Parricide » : LE GRAND PARDON

7 – le code « Sable » : LE RETOUR AU DÉSIR

 
 

1 – Code « Jumeau » : LA PEUR D’ÊTRE UNIQUE

 

Jumeau

De gauche à droite, moi et mon frère, en 1985

 

Initialement, j’avais rédigé 7 pages sur les liens entre désir homosexuel et gémellité dans la version non-élaguée de mon livre. Au final, il ne reste plus qu’un petit paragraphe dans Homosexualité intime. Autant dire que je me suis limité (car je suis intarissable sur le sujet)! Il est indéniable que dans la genèse de mon désir homosexuel, le fait que je sois né jumeau a compté énormément, pour ne pas dire prioritairement. La gémellité n’est pas une cause de l’homosexualité pour autant (sinon, mon frère jumeau serait homosexuel aussi). Elle est en tout cas un terrain porteur non négligeable. J’ai rencontré dans le « milieu homosexuel » énormément de personnes nées jumelles, filles et garçons confondus. C’est une réalité assez peu connue du grand public (Qui, par exemple, s’est interrogé sur la gémellité du chanteur Emmanuel Moire quand ce dernier a récemment fait son coming out ? Personne), mais elle est pourtant saisissante! Par ailleurs, des études (Bailey et Pillard) indiquent que, dans 53 % , quand l’un des deux frères jumeaux (chez les vrais jumeaux) est homo, son frère l’est aussi. Qu’est-ce que cela peut bien nous dire du désir homosexuel ? D’une part, qu’il n’est pas que génétique (puisque mon frère jumeau et moi, nous sommes des jumeaux monozygotes, issus du même oeuf, et que nous possédons le même patrimoine génétique) ; et d’autre part que le désir homosexuel s’origine très certainement sur la peur d’être unique. J’ai largement étudié dans mes écrits la question du doute, chez l’individu homosexuel, d’être une simple photocopie (une photocopie de son père, d’un frère ou d’une soeur, d’un personnage télévisuel adulé, d’une actrice violée), d’être une moitié d’homme, un androgyne en quelque sorte. Douter de son unicité, cela a toujours des répercussions sur le désir : quand on s’accepte et se reconnaît comme unique, la solitude et les limites de son corps sexué sont plus facilement digérées, les épreuves de la vie mieux affrontées, l’accueil de l’Amour facilité; en revanche, quand on oublie qu’on est unique et irremplaçable, on jalouse les autres, on se dévalorise puis on se gonfle d’orgueil, on doute d’être aimable et d’aimer. Seul l’Amour vrai nous dit et nous fait dire à quelqu’un « Tu es unique à mes yeux. Personne ne te remplacera. » Dans la construction identitaire et désirante d’une personne née jumelle, il est plus difficile de dire « je », de se savoir distinct de la goutte d’eau qui l’accompagne (Suis-je donc Dieu pour m’engendrer aussi magiquement moi-même?), de ne pas s’identifier à un « nous » : elle se construit en parallèle, ou, ce qui revient au même, en opposition, par rapport à son frère. Bref, dans un processus de fusion. Il est fort possible que ma féminité de petit garçon et mon désir excessif d’originalité se soient manifestés comme une stratégie de survie, d’affirmation exacerbée de mon unicité et de ma liberté, face à une menace d’assimilation identitaire à mon jumeau imposée par mon entourage social (malgré les efforts « symboliques » de mes parents pour nous dégémelliser). Étant petit, mon frère Jean se dirigeait vers les garçons ; je trainais toujours avec les femmes. Comme une manière de me démarquer, je me suis présenté comme une fille, avec une sensibilité et des goûts de garçon sensible. Cela s’est fait apparemment naturellement. Mais je sais à présent que cette « originalité » a été travaillée par le garçon de 4 ans que j’étais. On n’est pas innocent à 4 ans.

 

Sous-code « Main coupée » :

 

Les mains ont été un de nos langages secrets de jumeaux. Quand j’étais petit, à l’âge de 7-10 ans, j’ai souvent considéré les mains comme des personnes réelles (pourtant, je n’étais pas fou !^^). Je leur donnais vie en leur attribuant des noms, une voix particulière, des sentiments, des actions humaines : mes mains étaient capables de danser, de pleurer, de dormir, d’aimer… (c. f. le code « Main coupée » dans le Dictionnaire) Avec mon frère jumeau, nous avions créé toute une palette de mains-personnages aux noms bizarres : Creamy, Fodge, et surtout Poppi (qui était le fils de Jean). Faire parler les mains nous évitait d’avoir à nous exprimer tout haut ; et stimulait notre imagination.

 

Sous-code « Chiens » :

 

À l’âge de 4-6 ans, il nous arrivait, à Jean et à moi, de prendre d’assaut une personne pour lui faire subir une forme de câlin violent que nous avions baptisé « le Hérétété » et que nous exécutions comme des furies, pour amuser la galerie. C’était une séance de torture peu dangereuse et toujours génératrice de fous rires, mais qui traduisait déjà une part de la violence de la gémellité (la ressemblance engendre souvent la violence). Plus tard, j’avais, à l’âge de 7-8 ans, un grand besoin de me donner, de recevoir de la tendresse. J’avais jeté mon dévolu sur les chiens (c. f. le code « Chiens » dans le Dictionnaire), à défaut de pouvoir le faire sur mon frère. Les chiens, je trouvais ça étonnamment cons… et attendrissants parce que cons. Au moins, dans leur bêtise, ils ne rejetaient pas mes appétits puériles de tendresse. J’ai vécu une grande histoire d’amour avec un chien qui s’appelait Praline, à Mulhouse, en 1988 ; et j’ai longtemps rêvé d’avoir un basset (vous savez, les chiens qui ont l’air débile, ronchons, dont les couilles traînent par terre, et qui ont hyper mauvais caractère).

 

Sous-code « Inceste entre frères » :

 

Il n’est pas impossible qu’il y ait eu entre mon frère jumeau et moi une tentative de jeu incestueux (c. f. le code « Inceste entre frères » dans le Dictionnaire). Non sans raison, mon père nous comparait parfois mon frère et moi à des chiots qui se mordillaient et se battaient, parce que nous étions sans cesse l’un sur l’autre. Il m’est arrivé à de rares occasions de chercher à féminiser mon frère (« ma Jeanne« ). Heureusement, entre l’âge de 6 et 13 ans, la relation d’inceste s’est déclinée non pas en amour homosexuel, comme ça aurait pu être le cas, mais en pastiche d’amour papa-maman : l’un jouait le bébé, l’autre son papa. Cela dit, il est certain que, pendant cette période de fort compérage, la juste distance entre frères n’a pas été toujours respectée. Mais nous ne l’avions pas réalisé. Nous mettions cela sur le compte de l’argument bien pratique de la « complicité gémellaire » que personne sauf nous ne pouvait comprendre ou contrecarrer…

 

Actuellement, la gémellité est devenue, autant iconographiquement que dans la réalité, un véritable fantasme social (une société qui ne sait plus qui elle est a tendance à voir double et à se chercher des reflets narcissiques tout le temps…): partout, on voit des jumeaux, des « moitiés d’homme », dans les pubs, les films, à la télé, dans les journaux. On nous présente la relation gémellaire à la fois comme une association diabolique (le mythe des jumeaux farceurs, qui vont tromper leur monde) et comme une hallucination idyllique (« Ils ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. C’est une relation presque aussi forte qu’une relation amoureuse. C’est génial! »). La réalité gémellaire est pourtant beaucoup moins rose sur le terrain : isolement, troubles psychologiques, refus de vivre sa vie, difficulté à se faire des amis et à se dire qu’on vaut quelque chose sans son jumeau, peur de s’engager amoureusement, dépendance et comparaison excessive (voire jalouse) à son frère, relation incestueuse et homosexuelle voilée… Beaucoup de « couples de jumeaux » (rien que l’expression en dit long!), le temps d’un talk show, et même parfois le temps d’une vie entière quand ces deux membres ont la bêtise de passer continuellement leur existence ensemble en vase-clos et dans une similitude effrayante (je n’ai plus en tête le chiffre de célibataires parmi les individus jumeaux, mais j’ai le souvenir qu’il est énorme), sont prêts à faire croire au mythe de l’amour incestueux entre semblables sexués. Mais les jumeaux ne sont pas si mystérieux ni si magiques que veulent le faire croire la légende populaire et le voyeurisme télévisuel. Certes, le désir homosexuel, tout comme la gémellité, ont en commun de pouvoir être qualifiés d' »accidents » (heureux ou non, là n’est pas la question). Mais un accident, par définition, se caractérise par une absence de désir… Et ça, ça n’a rien de banal ni de merveilleux.

 
 

2 – Code « Conteur » : LA FUITE DU RÉEL

 

Beso de la Mujer-Arana

El Beso de la Mujer-Araña (1976) de Manuel Puig
(mise en scène par Rubén Schumacher en 2009 à Buenos Aires)

 

J’avais 22 ans quand je suis tombé (par hasard ?) sur El Beso de la Mujer-Araña (1976) de Manuel Puig. Voilà un roman théâtral qui condense à lui tout seul mon Dictionnaire des codes homosexuels ! Tout y est ! : l’attraction homosexuelle pour Hitler, pour la trahison, pour les bonbons, pour la femme-objet violée, pour le carnaval, etc. Tout ce qu’il faut comprendre sur le désir homosexuel est là dedans ! Sûrement parce que Manuel Puig, écrivain argentin de talent, portait un regard critique sur l’homosexualité à la fois très lucide (intellectuellement, son discours est solide et n’enjolive pas les aspects violents du désir homosexuel) et pourtant très inconscient (il se donne parfois le droit, parce qu’il a/aurait vu juste, de ne pas tenir compte de ce qu’il a vu… et de justifier l’identité homosexuelle ou la « force » d’amour du désir homosexuel par la bonne intention)… d’où son utilisation aveugle et quasi-systématique d’un assez grand nombre de codes homosexuels de mon Dictionnaire. Seul un fossé – incompréhensible quand il vient d’un intellectuel pareil – entre intentions et perception du réel peut générer une œuvre aussi naïvement brillante (on retrouve cette naïveté paradoxale et écartelée qui se donne à lire comme un passionnant hiéroglyphe dans les œuvres de Jarry, de Yann Galodé, ou de Jean Cocteau). Personnellement, j’ai compris grâce au Baiser de la Femme-araignée l’universalité-singularité de mon désir homosexuel, puisque l’aventure cinématographique que le personnage homosexuel de Molina propose à son compagnon de cellule Valentín (Molina, la « grande folle » qui se définit lui-même comme la « femme-araignée« , passe son temps à raconter des films en noir et blanc des années 1930 à son camarade de prison), c’est exactement ce que j’ai mis en scène pour mon frère Jean pendant 4 années entre l’âge de 6 ans et 10 ans (avant que nous ne dormions plus dans la même chambre) avec « Les Aventures de Jean« , une sorte de conte oral extensible à l’infini, dont Jean était le héros, et qui se construisait selon notre/mon imagination, soir après soir. Quand j’ai découvert en 2002 que le livre de Manuel Puig relatait un des événements-phare de mon enfance (moi aussi, j’ai transformé ma chambre gémellaire en salle de cinéma), je me suis dit intérieurement : « Y’a un truc… C’est pas possible… Et si le désir homosexuel se laissait décoder ? Et s’il existait un Universel homosexuel qui ne soit pas identitaire ni amoureux, mais uniquement désirant ? »

 

Sous-code « Lune » :

 

Dans mon essai Homosexualité intime, je traite du désir homosexuel comme d’un élan qui ne s’appuie pas assez sur la Réalité, qui traduit une fuite du Réel. On observe dès mon plus jeune âge ce désir de quitter la Terre. Par mon côté fantaisiste et lunaire. Le seul mot d’enfant dont mes parents se souviennent et qu’ils sont sûrs de ne pouvoir l’attribuer qu’à moi (et pas à mon frère jumeau), c’est une phrase que j’ai prononcée à Urmella, dans les Pyrénées espagnoles, alors que je n’avais que 2 ans (Mes parents ont vu que je m’éloignais d’eux et m’ont demandé : « Beh Philippe, tu vas où ? » ; et j’aurais répondu : « Je vais voir la lune.« ). La lune est, dans la culture homosexuelle, l’astre androgynique par excellence. Beaucoup d’auteurs homosexuels s’y identifient et s’y réfèrent (cf. le code « Lune » dans le Dictionnaire).

 

Sous-codes « Télévore et Cinévore » / « Haine de la Réalité » :

 

Dans Homosexualité intime, il est question de l’attrait des personnes homosexuelles pour les médias, et notamment les films d’animation. Je n’échappe pas à cette tendance. Dès ma plus tendre enfance, je pense que je fuyais le Réel à travers la télévision, le cinéma, et surtout les dessins animés : mes préférés étaient Les Cités d’Or, Jeanne et Serge, Scoubidou, et Princesse Sarah (c. f. les codes « Haine de la Réalité » et « Dessins animés » dans mon Dictionnaire). J’ai eu aussi ma période Walt Disney. Même à 15 ans, je demandais encore les cassettes VHS des « Grands Classiques » (mes parents se demandaient quand est-ce que j’aurai des goûts un peu plus « adultes »…). J’ai passé mon enfance et mon adolescence devant la télé, si bien que ma mère m’avait surnommé une fois « Monsieur Magnétoscope« . il suffisait de me demander ce qui passait à la télévision tel jour : j’étais capable de répondre, vu que je connaissais le magazine Télé7Jours par coeur !

 

Cendrillon

« Cendrillon » (1950) de Walt Disney

 

Sous-code « Mélodie du Bonheur » :

 

Ma passion précoce pour les paradis folkloriques aseptisés et sucrés m’a conduit à aimer spontanément des films gentillets, pleins de bons sentiments, très kitsch, qui font partie de la vidéothèque de la midinette rêvant au prince charmant et se nourrissant d’histoires à l’eau de rose. J’ai remarqué que des productions comme « Mary Poppins » (1964) de Robert Stevenson, « Autant en emporte le Vent » (1939) de Victor Fleming, « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » (2001) de Jean-Pierre Jeunet, mais surtout « La Mélodie du Bonheur » (1965) de Robert Wise, emportaient avec elles beaucoup de coeurs homosexuels (c. f. le code « Fresques historiques » dans le Dictionnaire). « La Mélodie du Bonheur » reste mon film préféré, un coup de coeur que je partage notamment avec Jean-Luc Lagarce, Jean Sébastien Lavoie, et bien d’autres personnes homos.

 
Sound

« The Sound of Music » (1965) de Robert Wise

 

Sous-code « Solitude (football) » :

 

Mon éloignement du Réel a coïncidé avec mon éloignement des autres, et surtout de mes pairs sexués, les garçons. Déjà, à l’école, je jouais de la corde à sauter sur la cour du primaire, en classe de CE2-CM1. Je savais que c’était un sport de filles, et que j’allais passer d’office pour une tapette, mais j’aimais bien en faire, et peut-être qu’inconsciemment, c’était aussi un moyen pour moi de me démarquer… (surtout qu’à l’époque, les cordes à sauter étaient de couleurs fluo ultra-flashy !). De toute façon, je ne dérangeais personne. Je me souviens juste du regard poli mais apitoyé des maîtresses qui devaient sûrement se dire : « Celui-là, à tous les coups, il finira homo…« ).

 

Au lycée, et surtout avant au collège, je me suis mis à fuir les jeux collectifs, moi qui aimais tant jouer au loup-chaîne, à la balle au prisonnier, et à 1, 2, 3, Soleil sur la cour d’école. Les cours de sport ont, dès la 6ème, été ma bête noire. Tant que c’était possible, je m’inventais des excuses-bidon (oubli des affaires, malaise hypoglycémique dans les toilettes, petite grippe…) pour ne pas y aller! Je n’ai jamais cherché à savoir si j’étais bon ou pas en sport : je me souviens juste que j’étais toujours choisi en dernier lors de la composition des équipes de foot, que je me planquais dans le rôle de défenseur (« Ils ont marqué, là? »), et que j’avais toujours peur du ballon. La caricature vivante de la mauviette! Je me cassais toujours quelque chose en sport, m’évanouissais, me faisais des claquages musculaires spectaculaires en athlétisme, saignais du nez, ne savais pas me boucher naturellement le nez sous l’eau à la piscine, me tordais un doigt au basket, ne prenais jamais mes douches avec les autres, ne savais même pas faire de roulade avant en gymnastique, manquais de me faire un coup du lapin en saut au trampoline… Bref, le sport a été le terrain de toutes mes humiliations, complexes, peurs, paresses ^^. J’ai conscience que cette haine du sport au collège dit chez moi une sauvagerie en partie infondée, une haine de mon propre corps et du corps social. J’avais peur de mes semblables, c’est une évidence.

 

Sous-code « Voyage » :

 

Dans ma vie, je n’ai jamais su véritablement m’ancrer dans le Réel, profiter de mes temps libres, de la trivialité consommatrice de « Monsieur Tout le Monde ». Le mot « vacances », connais pas ! Je cours tout le temps, ai un mal fou à me poser, évite les transports en commun, me fais rarement à manger, marche très vite, suis un « stressé de la vie », suis radin avec moi-même comme c’est pas permis. On m’appelle parfois « Speedy« , et je mérite bien ce surnom. Je suis un vrai électron libre : pas en amour ni avec les autres, mais dans mon quotidien et avec moi-même. Encore aujourd’hui, on peut parfois me voir chargé d’un sac à dos avec un écriteau sur le bord des routes de France. J’ai fait des années d’autostop, surtout de 1999 à 2004, à une époque où déjà le stop était considéré comme rare et dangereux. Je n’ai pourtant quasiment jamais eu de problèmes, et ces voyages improvisés m’ont permis de faire des rencontres diversifiées, improbables, et extraordinaires.

 

stop

Stop en février 2009

 

Je n’ai jamais eu le sens pratique. Je ne suis pas très débrouillard, et ne sais pas faire grand-chose de mes mains. Sûrement en partie parce que depuis mon enfance, je me contentais qu’on fasse les choses à ma place ; sûrement aussi par manque de curiosité ; par flemme d’apprendre ; et, certainement, parce qu’on ne m’a pas fait assez confiance ou pris le temps de m’expliquer les choses. J’avais peur de la vie, et je pense que j’ai, sans me l’avouer, un gros poil dans la main (pour moi, il y a un lien réel entre désir homosexuel et paresse, ou entre désir homosexuel et irréalité : c. f. le code « Roue de secours » de mon Dictionnaire).

 
 

3 – Code « Poupées » : LE DÉSIR D’ÊTRE OBJET

 
marionnettes-sesame-street

Marionnettes de Sesame Street

 

Sous-code « Pygmalion » :

 

De l’âge de 8 à 17 ans, quand il a fallu m’intéresser à mon orientation professionnelle, à une époque où je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire et que je revenais bredouille des salons des métiers (encore aujourd’hui, je n’ai toujours pas trouvé le métier que je veux faire… C’est vous dire ! C’est pas prof que je veux être : c’est prophette! ^^), j’oscillais d’un projet de métier à un autre. En plus de vouloir être homme politique (mais ma maman m’a assez vite dissuadé d’entrer en politique parce qu’elle me disait que j’étais « trop gentil » pour faire politicien!), j’avais à 9 ans un autre désir : celui d’être couturier… même si, concrètement, je n’avais jamais touché à une aiguille à coudre de ma vie ! Tout cela se jouait surtout au niveau du fantasme, non du « faire » (cf. le code « Pygmalion » dans le Dictionnaire). Je voulais être couturier parce que j’aimais le déhanché et la beauté des mannequins féminins, les attitudes des femmes-bibelots, les publicités de mode (« Marcel Griffon, le style impeccable »). Quand j’avais 7-9 ans (donc en 1987-1989), un de mes premiers chocs esthétiques a été le générique complètement original de l’émission de variétés Champs-Élysées de Michel Drucker, dans lequel les ballets de Reda animaient une ville de Paris façon cartes postales, avec différents tableaux des clichés de la France. C’était fantastique ! Rien que pour ce générique, je ne voulais pas rater le début de l’émission.

 

Sous-code « Marionnettes » :

 

Mais c’est surtout mon attrait pour les marionnettes qui signale dans mon histoire la présence du désir homosexuel. J’ai remarqué qu’il y avait parmi les marionnettistes un grand nombre de personnes homosexuelles. Cela s’explique à mon sens parce que le désir homosexuel est essentiellement un fantasme d’être objet. Vers l’âge de 14-15 ans, je désirais moi-même être marionnettiste. Je souhaitais vraiment en faire mon métier, et j’avais commencé à chercher des écoles pour une formation. Je faisais collection de marionnettes à fil, mais surtout de marionnettes à main. Et en 1999, avec mon frère Jean, mon cousin Jean-François, et quelques amis, nous sommes allés présenter des spectacles de marionnettes dans deux écoles maternelles d’Angers et dans une école de La Tessoualle, près de Cholet. Je faisais beaucoup de voix, écrivais les textes, et avais conçu tous les décors moi-même. Le monde des objets animés a peuplé l’imaginaire de mon enfance. Quand j’étais à l’école maternelle, j’avais eu la chance d’assister à un spectacle de marionnettes extrait des Contes de la Rue Broca (1967), La Sorcière du Placard à Balais de Pierre Gripari (tiens donc… un dramaturge homo…). Ce spectacle m’avait fasciné autant qu’effrayé : « Sorcière ! Sorcière ! Prends garde à ton derrière !!! » Toute mon enfance, je l’ai passée à regarder des émissions pour enfants avec des marionnettes (Les Fraggle Rock, Téléchat, Le Village dans les Nuages, Chapi Chapo, etc.).

 

Sous-code « Bandes dessinées » :

 

J’ai toujours été séduit et amusé par les bouilles de ces personnages en carton pâte : je trouve les marionnettes particulièrement attendrissantes avec leurs gros yeux qui louchent et leur air benêt. D’ailleurs, les personnages de mes B.D. que j’ai conçues à l’âge de 8-10 ans ressemblaient fortement à ces mêmes marionnettes (j’ai dessiné 3 bandes dessinées en tout, dont la première était très inspirée par les Cigares du Pharaon d’Hergé – son personnage principal se prénommait Rufus, et il était poursuivi par 4 méchants, dont une méchante voyante extra-lucide au visage de bulldog – ; une deuxième bande dessinée, la seule que j’ai réellement achevée, qui s’intitule La Grenouille Royale, et qui raconte les pérégrinations d’une bande de grenouilles poursuivies par une cruelle sorcière ; et enfin, une troisième B.D. qui est restée inachevée et qui s’appelle Le Concours de Beauté, cette fois avec la même sorcière, et l’une des 5 grenouilles de la précédente B.D., la seule femme d’ailleurs, l’acariâtre Yoplaie).

 

Sous-codes « Peinture » / « Play-back » :

 

Le désir d’être objet, je l’identifie également chez moi à travers mon petit passé de plasticien. J’ai en effet passé 6 années à l’école des Beaux-Arts de Cholet, de 11 à 17 ans, à faire du dessin, de la peinture, et de la sculpture. Dès l’âge de 4 ans, j’avais déjà un bon coup de crayon, et les filles de ma classe s’arrachaient mes créations (j’avais même des commandes!). Mais les années ont passé, et j’ai peu à peu abandonné le monde des arts plastiques… au profit du théâtre, de la chanson (j’ai toujours aimé play-backer avec précision les musiques de variété que j’aimais : dans mon livre, je développe l’idée selon laquelle le play-back exprime le désir de se réifier), et de la danse (à partir de l’âge de 10 ans, j’ai été un grand amateur de chorégraphies, de vidéos-clips que j’essayais plus ou moins de reproduire dans la solitude de ma chambre : là encore, la danse robotique en solitaire renvoie au processus de mythification-réification de soi).

 

Sous-codes « Différences physiques » / « Obèses anorexiques » :

 

C’est d’ailleurs amusant comme physiquement, je ressemblerais presque à un pantin désarticulé. Toujours courbé comme un papy (mes proches ont l’habitude de me dire que je ne me tiens pas assez droit, et viennent constamment me redresser contre le dossier de ma chaise), avec des maux de dos chroniques, tellement maigre et à replumer qu’on croirait que je vais me démembrer à tout instant, souvent tellement en train de me regarder agir que j’en développe des petits tics gestuels ou des mimiques instinctives, mal habillé ou avec des vêtements trop grands pour moi, les jambes croisées et les poignets cassés, j’ai tout d’un automate de Jean Cocteau ! Je suis à l’image de ces personnages homos que je définis comme des obèses anorexiques (cf. le code « Obèses anorexiques » dans le Dictionnaire) parce que je mange très mal ou trop, sans jamais grossir pour autant, et parce que les obèses anorexiques homosexuels sont décrits dans les fictions homosexuelles comme des êtres malingres, chétifs, avec la peau sur les os… et pourtant ils doivent leur apparence physique filiforme à un gavage, à un trop-plein, à une absorption excessive de drogues, d’images, de tendresse, de nourriture. Généralement, au niveau du désir mais aussi des réalités humaines, un trop-plein indique souvent la présence d’un trop-vide.

 
Moi signature

Signature à l’Harmattan, Paris, 8 janvier 2009

 

Sous-code « Fleur » :

 

Le désir d’être objet chez les personnes homosexuelles, même s’il n’est pas immédiatement perçu comme violent, parce qu’un fétiche peut avoir sur le moment l’éclat sacré de l’éternité, de la beauté, et de l’humour, est pourtant objectivement agressif : un objet, contrairement à un être humain vivant, est inerte, froid, et mort. Je pense que, très tôt dans ma vie, j’ai été conquis par le charme innocent du « devenir objet ». Me prendre pour un objet sacré, cela a été un moyen de survie au moment où je sentais arriver l’effondrement de ma personnalité. Le « devenir objet » – je l’ai remarqué dans bien des écrits – est très lié au « devenir végétal ». Ces deux désirs, faisant partie de la condition humaine, mais qui conduisent pourtant l’être humain à la déshumanisation, sont motivés (et voilà le piège!) par la recherche d’innocence et de divinité. L’Homme qui se prend pour un objet ou un végétal désire certes perdre sa liberté, mais ne s’en rend pas toujours compte parce qu’il troque sa conscience contre un monde de « paix éphémère », clinquant, inconscient, minéral, où la sensation et la souffrance semblent absentes, radicalement abrégées.

 

Il est curieux de constater que, très précocement, je me suis pris pour une fleur. Par exemple, la pâquerette, c’’était l’emblème que j’avais choisi en maternelle pour accompagner les étiquettes marquées à mon nom. Et puis il y a cette terrible photo (ci-dessous), qui à présent me fait rire et figure parmi mes préférées, où je pose comme une vraie starlette avec ma jolie fleur! Horreur, malheur… J’avais 7 ans là-dessus. En la regardant, j’ai l’impression que mon destin de Super Tapette était scellé depuis toujours… Cette photo, que j’avais retirée de l’album familial tellement j’en avais honte pendant mon adolescence (ce n’est pas pour rien que je l’avais surnommée « La Photo de la Honte » à une époque) est une parfaite illustration de cette recherche de naturel qui, à force d’être obsessionnelle ou trop bien intentionnée, conduit à l’artifice.

 
photo de la honte

La « Photo de la Honte », 1986

 
 

4 – Code « Femme-objet violée » : LE DÉSIR D’ÊTRE VIOLÉ ET DE S’EN VENGER

 

Sous-code « Poids des mots » :

 

Il est certain que dans l’étiologie de l’homosexualité, les mots et les regards, ou plutôt l’hyper-sensibilité aux mots (Qui du locuteur ou du récepteur a commencé ? Nul ne peut le savoir…), ont joué un rôle capital. Il y a un peu de vrai quand Didier Éribon écrit qu' »au commencement de l’homosexualité, il y a l’injure« , ou en tout cas, une projection ressentie comme violente. Le mot « pédale », « enculé », « garçon manqué », « gouine », « fille » (reçu quand on est un garçon), ou « garçon » (reçu quand on est une fille), a pu agir comme un ordre dans l’esprit d’une personne qui a tendance à prendre les mots pour des choses réelles, qui entretient avec les autres et le langage un rapport idolâtre de peur/attraction/répulsion/fusion.

 

Bien sûr, dans mon cas personnel, j’ai été traité de « fille » dès mon plus jeune âge, et parfois de manière totalement innocente et accidentelle. Cette projection de « l’homosexuel » ou de « la femme » sur mon corps de garçon n’a pas toujours été une insulte, une méchanceté délibérée. C’est ce qui rend l’homosexualité encore plus accidentelle, presque fatale. Je vous passe les cas où, quand je répondais au téléphone à la place de mes parents, on me prenait pour ma mère ou une de mes soeurs. Je ne vous raconterai qu’un seul épisode qui m’avait beaucoup blessé à l’époque (et pourtant, avec le recul, je me dis que j’avais inconsciemment provoqué l’incident : à force de me prendre pour quelqu’un d’autre, et de cultiver une allure maniérée, en me trémoussant comme une « Drôle de Dame« , et avec ma voix suraiguë, j’avais inconsciemment donné des bâtons pour me faire battre et récolté les fruits de ma sincère comédie…). Je devais avoir 8-9 ans quand je me trouvais chez mes parents à Cholet et que ça a sonné à la porte. Je suis allé ouvrir. À cet âge-là, j’étais un petit garçon très chaleureux et souriant (peut-être trop ?). J’ai laissé entrer le démarcheur venu vendre je ne sais quelle marchandise, puis maman a pris le relais et je les ai laissés entre eux dans le hall. J’ai juste eu le temps d’entendre la remarque cinglante – et pourtant bien-intentionnée – du visiteur : « Votre gentille fille m’a ouvert ! » Le jugement involontaire est tombé sur moi comme un couperet (et avec le sourire en plus!). Je me souviens juste que ma mère avait trouvé ce type pas très « finaud »… Moi, je ne m’étais pas révolté. Je n’étais pas à un âge où on se révolte.

 

Sous-code « Bergère » :

 

nunuche

Lorie, la Nunuche vierge de l’Espace

 

Il est fort possible que mon désir homosexuel se soit choisi très tôt pour déesse non pas la femme réelle mais la femme-objet vierge représentée par les chanteuses, les héroïnes de dessins-animés, les actrices, de mes écrans symboliques et réels (Céline Dion, les Spice Girls, Charlie makes the cook, Priscilla, Vanessa Paradis, Ophélie Winter, Axelle Red, Lio, Bananarama, Sarah Mandiano, Mélissa Mars, Britney Spears, Claire Litvine, Madonna, etc.). Ce sont elles mes vraies mères, me disais-je : pas ma maman biologique. Très tôt, je les ai prises pour modèles identificatoires. Je suis loin d’être le seul individu homosexuel à avoir littéralement « adoré » la femme-objet cinématographique : les hommes gay l’ont presque tous fait (dans la fusion), les femmes lesbiennes l’ont presque toutes fait aussi (dans la rupture).

