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Les Secrets de mon Dictionnaire des Codes homosexuels

Les Secrets de mon Dictionnaire des Codes homosexuels

 

Fouilles arachnéennes

 
 

Comment me sont venus les codes de mon Dictionnaire des Codes homosexuels ? Je me devais bien de revenir un jour ou l’autre sur les secrets de fabrication de ce répertoire « fait maison », sur la genèse des signes qui définissent l’univers symbolique que je développe au compte-goutte tous les lundis depuis janvier 2009 à l’émission radio « Homo Micro » sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM), et qui sont censés regrouper ce qui revient le plus souvent d’une oeuvre homosexuelle à une autre, et parfois d’une vie de personne homosexuelle à une autre. Cette tentative d’universalisation du désir homosexuel a la particularité – paradoxale pour certains, car ils voient dans ma quête limitée d’Universel une réification dangereuse – de ne pas essentialiser le désir homosexuel en identité ou en amour, mais juste de définir le langage symbolique et la nature du désir homosexuel. Autrement dit, les codes de mon Dictionnaire ne sont pas des « vérités » éternelles et systématiques sur les personnes homosexuelles, ni des généralités donnant corps aux clichés les plus répandus sur elles. Ils ne justifient rien : ils exposent et expliquent simplement les fonctionnements paradoxaux d’un désir idolâtre – le désir homosexuel – qui n’est pas un désir essentiel. Il est superficiel et violent, tout comme le désir hétérosexuel.

 

À long terme, j’aimerais, quand mes finances et mon emploi du temps me le permettront, développer le site de l’Araignée du Désert (notamment grâce au Quiz), pour illustrer vraiment mon travail d’artisan et que celui-ci soit compris dans toute son ampleur. Je possède, par codes, des extraits et encore des extraits de films qui sommeillent dans mes archives. Par exemple, rien que pour le code des « chiens » dans les œuvres homosexuelles, j’ai déjà une dizaine de scènes cinématographiques à vous montrer, où les amants homosexuels se reniflent, s’aboient dessus, se comparent à des chiens… et je précise que tous ces moments d’anthologie n’ont pas été créés par des personnes extérieures à la communauté homo, par des « méchants homophobes » qui voudraient du mal « aux homos ». Non non. Ces clichés viennent des personnes homosexuelles elles-mêmes ! Cela en dit long sur la nature homophobe et idolâtre du désir homosexuel… J’ai hâte de vous montrer les contradictions (logiques) des personnes homosexuelles, ces individus qui sont les premiers à être homophobes et contre eux-mêmes!

 

La découverte des 186 codes recensés dans mon Dictionnaire ne s’est pas faite magiquement. Ma vie personnelle m’a aidé à en trouver certains (et c’est pour cela que je vous propose ce « Phil de l’Araignée » un peu intimiste) … mais pas tous. La grande majorité des codes de mon Dictionnaire ne renvoie pas à mon propre vécu d’ailleurs. Par exemple, je ne suis pas un grand amateur de chocolat, de corrida, de boxe, ni des chats, et je n’ai jamais rêvé d’être Icare ou de devenir coiffeur ;-). Je n’ai jamais connu le viol génital, alors que mon essai parle essentiellement des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol. Il existe seulement quelques correspondances entre les symboles homosexuels de mon Dictionnaire et ma propre vie. Le reste du travail est venu de mon observation de terrain, de mes déductions et des essais pour relier les idées et les personnes entre elles (n’est-ce pas le sens premier du mot « symbole » que celui d’alliance?). Je n’ai découvert et conceptualisé mon Dictionnaire que les deux dernières années de la rédaction de mon essai (un peu trop tard d’ailleurs pour me souvenir de toutes les oeuvres artistiques que j’avais vues au tout départ « bêtement »… Il a fallu que je fasse un travail de mémoire pour me souvenir des premières lectures, des premiers films que j’avais vus sans les bonnes lunettes…). Je me revois encore à 24 ans, en cette année 2004-2005, dans ma petite chambre d’étudiant à Rennes, avec partout par terre des milliers de bouts de papier où étaient inscrites toutes mes observations, et ce qui allait devenir mon Dictionnaire sans que je ne le sache encore (je n’avais quasiment pas de place où poser mes pieds au sol, et je m’étais lancé l’ultimatum de classer ces innombrables papiers par association d’idées pour trouver un plan cohérent en 3 jours, sans quoi je comptais tout laisser tomber…). Ce Dictionnaire des codes homosexuels est donc le fruit d’un long travail de maturation. Une fouille archéologique à elle seule, qui n’en est qu’à ses balbutiements.

 

Dire que ces codes ont une histoire qui m’est propre, cela encouragera peut-être certaines personnes à les vider d’universel, à s’en désolidariser, pour dire que j’ai projeté dans mon Dictionnaire ma propre vie et fais de mon cas une généralité. Certes, je suis aussi parti de mon vécu et de mes références personnelles pour élaborer mon écrit ; mais cela n’est vrai que dans un second mouvement. C’est d’abord mon observation innocente et néanmoins attentive de toutes les œuvres artistiques parlant de près ou de loin d’homosexualité qui a donné naissance à mon Dictionnaire. Ma vie et mes goûts de personne homosexuelle m’ont assurément aidé à les reconnaître, souvent dans l’émerveillement et l’amusement. Mais si ces codes n’étaient que le fruit de ma propre imagination et l’expression d’une vision du monde très égocentrée, je ne les verrais pas dans autant de fictions, de pièces de théâtre, et de films, qui me sont encore inconnus, que je découvre peu à peu aujourd’hui, et qui sont réalisés par des gens qui ne connaissent même pas l’existence de mon Dictionnaire. Les échos entre mes écrits et ces œuvres, qu’on le veuille ou non, sont troublants. Je n’aurai pas assez de toute ma vie pour les découvrir!

 
Hitler gay photo

The Producers (2005) de Mel Brooks

 

À ceux qui, parce que je soulève des lièvres peu rassurants sur la nature mi-aimante mi-violente et irréelle du désir homosexuel, critiquent mes codes, en y voyant une tentative de diabolisation/stigmatisation de leurs sacro-saintes « identité homosexuelle » et « amours homosexuelles », en y reconnaissant des « clichés » réducteurs à ne pas analyser (ils soutiennent qu’une chose est « cliché » comme ils diraient qu’elle n’existe pas ; et paradoxalement, ils prennent ces codes pour des vérités, ou, par ricochet, pour des anti-vérités, sur « les » homos), à ceux qui se revendiquent des Gender & Queer Studies et qui se croient absolument pro-homosexuels parce qu’ils défendent aveuglément les droits des personnes homosexuelles au mariage, à l’égalité, à l’adoption, qu’ils soutiennent la diversité et la transgression des genres sociaux, et qu’ils prônent l’amour trans-identitaire au-delà des étiquettes homo/hétéro/bi/trans, j’ai envie de dire d’une part qu’il n’y a pas de cliché sans feu, et d’autre part que leurs réflexions et travaux sont bien plus homophobes que les miens qui, au contraire, mettent des mots et un sens aux discours et aux œuvres artistiques qu’ils voient sans voir. Ils s’approprient la culture homosexuelle pour mieux l’éclater et la piétiner. Ils cherchent à fuir ce que le monde fictionnel a à nous apprendre, en voyant l’homosexualité partout et nulle part, en moralisant en termes de « bons clichés » ou de « mauvais clichés » les codes qui nous indiquent le sens du désir homosexuel. Les personnes homophobes ne sont pas du côté que l’on croit, ni systématiquement du côté de ceux qui se présentent comme défenseurs de l’homosexualité et de « l’Amour » en général. Plus on porte aux nues l’homosexualité sans chercher à l’analyser et à décrire son ambiguïté violente, plus on fait le lit de l’homophobie. Et après, on s’étonne que, dans des pays où l’homosexualité est de plus en plus présentée comme « normale », les attaques homophobes se multiplient et se durcissent toujours davantage… Les études gaies et lesbiennes actuelles, à peine nées, sentent déjà la mort et l’anesthésie du cerveau.

 
 

Histoire autobiographique des codes

 

Je vais maintenant me prêter à l’exercice de vous parler des échos qui existent entre quelques-uns des codes de mon Dictionnaire et ma propre vie, pour le « fun » bien sûr (c’est toujours amusant de voir comment les vies de personnes homosexuelles, ayant pourtant vécu à des époques parfois différentes et à des milliers de kilomètres les unes des autres, se ressemblent et entrent en résonance : j’ai déjà fait cette expérience gémellaire avec des artistes comme Manuel Puig, Néstor Perlongher, Reinaldo Arenas, Gore Vidal, Federico Garcia Lorca…), mais aussi pour vous montrer combien mon existence est à la fois très singulière et très (homosexuellement?) universelle. Peut-être que, pour tel ou tel détail, goût, événement ou manière de le vivre, certains parmi vous se reconnaîtront dans notre/mon désir homosexuel…

 
 

J’ai choisi de traiter seulement 7 codes :

 

1 – le code « Jumeau » (sous-codes : « Inceste entre frères » ; « Main coupée » ; « Chiens ») : LA PEUR D’ÊTRE UNIQUE

2 – le code « Conteur » (sous-codes : « Lune » ; « Télévore et cinévore » ; « Dessins animés » ; « Haine de la Réalité » ; « Fresques historiques » et « La Mélodie du Bonheur » ; « Solitude » ; « Voyage » ; « Roue de secours ») : LA FUITE DU RÉEL

3 – le code « Poupées » (sous-codes : « Viol = se prendre pour un objet »; « Marionnettes » ; « Différences physiques »; « Fleur ») : LE DÉSIR D’ÊTRE OBJET

4 – le code « Femme-objet violée » (sous-codes : « Poids des mots » ; « Bergère » ; « Bourgeoise »; « Femme étrangère »; « Tante-objet » ; « Destruction de la femme »; « Femme violée dans une forêt un soir d’été ou de carnaval en forêt » ; « Don Juan » ; « Règles »; « Dix Petits Nègres » ; « Mère folle » ; « Catwoman » ; « Super-héros ») : LE DÉSIR D’ÊTRE VIOLÉ ET DE S’EN VENGER

5 – le code « Amant diabolique » (sous-codes : « Cruella » ; « Se prendre pour le diable » ; « Doubles schizophréniques » ; « Chute » ; « Voleurs » ; « Je suis mort ») : UNE FASCINATION POUR LA BEAUTÉ DU DIABLE

6 – le code « Parricide » : LE GRAND PARDON

7 – le code « Sable » : LE RETOUR AU DÉSIR

 
 

1 – Code « Jumeau » : LA PEUR D’ÊTRE UNIQUE

 

Jumeau

De gauche à droite, moi et mon frère, en 1985

 

Initialement, j’avais rédigé 7 pages sur les liens entre désir homosexuel et gémellité dans la version non-élaguée de mon livre. Au final, il ne reste plus qu’un petit paragraphe dans Homosexualité intime. Autant dire que je me suis limité (car je suis intarissable sur le sujet)! Il est indéniable que dans la genèse de mon désir homosexuel, le fait que je sois né jumeau a compté énormément, pour ne pas dire prioritairement. La gémellité n’est pas une cause de l’homosexualité pour autant (sinon, mon frère jumeau serait homosexuel aussi). Elle est en tout cas un terrain porteur non négligeable. J’ai rencontré dans le « milieu homosexuel » énormément de personnes nées jumelles, filles et garçons confondus. C’est une réalité assez peu connue du grand public (Qui, par exemple, s’est interrogé sur la gémellité du chanteur Emmanuel Moire quand ce dernier a récemment fait son coming out ? Personne), mais elle est pourtant saisissante! Par ailleurs, des études (Bailey et Pillard) indiquent que, dans 53 % , quand l’un des deux frères jumeaux (chez les vrais jumeaux) est homo, son frère l’est aussi. Qu’est-ce que cela peut bien nous dire du désir homosexuel ? D’une part, qu’il n’est pas que génétique (puisque mon frère jumeau et moi, nous sommes des jumeaux monozygotes, issus du même oeuf, et que nous possédons le même patrimoine génétique) ; et d’autre part que le désir homosexuel s’origine très certainement sur la peur d’être unique. J’ai largement étudié dans mes écrits la question du doute, chez l’individu homosexuel, d’être une simple photocopie (une photocopie de son père, d’un frère ou d’une soeur, d’un personnage télévisuel adulé, d’une actrice violée), d’être une moitié d’homme, un androgyne en quelque sorte. Douter de son unicité, cela a toujours des répercussions sur le désir : quand on s’accepte et se reconnaît comme unique, la solitude et les limites de son corps sexué sont plus facilement digérées, les épreuves de la vie mieux affrontées, l’accueil de l’Amour facilité; en revanche, quand on oublie qu’on est unique et irremplaçable, on jalouse les autres, on se dévalorise puis on se gonfle d’orgueil, on doute d’être aimable et d’aimer. Seul l’Amour vrai nous dit et nous fait dire à quelqu’un « Tu es unique à mes yeux. Personne ne te remplacera. » Dans la construction identitaire et désirante d’une personne née jumelle, il est plus difficile de dire « je », de se savoir distinct de la goutte d’eau qui l’accompagne (Suis-je donc Dieu pour m’engendrer aussi magiquement moi-même?), de ne pas s’identifier à un « nous » : elle se construit en parallèle, ou, ce qui revient au même, en opposition, par rapport à son frère. Bref, dans un processus de fusion. Il est fort possible que ma féminité de petit garçon et mon désir excessif d’originalité se soient manifestés comme une stratégie de survie, d’affirmation exacerbée de mon unicité et de ma liberté, face à une menace d’assimilation identitaire à mon jumeau imposée par mon entourage social (malgré les efforts « symboliques » de mes parents pour nous dégémelliser). Étant petit, mon frère Jean se dirigeait vers les garçons ; je trainais toujours avec les femmes. Comme une manière de me démarquer, je me suis présenté comme une fille, avec une sensibilité et des goûts de garçon sensible. Cela s’est fait apparemment naturellement. Mais je sais à présent que cette « originalité » a été travaillée par le garçon de 4 ans que j’étais. On n’est pas innocent à 4 ans.

 

Sous-code « Main coupée » :

 

Les mains ont été un de nos langages secrets de jumeaux. Quand j’étais petit, à l’âge de 7-10 ans, j’ai souvent considéré les mains comme des personnes réelles (pourtant, je n’étais pas fou !^^). Je leur donnais vie en leur attribuant des noms, une voix particulière, des sentiments, des actions humaines : mes mains étaient capables de danser, de pleurer, de dormir, d’aimer… (c. f. le code « Main coupée » dans le Dictionnaire) Avec mon frère jumeau, nous avions créé toute une palette de mains-personnages aux noms bizarres : Creamy, Fodge, et surtout Poppi (qui était le fils de Jean). Faire parler les mains nous évitait d’avoir à nous exprimer tout haut ; et stimulait notre imagination.

 

Sous-code « Chiens » :

 

À l’âge de 4-6 ans, il nous arrivait, à Jean et à moi, de prendre d’assaut une personne pour lui faire subir une forme de câlin violent que nous avions baptisé « le Hérétété » et que nous exécutions comme des furies, pour amuser la galerie. C’était une séance de torture peu dangereuse et toujours génératrice de fous rires, mais qui traduisait déjà une part de la violence de la gémellité (la ressemblance engendre souvent la violence). Plus tard, j’avais, à l’âge de 7-8 ans, un grand besoin de me donner, de recevoir de la tendresse. J’avais jeté mon dévolu sur les chiens (c. f. le code « Chiens » dans le Dictionnaire), à défaut de pouvoir le faire sur mon frère. Les chiens, je trouvais ça étonnamment cons… et attendrissants parce que cons. Au moins, dans leur bêtise, ils ne rejetaient pas mes appétits puériles de tendresse. J’ai vécu une grande histoire d’amour avec un chien qui s’appelait Praline, à Mulhouse, en 1988 ; et j’ai longtemps rêvé d’avoir un basset (vous savez, les chiens qui ont l’air débile, ronchons, dont les couilles traînent par terre, et qui ont hyper mauvais caractère).

 

Sous-code « Inceste entre frères » :

 

Il n’est pas impossible qu’il y ait eu entre mon frère jumeau et moi une tentative de jeu incestueux (c. f. le code « Inceste entre frères » dans le Dictionnaire). Non sans raison, mon père nous comparait parfois mon frère et moi à des chiots qui se mordillaient et se battaient, parce que nous étions sans cesse l’un sur l’autre. Il m’est arrivé à de rares occasions de chercher à féminiser mon frère (« ma Jeanne« ). Heureusement, entre l’âge de 6 et 13 ans, la relation d’inceste s’est déclinée non pas en amour homosexuel, comme ça aurait pu être le cas, mais en pastiche d’amour papa-maman : l’un jouait le bébé, l’autre son papa. Cela dit, il est certain que, pendant cette période de fort compérage, la juste distance entre frères n’a pas été toujours respectée. Mais nous ne l’avions pas réalisé. Nous mettions cela sur le compte de l’argument bien pratique de la « complicité gémellaire » que personne sauf nous ne pouvait comprendre ou contrecarrer…

 

Actuellement, la gémellité est devenue, autant iconographiquement que dans la réalité, un véritable fantasme social (une société qui ne sait plus qui elle est a tendance à voir double et à se chercher des reflets narcissiques tout le temps…): partout, on voit des jumeaux, des « moitiés d’homme », dans les pubs, les films, à la télé, dans les journaux. On nous présente la relation gémellaire à la fois comme une association diabolique (le mythe des jumeaux farceurs, qui vont tromper leur monde) et comme une hallucination idyllique (« Ils ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. C’est une relation presque aussi forte qu’une relation amoureuse. C’est génial! »). La réalité gémellaire est pourtant beaucoup moins rose sur le terrain : isolement, troubles psychologiques, refus de vivre sa vie, difficulté à se faire des amis et à se dire qu’on vaut quelque chose sans son jumeau, peur de s’engager amoureusement, dépendance et comparaison excessive (voire jalouse) à son frère, relation incestueuse et homosexuelle voilée… Beaucoup de « couples de jumeaux » (rien que l’expression en dit long!), le temps d’un talk show, et même parfois le temps d’une vie entière quand ces deux membres ont la bêtise de passer continuellement leur existence ensemble en vase-clos et dans une similitude effrayante (je n’ai plus en tête le chiffre de célibataires parmi les individus jumeaux, mais j’ai le souvenir qu’il est énorme), sont prêts à faire croire au mythe de l’amour incestueux entre semblables sexués. Mais les jumeaux ne sont pas si mystérieux ni si magiques que veulent le faire croire la légende populaire et le voyeurisme télévisuel. Certes, le désir homosexuel, tout comme la gémellité, ont en commun de pouvoir être qualifiés d' »accidents » (heureux ou non, là n’est pas la question). Mais un accident, par définition, se caractérise par une absence de désir… Et ça, ça n’a rien de banal ni de merveilleux.

 
 

2 – Code « Conteur » : LA FUITE DU RÉEL

 

Beso de la Mujer-Arana

El Beso de la Mujer-Araña (1976) de Manuel Puig
(mise en scène par Rubén Schumacher en 2009 à Buenos Aires)

 

J’avais 22 ans quand je suis tombé (par hasard ?) sur El Beso de la Mujer-Araña (1976) de Manuel Puig. Voilà un roman théâtral qui condense à lui tout seul mon Dictionnaire des codes homosexuels ! Tout y est ! : l’attraction homosexuelle pour Hitler, pour la trahison, pour les bonbons, pour la femme-objet violée, pour le carnaval, etc. Tout ce qu’il faut comprendre sur le désir homosexuel est là dedans ! Sûrement parce que Manuel Puig, écrivain argentin de talent, portait un regard critique sur l’homosexualité à la fois très lucide (intellectuellement, son discours est solide et n’enjolive pas les aspects violents du désir homosexuel) et pourtant très inconscient (il se donne parfois le droit, parce qu’il a/aurait vu juste, de ne pas tenir compte de ce qu’il a vu… et de justifier l’identité homosexuelle ou la « force » d’amour du désir homosexuel par la bonne intention)… d’où son utilisation aveugle et quasi-systématique d’un assez grand nombre de codes homosexuels de mon Dictionnaire. Seul un fossé – incompréhensible quand il vient d’un intellectuel pareil – entre intentions et perception du réel peut générer une œuvre aussi naïvement brillante (on retrouve cette naïveté paradoxale et écartelée qui se donne à lire comme un passionnant hiéroglyphe dans les œuvres de Jarry, de Yann Galodé, ou de Jean Cocteau). Personnellement, j’ai compris grâce au Baiser de la Femme-araignée l’universalité-singularité de mon désir homosexuel, puisque l’aventure cinématographique que le personnage homosexuel de Molina propose à son compagnon de cellule Valentín (Molina, la « grande folle » qui se définit lui-même comme la « femme-araignée« , passe son temps à raconter des films en noir et blanc des années 1930 à son camarade de prison), c’est exactement ce que j’ai mis en scène pour mon frère Jean pendant 4 années entre l’âge de 6 ans et 10 ans (avant que nous ne dormions plus dans la même chambre) avec « Les Aventures de Jean« , une sorte de conte oral extensible à l’infini, dont Jean était le héros, et qui se construisait selon notre/mon imagination, soir après soir. Quand j’ai découvert en 2002 que le livre de Manuel Puig relatait un des événements-phare de mon enfance (moi aussi, j’ai transformé ma chambre gémellaire en salle de cinéma), je me suis dit intérieurement : « Y’a un truc… C’est pas possible… Et si le désir homosexuel se laissait décoder ? Et s’il existait un Universel homosexuel qui ne soit pas identitaire ni amoureux, mais uniquement désirant ? »

 

Sous-code « Lune » :

 

Dans mon essai Homosexualité intime, je traite du désir homosexuel comme d’un élan qui ne s’appuie pas assez sur la Réalité, qui traduit une fuite du Réel. On observe dès mon plus jeune âge ce désir de quitter la Terre. Par mon côté fantaisiste et lunaire. Le seul mot d’enfant dont mes parents se souviennent et qu’ils sont sûrs de ne pouvoir l’attribuer qu’à moi (et pas à mon frère jumeau), c’est une phrase que j’ai prononcée à Urmella, dans les Pyrénées espagnoles, alors que je n’avais que 2 ans (Mes parents ont vu que je m’éloignais d’eux et m’ont demandé : « Beh Philippe, tu vas où ? » ; et j’aurais répondu : « Je vais voir la lune.« ). La lune est, dans la culture homosexuelle, l’astre androgynique par excellence. Beaucoup d’auteurs homosexuels s’y identifient et s’y réfèrent (cf. le code « Lune » dans le Dictionnaire).

 

Sous-codes « Télévore et Cinévore » / « Haine de la Réalité » :

 

Dans Homosexualité intime, il est question de l’attrait des personnes homosexuelles pour les médias, et notamment les films d’animation. Je n’échappe pas à cette tendance. Dès ma plus tendre enfance, je pense que je fuyais le Réel à travers la télévision, le cinéma, et surtout les dessins animés : mes préférés étaient Les Cités d’Or, Jeanne et Serge, Scoubidou, et Princesse Sarah (c. f. les codes « Haine de la Réalité » et « Dessins animés » dans mon Dictionnaire). J’ai eu aussi ma période Walt Disney. Même à 15 ans, je demandais encore les cassettes VHS des « Grands Classiques » (mes parents se demandaient quand est-ce que j’aurai des goûts un peu plus « adultes »…). J’ai passé mon enfance et mon adolescence devant la télé, si bien que ma mère m’avait surnommé une fois « Monsieur Magnétoscope« . il suffisait de me demander ce qui passait à la télévision tel jour : j’étais capable de répondre, vu que je connaissais le magazine Télé7Jours par coeur !

 

Cendrillon

« Cendrillon » (1950) de Walt Disney

 

Sous-code « Mélodie du Bonheur » :

 

Ma passion précoce pour les paradis folkloriques aseptisés et sucrés m’a conduit à aimer spontanément des films gentillets, pleins de bons sentiments, très kitsch, qui font partie de la vidéothèque de la midinette rêvant au prince charmant et se nourrissant d’histoires à l’eau de rose. J’ai remarqué que des productions comme « Mary Poppins » (1964) de Robert Stevenson, « Autant en emporte le Vent » (1939) de Victor Fleming, « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » (2001) de Jean-Pierre Jeunet, mais surtout « La Mélodie du Bonheur » (1965) de Robert Wise, emportaient avec elles beaucoup de coeurs homosexuels (c. f. le code « Fresques historiques » dans le Dictionnaire). « La Mélodie du Bonheur » reste mon film préféré, un coup de coeur que je partage notamment avec Jean-Luc Lagarce, Jean Sébastien Lavoie, et bien d’autres personnes homos.

 
Sound

« The Sound of Music » (1965) de Robert Wise

 

Sous-code « Solitude (football) » :

 

Mon éloignement du Réel a coïncidé avec mon éloignement des autres, et surtout de mes pairs sexués, les garçons. Déjà, à l’école, je jouais de la corde à sauter sur la cour du primaire, en classe de CE2-CM1. Je savais que c’était un sport de filles, et que j’allais passer d’office pour une tapette, mais j’aimais bien en faire, et peut-être qu’inconsciemment, c’était aussi un moyen pour moi de me démarquer… (surtout qu’à l’époque, les cordes à sauter étaient de couleurs fluo ultra-flashy !). De toute façon, je ne dérangeais personne. Je me souviens juste du regard poli mais apitoyé des maîtresses qui devaient sûrement se dire : « Celui-là, à tous les coups, il finira homo…« ).

 

Au lycée, et surtout avant au collège, je me suis mis à fuir les jeux collectifs, moi qui aimais tant jouer au loup-chaîne, à la balle au prisonnier, et à 1, 2, 3, Soleil sur la cour d’école. Les cours de sport ont, dès la 6ème, été ma bête noire. Tant que c’était possible, je m’inventais des excuses-bidon (oubli des affaires, malaise hypoglycémique dans les toilettes, petite grippe…) pour ne pas y aller! Je n’ai jamais cherché à savoir si j’étais bon ou pas en sport : je me souviens juste que j’étais toujours choisi en dernier lors de la composition des équipes de foot, que je me planquais dans le rôle de défenseur (« Ils ont marqué, là? »), et que j’avais toujours peur du ballon. La caricature vivante de la mauviette! Je me cassais toujours quelque chose en sport, m’évanouissais, me faisais des claquages musculaires spectaculaires en athlétisme, saignais du nez, ne savais pas me boucher naturellement le nez sous l’eau à la piscine, me tordais un doigt au basket, ne prenais jamais mes douches avec les autres, ne savais même pas faire de roulade avant en gymnastique, manquais de me faire un coup du lapin en saut au trampoline… Bref, le sport a été le terrain de toutes mes humiliations, complexes, peurs, paresses ^^. J’ai conscience que cette haine du sport au collège dit chez moi une sauvagerie en partie infondée, une haine de mon propre corps et du corps social. J’avais peur de mes semblables, c’est une évidence.

 

Sous-code « Voyage » :

 

Dans ma vie, je n’ai jamais su véritablement m’ancrer dans le Réel, profiter de mes temps libres, de la trivialité consommatrice de « Monsieur Tout le Monde ». Le mot « vacances », connais pas ! Je cours tout le temps, ai un mal fou à me poser, évite les transports en commun, me fais rarement à manger, marche très vite, suis un « stressé de la vie », suis radin avec moi-même comme c’est pas permis. On m’appelle parfois « Speedy« , et je mérite bien ce surnom. Je suis un vrai électron libre : pas en amour ni avec les autres, mais dans mon quotidien et avec moi-même. Encore aujourd’hui, on peut parfois me voir chargé d’un sac à dos avec un écriteau sur le bord des routes de France. J’ai fait des années d’autostop, surtout de 1999 à 2004, à une époque où déjà le stop était considéré comme rare et dangereux. Je n’ai pourtant quasiment jamais eu de problèmes, et ces voyages improvisés m’ont permis de faire des rencontres diversifiées, improbables, et extraordinaires.

 

stop

Stop en février 2009

 

Je n’ai jamais eu le sens pratique. Je ne suis pas très débrouillard, et ne sais pas faire grand-chose de mes mains. Sûrement en partie parce que depuis mon enfance, je me contentais qu’on fasse les choses à ma place ; sûrement aussi par manque de curiosité ; par flemme d’apprendre ; et, certainement, parce qu’on ne m’a pas fait assez confiance ou pris le temps de m’expliquer les choses. J’avais peur de la vie, et je pense que j’ai, sans me l’avouer, un gros poil dans la main (pour moi, il y a un lien réel entre désir homosexuel et paresse, ou entre désir homosexuel et irréalité : c. f. le code « Roue de secours » de mon Dictionnaire).

 
 

3 – Code « Poupées » : LE DÉSIR D’ÊTRE OBJET

 
marionnettes-sesame-street

Marionnettes de Sesame Street

 

Sous-code « Pygmalion » :

 

De l’âge de 8 à 17 ans, quand il a fallu m’intéresser à mon orientation professionnelle, à une époque où je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire et que je revenais bredouille des salons des métiers (encore aujourd’hui, je n’ai toujours pas trouvé le métier que je veux faire… C’est vous dire ! C’est pas prof que je veux être : c’est prophette! ^^), j’oscillais d’un projet de métier à un autre. En plus de vouloir être homme politique (mais ma maman m’a assez vite dissuadé d’entrer en politique parce qu’elle me disait que j’étais « trop gentil » pour faire politicien!), j’avais à 9 ans un autre désir : celui d’être couturier… même si, concrètement, je n’avais jamais touché à une aiguille à coudre de ma vie ! Tout cela se jouait surtout au niveau du fantasme, non du « faire » (cf. le code « Pygmalion » dans le Dictionnaire). Je voulais être couturier parce que j’aimais le déhanché et la beauté des mannequins féminins, les attitudes des femmes-bibelots, les publicités de mode (« Marcel Griffon, le style impeccable »). Quand j’avais 7-9 ans (donc en 1987-1989), un de mes premiers chocs esthétiques a été le générique complètement original de l’émission de variétés Champs-Élysées de Michel Drucker, dans lequel les ballets de Reda animaient une ville de Paris façon cartes postales, avec différents tableaux des clichés de la France. C’était fantastique ! Rien que pour ce générique, je ne voulais pas rater le début de l’émission.

 

Sous-code « Marionnettes » :

 

Mais c’est surtout mon attrait pour les marionnettes qui signale dans mon histoire la présence du désir homosexuel. J’ai remarqué qu’il y avait parmi les marionnettistes un grand nombre de personnes homosexuelles. Cela s’explique à mon sens parce que le désir homosexuel est essentiellement un fantasme d’être objet. Vers l’âge de 14-15 ans, je désirais moi-même être marionnettiste. Je souhaitais vraiment en faire mon métier, et j’avais commencé à chercher des écoles pour une formation. Je faisais collection de marionnettes à fil, mais surtout de marionnettes à main. Et en 1999, avec mon frère Jean, mon cousin Jean-François, et quelques amis, nous sommes allés présenter des spectacles de marionnettes dans deux écoles maternelles d’Angers et dans une école de La Tessoualle, près de Cholet. Je faisais beaucoup de voix, écrivais les textes, et avais conçu tous les décors moi-même. Le monde des objets animés a peuplé l’imaginaire de mon enfance. Quand j’étais à l’école maternelle, j’avais eu la chance d’assister à un spectacle de marionnettes extrait des Contes de la Rue Broca (1967), La Sorcière du Placard à Balais de Pierre Gripari (tiens donc… un dramaturge homo…). Ce spectacle m’avait fasciné autant qu’effrayé : « Sorcière ! Sorcière ! Prends garde à ton derrière !!! » Toute mon enfance, je l’ai passée à regarder des émissions pour enfants avec des marionnettes (Les Fraggle Rock, Téléchat, Le Village dans les Nuages, Chapi Chapo, etc.).

 

Sous-code « Bandes dessinées » :

 

J’ai toujours été séduit et amusé par les bouilles de ces personnages en carton pâte : je trouve les marionnettes particulièrement attendrissantes avec leurs gros yeux qui louchent et leur air benêt. D’ailleurs, les personnages de mes B.D. que j’ai conçues à l’âge de 8-10 ans ressemblaient fortement à ces mêmes marionnettes (j’ai dessiné 3 bandes dessinées en tout, dont la première était très inspirée par les Cigares du Pharaon d’Hergé – son personnage principal se prénommait Rufus, et il était poursuivi par 4 méchants, dont une méchante voyante extra-lucide au visage de bulldog – ; une deuxième bande dessinée, la seule que j’ai réellement achevée, qui s’intitule La Grenouille Royale, et qui raconte les pérégrinations d’une bande de grenouilles poursuivies par une cruelle sorcière ; et enfin, une troisième B.D. qui est restée inachevée et qui s’appelle Le Concours de Beauté, cette fois avec la même sorcière, et l’une des 5 grenouilles de la précédente B.D., la seule femme d’ailleurs, l’acariâtre Yoplaie).

 

Sous-codes « Peinture » / « Play-back » :

 

Le désir d’être objet, je l’identifie également chez moi à travers mon petit passé de plasticien. J’ai en effet passé 6 années à l’école des Beaux-Arts de Cholet, de 11 à 17 ans, à faire du dessin, de la peinture, et de la sculpture. Dès l’âge de 4 ans, j’avais déjà un bon coup de crayon, et les filles de ma classe s’arrachaient mes créations (j’avais même des commandes!). Mais les années ont passé, et j’ai peu à peu abandonné le monde des arts plastiques… au profit du théâtre, de la chanson (j’ai toujours aimé play-backer avec précision les musiques de variété que j’aimais : dans mon livre, je développe l’idée selon laquelle le play-back exprime le désir de se réifier), et de la danse (à partir de l’âge de 10 ans, j’ai été un grand amateur de chorégraphies, de vidéos-clips que j’essayais plus ou moins de reproduire dans la solitude de ma chambre : là encore, la danse robotique en solitaire renvoie au processus de mythification-réification de soi).

 

Sous-codes « Différences physiques » / « Obèses anorexiques » :

 

C’est d’ailleurs amusant comme physiquement, je ressemblerais presque à un pantin désarticulé. Toujours courbé comme un papy (mes proches ont l’habitude de me dire que je ne me tiens pas assez droit, et viennent constamment me redresser contre le dossier de ma chaise), avec des maux de dos chroniques, tellement maigre et à replumer qu’on croirait que je vais me démembrer à tout instant, souvent tellement en train de me regarder agir que j’en développe des petits tics gestuels ou des mimiques instinctives, mal habillé ou avec des vêtements trop grands pour moi, les jambes croisées et les poignets cassés, j’ai tout d’un automate de Jean Cocteau ! Je suis à l’image de ces personnages homos que je définis comme des obèses anorexiques (cf. le code « Obèses anorexiques » dans le Dictionnaire) parce que je mange très mal ou trop, sans jamais grossir pour autant, et parce que les obèses anorexiques homosexuels sont décrits dans les fictions homosexuelles comme des êtres malingres, chétifs, avec la peau sur les os… et pourtant ils doivent leur apparence physique filiforme à un gavage, à un trop-plein, à une absorption excessive de drogues, d’images, de tendresse, de nourriture. Généralement, au niveau du désir mais aussi des réalités humaines, un trop-plein indique souvent la présence d’un trop-vide.

 
Moi signature

Signature à l’Harmattan, Paris, 8 janvier 2009

 

Sous-code « Fleur » :

 

Le désir d’être objet chez les personnes homosexuelles, même s’il n’est pas immédiatement perçu comme violent, parce qu’un fétiche peut avoir sur le moment l’éclat sacré de l’éternité, de la beauté, et de l’humour, est pourtant objectivement agressif : un objet, contrairement à un être humain vivant, est inerte, froid, et mort. Je pense que, très tôt dans ma vie, j’ai été conquis par le charme innocent du « devenir objet ». Me prendre pour un objet sacré, cela a été un moyen de survie au moment où je sentais arriver l’effondrement de ma personnalité. Le « devenir objet » – je l’ai remarqué dans bien des écrits – est très lié au « devenir végétal ». Ces deux désirs, faisant partie de la condition humaine, mais qui conduisent pourtant l’être humain à la déshumanisation, sont motivés (et voilà le piège!) par la recherche d’innocence et de divinité. L’Homme qui se prend pour un objet ou un végétal désire certes perdre sa liberté, mais ne s’en rend pas toujours compte parce qu’il troque sa conscience contre un monde de « paix éphémère », clinquant, inconscient, minéral, où la sensation et la souffrance semblent absentes, radicalement abrégées.

 

Il est curieux de constater que, très précocement, je me suis pris pour une fleur. Par exemple, la pâquerette, c’’était l’emblème que j’avais choisi en maternelle pour accompagner les étiquettes marquées à mon nom. Et puis il y a cette terrible photo (ci-dessous), qui à présent me fait rire et figure parmi mes préférées, où je pose comme une vraie starlette avec ma jolie fleur! Horreur, malheur… J’avais 7 ans là-dessus. En la regardant, j’ai l’impression que mon destin de Super Tapette était scellé depuis toujours… Cette photo, que j’avais retirée de l’album familial tellement j’en avais honte pendant mon adolescence (ce n’est pas pour rien que je l’avais surnommée « La Photo de la Honte » à une époque) est une parfaite illustration de cette recherche de naturel qui, à force d’être obsessionnelle ou trop bien intentionnée, conduit à l’artifice.

 
photo de la honte

La « Photo de la Honte », 1986

 
 

4 – Code « Femme-objet violée » : LE DÉSIR D’ÊTRE VIOLÉ ET DE S’EN VENGER

 

Sous-code « Poids des mots » :

 

Il est certain que dans l’étiologie de l’homosexualité, les mots et les regards, ou plutôt l’hyper-sensibilité aux mots (Qui du locuteur ou du récepteur a commencé ? Nul ne peut le savoir…), ont joué un rôle capital. Il y a un peu de vrai quand Didier Éribon écrit qu' »au commencement de l’homosexualité, il y a l’injure« , ou en tout cas, une projection ressentie comme violente. Le mot « pédale », « enculé », « garçon manqué », « gouine », « fille » (reçu quand on est un garçon), ou « garçon » (reçu quand on est une fille), a pu agir comme un ordre dans l’esprit d’une personne qui a tendance à prendre les mots pour des choses réelles, qui entretient avec les autres et le langage un rapport idolâtre de peur/attraction/répulsion/fusion.

 

Bien sûr, dans mon cas personnel, j’ai été traité de « fille » dès mon plus jeune âge, et parfois de manière totalement innocente et accidentelle. Cette projection de « l’homosexuel » ou de « la femme » sur mon corps de garçon n’a pas toujours été une insulte, une méchanceté délibérée. C’est ce qui rend l’homosexualité encore plus accidentelle, presque fatale. Je vous passe les cas où, quand je répondais au téléphone à la place de mes parents, on me prenait pour ma mère ou une de mes soeurs. Je ne vous raconterai qu’un seul épisode qui m’avait beaucoup blessé à l’époque (et pourtant, avec le recul, je me dis que j’avais inconsciemment provoqué l’incident : à force de me prendre pour quelqu’un d’autre, et de cultiver une allure maniérée, en me trémoussant comme une « Drôle de Dame« , et avec ma voix suraiguë, j’avais inconsciemment donné des bâtons pour me faire battre et récolté les fruits de ma sincère comédie…). Je devais avoir 8-9 ans quand je me trouvais chez mes parents à Cholet et que ça a sonné à la porte. Je suis allé ouvrir. À cet âge-là, j’étais un petit garçon très chaleureux et souriant (peut-être trop ?). J’ai laissé entrer le démarcheur venu vendre je ne sais quelle marchandise, puis maman a pris le relais et je les ai laissés entre eux dans le hall. J’ai juste eu le temps d’entendre la remarque cinglante – et pourtant bien-intentionnée – du visiteur : « Votre gentille fille m’a ouvert ! » Le jugement involontaire est tombé sur moi comme un couperet (et avec le sourire en plus!). Je me souviens juste que ma mère avait trouvé ce type pas très « finaud »… Moi, je ne m’étais pas révolté. Je n’étais pas à un âge où on se révolte.

 

Sous-code « Bergère » :

 

nunuche

Lorie, la Nunuche vierge de l’Espace

 

Il est fort possible que mon désir homosexuel se soit choisi très tôt pour déesse non pas la femme réelle mais la femme-objet vierge représentée par les chanteuses, les héroïnes de dessins-animés, les actrices, de mes écrans symboliques et réels (Céline Dion, les Spice Girls, Charlie makes the cook, Priscilla, Vanessa Paradis, Ophélie Winter, Axelle Red, Lio, Bananarama, Sarah Mandiano, Mélissa Mars, Britney Spears, Claire Litvine, Madonna, etc.). Ce sont elles mes vraies mères, me disais-je : pas ma maman biologique. Très tôt, je les ai prises pour modèles identificatoires. Je suis loin d’être le seul individu homosexuel à avoir littéralement « adoré » la femme-objet cinématographique : les hommes gay l’ont presque tous fait (dans la fusion), les femmes lesbiennes l’ont presque toutes fait aussi (dans la rupture).

 

Ce goût étonnant pour les femmes nunuches, blondes (parfois rousses), potiches, avec une voix fluette, racontant des conneries, chantant que « la guerre c’est pas bien » et que « leur mère est leur meilleure amie », traduit certainement en moi une immaturité, un désir d’être infantilisé, d’être chouchouté, d’être une femme-enfant qui n’a jamais été violée… sûrement par nostalgie de l’innocence originelle, d’une enfance dorée qui ne débouche pas sur la responsabilité adulte. Ce n’est pas par hasard si, dans mon essaiHomosexualité intime, j’évoque le fait que beaucoup de personnes homosexuelles adorent qu’on les prenne pour des connes, même si intellectuellement tout semble tourner très rond chez elles, qu’elles se laissent soumettre avec beaucoup de second degré et d’auto-dérision, et qu’elles trouvent cette servitude ultra-audacieuse, originale, et révolutionnaire, parce que minoritaire et honteuse. En général, elles aiment dénoncer cyniquement le foutage de gueule social que représentent les chanteuses kitsch, non en s’en détachant et en le pointant du doigt, mais plutôt en s’en approchant au point de se confondre avec lui. Il y a beaucoup d’orgueil blessé derrière cette attitude apparemment légère et drôlissime.

