Archives par mot-clé : homosexuel

Code n°116 – Méchant Pauvre

méchant pauvre

Méchant Pauvre

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Tu vas payer notre misère sexuelle commune !

 

Quand on ne s’accepte pas un minimum soi-même et qu’on rejette (de par son désir et parfois sa pratique amoureuse) la différence des sexes – ce qui est le cas de toutes les personnes homosexuelles –, il est logique que l’acceptation de l’autre (l’étranger, le pauvre, le fragile) et de la différence des espaces se fasse difficilement, voire violemment. C’est étonnant pour nos mentalités d’aujourd’hui, qui avons tendance à penser que ceux qui souffrent de leur marginalité et de leur différence s’identifieront davantage aux marginaux et à les aider. Et pourtant, la souffrance et la différence ne sont pas toujours fédératrices. Elles peuvent même être sources de conflits quand elles ne sont pas identifiées.

 

Le pauvre de l’homosexuel fictionnel ou de l’individu homosexuel devient vite une preuve vivante de l’hypocrisie ou de la complicité avec la misère sexuelle, un miroir inacceptable de la prostitution, du tourisme sexuel, du fossé grandissant entre riches et pauvres, de la violence de la pratique homosexuelle (pratique faussement égalitaire et souvent injuste puisqu’elle repose sur l’exploitation mutuelle, sur un colonialisme et un racisme « nouvelle génération » se parant de bonnes intentions et de bonnes sensations pour cacher des rapports de domination/soumission pourtant concrets).

 

En dépit des apparences, nos bonnes intentions – même amoureuses, même solidaires, même alter-mondialistes –, si elles ne sont pas connectées au Réel, peuvent être d’une extrême violence et aboutir à l’inverse de leur prétention. On veut le bien du pauvre sans le faire concrètement, et tout en nourrissant une exploitation mutuelle nouvelle : celle qui remplace l’effacement de la différence des espaces par l’effacement de la différence des sexes.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles ont un désir contradictoire vis à vis du pauvre : à la fois elles veulent le sortir de sa misère et veulent l’y enfermer (sinon, il ne se donnerait plus à elles). C’est une réaction malheureusement bien humaine, qui n’est pas propre à l’homosexualité, au départ. En général, dans nos relations interpersonnelles, quelle injure que de découvrir que nous ne sommes pas aimés du même amour qu’on aime (ou qu’on croit aimer) une personne ! Surtout si celle-ci fait preuve d’ingratitude à notre égard, ne nous rend pas la monnaie de notre pièce, se trouve être un individu fragile, isolé, démuni, « objectivement » dans le besoin, concrètement dans la position de mendier notre amour… L’âme secourable a parfois ses exigences sur le miséreux à aider. Elle peut, parce qu’elle s’identifie trop à lui, lui imposer sa solidarité comme une dette d’amour. Aucun être humain, même dans ses bons jours de générosité, n’est à l’abri de la convoitise. C’est ce rapport destructeur que l’on peut observer à différentes reprises entre le personnage homosexuel des fictions et le pauvre qui l’attire, et qui, parce qu’il est libre, unique, bourré de travers, parfois homosexuel par intérêt (tourisme sexuel, prostitution masculine, etc.), rebelle à rentrer dans le démagogique Tableau de la Rencontre idyllique des classes que le riche a savamment orchestré, finit par trahir ou se venger du bourgeois qui a tenté de l’utiliser comme un objet pour flatter son propre narcissisme d’Occidental dépressif.

 

On le voit bien dans le cas du pauvre vu par les personnes homosexuelles. Elles le détestent de l’avoir aimé avec excès. Comme fatalement il ne correspond pas à son estampe idyllique de Beatus Ille, puisqu’il n’est ni figé ni sage comme une image, qu’il ne se laisse pas dérober, et qu’il refuse de rentrer docilement dans le tableau démagogique de la rencontre pacifique des Peuples que beaucoup de personnes homosexuelles ont brodée, celles-ci finissent parfois par se venger de leur propre naïveté narcissique sur les pauvres réels. « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » chante par exemple Étienne Daho dans « Va t’en ». Nous trouvons une formidable illustration de ce mépris à travers le personnage homosexuel de Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, qui voue une haine profonde pour les pauvres de sa pègre imaginaire (qui n’est en réalité que la foule de ses amants homosexuels) : « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » En se substituant fantasmatiquement au pauvre par une discrète inversion, d’un côté certaines personnes homosexuelles désirent violer une liberté, et de l’autre, veulent se faire plaindre en imputant à leur victime le regard condescendant qu’elles lui ont porté et qu’elle leur portera peut-être en retour pour se venger de leur doucereuse prétention à les manipuler.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Noir », « Liaisons dangereuses », « Mère Teresa », « Inversion », « Prostitution », « Voleurs », « Amour ambigu de l’étranger », « Homosexualité noire et glorieuse », « Se prendre pour le diable », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Tout », « Homosexuels psychorigides », « Milieu homosexuel infernal », « Bourgeoise », « Promotion ‘canapédé’ », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois », « Violeur homosexuel », « Faux Révolutionnaires », à la partie sur les gigolos tueurs du code « Homosexuel homophobe » et à la partie « Désir de viol » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Le pauvre, méchant et profiteur :

Film "Suddenly Last Summer" de Joseph Mankiewicz

Film « Suddenly Last Summer » de Joseph Mankiewicz


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, le pauvre est souvent présenté (par le personnage homosexuel) comme un monstre vengeur ou une pègre cruelle ricanant à gorge déployée (cf. je vous renvoie à la partie sur l’euphorie collective de la pègre homosexuelle dans le code « Cour des miracles » du Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresco, le vidéo-clip de la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer, le film « Décameron » (1970) de Pier Paolo Pasolini, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le vidéo-clip de la chanson « No More I Love You’s » d’Annie Lennox, la chanson « Ramon et Pedro » d’Éric Morena, la version « live » de la chanson « Maman a tort » de Mylène Farmer à Paris-Bercy en 1989 (avec Carole Fredericks), la pièce L’Autre Monde, ou les États et Empires de la Lune (vers 1650, adaptée en 2008) de Savinien de Cyrano de Bergerac, le film « Coffy, la Panthère noire de Harlem » (1974) de Jack Hill, la photo du Noir déguisé en diable à la Gay Pride parisienne de 1996 dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron (p. 135), etc. « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, la protagoniste lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Les rires redoublèrent, des rires grossiers. » (Tanguy, le héros homosexuel décrivant la pègre de garnements de l’asile Dumos, dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 27) ; « Dans la ronde des fous, elle pleure tout doux. » (cf. la chanson « Tristana » de Mylène Farmer) ; « Toute l’assistance pouffa de rire […] et souriait avec ses dents affreuses ! […] Cela me perça d’une atteinte mortelle. » (Arthur Rimbaud, Un Cœur sous la soutane (1924), p. 209) ; « Et leurs rires nous fusillaient, nos mères désemparées. » (cf. la chanson « Nos Mères » des Valentins) ; « Les grands ont des rires qui vous giflent en passant. » (cf. la chanson « Parler tout bas » d’Alizée) ; « Une de ces machines ressemblant à un train de Walt Disney faillit l’[Truddy] écraser. L’homme noir qui la conduisait riait, il fit demi-tour et refonça sur elle. » (Copi dans sa nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 31) ; « La foule riait aux éclats, ils lançaient sur Truddy des pavés. » (idem, p. 40) ; « Tout le monde a ri. Tout le monde. Tous ces gens avec qui j’ai grandi. […] Le pire, c’est que je ne les ai même pas détestés. » (Pauline, l’héroïne lesbienne parlant des gens de son village, dans le film « Pauline » (2009) de Daphné Charbonneau) ; etc. Par exemple, dans sa nouvelle L’Encre (2003), un ami homosexuel angevin décrit « les rires avariés des putains de la cour » (p. 37). Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, Pretorius, le vampire homosexuel, se dit entouré de « bandes de gamins qui ne l’aiment pas ».

 

Film "Tarnation" de Jonathan Caouette

Film « Tarnation » de Jonathan Caouette


 

Les amants-mendiants cruels, délateurs, violeurs et vengeurs apparaissent dans beaucoup d’œuvres homo-érotiques : cf. les chansons de Jean Guidoni, le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, le film « Faustrecht Der Freiheit » (« Le Droit du plus fort », 1974) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le vidéo-clip de la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « They Don’t Care About Us » de Michael Jackson, le film « Jacquou le Croquant » (2007) de Laurent Boutonnat, le film « The Halloween Parade » de Lou Reed, le film « Les Lunettes d’or » (1987) de Giuliano Montaldo (avec le prostitué profiteur), la photo Le Démon noir – modèle Theddy (1998) de Pierre et Gilles, le vidéo-clip de la chanson « Foolin’ » de Devendra Banhart (avec le Noir bourreau), etc. « Si Khalid se souvient de moi et qu’il se retourne vers moi, pour moi, je le sauverai, je redeviendrai un ange, juste un petit diable, le petit pauvre. » (Omar, le héros homosexuel pauvre, après avoir tué son amant Khalid, issu d’une classe aisée, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 169) ; « Il n’avait pas 6 ans qu’il se faisait déjà attraper par les Arabes du côté de la Huchette. » (Madame Simpson parlant de son fils transgenre M to F Irina, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Être homo dans le milieu ouvrier, c’est du rail. » (Pierre, l’ouvrier hétéro, très vite jugé « gaffeur homophobe » par la doxa Adèle/William/Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Place aux informations : la planète Gronz […] est envahie par ses voisins, les Grounz, qui ont fait main basse sur leur stock d’épinards surgelés. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Le rire de ce skinhead éméché résonna contre les murs, aigu et efféminé » (Jane, l’héroïne lesbienne dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 95) ; « Fais gaffe : les clodos pourraient te bouffer. » (Rettore, homosexuel, prévenant ironiquement son nouvel ami homo David, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Faites pas vos pédés ! » (un clochard s’adressant au couple Vlad/Anton, qui par provocation s’embrasse alors à pleine bouche dans la rue, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, Childie se laisse entretenir par George. Dans le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, un bourgeois séduit de jeunes prolétaires par le biais du mensonge : ces mêmes amants pauvres se retourneront contre lui. Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Jeff, le banlieusard, exploite financièrement Nicolas. Dans le film « Les Terres froides » (1999) de Sébastien Lifshitz, le Maghrébin dominant « baise » le Blanc. Dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann, Anthony, le garçon d’hôtel, se venge du client qui a voulu le torturer sexuellement : il le vole, lui prend son code de carte, le ligote et le sodomise sauvagement : « J’pense que pour le prix, tu mérites au moins de te faire enculer. » Dans le film « L’Homme de désir » (1971) de Dominique Delouche, un délinquant, Rudy, se retourne contre Étienne, son salvateur qui tentait de le sortir de la misère. Dans le film « Lolita : Vibrator Torture » (1987) d’Hisayasu Sato, un violeur SDF tue des femmes. Dans le film « L’Immeuble Yacoubian » (2006) de Marwan Hamed, le héros homosexuel a été violé par le domestique nubien noir. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, lorsque le groupe LGBT de Mark propose à ses militants homosexuels de s’associer au mouvement des mineurs gallois, l’un d’eux refusent car il voit en ces ouvriers les homophobes de son adolescence : « Ces types-là me tabassaient sur le chemin du retour de l’école… » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Fabien décrit la « gueule en sang » du nouvel homme de ménage, Norbert. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien, l’un des héros bisexuels, méprise le clochard nommé « Dagobert » en bas de sa rue, qui possède d’effrayants rats et qui le harcèlerait : « Ça fait des semaines qu’il me bassine en me racontant sa vie. »

 

Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus pointe du doigt toutes les confessions religieuses comme autant de fondamentalistes du capitalisme spirituel mondialisé, et autant de facteurs étrangers de Guerre Mondiale. L’ennemi, c’est clairement les religions, qui créeraient des guerres et qui agressent le narrateur par leur diversité. Pendant tout son spectacle, le comédien jalouse autant qu’il agresse les Noirs : il met en scène une émission Qui nique qui ?, soi-disant pour anti-raciste, qui met précisément en scène la maltraitance moderne des Noirs et des pauvres, présentés comme des méchants. Il vire son assistant Noir, Zoran : « Je te rendrai tes papiers à la fin de la tournée. On avait dit ‘Pas de Noirs !’ sur la tournée. De toute façon, comment veux-tu qu’on s’entende ? On est trop différents. » Il fait même une pub d’un désherbant fictif, Toxiron, pour se débarrasser des Roms campant dans les jardins.
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, se fait sodomiser par son guide mexicain, Palomino : « Ça fait mal. Ça pique ! Je vais vomir. Je saigne ! ». Avec une jouissance malsaine, il lui parle de la syphilis, maladie transmise aux Russes, et qui se serait appelée « le mal mexicain ». Palomino semble se venger de la domination coloniale des Occidentaux sur les Orientaux en inversant, par la sodomie, la domination, comme s’il rééquilibrait le sens de l’Histoire : « Tu es l’Ancien Monde. Je suis le Nouveau Monde. Je veux jouir de ton cul russe et virginal. »
 

Paradoxalement, le méchant pauvre correspond aussi à un fantasme sexuel et amoureux du héros homosexuel : « Les mecs du 7.5., c’est tous des pédés ! » (Ryan dans la pièce Bang, Bang ! (2009) des Lascars Gays) ; « Il s’était battu […] pour convaincre ses amants qu’il était autre chose qu’un bad boy, une racaille excitante par qui se faire séquestrer dans une cave des cités. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 327) ; « Nous progressions au pas dans une forêt sauvage, silencieuse, menaçante, d’obscurs voyous dont nous ne voyions luire au feu des phares et des rares réverbères que les étranges diadèmes de rangées de dents d’ivoire et d’or en couronnes. » (le narrateur homosexuel dans la nouvelle « Les Garçons Danaïdes » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 101) ; « Cody cherche des Arabes. Il est obnubilé, il dit ‘Je sens que je pourrais être une femme avec eux parce qu’ils se servent de ton corps comme celui d’une femelle, tu vois, comme si t’étais une objet de plaisir et que tu n’existais pas comme personne. » (Cody, le héros homosexuel nord-américain efféminé du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 91) ; « Cody dit ‘Je m’a suis fait voler. Nourdine il a tout volé, l’argent et la caméra de New York University que j’avais empruntée. Oh my god, on habitait ensemble, et cette matin, je m’est levé et tout avait disparu dans l’appartement.’ Je l’accompagne pour porter plainte. Je lui dis ‘Ça te plaît, hein, que ce mec t’ait volé ? C’est la preuve que tu avais raison d’avoir peur. Maintenant ça te fait jouir d’avoir été une femme violée et volée, c’est comme si ton rêve magique d’être une femme avait été poussé au maximum.’ Cody, pris en faute, me regarde de travers. » (Mike, le narrateur homosexuel s’adressant à Cody, idem, p. 111) « Il a venu pour s’excuser […] Il a été obligé de ma voler, mais il a dit désolé, quoi et on a fait l’amour ensemble. » (Cody, idem, p. 112) ; etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit, Gwendoline (la lycéenne travesti M to F) rêve de se faire violer par Mounir et ses potes maghrébins lors d’une tournante dans une cave. C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, apparemment. Dans le film « Le Rebelle » (1980) de Gérard Blain, Beaufils explique son attirance pour la marginalité et la violence : « Il n’y a que cela qui me fait bander. » Dans la pièce Chroniques des Temps de Sida (2009) de Bruno Dairou, le narrateur homosexuel désire « cette humanité pouilleuse » qu’il observe du haut de la terrasse de son père… mais il finit par se dire à lui-même : « Finalement, tu n’en es jamais descendu, de ta terrasse. »

 
 

b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:

Le héros homosexuel décide donc de se défendre face à cette méchanceté désirée/réelle/provoquée. Au départ, sa vengeance commence par un mépris verbal (qui se fait passer au départ pour une imitation parodique de grande bourgeoise) : cf. la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec Marie, la mère bourgeoise raciste), etc. « Les pauvres… Ils savent qu’ils dérangent… et ils en profitent. » (la femme parlant de la mendiante lesbienne dans la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Véronèse) ; « Les SDF, la misère, on n’en a rien à péter. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Il est grand temps que Jean-Marie [Lepen] arrive enfin au pouvoir ! Parce que ça ne peut plus durer ! » (la mère travesti M to F, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) de David Forgit) ; « Pense aux p’tits Africains qui n’ont pas ta chance ni ton intelligence. […] Les pauvres n’imaginent pas les soucis que les gens aisés ont avec leur personnel. Ils sont trop gâtés et puis c’est tout ! » (la grand-mère Mamita, la mère de Laurent – le héros homo – jouée par lui-même, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Vous, mon égal ? » (Maurice à son amant pauvre Scuder, dans le film « Maurice » (1987) de James Ivory) ; « Plus ça va et plus je méprise le Peuple d’une force ! » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « On n’a pas à se soucier des serviteurs ! » (Petra, l’héroïne lesbienne du film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Ça me ferait mal de voir mes supers pompes sur des pieds de pauvre ! » (Damien, le héros homosexuel qui ne veut pas se débarrasser de ses 75 paires de chaussures pour en donner une à des œuvres de charité, dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi) ; « Et tous ces enfants qui meurent de faim chaque jour… et nous qui allons passer un repas somptueux… » (Jules, le héros homosexuel dandy, au moment de passer à table, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Les opprimés vous démangent. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « C’est fou de militer contre l’exclusion et de se faire traiter de dégénérés par des immigrés ! » (Nathalie dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 155) ; « Vous savez pourquoi les Nègres ont de grosses lèvres ? » (Michael, le héros homosexuel parlant de la soi-disant tendance à la plainte paresseuse chez les Noirs, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Sur les murs blancs, une seule photo, prise en Inde, un mendiant qui tend la main sur le bord d’une route, très photo-reportage. Dégueulasse. » (Mike, le héros homosexuel visitant l’appartement de Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 96) ; « Bien que l’armistice ait déjà été demandé par Pétain, on murmure que des centaines de tirailleurs sénégalais ont été massacrés de sang-froid par les nazis. De cette ‘chasse aux nègres’, je ne veux rien savoir. Juste profiter de l’instant présent. » (Madeleine, la narratrice du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 63) ; « Tu n’es pas le premier rat dans ma vie, tu sais […]. Je ne suis jamais restée longtemps avec un rat. Ce n’est pas parce que je suis raciste, loin de là ! Mais je n’ai jamais trouvé un rat qui m’aime vraiment, je veux dire, pour moi-même. » (« L. », le héros transgenre M to F s’adressant au Rat, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Vous êtes 350 rats à habiter dans mon armoire ? Vous êtes des rats réfugiés ? Vous vous êtes évadés de l’Institut Pasteur ? Mais il fallait le dire avant ! Je vous aurais installé des cages en bambou dans le jardin d’hiver ! » (idem) ; « Goliatha ! Où est passée cette idiote ? » (idem) ; « Un instant, Madame Freud, je réprimande mon habilleuse indigène ! Goliatha ! » (idem) ; « Dis bonjour de ma part à tes négrillons. » (« L. » s’adressant à sa mère, idem) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Donne-moi les clé de chez elle, espèce de sale Arabe ! » (cf. une réplique de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Les étrangers : tous des lavettes. » (Dave dans le film « Good Morning England » (2009) de Richard Curtis) ; « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196) ; « Les fiottes : plouquicides, pecnoquicides. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; etc.

 

Par exemple, dans le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007) de Madame H., les enfants (et surtout ceux du Tiers-Monde) sont qualifiés de « capricieux ». Dans la série Clara Sheller (2005) de Renaud Bertrand (cf. l’épisode 2 « Intuition féminine »), Ben, l’amant SDF saltimbanque, est présenté comme un arriviste. Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry compare son amant arabe à un insecte. Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Sapho traite Ahmed de « tiers-mondiste hors-la-loi ». Dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent, Moussa, le héros noir, est surnommé « Kirikou » par Jessica, une de ses camarades de lycée. Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le crime n’est associé par Dorian Gray (le héros homosexuel) qu’aux pauvres. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Kévin, le héros gay, s’énerve sans arrêt contre les Japonais et traite à chaque fois très mal leurs restaurateurs : « C’est quoi cette merde ? » Dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti, François fait du racisme anti-Arabes. Dans le one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand rentre dans la peau d’une bourgeoise responsable d’un orphelinat au Burkina-Faso, odieuse avec les petits Africains. Avec son copain Claudio, ils se sont adressés à elle pour adopter un enfant. Cette directrice exploite les pauvres comme un businessPour deux enfants adoptés, le troisième est offert ! »), les méprise (« Fatoumata, tu pues ! ») mais tient quand même un double discours pour masquer son comportement (« La mode aujourd’hui, c’est les pauvres. J’adore les pauvres ! »). Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, passe au crible tous les étrangers qui ont défilé dans son avion… et ça balance grave : les « mamas orientales », les Américaines « avec des ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec », les Chinois (« Les Chinois, ils sont en train d’envahir le Monde. On dirait des clowns qui sortent des boîtes. Ils sont moches, en plus ! »), les « Africains courtois » (« T’as ça, mais aussi les Africains. »). Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, ne fait que des blagues racistes et homophobes sur les Noirs (il parle du « cul d’un Noir »). Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François et son amant Thomas se lancent dans un voyage en pleine forêt tropicale thaïlandaise pour aller chercher Tchang, un bébé de trois ans qu’ils veulent adopter. Ils tombent sur une tribu d’indigènes qui ne parlent pas leur langue, et ils les attaquent et insultent sans raison : « Venez donc là, bande de petites bites ! ». Voyant qu’il y a eu quiproquo à propos de l’adoption, ils rebroussent chemin : « C’est pas grave. On adoptera un chien… » (Thomas) Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le jeune héros homosexuel, ne donne pas la pièce à une mendiante venue l’accoster.

 

MÉCHANT pauvre indian

 

Quelquefois, le héros homosexuel s’estime même encore plus victime que le pauvre (car lui, c’est un pauvre invisible ! croit-il) : « Nègres, juifs ou infirmes, tous les damnés car possédant un havre, une famille où on les aime, où on les élève au moins dans la fierté » (la narrateur homosexuel dans la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 24)

 

Finalement, le pauvre est jugé « méchant » de ne pas se laisser posséder, ou bien d’être complice d’une mauvaise action sexuelle commune avec le héros homosexuel riche. « Je trouve une jeune personne sortie des Mille et Une Nuits à qui j’offre ma fortune : aussitôt elle m’abandonne ! » (Pédé parlant d’Ahmed, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le narrateur homosexuel ayant rencontré son jeune et bel amant étranger noir Malcolm sur un lieu de prostitution, et se rendant compte de la supercherie de ses propres pulsions sexuelles, dans le roman Par d’autres chemins, (2009) d’ Hugues Pouyé, p. 59) ; « Vous êtes pauvre, et vous êtes ici par nécessité. » (le héros homosexuel s’adressant à son tapin-amant, dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1985) de Bernard-Marie Koltès) ; « Ne regarde pas ces petits monstres. Les mendiants sont la malédiction de ce pays. Si on les regarde, on se lasse de tout le reste. » (Sébastien, le héros homosexuel du film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « J’ai été séduit par ton air gavroche […]. Mais à qui donc j’avais affaire, sourire gentil et cœur de fer » (cf. la chanson « Va t’en » d’Étienne Daho) ; etc.

 

Puis la menace ou l’insulte prennent parfois une tournure plus concrète et violente : cf. le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le meurtre de la clocharde Berthe appelée « La Reine des Hommes »). « Enfant des rues, il est habitué au tourisme. Plus amoureux de moi qu’il ne le croit, il a besoin de mon regard pour vivre, je suis déjà son assassin. Enfin, assassin c’est un grand mot, je ne sais pas encore que je vais le tuer, il ne sait pas que je peux l’oublier. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 23) ; « Louis du Corbeau songea déjà à se débarrasser de ce jeune esclave transformé en moins de trois ans en épouse tyrannique. » (Copi dans sa nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983), p. 32) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Tendresse des loups » (1973) d’Ulli Lommel, Frizt Haarman, un indicateur de la police, attire chez lui des jeunes chômeurs ou SDF, les fait boire, puis les viole avant de les tuer en les mordant au cou. Il revend ensuite leur chair pour confectionner un « jambon désossé ». Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2013) de Carlos Montero, le prostitué Jaime, un bel étudiant sans le sous, se retrouve maltraité et menacé de mort par ses clients. Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont utilise un pauvre surnommé « Mendiantissimo » dans un pastiche d’émission Télé-Boutique AchatTélé-Bling-Bling Shopping. Ce déshérité, il le caricature comme quelqu’un de plaintif, qui pue du bec, venant de l’Est de l’Europe (il s’appelle Piotr ou Maria). Et notre présentateur homosexuel lui scie les jambes, lui met un collier, lui envoie des décharges électriques : « Le Mendiantissimo : l’exploiter, c’est l’adopter. » Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca, homosexuel, raconte son arrivée à Paris, dans un foyer de jeunes travailleurs où il a quelques difficultés à s’afficher gay. Il les traite de « jeunes délinquants » sales, et les vire avec ses chansons d’Alizée : « Nous les gays, on a une arme fatale : c’est Alizée. Alizée, elle te vide un immeuble entier. »

 

Cette haine du pauvre semble être l’expression de l’homophobie intériorisée. Le héros homosexuel s’en veut (et en veut à ses frères d’orientation sexuelle, à ses frères de misère sexuelle) de pratiquer l’homosexualité et de croire en la réalité de leur désir homosexuel. « Le chauffeur de taxi […] râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) Par exemple, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Lou, l’héroïne lesbienne, a coupé l’oreille de Fifi, un travesti clochard M to F (selon Mimi, l’ami de ce dernier, elle a agit ainsi « parce qu’elle déteste les pauvres ! ») : « Nous, les gouines, on en a marre de votre sacré bordel à vous, travestis, voyous, clodos, Zoulous et Arabes qui pourrissent l’escalier ! » Dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues, Tonia, le héros transsexuel M to F, blesse Jenny, son homologue noir, en fermant sa robe avec sa fermeture-éclair, en se piquant de jalousie pour lui, et le traite de « sorcière ». Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des protagonistes homosexuels avoue avoir été violé dans une tournante, par des racailles, ses « jumeaux ». Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adrian, le délinquant, « oute » le père Adam parce qu’ils se sont inconsciemment identifiés comme homosexuels tous les deux.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Le pauvre, méchant et profiteur :

Il n’est pas rare que le monde amoureux homosexuel louvoie avec la violence du monde de la pauvreté. Les rapports homosexuels inégalitaires, où la domination et la soumission sont plus présentes qu’ailleurs (en l’absence d’une différence des sexes qui pacifie et canalise davantage les pulsions humaines), ont trouvé dans les rapports inégalitaires de classes sociales leurs meilleurs canaux. « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Nijinski dans son Journal, 1918) Souvent, les exploités sexuels (des prostitués ou escort boys) se vengent d’ailleurs de leur homosexualité refoulée sur leurs gigolos (souvent occidentaux). Les cas concrets ne manquent pas. « Le violoniste virtuose Paul Körner est victime de chantage de la part du prostitué Franz Bollek. Körner refusant de continuer à payer toujours plus d’argent au maître-chanteur, Bollek le dénonce pour infraction à l’article 175. Au cours du procès qui s’ensuit, le docteur Magnus Hirschfeld, qui joue son propre rôle, prononce un ardent plaidoyer contre l’intolérance et la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Bollek est condamné pour extorsion de fonds. Körner, qui est pourtant victime de chantage, est lui aussi condamné, mais pour avoir enfreint l’article 175. Sa réputation est ruinée, il ne supporte pas l’opprobre public et finit par se suicider. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 112) Par exemple Costas Taktsis, l’écrivain grec, est assassiné (étranglé) le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. L’agresseur du chanteur espagnol Miguel de Molina n’est autre qu’un homme homosexuel lui aussi (cf. l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 56). Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, est tué par un prostitué, étranglé par un câble. Álvaro Retana, le romancier espagnol, est assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est assassiné dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été tué par Pino Pelosi, un jeune homme homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. L’homme politique Harvey Milk est assassiné par Dan White en 1978 à San Francisco : l’orientation sexuelle du tueur, si l’on s’en tient à l’adaptation cinématographique de Gus Van Sant, semble plus que trouble. Le directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings, est retrouvé nu et décédé à 53 ans sur son lit de chambre d’hôtel à New York en 2012 : il y avait fait de drôles d’expériences avec deux jeunes prostitués. Le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans.