 

Ce goût étonnant pour les femmes nunuches, blondes (parfois rousses), potiches, avec une voix fluette, racontant des conneries, chantant que « la guerre c’est pas bien » et que « leur mère est leur meilleure amie », traduit certainement en moi une immaturité, un désir d’être infantilisé, d’être chouchouté, d’être une femme-enfant qui n’a jamais été violée… sûrement par nostalgie de l’innocence originelle, d’une enfance dorée qui ne débouche pas sur la responsabilité adulte. Ce n’est pas par hasard si, dans mon essaiHomosexualité intime, j’évoque le fait que beaucoup de personnes homosexuelles adorent qu’on les prenne pour des connes, même si intellectuellement tout semble tourner très rond chez elles, qu’elles se laissent soumettre avec beaucoup de second degré et d’auto-dérision, et qu’elles trouvent cette servitude ultra-audacieuse, originale, et révolutionnaire, parce que minoritaire et honteuse. En général, elles aiment dénoncer cyniquement le foutage de gueule social que représentent les chanteuses kitsch, non en s’en détachant et en le pointant du doigt, mais plutôt en s’en approchant au point de se confondre avec lui. Il y a beaucoup d’orgueil blessé derrière cette attitude apparemment légère et drôlissime.

Sous-code « Bourgeoise » :

 

Valérie Lemercier

Valérie Lemercier

 

En lien avec la candide nunuche, mes fantasmes homosexuels sont venus s’attacher à un autre style de femme-objet : la bourgeoise. Je ne suis pourtant pas du tout issu d’une famille aristo (plutôt le contraire: nous vivions chichement dans ma famille). Mais nul besoin d’être entouré d’objets et d’argent, pour désirer être un objet ; nul besoin d’être riche, pour désirer l’être. L’homosexualité est une affaire de désir, non de réalité effective.

 

C’est très curieux comme l’élégance de la bourgeoise, sa sophistication travaillée, ses attitudes excessivement calculées, son style langagier ampoulé (à la limite du risible), son excentricité réactionnaire parfois, sa sincérité dans la méchanceté ou la bêtise, me touchent. Je pense que beaucoup de personnes homosexuelles aiment la femme bourgeoise (ou l’actrice qui joue les personnages de châtelaine coincée), d’une part parce qu’elle représente inconsciemment la corrosive caricature maternelle dont elles se croient mystérieusement héritières, et d’autre part parce que cette femme-objet est tellement sincère dans l’artifice qu’elle arriverait à faire croire à tout le monde que le surnaturel est naturel. Il était donc logique que les adulateurs de l’amour « plus que naturel » et sur-intentionnalisé qu’est le désir homosexuel se choisissent Marie-Chantal comme ambassadrice principale.

 

Sous-codes « Femme étrangère » / « Tante-objet » :

 
tintin Yamilah

Tintin, Les 7 Boules de Cristal d’Hergé

 

Cette femme-objet qui m’a depuis toujours attiré a quelque chose de lunaire. C’est la femme étrangère par définition. Elle est mystérieuse, discrète, incomprise, messagère d’un secret (généralement un viol). C’est celle par qui le scandale arrive. On ne sait pas si, derrière son masque de pureté, elle est si innocente et si gentille que cela. La femme étrangère m’a toujours fasciné car elle est double. Elle appartient à deux cultures, à deux mondes (l’un réel, l’autre fictionnel ou paranormal). C’est une extra-terrestre.

 

Dans ma vie, j’ai remarqué que j’établissais avec les femmes étrangères de mon entourage une complicité particulière (Antonia Malinova, Alexia Erb, Claire Litvine…). Je leur trouve beaucoup de charme (Cristina Marroco, Anggun, Nourith, Noa, etc.). Quand j’étais petit, je suis resté très impressionné par ma tante espagnole Carmina, extravertie à souhait, et ultra-maquillée ; je garde aussi un attachement esthétique puissant pour une autre tante de ma famille – française cette fois -, tatie Laurence, l’originale de la famille, une danseuse de salsa, aux faux airs de Jeanne Mas, complètement imprévisible et artiste ; autre anecdote : lors d’un mariage dans le sud de la France, alors que j’avais 6 ans, je me souviens être resté sous les jupons d’une femme britannique complètement excentrique, portant une robe d’actrice, très maquillée également. Plus elles parlent avec un fort accent, viennent de contrées exotiques, sont rejetées, incomprises, et pourtant très belles et convoitées, plus les femmes ont des chances de me plaire.

 

Sous-code « Femme violée un soir d’été ou de carnaval dans une forêt » :

 
Kelly_Garrett

Kelly Garrett (Jaclyn Smith)

 

On en vient à l’un des points forts de mon raisonnement sur le désir homosexuel : l’identification à la femme-objet cinématographique violée. Il en étonne plus d’un… et pourtant, une fois qu’on a pris connaissance de l’emblème de la « Femme violée un soir d’été ou de carnaval dans une forêt » dans les oeuvres homosexuelles, on ne fait que le voir partout (je l’ai encore aperçu il y a quelques semaines dans le dernier film de Gregg Araki, « Kaboom »)!

 
Pourquoi cette identification homosexuelle à la femme-objet marytrisée ?
 

D’une part, parce que cette actrice est magnifique, esthétiquement parlant (la vraie femme violée, la majorité des personnes homosexuelles s’en fiche pas mal!). C’est tout l’art du cinéma que de réussir à magnifier la femme violée, malgré la situation affreuse qu’il lui fait subir. Même si elle porte une jolie éraflure sur le visage, qu’elle est toute essoufflée, qu’elle a perdu son diadème, qu’elle crie sous sa douche, qu’elle court comme une folle en écartant les ronces, que sa robe de bal est déchirée, qu’elle est orpheline et seule dans cette forêt, elle n’en reste pas moins super belle. Même ses cheveux mouillées ou dépeignés sont stylisés sur nos écrans. Son maquillage de bad girl persécutée, ses attitudes de bête traquée (« Je vous arrête! » ; « Ôtez vos sales pattes de là ! Je vous interrrdis! Lâchez-moi, sale brrrute! »), sa posture de tigresse sur la défensive prête à riposter en pratiquant les arts martiaux, tout cela contribue à esthéthiser le viol pour le rendre puissant et désirable. Figurez-vous un instant quelle extraordinaire revanche sur le passé ingrat l’identification homosexuelle à cette femme-araignée violée propose!

 

D’autre part, cette identification à la femme violée ne veut pas forcément dire que les personnes homosexuelles ont toutes subi un viol génital (loin de là). En tout cas, elle peut indiquer que certaines parmi elles ont vécu une agression sexuelle dans l’enfance. Ensuite, elle peut également être signe de la misogynie et du machisme du désir homosexuel : cette représentation singée de la destruction de la Reine carnavalesque est une déclaration d’amour-haine à l’encontre des femmes réelles, confondues avec la femme-objet. L’iconoclastie vise à renforcer chez celui qui la pratique la toute-puissance de ce qu’il prétend sincèrement aimer/détruire. Je crois également qu’elle dit une peur ignorante de la sexualité en général (peur d’être défloré, peur du corps sylvestre de la femme, peur de son propre corps, etc.) : je me souviens par exemple que, tout petit, j’avais été intrigué par une publicité pour des serviettes hygiéniques (cf. le code « Règles » dans le Dictionnaire), et que je n’arrêtais pas de chanter « Confettis, confettis… » sans réaliser à quoi cela pouvait renvoyer (Ça avait agacé ma grande soeur Blanca que je m’amuse ainsi des menstruations féminines…).

 

En troisième lieu, je dirais que l’identification à la femme-objet violée indique une panne d’identité. Même si on n’a pas été concrètement violé, on préfère parfois se mettre dans la peau d’une femme-victime qui se venge ensuite magistralement, telle Catwoman, des individus qui l’auraient/l’ont violée, pour se créer une personnalité hors du commun à un moment où justement on en manque, où on veut un grand combat existentiel, plutôt que de s’identifier aux femmes réelles qu’on juge banales et faibles. Je me souviens qu’à l’âge de 6 ans, alors que je me cherchais beaucoup à ce moment-là, j’aimais courir et crier « Au viol! » du côté des filles quand nous étions poursuivis par les garçons sur la cour d’école : je me plaçais spontanément du côté des persécutées. Comme j’étais assez fort en dessin à l’époque, je me mettais à dessiner toujours la même chose : des femmes violées. Cheveux au vent, soit rousses, soit blondes et magnifiques comme Boucle d’Or (chose curieuse : elles n’avaient en général qu’un point en guise de bouche, comme si je ne leur laissais que la surprise muette de la femme violée pour s’exprimer), maquillées comme de cruelles châtelaines ou des reines gothiques de Walt Disney, avec des talons-aiguilles (c’était la version vengeresse de la candide pin-up qui décide de revenir à la charge après son viol). Le personnage de Daphnée dans le dessin-animé Scoubidou, ou bien celui de She-Ra (une sorte de Xena la Guerrière, icône lesbienne bien connue) m’ont tout appris (cf. Je vous renvoie à l’article suivant).

 

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Daphnée dans le dessin-animé Scoubidou

 

En centre aéré, je me rappelle que cela me plaisait beaucoup de m’imaginer poursuivi, de courir à perdre haleine dans les bois, de me retourner (en imaginant que mes cheveux longs coiffés en brushing me reviendraient sur le visage de manière hyper stylée), de penser que j’étais She-Ra sur son cheval, en cavale et menacée par un terrible danger. Quand j’écoutais quelqu’un, il m’arrivait de pencher la tête, comme pour me styliser moi-même (j’ai d’ailleurs appris accidentellement que certains garçons de ma classe de 5ème au collège m’imitaient quand je me retournais ; ils faisaient exprès de m’appeler pour rien, histoire de rire de mon efféminement…). Oui, l’identification à la femme violée dit toujours un viol passé ou futur.

 

Sous-code « Dix Petits Nègres » :

 
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« Dix Petits Indiens » (1945) de René Clair

 

Parlons maintenant des Dix Petits Nègres (1939), un roman qui, curieusement, occupe une place importante dans la fantaisie de la communauté homosexuelle, et dans ma propre vie. Je devais avoir 6-7 ans quand j’ai lu l’intrigue passionnante d’Agatha Christie. À l’époque, cette histoire m’avait attiré mais aussi complètement traumatisé : j’en cauchemardais ; je découvrais qu’esthétiquement, le crime machiavélique surgissant dans l’univers rose-bonbon et statique des bourgeois pouvait être élégant, délicieux. J’aimais particulièrement le personnage de Vera Claythorne, la jolie secrétaire, la seule jeune femme du roman, perdue au milieu de cette machinerie fictionnelle machiavélique, qui incarnait la femme violée et une probable psychopathe. J’aurais même souhaité qu’Agatha Christie rajoute plus de personnages féminins comme elle, et en même temps, l’unique Mademoiselle Rose qu’elle s’était choisie ne serait pas ressortie pareil sinon. L’histoire des Dix Petits Nègres me plaisait tellement que je l’ai choisie comme thème d’une des sculptures que j’ai réalisées pendant que j’étais à l’école des Beaux-Arts à Cholet, à l’âge de 11 ans. Mais elle fait partie aussi de mes cauchemars d’enfant quand je la voyais traitée dans des séries télévisées comme Matt Houston (la super référence culturelle… désolé) ou Amicalement vôtre (l’épisode où les membres de la famille de Brett Sinclair disparaissent un par un). Peur + Captation esthétique = Désir : C’est bien là l’équation de l’idolâtrie, non ?

 

Sous-code « La mère folle » :

 

En lien avec le motif de la femme-objet violée, je crois qu’il n’est pas anodin que les femmes hystériques soient très souvent parodiées dans les fictions homosexuelles (c’est ce qui fait d’Isabelle Huppert, par exemple, une véritable icône gay française). Les contacts rapprochés que certaines personnes ont maintenus dans leur enfance – et parfois plus tard – avec la folie conjuguée au féminin (cf. les codes « Mère possessive » ; « S’homosexualiser par le matriarcat » ; « Femmes phalliques » ; « Peur de devenir folle » ; « Folie » ; « Milieu psychiatrique » ; « Matricide » ; « Politique du non-dit de la mère » ; « Stars vieillissantes ») ou avec une mère dépressive, sont parfois existants. C’est mon cas personnel, puisque ma maman a connu une grave dépression pendant des années (elle a commencé à sortir de la maladie en 1992). Je ne suis pas un cas isolé : certains de mes amis homos ont dû faire face à la maladie psychiatrique de leur mère… et y ont répondu en partie par l’annonce d’une homosexualité. Stratégie de survie oblige.

 

Sous-code « Super-héros » :

 
Drôles de Dames

Drôles de Dames

 

Alors, bien sûr, ce n’est pas que la version « femme soumise » qui m’a attiré chez la femme-objet violée. Pour qu’elle devienne admirable à mes yeux, il fallait bien qu’elle incarne la toute-puissance dans la faiblesse (c’est exactement ce que je pense de la nature du désir homosexuel : il est faible et violent ; tout comme l’icône gay violée, il existe parce qu’il lutte contre un viol plus fictionnel que réel… mais parfois réel quand même). C’est pour cela que les femmes supers-héros (Catwoman, Alice de la Bibliothèque Verte, Fantômette, Jeanne dans Jeanne et Serge, les Cat’s Eyes, etc.), les détectives privées, les espionnes, ont ravi mon imaginaire. Par exemple, la série Drôles de Dames correspond tout à fait à l’idéal esthétique de mon adolescence. Ces femmes mannequins hyper belles et efficaces, même face à de terribles dangers et au viol cinématographique, ces modèles de la séduction justicière et manipulatrice, étaient l’incarnation de la perfection à mes yeux. Oui, vraiment, à l’âge de 10-12 ans, je m’identifiais énormément à ces superwomen. À tel point que j’imitais leur démarche, leur gestuelle de défilés de mode. Je voulais vivre une vie trépidante et risquée comme Kelly Garrett. Je ne me rendais pas compte que cette imitation, reportée sur mon corps et mon identité de petit garçon, me rendait moche, ridicule, puisque pour moi, c’était beau à l’écran… donc ça devait forcément l’être dans la vraie vie, et, tant qu’à faire, sur moi! La confusion entre rêve et réalité m’est revenue comme un boomerang le jour où, pendant des courses au supermarché avec ma mère, elle m’a dit spontanément : « Ben dis donc… tu remues le cul comme une vache espagnole ! » Ça m’avait beaucoup vexé. Mais qui d’autre qu’elle aurait osé me dire en face que je me reniais à ce point moi-même ?

 

Pour finir avec ce chapitre sur la passion identificatoire pour la femme-objet/femme violée, je vous parlerais volontiers d’une femme bionique qui a beaucoup compté pour moi : c’est Super Jaimie. À l’âge de 7 ans, j’étais très impressionné par cette femme aux pouvoirs extraordinaires, qui courait au ralenti. Justement, quand je courais à l’époque (en sport, au centre aéré, sur la cour d’école, n’importe où), je me souviens que j’esthétisais à l’excès mes mouvements, comme elle. Mentalement, j’étais la star dans mon clip, j’entendais les bruitages qu’on nous met dans la série Super Jaimie(même topo pour les jingles de Fort Boyard!). Je crois que j’ai rêvé très jeune d’être un Super-Héros. Un épisode en particulier de Super Jaimie m’a marqué : l’héroïne était pourchassée par une horde de trois femmes-robots (une Blonde, une Noire, une Rousse), qui avaient jadis été ses amies et qui, à cause d’un méchant professeur qui les avait transformées en zombies insensibles, trahissaient sa confiance et devenaient méchantes. Flippant ! Un épisode comme celui-là, dans l’esprit de l’enfant que j’étais, a pu m’encourager à prendre la poupée en pitié, et à lui attribuer des sentiments humains. Cette captation idolâtre par les marionnettes, je sais que je ne suis pas le seul garçon homo à la connaître. Il m’a suffi de tomber un jour sur le témoignage du réalisateur gay Julien Magnat, interviewé dans la revue Têtu (n° 69, juillet-août 2002, p. 20), pour en avoir le coeur net : « Mes premières héroïnes étaient Catwoman – môme, je la dessinais brandissant son fouet –, Fantômette, Super Jaimie et Wonder Woman. Les ancêtres de Xena, quoi.« 

 
 

5 – Code « Amant diabolique » : UNE FASCINATION POUR LA BEAUTÉ DU DIABLE

 

Sous-code « Cruella » :

 
cruella

Cruella De Vil dans « Les 101 Dalmatiens » (1961)

 

J’ai évoqué tout à l’heure le goût, très répandu chez les personnes homosexuelles, pour la femme-objet violée qui se venge des hommes qui auraient jadis abusé d’elle (je vous ai parlé des châtelaines cruelles avec des talons aiguilles que moi-même je dessinais). Car en effet, il y a dans la culture homosexuelle une esthétisation de la violence, du mal, et de la mort, qui rend la méchanceté et la vengeance désirables, ou tout au moins acceptables ; esthétisation que l’on retrouve chez beaucoup de garçons homos « langues de pute » ou de femmes lesbiennes hommasses et au comportement de vipères. Le personnage de folle hystérique qui les séduit le plus, c’est bien celui de Cruella D’Enfer, la méchante du dessin-animé de Walt Disney (ce n’est pas un hasard si, dans les soirées déguisées homos, ce sont Cruella et Vampirella qui récoltent tous les suffrages). Et j’avoue que cette Cruella a toujours été pour moi une bourgeoise camp parfaite!

 

Sous-codes « Amant diabolique » / « Chute » :

 
La Chute de Camus

La Chute (1956) d’Albert Camus

 

Quand, en classe de lycée, on nous impose d’étudier des œuvres littéraires parce qu’il faut suivre un programme imposé au bac, alors qu’en réalité elles nous rasent magistralement, on fournit peu d’efforts pour y trouver un minimum d’intérêt. Mais quand c’est La Chute de Camus qui tombe (c’est le cas de le dire…), on se dit que les programmateurs ont ENFIN pensé aux élèves ! J’ai eu à étudier le roman d’Albert Camus en cours de terminale, avec une prof de français, Mme David, qui a su, en plus, me le faire aimer. Et il continue de m’accompagner dans ma vie de tous les jours. Il me sert de modèle, ou plutôt de contre-modèle à comprendre pour ne pas le reproduire. Mettre des mots sur les mécanismes employés par le diable – car c’est bien de cela dont il s’agit dans cette œuvre –, leur laisser leur logique – car il y en a bien une – pour ne pas les justifier inconsciemment dans le rejet paranoïaque, ça me passionne. Surtout depuis que j’ai lu le faux témoignage du narrateur de La Chute. Son discours repose presque intégralement sur l’inversion. Logique, alors, qu’il m’ait interpellé autant ! Ce n’est pas un hasard si ce roman est la lecture d’adolescence préférée de Cathy Bernheim, l’auteure lesbienne de la magistrale autobiographie L’Amour presque parfait (1991). Et il fait écho à tout un pan de la littérature homosexuelle où la figure de l’amant diabolique apparaît.

 

Sous-code « Voleurs » :

 

Dans mon essai Homosexualité sociale, le terme « vol » remplace plus facilement celui de « viol » puisqu’il s’applique au viol à échelle sociale, et par rapport à la différence des espaces. J’ai, au fil de mes lectures sur l’homosexualité, remarqué énormément d’occurrences aux vols dans des contextes de prostitution, ou même simplement dans des échanges amoureux homosexuels. Mais c’est surtout en écoutant certains de mes amis, qui se définissaient eux-mêmes comme des « voleurs » ou des « tricheurs » au lieu d’employer le terme d' »homosexuels », ou qui me racontaient qu’ils s’étaient fait piquer leur carte bancaire après une nuit d' »amour » avec un amant de passage, ou qui acceptaient de se faire vider leur compte en banque par un petit copain arriviste et un peu trop profiteur, ou qui m’avouaient symboliquement que « s’ils couchaient avec de beaux jeunes hommes, c’était pour leur voler leur beauté« , que j’ai compris que les vols que l’on voit entre amants homosexuelles dans les fictions ne sont pas que virtuels!

 

Sous-code « Je suis mort » :

 

Dans les oeuvres homosexuelles, et parfois les discours, il est surprenant et incongru d’entendre certains individus homosexuels décréter qu’ils sont morts, tout pendant qu’ils sont encore vivants… alors que le seul énoncé qu’on ne puisse pas mettre à la première personne, excepté quand on dit sa fatigue, c’est bien « Je suis mort » ! C’est le cas de Jean Cocteau qui affirmait : « En ce qui me concerne, je n’ai pas peur de la mort. Parce que j’ai été beaucoup plus de temps mort que vivant. » On comprend ici qu’il s’agit davantage de la mort psychique que de la mort réelle : une forme d’absence à soi, de dégoût de vivre. Pour moi, ce « Je suis mort » peut indiquer une schizophrénie, un désir de suicide, et plus globalement une chute du désir. Dans la pièce Hétéropause d’Hervé Caffin par exemple, la voyante prédit à Hervé, le protagoniste homo, qu’au moment de se mettre en couple homosexuel, il vivra une « mort immatérielle« . Jean-Paul Sartre, dans son Saint Genet, décrit justement l’énonciation du « Je suis mort » par une personne vivante comme une « crise de dépersonnalisation », qui rejoint la notion freudienne de narcissisme intégral.

 

Cette phrase n’est pas que de la fiction. Personnellement, je l’ai déjà entendue de la part d’un ami homo, qui m’a avoué peu de temps après me l’avoir dite qu’au moment de l’énoncer, il songeait à se suicider sans oser me le dire franchement.

 

Sous-code « Se prendre pour le diable » :

 
Gargamel

En Gargamel, à la kermesse de l’école en 1986

 

Toujours en lien avec la croyance en la beauté du diable et du mal, je prouve dans mon essai Homosexualité sociale, que dès leur plus jeune âge, un certain nombre de personnes homosexuelles se sont prises pour le diable, pour des êtres incapables d’aimer ou d’être aimés, pour des personnes méchantes et maudites (il n’y a qu’à voir les pseudos d’anges déchus que certaines se choisissent sur les sites de rencontres internet pour s’en convaincre! Ils puisent abondamment dans le lexique démonologique!). Même si ce n’est pas très conscient (parce qu’en plus de cela, cette certitude est infondée et injustifiable, rationnellement parlant), c’est une pensée que j’ai entendue de la part de quelques amis homos, et que j’ai moi-même pu intérioriser à certains moments de ma vie, quand j’ai douté de moi ou que je me sentais minable, peu fiable, un peu psychopathe. Je trouve que le désir homosexuel, de par sa nature idolâtre, encourage justement à se prendre pour Dieu (c. f. le code « Se prendre pour Dieu » dans le Dictionnaire) et pour le diable (les deux à la fois!).

 

En 1986, alors que j’étais en grande section de maternelle, une maîtresse de petite section recherchait un « grand » pour jouer le rôle du méchant Gargamel pour la chorégraphie des schtroumpfs de la kermesse de l’école. Jouer le méchant et effrayer les petits de deux ans, rentrer dans la peau de l’odieux Gargamel, avait dû exciter mes fantasmes puisque pendant une récréation j’avais fait du charme à cette même maîtresse pour être sélectionné… Et ça avait marché : j’avais été pris d’office :-).

 

Sous-codes « Animaux empaillés » / « Doubles schizophréniques » :

 
psychose

Anthony Perkins dans « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock

 

Sans savoir pourquoi, j’ai compris que le comédien Anthony Perkins, qui joue Norman Bates dans le film « Psychose » d’Alfred Hitchcock, était homosexuel. Je l’ai deviné avant même de l’avoir vérifié. Ma fascination inconsciente pour ce chef-d’oeuvre cinématographique particulièrement crypto-gay, et mon achat spontané de l’affiche d’Anthony Perkins pour décorer ma chambre du foyer Jean-Luc Cabes lors de mon arrivée à Rennes en 2002, m’a tout de suite mis sur la piste. Et en effet, je ne m’étais pas trompé ! Je ne crois pas pour autant à un « Sixième Sens Homosexuel » : ça, c’est de la bêtise pour prouver que l’identité homosexuelle est la vérité profonde de la personne qui ressent une attraction sexuelle pour ses semblables. Je crois juste à une logique du désir homosexuel. Et cette logique, une fois comprise, peut rendre très intuitif.

 

Par ailleurs, et toujours en lien avec « Psychose », je développe dans Homosexualité intime le rapprochement entre désir homosexuel et schizophrénie, notamment à travers des motifs comme « la Main coupée », les « Moitiés », ou les visages à plusieurs têtes. Pour la petite histoire, quand j’avais 9-13 ans, j’avais créé un personnage fictif, « Ange« , un espèce de garçon trisomique agressif et collant, parlant le français avec un accent du sud de la France à couper au couteau (une caricature voilée de ma maman bergeracoise?), un rôle que je n’endossais qu’en présence de mon frère Jean, de mon cousin Jean-Francois, et de ma grande soeur Blanca, un bonhomme grimaçant qui m’a habité très longtemps et qui me permettait d’exprimer ma schizophrénie, ma violence intérieure, mon humour aussi (cf. le code « Doubles schizophréniques » dans le Dictionnaire). « Ange », mon fantasme diabolique de divinité tourné en dérision, m’habitait… et revient parfois me visiter quand je joue au théâtre ^^.

 
 

6 – Code « Parricide » : LE GRAND PARDON

 

Dans mon essai Homosexualité intime, j’évoque la question importante (et peu abordée) du meurtre du père dans les productions artistiques homosexuelles, ainsi que de la haine de son propre papa, un ressentiment particulièrement massif au sein des membres de la communauté homosexuelle. Autant les mamans sont préservées – voire gâtées – au moment du coming out, autant les pères ne bénéficient pas du même traitement de faveur… (c’est le moins qu’on puisse dire!) Sans aller jusqu’à des envies de meurtre (et c’est là qu’on voit qu’il y a fort heureusement un fossé énorme entre ce qui nous est montré dans les fictions traitant d’homosexualité et la réalité), il est fréquent que la relation des personnes homosexuelles avec leur père soit particulièrement tendue, ou bien concrètement plate, proche de l’indifférence… même si, là encore, il existe de nombreuses exceptions à la règle, et qu’il est difficile d’en faire une généralité.

 

Pour mon cas personnel, je dois reconnaître que ma relation à mon père a très mal démarré. J’ai eu, très tôt, peur de lui. J’étais mal à l’aise en sa présence. Et lui ne pouvait pas, à l’époque où j’étais encore adolescent, partager certains poids qu’il était le seul à porter à bout de bras dans la famille. Alors oui, je le reconnais, dans ma petite enfance, et un peu après, il m’est arrivé de haïr mon père, d’en avoir honte, de le trouver complètement à côté de la plaque dans certains de ses jugements. Je n’ai jamais désiré sa mort, mais de la haine, oui j’en ai eue. Et cette haine a sûrement pesé au départ dans l’affirmation d’une homosexualité chez moi : je me suis peu identifié, étant petit, à la figure paternelle qui aurait pu me faire sentir homme. C’est pour cette raison que j’insiste tant sur la notion de pardon à la fin de mon essai Homosexualité sociale. Car il existe un lien important entre coming out et rupture paternelle, entre la proclamation de l’homosexualité et la haine du père. Je crois de plus en plus (même si c’est très peu dit et peu évident pour notre société) qu’on ne peut pas avoir accès à une juste compréhension de soi et de son désir homosexuel si on ne s’est pas préalablement réconcilié avec son père et qu’on n’a pas pris en compte ce qu’il avait à nous dire d’un peu brutal sur le désir homosexuel.

 

Depuis que je me suis lancé dans des recherches sur l’homosexualité, et que j’ai décidé de ne plus en vouloir à mon père, de ne plus l’enfermer dans son rôle de tyran et moi dans mon rôle de victime incomprise, je peux vous dire que ma relation à mon désir homosexuel a radicalement changé. Il y a eu comme un détachement, une prise de distance par rapport à mon homosexualité et à ma quête fiévreuse de l’amour d’un garçon. C’est comme si l’amour paternel retrouvé avait tout apaisé en moi, avait rappelé les essentiels. Depuis que j’ai 15 ans, entre mon père et moi, le rapport d’adultes a pris une tournure méconnaissable si on la compare aux années qui ont précédée. Mon père n’est plus le despote que je croyais, ou l’homme sans sagesse dont je pouvais avoir honte, ni le compagnon de route que je fuyais parce que je n’avais rien à lui dire. Au contraire, aujourd’hui, c’est même l’inverse! J’ai devant moi un type qui accueille mes confidences, avec qui je peux passer des heures, un patriarche qui voit souvent juste. Je suis finalement aussi têtu, sentimental, et passionné de la Vérité que lui. Et en plus, il est le premier à ne pas être d’accord avec mon désir homosexuel. Jamais il ne l’a accepté. Alors on a vraiment tout pour s’entendre !

 
 

7 – Code « Sable » :

 
reloj de arena

« Collage » Reloj de Arena (2003) de Claire Lardeux

 

Entre le Désir vivant, unique et éternel, et le désir de l’homme mort, c’est un peu le fossé qui existe entre le sable et les cendres. En travaillant sur le premier recueil de poèmes de l’Argentin Néstor Perlongher Austria-Hungria en année de DEA en 2003, j’ai eu cette intuition que notre vie entière (et notre corps) était à l’image d’un sablier : le réceptacle du Désir. Mais le sablier contenant le désir homosexuel est particulièrement binaire et linéaire du point de vue de son fonctionnement : il ne suit pas le mouvement cyclique mais progressif (comme l’ellipse) du vrai Désir.

 

La partie inférieure du sablier homosexuel, c’est le monde visible, masculin, législatif, dirigé par le bouffon-tyran ; le trou central du sablier est la matrice par laquelle le personnage homosexuel arrive au monde, le miroir ou le couloir étroit par lequel peut passer le désir ; la partie supérieure est celle de l’inconscient, de l’imaginaire, de la femme végétale, de l’Actrice despotique qui tient prisonnier le désir et qui le livre au compte-goutte sous forme d’images, de photos, de drogues, de films. Le personnage homo, qui ne naît qu’une fois, comme tout Homme, aspire à rejoindre ce paradis inanimé situé à l’étage au-dessus, la matrice maternelle dont il a la nostalgie et qu’il pense ne jamais retrouver.

 

Ce sablier, dont Néstor Perlongher n’a pourtant jamais parlé, a servi de structure à mon mémoire de DEA, et plus largement à mon explication initiale du désir homosexuel. C’était en quelque sorte le patron de ce qui allait devenir le Dictionnaire des Codes homosexuels.

État des lieux du théâtre homo actuel

État des lieux du Théâtre homo actuel

 
 
 

Histoire d’âmes (2010) de Lilian Lloyd

 
 

Dans ce nouveau Phil de l’Araignée, je vais sortir mon masque d’homme de théâtre pour vous proposer un petit tour d’horizon de ce qui se joue au sujet de l’homosexualité sur les scènes des salles de France et d’ailleurs, depuis les années 1975 à nos jours[1]. Actuellement, le regard panoramique sur la création dramaturgique crypto-gay fait défaut, et comme j’ai assisté à beaucoup de représentations et de mises en scène, je pense être apte à vous proposer une typologie relativement complète des pièces de l’homosexualité dans le théâtre contemporain.