Sous-code « Bourgeoise » :

 

Valérie Lemercier

Valérie Lemercier

 

En lien avec la candide nunuche, mes fantasmes homosexuels sont venus s’attacher à un autre style de femme-objet : la bourgeoise. Je ne suis pourtant pas du tout issu d’une famille aristo (plutôt le contraire: nous vivions chichement dans ma famille). Mais nul besoin d’être entouré d’objets et d’argent, pour désirer être un objet ; nul besoin d’être riche, pour désirer l’être. L’homosexualité est une affaire de désir, non de réalité effective.

 

C’est très curieux comme l’élégance de la bourgeoise, sa sophistication travaillée, ses attitudes excessivement calculées, son style langagier ampoulé (à la limite du risible), son excentricité réactionnaire parfois, sa sincérité dans la méchanceté ou la bêtise, me touchent. Je pense que beaucoup de personnes homosexuelles aiment la femme bourgeoise (ou l’actrice qui joue les personnages de châtelaine coincée), d’une part parce qu’elle représente inconsciemment la corrosive caricature maternelle dont elles se croient mystérieusement héritières, et d’autre part parce que cette femme-objet est tellement sincère dans l’artifice qu’elle arriverait à faire croire à tout le monde que le surnaturel est naturel. Il était donc logique que les adulateurs de l’amour « plus que naturel » et sur-intentionnalisé qu’est le désir homosexuel se choisissent Marie-Chantal comme ambassadrice principale.

 

Sous-codes « Femme étrangère » / « Tante-objet » :

 
tintin Yamilah

Tintin, Les 7 Boules de Cristal d’Hergé

 

Cette femme-objet qui m’a depuis toujours attiré a quelque chose de lunaire. C’est la femme étrangère par définition. Elle est mystérieuse, discrète, incomprise, messagère d’un secret (généralement un viol). C’est celle par qui le scandale arrive. On ne sait pas si, derrière son masque de pureté, elle est si innocente et si gentille que cela. La femme étrangère m’a toujours fasciné car elle est double. Elle appartient à deux cultures, à deux mondes (l’un réel, l’autre fictionnel ou paranormal). C’est une extra-terrestre.

 

Dans ma vie, j’ai remarqué que j’établissais avec les femmes étrangères de mon entourage une complicité particulière (Antonia Malinova, Alexia Erb, Claire Litvine…). Je leur trouve beaucoup de charme (Cristina Marroco, Anggun, Nourith, Noa, etc.). Quand j’étais petit, je suis resté très impressionné par ma tante espagnole Carmina, extravertie à souhait, et ultra-maquillée ; je garde aussi un attachement esthétique puissant pour une autre tante de ma famille – française cette fois -, tatie Laurence, l’originale de la famille, une danseuse de salsa, aux faux airs de Jeanne Mas, complètement imprévisible et artiste ; autre anecdote : lors d’un mariage dans le sud de la France, alors que j’avais 6 ans, je me souviens être resté sous les jupons d’une femme britannique complètement excentrique, portant une robe d’actrice, très maquillée également. Plus elles parlent avec un fort accent, viennent de contrées exotiques, sont rejetées, incomprises, et pourtant très belles et convoitées, plus les femmes ont des chances de me plaire.

 

Sous-code « Femme violée un soir d’été ou de carnaval dans une forêt » :

 
Kelly_Garrett

Kelly Garrett (Jaclyn Smith)

 

On en vient à l’un des points forts de mon raisonnement sur le désir homosexuel : l’identification à la femme-objet cinématographique violée. Il en étonne plus d’un… et pourtant, une fois qu’on a pris connaissance de l’emblème de la « Femme violée un soir d’été ou de carnaval dans une forêt » dans les oeuvres homosexuelles, on ne fait que le voir partout (je l’ai encore aperçu il y a quelques semaines dans le dernier film de Gregg Araki, « Kaboom »)!

 
Pourquoi cette identification homosexuelle à la femme-objet marytrisée ?
 

D’une part, parce que cette actrice est magnifique, esthétiquement parlant (la vraie femme violée, la majorité des personnes homosexuelles s’en fiche pas mal!). C’est tout l’art du cinéma que de réussir à magnifier la femme violée, malgré la situation affreuse qu’il lui fait subir. Même si elle porte une jolie éraflure sur le visage, qu’elle est toute essoufflée, qu’elle a perdu son diadème, qu’elle crie sous sa douche, qu’elle court comme une folle en écartant les ronces, que sa robe de bal est déchirée, qu’elle est orpheline et seule dans cette forêt, elle n’en reste pas moins super belle. Même ses cheveux mouillées ou dépeignés sont stylisés sur nos écrans. Son maquillage de bad girl persécutée, ses attitudes de bête traquée (« Je vous arrête! » ; « Ôtez vos sales pattes de là ! Je vous interrrdis! Lâchez-moi, sale brrrute! »), sa posture de tigresse sur la défensive prête à riposter en pratiquant les arts martiaux, tout cela contribue à esthéthiser le viol pour le rendre puissant et désirable. Figurez-vous un instant quelle extraordinaire revanche sur le passé ingrat l’identification homosexuelle à cette femme-araignée violée propose!

 

D’autre part, cette identification à la femme violée ne veut pas forcément dire que les personnes homosexuelles ont toutes subi un viol génital (loin de là). En tout cas, elle peut indiquer que certaines parmi elles ont vécu une agression sexuelle dans l’enfance. Ensuite, elle peut également être signe de la misogynie et du machisme du désir homosexuel : cette représentation singée de la destruction de la Reine carnavalesque est une déclaration d’amour-haine à l’encontre des femmes réelles, confondues avec la femme-objet. L’iconoclastie vise à renforcer chez celui qui la pratique la toute-puissance de ce qu’il prétend sincèrement aimer/détruire. Je crois également qu’elle dit une peur ignorante de la sexualité en général (peur d’être défloré, peur du corps sylvestre de la femme, peur de son propre corps, etc.) : je me souviens par exemple que, tout petit, j’avais été intrigué par une publicité pour des serviettes hygiéniques (cf. le code « Règles » dans le Dictionnaire), et que je n’arrêtais pas de chanter « Confettis, confettis… » sans réaliser à quoi cela pouvait renvoyer (Ça avait agacé ma grande soeur Blanca que je m’amuse ainsi des menstruations féminines…).

 

En troisième lieu, je dirais que l’identification à la femme-objet violée indique une panne d’identité. Même si on n’a pas été concrètement violé, on préfère parfois se mettre dans la peau d’une femme-victime qui se venge ensuite magistralement, telle Catwoman, des individus qui l’auraient/l’ont violée, pour se créer une personnalité hors du commun à un moment où justement on en manque, où on veut un grand combat existentiel, plutôt que de s’identifier aux femmes réelles qu’on juge banales et faibles. Je me souviens qu’à l’âge de 6 ans, alors que je me cherchais beaucoup à ce moment-là, j’aimais courir et crier « Au viol! » du côté des filles quand nous étions poursuivis par les garçons sur la cour d’école : je me plaçais spontanément du côté des persécutées. Comme j’étais assez fort en dessin à l’époque, je me mettais à dessiner toujours la même chose : des femmes violées. Cheveux au vent, soit rousses, soit blondes et magnifiques comme Boucle d’Or (chose curieuse : elles n’avaient en général qu’un point en guise de bouche, comme si je ne leur laissais que la surprise muette de la femme violée pour s’exprimer), maquillées comme de cruelles châtelaines ou des reines gothiques de Walt Disney, avec des talons-aiguilles (c’était la version vengeresse de la candide pin-up qui décide de revenir à la charge après son viol). Le personnage de Daphnée dans le dessin-animé Scoubidou, ou bien celui de She-Ra (une sorte de Xena la Guerrière, icône lesbienne bien connue) m’ont tout appris (cf. Je vous renvoie à l’article suivant).

 

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Daphnée dans le dessin-animé Scoubidou

 

En centre aéré, je me rappelle que cela me plaisait beaucoup de m’imaginer poursuivi, de courir à perdre haleine dans les bois, de me retourner (en imaginant que mes cheveux longs coiffés en brushing me reviendraient sur le visage de manière hyper stylée), de penser que j’étais She-Ra sur son cheval, en cavale et menacée par un terrible danger. Quand j’écoutais quelqu’un, il m’arrivait de pencher la tête, comme pour me styliser moi-même (j’ai d’ailleurs appris accidentellement que certains garçons de ma classe de 5ème au collège m’imitaient quand je me retournais ; ils faisaient exprès de m’appeler pour rien, histoire de rire de mon efféminement…). Oui, l’identification à la femme violée dit toujours un viol passé ou futur.

 

Sous-code « Dix Petits Nègres » :

 
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« Dix Petits Indiens » (1945) de René Clair

 

Parlons maintenant des Dix Petits Nègres (1939), un roman qui, curieusement, occupe une place importante dans la fantaisie de la communauté homosexuelle, et dans ma propre vie. Je devais avoir 6-7 ans quand j’ai lu l’intrigue passionnante d’Agatha Christie. À l’époque, cette histoire m’avait attiré mais aussi complètement traumatisé : j’en cauchemardais ; je découvrais qu’esthétiquement, le crime machiavélique surgissant dans l’univers rose-bonbon et statique des bourgeois pouvait être élégant, délicieux. J’aimais particulièrement le personnage de Vera Claythorne, la jolie secrétaire, la seule jeune femme du roman, perdue au milieu de cette machinerie fictionnelle machiavélique, qui incarnait la femme violée et une probable psychopathe. J’aurais même souhaité qu’Agatha Christie rajoute plus de personnages féminins comme elle, et en même temps, l’unique Mademoiselle Rose qu’elle s’était choisie ne serait pas ressortie pareil sinon. L’histoire des Dix Petits Nègres me plaisait tellement que je l’ai choisie comme thème d’une des sculptures que j’ai réalisées pendant que j’étais à l’école des Beaux-Arts à Cholet, à l’âge de 11 ans. Mais elle fait partie aussi de mes cauchemars d’enfant quand je la voyais traitée dans des séries télévisées comme Matt Houston (la super référence culturelle… désolé) ou Amicalement vôtre (l’épisode où les membres de la famille de Brett Sinclair disparaissent un par un). Peur + Captation esthétique = Désir : C’est bien là l’équation de l’idolâtrie, non ?

 

Sous-code « La mère folle » :

 

En lien avec le motif de la femme-objet violée, je crois qu’il n’est pas anodin que les femmes hystériques soient très souvent parodiées dans les fictions homosexuelles (c’est ce qui fait d’Isabelle Huppert, par exemple, une véritable icône gay française). Les contacts rapprochés que certaines personnes ont maintenus dans leur enfance – et parfois plus tard – avec la folie conjuguée au féminin (cf. les codes « Mère possessive » ; « S’homosexualiser par le matriarcat » ; « Femmes phalliques » ; « Peur de devenir folle » ; « Folie » ; « Milieu psychiatrique » ; « Matricide » ; « Politique du non-dit de la mère » ; « Stars vieillissantes ») ou avec une mère dépressive, sont parfois existants. C’est mon cas personnel, puisque ma maman a connu une grave dépression pendant des années (elle a commencé à sortir de la maladie en 1992). Je ne suis pas un cas isolé : certains de mes amis homos ont dû faire face à la maladie psychiatrique de leur mère… et y ont répondu en partie par l’annonce d’une homosexualité. Stratégie de survie oblige.

 

Sous-code « Super-héros » :

 
Drôles de Dames

Drôles de Dames

 

Alors, bien sûr, ce n’est pas que la version « femme soumise » qui m’a attiré chez la femme-objet violée. Pour qu’elle devienne admirable à mes yeux, il fallait bien qu’elle incarne la toute-puissance dans la faiblesse (c’est exactement ce que je pense de la nature du désir homosexuel : il est faible et violent ; tout comme l’icône gay violée, il existe parce qu’il lutte contre un viol plus fictionnel que réel… mais parfois réel quand même). C’est pour cela que les femmes supers-héros (Catwoman, Alice de la Bibliothèque Verte, Fantômette, Jeanne dans Jeanne et Serge, les Cat’s Eyes, etc.), les détectives privées, les espionnes, ont ravi mon imaginaire. Par exemple, la série Drôles de Dames correspond tout à fait à l’idéal esthétique de mon adolescence. Ces femmes mannequins hyper belles et efficaces, même face à de terribles dangers et au viol cinématographique, ces modèles de la séduction justicière et manipulatrice, étaient l’incarnation de la perfection à mes yeux. Oui, vraiment, à l’âge de 10-12 ans, je m’identifiais énormément à ces superwomen. À tel point que j’imitais leur démarche, leur gestuelle de défilés de mode. Je voulais vivre une vie trépidante et risquée comme Kelly Garrett. Je ne me rendais pas compte que cette imitation, reportée sur mon corps et mon identité de petit garçon, me rendait moche, ridicule, puisque pour moi, c’était beau à l’écran… donc ça devait forcément l’être dans la vraie vie, et, tant qu’à faire, sur moi! La confusion entre rêve et réalité m’est revenue comme un boomerang le jour où, pendant des courses au supermarché avec ma mère, elle m’a dit spontanément : « Ben dis donc… tu remues le cul comme une vache espagnole ! » Ça m’avait beaucoup vexé. Mais qui d’autre qu’elle aurait osé me dire en face que je me reniais à ce point moi-même ?

 

Pour finir avec ce chapitre sur la passion identificatoire pour la femme-objet/femme violée, je vous parlerais volontiers d’une femme bionique qui a beaucoup compté pour moi : c’est Super Jaimie. À l’âge de 7 ans, j’étais très impressionné par cette femme aux pouvoirs extraordinaires, qui courait au ralenti. Justement, quand je courais à l’époque (en sport, au centre aéré, sur la cour d’école, n’importe où), je me souviens que j’esthétisais à l’excès mes mouvements, comme elle. Mentalement, j’étais la star dans mon clip, j’entendais les bruitages qu’on nous met dans la série Super Jaimie(même topo pour les jingles de Fort Boyard!). Je crois que j’ai rêvé très jeune d’être un Super-Héros. Un épisode en particulier de Super Jaimie m’a marqué : l’héroïne était pourchassée par une horde de trois femmes-robots (une Blonde, une Noire, une Rousse), qui avaient jadis été ses amies et qui, à cause d’un méchant professeur qui les avait transformées en zombies insensibles, trahissaient sa confiance et devenaient méchantes. Flippant ! Un épisode comme celui-là, dans l’esprit de l’enfant que j’étais, a pu m’encourager à prendre la poupée en pitié, et à lui attribuer des sentiments humains. Cette captation idolâtre par les marionnettes, je sais que je ne suis pas le seul garçon homo à la connaître. Il m’a suffi de tomber un jour sur le témoignage du réalisateur gay Julien Magnat, interviewé dans la revue Têtu (n° 69, juillet-août 2002, p. 20), pour en avoir le coeur net : « Mes premières héroïnes étaient Catwoman – môme, je la dessinais brandissant son fouet –, Fantômette, Super Jaimie et Wonder Woman. Les ancêtres de Xena, quoi.« 

 
 

5 – Code « Amant diabolique » : UNE FASCINATION POUR LA BEAUTÉ DU DIABLE

 

Sous-code « Cruella » :

 
cruella

Cruella De Vil dans « Les 101 Dalmatiens » (1961)

 

J’ai évoqué tout à l’heure le goût, très répandu chez les personnes homosexuelles, pour la femme-objet violée qui se venge des hommes qui auraient jadis abusé d’elle (je vous ai parlé des châtelaines cruelles avec des talons aiguilles que moi-même je dessinais). Car en effet, il y a dans la culture homosexuelle une esthétisation de la violence, du mal, et de la mort, qui rend la méchanceté et la vengeance désirables, ou tout au moins acceptables ; esthétisation que l’on retrouve chez beaucoup de garçons homos « langues de pute » ou de femmes lesbiennes hommasses et au comportement de vipères. Le personnage de folle hystérique qui les séduit le plus, c’est bien celui de Cruella D’Enfer, la méchante du dessin-animé de Walt Disney (ce n’est pas un hasard si, dans les soirées déguisées homos, ce sont Cruella et Vampirella qui récoltent tous les suffrages). Et j’avoue que cette Cruella a toujours été pour moi une bourgeoise camp parfaite!

 

Sous-codes « Amant diabolique » / « Chute » :

 
La Chute de Camus

La Chute (1956) d’Albert Camus

 

Quand, en classe de lycée, on nous impose d’étudier des œuvres littéraires parce qu’il faut suivre un programme imposé au bac, alors qu’en réalité elles nous rasent magistralement, on fournit peu d’efforts pour y trouver un minimum d’intérêt. Mais quand c’est La Chute de Camus qui tombe (c’est le cas de le dire…), on se dit que les programmateurs ont ENFIN pensé aux élèves ! J’ai eu à étudier le roman d’Albert Camus en cours de terminale, avec une prof de français, Mme David, qui a su, en plus, me le faire aimer. Et il continue de m’accompagner dans ma vie de tous les jours. Il me sert de modèle, ou plutôt de contre-modèle à comprendre pour ne pas le reproduire. Mettre des mots sur les mécanismes employés par le diable – car c’est bien de cela dont il s’agit dans cette œuvre –, leur laisser leur logique – car il y en a bien une – pour ne pas les justifier inconsciemment dans le rejet paranoïaque, ça me passionne. Surtout depuis que j’ai lu le faux témoignage du narrateur de La Chute. Son discours repose presque intégralement sur l’inversion. Logique, alors, qu’il m’ait interpellé autant ! Ce n’est pas un hasard si ce roman est la lecture d’adolescence préférée de Cathy Bernheim, l’auteure lesbienne de la magistrale autobiographie L’Amour presque parfait (1991). Et il fait écho à tout un pan de la littérature homosexuelle où la figure de l’amant diabolique apparaît.

 

Sous-code « Voleurs » :

 

Dans mon essai Homosexualité sociale, le terme « vol » remplace plus facilement celui de « viol » puisqu’il s’applique au viol à échelle sociale, et par rapport à la différence des espaces. J’ai, au fil de mes lectures sur l’homosexualité, remarqué énormément d’occurrences aux vols dans des contextes de prostitution, ou même simplement dans des échanges amoureux homosexuels. Mais c’est surtout en écoutant certains de mes amis, qui se définissaient eux-mêmes comme des « voleurs » ou des « tricheurs » au lieu d’employer le terme d' »homosexuels », ou qui me racontaient qu’ils s’étaient fait piquer leur carte bancaire après une nuit d' »amour » avec un amant de passage, ou qui acceptaient de se faire vider leur compte en banque par un petit copain arriviste et un peu trop profiteur, ou qui m’avouaient symboliquement que « s’ils couchaient avec de beaux jeunes hommes, c’était pour leur voler leur beauté« , que j’ai compris que les vols que l’on voit entre amants homosexuelles dans les fictions ne sont pas que virtuels!

 

Sous-code « Je suis mort » :

 

Dans les oeuvres homosexuelles, et parfois les discours, il est surprenant et incongru d’entendre certains individus homosexuels décréter qu’ils sont morts, tout pendant qu’ils sont encore vivants… alors que le seul énoncé qu’on ne puisse pas mettre à la première personne, excepté quand on dit sa fatigue, c’est bien « Je suis mort » ! C’est le cas de Jean Cocteau qui affirmait : « En ce qui me concerne, je n’ai pas peur de la mort. Parce que j’ai été beaucoup plus de temps mort que vivant. » On comprend ici qu’il s’agit davantage de la mort psychique que de la mort réelle : une forme d’absence à soi, de dégoût de vivre. Pour moi, ce « Je suis mort » peut indiquer une schizophrénie, un désir de suicide, et plus globalement une chute du désir. Dans la pièce Hétéropause d’Hervé Caffin par exemple, la voyante prédit à Hervé, le protagoniste homo, qu’au moment de se mettre en couple homosexuel, il vivra une « mort immatérielle« . Jean-Paul Sartre, dans son Saint Genet, décrit justement l’énonciation du « Je suis mort » par une personne vivante comme une « crise de dépersonnalisation », qui rejoint la notion freudienne de narcissisme intégral.

 

Cette phrase n’est pas que de la fiction. Personnellement, je l’ai déjà entendue de la part d’un ami homo, qui m’a avoué peu de temps après me l’avoir dite qu’au moment de l’énoncer, il songeait à se suicider sans oser me le dire franchement.

 

Sous-code « Se prendre pour le diable » :

 
Gargamel

En Gargamel, à la kermesse de l’école en 1986

 

Toujours en lien avec la croyance en la beauté du diable et du mal, je prouve dans mon essai Homosexualité sociale, que dès leur plus jeune âge, un certain nombre de personnes homosexuelles se sont prises pour le diable, pour des êtres incapables d’aimer ou d’être aimés, pour des personnes méchantes et maudites (il n’y a qu’à voir les pseudos d’anges déchus que certaines se choisissent sur les sites de rencontres internet pour s’en convaincre! Ils puisent abondamment dans le lexique démonologique!). Même si ce n’est pas très conscient (parce qu’en plus de cela, cette certitude est infondée et injustifiable, rationnellement parlant), c’est une pensée que j’ai entendue de la part de quelques amis homos, et que j’ai moi-même pu intérioriser à certains moments de ma vie, quand j’ai douté de moi ou que je me sentais minable, peu fiable, un peu psychopathe. Je trouve que le désir homosexuel, de par sa nature idolâtre, encourage justement à se prendre pour Dieu (c. f. le code « Se prendre pour Dieu » dans le Dictionnaire) et pour le diable (les deux à la fois!).

 

En 1986, alors que j’étais en grande section de maternelle, une maîtresse de petite section recherchait un « grand » pour jouer le rôle du méchant Gargamel pour la chorégraphie des schtroumpfs de la kermesse de l’école. Jouer le méchant et effrayer les petits de deux ans, rentrer dans la peau de l’odieux Gargamel, avait dû exciter mes fantasmes puisque pendant une récréation j’avais fait du charme à cette même maîtresse pour être sélectionné… Et ça avait marché : j’avais été pris d’office :-).

 

Sous-codes « Animaux empaillés » / « Doubles schizophréniques » :

 
psychose

Anthony Perkins dans « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock

 

Sans savoir pourquoi, j’ai compris que le comédien Anthony Perkins, qui joue Norman Bates dans le film « Psychose » d’Alfred Hitchcock, était homosexuel. Je l’ai deviné avant même de l’avoir vérifié. Ma fascination inconsciente pour ce chef-d’oeuvre cinématographique particulièrement crypto-gay, et mon achat spontané de l’affiche d’Anthony Perkins pour décorer ma chambre du foyer Jean-Luc Cabes lors de mon arrivée à Rennes en 2002, m’a tout de suite mis sur la piste. Et en effet, je ne m’étais pas trompé ! Je ne crois pas pour autant à un « Sixième Sens Homosexuel » : ça, c’est de la bêtise pour prouver que l’identité homosexuelle est la vérité profonde de la personne qui ressent une attraction sexuelle pour ses semblables. Je crois juste à une logique du désir homosexuel. Et cette logique, une fois comprise, peut rendre très intuitif.

 

Par ailleurs, et toujours en lien avec « Psychose », je développe dans Homosexualité intime le rapprochement entre désir homosexuel et schizophrénie, notamment à travers des motifs comme « la Main coupée », les « Moitiés », ou les visages à plusieurs têtes. Pour la petite histoire, quand j’avais 9-13 ans, j’avais créé un personnage fictif, « Ange« , un espèce de garçon trisomique agressif et collant, parlant le français avec un accent du sud de la France à couper au couteau (une caricature voilée de ma maman bergeracoise?), un rôle que je n’endossais qu’en présence de mon frère Jean, de mon cousin Jean-Francois, et de ma grande soeur Blanca, un bonhomme grimaçant qui m’a habité très longtemps et qui me permettait d’exprimer ma schizophrénie, ma violence intérieure, mon humour aussi (cf. le code « Doubles schizophréniques » dans le Dictionnaire). « Ange », mon fantasme diabolique de divinité tourné en dérision, m’habitait… et revient parfois me visiter quand je joue au théâtre ^^.

 
 

6 – Code « Parricide » : LE GRAND PARDON

 

Dans mon essai Homosexualité intime, j’évoque la question importante (et peu abordée) du meurtre du père dans les productions artistiques homosexuelles, ainsi que de la haine de son propre papa, un ressentiment particulièrement massif au sein des membres de la communauté homosexuelle. Autant les mamans sont préservées – voire gâtées – au moment du coming out, autant les pères ne bénéficient pas du même traitement de faveur… (c’est le moins qu’on puisse dire!) Sans aller jusqu’à des envies de meurtre (et c’est là qu’on voit qu’il y a fort heureusement un fossé énorme entre ce qui nous est montré dans les fictions traitant d’homosexualité et la réalité), il est fréquent que la relation des personnes homosexuelles avec leur père soit particulièrement tendue, ou bien concrètement plate, proche de l’indifférence… même si, là encore, il existe de nombreuses exceptions à la règle, et qu’il est difficile d’en faire une généralité.

 

Pour mon cas personnel, je dois reconnaître que ma relation à mon père a très mal démarré. J’ai eu, très tôt, peur de lui. J’étais mal à l’aise en sa présence. Et lui ne pouvait pas, à l’époque où j’étais encore adolescent, partager certains poids qu’il était le seul à porter à bout de bras dans la famille. Alors oui, je le reconnais, dans ma petite enfance, et un peu après, il m’est arrivé de haïr mon père, d’en avoir honte, de le trouver complètement à côté de la plaque dans certains de ses jugements. Je n’ai jamais désiré sa mort, mais de la haine, oui j’en ai eue. Et cette haine a sûrement pesé au départ dans l’affirmation d’une homosexualité chez moi : je me suis peu identifié, étant petit, à la figure paternelle qui aurait pu me faire sentir homme. C’est pour cette raison que j’insiste tant sur la notion de pardon à la fin de mon essai Homosexualité sociale. Car il existe un lien important entre coming out et rupture paternelle, entre la proclamation de l’homosexualité et la haine du père. Je crois de plus en plus (même si c’est très peu dit et peu évident pour notre société) qu’on ne peut pas avoir accès à une juste compréhension de soi et de son désir homosexuel si on ne s’est pas préalablement réconcilié avec son père et qu’on n’a pas pris en compte ce qu’il avait à nous dire d’un peu brutal sur le désir homosexuel.

 

Depuis que je me suis lancé dans des recherches sur l’homosexualité, et que j’ai décidé de ne plus en vouloir à mon père, de ne plus l’enfermer dans son rôle de tyran et moi dans mon rôle de victime incomprise, je peux vous dire que ma relation à mon désir homosexuel a radicalement changé. Il y a eu comme un détachement, une prise de distance par rapport à mon homosexualité et à ma quête fiévreuse de l’amour d’un garçon. C’est comme si l’amour paternel retrouvé avait tout apaisé en moi, avait rappelé les essentiels. Depuis que j’ai 15 ans, entre mon père et moi, le rapport d’adultes a pris une tournure méconnaissable si on la compare aux années qui ont précédée. Mon père n’est plus le despote que je croyais, ou l’homme sans sagesse dont je pouvais avoir honte, ni le compagnon de route que je fuyais parce que je n’avais rien à lui dire. Au contraire, aujourd’hui, c’est même l’inverse! J’ai devant moi un type qui accueille mes confidences, avec qui je peux passer des heures, un patriarche qui voit souvent juste. Je suis finalement aussi têtu, sentimental, et passionné de la Vérité que lui. Et en plus, il est le premier à ne pas être d’accord avec mon désir homosexuel. Jamais il ne l’a accepté. Alors on a vraiment tout pour s’entendre !

 
 

7 – Code « Sable » :

 
reloj de arena

« Collage » Reloj de Arena (2003) de Claire Lardeux

 

Entre le Désir vivant, unique et éternel, et le désir de l’homme mort, c’est un peu le fossé qui existe entre le sable et les cendres. En travaillant sur le premier recueil de poèmes de l’Argentin Néstor Perlongher Austria-Hungria en année de DEA en 2003, j’ai eu cette intuition que notre vie entière (et notre corps) était à l’image d’un sablier : le réceptacle du Désir. Mais le sablier contenant le désir homosexuel est particulièrement binaire et linéaire du point de vue de son fonctionnement : il ne suit pas le mouvement cyclique mais progressif (comme l’ellipse) du vrai Désir.

 

La partie inférieure du sablier homosexuel, c’est le monde visible, masculin, législatif, dirigé par le bouffon-tyran ; le trou central du sablier est la matrice par laquelle le personnage homosexuel arrive au monde, le miroir ou le couloir étroit par lequel peut passer le désir ; la partie supérieure est celle de l’inconscient, de l’imaginaire, de la femme végétale, de l’Actrice despotique qui tient prisonnier le désir et qui le livre au compte-goutte sous forme d’images, de photos, de drogues, de films. Le personnage homo, qui ne naît qu’une fois, comme tout Homme, aspire à rejoindre ce paradis inanimé situé à l’étage au-dessus, la matrice maternelle dont il a la nostalgie et qu’il pense ne jamais retrouver.

 

Ce sablier, dont Néstor Perlongher n’a pourtant jamais parlé, a servi de structure à mon mémoire de DEA, et plus largement à mon explication initiale du désir homosexuel. C’était en quelque sorte le patron de ce qui allait devenir le Dictionnaire des Codes homosexuels.

État des lieux du théâtre homo actuel

État des lieux du Théâtre homo actuel

 
 
 

Histoire d’âmes (2010) de Lilian Lloyd

 
 

Dans ce nouveau Phil de l’Araignée, je vais sortir mon masque d’homme de théâtre pour vous proposer un petit tour d’horizon de ce qui se joue au sujet de l’homosexualité sur les scènes des salles de France et d’ailleurs, depuis les années 1975 à nos jours[1]. Actuellement, le regard panoramique sur la création dramaturgique crypto-gay fait défaut, et comme j’ai assisté à beaucoup de représentations et de mises en scène, je pense être apte à vous proposer une typologie relativement complète des pièces de l’homosexualité dans le théâtre contemporain.

 

Pendant mes deux premières années à Paris, de 2006 à 2008, avant que mon livre ne paraisse, j’avais décidé d’étoffer mes références dramaturgiques homosexuelles. J’étais assez satisfait de mon bagage culturel cinématographique, romanesque, télévisuel : il me manquait le théâtre ! Je me suis donc résolu à rattraper mon retard et à explorer l’univers homo-érotique des planches. En deux ans, j’ai vu rien moins que 160 pièces traitant d’homosexualité. Je me baladais dans Paris, à Avignon, à Madrid, mon carnet de notes en main. Le Pariscope, je l’épluchais chaque semaine consciencieusement, et c’était devenu ma Bible. J’ai presque toujours eu le nez creux pour identifier les drames qui parlaient d’homosexualité. Pour qu’une pièce puisse rentrer dans la catégorie de « pièce homosexuelle », il fallait qu’elle remplisse un des trois (sinon les trois) critères suivants : soit l’auteur devait être connu comme une personne homo (assumée ou non), soit le héros ou l’un des personnes secondaires devait être homo-bis-trans, soit le public visé/attiré par cette pièce devait être homo. À présent, j’ai largement dépassé les 200 pièces visionnées (je n’ai pas fait le compte exact, mais je dois en avoir vues pas loin de 250). Depuis 2006 (j’avais commencé un peu avant : en 2003), je cours de grands théâtres en petits cabarets, de Théâtres Nationaux en minuscules salles de 15 personnes. Ma petite expérience de comédien a aiguisé au fur et à mesure mon regard et mes attentes[2].

 

Encore aujourd’hui, je continue mon investigation du théâtre homo français et international. Je dis « international » car certaines pièces étrangères arrivent en France, et que, même si je suis évidemment plus proche du théâtre francophone et parisien, je ne pense pas qu’il y ait fondamentalement une grande différence entre le théâtre homo français et le théâtre homo étranger, ni entre le théâtre homo de la capitale et celui de la province, ni entre le théâtre lesbien et le théâtre gay. Le désir homosexuel est atemporel et ne change pas, en dépit des époques, de la singularité des auteurs, de leur identité sexuée et de leur vécu. Au milieu d’un public anonyme plongé dans l’obscurité, je suis là, comme un vrai Sherlock Holmes, à l’affût des détails que personne ne semble entendre/comprendre sauf moi, émerveillé et surpris par la justesse de mon Dictionnaire (même si certains penseront que je « sur-interprète » pour donner raison à mes projections personnelles). Je ressors très souvent d’une pièce de théâtre homosexuelle tout joyeux, avec l’envie irrépressible de crier ma trouvaille, tel l’archéologue ayant décelé les vestiges d’une cité antique cachée, … pendant que les autres spectateurs ressortent en baillant ou avec la maigre satisfaction d’avoir passé un « bon moment ».

 
 

La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret

 

Quand j’assiste à une pièce, il arrive que j’étonne, j’intrigue (souvent), j’agace (rarement), j’inquiète. On me prend pour un dangereux journaliste : « Mais qui était ce mec au premier rang qui n’arrêtait pas de griffonner des notes pendant notre pièce ??? » se demandent fréquemment les comédiens sur scène (ils me l’avouent quand on se parle après le spectacle). J’apporte une lecture nouvelle qui dépasse le simple terrain des goûts (j’aime/j’aime pas) pour aller au sens des mots et des actions scéniques. En général, les auteurs de théâtre, les metteurs en scène, et les comédiens, que j’attends parfois à la fin de leur show, apprécient que je ne fasse pas de critique boboïsante Télérama ou de lecture moralisante de leur travail, que je ne me centre pas uniquement sur mes petits goûts et mes petites impressions (« La mise en scène était moyenne, je n’aurais pas fait ça comme ça. » ; « Tel comédien n’était pas sincère et jouait mal. » ; « J’adore l’écriture de cet auteur : c’est lumineux, émouvant, corrosif, vraiment avant-gardiste. C’est génial. Et tellement drôôôle… » ; « J’aime beaucoup ce que vous faites… » ; etc.) mais au contraire que je m’attache à ce que je vois et entends, sans chercher à dire si j’ai aimé ou pas… car la plupart du temps, je n’aime pas le théâtre créé par les auteurs homos ou traitant d’homosexualité : il me passionne vu qu’il contient plein de symboles à commenter, mais objectivement, je le trouve fade, de mauvaise qualité, totalitaire, politiquement correct – y compris dans l’anti-politiquement correct –, vide d’idées fortes qui aideraient à vivre. Pour moi, un vrai critique de théâtre ne doit pas commencer par donner son avis : il a le devoir de courtoisie et d’écoute envers la création dont il dresse le portrait, bien avant de se positionner « pour » ou « contre ». S’il a aimé, cela doit à peine se voir dans un premier temps. S’il a détesté aussi. Tant d’œuvres sont balayées d’un revers de main, n’ont pas le temps d’exister, d’être goûtées et analysées, parce qu’on les considère hâtivement comme trop « clichées » ou trop « merdiques »… C’est en analysant d’une part cette auto-censure de la communauté homo/hétéro envers sa propre production, et d’autre part le langage inconsciemment codé d’œuvres jugées mineures, que j’ai découvert un trésor ! Il n’y a fondamentalement aucune pièce homosexuelle à éviter. Même celles qui m’ont le plus ennuyé, elles m’ont finalement passionné. Même les plus mauvaises ont été riches d’enseignement sur le désir homo, à l’insu des naïfs et sincères cerveaux des dramaturges qui les ont pondues.

 

Alors les quelques catégories de théâtre homo que je vais vous dessiner à présent ne sont pas hiérarchisables en termes de bon ou de mauvais goût, de pièces à éviter, à huer, ou au contraire à aller voir absolument. Des goûts et des couleurs, il n’y a rien d’écrit (même si je ne cacherai pas mes préférences). Tout ce que je souhaite, c’est qu’à l’issue de la lecture de ce petit catalogue non-exhaustif du théâtre gay et lesbien, je vous donnerai encore plus envie d’assister à des pièces sur l’homosexualité, et surtout à celles qui regorgent de clichés qui agacent le plus la communauté homosexuelle. Ce sont ces dernières qui détiennent le plus de clés de l’énigme du désir homosexuel.

 
 

1 – Le Boulevard beauf gay friendly :

 

Bonjour Ivresse! (2010) de Franck Le Hen

 

Dans cette catégorie, on peut y caser notamment La Cage aux Folles(1973) de Jean Poiret, Pauvre France (1982) de Ron Clark et Sam Bobrick, Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Les Monologues du Pénis (2007) de Carlos Goncalves, Les Deux Pieds dans le Bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Un Lit pour trois (2010) d’Yvan Tournel, Et Dieu créa les folles… (2009) de Corinne Natali, Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, Nos Amis les bobos(2007) d’Alain Chapuis, Pas folle, le Gay ! (2006) de Gianni Corvi,Transes… Sexuelles (2007) de Rina Novi, Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis, À plein régime (2008) de François Rimbau, D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon, Open Bed (2008) de David Serrano, Une Cigogne pour Trois (2008) de Romuald Jankow, Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet, Les Homos préfèrent les Blondes (2007) de Franck Le Hen, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, On la pend cette crémaillère (2010) de Jonathan Dos Santos, etc.

 

Ce sont, en somme, toutes des pièces de la vulgarisation de l’homosexualité, qui effleurent le sujet uniquement parce que c’est à la mode, mais sans l’approfondir vraiment. À mi-chemin entre le Théâtre de Boulevard et « Le Miel et les Abeilles », ces comédies – souvent taxées de « ringardes » – privilégient le registre du divertissement, en exploitant jusqu’à l’usure les quiproquos qu’offre la confusion des sexes ou des genres. Ce sont aujourd’hui les pièces de l’homosexualité qui remportent le plus de succès. Si elles abordent la question du couple homo, c’est soit pour le montrer comme acceptable et beau, soit pour le rendre digne de pitié (dans le second cas, la victimisation est de mise et sera montrée comme un audacieux engagement politique en faveur des « discriminations homophobes »). Le point commun entre ces différentes créations, c’est qu’on ne sait toujours pas, même après les avoir vues, si oui ou non elles ont été écrites par des individus homos ou des individus hétéros bien-pensants. Le doute est permis, tant il est beaucoup plus question de bisexualité, de libertinage généralisé, d’anti-normes et d’anti-identités, que d’amour homo. Le personnage homo n’est d’ailleurs pas toujours mis en avant ni à son avantage : il peut être une figure secondaire, plus ou moins bien intégrée au reste des autres personnages. Il est présenté comme un être à la fois complètement extra-terrestre (arrive alors la flamboyante figure de la tapette, du travesti efféminé, ou du transsexuel insupportable, qui va amuser la galerie), ou au contraire complètement invisible (tant son étiquetage sexuel ne doit pas le déterminer comme uniquement « homosexuel » mais comme un simple « amoureux errant »).

 

 

Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim

 

Ce sont des pièces qui, clairement, suivent le sens du vent. Leur époque parle de l’homoparentalité, de la bisexualité, de la transsexualité, de la nécessaire libération des femmes et de la reconnaissance de leur « plaisir sans l’homme », des droits « des » homos ? Eh bien elles vont donc s’en faire docilement le relais, de manière complètement décomplexée et relativiste ! Entre la farce potache et la pièce pseudo engagée, ces « clowneries de Réveillon » sympathiques et touche-à-tout des soi-disant « tabous sociaux » (le sexe, la domination masculine, la religion, la politique, l’argent, l’orgasme féminin, etc.) n’approfondissent rien. Leur message sur le désir homosexuel est très simpliste et manichéen. Il ne prône que l’acceptation inconditionnelle des différences, et un mode de vie libertaire. C’est léger. Et aucun des spectateurs ne va s’en plaindre à la sortie puisqu’on ne lui a pas servi autre chose de plus goûteux. « Monsieur Tout le Monde » se rend habituellement à ce type de pièces pour rigoler un bon coup, se changer les idées, et certainement pas pour en tirer une analyse approfondie sur l’homosexualité.

 

Pour finir de parler de ces vaudevilles gay friendly rafraîchissants dont personne ne semble vraiment prêter attention mais que pourtant beaucoup connaissent et vont quand même voir, il est étonnant de voir comment l’ouverture populiste vers le monde « hétéro » dont ils témoignent agace prodigieusement les membres de la communauté homo qui détestent se voir « stigmatiser positivement » sous forme de clichés qu’ils jugent caricaturaux et insultants. C’est bien parce qu’ils prouvent la faiblesse risible du désir homosexuel que ces shows sont boudés par une grande partie des personnes homosexuelles. Et pourtant, dans leur naïveté, ils sont les livres ouverts de l’homosexualité, des nids à symboles ! Le code homosexuel est le langage de l’inconscient collectif violent : il fait rire, pleurer, et on ne comprend pas pourquoi il parvient à provoquer deux réactions aussi contraires tant celui-ci s’annonce sous les hospices de la banalité. C’est purement et simplement fascinant.

 
 

2 – Les pièces communautaires :

 
 

Madame Mouchabeurre (2009) de Michel Heim, par les Caramels Fous

 

Parmi les fictions que je baptiserais de « pièces communautaires », on peut trouver des pièces telles que Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Bang Bang (2009) des Lascars Gays, Faim d’année(2007) de Franck Arrondeau, La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, Panique à Bord (2007) de Stéphane Laporte, Le Cabaret des Hommes perdus (2006) de Christian Siméon,L’Opération du Saint-Esprit (2007) des Caramels fous, Un Barbu sur le Net (2007) de Louis Julien, Angels in America (2008) de Tony Kushner, Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, Comme ils disent… (2009) de Christophe Dauphin et Stéphane Rocher, Entre vos murs (2008) de Samuel Ganes, Bent (1979) de Martin Sherman, etc.