 

Je l’ai constaté dans mon travail de professeur en collège et en lycée en « zones sensibles » : la réaction instinctive de la personne blessée ou fragile face à un autre semblable blessé se joue concrètement dans les extrêmes : soit cette gémellité dans la souffrance provoque de la compassion extrême, soit le plus souvent de l’attaque. Car le pauvre ou le « blessé sexuellement » n’a pas les ressources nécessaires pour comprendre qu’il est blessé, et donc pour accueillir sereinement ensuite la personne blessée lui renvoyant indirectement le reflet de sa propre blessure. Il s’engouffre instinctivement dans la brèche qu’il devine, et là, c’est le choc des presque-semblables. C’est la même violence de l’effet-miroir humain que je décris dans les cas d’homophobie (cf. je vous renvoie au code « Homosexuel homophobe » du Dictionnaire des Codes homosexuels) ou dans les cas de « couples » homos « durables », violence que beaucoup d’auteurs homosexuels (tels que Frédéric Mitterrand, Patrice Chéreau, néstor Perlongher ou Pier Paolo Pasolini) ont soulignée, d’ailleurs. L’homosexualité est perçue par le pauvre comme une atteinte à sa virilité, un élément de misère identitaire et psychique qui vient se rajouter à sa misère matérielle, et ça, pour lui, c’est inacceptable ! Quand il se prostitue, il est rare qu’il assume y trouver du plaisir sexuel ou la source d’une identité homosexuelle : il fait ça « pour l’argent » ou dans une démarche quasi « politique »… pour renverser l’espace d’un instant le rapport de classes. « C’est moi qui fixe les prix : j’attaque à 150 F. Je descends jamais au-dessous de 100 F. Après, on part en voiture, dans la mienne toujours, parce qu’on sait jamais sur qui on peut tomber… Des voyous… » (Pierre Benichou, Le Nouvel Observateur, 1970)

 

Par exemple, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler, nous est montrée l’attraction étrange du réalisateur italien Pier Paolo Pasolini (pourtant originaire d’un milieu aisé) pour la violence et la promiscuité des jeunes hommes banlieusards vivant autour de Rome. Ce dernier expliquait – avant de mourir assassiné par l’un d’eux – que ces gens sans ressources devenaient violents parce que « faibles » : « Ils tuent pour ne pas être tués. »

 

Film "Decamerone" de Pier Paolo Pasolini

Film « Decamerone » de Pier Paolo Pasolini


 

La misère et la fragilité sexuelles induites par la pratique homosexuelle expliquent la forte propension à l’homophobie entre personnes homosexuelles : « Les pratiques homosexuelles sont plutôt le résultat de la misère sexuelle existant dans le Maghreb que de vrais désirs homosexuels : une sexualité de substitution. » (cf. l’article « Maghreb » de Robert Aldrich, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 306) ; « Outre la mauvaise réputation qu’avait la Savane la nuit, je lui rapportais en détail certaines agressions dont j’avais été témoin. Sur la place, je rencontrais toutes sortes d’individus ; les ‘branchés’ étaient une population très hétéroclite. On était du même bord, mais on ne se fréquentait pas. Sans doute par manque de confiance, beaucoup se méfiaient de leur propre clan et jouaient à cache-cache en permanence, se dénigrant et se méprisant mutuellement. Impensable pour un groupe déjà victime du malheur de sa propre différence ! C’est quand même surprenant et regrettable d’en arriver là. […] Cette histoire de clans est une fatalité pour la communauté et l’on ressentait une rivalité oppressante entre les groupes différents. En fait, chaque groupe entrait dans une catégorie bien distincte : les extravagants, les cancaniers, les très discrets et enfin les ‘leaders’, ceux qui incitaient à la prise de conscience contre les discriminations et l’homophobie dans la région d’outre-mer. Je trouvais bien dommage cette diversification au sein de la communauté. » (Ednar parlant des lieux de drague antillais, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, pp. 188-189) ; « À Saint Louis, on m’a battu. On m’a enfermé dans les toilettes. Je rentrais couvert de bleus. Ma mère ne m’a pas protégé. Elle ne m’a pas protégé ! […] Tu sais, à Oran, être pédé, c’est comme être criminel. » (Yves Saint-Laurent parlant du viol scolaire qu’il a vécu en Algérie, dans la biopic éponyme (2014) de Jalil Lespert) ; « Les Arabes et les Noirs sodomisent et châtrent leurs ennemis vaincus. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 260) ; « Je fis la connaissance d’une sorte de gitan (c’est d’ailleurs moi qui l’abordai et l’enlevai, littéralement). Il était grand et je le trouvais beau, mais dans un triste état vestimentaire que venait encore renforcer une réticence marquée à l’égard de tous les principes d’hygiène élémentaire. Tandis que, comme l’aurait fait une ‘fille’, je l’invitais à monter dans ma voiture et à s’y installer avec son baluchon, je ne cessais de me répéter : ‘Tu es fou… Tout cela finira mal…’. […] Le lendemain, après m’avoir tapé de quatre mille francs et ‘emprunté’ ma montre, il disparut de lui-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108) ; etc.

 

Les pauvres sont souvent présentés par les personnes homosexuelles comme des gens dangereux dont il faut se méfier… et paradoxalement, le pauvre violeur correspond à un fantasme homosexuel bien répandu dans la communauté homosexuelle (le bel Arabe, le Turc ou le « rebeu » musclé, le lascar ou le bad boy étranger, etc.) : « 1960 : l’oncle Sam montre ses seins. En l’an 2000 : je me fais enculer par un Noir. » (cf. dessin de Copi ayant fait la Une du journal Libération le 8 août 1979) ; « Trente ans après, le jeune Arabe est le non-dit le plus lourd de la société française. Il est à la fois rejeté et désiré, haï et fantasmé. Il est l’inacceptable et le vague regret. Les féministes le vomissent mais elles n’osent pas le dire par héritage anticolonialiste. Elles sont furieuses de voir les cités revenir à l’âge de pierre antéféministe et, en même temps, sont ravies de trouver un repoussoir mâle aussi parfait. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 99) ; etc. Je vous renvoie à l’essai Homo Exoticus – Race, classe et critique queer (2010) de Maxime Cervulle et Nick Rees-Roberts. Le mépris homosexuel du pauvre s’origine parfois dans une imitation des parents : « Ma mère n’avait que mépris pour les gens plus pauvres que nous, coupables de ne pas avoir su se débrouiller. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 38)

 
 

b) Le pauvre va payer (… le fait que je le paye, l’exploite, l’aide, l’aime et qu’il m’exploite) !:

MÉCHANT Citébeur

 

La violence ou l’indocilité du bad boy, même si elle ravissait au départ, est bien souvent dénoncée par les personnes homosexuelles qui se sont laissées pour un temps amadouer par lui, mais qui décident de reprendre un peu la main. En fait, elles se vengent d’elles-mêmes, de leur défaillance et de leur propre naïveté, en exprimant un dégoût du pauvre, un racisme inattendu, une xénophobie et un orgueil mal placés : « Pendant le dîner, nous avons appris que l’esthéticienne avait été hétérosexuelle avant d’être touchée par la grâce. Elle avait passé des années en Afrique avec son seigneur et maître qui s’engraissait à faire suer le burnous et elle tenait sur les Africains des propos qui m’ont stupéfiée. J’ai découvert avec surprise ce soir-là qu’on peut être encore de nos jours d’un racisme effarant. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 156) ; « Je n’aimais pas Diaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Mais je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. Il s’était imposé à moi en profitant de ma pauvreté et de ce que soixante-cinq roubles par mois ne pussent me suffire à nous empêcher, ma mère et moi, de crever de faim… » (Vaslav Nijinski dans son Journal, en 1919) ; « Ali me disait qu’il faisait des démarches pour que nous nous pacsions et que nous vivions ensemble, mais je ne pouvais me départir du soupçon qu’il m’utilisait en attendant d’obtenir un titre de séjour. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) ; « Mais toi, le Nègre, qu’est-ce que tu t’imagines…! » (Miguel de Molina s’adressant au Noir Alberto Olmedo, cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « Parfois, il m’arrive de penser que les homosexuels sont tous une bande de gangsters… Parfois. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 193) ; « Nom de code : Kamel. Il n’est pas en mon pouvoir d’évaluer l’importance de la merveille, son éclat, ni ses effets nocifs, car il existe de redoutables merveilles, des merveilles mantes religieuses capables de vous dévorer tout cru. J’entends par merveille un être qui chute sur mon chemin comme un aérolithe dans un désert. » (Christian Giudicelli à propos de son jeune et bel amant Kamel, dans son autobiographie Parloir (2002), pp. 132-133) ; « Beaucoup d’homosexuels non juifs sont violemment antisémites. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 150-151) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles reprochent aux pauvres leur manque de fidélité, leur jeunesse, leur inculture, leur manque de savoir-vivre, leur inconstance, leur fourberie, le fait qu’ils ne se laissent pas posséder ou qu’ils soient complices d’une pratique homosexuelle commune avec elles : « … Oui, ils sont faciles, et c’est là que réside leur insigne faiblesse. Ils se prêtent et ne se donnent pas. » (Armand Guibert à propos de ses amants marocains, dans son « Journal de Marrakech », cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 202)

 

Certaines ont même peur du retour de bâton du colonialisme occidental et du tourisme sexuel. Par exemple, dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira présente l’immigration étrangère et les « cultures immigrantes traditionnelles » comme une nouvelle facette de la menace homophobe à venir (p. 624). Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, les pauvres sont méprisés et montrés comme des envahisseurs.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

L’affirmation d’une homosexualité, en même temps qu’elle montre un changement de rang social (cf. je vous renvoie au code « Promotion ‘canapédé’ » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), illustre ce mépris des gens pauvres dont certaines personnes homosexuelles font parfois partie. On peut penser par exemple au cas de Brahim Naït-Balk, d’Hervé Guibert, de Didier Éribon, de Jean Genet, qui s’autorisent d’autant plus à être racistes, homosexuels ou anti-pauvres du fait qu’ils connaîtraient le monde ouvrier de près ou qu’ils ont décrit leur bagarre pour sortir de la misère dont ils sont nés. « J’étais politiquement du côté des ouvriers, mais je détestais mon ancrage dans leur monde. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 73) ; « Mon marxisme de jeunesse constitua donc pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la ‘classe ouvrière’ pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. En lisant Marx et Trotski, je me croyais à l’avant-garde du peuple. Je détestais la classe ouvrière dans laquelle j’étais immergé, l’environnement ouvrier qui limitait mon horizon. […] Ainsi, quand je manifestais contre les succès électoraux de l’extrême droite, ou quand je soutenais les immigrés et les sans-papiers, c’est contre ma famille que je protestais ! » (Idem, pp. 88-89 puis p. 117) Par exemple, dans son autobiographie En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, Eddy Bellegueule a diabolisé sa famille et son enfance pauvre : il déclare vouloir « rompre avec ce qu’on avait fait de lui pour se réinventer » et affiche son mépris pour ses camarades scolaires : « Leurs visages se dessinaient dans mes pensées : je ne retenais d’eux que la peur. » (p. 63) Il se sert du fait d’être issu d’un milieu ouvrier qu’il présente comme cruel et homophobe pour encore plus justifier son homosexualité. Le coming out apparaît alors comme une réponse caricaturale à sa haine des pauvres, et une vengeance-rupture avec son milieu d’origine. Son éducation « beauf », puis son retournement en snobisme (via l’homosexualité), sont pourtant les deux faces extrêmes d’une même pièce, celle de la haine de soi. Elle semble avoir laissé en lui des traces durables dans sa vie d’adulte, d’autant plus invisibles qu’elles ont pris la forme de l’étiquette identitaire et amoureuse homosexuelle : « Chaque fois qu’un Noir ou un Arabe marchait sur le même trottoir que moi – ils n’étaient pourtant pas si nombreux – je sentais la peur s’emparer de moi. » (p. 208) Finalement, la misère de la pratique homosexuelle n’est non seulement pas une sortie de la misère matérielle et affective du Tiers-Monde, mais une réplique déguisée.

 

Parfois, la menace verbale contre le pauvre devient physique. On peut penser par exemple à Jeffrey Dahmer, qui couchait avec des pauvres (et surtout des Noirs) avant de les assassiner.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°117 – Médecin tué (sous-code : Attaque contre les scientifiques)

Médecin tué

Médecin tué

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Visiblement, à en croire leurs représentations dans les œuvres homosexuelles, les médecins, les chirurgiens, les infirmiers, sont des personae non gratae de la communauté homo ; et plus particulièrement les spécialistes des maladies mentales, c’est-à-dire les psychanalystes, les psychologues, et les psychiatres. Pourtant, dans la réalité, on rencontre bien plus de véritables amis des personnes homosexuelles du côté des thérapeutes qu’il n’y a d’amis des thérapeutes (et des personnes homosexuelles, par la même occasion !) dans les rangs homosexuels…

 

Alors que s’est-il passé entre la communauté homosexuelle et la Science ? Que leur ont-ils donc fait, ces « méchants médecins », pour qu’une majorité de personnes homosexuelles les voient d’un mauvais œil et se déchaînent autant iconographiquement sur eux ? À mon avis, c’est assez simple. D’une part, elles les ont jalousés pour leur ravir leur place (cf. le code « Médecines parallèles » du Dictionnaire des Codes homosexuels). Et d’autre part, elles jugent qu’ils leur disent beaucoup trop de vérités désagréables sur leur homosexualité (et cela peut se comprendre : il n’est jamais agréable d’apprendre que le désir homosexuel est la marque d’un fantasme de viol, voire le signe de l’existence d’un viol réel). Exception faite des charlatans parmi les soignants (qui sont, comme par hasard, autant homophobes que gay friendly !), le seul « crime » des médecins est d’avoir les outils scientifiques et humains efficaces pour faire lumière sur les esclavages et la souffrance exprimés par le désir homo. Et pour la majorité des personnes homosexuelles qui s’activent à gommer toute trace de souffrance, la confrérie des savants est à la fois Dieu sur Terre (elle a le pouvoir de matérialiser leurs fantasmes les plus fous : changer de sexe, par exemple, transformer le couple homo en famille, ou bien retirer l’homosexualité du registre de la pathologie pour lui donner un statut social légitime béton) et le diable incarné : détenant de terrible pièces à conviction concernant les viols qu’elles ont/auraient subis, il n’est pas rare que les médecins soient vus comme les bêtes à abattre, des faux frères, des enquêteurs-violeurs particulièrement redoutables.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Déni », « Infirmière », « Médecines parallèles », « Frankenstein », « Milieu psychiatrique », « Faux intellectuels », et « Folie », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

Le personnage homosexuel s’oppose au scientifiques et va même parfois jusqu’à les tuer :

 

« Vous pouvez envoyer de ma part tous les savants se faire voir ailleurs ! » (le Coryphée dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « L’Iran est un des seuls pays au monde où c’est traité médicalement. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M s’adressant à Rana la femme mariée, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc.

 
MÉDECIN TUÉ Fixing
 

La haine de la psychanalyse est notamment exprimée dans le film « La Chatte à deux têtes » (2002) de Jacques Nolot, le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, le film « Taxi Nach Cairo » (1988) de Frank Ripploh, la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier (avec le procès de l’anthropologue), le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, le film « Mon Arbre » (2011) de Bérénice André, la pièce La Thérapie pour tous (2015) du Underground Comedy Club, etc. Dans les fictions traitant d’homosexualité, le personnage homosexuel exprime bien souvent sa crainte du monde médical. « Irina a peur du Docteur Feydeau. » (Mme Simpson parlant de sa fille, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) Par exemple, dans le film « Chouchou » (2003) de Merzak Allouache, Chouchou regarde avec méfiance le portrait de Freud chez la psychanalyste où il/elle fait le ménage : « Tu crois que la parole elle soigne… Pfff… » Dans son roman Paradiso (1967), le romancier cubain José Lezama Lima décrit l’« épaisse vulgarité de scientifique » du docteur Selmo Copek (p. 47). Dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, les médecins passent pour des individus peu francs, jouant sur les mots avec un jargon scientifique entortillé pour cacher des vérités désagréables (telles que le Sida). Dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage, le psychanalyste est présenté comme un charlatan assoiffé de fric, malade aussi : « J’ai l’air aussi mal dans ma tête. » Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, dit qu’il faut être fou pour payer 100 euros pour aller au psy. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, se fait ausculter par un médecin catho italien inhumain, comme s’il était un animal : le cabinet de consultation est blanc et aseptisé comme la mort. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf fait des dépressions nerveuses ; et son médecin pense que les femmes ne devraient pas être écrivains… ce qui énerve passablement l’écrivaine lesbienne : « Il voulait m’interdire d’écrire ! »

 

Ce sont les soignants du corps et surtout de l’âme – à savoir les prêtres, et ensuite les psychanalystes, les psychologues et les psychiatres – qui sont visés par les attaques. « Jolie est devenue folle, répondit le Gros. On préfère ne pas la faire traiter par les psychiatres parce que nous la haïssons autant que les curés. » (Copi, La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 50) De manière générale, le psychanalyste est pris pour un beau parleur qui conceptualise et parle trop. « Freud, gnia gnia gnia… » (Benji, le héros homosexuel de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « L’analyse psychologique a perdu pour moi tout intérêt du jour où je me suis avisé que l’homme éprouve ce qu’il s’imagine éprouver. » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1997) d’André Gide, pp. 85-86) ; « Tous ces psys qui vous parlent d’Œdipe et d’Électre… […] c’est de la superstition freudienne ! » (Héloïse et Suzanne dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 327) ; « Vous ne vous rendez pas compte à quel point vous êtes agaçants, vous les toubibs, avec votre air d’en penser long. » (idem, p. 382) ; « J’en ai ras le bol d’entendre parler de mère abusive ou de référent paternel absent. Les psys commencent à nous faire chier avec leurs explications à la noix. » (Mourad, le personnage homosexuel, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 352) ; « Je ne crois pas que le passé compte, murmure Simon, après on va rentrer dans des trucs psychologiques, le gourou Freud, tout ça, c’est une secte pour moi. » (Simon, l’un des héros homos du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 33) ; « La psychanalyse, c’est dans les cabinets de chiottes que ça se fait. » (Dominique, l’un des héros homos, op. cit., p. 39) ; « Ton psy est un charlatan. Un con de charlatan. » (Michael s’adressant à son ami Donald, homo lui aussi, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Ils – mes doubles – sont les ennemis des psychiatres. » (Renaud dans la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo) ; « Je déteste l’idée d’être d’accord avec un psychologue. » (Arielle s’adressant à Antoine, homosexuel, dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin) ; « Au début, vous savez, docteur, je vous prenais pour un gros con. » (Arnaud, le héros homo qui ne s’assume pas comme tel, et découvrant peu à peu l’homosexualité de son psy le Dr Katzelblum, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; « Tu vois pas qu’il se fout de notre gueule, ce psy en carton ? » (Benjamin s’adressant à son amant Arnaud à propos de leur psy le Dr Katzelblum, idem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les deux « pères » homosexuels de Gatal, le héros gay, veulent l’emmener chez un psy, le « conseiller des Poppyx », pour le guérir de son attachement au célibat.

 

Il arrive que le personnage homosexuel refuse de se laisser guérir, et trouve une certaine fierté « homosexuelle » dans la rébellion : « Le Docteur Feingold a prétendu que mon obsession vestimentaire trahissait une activité de substitution. Elle m’a dit que j’avais besoin de ritualiser mon chagrin et que cette manie de choisir des vêtements remplaçait dans mon esprit une expression plus profonde de la perte. J’ai eu envie de lui demander : ‘Et vous, docteur Feingold, vous vous êtes déjà interrogée sur ce que cela signifie, pour vous, de vivre seule dans un appartement blanc immaculé, avec un chat impeccable que vous appelez Bébé ?’ Bien sûr, je me suis contentée de l’écouter et d’acquiescer, car je n’avais aucune envie d’entamer de nouveau une conversation sur mon agressivité, mes limites et ma tendance à ‘résister au processus’, comme elle dit. Ce qu’elle ignore, c’est que ma vie est bâtie sur cette résistance au processus. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 67) Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, le psy se voit rembarré par Didier, le personnage homosexuel. Dans la pièce Lacenaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt, le héros n’a que mépris pour les phrénologues – spécialistes du cerveau. Dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Claire joue une parodie de psychologue et son amie Joséphine qualifie la soignante de « danger ». Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine et Carole, les deux amantes lesbiennes féministes, vont prêter main forte à leur amie lesbienne Adeline pour kidnapper Guitou, son ami homo interné en hôpital psychiatrique par ses parents parce qu’il est homosexuel (lobotomies, électrochocs, etc.). Au moment de le délivrer, elles se battent à la bombe lacrymo contre le personnel de l’asile. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, la psychiatrie est attaquée : quand Guy (secrètement homosexuel) déclare « Je suis psychiatre, je peux comprendre l’homosexualité », son ami Hugues, lui-même homo, le coupe : « Ah ça, c’est une connerie ! ». Plus tard, Guy méprise un de ses collègues professionnels : « En plus, ce Docteur Petiote est bête à manger du foin ! » Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Carol, l’héroïne lesbienne prise en flagrant délit d’adultère avec des femmes, se moque du jargon des psychiatres qui lui diagnostique un « trouble affectif ».

 

Film "Parle avec elle" de Pedro Almodóvar

Film « Parle avec elle » de Pedro Almodóvar

 

Pour justifier ce rejet, le personnel soignant est souvent transformé en corporation d’êtres lubriques à la sauce libertine, de prostitués (nus sous la blouse…), bref, de violeurs : cf. le film « Hable Con Ella » (« Parle avec elle », 2001) de Pedro Almodóvar (avec Benigno, l’infirmier homosexuel, qui viole Alicia, sa patiente dans le coma), la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar (avec le dentiste pédophile), etc. « J’ai un problème : c’est l’anesthésie générale. J’ai toujours peur de me faire violer par l’équipe médicale. » (une comédienne lesbienne du spectacle de scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay au Théâtre Côté Cour, Paris, avril 2009) Le film « Hazel » (2012) de Tamer Ruggli dresse le portrait d’une redoutable pédopsychiatre aux méthodes peu conventionnelles. Dans son one-woman-show Betty Speaks (2009), Louise de Ville insulte sa psy : « Mon analyste, la PUTE ! » Dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson, les patientes se montrent particulièrement violentes avec leur psy, compte tenu qu’elles la traitent de « salope », de « pétasse », de « garce » : « Vous savez quoi ? Je me demande si on doit vous laisser sévir… » ; « Vous avez l’esprit complètement tordu, vous les psys. »

 

On passe vite aux menaces. « Cet horrible docteur ! » (Sally parlant de son projet d’avorter, dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall) ; « Je déteste les psychiatres. » (Cyril concernant la psychiatre, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 153) ; « Tu vas t’arrêter, salope ? » (le professeur Vertudeau giflant l’infirmière dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 49) ; « Espèce de connard ! » (Nicolas par rapport au médecin, dans le téléfilm « Sa Raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Qu’on jette la médecine aux chiens ! » (Macbeth dans la pièce Macbeth (1623) de William Shakespeare) ; « Connard, ce psychologue ! » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Si le médecin touche à ma femme, moi je l’encule ! Devant tout le monde ! Est-ce clair ?!? » (Adrien, homosexuel, à propos d’Eva sa meilleure amie enceinte dont il prétend être le mari face aux infirmières, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

La menace verbale ne suffisant pas, certains personnages homosexuels en viennent à l’agression physique avec leur thérapeute. Par exemple, dans le film « Ma Mère préfère les femmes (surtout les jeunes) » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman Elvira pète un câble dans le cabinet de consultation de son psychanalyste, et brise son aquarium à poissons. Dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, Silvano, âgé de 100 ans, donne un coup de canne sur la tête de son médecin, le docteur Lopez, parce qu’« il le déteste » (p. 164).

 

Cela peut aller jusqu’au meurtre : « Ibiza poignarde l’infirmière aidé par Evita. » (cf. les didascalies de la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Y’a une semaine, j’ai descendu l’infirmière à Clairvaux et je me suis tiré avec ses frocs. » (Mimile dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 63) ; « Une main invisible attrapa l’infirmière par les cheveux et la souleva en l’air de cinquante centimètres. Elle poussa un hurlement à réveiller la clinique avant de tomber sur le parquet, se foulant une cheville. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) Dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan, le psychologue est carrément défenestré. Dans le film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur, le psychiatre est assassiné à coups de griffes. À la fin du film « Flying With One Wing » (2004) d’Asoka Handagama, l’héroïne lesbienne Manju tue au couteau le docteur qui a tenté d’abuser d’elle : elle porte un vêtement blanc maculé du sang du crime. Dans la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti, Freud est envoyé en enfer.

 

Ce meurtre du médecin ressemble symboliquement à un parricide : « À seize ans, moi, j’étais encore seulement un fils. Le fils d’un très grand médecin, le saviez-vous ? […] Il ne m’a jamais réellement compris et je ne suis pas certain de l’avoir réellement aimé. » (Vincent dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 54-55) C’est tout le Réel et la Loi du Père que le personnage homosexuel rejette par son désir de destruction du médecin (comme on peut le voir encore dans le roman Tuer le père (2011) d’Amélie Nothomb).