 

Pendant mes deux premières années à Paris, de 2006 à 2008, avant que mon livre ne paraisse, j’avais décidé d’étoffer mes références dramaturgiques homosexuelles. J’étais assez satisfait de mon bagage culturel cinématographique, romanesque, télévisuel : il me manquait le théâtre ! Je me suis donc résolu à rattraper mon retard et à explorer l’univers homo-érotique des planches. En deux ans, j’ai vu rien moins que 160 pièces traitant d’homosexualité. Je me baladais dans Paris, à Avignon, à Madrid, mon carnet de notes en main. Le Pariscope, je l’épluchais chaque semaine consciencieusement, et c’était devenu ma Bible. J’ai presque toujours eu le nez creux pour identifier les drames qui parlaient d’homosexualité. Pour qu’une pièce puisse rentrer dans la catégorie de « pièce homosexuelle », il fallait qu’elle remplisse un des trois (sinon les trois) critères suivants : soit l’auteur devait être connu comme une personne homo (assumée ou non), soit le héros ou l’un des personnes secondaires devait être homo-bis-trans, soit le public visé/attiré par cette pièce devait être homo. À présent, j’ai largement dépassé les 200 pièces visionnées (je n’ai pas fait le compte exact, mais je dois en avoir vues pas loin de 250). Depuis 2006 (j’avais commencé un peu avant : en 2003), je cours de grands théâtres en petits cabarets, de Théâtres Nationaux en minuscules salles de 15 personnes. Ma petite expérience de comédien a aiguisé au fur et à mesure mon regard et mes attentes[2].

 

Encore aujourd’hui, je continue mon investigation du théâtre homo français et international. Je dis « international » car certaines pièces étrangères arrivent en France, et que, même si je suis évidemment plus proche du théâtre francophone et parisien, je ne pense pas qu’il y ait fondamentalement une grande différence entre le théâtre homo français et le théâtre homo étranger, ni entre le théâtre homo de la capitale et celui de la province, ni entre le théâtre lesbien et le théâtre gay. Le désir homosexuel est atemporel et ne change pas, en dépit des époques, de la singularité des auteurs, de leur identité sexuée et de leur vécu. Au milieu d’un public anonyme plongé dans l’obscurité, je suis là, comme un vrai Sherlock Holmes, à l’affût des détails que personne ne semble entendre/comprendre sauf moi, émerveillé et surpris par la justesse de mon Dictionnaire (même si certains penseront que je « sur-interprète » pour donner raison à mes projections personnelles). Je ressors très souvent d’une pièce de théâtre homosexuelle tout joyeux, avec l’envie irrépressible de crier ma trouvaille, tel l’archéologue ayant décelé les vestiges d’une cité antique cachée, … pendant que les autres spectateurs ressortent en baillant ou avec la maigre satisfaction d’avoir passé un « bon moment ».

 
 

La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret

 

Quand j’assiste à une pièce, il arrive que j’étonne, j’intrigue (souvent), j’agace (rarement), j’inquiète. On me prend pour un dangereux journaliste : « Mais qui était ce mec au premier rang qui n’arrêtait pas de griffonner des notes pendant notre pièce ??? » se demandent fréquemment les comédiens sur scène (ils me l’avouent quand on se parle après le spectacle). J’apporte une lecture nouvelle qui dépasse le simple terrain des goûts (j’aime/j’aime pas) pour aller au sens des mots et des actions scéniques. En général, les auteurs de théâtre, les metteurs en scène, et les comédiens, que j’attends parfois à la fin de leur show, apprécient que je ne fasse pas de critique boboïsante Télérama ou de lecture moralisante de leur travail, que je ne me centre pas uniquement sur mes petits goûts et mes petites impressions (« La mise en scène était moyenne, je n’aurais pas fait ça comme ça. » ; « Tel comédien n’était pas sincère et jouait mal. » ; « J’adore l’écriture de cet auteur : c’est lumineux, émouvant, corrosif, vraiment avant-gardiste. C’est génial. Et tellement drôôôle… » ; « J’aime beaucoup ce que vous faites… » ; etc.) mais au contraire que je m’attache à ce que je vois et entends, sans chercher à dire si j’ai aimé ou pas… car la plupart du temps, je n’aime pas le théâtre créé par les auteurs homos ou traitant d’homosexualité : il me passionne vu qu’il contient plein de symboles à commenter, mais objectivement, je le trouve fade, de mauvaise qualité, totalitaire, politiquement correct – y compris dans l’anti-politiquement correct –, vide d’idées fortes qui aideraient à vivre. Pour moi, un vrai critique de théâtre ne doit pas commencer par donner son avis : il a le devoir de courtoisie et d’écoute envers la création dont il dresse le portrait, bien avant de se positionner « pour » ou « contre ». S’il a aimé, cela doit à peine se voir dans un premier temps. S’il a détesté aussi. Tant d’œuvres sont balayées d’un revers de main, n’ont pas le temps d’exister, d’être goûtées et analysées, parce qu’on les considère hâtivement comme trop « clichées » ou trop « merdiques »… C’est en analysant d’une part cette auto-censure de la communauté homo/hétéro envers sa propre production, et d’autre part le langage inconsciemment codé d’œuvres jugées mineures, que j’ai découvert un trésor ! Il n’y a fondamentalement aucune pièce homosexuelle à éviter. Même celles qui m’ont le plus ennuyé, elles m’ont finalement passionné. Même les plus mauvaises ont été riches d’enseignement sur le désir homo, à l’insu des naïfs et sincères cerveaux des dramaturges qui les ont pondues.

 

Alors les quelques catégories de théâtre homo que je vais vous dessiner à présent ne sont pas hiérarchisables en termes de bon ou de mauvais goût, de pièces à éviter, à huer, ou au contraire à aller voir absolument. Des goûts et des couleurs, il n’y a rien d’écrit (même si je ne cacherai pas mes préférences). Tout ce que je souhaite, c’est qu’à l’issue de la lecture de ce petit catalogue non-exhaustif du théâtre gay et lesbien, je vous donnerai encore plus envie d’assister à des pièces sur l’homosexualité, et surtout à celles qui regorgent de clichés qui agacent le plus la communauté homosexuelle. Ce sont ces dernières qui détiennent le plus de clés de l’énigme du désir homosexuel.

 
 

1 – Le Boulevard beauf gay friendly :

 

Bonjour Ivresse! (2010) de Franck Le Hen

 

Dans cette catégorie, on peut y caser notamment La Cage aux Folles(1973) de Jean Poiret, Pauvre France (1982) de Ron Clark et Sam Bobrick, Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Les Monologues du Pénis (2007) de Carlos Goncalves, Les Deux Pieds dans le Bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Un Lit pour trois (2010) d’Yvan Tournel, Et Dieu créa les folles… (2009) de Corinne Natali, Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Nos Amis les bobos(2007) d’Alain Chapuis, Pas folle, le Gay ! (2006) de Gianni Corvi,Transes… Sexuelles (2007) de Rina Novi, Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, À plein régime (2008) de François Rimbau, D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon, Open Bed (2008) de David Serrano, Une Cigogne pour Trois (2008) de Romuald Jankow, Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet, Les Homos préfèrent les Blondes (2007) de Franck Le Hen, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, On la pend cette crémaillère (2010) de Jonathan Dos Santos, etc.

 

Ce sont, en somme, toutes des pièces de la vulgarisation de l’homosexualité, qui effleurent le sujet uniquement parce que c’est à la mode, mais sans l’approfondir vraiment. À mi-chemin entre le Théâtre de Boulevard et « Le Miel et les Abeilles », ces comédies – souvent taxées de « ringardes » – privilégient le registre du divertissement, en exploitant jusqu’à l’usure les quiproquos qu’offre la confusion des sexes ou des genres. Ce sont aujourd’hui les pièces de l’homosexualité qui remportent le plus de succès. Si elles abordent la question du couple homo, c’est soit pour le montrer comme acceptable et beau, soit pour le rendre digne de pitié (dans le second cas, la victimisation est de mise et sera montrée comme un audacieux engagement politique en faveur des « discriminations homophobes »). Le point commun entre ces différentes créations, c’est qu’on ne sait toujours pas, même après les avoir vues, si oui ou non elles ont été écrites par des individus homos ou des individus hétéros bien-pensants. Le doute est permis, tant il est beaucoup plus question de bisexualité, de libertinage généralisé, d’anti-normes et d’anti-identités, que d’amour homo. Le personnage homo n’est d’ailleurs pas toujours mis en avant ni à son avantage : il peut être une figure secondaire, plus ou moins bien intégrée au reste des autres personnages. Il est présenté comme un être à la fois complètement extra-terrestre (arrive alors la flamboyante figure de la tapette, du travesti efféminé, ou du transsexuel insupportable, qui va amuser la galerie), ou au contraire complètement invisible (tant son étiquetage sexuel ne doit pas le déterminer comme uniquement « homosexuel » mais comme un simple « amoureux errant »).

 

 

Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim

 

Ce sont des pièces qui, clairement, suivent le sens du vent. Leur époque parle de l’homoparentalité, de la bisexualité, de la transsexualité, de la nécessaire libération des femmes et de la reconnaissance de leur « plaisir sans l’homme », des droits « des » homos ? Eh bien elles vont donc s’en faire docilement le relais, de manière complètement décomplexée et relativiste ! Entre la farce potache et la pièce pseudo engagée, ces « clowneries de Réveillon » sympathiques et touche-à-tout des soi-disant « tabous sociaux » (le sexe, la domination masculine, la religion, la politique, l’argent, l’orgasme féminin, etc.) n’approfondissent rien. Leur message sur le désir homosexuel est très simpliste et manichéen. Il ne prône que l’acceptation inconditionnelle des différences, et un mode de vie libertaire. C’est léger. Et aucun des spectateurs ne va s’en plaindre à la sortie puisqu’on ne lui a pas servi autre chose de plus goûteux. « Monsieur Tout le Monde » se rend habituellement à ce type de pièces pour rigoler un bon coup, se changer les idées, et certainement pas pour en tirer une analyse approfondie sur l’homosexualité.

 

Pour finir de parler de ces vaudevilles gay friendly rafraîchissants dont personne ne semble vraiment prêter attention mais que pourtant beaucoup connaissent et vont quand même voir, il est étonnant de voir comment l’ouverture populiste vers le monde « hétéro » dont ils témoignent agace prodigieusement les membres de la communauté homo qui détestent se voir « stigmatiser positivement » sous forme de clichés qu’ils jugent caricaturaux et insultants. C’est bien parce qu’ils prouvent la faiblesse risible du désir homosexuel que ces shows sont boudés par une grande partie des personnes homosexuelles. Et pourtant, dans leur naïveté, ils sont les livres ouverts de l’homosexualité, des nids à symboles ! Le code homosexuel est le langage de l’inconscient collectif violent : il fait rire, pleurer, et on ne comprend pas pourquoi il parvient à provoquer deux réactions aussi contraires tant celui-ci s’annonce sous les hospices de la banalité. C’est purement et simplement fascinant.

 
 

2 – Les pièces communautaires :

 
 

Madame Mouchabeurre (2009) de Michel Heim, par les Caramels Fous

 

Parmi les fictions que je baptiserais de « pièces communautaires », on peut trouver des pièces telles que Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Bang Bang (2009) des Lascars Gays, Faim d’année(2007) de Franck Arrondeau, La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, Panique à Bord (2007) de Stéphane Laporte, Le Cabaret des Hommes perdus (2006) de Christian Siméon,L’Opération du Saint-Esprit (2007) des Caramels fous, Un Barbu sur le Net (2007) de Louis Julien, Angels in America (2008) de Tony Kushner, Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, Comme ils disent… (2009) de Christophe Dauphin et Stéphane Rocher, Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, Bent (1979) de Martin Sherman, etc.

 

Cette catégorie est moins gay friendly que clairement homo. Même si elle se rapproche « dangereusement » de la première catégorie dont il était question ci-dessus, et qu’elle use et abuse des mêmes ressorts comiques et des clichés les plus courus de la culture homosexuelle (notamment le personnage de la Grande Folle, de la lesbienne butch/fem, ou du Steevy abonné au club de muscu), elle prétend à davantage de recul par rapport aux pièces « beaufs » de l’homosexualité. Elle passe pour ainsi dire du kitsch au camp, du rire à l’ironie et à l’auto-dérision, de l’idéalisation à la destruction. Les pièces communautaires, clairement affichées « homos », ciblent déjà une population homo un peu plus restreinte, une « clientèle labélisée » on va dire. Elles sont sponsorisées par Têtu, Le TangoPREF Mag, ou Yagg, et sont parfois programmées dans des festivals 100 % gay. On a l’impression qu’elles se jouent davantage « entre copains qui se connaissent », devant une assistance familiale, acquise d’avance, et triée sur le volet, que pour un large public néophyte. Contrairement aux comédies de boulevard, ici, les comédiens, ou l’auteur, ou le metteur en scène, si ce n’est pas les trois réunis, s’affichent clairement en tant qu’« homos ». Ce type de pièces est plus militant, plus politisé. Le personnage de l’homosexuel n’est plus seulement là pour faire rire : il monte aussi sur scène pour défendre son identité ou son amour homosexuels, et il est le personnage principal. Les références communautaires peu généralistes (lepoppers, les us et coutumes internes au monde homo, les pratiques sexuelles, le Sida, l’humour « langue de pute », la déportation sous le nazisme, etc.), les emprunts artistiques (la citation des chanteuses icones gay par exemple), et les private joke du « milieu homo », y sont plus nombreux. Les pièces communautaires, à la différence des pièces beaufs, ont tendance à jouer davantage sur la corde sensible et mélodramatique. On y voit certes toujours la même Zaza, mais cette fois, son maquillage coule, elle a une jambe de bois, elle a été défigurée dans un accident de voiture, elle a perdu sa jeunesse d’antan, elle se venge sur son public : c’est la femme violée et violente qui est mise à l’honneur dans ces pièces communautaires ; et l’amour homo déçu qui est chanté… même si, là encore, on assiste toujours à la même idéalisation aveugle de l’identité homo et de l’amour homo, quand bien même celle-ci soit pleurnicharde, plus raffinée (avec les gants de velours de Lisa Minelli), plus intimiste, plus chargée de pathos, plus cynique, plus chantante (au passage, il n’est pas étonnant qu’on trouve dans cette catégorie de pièces un plus grand nombre de comédies musicales : la nostalgie sentimentaliste est le carburant de ces spectacles 100 % gay qui empruntent énormément au music-hall).

 
 

3 – Les pièces psychologiques :

 
 

Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay

 

Souvent, les pièces psychologiques homos sont des huis-clos qui promettent d’être riches en analyse. Ils sont censés nous sortir de l’habituel marasme intellectuel dans lequel le théâtre LGBT semble plongé : on peut citer par exemple Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce, Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri, Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay, Homosexualité(2008) de Jean-Luc Jeener, Quand mon cœur bat je veux que tu l’entendes (2008) d’Alberto Lombardo, Un Cœur en herbe (2010) de Christophe Botti, Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, Une Journée particulière (1977) d’Ettore Scola, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig,Confidences (2008) de Florence Azémar, Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, Sur ma colline(2009) de Marc Weidemann, Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, Les Larmes amères de Petra Von Kant (1971) de Fassbinder, Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, etc.

 
 

Happy Birthday Daddy (2008) de Christophe Averlan

 

Ces pièces ne cherchent plus à faire rire ni à détruire les clichés de l’homosexualité. Elles mettent précisément en scène des personnages clairement homosexuels qui utilisent ces mêmes clichés de l’homosexualité pour soi-disant les « dépasser », les « transcender », en se positionnant intellectuellement en deçà de l’étiquetage post-moderne des sexualités. Ce théâtre d’introspection n’est ni chagrin, ni trop ennuyant à suivre, ni de la masturbation intellectuelle. Il vise à rejoindre les personnes homosexuelles au cœur de leurs réflexions et de leurs interrogations quotidiennes : on trouve ainsi un théâtre plus réaliste, plus proche de nous, où on peut aisément s’identifier aux protagonistes, où les méchants et les gentils n’existent plus. Il propose des dialogues parfois musclés et bien écrits, qui font réfléchir. Concrètement, on pourrait très bien dire qu’il s’agit de débats théâtralisés (sur la confusion des sentiments, sur le coming out, sur la vie de couple homo, sur les ambiguïtés du désir homosexuel, sur la diversité capricieuse de la communauté homosexuelle et de ses combats politiques), des discussions qui restent ouvertes même quand le rideau final est tombé. Le seul gros bémol de ces pièces psychologiques, c’est qu’on nous ressert toujours les mêmes thématiques (Comment faire son coming out ? Comment gérer l’annonce de son homosexualité au travail et avec la famille ? Comment lutter contre l’homophobie ? Faut-il vivre la fidélité exclusive au sein de son couple homo ? Faut-il adopter des enfants ou se marier quand on est homo ? Quel est mon rapport au communautarisme et au ghetto marchand gay ? Comment gérer l’arrivée de la vieillesse et le monde de la drague homosexuelle ? Homosexualité et foi, quelle issue ? etc.) pour mieux évacuer la question du bien-fondé de l’identité homosexuelle ou de la force d’amour du désir homosexuel. Toute résistance et contestation de ces deux piliers idéologiques de la communauté homosexuelle mondiale est interprétée au diapason de la victimisation homosexuelle et du rejet social homophobe. Du coup, on tourne autour du pot ; on n’affronte pas les sujets ; on brasse généralement de fausses problématiques puisqu’on ne veut pas questionner la nature authentico-artificielle (ou, si vous voulez, mi-aimante mi-violente) du désir homosexuel, ni les coïncidences de ce dernier ; on se focalise bêtement sur les « comment ? » plutôt que sur les « pourquoi ? ». La discussion de fond est alors prise en sandwich entre le témoignage émotionnel « je » (autrement dit, on nous livre un échantillon de portraits de personnages gay ou lesbiens qu’on veut sortir des archétypes habituels) et la réflexion désabusée sur la vacuité de la communauté homosexuelle, de l’identité globale de l’individu, ou de l’amour en général. Vu la perspective qu’offraient à priori ces pièces psychologiques, autant dire qu’on ressort vraiment déçu du sur-place intellectuel dont on a été témoin pendant une heure et demie, surtout si on aime habituellement creuser à fond un thème et qu’on a un tant soit peu de passion des débats où « ça parle de quelque chose » ! Alors je me tourne vers nos dramaturges homosexuels et j’ai envie de leur demander : Mais quand est-ce que les discussions qu’ils mettent en scène vont ENFIN décoller et que le théâtre homo sortira de ses bien-pensances pour nous bousculer vraiment ?

 
 

4 – Les pièces de l’homosexualité invisible :

 
 

Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo

 

Une autre grande famille de pièces homosexuelles est celle des créations de l’homosexualité de l’ombre, une homosexualité qui est vécue par des personnalités qui préfèrent la cantonner dans la sphère strictement privée : je pense à des créations comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, L’Orféo (2009) d’Alessandro Striggio, Macbeth (1623) de William Shakespeare, Guantanamour (2008) de Gérald Garutti, Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob, Casimir et Caroline (2009) de Ödön von Horváth, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, L’Héritage de la femme-araignée (2007), Doubles (2008), Les Frères du Bled (2010) de Christophe et Stéphane Botti, etc.). Loin de leur jeter la pierre à cause de leur manque de visibilité homosexuelle, je trouve au contraire que ces pièces gagnent en profondeur par leur pudeur et leur discrétion. D’ailleurs, en y assistant, on tombe souvent sur d’« heureux hasards », sur des indices d’homosexualité latente nichés presque accidentellement dans les textes ou dans l’intrigue, ayant miraculeusement passé le grillage du tamis de la censure homophobe : il faut généralement aller les chercher, et être un bon connaisseur des codes symboliques employés par le désir homosexuel, pour les identifier. Mais on y arrive sans trop de mal quand même !

 

On pourrait croire qu’il s’agit de pièces datant d’une époque révolue, où l’homosexualité n’était pas dite au grand jour parce que condamnée à la damnation et au silence (je pense par exemple au théâtre de William Shakespeare, Jean Cocteau, Federico García Lorca, Colette, Tennessee Williams, etc.), mais en réalité, il n’en est rien, et je ne pense pas que cette censure soit fondamentalement une question de contexte historique : elle a à voir avec la nature-même du désir homosexuel, qui se nie tout en se disant. Ce théâtre de l’homosexualité invisible revient actuellement en force (Fassbinder, Stefan Zweig, Harold Pinter, Jean-Luc Lagarce, Gilles Tourman, Jérôme Savary, Jérôme Commandeur, etc.), surtout dans notre climat social qui est de plus en plus à l’asexualité et à la contestation des nouvelles catégories marchandes de la sexualité (gay/lesbienne/bi/trans/hétéro).

 

 

Guantanamour (2008) de Gérald Garutti

 

Il s’agit d’un théâtre écrit ou joué par des artistes qui ne veulent pas placer leur identité homosexuelle ou leur amour homosexuel sur un piédestal, ni tomber dans un prosélytisme et un militantisme qu’ils jugent caricaturaux et agaçants. Attitude à priori intelligente et ouverte ! Cet éloignement par rapport au désir homosexuel a ceci de positif que ces spectacles crypto-gay nous proposent une pensée plus universelle sur l’amour, une distance critique salutaire nous permettant de laisser l’homosexualité à sa juste place de détail de notre identité. Le problème, c’est que le désir homosexuel y est tellement peu visible et peu assumé par ces « auteurs homosexuels de l’ombre » que leur approche de la sexualité est soumise à une censure qui appauvrit le sens de leur production. S’éloigner à l’excès du tableau homosexuel revient à le rejoindre sans s’en rendre compte, à le transformer en mur transparent qui nous empêche d’accéder à une pensée plus large sur l’identité et l’amour. Le désir homosexuel a beau ne pas être notre désir profond, il existe tout de même et est à prendre en compte : plus on nie le conditionnement dont il est le témoin et/ou l’agent, plus il nous conditionne à notre insu.

 

Cette catégorie de pièces est la moins facile à analyser au niveau des codes du désir homosexuel, car le sujet de l’homosexualité est peu présent dans les mots des comédiens. Fatalement, cela donne des textes moins riches pour l’homotextualité. Cela dit, plus on cherche à mettre un couvercle sur le désir homosexuel, plus il ressort d’une manière codée dans les discours, sous forme d’un hiéroglyphe dont le langage échappe même à celui qui l’a écrit. C’est la raison pour laquelle il n’est pas inintéressant de se pencher très sérieusement sur ces pièces de l’homosexualité invisible, en veillant toutefois à ne pas tout « homosexualiser » sous prétexte qu’on connaît par ouï-dire l’homosexualité de tel metteur en scène/comédien, ou que ces spectacles seraient l’expression d’une homosexualité latente indiscutable et divine du fait d’être effacée.

 
 

5 – Le Théâtre Queer, performer :

 
 

Cannibales (2008) de Ronan Chéneau

 

Dans un tout autre style, on retrouve le Théâtre queer. Il réunit des pièces telles que Jerk (2008) de Dennis Cooper, Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely, Le Frigo (1983) de Copi, Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, My Scum (2008) de Stanislas Briche, Des Lear (2009) de Vincent Nadal, La Star des Oublis (2009) d’Ivane Daoudi, Golgotha (2009) de Steven Cohen, Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, Le Cabaret des Utopies (2008) du Groupe Incognito, etc.

 

Ces pièces « originales », réservées à une élite culturelle issue des conservatoires d’arts modernes, font la joie des snobs en mal de créativité, haïssant l’art populaire… Le souci, c’est qu’elles font par ailleurs l’ennui de l’ensemble de la population normalement constituée ! Pénibles à suivre, il est fréquent qu’elles ne fassent pas l’unanimité (certains spectateurs quittent la salle avant la fin des représentations…), qu’elles rasent profondément leur monde (et pour cause ! : elles sont objectivement chiantes et traînent souvent en longueur). Elles ont pour caractéristique de ne pas faire rire. Elles sont jouées d’ailleurs avec un cérémoniel sérieux : même les « pétages de plombs » (s’il y en a) des comédiens, qui au départ faisaient sourire par leur hilarité parfois hystérique, finissent par glacer l’assistance tellement ils arrivent de manière impromptue dans l’intrigue et semblent involontaires, égoïstes. Mais attention ! Il ne faut surtout pas critiquer ces pièces queer ni dénoncer leur nullité : car c’est de l’Art ! et l’Art n’aurait absolument rien à partager avec l’éthique ! Bien évidemment, ces oeuvres dramatiques n’ont pas toujours de trame narrative ou d’histoire à raconter. Elles procèdent de l’écriture automatique. Elles sont des terrains d’expérimentation, des « laboratoires de l’acteur » comme dirait Hélène Zidi-Cheruy. Elles utilisent toujours les mêmes ficelles idéologiques et esthétiques : la scatologie, la pornographie, les drogues, l’anticléricalisme, l’attaque du pouvoir politique et des bourgeois, les dialogues incohérents, l’association de mots par homophonie et non pour leur unité de sens, le Pop Art à la sauce seventies, etc. Il existe une étroite collaboration entre théâtre homosexuel queer et nouvelles technologies, arts audiovisuels. Les dramaturges de l’homosexualité anti-normative aiment mélanger le théâtre avec l’outil multimédia, la photo, les effets spéciaux (images au ralenti, en accéléré, sur écran géant, déformées ou liées à des sons inédits, etc.), la danse, le cirque, les jeux de lumières, les écrans de télévision occupant toute la scène, les décors design et improbables, les arrangements musicaux électro, etc. Le théâtre queer louvoie avec le cinéma, la musique, les arts plastiques, et surtout leshappenings (ceux qui cherchent à tout prix à surprendre et à provoquer leur public, quitte à le maltraiter). Généralement, à la fin de la représentation, on a envie de souhaiter bon courage au personnel de ménage ! Les comédiens ont laissé derrière eux un beau bazar ! (eau sur scène – quand ce n’est pas sur le public ! –, peinture, faux sang, farine, œufs, acte iconoclaste à l’encontre d’une toile ou d’un miroir, pluie de polystyrène, etc.). Les pièces queer semblent se tourner vers le passé (par exemple, elles réadaptent au « mauvais goût » du jour les pièces du répertoire dramatique classique : je pense notamment à la mise en scène de La Religieuse (1760) de Denis Diderot par Anaïs Gabay en 2008, à l’adaptation « libre » duFunambule (1958) de Jean Genet par Pierre Constant en 2008, à la pathétique mise en scène d’Une Saison en Enfer d’Arthur Rimbaud par Nâzim Boudjenah en 2008, à la version SM des Précieuses Ridicules de la pièce de Molière par Damien Poinsard, etc.)… mais ce retour vers la tradition n’est que poudre aux yeux : il ne s’agit pas de « faire mémoire » ni d’honorer les ancêtres, mais au contraire de travestir l’histoire dans un esthétisme « trash-bourgeois » loufoque, qui n’a la puissance que des intentions ( = la dénonciation anti-fasciste et la défense de la liberté illimitée) et du mime. Les artistes néo-baroques s’imaginent que mimer le problème supplante l’action ou la recherche de solutions : la monstration muette d’une violence déproblématisée et livrée brute sur scène serait à elle seule un acte politique « ultra révolutionnaire », « jubilatoire », « courageux »… alors que rien, concrètement, n’est proposé.

 
 

Golgotha (2009) de Steven Cohen

 

Il y a dans ces pièces queerisantes pour snobinards soixante-huitards laïcards quelque chose de la nostalgie désabusée des enfants « désenchantés » homosexuels. On nous fait assister à un jeu de massacre (massacre des mots, des styles, des corps…), avec des comédiens qui se prennent pour des objets et qui miment sur leur propre corps, asexué pour l’occasion, nu de préférence, morcelé, puant, et sanguinolent, une oppression sociale mécaniste dont la communauté homosexuelle, et l’ensemble des êtres humains dont elle serait la digne représentante, pâtirait.

 

En quelques mots, ce théâtre sent le style bobo des trentenaires gauchistes dégoûtés par la gauche, déçus par l’amour en général, en panne d’identité. Ils nous déversent leur mal-être dans un romantisme sale et un peu « barré ». Si bien qu’après avoir vu leur déprime, on hésite à applaudir à la fin tellement on a trouvé ça minable. Leur délire narcissique et solitaire fait chier tout le monde, mais personne n’ose le dire. Les pièces queer n’ont qu’une seule chose à nous apprendre : c’est qu’elles n’ont justement rien à nous dire (du moins, c’est ce qu’elles donnent à croire !). Ayant choisi la révolte, l’anticonformisme et la destruction comme moyens privilégiés d’expression, elles imposent l’action par l’image, l’affirmation de l’identité humaine sur le mode de l’éclatement et de l’exhibitionnisme morbide. Selon elles, on n’« est » pas : on « devient ». On n’a pas de sexe (« le sexe, c’est une construction culturelle ») mais seulement un « genre » (genre mouvant, fluctuant, multiple, et indéfinissable). On n’est pas réel : notre corps est poétique et clinique. On n’a pas d’orientation sexuelle ni de désir permanent : on vibre pour « quelqu’un » quel que soit notre/son sexe, on « ressent », on est « amoureux », on est tous des anges, on vit d’extase, … et surtout on meurt. Inutile de dire que cette vision nihiliste et planante de l’amour témoigne d’un profond éloignement des réalités humaines, sociales et politiques (même si le mouvementqueer politise à l’extrême son verbiage poétisant pour nier qu’il fume un peu trop de la moquette…) et qu’il encourage scéniquement à toutes les excentricités. Mais ne nous laissons pas impressionner par ce pseudo bordel « insensé » qui n’est transcendant qu’en intentions : il est bien plus organisé et signifiant que ce que ses auteurs disent. C’est le foutoir organisé des surréalistes. Après tout, ce n’est pas parce que certains surréalistes ne se comprennent pas eux-mêmes que leur partition néo-baroque dissonante n’est pas déchiffrable par d’autres. Je dirais même plus ! Moins une pièce prétend donner du Sens, plus ce que son inconscient symbolique exprime en a !

 
 

6 – Les one-man-show homosexuels :

 
 

La Lesbienne invisible (2009-2010) d’Océane Rose-Marie

 

Dans cette catégorie, je classerais des œuvres telles que Vierge et Rebelle (2008) de Camille Broquet, Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Entre fous émois (2008) de Jarry, Jérôme commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, La Lesbienne invisible de Océane Rose-Marie,Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, Les Colocataires(2008-2010) de la Troupe d’Improvisation du Bout, J’ai jamais été aussi vieux (2010) de Pierre Palmade, Madame H. racontant sa Saga des Transpédégouines (2007), Nana allume la mèche (2009) de Nana,Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet,Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Les Histoires d’amour finissent mal en général (2009) de Jérôme Loïc,Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin, Le Jardin des Dindes (2009) de Jean-Philippe Set, etc.

 

Il existe un genre particulier de spectacles communautaires homos qui ne sont pas exactement des « pièces » à proprement parler : je veux parler des sketchs de cafés-théâtres, des performances dans les cabarets transformistes, des one-man-shows, et des stand-up. Comme ces représentations mêlent témoignage personnel et humour, et qu’en plus elles sont fondées sur la rapidité des répliques de leurs vedettes qui doivent enchaîner tout un tas d’idées à la seconde et passer du coq à l’âne, elles constituent d’autant plus une mine de renseignements capitale sur le désir homosexuel (Le registre comique ne repose-t-il pas en soi sur l’art de faire rire en disant pourtant les plus grandes vérités ?). Personnellement, ce sont dans ces one-man-shows apparemment légers et anodins que j’ai trouvé le plus de références involontaires aux codes de mon Dictionnaire symbolique du désir homosexuel. En plus de nous divertir, ils nous renseignent de manière très précise sur les liens qui unissent viol et homosexualité. Nous aurions tort de ne les considérer que comme de simples bouffonneries. Ils ont le charme, l’interactivité et la drôlerie des spectacles de transformistes, certes, … mais aussi la détresse existentielle et identitaire du travesti cinématographique. Je vous les recommande spécialement.