 

Cette catégorie est moins gay friendly que clairement homo. Même si elle se rapproche « dangereusement » de la première catégorie dont il était question ci-dessus, et qu’elle use et abuse des mêmes ressorts comiques et des clichés les plus courus de la culture homosexuelle (notamment le personnage de la Grande Folle, de la lesbienne butch/fem, ou du Steevy abonné au club de muscu), elle prétend à davantage de recul par rapport aux pièces « beaufs » de l’homosexualité. Elle passe pour ainsi dire du kitsch au camp, du rire à l’ironie et à l’auto-dérision, de l’idéalisation à la destruction. Les pièces communautaires, clairement affichées « homos », ciblent déjà une population homo un peu plus restreinte, une « clientèle labélisée » on va dire. Elles sont sponsorisées par Têtu, Le TangoPREF Mag, ou Yagg, et sont parfois programmées dans des festivals 100 % gay. On a l’impression qu’elles se jouent davantage « entre copains qui se connaissent », devant une assistance familiale, acquise d’avance, et triée sur le volet, que pour un large public néophyte. Contrairement aux comédies de boulevard, ici, les comédiens, ou l’auteur, ou le metteur en scène, si ce n’est pas les trois réunis, s’affichent clairement en tant qu’« homos ». Ce type de pièces est plus militant, plus politisé. Le personnage de l’homosexuel n’est plus seulement là pour faire rire : il monte aussi sur scène pour défendre son identité ou son amour homosexuels, et il est le personnage principal. Les références communautaires peu généralistes (lepoppers, les us et coutumes internes au monde homo, les pratiques sexuelles, le Sida, l’humour « langue de pute », la déportation sous le nazisme, etc.), les emprunts artistiques (la citation des chanteuses icones gay par exemple), et les private joke du « milieu homo », y sont plus nombreux. Les pièces communautaires, à la différence des pièces beaufs, ont tendance à jouer davantage sur la corde sensible et mélodramatique. On y voit certes toujours la même Zaza, mais cette fois, son maquillage coule, elle a une jambe de bois, elle a été défigurée dans un accident de voiture, elle a perdu sa jeunesse d’antan, elle se venge sur son public : c’est la femme violée et violente qui est mise à l’honneur dans ces pièces communautaires ; et l’amour homo déçu qui est chanté… même si, là encore, on assiste toujours à la même idéalisation aveugle de l’identité homo et de l’amour homo, quand bien même celle-ci soit pleurnicharde, plus raffinée (avec les gants de velours de Lisa Minelli), plus intimiste, plus chargée de pathos, plus cynique, plus chantante (au passage, il n’est pas étonnant qu’on trouve dans cette catégorie de pièces un plus grand nombre de comédies musicales : la nostalgie sentimentaliste est le carburant de ces spectacles 100 % gay qui empruntent énormément au music-hall).

 
 

3 – Les pièces psychologiques :

 
 

Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay

 

Souvent, les pièces psychologiques homos sont des huis-clos qui promettent d’être riches en analyse. Ils sont censés nous sortir de l’habituel marasme intellectuel dans lequel le théâtre LGBT semble plongé : on peut citer par exemple Juste la fin du monde (1990) de Jean-Luc Lagarce, Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri, Parfum d’Intimité (2008) de Michel Tremblay, Homosexualité(2008) de Jean-Luc Jeener, Quand mon cœur bat je veux que tu l’entendes (2008) d’Alberto Lombardo, Un Cœur en herbe (2010) de Christophe Botti, Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès, Une Journée particulière (1977) d’Ettore Scola, Le Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig,Confidences (2008) de Florence Azémar, Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Confidences entre frères (2008) de Kevin Champenois, Sur ma colline(2009) de Marc Weidemann, Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, Les Larmes amères de Petra Von Kant (1971) de Fassbinder, Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, etc.

 
 

Happy Birthday Daddy (2008) de Christophe Averlan

 

Ces pièces ne cherchent plus à faire rire ni à détruire les clichés de l’homosexualité. Elles mettent précisément en scène des personnages clairement homosexuels qui utilisent ces mêmes clichés de l’homosexualité pour soi-disant les « dépasser », les « transcender », en se positionnant intellectuellement en deçà de l’étiquetage post-moderne des sexualités. Ce théâtre d’introspection n’est ni chagrin, ni trop ennuyant à suivre, ni de la masturbation intellectuelle. Il vise à rejoindre les personnes homosexuelles au cœur de leurs réflexions et de leurs interrogations quotidiennes : on trouve ainsi un théâtre plus réaliste, plus proche de nous, où on peut aisément s’identifier aux protagonistes, où les méchants et les gentils n’existent plus. Il propose des dialogues parfois musclés et bien écrits, qui font réfléchir. Concrètement, on pourrait très bien dire qu’il s’agit de débats théâtralisés (sur la confusion des sentiments, sur le coming out, sur la vie de couple homo, sur les ambiguïtés du désir homosexuel, sur la diversité capricieuse de la communauté homosexuelle et de ses combats politiques), des discussions qui restent ouvertes même quand le rideau final est tombé. Le seul gros bémol de ces pièces psychologiques, c’est qu’on nous ressert toujours les mêmes thématiques (Comment faire son coming out ? Comment gérer l’annonce de son homosexualité au travail et avec la famille ? Comment lutter contre l’homophobie ? Faut-il vivre la fidélité exclusive au sein de son couple homo ? Faut-il adopter des enfants ou se marier quand on est homo ? Quel est mon rapport au communautarisme et au ghetto marchand gay ? Comment gérer l’arrivée de la vieillesse et le monde de la drague homosexuelle ? Homosexualité et foi, quelle issue ? etc.) pour mieux évacuer la question du bien-fondé de l’identité homosexuelle ou de la force d’amour du désir homosexuel. Toute résistance et contestation de ces deux piliers idéologiques de la communauté homosexuelle mondiale est interprétée au diapason de la victimisation homosexuelle et du rejet social homophobe. Du coup, on tourne autour du pot ; on n’affronte pas les sujets ; on brasse généralement de fausses problématiques puisqu’on ne veut pas questionner la nature authentico-artificielle (ou, si vous voulez, mi-aimante mi-violente) du désir homosexuel, ni les coïncidences de ce dernier ; on se focalise bêtement sur les « comment ? » plutôt que sur les « pourquoi ? ». La discussion de fond est alors prise en sandwich entre le témoignage émotionnel « je » (autrement dit, on nous livre un échantillon de portraits de personnages gay ou lesbiens qu’on veut sortir des archétypes habituels) et la réflexion désabusée sur la vacuité de la communauté homosexuelle, de l’identité globale de l’individu, ou de l’amour en général. Vu la perspective qu’offraient à priori ces pièces psychologiques, autant dire qu’on ressort vraiment déçu du sur-place intellectuel dont on a été témoin pendant une heure et demie, surtout si on aime habituellement creuser à fond un thème et qu’on a un tant soit peu de passion des débats où « ça parle de quelque chose » ! Alors je me tourne vers nos dramaturges homosexuels et j’ai envie de leur demander : Mais quand est-ce que les discussions qu’ils mettent en scène vont ENFIN décoller et que le théâtre homo sortira de ses bien-pensances pour nous bousculer vraiment ?

 
 

4 – Les pièces de l’homosexualité invisible :

 
 

Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo

 

Une autre grande famille de pièces homosexuelles est celle des créations de l’homosexualité de l’ombre, une homosexualité qui est vécue par des personnalités qui préfèrent la cantonner dans la sphère strictement privée : je pense à des créations comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, L’Orféo (2009) d’Alessandro Striggio, Macbeth (1623) de William Shakespeare, Guantanamour (2008) de Gérald Garutti, Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob, Casimir et Caroline (2009) de Ödön von Horváth, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, L’Héritage de la femme-araignée (2007), Doubles (2008), Les Frères du Bled (2010) de Christophe et Stéphane Botti, etc.). Loin de leur jeter la pierre à cause de leur manque de visibilité homosexuelle, je trouve au contraire que ces pièces gagnent en profondeur par leur pudeur et leur discrétion. D’ailleurs, en y assistant, on tombe souvent sur d’« heureux hasards », sur des indices d’homosexualité latente nichés presque accidentellement dans les textes ou dans l’intrigue, ayant miraculeusement passé le grillage du tamis de la censure homophobe : il faut généralement aller les chercher, et être un bon connaisseur des codes symboliques employés par le désir homosexuel, pour les identifier. Mais on y arrive sans trop de mal quand même !

 

On pourrait croire qu’il s’agit de pièces datant d’une époque révolue, où l’homosexualité n’était pas dite au grand jour parce que condamnée à la damnation et au silence (je pense par exemple au théâtre de William Shakespeare, Jean Cocteau, Federico García Lorca, Colette, Tennessee Williams, etc.), mais en réalité, il n’en est rien, et je ne pense pas que cette censure soit fondamentalement une question de contexte historique : elle a à voir avec la nature-même du désir homosexuel, qui se nie tout en se disant. Ce théâtre de l’homosexualité invisible revient actuellement en force (Fassbinder, Stefan Zweig, Harold Pinter, Jean-Luc Lagarce, Gilles Tourman, Jérôme Savary, Jérôme Commandeur, etc.), surtout dans notre climat social qui est de plus en plus à l’asexualité et à la contestation des nouvelles catégories marchandes de la sexualité (gay/lesbienne/bi/trans/hétéro).

 

 

Guantanamour (2008) de Gérald Garutti

 

Il s’agit d’un théâtre écrit ou joué par des artistes qui ne veulent pas placer leur identité homosexuelle ou leur amour homosexuel sur un piédestal, ni tomber dans un prosélytisme et un militantisme qu’ils jugent caricaturaux et agaçants. Attitude à priori intelligente et ouverte ! Cet éloignement par rapport au désir homosexuel a ceci de positif que ces spectacles crypto-gay nous proposent une pensée plus universelle sur l’amour, une distance critique salutaire nous permettant de laisser l’homosexualité à sa juste place de détail de notre identité. Le problème, c’est que le désir homosexuel y est tellement peu visible et peu assumé par ces « auteurs homosexuels de l’ombre » que leur approche de la sexualité est soumise à une censure qui appauvrit le sens de leur production. S’éloigner à l’excès du tableau homosexuel revient à le rejoindre sans s’en rendre compte, à le transformer en mur transparent qui nous empêche d’accéder à une pensée plus large sur l’identité et l’amour. Le désir homosexuel a beau ne pas être notre désir profond, il existe tout de même et est à prendre en compte : plus on nie le conditionnement dont il est le témoin et/ou l’agent, plus il nous conditionne à notre insu.

 

Cette catégorie de pièces est la moins facile à analyser au niveau des codes du désir homosexuel, car le sujet de l’homosexualité est peu présent dans les mots des comédiens. Fatalement, cela donne des textes moins riches pour l’homotextualité. Cela dit, plus on cherche à mettre un couvercle sur le désir homosexuel, plus il ressort d’une manière codée dans les discours, sous forme d’un hiéroglyphe dont le langage échappe même à celui qui l’a écrit. C’est la raison pour laquelle il n’est pas inintéressant de se pencher très sérieusement sur ces pièces de l’homosexualité invisible, en veillant toutefois à ne pas tout « homosexualiser » sous prétexte qu’on connaît par ouï-dire l’homosexualité de tel metteur en scène/comédien, ou que ces spectacles seraient l’expression d’une homosexualité latente indiscutable et divine du fait d’être effacée.

 
 

5 – Le Théâtre Queer, performer :

 
 

Cannibales (2008) de Ronan Chéneau

 

Dans un tout autre style, on retrouve le Théâtre queer. Il réunit des pièces telles que Jerk (2008) de Dennis Cooper, Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely, Le Frigo (1983) de Copi, Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, My Scum (2008) de Stanislas Briche, Des Lear (2009) de Vincent Nadal, La Star des Oublis (2009) d’Ivane Daoudi, Golgotha (2009) de Steven Cohen, Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg, Le Cabaret des Utopies (2008) du Groupe Incognito, etc.

 

Ces pièces « originales », réservées à une élite culturelle issue des conservatoires d’arts modernes, font la joie des snobs en mal de créativité, haïssant l’art populaire… Le souci, c’est qu’elles font par ailleurs l’ennui de l’ensemble de la population normalement constituée ! Pénibles à suivre, il est fréquent qu’elles ne fassent pas l’unanimité (certains spectateurs quittent la salle avant la fin des représentations…), qu’elles rasent profondément leur monde (et pour cause ! : elles sont objectivement chiantes et traînent souvent en longueur). Elles ont pour caractéristique de ne pas faire rire. Elles sont jouées d’ailleurs avec un cérémoniel sérieux : même les « pétages de plombs » (s’il y en a) des comédiens, qui au départ faisaient sourire par leur hilarité parfois hystérique, finissent par glacer l’assistance tellement ils arrivent de manière impromptue dans l’intrigue et semblent involontaires, égoïstes. Mais attention ! Il ne faut surtout pas critiquer ces pièces queer ni dénoncer leur nullité : car c’est de l’Art ! et l’Art n’aurait absolument rien à partager avec l’éthique ! Bien évidemment, ces oeuvres dramatiques n’ont pas toujours de trame narrative ou d’histoire à raconter. Elles procèdent de l’écriture automatique. Elles sont des terrains d’expérimentation, des « laboratoires de l’acteur » comme dirait Hélène Zidi-Cheruy. Elles utilisent toujours les mêmes ficelles idéologiques et esthétiques : la scatologie, la pornographie, les drogues, l’anticléricalisme, l’attaque du pouvoir politique et des bourgeois, les dialogues incohérents, l’association de mots par homophonie et non pour leur unité de sens, le Pop Art à la sauce seventies, etc. Il existe une étroite collaboration entre théâtre homosexuel queer et nouvelles technologies, arts audiovisuels. Les dramaturges de l’homosexualité anti-normative aiment mélanger le théâtre avec l’outil multimédia, la photo, les effets spéciaux (images au ralenti, en accéléré, sur écran géant, déformées ou liées à des sons inédits, etc.), la danse, le cirque, les jeux de lumières, les écrans de télévision occupant toute la scène, les décors design et improbables, les arrangements musicaux électro, etc. Le théâtre queer louvoie avec le cinéma, la musique, les arts plastiques, et surtout leshappenings (ceux qui cherchent à tout prix à surprendre et à provoquer leur public, quitte à le maltraiter). Généralement, à la fin de la représentation, on a envie de souhaiter bon courage au personnel de ménage ! Les comédiens ont laissé derrière eux un beau bazar ! (eau sur scène – quand ce n’est pas sur le public ! –, peinture, faux sang, farine, œufs, acte iconoclaste à l’encontre d’une toile ou d’un miroir, pluie de polystyrène, etc.). Les pièces queer semblent se tourner vers le passé (par exemple, elles réadaptent au « mauvais goût » du jour les pièces du répertoire dramatique classique : je pense notamment à la mise en scène de La Religieuse (1760) de Denis Diderot par Anaïs Gabay en 2008, à l’adaptation « libre » duFunambule (1958) de Jean Genet par Pierre Constant en 2008, à la pathétique mise en scène d’Une Saison en Enfer d’Arthur Rimbaud par Nâzim Boudjenah en 2008, à la version SM des Précieuses Ridicules de la pièce de Molière par Damien Poinsard, etc.)… mais ce retour vers la tradition n’est que poudre aux yeux : il ne s’agit pas de « faire mémoire » ni d’honorer les ancêtres, mais au contraire de travestir l’histoire dans un esthétisme « trash-bourgeois » loufoque, qui n’a la puissance que des intentions ( = la dénonciation anti-fasciste et la défense de la liberté illimitée) et du mime. Les artistes néo-baroques s’imaginent que mimer le problème supplante l’action ou la recherche de solutions : la monstration muette d’une violence déproblématisée et livrée brute sur scène serait à elle seule un acte politique « ultra révolutionnaire », « jubilatoire », « courageux »… alors que rien, concrètement, n’est proposé.

 
 

Golgotha (2009) de Steven Cohen

 

Il y a dans ces pièces queerisantes pour snobinards soixante-huitards laïcards quelque chose de la nostalgie désabusée des enfants « désenchantés » homosexuels. On nous fait assister à un jeu de massacre (massacre des mots, des styles, des corps…), avec des comédiens qui se prennent pour des objets et qui miment sur leur propre corps, asexué pour l’occasion, nu de préférence, morcelé, puant, et sanguinolent, une oppression sociale mécaniste dont la communauté homosexuelle, et l’ensemble des êtres humains dont elle serait la digne représentante, pâtirait.

 

En quelques mots, ce théâtre sent le style bobo des trentenaires gauchistes dégoûtés par la gauche, déçus par l’amour en général, en panne d’identité. Ils nous déversent leur mal-être dans un romantisme sale et un peu « barré ». Si bien qu’après avoir vu leur déprime, on hésite à applaudir à la fin tellement on a trouvé ça minable. Leur délire narcissique et solitaire fait chier tout le monde, mais personne n’ose le dire. Les pièces queer n’ont qu’une seule chose à nous apprendre : c’est qu’elles n’ont justement rien à nous dire (du moins, c’est ce qu’elles donnent à croire !). Ayant choisi la révolte, l’anticonformisme et la destruction comme moyens privilégiés d’expression, elles imposent l’action par l’image, l’affirmation de l’identité humaine sur le mode de l’éclatement et de l’exhibitionnisme morbide. Selon elles, on n’« est » pas : on « devient ». On n’a pas de sexe (« le sexe, c’est une construction culturelle ») mais seulement un « genre » (genre mouvant, fluctuant, multiple, et indéfinissable). On n’est pas réel : notre corps est poétique et clinique. On n’a pas d’orientation sexuelle ni de désir permanent : on vibre pour « quelqu’un » quel que soit notre/son sexe, on « ressent », on est « amoureux », on est tous des anges, on vit d’extase, … et surtout on meurt. Inutile de dire que cette vision nihiliste et planante de l’amour témoigne d’un profond éloignement des réalités humaines, sociales et politiques (même si le mouvementqueer politise à l’extrême son verbiage poétisant pour nier qu’il fume un peu trop de la moquette…) et qu’il encourage scéniquement à toutes les excentricités. Mais ne nous laissons pas impressionner par ce pseudo bordel « insensé » qui n’est transcendant qu’en intentions : il est bien plus organisé et signifiant que ce que ses auteurs disent. C’est le foutoir organisé des surréalistes. Après tout, ce n’est pas parce que certains surréalistes ne se comprennent pas eux-mêmes que leur partition néo-baroque dissonante n’est pas déchiffrable par d’autres. Je dirais même plus ! Moins une pièce prétend donner du Sens, plus ce que son inconscient symbolique exprime en a !

 
 

6 – Les one-man-show homosexuels :

 
 

La Lesbienne invisible (2009-2010) d’Océane Rose-Marie

 

Dans cette catégorie, je classerais des œuvres telles que Vierge et Rebelle (2008) de Camille Broquet, Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Entre fous émois (2008) de Jarry, Jérôme commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, La Lesbienne invisible de Océane Rose-Marie,Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, Les Colocataires(2008-2010) de la Troupe d’Improvisation du Bout, J’ai jamais été aussi vieux (2010) de Pierre Palmade, Madame H. racontant sa Saga des Transpédégouines (2007), Nana allume la mèche (2009) de Nana,Yvette Leglaire « Je reviendrai ! » (2007) de Dada et Olivier Denizet,Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Les Histoires d’amour finissent mal en général (2009) de Jérôme Loïc,Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin, Le Jardin des Dindes (2009) de Jean-Philippe Set, etc.

 

Il existe un genre particulier de spectacles communautaires homos qui ne sont pas exactement des « pièces » à proprement parler : je veux parler des sketchs de cafés-théâtres, des performances dans les cabarets transformistes, des one-man-shows, et des stand-up. Comme ces représentations mêlent témoignage personnel et humour, et qu’en plus elles sont fondées sur la rapidité des répliques de leurs vedettes qui doivent enchaîner tout un tas d’idées à la seconde et passer du coq à l’âne, elles constituent d’autant plus une mine de renseignements capitale sur le désir homosexuel (Le registre comique ne repose-t-il pas en soi sur l’art de faire rire en disant pourtant les plus grandes vérités ?). Personnellement, ce sont dans ces one-man-shows apparemment légers et anodins que j’ai trouvé le plus de références involontaires aux codes de mon Dictionnaire symbolique du désir homosexuel. En plus de nous divertir, ils nous renseignent de manière très précise sur les liens qui unissent viol et homosexualité. Nous aurions tort de ne les considérer que comme de simples bouffonneries. Ils ont le charme, l’interactivité et la drôlerie des spectacles de transformistes, certes, … mais aussi la détresse existentielle et identitaire du travesti cinématographique. Je vous les recommande spécialement.

 
 

Chroniques d’un Homo ordinaire (2008) de Yann Galodé

 
 

7 – Les pièces qui sortent du lot :

 

Je n’ai pas la recette d’une pièce homo réussie, rassurez-vous. Je n’ai pas non plus la clé du succès ou au contraire du « flop » d’un spectacle. Il y a tellement de facteurs extérieurs qui rentrent en ligne de compte en dehors de la pièce en elle-même et de ses comédiens, tellement d’ingrédients différents qui concourent à cette alchimie de la scène ! Le théâtre, inutile de le dire, c’est du spectacle vivant, donc, par conséquent aussi, perpétuellement étonnant. Une pièce peut être super bien écrite mais mal interprétée ; tout comme elle peut être intelligente et pourtant mal comprise par son époque ; ou bien mal écrite et sauvée in extremis par le charisme de ses interprètes[3]. Elle peut très bien parler d’un sujet bidon en substance, et quand même développer par l’humour et l’imaginaire un humanisme épatant. Je trouve que des pièces comme Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Son Mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, Qui aime bien trahit bien (2008) de Vincent Delboy, Betty Speaks (2009) de Louise Deville, Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne, Western Love (2008) de Nicolas Tarrin, Fatigay (2007) de Vincent Coulon, Tante Olga (2008) de Michel Heim, Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Coming out (2007) de Patrick Hernandez (et y compris Le Clan des Divorcées(2006) d’Alil Vardar, avec l’explosif travesti Brigitte !), Se dice de mi en Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet, sont de vraies réussites, quand bien même elles ne nous aient pas emmenés super loin dans la réflexion sur l’homosexualité. Je les ai beaucoup aimées, et les reverrais avec plaisir. Concernant le théâtre homosexuel, j’ai bien sûr des préférences et des conseils : mon cœur est allé à des pièces comme Une Rupture d’aujourd’hui (2007) de Jacques-Yves Henri (une des plus grandes pièces de réflexion sur l’homosexualité à mon avis), Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener (même si les discours prêtés aux hommes d’Église sont encore caricaturaux, malgré les efforts fournis pour les renouveler), Parfum d’Intimité(2008) de Michel Tremblay (un bijou de finesse signé Christian Bordeleau), Confidences (2008) de Florence Azémar. Mon podium (encore soumis à modification, car j’ai du temps devant moi pour découvrir d’autres pièces!) reste décerné au Baiser de la Femme-Araignée (1976) de Manuel Puig (la pièce qui touche au plus juste à la face despotique du désir homosexuel), au one-woman-show d’Océane Rose-Marie La Lesbienne invisible (je ne m’en suis pas encore remis, de ce spectacle !), et au numéro indescriptible Entre fous émois(2008) de Jarry (mise en scène de Gilles Tourman ; Jarry utilise une flopée de « mes » codes homosexuels ! Il y en a un à toutes les phrases… et le pire, c’est qu’il ne le fait même pas exprès !).

 
 

Entre fous émois (2008) de Jarry

 

Après, on peut se demander à juste titre s’il suffit qu’une pièce nous fasse rire aux éclats, nous donne la chair de poule, ou nous arrache des larmes, pour décréter qu’elle est « bonne ». En effet, concernant la production dramaturgique homosexuelle, je continue de la trouver « moyenne », voire presque toujours médiocre. Il faut faire attention à ne pas nous fier qu’à notre perception instantanée (et pas toujours distancée) d’une pièce, et à ne pas nous laisser déborder par nos émotions immédiates, par le rire et la sympathie instaurés par la chaleur d’une salle de spectacle conviviale, par l’habileté et le bagou de certains show men capables d’improviser à partir de rien et de combler la possible absence de contenu d’une œuvre par un surinvestissement sur la forme.  Certaines pièces nous font objectivement ressentir des émotions peu banales (larmes, éclats de rire, peur, curiosité, etc.) mais pourtant instinctives et peu reliées à la force de leur(s) message(s). Et ce n’est que bien après, en rentrant chez soi, qu’on se pose la question fatidique : « Mais que m’a apporté la pièce que je viens de voir ce soir, qui m’a bien plu sur le moment mais que j’aurai oubliée dans un an ? En quoi elle m’a ouvert d’autres horizons, m’a appris des choses sur moi-même et sur les autres, m’a questionné en profondeur sur ma société ? Je ne demande rien de compliqué, pourtant. Juste un peu de bon pain pour m’émerveiller toujours davantage de la beauté du monde et des êtres humains. Au-delà des blagues, des bons jeux de mots, des rires, du talent indéniable des comédiens, de l’originalité de ce que j’ai vu, du strass, des beaux costumes et des jolies chansons, quelle personne ou quelle idée forte, quelle vérité ou quel combat tous ces instruments dramaturgiques ont-ils servi ? » Si on prend vraiment le temps de se poser la question, on se rend compte que quasiment aucune pièce homosexuelle ne nous apporte de quoi étancher un minimum notre soif de Vérité. C’est la raison pour laquelle je persiste à dire que je n’ai pas encore trouvé de production dramaturgique LGBT qui me comble pleinement dans ma recherche de définition de l’homosexualité. Je ne désespère pas. Encore faut-il que l’ambiguïté divisante du désir homosexuel (un élan humain mi-aimant, mi-violent) soit reconnue sans révolte, et que le lien non-causal entre viol et désir homosexuel soit traité et osé sur nos planches bien frileuses. Antonia, please, réchauffe-nous un peu tout ça avant qu’on s’endorme.

 
Antonia 2

Antonia Malinova dans Marilyn en chantée (2008) de Sue Glover

 


[1] J’ai décidé de ne pas traiter des concerts, même si je n’ai pas pour autant délaissé les spectacles musicaux, les comédies musicales, et les musicals.

[2] J’ai commencé officiellement à faire du théâtre à 20 ans, en 2000, à Angers, à l’atelier de Xavier Vigan (même si c’est l’Église catho et mes engagements en aumôneries des lycées ou des étudiants qui m’ont en réalité bien formé à la générosité…). J’ai ensuite endossé presque par accident le rôle du dictateur Salazar dans la pièce Les Longues Vacances de Salazar (1997) de Medeiro à la faculté de Villejean à Rennes en 2003, sous la direction de Graça Dos Santos, et ce fut la révélation. J’ai été quasiment deux heures sur scène, et le seul garçon de la troupe universitaire ! S’en sont suivies deux années dans la troupe franco-portugaise Cá et Là de Graça Dos Santos, alternant théâtre de rue et représentations publiques dans les ambassades. À l’été 2007, je vis une semaine de stage d’été aux Cours Florent qui m’a marqué à jamais car elle a été animée par la talentueuse metteur en scène et actrice bulgare Antonia Malinova (dans ma promo, j’ai eu le privilège de rencontrer des comédiens et comédiennes de qualité : Charles Poitevin, Alexia Erb, Aurélie Balaes, Marie Bigot, etc.). L’inscription aux Cours Florent à l’année sera pourtant une erreur. Je ne me suis pas retrouvé dans l’ambiance de compétition entre théâtreux qui se prennent très au sérieux. Je sors de là au bout de 6 mois seulement. La seule amitié forte que j’en garde, c’est celle avec un petit prodige du théâtre, un gars que je surnomme « JT » (= Jérôme Thibault), un inclassable, comme moi, avec qui je suis toujours en contact et qui va certainement être reconnu dans quelques années. Après l’expérience Florent, pour ne pas ressortir dégoûté du théâtre, j’accepte de jouer dans une petite production de Silvio Pistone, Ainsi va le monde, au Petit Théâtre du Bonheur, à Montmartre. J’enchaîne presque aussitôt avec deux années à l’École du one-man-show Le Bout à Pigalle, à l’atelier de Yoann Chabaud. Je retrouve le plaisir de la scène et du public. Je me réconcilie avec le théâtre et décide de placer ma priorité théâtrale dans la quête de Vérité (À quoi sert une œuvre théâtrale si elle est désarmée et sans combat ?) et la convivialité. Le registre de l’humour me plaît particulièrement: je trouve qu’il développe beaucoup plus de facettes d’une personnalité que la pure tragédie. En septembre 2010, je laisse le Bout pour intégrer l’atelier d’écriture du comédien-metteur en scène Christophe Botti, avec 10 autres artistes qui veulent également se lancer dans l’écriture d’une pièce à eux. J’ai un projet solide d’une pièce traitant d’homosexualité (comme par hasard…) sous le coude. Et elle est bien partie pour voir le jour d’ici un an !

[3] La comédienne et actrice Marina Foïs, qui a relevé incontestablement le niveau de la pièce pourtant décousue de Copi,La Tour de la Défense (mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo en 2005 au Théâtre de Bobigny), en fournit une parfaite illustration.

 

 

Éloge de la masturbation

Éloge de la masturbation

 

 

On a dit « Pas de tabou ! » ? Alors pas de tabou ! ^^

 

« Al revés te lo digo para que me entiendas ». Depuis très longtemps, j’avais envie de parler de masturbation. Mais j’avoue à présent que si j’ai mis autant de temps à me lancer, c’est que très concrètement, je n’arrivais pas à harmoniser mes actes avec mes conclusions sur l’acte masturbatoire, ni ma pratique intime avec mes bonnes résolutions d’arrêter. Je luttais à coup de volonté, tombais, me relevais, retombais, relativisais en banalisant l’acte, tombais à nouveau… Et puis un jour, après des années d’addiction remontant à l’adolescence, ça s’est terminé, je ne comprends pas trop pourquoi. Je ne sais pas si c’est définitif, mais en tout cas, ça semble durable. J’ai remarqué que l’onanisme – tout comme l’addiction à la pornographie d’ailleurs –, on a du mal à en parler uniquement quand on en est esclave, alors qu’on peut soudain traiter du sujet sans complexe et en toute liberté, sans crainte d’être pris en flagrant délit ou de tomber dans l’exhibitionnisme, une fois qu’on en est durablement libéré. Difficile de tricher dans ce domaine-là, finalement. En parler est forcément signe d’une libération !

 

Pour commencer, j’aimerais dire que ce nouveau Phil de l’Araignée n’a rien d’un article moralisant (même s’il traite objectivement de morale et qu’il porte un jugement de valeur sur certains actes) : il ne juge pas les individus, n’a rien d’une « croisade anti-masturbation ou anti-porno ». Il m’est difficile de condamner les personnes qui pratiquent la masturbation ou qui sont « addict » aux films pornos. Il m’est difficile de me moquer de ceux qui ont une sexualité compulsive ou qui vont de temps en temps dans les sex shop, dans les saunas, ou sur les lieux de drague et de prostitution. Tout simplement parce que je suis pareil qu’eux, et que moi-même j’ai eu beaucoup de mal à quitter ces paradis artificiels pour me permettre un jugement de personnes ! Je ne suis pas parfait et je ne suis pas non plus à l’abri de rechuter. La génitalité, c’est vraiment le talon d’Achille des êtres humains en général, et des mecs en particulier. Je ne m’exclus donc pas du tout du tableau. L’homme « mâle » est très faible en matière de sexualité. Ses pulsions sexuelles sont un tel ouragan en lui que finalement, je crois que seuls une femme aimante ou bien Dieu peuvent vraiment les canaliser et l’aider à contrôler durablement sa « bête intérieure » pour la transformer en un étalon bien dompté qui gagnera toutes les batailles. Oui, je reconnais que, concernant la gestion de ma génitalité, je n’ai pas toujours été un modèle… même si je ne peux pas dire non plus que je sois une catastrophe ambulante ! En tout cas, ces moments de bassesse que personne ne connaît ne sont, au regard de l’amour et avec le temps, ni une honte absolue (je ne m’auto-flagellerai pas après vous en avoir parlés ^^ : il y a 1000 fois plus grave) ni des actes pour autant glorieux à raconter. Personnellement, je ne suis jamais allé dans les saunas. En revanche, dès l’âge de 16 ans, j’ai regardé en cachette de mes parents, dans l’angoisse nocturne et tremblante d’une télé allumée à 3 heures du mat’ dans le salon familial, des films pornos enregistrés – puis immédiatement effacés – sur cassettes VHS. Je crois que j’ai commencé à me masturber « tard » par rapport à certains garçons de mon âge ; de plus, cette expérience excitante et « risquée » des films pornos, je ne l’ai jamais vécue en collectivité, avec deux-trois copains avec qui j’aurais pu partager ces cochonneries pour « rigoler » et se masturber ensemble ; je n’ai pas eu non plus l’occasion d’échanger des revues sous le manteau avec des potes de collège et de lycée ; ma connaissance du milieu désincarné du sexe marchand est restée très solitaire. Ce n’est ni un bien ni un mal, c’est comme ça. Par la suite, en grandissant, j’ai persisté dans une addiction aux images pornographiques. Parfois avec culpabilité, parfois avec détachement et nonchalance. Les sex shop, je m’y suis déjà rendu 2-3 fois. Je connais le malaise indifférent qu’on y ressent, à l’entrée comme à la sortie, la honte et parfois la colère qu’on éprouve face au DVD qu’on a acheté les yeux de la tête et qu’on ne revisionnera pas plus de 4 fois (d’ailleurs, ça m’a toujours halluciné, cette rapidité de lassitude et ce manque de pérennité de nos films pornos préférés qu’on avait pourtant idéalisés dans nos fantasmes avant de les posséder et de se rendre à l’évidence qu’ils n’avaient la saveur que de l’inaccessible). D’autre part, je connais aussi ces aventures sexuelles d’un soir ou d’une semaine, dictées par la précipitation, avec des personnes rencontrées furtivement sur Internet, avec qui on passe une nuit parce qu’on a fait son petit caprice, qu’on a besoin de tendresse, qu’on a cédé à la luxure, et qu’on veut surtout ne pas réfléchir aux conséquences de ses actes. Si je suis honnête avec moi-même, et que j’arrête de ré-écrire ces histoires de lit avec mes bonnes intentions (genre « Même pour les couples d’amour vrai, il a bien fallu une première fois… » ; « Quand j’ai couché avec ces personnes, ça n’a jamais été sans tendresse, sans respect, sans sincérité, ni dans l’idée que ça allait s’achever 3 jours après… » ; etc.), je dirais qu’elles ont été des « plans cul » déguisés. Oui : pour se masturber en toute bonne conscience, on est prêt à tout ! Pour ne pas faire cet acte stérile tout seul, on est disposé, s’il le faut, à entraîner tout un cortège d’amants occasionnels en prétextant l’amour pour au final se masturber à travers l’autre ! L’égoïsme à deux existe, et est puissant. Il ne suffit pas d’être deux pour s’aimer et faire disparaître l’égocentrisme de l’onanisme. Le coït sexuel sans amour, c’est purement et simplement l’alliance de deux personnes qui désirent vivre l’égoïsme de la masturbation sans en éprouver la conscience, la culpabilité, ni la honte. Il y a une pratique secrète de la masturbation qui porte les doux noms de « mariage », de « tendresse », de « couple », ou d’« amour ». Pourtant, même un homme marié n’est pas à l’abri de prendre sa femme pour une poupée gonflable ou un « sac à sperme » (désolé d’être aussi cru dans les termes, mais c’est cela parfois). Même au sein d’une relation de couple politiquement correct, la convoitise et la recherche égoïste de plaisir peuvent prendre le pas sur l’amour. Je crois par exemple que plus les positions sexuelles se diversifient (façon kâma-sutra) et s’éloignent de la manière la plus simple de faire l’amour[1] – à savoir le face-à-face tendre avec pénétration vaginale de l’homme –, plus cela indique une consommation mutuelle qui va s’orienter vers la violence et vers une rupture à plus ou moins long terme.

 
 

 

Que dit la masturbation ? Rien ne sert de la définir comme un « vice » si on n’explique pas en quoi elle est moralement condamnable. À mon sens, elle dit une relation à soi-même consumériste (quand on se masturbe, on se place en principale source de son propre plaisir : on se goûte soi-même, on jouit de soi, on s’offre sa petite gâterie, on ne le fait pas au grand jour parce que c’est un acte qui ne se partage pas et qui est par essence autocentré). Elle dit une relation bestiale (la masturbation est une activité que nous, êtres humains, partageons avec nos amis les bêtes), une relation imaginaire et narcissique (pendant la masturbation, les fantasmes l’emportent sur le Réel, les images de nos magazines et des films pornos défilent dans notre tête pour se substituer au monde ambiant), une relation égocentrique, par défaut et ratée (honnêtement, si on pouvait faire l’amour avec une autre personne que soi-même, une personne qu’on aime vraiment et qui nous plaît, on le ferait), une relation adolescente (quand on a une pratique sexuelle qui se limite à la masturbation, on a l’impression qu’on n’arrive pas à passer à l’étape supérieure, à accéder à une manière d’aimer plus adulte), une relation compulsive (la masturbation, cet ébranlement nerveux physique, soulage sans guérir), une relation blessée et névrotique (voire pathologique : il existe un lien – non-causal – entre masturbation et psychiatrie dont il faut parler : la masturbation, quand elle se systématise, induit/illustre des troubles psychiques et affectifs réels – je pense à certaines personnes handicapées, à des graves accidentés, ainsi qu’à certains criminels passés à la postérité, qui se masturbent souvent –  ; cette réalité est cachée, car celui qui s’adonne à cette pratique est à la fois sa propre victime et son propre agresseur : l’attouchement de ses parties génitales vient d’une seule personne – lui-même – et procure du plaisir mais de manière forcée ; c’est en quelque sorte de l’auto-viol.). En somme, la masturbation, une fois passé le bon moment de l’orgasme d’une minute trente, est une sexualité de l’échec, qui dit un non-amour faisant parfois violence. Concrètement, même si elle semble très physiologique, mécanique, naturelle et prosaïque, elle est en réalité une action particulièrement irréelle, connectée à notre imaginaire, à nos projections fantasmatiques. C’est une simulation d’amour ; pas un amour vrai. Pourtant, on semble poser les gestes de l’amour, on stimule sur nous-même les réactions physiques qu’on attendrait de l’accouplement génital classique (visage grimaçant, cris de jouissance, gémissements, yeux fermés, caresses, tendresse, légère auto-brutalité, nudité, respiration coupée, paroles de possession ou d’extase, etc.) mais sans l’âme qui va avec. C’est là tout le paradoxe de la masturbation : cet acte trivial est plus abstrait que réel. D’où sa légère mais effective violence.

 

La luxure apporte certes la jouissance mais pas le plaisir, le défoulement mais pas le bonheur, le soulagement mais pas la paix. Qu’on en soit conscient ou pas, juste après s’être masturbé, on se sent mal, vidé, inutile, un peu triste. L’expression « se vider les couilles » l’exprime bien. On a fait l’amour à une image qui ne nous rendra rien en retour. Le produit de cette excitation passagère finit dans un sopalin ou au fin fond d’un lavabo. Si on regarde rétrospectivement dans quels contextes on s’est masturbé, on constate que c’est toujours lié à des périodes de misère affective, d’éloignement de la prière, d’isolement ou de surmenage professionnel plus ou moins conscientisés, de repli sur soi, de tristesse, de vide existentiel. Même si, au demeurant, on a une vie très remplie, qu’on peut se masturber dans des contextes très publics (entre deux activités ou deux soirées), qu’on est connu pour être quelqu’un d’hyper sociable, on sait au fond de nous que la masturbation est un caillou dans la chaussure de notre existence, un élément qui montre qu’on ne se sent pas assez aimé ou qu’on n’aime pas comme on voudrait profondément. Oh… certes, ça ne fait pas de nous un renégat, ça ne nous empêchera pas de vivre, d’avoir des amis, de continuer notre bonhomme de chemin à faire des choses pour les autres… mais ça ne nous comble pas de joie. Plus que mauvaise, la masturbation est inutile. Et l’inutile ne gâche pas une vie, mais du moins l’encombre, l’alourdit petit à petit, jusqu’à l’empêcher de s’incarner, de se déployer avec joie.

 
 

Quelques pistes

 

La première chose à faire pour arrêter la masturbation, c’est déjà de ne pas lui accorder l’importance qu’elle n’a pas, ni en bien (exemples : « Tout le monde la pratique, alors pourquoi pas moi ? », « Y’a pas de mal à se faire du bien ! » ; « Elle est un plaisir intense, incroyable, et incomparable », « Elle est un besoin vital, quasi hygiénique, pour évacuer notre sur-plus d’énergie : c’est limite dangereux pour la santé que de s’en priver ou de la réfréner : c’est comme s’empêcher d’aller pisser », « Dans les camps de concentration, ils n’avaient que ça pour se sentir vivants, alors… », « Elle évite la frustration et empêche même les viols ou la pédophilie : si on permet aux violeurs de se soulager de temps en temps, ça leur évite de passer à l’acte et de s’acharner aveuglément sur une tierce personne ! », « Laissons les personnes avec un lourd handicap et privées des bienfaits inénarrables de la génitalité conjugale normale vivre un semblant de sexualité, même si c’est avec elles-mêmes », « La culpabilité qu’on ressent juste après ‘l’avoir fait’ est naturelle : ‘post coïtum, animal triste’ dit le proverbe… », etc.), ni en mal (exemples : « C’est une pratique mauvaise, diabolique, et qui n’épanouit jamais l’être humain. », « C’est un acte exclusivement égocentrique, totalement à la gloire du plaisir égoïste. », « Les onanistes au bûcher ! », « Il faut surveiller étroitement les enfants et les adolescents pour qu’ils ne tombent pas en tentation… », « La masturbation est un gaspillage de l’énergie vitale censée s’orienter exclusivement vers la procréation et le don de la vie ! », etc.). La masturbation ne doit pas devenir une obsession ; c’est juste la partie émergée de l’iceberg, un problème bénin qui en soulève d’autres plus lourds. Nul besoin de dramatiser. Dire que la masturbation « c’est mal en soi » est aussi ridicule que d’affirmer que le vin, le sexe, la bouffe, la clope, Internet (…Facebook !), « c’est pas bien ». C’est uniquement l’abus d’une bonne chose qui est mauvais, pas la chose en elle-même. S’exciter génitalement avec une personne qu’on ne prend pas pour un objet de consommation, pour une aventure de passage qu’on paye par le plaisir pour « se faire du bien à deux », cela s’appelle tout bonnement de l’amour vrai et ça ouvre concrètement à la vie, au plaisir vrai, et parfois aux enfants. La masturbation n’a pas à nous scandaliser, ni à faire l’objet d’un interdit. Elle fait partie de la nature humaine à ne pas développer, mais à reconnaître et à dompter. Plus l’envie de celle-ci sera reconnue comme le germe d’un désir sain de se donner entièrement à la personne aimée, comme un goût pour le plaisir et les bonnes choses, comme une énergie de vie incroyablement forte qui peut faire merveille une fois qu’elle est canalisée vers une juste cause, plus elle s’épuisera d’elle-même et mourra de sa belle mort. J’en suis témoin. L’adolescent en nous peut mourir et laisser place à l’homme nouveau, adulte, et ce, durablement. Cette mue peut prendre des années… mais pas des siècles !^^. Adoptons un regard d’éternité et non une temporalité strictement humaine vis à vis de notre pratique de la masturbation, et plus jamais nous ne serons tentés de nous décourager, de la laisser gagner. Qu’est-ce que la gravité de nos petites chutes et de nos égoïsmes génitaux ponctuels face à la grandeur aimante de l’Éternité ? Pas grand-chose finalement.