 

Comme il n’a pas toujours le courage de mener ses menaces de meurtre jusqu’au bout, le personnage homosexuel se rabat sur une destruction iconoclaste : « Je produis en quelques jours, à la mine 2HB, plus de cinquante esquisses d’un diable fourchu, solidement queuté devant derrière et empalant par le troufignard une caricature chaque fois différente de ce rigolo. » (Vincent Garbo en parlant du chirurgien, dans le roman de Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 62)

 

Dr House

Dr House

 

Le médecin est diabolisé comme un savant fou ignoble et tortionnaire : cf. le film « Nineteen Nineteen » (1984) d’Hugh Brody, le film « Créatures célestes » (1994) de Peter Jackson (avec le psychiatre méchant), le film « Fixing Frank » (2005) de Michael Selditch, etc. « Ces chirurgiens, tous les mêmes ! Tous des charcutiers ! » (Maya, l’héroïne lesbienne, dans la pièce À plein régime (2008) de François Rimbau) ; « Nous avions entendu parler des laboratoires des hommes, où ils vous percent la peau avec des instruments métalliques, soit contenant de l’électricité, soit du liquide empoisonné, pour étudier le comportement du rat face à la mort, pour en tirer des conclusions psychologiques qui leur facilitent la tâche dans les prisons et les camps humains. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 74) Dans le roman Son Frère (2003) de Philippe Besson, Lucas compare le personnel médical à des assassins : « Thomas a eu ce corps-là, avant que les médecins ne le mutilent. » (p. 50) Jean Cocteau définit le dentiste comme « une horreur » (Jean Cocteau cité dans le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala). Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, le médecin qui va opérer la narratrice transgenre F to M pour son changement de sexe se montre particulièrement cruel, despotique et infantilisant : « Il va falloir perdre cette habitude de s’excuser ou de remercier tout le temps. ‘Masque neutre’, vous vous rappelez ? Ça va venir. Une déconstruction, ça prend du temps. » Dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, Tirésias, le pédiatre de Narcisse, conseille à la mère de ce dernier d’étouffer l’identité réelle de son fils : « Il aura une vie longue et heureuse s’il ne se reconnaît pas. »
 

Parfois, le meurtre du médecin s’opère symboliquement à travers le travestissement discréditant. Par exemple, dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, Sofia, la psy sexologue, « conseillère conjugale » gay friendly, se trouve être une femme inefficace et libertine complètement désorientée, à l’image de ses patients. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, la psychanalyste est parodiée en femme SM, avec talons aiguilles rouges, perruque verte, et fouet.

 

C’est parce que le héros homosexuel a basé trop d’espoirs en la Science et en l’Homme pour donner corps à ses fantasmes égoïstes et pour se supplanter à Dieu (« Je suis acteur de ma vie, je suis créateur et maître de ma propre existence. »), qu’il adopte vis à vis d’Elle une attitude de fan déçu, capable d’une dévotion démesurée comme de la plus terrible trahison. Par exemple, dans la pièce Une Saison en enfer (2008) d’Arthur Rimbaud, la voix narrative encense la science (« La science, la nouvelle noblesse ») comme elle la traîne dans la boue (« La science est trop lente ! »). Dans son one-woman-show Wonderfolle Show (2012), Nathalie Rhéa se plaint de son médecin qui l’a gavé de médocs, et critique son ophtalmo (elle lui baise finalement les pieds car il lui rend la vue). Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, la figure du psy est à la fois adorée et haïe : Frank, le personnage homosexuel, est suivi par un psy, le Dr Apsey, qui le manipule et qu’il manipule (ils jouent ensemble au chat et à la souris), et sort par ailleurs avec un autre psy, Jonathan, un confrère rival du Dr Apsey. Jonathan et Apsey se détestent et se disputent les faveurs de Frank. Jonathan surnomme même son collègue « le monstre ». Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, le psy est présenté comme une poupée vaudou transsexuelle sur lequel il est possible de se déchaîner : « Vous allez être gentille avec moi ? […] Tu ne peux pas ? Je te tue ! » La Doctoresse Freud – c’est ainsi qu’il est surnommé par le personnage de « L » – est tantôt un despote nazi (« Fraulein Freud ») et une star enviée : « Vous lui agrafez trois plumes d’oiseaux du paradis soutenues par un gros strass sur le front, comme si elle allait descendre le grand escalier des Folies Bergère ! »

 

Le médecin cruel et assassiné est une résurgence de la culpabilité inconsciente du héros homosexuel qui veut s’auto-punir d’avoir usé de la science à mauvais escient et en apprenti. Par exemple, dans le roman pro-homoparentalité The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jane, l’héroïne lesbienne, enceinte à cause des techniques scientifiques (donc d’une science dévoyée et corrompue) et de la PMA qu’elle a programmée avec sa compagne Petra, finit par récolter le vent qu’elle a semé, en ayant pour voisin de pallier un dangereux médecin-gynécologue, le Docteur Alban Mann, qui cherche à la tuer et qui viole les femmes qu’il accompagne/engendre/épouse. Après l’avoir diabolisé, elle finit par le tuer au couteau : « Le visage d’Alban était rouge et déformé par la rage. Il braqua son regard sur Jane et elle recula involontairement d’un pas dans son entrée. » (p. 43) ; « Jane tremblait d’envie de lui décocher un coup de poing. » (p. 52) ; « Son regard croisa celui de Mann et elle eut un aperçu du professionnel qu’il était, un médecin qui connaissait les rouages secrets du corps féminin, un homme capable de vous démonter. » (p. 175) ; « le drogue que Mann avait mise dans son café » (Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 183) ; « Jane sortit le couteau de sa poche pour le lui planter dans la cuisse jusqu’à la garde. Alba Mann hurla. » (Petra s’adressant à son amante Jane, dans le roman p. 232)
 

La phobie homosexuelle des médecins semble s’originer dans l’endormissement paniquant de la conscience et de l’intelligence. Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Adolphe Blanc explique (justifie presque) le rejet anti-médecins des « invertis » par l’ignorance : « Pensez-vous qu’ils étudient ? […] Les médecins ne peuvent faire penser les ignorants. […] Ils ne liraient pas de livres médicaux ; quels souci ces gens [les invertis] ont-ils des médecins ? » (p. 508) Et en effet, on déteste bien souvent ce qu’on ne cherche pas comprendre ou qu’on est vexés de ne pas comprendre. On reporte sur autrui la haine qu’on devrait vouer à notre propre méconnaissance.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

La communauté homosexuelle, dans son ensemble, voue une haine viscérale pour les médecins, et surtout les psychanalystes :

 

Les personnes homosexuelles, en général, ne mâchent pas leurs mots quand elles lancent des diatribes à destination de la confrérie médicale mondiale : « Je demeure plus que sceptique à l’égard des psys, agacé de leur suffisance. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 72) ; « Toubib, soigne-toi toi-même ! » (cf. le slogan du FHAR dans les années 1970, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 188) ; « C’est la psychologie qui est romanesque. Le seul effort d’imagination est appliqué là, non aux événements extérieurs, mais à l’analyse des sentiments. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), p. 10) ; « La psychologie ne m’intéresse pas. Je n’y crois pas. […] L’art de vivre, c’est de tuer la psychologie, de créer avec soi-même et avec les autres des individualités, des êtres, des relations, des qualités qui soient innomés. » (Michel Foucault, « Conversation avec Werner Schrœter » (1981), dans Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), p. 1075) ; « Les messieurs-dames de la psychanalyse s’en vont répétant ce que nous savions déjà. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 84) ; « On ne voit de ‘sale pédé’ qu’au lieu où on se prend pour un petit maître, et on ne croit pas pouvoir juger de l’Autre qu’au lieu où notre propre savoir nous juge, et nous juge durement. » (Pierre Zaoui, « Psychanalyse », dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 348) ; « Psy, ce n’est pas un métier : c’est une source de revenu. » (Blandine Lacour, Je ne suis pas un produit fini, 2011) ; « J’ai passé 8 mois chez les dingues. […] J’avais promis au médecin que j’allais devenir hétérosexuel. » (Allen Ginsberg dans le docu-fiction « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman) ; « Ce n’est pas à moi que l’homosexualité pose problème, c’est à mon entourage. C’est donc à lui de se faire soigner ! » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 87) ; « On sait qu’en France le débat autour du ‘mariage pour tous’ a réveillé de vieilles animosités entre certains homosexuels et des psychanalystes. Déjà lors de la discussion du PaCS au début des années 2000, un ‘mur d’hostilité’ aurait été érigé, à en croire Éric Fassin, par les psychanalystes à l’encontre de la revendication homosexuelle, surtout en matière de parentalité. ‘Dans leur immense majorité, observe-t-il, les voix [des psychanalystes] qui se font entendre font barrage à toute légitimation symbolique […] les exemples sont nombreux, et familiers puisqu’ils se font abondamment entendre dans les medias, depuis Simone Korff-Sausse, pour laquelle une même ‘logique du même’ autorise le rapprochement entre PaCS et clonage, à Jean-Pierre Winter qui, renouvelant la rhétorique de l’homosexualité contre-nature, met en garde contre les ‘organismes symboliquement modifiés (OMS)’. » ; « Je ne suis pas folle. Je ne souffre pas de dysphorie de genre. Je vais continuer à me troubler. Je vais troubler les termes que vous avez établis. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, défiant la communauté scientifique, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Gilles Deleuze

Gilles Deleuze

 

Par exemple, la romancière nord-américaine Carson McCullers est très hostile à l’idée d’entreprendre une psychothérapie. Dans Palimpseste – Mémoires (1995), Gore Vidal dit son « aversion pour Freud » (p. 123). Dominique Fernandez nous parle de ce qu’il appelle « les sottes théories de Freud » (Dominique Fernandez, « Pierre Herbart : Écrire le désir dans les années 50 », dans le Magazine littéraire, n°426, décembre 2003, p. 51). Lors de sa conférence au Centre LBGT de Paris à l’occasion de la sortie de son essai sociologique Délinquance juvénile et discrimination sexuelle en janvier 2012, Sébastien Carpentier critique la psychiatrie. Arturo Arnalte, dans son article « El Teorema Del Agujero », attaque son psychologue (Juan A. Herrero Brasas, Primera Plana (2007), p. 135). Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, la psychiatrie est particulièrement décriée. Lors de la conférence « Le Lobby gay… Un bruit de couloir » organisée à l’Amphithéâtre Érignac à Sciences Po Paris (le mardi 22 février 2011), Dominique de Souza Pinto, la vice-présidente de Gay Lib, se met du côté des défenseurs de la « dépsychanalysation des trans ». Dans les B.D. de la P’tite Blan réalisées par Blandine Lacour et Galou (Coming soon : naissance d’une déviante (tome 1, 2009), Coming out : une histoire de sortie de placard (tome 2, 2010), Coming back : le retour de la lesbienne (tome 3, 2011), la psychanalyse est très souvent attaquée. Dans l’émission Mots croisés d’Yves Calvi (sur le thème « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2012), la journaliste lesbienne Caroline Fourest, avec son faux calme habituel, louche sur le psychiatre Pierre Lévy-Soussan et finit par s’acharner sur lui : « Je pense qu’un certain courant de la psychanalyse a une vraie auto-critique à faire. » Dans le docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, l’« incestuosité » de l’homosexualité, thèse développée par des psychanalystes, est tournée au ridicule.

 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, les médecins sont présentés comme les grands méchants. Par exemple, Vincent Guillot, militant intersexe, règle ses comptes avec la confrérie scientifique : « Est-ce que tu ressens de la haine pour ces médecins ? » lui demande Édouard, l’un de ses camarades intersexués, lors d’une conférence. Et il répond oui. Plus tard, il s’en explique : « Le médecin m’a dit : ‘T’es un mutant, t’auras jamais d’enfant, tu seras toujours différent des autres.’ »
 

Le complexe d’Œdipe est considéré par certains intellectuels homosexuels comme une « théorie » barbante et orgueilleuse parce qu’elle aurait la prétention de tendre à l’universalité et au vrai (Martine Gross, « Homoparentalité », dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 220). Dans l’essai L’Anti-Œdipe (1972), Gilles Deleuze et Félix Guattari sont très virulents à l’encontre de ceux qu’ils appellent les « obsédés du triangle » œdipien (p. 129). Dans le documentaire « Coming In » (2015) de Marlies Demeulandre, témoin homosexuel gendarme, jadis marié à une femme, et à présent en couple avec un homme, critique férocement les propos d’un psychiatre dans le Loiret qui l’avait dissuadé de faire son coming out : « Vous auriez dû fermer votre gueule, prendre des médicaments et rester avec votre femme, comme tout le monde. »

 

Petite expérience personnelle : j’ai assisté à une soirée spéciale inter-sexués, organisée au Centre LGBT de Paris, le 30 mars 2011, autour du documentaire « Naître ni fille ni garçon » (2010) de Pierre Combroux ; et j’ai été frappé par l’aversion quasi collective à l’encontre des psychologues et des psychiatriques exprimée par les participants du débat qui avait suivi la projection du film. Le climat était fortement anti-médecins et anti-naturaliste.

 

Dans le discours de beaucoup d’individus homosexuels, les psys, par la culpabilisation qu’ils induiraient de leur éclairage sur les blessures humaines, seraient même des criminels. Par exemple, dans l’émission radiophonique Homo Micro du 13 février 2007, Jean Le Bitoux conseille aux personnes homos de ne pas aller voir les psys car « il y a des suicides après ». Si l’on en croit par ailleurs cet article « Ma psy est ‘Manif Pour Tous’ », les psys, c’est carrément le Ku Klux Klan ! En générique de fin du film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, est présenté comme une des nombreuses victimes homosexuelles des castrations chimiques de l’odieuse communauté scientifique mondiale.

 

Non seulement la communauté homosexuelle veut faire taire les psychanalystes, les psychologues, et les psychiatres, mais parfois, elle veut même les tuer ! « Mon premier soin, quand je serai dictateur, ce sera de faire pendre haut et court un psychiatre, de préférence un psychanalyste. » (Marcel Arland cité dans l’autobiographie Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006) de Pascal Sevran, p. 204) ; « Comme le dit Foucault, il faut liquider la psychologie. » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), pp. 151-152) Dans son autobiographie Impotens Deus (2006), l’écrivain français Michel Bellin décide dans sa vie de braver tous les interdits moraux sur la sexualité, « juste pour niquer papy Sigmund » (p. 56). L’écrivain polonais Witold Gombrowicz se déclare prêt à mordre la main de son psychiatre parce qu’« il ne veut pas qu’on lui vole sa vie intérieure ».

 

S’ils existent bien sûr des personnes homosexuelles qui consentent à rentrer dans le « travail » d’analyse (comme on va à la séance hebdomadaire de yoga), et à défendre calmement les sciences humaines/psychanalytiques, j’ai constaté souvent qu’elles y trouvaient une caution morale pour se justifier ensuite de pratiquer en toute bonne conscience les actes homosexuels. En réalité, elles singent une hypocrite collaboration avec les psychanalystes, et s’arrangent pour se trouver un analyste gay friendly (voire gay lui-même), qui se montrera suffisamment « ouvert » et complaisant pour ne leur opposer aucune résistance. En se passionnant pour les livres de psychologie (qu’elles lisent à l’envers, en y piochant çà et là les quelques idées qui leur donneront raison) ou en s’improvisant psychanalystes elles-mêmes, certaines personnes homosexuelles pratiquantes ont déniché une occasion en or de légitimer par la Nature et par la Science leur homosexualité/bisexualité, de s’épancher sur leurs propres sentiments, et de justifier l’amour homosexuel.

 

L’anti-psychanalyse, qui est bien souvent un repli sur soi et un égocentrisme individualiste, se présente pourtant comme une magnifique responsabilisation de l’être humain, un chemin de bien-être et de réconciliation avec soi-même, une liberté et une émancipation queer. « C’est l’antipsychiatrie correspond le mieux, au niveau conceptuel, à la pensée queer. » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), p. 193) ; « C’est en débarrassant le sujet de tout cadre qu’on donne au patient la possibilité de se retrouver. » (idem, p. 193) Par orgueil, certaines personnes homosexuelles prétendent être leur propre analyste : « Nous devrions nous conduire, Foucault nous y invite, jour après jour, en médecins de nous-mêmes. » (cf. les phrases de conclusion d’Albert Le Dorze, idem, p. 230) Je vous renvoie au n°81 (du 1er septembre 2003) de la revue Têtu intitulée « Quand les homos analysent leurs psys ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Dégénération" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer

 

C’est parce que les personnes homosexuelles (et notamment les personnes transgenres) ont basé trop d’espoirs en la Science et en l’Homme pour donner corps à tous leurs fantasmes et pour se supplanter à Dieu, qu’elles adoptent vis à vis d’Elle une attitude de fans déçus, capables d’une grande dévotion comme du plus profond mépris. En général, les personnes transsexuelles sont particulièrement réfractaires aux psychanalystes, car évidemment, il y a grosse anguille sous roche les concernant, surtout du point de vue de la blessure identitaire et de l’expérience du viol. Par exemple, pour la Treizième Marche Existrans de Paris (2009), on peut lire sur certaines pancartes des slogans explicites : « Un Psy… Non merci ! » Le médecin, par son savoir et ses exigences, a le pouvoir de faire mal en même temps qu’il guérira et soulagera sur la durée son patient. Et cela, bien sûr, peut effrayer et paraît intolérable. Qui a dit qu’une libération se faisait sans souffrance ?

 

Il arrive parfois que la passion idolâtre et fétichiste homosexuelle pour le médecin débouche vers le meurtre de ce dernier.
 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

Code n°118 – Médecines parallèles (sous-codes : Psy de bazar / Hypnotiseur / Amoureux du médecin / Faux scientifiques / Apprenti sorcier / Maladie d’amour)

Médecines parallèles

Médecines parallèles

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Tous des psys du Loft

et des médecins bidon ?

 

Si vous commencez à nous écouter, nous individus homosexuels, vous remarquerez que nous éprouvons une aversion ou une simple méfiance pour la science, mais que paradoxalement, nous ne jurons que par elle. Dans notre discours – notamment celui des personnes transsexuelles – la croyance aux progrès de la science est quasi absolue. Et à l’intérieur de nos œuvres, nos personnages lorgnent sans arrêt sur les médecins. En critiquant avec virulence la communauté scientifique (cf. je vous renvoie au code indispensable à la compréhension de celui-ci, à savoir « Médecin tué » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels), beaucoup de personnes homosexuelles créent, soit par l’art et le sentiment, soit en vrai, des médecines parallèles dans lesquelles elles reproduisent/détruisent ce qu’elles reprochent (souvent à tort) à la médecine humaniste. C’est ainsi qu’elles finissent bien souvent par devenir en partie leur propre caricature de la science adulée-méprisée. En somme, la majorité des personnes homosexuelles (et leurs suiveurs gay friendly) cherchent à devenir des scientifiques dans le mauvais sens du terme, à savoir des savants fous de laboratoire, des thérapeutes de comptoir, des médecins de seconde zone usant de méthodes peu orthodoxes (hypnose, voyance, médecine verte, massages, clonage, etc.). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que beaucoup d’auteurs homosexuels transforment le psy en être lubrique cachant ses appétits sexuels derrière le masque de la rigueur scientifique et de la compassion du médecin pour le patient, parce qu’ils projettent bien souvent sur lui leurs propres fantasmes. Ils reprennent le jargon universitaire à leur compte, puis attribuent le fanatisme de leurs recherches (en génétique notamment) à leurs homologues scientifiques. Par exemple, leur tentative pour prouver scientifiquement que l’homosexualité est normale et naturelle engendra l’argument du gène récessif qui fit le cauchemar de la communauté homosexuelle pendant la Seconde Guerre mondiale. Au fond, beaucoup de personnes homosexuelles détestent la science parce qu’elle leur renvoie une dictature qu’elles exercent parfois elles-mêmes sur les corps sous l’excuse du progrès scientifique (chirurgie esthétique, fécondation in vitro, opération de changement de sexe, GPA, etc.).

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Médecin tué », « Frankenstein », « « Plus que naturel » », « Jardins synthétiques », « Infirmière », « Folie », « Se prendre pour Dieu », « Se prendre pour le diable », « Attraction pour la « foi » », « Différences physiques », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Bobo », « Fresques historiques », « Clonage », « Amoureux », « Ennemi de la Nature », « Adeptes des pratiques SM », « Faux intellectuels », « Faux révolutionnaires », « Milieu psychiatrique », à la partie « Homophobes repentants » du code « Mère gay friendly », à la partie « Sorcières » dans le code « Destruction des femmes », et à la partie « Amour sorcier » du code « Désir désordonné », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

a) La prétention d’être scientifique :

Beaucoup de héros homosexuels, pour justifier leur désir homosexuel et les actes (amoureux et génitaux) qu’il les engage à poser, le présentent comme « naturel », « scientifique » et indiscutable (cf. je vous renvoie au code « « Plus que naturel » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Leurs sympathisants hétéros gay friendly, notamment des médecins et des thérapeutes, soucieux de se racheter une bonne image auprès d’eux, ou de les sortir du marasme sentimental dans lequel leurs amis homos s’engluent, vont généralement dans le sens de cette sincérité et de cette croyance en la scientificité de l’homosexualité. Dans les fictions homo-érotiques, on voit de plus en plus de « psys du Loft » compréhensifs, de psychiatres de comptoir soucieux d’afficher une image d’ouverture et de tolérance que n’auraient pas eues leurs poussiéreux aïeux, et de s’adresser au personnage homosexuel en des termes rassurants pour défendre la normalité de son/leur homosexualité et combattre « l’Hydre de la Culpabilité » ou de « l’Homophobie intériorisée » ! Par exemple, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Tyler Montague, le conseiller conjugal gay friendly, écrit des livres sur la théorie bisexuelle des « âmes jumelles », se définit lui-même comme le « gourou de l’amour »), et sert d’entremetteur entre Elena et Peyton. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, le psychologue scolaire du campus universitaire, particulièrement gay friendly, essaie d’unir, mielleusement mais artificiellement quand même, les deux potes Jenko et Schmidt pendant la consultation. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Catherine, la prof de maths, est lesbienne.
 

Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, la jeune Hache, la petite sœur de Rachel l’héroïne lesbienne, justifie l’« amour » que vit sa grande sœur avec Luce, par l’astro-physique : elle fait, à l’école primaire, des exposés publics de mécanique quantique et d’astronomie sentimentalisés… et c’est à ce moment-là que dans l’obscurité du public le « couple » Rachel/Luce commence à se former. La bouche sort de la bouche des enfants « savants » ! Et en plus, face au futur « couple » lesbien, elle se met à « philosopher » en réduisant l’amour à une équation astrale et chimique : « Que se passe-t-il quand une force qu’on ne peut pas arrêter rencontre un objet qu’on ne peut pas bouger ? » Même Heck, le mari de Rachel, finit par s’avouer vaincu par la « force » que ressent sa femme pour une autre : « Ce que tu ressens en ce moment, c’est cette force qu’on ne peut pas arrêter. »
 

Ensuite, un certain nombre de héros homosexuels se targuent d’être d’éminents scientifiques… et même des soignants plus puissants, plus humains, plus désintéressés, que les médecins traditionnels (cf. je vous renvoie au code « Médecin tué » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ! : « Ici, la Science c’est moi ! » (la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je suis scientifique. » (le très efféminé Dr Frankenstein Junior, dans la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks) ; « J’écris des articles pratiquement scientifiques. » (la figure maniérée d’Anton Tchekhov, dans la pièce Anton, es-tu là ? (2012) de Jérôme Thibault) ; « À seize ans, moi, j’étais encore seulement un fils. Le fils d’un très grand médecin, le saviez-vous ? L’agrégation, la faculté, l’Académie, la faculté, l’Académie, toutes ces choses en imposent à un fils. Je me souviens d’une ombre portée sur nos vies, d’un homme plus grand que nous tous, sans que nous sachions véritablement si cette grandeur était une aubaine ou un malheur pour notre futur d’homme. Aujourd’hui, avec le recul, sans doute, je dirais que notre indifférence réciproque était plus feinte que réelle, et qu’au final j’aurai appris de mon père. » (Vincent, le jeune héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 54) ; « Au fin fond d’une forêt, des personnes sont enfermées dans un hôpital psychiatrique. […] Elles se sont inventées une nouvelle thérapie. » (la voix-off du début de la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet)

 

Par exemple, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel est gay, et il est la caricature du psychanalyste puisqu’il fait plein de métaphores freudiennes chiantes qui saoulent tout le monde. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, le héros efféminé et émotif, qui suit une thérapie psychanalytique de plus de 10 ans avec sa psychanalyste, joue à se soigner lui-même par un jargon « psy » ronflant et ridicule : il recherche « une psychologie autrichienne de l’amour ». Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, est présenté comme un génie (« un prodige des mathématiques ») qui aurait sauvé 14 millions de vies pendant la Seconde Guerre mondiale parce qu’il a décodé Enigma, un programme de guerre nazi. Dans la pièce La Princesse Rose et le retour de l’ogre (2019) de Martin Leloup, le Prince est campé par un jeune homme peu sûr de sa masculinité, terrorisé par sa Princesse, et qui laisse deviner qu’« entre deux patient » son métier de dentiste le passionne davantage que celui de chevalier : « Je ne peux pas être chevalier. Je veux être dentiste ! »

 

Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, prétend se substituer à sa thérapeute, et inverse un court instant les rôles : « Le Docteur Feingold a prétendu que cette obsession vestimentaire trahissait une activité de substitution. Elle m’a dit que j’avais besoin de ritualiser mon chagrin et que cette manie de choisir des vêtements remplaçait dans mon esprit une expression plus profonde de la perte. J’ai eu envie de lui demander : ‘Et vous, docteur Feingold, vous vous êtes déjà interrogée sur ce que cela signifie, pour vous, de vivre seule dans un appartement blanc immaculé, avec un chat impeccable que vous appelez Bébé ?’ Bien sûr, je me suis contentée de l’écouter et d’acquiescer, car je n’avais aucune envie d’entamer de nouveau une conversation sur mon agressivité, mes limites et ma tendance à ‘résister au processus’, comme elle dit. Ce qu’elle ignore, c’est que ma vie est bâtie sur cette résistance au processus. » (p. 67)

 

Certains héros homosexuels se piquent au jeu de l’analyse et de l’auto-analyse psychanalytique, pensent qu’une personne n’a la légitimité de parler d’un sujet de société qu’à partir du moment où elle est « en analyse », ou bien si elle a reçu une « formation ». Sinon, elle n’a pas l’habilitation ! On les voit faire des interprétations tirées par les cheveux, saupoudrées de jargon scientifique et de mots ronflants qu’apparemment ils ne comprennent pas. Ils recrachent scolairement du concept : « Polly [l’héroïne lesbienne] dit que la sexualité, de toute façon c’est dans la tête, et en réinterprétant Freud, ‘On est tous des bisexuels qui faisons des choix.’ » (Mike, le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 67-68) ; « Depuis qu’elle est en analyse, elle voit des doubles sens partout. » (Nina parlant de son amante Lola, dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio) ; « Pourquoi tu ne vas pas raconter ça sur le divan d’un psy ? » (Vera s’adressant à Nina, idem) ; etc. Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, la mère de Howard, qui, au départ, était homophobe, organise, le jour du mariage hétérosexuel de son fils gay, une sorte de cercle d’alcooliques anonymes improvisé, dans l’église avec les vieilles qui restent.