 
 

Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé

 
 

7 – Les pièces qui sortent du lot :

 

Je n’ai pas la recette d’une pièce homo réussie, rassurez-vous. Je n’ai pas non plus la clé du succès ou au contraire du « flop » d’un spectacle. Il y a tellement de facteurs extérieurs qui rentrent en ligne de compte en dehors de la pièce en elle-même et de ses comédiens, tellement d’ingrédients différents qui concourent à cette alchimie de la scène ! Le théâtre, inutile de le dire, c’est du spectacle vivant, donc, par conséquent aussi, perpétuellement étonnant. Une pièce peut être super bien écrite mais mal interprétée ; tout comme elle peut être intelligente et pourtant mal comprise par son époque ; ou bien mal écrite et sauvée in extremis par le charisme de ses interprètes[3]. Elle peut très bien parler d’un sujet bidon en substance, et quand même développer par l’humour et l’imaginaire un humanisme épatant. Je trouve que des pièces comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Western Love (2008) de Nicolas Tarrin, Fatigay (2007) de Vincent Coulon, Tante Olga (2008) de Michel Heim, Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Coming out (2007) de Patrick Hernandez (et y compris Le Clan des Divorcées(2006) d’Alil Vardar, avec l’explosif travesti Brigitte !), Se dice de mi en Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, sont de vraies réussites, quand bien même elles ne nous aient pas emmenés super loin dans la réflexion sur l’homosexualité. Je les ai beaucoup aimées, et les reverrais avec plaisir. Concernant le théâtre homosexuel, j’ai bien sûr des préférences et des conseils : mon cœur est allé à des pièces comme Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri (une des plus grandes pièces de réflexion sur l’homosexualité à mon avis), Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener (même si les discours prêtés aux hommes d’Église sont encore caricaturaux, malgré les efforts fournis pour les renouveler), Parfum d’Intimité(2008) de Michel Tremblay (un bijou de finesse signé Christian Bordeleau), Confidences (2008) de Florence Azémar. Mon podium (encore soumis à modification, car j’ai du temps devant moi pour découvrir d’autres pièces!) reste décerné au Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig (la pièce qui touche au plus juste à la face despotique du désir homosexuel), au one-woman-show d’Océane Rose-Marie La Lesbienne invisible (je ne m’en suis pas encore remis, de ce spectacle !), et au numéro indescriptible Entre fous émois(2008) de Jarry (mise en scène de Gilles Tourman ; Jarry utilise une flopée de « mes » codes homosexuels ! Il y en a un à toutes les phrases… et le pire, c’est qu’il ne le fait même pas exprès !).

 
 

Entre fous émois (2008) de Jarry

 

Après, on peut se demander à juste titre s’il suffit qu’une pièce nous fasse rire aux éclats, nous donne la chair de poule, ou nous arrache des larmes, pour décréter qu’elle est « bonne ». En effet, concernant la production dramaturgique homosexuelle, je continue de la trouver « moyenne », voire presque toujours médiocre. Il faut faire attention à ne pas nous fier qu’à notre perception instantanée (et pas toujours distancée) d’une pièce, et à ne pas nous laisser déborder par nos émotions immédiates, par le rire et la sympathie instaurés par la chaleur d’une salle de spectacle conviviale, par l’habileté et le bagou de certains show men capables d’improviser à partir de rien et de combler la possible absence de contenu d’une œuvre par un surinvestissement sur la forme.  Certaines pièces nous font objectivement ressentir des émotions peu banales (larmes, éclats de rire, peur, curiosité, etc.) mais pourtant instinctives et peu reliées à la force de leur(s) message(s). Et ce n’est que bien après, en rentrant chez soi, qu’on se pose la question fatidique : « Mais que m’a apporté la pièce que je viens de voir ce soir, qui m’a bien plu sur le moment mais que j’aurai oubliée dans un an ? En quoi elle m’a ouvert d’autres horizons, m’a appris des choses sur moi-même et sur les autres, m’a questionné en profondeur sur ma société ? Je ne demande rien de compliqué, pourtant. Juste un peu de bon pain pour m’émerveiller toujours davantage de la beauté du monde et des êtres humains. Au-delà des blagues, des bons jeux de mots, des rires, du talent indéniable des comédiens, de l’originalité de ce que j’ai vu, du strass, des beaux costumes et des jolies chansons, quelle personne ou quelle idée forte, quelle vérité ou quel combat tous ces instruments dramaturgiques ont-ils servi ? » Si on prend vraiment le temps de se poser la question, on se rend compte que quasiment aucune pièce homosexuelle ne nous apporte de quoi étancher un minimum notre soif de Vérité. C’est la raison pour laquelle je persiste à dire que je n’ai pas encore trouvé de production dramaturgique LGBT qui me comble pleinement dans ma recherche de définition de l’homosexualité. Je ne désespère pas. Encore faut-il que l’ambiguïté divisante du désir homosexuel (un élan humain mi-aimant, mi-violent) soit reconnue sans révolte, et que le lien non-causal entre viol et désir homosexuel soit traité et osé sur nos planches bien frileuses. Antonia, please, réchauffe-nous un peu tout ça avant qu’on s’endorme.

 
Antonia 2

Antonia Malinova dans Marilyn en chantée (2008) de Sue Glover

 


[1] J’ai décidé de ne pas traiter des concerts, même si je n’ai pas pour autant délaissé les spectacles musicaux, les comédies musicales, et les musicals.

[2] J’ai commencé officiellement à faire du théâtre à 20 ans, en 2000, à Angers, à l’atelier de Xavier Vigan (même si c’est l’Église catho et mes engagements en aumôneries des lycées ou des étudiants qui m’ont en réalité bien formé à la générosité…). J’ai ensuite endossé presque par accident le rôle du dictateur Salazar dans la pièce Les Longues Vacances de Salazar (1997) de Medeiro à la faculté de Villejean à Rennes en 2003, sous la direction de Graça Dos Santos, et ce fut la révélation. J’ai été quasiment deux heures sur scène, et le seul garçon de la troupe universitaire ! S’en sont suivies deux années dans la troupe franco-portugaise Cá et Là de Graça Dos Santos, alternant théâtre de rue et représentations publiques dans les ambassades. À l’été 2007, je vis une semaine de stage d’été aux Cours Florent qui m’a marqué à jamais car elle a été animée par la talentueuse metteur en scène et actrice bulgare Antonia Malinova (dans ma promo, j’ai eu le privilège de rencontrer des comédiens et comédiennes de qualité : Charles Poitevin, Alexia Erb, Aurélie Balaes, Marie Bigot, etc.). L’inscription aux Cours Florent à l’année sera pourtant une erreur. Je ne me suis pas retrouvé dans l’ambiance de compétition entre théâtreux qui se prennent très au sérieux. Je sors de là au bout de 6 mois seulement. La seule amitié forte que j’en garde, c’est celle avec un petit prodige du théâtre, un gars que je surnomme « JT » (= Jérôme Thibault), un inclassable, comme moi, avec qui je suis toujours en contact et qui va certainement être reconnu dans quelques années. Après l’expérience Florent, pour ne pas ressortir dégoûté du théâtre, j’accepte de jouer dans une petite production de Silvio Pistone, Ainsi va le monde, au Petit Théâtre du Bonheur, à Montmartre. J’enchaîne presque aussitôt avec deux années à l’École du one-man-show Le Bout à Pigalle, à l’atelier de Yoann Chabaud. Je retrouve le plaisir de la scène et du public. Je me réconcilie avec le théâtre et décide de placer ma priorité théâtrale dans la quête de Vérité (À quoi sert une œuvre théâtrale si elle est désarmée et sans combat ?) et la convivialité. Le registre de l’humour me plaît particulièrement: je trouve qu’il développe beaucoup plus de facettes d’une personnalité que la pure tragédie. En septembre 2010, je laisse le Bout pour intégrer l’atelier d’écriture du comédien-metteur en scène Christophe Botti, avec 10 autres artistes qui veulent également se lancer dans l’écriture d’une pièce à eux. J’ai un projet solide d’une pièce traitant d’homosexualité (comme par hasard…) sous le coude. Et elle est bien partie pour voir le jour d’ici un an !

[3] La comédienne et actrice Marina Foïs, qui a relevé incontestablement le niveau de la pièce pourtant décousue de Copi,La Tour de la Défense (mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo en 2005 au Théâtre de Bobigny), en fournit une parfaite illustration.

 

 

Éloge de la masturbation

Éloge de la masturbation

 

 

On a dit « Pas de tabou ! » ? Alors pas de tabou ! ^^

 

« Al revés te lo digo para que me entiendas ». Depuis très longtemps, j’avais envie de parler de masturbation. Mais j’avoue à présent que si j’ai mis autant de temps à me lancer, c’est que très concrètement, je n’arrivais pas à harmoniser mes actes avec mes conclusions sur l’acte masturbatoire, ni ma pratique intime avec mes bonnes résolutions d’arrêter. Je luttais à coup de volonté, tombais, me relevais, retombais, relativisais en banalisant l’acte, tombais à nouveau… Et puis un jour, après des années d’addiction remontant à l’adolescence, ça s’est terminé, je ne comprends pas trop pourquoi. Je ne sais pas si c’est définitif, mais en tout cas, ça semble durable. J’ai remarqué que l’onanisme – tout comme l’addiction à la pornographie d’ailleurs –, on a du mal à en parler uniquement quand on en est esclave, alors qu’on peut soudain traiter du sujet sans complexe et en toute liberté, sans crainte d’être pris en flagrant délit ou de tomber dans l’exhibitionnisme, une fois qu’on en est durablement libéré. Difficile de tricher dans ce domaine-là, finalement. En parler est forcément signe d’une libération !

 

Pour commencer, j’aimerais dire que ce nouveau Phil de l’Araignée n’a rien d’un article moralisant (même s’il traite objectivement de morale et qu’il porte un jugement de valeur sur certains actes) : il ne juge pas les individus, n’a rien d’une « croisade anti-masturbation ou anti-porno ». Il m’est difficile de condamner les personnes qui pratiquent la masturbation ou qui sont « addict » aux films pornos. Il m’est difficile de me moquer de ceux qui ont une sexualité compulsive ou qui vont de temps en temps dans les sex shop, dans les saunas, ou sur les lieux de drague et de prostitution. Tout simplement parce que je suis pareil qu’eux, et que moi-même j’ai eu beaucoup de mal à quitter ces paradis artificiels pour me permettre un jugement de personnes ! Je ne suis pas parfait et je ne suis pas non plus à l’abri de rechuter. La génitalité, c’est vraiment le talon d’Achille des êtres humains en général, et des mecs en particulier. Je ne m’exclus donc pas du tout du tableau. L’homme « mâle » est très faible en matière de sexualité. Ses pulsions sexuelles sont un tel ouragan en lui que finalement, je crois que seuls une femme aimante ou bien Dieu peuvent vraiment les canaliser et l’aider à contrôler durablement sa « bête intérieure » pour la transformer en un étalon bien dompté qui gagnera toutes les batailles. Oui, je reconnais que, concernant la gestion de ma génitalité, je n’ai pas toujours été un modèle… même si je ne peux pas dire non plus que je sois une catastrophe ambulante ! En tout cas, ces moments de bassesse que personne ne connaît ne sont, au regard de l’amour et avec le temps, ni une honte absolue (je ne m’auto-flagellerai pas après vous en avoir parlés ^^ : il y a 1000 fois plus grave) ni des actes pour autant glorieux à raconter. Personnellement, je ne suis jamais allé dans les saunas. En revanche, dès l’âge de 16 ans, j’ai regardé en cachette de mes parents, dans l’angoisse nocturne et tremblante d’une télé allumée à 3 heures du mat’ dans le salon familial, des films pornos enregistrés – puis immédiatement effacés – sur cassettes VHS. Je crois que j’ai commencé à me masturber « tard » par rapport à certains garçons de mon âge ; de plus, cette expérience excitante et « risquée » des films pornos, je ne l’ai jamais vécue en collectivité, avec deux-trois copains avec qui j’aurais pu partager ces cochonneries pour « rigoler » et se masturber ensemble ; je n’ai pas eu non plus l’occasion d’échanger des revues sous le manteau avec des potes de collège et de lycée ; ma connaissance du milieu désincarné du sexe marchand est restée très solitaire. Ce n’est ni un bien ni un mal, c’est comme ça. Par la suite, en grandissant, j’ai persisté dans une addiction aux images pornographiques. Parfois avec culpabilité, parfois avec détachement et nonchalance. Les sex shop, je m’y suis déjà rendu 2-3 fois. Je connais le malaise indifférent qu’on y ressent, à l’entrée comme à la sortie, la honte et parfois la colère qu’on éprouve face au DVD qu’on a acheté les yeux de la tête et qu’on ne revisionnera pas plus de 4 fois (d’ailleurs, ça m’a toujours halluciné, cette rapidité de lassitude et ce manque de pérennité de nos films pornos préférés qu’on avait pourtant idéalisés dans nos fantasmes avant de les posséder et de se rendre à l’évidence qu’ils n’avaient la saveur que de l’inaccessible). D’autre part, je connais aussi ces aventures sexuelles d’un soir ou d’une semaine, dictées par la précipitation, avec des personnes rencontrées furtivement sur Internet, avec qui on passe une nuit parce qu’on a fait son petit caprice, qu’on a besoin de tendresse, qu’on a cédé à la luxure, et qu’on veut surtout ne pas réfléchir aux conséquences de ses actes. Si je suis honnête avec moi-même, et que j’arrête de ré-écrire ces histoires de lit avec mes bonnes intentions (genre « Même pour les couples d’amour vrai, il a bien fallu une première fois… » ; « Quand j’ai couché avec ces personnes, ça n’a jamais été sans tendresse, sans respect, sans sincérité, ni dans l’idée que ça allait s’achever 3 jours après… » ; etc.), je dirais qu’elles ont été des « plans cul » déguisés. Oui : pour se masturber en toute bonne conscience, on est prêt à tout ! Pour ne pas faire cet acte stérile tout seul, on est disposé, s’il le faut, à entraîner tout un cortège d’amants occasionnels en prétextant l’amour pour au final se masturber à travers l’autre ! L’égoïsme à deux existe, et est puissant. Il ne suffit pas d’être deux pour s’aimer et faire disparaître l’égocentrisme de l’onanisme. Le coït sexuel sans amour, c’est purement et simplement l’alliance de deux personnes qui désirent vivre l’égoïsme de la masturbation sans en éprouver la conscience, la culpabilité, ni la honte. Il y a une pratique secrète de la masturbation qui porte les doux noms de « mariage », de « tendresse », de « couple », ou d’« amour ». Pourtant, même un homme marié n’est pas à l’abri de prendre sa femme pour une poupée gonflable ou un « sac à sperme » (désolé d’être aussi cru dans les termes, mais c’est cela parfois). Même au sein d’une relation de couple politiquement correct, la convoitise et la recherche égoïste de plaisir peuvent prendre le pas sur l’amour. Je crois par exemple que plus les positions sexuelles se diversifient (façon kâma-sutra) et s’éloignent de la manière la plus simple de faire l’amour[1] – à savoir le face-à-face tendre avec pénétration vaginale de l’homme –, plus cela indique une consommation mutuelle qui va s’orienter vers la violence et vers une rupture à plus ou moins long terme.

 
 

 

Que dit la masturbation ? Rien ne sert de la définir comme un « vice » si on n’explique pas en quoi elle est moralement condamnable. À mon sens, elle dit une relation à soi-même consumériste (quand on se masturbe, on se place en principale source de son propre plaisir : on se goûte soi-même, on jouit de soi, on s’offre sa petite gâterie, on ne le fait pas au grand jour parce que c’est un acte qui ne se partage pas et qui est par essence autocentré). Elle dit une relation bestiale (la masturbation est une activité que nous, êtres humains, partageons avec nos amis les bêtes), une relation imaginaire et narcissique (pendant la masturbation, les fantasmes l’emportent sur le Réel, les images de nos magazines et des films pornos défilent dans notre tête pour se substituer au monde ambiant), une relation égocentrique, par défaut et ratée (honnêtement, si on pouvait faire l’amour avec une autre personne que soi-même, une personne qu’on aime vraiment et qui nous plaît, on le ferait), une relation adolescente (quand on a une pratique sexuelle qui se limite à la masturbation, on a l’impression qu’on n’arrive pas à passer à l’étape supérieure, à accéder à une manière d’aimer plus adulte), une relation compulsive (la masturbation, cet ébranlement nerveux physique, soulage sans guérir), une relation blessée et névrotique (voire pathologique : il existe un lien – non-causal – entre masturbation et psychiatrie dont il faut parler : la masturbation, quand elle se systématise, induit/illustre des troubles psychiques et affectifs réels – je pense à certaines personnes handicapées, à des graves accidentés, ainsi qu’à certains criminels passés à la postérité, qui se masturbent souvent –  ; cette réalité est cachée, car celui qui s’adonne à cette pratique est à la fois sa propre victime et son propre agresseur : l’attouchement de ses parties génitales vient d’une seule personne – lui-même – et procure du plaisir mais de manière forcée ; c’est en quelque sorte de l’auto-viol.). En somme, la masturbation, une fois passé le bon moment de l’orgasme d’une minute trente, est une sexualité de l’échec, qui dit un non-amour faisant parfois violence. Concrètement, même si elle semble très physiologique, mécanique, naturelle et prosaïque, elle est en réalité une action particulièrement irréelle, connectée à notre imaginaire, à nos projections fantasmatiques. C’est une simulation d’amour ; pas un amour vrai. Pourtant, on semble poser les gestes de l’amour, on stimule sur nous-même les réactions physiques qu’on attendrait de l’accouplement génital classique (visage grimaçant, cris de jouissance, gémissements, yeux fermés, caresses, tendresse, légère auto-brutalité, nudité, respiration coupée, paroles de possession ou d’extase, etc.) mais sans l’âme qui va avec. C’est là tout le paradoxe de la masturbation : cet acte trivial est plus abstrait que réel. D’où sa légère mais effective violence.

 

La luxure apporte certes la jouissance mais pas le plaisir, le défoulement mais pas le bonheur, le soulagement mais pas la paix. Qu’on en soit conscient ou pas, juste après s’être masturbé, on se sent mal, vidé, inutile, un peu triste. L’expression « se vider les couilles » l’exprime bien. On a fait l’amour à une image qui ne nous rendra rien en retour. Le produit de cette excitation passagère finit dans un sopalin ou au fin fond d’un lavabo. Si on regarde rétrospectivement dans quels contextes on s’est masturbé, on constate que c’est toujours lié à des périodes de misère affective, d’éloignement de la prière, d’isolement ou de surmenage professionnel plus ou moins conscientisés, de repli sur soi, de tristesse, de vide existentiel. Même si, au demeurant, on a une vie très remplie, qu’on peut se masturber dans des contextes très publics (entre deux activités ou deux soirées), qu’on est connu pour être quelqu’un d’hyper sociable, on sait au fond de nous que la masturbation est un caillou dans la chaussure de notre existence, un élément qui montre qu’on ne se sent pas assez aimé ou qu’on n’aime pas comme on voudrait profondément. Oh… certes, ça ne fait pas de nous un renégat, ça ne nous empêchera pas de vivre, d’avoir des amis, de continuer notre bonhomme de chemin à faire des choses pour les autres… mais ça ne nous comble pas de joie. Plus que mauvaise, la masturbation est inutile. Et l’inutile ne gâche pas une vie, mais du moins l’encombre, l’alourdit petit à petit, jusqu’à l’empêcher de s’incarner, de se déployer avec joie.

 
 

Quelques pistes

 

La première chose à faire pour arrêter la masturbation, c’est déjà de ne pas lui accorder l’importance qu’elle n’a pas, ni en bien (exemples : « Tout le monde la pratique, alors pourquoi pas moi ? », « Y’a pas de mal à se faire du bien ! » ; « Elle est un plaisir intense, incroyable, et incomparable », « Elle est un besoin vital, quasi hygiénique, pour évacuer notre sur-plus d’énergie : c’est limite dangereux pour la santé que de s’en priver ou de la réfréner : c’est comme s’empêcher d’aller pisser », « Dans les camps de concentration, ils n’avaient que ça pour se sentir vivants, alors… », « Elle évite la frustration et empêche même les viols ou la pédophilie : si on permet aux violeurs de se soulager de temps en temps, ça leur évite de passer à l’acte et de s’acharner aveuglément sur une tierce personne ! », « Laissons les personnes avec un lourd handicap et privées des bienfaits inénarrables de la génitalité conjugale normale vivre un semblant de sexualité, même si c’est avec elles-mêmes », « La culpabilité qu’on ressent juste après ‘l’avoir fait’ est naturelle : ‘post coïtum, animal triste’ dit le proverbe… », etc.), ni en mal (exemples : « C’est une pratique mauvaise, diabolique, et qui n’épanouit jamais l’être humain. », « C’est un acte exclusivement égocentrique, totalement à la gloire du plaisir égoïste. », « Les onanistes au bûcher ! », « Il faut surveiller étroitement les enfants et les adolescents pour qu’ils ne tombent pas en tentation… », « La masturbation est un gaspillage de l’énergie vitale censée s’orienter exclusivement vers la procréation et le don de la vie ! », etc.). La masturbation ne doit pas devenir une obsession ; c’est juste la partie émergée de l’iceberg, un problème bénin qui en soulève d’autres plus lourds. Nul besoin de dramatiser. Dire que la masturbation « c’est mal en soi » est aussi ridicule que d’affirmer que le vin, le sexe, la bouffe, la clope, Internet (…Facebook !), « c’est pas bien ». C’est uniquement l’abus d’une bonne chose qui est mauvais, pas la chose en elle-même. S’exciter génitalement avec une personne qu’on ne prend pas pour un objet de consommation, pour une aventure de passage qu’on paye par le plaisir pour « se faire du bien à deux », cela s’appelle tout bonnement de l’amour vrai et ça ouvre concrètement à la vie, au plaisir vrai, et parfois aux enfants. La masturbation n’a pas à nous scandaliser, ni à faire l’objet d’un interdit. Elle fait partie de la nature humaine à ne pas développer, mais à reconnaître et à dompter. Plus l’envie de celle-ci sera reconnue comme le germe d’un désir sain de se donner entièrement à la personne aimée, comme un goût pour le plaisir et les bonnes choses, comme une énergie de vie incroyablement forte qui peut faire merveille une fois qu’elle est canalisée vers une juste cause, plus elle s’épuisera d’elle-même et mourra de sa belle mort. J’en suis témoin. L’adolescent en nous peut mourir et laisser place à l’homme nouveau, adulte, et ce, durablement. Cette mue peut prendre des années… mais pas des siècles !^^. Adoptons un regard d’éternité et non une temporalité strictement humaine vis à vis de notre pratique de la masturbation, et plus jamais nous ne serons tentés de nous décourager, de la laisser gagner. Qu’est-ce que la gravité de nos petites chutes et de nos égoïsmes génitaux ponctuels face à la grandeur aimante de l’Éternité ? Pas grand-chose finalement.

 

Que faire d’autre pour arrêter ? Alors déjà, je conseillerais une chose : c’est de ne pas trop s’isoler et de voir du monde dans les moments où on se sent sur le point de « craquer ». On se masturbe toujours dans un contexte d’isolement social. Si on voit du monde, des amis, si on agit bénéfiquement pour les autres, on est moins tenté de « s’astiquer le tuyau d’arrosage » que pendant une après-midi pluvieuse, en rentrant du boulot, pour passer le temps, un soir d’automne morose. Si on y pense bien, c’est souvent l’emmerdement et l’inactivité qui encouragent à la masturbation. Quand on ne se fait pas chier dans sa vie, quand on se bouge pour les autres, qu’on a des perspectives professionnelles ou artistiques exaltantes, quand on aime profondément son partenaire, qu’est-ce qu’on a besoin de se chercher des palliatifs aussi minables que la branlette ? Hein, franchement ?

 

Également, je préconiserais l’éloignement des images pornographiques et d’Internet qui stimulent notre imaginaire. Rien ne sert de se mettre inutilement en danger et de s’approcher de la boulangerie quand on sait qu’on crève la dalle. Et puis si on tombe accidentellement sur une affiche de film aguichante, sur un sulfureux panneau publicitaire avec un beau mannequin dénudé ventant les mérites d’un yaourt ou d’une crème auto-bronzante, ou bien sur un site internet porno, rien ne nous enlève notre liberté de fermer les yeux. Ce geste simple est déjà une action (avouons-le : combien de fois on se réjouit intérieurement de se rincer l’œil en camouflant notre opportunisme voyeuriste par le fait que nous n’ayons soi-disant pas programmé de voir la scène chaude d’un film que nous avons/aurions regardé tout à fait innocemment ?). Être tenté visuellement n’est ni un péché ni entrer en tentation : même Jésus a été tenté ; et puis il y a un pas entre sentir un désir et s’adonner en actes à son désir. Ressentir n’est pas agir, même si nos désirs peuvent encourager à poser un acte. Alors y compris face à une télé qu’on regarde passivement, bien installé sur notre fauteuil, notre maigre liberté s’exerce. Il n’y a pas plus simple (et plus coûteux parfois !) que de fermer les yeux quand on sent la scène de cul d’un film arriver. Nous avons toujours le choix de regarder telle affiche dans la rue ou pas, d’aller voir tel film ou tel autre. À nous de poser des choix concrets, de ne reculer devant aucun petit sacrifice (même insignifiant et caché de tous), de nous maîtriser, d’être notre propre censeur, sans devenir parano pour autant ni s’imposer une attention dictatoriale de tous les instants. C’est par nos petits efforts que nous nous élevons. Il ne faut pas lésiner sur les moyens pour devenir libre !

 

Par ailleurs, pour arrêter de se masturber, il faut cesser de penser que la masturbation lutte contre la frustration : ça, c’est un non-sens véhiculé par nos médias et l’opinion publique actuelle. Je pense même qu’elle encourage à la frustration ! On rencontre énormément plus de frustrés chez les individus qui se masturbent souvent, qui enchaînent les relations sexuelles sans lendemain et sans rencontrer l’amour, qui laissent libre cours à leur libido, leurs instincts, et leurs pulsions, ou au contraire qui ne les écoutent jamais, que chez les personnes qui les dominent et les canalisent le plus harmonieusement possible.

 

Enfin, pour les croyants catholiques pratiquants parmi nous, qui peuvent comprendre mon langage sans se gendarmer, je proposerais bien en « formule décapante bonus » la prière comme moyen de lutter durablement contre l’onanisme. C’est même le moyen le plus efficace, si vous voulez mon avis ! Il suffit de crier sincèrement vers le Seigneur, et si on L’accueille vraiment, il accoure en deux temps trois mouvements ;-). Je reconnais, avec le recul, que mes périodes de dépendance à la masturbation coïncidaient, même si j’ai encore du mal à me l’avouer, avec l’éloignement de l’Église-Institution ainsi qu’avec une baisse de ma vie de prière quotidienne. Alors ne nous laissons pas impressionner par ces nombreux écrivains laïcards actuels qui, dans un anachronisme grossier, et sur la base de vagues souvenirs de leur adolescence au caté (puisque cela fait belle lurette qu’ils ne mettent plus les pieds dans les églises), caricaturent les résistances de l’Église catholique à l’encontre de la masturbation en diabolisations du plaisir et de la sexualité qu’elles ne sont pas (« Chaque fois que j’ai un orgasme, je ressens un très fort sentiment de culpabilité après coup. C’est normal, ils l’ont bien dit au catéchisme : se masturber, ce n’est pas bien. Il faut se retenir jusqu’au mariage, sinon on va en enfer. »[2]). Moi qui ai fait toutes mes années de catéchisme, et qui maintenant suis des jeunes de CM1 pour leur faire connaître Jésus, je n’ai jamais entendu parler de masturbation en séances de caté (ni en bien ni en mal), ni reçu de discours diabolisant la sexualité, tout simplement parce que mes catéchistes s’attachaient plus à me parler de la grandeur des actes et des paroles de Jésus qu’ils n’étaient obnubilés à me parler de couilles, de bites, de seins, de contraception, de masturbation, et de préservatifs ! Et une fois adulte, tous les mots que j’ai pu entendre à propos de la masturbation, dans l’intimité d’un confessionnal avec un prêtre accueillant mes péchés (je précise que le sujet venait de moi ; jamais il ne m’a été soutiré), n’ont été que des tentatives pour laisser mes actes masturbatoires peccamineux à leur juste place de détails. Faut pas croire : c’est parce qu’on la minore que la masturbation prend trop de place dans notre vie, et non l’inverse ! Une fois qu’on la regarde face à face telle qu’elle est, on lui reconnaît sa taille moyenne, on défait ses lacets, on enlève ses chaussettes, on fait tomber le caillou de sa chaussure, et on n’en parle plus ! Personnellement, pour la masturbation et bien d’autres choses, je reconnais que j’ai bénéficié d’une aide précieuse : celle de saint Antoine de Padoue. Ne me demandez pas pourquoi. J’ai un truc avec ce saint ! Il est absolument incroyable. Il agit dans ma vie avec une efficacité remarquable et beaucoup d’humour. Après, paraît-il que la vierge Marie est aussi super efficace. Ces deux-là n’agissent pas à notre place, bien sûr, mais ils nous aident beaucoup. Alors nous aurions tort de nous priver de leur aide ! Autrement, il y a aussi le sacrement de réconciliation (jadis appelé « la confession ») qui libère très bien de la dépendance à la masturbation. Certes, il n’efface pas magiquement de notre mémoire certaines images venues polluer notre cerveau, mais en tout cas, il nous décharge instantanément (et durablement, à condition de le vouloir) d’un poids accumulé mine de rien par des mois voire des années de pratique auto-érotique. Une fois qu’on a reçu la douche de l’Esprit Saint et le sacrement libérateur du pardon, et qu’on a pris la ferme intention de changer, on assiste sans problème à la messe. On peut se tenir droit et propre devant le Seigneur, sûr d’avoir fait Sa volonté et d’être aimé. Le « Oh, comme je suis moche… » qui habitait notre cœur souillé par la masturbation devient un « Oh ! Comme je suis aimé ! », un réel décentrement. Alors que quand on s’est masturbé, on supporte moins bien d’assister à la messe, on supporte moins bien l’amour gratuit du Seigneur. Dieu nous accueille pareil, avec la même tendresse, mais c’est nous qui nous fermons, qui nous sentons en décalage et honteux parce que nous n’avons pas mis notre plus bel habit de fête. Nous servons en même temps Jésus et Rocco Siffredi… et cette dualité nous divise. On n’a plus le cœur à rentrer dans la joie de l’Eucharistie, dans la simplicité de la messe. Cette honte n’a rien à voir avec un soi-disant discours religieux culpabilisant (même suggéré ou inconsciemment intériorisé) que les prêtres nous auraient inculqué pendant l’Office (En plus, les actes de masturbation ne sont connus que de nous et de Dieu, en général). Ils ont à voir avec notre refuspersonnel de notre liberté (et donc de Dieu, car Dieu seul rend véritablement libre). La prière, l’observation des icônes saintes[3], le sacrement de réconciliation, l’exposition au Saint-Sacrement, l’écoute de la Parole de Dieu, l’amitié des frères, ont le pouvoir de purifier notre imaginaire (c’est Sartre qui, dans Saint Genet, disait à juste raison que l’imaginaire était l’autre nom qu’on pourrait donner au mal : il le distinguait d’ailleurs de l’imagination, beaucoup plus positive). Plus que tout, ce qui nous aide à sortir de la masturbation, c’est le don de sa continence/son abstinence non pas seulement à Dieu ou à soi-même (ce don-ci ne dure qu’un temps) mais aussi et surtout aux autres (d’où l’impact du témoignage public). Ce sont les intermédiaires incarnés entre Dieu et nous qui concrétisent notre continence, qui la rendent forte et brûlante comme l’amitié. Tout seul, nous n’avons pas les épaules assez solides. Si nous faisons vraiment de la masturbation une affaire de relation, d’entraide collective et humaine, si nous la sortons du privé et du petit contrat avec nous-même, ou entre Dieu et nous, nous aurons la force pour tenir bon! Nous ne pouvons plus nous contredire ni reculer une fois que la continence prend figure humaine, prend la forme d’une promesse concrétisée par l’Incarnation!