 

Que faire d’autre pour arrêter ? Alors déjà, je conseillerais une chose : c’est de ne pas trop s’isoler et de voir du monde dans les moments où on se sent sur le point de « craquer ». On se masturbe toujours dans un contexte d’isolement social. Si on voit du monde, des amis, si on agit bénéfiquement pour les autres, on est moins tenté de « s’astiquer le tuyau d’arrosage » que pendant une après-midi pluvieuse, en rentrant du boulot, pour passer le temps, un soir d’automne morose. Si on y pense bien, c’est souvent l’emmerdement et l’inactivité qui encouragent à la masturbation. Quand on ne se fait pas chier dans sa vie, quand on se bouge pour les autres, qu’on a des perspectives professionnelles ou artistiques exaltantes, quand on aime profondément son partenaire, qu’est-ce qu’on a besoin de se chercher des palliatifs aussi minables que la branlette ? Hein, franchement ?

 

Également, je préconiserais l’éloignement des images pornographiques et d’Internet qui stimulent notre imaginaire. Rien ne sert de se mettre inutilement en danger et de s’approcher de la boulangerie quand on sait qu’on crève la dalle. Et puis si on tombe accidentellement sur une affiche de film aguichante, sur un sulfureux panneau publicitaire avec un beau mannequin dénudé ventant les mérites d’un yaourt ou d’une crème auto-bronzante, ou bien sur un site internet porno, rien ne nous enlève notre liberté de fermer les yeux. Ce geste simple est déjà une action (avouons-le : combien de fois on se réjouit intérieurement de se rincer l’œil en camouflant notre opportunisme voyeuriste par le fait que nous n’ayons soi-disant pas programmé de voir la scène chaude d’un film que nous avons/aurions regardé tout à fait innocemment ?). Être tenté visuellement n’est ni un péché ni entrer en tentation : même Jésus a été tenté ; et puis il y a un pas entre sentir un désir et s’adonner en actes à son désir. Ressentir n’est pas agir, même si nos désirs peuvent encourager à poser un acte. Alors y compris face à une télé qu’on regarde passivement, bien installé sur notre fauteuil, notre maigre liberté s’exerce. Il n’y a pas plus simple (et plus coûteux parfois !) que de fermer les yeux quand on sent la scène de cul d’un film arriver. Nous avons toujours le choix de regarder telle affiche dans la rue ou pas, d’aller voir tel film ou tel autre. À nous de poser des choix concrets, de ne reculer devant aucun petit sacrifice (même insignifiant et caché de tous), de nous maîtriser, d’être notre propre censeur, sans devenir parano pour autant ni s’imposer une attention dictatoriale de tous les instants. C’est par nos petits efforts que nous nous élevons. Il ne faut pas lésiner sur les moyens pour devenir libre !

 

Par ailleurs, pour arrêter de se masturber, il faut cesser de penser que la masturbation lutte contre la frustration : ça, c’est un non-sens véhiculé par nos médias et l’opinion publique actuelle. Je pense même qu’elle encourage à la frustration ! On rencontre énormément plus de frustrés chez les individus qui se masturbent souvent, qui enchaînent les relations sexuelles sans lendemain et sans rencontrer l’amour, qui laissent libre cours à leur libido, leurs instincts, et leurs pulsions, ou au contraire qui ne les écoutent jamais, que chez les personnes qui les dominent et les canalisent le plus harmonieusement possible.

 

Enfin, pour les croyants catholiques pratiquants parmi nous, qui peuvent comprendre mon langage sans se gendarmer, je proposerais bien en « formule décapante bonus » la prière comme moyen de lutter durablement contre l’onanisme. C’est même le moyen le plus efficace, si vous voulez mon avis ! Il suffit de crier sincèrement vers le Seigneur, et si on L’accueille vraiment, il accoure en deux temps trois mouvements ;-). Je reconnais, avec le recul, que mes périodes de dépendance à la masturbation coïncidaient, même si j’ai encore du mal à me l’avouer, avec l’éloignement de l’Église-Institution ainsi qu’avec une baisse de ma vie de prière quotidienne. Alors ne nous laissons pas impressionner par ces nombreux écrivains laïcards actuels qui, dans un anachronisme grossier, et sur la base de vagues souvenirs de leur adolescence au caté (puisque cela fait belle lurette qu’ils ne mettent plus les pieds dans les églises), caricaturent les résistances de l’Église catholique à l’encontre de la masturbation en diabolisations du plaisir et de la sexualité qu’elles ne sont pas (« Chaque fois que j’ai un orgasme, je ressens un très fort sentiment de culpabilité après coup. C’est normal, ils l’ont bien dit au catéchisme : se masturber, ce n’est pas bien. Il faut se retenir jusqu’au mariage, sinon on va en enfer. »[2]). Moi qui ai fait toutes mes années de catéchisme, et qui maintenant suis des jeunes de CM1 pour leur faire connaître Jésus, je n’ai jamais entendu parler de masturbation en séances de caté (ni en bien ni en mal), ni reçu de discours diabolisant la sexualité, tout simplement parce que mes catéchistes s’attachaient plus à me parler de la grandeur des actes et des paroles de Jésus qu’ils n’étaient obnubilés à me parler de couilles, de bites, de seins, de contraception, de masturbation, et de préservatifs ! Et une fois adulte, tous les mots que j’ai pu entendre à propos de la masturbation, dans l’intimité d’un confessionnal avec un prêtre accueillant mes péchés (je précise que le sujet venait de moi ; jamais il ne m’a été soutiré), n’ont été que des tentatives pour laisser mes actes masturbatoires peccamineux à leur juste place de détails. Faut pas croire : c’est parce qu’on la minore que la masturbation prend trop de place dans notre vie, et non l’inverse ! Une fois qu’on la regarde face à face telle qu’elle est, on lui reconnaît sa taille moyenne, on défait ses lacets, on enlève ses chaussettes, on fait tomber le caillou de sa chaussure, et on n’en parle plus ! Personnellement, pour la masturbation et bien d’autres choses, je reconnais que j’ai bénéficié d’une aide précieuse : celle de saint Antoine de Padoue. Ne me demandez pas pourquoi. J’ai un truc avec ce saint ! Il est absolument incroyable. Il agit dans ma vie avec une efficacité remarquable et beaucoup d’humour. Après, paraît-il que la vierge Marie est aussi super efficace. Ces deux-là n’agissent pas à notre place, bien sûr, mais ils nous aident beaucoup. Alors nous aurions tort de nous priver de leur aide ! Autrement, il y a aussi le sacrement de réconciliation (jadis appelé « la confession ») qui libère très bien de la dépendance à la masturbation. Certes, il n’efface pas magiquement de notre mémoire certaines images venues polluer notre cerveau, mais en tout cas, il nous décharge instantanément (et durablement, à condition de le vouloir) d’un poids accumulé mine de rien par des mois voire des années de pratique auto-érotique. Une fois qu’on a reçu la douche de l’Esprit Saint et le sacrement libérateur du pardon, et qu’on a pris la ferme intention de changer, on assiste sans problème à la messe. On peut se tenir droit et propre devant le Seigneur, sûr d’avoir fait Sa volonté et d’être aimé. Le « Oh, comme je suis moche… » qui habitait notre cœur souillé par la masturbation devient un « Oh ! Comme je suis aimé ! », un réel décentrement. Alors que quand on s’est masturbé, on supporte moins bien d’assister à la messe, on supporte moins bien l’amour gratuit du Seigneur. Dieu nous accueille pareil, avec la même tendresse, mais c’est nous qui nous fermons, qui nous sentons en décalage et honteux parce que nous n’avons pas mis notre plus bel habit de fête. Nous servons en même temps Jésus et Rocco Siffredi… et cette dualité nous divise. On n’a plus le cœur à rentrer dans la joie de l’Eucharistie, dans la simplicité de la messe. Cette honte n’a rien à voir avec un soi-disant discours religieux culpabilisant (même suggéré ou inconsciemment intériorisé) que les prêtres nous auraient inculqué pendant l’Office (En plus, les actes de masturbation ne sont connus que de nous et de Dieu, en général). Ils ont à voir avec notre refuspersonnel de notre liberté (et donc de Dieu, car Dieu seul rend véritablement libre). La prière, l’observation des icônes saintes[3], le sacrement de réconciliation, l’exposition au Saint-Sacrement, l’écoute de la Parole de Dieu, l’amitié des frères, ont le pouvoir de purifier notre imaginaire (c’est Sartre qui, dans Saint Genet, disait à juste raison que l’imaginaire était l’autre nom qu’on pourrait donner au mal : il le distinguait d’ailleurs de l’imagination, beaucoup plus positive). Plus que tout, ce qui nous aide à sortir de la masturbation, c’est le don de sa continence/son abstinence non pas seulement à Dieu ou à soi-même (ce don-ci ne dure qu’un temps) mais aussi et surtout aux autres (d’où l’impact du témoignage public). Ce sont les intermédiaires incarnés entre Dieu et nous qui concrétisent notre continence, qui la rendent forte et brûlante comme l’amitié. Tout seul, nous n’avons pas les épaules assez solides. Si nous faisons vraiment de la masturbation une affaire de relation, d’entraide collective et humaine, si nous la sortons du privé et du petit contrat avec nous-même, ou entre Dieu et nous, nous aurons la force pour tenir bon! Nous ne pouvons plus nous contredire ni reculer une fois que la continence prend figure humaine, prend la forme d’une promesse concrétisée par l’Incarnation!

 

Enfin, chez les garçons, les « accidents nocturnes » (petits, on pissait au lit ; adultes, on « mouille le caleçon » de temps en temps, par des éjaculations incontrôlées…) ne sont pas graves. Quand on dort, on est quelque part plus vulnérable que dans la vie réelle, on se contrôle moins, on ne maîtrise pas tout. Le sommeil nous donne l’impression d’agir alors qu’on n’agit très peu en fait. Il est le langage de nos petits et de nos grands désirs, et parfois les prémisses de ce qu’on veut faire ou va vivre une fois réveillé. Il n’y a pas à culpabiliser de ces éjaculations presque spontanées. C’est normal qu’elles nous attristent un peu au réveil, car elles disent juste qu’on a été récemment tentés et stimulés sexuellement. Elles disent que notre désir de Dieu n’est pas encore assez unifié, libéré. Mais c’est tout. Pas de quoi en faire un fromage, ni de quoi les considérer comme des rechutes. Elles sont simplement des petites sonnettes d’alarme qui nous rappellent nos fêlures, et combien nous avons besoin de prier davantage.

 

Ultime moyen que je proposerais pour lutter efficacement contre la masturbation : c’est l’apostolat ; c’est en gros, lorsque c’est vraiment le cas, de dire publiquement qu’on a arrêté, comme je le fais ici avec vous ; c’est de poser le sujet sur le tapis et de proposer une réflexion collective. C’est sûr, c’est couillu comme démarche, un peu « limite » au niveau « respect de l’intimité » (après tout, ça ne pourrait regarder que moi), ça (m’)engage complètement. Mais au moins, après l’avoir fait, difficile de reculer, au risque de se contredire. Et en parler ouvertement comme je le fais, dans une forme de dénonciation mais aussi de proposition, forcément, ça ne revient qu’à s’auto-encourager ! C’est presque performatif. C’est l’impulsion donnée par le cri public de la libération. C’est comme une promesse lancée, qui sera belle si elle est tenue, et ultra-ridicule si elle n’est pas suivie des actes. C’est comme un contrat social, signé solennellement devant témoins. Un appel aussi. Évidemment, il n’est pas du tout habituel de sortir la masturbation du placard de l’intime dans laquelle on l’a soigneusement enfermée depuis des siècles. Il n’est pas politiquement correct d’en faire un contrat social, un sujet sérieux qu’on discute en grand groupe. Mais finalement, pourquoi pas, pour une fois, déroger à ce diktat sociétal, et la considérer à la fois comme une problématique personnelle soumise à la conscience individuelle et comme un vrai sujet de société, surtout si c’est fait sans exhibitionnisme, sans concupiscence, avec une vraie prise de position ? Qui a dit que la masturbation n’était qu’un acte circonscrit à la sphère du privé, qui n’avait de retombées que sur l’individu lui-même, qu’elle n’induisait rien dans les mutations et les crises sociales ? Pas moi, en tout cas ! Je suis sûr que si les hommes et les femmes de notre temps pensaient un petit moins à leur kiki ou à leur clito et ne se masturbaient pas, la Terre tournerait un peu mieux. La masturbation, c’est social et relationnel. Si ça devient exclusivement privé, c’est que cela nous arrange inconsciemment, et qu’on cautionne le caractère isolant du phénomène.

 

Les plus belles batailles dans une vie, c’est, je l’ai constaté à maintes reprises, celles qu’on a remportées contre soi-même. Contre sa paresse notamment. Mais aussi contre ses pulsions. Il est plus difficile de s’auto-réguler ou de s’auto-frustrer que de réfréner autrui. Et pourtant, l’Homme qui est maître de lui-même sera l’Homme le plus libre de tous. Il peut déplacer des montagnes. Il a remporté la bataille contre lui-même : il a donc franchi l’Épreuve du Feu. Certes, en s’attaquant à lui-même, il a choisi de renoncer à de très bonnes choses. Certes, il se fait un peu violence. Certes, il souffre un peu. Mais il s’agit de la souffrance du vaccin qui apporte la paix durable, pas de la souffrance qui détruit. Entendons-nous bien : la souffrance n’est pas le malheur. Dans une société qui cherche à évacuer de manière obsessionnelle l’effort et à nous éviter la moindre frustration/contrariété, cela ne peut que nous faire du bien de nous frustrer un peu nous-même de temps en temps, surtout pour des choses aussi inutiles et futiles que la masturbation. La clé de l’abandon de la masturbation, c’est sûrement de ne pas se décourager. La masturbation sera toujours un acte moins important que le retour à une sexualité plus ouverte aux autres, à l’Autre qu’est Dieu.

 

Pour finir, je précise que les pistes que je viens de proposer n’ont rien de magiques. Il n’y a pas de marche précise à suivre, mais juste des repères à connaître et à faire connaître. Dans mon cas personnel, je ne saurais pas définir exactement ce qui m’a fait stopper. C’est dire combien je n’ai pas de recette miracle et que ce que j’énonce n’a rien d’un code moral précis à respecter à la lettre, d’une chasse aux sorcières ! Ce sont des propositions, mais ce qui compte, c’est le parcours de chacun, et de suivre son cœur et sa liberté sans jamais baisser les bras. Je ne peux même pas dire que c’est grâce à la prière ou à mon retour à la continence que le déclic s’est produit. Parfois, j’avais prétexté Dieu et ça n’avait pas marché. D’autres fois, j’avais fait appel à mon volontarisme : ça ne durait qu’un temps également. Et puis bien entendu, dans les périodes où je m’unissais amoureusement avec quelqu’un, je n’éprouvais plus le besoin de me masturber : l’engagement entier à une personne a ceci de positif que cela compense les besoins génitaux minimum… Mais de l’adolescence jusqu’à aujourd’hui, je suis passé par bien des échecs. Alors mon discours n’est pas une injonction : il est une compassion !

 
 

Masturbation et homosexualité

 

Pour clore cet article sur la masturbation, je ne peux pas faire l’impasse sur les liens étroits qui existent entre elle et l’homosexualité (sujet extrêmement peu traité). Sans la réduire bien entendu à une pratique spécifiquement homosexuelle, on peut constater que la relation génitale homosexuelle se centre prioritairement sur la masturbation : beaucoup moins sur la pénétration, les caresses, le contact direct des corps, comme lors de l’accouplement dit « classique » entre une femme et un homme. Il peut y avoir bien sûr dans le coït homo de la tendresse (parfois plus que dans un rapport amoureux dit « hétéro » !), de la pénétration, du corps à corps, mais le rapport corporel est plus distancé, plus fantasmé, que dans un rapport génital entre partenaires différemment sexués… d’où une focalisation sur la pratique masturbatoire entre personnes homos.

 

 

Ce n’est pas un hasard si la masturbation est un leitmotiv des œuvres fictionnelles traitant d’homosexualité. Par exemple dans le film « Une Grâce stupéfiante » (1992) d’Amos Gutman, Jonathan, 18 ans, se masturbe devant des revues. Même topo avec le héros du film « Fotostar » (2002) de Michele Andina, enfermé dans le cabinet de toilettes, ou bien encore avec Francis, le personnage gay du tout dernier film de Xavier Dolan « Les Amours imaginaires » (2010), ainsi que Smith dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki. James, le héros du film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, exécute acrobatiquement une auto-fellation. Le protagoniste gay de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan se prend pour Narcisse et se masturbe sous la douche. Parfois, et non sans raison, la masturbation est marquée du sceau de la violence, de l’horreur… même si cette horreur est cantonnée dans le monde fictionnel et fantasmatique. Je pense au film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar, où le personnage principal se masturbe devant des films d’épouvante. Dans le film « Espacio 2 » (2001) de Lino Escalera, Roberto, pendant qu’il se masturbe tout seul dans son salon, s’adresse à quelqu’un que nous ne voyons pas à l’image mais qui le malmène (« Va te faire foutre connard ! Fils de pute ! »)… comme si le fantasme masturbatoire incarné en star du porno revenait sous forme d’amant diabolique. L’allusion à la masturbation dans la chanson « Une Fée, c’est… » de Mylène Farmer, l’égérie gay française majuscule, ne laisse aucun doute quand elle dit « Jeux de mains, jeux de M… Émoi. » Certains auteurs homosexuels comparent l’exercice d’écriture à la masturbation (c’est le cas d’Andy Warhol, Gil de Biedma, Néstor Perlongher, Chen Jianghong, Hou Junming, etc.). « Le jeu de faire des vers, qui n’est pas un jeu, finit par ressembler au vice solitaire. »[4] Jean Cocteau parle d’ailleurs du dessin comme d’une masturbation, d’une « jouissance »[5]. Dans les œuvres homosexuelles, la masturbation prend le masque du jeu ou de l’art. Mais en fait, elle peut cacher l’inceste et le repliement sur soi. Chez Jean Cocteau, le mot « jeu » remplace presque toujours celui de « sexe » ou de « viol ». Lorsque Paul déclare dans Les Enfants terribles (1929) qu’« il s’est trop habitué à jouer seul » au moment où sa sœur lui propose de « jouer au jeu » avec elle, l’allusion à la masturbation et à l’inceste est plutôt explicite !

 

Cette centralisation communautaire sur la masturbation est beaucoup moins ludique et rigolote qu’il n’y paraît. Elle dit quelque chose de la nature à la fois immature et agressive du désir homosexuel. La communauté homosexuelle tourne en dérision le côté « touche-pipi » ou à l’inverse SM des accouplements homos (gay comme lesbiens), mais elle n’en est pourtant pas loin ! Une distance avec le Réel a été prise (un éloignement de la réalité des corps, des sexes, de la procréation, de la différence des sexes, du sens social de la sexualité…), ce qui maintient les actes génitaux homosexuels dans l’enfance, l’onanisme, et une violence-douceur. Les personnes homosexuelles se donnent l’illusion de combler ce fossé entre fantasme et Réalité, ce manque d’ajustement des anatomies dans le coït homo, par un simulation-mime de l’érotisme télévisuel, par une fougue idolâtrique inégalitaire et puérile (moins de face-à-face ; mais en revanche des pratiques de régression au stade infantile : fellation, suçons, morsures, fessées, léchouilles, etc.), par une réécriture post-coïtale enchanteresse et sentimentaliste (« Nous, les lesbiennes, on est moins portées sur le cul que les mecs… on est plus douces, plus sentimentales… » ; « Cette fois-ci, on n’a même pas couché ensemble : on s’est juste caressés et échangés des marques de tendresse » ; « Te voir jouir fait mon bonheur et ma propre jouissance, même si concrètement nos extases ne sont ni synchros ni partagées », etc.), voire par une violence dans les pratiques sexuelles (position corporelle dégradante comme la posture à quatre pattes, la sodomie, le léchage de cul, et cela peut aller vers les pratiques sadomasos). Mais pourtant, rien n’y fait. Les coïts laissant une trop grande place à la masturbation – comme c’est le cas dans les accouplements homos, mais aussi chez certains couples femme-homme – sont souvent révélateurs de tensions cachées, de relations où l’amour est compliqué et blessant car les membres de ces couples ont tendance à se consommer et à s’exploiter l’un l’autre vu qu’ils sont tournés davantage sur eux-mêmes que sur leur partenaire, comme l’indique le mouvement narcissique de l’onanisme. À mon avis, la masturbation entre personnes homosexuelles renvoie plus concrètement à la nature schizophrénique du désir homosexuel, une déconnexion progressive de la réalité (c’est comme cela que j’interprète la résurgence dans les œuvres homosexuelles du motif de la main coupée[6], celle qui va masturber et procurer le plaisir), et le signe ou le moteur d’une violence déjà là/à venir.

 

D’ailleurs, en parlant d’agression, dans le passé de certaines personnes homosexuelles, la masturbation a pu être le détonateur d’un viol. La révélation de leur homosexualité est venue par la masturbation, et non par la rencontre concrète d’une personne ou l’expérience positive de l’amour avec un partenaire fidèle et durable. Par exemple dans le film « Priscilla, Folle du Désert » (1995) de Stephan Elliot, Félicia se rappelle d’un souvenir d’enfance : son oncle, nu dans son bain, l’a forcé(e) à plonger la main dans l’eau pour masturber son sexe, et lui a fait promettre de garder le secret. C’est tout à fait étonnant de se rendre compte de cela : dans nos sociétés humaines, autant la pénétration sexuelle non consentante sera synonyme de viol opéré sur les femmes (et cela sera aisément reconnu de tous), autant la masturbation, c’est la matérialisation du viol opéré sur les hommes (et cette réalité est totalement déniée). Écoutez ce témoignage d’un homme qui a vécu une agression sexuelle de la part d’un autre homme, et où la masturbation occupe une place centrale : « Maintenant que tu as parlé… je me suis retrouvé dans une situation un peu bizarre, mais que je ne pourrais pas taxer de viol. Je me suis réveillé en train de me faire masturber par un mec alors que je dormais… Je l’ai envoyé chier et ça s’est arrêté là. C’est marrant maintenant… Je n’aurais pas mis ça, à l’époque, dans le cadre du viol… et pourtant c’est de cet ordre-là. »[7] Autre récit, cette fois de l’auteur lui-même, Daniel Welzer-Lang, qui hésite lui aussi à parler de viol tout simplement parce que la masturbation ne fait pas que du mal (elle procure un plaisir intense qui empêche parfois la victime de reconnaître la violence objective du viol) : « Le viol d’homme ? Un secret honteux encore moins verbalisé que le viol de femme. C’est à cette époque que moi-même je me suis souvenu : J’ai 6 ans, il a 13 ans. Je me souviens de lui comme du ‘fiancé’ de ma sœur. Il a un solex et un grand chien que je dois appeler policier. Il m’emmène sur son solex pour me faire plaisir. Il s’arrête à la lisière d’un bois. ‘Viens’, me dit-il. Je ne me souviens plus très bien, les images se brouillent, son sexe est sorti, il le masturbe. ‘Tu sais comment ?…’ je regarde éberlué. Je n’ai aucune information sur ce qu’il dit, sur ce qu’il fait. Il veut que je le touche. J’ai peur. Je suis seul dans la forêt avec lui. Pas possible de fuir. Je touche, je regarde en l’air, il veut aussi me… Je ne me souviens pas de la suite. Il s’appelait Jacky, habitait Épinal, la ville de mes parents. ‘Si tu en parles, je te casserai la gueule, je saurai toujours te retrouver…’ Il m’a ramené. J’ai senti son regard, longtemps, longtemps… J’ai jamais été violé. Il ne m’a pas pénétré. Je n’en ai jamais parlé avant… Une période récente… J’avais oublié… Oubliée aussi cette main de camionneur qui cherche à te caresser quand tu dors, et que tu acceptes de masturber… pour avoir la paix. 18 ans… Oubliée cette main du pion de l’établissement scolaire qui m’avait pris en stop près de Gérardmer… 16 ans. J’ai éprouvé un énorme plaisir à ses caresses discrètes, très respectueuses de ma personne. J’ai regretté ce soir-là que… Gestes enfouis dans mes images d’adolescent : chaque homme sait qu’il n’a pas toujours été dominant. »[8] En tant qu’auto-viol, ou bien grande source de jouissance, la masturbation a de nombreux masques pour passer inaperçue. Pourtant, elle mérite d’être annoncée et dénoncée. L’être humain peut tout à fait être victime de lui-même.

 

L’amour homosexuel, même s’il semble en intentions inconditionnellement tourné vers l’autre, est une nouvelle version de l’amour partiellement égocentrique. L’égoïsme, au lieu de tourner autour d’un seul être, englobe cette fois deux personnes. C’est la raison pour laquelle, génitalement, il a tendance à se traduire par la pratique de la masturbation réciproque, de l’auto-érotisme à plusieurs. Récemment, nous faisions ce constat un peu désabusé sur le couple homo avec un ami gay qui se demandait le sens de sa quête effrénée et peu concluante du Prince Charmant : Après « avoir tiré son coup », y compris avec quelqu’un qu’on « aime bien », avec qui on s’engage sincèrement pendant 10 ans, et avec qui on fait l’amour régulièrement sans aller voir ailleurs, qu’est-ce qu’il y a ? Après « s’être fait du bien » avec lui, que reste-t-il ? Qu’est-ce qui distingue le couple homo de la relation amicale, mis à part ces brefs petits moments de masturbation partagés à deux ? Le couple homo ne se réduit-il pas à un paravent cachant deux égoïsmes adolescents qui s’utilisent l’un l’autre comme objets de jouissance et de plaisir ? L’amour homo n’est-il pas le nom pompeusement poétique donné à un simple contrat de masturbation(s) ? Si on prend vraiment le temps de considérer avec honnêteté ces interrogations que toute personne homosexuelle s’est posée un jour ou l’autre, on blêmit. Et si vraiment on a assez de courage pour y répondre par des actes, on arrête de courir après le couple homosexuel, on prend son balluchon, son sac à dos, et son cœur de passionné, pour emprunter d’autres chemins.

 
 

Pour continuer, un BONUS : 9 clés CONCRÈTES !

 

NEUF CLÉS CONCRÈTES POUR ARRÊTER LA MASTURBATION ET LE PORNO (à destination de ceux qui reconnaissent que ces pratiques ne rendent pas pleinement heureux, et qu’au contraire elles nous frustrent plus qu’elles ne nous libèrent de la frustration !)

 

Concernant mon livre L’homosexualité en vérité (2012), plusieurs fois on m’a gentiment reproché d’avoir été trop court et évasif dans ma réponse sur la question de la masturbation. En effet, proposer comme seul moyen d’arrêt de cette pratique « l’amour de l’Église », c’est bien beau, c’est bien gentil (lol), c’est bien pieux, c’est bien vrai (car l’amour de l’Église-institution est tout à fait l’aboutissement et la synthèse de tous les moyens que je vais vous décliner maintenant)… mais pas très concret pour celui qui a de temps en temps du mal à envisager l’Église comme une épouse et une personne concrète pour laquelle se battre sans discuter. Alors, rapidement, je vais essayer de dresser une liste des méthodes pratiques qui m’ont permis d’arrêter mon caprice sensuel/sensoriel.

 

1 – La méthode trash (lol) : se couper le bras ou s’arracher l’œil (dans le sens figuré, je vous rassure, et pourtant, déjà très littéral et concret de la Bible : « Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la ! Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le ! », Marc 9). En gros, cela revient ni plus ni moins à avoir l’audace de fermer les yeux quand la scène chaude d’un film arrive, ou quand le clic de l’icône internet d’un lien érotique nous démange. Détourner le regard. Et comme en général cette scène chaude arrive avec d’énormes sabots, nous risquons très peu d’être pris au dépourvu ! 😉 Donc usons et abusons de la fonction « Switch off » de notre nerf optique ! Cette action est fragile (donc difficile), intime, mais ô combien efficace !

 

2 – Deuxième proposition : Ne plus négocier avec soi-même. Savoir se dire clairement « NON », sans revenir dessus. C’est une incroyable expérience de sa petite Liberté. Mais il faut le faire ! Je reconnais que c’est cette action qui m’épargne le plus de fatigue et de dilemme, franchement (Quand on me dit que je suis courageux d’avoir arrêté la masturbation depuis janvier 2011, je me marre, car ce qui était coûteux, c’était d’essayer d’arrêter sans s’en donner vraiment les moyens ; arrêter « tout court », ce n’est ni fatigant ni courageux : au contraire, c’est net, sans bavure – ou presque lol – et reposant). Bien souvent, nous tombons et nous faisons le mal de la masturbation simplement parce que nous avons grillé/négligé les étapes préliminaires qui nous ont conduit ensuite à nous retrouver le pantalon baissé devant notre écran, à sortir notre carte bancaire au vendeur du sex-shop, à payer notre place au sauna. Nous avons joué sincèrement les ingénus, en tournant autour du pot, alors que c’était déjà là (au « tournage de pot ») qu’il fallait se prendre en main et se dire clairement « non » à soi-même. Au lieu de s’attaquer au sommet (l’acte ultime du péché) pour mieux justifier notre découragement et notre démobilisation, c’est déjà les premières marches qu’il faut refuser. C’est sur les mini-tentatives de séduction de l’enfant capricieux qui est en nous qu’il faut travailler, et non sur le gros caprice, qui est déjà en soi une suite logique du « mal déjà fait », un après-péché. Au fond, nous savons tous quand nous commençons à faiblir, à être complice de notre mal intérieur. Et comme me le disait un jour un ami prêtre (concernant le fait d’arriver à ne pas coucher avec une personne qui nous attire), il est plus facile de dire « non » en bas de l’immeuble qu’au seuil de la porte de l’appart’. Pareil pour la masturbation : il est plus facile de se dire « non » à soi-même sur les étapes antérieures à la masturbation que juste au moment de passer à l’acte.

 

3 – L’évangélisation. Le fait que j’aie rendu public l’arrêt de la masturbation m’a énormément responsabilisé et aidé à tenir parole. Je dois le reconnaître. Autant l’exhibitionnisme enchaîne et doit choquer à juste titre (la génitalité, c’est prioritairement de l’ordre de la sphère privée  et du secret, même si elle concerne aussi la sphère publique), autant le cadeau de sa génitalité à Dieu et l’explication de son sens universel brisent beaucoup de nos propres chaînes et des chaînes de nos contemporains ! Le don de sa fragilité aux autres et à Dieu, c’est la vraie libération. Et j’ai remarqué que si je retombais dans la masturbation, je n’aurais plus la force de dire que j’ai arrêté, de mentir. Sur le terrain si honteux de la masturbation, sur le terrain si audacieux de l’arrêt de la masturbation, soit on FAIT et la parole est libérée, soit on ne fait pas et la parole est morte. C’est systématique. Sans la masturbation, nous goûtons aux grandes choses.

 

4 – Arrêter de donner trop d’importance à nos actes mauvais et au mal : ce n’est quand même pas eux qui nous définissent entièrement, qui remettent en cause notre dignité humano-divine. Ce ne sont pas eux qui ont gagné, que je sache !

 

5 – S’efforcer de pratiquer la prière-oraison (de temps en temps, même si, selon les personnes, ce n’est pas toujours trop notre tasse de thé). C’est elle qui, seule, peut nous faire découvrir que nous avons une Vie intérieure, une vraie liberté, que nous abritons le Prince de la Paix dans notre cœur. Si nous ne prenons pas le temps de nous poser et de mesurer que notre corps est sacré, qu’il est réceptacle de Jésus, qu’il abrite une V.I.P., c’est évident que nous allons le maltraiter dans la jouissance égocentrique, l’auto-consommation.

 

6 – Admettre d’une part que nous sommes tous sans exception abstinents, qu’on le veuille ou non (même l’homme marié, il ne passe pas son temps à coucher avec sa femme : à un moment donné, il arrête !lol ; après, il y a ceux qui subissent cette abstinence, et qui s’appellent les libertins ET les frustrés, et puis il y a ceux qui la choisissent et qui y mettent de la liberté, et qui s’appellent les continents – s’ils sont religieux ou personnes homos – ou chastes – s’ils sont mariés dans la différence des sexes ; la continence n’est donc pas un exploit surhumain, une bizarrerie, un choix insurmontable et irréalisable : c’est juste notre condition humaine du bonheur en matière de sexualité) ; comprendre d’autre part que l’abstinence n’est pas la mère de la frustration, pas l’ennemi du plaisir mais au contraire LA condition du plaisir (Par exemple, le vrai amateur de chocolat, ce sera celui qui saura ne pas s’en goinfrer à s’en rendre malade). On ne goûtera au vrai plaisir de la génitalité que si nous savons nous en priver de temps en temps et en choisir le meilleur usage.

 

7 – En général, la tentation de masturbation arrive quand existentiellement on s’emmerde et qu’on n’ose pas s’avouer qu’on souffre de ne pas avoir trouvé son grand projet d’Amour (ou pire, qu’on n’est pas comblé en couple). Alors, je serais tenté de dire : « T’es pas content ? Et bien CHANGE DE VIE ! » Des fois, cette décision peut prendre le chemin de la radicalité, avec les grands moyens. Mais le mieux, c’est quand elle se fait sans grands changements apparents. On a toujours le même boulot, les mêmes activités, la même famille, les mêmes collègues, les mêmes amis. On a juste réussi à se maîtriser dans l’intimité de sa chambre… puis, tout d’un coup, on se rend compte que notre manière de vivre cette même vie d’avant et de regarder les autres a changé du tout au tout. En douceur et en liberté.

 

8 – Appliquer à soi-même le premier commandement christique « Aime ton prochain COMME TOI-MÊME ». Ce ne sont pas des mots en l’air. Si nous pensons que l’arrêt de la masturbation ne tient qu’aux preuves d’amour verbales que nous formulons à Jésus (prières, chants, sacrifices, confessions, expositions au Saint Sacrement, promesses répétées, supplications, etc.), nous nous foutons le doigt dans l’œil. Jésus semble nous dire : « C’est bien beau de m’aimer en parole. Je ne doute absolument pas de ton amour pour moi. Ce dont je doute, c’est de l’amour que tu te portes à toi-même ! ». J’ai compris, en arrêtant la masturbation, que mon problème d’avant l’arrêt ne venait pas de l’amour apparent que je formulais à Jésus, mais bien de mon manque d’amour de moi-même (qui finalement se reportait, par ricochet, sur la qualité de mon amour pour Jésus). Quand ma voix intérieure m’a dit : « Jésus se fout que tu l’aimes si tu ne t’aimes pas toi-même ! », c’était terminé. Le véritable ami de Jésus, ce n’est pas celui qui connaît par cœur Ses préceptes, qui sait qu’il doit les mettre en pratique, et qui crie (tout en s’enfonçant dans la mer, au moment de pécher) « Seigneur, sauve-moi !!! ». C’est bien celui qui applique sans bruit Ses commandements et qui s’aime concrètement lui-même.

 

9 – Aimer Vivien Hoch, même quand il vous traite d’« impudique ».

 
 

Si jamais les méthodes que je viens de vous exposer fonctionnent, vous verrez que malgré tout, les tentations perdureront (et que vous continuerez de trouver les mecs beaux, si vous êtes un homme à tendance homo). Cependant, alors que votre quotidien n’aura pas radicalement changé, votre horizon (amical, professionnel, artistique, intellectuel, familial, spirituel) va pourtant s’ouvrir considérablement. Un truc de fou ! Vous gagnerez en joie et en liberté. Les gens vous feront inopinément beaucoup plus confiance (alors qu’ils ne sauront rien de ce que vous avez décidé de vivre dans votre intimité sexuelle). Mystère des ponts entre le monde visible et le monde invisible. Et puis si vous devenez un champion de la continence, vous aurez en plus le privilège et la bonne surprise de découvrir que même la vue d’images érotiques ou pornographiques ne vous ébranle plus autant qu’avant, ne vous excite plus au point de vous donner envie de vous masturber. Vous ferez l’expérience d’une vraie libération durable ! d’une vraie joie ! Alors n’attendez plus, et commencez tout de suite. C’est MAINTENANT le moment favorable ;-).


[1] Horrible expression que celle de « faire l’amour », soit dit en passant… comme si l’amour « se faisait »… mais bon, je n’en ai pas d’autres plus explicites… à part « copuler ».

[2] Alexandre Delmar, Prélude à une Vie heureuse, Éd. Pédro Torres & Éditions Textes Gais, Paris, 2004, p. 23.

[3] L’Abbé Pierre-Hervé Grosjean propose même, dans les moments de forte mise à l’épreuve, de coller en fond d’écran de notre ordi une image de la Vierge Marie ou de Jésus, pour contrer nos appétits masturbatoires après avoir été fragilisés par des heures de comatage internet : c’est pas con du tout !

[4] Jaime Gil de Biedma, poème « El Juego de hacer Versos », 1986, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003.

[5] Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et Compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier.

[6] Je vous renvoie au code de la main coupée dans mon Dictionnaire des codes homosexuels, Éd. L’Harmattan, Paris, 2008.

[7] Un témoin homosexuel cité dans Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, Éd. L’Harmattan, Paris, 1988, p. 201.

[8] Daniel Welzer-Lang, Le Viol au masculin, Éd. L’Harmattan, Paris, 1988, pp. 188-189.

Lettre à soeur Paula

Lettre à soeur Paula

 

 

Paula est une sœur missionnaire portugaise de la Communauté des Serviteurs de l’Évangile. Elle a 46 ans, habite et travaille actuellement au Japon. C’est une amie commune qui nous a mis en lien, et qui lui a laissé mes coordonnées. Son mail de prise de contact m’a semblé tellement riche en questions pertinentes par rapport à la position de l’Église sur l’homosexualité, tellement révélateur de l’ignorance et de la fébrilité de beaucoup de croyants catholiques pratiquants face au désir homosexuel, que j’ai décidé d’y répondre en prenant le temps. La recherche de Vérité de cette femme, son humilité aussi, m’ont touché.

 

Voici d’abord son mail, et ensuite ma tentative de réponse :

 

« Cher Philippe, Comment allez-vous ? C’est un plaisir de faire votre connaissance, même si c’est par e-mail. Je suis une missionnaire portugaise de la même communauté que Céline, Serviteurs de l’Évangile. Je m’appelle Paula et j’habite et travaille au Japon. Je pense que Céline vous a déjà écrit à propos du sujet dont je voudrais vos conseils. Je vous remercie avant tout pour votre disponibilité. Je vous explique un peu la situation. Il s’agit d’un jeune garçon japonais qui est catholique et qui depuis quelques mois a décidé de quitter son travail pour penser mieux à son futur, car en faisant le chemin de Saint Jacques, il s’est demandé que peut-être Dieu l’appelait à le suivre comme prêtre. Il n’est pas encore sûr si sa place est chez nous, les Serviteurs, mais il nous a demandés de l’accompagner dans son chemin de discernement. Nous nous rendons compte que bien qu’il soit baptisé depuis sa naissance (contrairement à la majorité des catholiques japonais, qui reçoivent le baptême d’adultes), il a du mal à faire confiance aux enseignements de l’Église et parfois cela devient un vrai obstacle vis à vis de l’approfondissement de sa vocation. Quand je lui explique que souvent il faut distinguer entre la position officielle de l’Église et la Pastorale, il trouve cela très difficile à comprendre, parce que cela lui semble une hypocrisie. Dernièrement, il a exprimé ses doutes par rapport à l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité. Il nous a dit qu’il n’est pas homosexuel et qu’il ne connaît personne qui est homosexuel. Cependant, il veut comprendre l’enseignement de l’Église à ce sujet, autrement, il craint que quand il deviendra prêtre, il ne sera peut-être pas capable de mettre en pratique ce que l’Église enseigne et finira par abandonner le chemin de prêtre catholique. En ce moment, il est vraiment en train de mettre en question sa vocation à cause de ce sujet. Il a lu des commentaires sur la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles et il n’est pas d’accord avec cette position. Il pense que celle-là n’est pas une position miséricordieuse, comme celle de Jésus. Ce serait donc une contradiction avec l’Évangile. Il pense aussi que ce n’est pas juste que pour les hétérosexuels il y ait deux options : la vie matrimonielle et la chasteté consacrée à Dieu, mais pour les homosexuels il n’y a que celle de la chasteté. Puisque moi je ne suis pas homosexuelle, il est vraiment difficile pour moi de faire un jugement. Je me suis renseignée un peu, mais je ne sais pas quelle opinion accepter comme juste. J’avoue mon ignorance dans ce thème et c’est pour cela que je vous demande votre aide. Puisque vous êtes homosexuel et catholique, est-ce que vous pourriez me répondre à quelques questions ? Par exemple, vous êtes d’accord avec : « L’inclination particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral. C’est la raison pour laquelle l’inclination elle-même doit être considérée comme objectivement désordonnée. » (selon la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles). C’est-à-dire, pour vous l’inclination homosexuelle, est-elle désordonnée et considérez-vous le comportement homosexuel intrinsèquement mauvais ? Pour moi, c’est difficile à comprendre que, étant l’homosexualité une structure de la personne, même qu’elle ne soit pas génétique dans la plupart des cas, ce soit quelque chose de mauvais et désordonné. Si je suis sincère, dans mon ignorance, moi je préfèrerais que l’homosexualité puisse être changée avec quelque thérapie et devenir hétérosexualité. Mais selon ce que j’ai lu, en psychologie cela n’est pas accepté, ni conseillable, même s’il y a des groupes qui encouragent le changement en l’appelant conversion, n’est-ce pas ? Alors, comment comprenez-vous et vivez-vous votre orientation sexuelle ? Par rapport à la phrase suivante de la même lettre, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? « En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière. En raison de cette liberté, comme en tout renoncement au mal, l’effort humain, éclairé et soutenu par la grâce de Dieu, pourra leur permettre d’éviter l’activité homosexuelle. » Est-ce que vous croyez qu’une personne homosexuelle peut éviter l’activité sexuelle et doit le faire pour son bien ? Êtes-vous d’accord avec l’option de la chasteté pour tous les homosexuels chrétiens ? Ou bien, est-ce que vous pensez que l’Église doit être plus ouverte ? Dans quelle direction ? Par exemple, pensez-vous que la pastorale catholique à l’égard des homosexuels devrait être orientée vers le soutien de la fidélité des couples homosexuels stables ? Est-ce que vous avez une expérience d’Église différente de l’image qu’on obtient en lisant seulement cette lettre ? Pourriez-vous me conseiller aussi de la bibliographie qui me permette de me renseigner mieux à ce sujet ? (soit sur l’homosexualité, soit sur la position de l’Église). Permettez-moi encore une autre question : que pensez-vous des mariages entre personnes homosexuelles et sur l’adoption d’enfants de leur part ? Je m’excuse parce que je me rends compte que je vous ai fait un vrai interrogatoire. Cela parle de mon ignorance sur ce thème. Je vous remercie de tout mon cœur de votre collaboration. En attendant de vos nouvelles, que Dieu vous bénisse. Paula »

 
 

Chère Paula,

Je vais essayer finalement de répondre par écrit à ton mail: il m’inspire beaucoup de réponses qu’il me paraît important de développer, car elles pourront servir à beaucoup d’autres personnes que toi. On pourra en reparler par téléphone si tu veux… et surtout si on arrive à faire coordonner nos agendas !^^

 

Si tu le veux bien, je vais faire une sorte de lecture linéaire de ton courrier pour ne pas en perdre une miette.