 

La science, c’est parfois le terrain professionnel officiel du protagoniste homosexuel. Il est soit étudiant en médecine ou en « psycho », soit infirmier, médecin, ou dans les métiers de la santé : cf. le film « Pharmacien de garde » (2001) de Jean Veber, la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe (avec le pharmacien Mikel), la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario (avec les frères Herr), le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin (avec Adar, le héros homosexuel psychologue), la B.D. Le petit Lulu (2006) de Hugues Barthe (avec Hugues, le pharmacien gay), le film « Dus Gezginleri » (1994) d’Atif Yilmaz, le film « Ich Möchte Kein Mann Sein » (1933) de Reinhold Schünzel (avec le médecin gay), le film « Dentist On The Job » (1961) de C.M. Pennington-Richards, le film « Quatre garçons dans le vent » (1964) de Richard Lester, le film « Le Fouineur » (1969) d’Ettore Scola, le film « Kaput Lager, Gli Ultimi Giorni Delle SS » (1976) de Luigi Batzella, le film « Fraulein Doktor » (1968) d’Alberto Lattuada, le film « Frontière chinoise » (1965) de John Ford (avec la doctoresse lesbienne), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Que Me Maten De Una Vez » (1986) d’Óscar Blancarte, le film « Simon » (2004) d’Eddy Terstall (avec le dentiste homo), le film « Delitto Al Blue Gay » (1984) de Bruno Corbucci, le film « Thulaajapoika » (« Le Fils prodigue », 1992) de Veikko Aaltonen (avec le psychiatre gay), le film « Lapsia Ja Aikuisia » (« Production d’adultes », 2004) d’Aleksi Salmenpera (avec la doctoresse bisexuelle), le film « Liv Og Dod » (« Vie ou mort », 1980) de Svend Wam et Peter Vennerod, le film « Hotel Y Domicilio » (1994) d’Ernesto del Rio, le film « Une Vie normale » (1996) d’Angela Pope, le film « Charlotte For Ever » (1986) de Serge Gainsbourg, le film « The Clinic » (1983) de David Stevens, le film « Karakara Hiraku » (1992) de Joji Matsuoka, le film « Dead Ringers » (« Faux-semblants », 1988) de David Cronenberg, la pièce Les Z’héros de Branville (2009) de Jean-Christophe Moncys (avec le Dr Gay), le sketch « J’vous ai pas raconté ? » de Franck Dubosc (avec l’orthopédiste lesbienne), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Omar, étudiant en psycho), le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec Catherine, la gynécologue lesbienne), le film « Le Vilain » (2008) d’Albert Dupontel (avec le médecin homosexuel refoulé), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Serge, le médecin gay), le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec Göran, le médecin homo), la pièce Psy (2009) de Nicolas Taffin (avec Mr Baubois, le psy gay), le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare (Antoine, le futur « mari » de Jérémie, est titulaire de chirurgie dans un grand hôpital parisien), le film « Je te mangerais » (2009) de Sophie Laloy (avec Emma, étudiante en médecine), le film « Cachorro » (2004) de Miguel Albaladejo (avec le dentiste homosexuel), la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage (avec le psy joué par le père transsexuel M to F), le film « Parfum d’Yvonne » (1993) de Patrice Leconte (avec le Dr René Meinthe, s’exclamant : « Je suis la reine des Belges ! »), le film « MASH » (1970) de Robert Altman (avec le dentiste homo), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec Hugues, le médecin gay, ainsi que son ami psychiatre Guy, secrètement amoureux de lui), etc. Par exemple, dans énormément de films de Pedro Almodóvar, on retrouve la figure récurrente du faux/beau médecin, du docteur-acteur « folle », ou bien du duo (homosexuel ?) de deux infirmiers. Dans le film « Il Compleanno » (2009) de Marco Filiberti, Mateo est psychanalyste. Dans le film « Bug Chaser » (2012) de Ian Wolfley, Ian, l’ex de Nathan, est infirmier. Dans le film « Verde Verde » (2012) d’Enrique Pineda Barnet, Alfredo est médecin. Dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, Gabriel, le psy d’Alex, est homo. Dans le film « Yossi » (2012) d’Eytan Fox, Yossi Hoffman, le héros homo, est devenu cardiologue. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Ron, le héros hétérosexuel sidéen, dit, par provocation (mais aussi parce qu’il a identifié en lui une véritable homosexualité) que le docteur Sevard bande pour lui.

 
 

b) Les détournements de la science :

L’appartenance du héros homosexuel au monde scientifique est peut-être bien inscrite noir sur blanc sur son badge… mais dans les faits, on constate bien souvent qu’il joue de son statut de médecin ou de docteur pour laisser libre cours à ses fantasmes les plus incontrôlés et les plus fous. Dans son esprit, il semble avoir substituer la technique (celle qui peut servir l’Homme tout comme L’asservir) à la science (celle qui n’est là que pour servir, guérir et soulager l’Homme). Cette confusion entre science et technique l’entraîne généralement dans une quête effrénée de la performance, du profit, de la productivité, de la consommation, du pouvoir. « Time is money. » (Caroline, la psy avare, dans la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet).

 
 

b) 1 – Le détournement de la science par le sentiment et le génital : l’Amour réduit à une solution chimique ; le sexe envisagé comme une expérience scientifique

 

Il semblerait pour commencer que le héros homosexuel médecin ait souvent du mal à garder sa place de thérapeute, et ne respecte pas la bonne distanciation avec son patient. Par exemple, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, les rapports entre patient et médecin sont inversés et beaucoup trop affectifs : « Cyril va me rendre folle. » (p. 193) déclare la psychiatre par rapport au garçon qu’elle suit en thérapie criminologique. Dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, Sofia la psy/conseillère conjugale gay friendly, finit par être déboussolée dans sa propre vie sexuelle par le couple homosexuel qui la consulte. Dans le film « C’est une petite chambre aux couleurs simples » (2013) de Lana Cheramy, Mister Jones, vieux peintre aveugle et admirateur de Van Gogh, est soigné dans une maison de repos par Bob, un jeune infirmier dont il tombe amoureux. Dans le film « Sexual Tension : Volatile » (2012) de Marcelo Mónaco et Marco Berger, un homme, au bras dans le plâtre, se fait laver par la sensuelle éponge d’un infirmier. Dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, se voit conseiller par son médecin de « persévérer » pour sortir de sa pathologie. Il entend dans cet encouragement une invitation à le draguer.

 

Pièce "Une visite inopportune" de Copi

Pièce « Une Visite inopportune » de Copi


 

Pis encore. Il verse quasi systématiquement dans la compassion amoureuse. Très souvent les fictions homo-érotiques font s’entrelacer le docteur et son malade. Il n’y a qu’un pas entre le divan et le lit, entre le billot et la chambre à coucher ! : cf. la série gay espagnole Physico-Chimie, le film « La Sonde urinaire » (2006) de Camille Ducellier, la pièce Les Homos préfèrent les blondes (2007) d’Eleni Laiou et Franck Le Hen (avec Romu, le héros homosexuel, amoureux de son psy), le roman Adrienne Mesurat (1927) de Julien Green (avec Adrienne, l’héroïne, amoureuse du Dr Maurecourt), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec Karen et le Dr Joe Cardin), le film « Mauricio mon amour » (1977) de Juan Bosch, le film « Psy » (1980) de Philippe de Broca, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane amoureux de son médecin), la pièce Je suis fou de ma psy ! (2007) de Chris Orlandi, le film « Anne Trister » (1985) de Léa Pool (avec Anne amoureuse de sa psy), le film « Parisian Love » (1925) de Louis Gasnier (avec le savant gay), le film « Doctors In Love » (1960) de Ralph Thomas, le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar (avec le dentiste homo et pédophile), la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes (avec Frank, le héros homosexuel, en couple avec un psychiatre, le Dr Baldwin), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec l’infirmière amoureuse du professeur Vertudeau), la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim (avec le fantasme très marqué du beau médecin Yuri), etc.

 

Par exemple, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George tombe amoureux de son « infirmier » Kenny. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Emory est tombé amoureux de son camarade d’enfance Peter, qui, une fois adulte, devient dentiste ; pour le draguer dans son cabinet et avoir le plaisir d’être consulté, il va s’inventer des faux problèmes dentaires. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam soigne et lave Lukacz, qui va tomber amoureux de lui. Dans le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina, la femme-fillette anonyme embrasse sa soignante. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Nono se « fait sauter » par son psy « à chaque séance, deux fois par semaine ». Dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst dit « bien aimer » (pp. 15-16) son ophtalmo et veut lui offrir un collier de perles, ce qui n’est pas du tout du goût de son père. Dans le film « Dis bonjour à la dame » (1976) de Michel Gérard, Rémi Laurent, un adolescent, met la main sur la cuisse de son psy. Dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, la psychiatre (double androgynique de Cyril) est amoureuse du professeur G. Dans la pièce Les Monologues du pénis (2007) de Carlos Goncalves, Sylvain, le personnage homosexuel, tombe amoureux de son médecin. À la fin du film « Le Zizi de Billy » (2003) de Spencer Lee Schilly, Billy, le héros homosexuel, sort avec le médecin qui l’a soigné. Dans la pièce Moi aussi, je voudrais avoir des traumas familiaux… comme tout le monde (2012) de Philippe Beheydt, Eddy se fait draguer par un médecin qui lui fait une « petite moue » pleine de sous-entendus. Dans le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1983) de Pedro Álmodóvar, la psychanalyste s’occupe de Sexi uniquement pour coucher avec le père de celle-ci, lui-même scientifique. Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Jérémie Elkaïm, l’interne à l’hôpital, est homosexuel et le futur amant de Victor. Dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion, Darling, le héros travesti M to F, presse les couilles du médecin hétéro qui vient à domicile chez Marie.

 

Dans la pièce Géométrie du triangle isocèle (2016) de Franck d’Ascanio, Lola sort avec sa prof de physique quantique Vera qui construit méticuleusement autour d’elle une relation tout à fait chimique et intellectuelle. Nina, la maîtresse de Lola, décrit la « mécanique des fluides » circulant entre Lola et Vera. Vera fait le parallèle entre les aventures « extraconjugales » de Lola avec Nina et sa propre activité professionnelle « scientifique » : « Pendant que tu t’enverras en l’air, moi je regarderai sauter les neutrons. » Quant à Nina, elle tombe amoureuse d’un dentiste, Pierre-André, qui la flatte sur ses faux talents artistiques.
 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Et il se trouve que ce thérapeute est homosexuel et va, pour sauver ses patients du naufrage « conjugal », coucher avec Arnaud pour le guérir de l’hétérosexualité. Il leur soumet l’échelle de Kinsey pour les forcer à l’homosexualité. Il élabore une thérapie intrusive, le « Deep in your house », par laquelle il cherche à vivre un couple homosexuel à trois. Il finira même par coucher avec Arnaud à l’insu de Benjamin.
 

« Anna envoyât chercher le docteur. Trouvant que la petite n’avait rien de grave, il prescrivit une dose de poudre de Grégoire. Stephen [l’héroïne lesbienne] avala l’odieux breuvage sans un murmure, presque comme si elle l’aimait ! » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 38) ; « Moi, j’l’ai su dès la naissance, quand je suis tombé amoureux de l’infirmier. » (Samuel Laroque évoquant son premier éveil homosexuel, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « On va faire l’amour dans ton cabinet. » (Fabien s’adressant à son amant et médecin Hugues, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Le premier homme avec lequel Romain franchit le gué fut le psy. » (Françoise Dorin, Les Julottes (2001), p. 97) ; « Le psychanalyste l’excite, voilà pourquoi Irena refuse de se soumettre au traitement. » (Molina, le héros homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 35) ; « C’est des années plus tard que je me suis demandé si je n’avais pas un peu extrapolé la situation. » (Jarry, le héros pourtant homosexuel, disant son émoi par rapport à l’infirmière, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « J’adore mon dentiste. » (Benjamin, un des héros homosexuels de la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Il est mignon ce chirurgien. » (Jefferey Jordan, mimant la réaction du bébé découvrant son gynéco à sa naissance, dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc.

 

La psychanalyse ou la médecine sont substituées par le mot « amour » (… et surtout, en acte, par le sexe sans Amour !). Que le héros homosexuel soit concrètement diplômé de médecine ou non, peu importe. Avec son amant, ils font comme s’ils vivaient une expérience (scientifique, fusionnelle) ! « À défaut d’une infirmière, je me suis rabattue sur Chloé. » (la P’tite Blan dans la B.D. Coming soon : naissance d’une déviante (2009) de Blandine Lacour et Galou) ; « Jouis tout ce que tu confesses. […] Il glisse l’abdomen dans l’orifice à moi. […] Confidence sur divan, on se psychanalyse. […] Jouis tout ce que tu sussures. » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Roberto/Octavia, le héros transsexuel M to F, conseille à Elsa de suivre une analyse, et s’improvise psychothérapeute de charme : « J’ai étudié la psychothérapie pendant des années. Tu t’allonges ? » Dans la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, la pénétration anale de la sodomie homosexuelle est euphémisée par la métaphore comparative de l’insertion du thermomètre dans l’anus : « Je pris donc sa température. » (p. 59).

 

Sans être nécessairement médecin de métier, le libertin homosexuel fictionnel s’achète une conscience par le biais de la science, présente un joli certificat médical en espérant qu’on ne voit pas que la signature en bas est bidon, qu’il est nu sous sa blouse blanche, que son discours est beaucoup plus sentimentaliste que réellement fonder sur les faits, que le docteur qu’il joue à être n’est en réalité qu’un prétexte de plus (le serment d’hypocrite !) pour aller baiser à droite à gauche sans (se) l’avouer (« Je ne drague pas et je ne nique pas ! : je vis juste une Expérience sensible, une Exploration sensuelle ; c’est pour une étude sociologique… » soutient-il sincèrement) : « Ce serait pas le tromper : ce serait de l’expérimentation. » (Ninette parlant de son mari à son amante et amie Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « Laisse-toi cueillir âme sœur exquise, à la marge, limite, banquise, le désordre des sens, le démon qui te pique, comme la nature chimique de mon attachement à toi. » (cf. la chanson « Les Fleurs de l’interdit » d’Étienne Daho) ; « Un homme pense en général au sexe 13 fois par jour… oui, je suis anthropologue… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc converti en homo, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Oui, j’étudie les hommes depuis des années, professionnellement… un peu comme une prostituée en somme… » (idem) ; « Les rapports sexuels augmentent la production d’adrénaline et de cortisol, deux stimulants de la matière grise : le sexe rend donc plus intelligent ! C’est scientifique. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’adore toutes les expériences. Surtout les sorties de corps. » (le compositeur homosexuel Érik Satie dans la pièce musicale Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Je décidai de devenir le polytechnicien de l’amour. » (Eugène, le héros homosexuel du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; etc.

 

Souvent, le héros homosexuel élabore une théorie scientifiste jargonnante d’intensification de la libido humaine, de guérison de l’être par l’orgasme et le bien-être. Par exemple, dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny a peur de s’abandonner sur l’eau, et donc son amant Romeo lui apprend à faire « la planche » dans la mer : « Pour flotter, il faut lâcher prise et tout oublier. » On retrouve la même scène d’atelier sophrologique dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, avec Adam qui apprend à son futur amant Lukacz à ne pas avoir peur de l’eau.

 

À entendre le personnage homosexuel, il « aime » comme il fait un calcul mathématique (on pourrait tout à fait parler, dans son cas, d’« algèbre du désir »), comme il crée un parfum. Il « fait l’amour » comme il mènerait une opération délicate : avec la froideur et la précision d’un chirurgien de laboratoire. Bip… Bip… Bip… Gants… Vaseline… Menottes… Caresses… Succion… Pénétration… Objectif : atteindre le point G ! … et, au fond, transformer l’amant et lui-même en objets sacrés. « Je veux poser sur le papier la résolution définitive que j’ai prise hier soir : tout mettre en œuvre pour accéder au plaisir que je prends à la compagnie des femmes. Tout combiner des situations, utiliser les sentiments des autres pour accéder au charnel et à ses paroxysmes. Le seul espace où je me sente appartenir au monde des vivantes, quand l’esprit disparaît enfin devant les sensations du corps. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 26) ; « Je revins à son ‘principal [comprendre : le clitoris] avec une lenteur et une précision que je voulais parfaites. […] De nouveau j’approchai ma bouche de son ‘principal’ et repris le travail que tout à l’heure j’avais commencé. » (idem, pp. 200-201) ; « Après l’avoir laissée [l’amante] dans le bâtiment Puchkine, je sentis mon cœur déborder d’un savoir que je ne sus pas identifier sur-le-champ. J’avais tant de fois imaginé ce qu’avait dû ressentir Newton quand la pomme lui était tombée sur la tête, lui révélant brusquement les lois de l’attraction universelle. […] J’aurais aimé qu’il y ait eu un objet tout simple comme une pomme, quelque chose de palpable que je pourrais observer de près et tenir en main, humer et mordre. » (Anamika, l’héroïne lesbienne, étudiante particulièrement forte dans les matières scientifiques, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 11) ; « Toute personne censée comprendre le calcul différentiel et intégral, et la dérivation des formules sur la force centrifuge, devrait être autorisée à avoir des relations amoureuses, pensai-je. » (idem, p. 19) ; « Je regrettai de ne pas avoir prêté plus d’attention aux détails techniques dans le livre de Vatsyayana. » (idem, p. 60) ; « Dans le car qui me ramenait chez moi, je décidai que trois était le chiffre parfait. Avec deux liaisons, on était écartelé entre deux choix simples. Il y avait là quelque chose de linéaire. J’étais en train de lire un livre en vogue sur la théorie du chaos, d’après lequel le chiffre trois impliquait le chaos. Je désirais le chaos parce que grâce à lui je pourrais créer mon modèle personnel. Je regardais les beaux objets fractals illustrant le volume et voyais Sheela, Linde et Rani [les trois amantes simultanées d’Anamika] dans l’un d’eux, s’amenuisant au fur et à mesure, le motif se répétant à l’infini. Je refermai le livre, convaincue d’avoir choisi la façon de mener ma vie. Le chaos était la physique moderne, c’était la science d’aujourd’hui. » (idem, pp. 64-65) ; « La physique, c’est faire l’amour. » (idem, p. 96) ; « Même à la piscine, le chlore sentait bon. Puissions-nous trouver un jour, le dosage de ce mélange chimique, qui une fois injecté, nous maintiendrait amoureux toute la vie, dans cet état second où tout paraît si beau. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 98) ; « Pourquoi mon cœur, qui n’a pas d’yeux, s’agite-t-il autant quand je te croise […] ! Quelle réaction chimique déclenche cette agitation ? » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 306) ; « Quand est-ce qu’on refait l’amour ? On le réinvente maintenant comme à chaque fois. L’amour est le facteur exponentiel des corps. On se multiplie l’un l’autre. Rien de tout ça ne nous a été transmis, appris. Tout ça on l’avait dedans. » (cf. la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier, pp. 18-19) ; « L’esprit fort est le roi. Il règne ainsi sur la matière. » (cf. la chanson « Méfie-toi » de Mylène Farmer) ; etc.

 

« Aie confiancccce » dans le film « Le Livre de la Jungle » de Walt Disney

 

Sans le vouloir, car son esprit d’esthète romantique le lui interdit, le héros homosexuel traite ses amants comme des souris de labo, sur lesquelles il va pouvoir tester sa culture (« sa » science !), sa sincérité et son pouvoir de séduction. On le voit parfois enrouler/enrôler son patient-compagnon (qu’il a préalablement anesthésié avec des drogues et des mots doux) dans son corps de serpent par la voie de la séduction et de l’hypnose (cette animalisation diabolisante ne doit pas nous paraître excessive, d’autant plus quand on pense que l’héraldique de la médecine est le caducée !). On retrouve beaucoup d’hypnotiseurs dans les œuvres homo-érotiques : cf. le roman The Jungle Book (Le Livre de la Jungle, 1894) de Rudyard Kipling, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth hypnotisant son frère Paul), le film « Ô Belle Amérique ! » (2002) d’Alan Brown (avec Brad, le héros homosexuel qui pratique l’hypnose), la série Dante’s Cove (saison 2, 2006) de Michael Costanza (avec le personnage de Grace), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz (avec les séances d’hypnose de Catherine), le film « Dormez, je le veux ! » (1997) d’Irène Jouannet, le film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur, le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer (avec le loup envoûtant le Petit Chaperon Rouge), le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde (les yeux de Dorian Gray sur Lord Henry), etc. « Aies confianccce. » (Doris, l’héroïne lesbienne s’adressant à sa servante, Peggy, en chantant la fameuse chanson du « Livre de la Jungle », en l’hypnotisant, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on assiste à un spectacle d’hypnotiseur de Karl Lagerfeld qui manipule son amant Jacques à distance et le transforme en tigre soumis, devant un public de dandys décadents. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Richard fait des massages de front relaxants à son amant Kai. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh), le Docteur Mann met de la drogue dans le café de Jane, l’héroïne lesbienne, pour l’endormir (p. 183)/

 

Le jeu d’hypnose se retourne presque systématiquement contre le héros homosexuel, littéralement pétrifié/réifié par le regard et la voix de son amant : « La nuit, je m’imaginais hypnotisé, épinglé dans ses collections, entre un papillon et une mygale. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 14) ; « Il faut que je ferme les yeux. » (Charlène Duval, le travesti M to F, opposant théâtralement une résistance à un amant captivant, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « On dirait qu’il t’a hypnotisé ! » (Jean-Henri s’adressant à son camarade homo Jean-Jacques à propos de l’amant de ce dernier, Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « Le père Walter leva la main droite et il redevint l’illusionniste qui avait hypnotisé les fidèles pour leur faire croire que leur dieu était parmi eux. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 209) ; « Sa voix était douce et hypnotique. » (Jane parlant du Dr Mann, idem, p. 227) ; etc.

 
 

b) 2 – Le détournement de la science par l’humour et le jeu :

 

Film "Taxi Zum Klo" de Frank Ripploh

Film « Taxi Zum Klo » de Frank Ripploh


 

La « science » que le héros homosexuel met en place se réduit souvent à un jeu de rôles, de séduction, où l’enjeu n’est pas tant le combat contre la souffrance et en faveur de la vie, mais plutôt une stratégie ludique de conquête de l’amour et de sa soi-disant « légèreté », une mise en scène adolescente : « À dix ans, je jouais les infirmières avec Laurence. » (Nathalie Lovighi dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles (2009) au Troisième Festigay du Théâtre Côté Cour) Par exemple, dans le roman Courir avec des ciseaux (2007) d’Augusten Burroughs, Augusten, le jeune héros homosexuel, veut devenir « star, ou docteur, ou coiffeur ». Dans la pièce Une Cigogne pour trois (2008) de Romuald Jankow, Sébastien fait semblant de psychanalyser Paul, son amant. Dans la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette, Diane s’improvise psychanalyste avec sa compagne de cellule Isabelle.

 
MÉDECINES Kang
 

Beaucoup d’auteurs homosexuels, sur le mode comique mais parfois aussi sur un registre beaucoup plus sérieux, nous proposent des théories « scientifico-artistiques » fondées sur l’inversion parodique et le détournement libertin : cf. le roman Sperme (2011) de Jacques Astruc (avec la typologie des différents spermes), la nouvelle « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » (1983) de Copi (avec la fausse histoire anthropologique de la tribu des Boludos), la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot (avec la catégorisation diversifiée de toutes les sortes de pénis existant sur Terre), la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier (avec le panorama des zizis du monde entier que dévoile la Comtesse Conule de la Tronchade dans son Musée des bites), etc.

 

En dépit des apparences, le médecin gay friendly et pro-gaynie le sexe et la sexuation en mettant en avant le génital et la métaphore ; il tue le Sens et l’Humain en privilégiant les Sens ; il décorporéise le vivant en le regardant/disséquant de trop près au scalpel ou au microscope. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homem » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues), le docteur Francisco, pour employer une image simple et illustrante, présente l’opération du changement de sexe M to F comme un simple pliage de papier. Une cocotte en papier, quoi !

 

L’homosexualité est (au départ ironiquement… mais au final, sérieusement) parodié par certains héros gays friendly ou homosexuels comme un virus qui se transmettrait de personne à personne. Par exemple, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, toute une assemblée de parents et d’élèves venue assister à la remise des récompenses des profs de l’université, joue à « être gay » par contamination avec le prof de lettres homo, Howard Beckett, qu’elle rêve de voir gagner le prix du « meilleur prof de l’année ». Ce genre d’analogies entre homosexualité et maladie, que ces personnages gays friendly s’empresseront d’attribuer aux autres « homophobes », est en réalité la preuve de leur propre homophobie intériorisée.

 

 

b) 3 – Le détournement de la science par la transcendance « artistique » ou « religieuse » :

 

La croyance du héros homosexuel en la science est tellement idolâtre et déconnectée du Réel (à force d’être puriste et cartésienne… voilà le paradoxe !) qu’elle se mute souvent en superstition religieuse ou amoureuse. « Le soleil était devenu, année après année, une grande obsession morbide pour Khalid. Il en parlait tout le temps. Il en avait une connaissance scientifique, intime, amoureuse. » (Abdellah Taïa, Le Jour du Roi (2010), p. 70) ; « Savais-tu qu’avant de devenir médecin, j’avais résolu d’entrer dans les ordres ? » (Randall, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 235) ; « Vous avez ouvert la Voie ! » (Arnaud, le héros homo qui ne s’assumait pas comme tel, et s’adressant à son médecin, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

La science devient à ses yeux une déesse à posséder comme un sceptre, ou bien une Muse cosmique et dominatrice. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, « L. », le héros homosexuel, se prosterne devant la poupée de la Doctoresse Freud : « Vous êtes si belle, doctoresse ! Je serai sage, doctoresse, je serai sage ! » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Mindy, l’hétérosexuelle bobo, fait de la chronothérapie.

 

Dans les œuvres de fiction traitant d’homosexualité, on assiste à de drôles de croisements entre science et mythologie (en général une mythologie du viol ou de la mort), entre médecine et sentiment, entre confrérie scientifique et secte artistique : cf. le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton (avec le cercle de parole queer et son atelier sophrologique intitulé « Mon corps est une construction sociale »), le film « Elena » (2010) de Nicole Conn (et les conférences New Age d’un psy pro-gay), le film « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, etc.

 

La jalousie pantoise du héros homosexuel vis à vis de la science est palpable, et ne tarde pas à se montrer sous un jour plus agressif, comme nous allons le voir maintenant…

 
 

b) 4 – Le détournement de la science par le militantisme politique « progressiste », techniciste, mégalomaniaque, pro-gay et finalement homophobe :

 

Le personnage homosexuel est à ce point persuadé qu’il peut incarner à lui tout seul la science (il suffit de la posséder, de la revêtir, de la « sentir », d’en connaître par cœur les formules alambiquées « qui font sérieux », croit-il) qu’il finit par se prendre pour Dieu, pour le Créateur des Hommes et de l’Amour, pour le Maître de la vie : cf. le film « Making Love » (1982) d’Arthur Hiller. C’est la Terre entière et ses habitants qui sont finalement englobés dans sa conception techniciste, sensibleriste, et donc anthropocentrée, de la science et du Réel. « J’ai toujours aimé expérimenter. Observer jusqu’à quel point je pouvais transformer les gens. C’est mon côté docteur Frankenstein. » (Amande, la peste du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 95) ; « Il doit exister quelque part une physique quantique de la rencontre, et il faudra bien l’inventer, croyez-moi, et nous l’inventerons. » (Vincent Garbo, le héros bisexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 228) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, Félix, l’un des héros homosexuels, est chimiste de formation, et envisage les contacts humains – et surtout amoureux – comme des solutions chimiques : « Tu sais que les réactions chimiques sont comme les relations humaines. » (p. 45) ; « Tu considères l’engrenage de la vie. » (idem, p. 71). Son discours est truffé de mariages consanguins entre science et sentiment : « Tu sais qu’un jour, la chimie reviendra à toi, qui lui restes fidèles. » (p. 71) Se prenant pour un médecin divin capable de fusionner avec sa Mère la Science, il prétend contrôler la beauté, créer l’Amour par ses propres moyens, devant son écran d’ordinateur.