 

Enfin, chez les garçons, les « accidents nocturnes » (petits, on pissait au lit ; adultes, on « mouille le caleçon » de temps en temps, par des éjaculations incontrôlées…) ne sont pas graves. Quand on dort, on est quelque part plus vulnérable que dans la vie réelle, on se contrôle moins, on ne maîtrise pas tout. Le sommeil nous donne l’impression d’agir alors qu’on n’agit très peu en fait. Il est le langage de nos petits et de nos grands désirs, et parfois les prémisses de ce qu’on veut faire ou va vivre une fois réveillé. Il n’y a pas à culpabiliser de ces éjaculations presque spontanées. C’est normal qu’elles nous attristent un peu au réveil, car elles disent juste qu’on a été récemment tentés et stimulés sexuellement. Elles disent que notre désir de Dieu n’est pas encore assez unifié, libéré. Mais c’est tout. Pas de quoi en faire un fromage, ni de quoi les considérer comme des rechutes. Elles sont simplement des petites sonnettes d’alarme qui nous rappellent nos fêlures, et combien nous avons besoin de prier davantage.

 

Ultime moyen que je proposerais pour lutter efficacement contre la masturbation : c’est l’apostolat ; c’est en gros, lorsque c’est vraiment le cas, de dire publiquement qu’on a arrêté, comme je le fais ici avec vous ; c’est de poser le sujet sur le tapis et de proposer une réflexion collective. C’est sûr, c’est couillu comme démarche, un peu « limite » au niveau « respect de l’intimité » (après tout, ça ne pourrait regarder que moi), ça (m’)engage complètement. Mais au moins, après l’avoir fait, difficile de reculer, au risque de se contredire. Et en parler ouvertement comme je le fais, dans une forme de dénonciation mais aussi de proposition, forcément, ça ne revient qu’à s’auto-encourager ! C’est presque performatif. C’est l’impulsion donnée par le cri public de la libération. C’est comme une promesse lancée, qui sera belle si elle est tenue, et ultra-ridicule si elle n’est pas suivie des actes. C’est comme un contrat social, signé solennellement devant témoins. Un appel aussi. Évidemment, il n’est pas du tout habituel de sortir la masturbation du placard de l’intime dans laquelle on l’a soigneusement enfermée depuis des siècles. Il n’est pas politiquement correct d’en faire un contrat social, un sujet sérieux qu’on discute en grand groupe. Mais finalement, pourquoi pas, pour une fois, déroger à ce diktat sociétal, et la considérer à la fois comme une problématique personnelle soumise à la conscience individuelle et comme un vrai sujet de société, surtout si c’est fait sans exhibitionnisme, sans concupiscence, avec une vraie prise de position ? Qui a dit que la masturbation n’était qu’un acte circonscrit à la sphère du privé, qui n’avait de retombées que sur l’individu lui-même, qu’elle n’induisait rien dans les mutations et les crises sociales ? Pas moi, en tout cas ! Je suis sûr que si les hommes et les femmes de notre temps pensaient un petit moins à leur kiki ou à leur clito et ne se masturbaient pas, la Terre tournerait un peu mieux. La masturbation, c’est social et relationnel. Si ça devient exclusivement privé, c’est que cela nous arrange inconsciemment, et qu’on cautionne le caractère isolant du phénomène.

 

Les plus belles batailles dans une vie, c’est, je l’ai constaté à maintes reprises, celles qu’on a remportées contre soi-même. Contre sa paresse notamment. Mais aussi contre ses pulsions. Il est plus difficile de s’auto-réguler ou de s’auto-frustrer que de réfréner autrui. Et pourtant, l’Homme qui est maître de lui-même sera l’Homme le plus libre de tous. Il peut déplacer des montagnes. Il a remporté la bataille contre lui-même : il a donc franchi l’Épreuve du Feu. Certes, en s’attaquant à lui-même, il a choisi de renoncer à de très bonnes choses. Certes, il se fait un peu violence. Certes, il souffre un peu. Mais il s’agit de la souffrance du vaccin qui apporte la paix durable, pas de la souffrance qui détruit. Entendons-nous bien : la souffrance n’est pas le malheur. Dans une société qui cherche à évacuer de manière obsessionnelle l’effort et à nous éviter la moindre frustration/contrariété, cela ne peut que nous faire du bien de nous frustrer un peu nous-même de temps en temps, surtout pour des choses aussi inutiles et futiles que la masturbation. La clé de l’abandon de la masturbation, c’est sûrement de ne pas se décourager. La masturbation sera toujours un acte moins important que le retour à une sexualité plus ouverte aux autres, à l’Autre qu’est Dieu.

 

Pour finir, je précise que les pistes que je viens de proposer n’ont rien de magiques. Il n’y a pas de marche précise à suivre, mais juste des repères à connaître et à faire connaître. Dans mon cas personnel, je ne saurais pas définir exactement ce qui m’a fait stopper. C’est dire combien je n’ai pas de recette miracle et que ce que j’énonce n’a rien d’un code moral précis à respecter à la lettre, d’une chasse aux sorcières ! Ce sont des propositions, mais ce qui compte, c’est le parcours de chacun, et de suivre son cœur et sa liberté sans jamais baisser les bras. Je ne peux même pas dire que c’est grâce à la prière ou à mon retour à la continence que le déclic s’est produit. Parfois, j’avais prétexté Dieu et ça n’avait pas marché. D’autres fois, j’avais fait appel à mon volontarisme : ça ne durait qu’un temps également. Et puis bien entendu, dans les périodes où je m’unissais amoureusement avec quelqu’un, je n’éprouvais plus le besoin de me masturber : l’engagement entier à une personne a ceci de positif que cela compense les besoins génitaux minimum… Mais de l’adolescence jusqu’à aujourd’hui, je suis passé par bien des échecs. Alors mon discours n’est pas une injonction : il est une compassion !

 
 

Masturbation et homosexualité

 

Pour clore cet article sur la masturbation, je ne peux pas faire l’impasse sur les liens étroits qui existent entre elle et l’homosexualité (sujet extrêmement peu traité). Sans la réduire bien entendu à une pratique spécifiquement homosexuelle, on peut constater que la relation génitale homosexuelle se centre prioritairement sur la masturbation : beaucoup moins sur la pénétration, les caresses, le contact direct des corps, comme lors de l’accouplement dit « classique » entre une femme et un homme. Il peut y avoir bien sûr dans le coït homo de la tendresse (parfois plus que dans un rapport amoureux dit « hétéro » !), de la pénétration, du corps à corps, mais le rapport corporel est plus distancé, plus fantasmé, que dans un rapport génital entre partenaires différemment sexués… d’où une focalisation sur la pratique masturbatoire entre personnes homos.

 

 

Ce n’est pas un hasard si la masturbation est un leitmotiv des œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité. Par exemple dans le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, Jonathan, 18 ans, se masturbe devant des revues. Même topo avec le héros du film « Fotostar » (2002) de Michele Andina, enfermé dans le cabinet de toilettes, ou bien encore avec Francis, le personnage gay du tout dernier film de Xavier Dolan « Les Amours imaginaires » (2010), ainsi que Smith dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki. James, le héros du film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, exécute acrobatiquement une auto-fellation. Le protagoniste gay de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan se prend pour Narcisse et se masturbe sous la douche. Parfois, et non sans raison, la masturbation est marquée du sceau de la violence, de l’horreur… même si cette horreur est cantonnée dans le monde fictionnel et fantasmatique. Je pense au film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar, où le personnage principal se masturbe devant des films d’épouvante. Dans le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera, Roberto, pendant qu’il se masturbe tout seul dans son salon, s’adresse à quelqu’un que nous ne voyons pas à l’image mais qui le malmène (« Va te faire foutre connard ! Fils de pute ! »)… comme si le fantasme masturbatoire incarné en star du porno revenait sous forme d’amant diabolique. L’allusion à la masturbation dans la chanson « Une Fée, c’est… » de Mylène Farmer, l’égérie gay française majuscule, ne laisse aucun doute quand elle dit « Jeux de mains, jeux de M… Émoi. » Certains auteurs homosexuels comparent l’exercice d’écriture à la masturbation (c’est le cas d’Andy Warhol, Gil de Biedma, Néstor Perlongher, Chen Jianghong, Hou Junming, etc.). « Le jeu de faire des vers, qui n’est pas un jeu, finit par ressembler au vice solitaire. »[4] Jean Cocteau parle d’ailleurs du dessin comme d’une masturbation, d’une « jouissance »[5]. Dans les œuvres homosexuelles, la masturbation prend le masque du jeu ou de l’art. Mais en fait, elle peut cacher l’inceste et le repliement sur soi. Chez Jean Cocteau, le mot « jeu » remplace presque toujours celui de « sexe » ou de « viol ». Lorsque Paul déclare dans Les Enfants terribles (1929) qu’« il s’est trop habitué à jouer seul » au moment où sa sœur lui propose de « jouer au jeu » avec elle, l’allusion à la masturbation et à l’inceste est plutôt explicite !

 

Cette centralisation communautaire sur la masturbation est beaucoup moins ludique et rigolote qu’il n’y paraît. Elle dit quelque chose de la nature à la fois immature et agressive du désir homosexuel. La communauté homosexuelle tourne en dérision le côté « touche-pipi » ou à l’inverse SM des accouplements homos (gay comme lesbiens), mais elle n’en est pourtant pas loin ! Une distance avec le Réel a été prise (un éloignement de la réalité des corps, des sexes, de la procréation, de la différence des sexes, du sens social de la sexualité…), ce qui maintient les actes génitaux homosexuels dans l’enfance, l’onanisme, et une violence-douceur. Les personnes homosexuelles se donnent l’illusion de combler ce fossé entre fantasme et Réalité, ce manque d’ajustement des anatomies dans le coït homo, par un simulation-mime de l’érotisme télévisuel, par une fougue idolâtrique inégalitaire et puérile (moins de face-à-face ; mais en revanche des pratiques de régression au stade infantile : fellation, suçons, morsures, fessées, léchouilles, etc.), par une réécriture post-coïtale enchanteresse et sentimentaliste (« Nous, les lesbiennes, on est moins portées sur le cul que les mecs… on est plus douces, plus sentimentales… » ; « Cette fois-ci, on n’a même pas couché ensemble : on s’est juste caressés et échangés des marques de tendresse » ; « Te voir jouir fait mon bonheur et ma propre jouissance, même si concrètement nos extases ne sont ni synchros ni partagées », etc.), voire par une violence dans les pratiques sexuelles (position corporelle dégradante comme la posture à quatre pattes, la sodomie, le léchage de cul, et cela peut aller vers les pratiques sadomasos). Mais pourtant, rien n’y fait. Les coïts laissant une trop grande place à la masturbation – comme c’est le cas dans les accouplements homos, mais aussi chez certains couples femme-homme – sont souvent révélateurs de tensions cachées, de relations où l’amour est compliqué et blessant car les membres de ces couples ont tendance à se consommer et à s’exploiter l’un l’autre vu qu’ils sont tournés davantage sur eux-mêmes que sur leur partenaire, comme l’indique le mouvement narcissique de l’onanisme. À mon avis, la masturbation entre personnes homosexuelles renvoie plus concrètement à la nature schizophrénique du désir homosexuel, une déconnexion progressive de la réalité (c’est comme cela que j’interprète la résurgence dans les œuvres homosexuelles du motif de la main coupée[6], celle qui va masturber et procurer le plaisir), et le signe ou le moteur d’une violence déjà là/à venir.

 

D’ailleurs, en parlant d’agression, dans le passé de certaines personnes homosexuelles, la masturbation a pu être le détonateur d’un viol. La révélation de leur homosexualité est venue par la masturbation, et non par la rencontre concrète d’une personne ou l’expérience positive de l’amour avec un partenaire fidèle et durable. Par exemple dans le film « Priscilla, Folle du Désert » (1995) de Stephan Elliot, Félicia se rappelle d’un souvenir d’enfance : son oncle, nu dans son bain, l’a forcé(e) à plonger la main dans l’eau pour masturber son sexe, et lui a fait promettre de garder le secret. C’est tout à fait étonnant de se rendre compte de cela : dans nos sociétés humaines, autant la pénétration sexuelle non consentante sera synonyme de viol opéré sur les femmes (et cela sera aisément reconnu de tous), autant la masturbation, c’est la matérialisation du viol opéré sur les hommes (et cette réalité est totalement déniée). Écoutez ce témoignage d’un homme qui a vécu une agression sexuelle de la part d’un autre homme, et où la masturbation occupe une place centrale : « Maintenant que tu as parlé… je me suis retrouvé dans une situation un peu bizarre, mais que je ne pourrais pas taxer de viol. Je me suis réveillé en train de me faire masturber par un mec alors que je dormais… Je l’ai envoyé chier et ça s’est arrêté là. C’est marrant maintenant… Je n’aurais pas mis ça, à l’époque, dans le cadre du viol… et pourtant c’est de cet ordre-là. »[7] Autre récit, cette fois de l’auteur lui-même, Daniel Welzer-Lang, qui hésite lui aussi à parler de viol tout simplement parce que la masturbation ne fait pas que du mal (elle procure un plaisir intense qui empêche parfois la victime de reconnaître la violence objective du viol) : « Le viol d’homme ? Un secret honteux encore moins verbalisé que le viol de femme. C’est à cette époque que moi-même je me suis souvenu : J’ai 6 ans, il a 13 ans. Je me souviens de lui comme du ‘fiancé’ de ma sœur. Il a un solex et un grand chien que je dois appeler policier. Il m’emmène sur son solex pour me faire plaisir. Il s’arrête à la lisière d’un bois. ‘Viens’, me dit-il. Je ne me souviens plus très bien, les images se brouillent, son sexe est sorti, il le masturbe. ‘Tu sais comment ?…’ je regarde éberlué. Je n’ai aucune information sur ce qu’il dit, sur ce qu’il fait. Il veut que je le touche. J’ai peur. Je suis seul dans la forêt avec lui. Pas possible de fuir. Je touche, je regarde en l’air, il veut aussi me… Je ne me souviens pas de la suite. Il s’appelait Jacky, habitait Épinal, la ville de mes parents. ‘Si tu en parles, je te casserai la gueule, je saurai toujours te retrouver…’ Il m’a ramené. J’ai senti son regard, longtemps, longtemps… J’ai jamais été violé. Il ne m’a pas pénétré. Je n’en ai jamais parlé avant… Une période récente… J’avais oublié… Oubliée aussi cette main de camionneur qui cherche à te caresser quand tu dors, et que tu acceptes de masturber… pour avoir la paix. 18 ans… Oubliée cette main du pion de l’établissement scolaire qui m’avait pris en stop près de Gérardmer… 16 ans. J’ai éprouvé un énorme plaisir à ses caresses discrètes, très respectueuses de ma personne. J’ai regretté ce soir-là que… Gestes enfouis dans mes images d’adolescent : chaque homme sait qu’il n’a pas toujours été dominant. »[8] En tant qu’auto-viol, ou bien grande source de jouissance, la masturbation a de nombreux masques pour passer inaperçue. Pourtant, elle mérite d’être annoncée et dénoncée. L’être humain peut tout à fait être victime de lui-même.

 

L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Récemment, nous faisions ce constat un peu désabusé sur le couple homo avec un ami gay qui se demandait le sens de sa quête effrénée et peu concluante du Prince Charmant : Après « avoir tiré son coup », y compris avec quelqu’un qu’on « aime bien », avec qui on s’engage sincèrement pendant 10 ans, et avec qui on fait l’amour régulièrement sans aller voir ailleurs, qu’est-ce qu’il y a ? Après « s’être fait du bien » avec lui, que reste-t-il ? Qu’est-ce qui distingue le couple homo de la relation amicale, mis à part ces brefs petits moments de masturbation partagés à deux ? Le couple homo ne se réduit-il pas à un paravent cachant deux égoïsmes adolescents qui s’utilisent l’un l’autre comme objets de jouissance et de plaisir ? L’amour homo n’est-il pas le nom pompeusement poétique donné à un simple contrat de masturbation(s) ? Si on prend vraiment le temps de considérer avec honnêteté ces interrogations que toute personne homosexuelle s’est posée un jour ou l’autre, on blêmit. Et si vraiment on a assez de courage pour y répondre par des actes, on arrête de courir après le couple homosexuel, on prend son balluchon, son sac à dos, et son cœur de passionné, pour emprunter d’autres chemins.

 
 

Pour continuer, un BONUS : 9 clés CONCRÈTES !

 

NEUF CLÉS CONCRÈTES POUR ARRÊTER LA MASTURBATION ET LE PORNO (à destination de ceux qui reconnaissent que ces pratiques ne rendent pas pleinement heureux, et qu’au contraire elles nous frustrent plus qu’elles ne nous libèrent de la frustration !)

 

Concernant mon livre L’homosexualité en vérité (2012), plusieurs fois on m’a gentiment reproché d’avoir été trop court et évasif dans ma réponse sur la question de la masturbation. En effet, proposer comme seul moyen d’arrêt de cette pratique « l’amour de l’Église », c’est bien beau, c’est bien gentil (lol), c’est bien pieux, c’est bien vrai (car l’amour de l’Église-institution est tout à fait l’aboutissement et la synthèse de tous les moyens que je vais vous décliner maintenant)… mais pas très concret pour celui qui a de temps en temps du mal à envisager l’Église comme une épouse et une personne concrète pour laquelle se battre sans discuter. Alors, rapidement, je vais essayer de dresser une liste des méthodes pratiques qui m’ont permis d’arrêter mon caprice sensuel/sensoriel.

 

1 – La méthode trash (lol) : se couper le bras ou s’arracher l’œil (dans le sens figuré, je vous rassure, et pourtant, déjà très littéral et concret de la Bible : « Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la ! Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le ! », Marc 9). En gros, cela revient ni plus ni moins à avoir l’audace de fermer les yeux quand la scène chaude d’un film arrive, ou quand le clic de l’icône internet d’un lien érotique nous démange. Détourner le regard. Et comme en général cette scène chaude arrive avec d’énormes sabots, nous risquons très peu d’être pris au dépourvu ! 😉 Donc usons et abusons de la fonction « Switch off » de notre nerf optique ! Cette action est fragile (donc difficile), intime, mais ô combien efficace !

 

2 – Deuxième proposition : Ne plus négocier avec soi-même. Savoir se dire clairement « NON », sans revenir dessus. C’est une incroyable expérience de sa petite Liberté. Mais il faut le faire ! Je reconnais que c’est cette action qui m’épargne le plus de fatigue et de dilemme, franchement (Quand on me dit que je suis courageux d’avoir arrêté la masturbation depuis janvier 2011, je me marre, car ce qui était coûteux, c’était d’essayer d’arrêter sans s’en donner vraiment les moyens ; arrêter « tout court », ce n’est ni fatigant ni courageux : au contraire, c’est net, sans bavure – ou presque lol – et reposant). Bien souvent, nous tombons et nous faisons le mal de la masturbation simplement parce que nous avons grillé/négligé les étapes préliminaires qui nous ont conduit ensuite à nous retrouver le pantalon baissé devant notre écran, à sortir notre carte bancaire au vendeur du sex-shop, à payer notre place au sauna. Nous avons joué sincèrement les ingénus, en tournant autour du pot, alors que c’était déjà là (au « tournage de pot ») qu’il fallait se prendre en main et se dire clairement « non » à soi-même. Au lieu de s’attaquer au sommet (l’acte ultime du péché) pour mieux justifier notre découragement et notre démobilisation, c’est déjà les premières marches qu’il faut refuser. C’est sur les mini-tentatives de séduction de l’enfant capricieux qui est en nous qu’il faut travailler, et non sur le gros caprice, qui est déjà en soi une suite logique du « mal déjà fait », un après-péché. Au fond, nous savons tous quand nous commençons à faiblir, à être complice de notre mal intérieur. Et comme me le disait un jour un ami prêtre (concernant le fait d’arriver à ne pas coucher avec une personne qui nous attire), il est plus facile de dire « non » en bas de l’immeuble qu’au seuil de la porte de l’appart’. Pareil pour la masturbation : il est plus facile de se dire « non » à soi-même sur les étapes antérieures à la masturbation que juste au moment de passer à l’acte.

 

3 – L’évangélisation. Le fait que j’aie rendu public l’arrêt de la masturbation m’a énormément responsabilisé et aidé à tenir parole. Je dois le reconnaître. Autant l’exhibitionnisme enchaîne et doit choquer à juste titre (la génitalité, c’est prioritairement de l’ordre de la sphère privée  et du secret, même si elle concerne aussi la sphère publique), autant le cadeau de sa génitalité à Dieu et l’explication de son sens universel brisent beaucoup de nos propres chaînes et des chaînes de nos contemporains ! Le don de sa fragilité aux autres et à Dieu, c’est la vraie libération. Et j’ai remarqué que si je retombais dans la masturbation, je n’aurais plus la force de dire que j’ai arrêté, de mentir. Sur le terrain si honteux de la masturbation, sur le terrain si audacieux de l’arrêt de la masturbation, soit on FAIT et la parole est libérée, soit on ne fait pas et la parole est morte. C’est systématique. Sans la masturbation, nous goûtons aux grandes choses.

 

4 – Arrêter de donner trop d’importance à nos actes mauvais et au mal : ce n’est quand même pas eux qui nous définissent entièrement, qui remettent en cause notre dignité humano-divine. Ce ne sont pas eux qui ont gagné, que je sache !

 

5 – S’efforcer de pratiquer la prière-oraison (de temps en temps, même si, selon les personnes, ce n’est pas toujours trop notre tasse de thé). C’est elle qui, seule, peut nous faire découvrir que nous avons une Vie intérieure, une vraie liberté, que nous abritons le Prince de la Paix dans notre cœur. Si nous ne prenons pas le temps de nous poser et de mesurer que notre corps est sacré, qu’il est réceptacle de Jésus, qu’il abrite une V.I.P., c’est évident que nous allons le maltraiter dans la jouissance égocentrique, l’auto-consommation.

 

6 – Admettre d’une part que nous sommes tous sans exception abstinents, qu’on le veuille ou non (même l’homme marié, il ne passe pas son temps à coucher avec sa femme : à un moment donné, il arrête !lol ; après, il y a ceux qui subissent cette abstinence, et qui s’appellent les libertins ET les frustrés, et puis il y a ceux qui la choisissent et qui y mettent de la liberté, et qui s’appellent les continents – s’ils sont religieux ou personnes homos – ou chastes – s’ils sont mariés dans la différence des sexes ; la continence n’est donc pas un exploit surhumain, une bizarrerie, un choix insurmontable et irréalisable : c’est juste notre condition humaine du bonheur en matière de sexualité) ; comprendre d’autre part que l’abstinence n’est pas la mère de la frustration, pas l’ennemi du plaisir mais au contraire LA condition du plaisir (Par exemple, le vrai amateur de chocolat, ce sera celui qui saura ne pas s’en goinfrer à s’en rendre malade). On ne goûtera au vrai plaisir de la génitalité que si nous savons nous en priver de temps en temps et en choisir le meilleur usage.

 

7 – En général, la tentation de masturbation arrive quand existentiellement on s’emmerde et qu’on n’ose pas s’avouer qu’on souffre de ne pas avoir trouvé son grand projet d’Amour (ou pire, qu’on n’est pas comblé en couple). Alors, je serais tenté de dire : « T’es pas content ? Et bien CHANGE DE VIE ! » Des fois, cette décision peut prendre le chemin de la radicalité, avec les grands moyens. Mais le mieux, c’est quand elle se fait sans grands changements apparents. On a toujours le même boulot, les mêmes activités, la même famille, les mêmes collègues, les mêmes amis. On a juste réussi à se maîtriser dans l’intimité de sa chambre… puis, tout d’un coup, on se rend compte que notre manière de vivre cette même vie d’avant et de regarder les autres a changé du tout au tout. En douceur et en liberté.

 

8 – Appliquer à soi-même le premier commandement christique « Aime ton prochain COMME TOI-MÊME ». Ce ne sont pas des mots en l’air. Si nous pensons que l’arrêt de la masturbation ne tient qu’aux preuves d’amour verbales que nous formulons à Jésus (prières, chants, sacrifices, confessions, expositions au Saint Sacrement, promesses répétées, supplications, etc.), nous nous foutons le doigt dans l’œil. Jésus semble nous dire : « C’est bien beau de m’aimer en parole. Je ne doute absolument pas de ton amour pour moi. Ce dont je doute, c’est de l’amour que tu te portes à toi-même ! ». J’ai compris, en arrêtant la masturbation, que mon problème d’avant l’arrêt ne venait pas de l’amour apparent que je formulais à Jésus, mais bien de mon manque d’amour de moi-même (qui finalement se reportait, par ricochet, sur la qualité de mon amour pour Jésus). Quand ma voix intérieure m’a dit : « Jésus se fout que tu l’aimes si tu ne t’aimes pas toi-même ! », c’était terminé. Le véritable ami de Jésus, ce n’est pas celui qui connaît par cœur Ses préceptes, qui sait qu’il doit les mettre en pratique, et qui crie (tout en s’enfonçant dans la mer, au moment de pécher) « Seigneur, sauve-moi !!! ». C’est bien celui qui applique sans bruit Ses commandements et qui s’aime concrètement lui-même.

 

9 – Aimer Vivien Hoch, même quand il vous traite d’« impudique ».

 
 

Si jamais les méthodes que je viens de vous exposer fonctionnent, vous verrez que malgré tout, les tentations perdureront (et que vous continuerez de trouver les mecs beaux, si vous êtes un homme à tendance homo). Cependant, alors que votre quotidien n’aura pas radicalement changé, votre horizon (amical, professionnel, artistique, intellectuel, familial, spirituel) va pourtant s’ouvrir considérablement. Un truc de fou ! Vous gagnerez en joie et en liberté. Les gens vous feront inopinément beaucoup plus confiance (alors qu’ils ne sauront rien de ce que vous avez décidé de vivre dans votre intimité sexuelle). Mystère des ponts entre le monde visible et le monde invisible. Et puis si vous devenez un champion de la continence, vous aurez en plus le privilège et la bonne surprise de découvrir que même la vue d’images érotiques ou pornographiques ne vous ébranle plus autant qu’avant, ne vous excite plus au point de vous donner envie de vous masturber. Vous ferez l’expérience d’une vraie libération durable ! d’une vraie joie ! Alors n’attendez plus, et commencez tout de suite. C’est MAINTENANT le moment favorable ;-).


[1] Horrible expression que celle de « faire l’amour », soit dit en passant… comme si l’amour « se faisait »… mais bon, je n’en ai pas d’autres plus explicites… à part « copuler ».

[2] Alexandre Delmar, Prélude à une Vie heureuse, Éd. Pédro Torres & Éditions Textes Gais, Paris, 2004, p. 23.

[3] L’Abbé Pierre-Hervé Grosjean propose même, dans les moments de forte mise à l’épreuve, de coller en fond d’écran de notre ordi une image de la Vierge Marie ou de Jésus, pour contrer nos appétits masturbatoires après avoir été fragilisés par des heures de comatage internet : c’est pas con du tout !

[4] Jaime Gil de Biedma, poème « El Juego de hacer Versos », 1986, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003.

[5] Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et Compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier.

[6] Je vous renvoie au code de la main coupée dans mon Dictionnaire des codes homosexuels, Éd. L’Harmattan, Paris, 2008.

[7] Un témoin homosexuel cité dans Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, Éd. L’Harmattan, Paris, 1988, p. 201.

[8] Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, Éd. L’Harmattan, Paris, 1988, pp. 188-189.

Lettre à soeur Paula

Lettre à soeur Paula

 

 

Paula est une sœur missionnaire portugaise de la Communauté des Serviteurs de l’Évangile. Elle a 46 ans, habite et travaille actuellement au Japon. C’est une amie commune qui nous a mis en lien, et qui lui a laissé mes coordonnées. Son mail de prise de contact m’a semblé tellement riche en questions pertinentes par rapport à la position de l’Église sur l’homosexualité, tellement révélateur de l’ignorance et de la fébrilité de beaucoup de croyants catholiques pratiquants face au désir homosexuel, que j’ai décidé d’y répondre en prenant le temps. La recherche de Vérité de cette femme, son humilité aussi, m’ont touché.