 

Tu m’écris que ce garçon « a du mal à faire confiance aux enseignements de l’Église et parfois cela devient un vrai obstacle vis à vis de l’approfondissement de sa vocation. » De peur de paraître un peu dur et direct dès le départ, je te dirais que je crois qu’on ne peut pas engager un chemin vers la prêtrise si on n’aime pas profondément l’Église catholique, si on ne Lui fait pas d’avance une entière confiance, si on se laisse trop inspirer et influencer par la réputation médiatique fallacieuse et infamante qui sévit avec force en ce moment à son propos (comme quoi l’Église serait quand même un peu « en retard » sur certains sujets, en décalage avec les mutations sociales, et « fermée » d’esprit). L’Église catholique est humaine, défectueuse, mais malgré tout d’inspiration divine : elle est donc sanctifiée, en dépit de son humanité merdique. Et cela, il ne faut pas le remettre en doute ! La confiance a quelque chose de nécessairement arbitraire et aveugle, mais j’ai eu l’occasion d’expérimenter à bien des reprises la justesse du message de l’Évangile mais aussi du Pape et de son institution vaticane. Par exemple, pour partir de l’homosexualité, j’ai toujours fait confiance au message un peu abrupt et sec du Catéchisme de l’Église catholique à ce sujet, en me disant que l’Église avait raison sans avoir encore compris pourquoi, que je comprendrais plus tard, que je devais faire ma propre enquête pour trouver d’autres mots plus personnels et pallier à la concision du discours ecclésial. Et finalement, au jour d’aujourd’hui, je ne regrette pas du tout d’avoir été têtu dans mon aveuglement ! Même si je n’exprimerais pas les choses comme le Pape ou même un saint Paul, même si je me suis approprié son message sur l’homosexualité pour l’humaniser davantage, je reviens vers mon Église en Lui donnant raison et en La soutenant dans ses positions. Elle a vu juste par rapport à l’homosexualité en disant que les actes homosexuels étaient intrinsèquement désordonnés. Elle voit juste en demandant le célibat continent. Elle voit juste en exprimant sa méfiance par rapport aux couples homosexuels et au désir homosexuel. Et c’est quelqu’un comme moi, qui a étudié le sujet à fond à travers quatre livres et qui a passé 10 ans dans le monde associatif homo et dans le « milieu homo », qui le dit ! Pas un garçon qui exprime un avis de loin, parce qu’il n’assume ni son homosexualité ni le fait de s’en approcher. La confiance en l’Église – qui n’est absolument pas synonyme d’absence de regard critique ni de soumission scolaire à tout ce qui est dit – ne déçoit jamais, car je la crois profondément juste et surprenante. Oui, j’assume de plus en plus de faire partie de cette famille qu’est l’Église catholique, et je suis scandalisé qu’on maltraite ainsi mon grand-père, car il a le courage de dire tout haut ce qui doit être dit sur l’homosexualité, et sur plein d’autres sujets de morale sexuelle d’ailleurs. C’est quand on va lire directement les textes et ce que Benoît XVI dit qu’on se rend compte qu’il n’a rien du frustré que certains médias dépeignent. Il est particulièrement connecté à l’actualité.

 

« Quand je lui explique que souvent il faut distinguer entre la position officielle de l’Église et la Pastorale, il trouve cela très difficile à comprendre, parce que cela lui semble une hypocrisie. » Je comprends en effet qu’il ne puisse pas recevoir ce discours dissociant théorie et pratique, Église du haut et Église du bas (même si je vois dans quel sens tu l’as dit : le Vatican est bien obligé de poser un cadre moral, un discours généraliste, tout en l’adaptant ensuite au cas par cas, aux exceptions, aux personnes, aux situations humaines imprévues). C’est tout à l’honneur de ce jeune homme que de « tiquer » à notre tiédeur ou à nos propres tentations de nous désolidariser de notre Institution pour ne pas assumer tout ce qu’elle nous demande ou bien la mauvaise image que cela nous donnerait ! Ça veut au moins dire qu’il tient inconsciemment à l’Unité de l’Église, qu’il est en recherche de Vérité, qu’il désire fortement la cohérence des discours et des actes, qu’il veut épouser entièrement l’Église ou pas du tout ! Il lui faut peut-être garder la part de beauté que contient sa révolte (à savoir la recherche de Vérité) et consentir par ailleurs au mystère d’obéissance. « Obéir » signifie « aimer » quand on donne son obéissance au bon maître.

 

« Dernièrement, il a exprimé ses doutes par rapport à l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité. Il nous a dit qu’il n’est pas homosexuel et qu’il ne connaît personne qui est homosexuel. Cependant, il veut comprendre l’enseignement de l’Église à ce sujet, autrement, il craint que quand il deviendra prêtre, il ne sera peut-être pas capable de mettre en pratique ce que l’Église enseigne et finira par abandonner le chemin de prêtre catholique. » Je trouve cela génial que ce garçon désire être aussi entier, qu’il sorte également de ses frontières pour aller sur un terrain qu’il ne connaît à priori pas beaucoup (le monde homosexuel), qu’il veuille être au cœur d’un apostolat dans et proche des réalités du monde. Tu le féliciteras et tu l’encourageras à continuer à « fouiller la merde », à ne jamais se laisser faire ou signer à un contrat dont il ne connaît pas toutes les clauses. Du moment qu’il accepte qu’on ne peut pas tout maîtriser ou deviner de l’intelligence de Dieu…

 

« En ce moment, il est vraiment en train de mettre en question sa vocation à cause de ce sujet. Il a lu des commentaires sur la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles et il n’est pas d’accord avec cette position. Il pense que celle-là n’est pas une position miséricordieuse, comme celle de Jésus. Ce serait donc une contradiction avec l’Évangile. » Je comprends sa réaction première. Après, cette impression de manque d’ouverture tient non pas tant au contenu qu’à la brièveté des articles de cette Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Et il est clair que le message de l’Église, même s’il n’est pas faux, doit s’affiner, se préciser davantage, pour être plus aimant. Je trouve personnellement qu’il n’est encore pas assez question du désir homosexuel en lui-même, ni de son lien avec le viol. Du coup, il a du mal à peser sur la balance face au discours bien-pensant de l’ouverture inconditionnelle à l’autre. Le garçon dont tu me parles ne doit pas perdre de vue que l’amour du prochain n’est pas un « oui » sans réserve, mais parfois un « non » et une exigence posée avec fermeté. Jésus accueille toujours l’autre sans réserve, mais les actes humains avec beaucoup de réserves et d’exigence ! Parce qu’Il tient à l’Amour autant qu’aux personnes aimées par cet Amour. Et parce qu’Il nous responsabilise, nous met devant nos limites humaines et notre liberté. Si nous ne comptions rien pour Lui, Il ne se donnerait pas la peine de s’opposer à nos fantasmes parfois bien intentionnés de se prendre pour Lui. Or, Jésus n’accueille pas la femme adultère avec un sourire mièvre et une ouverture d’esprit relativiste : Il l’aime profondément, et c’est pour cela qui lui dit aussi sans détour : « Va, et désormais ne pèche plus. » Il accueille la personne, mais refuse le péché. Il formule explicitement une demande qui condamne l’acte tout en relevant l’âme pécheresse. C’est la raison pour laquelle je trouve le message de l’Église sur l’homosexualité exigeant mais très évangélique. C’est l’amertume de la coupe offerte.

 

« Il pense aussi que ce n’est pas juste que pour les hétérosexuels il y ait deux options : la vie matrimonielle et la chasteté consacrée à Dieu, mais pour les homosexuels il n’y a que celle de la chasteté. » Alors, déjà, entendons-nous bien dans les termes. La chasteté n’est pas équivalente à la continence ou à l’abstinence : elle est aussi à vivre au sein d’un couple femme-homme, ou entre amis, ou même entre un artiste et son œuvre d’art, car elle est cette juste distance qui permet la relation, cette résistance à la fusion destructrice. Après, l’appel à la continence pour les personnes homosexuelles est, c’est vrai, un peu « brut de pomme », il faut le reconnaître. Moi-même, il m’a beaucoup questionné à un moment, quand je commençais à assumer mon désir homosexuel. Je me retrouvais dans l’assistance de messes où la condition homosexuelle n’était pas du tout abordée (genre le « Journée annuelle pour les vocations » ou le « Dimanche pour la famille »). Les prêtres, dans leurs homélies, ne proposaient que deux options de vocations possibles pour suivre le Christ : soit le couple marié (que je ne pouvais pas vivre), soit le célibat consacré vécu dans la prêtrise (que je ne pouvais pas vivre non plus, puisque l’entrée dans les séminaires était barrée pour les personnes homosexuelles). Je trouvais ça un peu court et paniquant comme raisonnement ; à l’époque, j’en pleurais presque, et je criais intérieurement vers le Seigneur : « Mais Seigneur, quel chemin reste-t-il pour nous, personnes homosexuelles ??? Quelles issues de secours ??? Pourquoi je n’aurais pas le droit d’aimer, moi aussi, puisque tu m’as fait un cœur pour aimer ? » Cette révolte ne m’a pas fait quitter l’Église pour autant (ma foi était trop forte). Elle m’a donné au contraire l’impulsion de me questionner et d’inaugurer un nouveau chemin. Et de surcroît, avec le temps, j’ai compris que cette voie restreinte et étroite de la continence proposée aux personnes homosexuelles n’avait rien d’une condamnation de l’Amour, mais était précisément une demande spécifique qui reconnaissait notre singularité à nous, personnes homosexuelles, et aussi qu’elle n’était ni plus facile ni moins facile à vivre que le mariage ou le sacerdoce : elle implique le même renoncement, le même don entier de soi, la même liberté. Elle n’est pas moins un chemin où l’on peut aimer vraiment. Ce n’est pas le nombre de choix qui nous sont proposés qui détermine notre degré de liberté ou notre bonheur, mais bien notre choix entier à une personne unique, que celle-ci soit une personne du sexe dit « opposé » ou Jésus. Et les personnes homosexuelles ne sont pas privées de Jésus : elles sont même, de part les limites imposées par leur désir, plus spécifiquement orientées vers « la meilleure part ». Alors pourquoi s’en plaindraient-elles, ou pleureraient-elles d’être mises à l’écart du modèle du Couple présenté par notre société ultra-érotisée comme la seule structure d’amour vrai ? Quelque part, leur condition homosexuelle les prépare plus directement et plus fermement aux noces royales célestes. Si elles savent la saisir, c’est une chance pour elles d’être en quelque sorte acculées, de par un désir intérieur qu’elles n’ont pas choisi, à un don entier à la personne de Jésus, puisqu’elles ne sont pas appelées par l’Église à vivre autre chose avec quelqu’un d’autre. L’Église leur demande tout de suite quelque chose de grand, de complètement fou humainement parlant, mais de glorieux dans l’Éternité. Elles devraient s’en réjouir ! Tout ceci, cependant, ne prend sens qu’à la lumière de la foi et de la Résurrection.

 

« Puisque moi je ne suis pas homosexuelle, il est vraiment difficile pour moi de faire un jugement. Je me suis renseignée un peu, mais je ne sais pas quelle opinion accepter comme juste. J’avoue mon ignorance dans ce thème et c’est pour cela que je vous demande votre aide. » N’aies pas peur, Paula, de tes impressions, de tes avis, ou jugements raisonnés. L’homosexualité est humaine. Même si tout le monde ne la ressent pas, elle continue d’appartenir à tout le monde, et tous peuvent en parler – y compris les prêtres « hétérosexuels » ! – car la réflexion sur le Désir rejoint tout un chacun. L’homosexualité n’est pas un sujet qui appartient spécifiquement aux personnes homosexuelles, quand bien même la plupart d’entre elles le laissent croire pour ne pas entendre ce que le monde extérieur a de pertinent à leur dire sur les limites nombreuses de leur désir. Nous avons le devoir, en tant que chrétiens, de nous positionner. Et j’ai vu des personnes dites « hétérosexuelles » traiter de l’homosexualité avec bien plus de pertinence et de distance que ceux qui ont le nez dans le guidon et si peu de recul sur eux-mêmes ! Alors fais-toi confiance.

 

« Puisque vous êtes homosexuel et catholique, est-ce que vous pourriez me répondre à quelques questions ? Par exemple, vous êtes d’accord avec : ‘L’inclination particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral. C’est la raison pour laquelle l’inclination elle-même doit être considérée comme objectivement désordonnée.’ (selon la Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles). C’est-à-dire, pour vous l’inclination homosexuelle, est-elle désordonnée et considérez-vous le comportement homosexuel comme intrinsèquement mauvais ? » Oui, je suis d’accord avec ces propos. Ils sont certes explicites, mais droits. Ayant été témoin du désordre intérieur et extérieur que provoquait la justification du désir homosexuel dans la vie des personnes qui s’y soumettaient aveuglément comme s’il s’agissait d’un désir qui les définissait entièrement ou qui était équivalent à l’amour entre une femme et un homme qui s’aiment vraiment ou entre un homme continent et Dieu, je peux dire que j’y souscris. Après, j’ajouterais à ces propos ma propre étude de terrain. J’ai recensé dans les œuvres homosexuelles (films, romans, biographies, discours de nombreux sujets homosexuels…) toutes les occurrences inconscientes qui étaient faites au mot « désordre », et elles sont nombreuses ! (pourtant, elles ont été faites par des personnes qui défendaient l’authenticité de leur désir homosexuel !) J’ai également décrit la nature dispersante, c’est-à-dire plus divisante qu’unifiante, du désir homosexuel, à travers l’étude de symboles récurrents dans les fictions traitant d’homosexualité : les visages coupés en deux, les corps éclatés, les animaux à deux têtes, les jumeaux, les miroirs brisés, les doubles schizophréniques, etc., toutes ces figures symboliques de la division. Pour moi, ces images sont le langage du désir homosexuel, un élan qui conduit davantage à la dispersion et à des actes où le fantasme narcissique et les pulsions font loi, plutôt qu’à la Réalité et à la Vérité (ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient totalement déconnectés de ces deux dernières).

 

« Pour moi, c’est difficile à comprendre que, étant l’homosexualité une structure de la personne, même qu’elle ne soit pas génétique dans la plupart des cas, ce soit quelque chose de mauvais et désordonné. Si je suis sincère, dans mon ignorance, moi je préfèrerais que l’homosexualité puisse être changée avec quelque thérapie et devenir hétérosexualité. Mais selon ce que j’ai lu, en psychologie cela n’est pas accepté, ni conseillable, même s’il y a des groupes qui encouragent le changement en l’appelant conversion, n’est-ce pas ? » C’est vrai que ce n’est pas souhaitable de mettre l’homosexualité sur le terrain de la génétique ou de la maladie du simple fait qu’elle n’est pas un choix. Pour autant, même si je ne prétends pas trancher entre l’inné et l’acquis (car pour moi, l’homosexualité reste une énigme à ne pas élucider complètement pour laisser à celui qui la ressent une complète liberté, pour ne pas la transformer en destin, pour ne pas « pathologiser » ni essentialiser le désir homosexuel et lui donner trop d’importance par rapport à la personne homosexuelle), j’ai constaté que le désir homosexuel était à la fois la marque d’une blessure liée à un contexte de violence réel (viol, inceste, mépris de soi, désir d’être objet, isolement amical, etc.) et aussi le révélateur de coïncidences et de terrains porteurs (déterminants ou non) marqués par une absence de désir. Alors bien sûr, il faut être très prudent quant aux thérapies collectives et à toutes ces sectes qui stigmatisent « les » homosexuels et les réduisent à leur désir homosexuel pour mieux le leur ôter et faire croire à une miraculeuse conversion à « l’hétérosexualité ». Personnellement, je n’y crois pas, entre autres parce que je ne considère pas l’orientation homosexuelle comme déterminante de l’intégralité de la personne qui la ressent, ni comme le mal absolu. En plus, ce qui se joue au niveau de la sexualité est très mystérieux et profond : je ne crois pas qu’on puisse changer complètement quand on est homosexuel, sauf ceux qui se sentent bisexuels. Cela dépend de la profondeur de l’ancrage de l’homosexualité en nous. Bref, la blessure homosexuelle reste une énigme dont je n’ai pas les clés. Après, nous avons tous quelque chose en nous à guérir… et il est clair que le désir homosexuel, si on s’y adonne, blesse, et indique une fragilité dont il faut prendre compte. J’ai vu chez les personnes homosexuelles qui m’entourent beaucoup de frustration, de peur, de timidité, de haine de soi, de misanthropie (déclinée en misogynie ou en misandrie), de manque de confiance en soi. Cela n’est pas spécifique au désir homosexuel (il existe d’autres désir dispersants), mais le désir homosexuel est marqué par ce désordre.

 

« Alors, comment comprenez-vous et vivez-vous votre orientation sexuelle ? » Au moment où je vous écris ces lignes, j’essaie de la vivre dans la continence. Après 29 ans de célibat complet, puis une période d’un an et demi d’expérimentation de la relation charnelle homosexuelle avec des garçons, je reviens doucement mais sûrement à la continence. En tout cas avec plus d’assurance. Cette promesse reste à confirmer sur la durée et la joie. Mais pour l’instant, ça semble en bon chemin ! Mon cœur est brûlant, et plus brûlant qu’avant !

 

« Par rapport à la phrase suivante de la même lettre, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? ‘En réalité, il faut aussi reconnaître à ceux qui ont une tendance homosexuelle la liberté fondamentale qui caractérise la personne humaine et lui confère sa dignité particulière. En raison de cette liberté, comme en tout renoncement au mal, l’effort humain, éclairé et soutenu par la grâce de Dieu, pourra leur permettre d’éviter l’activité homosexuelle.’ Est-ce que vous croyez qu’une personne homosexuelle peut éviter l’activité sexuelle et doit le faire pour son bien ? Êtes-vous d’accord avec l’option de la chasteté pour tous les homosexuels chrétiens ? Ou bien, est-ce que vous pensez que l’Église doit être plus ouverte ? Dans quelle direction ? Par exemple, pensez-vous que la pastorale catholique à l’égard des homosexuels devrait être orientée vers le soutien de la fidélité des couples homosexuels stables ? » Oui, je suis d’accord avec la phrase citée au-dessus, car je crois en la puissance d’action de Dieu en nous. Après, cette action n’est ni spectaculaire (on ne demande pas à un blessé de courir le 100 mètres !), ni euphorique, ni un appel au mariage forcé, ni un encouragement à l’abandon de son désir homo. Au contraire, plus on s’approche sans peur de son désir homosexuel et du « milieu homo » pour les reconnaître et comprendre comment ils fonctionnent, moins on a de risques de se confondre avec lui et de le laisser diriger notre existence. Sinon, bien évidemment, j’encourage au respect des couples homosexuels et au soutien de la fidélité en leur sein, sans pour autant se leurrer sur leur fragilité objective. Il n’y a pas à idéaliser l’amour homosexuel, car il possède beaucoup de limites (et pas seulement parce que la société lui mettrait des bâtons dans les roues ; c’est le désir homosexuel qui est, par nature, faible et violent). Il n’y a pas non plus à lui retirer le qualificatif d’ « amour », car même si c’est un amour limité, il est, à de rares occasions, le lieu de l’échange de différences, de tendresse, d’engagement sincère, qu’on ne peut pas négliger.

 

« Est-ce que vous avez une expérience d’Église différente de l’image qu’on obtient en lisant seulement cette lettre ? » J’avoue qu’à ce jour, je n’ai jamais rencontré de couple homo qui m’emballe vraiment (et ce n’est pas faute d’en avoir rencontrés !). Mais il ne faut jamais dire jamais. Mon scepticisme n’est pas fermé. Si je tombe un jour sur un couple homosexuel qui me semble solide et heureux sur la durée, je n’hésiterai pas à l’exprimer. Je peux juste dire à l’heure actuelle « J’attends de voir… », même si je ne suis toujours pas convaincu par la force de l’amour homo et que je sais de mieux en mieux pourquoi.

 

Du point de vue de l’expérience d’Église à proprement parler, je n’ai pas rencontré véritablement de personnes homosexuelles qui vivaient une combinaison harmonieuse entre foi et homosexualité : soit elles essayaient de former une gay Church tout en s’éloignant de l’Église-Institution (comme dans l’association chrétienne David et Jonathan), soit j’ai croisé quelques garçons isolés qui refoulaient leur homosexualité dans une pratique religieuse dans laquelle ils taisaient leurs penchants (cas très rares… Et il y a dans le lot certains ecclésiastiques…). Mais j’avoue que je ne connais, à ce jour, aucun garçon comme moi qui assume aussi publiquement à la fois sa foi pratiquante catholique et son homosexualité.

 

Concernant l’accueil des personnes homosexuelles dans les églises, je trouve les prêtres encore timides, timorés même, par rapport au sujet. Cela les rend souvent maladroits, voire un peu jugeants. L’Église catholique, sur le terrain, a encore du mal à prendre le thème de l’homosexualité à bras le corps. Il faudrait une formation, un topo, une parole forte, sur laquelle se fonder, pour éviter les bourdes et l’éloignement de certaines personnes de l’Église à cause du seul sujet de l’homosexualité.

 

« Pourriez-vous me conseiller aussi de la bibliographie qui me permette de me renseigner mieux à ce sujet ? (soit sur l’homosexualité, soit sur la position de l’Église). » Je ne peux que te renvoyer à Xavier Thévenot, Jacques Arènes, ou encore Xavier Lacroix ; ou, dans un registre profane et psychanalytique, mais non moins solide, Jean-Pierre Winter. Je n’ai pas trouvé mieux ! Et puis bien sûr, mon livre… 😉

 

« Permettez-moi encore une autre question : que pensez-vous des mariages entre personnes homosexuelles et sur l’adoption d’enfants de leur part ? » J’en parle justement dans mon essai. En quelques mots, je ne suis favorable ni au mariage entre personnes homosexuelles, ni à l’adoption d’enfants. Dans les deux cas, c’est au nom du respect de la différence des sexes (que consolide le mariage d’amour vrai) et de la réalité de la famille, que j’avance cet avis. Attention, quand je dis ça, je mets fortement en garde contre une sacralisation nataliste de la procréation, ou une idéalisation de la différence des sexes. Il ne suffit pas que les enfants soient physiquement là, ou qu’un couple soit composé d’une femme et d’un homme, pour que l’amour soit là. Il faut non seulement que la différence des sexes soit présente mais aussi qu’elle soit couronnée par le désir vrai et libre entre deux personnes différemment sexuées, et ensuite par l’arrivée des enfants, pour pouvoir vraiment parler d’amour puis de famille.

 

« Je m’excuse parce que je me rends compte que je vous ai fait un vrai interrogatoire. Cela parle de mon ignorance sur ce thème. Je vous remercie de tout mon cœur de votre collaboration. En attendant de vos nouvelles, que Dieu vous bénisse. Paula »

 

Paula, je veux te remercier chaleureusement de m’avoir donné l’occasion, par ton mail plein d’interrogations, d’aborder des problématiques centrales sur l’homosexualité. Tes questions témoignent chez toi d’une foi très vivante, juste, acérée, en mouvement, fertile. C’est génial ! Tu poses les bonnes questions, et tu me permets de mettre des mots sur ce qui m’habite depuis longtemps et que je n’avais jamais formulé comme ça. Il y a 2 ans, un prêtre âgé et très proche ami de ma famille, suite à la lecture de mon livre, m’avait suggéré d’écrire un petit fascicule proposant un guide pratique pour l’accueil des personnes homosexuelles par l’Église. Et j’ai l’impression que grâce à ton questionnement, son souhait est réalisé. Il est impressionnant de voir combien le seul thème de l’homosexualité est facteur de discorde, de divisions internes/extérieures, et d’éloignement de l’Église. Je l’ai déjà observé même chez les jeunes adultes cathos encore présents dans nos églises. Tu as donc touché un problème crucial. Merci à toi. Du coup, je publierais bien ce mail que je t’envoie, et notre échange, sur le site de mon livre. M’y autorises-tu ? Que Dieu, qui est toute-puissance d’Amour, te bénisse. Ton (déjà) frère Philippe.

 
 

N.B. : Vous trouvez toutes les réactions à cette lettre ainsi que mes réponses, sur le site Padreblog.fr. C’est l’un des articles du site les plus visités. Merci au père Pierre-Hervé Grosjean et à son équipe de prêtres !

 

N.B. 2 : La Lettre à Paula a été traduite en anglais, espagnol, portugais, et allemand.

C’est ton avis !

C’est ton avis !

 

 

La mauvaise foi s’habille toujours du déni ou du mensonge, mais elle prend parfois le masque du « respect », de la « tolérance », de la subjectivité, pour ne pas s’avouer à elle-même sa violence. Lors d’une discussion par exemple, en disant à notre interlocuteur que « son avis reste son avis », pour en réalité ne pas prendre en compte celui-ci, on sous-entend deux choses totalement contradictoires (à l’image du fossé que nous établissons parfois, à l’insu de notre sincérité, entre nos bonnes intentions et nos actes) : d’une part que son avis serait « génial » du simple fait qu’il serait sien  (ben oui… de fait, un avis, c’est avant tout personnel, même s’il peut être partagé) et en même temps que son avis est « nul » (étant donné qu’il est personnel, on estime qu’il ne pourra jamais être le nôtre, voire que notre interlocuteur nous « l’impose » en vrai dictateur). Autrement dit, on reste campés sur nos positions, tout en étant persuadés de faire preuve d’une exceptionnelle ouverture parce qu’on redit une évidence qu’on trouve belle (« Chacun a le droit d’avoir son propre avis »), alors que, si on réfléchit bien, la sacralisation de « l’Avis », du « Point de Vue », de la Reine « Opinion », de la Subjectivité, c’est de l’indifférence en boîte, de l’individualisme, du pur déni, un refus du dialogue et de la recherche de Vérité ensemble. L’avis ne peut devenir sacré que s’il est partagé, posé fermement et avec nuances, que s’il se met concrètement au service d’un Universel mouvant et non d’une pluralité poétique abstraite ou de la conscience individuelle.

 

J’en ai connu quelques-unes, des personnes qui faisaient à de rares occasions preuve de mauvaise foi, et qui tentaient, sous couvert de la subjectivité, d’imposer silencieusement leur propre avis inconsistant, de chasser la recherche d’objectivité, de clôturer et de condamner proprement les débats pertinents qui avaient été lancés par un désarçonnant et discret « C’est ton avis, je le respecte » qui résonne comme un « C’est ton avis ; c’est pas le mien : Cause toujours, tu m’intéresses… », en vous faisant en plus passer pour le rigide de service, pour le méchant sbire contestataire que vous n’êtes pas, pour la simple raison que vous résistez au bout de scotch qu’elles cherchent à vous mettre sur la bouche et qui s’appelle « Vérité individuelle » (ou plus concrètement « vérité individualiste »). Sur le coup, quand elles nous sortent ce que mon père appelle « una excusa de mal pagador » (je suis bien embêté pour pouvoir traduire cette si belle expression espagnole… donc je la laisse telle quelle), on se sent tout cons, on ne sait pas quoi répondre à tant de couardise : elles nous ont soutenu qu’on aurait beau dire tout ce qu’on veut, argumenter avec énergie et poids nos idées, le débat tournerait en rond et que ça ne servirait à rien de continuer le dialogue puisqu’on serait naturellement « bornés » et qu’on chercherait à tout prix à les « convaincre » (peut-être que sur ce seul point, elles n’ont pas totalement tort : nous essayons simplement de les convaincre que nous ne sommes pas aussi facilement convaincus par leur démagogie…) ; et, comble du comble, par leur indifférence notoire, elles ont quand même l’impression de partir en Bons Princes de la Tolérance et du Respect. « Je trouve ça génial, ce que tu dis. J’ai pas écouté… mais vraiment, du fond du cœur, c’était très intéressant. On vous rappellera. » (sourire dents blanches).

 


 

Ce « T’as gueule. On vous invitera. », je l’ai entendu pas plus tard qu’hier soir. C’était à la radio, le lundi 13 septembre 2010. L’émission « Homo Micro », sur Radio Paris Plurielle, accueillait en grandes pompes Harry, l’animateur de l’émission estivale de France Inter « Je t’aime pareil », la première grille de programme généraliste traitant ouvertement d’homosexualité sur une radio non communautariste et grand public, animée en plus par deux journalistes présentées comme « hétérosexuels », Harry Éliézer et Marjolaine Koch. J’ai délaissé, pour cette édition spéciale d’« Homo Micro », ma chronique symbolique « Sex Symboles » habituelle, afin de préparer 8 minutes d’intervention. Je suis passé à l’antenne un quart d’heure avant la fin (et pour ceux qui veulent ré-entendre l’émission, elle est podcastée soit sur www.brahimnaitbalk.fr – c’est le podcast n° 166 –, soit sur le site de l’Araignée du Désert à la rubrique « audios/vidéos »).

 

Que s’est-il passé, en résumé, à l’occasion de cette visite radiophonique d’Harry ? C’est assez simple. Pendant toute l’heure d’« Homo Micro », on a applaudi non pas l’émission « Je t’aime pareil » en elle-même mais le concept de l’émission ; on n’a pas abordé son contenu (et pour cause : il était très léger et critiquable) mais uniquement sa forme ; on a félicité la démarche de France Inter(peu importe qu’ils aient bien parlé ou mal parlé « des » homos : ils en a parlés, c’est tout ce qui compte !) au détriment des actes et des paroles ; on a décerné la statuette du Mérite à Harry sans comprendre qu’elle n’était pas si méritée. Et le seul « grand méchant loup » qui a osé nuancer l’euphorie collective et poser un regard un tant soit peu critique sur son émission, c’est moi… (Huée du public)

 

Mes amis chroniqueurs ont présenté d’avance ma prise de parole comme une volonté délibérée de détruire, comme une provocation qu’elle n’était pas (on peut être bien plus aimant en s’opposant qu’en applaudissant ce qui ne mérite pas les applaudissements). Certes, j’ai donné mon point de vue, mais j’ai fait bien plus que cela : je l’ai argumenté de manière – je crois – pertinente, tout en lui laissant la possibilité d’être discuté par la suite (perche qui n’a pas été saisie… et c’est cette attitude de refus du dialogue que j’accuse à présent dans cet article). Je me suis appuyé concrètement sur les émissions « Je t’aime pareil » que j’avais toutes épluchées attentivement auparavant. Pour seule réponse à ma critique, Harry m’a dit à l’antenne que je n’avais pas dû bien écouté l’émission, trop prisonnier que je devais être de mes aprioris et de mes préjugés (jugement hâtif amusant, surtout quand on sait qu’au moment où j’ai eu accès aux podcasts de « Je t’aime pareil », je les ai suivis pour mon plaisir, et sans même savoir que j’allais en faire la critique un jour à la radio…). Quand il m’a sorti ce mensonge, je pense qu’il voulait en réalité que je ne me penche que sur ses bonnes intentions ; pas son émission… Car s’il avait accepté de parler de l’émission en elle-même, il aurait vu que je m’appuyais sur des phrases et des situations très concrètes, et que je n’ai absolument rien inventé. Mon sentiment, c’est que, aussi bizarre et paradoxal que cela puisse paraître, c’est Harry qui a refusé de regarder rétrospectivement son émission telle qu’il l’a faite. Elle lui a offert une notoriété et une médaille de sympathique défenseur des différences : il n’est visiblement pas encore prêt à renoncer à ce statut flatteur mais pas si justifié que ça, ni à revenir sur sa prestation au niveau du fond.

 

J’ai trouvé en effet que l’émission « Je t’aime pareil », derrière un sourire d’apparat estival, n’a pas fait avancer la réflexion sur l’identité homosexuelle, l’amour homosexuel, l’homophobie, le mariage gay, la cohabitation de la religion avec l’homosexualité, l’homoparentalité, le désir homosexuel et sa nature, etc. Elle est restée très allusive sur les messages de fond, très marketing et consensuelle dans les discours… et je dis pourtant cela en tenant compte des (apparemment nombreux et élogieux) retours de courriers et d’avis (ah… les avis…) des auditeurs. Harry m’a avoué explicitement à la fin de l’émission « Homo Micro » que le but de « Je t’aime pareil » n’était pas de créer du débat, mais juste d’illustrer des vécus, de sensibiliser le grand public à un sujet mal connu, de fournir les grandes lignes sur l’homosexualité sans rentrer dans les détails, de donner un petit « kit gay friendly » pour comprendre l’homosexualité sans en soulever toutes les ambiguïtés et les implications concrètes (genre L’homosexualité en 10 leçons, ouL’homosexualité pour les Nuls, ou Comment aider l’hétéro de base – homophobe par ignorance – à accepter l’homosexualité). Peu d’auditeurs se sont plaints du manque pourtant criant de vis-à-vis, de réflexion, de discussions, d’avis contraires. La critique qui a été faite à Harry d’avoir réalisé une émission « à la Jean-Luc Delarue », un talk show principalement construit sur les témoignages « je » émotionnels et victimisants (critique que je cautionne totalement… sinon, je n’aurais pas comparé « Je t’aime pareil » à un « Télé Boutique Achat »), il a préféré ne pas l’entendre, la glisser discrètement dans la pile des attaques beaucoup plus injustifiées, voire insultantes, homophobes, et racistes, qu’il a avoué ne pas avoir lues.

 

Dans les studios de Paris Plurielle, je regardais Harry pendant que je m’attelais à faire mes 5 pauvres minutes de chronique (je dis « pauvres » car on ne m’a pas laissé parler davantage, et mon topo a été coupé prématurément à cause d’une mauvaise gestion du temps en fin d’émission). Dès le départ, comme il savait que je n’allais pas lui dérouler le tapis rouge comme les autres chroniqueurs, il a commencé à se tortiller sur son fauteuil, à farfouiller pendant une bonne minute dans son blouson pour y chercher un stylo ; il regardait ailleurs, ne m’a pas offert beaucoup de regards, a ensuite joué la fausse décontraction ou la distance, a fait semblant de prendre des notes… pour finalement conclure la bouche en cœur : « Que veux-tu que je te dise ?… C’est ton avis… Ça n’engage que toi… C’est de ta responsabilité… » (sous-entendu « pas de la mienne »). Je l’avais pourtant séché sans le vouloir, en plein direct (moi, je ne voulais justement qu’entraîner un dialogue ; je ne voulais clouer le bec à personne). Il ne m’a pas écouté. Il ne voulait pas m’écouter. Et je me suis retrouvé, sans m’y attendre, face à un mur. J’étais intérieurement ébahi de le voir jouer l’autruche devant moi, alors que je lui fournissais l’opportunité d’une vraie discussion sur le fond de son émission, après 45 minutes d’applaudissements sur le plateau d’« Homo Micro » à propos uniquement de la forme et de la valeur symbolique de « Je t’aime pareil », 45 minutes de retour sur les anecdotes rigolotes et émouvantes des deux mois d’été. Tout d’un coup, Harry perdait de son innocence, alors qu’il serait parti en odeur de sainteté si personne ne l’avait retenu. Pour me tenir tête à l’antenne, il s’est contenté de ré-énoncer une idée reçue qui tombait comme un cheveu sur la soupe dans le débat (« On est responsable de ce qu’on dit. »), et de renvoyer à la responsabilité individuelle des propos que l’on tient sur une radio (« Ce que tu dis n’engage que toi. » ; « La responsabilité de tes propos t’engage. » ; « Après, ça n’engage que moi… ») : une façon comme une autre pour lui de précisément se désengager, de se laver les mains, de claquemurer mon avis dans le placard de l’individualité et du relativisme. Il a mis précautionneusement sur le compte de son caractère (donc autant dire un domaine qu’il ne pourrait pas changer) la question de la bonne humeur du plateau de « Je t’aime pareil », hilarité qui, je pense, va bien au-delà de la simple personnalité d’Harry ou de Marjolaine : elle dit la place écrasante qu’a pris la bonne intention sur les discours et les raisonnements dans « Je t’aime pareil », et en plus de cela, elle fait écho à la tournure victimisante et compatissante qu’a choisi dès le départ l’émission de France Inter.

Harry justifiait, pendant et après l’émission « Homo Micro » d’hier soir, le manque de contenu de « Je t’aime pareil » par une extériorisation de sa responsabilité de programmateur sur le cadre radiophonique qui lui était imposé (« On n’avait qu’une heure d’émission » ; « On doit faire court et accessible » ; « On fera différemment l’année prochaine » ; « Faut pas oublier qu’on s’adressait à un public néophyte » ; « 21h, c’est tard pour proposer une émission intellectuelle avec débat… » ; etc.). Il se mettait également à projeter sur le public de France Inter son propre manque d’ambition, son ignorance personnelle du sujet traité, ou son abandon de l’exigence intellectuelle : les auditeurs « hétéros » (plus rarement homos) à qui il s’adressait ne voudraient pas, selon lui, de débat, d’avis différents et parfois contradictoires sur l’homosexualité (d’ailleurs, tous les invités ont été triés sur le volet pour défendre la Cause homosexuelle à l’unisson : bizarrement, il n’y a eu aucun opposant à l’homosexualité qui a été convié, aucune partie adverse pour contrebalancer les points de vue univoques) ; ils ne souhaiteraient que s’informer sur ce qui existe au niveau de la communauté homosexuelle, engranger de jolies définitions, acquérir une nouvelle façon de parler (exemple : il ne faut pas dire « avouer » mais « révéler son homosexualité » : c’est très important…), apprendre sans comprendre, s’identifier rapidement à des vécus émouvants, « partager (je cite) le quotidien d’un personnage » (les invités ne sont pas des personnes réelles mais des « personnages » d’un docu-fiction ! Énorme, ce lapsus…). Pour Harry, être généraliste et ouvert, c’est forcément simplifier les choses pour se mettre à la hauteur de « Monsieur tout le Monde », c’est vulgariser… alors que je suis précisément convaincu du contraire : ce n’est pas parce qu’on s’ouvre à l’universel et qu’on parle d’une chose nouvelle que la pensée doit être bradée, que les discours doivent être simplistes (surtout pour un sujet aussi peu léger et aussi ambigu que l’homosexualité !), que les débats doivent être bannis, qu’il faut aller au plus court et au plus concis pour être bien reçus. On peut n’avoir qu’une heure d’émission, être pris par le temps, obéir au formatageFrance Inter, tout en allant au fond des choses. Il suffit déjà de le vouloir, de le prétendre ! Et c’est bien ce que je reproche à l’émission « Je t’aime pareil » et à ses deux présentateurs : d’avoir manqué de prétention, uniquement pour jouer petit, pour se rendre accessibles, pour s’acheter une image d’« hétéros trop open » et super généreux (… et, en filigrane, s’acheter une place au soleil à la radio, puisque l’émission aurait « tellement plu et tellement marché » qu’il y a de fortes chances pour qu’elle soit reconduite pour une édition 2011)…

 


 

Ma chronique rabat-joie a donc été bizarrement accueillie. On lui a fait la sourde oreille, puis on l’a conclue, sur le ton de la boutade (… et surtout pour avoir la paix) par une invitation peu sérieuse à assister à l’édition « Je t’aime pareil » de l’année prochaine ! « On vous invitera… » Alors que j’ai exprimé un avis qui avait du poids et qui méritait qu’on s’y arrête, on m’a coiffé du diadème de Miss Zemmouria qui doit se contenter des 10 minutes de gloire minable qu’offre la contestation gratuitement méchante (que je n’ai pas faite) plutôt que de continuer à ouvrir sa gueule. Et en lot de consolation, on m’a donné mon joli paquet de bergamotes à sucer. Au moins, comme ça, elle ne parlera pas la bouche pleine !

 

En sortant de cette émission « Homo Micro », j’ai poursuivi un peu le dialogue avec Harry, qui, abstraction faite de mon avis sévère mais réaliste sur sa propre émission, est humainement délicieux et très drôle. L’échange s’est révélé aussi stérile que devant les micros. Il a préféré penser que j’étais obsédé par l’idée d’avoir raison, plutôt que de voir que c’était lui qui barrait son auto-critique. Comble de la lâcheté : il m’a dit : « Si le concept de l’émission ‘Je t’aime pareil’ ne t’a pas plu, tu n’avais qu’à changer de stations. On n’a forcé personne à l’écouter et à l’apprécier. » Change de crèmerie si tu n’es pas content, mais surtout, ne viens pas faire chier en m’assénant mes 4 vérités ! Ne viens pas me dire ce qui est perfectible ou non ! On ne peut pas plaire à tout le monde. Ça ne t’a pas plu ? Bon, eh bien tant pis. Passe ton chemin. Le débat sur les goûts est de toute façon stérile et on tourne en rond si on le poursuit ! Ciao bye ! Le gros problème de ce genre de raisonnement, c’est qu’à force de remplacer l’éthique par l’esthétique, de n’envisager la Vérité que sous l’angle du « goût » ou de l’« avis » personnel, on ne se situe plus ni dans le dialogue ni dans la recherche de Vérité ensemble. On fait du désaccord un mur qu’on ne peut plus franchir à deux, alors qu’il pourrait être justement ferment de partage, d’avancée, de perfection/perfectionnement, d’humour. La seule voie de sortie qu’Harry m’a donnée à contre-cœur après l’émission, c’est celle-ci : « Tu n’es pas content ? Et bien propose autre chose ! »… ce à quoi j’ai répondu : « Mais je n’attends que ça ! » Car j’en ai, des choses à proposer ! J’en ai, des choses à dire ! J’ai largement de quoi tenir ma propre émission hebdomadaire sur une chaîne gay friendly ! Et ce ne serait ni la Fête du Slip, ni le Pays des Bisounours, ni du blabla sensationnaliste victimisant ! Je pourrais même reprendre les sujets déjà traités dans « Je t’aime pareil », mais de manière beaucoup moins consensuelle cette fois-ci, puisque dans l’émission de France Inter – d’ailleurs, Harry l’avoue ouvertement – le « faire débat » n’était pas du tout l’objectif. Il n’y a pas eu, en effet, de débats d’idées : juste une présentation généraliste et policée du monde homosexuel, un survol rapide du thème entre personnes préalablement acquises à la Cause. Je ne veux pas qu’on parle petit, qu’on joue à la dînette avec l’ami Harry, car la sexualité, ce n’est pas un petit débat ! Elle a des enjeux de vie, de mort, de bonheur, de souffrances, de durée, de sens existentiel.