 

Paradoxalement, le dandy homosexuel, complètement fleur bleue (voire comique) à certains moments, devient tour à tour dangereux, robotique et vulgaire dès qu’il passe à l’action et tente d’actualiser « scientifiquement » ses fantasmes amoureux : il parle de l’Amour de manière clinique et dépoétisée, comme s’il s’agissait d’une solution chimique entre deux robots, d’un processus physico-psychologique de causalité absolument imparable, d’un échange « logique » et contrôlable de phéromones corporels dans lequel Dieu et les Hommes n’auraient rien à voir, d’un scénario déjà écrit d’avance, où la liberté humaine – et même la douceur ! – n’ont pas du tout leur place.

 

En même temps que le héros homosexuel scientifise le sentiment et romantise la pulsion pour les faire fusionner, il annule les deux ! On retrouve des parodies de scientifiques – autrement dit des savants fous de laboratoire ou des sorciers – dans énormément de fictions homo-érotiques : cf. le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « De la chair pour Frankenstein » (1974) d’Antonio Margheriti et Paul Morrissey, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec le Dr Frank-N-Furter, travesti qui crée son amant Rocky, un Monsieur Muscles), le one-man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set (avec le « Docteur Queen »), le film « Frissons » (1970) de David Cronenberg (avec le savant fou), le film « Les 5000 doigts du Docteur T » (1952) de Roy Rowland, le film « La Fiancée de Frankenstein » (1935) de James Whale (avec les docteurs Frankenstein et Pretorius, en binôme homosexuel), le film « Island Of Lost Souls » (1933) d’Erle C. Kenton, le film « I Was A Teenage Frankenstein » (1957) d’Herbert L. Strock, le film « Beneath The Valley Of The Ultra Vixens » (1980) de Russ Meyer, le film « L’Effrayant Docteur H. » (1969) de Teruo Ishii, le roman L’Apprenti Sorcier (1964) de François Augiéras, le film « Amours mortelles » (2001) de Damian Harris (avec le psychiatre pervers), le film « Killer Kondom » (1996) de Martin Walz (avec la doctoresse folle), etc. Par exemple, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Adèle fait une grosse salade entre ses compétences d’« infirmière urgentiste » et la voyance (Son frère homo, William, s’en étonne : « Comment une personne telle que toi peut croire ce que disent les cartes ? ») ; et on ne peut pas dire que son chantage aux sentiments pour justifier à tout prix l’homosexualité de son frère soit des plus psychologiquement doux et honnêtes. Dans la pièce Happy Birthgay Papa ! (2014) de James Cochise et Gloria Heinz, Marie-Ange est une psychologue de métier… un peu carrément marabout.

 

« Dire qu’il m’est venu des dons de sorcier juste au moment où ça ne peut me servir de rien. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 42)

 

Au-delà du caractère surréaliste et risible du cliché du savant fou ou du médecin légiste libidineux (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Adeptes des pratiques SM », « Frankenstein » et « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), les résultats de la confusion entre science et fantasme sont une hybridation à la fois banale et monstrueuse : sous couvert de la science et de la bonne intention, le héros homosexuel libertin justifie et pratique mine de rien la pression psychologique (cf. le film « La Manière forte » (2003) de Ronan Burke, avec le vol de sperme opéré par le couple de lesbiennes), le chantage sentimental/sensuel (cf. la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, avec le Dr Labrosse, l’obsédé homosexuel complet), le vol (cf. le film « Comme les autres » (2008) de Vincent Garenq, avec la mère porteuse dont le couple gay prend le bébé à la fin), le viol (cf. le film « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001) de Pedro Almodóvar, avec Benigno, l’infirmier homosexuel chargé de soigner une jeune femme dans le coma, et qui finira par la violer), le meurtre, la manipulation génétique, la mutilation chirurgicale sur les personnes transgenres, etc. Par exemple, dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Mona, l’héroïne lesbienne, tue accidentellement sa belle-mère en lui administrant les mauvais médicaments.

 

Film "Production d'adultes" d'Aleksi Salmenpera

Film « Production d’adultes » d’Aleksi Salmenpera


 

Au bout du compte, on comprend que le héros homosexuel a tendance à ne s’intéresser à la science que pour les progrès artificiels ou dangereux qui flattent son Ego (la procréation médicalement assistée, le clonage, la chirurgie esthétique, l’opération pour changer de sexe, les moyens de contraception, le tantrisme, l’hypnothérapie, etc.), et non pour les avancées scientifiques plus « sociales » et bénéfiques au bien commun.

 

Face au constat et à l’ampleur de ses échecs à élaborer l’élixir d’Amour et de Réel, il arrive qu’il se mette à « maudire scientifiquement » ses solutions romantico-libertines et les créatures difformes que son orgueil a créées. La première de ses inventions étant ce qu’il a cru être « l’Amour » ou « Dieu ».

 

Non seulement il n’éradique aucune maladie, mais en plus, il en crée de nouvelles ! – « l’hétérosexualité », « l’homophobie », « l’amour », et même « l’homosexualité » –, maladies qu’il n’analyse pas, qu’il ne cherche surtout pas à comprendre, qu’il laisse germer, qui ne sont que des nomenclatures pseudo scientifiques qui occultent les réalités violentes qu’elles sont censées dénoncer – le couple femme-homme non-aimant et bisexuel dans le cas de la « maladie de l’hétérosexualité » ; la haine de soi, le désir homosexuel pratiqué, ou le viol dans le cas de la « maladie de l’homophobie », les désirs superficiels homos et hétérosexuels dans le cas de la « maladie d’amour » et « de l’homosexualité » – étiquettes dont la création pourra lui être ensuite imputée par la communauté scientifique bisexuelle (parfois sous forme d’agressions homophobes, pour le coup !).

 

Par exemple, dans la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, la réticence à la soi-disant « Vérité identitaire et amoureuse de l’homosexualité » est montrée du doigt comme une maladie, un signe pervers d’homophobie intériorisée. Dans le film « Plus jamais honte » (1998) de John Krokidas, l’hétérosexualité est considérée comme une maladie. Dans la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche sont proposées des sessions dans des centres (voire même des camps de concentration !) pour soigner les « femmes-mâles » et les « hommes auxiliaires masculins » hétérosexuels. Dans le spectacle Madame H. raconte la saga des transpédégouines (2007), Madame H. invite le public – majoritairement homosexuel ou gay friendly – à chasser le virus de l’homophobie, en finissant par demander à chaque spectateur de se frapper lui-même.

 

Le héros homosexuel croit tellement que l’identité ou que l’amour homosexuels sont des données uniquement physiologiques et subies que, fatalement, dès que ceux-ci montrent leurs faiblesses (et Dieu sait combien ils en ont !), il se retourne contre eux en les définissant comme des viles pulsions, des maladies incurables, follement « sexy » (et, par ricochet, il s’autoproclame « malade » !) : cf. le roman Un histoire d’amour radioactive (2010) de Antoine Chainas.

 

« C’est la plus belle des maladies, celle dont il ne faut surtout pas guérir… » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 107) ; « Je compris soudain pourquoi on parlait de maladie d’amour. J’étais vraiment malade. » (Bryan, op. cit., p. 272) ; « Je ne cesse de vous écrire dans ma tête. C’est comme une maladie, une douce maladie. Il y a des douleurs qu’on dit exquises. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 18) ; « J’aimerais tellement que vous soyez atteinte du même mal que moi ! » (idem, p. 72) ; « Sexy coma… sexy trauma… Sexy coma… sexy trauma… » (cf. la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer) ; « Ednar luttait contre ce désir qui l’accablait sans relâche. Il se crut d’abord victime d’une mystérieuse maladie ou d’une malédiction avant de prendre conscience de cette sexualité qui s’éveillait en lui. » (Jean-Claude Janvier-Modeste dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), p. 20) etc. Par exemple, dans le film « Sitcom » (1997) de François Ozon, l’homosexualité se transmet par les rats, comme la peste.

 

Par la création de ces nouvelles maladies partiellement mythologiques (« l’homophobie », « l’hétérosexisme », etc.) et de leurs faux remèdes (« l’homosexualité » déclinée en couple ou en identité fondamentale), le héros homosexuel ne supprime le mal, mais au contraire le nourrit secrètement, l’occulte, et désigne comme « ennemis » ses réels antidotes (réconciliation avec soi-même, accueil du mystère de la différence des sexes, découverte de l’existence d’un Dieu aimant et plus grand que l’Homme), les seuls qui mettent en péril son unicité/son fantasme de toute-puissance, et qui l’appellent à se décentrer pour aimer vraiment librement (et non plus seulement « techniquement »).

 

L’expérimentateur homosexuel se focalise sur l’innovation (notion ô combien publicitaire et éphémère !) pour délaisser le progrès. Pire, il reproduit la barbarie et la tyrannie qu’il prétend combattre ! Par exemple, dans sa chanson « Réévolution », Étienne Daho proclame que « les arts et les sciences, et la différence, dans un monde réévolué » seront le nouveau genre humain.

 

Il arrive que le héros homosexuel louvoie et couche, à travers la science, avec ses clones scientifiques homophobes. Par exemple, dans le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, le bloc opératoire des savants fous nazis se transforme en bacchanales. Loin d’apporter des solutions aux maux qu’il veut combattre, il crée ou mime des souffrances parallèles. Par exemple, dans le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, la dictature du sadomasochisme homosexuel répond à l’enfer du milieu hospitalier et de la trithérapie. Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, le professeur Vertudeau pratique des lobotomies. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, les psychiatres, qu’ils soient homophobes ou homosexuels, se font miroir, tout en étant soi-disant concurrents : en effet, le Dr Apsey essaie de convertir à l’hétérosexualité Frank, le petit copain de son ennemi juré, le Dr Jonathan Baldwin… mais il cultive une telle ambiguïté pour son jeune patient qu’on ne doute pas une seule seconde de son homosexualité latente. Quant à Jonathan, il exprime aussi un élan d’attraction-répulsion mi-homosexuel mi-homophobe pour son confrère psychiatre : « Il arrive que des patients s’attachent à leur thérapeute. Si je l’avais comme psy, il pourrait peut-être me faire bander. » (Jonathan parlant ironiquement à son amant Frank du Dr Apsey, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes)

 
 

c) La supercherie scientifique homosexuelle débusquée :

L’illusion de science que le héros homosexuel a créée ne fait pas long feu. Comme il s’est appuyé davantage sur ses fantasmes de toute-puissance et de possession que sur le Réel et l’Amour, il apparaît comme un charlatan, un inutile, un prétentieux, un savant mi-homosexuel mi-homophobe, ou un fou, aux yeux de la réelle confrérie scientifique planétaire. « Ce sont eux qui me poussent à quitter ma chaire à la Faculté. Mes méthodes de guérison leur paraissent de plus en plus suspectes. Ma médecine est trop humaine pour le monde glacé des laboratoires. […] Et vous, si vous voulez un conseil, soignez-vous par les plantes. » (le professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Pensez-vous qu’ils étudient ? […] Les médecins ne peuvent faire penser les ignorants. » (Adolphe Blanc, médecin parlant des invertis à Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 508) ; « Toi tu arrêtes d’analyser tout le monde, tu commences par t’analyser toi. » (l’héroïne lesbienne Claude à son pote homo Mike, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 108-109) ; « Polly [l’héroïne lesbienne] dit que la sexualité, de toute façon c’est dans la tête, et en réinterprétant Freud, ‘On est tous des bisexuels qui faisons des choix. » (Mike Nietomertz, op. cit., pp. 67-68) ; « Jane n’arrivait pas à croire en Dieu et elle n’avait jamais vraiment été douée en sciences. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 86) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La prétention d’être scientifique :

Beaucoup de personnes homosexuelles, pour justifier leur désir homosexuel et les actes (amoureux et génitaux) qu’il les engage à poser, le présentent comme « naturel », « scientifique » et indiscutable (cf. je vous renvoie au code « « Plus que naturel » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « L’homosexualité a toujours été la plus spontanée des attirances. » (Karin Bernfeld, Apologie de la passivité (1999), p. 30) Elles créent des ponts langagiers abusifs, des connexions peu évidentes entre science et homosexualité : je vous renvoie par exemple aux nombreux discours hygiénistes sur l’amour en temps de Sida, à la défense de la naturalité de l’homosexualité à travers la lutte contre l’exclusion des personnes homosexuelles au don du sang, etc. Elles reprennent à leur compte les mots à la mode du jargon scientifique traditionnel (« résilience », elles aiment bien ^^) … mais souvent de manière très scolaire (cf. Sylvia Jaén dans l’article « Sí, Se Puede Tocar Una Utopía » de l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 131).

 

Film "House Of Boys" de Jean Claude Schlim

Film « House Of Boys » de Jean Claude Schlim

Leurs sympathisants hétéros-gay friendly, notamment des médecins et des thérapeutes, soucieux de se racheter une bonne image auprès d’elles, ou de les sortir du marasme sentimental dans lequel elles s’engluent, vont généralement dans le sens de cette sincérité et de cette croyance en la scientificité de l’homosexualité. Dans les médias, on voit de plus en plus de « psys du Loft » compréhensifs, de psychiatres de comptoir, afficher une image d’ouverture et de tolérance que n’auraient pas eues leurs poussiéreux aïeux, et s’adresser à nous en des termes rassurants pour défendre la normalité de l’homosexualité et combattre « l’Hydre de la Culpabilité » ou de « l’Homophobie intériorisée » ! En général, celui que les journalistes présentent comme un « psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, thérapeute familial et conjugal », s’exprime devant les caméras avec un faux calme, une décontraction travaillée (bobo, quoi), comme si on avait cinq ans d’âge mental. J’en tiens pour preuve les récentes interventions des « psys médiatiques » tels qu’Élisabeth Rudinesco, Serge Hefez, Benjamin Lubszynski (ci-dessous), Stéphane Nadaud, Stéphane Clerget, Yves Ferroul, Joseph Agostini, etc. Et le pire, c’est que leur comédie est très sincère !

 

Je vous invite à écouter également la psy « trop cool » de l’une des femmes lesbiennes interviewées, Charlotte, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy de l’émission Tel Quel, diffusée sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012.

 

Ensuite, un certain nombre de personnes homosexuelles se targuent d’être d’éminents scientifiques… et même des soignants plus puissants, plus humains, plus désintéressés, plus modernes, que les médecins traditionnels (cf. je vous renvoie au code « Médecin tué » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ! « Comme le dit Foucault, il faut liquider la psychologie. » (Albert Le Dorze, La Politisation de l’ordre sexuel (2008), pp. 151-152) ; « C’est l’antipsychiatrie qui correspond le mieux, au niveau conceptuel, à la pensée queer. […] C’est en débarrassant le sujet de tout cadre qu’on donne au patient la possibilité de se retrouver. » (p. 193) ; « Nous devrions nous conduire, Foucault nous y invite, jour après jour, en médecins de nous-mêmes. » (cf. la conclusion d’Albert Le Dorze, op. cit., p. 230) ; « Je me sens, par moments, non pas, comme certains voudraient le faire croire, ‘l’égal des dieux’, mais parfaitement capable de traiter mon engouement pour les hommes ‘en médecin, en naturaliste, en moraliste même, en sociologue et en historien’. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 91)

 

Elles prétendent souvent se substituer à leur thérapeute, et inversent les rôles : « J’ai fait le psy moi-même ! » (Nancy, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan)

 

Certaines personnes homosexuelles se piquent au jeu de l’analyse et de l’auto-analyse psychanalytique, pensent qu’une personne n’a la légitimité de parler d’un sujet de société qu’à partir du moment où elle est « en analyse », ou bien si elle a reçu une « formation ». Sinon, elle n’a pas l’habilitation ! On les voit faire des interprétations tirées par les cheveux, saupoudrées de jargon scientifique et de mots ronflants qu’apparemment elles ne comprennent pas. Elles recrachent scolairement du concept. Par exemple, dans son autobiographie Mauvais genre (2009), l’essayiste Paula Dumont raconte qu’elle consulte de temps à autre le Petit Larousse de la Médecine pour tirer des conclusions sur les pathologies des gens de son entourage.

 

La science, c’est parfois leur terrain professionnel officiel : pensons à toutes les personnalités homosexuelles qui ont une formation de soignants ou qui ont travaillé dans les hôpitaux (Gertrude Stein, Michel Foucault, Jean Cocteau, etc.). Et attention, ça ne rigole plus ! Il existe, aujourd’hui et partout dans le monde, des groupes de parole thérapeutiques spécifiquement homos, des associations LGBT consacrées à la prévention et à l’hygiène sexuelle, des confréries de psys gay, des AMG comme on dit (Association de Médecins Gays). À quand les hôpitaux gay… ?

 

Pour ma part, j’ai rencontré beaucoup de personnes homosexuelles sur les bancs de la fac de médecine et de « psycho », ou bien dans les métiers de la santé (infirmiers, médecins, chirurgiens, psychologues et psychiatres). Il y aurait, à mon avis, plein de conclusions intéressantes à tirer de cet effet-aimant là (le psy qui cherche à se soigner lui-même en croyant soigner les autres) ! Un homme homosexuel d’une cinquantaine d’années m’a écrit un mail le 22 mars 2021 me confessant ceci : « Pratiquement dès le début, tout le monde me disait que je devais aller voir un psychiatre, et que l’insomnie est une maladie psychiatrique. Quand j’ai dit à mon premier psychiatre – je changeais souvent mes psychiatres, tant ils étaient cons et incompétents – que je me faisais des soucis à cause de mes désirs homosexuels, j’ai reçu comme réponse: “Oh, si ce n’est que ça! On va résoudre ton problème très vite. Tu dois juste t’accepter tel que tu es, et te débarrasser de tous les obstacles qui t’empêchent de vivre ton homosexualité pleinement. Et la première chose que tu dois bannir, c’est la religion.” Je te jure, Philippe, que tous les psychiatres et psychologues que j’ai vus – ça doit être au moins 15 au total – m’ont dit que je dois arrêter de croire pour devenir heureux. Sauf un qui a avoué que ce n’est pas si simple que ça (il était plus âgé que les autres). Je peux te confirmer aussi que la plupart des psychologues à qui j’ai parlé sont eux-mêmes homosexuels et athées convaincus. Les milliers d’heures de thérapies n’ont rapporté rien, sauf le fait que je sais maintenant que la psychologie comme elle est pratiquée à notre époque est tout à fait inutile pour aider une personne croyante qui se sent homosexuel. Dire à une personne qu’il doit arrêter de croire, c’est le conseil le plus stupide que j’ai jamais entendu. Et la phrase “Oh, si ce n’est que ça!” me fait mal encore aujourd’hui, alors que ça fait 14 ans depuis que ce psychiatre stupide me l’a dite. ».

 
 

b) Les détournements de la science :

Certaines personnes homosexuelles conspuent la communauté scientifique, bien souvent parce qu’elles la jalousent et l’idéalisent trop. C’est pourquoi elles en font souvent une caricature sérieuse, un détournement qu’elles prennent beaucoup plus souvent au premier degré que leur sincérité ne l’imagine. Leur appartenance au monde scientifique est pourtant inscrite noir sur blanc sur leur badge… mais dans les faits, on constate qu’elles jouent régulièrement de leur statut de médecins ou de docteurs pour laisser libre cours à leurs fantasmes les plus incontrôlés et les plus fous. Dans leur esprit, elles semblent avoir substituer la technique (celle qui peut servir l’Homme tout comme L’asservir) à la science (celle qui n’est là que pour servir, guérir et soulager l’Homme). Cette confusion entre science et technique les entraîne généralement dans une quête effrénée de la performance, du profit, de la productivité, de la consommation, du pouvoir.

 
 

b) 1 – Le détournement de la science par le sentiment et le génital : l’Amour réduit à une solution chimique ; le sexe envisagé comme une expérience scientifique

 

Il semblerait pour commencer que les personnes homosexuelles/bisexuelles médecins aient souvent du mal à garder leur juste place de thérapeutes, et qu’elles ne respectent pas la bonne distanciation avec leur patient (parfois lui-même homosexuel). J’en connais beaucoup qui encouragent ce dernier à un mode de vie conjugal homosexuel, à la recherche de « l’amour », sans mesurer les conséquences souvent désastreuses de leur relativisme « décomplexant et dédramatisant ».

 

Pis encore. Il arrive avec lui qu’elles versent dans le copinage gémellaire d’orientation sexuelle, voire la compassion amoureuse !

 

La pub « Sugar Baby Love » d’AIDES (c’est surtout la fin qui est intéressante)

 

L’un des contes de fée cachés (et incestuels) que se racontent beaucoup de personnes homosexuelles, c’est celui qui orchestre qu’elles finissent miraculeusement leur vie dans les bras d’un beau médecin musclé. Par exemple, la romancière nord-américaine Carson McCullers, pourtant lesbienne, croit se mourir d’amour pour le médecin qui l’a soignée, le Dr Robert Myers. Quant à Max Jacob, pourtant mourant, il chuchotera à l’oreille du médecin qui s’est penché sur lui : « Vous avez un visage d’ange. » (Max Jacob cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 277) Dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, Catherine, femme lesbienne de 32 ans, raconte qu’elle est tombée vraiment amoureuse de sa gynéco (p. 130). Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno drague son psy.

 

« Une seule fois dans ma vie, après le gros coup de fatigue que j’ai subi en 1993, je suis allée consulter un psychiatre, pendant sept mois, à raison de deux séances par semaine. J’étais ravie de ne pas avoir affaire à une femme, car j’avais très peur de faire un transfert, c’est-à-dire de tomber amoureuse de ma psy hypothétique. » (Paula Dumont, Mauvais genre (2009), p. 113) ; « Mes parents ont fini par me demander si je voulais voir un psychiatre. Et j’ai dit oui. Donc ils m’ont pris rendez-vous avec le psy de l’université. Je suis allé le voir. Je suis rentré dans son cabinet. On s’est regardés et on a compris tous les deux qu’on était tous les 2 homos. » (Philip Bockman, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020).

 

Il n’y a qu’un pas entre le divan et le lit, entre le billot et la chambre à coucher ! Les faits nous le prouvent… Je connais personnellement des médecins qui, en consultation, en ont profité pour draguer et coucher avec leur patient ; ou bien des amis homos qui se sont laissés caresser, embrasser, sucer, par leur médecin traitant, pendant leur adolescence, le tout en justifiant le dérapage par la « nécessité du soin » et le plaisir physiologique ressenti par cette « expérience » inédite ! Le secret professionnel sert parfois de couverture à l’acte homosexuel, voire même au viol. Ne soyons ni paranos ni naïfs !

 

Par ailleurs, je vois combien les démarches préventives de santé, les interventions en milieu scolaire, les campagnes médiatico-scientifiques de lutte contre le Sida, sont, pendant les Gay Pride et dans les associations LGBT militantes notamment, les cautions morales d’une drague frénétique et d’une consommation sexuelle souterraines : on peut niquer tranquille et comme on veut, puisque c’est safe ! Et maudit soit celui qui ose remettre en cause le « travail formidable des médecins gay » au sein de la communauté homosexuelle !!!

 

Au sein de la communauté homosexuelle, la psychanalyse ou la médecine sont substituées par le mot « amour » (… et surtout, en acte, par le sexe sans Amour !). Que les individus homosexuels soient concrètement diplômés de médecine ou non, peu importe. Avec leur(s) amant(s), ils font comme s’ils vivaient une expérience (scientifique, fusionnelle) ! La « science » dont ils parlent est en réalité un expérimentalisme hédoniste et libertin : « Je suis contre tous les tabous sexuels. Je suis pour toutes les libérations. Je ne m’effraye d’aucune combinaison d’ordre sentimental ou érotique, estimant que chaque individu a le droit de disposer de son corps comme il lui plaît et de se livrer à certaines expériences. » (Gérard de Lacaze-Duthiers cité dans l’article « Inversion sexuelle » d’Eugène Armand, dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 398) Par exemple, Patrice Maniglier parle de fonder « une communauté homosexuelle sans rôle complémentaire, où les identités sont réversibles, […] un champ d’expérimentation des possibilités du corps » (cf. l’article « Penser la Culture gay » de Patrice Maniglier, dans le Magazine littéraire, n°426, décembre 2003, p. 59).

 

Sans être nécessairement médecin de métier, certains libertins homosexuels s’achètent une conscience par le biais de la science, présentent un joli certificat médical en espérant qu’on ne voit pas que la signature en bas est bidon, qu’ils sont nus sous leur blouse blanche, que leur discours est beaucoup plus sentimentaliste que réellement fonder sur les faits, que les docteurs qu’ils jouent à être n’est en réalité qu’un prétexte de plus (le serment d’hypocrites !) pour aller baiser à droite à gauche sans (se) l’avouer (« Je ne drague pas et je ne nique pas ! : je vis juste une Expérience sensible, une Exploration sensuelle ; c’est pour une étude sociologique… » soutiennent-ils sincèrement).

 

Souvent, ils élaborent une théorie scientifiste jargonnante d’intensification de la libido humaine, de guérison de l’être par l’orgasme et le bien-être. À les entendre, ils « aiment » comme ils font un calcul mathématique (on pourrait tout à fait parler, dans leur cas, d’« algèbre du désir »), comme ils créent un parfum. Ils « font l’amour » comme ils mèneraient une opération délicate : avec la froideur et la précision d’un chirurgien de laboratoire. Bip… Bip… Bip… Gants… Vaseline… Menottes… Caresses… Succion… Pénétration… Objectif : atteindre le point G ! … et, au fond, transformer l’amant et eux-mêmes en objets sacrés.

 

Sans le vouloir, car leur esprit d’esthètes romantiques le leur interdit, ils traitent leurs amants comme des souris de labo, sur lesquelles ils vont pouvoir tester leur culture (« leur » science !), leur sincérité et leur pouvoir de séduction. On les voit parfois enrouler/enrôler leur patient-compagnon (qu’ils ont préalablement anesthésié avec des drogues et des mots doux) dans leur corps de serpent par la voie de la séduction et de l’hypnose (cette animalisation diabolisante ne doit pas nous paraître excessive, d’autant plus quand on pense que l’héraldique de la médecine est le caducée !). « Il n’était pas mon genre. Pas du tout même. Mais il me regardait. Ses yeux étaient noirs, grands, profonds. Quand il les braquait sur moi, je ne savais que faire. Je devenais timide, petit enfant bien élevé. Malgré moi j’étais comme hypnotisé par un je-ne-sais-quoi en lui qui me dépassait, me transportait et qui se logeait dans son regard perçant et légèrement ironique. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Javier, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 36) J’en ai rencontrés beaucoup, des « gourous non-agréés » à la voix anesthésiante et grisante de steward de Minitel rose, des beaux parleurs entreprenants-mais-pas-trop, des Don Juan « thérapeutes » (prétentieux et insouciants à 20 ans, « vieux beaux » non moins prétentieux à 40-50…) qui vous draguent nonchalamment, très nonchalamment…, en vous racontant des mots doux, en vous « proposant » l’air de rien leurs mains « d’experts » (en massages tantriques, bien sûr), leurs yeux langoureux, … leurs bites (oh pardon ! Ma braguette s’est ouverte accidentellement, à l’insu de mon plein gré…).