 

Voici d’abord son mail, et ensuite ma tentative de réponse :

 

« Cher Philippe, Comment allez-vous ? C’est un plaisir de faire votre connaissance, même si c’est par e-mail. Je suis une missionnaire portugaise de la même communauté que Céline, Serviteurs de l’Évangile. Je m’appelle Paula et j’habite et travaille au Japon. Je pense que Céline vous a déjà écrit à propos du sujet dont je voudrais vos conseils. Je vous remercie avant tout pour votre disponibilité. Je vous explique un peu la situation. Il s’agit d’un jeune garçon japonais qui est catholique et qui depuis quelques mois a décidé de quitter son travail pour penser mieux à son futur, car en faisant le chemin de Saint Jacques, il s’est demandé que peut-être Dieu l’appelait à le suivre comme prêtre. Il n’est pas encore sûr si sa place est chez nous, les Serviteurs, mais il nous a demandés de l’accompagner dans son chemin de discernement. Nous nous rendons compte que bien qu’il soit baptisé depuis sa naissance (contrairement à la majorité des catholiques japonais, qui reçoivent le baptême d’adultes), il a du mal à faire confiance aux enseignements de l’Église et parfois cela devient un vrai obstacle vis à vis de l’approfondissement de sa vocation. Quand je lui explique que souvent il faut distinguer entre la position officielle de l’Église et la Pastorale, il trouve cela très difficile à comprendre, parce que cela lui semble une hypocrisie. Dernièrement, il a exprimé ses doutes par rapport à l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité. Il nous a dit qu’il n’est pas homosexuel et qu’il ne connaît personne qui est homosexuel. Cependant, il veut comprendre l’enseignement de l’Église à ce sujet, autrement, il craint que quand il deviendra prêtre, il ne sera peut-être pas capable de mettre en pratique ce que l’Église enseigne et finira par abandonner le chemin de prêtre catholique. En ce moment, il est vraiment en train de mettre en question sa vocation à cause de ce sujet. Il a lu des commentaires sur la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles et il n’est pas d’accord avec cette position. Il pense que celle-là n’est pas une position miséricordieuse, comme celle de Jésus. Ce serait donc une contradiction avec l’Évangile. Il pense aussi que ce n’est pas juste que pour les hétérosexuels il y ait deux options : la vie matrimonielle et la chasteté consacrée à Dieu, mais pour les homosexuels il n’y a que celle de la chasteté. Puisque moi je ne suis pas homosexuelle, il est vraiment difficile pour moi de faire un jugement. Je me suis renseignée un peu, mais je ne sais pas quelle opinion accepter comme juste. J’avoue mon ignorance dans ce thème et c’est pour cela que je vous demande votre aide. Puisque vous êtes homosexuel et catholique, est-ce que vous pourriez me répondre à quelques questions ? Par exemple, vous êtes d’accord avec : « L’inclination particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral. C’est la raison pour laquelle l’inclination elle-même doit être considérée comme objectivement désordonnée. » (selon la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles). C’est-à-dire, pour vous l’inclination homosexuelle, est-elle désordonnée et considérez-vous le comportement homosexuel intrinsèquement mauvais ? Pour moi, c’est difficile à comprendre que, étant l’homosexualité une structure de la personne, même qu’elle ne soit pas génétique dans la plupart des cas, ce soit quelque chose de mauvais et désordonné. Si je suis sincère, dans mon ignorance, moi je préfèrerais que l’homosexualité puisse être changée avec quelque thérapie et devenir hétérosexualité. Mais selon ce que j’ai lu, en psychologie cela n’est pas accepté, ni conseillable, même s’il y a des groupes qui encouragent le changement en l’appelant conversion, n’est-ce pas ? Alors, comment comprenez-vous et vivez-vous votre orientation sexuelle ? Par rapport à la phrase suivante de la même lettre, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? « En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière. En raison de cette liberté, comme en tout renoncement au mal, l’effort humain, éclairé et soutenu par la grâce de Dieu, pourra leur permettre d’éviter l’activité homosexuelle. » Est-ce que vous croyez qu’une personne homosexuelle peut éviter l’activité sexuelle et doit le faire pour son bien ? Êtes-vous d’accord avec l’option de la chasteté pour tous les homosexuels chrétiens ? Ou bien, est-ce que vous pensez que l’Église doit être plus ouverte ? Dans quelle direction ? Par exemple, pensez-vous que la pastorale catholique à l’égard des homosexuels devrait être orientée vers le soutien de la fidélité des couples homosexuels stables ? Est-ce que vous avez une expérience d’Église différente de l’image qu’on obtient en lisant seulement cette lettre ? Pourriez-vous me conseiller aussi de la bibliographie qui me permette de me renseigner mieux à ce sujet ? (soit sur l’homosexualité, soit sur la position de l’Église). Permettez-moi encore une autre question : que pensez-vous des mariages entre personnes homosexuelles et sur l’adoption d’enfants de leur part ? Je m’excuse parce que je me rends compte que je vous ai fait un vrai interrogatoire. Cela parle de mon ignorance sur ce thème. Je vous remercie de tout mon cœur de votre collaboration. En attendant de vos nouvelles, que Dieu vous bénisse. Paula »

 
 

Chère Paula,

Je vais essayer finalement de répondre par écrit à ton mail: il m’inspire beaucoup de réponses qu’il me paraît important de développer, car elles pourront servir à beaucoup d’autres personnes que toi. On pourra en reparler par téléphone si tu veux… et surtout si on arrive à faire coordonner nos agendas !^^

 

Si tu le veux bien, je vais faire une sorte de lecture linéaire de ton courrier pour ne pas en perdre une miette.

 

Tu m’écris que ce garçon « a du mal à faire confiance aux enseignements de l’Église et parfois cela devient un vrai obstacle vis à vis de l’approfondissement de sa vocation. » De peur de paraître un peu dur et direct dès le départ, je te dirais que je crois qu’on ne peut pas engager un chemin vers la prêtrise si on n’aime pas profondément l’Église catholique, si on ne Lui fait pas d’avance une entière confiance, si on se laisse trop inspirer et influencer par la réputation médiatique fallacieuse et infamante qui sévit avec force en ce moment à son propos (comme quoi l’Église serait quand même un peu « en retard » sur certains sujets, en décalage avec les mutations sociales, et « fermée » d’esprit). L’Église catholique est humaine, défectueuse, mais malgré tout d’inspiration divine : elle est donc sanctifiée, en dépit de son humanité merdique. Et cela, il ne faut pas le remettre en doute ! La confiance a quelque chose de nécessairement arbitraire et aveugle, mais j’ai eu l’occasion d’expérimenter à bien des reprises la justesse du message de l’Évangile mais aussi du Pape et de son institution vaticane. Par exemple, pour partir de l’homosexualité, j’ai toujours fait confiance au message un peu abrupt et sec du Catéchisme de l’Église catholique à ce sujet, en me disant que l’Église avait raison sans avoir encore compris pourquoi, que je comprendrais plus tard, que je devais faire ma propre enquête pour trouver d’autres mots plus personnels et pallier à la concision du discours ecclésial. Et finalement, au jour d’aujourd’hui, je ne regrette pas du tout d’avoir été têtu dans mon aveuglement ! Même si je n’exprimerais pas les choses comme le Pape ou même un saint Paul, même si je me suis approprié son message sur l’homosexualité pour l’humaniser davantage, je reviens vers mon Église en Lui donnant raison et en La soutenant dans ses positions. Elle a vu juste par rapport à l’homosexualité en disant que les actes homosexuels étaient intrinsèquement désordonnés. Elle voit juste en demandant le célibat continent. Elle voit juste en exprimant sa méfiance par rapport aux couples homosexuels et au désir homosexuel. Et c’est quelqu’un comme moi, qui a étudié le sujet à fond à travers quatre livres et qui a passé 10 ans dans le monde associatif homo et dans le « milieu homo », qui le dit ! Pas un garçon qui exprime un avis de loin, parce qu’il n’assume ni son homosexualité ni le fait de s’en approcher. La confiance en l’Église – qui n’est absolument pas synonyme d’absence de regard critique ni de soumission scolaire à tout ce qui est dit – ne déçoit jamais, car je la crois profondément juste et surprenante. Oui, j’assume de plus en plus de faire partie de cette famille qu’est l’Église catholique, et je suis scandalisé qu’on maltraite ainsi mon grand-père, car il a le courage de dire tout haut ce qui doit être dit sur l’homosexualité, et sur plein d’autres sujets de morale sexuelle d’ailleurs. C’est quand on va lire directement les textes et ce que Benoît XVI dit qu’on se rend compte qu’il n’a rien du frustré que certains médias dépeignent. Il est particulièrement connecté à l’actualité.

 

« Quand je lui explique que souvent il faut distinguer entre la position officielle de l’Église et la Pastorale, il trouve cela très difficile à comprendre, parce que cela lui semble une hypocrisie. » Je comprends en effet qu’il ne puisse pas recevoir ce discours dissociant théorie et pratique, Église du haut et Église du bas (même si je vois dans quel sens tu l’as dit : le Vatican est bien obligé de poser un cadre moral, un discours généraliste, tout en l’adaptant ensuite au cas par cas, aux exceptions, aux personnes, aux situations humaines imprévues). C’est tout à l’honneur de ce jeune homme que de « tiquer » à notre tiédeur ou à nos propres tentations de nous désolidariser de notre Institution pour ne pas assumer tout ce qu’elle nous demande ou bien la mauvaise image que cela nous donnerait ! Ça veut au moins dire qu’il tient inconsciemment à l’Unité de l’Église, qu’il est en recherche de Vérité, qu’il désire fortement la cohérence des discours et des actes, qu’il veut épouser entièrement l’Église ou pas du tout ! Il lui faut peut-être garder la part de beauté que contient sa révolte (à savoir la recherche de Vérité) et consentir par ailleurs au mystère d’obéissance. « Obéir » signifie « aimer » quand on donne son obéissance au bon maître.

 

« Dernièrement, il a exprimé ses doutes par rapport à l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité. Il nous a dit qu’il n’est pas homosexuel et qu’il ne connaît personne qui est homosexuel. Cependant, il veut comprendre l’enseignement de l’Église à ce sujet, autrement, il craint que quand il deviendra prêtre, il ne sera peut-être pas capable de mettre en pratique ce que l’Église enseigne et finira par abandonner le chemin de prêtre catholique. » Je trouve cela génial que ce garçon désire être aussi entier, qu’il sorte également de ses frontières pour aller sur un terrain qu’il ne connaît à priori pas beaucoup (le monde homosexuel), qu’il veuille être au cœur d’un apostolat dans et proche des réalités du monde. Tu le féliciteras et tu l’encourageras à continuer à « fouiller la merde », à ne jamais se laisser faire ou signer à un contrat dont il ne connaît pas toutes les clauses. Du moment qu’il accepte qu’on ne peut pas tout maîtriser ou deviner de l’intelligence de Dieu…

 

« En ce moment, il est vraiment en train de mettre en question sa vocation à cause de ce sujet. Il a lu des commentaires sur la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles et il n’est pas d’accord avec cette position. Il pense que celle-là n’est pas une position miséricordieuse, comme celle de Jésus. Ce serait donc une contradiction avec l’Évangile. » Je comprends sa réaction première. Après, cette impression de manque d’ouverture tient non pas tant au contenu qu’à la brièveté des articles de cette Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Et il est clair que le message de l’Église, même s’il n’est pas faux, doit s’affiner, se préciser davantage, pour être plus aimant. Je trouve personnellement qu’il n’est encore pas assez question du désir homosexuel en lui-même, ni de son lien avec le viol. Du coup, il a du mal à peser sur la balance face au discours bien-pensant de l’ouverture inconditionnelle à l’autre. Le garçon dont tu me parles ne doit pas perdre de vue que l’amour du prochain n’est pas un « oui » sans réserve, mais parfois un « non » et une exigence posée avec fermeté. Jésus accueille toujours l’autre sans réserve, mais les actes humains avec beaucoup de réserves et d’exigence ! Parce qu’Il tient à l’Amour autant qu’aux personnes aimées par cet Amour. Et parce qu’Il nous responsabilise, nous met devant nos limites humaines et notre liberté. Si nous ne comptions rien pour Lui, Il ne se donnerait pas la peine de s’opposer à nos fantasmes parfois bien intentionnés de se prendre pour Lui. Or, Jésus n’accueille pas la femme adultère avec un sourire mièvre et une ouverture d’esprit relativiste : Il l’aime profondément, et c’est pour cela qui lui dit aussi sans détour : « Va, et désormais ne pèche plus. » Il accueille la personne, mais refuse le péché. Il formule explicitement une demande qui condamne l’acte tout en relevant l’âme pécheresse. C’est la raison pour laquelle je trouve le message de l’Église sur l’homosexualité exigeant mais très évangélique. C’est l’amertume de la coupe offerte.

 

« Il pense aussi que ce n’est pas juste que pour les hétérosexuels il y ait deux options : la vie matrimonielle et la chasteté consacrée à Dieu, mais pour les homosexuels il n’y a que celle de la chasteté. » Alors, déjà, entendons-nous bien dans les termes. La chasteté n’est pas équivalente à la continence ou à l’abstinence : elle est aussi à vivre au sein d’un couple femme-homme, ou entre amis, ou même entre un artiste et son œuvre d’art, car elle est cette juste distance qui permet la relation, cette résistance à la fusion destructrice. Après, l’appel à la continence pour les personnes homosexuelles est, c’est vrai, un peu « brut de pomme », il faut le reconnaître. Moi-même, il m’a beaucoup questionné à un moment, quand je commençais à assumer mon désir homosexuel. Je me retrouvais dans l’assistance de messes où la condition homosexuelle n’était pas du tout abordée (genre le « Journée annuelle pour les vocations » ou le « Dimanche pour la famille »). Les prêtres, dans leurs homélies, ne proposaient que deux options de vocations possibles pour suivre le Christ : soit le couple marié (que je ne pouvais pas vivre), soit le célibat consacré vécu dans la prêtrise (que je ne pouvais pas vivre non plus, puisque l’entrée dans les séminaires était barrée pour les personnes homosexuelles). Je trouvais ça un peu court et paniquant comme raisonnement ; à l’époque, j’en pleurais presque, et je criais intérieurement vers le Seigneur : « Mais Seigneur, quel chemin reste-t-il pour nous, personnes homosexuelles ??? Quelles issues de secours ??? Pourquoi je n’aurais pas le droit d’aimer, moi aussi, puisque tu m’as fait un cœur pour aimer ? » Cette révolte ne m’a pas fait quitter l’Église pour autant (ma foi était trop forte). Elle m’a donné au contraire l’impulsion de me questionner et d’inaugurer un nouveau chemin. Et de surcroît, avec le temps, j’ai compris que cette voie restreinte et étroite de la continence proposée aux personnes homosexuelles n’avait rien d’une condamnation de l’Amour, mais était précisément une demande spécifique qui reconnaissait notre singularité à nous, personnes homosexuelles, et aussi qu’elle n’était ni plus facile ni moins facile à vivre que le mariage ou le sacerdoce : elle implique le même renoncement, le même don entier de soi, la même liberté. Elle n’est pas moins un chemin où l’on peut aimer vraiment. Ce n’est pas le nombre de choix qui nous sont proposés qui détermine notre degré de liberté ou notre bonheur, mais bien notre choix entier à une personne unique, que celle-ci soit une personne du sexe dit « opposé » ou Jésus. Et les personnes homosexuelles ne sont pas privées de Jésus : elles sont même, de part les limites imposées par leur désir, plus spécifiquement orientées vers « la meilleure part ». Alors pourquoi s’en plaindraient-elles, ou pleureraient-elles d’être mises à l’écart du modèle du Couple présenté par notre société ultra-érotisée comme la seule structure d’amour vrai ? Quelque part, leur condition homosexuelle les prépare plus directement et plus fermement aux noces royales célestes. Si elles savent la saisir, c’est une chance pour elles d’être en quelque sorte acculées, de par un désir intérieur qu’elles n’ont pas choisi, à un don entier à la personne de Jésus, puisqu’elles ne sont pas appelées par l’Église à vivre autre chose avec quelqu’un d’autre. L’Église leur demande tout de suite quelque chose de grand, de complètement fou humainement parlant, mais de glorieux dans l’Éternité. Elles devraient s’en réjouir ! Tout ceci, cependant, ne prend sens qu’à la lumière de la foi et de la Résurrection.

 

« Puisque moi je ne suis pas homosexuelle, il est vraiment difficile pour moi de faire un jugement. Je me suis renseignée un peu, mais je ne sais pas quelle opinion accepter comme juste. J’avoue mon ignorance dans ce thème et c’est pour cela que je vous demande votre aide. » N’aies pas peur, Paula, de tes impressions, de tes avis, ou jugements raisonnés. L’homosexualité est humaine. Même si tout le monde ne la ressent pas, elle continue d’appartenir à tout le monde, et tous peuvent en parler – y compris les prêtres « hétérosexuels » ! – car la réflexion sur le Désir rejoint tout un chacun. L’homosexualité n’est pas un sujet qui appartient spécifiquement aux personnes homosexuelles, quand bien même la plupart d’entre elles le laissent croire pour ne pas entendre ce que le monde extérieur a de pertinent à leur dire sur les limites nombreuses de leur désir. Nous avons le devoir, en tant que chrétiens, de nous positionner. Et j’ai vu des personnes dites « hétérosexuelles » traiter de l’homosexualité avec bien plus de pertinence et de distance que ceux qui ont le nez dans le guidon et si peu de recul sur eux-mêmes ! Alors fais-toi confiance.

 

« Puisque vous êtes homosexuel et catholique, est-ce que vous pourriez me répondre à quelques questions ? Par exemple, vous êtes d’accord avec : ‘L’inclination particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral. C’est la raison pour laquelle l’inclination elle-même doit être considérée comme objectivement désordonnée.’ (selon la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles). C’est-à-dire, pour vous l’inclination homosexuelle, est-elle désordonnée et considérez-vous le comportement homosexuel comme intrinsèquement mauvais ? » Oui, je suis d’accord avec ces propos. Ils sont certes explicites, mais droits. Ayant été témoin du désordre intérieur et extérieur que provoquait la justification du désir homosexuel dans la vie des personnes qui s’y soumettaient aveuglément comme s’il s’agissait d’un désir qui les définissait entièrement ou qui était équivalent à l’amour entre une femme et un homme qui s’aiment vraiment ou entre un homme continent et Dieu, je peux dire que j’y souscris. Après, j’ajouterais à ces propos ma propre étude de terrain. J’ai recensé dans les œuvres homosexuelles (films, romans, biographies, discours de nombreux sujets homosexuels…) toutes les occurrences inconscientes qui étaient faites au mot « désordre », et elles sont nombreuses ! (pourtant, elles ont été faites par des personnes qui défendaient l’authenticité de leur désir homosexuel !) J’ai également décrit la nature dispersante, c’est-à-dire plus divisante qu’unifiante, du désir homosexuel, à travers l’étude de symboles récurrents dans les fictions traitant d’homosexualité : les visages coupés en deux, les corps éclatés, les animaux à deux têtes, les jumeaux, les miroirs brisés, les doubles schizophréniques, etc., toutes ces figures symboliques de la division. Pour moi, ces images sont le langage du désir homosexuel, un élan qui conduit davantage à la dispersion et à des actes où le fantasme narcissique et les pulsions font loi, plutôt qu’à la Réalité et à la Vérité (ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient totalement déconnectés de ces deux dernières).

 

« Pour moi, c’est difficile à comprendre que, étant l’homosexualité une structure de la personne, même qu’elle ne soit pas génétique dans la plupart des cas, ce soit quelque chose de mauvais et désordonné. Si je suis sincère, dans mon ignorance, moi je préfèrerais que l’homosexualité puisse être changée avec quelque thérapie et devenir hétérosexualité. Mais selon ce que j’ai lu, en psychologie cela n’est pas accepté, ni conseillable, même s’il y a des groupes qui encouragent le changement en l’appelant conversion, n’est-ce pas ? » C’est vrai que ce n’est pas souhaitable de mettre l’homosexualité sur le terrain de la génétique ou de la maladie du simple fait qu’elle n’est pas un choix. Pour autant, même si je ne prétends pas trancher entre l’inné et l’acquis (car pour moi, l’homosexualité reste une énigme à ne pas élucider complètement pour laisser à celui qui la ressent une complète liberté, pour ne pas la transformer en destin, pour ne pas « pathologiser » ni essentialiser le désir homosexuel et lui donner trop d’importance par rapport à la personne homosexuelle), j’ai constaté que le désir homosexuel était à la fois la marque d’une blessure liée à un contexte de violence réel (viol, inceste, mépris de soi, désir d’être objet, isolement amical, etc.) et aussi le révélateur de coïncidences et de terrains porteurs (déterminants ou non) marqués par une absence de désir. Alors bien sûr, il faut être très prudent quant aux thérapies collectives et à toutes ces sectes qui stigmatisent « les » homosexuels et les réduisent à leur désir homosexuel pour mieux le leur ôter et faire croire à une miraculeuse conversion à « l’hétérosexualité ». Personnellement, je n’y crois pas, entre autres parce que je ne considère pas l’orientation homosexuelle comme déterminante de l’intégralité de la personne qui la ressent, ni comme le mal absolu. En plus, ce qui se joue au niveau de la sexualité est très mystérieux et profond : je ne crois pas qu’on puisse changer complètement quand on est homosexuel, sauf ceux qui se sentent bisexuels. Cela dépend de la profondeur de l’ancrage de l’homosexualité en nous. Bref, la blessure homosexuelle reste une énigme dont je n’ai pas les clés. Après, nous avons tous quelque chose en nous à guérir… et il est clair que le désir homosexuel, si on s’y adonne, blesse, et indique une fragilité dont il faut prendre compte. J’ai vu chez les personnes homosexuelles qui m’entourent beaucoup de frustration, de peur, de timidité, de haine de soi, de misanthropie (déclinée en misogynie ou en misandrie), de manque de confiance en soi. Cela n’est pas spécifique au désir homosexuel (il existe d’autres désir dispersants), mais le désir homosexuel est marqué par ce désordre.

 

« Alors, comment comprenez-vous et vivez-vous votre orientation sexuelle ? » Au moment où je vous écris ces lignes, j’essaie de la vivre dans la continence. Après 29 ans de célibat complet, puis une période d’un an et demi d’expérimentation de la relation charnelle homosexuelle avec des garçons, je reviens doucement mais sûrement à la continence. En tout cas avec plus d’assurance. Cette promesse reste à confirmer sur la durée et la joie. Mais pour l’instant, ça semble en bon chemin ! Mon cœur est brûlant, et plus brûlant qu’avant !

 

« Par rapport à la phrase suivante de la même lettre, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? ‘En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière. En raison de cette liberté, comme en tout renoncement au mal, l’effort humain, éclairé et soutenu par la grâce de Dieu, pourra leur permettre d’éviter l’activité homosexuelle.’ Est-ce que vous croyez qu’une personne homosexuelle peut éviter l’activité sexuelle et doit le faire pour son bien ? Êtes-vous d’accord avec l’option de la chasteté pour tous les homosexuels chrétiens ? Ou bien, est-ce que vous pensez que l’Église doit être plus ouverte ? Dans quelle direction ? Par exemple, pensez-vous que la pastorale catholique à l’égard des homosexuels devrait être orientée vers le soutien de la fidélité des couples homosexuels stables ? » Oui, je suis d’accord avec la phrase citée au-dessus, car je crois en la puissance d’action de Dieu en nous. Après, cette action n’est ni spectaculaire (on ne demande pas à un blessé de courir le 100 mètres !), ni euphorique, ni un appel au mariage forcé, ni un encouragement à l’abandon de son désir homo. Au contraire, plus on s’approche sans peur de son désir homosexuel et du « milieu homo » pour les reconnaître et comprendre comment ils fonctionnent, moins on a de risques de se confondre avec lui et de le laisser diriger notre existence. Sinon, bien évidemment, j’encourage au respect des couples homosexuels et au soutien de la fidélité en leur sein, sans pour autant se leurrer sur leur fragilité objective. Il n’y a pas à idéaliser l’amour homosexuel, car il possède beaucoup de limites (et pas seulement parce que la société lui mettrait des bâtons dans les roues ; c’est le désir homosexuel qui est, par nature, faible et violent). Il n’y a pas non plus à lui retirer le qualificatif d’ « amour », car même si c’est un amour limité, il est, à de rares occasions, le lieu de l’échange de différences, de tendresse, d’engagement sincère, qu’on ne peut pas négliger.

 

« Est-ce que vous avez une expérience d’Église différente de l’image qu’on obtient en lisant seulement cette lettre ? » J’avoue qu’à ce jour, je n’ai jamais rencontré de couple homo qui m’emballe vraiment (et ce n’est pas faute d’en avoir rencontrés !). Mais il ne faut jamais dire jamais. Mon scepticisme n’est pas fermé. Si je tombe un jour sur un couple homosexuel qui me semble solide et heureux sur la durée, je n’hésiterai pas à l’exprimer. Je peux juste dire à l’heure actuelle « J’attends de voir… », même si je ne suis toujours pas convaincu par la force de l’amour homo et que je sais de mieux en mieux pourquoi.

 

Du point de vue de l’expérience d’Église à proprement parler, je n’ai pas rencontré véritablement de personnes homosexuelles qui vivaient une combinaison harmonieuse entre foi et homosexualité : soit elles essayaient de former une gay Church tout en s’éloignant de l’Église-Institution (comme dans l’association chrétienne David et Jonathan), soit j’ai croisé quelques garçons isolés qui refoulaient leur homosexualité dans une pratique religieuse dans laquelle ils taisaient leurs penchants (cas très rares… Et il y a dans le lot certains ecclésiastiques…). Mais j’avoue que je ne connais, à ce jour, aucun garçon comme moi qui assume aussi publiquement à la fois sa foi pratiquante catholique et son homosexualité.

 

Concernant l’accueil des personnes homosexuelles dans les églises, je trouve les prêtres encore timides, timorés même, par rapport au sujet. Cela les rend souvent maladroits, voire un peu jugeants. L’Église catholique, sur le terrain, a encore du mal à prendre le thème de l’homosexualité à bras le corps. Il faudrait une formation, un topo, une parole forte, sur laquelle se fonder, pour éviter les bourdes et l’éloignement de certaines personnes de l’Église à cause du seul sujet de l’homosexualité.

 

« Pourriez-vous me conseiller aussi de la bibliographie qui me permette de me renseigner mieux à ce sujet ? (soit sur l’homosexualité, soit sur la position de l’Église). » Je ne peux que te renvoyer à Xavier Thévenot, Jacques Arènes, ou encore Xavier Lacroix ; ou, dans un registre profane et psychanalytique, mais non moins solide, Jean-Pierre Winter. Je n’ai pas trouvé mieux ! Et puis bien sûr, mon livre… 😉

 

« Permettez-moi encore une autre question : que pensez-vous des mariages entre personnes homosexuelles et sur l’adoption d’enfants de leur part ? » J’en parle justement dans mon essai. En quelques mots, je ne suis favorable ni au mariage entre personnes homosexuelles, ni à l’adoption d’enfants. Dans les deux cas, c’est au nom du respect de la différence des sexes (que consolide le mariage d’amour vrai) et de la réalité de la famille, que j’avance cet avis. Attention, quand je dis ça, je mets fortement en garde contre une sacralisation nataliste de la procréation, ou une idéalisation de la différence des sexes. Il ne suffit pas que les enfants soient physiquement là, ou qu’un couple soit composé d’une femme et d’un homme, pour que l’amour soit là. Il faut non seulement que la différence des sexes soit présente mais aussi qu’elle soit couronnée par le désir vrai et libre entre deux personnes différemment sexuées, et ensuite par l’arrivée des enfants, pour pouvoir vraiment parler d’amour puis de famille.

 

« Je m’excuse parce que je me rends compte que je vous ai fait un vrai interrogatoire. Cela parle de mon ignorance sur ce thème. Je vous remercie de tout mon cœur de votre collaboration. En attendant de vos nouvelles, que Dieu vous bénisse. Paula »

 

Paula, je veux te remercier chaleureusement de m’avoir donné l’occasion, par ton mail plein d’interrogations, d’aborder des problématiques centrales sur l’homosexualité. Tes questions témoignent chez toi d’une foi très vivante, juste, acérée, en mouvement, fertile. C’est génial ! Tu poses les bonnes questions, et tu me permets de mettre des mots sur ce qui m’habite depuis longtemps et que je n’avais jamais formulé comme ça. Il y a 2 ans, un prêtre âgé et très proche ami de ma famille, suite à la lecture de mon livre, m’avait suggéré d’écrire un petit fascicule proposant un guide pratique pour l’accueil des personnes homosexuelles par l’Église. Et j’ai l’impression que grâce à ton questionnement, son souhait est réalisé. Il est impressionnant de voir combien le seul thème de l’homosexualité est facteur de discorde, de divisions internes/extérieures, et d’éloignement de l’Église. Je l’ai déjà observé même chez les jeunes adultes cathos encore présents dans nos églises. Tu as donc touché un problème crucial. Merci à toi. Du coup, je publierais bien ce mail que je t’envoie, et notre échange, sur le site de mon livre. M’y autorises-tu ? Que Dieu, qui est toute-puissance d’Amour, te bénisse. Ton (déjà) frère Philippe.

 
 

N.B. : Vous trouvez toutes les réactions à cette lettre ainsi que mes réponses, sur le site Padreblog.fr. C’est l’un des articles du site les plus visités. Merci au père Pierre-Hervé Grosjean et à son équipe de prêtres !

 

N.B. 2 : La Lettre à Paula a été traduite en anglais, espagnol, portugais, et allemand.

C’est ton avis !

C’est ton avis !

 

 

La mauvaise foi s’habille toujours du déni ou du mensonge, mais elle prend parfois le masque du « respect », de la « tolérance », de la subjectivité, pour ne pas s’avouer à elle-même sa violence. Lors d’une discussion par exemple, en disant à notre interlocuteur que « son avis reste son avis », pour en réalité ne pas prendre en compte celui-ci, on sous-entend deux choses totalement contradictoires (à l’image du fossé que nous établissons parfois, à l’insu de notre sincérité, entre nos bonnes intentions et nos actes) : d’une part que son avis serait « génial » du simple fait qu’il serait sien  (ben oui… de fait, un avis, c’est avant tout personnel, même s’il peut être partagé) et en même temps que son avis est « nul » (étant donné qu’il est personnel, on estime qu’il ne pourra jamais être le nôtre, voire que notre interlocuteur nous « l’impose » en vrai dictateur). Autrement dit, on reste campés sur nos positions, tout en étant persuadés de faire preuve d’une exceptionnelle ouverture parce qu’on redit une évidence qu’on trouve belle (« Chacun a le droit d’avoir son propre avis »), alors que, si on réfléchit bien, la sacralisation de « l’Avis », du « Point de Vue », de la Reine « Opinion », de la Subjectivité, c’est de l’indifférence en boîte, de l’individualisme, du pur déni, un refus du dialogue et de la recherche de Vérité ensemble. L’avis ne peut devenir sacré que s’il est partagé, posé fermement et avec nuances, que s’il se met concrètement au service d’un Universel mouvant et non d’une pluralité poétique abstraite ou de la conscience individuelle.

 

J’en ai connu quelques-unes, des personnes qui faisaient à de rares occasions preuve de mauvaise foi, et qui tentaient, sous couvert de la subjectivité, d’imposer silencieusement leur propre avis inconsistant, de chasser la recherche d’objectivité, de clôturer et de condamner proprement les débats pertinents qui avaient été lancés par un désarçonnant et discret « C’est ton avis, je le respecte » qui résonne comme un « C’est ton avis ; c’est pas le mien : Cause toujours, tu m’intéresses… », en vous faisant en plus passer pour le rigide de service, pour le méchant sbire contestataire que vous n’êtes pas, pour la simple raison que vous résistez au bout de scotch qu’elles cherchent à vous mettre sur la bouche et qui s’appelle « Vérité individuelle » (ou plus concrètement « vérité individualiste »). Sur le coup, quand elles nous sortent ce que mon père appelle « una excusa de mal pagador » (je suis bien embêté pour pouvoir traduire cette si belle expression espagnole… donc je la laisse telle quelle), on se sent tout cons, on ne sait pas quoi répondre à tant de couardise : elles nous ont soutenu qu’on aurait beau dire tout ce qu’on veut, argumenter avec énergie et poids nos idées, le débat tournerait en rond et que ça ne servirait à rien de continuer le dialogue puisqu’on serait naturellement « bornés » et qu’on chercherait à tout prix à les « convaincre » (peut-être que sur ce seul point, elles n’ont pas totalement tort : nous essayons simplement de les convaincre que nous ne sommes pas aussi facilement convaincus par leur démagogie…) ; et, comble du comble, par leur indifférence notoire, elles ont quand même l’impression de partir en Bons Princes de la Tolérance et du Respect. « Je trouve ça génial, ce que tu dis. J’ai pas écouté… mais vraiment, du fond du cœur, c’était très intéressant. On vous rappellera. » (sourire dents blanches).