 

Harry, un ami qui vous veut du bien. Un ami qui, sans écouter votre avis, veut juste le recevoir… mais uniquement parce que « c’est votre avis ». Surtout quelqu’un qui ne veut pas se voir retirer sa Médaille de la Générosité et de l’Ouverture d’Esprit décernée par la communauté homosexuelle ou une communauté hétéro-gay friendly difficilement chiffrable (« un hétéro » qui défend la cause homo alors qu’il est hétéro, n’est-ce pas le must de l’héroïsme, de la générosité désintéressée, si l’on s’en tient uniquement au regard pro-homo ?) En se voyant critiquer son émission, il a récriminé à l’incompréhension de son travail et de sa sincérité, au procès d’intentions. Et pour cause ! Marjolaine et lui ont été très sincères, et la qualité des rencontres que leur aventure radiophonique avant-gardiste leur a permises est sans aucun doute réelle. Mais dans son discours, je me rendais bien compte qu’il confondait « démarche » et « contenu » (autrement dit intentions et actions, sincérité et Vérité, forme et fond) : il disait que l’effet « Télé Boutique Achat » que je critiquais ne correspondait pas à la démarche que Marjolaine et lui ont eue en créant cette émission. Encore une fois, je le répète : ce n’est pas la sincérité des bonnes intentions que je remets en cause, ni même l’initiative de l’émission « Je t’aime pareil » ; c’est l’application concrète de ces bonnes intentions. Car celle-ci est plus que discutable ! Au niveau du contenu, les réflexions sur l’homosexualité exprimées sur le plateau de « Je t’aime pareil » rasaient les pâquerettes. Mis à part le message suivant « L’homosexualité existe, et il faut l’accepter, au nom de l’amour et de l’accueil des différences », rien d’autre n’a été dit. Presque tous les thèmes, pour ne pas dire tous, ont été survolés. Ça ne fait pas plaisir à entendre, mais c’est comme cela que j’ai ressenti les choses… et je suis loin d’être le seul à le penser ! Je pourrais me taire, ne pas en faire toute une histoire de ces 10 minutes de fin d’émission d’« Homo Micro », garder mon avis pour moi. Après tout, d’autres choses me choquent bien davantage que cette rencontre qui a donné au final une émission réussie et sympathique. Je n’ai même pas été humilié à l’antenne. On m’a laissé libre de m’exprimer, en plus. De quoi je me plains ? Et puis ce Harry qui est si gentil, qu’est-ce que tu vas l’emmerder à écrire cette lettre ouverte ? En fait, plus que l’événement d’hier soir en lui-même, c’est cette censure (sur la question du désir homosexuel) qu’il illustre qui me hérisse. Cette censure imposée même par les soi-disant défenseurs « hétéros » de l’homosexualité, par les personnalités médiatiques qui apportent accidentellement ou de manière improvisée le sujet sur le tapis. Dès qu’on appelle à un peu plus de profondeur et moins d’émotionnel, on nous renvoie à notre « avis » sans le prendre en considération. Ça pourrait être drôle, cet interdit inconscient et bien-intentionné – il me fait rire à certaines occasions –, mais je le trouve aussi inquiétant, ET pour les alliés « hétéros » de l’homosexualité qui n’ont pas pris le temps de réfléchir sur ce qu’ils vantaient, uniquement pour jouer le jeu (pas si désintéressé que cela) de « l’ouverture », ET pour les membres de la communauté homosexuelle qui ne se donnent pas à voir dans les meilleures conditions puisqu’ils se placent en victimes et ne montrent aucune auto-critique. Alors c’est plus sur le silence qui entoure le thème du désir homosexuel que se catalyse en effet ma révolte. C’est le déni de sa violence et de ses ambiguïtés que je me refuse à balayer d’un revers de main, car c’est ce dernier qui est le véritable facteur d’homophobie dans notre société. Actuellement, on parle beaucoup d’homosexualité, mais mal. Les débats n’avancent pas car on continue de marteler à des gens hostiles ou simplement indifférents au désir homosexuel qu’ils doivent à tout prix accepter l’homosexualité (sous peine d’être taxés de « réactionnaires » ou d’« arriérés ») sans leur expliquer pourquoi et en quoi c’est juste… peut-être justement parce que ce n’est pas si juste et si simple que cela.

 

Alors, oui, si ce que nous racontons dès que nous abordons l’homosexualité dans la nuance, c’est réduit à une gentille opinion qu’on peut ranger dans le tiroir des « avis » une fois qu’elle a été entendue sans être écoutée, je n’ai plus qu’à rentrer chez moi, à allumer ma télé imaginaire pour écouter le JT, vivre ma petite vie sans me soucier des autres (vibrer, trembler ou pleurer pour eux remplacera bien l’action réelle que j’aurais posée à leur encontre…). Si c’est le règne du relativisme que nous voulons, allons-y carrément dans les formules tautologiques « Toi c’est toi et moi c’est moi » ou bien « Chacun son avis ». Participons donc tous en chœur à cetteDémocratie de l’Indifférence mutuelle qu’on nous matraque avec un sourire ultra-bright dans nos médias les plus plébiscités, cette démocratie de l’individualisme où tout le monde « a un peu raison et un peu tort » (on s’en fout, finalement, de le savoir : c’est ça la richesse de la diversité, non ?), où chacun « s’aime pareil » tout en s’ignorant dans une uniformité confortable, où on se rencontre sans se rencontrer, où on se voit sans s’effleurer et sans se confronter réellement les uns aux autres de peur de se blesser et de regarder en face notre participation passive à certains systèmes idéologiques totalitaires. Monde lisse et publicitaire. Tu penses ce que tu veux, tu fais ce que tu veux, tu aimes qui tu veux : je t’aime pareil. Tu ne mérites même pas mon opposition : juste mon aval distant et filmé sur pellicule. Tu vis ta vie, et c’est magnifique. Je te regarde en te souriant, mais c’est moi seul, déguisé en généreux, que j’admire, car de ta gueule, je n’en ai rien à faire. Navré, mais moi, ce n’est pas ma politique du respect. Je crois que lorsqu’on aime vraiment quelqu’un, on se doit aussi d’être exigeant avec lui, on ne va pas systématiquement dans son sens, surtout quand il se trompe de chemin ou qu’il ne choisit pas le meilleur chemin possible pour lui. Certes, on prendra le risque de lui dire « non » s’il le faut, de le contrarier par notre avis différent et non-contraire. Mais on est sûrement plus aimant que ses adorateurs qui l’applaudissent les yeux fermés. Il est évidemment peu politiquement correct de souligner que derrière les bonnes intentions il y a eu peu d’actes, peu de paroles profondes, que derrière l’acte solidaire et sincère il y a eu de l’arrivisme et un manque de gratuité. Mais moi, je le dis. Par amour des chemins de Vérité.

 
 

Philippe Ariño, mardi 13 septembre 2010

 

J’ai testé pour vous… et c’est moyen

J’ai testé pour vous… et c’est moyen

 

 

Ce n’est pas que ça ne marche pas, ce couple homo. C’est juste que ce n’est pas forcément à vivre, ni à mettre sur un pied d’égalité que la relation femme-homme aimants ou la relation du célibataire consacré à Dieu. Même si très peu de personnes osent le dire de peur de passer pour des réac’. Moi, je le dis et l’écris. Et maintenant en connaissance de cause. Je l’avais déjà deviné et marqué noir sur blanc dans mon livre. Maintenant, je persiste et signe. Sans fatalisme. Avec une joie renouvelée.

 
 

Regard rétrospectif sur mon livre

 

Nous sommes en 2010. J’ai 30 ans depuis peu… et toutes mes dents. C’est un grand bonheur pour moi de pouvoir revenir sur ce que j’ai écrit il y a 7 ans de cela sans avoir à me désavouer, sans éprouver le besoin de retoucher une seule ligne. Je vis cette expérience joyeuse avec mon livre, comme un père regardant son enfant grandir sans honte et sans mauvaises surprises. Ce soulagement est la preuve que, à travers mes écrits et mes prises de position, j’ai quand même réussi à toucher à quelque chose de la Vérité universelle et atemporelle que je recherche, que je ne possèderai jamais. Quand un auteur a été un peu rapide dans ses jugements, quand il s’est exhibé juste pour jouir d’une notoriété illusoire, du « mas-tu vu », ou pour créer du scandale, il n’a pas envie de se revoir dans son miroir textuel quelques années après. Moi, si : je suis fier de mon livre. Il n’y a que nos approximations réussies de la Vérité qui ne nous font pas peur, qui nous remplissent de la joie de la confirmation. Si c’était à refaire, bien sûr, j’enlèverais les quelques coquilles et fautes d’orthographe qui émaillent l’ensemble du texte (fautes très nombreuses dans monDictionnaire des codes homosexuels ; très rares dans les 2 premiers tomes : Homosexualité intime et Homosexualité sociale). Mais tous ces détails gênants et qui ne font pas « pro » n’entachent pas la fierté renouvelée que j’éprouve quand je relis mon essai. Il m’arrive parfois, quand je tombe sur un passage, de continuer ma lecture sans pouvoir m’arrêter, comme si je le redécouvrais. C’est vraiment, chez moi, de l’émerveillement ; pas une occasion pour m’enorgueillir. Je n’en ai rien à faire de la gloire personnelle. Je n’ai pas écrit ce livre pour moi-même mais pour ce que j’avais à dire. Je regrette seulement que le message de mon essai ne soit pas encore assez connu et relayé par les médias, car il le mérite. Mais j’ai l’intuition qu’il le sera un jour, qu’il ne connaîtra pas le simple succès d’un roman qui fait sa rentrée littéraire et qui retombe dans l’oubli, que mon ouvrage sera ré-édité et aura une longue espérance de vie (on en reparlera dans 30 ans), que ce que j’ai découvert – notamment à travers mon Dictionnaire des codes homosexuels – est réellement visionnaire et constitue une nouvelle grille de lecture des œuvres homosexuelles qui suffirait à justifier la création d’une nouvelle branche des études universitaires gaies et lesbiennes, bien plus grande encore que les Queer & Gender Studies, puisque je découvre encore aujourd’hui, en lisant des œuvres que je ne connaissais pas ou en allant voir des pièces sur l’homosexualité bien après la publication de mon livre, des échos parfaits et absolument improbables à mon Dictionnaire. Pour exemple, pas plus tard que cette année 2010, je me suis rendu à une représentation de la pièce « Le Gang des Potiches » de Karine Dubernet au Théâtre du Petit Gymnase à Paris, une pièce vraiment drôle et efficace. Et à un moment, j’ai halluciné. Alors que j’avais déjà publié mon livre, et qu’à l’évidence l’auteure du « Gang des Potiches » ne connaît pas l’existence de mes écrits, j’ai vu débarquer sur scène le personnage lesbien déguisé comme par hasard en Catwoman. Et ce détail, qui échappe complètement au spectateur lambda, m’a gentiment secoué car il renvoie au code « Catwoman » recensé dans mon Dictionnaire, et donc à l’identification courante de certaines personnes homosexuelles à l’héroïne féline de la B.D. Batman. Ces révélations me font maintenant plaisir et m’ont longtemps étonné. Oui, c’est bluffant. Mon livre m’épate, continue de m’apparaître comme un ouvrage en avance sur son temps. Car j’ai trouvé les bons bouts de la ficelle pour dérouler la bobine de l’homosexualité, les clés de lecture pour décoder tout type de créations parlant du désir homosexuel ; et ça reste pour moi un mystère qui me dépasse en partie, une sagesse qui ne vient pas de moi mais qui m’a été donnée, et que j’ai envie de crier. Il faudrait repasser toute la production artistique et littéraire homosexuelle au crible, à la lumière de mon Dictionnaire des codes homosexuels, et vous verriez que les cavernes d’Ali Baba que possèdent jalousement beaucoup de personnes homosexuelles dans leurs bibliothèques et DVDthèques poussiéreuses s’éclaireraient soudain !

 

J’ai toujours trouvé dommage qu’au moment de la parution de mon livre en décembre 2008, on m’ait demandé si j’avais déjà un autre projet d’écriture sous le coude, alors même qu’on n’avait même pas lu en entier mon essai ni pris la mesure ce que j’avais écrit. Juste une seule critique (une critique assassine, disons-le franchement) avait été faite à l’époque sur Internet… et encore… elle venait, je l’ai su plus tard, de Bruno Bisaro, qui a avoué ne pas avoir lu du tout mon livre et avoir réagi à chaud parce qu’il avait été vexé de se voir cité dans mon Dictionnaire. Sinon, pas un communiqué de presse ; pas de signatures dans les librairies (sauf une à l’Harmattan en janvier 2009) ; pas de forum du livre ; pas une émission de télé à l’époque. Ont sauvé in extremis mon livre de l’anonymat la confiance inattendue de Brahim Naït Balk, l’auteur d’Un Homo dans la Cité (Éd. Calmann-Lévy, 2009), qui m’a permis d’assurer une chronique régulière à l’émission « Homo Micro » sur Radio Paris Plurielle à partir de janvier 2009 (je continue encore aujourd’hui l’aventure radiophonique avec lui), ainsi que la collaboration ponctuelle avec Frédéric Martel pour le site Non Fiction et avec Daniel Conrad Hall pour Les Toiles roses, un petit article d’Anne Delabre dans le supplément de Têtu (mars 2009), une apparition dans l’émission « Y’a une solution à tout » d’Évelyne Thomas sur la chaîne Direct 8 grâce à la journaliste Sandra Gribe en novembre 2009 (mais cette intervention n’était pas directement liée à la sortie de mon bouquin), et surtout la création du site internet L’Araignée du Désert en janvier 2009. Je n’en veux absolument pas à ma maison d’édition L’Harmattan de ce manque d’information au sujet de la sortie du livre. L’Harmattan fait le choix de publier énormément d’auteurs mais a le défaut de n’assurer quasiment aucun suivi post-publication, tant au niveau distribution que communication. Même si les Éditions Actes Sud m’ont dit oui pour la publication du Dictionnaire deux mois trop tard, je ne serai jamais assez reconnaissant à ceux qui, chez l’Harmattan, ont accepté de me faire confiance et de publier l’intégralité des 4 tomes de mon livre. Être édité à l’Harmattan passe auprès de certains professionnels du livre pour une publication à compte d’auteur, une arnaque, ce qui est complètement faux : pour ma part, je n’ai pas eu à débourser un seul centime. Seul bémol : comme cette maison cible moins « ses » auteurs, pour en publier un plus grand nombre que dans les maisons d’édition dites « classiques », elle ne s’occupe que très peu de la vente et de la promo des livres. C’est aux écrivains de l’Harmattan de travailler pour se faire connaître : les éditeurs ne le feront pas à leur place ! Cela dit, l’Harmattan reste une maison d’édition prestigieuse et active partout dans le monde. Elle fait, en plus, confiance à de nombreux auteurs inconnus, et gage sur des nouveaux talents sans penser d’abord à savoir s’ils sont « rentables » ou non : elle a, pour cette raison, toute sa raison d’exister. Après, il n’en reste pas moins vrai que la création du site Internet de mon livre a été capitale et presque vitale pour faire connaître mon livre, même si, au jour d’aujourd’hui, le site n’est rempli qu’au quart de ses possibilités (des centaines d’extraits vidéos et audios dorment encore en réserve et pourraient remplir un « Quiz de l’homosexualité » qui est l’équivalent audiovisuel et illustré de mon Dictionnaire des codes homosexuels : le site de l’Araignée n’en est vraiment qu’à ses balbutiements…).

 
 

Confessions intimes

 

 

Qu’en est-il maintenant de ma vie après le livre, après décembre 2008 ? Est-ce que mon essai a changé quelque chose dans ma façon de vivre l’amour et d’appréhender mon désir homosexuel ? Il est certain que oui. Étant donné que j’ai « brisé » mon célibat continent vieux de 29 ans en janvier 2009, en sortant pour la première fois avec une personne, et en l’occurrence un garçon, certains se plaisent (à tort je crois) à penser qu’il « fallait » que je sorte mon livre pour ENFIN me décoincer et vivre mon homosexualité en conformité avec ce que je serais VRAIMENT. Ils envisagent la publication de mon livre comme une thérapie, un remède contre une maladie ( = l’homophobie) ou une peur injustifiées ( = poids éducationnel et religieux) que j’aurais eue en moi, comme un rite de passage nécessaire entre un désir homosexuel non-assumé et une homosexualité concrète, libérée, heureuse. Je crois qu’ils se plantent en beauté s’ils pensent cela, même si ces projections sont souvent bien intentionnées. Mon livre n’a pas de caractère transitoire du tout, ni libératoire. J’aurais pu l’écrire pareil maintenant que j’ai perdu ma virginité sexuelle, même si je crois que le fait de l’avoir composé sans être sorti avec quelqu’un m’a aidé à le finir, à assumer entièrement mes observations (j’ai remarqué que, dès qu’une personne homosexuelle sort avec quelqu’un du même sexe, elle est soudain tentée de justifier son identité homosexuelle ou l’amour homosexuel à l’excès : elle a, du coup, moins d’énergie pour porter un avis dépassionné et distancé sur son désir homosexuel ; peut-être que si j’étais sorti avec quelqu’un pendant la rédaction de mon ouvrage, qui s’est étalée de 2002 à 2008, je n’aurais pas trouvé la flamme pour le porter jusqu’au bout ; j’en suis presque certain.).

 

Si c’était à refaire, je crois que je n’aurais dû sortir avec aucun des garçons que j’ai rencontrés pendant cette année et demi qui allait de janvier 2009 à août 2010. Je ne parlerai pas de la parenthèse des quatre mois pendant lesquels j’ai envisagé de me marier avec une femme – car, oui, j’ai confondu l’amitié et l’amour aussi avec une fille, pas uniquement avec les garçons, même si là encore, je n’ai jamais renié mon désir homosexuel quand j’étais avec elle, et que je suis resté particulièrement sincère : mon homosexualité m’a dépassé, tout simplement. Au sujet de ces hommes avec qui j’ai vécu une histoire d’amour, je continue de penser qu’individuellement, ce sont des garçons adorables, de qualité. Leur seul tort ne venait pas de leur propre personne, mais d’une part des limites de l’amour homosexuel qui me sautaient très vite à la figure dès que j’entamais une relation et qui m’apparaissaient insupportables sur la durée (je ne sais d’ailleurs pas par quel mystère certains couples de garçons ou de filles arrivent à s’en accommoder pendant 1, 2, 7, 20 ans… Je serais tenté de leur tirer mon chapeau, mais au fond, je les trouve inconscients et excessivement volontaristes), et d’autre part de quelque chose de beaucoup plus positif et de plus fort que ces limites : ma relation à Dieu, un don qui ne peut être serein et vivifiant que s’il est total. On m’a parfois ri au nez quand j’ai dit ça ; on m’a souhaité que je ne me libère jamais de cette bonne drogue qu’est le sexe (car, oui, je l’avoue, j’ai aimé « ça ») ; on m’a dit que cette histoire de relation intime et exclusive à Dieu, c’était chez moi un pur mécanisme inconscient et défensif pour me consoler temporairement de ne pas être tombé sur le « bon » garçon (auquel cas je réponds que je reste sans regret : le « bon garçon » pour moi n’existe pas, si ce n’est dans une relation chaste et non-charnelle génitalement parlant avec Jésus). Pour moi, le problème du couple homosexuel ne vient pas du manque de qualités des individus qui le composent (car pris séparément, ces personnes peuvent être géniales), ni de leur incapacité à aimer – dans un autre cadre conjugal (et je ne pense pas nécessairement au cadre du couple « hétérosexuel » quand je dis ça, bien au contraire !), chacun des partenaires se montrerait moins compliqué, plus joyeux et épanoui. Le problème réside essentiellement en la nature duelle, dispersante, violente, et majoritairement déconnectée du Réel, du désir homosexuel. C’est pour cela que je dis que si mes diverses tentatives de formation de couple homo n’ont pas marché, ce n’est franchement de la faute de personne. Ce sont bien les limites du désir homosexuel qu’il faut pointer du doigts ; pas des individus. Aux quelques garçons avec qui je suis sorti, je demande sincèrement pardon. Car si j’avais été logique jusqu’au bout avec ce que j’ai toujours cru, je n’aurais jamais dû jouer avec leurs sentiments ni avec les miens, avec leur corps et leur âme. Je suis nettement plus responsable et inexcusable qu’eux, car moi, je savais ce que je voulais, je savais ce que je devais faire. Ils me demandent ou me demanderont : « Pourquoi tu l’as fait alors, si tu savais ? » Et c’est bien la seule question à laquelle je ne pourrai pas répondre. Ces essais de couple homo n’ont été ni des grossières erreurs, ni des franches réussites. En tout cas, jamais des expériences obligatoires, nécessaires, et recommandables. Je ne regrette rien dans la mesure où ces histoires (généralement de courte durée : en moyenne 3 jours, au maximum 40 jours) ont existé, ont été vécues dans la sincérité et le respect mutuel, ont été vierges de toute maladie contractée ou de contextes glauques (en plus, ça m’a donné l’occasion de faire un séjour instructif sur les chat de rencontres internet pendant de longs mois… mais autrement, je n’ai jamais connu ni les backrooms, ni les saunas, ni les plages nudistes, ni les parcs, ni le « milieu » de la prostitution, ni des coucheries dénuées de tendresse). Avant la publication de mon livre, on me disait, pour faire la sourde oreille et ne pas écouter ce que j’avais écrit de juste : « Tu as fait un livre sur l’homosexualité, mais tu n’es jamais sorti avec quelqu’un et t’as jamais baisé avec un mec : tu parles de ce que tu ne connais pas ; tout ce que tu dis est très intellectuel et éloigné du réel. » Je me suis lancé en janvier 2009 avec des garçons par auto-démagogie, par souci de me contredire pour prouver mon « ouverture » et ne pas « mourir idiot » (« Y’a que les cons qui ne changent pas d’avis » disent les prophètes beaufs de l’instabilité), par fragilité aussi (car j’ai pris un abonnement Internet illimité depuis octobre 2008 pour les besoins du site de l’Araignée du Désert, alors que je m’étais éloigné d’Internet et de la télé depuis mes 21 ans ; et cette immersion dans le monde virtuel ne m’a pas fait que du bien). Maintenant que j’ai franchi le pas que certains voulaient, je n’ai pourtant pas une seule modification à apporter à mon livre, à part celle-ci : « ‘J’ai testé pour vous’… et je continue de dire que l’amour homo est moyen ». La relation amoureuse homosexuelle n’est ni grave, ni ‘mauvaise’, ni à déconseiller, ni dénuée de bénéfices, ni honteuse. Je peux même dire, avec le peu de recul que j’ai depuis mon récent retour à mon état de vie d’avant janvier 2009, que j’en suis même sorti grandi, un peu déçu et amer certes, mais moins culpabilisé que ce que j’aurais pu imaginé. Et comme je n’ai pas de boule de cristal, je ne peux même pas assurer au jour d’aujourd’hui que je n’y reviendrai pas un jour, à ce rêve de composer une union d’amour avec un homme. Je dis juste qu’« il y a mieux », que « les couples homos amis de mon entourage, j’attends de les voir évoluer parce que je ne suis pas encore assez convaincu par eux ». Et que si vous vous sentez homo et que vous pouvez vous en passer pour laisser l’entière place à Jésus, heureux êtes-vous ! C’est fou, absurde et scandaleux aux yeux des autres, de dire ou d’entendre une chose pareille. Mais heureux êtes-vous quand même ! Ma propre expérience, et ma vie déjà merveilleuse et bien remplie, en attestent. Le bonheur quand on est homo passe par la continence donnée à Jésus. Ça aussi, j’ai testé pour vous. Et j’espère le tester encore longtemps. Ce n’est pas parce qu’on sent en soi un désir homosexuel « réel » qu’on doit forcément s’y adonner. Je pense qu’on vit plus libre si on ne s’y soumet pas.

 

Pour finir, je vous orienterais bien vers un site chrétien qui redit différemment que moi, mais avec une transparence, une précision, une délicatesse, et une exigence remarquables, cet appel scandaleux mais pourtant juste à la continence : http://frataelred.free.fr/temoignage_b.html. Le lien m’a été donné par un garçon qui a mon âge à peu près, et qui est aussi homo, catho, et oscille entre vivre son homosexualité avec un garçon, ou la vivre autrement, dans un don exclusif, total, abstinent, un peu fou, à Dieu. J’en connais très peu, des garçons dans notre situation (peut-être 4 ou 5), hantés par l’idée de former un couple homo qui ne les satisfera pourtant pas, vivant l’angoisse de tout miser (même leurs plus belles années : leur trentaine) pour Dieu, ne se sachant pas guidés ni particulièrement soutenus par l’Église catho, mais qui peu à peu consentent à calmer la tempête en eux, à vivre leur vie au service des autres, sans chercher à tout prix à se mettre en couple. Je suis persuadé qu’ils perdent moins leur temps en se donnant vraiment à leur métier, à leur passion artistique, à la prière, aux autres, que ceux qui passent leur vie sur Internet ou dans les bras d’un homme (puis d’un autre… puis d’un autre…), en alternant les périodes d’un ou deux ans, les amourettes de passage, les jolis voyages, et les projets confortables à deux centrés sur les petits goûts et les petits loisirs du « couple ». La vraie liberté a un prix : la compréhension et la maîtrise d’un désir reçu et donné par Quelqu’un de plus grand que soi. Suivez mon regard…

 

 

Années 1980 : 80% homosexuelles !

Années 80 : 80% homosexuelles!

 

Il y a 3 ans de cela, en 2006, j’habitais à Rennes, la 2ème ville de mes études, en collocation avec une amie peintre, Claire Lardeux, dans l’Avenue Janvier, juste en face de la gare. Pour fêter notre arrivée et connaître nos voisins, nous avions décidé d’inviter tous les habitants de notre immeuble à prendre l’apéro, sans faire aucune sélection sur l’âge, le sexe, le statut social, le nombre… C’était un risque à prendre, mais nous savions que nous ne serions pas déçus ! Nous avons vu débarquer chez nous des convives très divers. Parmi eux se trouvait une voisine âgée de 85 ans, une veuve très dynamique, qui avait toute sa tête et toujours le mot pour rire. Je ne me rappelle plus son prénom, alors on l’appellera Raymonde. Dans mes souvenirs, nous avions joué au « jeu du chapeau » (une invention de mon cru toute bête et très conviviale: il suffit d’écrire sur des petites bouts de papier plein de questions différentes, parfois profondes, parfois anecdotiques, qu’on mélange et qu’on tire au chapeau en les adressant au fur et à mesure à une personne de son choix dans le groupe.). C’est ainsi que nous avons découvert le doux prénom du premier amour de Raymonde. Elle tirait un malicieux plaisir à nous amuser de ses confidences impudiques et coquines. Elle nous a aussi fait découvrir la vie parisienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Et un détail a étonné toute l’assistance : elle a déclaré que ses années d’adolescence furent à ses yeux le plus beau moment de sa vie. Pour nous qui ne jurions que par les manuels scolaires et les documentaires dits « historiques », c’était incroyable d’entendre qu’une époque aussi malfamée que les années 1939-45 avait pu être pour quelqu’un le théâtre du bonheur et de l’insouciance la plus totale. Raymonde a été une adolescente de 15-20 ans, qui a vécu ses premières amours avec l’enthousiasme innocent de la jeunesse, avec l’insolent et triomphant aveuglement de l’enfance qui privilégie toujours la vie à la mort.

Magnifique force d’émerveillement que donne l’enfance. Mais aussi dangereuse capacité d’accoutumance au pire, car tout peut être ré-enchanté, re-écrit, idéalisé, dans l’esprit d’un môme. Je suis convaincu qu’on peut naître à une période trouble et obscurantiste, au milieu des bombes, pendant une terrible guerre, à une époque jugée par certains « superficielle » et « décadente », rien n’entachera pourtant les premières années de notre existence. C’est comme cela que je regarde les années 80 : comme un superbe cadeau, une « Nuit magique » qui me rendra toujours nostalgique, même si ce n’est pas une époque rêvée pour tout le monde, et loin de là (il n’y a qu’à se tourner vers l’Amérique latine des années 80 pour s’en convaincre…).

Toujours en 2006, à l’occasion de la Gay Pride à Rennes et de la semaine d’événements culturels qui l’avait introduite, j’avais amené Éric, un ami homo angevin à la quarantaine bien tassée, à une soirée au Bar gay rennais du Bon Accord. On y diffusait un documentaire que j’avais déjà vu, « Bleu Blanc Rose » d’Yves Jeuland, qui retrace l’histoire du mouvement LGBT français des années 1970 à nos jours. Le visionnage était suivi d’un débat, et c’était celui-ci qui m’intéressait. Je pensais faire plaisir à Éric en le traînant à cette soirée de convivialité. Mais, au moment où ont retenti les premières notes du générique « effrayant » des Dossiers de l’Écran (intégré dans le reportage), j’ai senti mon pote se crisper machinalement. Il m’a avoué en sortant du bar combien se replonger dans cette période où il a vu presque tous ses amis homos disparaître du Sida l’avait déprimé… même s’il s’était détendu en fin de soirée. Je n’avais pas réalisé combien les années 80, si dorées pour moi, sont aussi les plus cauchemardesques pour d’autres…

Je suis un vrai enfant des années 80, pas de doute là-dessus ! Un enfant de la télé, de la société de consommation dans sa phase paillettes et encore bon enfant. Je suis né pile en 1980 en plus. Le jour de l’anniversaire de la mort de Dalida (elle s’est suicidée un 3 mai, quand on me fêtait mes 7 ans, « l’âge de raison » dit-on). Pour moi, les années 1980, c’est le temps du toc sincère, le temps du générique Stade 2 (avec les synthétiseurs des « Chariots de Feu » de Vangelis), des kermesses avec les chorés sur Gold ou Jean-Michel Jarre, des dimanches soirs cafard parce qu’il fallait s’endormir avant le générique de 7/7 d’Anne Sinclair (sinon, ça voulait dire qu’on commençait une angoissante insomnie…), des soirées dansantes de mariages dans les MJC de province avec des hommes aux vestes vert-pomme et rose fushia se trémoussant sur « Partenaire particulier », « Début de soirée », et « Embrasse-moi idiot », le temps des moquettes marron, le temps des marionnettes à la TV (le Bêbête Show, les Fragglerocks, Le Village dans les Nuages, le Muppet Show, etc.), des premiers spots publicitaires dignes de ce nom, le temps des mangas de La Cinq (Jeanne et Serge, Princesse Sarah, Creamy, Oh Lucile embrasse-moi !, etc.), le temps des superproductions américaines (« Les Goonies », « Retour vers le Futur », « Star Wars », « Willow », « Indiana Jones », « Les Dents de la Mer »…) et des nanars français (« La Grande Vadrouille », « Le Gendarme à Saint-Tropez », « La Boom », « Le Père Noël est une ordure », etc.), le temps de l’« exceptionnelle » autorisation parentale de regarder le film de 20h45 le mardi soir, le temps des disques vinyles (pour écouter Anne Sylvestre, Yves Duteuil, Le Petit Prince ou encore Émilie jolie), le temps des playmates du Cocoricocoboy de Collaro le samedi soir, le temps des échographies où on n’y voit que dalle, le temps de la chute du Mur de Berlin, de la mort de Ceauşescu, des otages du Liban (à ce propos, quand j’avais 7 ans, ma maîtresse de CP a rapporté à ma maman que pendant une récré, je lui aurais demandé très spontanément si « les otages du Liban avaient tous été libérés »…), le temps des premiers jeux vidéos, le temps des billes, le temps des élastiques fluos (incontestablement, les années 1980 resteront la décennie des couleurs !), le temps des lunettes de vue énormes (genre les hublots qui faisaient aviateurs) et des brushing monstrueux à la « Dynastie », le temps des maillots de bain une pièce, le temps des voitures Mazda et des Opel Corsa, le temps des caravanes et du camping, des soirées pétanque, le temps des trafics d’images autocollantes PANINI sur la cour d’école, le temps des décors télé exotico-pourris (« Kolé-Séré » et « Il tape sur des bambous » de Philippe Lavil, « Belle-Île-en-Mer » de Voulzy, la Compagnie Créole et Kassav, le folklore « beauf » des Licence 4 ou des Gipsy King, etc.), le temps des chanteurs qui n’avaient pas encore besoin d’avoir un physique de rêve pour être connus (Pierre Bachelet, Philippe Lavil, François Feldman, Carlos, Bernard Menez, Gilbert Montagné, …), le temps des clips glauques, sombres, mais de plus en plus élaborés (« Tainted Love » de Soft Cell, « Relax » de Francky Goes to Hollywood, « It’s a sin » des Pet Shop Boys, « Voyage voyage » de Desireless, etc.), le temps des images en 3D et des performances « techniques » (Est-ce un hasard si le Parc du Futuroscope de Poitiers ouvre ses portes dans les années 80 ?), le temps des émissions pour enfants (Karen Chéryl, Douchka, Dorothée, Chantal Goya, « Récré à 2 », etc.), le temps des films érotiques où c’est si difficile d’y voir quelque chose (merde alors !), le temps des séries débiles (« Pour l’Amour du Risque », « La Croisière s’amuse », « Colombo », « Punky Brewster », « Drôles de Dames », « Arnold et Willy », « L’Homme qui valait 3 milliards », « Dallas », « Starsky et Hutch », etc.), le temps des bals du village sympas et colorés (avec « L’Aventurier », « Boule de Flipper », « C’est l’Amour », « La Chenille », « Life is life », etc.), le temps du trio comique des Inconnus à la télé (fin des années 80 surtout), le temps des grands chanteurs « made in France » (Jean-Luc Lahaye, Jean-Jacques Goldman, Mylène Farmer, Jeanne Mas, Elsa, Vanessa Paradis, Michel Berger, France Gall, Marc Lavoine, Laurent Voulzy, Alain Souchon, Étienne Daho, Francis Cabrel, etc.), le temps des K-way (avec la fermeture-éclair qui se pète vite…), le temps des jeux nazes à la télé (Le Juste Prix, La Roue de la Fortune avec Christian Morin et Annie Pujol, Jeux sans Frontières avec Marie-Ange Nardi et Georges Beller, Tournez Manège, Intervilles avec Guy Lux, Léon Zitrone et Simone Garnier, etc.), le temps des événements télévisuels exceptionnels (Le Téléthon, le bêtisier du 31, Vidéo Gag, les blagues de Bruno Masure, les speakerines, le Top 50, l’émissionLes Enfants du Rock, 30 Millions d’amis, etc.), le temps des cassettes VHS et des cassettes audio à bande magnétique qui se coinçaient dans le poste (irrécupérable…), le temps des pâtes Bolino chimiques, de laVache qui rit, des Chupachups, des Malabars, des sèche-cheveuxCalor, des pubs Ovomaltine (et non pas « Homo Maltine », attention…), de Prosper (le roi du pain d’épice), du jus d’orange en poudre Tang, des pots de colle blanche odorante Cléopâtre, des premières céréales pour le petit-déjeuner (Rice Krispies, Smacks,Frosties, etc.), des pubs Carambar (Abracarambar !!! « Jeanine, tu es sortie sans tes gants ?!? Tu n’as pas honte, Jeaaaanine ??? »), duBanga, de Raider (« deux doigts coupent faim », les ancêtres deTwix), Manpower, « C’est très jus de raisin », etc., le temps des séries françaises rasoirs (Maguy, Marie Pervenche, Papa Poule, Pause-Café, Les Brigades du Tigre, Heidi, etc.), le temps des rebelles (Téléphone, le groupe Europe et son « Final Countdown », U2, Michael Jackson, Madonna, etc.), le temps des cabines de photomaton avec les rideaux orange, le temps de l’émissionApostrophe de Bernard Pivot, le temps de « 40° C à l’ombre », de « T’es pas cap’ », ou encore de « Génies en herbe »,  le temps des pyjamas qui piquent, qui sont délavés et difformes, le temps des sous-pulls atroces et collants (héritage des grands frères nés en 70 : trop sympa, merci ^^), le temps des tapisseries bleu turquoise, violette, orange et marron, le temps des salles de bain, le temps des documentaires SVT avec les fonds sonores 100 % synthés, le temps des soirées diapositives projetées sur grand écran blanc (et regardées 300 000 fois en famille : magique), le temps des gros téléphones à fils en torsades, le temps des télés couleurs à écran gris limite opaque, le temps des soirées Disney Channel avec Zorro (en noir et blanc !) et Winnie L’Ourson présenté par Jean Rochefort, le temps des photos en « mat ou en brillant », etc.

Les années 1980 sont également l’Âge d’Or de l’homosexualité. C’est la première et la dernière fois qu’elle est si visible et flamboyante. Jamais plus elle ne sera aussi décomplexée, incorrecte (l’a-t-elle été vraiment un jour ?) ; jamais plus elle ne retrouvera cet éclat eightiesqu’elle a eu.

Alors quelles raisons peut-on trouver pour expliquer ce lien entre années 80 et désir homosexuel ? J’ai quelques éléments de réponse qui valent ce qu’ils valent.

D’une part, c’est la décennie où apparaît le Sida, maladie qui dans un premier temps a touché majoritairement les personnes homosexuelles, il faut bien le reconnaître (ce n’est qu’en 1990-2000 qu’elle « s’hétérosexualisera » davantage). D’autre part, les goûts homosexuels s’orientent en général vers la nostalgie kitsch, vers le monde sucré et adolescent musico-télévisuel typiquement eighties. Beaucoup d’égéries gay sont des chanteuses ou des actrices provenant des années 1980 (Karen Chéryl, Dorothée, Jeanne Mas, Mylène Farmer, Chantal Goya, Lio, Vanessa Paradis, Madonna, etc.). Il n’y a qu’à constater la population homosexuelle que drainent à Paris des boîtes comme Le Tango ou le Club 18, le Carnaval Interlope de l’Élysée Montmartre, les soirées 80 des « Crazyvores » et des « Follivores » au Bataclan, pour le comprendre. Exprès pour écrire cet article, je me suis d’ailleurs rendu à la soirée « So 80’s Gay Friendly » du 3 mars 2010 dernier au Réservoir à Paris, organisée par l’Œil d’Éros, pour humer cette passion homo-érotique pour cette période. La population homosexuelle aime en général le crépuscule en rouge et noir que représentent les années 80.

Par ailleurs, les années 80 sont aussi la période qui sacralise l’homme-objet et surtout la femme-objet androgyne, ces êtres mi-mythiques mi-réels sur lesquels se sont principalement focalisées les personnes homosexuelles dans leur quête identitaire et amoureuse. Au cours des années 80, la publicité acquiert une vraie place d’honneur dans la société, devient un enjeu politique et commercial de taille. Avant les années 1990, il importait peu pour les jeunes Français de porter des vêtements de marques, par exemple : c’est avec le travail de lobbying marketing des années 1980 que la société de consommation a pu se faire une beauté et soigner solidement son image. Les artistes homosexuels ne sont pas étrangers à cette révolution de l’art et de la société matérialiste : ils en sont le fer de lance. Dans les années 80, les foyers ont commencé à se claquemurer dans leur maison : la télé est devenue omniprésente, un objet incontournable. C’est l’ère du divertissement, de la télé-loisirs, des émissions de variétés, d’un monde où le magazine TV hebdomadaire pèse dans l’organisation pratique des ménages et des familles, où le petit écran apparaît aux esprits faibles comme un fidèle miroir du monde. La réputation des années 80, c’est d’avoir produit du toc, du kitsch, de la pacotille, un art-poubelle. Et pour cause : quand on cherche à produire du naturel via l’artifice scientifique, sentimentaliste, et surtout artistique, on finit toujours par créer du monstrueux, de l’hybride, de l’inachevé, du ridicule, des semi-mensonges, du grotesque ! … puisque la Nature se reçoit et s’entretient : on ne La crée pas, par définition. Les médias des années 80 et leurs consommateurs veulent du « plus que naturel » pour s’évader d’une réalité jugée morne ou banale. Ils s’évertuent à nous montrer que les effets spéciaux cinématographiques sont capables d’être réalistes, que la rencontre du Troisième Type ou d’un terrible requin mangeur d’hommes dans une station balnéaire est probable. Ils créent une Nature maquillée. Ils s’approchent du réel jusqu’à le taillader parfois : rien d’étonnant que les années 80 aient donné naissance aux premiers vrais films d’horreur, aux premiers bons films d’action, et aux premiers films pornos grand public.

Loin de jouer uniquement sur le terrain du commercial et du populaire, les années 80 se sont révélées être un terrain d’expérimentation(s) et de ruptures extraordinaire, un laboratoire d’apprentis sorciers, un Eldorado d’audace, un condensé de tentatives d’indépendance plus ou mieux heureuses. Elles ont fait bon accueil à l’art contemporain par exemple. Esthétiquement, il y a eu de belles trouvailles : je pense notamment au sublime générique de l’émission Champs-Élysées, chorégraphié par les Ballets de Réda, et qui a tellement fait écho à ma fantaisie homosexuelle… C’est dans les années 80 qu’on s’est ouvert aux arts plastiques et audiovisuels, aux bizarreries épate-bourgeois à la Philippe Découflé, aux chaînes de télé expérimentales et « anti politiquement correctes » comme La Sept puis ARTE. S’il y a une valeur qui a été défendue par les années 80, c’est bien celle de l’originalité. Des mouvements artistiques comme La Movida madrilène, très axée sur l’homosexualité, la drogue, et les provocations en tout genre, en fournissent une parfaite illustration… même si, avec le recul, on peut se demander si « l’originalité » en question n’était pas plutôt un poncif petit-bourgeois, une préciosité élitiste, une intention plus qu’une action, un feu de paille né d’un anti-conformisme intellectualisé plus qu’une réalité, une soumission rebelle (par l’inversion) aux normes sociales tant décriées, une convention de l’individualisme ambiant, un slogan marketing « United Color of Benetton ». Les années 80, c’est tout à fait la décennie de l’homosexualité noire et victorieuse, de la confusion des sexes, où la communauté médiatique la plus influente s’attache à nous fait croire que le genre, le maquillage, le regard sur sa propre identité sexuée, et le vêtement, peuvent se substituer au sexe biologique (on voit par là arriver en coulisses la Queer Theorydes années 1990…), où le « tout est permis » à la Rita Mitsouko est encore révolutionnaire, culotté. Les faux rebelles apparaissent. La culture punk underground, la New Wave anglosaxonne (Culture Club, Bronski Beat, Depeche Mode, etc.) battent leur plein et sont les expressions d’une homosexualité agressive, camp, … une homosexualité en fin de règne au bout du compte. C’est l’ère des carnavals, des travestissements : on ne s’est jamais autant déguisés et travestis qu’à partir des années 1980 (pensez à l’émission « Sébastien c’est fou !!! », aux tubes musicaux carnavalesques qui sont nés à cette époque-là : le « Bal masqué » de la Compagnie Créole, la « Salsa du démon » de la troupe du Splendid, la chanson « Maquillaje » du groupe Mecano, etc.). C’est le temps où on commence à maîtriser suffisamment les techniques audiovisuelles pour s’amuser à brouiller les identités sexuées homme/femme. C’est l’heure de gloire des travestis. C’est la décennie de la confusion des identités, non pas de genres, mais des identités sexuées.