 
 

b) 2 – Le détournement de la science par l’humour et le jeu :

 

MÉDECINES Sida

 

La « science » que certaines personnes homosexuelles mettent en place se réduit souvent à un jeu de rôles, de séduction, où l’enjeu n’est pas tant le combat contre la souffrance et en faveur de la vie, mais plutôt une stratégie ludique de conquête de l’amour et de sa soi-disant « légèreté », une mise en scène adolescente : « Nous montâmes un intermède d’un auteur espagnol. Je faisais le coiffeur du village et Ernestino le médecin. » (Alfredo Arias, Folies-fantômes (1997), p. 196) ; « Petit déjà… Je sais maintenant d’où vient cette curiosité excessive que j’avais de zieuter les autres garçons dans les vestiaires de la piscine x). Faut dire aussi que les seules fois où j’ai joué au docteur, c’était avec des garçons. La curiosité, bien sûr. » (cf. le témoignage d’Erwan, homosexuel, dans la rubrique « Déjàtoutpetit » du site Yagg, publié le 7 février 2012)

 
 

b) 3 – Le détournement de la science par la transcendance « artistique » ou « religieuse » :

 

Beaucoup d’auteurs homosexuels, sur le mode comique, mais aussi parfois sur un registre spirituel plus sérieux, nous proposent des théories « scientifico-artistiques », des méthodes analytiques parallèles (par exemple : la pataphysique et l’adolphisme d’Alfred Jarry – le dramaturge a souhaité fonder « une société de recherches inutiles et savantes » –, la paranoïa critique de Salvador Dalí, le surréalisme anti-surréaliste de Jean Cocteau, la schizo-analyse de Gilles Deleuze, le mouvement bisexuel-asexualisant queer actuel, etc.), des raisonnements conceptuels limite « universitaires » mais fondés sur l’inversion et le détournement libertin. C’est la raison pour laquelle des artistes tels que le cinéaste italien Pier Paolo Pasolini, sont décrits comme des scientifiques de laboratoire, « des expérimentateurs incessants » (cf. l’article « Pier Paolo Pasolini » de Francesco Gnerre, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 353) Certains chercheurs homosexuels tentent de faire passer l’art pour un substitut de la science : « La science ne pourrait-elle devenir fictionnelle ? » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 87) D’ailleurs, dans les universités d’été organisées par les associations LGBT, lors de leurs séminaires et colloques « scientifiques », ou même dans les clubs de bien-être, de remise en forme de massage, ou les ateliers « sophrologie/interprétation des rêves » et les groupes de parole queer, la frontière est floue/mince entre la démarche scientifique et la réunion d’« artistes ».

 

En dépit des apparences, les médecins gay friendly et pro-gay nient le sexe et la sexuation en mettant en avant le génital et la métaphore ; ils tuent le Sens et l’Humain en privilégiant les Sens ; ils décorporéisent le vivant en le regardant/disséquant de trop près au scalpel ou au microscope. Par exemple, dans son essai Le Genre démasqué (2011), Élizabeth Montfort explique avec pertinence que la Gender & Queer Theory « dissocie le genre (sexe social) du sexe biologique » (p. 21), autrement dit cette idéologie fait de nous des anges asexués et inhumains. Comme l’a fort bien développé Michel Boyancé lors de sa conférence « La Théorie du Genre dans les manuels scolaires : comprendre et discerner » au Collège des Bernardins le 6 décembre 2011, il s’agit pour les promoteurs du Gender de « se libérer de la nature par le droit et par la science ». Quel paradoxal rapport à la Nature…

 

La croyance des personnes homosexuelles en la science est tellement idolâtre et déconnectée du Réel (à force d’être puriste et cartésienne… voilà le paradoxe !) qu’elle se mute souvent en superstition religieuse ou amoureuse. La science devient à leurs yeux une déesse à posséder comme un sceptre, ou bien une Muse cosmique et dominatrice. On retrouve pas mal d’astrologues et d’adeptes d’ésotérisme parmi les personnalités homosexuelles (Didier Derlich, Gavin Arthur, Karl-Günther Heimsoth, René Crével, etc.). Lucía Etxebarría, la romancière espagnole bisexuelle, dit être fascinée par la psycho-analyse, les sciences occultes. Dans le documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin, Joseph, le sorcier gay, a dans sa chambre un énorme poster des Spice Girls.

 

« J’avais remarqué depuis un bon moment l’engouement de mes amis et connaissances homos pour les pseudo-sciences qu’elles soient divinatoires (horoscopes, numérologie) ou médicales (par exemple phytothérapie, se traduisant par des consommations de tisanes en tout genre destinées à de multiples offices). Mais au palmarès des ‘thérapies’ bidon, on en trouve pas mal qui s’accompagnent de contact corporels plus ou moins rapprochés (j’ai un très bon ami qui pratique le Reiki à un haut niveau et n’est jamais à court pour me proposer une séance ; mais on pourrait aussi trouver des choses du côté du massage ayurvédique). En réalité l’intention thérapeutique me semble parfois quelque peu confuse… Pour citer d’autres illustrations intéressantes de tes propos, j’ai dans ma famille un de mes oncles qui a été marié avec une femme qui s’est révélée par la suite être lesbienne et dont il s’est séparé après en avoir eu une fille. Il est tombé un jour sur son journal où elle écrivait qu’elle ne s’était mariée que pour faire une ‘expérience’ avec une froideur assez ‘scientifique’. La même ex-tante, à quelques temps de là, avait décidé, avec quelques amies à elles, de sortir de sainte Anne pour prendre en charge une malheureuse patiente psychotique (c’était au beau milieu de la vague antipsychiatrique des années 1970) sous prétexte qu’elle n’était soignée que par des médecins hommes qui, par définition, ne pouvaient comprendre les femmes (on n’est pas très loin de l’état d’esprit de l’association des médecins gays). Je crois me souvenir que l’expérience s’était terminée par un appel en urgence de la police suite à un carnage de l’appartement par la fameuse patiente (et oui! la psychiatrie c’est un métier comme disait un de mes anciens patrons). Et je ne te raconte pas le pire… Soit dit en passant, je me suis bien amusé, en allant sur le lien de l’association des médecins gays. Bon, disons que je ne pense pas que la délicatesse dans la façon d’interroger un patient et la compétence soit une question d’orientation sexuelle… mais si ça peut faire plaisir à certains de le penser, c’est plutôt un moindre mal… » (un ami quarantenaire par mail, en 2011)

 

Dans leurs discours et dans leur vie, on assiste à de drôles de croisements entre science et mythologie (en général une mythologie du viol ou de la mort), entre médecine et sentiment, entre confrérie scientifique et secte (artistico-religieuse) : « À l’époque, je ne connaissais pas les trucs sur l’intersexe, mais j’ai pensé que j’étais un homme. Et je m’étais dit très scientifiquement, pour évaluer si j’étais vraiment un homme, je vais me féminiser et donc là je me suis mise à avoir des cheveux longs, à me maquiller, à avoir des robes, etc., et dans la même période, je suis partie aux États-Unis avec un pote. Et un jour dans une boîte, j’ai failli me faire violer et là je me suis dit : ‘Non, je ne suis pas un homme, mais habillée comme cela ça ne me correspond pas, il y a quelque chose qui ne va pas.’ Et la séduction que j’exerçais à l’égard des hommes ne me plaisait pas, leur regard ne me plaisait pas. Pas parce qu’ils étaient libidineux, mais parce que je ne voulais pas cela avec les hommes. Pour moi, les hommes c’était mes frères. Alors, la seule fois où j’ai embrassé un homme (j’ai eu quelques flirts comme ça), j’avais l’impression d’une relation incestueuse, tu vois un truc tu touches avec la langue et tu as l’impression de ramasser des fraises, tu vois ? (rires). » (Gaëlle, une femme lesbienne de 37 ans, dans l’essai « sociologique » Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, pp. 80-81) ; « La Chola [un travesti M to F] avançait d’un pas décidé, malgré le déséquilibre que provoquaient ses talons aiguilles qui s’enfonçaient dans le chemin de terre battue. Sur son passage, flottait un délicieux parfum douceâtre. Ses formes étaient exaltées par un tailleur blanc moulant et une petite ceinture rouge. La Chola s’arrêta devant une maison basse, peinte à la chaux et surmontée d’un énorme écriteau où l’on pouvait lire ‘Église scientifique’. De part et d’autre de la porte étaient peints deux angelots assis chacun sur son nuage. Elle frappa. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 233)

 

La jalousie pantoise des sujets homosexuels vis à vis de la science est palpable, et ne tarde pas à se montrer sous un jour plus agressif, comme nous allons le voir maintenant…

 
 

b) 4 – Le détournement de la science par le militantisme politique « progressiste », techniciste, mégalomaniaque, pro-gay et finalement homophobe :

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont à ce point persuadées qu’elles peuvent incarner à elles toutes seules la science (il suffit de la posséder, de la revêtir, de la « sentir », d’en connaître par cœur les formules alambiquées « qui font sérieux », croient-elles) qu’elles finissent par se prendre pour Dieu, pour le Créateur des Hommes et de l’Amour, pour le Maître de la vie : cf. le festival de cinéma gay et lesbien L’Amour est à réinventer organisé en 1996. Au nom du « progrès » et du « changement » (« Le changement, c’est maintenant ! »), elles frisent souvent la mégalomanie : « On voit les immenses possibilités qui s’offrent à nous et nous emportent bien loin des recherches menées en biologie sur le clonage et autres technologies de la reproduction. Nous sommes à un tournant de l’histoire. Depuis la découverte de la pilule et la maîtrise de la fécondité par les femmes elles-mêmes, plusieurs choix s’offrent à nous. Le développement des techniques reproductrices, et leurs insolubles conflits éthiques (comment refuser le ‘progrès’ ?), mais aussi la possibilité de donner d’autres buts à la sexualité que la reproduction. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 129)

 

L’ère de la performance, de l’ingénierie, de la toute-puissance matérialiste, numérique et technologique, va de pair avec la volonté du Gouvernement Mondial de promouvoir l’homosexualité. C’est logique. Le robot et l’objet sont eux-mêmes asexués, virent la différence des sexes. Rien qu’en entendant Anne Hidalgo, la maire de Paris, revenant de la Gay Pride et s’adressant à David Abiker au sujet de la communauté homosexuelle et de la communauté technologique, à la Conférence « Starts-up et Étudiants » lors de la première édition du Salon VIVA TECH, le 2 juillet 2016 au Parc des Expos de Paris, on comprend très vite la corrélation : « Ces deux univers ne sont pas si différents. Tous les deux sont ouverts à la différence, au progrès. Ils n’ont pas peur des différences. » Sans transition, Abiker a introduit le discours de clôture des deux initiateurs du VIVA TECHNOLOGY, les PDG Francis Morel et Maurice Lévy, en les comparant à une « Famille homoparentale » : « Un enfant peut avoir deux pères. »
 

C’est la Terre entière et ses habitants qui sont finalement englobés dans leur conception techniciste, sensibleriste, et donc anthropocentrée, de la science et du Réel. Selon elles, le monde ne se divise plus entre les hommes et les femmes, mais uniquement selon les orientations sexuelles définies à la fin du XIXe siècle par la médecine légale (« homos/hétéros ») et selon les sentiments (« les ennemis de l’amour » d’un côté, « naturellement homophobes », et « les amoureux » bisexuels de l’autre, « naturellement gay friendly voire homosexuels »).

 

Elles envisagent les contacts humains – et surtout amoureux – comme des solutions chimiques, autrement dit des feux d’artifice incontrôlés, des coups de foudre censés se produire quand on s’y attend le moins. Leur discours est truffé de mariages consanguins entre science et sentiment. Se prenant pour des médecins divins capables de fusionner avec leur Mère la Science, elles prétendent contrôler la beauté, créer l’Amour par leurs propres moyens, devant leur écran d’ordinateur.

 

Paradoxalement, ces dandys homosexuels, complètement fleur bleue (voire comiques et coquins) à certains moments, deviennent tour à tour dangereux, robotiques, méthodiques et vulgaires dès qu’ils passent à l’action et tentent d’actualiser « scientifiquement » leurs fantasmes amoureux : ils parlent souvent de l’Amour de manière clinique et dépoétisée, comme s’il s’agissait d’une solution chimique entre deux robots, d’un processus physico-psychologique de causalité absolument imparable, d’un échange « logique » et contrôlable de phéromones corporels dans lequel Dieu et les Hommes n’auraient rien à voir, d’un scénario déjà écrit d’avance, où la liberté humaine – et même la douceur ! – n’ont pas du tout leur place.

 

En même temps qu’ils scientifisent le sentiment et romantisent la pulsion pour les faire fusionner, ils annulent les deux !

 

Au-delà du caractère surréaliste et risible du cliché du savant fou ou du médecin libidineux (cf. je vous renvoie aux codes « Clonage », « Adeptes des pratiques SM », « Frankenstein » et « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), les résultats de la confusion entre science et fantasme sont une hybridation à la fois banale et monstrueuse : sous couvert de la science et de la bonne intention, beaucoup de personnes homosexuelles libertines justifient et pratiquent mine de rien la pression psychologique, le chantage sentimental/sensuel, le vol, le viol, le meurtre, la manipulation génétique (cf. le recourt à l’AMP – l’Assistance Médicale à la Procréation –, à la GPA – Gestation Pour Autrui –, à la PMA – Procréation Médicalement Assistée –, etc.), la mutilation chirurgicale sur les personnes transgenres, etc.

 

Au bout du compte, on comprend que la majorité des personnes homosexuelles ont tendance à ne s’intéresser à la science que pour les progrès artificiels ou dangereux qui flattent leur Ego (la procréation médicalement assistée, le clonage, la chirurgie esthétique, l’opération pour changer de sexe, les moyens de contraception, le tantrisme, l’hypnothérapie, etc.), et non pour les avancées scientifiques plus « sociales » et bénéfiques au bien commun.

 

Face au constat et à l’ampleur de leurs échecs à élaborer l’élixir d’Amour et de Réel, il arrive que les personnes homosexuelles se mettent à « maudire scientifiquement » leurs solutions romantico-libertines ratées et les créatures difformes que leur orgueil a créées (il n’y a qu’à constater le mépris des personnes transsexuelles et transgenres dans le « milieu homosexuel », ainsi que la vague de suicides qui les emporte). La première de ses inventions étant ce qu’elles ont cru être « l’Amour » ou « Dieu ». Car, que devient la science uniquement tournée vers l’Homme (et non au service de l’Homme-Dieu qu’est Jésus en tout Homme) sinon monstruosité ?

 

Non seulement les individus homosexuels n’éradiquent aucune maladie, mais en plus, ils ont tendance à en créer de nouvelles ! – « l’hétérosexualité », « l’homophobie », « l’amour », et même « l’homosexualité » –, maladies qu’ils n’analysent pas, qu’ils ne cherchent surtout pas à comprendre, qu’ils laissent germer, qui ne sont que des nomenclatures pseudo scientifiques qui occultent les réalités violentes qu’elles sont censées dénoncer – le couple femme-homme non-aimant et bisexuel dans le cas de la « maladie de l’hétérosexualité » ; la haine de soi, le désir homosexuel pratiqué, ou le viol dans le cas de la « maladie de l’homophobie », les désirs superficiels homos et hétérosexuels dans le cas de la « maladie d’amour » et « de l’homosexualité » – étiquettes dont la création pourra leur être ensuite imputée par la communauté scientifique bisexuelle ou homosexuellement refoulée (parfois sous forme d’agressions homophobes, pour le coup ! Je vous renvoie aux écrits homophobes et à la scientificité très discutable de Krafft-Ebing – qui a arbitrairement normativisé et opposé « l’hétésexualité » à l’homosexualité dans sa Psychopathia Sexualis en 1886 –, de Chekib Tijani, de Jean-Louis Chardans, de tous ces savants qui ont abusé de la psychiatrie, de la lobotomie, de la castration, des traitements hormonaux, pour « convertir les invertis en hétéros ») : « D’ores et déjà, dans les représentations dominantes, à une norme hétérosexuelle qui considérait l’homosexualité comme une déviance, se substitue parmi les élites faiseuses d’opinion une norme homosexuelle qui caractérise l’hétérosexualité comme ringarde, voire à son tour, pathologique. » (Michel Schneider, La Confusion des sexes (2007), p. 73) Par exemple, dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira utilise la métaphore filée de la maladie pour décrire l’homophobie (p. 617) : il diagnostique la maladie d’homophobie des stars masculines qui se refusent au soupçon d’homosexualité sous le nom de « Syndrome Alejandro Sanz » (p. 70). Il n’est pas le seul à pathologiser ce qu’il essaie de diaboliser via une rationalisation excessive. Voici quelques exemples de ce discours pseudo-scientifique de plus en plus employé par le militantisme homosexuel actuel : « L’homophobie est en chacun de nous, sous la peau, dans nos chairs. C’est une maladie qui infecte nos tissus et parasite nos neurones. Elle est chez nos proches, nos voisins, elle pourrit notre société et nos institutions. C’est une épidémie ! Si on ne dresse pas de cordons sanitaires, elle se répand. » (Julien Picquart, Pour en finir avec l’homophobie (2005), pp. 17-18) ; « L’homophobie est un mal insidieux. Elle n’éclate au grand jour que par crises sporadiques ; les manifestations anti-PaCS n’étaient que l’épisode virulent d’une affection qui, d’ordinaire, incube sourdement. Elle contamine en silence les pensées et les discours, elle empoisonne le débat démocratique. » (Bertrand Desfossé, Henri Dhellemmes, Christèle Fraïssé, Adeline Raymond, Pour en finir avec Christine Boutin (1999), p. 7). Pour ma part, sur les réseaux sociaux tels que Twitter, je lis sur mon compte de plus en plus de diagnostics « médicaux » qui m’envoient à l’HP pour « graves troubles psychiatriques ».

 

La majorité des personnes homosexuelles croient tellement que l’identité ou que l’amour homosexuels sont des données uniquement physiologiques et subies que, fatalement, dès que ceux-ci montrent leurs faiblesses (et Dieu sait combien ils en ont !), elles se retournent contre eux en les définissant comme des viles pulsions et d’incurables maladies (et, par ricochet, elles s’autoproclament « malades » !) À grand renfort de statistiques et de syllogismes pseudo universitaires, d’une part elles essentialisent le désir homosexuel sous forme d’amour et d’espèce humaine à part – « les » homosexuels –, clairement identifiables (et, selon les moments, clairement stigmatisables : souvenons-nous Magnus Hirschfeld qui, par ses théories essentialistes bien intentionnées, voulait prouver la normalité et la validité du « Troisième sexe », a créé le retour de bâton des camps de concentration nazis…), d’autre part elles scientifisent et justifient le génital/le sentiment/l’affectif pour donner droit de cité à n’importe quel type de pulsions (à commencer par les pulsions homophobes !) à partir du moment où elles les qualifient d’« amour » ou d’« identité naturelle ».

 

Par la création de ces nouvelles maladies partiellement mythologiques (« l’homophobie », « l’hétérosexisme », etc.) et de leurs faux remèdes (« l’homosexualité » déclinée en couple ou en identité fondamentale), elles ne suppriment pas le mal, mais au contraire le nourrissent secrètement, l’occultent, et désignent comme « ennemis » ses réels antidotes (réconciliation avec soi-même, accueil du mystère de la différence des sexes, découverte de l’existence d’un Dieu aimant et plus grand que l’Homme), les seuls qui mettent en péril leur unicité/leur fantasme de toute-puissance, et qui les appellent à se décentrer pour aimer vraiment librement (et non plus seulement « techniquement »).

 

Les expérimentateurs homosexuels se focalisent sur l’innovation (notion ô combien publicitaire et éphémère !) pour délaisser le progrès. Pire, ils reproduisent la barbarie qu’ils prétendaient combattre ! Par exemple, les seuls endroits où j’ai vu des pilules en sachet censées guérir de l’homosexualité et rendre hétéro, c’était… dans des librairies homosexuelles à Paris ! : elles étaient vendues sur le promontoire des Mots à la bouche ou de Bluebook en 2008 (avec des titres comme « Instant Orgasm Pills », ou bien des inscriptions telles que « comment hétérosexualiser son enfant » ou « lutter contre l’homophobie de sa mère »). Malgré la blague de farces et attrapes, tout était fait pour que l’acheteur naïf croie en de vrais médicaments créés par des scientifiques homophobes, alors qu’en réalité c’est une artiste canadienne, Dana Wyse, qui est à l’origine de cette contrefaçon ambiguë.

 

De même, la création d’une confrérie scientifiquement homosexuelle de « psys gays » (les AMG – Associations de Médecins Gays – dont je parlais tout à l’heure) va dans ce sens de l’auto-stigmatisation par le biais de la victimisation. Être en présence d’un personnel soignant étiqueté homosexuel, paraît-il que ça mettrait en confiance les pauvres victimes d’homophobie (que seraient toutes les personnes homosexuelles) d’être en présence de leurs jumeaux d’orientation sexuelle, et même que ces derniers comprendraient mieux, soigneraient mieux, culpabiliseraient moins… Je ne doute pas que le travail d’accompagnement de ces « médecins gay » ait parfois son utilité, son efficacité. Mais a-t-il pour autant sa raison d’être ? La qualité d’un médecin se mesure-t-elle à son orientation homosexuelle ? Choisit-on son soignant selon le discours idéologique qu’on a envie d’entendre de lui ? Je ne crois pas. Cette homosexualisation du monde médical, aussi généreuse qu’elle puisse paraître, est en réalité homophobe : elle copie en tous points l’arsenal « scientifique » mis en place par les opposants aux personnes homosexuelles. Les thérapies de groupe pour « guérir les homos » laissent juste la place aux thérapies de groupe pour « guérir les homophobes » ; le discours scientifique homophobe du « contre-nature » est juste supplanté par un discours freudien frelaté tuant la culpabilité – et pour le coup, la responsabilité – ; la croyance en la nation de « sidaïques » et d’« homosexuels » est juste remplacée par la croyance en la nation de « genres » bisexualisante et asexualisante ; la recherche du « gène gay » et des « causes » de l’homosexualité nourrit à la fois la diabolisation et la sacralisation du désir homosexuel, etc.)

 

Loin d’apporter des solutions aux maux que ces « scientifiques » pro-gay voulaient combattre, ils créent ou miment en général des souffrances parallèles. Par exemple, dans son livre Serial Fucker, Journal d’un barebaker (2003), Érik Rémès remplace le despotisme aseptisé du safer sexpar le culte non moins totalitaire des rapports sexuels non protégés (le « no capote » appelé bare-backing).

 

Autre exemple avec la création scientifico-légale de la « famille homosexuelle ». Lors de sa conférence sur « L’homoparentalité aux USA », à Sciences-Po Paris, le 7 décembre 2011, le jeune professeur Darren Rosenblum raconte comment il s’est lancé illégalement dans un projet de GPA (Gestation Pour Autrui) avec son compagnon et une mère porteuse aux États-Unis, en se justifiant de la normalité de sa situation par un verbiage scientifico-émotionnel d’apprenti sorcier, fortement anti-naturaliste, ou plutôt, ce qui revient au même, surnaturaliste (cf. je vous renvoie au code « « Plus que naturel » » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Je me sentais enceinte. » ; « On ne voulait pas savoir qui était le père biologique. On sait maintenant qui est le père biologique, mais on garde le secret. » ; « Je soutiens une interprétation de la biologie. » : « Je trouve que ces rôles de père ou de mère ne sont pas essentiels. Si dans une famille un homme veut être la mère, il doit pouvoir le faire. Le sens de ces termes, je pense, va fondre. » Il se montre favorable à l’instauration d’une « philosophie de genres », à une « parentalité androgyne », et parle très sérieusement de « désexuer la parentalité ». En filigrane, on sent pourtant dans son discours une peur que sa supercherie scientifiste soit démasquée. Avec son copain, ils ont fui l’État de New York (où la GPA est illégale) pour venir habiter incognito dans le Marais à Paris, avec leur petite fille de deux ans et demi… mais Darren avoue qu’ils rasent les murs : « J’ai un peu peur d’être maltraité par les gens au moment où je suis avec ma fille. » Peu fiers de ce qu’ils ont fait au nom et grâce à la technique (plus qu’à la science à proprement parler).

 
 

c) La supercherie scientifique homosexuelle débusquée :

L’illusion de science que beaucoup de personnes homosexuelles ont créée ne fait pas long feu. Comme elles se sont appuyées davantage sur leurs fantasmes de toute-puissance et de possession que sur le Réel et l’Amour, elles apparaissent (à leur grande honte) comme des charlatans, des inutiles, des prétentieux, des savants mi-homosexuels mi-homophobes, ou des fous, aux yeux de la réelle confrérie scientifique planétaire.

 

Je m’aligne à leurs constats. Par exemple, le 8 juin 2010 dernier, un peu avant que je donne ma conférence sur la mixité gay/lesbiennes à l’Hôtel Millenium de Paris devant les membres de l’association homosexuelle l’Autre Cercle, j’ai pu assister le même soir au topo insipide de quatre médecins, qui se présentaient comme des « Psys gays », et qui se proposaient de nous parler de l’homophobie : ils n’ont fait que survoler et minorer le phénomène de l’homophobie intériorisée, en noyant le poisson dans une lecture misérabiliste et victimisante. J’étais intérieurement affligé du niveau de réflexion.

 

En somme, on se rend compte que les médecins homosexuels deviennent de vrais charlatans (ou bien que leurs patients homosexuels n’arrivent pas à comprendre les vrais médecins sérieux et solides) dès qu’ils se mettent à justifier la croyance en l’identité homosexuelle, en l’amour homosexuel, dès qu’ils pratiquent des actes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°120 – Mère possessive (sous-codes : Maman mon tout mon roi / Maman-gâteau)

Mère possessive

Mère possessive

 

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ma mère m’adore, je l’adore

… et c’est justement ça le problème

 
 

L’association mère-homosexualité agace souvent la communauté homosexuelle au plus haut point. Et il est facile de comprendre pourquoi : bien des sujets homosexuels ne désirent pas analyser la relation idolâtre qu’ils entretiennent avec l’être qui est pour eux le plus détestable et le plus cher au monde. Ils démontrent par leurs propos qu’ils ont élevé leur mère au rang de déesse ou de vierge, pour mieux fuir les femmes réelles. Dans les œuvres homo-érotiques, cette matrone toute-puissante prend tellement de place qu’elle donne très souvent la mort aux hommes ou à leur propre fils. Cela peut correspondre à une certaine réalité. Même si tous les schémas psychologiques attribuant à une mère, et à elle seule, l’origine de l’homosexualité d’un fils sont suspects, le cliché de la mère possessive est malheureusement loin de n’être qu’une caricature ! Les personnes homosexuelles de notre entourage qui n’ont toujours pas réussi à couper le cordon, et qui sont assaillies de la présence étouffante de leur bonne maman, réelle ou symbolique (une nourrice, une tante excentrique, une sœur, une grand-mère, une institutrice, une actrice, une chanteuse, etc.) ne manquent pas! Certaines personnes homosexuelles sont victimes de la revendication virile de leur mère : la mère cinématographique – et parfois la mère réelle – cherche souvent à montrer à son fils que son père n’est qu’un tyran « sans couilles », prend la place de son enfant au point d’envahir son espace psychique, l’aide à s’homosexualiser, impose le sacrifice de toute individualité, et cultive la politique du secret de polichinelle.