 


 

Ce « T’as gueule. On vous invitera. », je l’ai entendu pas plus tard qu’hier soir. C’était à la radio, le lundi 13 septembre 2010. L’émission « Homo Micro », sur Radio Paris Plurielle, accueillait en grandes pompes Harry, l’animateur de l’émission estivale de France Inter « Je t’aime pareil », la première grille de programme généraliste traitant ouvertement d’homosexualité sur une radio non communautariste et grand public, animée en plus par deux journalistes présentées comme « hétérosexuels », Harry Éliézer et Marjolaine Koch. J’ai délaissé, pour cette édition spéciale d’« Homo Micro », ma chronique symbolique « Sex Symboles » habituelle, afin de préparer 8 minutes d’intervention. Je suis passé à l’antenne un quart d’heure avant la fin (et pour ceux qui veulent ré-entendre l’émission, elle est podcastée soit sur www.brahimnaitbalk.fr – c’est le podcast n° 166 –, soit sur le site de l’Araignée du Désert à la rubrique « audios/vidéos »).

 

Que s’est-il passé, en résumé, à l’occasion de cette visite radiophonique d’Harry ? C’est assez simple. Pendant toute l’heure d’« Homo Micro », on a applaudi non pas l’émission « Je t’aime pareil » en elle-même mais le concept de l’émission ; on n’a pas abordé son contenu (et pour cause : il était très léger et critiquable) mais uniquement sa forme ; on a félicité la démarche de France Inter(peu importe qu’ils aient bien parlé ou mal parlé « des » homos : ils en a parlés, c’est tout ce qui compte !) au détriment des actes et des paroles ; on a décerné la statuette du Mérite à Harry sans comprendre qu’elle n’était pas si méritée. Et le seul « grand méchant loup » qui a osé nuancer l’euphorie collective et poser un regard un tant soit peu critique sur son émission, c’est moi… (Huée du public)

 

Mes amis chroniqueurs ont présenté d’avance ma prise de parole comme une volonté délibérée de détruire, comme une provocation qu’elle n’était pas (on peut être bien plus aimant en s’opposant qu’en applaudissant ce qui ne mérite pas les applaudissements). Certes, j’ai donné mon point de vue, mais j’ai fait bien plus que cela : je l’ai argumenté de manière – je crois – pertinente, tout en lui laissant la possibilité d’être discuté par la suite (perche qui n’a pas été saisie… et c’est cette attitude de refus du dialogue que j’accuse à présent dans cet article). Je me suis appuyé concrètement sur les émissions « Je t’aime pareil » que j’avais toutes épluchées attentivement auparavant. Pour seule réponse à ma critique, Harry m’a dit à l’antenne que je n’avais pas dû bien écouté l’émission, trop prisonnier que je devais être de mes aprioris et de mes préjugés (jugement hâtif amusant, surtout quand on sait qu’au moment où j’ai eu accès aux podcasts de « Je t’aime pareil », je les ai suivis pour mon plaisir, et sans même savoir que j’allais en faire la critique un jour à la radio…). Quand il m’a sorti ce mensonge, je pense qu’il voulait en réalité que je ne me penche que sur ses bonnes intentions ; pas son émission… Car s’il avait accepté de parler de l’émission en elle-même, il aurait vu que je m’appuyais sur des phrases et des situations très concrètes, et que je n’ai absolument rien inventé. Mon sentiment, c’est que, aussi bizarre et paradoxal que cela puisse paraître, c’est Harry qui a refusé de regarder rétrospectivement son émission telle qu’il l’a faite. Elle lui a offert une notoriété et une médaille de sympathique défenseur des différences : il n’est visiblement pas encore prêt à renoncer à ce statut flatteur mais pas si justifié que ça, ni à revenir sur sa prestation au niveau du fond.

 

J’ai trouvé en effet que l’émission « Je t’aime pareil », derrière un sourire d’apparat estival, n’a pas fait avancer la réflexion sur l’identité homosexuelle, l’amour homosexuel, l’homophobie, le mariage gay, la cohabitation de la religion avec l’homosexualité, l’homoparentalité, le désir homosexuel et sa nature, etc. Elle est restée très allusive sur les messages de fond, très marketing et consensuelle dans les discours… et je dis pourtant cela en tenant compte des (apparemment nombreux et élogieux) retours de courriers et d’avis (ah… les avis…) des auditeurs. Harry m’a avoué explicitement à la fin de l’émission « Homo Micro » que le but de « Je t’aime pareil » n’était pas de créer du débat, mais juste d’illustrer des vécus, de sensibiliser le grand public à un sujet mal connu, de fournir les grandes lignes sur l’homosexualité sans rentrer dans les détails, de donner un petit « kit gay friendly » pour comprendre l’homosexualité sans en soulever toutes les ambiguïtés et les implications concrètes (genre L’homosexualité en 10 leçons, ouL’homosexualité pour les Nuls, ou Comment aider l’hétéro de base – homophobe par ignorance – à accepter l’homosexualité). Peu d’auditeurs se sont plaints du manque pourtant criant de vis-à-vis, de réflexion, de discussions, d’avis contraires. La critique qui a été faite à Harry d’avoir réalisé une émission « à la Jean-Luc Delarue », un talk show principalement construit sur les témoignages « je » émotionnels et victimisants (critique que je cautionne totalement… sinon, je n’aurais pas comparé « Je t’aime pareil » à un « Télé Boutique Achat »), il a préféré ne pas l’entendre, la glisser discrètement dans la pile des attaques beaucoup plus injustifiées, voire insultantes, homophobes, et racistes, qu’il a avoué ne pas avoir lues.

 

Dans les studios de Paris Plurielle, je regardais Harry pendant que je m’attelais à faire mes 5 pauvres minutes de chronique (je dis « pauvres » car on ne m’a pas laissé parler davantage, et mon topo a été coupé prématurément à cause d’une mauvaise gestion du temps en fin d’émission). Dès le départ, comme il savait que je n’allais pas lui dérouler le tapis rouge comme les autres chroniqueurs, il a commencé à se tortiller sur son fauteuil, à farfouiller pendant une bonne minute dans son blouson pour y chercher un stylo ; il regardait ailleurs, ne m’a pas offert beaucoup de regards, a ensuite joué la fausse décontraction ou la distance, a fait semblant de prendre des notes… pour finalement conclure la bouche en cœur : « Que veux-tu que je te dise ?… C’est ton avis… Ça n’engage que toi… C’est de ta responsabilité… » (sous-entendu « pas de la mienne »). Je l’avais pourtant séché sans le vouloir, en plein direct (moi, je ne voulais justement qu’entraîner un dialogue ; je ne voulais clouer le bec à personne). Il ne m’a pas écouté. Il ne voulait pas m’écouter. Et je me suis retrouvé, sans m’y attendre, face à un mur. J’étais intérieurement ébahi de le voir jouer l’autruche devant moi, alors que je lui fournissais l’opportunité d’une vraie discussion sur le fond de son émission, après 45 minutes d’applaudissements sur le plateau d’« Homo Micro » à propos uniquement de la forme et de la valeur symbolique de « Je t’aime pareil », 45 minutes de retour sur les anecdotes rigolotes et émouvantes des deux mois d’été. Tout d’un coup, Harry perdait de son innocence, alors qu’il serait parti en odeur de sainteté si personne ne l’avait retenu. Pour me tenir tête à l’antenne, il s’est contenté de ré-énoncer une idée reçue qui tombait comme un cheveu sur la soupe dans le débat (« On est responsable de ce qu’on dit. »), et de renvoyer à la responsabilité individuelle des propos que l’on tient sur une radio (« Ce que tu dis n’engage que toi. » ; « La responsabilité de tes propos t’engage. » ; « Après, ça n’engage que moi… ») : une façon comme une autre pour lui de précisément se désengager, de se laver les mains, de claquemurer mon avis dans le placard de l’individualité et du relativisme. Il a mis précautionneusement sur le compte de son caractère (donc autant dire un domaine qu’il ne pourrait pas changer) la question de la bonne humeur du plateau de « Je t’aime pareil », hilarité qui, je pense, va bien au-delà de la simple personnalité d’Harry ou de Marjolaine : elle dit la place écrasante qu’a pris la bonne intention sur les discours et les raisonnements dans « Je t’aime pareil », et en plus de cela, elle fait écho à la tournure victimisante et compatissante qu’a choisi dès le départ l’émission de France Inter.

Harry justifiait, pendant et après l’émission « Homo Micro » d’hier soir, le manque de contenu de « Je t’aime pareil » par une extériorisation de sa responsabilité de programmateur sur le cadre radiophonique qui lui était imposé (« On n’avait qu’une heure d’émission » ; « On doit faire court et accessible » ; « On fera différemment l’année prochaine » ; « Faut pas oublier qu’on s’adressait à un public néophyte » ; « 21h, c’est tard pour proposer une émission intellectuelle avec débat… » ; etc.). Il se mettait également à projeter sur le public de France Inter son propre manque d’ambition, son ignorance personnelle du sujet traité, ou son abandon de l’exigence intellectuelle : les auditeurs « hétéros » (plus rarement homos) à qui il s’adressait ne voudraient pas, selon lui, de débat, d’avis différents et parfois contradictoires sur l’homosexualité (d’ailleurs, tous les invités ont été triés sur le volet pour défendre la Cause homosexuelle à l’unisson : bizarrement, il n’y a eu aucun opposant à l’homosexualité qui a été convié, aucune partie adverse pour contrebalancer les points de vue univoques) ; ils ne souhaiteraient que s’informer sur ce qui existe au niveau de la communauté homosexuelle, engranger de jolies définitions, acquérir une nouvelle façon de parler (exemple : il ne faut pas dire « avouer » mais « révéler son homosexualité » : c’est très important…), apprendre sans comprendre, s’identifier rapidement à des vécus émouvants, « partager (je cite) le quotidien d’un personnage » (les invités ne sont pas des personnes réelles mais des « personnages » d’un docu-fiction ! Énorme, ce lapsus…). Pour Harry, être généraliste et ouvert, c’est forcément simplifier les choses pour se mettre à la hauteur de « Monsieur tout le Monde », c’est vulgariser… alors que je suis précisément convaincu du contraire : ce n’est pas parce qu’on s’ouvre à l’universel et qu’on parle d’une chose nouvelle que la pensée doit être bradée, que les discours doivent être simplistes (surtout pour un sujet aussi peu léger et aussi ambigu que l’homosexualité !), que les débats doivent être bannis, qu’il faut aller au plus court et au plus concis pour être bien reçus. On peut n’avoir qu’une heure d’émission, être pris par le temps, obéir au formatageFrance Inter, tout en allant au fond des choses. Il suffit déjà de le vouloir, de le prétendre ! Et c’est bien ce que je reproche à l’émission « Je t’aime pareil » et à ses deux présentateurs : d’avoir manqué de prétention, uniquement pour jouer petit, pour se rendre accessibles, pour s’acheter une image d’« hétéros trop open » et super généreux (… et, en filigrane, s’acheter une place au soleil à la radio, puisque l’émission aurait « tellement plu et tellement marché » qu’il y a de fortes chances pour qu’elle soit reconduite pour une édition 2011)…

 


 

Ma chronique rabat-joie a donc été bizarrement accueillie. On lui a fait la sourde oreille, puis on l’a conclue, sur le ton de la boutade (… et surtout pour avoir la paix) par une invitation peu sérieuse à assister à l’édition « Je t’aime pareil » de l’année prochaine ! « On vous invitera… » Alors que j’ai exprimé un avis qui avait du poids et qui méritait qu’on s’y arrête, on m’a coiffé du diadème de Miss Zemmouria qui doit se contenter des 10 minutes de gloire minable qu’offre la contestation gratuitement méchante (que je n’ai pas faite) plutôt que de continuer à ouvrir sa gueule. Et en lot de consolation, on m’a donné mon joli paquet de bergamotes à sucer. Au moins, comme ça, elle ne parlera pas la bouche pleine !

 

En sortant de cette émission « Homo Micro », j’ai poursuivi un peu le dialogue avec Harry, qui, abstraction faite de mon avis sévère mais réaliste sur sa propre émission, est humainement délicieux et très drôle. L’échange s’est révélé aussi stérile que devant les micros. Il a préféré penser que j’étais obsédé par l’idée d’avoir raison, plutôt que de voir que c’était lui qui barrait son auto-critique. Comble de la lâcheté : il m’a dit : « Si le concept de l’émission ‘Je t’aime pareil’ ne t’a pas plu, tu n’avais qu’à changer de stations. On n’a forcé personne à l’écouter et à l’apprécier. » Change de crèmerie si tu n’es pas content, mais surtout, ne viens pas faire chier en m’assénant mes 4 vérités ! Ne viens pas me dire ce qui est perfectible ou non ! On ne peut pas plaire à tout le monde. Ça ne t’a pas plu ? Bon, eh bien tant pis. Passe ton chemin. Le débat sur les goûts est de toute façon stérile et on tourne en rond si on le poursuit ! Ciao bye ! Le gros problème de ce genre de raisonnement, c’est qu’à force de remplacer l’éthique par l’esthétique, de n’envisager la Vérité que sous l’angle du « goût » ou de l’« avis » personnel, on ne se situe plus ni dans le dialogue ni dans la recherche de Vérité ensemble. On fait du désaccord un mur qu’on ne peut plus franchir à deux, alors qu’il pourrait être justement ferment de partage, d’avancée, de perfection/perfectionnement, d’humour. La seule voie de sortie qu’Harry m’a donnée à contre-cœur après l’émission, c’est celle-ci : « Tu n’es pas content ? Et bien propose autre chose ! »… ce à quoi j’ai répondu : « Mais je n’attends que ça ! » Car j’en ai, des choses à proposer ! J’en ai, des choses à dire ! J’ai largement de quoi tenir ma propre émission hebdomadaire sur une chaîne gay friendly ! Et ce ne serait ni la Fête du Slip, ni le Pays des Bisounours, ni du blabla sensationnaliste victimisant ! Je pourrais même reprendre les sujets déjà traités dans « Je t’aime pareil », mais de manière beaucoup moins consensuelle cette fois-ci, puisque dans l’émission de France Inter – d’ailleurs, Harry l’avoue ouvertement – le « faire débat » n’était pas du tout l’objectif. Il n’y a pas eu, en effet, de débats d’idées : juste une présentation généraliste et policée du monde homosexuel, un survol rapide du thème entre personnes préalablement acquises à la Cause. Je ne veux pas qu’on parle petit, qu’on joue à la dînette avec l’ami Harry, car la sexualité, ce n’est pas un petit débat ! Elle a des enjeux de vie, de mort, de bonheur, de souffrances, de durée, de sens existentiel.

 

Harry, un ami qui vous veut du bien. Un ami qui, sans écouter votre avis, veut juste le recevoir… mais uniquement parce que « c’est votre avis ». Surtout quelqu’un qui ne veut pas se voir retirer sa Médaille de la Générosité et de l’Ouverture d’Esprit décernée par la communauté homosexuelle ou une communauté hétéro-gay friendly difficilement chiffrable (« un hétéro » qui défend la cause homo alors qu’il est hétéro, n’est-ce pas le must de l’héroïsme, de la générosité désintéressée, si l’on s’en tient uniquement au regard pro-homo ?) En se voyant critiquer son émission, il a récriminé à l’incompréhension de son travail et de sa sincérité, au procès d’intentions. Et pour cause ! Marjolaine et lui ont été très sincères, et la qualité des rencontres que leur aventure radiophonique avant-gardiste leur a permises est sans aucun doute réelle. Mais dans son discours, je me rendais bien compte qu’il confondait « démarche » et « contenu » (autrement dit intentions et actions, sincérité et Vérité, forme et fond) : il disait que l’effet « Télé Boutique Achat » que je critiquais ne correspondait pas à la démarche que Marjolaine et lui ont eue en créant cette émission. Encore une fois, je le répète : ce n’est pas la sincérité des bonnes intentions que je remets en cause, ni même l’initiative de l’émission « Je t’aime pareil » ; c’est l’application concrète de ces bonnes intentions. Car celle-ci est plus que discutable ! Au niveau du contenu, les réflexions sur l’homosexualité exprimées sur le plateau de « Je t’aime pareil » rasaient les pâquerettes. Mis à part le message suivant « L’homosexualité existe, et il faut l’accepter, au nom de l’amour et de l’accueil des différences », rien d’autre n’a été dit. Presque tous les thèmes, pour ne pas dire tous, ont été survolés. Ça ne fait pas plaisir à entendre, mais c’est comme cela que j’ai ressenti les choses… et je suis loin d’être le seul à le penser ! Je pourrais me taire, ne pas en faire toute une histoire de ces 10 minutes de fin d’émission d’« Homo Micro », garder mon avis pour moi. Après tout, d’autres choses me choquent bien davantage que cette rencontre qui a donné au final une émission réussie et sympathique. Je n’ai même pas été humilié à l’antenne. On m’a laissé libre de m’exprimer, en plus. De quoi je me plains ? Et puis ce Harry qui est si gentil, qu’est-ce que tu vas l’emmerder à écrire cette lettre ouverte ? En fait, plus que l’événement d’hier soir en lui-même, c’est cette censure (sur la question du désir homosexuel) qu’il illustre qui me hérisse. Cette censure imposée même par les soi-disant défenseurs « hétéros » de l’homosexualité, par les personnalités médiatiques qui apportent accidentellement ou de manière improvisée le sujet sur le tapis. Dès qu’on appelle à un peu plus de profondeur et moins d’émotionnel, on nous renvoie à notre « avis » sans le prendre en considération. Ça pourrait être drôle, cet interdit inconscient et bien-intentionné – il me fait rire à certaines occasions –, mais je le trouve aussi inquiétant, ET pour les alliés « hétéros » de l’homosexualité qui n’ont pas pris le temps de réfléchir sur ce qu’ils vantaient, uniquement pour jouer le jeu (pas si désintéressé que cela) de « l’ouverture », ET pour les membres de la communauté homosexuelle qui ne se donnent pas à voir dans les meilleures conditions puisqu’ils se placent en victimes et ne montrent aucune auto-critique. Alors c’est plus sur le silence qui entoure le thème du désir homosexuel que se catalyse en effet ma révolte. C’est le déni de sa violence et de ses ambiguïtés que je me refuse à balayer d’un revers de main, car c’est ce dernier qui est le véritable facteur d’homophobie dans notre société. Actuellement, on parle beaucoup d’homosexualité, mais mal. Les débats n’avancent pas car on continue de marteler à des gens hostiles ou simplement indifférents au désir homosexuel qu’ils doivent à tout prix accepter l’homosexualité (sous peine d’être taxés de « réactionnaires » ou d’« arriérés ») sans leur expliquer pourquoi et en quoi c’est juste… peut-être justement parce que ce n’est pas si juste et si simple que cela.

 

Alors, oui, si ce que nous racontons dès que nous abordons l’homosexualité dans la nuance, c’est réduit à une gentille opinion qu’on peut ranger dans le tiroir des « avis » une fois qu’elle a été entendue sans être écoutée, je n’ai plus qu’à rentrer chez moi, à allumer ma télé imaginaire pour écouter le JT, vivre ma petite vie sans me soucier des autres (vibrer, trembler ou pleurer pour eux remplacera bien l’action réelle que j’aurais posée à leur encontre…). Si c’est le règne du relativisme que nous voulons, allons-y carrément dans les formules tautologiques « Toi c’est toi et moi c’est moi » ou bien « Chacun son avis ». Participons donc tous en chœur à cetteDémocratie de l’Indifférence mutuelle qu’on nous matraque avec un sourire ultra-bright dans nos médias les plus plébiscités, cette démocratie de l’individualisme où tout le monde « a un peu raison et un peu tort » (on s’en fout, finalement, de le savoir : c’est ça la richesse de la diversité, non ?), où chacun « s’aime pareil » tout en s’ignorant dans une uniformité confortable, où on se rencontre sans se rencontrer, où on se voit sans s’effleurer et sans se confronter réellement les uns aux autres de peur de se blesser et de regarder en face notre participation passive à certains systèmes idéologiques totalitaires. Monde lisse et publicitaire. Tu penses ce que tu veux, tu fais ce que tu veux, tu aimes qui tu veux : je t’aime pareil. Tu ne mérites même pas mon opposition : juste mon aval distant et filmé sur pellicule. Tu vis ta vie, et c’est magnifique. Je te regarde en te souriant, mais c’est moi seul, déguisé en généreux, que j’admire, car de ta gueule, je n’en ai rien à faire. Navré, mais moi, ce n’est pas ma politique du respect. Je crois que lorsqu’on aime vraiment quelqu’un, on se doit aussi d’être exigeant avec lui, on ne va pas systématiquement dans son sens, surtout quand il se trompe de chemin ou qu’il ne choisit pas le meilleur chemin possible pour lui. Certes, on prendra le risque de lui dire « non » s’il le faut, de le contrarier par notre avis différent et non-contraire. Mais on est sûrement plus aimant que ses adorateurs qui l’applaudissent les yeux fermés. Il est évidemment peu politiquement correct de souligner que derrière les bonnes intentions il y a eu peu d’actes, peu de paroles profondes, que derrière l’acte solidaire et sincère il y a eu de l’arrivisme et un manque de gratuité. Mais moi, je le dis. Par amour des chemins de Vérité.

 
 

Philippe Ariño, mardi 13 septembre 2010

 

J’ai testé pour vous… et c’est moyen

J’ai testé pour vous… et c’est moyen

 

 

Ce n’est pas que ça ne marche pas, ce couple homo. C’est juste que ce n’est pas forcément à vivre, ni à mettre sur un pied d’égalité que la relation femme-homme aimants ou la relation du célibataire consacré à Dieu. Même si très peu de personnes osent le dire de peur de passer pour des réac’. Moi, je le dis et l’écris. Et maintenant en connaissance de cause. Je l’avais déjà deviné et marqué noir sur blanc dans mon livre. Maintenant, je persiste et signe. Sans fatalisme. Avec une joie renouvelée.

 
 

Regard rétrospectif sur mon livre

 

Nous sommes en 2010. J’ai 30 ans depuis peu… et toutes mes dents. C’est un grand bonheur pour moi de pouvoir revenir sur ce que j’ai écrit il y a 7 ans de cela sans avoir à me désavouer, sans éprouver le besoin de retoucher une seule ligne. Je vis cette expérience joyeuse avec mon livre, comme un père regardant son enfant grandir sans honte et sans mauvaises surprises. Ce soulagement est la preuve que, à travers mes écrits et mes prises de position, j’ai quand même réussi à toucher à quelque chose de la Vérité universelle et atemporelle que je recherche, que je ne possèderai jamais. Quand un auteur a été un peu rapide dans ses jugements, quand il s’est exhibé juste pour jouir d’une notoriété illusoire, du « mas-tu vu », ou pour créer du scandale, il n’a pas envie de se revoir dans son miroir textuel quelques années après. Moi, si : je suis fier de mon livre. Il n’y a que nos approximations réussies de la Vérité qui ne nous font pas peur, qui nous remplissent de la joie de la confirmation. Si c’était à refaire, bien sûr, j’enlèverais les quelques coquilles et fautes d’orthographe qui émaillent l’ensemble du texte (fautes très nombreuses dans monDictionnaire des codes homosexuels ; très rares dans les 2 premiers tomes : Homosexualité intime et Homosexualité sociale). Mais tous ces détails gênants et qui ne font pas « pro » n’entachent pas la fierté renouvelée que j’éprouve quand je relis mon essai. Il m’arrive parfois, quand je tombe sur un passage, de continuer ma lecture sans pouvoir m’arrêter, comme si je le redécouvrais. C’est vraiment, chez moi, de l’émerveillement ; pas une occasion pour m’enorgueillir. Je n’en ai rien à faire de la gloire personnelle. Je n’ai pas écrit ce livre pour moi-même mais pour ce que j’avais à dire. Je regrette seulement que le message de mon essai ne soit pas encore assez connu et relayé par les médias, car il le mérite. Mais j’ai l’intuition qu’il le sera un jour, qu’il ne connaîtra pas le simple succès d’un roman qui fait sa rentrée littéraire et qui retombe dans l’oubli, que mon ouvrage sera ré-édité et aura une longue espérance de vie (on en reparlera dans 30 ans), que ce que j’ai découvert – notamment à travers mon Dictionnaire des codes homosexuels – est réellement visionnaire et constitue une nouvelle grille de lecture des œuvres homosexuelles qui suffirait à justifier la création d’une nouvelle branche des études universitaires gaies et lesbiennes, bien plus grande encore que les Queer & Gender Studies, puisque je découvre encore aujourd’hui, en lisant des œuvres que je ne connaissais pas ou en allant voir des pièces sur l’homosexualité bien après la publication de mon livre, des échos parfaits et absolument improbables à mon Dictionnaire. Pour exemple, pas plus tard que cette année 2010, je me suis rendu à une représentation de la pièce « Le Gang des Potiches » de Karine Dubernet au Théâtre du Petit Gymnase à Paris, une pièce vraiment drôle et efficace. Et à un moment, j’ai halluciné. Alors que j’avais déjà publié mon livre, et qu’à l’évidence l’auteure du « Gang des Potiches » ne connaît pas l’existence de mes écrits, j’ai vu débarquer sur scène le personnage lesbien déguisé comme par hasard en Catwoman. Et ce détail, qui échappe complètement au spectateur lambda, m’a gentiment secoué car il renvoie au code « Catwoman » recensé dans mon Dictionnaire, et donc à l’identification courante de certaines personnes homosexuelles à l’héroïne féline de la B.D. Batman. Ces révélations me font maintenant plaisir et m’ont longtemps étonné. Oui, c’est bluffant. Mon livre m’épate, continue de m’apparaître comme un ouvrage en avance sur son temps. Car j’ai trouvé les bons bouts de la ficelle pour dérouler la bobine de l’homosexualité, les clés de lecture pour décoder tout type de créations parlant du désir homosexuel ; et ça reste pour moi un mystère qui me dépasse en partie, une sagesse qui ne vient pas de moi mais qui m’a été donnée, et que j’ai envie de crier. Il faudrait repasser toute la production artistique et littéraire homosexuelle au crible, à la lumière de mon Dictionnaire des codes homosexuels, et vous verriez que les cavernes d’Ali Baba que possèdent jalousement beaucoup de personnes homosexuelles dans leurs bibliothèques et DVDthèques poussiéreuses s’éclaireraient soudain !

 

J’ai toujours trouvé dommage qu’au moment de la parution de mon livre en décembre 2008, on m’ait demandé si j’avais déjà un autre projet d’écriture sous le coude, alors même qu’on n’avait même pas lu en entier mon essai ni pris la mesure ce que j’avais écrit. Juste une seule critique (une critique assassine, disons-le franchement) avait été faite à l’époque sur Internet… et encore… elle venait, je l’ai su plus tard, de Bruno Bisaro, qui a avoué ne pas avoir lu du tout mon livre et avoir réagi à chaud parce qu’il avait été vexé de se voir cité dans mon Dictionnaire. Sinon, pas un communiqué de presse ; pas de signatures dans les librairies (sauf une à l’Harmattan en janvier 2009) ; pas de forum du livre ; pas une émission de télé à l’époque. Ont sauvé in extremis mon livre de l’anonymat la confiance inattendue de Brahim Naït Balk, l’auteur d’Un Homo dans la Cité (Éd. Calmann-Lévy, 2009), qui m’a permis d’assurer une chronique régulière à l’émission « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle à partir de janvier 2009 (je continue encore aujourd’hui l’aventure radiophonique avec lui), ainsi que la collaboration ponctuelle avec Frédéric Martel pour le site Non Fiction et avec Daniel Conrad Hall pour Les Toiles roses, un petit article d’Anne Delabre dans le supplément de Têtu (mars 2009), une apparition dans l’émission « Y’a une solution à tout » d’Évelyne Thomas sur la chaîne Direct 8 grâce à la journaliste Sandra Gribe en novembre 2009 (mais cette intervention n’était pas directement liée à la sortie de mon bouquin), et surtout la création du site internet L’Araignée du Désert en janvier 2009. Je n’en veux absolument pas à ma maison d’édition L’Harmattan de ce manque d’information au sujet de la sortie du livre. L’Harmattan fait le choix de publier énormément d’auteurs mais a le défaut de n’assurer quasiment aucun suivi post-publication, tant au niveau distribution que communication. Même si les Éditions Actes Sud m’ont dit oui pour la publication du Dictionnaire deux mois trop tard, je ne serai jamais assez reconnaissant à ceux qui, chez l’Harmattan, ont accepté de me faire confiance et de publier l’intégralité des 4 tomes de mon livre. Être édité à l’Harmattan passe auprès de certains professionnels du livre pour une publication à compte d’auteur, une arnaque, ce qui est complètement faux : pour ma part, je n’ai pas eu à débourser un seul centime. Seul bémol : comme cette maison cible moins « ses » auteurs, pour en publier un plus grand nombre que dans les maisons d’édition dites « classiques », elle ne s’occupe que très peu de la vente et de la promo des livres. C’est aux écrivains de l’Harmattan de travailler pour se faire connaître : les éditeurs ne le feront pas à leur place ! Cela dit, l’Harmattan reste une maison d’édition prestigieuse et active partout dans le monde. Elle fait, en plus, confiance à de nombreux auteurs inconnus, et gage sur des nouveaux talents sans penser d’abord à savoir s’ils sont « rentables » ou non : elle a, pour cette raison, toute sa raison d’exister. Après, il n’en reste pas moins vrai que la création du site Internet de mon livre a été capitale et presque vitale pour faire connaître mon livre, même si, au jour d’aujourd’hui, le site n’est rempli qu’au quart de ses possibilités (des centaines d’extraits vidéos et audios dorment encore en réserve et pourraient remplir un « Quiz de l’homosexualité » qui est l’équivalent audiovisuel et illustré de mon Dictionnaire des codes homosexuels : le site de l’Araignée n’en est vraiment qu’à ses balbutiements…).

 
 

Confessions intimes

 

 

Qu’en est-il maintenant de ma vie après le livre, après décembre 2008 ? Est-ce que mon essai a changé quelque chose dans ma façon de vivre l’amour et d’appréhender mon désir homosexuel ? Il est certain que oui. Étant donné que j’ai « brisé » mon célibat continent vieux de 29 ans en janvier 2009, en sortant pour la première fois avec une personne, et en l’occurrence un garçon, certains se plaisent (à tort je crois) à penser qu’il « fallait » que je sorte mon livre pour ENFIN me décoincer et vivre mon homosexualité en conformité avec ce que je serais VRAIMENT. Ils envisagent la publication de mon livre comme une thérapie, un remède contre une maladie ( = l’homophobie) ou une peur injustifiées ( = poids éducationnel et religieux) que j’aurais eue en moi, comme un rite de passage nécessaire entre un désir homosexuel non-assumé et une homosexualité concrète, libérée, heureuse. Je crois qu’ils se plantent en beauté s’ils pensent cela, même si ces projections sont souvent bien intentionnées. Mon livre n’a pas de caractère transitoire du tout, ni libératoire. J’aurais pu l’écrire pareil maintenant que j’ai perdu ma virginité sexuelle, même si je crois que le fait de l’avoir composé sans être sorti avec quelqu’un m’a aidé à le finir, à assumer entièrement mes observations (j’ai remarqué que, dès qu’une personne homosexuelle sort avec quelqu’un du même sexe, elle est soudain tentée de justifier son identité homosexuelle ou l’amour homosexuel à l’excès : elle a, du coup, moins d’énergie pour porter un avis dépassionné et distancé sur son désir homosexuel ; peut-être que si j’étais sorti avec quelqu’un pendant la rédaction de mon ouvrage, qui s’est étalée de 2002 à 2008, je n’aurais pas trouvé la flamme pour le porter jusqu’au bout ; j’en suis presque certain.).