Autre raison qui peut expliquer les liens forts qui existent entre désir homosexuel et les eighties : durant cette période, l’artistique prend doucement le pas sur le pouvoir politique pour se substituer à lui. Lestar system – et l’actrice en premières lignes – a visiblement gagné davantage le cœur du Peuple que les présidents et leur cour de ministres. Dans la première moitié des années 1980, les femmes arrivaient sous les traits aguichants de la femme-enfant candide, féminine et parfois affaiblie (Vanessa Paradis, Elsa, Sabine Paturel, Mélody, etc.) ; ce n’est que dans la seconde moitié des années 80 – juste le temps d’une « mise au point » comme le chante Jackie Quartz… – qu’elles ont montré leur masque de femme libérée (Julie Piétri, Caroline Loeb, Lio, À cause des garçons, Lova Moore, etc.), en endossant parfois le blouson de cuir (c. f. « L’Homme à la moto » de Fanny, « Liverpool » de Patsy, « La Légende de Jimmy » de Diane Tell, « Who’s that girl ? » de Madonna, etc.). La chanteuse s’installe au pouvoir pour détrôner et travestir les hommes politiques (jadis puissants, charismatiques, peu démagos), forcés désormais de se « jet-setiser » pour rester visibles et accessibles, de jouer progressivement les potiches, d’accepter qu’une marionnette à leur effigie s’exprime à leur place et soit davantage écoutée qu’eux (LeBêbête Show est plus suivi qu’un discours présidentiel !), de faire la « Une » des journaux à scandale. Dans les années 80, la femme cinématographique a battu l’homme politique sur le terrain des médias : la chanteuse s’improvisant homme d’affaires, la princesse devenant chanteuse, l’homme n’a plus grand chose à faire dans ce tableau ! Les trois symboles forts du phénomène, ce sont Stéphanie de Monaco, Madonna, et Lady Di. C’est la décennie des femmes phalliques. À ce titre, la chanson-phare des années 80 de Michel Sardou « Être une Femme » (« Femme des années 80, mais femme jusqu’au bout des seins, ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme… ») est emblématique, ainsi que « Les Démons de Minuit » du groupe Image (« j’aime cette fille sur talons aiguilles qui se déhanche… »). Pendant les années 80, le matriarcat succède au patriarcat, via les medias. « Fallait pas commencer… » nous a prévenus Lio. La femme-objet a gagné la première bataille : celle des images, leaders d’opinion, qui annoncent le règne des femmes phalliques d’une société occidentale de la douilletterie, de l’homosexualité masculine. Les Prince Charles et autres Albert de Monaco sont des couilles molles, des pédés. Les films seventiesd’Aldo Maccione annoncent la fin de la masculinité qui roule des mécaniques : place aux « losers » type Michel Blanc des « Bronzés », figure d’homosexualité latente s’il en est…

Les années 1980, c’est le temps où les machines commencent à envahir de manière manifeste notre quotidien, mais encore assez gentiment pour préserver en nous l’insouciance, et nous préserver de la dépendance. C’est le passage grisant, drôle, du fantasme à la possibilité visuelle de voir tout type de rêves humains actualisables. On s’amuse pour la dernière fois de voir des scènes comme l’incipitdu film « Retour vers le Futur » qui démarre par une sonnerie de réveil (plus qu’originale : improbable !) enclenchée par une chaîne complexe de roueries réglées comme du papier à musique. Les années 1980, en quelque sorte, c’est l’époque où l’on est passés des fantasmes aux réalités fantasmées. La « réalité fantasmée » est une notion que je développe beaucoup dans mon essai Homosexualité intime (Éd. L’Harmattan). Elle est cette actualisation incomplète, forcément foireuse, au départ amusante mais finalement violente, des désirs d’irréalité et de réification impulsés par les progrès scientifiques, le star-system des années 1950-1970, et la société de consommation qui propose un monde sans limites. Une phrase que j’ai entendue dans le documentaire « Pin-Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton  donne une excellente définition de la révolution qui s’est produite : « Dans les années 80, nous sommes passés du fantasme au réel. » Les années 1980 sont ce moment où l’euphorisant fantasme d’irréalité s’actualise en réveil engourdi et désagréable. On retrouve ce désenchantement dans les mots de Philippe Guy, cofondateur du FHAR avec Guy Hocquenghem, qui parle du retour de bâton de la fête homosexuelle des années 1980. « Nous avons été des déclencheurs, mais nous n’avons jamais voulu ça. Nous avons eu tort et nous avons créé des ghettos et Guy m’a dit, la dernière fois où nous nous sommes vus, au milieu des années 80 : ‘Nous sommes allés trop loin.’ »[1]

Pour moi, les années 80, c’est vraiment cela : le bouquet final d’un feu d’artifice à peine consommé. Les discothèques encore conviviales des années 1980 laisseront place aux boîtes bruyantes et enfumées des années 1990. Les années 80 indiquent l’apogée de la sexualité décomplexée et de la consommation de drogues, mais en sonnent déjà aussi le glas : la chape de plomb du Sida descend sur le Palace ; le Minitel n’a pas l’impact qu’aura Internet et ne marchandise pas trop les rapports amoureux. On s’amuse encore… « mais pas comme avant », comme chante France Gall. On sait que le plus beau char du carnaval (celui de la « Libération sexuelle ») va être brûlé.


 

[1] Philippe Guy cité dans Frédéric Martel, Le Rose et le Noir, Éd. Seuil, Paris, 1996, p. 294.

 

Église catholique et personnes homos : l’absurde opposition, l’absurde amalgame

Église catho et personnes homos : l’absurde opposition ; l’absurde confusion

 

 

Dans la tête de beaucoup de gens, homosexualité et foi catholique ne peuvent pas aller ensemble. Un catho homo est soit un extra-terrestre, un maso, une « honteuse », une « folle bourgeoise »… ou alors carrément un prêtre ! Dans les profils dressés par les internautes gay sur les sites de rencontres homosexuels, quand l’appartenance religieuse est spécifiée, il est massivement écrit « Je suis athée » ou bien « croyant mais non pratiquant ». Il est extrêmement rare de trouver parmi la population homosexuelle des individus catholiques pratiquants et fiers de l’être, et surtout réconciliés avec l’institution catholique. La poignée de catholiques homos se revendiquent solidaires de Dieu mais non de son Église, dont ils se disent injustement rejetés. Cette frontière entre homosexualité et foi n’est pas uniquement le fait des personnes homosexuelles, croyantes ou non. Elle est aussi construite par les croyants catholiques dits « hétérosexuels » qui affirment défendre la famille et ne pas manger à la même table des êtres « au penchant mauvais ».

 

 

Les dissensions entre la grande majorité des personnes homosexuelles et l’Église catholique ne datent pas d’hier. Lorsque les artistes homosexuels abordent iconographiquement le sujet religieux, ils choisissent presque toujours en toile de fond la perte de la foi et le blasphème. Mais parfois, la frontière entre agression picturale envers le clergé et agression réelle est franchie, et ceci, de plus en plus ouvertement et impunément (c. f. l’interruption de la messe de Notre-Dame de Paris en 1991 par Act Up, le mépris quasi systématique des ecclésiastiques ou des théologiens moralistes lors des débats télévisés ; l’altercation entre des catholiques intégristes et les participants au récent « kissing » devant Notre-Dame de Paris ; etc.). Beaucoup de personnes homosexuelles dénigrent la religion, alors que leur désir de foi occupe paradoxalement une part importante de leur identité de femmes et d’hommes. Seul ce que nous idolâtrons et aimons mal en croyant l’aimer follement peut nous trahir, et donc mériter à nos yeux notre vengeance. Ce qu’écrit Marguerite Radclyffe Hall dans Le Puits de Solitude (1928) est, pour cette raison, d’une étonnante actualité : « De nombreux invertis étaient profondément religieux et c’était sûrement l’un de leurs plus amers problèmes. »[1]

 

L’Église catholique en veut-elle vraiment aux personnes homosexuelles ? Vu ce qu’en montrent certains media, elles ont apparemment toutes les raisons de le croire. Et dans les faits, quelques-unes ont fait l’objet de réels rejets de la part d’ecclésiastiques et de certains fidèles à une époque où elles cherchaient une main tendue. Par conséquent, elles en déduisent que foi et homosexualité sont totalement incompatibles. Du côté des Évangiles, rien ne sert d’euphémiser. Le peu que dit la Bible sur les actes sodomites est sans appel : les actes génitaux et érotiques homosexuels ne sont pas acceptés[2], et depuis 2000 ans, l’Église n’a pas changé d’un iota son discours les concernant. Le Pape actuel, Benoît XVI, a bien écrit, lorsqu’il était encore cardinal, que les actes homosexuels étaient « intrinsèquement désordonnés »[3]. Tout semble donc indiquer que l’Église actuelle ne changera pas d’orientation quant à l’homosexualité pour les années à venir.

 

Cependant, si l’on prend un peu le temps de s’y intéresser, on découvre que la plupart des exclusions de personnes homosexuelles au sein de l’Église catholique, quand elles ont réellement eu lieu et qu’elles ne sont pas le fruit de projections farfelues, de susceptibilités et de paranoïas en tout genre (ce qui est plutôt rare !), restent des cas très isolés. S’il y a rupture entre l’Église et la communauté homosexuelle, elle est due dans son ensemble à certains croyants et ecclésiastiques qui n’en méritent même pas le nom parce qu’ils utilisent la foi plus pour haïr les autres que pour les aimer, et à des personnes homosexuelles qui s’écartent de l’Église en se prenant pour leurs actes et en partant du principe qu’elles seront jugées avant même de vérifier concrètement si cela serait vraiment le cas.

 

Par ailleurs, il est très exceptionnel d’entendre un prêtre ou un fidèle catholique encourager une personne homosexuelle à se convertir à l’hétérosexualité ou à refouler ses penchants homosexuels « mauvais » et « transitoires ». Parmi les prêtres que nous sommes amenés à rencontrer (et qui se disent parfois ouvertement homosexuels, mais ces derniers sont plus rares que les media ne le croient), certains encouragent même à la conjugalité homosexuelle. La seule réaction négative qu’on peut parfois trouver n’est pas le rejet mais la déception ou la tristesse, surtout de la part de vieux prêtres peu à l’aise avec la question. Cette réaction s’explique en partie par le choc culturel ou générationnel : il n’est pas toujours facile pour certains clercs de s’adapter aux réalités d’un monde en mutation accélérée… En plus, ils ne voient pas beaucoup de jeunes croyants dans leurs églises occidentales. Quand ces derniers leur annoncent la bouche en cœur qu’ils sont homos, alors même que ces curés âgés les accueillaient avec un enthousiasme juvénile, d’un coup d’un seul, la baraque s’écroule à cause d’un petit mot, « homosexualité », qui leur évoque à la fois une réalité qu’ils ignoraient il y a encore cinquante ans de cela et qu’ils ne veulent pas, à juste titre, valider en tant qu’« identité profonde de l’individu », ou bien qui les renvoie directement à leur propre expérience – parfois vacillante – de la sexualité et aux curieux scandales de pédophilie qui secouent l’Église catholique (je dis « curieux » car en proportion, il y a très peu de prêtres pédophiles comparé d’une part à la population masculine dans sa majorité, et d’autre part à l’ensemble des prêtres qui fait aujourd’hui un travail admirable de par le monde et dont les media ne parlent jamais. Les religieux, par leur choix de vie particulier et leur expérience souvent heureuse de la chasteté et du célibat continent, rappellent à leur société ses propres frustrations et son enchaînement à la génitalité, … donc forcément, ils ne sont pas souvent appréciés à leur juste valeur).

 

 

Concernant plus particulièrement les textes évangéliques, il semble démesuré de dire qu’ils sont homophobes. Ils ne se réfèrent pas une seule fois à l’identité homosexuelle, aux personnes homosexuelles, ni à l’homosexualité – dans le sens où la société l’entend aujourd’hui, à savoir une union d’amour entre deux personnes adultes identitairement déterminées par leur orientation sexuelle –, mais uniquement à un certain désir et aux actes qu’il implique parfois ; et encore… La mention de ceux-ci est perdue dans une liste de pratiques répertoriées comme peccamineuses par saint Paul, dans le contexte très particulier des persécutions des premiers chrétiens. Les lignes traitant directement des actes sodomites dans un ouvrage aussi gigantesque que la Bible ne se comptent même pas sur les doigts d’une main. Il est donc erroné de croire que la Bible parle d’homosexualité. Les paroles de Jésus, d’ailleurs, n’en font jamais mention.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ne retiennent que les passages bibliques où les actes homosexuels sont lourdement condamnés. Mais elles délaissent ceux qui leur offrent des perspectives plus larges, car elles ont réellement le désir d’être maudites par le Ciel[4]. Manque de chance : la Bible n’est pas aussi dure avec elles qu’elles ne le voudraient. Dans sa lettre aux Éphésiens (3, 2-3), saint Paul révèle ce qu’il appelle « le mystère du Christ » : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » La Bible n’a jamais énoncé que toutes les personnes homosexuelles grilleraient en enfer, ni qu’elles seraient sauvées à la condition de revenir sur le droit chemin et d’arrêter d’être homosexuelles. Elle dit carrément qu’elles sont déjà les premières sur le chemin de la sainteté, puisque la sainteté est d’abord don de Dieu avant d’être une question d’actes et de mérites personnels : « En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu »[5] déclare Jésus (J’aurais pu également vous citer Gen, 18, versets 20-32). Les prostituées évangéliques précèdent les justes dans le Royaume des Cieux, non parce qu’elles sont réellement exemplaires, mais parce qu’elles espèrent le Salut tout en sachant que leurs actes n’y donnent pas droit. Elles attendent avec plus de foi la miséricorde reçue de Dieu que de bons croyants pétris de certitudes, qui n’espèrent rien de Lui, et qui se font auteurs de leur propre rédemption. Dans la Bible, il est marqué noir sur blanc que Dieu ne choisit pas des gens parfaits pour annoncer son Royaume, mais des fous. Je crois personnellement que ce sont elles, les « folles », qu’Il élit pour le révéler. « Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages. »[6]Toute personne homosexuelle est donc, selon les Saintes Écritures, élue par Dieu pour l’annoncer, au même titre que tous les Hommes. À entendre le discours biblique, il n’y a donc aucune incompatibilité entre sainteté et homosexualité !

 

De même pour le discours officiel de l’Église catholique, je ne pense pas que la présomption d’homophobie pesant sur la Curie romaine soit valide. Le Pape Jean-Paul II est considéré par certains militants gay comme « l’une des voix les plus clairement homophobes de notre temps »[7], alors qu’il n’a jamais prononcé une seule fois le mot « homosexualité » de son vivant, ni condamné les personnes homosexuelles. Trois petits articles du Catéchisme de l’Église Catholique de 1997[8] abordent le sujet directement, en des termes certes explicites mais qui ne se dirigent pas contre les personnes homosexuelles, et encore moins contre « les homosexuels », mais simplement contre les actes homosexuels.

 

L’Église catholique n’a jamais dit que les personnes homosexuelles étaient pécheresses du fait d’être homosexuelles. Au contraire, Elle est désireuse d’accueillir les personnes qui se disent « homosexuelles », en prenant soin de dissocier les actes des individus qui les posent, ou bien les individus de leurs désirs de surface. Selon Elle, la parole graciante de Dieu reçue dans la foi justifie le pécheur, jamais le péché. Il ne peut pas y avoir d’état de péché de l’homosexualité pour la bonne et simple raison que le péché réclame la liberté et que les personnes homosexuelles n’ont pas choisi d’être homos. Nous ne pouvons pécher qu’en actes et en désir ; pas en tant que personne humaine, étant donné que l’Humanité a été rachetée en Jésus. Toute la difficulté est dans cette distinction apparemment limpide entre être et faire. À une époque où les media nous invitent à définir l’individu par ses actes – surtout génitaux – et ses désirs violemment actualisés, il apparaît en effet complètement hypocrite de faire la distinction entre les actes homosexuels et la personne homosexuelle. Mais en réalité, c’est le fait d’opérer l’amalgame entre l’être et le faire qui enferme l’individu, et non la distinction entre les deux. Démêler l’être et le faire, c’est reconnaître l’existence de notre liberté, nous sauver du déni et de la diabolisation de nous-mêmes. Certes, nous sommes toujours un peu le reflet de nos actes dont nous avons à porter la responsabilité. Mais aux yeux de l’amour et de la foi, un Homme reste toujours plus grand que les actes qu’il a commis, si graves et honteux soient-ils. Pour l’Église catholique, ce qui compte d’abord, ce sont les personnes. Il me semble qu’Elle a tout à fait raison de dissocier la pratique sexuelle de l’identité sexuelle : c’est son entêtement à marquer la frontière qui crée le lien entre foi et homosexualité, qui dit que les personnes homosexuelles ont tout à fait leur place dans l’Église en tant qu’Hommes habités par un désir homosexuel réel et reconnu comme tel, et non simplement en tant qu’Hommes comme les autres ou en tant qu’« homosexuels ». Les personnes homosexuelles ne sont pas comme les autres, et l’Église ne tient absolument pas à ce qu’elles changent foncièrement. Elle souhaite simplement qu’elles mettent leur identité la plus profonde, celle d’Enfants de Dieu, avant leur identité secondaire de personnes homosexuelles.

 

Par ailleurs, à travers tous les motifs iconographiques mis en exergue dans mon livre pour montrer que le désir homosexuel est davantage un désir déstructurant qu’un désir humanisant[9], il nous est possible de mesurer l’intelligence et l’étonnante modernité du message ecclésial sur l’homosexualité. L’Église catholique a tout à fait raison de reconnaître le couple homosexuel comme une réalité fantasmée plutôt que comme une réalité positive à promouvoir universellement. Quand le Pape Benoît XVI énonce que les actes homosexuels sont « intrinsèquement désordonnés », j’abonde dans son sens. L’inclinaison homosexuelle tend en effet vers des comportements par nature unifiants-dispersants. C’est son essence. Il a osé le dire, ce qui est courageux de sa part.

 

Nous pourrions penser que le conflit entre la communauté homosexuelle et l’Église s’origine sur une accumulation complexe de débats concernant une infinité de sujets (et surtout ceux qui ne se rapportent qu’aux points de morale sexuelle : virginité avant le mariage, contraception, célibat des prêtres, ordination des femmes, préservatif, avortement, etc.). En réalité, c’est plus simple que cela. Il n’y a qu’un seul point doctrinal créant le litige entre la communauté homosexuelle et l’Église catholique : il s’agit de la divergence de compréhension du péché originel[10], et plus radicalement de la foi – ou le manque de foi – en la primauté du Bien sur le mal, en l’originalité-finalité radicale de Dieu. Pour l’Église catholique, le péché est postérieur à la création de l’Homme – il est secondaire et non-essentiel à l’être humain puisque Dieu, l’alpha et l’oméga de l’existence du monde, l’a vaincu –, alors que pour la grande majorité des personnes homosexuelles, il est antérieur et donc essentiel à l’Homme. Comme le souligne à juste raison Flora Leroy-Forgeot à propos du désir homosexuel, « la dualité entre inné et acquis ainsi qu’entre primaire et secondaire est sous-tendue par la référence culturelle au péché originel : pour l’Église, le bien est primaire et le mal est secondaire. »[11] En posant l’existence de Dieu et du Désir avant l’existence de l’Homme et de ses désirs humains mi-bons mi-mauvais, l’Église catholique affirme que le désir homosexuel n’est ni totalement inné ni totalement acquis – il est peut-être les deux –, mais en plus, qu’il n’est pas le désir profond qui a aimé l’Homme en premier, à savoir le Désir divin, ce qui ne manque pas de gêner la communauté homosexuelle qui voudrait diviniser le désir homosexuel et l’Homme qui le ressent pour les rendre totalement innés/auto-créés ou totalement acquis/objets, complètement bons ou complètement mauvais. L’Église catholique ne veut pas d’une part confondre l’Homme avec ses désirs de surface, ni d’autre part le considérer comme un fétiche. Elle souhaite au contraire lui reconnaître son identité profonde d’Enfant de Dieu, et insister sur le fait que le Bien est plus fort que le mal et que les désirs duels, chose qui paraît inconcevable à beaucoup de personnes homosexuelles qui pensent que le péché originel a séparé à jamais l’Homme de Dieu, et a fait de l’être humain un dieu tout-puissant divisé et un diable. La majorité des personnes homosexuelles postulent que le mal est premier et le Bien est second – ou, ce qui revient presque au même, qu’ils sont deux forces équivalentes s’annulant l’une l’autre[12] –, contrairement à l’Église qui place Dieu aux extrémités de l’existence humaine et qui ne parle pas du désir homosexuel en termes de mal ou de Bien, mais de désir secondaire par rapport au grand Désir qui a habité l’Homme en premier et qui, si l’être humain l’accepte, le consumera éternellement à la fin des temps. Là où l’Église dit qu’à l’origine est le Verbe de Dieu, c’est-à-dire la Parole de vie, la communauté homosexuelle réplique, comme Didier Éribon dans Réflexions sur la Question gay, qu’« au commencement il y a l’injure ». Seul le regard sur l’origine de la vie change.

 

Généralement, les personnes homosexuelles ne font que dresser sur le véritable visage de l’Église la toile de leurs propres fantasmes. Pour se venger de celle qu’elles ne connaissent que de loin ou trop mal, elles en constituent des clichés à la sauce libertine. Nous voyons toujours dans leurs fictions les mêmes personnages : les nonnes violées, les prêtres pervers ou rétrogrades, les gamins pissant dans les bénitiers, les femmes bigotes, leurs maris frustrés et angoissés, les croyants fondamentalistes illuminés, les papes homos, les Christs transsexuels, etc.. Ces portraits se veulent ultra-corrosifs et inédits, alors qu’en réalité, elles seules, avec la petite nébuleuse des catholiques intégristes dont elles pourraient gonfler (ou gonflent) sensiblement le nombre, arrivent encore à les trouver réalistes et à s’en offusquer. Nous les entendons figer l’Église à une époque virtuelle (médiévale… ou carrément futuriste, avec un Dieu-businessman !) par des abus de langage complètement caricaturaux et des anachronismes qui seraient risibles s’ils traduisaient une provocation lucide/utile. Seulement, les guerres de religion, les commandos anti-IVG, l’Inquisition, la colonisation sauvage, la misogynie de certains clercs, la collaboration aux régimes fascistes, le massacre de la Saint Barthélemy, le silence sur les camps de concentration, la période d’appât du gain et du pouvoir de l’Église-institution, l’interdiction absurde de certains ecclésiastiques sur le préservatif, les violations de la dignité humaine au nom de l’annonce de l’Évangile, les scandales au sujet des prêtres pédophiles (dont on entend énormément parler en ce moment), l’insupportable et racoleuse « papemania » JMJiste, la condamnation religieuse « des homos », certaines missives assassines de Tony Anatrella, le christianisme stigmatisant les plaisirs corporels, ne sont que des détournements de l’Église, qui ne disent rien de l’Église elle-même.

 

 

Seules certaines personnes homosexuelles, aux côtés de la poignée de croyants (méritent-ils de s’appeler « catholiques » ?) intolérants voulant envoyer la communauté homosexuelle en enfer à cause de leur interprétation littérale de la Bible, construisent la mystique catholique homophobe. En effet, qui, je vous le demande, se focalise sur le lien entre homosexualité et péché, avant d’attribuer leurs propos mensongers à l’Église réelle, sinon elles ?[13] L’Église catholique ne considère pas le péché comme originel – pour elle, seul l’amour est originel ! – ni comme proprement homosexuel. De même, jamais l’Église catholique n’a fait l’association du Sida à une punition divine, à un châtiment de Dieu bien mérité, comme cela est par exemple montré dans le documentaire « L’Homophobie, ce douloureux problème » (2000) de Lionel Bernard. Il n’y a que les sectes millénaristes et certains membres de la communauté homosexuelle qui ont transformé la maladie en matraque céleste destinée spécifiquement aux personnes homosexuelles.

 

Actuellement, la confusion qu’opèrent beaucoup d’individus homosexuels entre l’Église catholique et les sectes « chrétiennes » de souche protestante (ou catholique intégriste), particulièrement prolifiques aux États-Unis et dans le reste du monde, relève d’une profonde méconnaissance de la réalité religieuse actuelle[14]. Dans leurs films, un certain nombre de réalisateurs homosexuels tracent le portrait de membres complètement illuminés de ces protestantismes frelatés, cultivant ainsi les amalgames les plus caricaturaux dans l’esprit des spectateurs européens non-avertis qui, en mettant toutes les religions dans le même panier, sont tentés de les confondre avec les croyants catholiques. Les groupes Exodus, Homosexual Anonymous, Ex gay, Focus on the family, l’association mormone Evergreen, apparus aux États-Unis dans les années 1970, avec leurs télévangélistes, leurs grandes messes émotionnelles, et leurs thérapies collectives pour « soigner les homos », n’ont rien à voir avec l’Église catholique ni l’Église protestante traditionnelle. Quant aux associations homosexuelles chrétiennes actuelles en France – Devenir Un en Christ, David et Jonathan –, elles ne sont pas des associations d’Église, c’est-à-dire commanditées par le Vatican, mais simplement des confédérations créées à côté de lui pour bien souvent le contester. Quand on sait en plus qu’actuellement, elles ont tendance à se diriger massivement vers l’agnosticisme et le protestantisme, nous comprenons très vite qu’elles ne méritent même pas le titre d’« associations homosexuelles catholiques ».

 

Au lieu de se désintéresser de l’Église, beaucoup de personnes homosexuelles sont obsédées par elle, ou plutôt par l’image diabolisée ou sacralisée qu’elles s’en font et qu’elles cherchent à incarner. Comme elles ne veulent pas s’attacher à une institution ecclésiale en particulier, elles se plient à un fondamentalisme athée – elles disent « humaniste » –, à une religion qui n’est pas encore clairement cataloguée socialement comme telle, mais qu’elles pensent être la seule juste. Nous pourrions la baptiser comme on veut : « Home-made Gay Religion », ou bien « Culte de l’Être suprême (= l’androgyne) », « Spiritualités plurielles et cosmiques », « Religion désincarnée », « Individualisme hédoniste et universaliste », « Secte des Cultures homosexuelles », « Gay Church », etc. Elles sont assez portées sur l’ésotérisme, les spiritualités de supermarché, la religion à la carte. Ce qui les attire dans la foi, c’est en général l’émotionnel collectif, la sensiblerie, la superstition, la magie, le spectaculaire, la sensation de bien-être, le refuge contre les épreuves de la vie, le recentrement sur soi… bref, tout ce que la foi authentique n’est pas mais qu’elles prennent pour la foi réelle et qu’elles attribuent aux « mauvais croyants » (parce que le pire, c’est que beaucoup d’entre elles se prennent pour les seuls bons croyants !). Leur fascination pour la religiosité-loisir, l’occultisme, le paranormal, les bondieuseries, les miracles, les philosophies New Age, les messes noires, etc., est connue[15]. Le plus sérieusement du monde, elles composent une parodie ecclésiale censée faire contrepoids à la réalité religieuse qu’elles ne connaissent pas – ou de trop près –, et qu’elles ont diabolisée à force de l’idéaliser. Loin de parler de rejet par rapport à l’Église catholique, on pourrait dire qu’il s’agit plutôt d’une adoration inversée. Beaucoup de personnes homosexuelles construisent une version transversale de la religion pour se convaincre ensuite que la caricature nouvellement créée est fidèle à la vraie religion, et pour rejeter ouvertement devant les autres et la vraie religion et sa caricature… comme cela, elles se gargarisent de faire d’une pierre deux coups.

 

 

Cette passion inavouée pour l’« Ennemi catholique » se traduit en général chez elles par une imitation inconsciente et volontaire des caricatures qu’elles se sont faites de lui. Elles adoptent souvent de l’Église une version kitsch en ne choisissant de portraiturer que des grenouilles de bénitiers frustrées et superstitieuses auxquelles elles s’identifient, parce que ces grenouilles, ce sont partiellement elles quand elles obéissent à leur désir homosexuel : la bourgeoise-prostituée pénétrant dans une église après s’être fait violée est une icône gay classique[16]. Elles reprennent dans leurs écrits les thèses libertines traditionnelles – telles que l’union homosexuelle de Jésus et de saint Jean, la liaison entre Marie-Madeleine et Jésus, l’amitié biblique entre David et Jonathan, ou entre Ruth et Noémie, l’homosexualité de saint Paul, etc. –, utilisent abondamment les symboles christiques, fondent des congrégations – notamment les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence –, suivent fidèlement le Pape dans tous ses déplacements (l’Europride à Paris en 1997 juste après les Journées Mondiales de la Jeunesse ; la première Worldpride à Rome, toujours après les JMJ de Rome en 2000 ; la Worldpride de Jérusalem en 2005 ; la présence d’un groupe de militants homosexuels aux JMJ de Cologne en 2005 ; etc.), font de leurs rassemblements ou de leurs concerts de grandes messes-show. Elles réemploient (sans s’en rendre compte ?) le langage étiqueté religieux de leurs supposés ennemis, pour le détourner à leurs fins (on peut entendre des sujets transgenres dire avec une conviction grave qu’il nous faut « suivre le Droit Chemin de l’homosexualité »[17]). Elles ne font que reproduire ce qu’elles jugent aliénant chez les croyants pratiquants. La preuve qu’elles sont dans la projection par rapport au clergé, c’est qu’elles pensent que tous les prêtres catholiques sont des personnes homosexuelles refoulées[18]. Nous les entendons parfois dire avec assurance que 30 % des prêtres seraient « de la jaquette »[19]. Cette légende sur l’homosexualité refoulée des prêtres[20], parfois actualisée chez les ennemis des personnes homosexuelles ou chez leurs adorateurs, n’est majoritairement effective que sur les écrans, même si elle est relayée par les quelques figures cléricales médiatiques qui ont fait des coming out tapageurs (Salvador Guasch, José Montero, Jacques Perotti, Franco Barbero, Jacques Laval, Michel Bellin, Antonio Roig, Ernesto Jiménez, etc.)et qui se présentent comme les prophètes d’une nouvelle Église, plus « ouverte » et plus « tolérante » que l’Église de Rome[21]. Visiblement, beaucoup de personnes homosexuelles se sont confondues avec la caricature d’Église qu’elles ont créée…

 

 

Maintenant, concernant l’Église catholique – qui reste une masse humaine très hétéroclite, je le rappelle –, il faut reconnaître qu’il Lui reste aussi beaucoup de chemin à parcourir sur la question de l’homosexualité (… c’est peu de le dire !). Des penseurs catholiques comme Véronique Margron, Xavier Thévenot, Xavier Lacroix, ont fait énormément avancer la réflexion chrétienne sur le désir homosexuel par leurs écrits et leur douceur. N’en déplaisent à leurs détracteurs qui ne les ont même pas écoutés du simple fait qu’ils sont catholiques ou ecclésiastiques, ces intellectuels sont d’une ouverture étonnante[22]. Mais il reste des exceptions malheureusement.

 

Il ne faut cependant pas trop vite condamner les croyants catholiques. Je crois que leur fermeture et leur méfiance viennent plus d’une ignorance peureuse (qui repose parfois sur une croyance homophobe selon laquelle la connaissance de l’homosexualité n’appartiendrait qu’aux seuls « homosexuels ») que d’une fermeture ou d’une mauvaise volonté. Il faut reconnaître que la définition du désir homosexuel est objectivement difficile à faire (y compris la communauté homosexuelle la fuit ou l’empêche), car il ne s’agit ni d’un désir mauvais ni d’un désir pour autant idéal… donc avec ça, on a plutôt intérêt à tourner plusieurs fois la langue dans notre bouche avant d’en parler ! Personnellement, il m’aura fallu 6 ans pour définir ma gêne concernant l’homosexualité… alors je comprends aisément qu’une personne néophyte ou peu plongée dans la culture homosexuelle se sente démunie pour se positionner rapidement sur la thématique du désir homosexuel. Pour autant, je constate sur le terrain, étant moi-même une personne homosexuelle catholique-pratiquante, une frilosité et un retard considérable d’une grande partie de la population catholique, y compris de personnes éclairées et vivant dans des pays occidentaux. Il est, à mon avis, désolant d’entendre encore de la bouche de la majorité des personnes catholiques des arguments aussi simplistes que : « L’homosexualité, ce n’est pas dans le projet de Dieu car c’est dit dans la Bible. » ; «L’homosexualité n’est pas normale et le couple homosexuel rejète fondamentalement l’altérité. » ; « Dieu a créé l’homme ET la femme. Ce n’est pas par hasard. » Plus inaudibles encore sont les formules compassionnelles du genre : « L’Église, à la suite du Christ, nous apprend à toujours haïr le péché, mais à aimer les pécheurs. »J’ai l’impression qu’on est restés encore à l’âge de pierre quand j’entends ce type de discours. Intellectuellement, je les comprends, et parfois je pourrais les justifier. Mais je trouve qu’ils sont dénués de réflexion sur le désir homosexuel, sur les liens entre désir homosexuel et désir hétérosexuel, sur les liens non-causaux entre désir homosexuel et viol. Ce sont des arguments formulés par des individus qui se planquent derrière la Bible, derrière de beaux principes (la différence des sexes, l’accueil du pécheur, la guérison, etc.), pour ne considérer ni les personnes ni les drames qu’elles ont pu vivre. À propos de l’homosexualité, c’est comme si l’Église catholique arrivait au bon résultat par un mauvais chemin, un raisonnement bancal (… donc finalement, on n’est plus vraiment sûr de la justesse du résultat). Globalement, je trouve qu’Elle n’a pas encore trouvé ses mots pour parler d’homosexualité[23]. Par exemple, on ne sait pas ce qu’elle met derrière le terme flou et fourre-tout d’« actes homosexuels » (Pour moi, il n’y a pas qu’une seule manière de vivre son homosexualité ; tous les « actes homosexuels » ne sont pas mauvais : cela dépend de notre manière de vivre notre désir homosexuel, et celui-ci ne se vit pas qu’en termes génitaux ou violents). Autre exemple d’imprécision lexicale : l’Église fait trop souvent la grossière erreur d’employer le terme « hétérosexuel » comme synonyme de l’amour femme/homme alors qu’à la base, l’hétérosexualité est historiquement une défense de la bisexualité voire de l’homosexualité (Rappelons-le, le désir homosexuel et le désir hétérosexuel sont jumeaux ; et les couples hétérosexuels sont l’inverse des « couples femme/homme aimants »[24]) Et que dire des dérapages du Père Tony Anatrella, qui a pourtant beaucoup de mots justes, mais qui fait l’erreur de transformer l’amour homosexuel en parfaite antithèse de l’amour femme-homme en sacralisant la différence des sexes (« L’amour conjugal est le propre d’un couple formé entre un homme et une femme. L’attachement homosexuel est aux antipodes de ce type d’amour qui implique d’être dans l’altérité sexuelle. »[25]) ? … alors que chacun sait que d’une part il ne suffit pas que la différence des sexes soit là pour qu’elle soit respectée (bien des couples homosexuels s’aiment d’un amour plus fort que des couples composés d’une femme et d’un homme), et d’autre part que la différence entre couple homo et « couple femme/homme aimant » (je n’ai pas dit « hétérosexuel ») ne se dit pas en termes manichéens de « mal » et de « bien » mais se joue plutôt entre le « bien » et le « meilleur » (le bien ou le convenable – et quelques rares couples homosexuels de notre entourage sont « bien et convenables » – ne se convertit pas en « mauvais », en « laid » au contact du meilleur… même si la préférence pour le « meilleur », encouragée par l’éthique et la morale, hiérarchise forcément.)

Oui, parfois, j’ai mal à mon Église. Si imparfaitement humaine. Celle qui est formée des premiers pécheurs. Celle qui me suspecte parfois de « prosélytisme » ou de « relativisme » uniquement parce que j’évoque l’homosexualité sans la défendre. Celle qui ne parle que très rarement de nous, les « hommes homosexuels »… sauf pour nous dire qu’Elle nous accueille à la condition que nous changions, que nous nous taisions, que nous guérissions. J’aimerais que certains paroissiens que je connais n’aient pas peur d’appeler un chat « un chat », que par exemple ils ne remplacent pas la mention des personnes homosexuelles dans les intentions de prière universelle par des phrases passe-partout où la minorité homosexuelle a du mal à s’identifier (« Seigneur, nous te prions pour tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Apporte-leur ta lumière… »).

 

 

J’aime mon Église. Je l’aime à tel point que je comprends même qu’Elle se méfie du désir homosexuel, de son essentialisation sous forme d’« identité homosexuelle éternelle » ou d’« amour équivalent à l’amour femme/homme aimants ou à l’amour homme/Dieu ». Je comprends par exemple, non qu’Elle refuse, mais bien qu’Elle soit prudente concernant l’accueil des personnes homosexuelles dans les séminaires[26] (moi-même, je suis réticent à ce qu’une personne ayant une structure homosexuelle relativement fixe s’engage dans la prêtrise : pour qu’un homme soit un bon prêtre, bien dans ses baskets, il doit être suffisamment réconcilié avec son corps, son passé, avec les autres… et le désir homosexuel témoigne davantage d’un déséquilibre, d’une fermeture à la différence et au monde que d’une ouverture, en effet. Le désir homosexuel est le signe d’une blessure/fragilité qu’il convient de reconnaître, tout en privilégiant le cas par cas). Par ailleurs, je comprends que l’Église qualifie certains actes homosexuels d’« intrinsèquement désordonnés » (j’ai moi-même étudié dans mon livre la notion de désordre dans les œuvres homosexuelles et dans la vie des personnes homosexuelles). Et je cautionne l’appel ecclésial lancé aux personnes homosexuelles à la continence et à l’abstinence sexuelle (un appel pourtant scandaleux aux oreilles de beaucoup de personnes homosexuelles). Et c’est parce que j’aime mon Église, que je partage sa gêne concernant le désir homosexuel et que je La veux en voie de sanctification, que j’accepte encore moins l’idée qu’Elle puisse avoir raison sans savoir encore pourquoi, sans trouver les mots justes. Elle ne peut pas se permettre d’être peureuse face aux personnes homosexuelles. Elle ne peut pas fuir constamment le sujet et les individus homosexuels sous des prétextes fallacieux.

 

Je reprendrais pour finir les mots du jeune prêtre de 31 ans Pierre-Hervé Grosjean (un prêtre versaillais, pourtant… personne n’est parfait…^^) qui, lors d’une conférence sur l’affectivité en décembre 2006 à Saint Augustin à Paris, avait répondu à des questions tirées au chapeau… et il était tombé sur mon papier où j’avais écrit ce mot provocateur : « Est-ce qu’on peut trouver l’amour même quand on est homosexuel ? ». Il avait répondu de manière très juste à la question (je ne développerai pas ici sa réponse : autant lui demander directement), puis avait fortement encouragé l’assistance de jeunes petits bourgeois cathos (pas si « coincés » que ça…) à faire venir les personnes homosexuelles dans les églises : « Mais amenez-les-nous ! Invitez-les ! Si vous connaissez des personnes homosexuelles dans votre entourage, amenez-les-nous ! ». J’avais adoré. Moi, je n’attends qu’une chose : c’est qu’on nous invite, en effet ! J’attends toujours le carton d’invitation…

 


[1] Marguerite Radclyffe Hall, Le Puits de Solitude, Éd. Gallimard, Paris, 1928, p. 589.

[2] Pour ceux qui veulent aller vérifier, les seuls passages qui traitent de ces actes « homosexuels » sont Gn 19, 4-11 ; Lv 18, 22, 20, 13, et Jg 19, 22-30 ; 1 Sam 18-20 ; Rm 1, 26 ; 1 Cor 6, 9 ; et 1 Tm 1, 10.

[3] Joseph Card. Ratzinger, Déclaration Persona Humana sur certaines questions d’éthique sexuelle, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 29 décembre 1975, n. 8.

[4] * Voir également la partie « Je suis maudit » de homosexualité noire et glorieuse et se prendre pour le diable dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[5] Mt 21, 31.

[6] Paul, 1 Cor. 1, 27.

[7] Pierre Albertini, « France », dans Louis-Georges Tin, Dictionnaire de l’Homophobie, Éd. PUF, Paris, 2003, p. 184.

[8] Jean-Paul II, Lettre apostolique Laetamur Magnopere : 15 août 1997, La Documentation Catholique 94, 1997.

[9] * Voir également désir désordonné dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[10] * Voir également la partie « péché ‘originel’ » de innocence dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[11] Flora Leroy-Forgeot, « Décadence », dans Louis-Georges Tin, Dictionnaire de l’Homophobie, op. cit., p. 121.

[12] Je vous renvoie aux pages sur le manichéisme dans le chapitre II de mon livre Homosexualité sociale. * Voir également se prendre pour le diable et focalisation sur le péché dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[13] Michel Dorais, Mort ou Fif, VLB éditeur, Québec, 2001, p. 75.

[14] * Voir également la partie « églises ‘protestantes’ » de attraction pour la « foi » dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[15] * Voir également attraction pour la « foi » dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[16] * Voir également la partie « bourgeoise-prostituée dans une église » de bourgeoise dans le Dictionnaire des codes homosexuels.

[17] C. f. la phrase de conclusion de l’exposé de l’homme transsexuel Natacha aux Journées Annuelles de Réflexion (JAR) de l’association David et Jonathan au Mont Dore, en 2004.