 

Et le pire, c’est que la majorité des personnes homosexuelles cautionne cet abaissement à l’idole maternelle par la validation passive de leur homosexualité. Par exemple, Julien Green nie que sa mère ait été tyrannique (« Non, elle était très douce », affirme-t-il à l’émission Apostrophe, diffusée sur la chaîne Antenne 2 le 20 mai 1983), et reconnaît tout de suite après qu’elle a largement outrepassé ses fonctions maternelles. Comme l’écrivait Marcel Proust dans sa préface à Sodome et Gomorrhe (1922), qui pourtant adorait sa mère, « il est difficile de supposer que la mère ou la sœur qui nous aime absolument, ne saisisse pas dans l’essence de notre nature toutes les conséquences, même mauvaises, qu’elle peut porter, difficile aussi de croire que dans son amour pour cette essence elle ne pardonne en elle ces conséquences détestables. » Beaucoup d’individus homosexuels ont droit aux confidences maternelles qui ne les regardent pas, servent de substitut marital pour reporter/illustrer un divorce, si bien qu’ils ne savent plus exactement comment définir ce lien de proximité excessive mais irréelle avec leur mère, et n’osent pas toujours prendre le large.

 

La frustration que leur apporte la relation fusionnelle qu’ils maintiennent parfois avec leur mère réelle et les enjeux de stérilité qu’elle induit ont de forte chance d’être contre-investis dans une soumission totale au modèle du bon enfant dévoué et parfait. Un pacte tacite de non-agression unit fréquemment la mère réelle et son fils homosexuel. « Tu acceptes de me faire dieu, et je ne dénoncerai pas tes abus » déclare le fils à sa mère ; « Tu acceptes d’être tout à moi, et en retour tu seras mon idole (ou je serai ton idole) » promet la mère à son fils. Leur duo peut avoir un fonctionnement bancal mais qui contente pour un temps les deux parties : la mère accepte de servir de joli trophée ou de femme de substitution à son fils ; et la mère fétichise son fils homosexuel en Don Juan, en objet sacré qui peut se prendre plus tard pour l’amour même : « Elle m’aimait excessivement. C’était trop. Moi, je l’aimais beaucoup. Elle a installé l’amour en moi. Elle a fait de moi un homme qui a toujours été amoureux » avoue Julien Green (toujours dans l’émission Apostrophe). Remettre en cause la passion maternelle, cela revient selon certaines personnes homosexuelles à renoncer à leur statut divin, et bon nombre d’entre elles ne sont visiblement pas prêtes à cela, même si à d’autres moments, elles avouent ressentir la projection d’idéaux comme une tyrannie. Bien des fils d’homoparents s’adressent à eux-mêmes le cri sans révolte similaire à celui que Pierre pousse dans le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré : « Pourquoi est-ce qu’on demande toujours aux fils d’être des dieux ? »

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Inceste », « Bergère », « Vierge », « Regard féminin », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Grand-mère », « Infirmière », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Reine », « Actrice-Traîtresse », « Tante-objet ou maman-objet », « Mère gay friendly », « Sirène », à la partie « Peur de devenir folle » du code « Folie », à la partie « Fausse résistance » du code « Matricide », et à la partie « Festins » du code « Obèses anorexiques », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Maman mon tout mon roi :

Dans beaucoup de créations traitant d’homosexualité, la figure de la mère est célébrée par le héros homosexuel : cf. la chanson « Mother Love » du groupe Queen, « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le film « Strangers On A Train » (« L’Inconnu du Nord-Express », 1951) d’Alfred Hitchcock (avec Bruno adorant sa mère), la chanson « Maman la plus belle du monde » de Luis Mariano, le film « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, le film « Belle Maman » (1999) de Gabriel Aghion, « Je retourne chez maman » (1952) de George Cukor, le roman El Beso De La Mujer-Araña (Le Baiser de la Femme-Araignée, 1976) de Manuel Puig (avec la figure idéalisée de la mère), le film « Mommie Dearest » (1981) de Frank Perry, le film « Maman très chère » (1981) de Frank Perry, la pièce Casimir et Caroline (2009) de Horváth von Ödön (avec Eugène vivant seul chez sa mère), le film « Mamma Mia » (2007) de Phyllida Lloyd (un grand classique gay !), le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie, la chanson « Mama » des Spice Girls, la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (où François est présenté comme un éternel adolescent qui vivra toute sa vie au crochet de sa mère), la chanson « Dimanche 6 août » de Stefan Corbin, le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier (avec la chanson « Maman, c’est toi, la plus belle du monde »), la chanson « Je t’aime maman » de Lorie, la chanson « Oh Mama » de Jeanne Mas, « Toutes les mamas » de Maurane, le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (abordant la catégorie des gays fils-à-maman), la nouvelle La Nuit est tombée sur mon pays (2015) de Vincent Cheikh, la chanson « Xavier » d’Anne Sylvestre, etc.

 

Vidéo-clip de la chanson "Mama" des Spice Girls

Vidéo-clip de la chanson « Mama » des Spice Girls


 

Les héros homosexuels, filles comme garçons, ne tarissent pas d’éloges à l’égard de leur génitrice : « C’est la plus belle chose au monde, l’amour d’une mère. » (João dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz) ; « Rien ne remplacera le sein d’une vraie nourrice ! » (Mimi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, p. 374) ; « Je crois que tu es la femme la plus importante de ma vie. » (Laurent, le héros homo, à sa mère Suzanne, dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon) ; « Le seul regard de femme que tu portes en ton âme n’est plus sur cette terre, et ce regard de femme, c’est celui de ta mère. » (la Groupie s’adressant à la figure bisexuelle de James Dean, dans la chanson « Éternel Rebelle » du spectacle musical La Légende de Jimmy de Luc Plamondon) ; « Moi, j’étais un fils-à-maman. » (cf. la chanson « La Chanson de Ziggy » de Ziggy et Marie-Jeanne dans le spectacle musical Starmania de Michel Berger) ; « Maman avait raison. » (Jean-Paul parlant à sa future femme Catherine, dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor) ; « Je travaille toujours bien ici. Ça doit être toi qui m’inspires. » (Yves parlant à sa maman, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; « Maman et moi, on s’aime plus que n’importe qui. […] Elle est très pudique. Elle n’aime pas s’épancher. Elle n’a aucun défaut. Ma mère, elle est géniale. » (Guillaume, le héros bisexuel du film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « La fourchette, c’est la maman. Le couteau, c’est le papa. La fourchette, c’est celle que je préfère. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Le Prince Laurent a hérité de la grâce et de l’élégance de la Reine Berthe. » (Laurent Spielvogel parlant de lui et de sa mère version réifiée/royale, idem) ; « Les baisers d’une maman guérissent toutes les blessures. » (la maman de Davide, le héros homosexuel, embrassant les tétons, le ventre et la bouche de son fils, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel, déclare que sa mère (Adesse) est « la femme qu’il admirait le plus au monde » (p. 58) : « Je crois que j’ai toujours eu besoin d’elle pour entretenir ce cordon ombilical dont je n’arrivais pas à me défaire. » (idem, p. 69) ; « Adesse représentait pour lui la personne la plus chère au monde. » (idem, p. 70) ; « Entre la mère et le fils, il existait comme une force télépathique qui leur permettait d’agir simultanément à des kilomètres. » (idem, p. 108) Dans le film « L’Art de la fugue » (2014) de Brice Cauvin, Antoine, le héros homosexuel, passe « tout son temps au téléphone avec sa mère ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel, avoue que chez lui, pendant son enfance, c’est sa mère qui régentait tout : « Ma mère, c’était peut-être pas un homme, mais c’était un génie. C’était une grande dame. » Elle était sa reine : « À la maison, j’aidais toujours ma mère. » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le jeune héros homosexuel, a une relation de proximité avec sa maman. Il l’embrasse dans l’église. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Rupert, le héros homo, écrit un livre avec pour épitaphe « À la mémoire de ma mère » et maintient avec sa maman Sam une relation quasi conjugale : « Je vis seul avec ma mère. » L’un et l’autre portent une chaîne autour du coup avec les initiales de l’autre gravées sur un pendentif. C’est le même schéma incestuel que vit John, lui-même homo, avec Grace sa maman : « Je te connais. J’ai été la première. » dit-elle.

 

Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Anamika, l’héroïne lesbienne, en cours de dessin en maternelle, peint une carte pour sa mère dans laquelle elle écrit : « Maman, tu es la reine de mon cœur. » (p. 86) Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Wassim, l’un des personnages homosexuels, embrasse goulument sa maman. Il arrive que le héros homosexuel, comme un grand gamin, appelle sa mère au secours : « Mama, ouh ouh ouh, I don’t want to die… I’m just a poor boy, nobody loves me (He’s just a poor boy from a poor family). » (cf. la chanson « Bohemian Rhapsody » du groupe Queen) Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Kai (le héros homosexuel) et sa mère Junn ont une relation complice très fusionnelle, incestuelle : « Maman, t’es la n°1 dans mon cœur. » déclare Kai à cette dernière). Junn veut vivre le restant de ses jours avec son fils et lui en veut de l’avoir mise en maison de retraite : « Je suis la famille avant tout. Tu ne peux pas te débarrasser de ta mère comme ça. » « Comme toutes les mamans du monde, je voulais que Kai soit à mes côtés. » La mère et le fils s’entendent comme deux meilleurs amis ou comme un petit couple qui partage toutes les confidences, toutes les histoires de cœur. Richard, l’amant secret de Kai, les décrit comme deux jumeaux : « Vous êtes pareils tous les deux. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio, 17 ans et homosexuel, a une relation fusionnelle avec sa mère Annella : ils s’embrassent sur la bouche, et goulument dans le cou.

 

Très souvent dans les créations artistiques traitant d’homosexualité, le héros homosexuel est associé à un « fils à maman ». « Le p’tit Martin [héros sur lequel pèse une forte présomption d’homosexualité] à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétéro, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Ton fils c’est ton portrait craché. Tout pour l’apparence ! » (Laurent Spielvogel imitant son père parlant à sa mère, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Tu vas le laisser tranquille ! Tu vas arrêter de le couver comme ça ?!? Tu vas en faire une… » (Charles, le père de Victor le jeune héros homosexuel, s’adressant à sa femme Martine, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc. Par exemple, dans le film « Attitudes » (2005) de Xavier Dolan, Jules, le héros homosexuel, est traité de « p’tit gars à sa maman » par un camarade du collège. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Malik, le héros homosexuel, pense que le fait d’avoir grandi avec une mère castratrice et ses cinq tantes « aurait pu faire de lui un pédé ». Dans le film « Friendly Persuasion » (« La Loi du Seigneur », 1956) de William Wyler, Jacques, pourtant jeune adulte, est constamment sous la coupe de sa mère : elle le borde encore dans son lit (« Combien de fois je vais encore te border ? »). Le père de Jacques fait la remarque à son épouse : « Eliza, tu ne peux pas le garder dans tes jupons toute ta vie. »

 

La réputation du vieux garçon homosexuel (= le Tanguy) collé aux basques de sa maman chérie n’est plus à faire ! Très souvent, mère et fils hébergent sous le même toit : cf. le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie (avec Armand, le héros homosexuel de 43 ans, qui vit encore seul avec sa mère), la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez (avec le voisin célibataire homo, vivant chez sa mère), le film « Tanguy » (2001) d’Étienne Chatiliez, la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (avec le coiffeur homo Romain, habitant seul chez sa mère) ; etc.

 

« J’habite seul avec maman dans un très vieil appartement, rue Sarasate. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’habite seule avec maman. » (Micheline le travesti M to F de la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Y’a qu’un homo pour vivre encore chez sa mère à trente ans… » (Laurent à Cédric quand ce dernier lui demande comme il a deviné son homosexualité, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) Par exemple, dans la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, Jacques est toujours fourré sous les jupes de sa mère. Dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann, Abram « veut vivre auprès de sa mère ». Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques, le héros qui se travestit en Chantal en cachette, vit encore avec sa vieille mère ; il s’habille d’ailleurs comme elle : « Ma mère elle-même s’habille en femme. »

 

La mère possessive est la figure maternelle symbolique au sens large : elle peut s’étendre à la sœur, la nourrice, la tante, l’institutrice, l’actrice, à toutes femmes qui exercent un pouvoir désirant sur le personnage homosexuel. « Servante à la place de ma mère. Femme à la place de ma mère. » (Omar évoquant Hadda, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa) ; « Elle est sympa, la photo de ta mère sur le mur. » (Raphaël par rapport au portrait de Jackie Quartz trônant dans le salon de son copain Benoît, dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « J’aime bien les mères, moi ! » (Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc.

 

La mère adorée en question n’est pas toujours la biologique mais la cinématographique : « C’est quoi le problème ? C’est sa mère, Sophie Marceau ? » (Alex par rapport au héros homosexuel Gabriel, dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce) Par exemple, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, la sonnerie de portable de Léo, indiquant un appel entrant de sa mère, c’est « Casse-Noisette » de Tchaïkovsky. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu parle de sa mère en l’imitant comme s’il s’agissait de la mère cinématographique : « Parce que je le vaux bien. » Dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, Jacques Alvarez, l’homme transgenre M to F, vit encore avec sa vieille mère : il s’habille comme elle, en soutenant que « sa mère elle-même s’habille en femme. » La mère, dans ces cas-là, est un féminin d’accessoire.

 

Elle a d’ailleurs tout d’une déesse impalpable, immatérielle et parfaite : « Une mère ne se trompe jamais. » (Hubert, le héros gay de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Ma mère a toujours été très très complice de moi, en cachette de mon père pour que je puisse rêver, pour que je puisse devenir moi. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) La mère du personnage homosexuel n’est pas incarnée. C’est une icône virginale. « Je me souviens que je suis très content. Comme toujours quand je crois qu’elle est très heureuse. Et belle. » (le narrateur en parlant de sa mère, dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 9) ; « Je décide d’attendre sans bouger un long et profond sommeil qui ressemble à la mort comme je l’imagine. J’y vois maman dans une grande robe blanche. Elle me sourit, court dans un champ de fleurs bleues. On dirait qu’elle vole. » (idem, p. 88) ; « Il y a des centaines de photos de maman. Elle était si belle… Il ne fallait pas la toucher tant elle était si belle… » (le jeune Thomas, dans le bâti Lars Norén (2011) mis en scène par Antonia Malinova, salle Adjani des Cours Florent, à Paris) ; « Elle est au commencement, elle est là dès la première phrase écrite, elle ne me quitte jamais. Sa présence est sur tout. Elle est la figure tutélaire, le guide, celle qui montre le chemin. Le culte que je lui voue est religieux. […] Je crois souvent que ma vie, que toute ma vie s’est façonnée par rapport à elle, que tout procède d’elle. » (Vincent en parlant de sa mère, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 56-57) ; « Je te salue maman. » (cf. la chanson « Je te salue maman » de Laurent Viel) ; « Que ma mère t’entende. » (Larry, l’un des héros homos du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Qu’est-ce qu’il y a ? T’as vu la Vierge ? » (Laurent s’adressant à son copain Cédric qui a vu par inadvertance au réveil la mère de Laurent les surprendre ensemble au lit, dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure) ; etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, par exemple, la chanson du générique final est « Maman la plus belle du monde » de Luis Mariano ; et à un moment donné du synopsis, la mère d’Hubert (le héros homosexuel) est déguisée en sainte Thérèse de Lisieux. Avant de la haïr au point d’avoir des souhaits matricides, Hubert voue une passion sans bornes pour sa maman : « Je sais pas ce qui s’est passé. Quand j’étais petit, je l’aimais. » Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Mrs Webster, la maman de Luce l’héroïne lesbienne, se prend pour Dieu : « Je suis peut-être aussi vieille que Dieu. »

 

 

Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, décrit « le sentiment de quasi-vénération que le visage de sa mère avait éveillé en elle » (p. 22) depuis sa naissance : « La beauté de sa mère était toujours une révélation pour elle ; elle la surprenait chaque fois qu’elle la voyait ; c’était l’une de ces choses singulièrement intolérables, comme le parfum des reines-des-prés sous les haies. […] Anna [le prénom de la maman] disait parfois : ‘Qu’avez-vous donc, Stephen ? Pour l’amour de Dieu, chérie, cessez de me dévisager ainsi !’ Et Stephen se sentait rougir de honte et de confusion parce qu’Anna avait surpris sa contemplation. » (idem, p. 49)

 
POSSESSIVE 2 Mariano
 

S’établit très souvent entre la mère et son fils homo un contrat de sacralisation mutuelle (= « Je t’adore si tu m’adores ; je deviens toi et ainsi, nous serons divins à nous deux »), un empiètement de vie privée consenti : « Ma mère m’adore. Et il va de soi que je l’adore aussi. » (Dominique, le héros gay du roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 15) ; « De son propre aveu, elle n’a jamais aimé que moi. » (idem, p. 33) ; « On dirait que tu m’adores. » (Evita parlant à sa mère dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Y’a personne qui va y toucher. Ce sera mon enfant à moi. » (Marie Lou par rapport à son quatrième et dernier enfant, Roger, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Je ne peux pas te dire je t’aime. J’aime trop ma maman. » (Didier Bénureau dans son one-man-show Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Même si on a prétendu le contraire parce que ça nous arrangeait bien tous les deux… » (Guillaume, le héros bisexuel parlant de la possessivité jalouse et faussement désintéressée de sa mère, possessivité qui a constitué une sorte d’équilibre fragile entre eux, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « C’est pas parce que c’est mon fils mais c’est le plus beau de la Terre ! » (Kate, la maman d’Hugo le héros gay, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; etc. Dans le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte, Joséphine formule à son fils homosexuel Kévin un tendre « Je t’adore ! », et celui-ci lui répond : « Moi aussi je t’adore… mais tu m’écrases les pieds ! » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, voyage sous le nom de sa mère. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Isabelle compte appeler son futur fils (qu’elle prévoit d’avoir avec Pierre, le héros homo) « Superman » et veut pour lui « le meilleur », la « réussite », la « perfection » (… et non le bonheur). Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, s’entend dire par sa mère abusive : « Je n’ai que toi. Tu n’as que moi. »

 

Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, Fernand Cazenave, le héros homosexuel refoulé, est un fils-à-maman vivant une relation particulièrement fusionnelle avec sa mère tyrannique : « La mère et le fils, accrochés flanc à flanc comme de vieilles frégates, s’éloignaient sur l’allée du Midi et ne reparaissaient qu’une fois achevé le tour du rond. » (p. 28) Sa génitrice l’appelle d’ailleurs « son fils adoré » (idem, p. 35) et l’absorbe complètement : « Sa mère le poussait en avant ; elle était en lui ; elle le possédait. » (idem, p. 116)

 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, est totalement amoureux de sa mère. Il la dragouille comme une fiancée : « Chaque fois que je te revois, tu rajeunis. » ; « Qu’est-ce que tu sens bon… » ; « C’est toujours toi ma préférée, même si tu me bats. » ; « On va faire équipe, nous deux. » Il la tripote en la prenant par derrière. Il l’embrasse sur la bouche en mettant sa main pour faire tampon entre les deux bouches. Puis, à la fin du film, il lui fait carrément un baiser langoureux sur la bouche, en ajoutant : « T’es ma priorité. ». Sa mère s’en révolte à peine, même si elle avoue en privé à son amie Kyla que son fils souffre d’une pathologie : « Il a un trouble de l’attachement. » Elle rentre dans le jeu fusionnel : « T’es là pour maman, et vice et versa. » ; « Je vais t’aimer de plus en plus fort, et c’est toi qui vas m’aimer de moins en moins : c’est la nature. »
 

Dans le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, Zac croit qu’avec sa maman, il fonctionne par télépathie, qu’ils forment ensemble un seul corps. On retrouve la même symbiose mère-fils dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti. Dans le film « Peeling » (2002) d’Heidi Anne Bollock, la mère de Beth imite sa fille lesbienne en tout (par exemple, elle se fait des couettes comme elle). Dans le roman Les Parents terribles (1939) de Jean Cocteau, le fils saute sur le lit de sa mère.

 

La mère de l’homosexuel (et ses représentantes féminines futures) est en général la jumelle narcissique : « Je ne me rassemble et ne me définis qu’autour d’elle. Par quelle illusion j’ai pu croire jusqu’à ce jour que je la façonnais à ma ressemblance ? Tandis qu’au contraire c’est moi qui me pliais à la sienne ; et je ne le remarquais pas ! Ou plutôt : par un étrange croisement d’influences amoureuses, nos deux êtres, réciproquement, se déformaient. Involontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s’aiment se façonne à cette idole qu’il contemple dans le cœur de l’autre… » (Édouard dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 83) ; « Lady Griffith aimait Vincent peut-être ; mais elle aimait en lui le succès. […] Elle se penchait avec un instinct d’amante et de mère au-dessus de ce grand enfant qu’elle prenait à tâche de former. Elle en faisait son œuvre, sa statue. » (idem, pp.72-73) ; « Mon image de Lucile est image de moi-même. Rien ne pourra nous séparer. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 73) ; « Ma Mère : mon miroir. » (Margot dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Maman, je serai toujours là pour te protéger.’ Je gonflais ma poitrine et lui montrais mes biceps. […] Je reportais toute mon affection sur ma mère qui me le rendait bien. » (Bryan à sa mère dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 20) ; « Ma mère, c’est toute ma vie. » (Kévin à Bryan, idem, p. 325) ; « T’étais beau quand t’étais bébé. T’étais beau, t’avais l’air d’une petite fille. J’m’amusais bien avec toi : t’avais l’air d’une poupée. T’étais mignonne. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; etc.

 

Le personnage homosexuel demande parfois à rentrer à nouveau dans le ventre de sa mère, à connaître éternellement le bien-être de l’état intra-utérin : « Quel frisson de m’anéantir dans son ventre. » (cf. la chanson « L’Amour naissant » de Mylène Farmer) ; « Si je comprends bien, tu n’as jamais vraiment ‘coupé le cordon’ avec ta mère. » (Sylvia s’adressant à son amante Laura, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 82) ; etc.

 

Téléfilm "À la recherche du temps perdu" de Nina Companeez

Téléfilm « À la recherche du temps perdu » de Nina Companeez


 

La fusion possessive entre le héros homosexuel et sa mère contente apparemment les deux parties. Le seul problème, c’est que la distance vitale entre le fils et la mère n’existe plus, que l’un et l’autre consentent à vivre ensemble une relation incestueuse qui les transforme en objets : « La seule et unique fois où j’aurais pu conclure avec une femme, j’ai pensé à ma mère. » (le héros homosexuel dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « On finissait par se croire non en face d’une mère et d’un fils, mais d’un vieux ménage. » (la description d’Adolphe Forbach et de sa mère, dans le roman Le Bal du Comte d’Orgel (1924) de Raymond Radiguet, p. 52) ; « Théron m’appartient. » (Annah, la mère de Théron, à son mari, dans le film « Celui par qui le scandale arrive » (1960) de Vincente Minnelli) ; « Maman est gentille. Eh ben tu vois, tu les as eus, tes glands ? Et le beige te va très bien. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère lui parlant dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015 ; « Toi aussi, maman, t’es belle. » lui répond-il en retour) Par exemple, dans le sketch « Sacha » de Muriel Robin, la maman de Bruno est toute contente d’être « la chose » de son fils : « Il n’est pas désagréable pour une mère de sentir qu’elle est la seule femme qui compte dans le cœur de son fils. » ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Par exemple, dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, la mère filme son fils romain et le prend pour un substitut marital. Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, la maman d’Éric réifie son fils par la photo. Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, la mère traite son fils de poupée : « Si à la place d’un mannequin, j’avais eu un vrai homme comme ton père ! » Dans son roman Vincent Garbo (2010), Quentin Lamotta dénonce l’appropriation abusive des mères sur les nouveaux-nés, « l’excessive bienveillance des parents » : « L’enfant […] est l’objet de répétées tentatives d’appropriation. Les femmes surtout. » (p. 38) ; « Qui, mais qui d’autre que Garbo, dira jamais la malfaisance de toutes ses fausses mères dévoreuses sur la sensorielle organisation du petit ? » (idem, p. 39) ; « On se le passe de mains en mains, le Vincent, de bras en bras, tel un joujou Celluloïd, et personne alentour, jamais personne pour le sauver de cette inadmissible emprise sur son corps. » (idem, p. 39) ; « L’amour inquiet des parents m’est trop pesante charge. » (idem, p. 86) Dans son roman Le Monarque (1988), Knut Faldbakken parle des « mères poisseuses de sollicitude » (p. 17) qui engendrent des hommes-poupons.

 

Certains héros homosexuels finissent par devenir aussi possessifs en « amour » que leur mère (biologique ou cinématographique), en croyant aimer vraiment leur partenaire d’un amour maternellement exemplaire : « Je ne suis ni possessive ni jalouse en rien, c’est ma nature. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 97) ; « Il faut que vous sachiez, Vincent, que j’ai, de l’amitié, une conception un peu, voire tout à fait, tyrannique et possessive. » (la figure de Marcel Proust s’adressant à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 91) ; « À sa naissance, il deviendrait une personne, quelqu’un que Jane n’aimerait peut-être pas, mais pour le moment il était tout à elle. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 193) ; etc.