 

Si c’était à refaire, je crois que je n’aurais dû sortir avec aucun des garçons que j’ai rencontrés pendant cette année et demi qui allait de janvier 2009 à août 2010. Je ne parlerai pas de la parenthèse des quatre mois pendant lesquels j’ai envisagé de me marier avec une femme – car, oui, j’ai confondu l’amitié et l’amour aussi avec une fille, pas uniquement avec les garçons, même si là encore, je n’ai jamais renié mon désir homosexuel quand j’étais avec elle, et que je suis resté particulièrement sincère : mon homosexualité m’a dépassé, tout simplement. Au sujet de ces hommes avec qui j’ai vécu une histoire d’amour, je continue de penser qu’individuellement, ce sont des garçons adorables, de qualité. Leur seul tort ne venait pas de leur propre personne, mais d’une part des limites de l’amour homosexuel qui me sautaient très vite à la figure dès que j’entamais une relation et qui m’apparaissaient insupportables sur la durée (je ne sais d’ailleurs pas par quel mystère certains couples de garçons ou de filles arrivent à s’en accommoder pendant 1, 2, 7, 20 ans… Je serais tenté de leur tirer mon chapeau, mais au fond, je les trouve inconscients et excessivement volontaristes), et d’autre part de quelque chose de beaucoup plus positif et de plus fort que ces limites : ma relation à Dieu, un don qui ne peut être serein et vivifiant que s’il est total. On m’a parfois ri au nez quand j’ai dit ça ; on m’a souhaité que je ne me libère jamais de cette bonne drogue qu’est le sexe (car, oui, je l’avoue, j’ai aimé « ça ») ; on m’a dit que cette histoire de relation intime et exclusive à Dieu, c’était chez moi un pur mécanisme inconscient et défensif pour me consoler temporairement de ne pas être tombé sur le « bon » garçon (auquel cas je réponds que je reste sans regret : le « bon garçon » pour moi n’existe pas, si ce n’est dans une relation chaste et non-charnelle génitalement parlant avec Jésus). Pour moi, le problème du couple homosexuel ne vient pas du manque de qualités des individus qui le composent (car pris séparément, ces personnes peuvent être géniales), ni de leur incapacité à aimer – dans un autre cadre conjugal (et je ne pense pas nécessairement au cadre du couple « hétérosexuel » quand je dis ça, bien au contraire !), chacun des partenaires se montrerait moins compliqué, plus joyeux et épanoui. Le problème réside essentiellement en la nature duelle, dispersante, violente, et majoritairement déconnectée du Réel, du désir homosexuel. C’est pour cela que je dis que si mes diverses tentatives de formation de couple homo n’ont pas marché, ce n’est franchement de la faute de personne. Ce sont bien les limites du désir homosexuel qu’il faut pointer du doigts ; pas des individus. Aux quelques garçons avec qui je suis sorti, je demande sincèrement pardon. Car si j’avais été logique jusqu’au bout avec ce que j’ai toujours cru, je n’aurais jamais dû jouer avec leurs sentiments ni avec les miens, avec leur corps et leur âme. Je suis nettement plus responsable et inexcusable qu’eux, car moi, je savais ce que je voulais, je savais ce que je devais faire. Ils me demandent ou me demanderont : « Pourquoi tu l’as fait alors, si tu savais ? » Et c’est bien la seule question à laquelle je ne pourrai pas répondre. Ces essais de couple homo n’ont été ni des grossières erreurs, ni des franches réussites. En tout cas, jamais des expériences obligatoires, nécessaires, et recommandables. Je ne regrette rien dans la mesure où ces histoires (généralement de courte durée : en moyenne 3 jours, au maximum 40 jours) ont existé, ont été vécues dans la sincérité et le respect mutuel, ont été vierges de toute maladie contractée ou de contextes glauques (en plus, ça m’a donné l’occasion de faire un séjour instructif sur les chat de rencontres internet pendant de longs mois… mais autrement, je n’ai jamais connu ni les backrooms, ni les saunas, ni les plages nudistes, ni les parcs, ni le « milieu » de la prostitution, ni des coucheries dénuées de tendresse). Avant la publication de mon livre, on me disait, pour faire la sourde oreille et ne pas écouter ce que j’avais écrit de juste : « Tu as fait un livre sur l’homosexualité, mais tu n’es jamais sorti avec quelqu’un et t’as jamais baisé avec un mec : tu parles de ce que tu ne connais pas ; tout ce que tu dis est très intellectuel et éloigné du réel. » Je me suis lancé en janvier 2009 avec des garçons par auto-démagogie, par souci de me contredire pour prouver mon « ouverture » et ne pas « mourir idiot » (« Y’a que les cons qui ne changent pas d’avis » disent les prophètes beaufs de l’instabilité), par fragilité aussi (car j’ai pris un abonnement Internet illimité depuis octobre 2008 pour les besoins du site de l’Araignée du Désert, alors que je m’étais éloigné d’Internet et de la télé depuis mes 21 ans ; et cette immersion dans le monde virtuel ne m’a pas fait que du bien). Maintenant que j’ai franchi le pas que certains voulaient, je n’ai pourtant pas une seule modification à apporter à mon livre, à part celle-ci : « ‘J’ai testé pour vous’… et je continue de dire que l’amour homo est moyen ». La relation amoureuse homosexuelle n’est ni grave, ni ‘mauvaise’, ni à déconseiller, ni dénuée de bénéfices, ni honteuse. Je peux même dire, avec le peu de recul que j’ai depuis mon récent retour à mon état de vie d’avant janvier 2009, que j’en suis même sorti grandi, un peu déçu et amer certes, mais moins culpabilisé que ce que j’aurais pu imaginé. Et comme je n’ai pas de boule de cristal, je ne peux même pas assurer au jour d’aujourd’hui que je n’y reviendrai pas un jour, à ce rêve de composer une union d’amour avec un homme. Je dis juste qu’« il y a mieux », que « les couples homos amis de mon entourage, j’attends de les voir évoluer parce que je ne suis pas encore assez convaincu par eux ». Et que si vous vous sentez homo et que vous pouvez vous en passer pour laisser l’entière place à Jésus, heureux êtes-vous ! C’est fou, absurde et scandaleux aux yeux des autres, de dire ou d’entendre une chose pareille. Mais heureux êtes-vous quand même ! Ma propre expérience, et ma vie déjà merveilleuse et bien remplie, en attestent. Le bonheur quand on est homo passe par la continence donnée à Jésus. Ça aussi, j’ai testé pour vous. Et j’espère le tester encore longtemps. Ce n’est pas parce qu’on sent en soi un désir homosexuel « réel » qu’on doit forcément s’y adonner. Je pense qu’on vit plus libre si on ne s’y soumet pas.

 

Pour finir, je vous orienterais bien vers un site chrétien qui redit différemment que moi, mais avec une transparence, une précision, une délicatesse, et une exigence remarquables, cet appel scandaleux mais pourtant juste à la continence : http://frataelred.free.fr/temoignage_b.html. Le lien m’a été donné par un garçon qui a mon âge à peu près, et qui est aussi homo, catho, et oscille entre vivre son homosexualité avec un garçon, ou la vivre autrement, dans un don exclusif, total, abstinent, un peu fou, à Dieu. J’en connais très peu, des garçons dans notre situation (peut-être 4 ou 5), hantés par l’idée de former un couple homo qui ne les satisfera pourtant pas, vivant l’angoisse de tout miser (même leurs plus belles années : leur trentaine) pour Dieu, ne se sachant pas guidés ni particulièrement soutenus par l’Église catho, mais qui peu à peu consentent à calmer la tempête en eux, à vivre leur vie au service des autres, sans chercher à tout prix à se mettre en couple. Je suis persuadé qu’ils perdent moins leur temps en se donnant vraiment à leur métier, à leur passion artistique, à la prière, aux autres, que ceux qui passent leur vie sur Internet ou dans les bras d’un homme (puis d’un autre… puis d’un autre…), en alternant les périodes d’un ou deux ans, les amourettes de passage, les jolis voyages, et les projets confortables à deux centrés sur les petits goûts et les petits loisirs du « couple ». La vraie liberté a un prix : la compréhension et la maîtrise d’un désir reçu et donné par Quelqu’un de plus grand que soi. Suivez mon regard…

 

 

Années 1980 : 80% homosexuelles !

Années 80 : 80% homosexuelles!

 

Il y a 3 ans de cela, en 2006, j’habitais à Rennes, la 2ème ville de mes études, en collocation avec une amie peintre, Claire Lardeux, dans l’Avenue Janvier, juste en face de la gare. Pour fêter notre arrivée et connaître nos voisins, nous avions décidé d’inviter tous les habitants de notre immeuble à prendre l’apéro, sans faire aucune sélection sur l’âge, le sexe, le statut social, le nombre… C’était un risque à prendre, mais nous savions que nous ne serions pas déçus ! Nous avons vu débarquer chez nous des convives très divers. Parmi eux se trouvait une voisine âgée de 85 ans, une veuve très dynamique, qui avait toute sa tête et toujours le mot pour rire. Je ne me rappelle plus son prénom, alors on l’appellera Raymonde. Dans mes souvenirs, nous avions joué au « jeu du chapeau » (une invention de mon cru toute bête et très conviviale: il suffit d’écrire sur des petites bouts de papier plein de questions différentes, parfois profondes, parfois anecdotiques, qu’on mélange et qu’on tire au chapeau en les adressant au fur et à mesure à une personne de son choix dans le groupe.). C’est ainsi que nous avons découvert le doux prénom du premier amour de Raymonde. Elle tirait un malicieux plaisir à nous amuser de ses confidences impudiques et coquines. Elle nous a aussi fait découvrir la vie parisienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Et un détail a étonné toute l’assistance : elle a déclaré que ses années d’adolescence furent à ses yeux le plus beau moment de sa vie. Pour nous qui ne jurions que par les manuels scolaires et les documentaires dits « historiques », c’était incroyable d’entendre qu’une époque aussi malfamée que les années 1939-45 avait pu être pour quelqu’un le théâtre du bonheur et de l’insouciance la plus totale. Raymonde a été une adolescente de 15-20 ans, qui a vécu ses premières amours avec l’enthousiasme innocent de la jeunesse, avec l’insolent et triomphant aveuglement de l’enfance qui privilégie toujours la vie à la mort.

Magnifique force d’émerveillement que donne l’enfance. Mais aussi dangereuse capacité d’accoutumance au pire, car tout peut être ré-enchanté, re-écrit, idéalisé, dans l’esprit d’un môme. Je suis convaincu qu’on peut naître à une période trouble et obscurantiste, au milieu des bombes, pendant une terrible guerre, à une époque jugée par certains « superficielle » et « décadente », rien n’entachera pourtant les premières années de notre existence. C’est comme cela que je regarde les années 80 : comme un superbe cadeau, une « Nuit magique » qui me rendra toujours nostalgique, même si ce n’est pas une époque rêvée pour tout le monde, et loin de là (il n’y a qu’à se tourner vers l’Amérique latine des années 80 pour s’en convaincre…).

Toujours en 2006, à l’occasion de la Gay Pride à Rennes et de la semaine d’événements culturels qui l’avait introduite, j’avais amené Éric, un ami homo angevin à la quarantaine bien tassée, à une soirée au Bar gay rennais du Bon Accord. On y diffusait un documentaire que j’avais déjà vu, « Bleu Blanc Rose » d’Yves Jeuland, qui retrace l’histoire du mouvement LGBT français des années 1970 à nos jours. Le visionnage était suivi d’un débat, et c’était celui-ci qui m’intéressait. Je pensais faire plaisir à Éric en le traînant à cette soirée de convivialité. Mais, au moment où ont retenti les premières notes du générique « effrayant » des Dossiers de l’Écran (intégré dans le reportage), j’ai senti mon pote se crisper machinalement. Il m’a avoué en sortant du bar combien se replonger dans cette période où il a vu presque tous ses amis homos disparaître du Sida l’avait déprimé… même s’il s’était détendu en fin de soirée. Je n’avais pas réalisé combien les années 80, si dorées pour moi, sont aussi les plus cauchemardesques pour d’autres…

Je suis un vrai enfant des années 80, pas de doute là-dessus ! Un enfant de la télé, de la société de consommation dans sa phase paillettes et encore bon enfant. Je suis né pile en 1980 en plus. Le jour de l’anniversaire de la mort de Dalida (elle s’est suicidée un 3 mai, quand on me fêtait mes 7 ans, « l’âge de raison » dit-on). Pour moi, les années 1980, c’est le temps du toc sincère, le temps du générique Stade 2 (avec les synthétiseurs des « Chariots de Feu » de Vangelis), des kermesses avec les chorés sur Gold ou Jean-Michel Jarre, des dimanches soirs cafard parce qu’il fallait s’endormir avant le générique de 7/7 d’Anne Sinclair (sinon, ça voulait dire qu’on commençait une angoissante insomnie…), des soirées dansantes de mariages dans les MJC de province avec des hommes aux vestes vert-pomme et rose fushia se trémoussant sur « Partenaire particulier », « Début de soirée », et « Embrasse-moi idiot », le temps des moquettes marron, le temps des marionnettes à la TV (le Bêbête Show, les Fragglerocks, Le Village dans les Nuages, le Muppet Show, etc.), des premiers spots publicitaires dignes de ce nom, le temps des mangas de La Cinq (Jeanne et Serge, Princesse Sarah, Creamy, Oh Lucile embrasse-moi !, etc.), le temps des superproductions américaines (« Les Goonies », « Retour vers le Futur », « Star Wars », « Willow », « Indiana Jones », « Les Dents de la Mer »…) et des nanars français (« La Grande Vadrouille », « Le Gendarme à Saint-Tropez », « La Boom », « Le Père Noël est une ordure », etc.), le temps de l’« exceptionnelle » autorisation parentale de regarder le film de 20h45 le mardi soir, le temps des disques vinyles (pour écouter Anne Sylvestre, Yves Duteuil, Le Petit Prince ou encore Émilie jolie), le temps des playmates du Cocoricocoboy de Collaro le samedi soir, le temps des échographies où on n’y voit que dalle, le temps de la chute du Mur de Berlin, de la mort de Ceauşescu, des otages du Liban (à ce propos, quand j’avais 7 ans, ma maîtresse de CP a rapporté à ma maman que pendant une récré, je lui aurais demandé très spontanément si « les otages du Liban avaient tous été libérés »…), le temps des premiers jeux vidéos, le temps des billes, le temps des élastiques fluos (incontestablement, les années 1980 resteront la décennie des couleurs !), le temps des lunettes de vue énormes (genre les hublots qui faisaient aviateurs) et des brushing monstrueux à la « Dynastie », le temps des maillots de bain une pièce, le temps des voitures Mazda et des Opel Corsa, le temps des caravanes et du camping, des soirées pétanque, le temps des trafics d’images autocollantes PANINI sur la cour d’école, le temps des décors télé exotico-pourris (« Kolé-Séré » et « Il tape sur des bambous » de Philippe Lavil, « Belle-Île-en-Mer » de Voulzy, la Compagnie Créole et Kassav, le folklore « beauf » des Licence 4 ou des Gipsy King, etc.), le temps des chanteurs qui n’avaient pas encore besoin d’avoir un physique de rêve pour être connus (Pierre Bachelet, Philippe Lavil, François Feldman, Carlos, Bernard Menez, Gilbert Montagné, …), le temps des clips glauques, sombres, mais de plus en plus élaborés (« Tainted Love » de Soft Cell, « Relax » de Francky Goes to Hollywood, « It’s a sin » des Pet Shop Boys, « Voyage voyage » de Desireless, etc.), le temps des images en 3D et des performances « techniques » (Est-ce un hasard si le Parc du Futuroscope de Poitiers ouvre ses portes dans les années 80 ?), le temps des émissions pour enfants (Karen Chéryl, Douchka, Dorothée, Chantal Goya, « Récré à 2 », etc.), le temps des films érotiques où c’est si difficile d’y voir quelque chose (merde alors !), le temps des séries débiles (« Pour l’Amour du Risque », « La Croisière s’amuse », « Colombo », « Punky Brewster », « Drôles de Dames », « Arnold et Willy », « L’Homme qui valait 3 milliards », « Dallas », « Starsky et Hutch », etc.), le temps des bals du village sympas et colorés (avec « L’Aventurier », « Boule de Flipper », « C’est l’Amour », « La Chenille », « Life is life », etc.), le temps du trio comique des Inconnus à la télé (fin des années 80 surtout), le temps des grands chanteurs « made in France » (Jean-Luc Lahaye, Jean-Jacques Goldman, Mylène Farmer, Jeanne Mas, Elsa, Vanessa Paradis, Michel Berger, France Gall, Marc Lavoine, Laurent Voulzy, Alain Souchon, Étienne Daho, Francis Cabrel, etc.), le temps des K-way (avec la fermeture-éclair qui se pète vite…), le temps des jeux nazes à la télé (Le Juste Prix, La Roue de la Fortune avec Christian Morin et Annie Pujol, Jeux sans Frontières avec Marie-Ange Nardi et Georges Beller, Tournez Manège, Intervilles avec Guy Lux, Léon Zitrone et Simone Garnier, etc.), le temps des événements télévisuels exceptionnels (Le Téléthon, le bêtisier du 31, Vidéo Gag, les blagues de Bruno Masure, les speakerines, le Top 50, l’émissionLes Enfants du Rock, 30 Millions d’amis, etc.), le temps des cassettes VHS et des cassettes audio à bande magnétique qui se coinçaient dans le poste (irrécupérable…), le temps des pâtes Bolino chimiques, de laVache qui rit, des Chupachups, des Malabars, des sèche-cheveuxCalor, des pubs Ovomaltine (et non pas « Homo Maltine », attention…), de Prosper (le roi du pain d’épice), du jus d’orange en poudre Tang, des pots de colle blanche odorante Cléopâtre, des premières céréales pour le petit-déjeuner (Rice Krispies, Smacks,Frosties, etc.), des pubs Carambar (Abracarambar !!! « Jeanine, tu es sortie sans tes gants ?!? Tu n’as pas honte, Jeaaaanine ??? »), duBanga, de Raider (« deux doigts coupent faim », les ancêtres deTwix), Manpower, « C’est très jus de raisin », etc., le temps des séries françaises rasoirs (Maguy, Marie Pervenche, Papa Poule, Pause-Café, Les Brigades du Tigre, Heidi, etc.), le temps des rebelles (Téléphone, le groupe Europe et son « Final Countdown », U2, Michael Jackson, Madonna, etc.), le temps des cabines de photomaton avec les rideaux orange, le temps de l’émissionApostrophe de Bernard Pivot, le temps de « 40° C à l’ombre », de « T’es pas cap’ », ou encore de « Génies en herbe »,  le temps des pyjamas qui piquent, qui sont délavés et difformes, le temps des sous-pulls atroces et collants (héritage des grands frères nés en 70 : trop sympa, merci ^^), le temps des tapisseries bleu turquoise, violette, orange et marron, le temps des salles de bain, le temps des documentaires SVT avec les fonds sonores 100 % synthés, le temps des soirées diapositives projetées sur grand écran blanc (et regardées 300 000 fois en famille : magique), le temps des gros téléphones à fils en torsades, le temps des télés couleurs à écran gris limite opaque, le temps des soirées Disney Channel avec Zorro (en noir et blanc !) et Winnie L’Ourson présenté par Jean Rochefort, le temps des photos en « mat ou en brillant », etc.

Les années 1980 sont également l’Âge d’Or de l’homosexualité. C’est la première et la dernière fois qu’elle est si visible et flamboyante. Jamais plus elle ne sera aussi décomplexée, incorrecte (l’a-t-elle été vraiment un jour ?) ; jamais plus elle ne retrouvera cet éclat eightiesqu’elle a eu.

Alors quelles raisons peut-on trouver pour expliquer ce lien entre années 80 et désir homosexuel ? J’ai quelques éléments de réponse qui valent ce qu’ils valent.

D’une part, c’est la décennie où apparaît le Sida, maladie qui dans un premier temps a touché majoritairement les personnes homosexuelles, il faut bien le reconnaître (ce n’est qu’en 1990-2000 qu’elle « s’hétérosexualisera » davantage). D’autre part, les goûts homosexuels s’orientent en général vers la nostalgie kitsch, vers le monde sucré et adolescent musico-télévisuel typiquement eighties. Beaucoup d’égéries gay sont des chanteuses ou des actrices provenant des années 1980 (Karen Chéryl, Dorothée, Jeanne Mas, Mylène Farmer, Chantal Goya, Lio, Vanessa Paradis, Madonna, etc.). Il n’y a qu’à constater la population homosexuelle que drainent à Paris des boîtes comme Le Tango ou le Club 18, le Carnaval Interlope de l’Élysée Montmartre, les soirées 80 des « Crazyvores » et des « Follivores » au Bataclan, pour le comprendre. Exprès pour écrire cet article, je me suis d’ailleurs rendu à la soirée « So 80’s Gay Friendly » du 3 mars 2010 dernier au Réservoir à Paris, organisée par l’Œil d’Éros, pour humer cette passion homo-érotique pour cette période. La population homosexuelle aime en général le crépuscule en rouge et noir que représentent les années 80.

Par ailleurs, les années 80 sont aussi la période qui sacralise l’homme-objet et surtout la femme-objet androgyne, ces êtres mi-mythiques mi-réels sur lesquels se sont principalement focalisées les personnes homosexuelles dans leur quête identitaire et amoureuse. Au cours des années 80, la publicité acquiert une vraie place d’honneur dans la société, devient un enjeu politique et commercial de taille. Avant les années 1990, il importait peu pour les jeunes Français de porter des vêtements de marques, par exemple : c’est avec le travail de lobbying marketing des années 1980 que la société de consommation a pu se faire une beauté et soigner solidement son image. Les artistes homosexuels ne sont pas étrangers à cette révolution de l’art et de la société matérialiste : ils en sont le fer de lance. Dans les années 80, les foyers ont commencé à se claquemurer dans leur maison : la télé est devenue omniprésente, un objet incontournable. C’est l’ère du divertissement, de la télé-loisirs, des émissions de variétés, d’un monde où le magazine TV hebdomadaire pèse dans l’organisation pratique des ménages et des familles, où le petit écran apparaît aux esprits faibles comme un fidèle miroir du monde. La réputation des années 80, c’est d’avoir produit du toc, du kitsch, de la pacotille, un art-poubelle. Et pour cause : quand on cherche à produire du naturel via l’artifice scientifique, sentimentaliste, et surtout artistique, on finit toujours par créer du monstrueux, de l’hybride, de l’inachevé, du ridicule, des semi-mensonges, du grotesque ! … puisque la Nature se reçoit et s’entretient : on ne La crée pas, par définition. Les médias des années 80 et leurs consommateurs veulent du « plus que naturel » pour s’évader d’une réalité jugée morne ou banale. Ils s’évertuent à nous montrer que les effets spéciaux cinématographiques sont capables d’être réalistes, que la rencontre du Troisième Type ou d’un terrible requin mangeur d’hommes dans une station balnéaire est probable. Ils créent une Nature maquillée. Ils s’approchent du réel jusqu’à le taillader parfois : rien d’étonnant que les années 80 aient donné naissance aux premiers vrais films d’horreur, aux premiers bons films d’action, et aux premiers films pornos grand public.

Loin de jouer uniquement sur le terrain du commercial et du populaire, les années 80 se sont révélées être un terrain d’expérimentation(s) et de ruptures extraordinaire, un laboratoire d’apprentis sorciers, un Eldorado d’audace, un condensé de tentatives d’indépendance plus ou mieux heureuses. Elles ont fait bon accueil à l’art contemporain par exemple. Esthétiquement, il y a eu de belles trouvailles : je pense notamment au sublime générique de l’émission Champs-Élysées, chorégraphié par les Ballets de Réda, et qui a tellement fait écho à ma fantaisie homosexuelle… C’est dans les années 80 qu’on s’est ouvert aux arts plastiques et audiovisuels, aux bizarreries épate-bourgeois à la Philippe Découflé, aux chaînes de télé expérimentales et « anti politiquement correctes » comme La Sept puis ARTE. S’il y a une valeur qui a été défendue par les années 80, c’est bien celle de l’originalité. Des mouvements artistiques comme La Movida madrilène, très axée sur l’homosexualité, la drogue, et les provocations en tout genre, en fournissent une parfaite illustration… même si, avec le recul, on peut se demander si « l’originalité » en question n’était pas plutôt un poncif petit-bourgeois, une préciosité élitiste, une intention plus qu’une action, un feu de paille né d’un anti-conformisme intellectualisé plus qu’une réalité, une soumission rebelle (par l’inversion) aux normes sociales tant décriées, une convention de l’individualisme ambiant, un slogan marketing « United Color of Benetton ». Les années 80, c’est tout à fait la décennie de l’homosexualité noire et victorieuse, de la confusion des sexes, où la communauté médiatique la plus influente s’attache à nous fait croire que le genre, le maquillage, le regard sur sa propre identité sexuée, et le vêtement, peuvent se substituer au sexe biologique (on voit par là arriver en coulisses la Queer Theorydes années 1990…), où le « tout est permis » à la Rita Mitsouko est encore révolutionnaire, culotté. Les faux rebelles apparaissent. La culture punk underground, la New Wave anglosaxonne (Culture Club, Bronski Beat, Depeche Mode, etc.) battent leur plein et sont les expressions d’une homosexualité agressive, camp, … une homosexualité en fin de règne au bout du compte. C’est l’ère des carnavals, des travestissements : on ne s’est jamais autant déguisés et travestis qu’à partir des années 1980 (pensez à l’émission « Sébastien c’est fou !!! », aux tubes musicaux carnavalesques qui sont nés à cette époque-là : le « Bal masqué » de la Compagnie Créole, la « Salsa du démon » de la troupe du Splendid, la chanson « Maquillaje » du groupe Mecano, etc.). C’est le temps où on commence à maîtriser suffisamment les techniques audiovisuelles pour s’amuser à brouiller les identités sexuées homme/femme. C’est l’heure de gloire des travestis. C’est la décennie de la confusion des identités, non pas de genres, mais des identités sexuées.

Autre raison qui peut expliquer les liens forts qui existent entre désir homosexuel et les eighties : durant cette période, l’artistique prend doucement le pas sur le pouvoir politique pour se substituer à lui. Lestar system – et l’actrice en premières lignes – a visiblement gagné davantage le cœur du Peuple que les présidents et leur cour de ministres. Dans la première moitié des années 1980, les femmes arrivaient sous les traits aguichants de la femme-enfant candide, féminine et parfois affaiblie (Vanessa Paradis, Elsa, Sabine Paturel, Mélody, etc.) ; ce n’est que dans la seconde moitié des années 80 – juste le temps d’une « mise au point » comme le chante Jackie Quartz… – qu’elles ont montré leur masque de femme libérée (Julie Piétri, Caroline Loeb, Lio, À cause des garçons, Lova Moore, etc.), en endossant parfois le blouson de cuir (c. f. « L’Homme à la moto » de Fanny, « Liverpool » de Patsy, « La Légende de Jimmy » de Diane Tell, « Who’s that girl ? » de Madonna, etc.). La chanteuse s’installe au pouvoir pour détrôner et travestir les hommes politiques (jadis puissants, charismatiques, peu démagos), forcés désormais de se « jet-setiser » pour rester visibles et accessibles, de jouer progressivement les potiches, d’accepter qu’une marionnette à leur effigie s’exprime à leur place et soit davantage écoutée qu’eux (LeBêbête Show est plus suivi qu’un discours présidentiel !), de faire la « Une » des journaux à scandale. Dans les années 80, la femme cinématographique a battu l’homme politique sur le terrain des médias : la chanteuse s’improvisant homme d’affaires, la princesse devenant chanteuse, l’homme n’a plus grand chose à faire dans ce tableau ! Les trois symboles forts du phénomène, ce sont Stéphanie de Monaco, Madonna, et Lady Di. C’est la décennie des femmes phalliques. À ce titre, la chanson-phare des années 80 de Michel Sardou « Être une Femme » (« Femme des années 80, mais femme jusqu’au bout des seins, ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme… ») est emblématique, ainsi que « Les Démons de Minuit » du groupe Image (« j’aime cette fille sur talons aiguilles qui se déhanche… »). Pendant les années 80, le matriarcat succède au patriarcat, via les medias. « Fallait pas commencer… » nous a prévenus Lio. La femme-objet a gagné la première bataille : celle des images, leaders d’opinion, qui annoncent le règne des femmes phalliques d’une société occidentale de la douilletterie, de l’homosexualité masculine. Les Prince Charles et autres Albert de Monaco sont des couilles molles, des pédés. Les films seventiesd’Aldo Maccione annoncent la fin de la masculinité qui roule des mécaniques : place aux « losers » type Michel Blanc des « Bronzés », figure d’homosexualité latente s’il en est…

Les années 1980, c’est le temps où les machines commencent à envahir de manière manifeste notre quotidien, mais encore assez gentiment pour préserver en nous l’insouciance, et nous préserver de la dépendance. C’est le passage grisant, drôle, du fantasme à la possibilité visuelle de voir tout type de rêves humains actualisables. On s’amuse pour la dernière fois de voir des scènes comme l’incipitdu film « Retour vers le Futur » qui démarre par une sonnerie de réveil (plus qu’originale : improbable !) enclenchée par une chaîne complexe de roueries réglées comme du papier à musique. Les années 1980, en quelque sorte, c’est l’époque où l’on est passés des fantasmes aux réalités fantasmées. La « réalité fantasmée » est une notion que je développe beaucoup dans mon essai Homosexualité intime (Éd. L’Harmattan). Elle est cette actualisation incomplète, forcément foireuse, au départ amusante mais finalement violente, des désirs d’irréalité et de réification impulsés par les progrès scientifiques, le star-system des années 1950-1970, et la société de consommation qui propose un monde sans limites. Une phrase que j’ai entendue dans le documentaire « Pin-Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton  donne une excellente définition de la révolution qui s’est produite : « Dans les années 80, nous sommes passés du fantasme au réel. » Les années 1980 sont ce moment où l’euphorisant fantasme d’irréalité s’actualise en réveil engourdi et désagréable. On retrouve ce désenchantement dans les mots de Philippe Guy, cofondateur du FHAR avec Guy Hocquenghem, qui parle du retour de bâton de la fête homosexuelle des années 1980. « Nous avons été des déclencheurs, mais nous n’avons jamais voulu ça. Nous avons eu tort et nous avons créé des ghettos et Guy m’a dit, la dernière fois où nous nous sommes vus, au milieu des années 80 : ‘Nous sommes allés trop loin.’ »[1]

Pour moi, les années 80, c’est vraiment cela : le bouquet final d’un feu d’artifice à peine consommé. Les discothèques encore conviviales des années 1980 laisseront place aux boîtes bruyantes et enfumées des années 1990. Les années 80 indiquent l’apogée de la sexualité décomplexée et de la consommation de drogues, mais en sonnent déjà aussi le glas : la chape de plomb du Sida descend sur le Palace ; le Minitel n’a pas l’impact qu’aura Internet et ne marchandise pas trop les rapports amoureux. On s’amuse encore… « mais pas comme avant », comme chante France Gall. On sait que le plus beau char du carnaval (celui de la « Libération sexuelle ») va être brûlé.


 

[1] Philippe Guy cité dans Frédéric Martel, Le Rose et le Noir, Éd. Seuil, Paris, 1996, p. 294.