[18] Je ne suis pas en train de dire que cette légende est totalement infondée : il n’y a pas de cliché sans feu, et j’ai été amené à rencontrer quelquefois dans le « milieu homosexuel » des personnes homos qui exerçaient le métier de prêtre ou de diacre. Comme le dit Thévenot, « Il n’est pas rare, quoique cela ne soit pas systématique (comme on l’a parfois affirmé), que l’homosexualité soit une des composantes de la prêtrise. » (Xavier Thévenot, Homosexualités masculines et morale chrétienne, Éd. du Cerf, Paris, 1985, p. 181)

[19] * Voir également curés gay dans le Dictionnaire des codes homosexuels. L’idée des prêtres gay ou du séminaire comme « repaire d’homosexuels » était déjà un des arguments avancés par les nazis pour persécuter les personnes homosexuelles : « J’estime qu’il y a dans les couvents 90 ou 95 ou 100 % d’homosexuels. (…) Nous prouverons que l’Église, tant au niveau de ses dirigeants que de ses prêtres, constitue dans sa majeure partie une association érotiques d’hommes, qui terrorise l’humanité depuis mille huit cents ans. » (Heinrich Himmler, discours du 18 février 1937, cité dans Jean Boisson, Le Triangle rose, Éd. Robert Laffont, Paris, 1988, p. 73)

[20] En plus de cela, l’homosexualisation systématique des prêtres dénote d’une certaine homophobie, y compris chez les apparents défenseurs gay friendly de la cause homosexuelle (amalgame entre homosexualité et pédophilie par exemple, ou bien association, chez les personnes qui ne voient dans le prêtre qu’un homme intolérant et mal dans sa peau, entre homosexualité et frustration, homosexualité et vice).

[21] On entend souvent de leur part l’idée selon laquelle Dieu les aurait voulu/créé homosexuels, qu’Il leur aurait donné leur petit copain, et qu’Il bénirait quand même leur union quoi qu’en dise l’Église officielle « poussiéreuse » de Rome. Autrement dit, ils font parler Dieu à sa place.

[22] Pour ne prendre qu’un seul exemple éloquent, je citerai le théologien moraliste catholique Xavier Lacroix qui non seulement défend un  large accueil des personnes homosexuelles, mais qui va jusqu’à conseiller parfois le couple homosexuel, comme en témoigne l’extrait d’un mail qu’il m’a adressé personnellement le 4 juillet 2007 : « Pourquoi désespérer d’un amour avec un homme ? Et s’il y a des passages sexuels dans la relation, qui pourraient ensuite être dépassés ou sublimés, serait-ce une catastrophe ? Comparer les biens en présence. Vous êtes bien averti des écueils et des limites d’une fascination par l’érotisme. Mais le passage par une expression charnelle de la tendresse vous est-il vraiment interdit ? Toutes les amours homosexuelles ont-elles l’aboutissement négatif que vous semblez évoquer ? C’est possible, je pose seulement la question. Vous êtes mieux placé que moi pour y répondre. » Lacroix se fait pourtant sabrer lors des émissions de télévision où il passe… mais beaucoup se leurrent totalement à son sujet.

[23] C’est d’ailleurs pour cela que dans mon livre, j’ai mis un point d’honneur à justifier ma gêne concernant le désir homosexuel autrement que par des arguments religieux. Je voulais être le plus humain, le plus terrestre, le plus cartésien, le plus homosexuel possible – c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai fait que citer les personnes homosexuelles elles-mêmes !. Je voulais donner des mots nouveaux à mon Église. L’aider à être plus « dans le monde ».

[24] Plutôt que de désigner une norme sexuelle universelle, le mot « hétérosexualité » venait initialement défendre une sexualité non-normative et dissidente, une bisexualité naturelle, un « troisième sexe » posé comme « normal ». Jonathan Katz, dans son essai L’Invention de l’hétérosexualité (2001), nous montre qu’au départ, l’hétérosexualité était classée au rang des perversions au même titre que l’homosexualité : « En dépit de ce qui nous a été dit, l’hétérosexualité n’était pas synonyme de relation à visée reproductrice. Elle n’était pas, non plus, assimilable à la différence sexuelle et à la distinction de genre, pas plus qu’elle n’étaye l’équivalent de l’érotisme entre hommes et femmes. » Elle pouvait aussi bien qualifier une attirance pour les deux sexes qu’une pratique érotique (masturbation, sodomie, bestialité, adultère, etc.) excluant la procréation, le mariage, et la famille. Le terme « hétérosexuel » a été créé sous l’impulsion d’hommes et de femmes libertaires de la Nouvelle-Angleterre du XVIIe et du XVIIIe siècles, partisans de l’« amour vrai et libre », soucieux de justifier scientifiquement un érotisme en deçà du rapport sexuel et extérieur à toute institution d’État ou d’Église. « L’hétérosexuel » ne rentrait pas dans le cadre de la sexualité dite « normale » étant donné qu’il était jugé coupable d’ambiguïté. « On attribuait à ces hétérosexuels une disposition mentale appelée ‘hermaphrodisme psychique’. Les hétérosexuels éprouvaient une prétendue attirance érotique masculine pour les femmes et féminine pour les hommes. Ils ressentaient périodiquement du désir pour les deux sexes. » Que ce soit les mots « hétérosexuel » (synonyme à l’époque de ce qu’on appelle aujourd’hui « un bisexuel » », et qui était en 1892 un homme attiré par les deux sexes) ou « homosexuel » (personne qui devient après 1892 un individu attiré exclusivement par les individus de même sexe que lui), ils étaient tous les deux les expressions d’une absence de désir de se tourner exclusivement vers les membres du sexe opposé … donc bien loin de ce que nous assignons actuellement, surtout au premier ! Par la suite, le théoricien Krafft-Ebing a interprété le terme « hétérosexuel » à travers la grille de la différence sexuelle des partenaires. Il en détourna le sens initial pour le rendre synonyme de « sexualité normale entre un homme et une femme » et l’opposer à « homosexuel », même si paradoxalement, dans sa Psychopathia Sexualis (1886), le « Manifeste de l’hétérosexualité » pourrait-on dire, le terme « hétérosexuel » continua de signifier « instinct sexuel contraire », « hermaphrodisme psychique », « homosexualité » et « fétichisme ».

[25] Tony Anatrella, Documents Épiscopat, Éd. Secrétariat Général de la Conférence des évêques de France, Colombes, 2004, p. 12.

[26] Je vous renvoie au texte du Vatican, écrit par le Saint-Siège en 2002, dans lequel le cardinal Tarcisio Bertone, alors secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le cardinal Joseph Ratzinger (l’actuel pape Benoît XVI), avait déclaré que « les personnes ayant une inclination homosexuelle ne devraient pas être admises au séminaire ». Cette décision avait fait parler d’elle en 2005.

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes?

Y a-t-il plus d’hommes gays que de femmes lesbiennes ?

 

 

L’homosexualité, une affaire d’hommes ?

 

Les femmes lesbiennes : minorité invisible ? cachée ? méprisée ? silencieuse ? ou simplement  discrète ? Il est bien difficile de donner un nom à la population lesbienne mondiale, « nation » que certains individus, dans un élan euphorique de générosité, n’hésitent pas à qualifier de « minorité majoritaire » victorieuse, comme les mythiques et conquérantes amazones. Il faut le reconnaître : numériquement, la communauté lesbienne est moins imposante que la communauté gay (Bourdieu, par exemple, dans Les Études gay et lesbiennes, note que dans le mouvement gay et lesbien, il y a 90 % de gays et 10 % de lesbiennes). Non pas simplement parce qu’on l’entendrait/verrait moins (comme certains se plaisent à le croire pour soutenir des arguments victimisants du type « Si on ne voit pas les lesbiennes, c’est parce qu’elles sont doublement discriminées – en tant qu’homosexuelles et en tant que femmes ! »), mais aussi de fait. À moins que les femmes lesbiennes soient une espèce « planquée » préférant vivre dans un clandestinité heureuse et ne fréquentant que des squats souterrains la nuit, ce qui m’étonnerait franchement, je me surprends à pousser le cri seventies de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? » Oui, où sont passées les filles lesbiennes que l’on voit de plus en plus dans les vitrines télévisuelles et pourtant toujours aussi peu dans la réalité ? Est-ce que l’homosexualité concernerait majoritairement les hommes ? On est en droit de le penser, même si, à l’ère de l’« égalité » et de la parité des sexes, on finit par s’interdire ce constat.

 

Alors si vous le voulez bien, pour une fois, j’aimerais bien qu’on se penche un peu plus sur la communauté lesbienne, et qu’on essaie de comprendre pourquoi ce fossé existe entre hommes gay et femmes lesbiennes, car on en apprendra beaucoup sur la nature même du désir homosexuel. Ce n’est pas un hasard si notre société et la grande majorité des personnes homosexuelles évitent de traiter de cet écart numérique, car celui-ci pointe du doigt la probable influence qu’exercent certaines femmes et certains hommes dans le meurtre symbolique (et parfois réel) de la paternité-masculinité, dans le viol des femmes réelles, dans l’émergence du désir homosexuel.

 
 

Un constat de terrain

 

C’était l’année de mon coming out, en 2002. J’ai eu la chance d’être le témoin direct d’une phase de transition assez brève et spectaculaire dans le « milieu homosexuel » français, alors que je me trouvais dans la belle ville de province d’Angers. Il n’y avait pas à l’époque 36 000 bars homos dans lesquels aller : un bar nommé Le Cargo (et qui, depuis, a coulé… paix à son âme) accueillait la grande majorité de la « population sans contrefaçon » angevine. Le mérite qu’avait ce lieu par rapport aux bars et discothèques des grandes villes comme Paris, c’est que l’absence de choix permettait une plus grande mixité, un brassage nécessaire, presque spontané. Et c’est incroyable comme en l’espace de 6 mois seulement, entre janvier et juin 2002, j’ai pu voir le public de cet établissement gay friendly mixte d’habitude majoritairement fréquenté par les garçons (alors que les deux propriétaires étaient des femmes) subitement changer de clientèle. Comme descendues du ciel, les sirènes lesbiennes ont débarqué en masse au Cargo. Leur présence ne me dérangeait absolument pas (sauf, bien sûr, quand je me faisais bousculer pour une Marie-Jo en puissance qui n’avait que mépris pour la gente masculine « machiste » ou trop « folle » que je représentais, ou bien quand la programmation musicale « s’hétérosexualisait » dangereusement en parodie de fête beauf « de mecs »…) : au contraire, je trouvais qu’une ambiance vraiment mixte adoucissait bien souvent les esprits, rendait les rituels de la drague masculine un peu moins brutaux et consuméristes qu’à l’ordinaire, et favorisait les amitiés désintéressées. Mais j’avoue que là, la révolution a été un peu brutale. En seulement quelques mois, nous avons tous assisté d’abord à l’apparition-éclair d’une communauté lesbienne jusque-là invisible et très minoritaire, puis à la phase de compartimentation du supermarché homosexuel en sous-sous-parties de communauté (les trans, les bear, les bis, les folles, les seniors, les fem, les butch, les internautes, les hors-milieu, etc.), et ensuite, ô paradoxe, à la disparition de cette même communauté lesbienne qui, à peine installée, a vite plié bagage pour chercher d’autres horizons plus « radicalement féminins ». Chacun rentrait chez soi et fermait la porte, alors même que la fête n’avait pas commencé. J’apprenais qu’il y avait « des soirées 100 % filles » d’un côté, des « week-end bords de mer 100 % mecs » de l’autre, bref, que les sexes ne voulaient plus se rencontrer. En cette année de grâce 2002, les retrouvailles avec les femmes lesbiennes auront été de courte durée. Que s’est-il donc passé ? La communauté lesbienne est-elle une peuplade-fantôme, une étoile filante, un simple rêve ? On y croirait presque. On serait tentés de se demander s’il y a plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes. Quand je faisais moi-même ce constat ou que je l’entendais de la bouche de certains de mes amis gay, je me contentais de relever sans chercher à trouver une réponse. Je me disais qu’« invisibilité » ne rimait pas systématiquement avec « inexistence », mais plutôt avec « censure », « mépris machiste », « misogynie ancestrale », ou « ignorance personnelle ». Ce n’est qu’en restant plusieurs années dans le « milieu homosexuel » et en me penchant sur la communauté homosexuelle féminine (quand celle-ci me faisait bon accueil et me laissait rentrer… ce qui n’a pas toujours été le cas) que j’ai compris que cette invisibilité n’était ni totalement surnaturelle, ni le fruit d’un choc culturel proprement personnel et non-universalisable.

 

 

Certes, le militantisme homosexuel des années 1960-1970 est clairement né des mouvements féministes (et pas systématiquement lesbiens, d’ailleurs). Certes, les progrès concernant la visibilité des femmes lesbiennes sont sensibles et encourageants, du moins sur le papier : on remarque aujourd’hui que les femmes lesbiennes sont moins isolées dans les associations homosexuelles qu’il y a 10 ans ; on voit surgir peu à peu des présidentes d’associations homosexuelles (Le Mag, ou le Centre LGBT de Paris, par exemple), des professeures universitaires au rang des Queer and Gender Studies nord-américaines, des « soirées filles » en boîtes, des speed-dating exclusivement féminins, des librairies spécialisées dans la production littéraire lesbienne et/ou féministe, des sites de rencontres Internet rien que pour les femmes, des revues « spéciales filles », des bars réservés à une clientèle lesbienne, des festivals de cinéma lesbien (ex : Cineffable en France), des chars 100 % lesbiens aux Marches des Fiertés, des films pornos spécifiquement lesbiens, des émissions de télé sur l’homosexualité féminine, des événements mondiaux réservés aux femmes lesbiennes (le Dinah Shore aux États-Unis), etc..

 

 

Mais cependant, on est encore loin de voir les femmes lesbiennes occuper les premières places de la communauté homosexuelle, tant au niveau du nombre que de l’importance des charges qui leur sont confiées. On entend certaines d’entre elles s’en plaindre, parfois ouvertement (rien que le titre choisi par la comédienne Océane Rose-Marie pour sa pièce La Lesbienne invisible – un one-woman-show qui cartonne en ce moment à Paris – suffit à l’illustrer) ; mais le plus souvent, cette plainte est silencieuse et se règle mal, c’est-à-dire par l’isolement et la rupture avec la communauté homosexuelle masculine. Est-ce une conséquence d’un mauvais accueil ou d’un refus délibéré de ne pas se mélanger ? Sûrement les deux, on n’aura jamais la réponse. Force est de reconnaître qu’en règle générale les réseaux relationnels lesbiens ne brillent pas par leur chaleur et leur ouverture aux membres du sexe qui les ont/auraient violées (Pour vous donner un bref exemple, alors que je voulais participer au 19e Festival International du Film lesbien et féministe de Paris, le Cineffable, au Théâtre du Trianon, en novembre 2007, j’ai été refoulé à l’entrée par un groupe de sept femmes lesbiennes du simple fait d’« être un homme » et qu’elles ne se voyaient pas « supporter la présence d’un seul homme dans la salle ». J’ai à peine pu me défendre que ce qui au départ était sorti en boutade de leur bouche a fini par devenir un ordre…). Après, ce qui est sûr, c’est que dans les faits, dans le « milieu homosexuel », la communauté lesbienne fait beaucoup moins le poids que son pendant masculin, et ce, depuis la naissance du communautarisme homosexuel. Les premiers bars homosexuels du début du XXème, les cabarets, et les thés dansants, réunissaient toujours une majorité de garçons. Les femmes ne se retrouvaient que dans des sphères sociales plus réduites (les salons lesbiens, les cercles intellectuels, les élites artistiques bourgeoises…). Aujourd’hui, c’est la même chanson : le monde lesbien est circonscrit aux groupes amicaux, aux réseaux relationnels privés, à des milieux extrêmement minoritaires (milieu sportif entre autres, mais aussi associatifs, féministes, musicaux). D’autre part, quand on pense aux chefs de file de la communauté homosexuelle, on cite d’emblée des hommes (Oscar Wilde, Marcel Proust, André Gide, Jean Genet, Jean Cocteau, … Steevy Boulay). Qui, à part les connaisseurs, ferait d’abord mémoire des femmes et évoquerait en premier lieu Sappho, Natalie Clifford Barney, Virginia Woolf, Radclyffe Hall, Colette, Monique Wittig, K.D. Lang, ou Lady Gaga ? Très peu de monde. Les femmes lesbiennes passent très souvent au second plan. Rien qu’en France, actuellement, la revue Têtu se vend plus que les quelques magazines lesbiens proposés (Lesbia Magazine, La Dizième Muse, Têtue, etc.), même si ces derniers ont le mérite d’exister. Les films pornos lesbiens ne soulèvent pas l’enthousiasme de la communauté lesbienne, alors qu’ils sont célébrés en masse par beaucoup d’hommes homosexuels. Quand on se balade dans le quartier du Marais à Paris, on voit une majorité d’hommes. Très peu de femmes. Il n’y a pas d’équivalents lesbiens aux bars gay l’Open ou le Cox (les femmes voudraient faire pareil qu’elles ne pourraient pas y prétendre : les établissements lesbiens comme le « feu » Troisième Lieu ou la Baby Doll ne font pas pitié, loin de là, mais ne rivalisent pas avec les bars masculins du Marais). Par ailleurs, ce n’est pas demain la veille qu’on verra une chaîne lesbienne voir le jour. Déjà que Pink TV s’essouffle, alors qu’elle est prioritairement destinée à un public gay… Et si on regarde du côté du cinéma, c’est le même constat : les films grand public lesbiens (y compris « La Rumeur », « Sex Revelations », « Boys don’t cry », « Gazon maudit », « La Vie d’Adèle »…) n’atteindront jamais la popularité d’un film comme « Le Secret de Brokeback Mountain » ou « Pédale douce », le rayonnement d’un téléfilm comme « Juste une question d’amour ». À tort ou à raison ? Là n’est pas la question. C’est une réalité, tout simplement. J’imagine mal qu’une pièce comme La Cage aux Folles, traitant de l’homosexualité masculine, retrouve un aussi grand succès dans une version lesbienne. Autant ne pas y penser ! L’homosexualité masculine est plus flamboyante, visible, risible, décapante, populaire, conviviale, transgressive, que l’homosexualité lesbienne. L’homosexualité féminine est une orientation caméléon, qui se fond dans la masse d’une société machiste et androgyne où la différence des sexes est diluée dans un « Sans contrefaçon, je suis un garçon » généralisé. Le look garçon manqué, signe d’une uniformisation et d’une asexualisation sociale, choque beaucoup moins que l’efféminement sur un corps de garçon. On associera plus facilement les gestes de tendresse entre femmes à l’amitié qu’à l’amour. On acceptera que deux copines se tiennent par la main dans la rue, alors que chez des garçons, cela paraît presque automatiquement suspect (sauf dans le Maghreb… encore que…). L’homosexualité masculine est plus dure à porter quelque part, car elle est plus discutée/discutable, plus évidente d’être paradoxalement perçue comme surnaturelle, jugée plus violente du coup : il est donc logique que, une fois assumée, et à partir du moment où l’opinion publique s’est laissée convaincre par les media qu’elle s’appelait « amour », elle soit davantage plébiscitée et qu’elle cueille les fruits médiatiques de son exceptionnalité. L’homosexualité masculine paraît plus consistante, plus imitable d’être jugée inimitable et incompréhensible par notre société. L’homosexualité féminine, au contraire, est plus insignifiante, plus vulgarisée, plus fragile. On la prend moins au sérieux. D’où l’hypothèse que le manque de visibilité saphique soit le signe que l’homosexualité est un désir qui concerne davantage les hommes que les femmes. Les femmes qui parlent de leur désir homosexuel ne sont d’ailleurs pas souvent crues : on pense qu’elles ne sont pas « vraiment lesbiennes », que leur homosexualité est juste une passade, une mauvaise passe. L’homme étant jugé plus « actif » pendant l’acte sexuel que la femme (et il est certain que pendant le coït sexuel, il le soit : c’est lui qui pénètre, non lui qui est pénétré), et la femme plus encline à simuler, on donne à l’homme un plus grand taux d’homosexualité. Le lesbianisme passe pour un entêtement voulu : le retour « à la normale » (comprendre « l’hétérosexualité ») est envisageable ; on accrédite finalement beaucoup plus ces pauvres « cas désespérés de la sexualité » que seraient les hommes gay, ces êtres vivant une orientation sexuelle imposée, que les femmes lesbiennes. Au final, dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, la défense de l’homosexualité féminine équivaut à un soutien de la bisexualité plus que de l’homosexualité[1]. En revanche, on interdira beaucoup plus aux hommes le statut de « bisexuels ». C’est la différence entre le lesbianisme (qui serait un comportement, comme la bisexualité) et l’homosexualité masculine (qui serait un désir et une identité indélébiles).

 

 

L’homosexualité féminine, une fois banalisée sur les écrans (voire décrédibilisée et « beaufisée » : dès le départ elle a été stigmatisée comme une sexualité-rince l’œil pour hétéros vicelards dans les films pornos, ou réduite à un harem, à un foyer de prostitution…), a perdu sa valeur de modèle d’amour possible et beau. On l’a décrédibilisée assez vite. En revanche, l’amour gay, présenté pourtant comme un « amour par défaut », a finalement tiré bien davantage son épingle du jeu : il est impossible… donc finalement rendu plus possible que l’amour lesbien. Plus c’est gros, plus ça passe ! Nos sociétés des contes de fées modernes asexualisants se mettent à défendre comme des évidences ce qu’elles ne cherchent pas à comprendre. Il est plus facile pour elles de soutenir un couple gay qu’elles ne comprennent pas qu’un couple lesbien qu’elles peuvent davantage analyser comme l’effet d’un peur de la sexualité, comme un phénomène « curable » et passager. L’homosexualité féminine nous est présentée comme une maladie chronique ; l’homosexualité masculine, comme un handicap de naissance. C’est là toute la différence ! L’amour homosexuel apparaît comme plus pur que l’amour lesbien : les femmes lesbiennes ont davantage de chances d’avoir un passé dit « hétéro » et de « pactiser » avec le monde hétéro que les hommes gay, qui n’ont très souvent pas de passé « hétéro ».

 

 

Ce n’est pas évidemment pas en termes naturalistes (et donc sexistes), ni en termes d’« activités génitales » (actif/passif), qu’il faut, à mon avis, envisager la différence entre homosexualité masculine et homosexualité féminine, même si « différence » il y a. C’est au niveau de la nature du désir homosexuel que tout se joue.

 
 

Le désir homosexuel masculin a-t-il devancé le désir homosexuel lesbien ?

 

S’il n’y a pas d’essence éternelle masculine ou féminine (et encore moins gay ou lesbienne), le désir homosexuel est ressenti autant par des hommes que par des femmes, c’est indéniable. Mais je crois qu’il concerne davantage les hommes car c’est un désir machiste, qui s’attaque à la force masculine des hommes réels pour mettre en avant une sur-féminité violente niant les limites et les faiblesses humaines.

 

Le désir hétérosexuel, un désir misogyne et machiste, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend aux femmes réelles. Quant au désir homosexuel, un désir tout aussi misogyne et machiste que le désir hétérosexuel, en rabaissant les hommes réels pour élever les hommes féminisés et ultra-virils, s’en prend majoritairement aux hommes réels. Il est donc logique que ce soit les hommes qui se sentent en priorité homosexuels par rapport aux femmes. Nous nous trouvons dans une société qui combat le père par un culte de la mère-objet maternante niant la mort et les fragilités humaines : une mère machiste en somme, trop maternante pour ne pas être violente. On peut alors aisément comprendre que des pères de substitution, refusant la paternité biologique pour lui préférer une auto-paternité narcissique, soient par conséquent plus nombreux.

 

Le machisme – et le désir homosexuel est un désir machiste : un machisme inversé, où la femme avec un sexe d’homme est LE modèle social à imiter[2] – est un désir porté majoritairement par des hommes (… y compris des hommes honteux de leur masculinité !), même s’il n’est pas réservé qu’aux hommes bien entendu. Certains media nous incitent à nous identifier à un homme proche de Superman, asexué, tout puissant, sans limites, sans fragilité, sans corporéité, et nous poussent à reconnaître en la femme un ange naïf et dangereux, une femme phallique, féline, violée et violente, dotée d’un sexe masculin, et se vengeant d’une domination masculine présentée comme éternelle et historique. Or, s’il est vrai que beaucoup d’hommes font du mal aux femmes dans notre société, on fait très peu mention et mémoire du mal que de nombreuses femmes infligent aux hommes. Et cette injustice non-dénoncée finit par s’humaniser maladroitement, crier avec son sparadrap sur la bouche, se personnifier en l’homme homosexuel. Les personnes homosexuelles nées garçons sont la mémoire muette et inconsciente du viol des femmes (cinématographiques et réelles) et du viol opéré sur les hommes par des hommes machos et des femmes machistes refusant leurs soi-disant « faiblesses de femmes ».

 

Le désir homosexuel dit une crise de la masculinité et surtout une remise en cause de la force/fragilité des hommes. C’est la force masculine – une force fragile, douce – qui est depuis quelques décennies attaquée, caricaturée, et ridiculisée. On se retrouve dans une société de plus en plus couveuse, maternante, bien-intentionnée, agressivement compréhensive, qui refuse les limites, l’autorité, et les aspérités du Réel. Les nouvelles mères sont les futures femmes lesbiennes, des working girls indépendantes, « célibattantes », qui croient pouvoir se passer très bien des hommes pour « faire des enfants » et avoir du plaisir au lit.

 

Je vois une autre raison, plus essentialiste que constructionniste cette fois, expliquant que la nature du désir homosexuel s’agence davantage avec une manière particulièrement masculine de vivre ses désirs et de gérer sa sexualité. À mon avis, le désir homosexuel oriente les individus vers une sexualité plus compulsive, instinctive, parcellaire, dispersée, éphémère… Il cadre donc mieux avec la sexualité hygiénique, mécanique, pulsionnelle, moins sentimentalisée et cérébrale, des hommes. En matière de sexualité, les femmes sont moins gourmandes sur l’instant, moins titillées par leurs désirs sexuels immédiats (ce qui ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas, en matière de génitalité, se comporter en vampires nymphomanes sur la durée… parfois plus que bien des hommes !). Elles sont plus globales dans leur manière d’appréhender la sexualité. Les femmes fréquentant les sex-shops sont une espèce extrêmement rare. Ce sont les hommes qui, depuis la nuit des temps, ont eu besoin d’aller au bordel pour se défouler. Il est donc compréhensible que cette différence entre les sexes se transpose dans le « milieu homosexuel » : qui se rencontre dans les pissotières, les lieux de drague, les bars, les saunas, les backrooms ? Certainement pas les femmes lesbiennes. Il y a bien eu des essais d’introduction de backrooms dans les établissements lesbiens : cela a été un bide monumental, une grosse blague ; on s’est forcé récemment à faire des films pornos lesbiens, par souci d’équité et d’égalité-uniformité des sexes, mais cela ne correspond pas concrètement à un besoin féminin répandu. Les hommes restent les hommes, qu’ils soient homosexuels ou non. Et comme le « milieu homosexuel » assume plus un rôle de défouloir sexuel que de cadre pour un engagement d’amour durable, il n’est pas étonnant qu’il attire davantage les hommes que les femmes. Et qu’il y ait donc plus d’hommes gay que de femmes lesbiennes.

 
 

Une cohabitation difficile

 

 

 

Pour camoufler leur machisme et leur misogynie, beaucoup de femmes lesbiennes et d’hommes gay font diversion en cultivant entre eux une pseudo égalité (de nombre, de droits, d’identités, de capacités, d’amour…) et une amitié artificielle censée prouvée à la face du monde qu’ils sont tous deux absolument capables d’intégrer avec succès la différence des sexes au sein de leurs relations interpersonnelles. Dans le « milieu homo », cette contrefaçon porte le doux nom de « mixité » (sa jumelle « parité » est partie faire de la politique…). S’il pouvait y avoir une légende derrière ce mot, on lirait ce genre de discours : « Je t’aime tant que je ne crains rien de toi. Je m’approche de l’autre sexe à condition qu’il ne me demande pas de me donner entièrement à lui ». Selon cette logique, l’autre est considéré comme un parfait « collègue ». « Pour moi, les hommes, ce sont des camarades et je suis leur égale » entendons-nous de la part de certaines femmes lesbiennes[3].

 

La mixité au sein de la communauté homosexuelle est malheureusement plus un beau principe bien intentionné qu’une pratique. Je le constate quand, par exemple, je vois qu’au fil des années, les bars mixtes se transforment en établissements uniquement lesbiens ou strictement gay dans les petites villes de province. Même à San Francisco (États-Unis), le « Centre du monde homosexuel », les personnes lesbiennes et gay ne se côtoient pas vraiment : il y a d’un côté le quartier de Castro (pour les garçons) et de l’autre le quartier de Mission (pour les filles). Au fond, il n’existe pas vraiment de ville homosexuelle. Actuellement, le processus de séparation entre les femmes lesbiennes et les hommes gay est tellement avancé que la plupart des femmes lesbiennes voyant un homme gay lire des ouvrages sur le lesbianisme le regardent avec des yeux ronds, comme s’il n’était pas logique qu’il puisse s’intéresser à « leur » culture à elles.

 

Autre exemple parlant : la durée de vie des associations mixtes homosexuelles est particulièrement réduite[4]. Ceci est expliqué notamment par le fait que le dénominateur commun de la communauté homosexuelle soit l’orientation sexuelle : les hommes gay y viennent parce qu’ils sont attirés par les hommes ; les femmes lesbiennes par les femmes. Il est donc forcé qu’un jour ou l’autre, la scission femme/homme se fasse.

 

Nous pourrions nous dire que les hommes gay et les femmes lesbiennes ont peu de chances de se retrouver esthétiquement et éthiquement, d’autant plus que dans leur système de pensée, leurs affinités relationnelles obéissent d’abord à leurs goûts et préférences sexuelles. Les femmes lesbiennes ont souvent pour idéal d’identification esthétique ce que les hommes gay prétendent détester : l’homme macho. Et inversement, les hommes gay ont un goût spécial pour les femmes-objets très féminines, que les femmes lesbiennes refusent d’être et rejettent violemment. Beaucoup de femmes lesbiennes adorent les sports collectifs, les travaux manuels réservés aux hommes… tout ce que les garçons gay haïssent !

 

Cependant, les hommes homosexuels ont un rapport ambigu avec les femmes lesbiennes, car ces dernières sont la transposition dans la réalité concrète de la femme forte et guerrière que tous deux convoitent (la seule différence, c’est que les femmes lesbiennes vont s’y identifier et la désirer sexuellement, alors que les hommes gay se contenteront simplement de s’y identifier). Ils aiment esthétiquement l’icône que les femmes lesbiennes ont voulu imiter, mais pas son actualisation homosexuelle, celle-ci les dégoûtant plus qu’autre chose. Le libertin garde pour la « femme plus que femme » un intérêt méprisant, tout comme la libertine voue à Don Juan et à la gent masculine qu’il représente une haine viscérale maquillée généralement en indifférence.

 

 

Même si certaines femmes lesbiennes se targuent d’être plus « sérieuses et sentimentales » en amour que les hommes (je ne sais pas d’où elles tirent un conte pareil… Peut-être parce qu’elles considèrent la pénétration vaginale par le pénis « mâle » comme l’unique MAL possible pendant un coït), elles sont tout aussi dures, infidèles, mufles, entre elles, que le seraient deux hommes entre eux. Il n’est pas rare que leur relation s’oriente vers le sadomasochisme[5]. Et les rituels de la drague saphique ne manquent pas de cruauté bien souvent. Je ne crois absolument pas que les femmes lesbiennes soient « plus douces » et « matures » dans leur(s) couple(s) homosexuel(s) et leur sexualité que les hommes gay du simple fait d’être femmes… même si, pour leur défense, j’ai quand même remarqué que les femmes lesbiennes avaient une conscience associative ou de l’engagement conjugal durable plus forte que les hommes gays « en général »… ce qui ne m’empêche pas de considérer qu’au-delà de la différence femme/homme, c’est le désir homosexuel, l’irrespect de la différence des sexes, et l’univers uniformisant des ressemblances, qui sont facteurs de violence. Qu’on soit né homme ou qu’on soit né femme.

 

Les femmes lesbiennes se plaignent très souvent du manque de mixité dans les associations. Pourtant, elles font autant bande à part que leurs homologues masculins. Minorité dans la minorité, elles jouent de leur double statut d’exclues (en tant que femmes et en tant que lesbiennes) pour s’isoler encore plus des hommes gay. Beaucoup d’entre elles n’ont aucune sympathie pour les « folles », ni pour les hommes que les personnes gay représentent, tout comme de nombreux hommes gay méprisent les femmes lesbiennes. Certains ne gardent de la femme lesbienne que l’image d’une camionneuse antipathique qui ne leur adresse pas la parole quand elle débarque dans leur groupe d’amis, et qui ne fait la bise qu’aux filles… (authentique !)

 

Heureusement, femmes lesbiennes et hommes gay ont en commun leur humanité, ce qui leur permet parfois de tisser de vrais liens d’amitié. Mais n’idéalisons pas le tableau. Beaucoup d’hommes gay ont l’impression désagréable que leurs relations avec les femmes lesbiennes ne se construisent que par intérêt, et réciproquement pour les femmes lesbiennes. Cela s’explique assez bien : l’attirance amicale qu’aurait créée l’attraction sexuelle n’est plus là. On se rend vite compte qu’entre femmes lesbiennes et hommes gay, ce manque de complémentarité symbolique des désirs sexuels influe même dans la qualité des relations simplement amicales. Chacune des parties a l’impression de passer bien après la recherche d’amant(e)s de l’autre, et de servir de « bouche-trou » lors des soirées. Pour le coup, la déférence gay envers les femmes lesbiennes vire souvent à une parodie de galanterie ou de copinage, qui indique parfois l’existence des braises d’un incendie qui ne demande qu’à s’étendre. Il n’est pas étonnant de voir que le binôme « amical » que forment l’homme gay et la femme lesbienne est très souvent totalitaire ou sado-maso – donc hétérosexuel – dans les fictions et parfois dans la réalité concrète[6]. La femme lesbienne et l’homme homosexuel simulent l’harmonie parfaite. En réalité, ils ne font que différer le moment de leur affrontement réel. Tant que leurs conquêtes pour les « droits sociaux des homos » ne cesseront de s’accumuler, ils joueront la comédie de l’amitié. Une fois qu’ils n’auront plus besoin l’un de l’autre et qu’ils auront souri ensemble pour la photo, ils risquent de se jeter/s’anéantir mutuellement s’ils ne travaillent pas ensemble à démasquer les ambiguïtés violentes de leur désir homosexuel.

 

Le paradoxe, c’est que tandis que les hommes gay rejètent les femmes lesbiennes, ils les attendent. La présence de celles-ci leur fait un bien fou. Il suffit qu’il y ait une seule femme lesbienne dans leurs rencontres majoritairement masculines pour qu’ils soient plus respectueux entre eux et qu’ils se tiennent mieux. Les femmes manquent véritablement aux hommes gay. Ils ne l’avouent pas souvent car leur désir le plus profond est encore trop encombré de fantasmes en tout genre pour qu’ils s’autorisent à en parler. Les femmes lesbiennes, quant à elles, expriment aussi le besoin d’avoir une bande d’amis garçons, même si elles soupirent à chaque fois qu’elles voient arriver les groupes de « mâles » dans « leurs » bars. En réalité, la désertion progressive des femmes lesbiennes dans le « milieu gay », ainsi que la séparation toujours plus marquée des sexes, sont peu profitables à l’ensemble des personnes homosexuelles… mais nous y tendons malheureusement, puisque de plus en plus, nous constatons un phénomène de compartimentation des minorités au sein même de la communauté homosexuelle. Le « narcissisme des petites différences » suit sa route… Qui l’arrêtera ?

 


 

[1] D’ailleurs, les hommes homosexuels cultivent aussi l’amalgame quand ils sortent la blague qu’ils pourraient devenir « lesbiennes » quand ils s’imaginent un jour virer de bord et sortir avec une femme.

[2] Je le décris justement dans mon essai Homosexualité intime, à la page 151, comme « un machisme peinturluré de rose ».

[3] Une femme lesbienne dans l’émission « La Vie à Vif » (1982), dans La Nuit gay sur Canal +, le 23 juin 1995.

[4] La seule exception où j’ai vu un mélange femmes lesbiennes/hommes gay réussi, c’est l’association chrétienne David et Jonathan. DJ est d’ailleurs l’association homosexuelle la plus durable de France : si sa couleur religieuse peut attirer les suspicions, elle devrait au moins forcer le respect pour sa longévité et l’ouverture à la différence des sexes qu’elle propose depuis 30 ans.

[5] Les Maudites Femelles, par exemple, est une association lesbienne SM existante en France.

[6] N.B. : Voir également le code « duo totalitaire lesbienne/gay » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

Qu’est-ce que l’élégance ?

Qu’est-ce que l’élégance ?

 

 

Pour parler de l’élégance, je n’ai rien trouvé de mieux que de vous raconter un épisode qui m’est arrivé récemment. Le contexte est très parlant, vous allez voir. Je me trouvais dans le métro parisien (un lieu très élégant, n’est-ce pas ?) avec mon amie de fac Virginie M.. Alors que le train n’était pas encore arrivé, j’ai pris sans calcul le lourd cartable de ma camarade afin de la décharger, puis l’ai invitée, en vrai gentleman, à s’asseoir sur l’un des beaux sièges en plastique orange du quai du métro Cluny la Sorbonne. Virginie m’a alors dit spontanément : « Quelle élégance ! ». Elle aurait pu me dire : « Quelle galanterie ! » ou bien « C’est fort aimable de ta part ! ». Mais non : elle a dit « Quelle élégance ! ». J’avais fait preuve d’élégance sans le faire exprès, uniquement parce que je m’étais comporté en personne belle et douce. Oui. C’est ça, pour moi, l’élégance. C’est avant tout synonyme de DOUCEUR. L’élégance, ce n’est pas vraiment amical ou amoureux. C’est plus que de la politesse ou de la courtoisie. Ce n’est ni compliqué ni onéreux, même si c’est parfois le signe d’un calcul : ce n’est pas nécessairement gratuit, et c’est peut-être pour cela qu’elle est saluée socialement. Elle demande un effort personnel. L’élégance a la saveur de l’exceptionnel, d’un cadeau, d’une attention particulière, d’une priorité laissée à l’autre.

 

C’est le TAM de Jean-Luc Cabes : Jean-Luc Cabes, c’est un jeune prêtre à l’apostolat très dynamique, qui a été assassiné en 1991 à Tarbes alors qu’il tentait de s’interposer entre deux personnes qui se battaient sur le bord de la route. Et ce prêtre avait adopté une règle de vie qu’il avait baptisé TAM et qui veut dire « Toi Avant Moi ». TAM. C’est-à-dire que dans la vie, je fais en sorte de mettre la priorité aux autres. Pas de m’oublier pour les autres, mais de mettre les autres avant moi. On mange un gâteau ensemble ? Eh bien je ne me sers pas en premier. Et s’il ne reste qu’une seule part de gâteau, je fais le petit sacrifice de me priver pour la donner à celui qui la voulait aussi. TAM, ce n’est pas la soumission ou l’abnégation : c’est la grandeur d’âme de l’humanisme, c’est la noblesse de l’élégance. Et je crois qu’une certaine société médiatique et matérialiste nous induit en erreur quand elle nous fait croire, par la publicité et le cinéma notamment, que l’élégance est synonyme de séduction. Pour moi, la séduction est l’inverse de l’élégance. En latin, le mot séduction veut dire « conduire à soi » (se-ducere). Alors que la vraie élégance conduit aux autres, est éducative (dans le sens étymologique : « e-ducere »), pédagogique. Ça s’apprend, l’élégance. C’est un exemple. C’est un art et un effort qui nous sont demandés pour dépasser nos propres égoïsmes.

 

Il ne faut pas abuser des bonnes choses. Dès que l’élégance devient un poncif, un mot d’ordre, un mode de vie déshumanisé et misanthrope, elle se fige en dandysme, en élitisme petit-bourgeois insupportable, limite en beaufitude. Soudain, on se retrouve dans le salon design de Monsieur et Madame Élégance, et on ne saurait dire pourquoi il manque cruellement d’élégance (on ne peut pas être élégant si on n’est pas aimant). On est pourtant entouré de personnes class, qui se veulent les porte-drapeaux du « bon goût », et qui vont nous juger  sur notre « savoir vivre », nos bonnes manières, notre galanterie, notre culture générale. Mais on les trouve malgré tout étonnamment beaufs, ordinaires. Car l’élégance, la vraie, n’a pas besoin de se prouver pour exister : elle est une grâce qui dépasse la personne qui la dégage. L’élégance est pour moi synonyme d’humilité. L’élégance trop travaillée, qui en fait des caisses, qui dit « j’adooooore » ou « je déteste » par snobisme plus que par jugement personnel, n’est pas élégante, en réalité. Elle traduit un manque de culture mal camouflé par l’argent, l’art, les sorties mondaines, une esbroufe verbale insignifiante, un phénomène de groupe ou de masse.

 

 

Je sais, pour ma part, qu’une partie de moi est attirée par cette élégance de pacotille. Celle qui ne jure que par les apparences, les paillettes, la séduction dangereuse. Il m’arrive de trouver par exemple une actrice comme Jaclyn Smith (Kelly Garreth, la brune dans « Drôles de Dames »), charmante et élégante. Car même quand elle est violente, elle le fait avec douceur et style. C’est la séductrice. Dans la fausse idée qu’on se fait actuellement de l’élégance, il y a du glamour, de la violence, du confort, de l’absence d’effort, énormément de paresse.

 

Mais au fond, j’aime l’élégance dépouillée, qui est le fruit d’un effort et d’une audace agissante, révolutionnaire. Celle qui émane d’un Abbé Pierre ou d’une Mère Teresa, d’un monsieur ou d’une madame Tout le monde dont le regard pétillant et habité trahit le caractère commun. L’élégance, c’est un trait d’humour humble et osé à la fois, un sourire, un hommage, un clin d’œil, la petite phrase inattendue dédiée à quelqu’un dans un discours, la barre de fer posée gentiment entre deux piles de courses sur le tapis roulant d’une caisse de supermarché par la personne qui passe avant vous, l’élégance, c’est en somme un esprit libre. Je peux même monter sur une table dans un restaurant chic pour dire mon amour à quelqu’un que ce sera élégant. L’élégance, c’est la liberté maîtrisée et en action.