 
 

b) Le personnage homosexuel est soumis à l’influence d’une mère intrusive et incestueuse :

La mère possessive est un leitmotiv des fictions homosexuelles : cf. le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (où Josiane Balasko interprète le rôle d’Andrea Martal, une mère très étouffante avec José, son fils homo), le film « Camionero » (2013) de Sebastián Miló (avec la mère de Randy, qui le surprotège), la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch (avec le personnage de Marie), la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, le film « Cher disparu » (1965) de Tony Richardson, le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1983) de Pedro Álmodóvar, la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, le film « Le Protégé de Madame Qing » (2000) de Liu Bingjian, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock (avec la maman de Norman Bates), le film « Mother Knows Best » (2009) de Bardi Gudmundsson (où Gudini vit à Reykjavik avec une mère très possessive), le film « Les belles manières » (1978) de Jean-Claude Guiguet (avec le fils trop choyé d’une dame élégante), la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette (avec la mère possessive de Diane), le film « Je préfère qu’on reste amis » (2005) d’Éric Toledano et Olivier Nakache (avec la maman de Claude), le film « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le film « Music Lovers » (1970) de Ken Russell, le film « The Sins Of Rachel » (1972) de Richard Fontaine, le film « Lola et Bilidikid » (1998) de Kutlug Ataman, le film « La Toile d’araignée » (1975) de Stuart Rosenberg, le film « La Vie de Brian » (1979) de Terry Jones (avec la mère possessive acariâtre), le film « Le Lion en hiver » (1968) d’Anthony Harvey, le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, le film « Muerte En La Playa » (1988) d’Enrique Gómez, le roman Beatriz Y Los Cuerpos Celestes (1998) de Lucía Etxebarria, le film « A Family Affair » (2003) d’Helen Lesnick (avec le cliché de la mère possessive juive), le roman Les Parents terribles (1939) de Jean Cocteau (avec la mère absorbante), le film « Avant le déluge » (1953) d’André Cayatte, la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernalda Alba, 1936) de Federico García Lorca (avec la figure de la matrone toute-puissante), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec la saoulante mère d’Henri, stressée-de-la-vie), le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron (le titre initial était « Je t’aime tant »), le film « Mambo Italiano » (2003) d’Émile Gaudreault (avec la maman d’Angelo), le film « L’Invité de la onzième heure » (1945) de Maurice Cloche, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « Collateral » (2004) de Michael Mann (avec la mère de Max à l’hôpital), la pièce Les Babas Cadres (2008) de Christian Dob, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec la mère juive d’Arnold), le film « Mamma Roma » (1962) de Pier Paolo Pasolini (avec Anna Magnani), le roman Ernesto (1975) d’Umberto Saba, le film « Gay Club » (1980) de Ramón Fernández, le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, la pièce Flor De Otoño (1982) de José María Rodríguez Méndez, le roman Oranges Are Not The Only Fruit (1985) de Jeannette Winterson, le roman The Rubyfruit Jungle (1973) de Rita Mae Brown, la comédie musicale Into The Woods (1987) de Stephen Sondheim, le roman L’École du sud (1991) de Dominique Fernandez, le roman Mes Parents (1986) d’Hervé Guibert, le film « Big Mamma » (1999) de Raja Gosnell, le film « A Different Kind Of Love » (1981) de Brian Mills, le film « Better Than Chocolate » (1999) d’Anne Wheeler, le film « Doña Herlinda Y Su Hijo » (1984) de Jaime Humberto Hermosillo, le film « 101 Reykjavik » (2000) de Baltasar Kormakur (avec la mère de Hlynur), le film « Gugu, O Bom De Cama » (1980) de Mario Benvenutti, le film « Taxi Nach Cairo » (1988) de Frank Ripploh, la pièce La Religieuse (1760) de Denis Diderot (avec la mère incestueuse), le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec la mère inquisitrice de Julie), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec Sara, la mère possessive), le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky (avec la mère de Nina, une vraie mante religieuse incestueuse), le film « Ylan » (2008) de Bruno Rodriguez-Haney, la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval (avec « la collante » Marina, la mère de Fred), la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas (avec la mère de Léo, le héros homo), le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro (avec la maman de Léo, le héros homo aveugle, sans cesse sur lui parce qu’elle a peur qu’il lui arrive malheur), la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi (avec Solange, la belle-mère pot de colle), la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand (avec Catherine, la mère bourgeoise), la chanson « Maman le sait » de Lisa Angell, etc.

 

La maman du héros homo est apparemment pleine de sollicitude. Ce serait sa particularité : « Anna Gordon était d’une race de mères dévouées. » (Marguerite Radclyffe Hall à propos de la mère de Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 23) Par exemple, dans la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters, Mme Turnblad, la mère de Tracy, est interprétée par un homme travesti, et est une femme hyper prévenante, acariâtre et tendre à la fois.

 

Mais l’homo-maman a tendance à s’immiscer un peu trop dans la vie privée de sa progéniture. Le franchissement de la frontière de la différence des générations n’annonce rien de bon.

 

Dans le registre « mère-bonne-copine refusant de vieillir », cédant à tous les caprices de son fils homosexuel, et lui demandant de lui agrafer son soutif, on a les mères des films « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, « Ma Mère » (2003) de Christophe Honoré, « Pôv fille ! » (2003) de Jean-Luc Baraton, « Pourquoi pas moi ? » (1999) de Stéphane Giusti, « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier, « Reinas » (2005) de Manuel Gómez Pereira, etc.

 

Il est très fréquent de voir la mère du héros homo rentrer sans prévenir dans la chambre de son fils : cf. le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, le film « Hitchcocked » (2006) d’Ed Slattery (avec la mère qui rentre dans la salle d’eau où son fils est sous la douche avec un homme), etc. « Ma mère se précipite dans ma chambre sans frapper. » (Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite (1991), p. 140) ; « Je t’ai attendu toute la soirée. » (la mère de Franck endormie et voyant son fils, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) ; « N’ouvre pas, maman, je suis nu ! […] J’arrive, maman ! Ne casse pas la serrure ! » (« L. », le héros transgenre M to F, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Les femmes sont des vraies louves quand il s’agit de leurs petits. » (Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; etc. Dans le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Cédric dit de sa mère qu’elle est tellement indiscrète qu’elle serait capable de « défoncer la porte de sa chambre ». Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Monique, la mère de Delphine, découvre sa fille nue au lit avec une autre femme, Carole, en rentrant de force dans sa chambre.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, la mère de Bryan est très intrusive : « Ma mère c’est l’œil de Moscou : elle voit, entend et devine tout ! » (p. 176) ; « Le lendemain matin, ma mère entra dans la chambre pour nous réveiller. Je n’avais pas verrouillé la porte la veille. Elle resta un moment en arrêt devant le lit. » (idem, p. 333) Quand Bryan déclare à sa maman que « les rapports entre une mère et son fils sont toujours ambigus » et qu’il a « souvent l’impression qu’elle ne vit sa vie qu’à travers lui », celle-ci, dans une désinvolture absolue, ne dément pas : « C’est sûrement vrai » (idem, p. 195) Elle envisage même de vivre avec lui ad vitam aeternam et de le garder toujours sous son toit : « Tu as été mon fils et en même temps l’amour de ma vie. Tu es sûrement l’homme que j’ai le plus embrassé ! […] Quand tu étais petit, on s’embrassait toujours sur la bouche. Quand tu as grandi, tu n’as plus voulu. Tu ne voulais même plus que je te tienne par la main. » (idem, p. 353) Bryan n’est pas du tout choqué par ce que lui dit sa mère. Au contraire, il prend cette révélation comme une superbe déclaration d’amour, et se laisse conquérir : « Je sais… je sais tout ça, maman. Je t’aime, je ne t’oublierai jamais. »

 

La possessivité maternelle est parfois la conséquence de l’apathie paternelle, comme le montre clairement le père passif du film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, la mère de Gabriel, le héros homosexuel, fouille dans l’ordi portable de son fils… et son père ne réagit pas : « Elle a toujours tout régenter. »

 

Le désir de la mère possessive est assez trouble et ambiguë, difficile à définir. À la fois c’est un désir d’amour et un désir de viol : « Tu me rappelles maman, quand elle avançait masquée, à vouloir je n’sais quoi. » (Camille parlant à sa sœur Pauline, dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel) Par exemple, dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, la mère de Joaquín, le héros homosexuel, est ultra-protectrice et diabolise le père devant son fils de 15 ans.

 

Étape par étape, la maman possessive gravit les échelons de la violation d’intimité de son fils. Par exemple, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, Ernest se fait suivre dans la rue par sa propre mère (p. 119). Dans la pièce Eva Perón (1970) de Copi, Evita est épiée par sa mère qui cherche à lui extorquer les numéros de ses comptes en banque. Dans le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato, la mère de Lars ouvre le courrier de son fils sans sa permission. L’amour de la mère est tellement dévorant et passionnel qu’il peut parfois effrayer le protagoniste homo même : « Ma mère, elle me fait plus peur qu’un peloton de militaires. » (Roberto le trans, dans la comédie musicale Amor, Amor, En Buenos Aires (2011) de Stéphan Druet) ; « O.K. ! T’as gagné ! Comme d’habitude ! » (le narrateur homosexuel craquant devant l’insistance de sa mère, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 40) ; etc. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, la mère de Kévin (le héros homo), juive de surcroît, tente de récupérer son fils par tous les moyens, et s’est inscrite sur GrinDr pour le géolocaliser. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, quand on demande à Jonas, le héros homo, ce qu’il fabrique sur son portable, alors qu’il est en train de répondre à un chat sur l’application Grindr, il dit « Non non, c’est ma mère ».

 

Et cette peur n’est pas infondée puisque le fanatisme maternel va parfois jusqu’au meurtre ! Par exemple, dans la pièce La Muerte De Mikel (1984) d’Imanol Uribe, la mère possessive de Mikel finit par assassiner son fils. Dans la comédie musicale Pacific Overtures (1976) de Stephen Sondheim, on entend une chanson racontant l’histoire d’une mère qui empoisonne lentement son fils. On retrouve la mère tueuse dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, dans la pièce Hamlet, Prince de Danemark (1602) de William Shakespeare, dans le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, etc. Dans la chanson « Bohemian Rhapsody » de Queen, Freddie Mercury chante que sa mère l’a tué : « Mama, just killed a man, put a gun against his head, pulled my trigger, now he’s dead. » Dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, la mère de Thomas décide de supprimer l’instance de son fils cloné quand celle-ci ne correspond pas au fils idéal souhaité et qu’elle lui désobéit ; c’est une femme par ailleurs pleine de bonnes intentions, en théorie : « Je veux ce qu’il y a de meilleur pour mon fils. » Mais l’amour vrai est la sincérité en actes, non la sincérité nue.

 

Plus que la mort du corps, c’est la mort du Désir que la mère du héros homosexuel inflige à son fils. En se présentant comme son absolu d’amour, elle lui bouche toutes les voies qui le conduiraient à l’Altérité des sexes. « C’est elle qui a eu peur que j’aime une autre femme qu’elle. » (Guillaume, le héros bisexuel parlant de la jalousie secrète de sa mère qui voit toute femme qui approche son fils comme une rivale, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) Par exemple, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, la mère de Dominique prédit à son fiston qu’« il ne trouvera jamais une femme qui la vaille, ni même un homme ! » (p. 100) Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, avant qu’il ne décide d’avoir un môme avec une femme, la mère de Pierre, le héros homo, s’était faite à l’idée que son fils n’aurait pas d’autre femme dans sa vie qu’elle…

 

C’est dans l’amour homosexuel que le personnage homosexuel trouve un moyen de rejoindre sa mère : il se donne l’illusion qu’il aime son amant (ou que son amant l’aime) comme une mère aimerait son enfant : « Adrien avait aussi un immense besoin d’être aimé. Il y avait en lui un enfant qui cherchait à être protégé, consolé, un enfant qui requérait un amour total. […] Il était bien conscient que cet amour-là ressemblait à l’amour perdu de la mère. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 40) ; « L’exposé fut donné par une fille de terminale, qui parla de l’image de la déesse-mère dans la civilisation Harappan. Je songeai à Linde à chaque fois qu’elle disait ‘déesse-mère’. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant de sa copine Linde, de 20 ans son aînée, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 232) ; « Si ça continue, ma mère va finir par t’aimer plus que moi ! T’as vu comme elle prend ta défense ! Comment tu fais pour séduire tout le monde ? […] Oui, t’as commencé par moi, puis mon chien et maintenant c’est ma mère ! » (Bryan faisant une crise de jalousie à son amant Kévin à propos de sa propre mère, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 158) ; « Je t’aime aussi, maman, je t’aime. Je ne m’en étais jamais rendu compte à quel point. Mais j’aime aussi Kévin, je n’y suis pour rien ! Et je ne sais pas lequel de vous deux occupe la plus grande place dans mon cœur. » (Bryan à sa mère, idem, p. 355) ; etc. Le héros homosexuel ne peut pas aimer les femmes dans la mesure où il recherche chez elles une maternité impossible. Il se cogne contre le mur de l’inceste. Par exemple, dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan, Cyrano se dit touché par une Roxane « si gaiement maternelle » qu’il ne peut l’atteindre. J’aborde plus largement le lien entre maternité et homosexualité dans le code « S’homosexualiser par le matriarcat » du Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Si l’on revient à la genèse de la possessivité maternelle, on se heurte souvent au viol. La mère du héros homosexuel camoufle l’agression dont elle a été jadis victime, ou bien compense une épreuve qu’elle n’a pas pu/voulu surmonter, par un surinvestissement affectif incestueux sur la personne de son fils. Par exemple, dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Gayle joue la « mère » de substitution de Mark parce qu’elle a perdu un fils : leur relation sera d’autant plus fusionnel et excessif que le travail de deuil de la femme n’a pas été fait.

 
 

c) Maman-gâteau :

Dans les fictions homo-érotiques, la possessivité maternelle est fréquemment illustrée par la présence de maman-gâteau (cf. la partie « Nourriture comme métaphore du viol » dans le code « Obèses anorexiques » du Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ma mère m’a envoyé un frigo pour mon anniversaire ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Elles n’ont pas trop de regrets, nos mères au foyer. Elles nous font de jolis plats, et qui regorgent de fla-flas. Elles n’en voient pas les dégâts, nos mères attentionnées. » (cf. la chanson « Nos Mères » des Valentins) ; « Dan posa la Key lime pie sur la table comme ma mère le faisait jadis avec sa dinde de Noël. » (Jean-Marc dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 105) ; « Elle m’a envoyé un colis avec de la nourriture. » (Stéphane en parlant de sa mère, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Elle s’est mise en tête de cuisiner. Tu connais ta mère ! » (Tereza parlant à Phil, le héros homo, de sa maman Glass, piètre cuisinière, dans le film « Die Mitter der Welt », « Moi et mon monde » (2016) de Jakob M Erwa); etc.

 

La mère (et les femmes en général) sont celles qui gavent de nourriture l’homosexuel : cf. le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, la pièce Le Retour au désert (1988) de Bernard-Marie Koltès, le film « Reflection In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston (avec Leonora), le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la grand-mère d’Étienne qui a gavé de dragées son petit-fils homo jusqu’à l’en rendre malade), le roman Paradiso (1966) de José Lezama Lima (avec le dîner gargantuesque de doña Augusta), le film « Cappuccino » (2010) de Tamer Ruggli (avec la mère possessive de Jérémie), le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre (avec Lucile et ses gâteaux), le roman Petit déjeuner chez Tiffany (1958) de Truman Capote, le film « Échappée belle » (1999) de Lukas Moodysson, le film « Vague de chaleur » (1958) de George Cukor, le film « Serial Mother » (1994) de John Waters, la chanson « La Femme au milieu » d’Emmanuel Moire, etc.

 

Par exemple, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012), Didier Bénureau interprète une mère qui gave son petit Jeanjean (elle lui donne des mies de pain, des tonnes de cachets d’aspirine pour qu’il « ait ses 16h de sommeil » !) au point de le transformer en statue et de le rendre « inexpressif » : « Maman’ a toujours été très très gentille avec Jeanjean. » dit-elle en parlant d’elle à la troisième personne à son fils. Son « amour » passionnel de mère est exclusif (« Pas de femmes ! Que ta petite maman ! »), la pousse même à être violente et à frapper son fils : « Quel abruti ! » Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, le héros homo allemand, a été élevé par sa grand-mère : « J’ai grandi avec ma grand-mère. ». Tomas attribue à sa grand-mère sa vocation de pâtissier puisqu’elle cuisinait des gâteaux aussi. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Grace, la maman possessive de John le héros homo, lui fait toujours du bœuf Bourguignon en pensant qu’il l’adore, et elle ne le laisse jamais parler. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, « Bonne Maman », la maman de Vita Sackville-West, Lady Sackville, est la maman-gâteau, qui gâte ses petits-enfants et leur offre des pâtisseries.

 

Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, la mère de Sylvia apporte des gâteaux à sa fille lesbienne. Dans une nouvelle écrite en 2003, un ami romancier me décrivait « cette chaleureuse grand-mère, veillant à la confection de gâteaux que les petits-enfants, démons de la conscience humaine, décapiteront par leurs dents avant de les lâcher en pâture aux chiens. » (p. 20) Dans le one-man-show Comme son nom l’indique (2008) de Laurent Lafitte, Grany se surnomme « mamie-macarons ». Dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi, China a mis accidentellement l’insecticide anti-cafards dans le biberon de son bébé, croyant que c’était du lait concentré.

 

Le personnage homosexuel n’a pas souvent la force de caractère de refuser les gâteaux-cadeaux empoisonnés que sa mère lui offre « par amour » : « Je ne vois pas pourquoi tu me forces à toujours prendre le thé. Tu sais que je déteste tes gâteaux ! » (Louise à Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Ma mère dit toujours qu’il faut savoir refermer la boîte de gâteaux. » (Max, le « fils à maman » du roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 113) ; « Elle est terrible. […] C’est la femme la plus égoïste du monde. » (François à propos de sa « belle-mère », la mère de son amant Max, idem) En général, il ne dénonce qu’à demi-mot le cocon (pourtant étouffant) d’une enfance maternelle et sucrée qui s’éternise : « Une haleine familière : tu reconnais cette note laiteuse, aseptisée comme l’intérieur d’une mère. […] Un murmure jaillit des lèvres de ta mère : ‘Mon chéri !’. Tu te demandes si tu n’es pas en plein désert, si ta suffocation n’est pas la cause d’un mirage trop vrai pour être beau. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 167) C’est la complaisance et la gourmandise qui très souvent ont le dernier mot.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Maman mon tout mon roi :

Dans les personnalités homosexuelles connues, on dénombre beaucoup de fanatiques de la figure maternelle : « Il semblait bien que Marc, qui adorait sa mère, ne se remettrait jamais véritablement de sa disparition. » (Paula Dumont parlant de son meilleur ami gay, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 76) ; « Je l’ai tant aimée dans mon enfance. » (Annie Ernaux parlant de sa mère, dans son autobiographie Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), p. 33) ; « L’image qui me reste de l’enfant que je fus est celle d’un garçon longtemps fourré dans les jupons de sa mère. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « Même si elle est possessive, l’amour sans limites qu’elle me voue est venu à bout de son éducation et de ses préjugés. » (idem, p. 88) ; « J’ai beaucoup aimé ma mère, et c’est là le seul bon souvenir de mon enfance. » (Fritz Lang cité dans le film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal) ; « L’influence de ma mère a été considérable. » (Julien Green cité par Philippe Vannini, « Julien Green, l’Histoire d’un Sudiste », dans Magazine littéraire, n°266, juin 1989, p. 96) ; « Dès mes premières années d’enfance, j’ai voulu imiter ma mère ; par instinct, mais aussi par orgueil, je me suis comporté en femme. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 78) ; « Jean-Claude, c’était le chouchou, celui qu’il fallait protéger. Et pour cause, ma mère savait avant moi qui j’étais. » (Jean-Claude Janvier Modeste en parlant de sa relation avec sa mère, en interview en 2011) ; « Ma mère comptait tellement pour moi. J’ai passé ma vie à la séduire. » (une témoin lesbienne de 70 ans dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « Ma famille maternelle est au courant parce que je suis très proche d’eux, ma mère, ma tante et ma grand mère qui sont définitivement les femmes de ma vie. » (Maxime, « Mister gay » de juillet 2014 pour la revue Têtu) ; « Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. » (Jean Marais dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain) ; « La personnalité de leurs mères marque de manière puissante leur enfance. » (la voix-off dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) ; « J’aimais passionnément ma chère maman. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « Je cherchais chez une femme – du moins pendant assez longtemps – ma mère. Il m’a manqué l’amour d’une mère pendant ma jeunesse. Et au commencement, je cherchais surtout la Mère. Un sentiment de sécurité. Et cette tendresse qu’on trouve difficilement chez un homme. » (Édith, femme lesbienne suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Par exemple, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko se targue de « l’amour irréprochable, passionnel et fier » (p. 54) qu’il voue à sa mère : « Ma mère avait ce privilège de mériter ma vénération et mon amour pour elle, était presque de la dévotion. » (p. 22)

 

Film "Verfolgt" d’Angelina Maccarone

Film « Verfolgt » d’Angelina Maccarone


 

À 15 ans, à la question « Qu’est-ce qui vous causerait le plus de malheur ? », posée dans un questionnaire d’un album de famille, l’écrivain français Marcel Proust répond : « Être séparé de Maman. » ; en 1905, à la mort de sa mère, son monde s’écroule : « Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation. » (Marcel Proust cité dans l’article « Chronologie » de Jean-Yves Tadié, sur le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 20) De son côté, Denis Daniel présente sa mère comme « l’être qu’il chérit le plus sur terre » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 45) ; lorsqu’elle meurt, il a cette phrase étonnante : « Je pensais sincèrement ne pas pouvoir survivre à maman. » (idem, p. 44) ; son père est complice de la relation incestueuse qu’il maintient avec elle : « Mon fils, je connais l’amour que tu portes à ta mère. » (idem, p. 98) Par ailleurs, l’Espagnol Félix Sierra porte un tatouage « M » en hommage à sa mère sur l’épaule gauche (vrai de vrai !). Pier Paolo Pasolini dira de son film « Œdipe Roi » (1967) qu’il est « autobiographique » (cf. le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) : « Toute ma vie a été centrée sur elle. » (Pasolini à propos de sa mère, idem) Certains auteurs homosexuels glorifient leur mère jusque dans leurs créations, comme une Muse. Le dramaturge argentin Copi donne le prénom de sa mère (China) à la fille de Venceslao, le héros de sa pièce L’Ombre de Venceslao (1978).

 

Une relation incestueuse adolescente, une forme de « copinage », s’instaure parfois entre le sujet homosexuel et sa maman : « Maintenant ma mère, c’est ma copine. » (Denis cité dans Pierre Verdrager, L’Homosexualité dans tous ses états (2007), p. 278) ; « Je veux dire que tu me ressembles et je ne suis pas moche. Tu aurais pu être ma petite sœur finalement. Parfois, je m’explique tes collections d’hommes musclés. » (la mère d’Ernestino à son fils homo, dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 180) ; « De ma première année de scolarité jusqu’à l’âge de neuf ans, je vécus dans la chaleur exclusivement maternelle. […] J’étais son flamant rose, pas celui des autres. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 12) ; « Ma mère et moi étions proches quand j’étais très jeune : ce qu’on dit des petits garçons, la proximité qu’ils peuvent avoir avec leur mère – cela avant que la honte creuse la distance entre elle et moi. Avant cela, elle s’exclamait devant qui voulait l’entendre que j’étais bien le fils de sa mère, que ça ne faisait pas de doute. Quand la nuit tombait, une peur inexplicable s’emparait de moi. Je ne voulais pas dormir seul. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 78-79) ; « En raison, donc, non seulement de la télévision qui me dérangeait mais surtout de la peur de dormir seul, je me rendais plusieurs fois par semaine devant la chambre de mes parents, l’une des rares pièces de la maison dotée d’une porte. Je n’entrais pas tout de suite, j’attendais devant l’entrée qu’ils terminent. D’une manière générale, j’avais pris cette habitude (et cela jusqu’à dix ans ‘C’est pas normal’, disait ma mère, ‘il est pas normal ce gosse’) de suivre ma mère partout dans la maison. Quand elle entrait dans la salle de bains je l’attendais devant la porte. J’essayais d’en forcer l’ouverture, je donnais des coups de pied dans les murs, je hurlais, je pleurais. Quand elle se rendait aux toilettes, j’exigeais d’elle qu’elle laisse la porte ouverte pour la surveiller, comme par crainte qu’elle ne se volatilise. Elle gardera cette habitude de toujours laisser la porte des toilettes ouvertes quand elle fera ses besoins, habitude qui plus tard me révulsera. Elle ne cédait pas tout de suite. Mon comportement irritait mon grand frère, qui m’appelait ‘Fontaine’ à cause de mes larmes. Il ne souffrait pas qu’un garçon puisse pleurer autant. À force d’insistance, ma mère finissait toujours par céder. » (idem, pp. 80-81) ; « À chaque déplacement de Mika, il n’est pas rare de voir sa mère à ses côtés, qui l’attend, l’observe, aide à porter ses costumes. » (cf. l’article « Paloma, le drame de Mika » de Pauline Delassus) ; etc.

 

Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, et intervenant central du reportage, prend se douche avec sa mère. On les voit s’enlacer tout nus. C’est à peine croyable.
 

 

La mère est tellement adorée qu’elle en perd parfois son humanité. Elle est considérée comme une déesse irréelle planante, un fétiche sacré qui rendrait divin celui qui le posséderait : « Maman, c’est une maman ; c’est pas une femme. » (Max, 86 ans, dans l’émission « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Moi, j’te croyais immortelle. » (Stefan Corbin à propos de sa mère, lors de son concert parisien Les Murmures du temps, 2011) ; « Schreber restait secrètement un petit enfant qui désirait être l’unique possesseur de la mère – possession rendue possible uniquement par son identification à elle, primitive et magique – une fusion symbolique et magique. » (Edmund White dans l’article « Faits et hypothèses » de Robert J. Stoller, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217) ; « Vers cette époque-là, ma mère tombe gravement malade du cancer. Elle est la seule personne qui compte vraiment pour moi. Je promets à Dieu, si elle survit, d’être le garçon parfait dont elle rêve. J’ai donné ma vie pour sauver sa vie. » (Justin, 34 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 248) Le fils comme la mère s’envisagent comme des idoles sacrées qui, une fois séparés de leur moitié, en perdraient leur pouvoir magique et leur identité : « Ma mère disait souvent : ‘Brahim, c’est mon porte-bonheur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 95) ; « Ma mère elle était malade. Mais maintenant, elle comprend tout. » (Roberto, disquaire homo, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

En lisant certains écrits, on constate que la mère possessive dont il est question est un veau d’or, une idole, un reflet narcissique. Par exemple, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa parle d’une symbiose surnaturelle avec une mère-extra-terrestre : « Une rencontre. Une fusion. » (p. 11) ; « Il ne reste de ma première vie, mon premier cycle de vie, l’enfance nue, seule, parfois en groupe, qu’une odeur, humaine, forte, dérangeante, possessive. Celle de ma mère M’Barka. Celle de mon corps campagnard et légèrement gras. […] Je suis avec elle dans son corps. » (idem, p. 10) Cette drôle de maman semble être un trait de caractère, une personnalité forte, plus qu’un être humain réel : « Comme ma mère, je suis têtu, dictateur, quand je le veux. » (idem, p. 119)

 

On découvre que dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, la mère possessive, avant d’être la mère réelle, est d’abord la maman cinématographique, autrement dit l’actrice : « Filmer mes parents, je l’ai déjà fait : Béatrice Dalle qui ouvre la tombe de mon père, Isabelle Huppert qui me prend dans ses bras, ma mère a déjà deux actrices à son actif. […] Les filmer pour de vrai, ça donnerait quoi ? » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 150) « Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver sa tombe. Face à elle, j’ai prié machinalement. J’ai lu des versets du Coran. J’ai dit des mots de ma mère. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, Une Mélancolie arabe (2008), p. 91)

 
 

b) Beaucoup de personnes homosexuelles sont soumises à l’influence d’une mère intrusive et incestueuse :

La mère possessive d’enfant homosexuel n’est pas qu’un cliché (sous-entendu « un mythe homophobe »). Elle existe bien plus souvent qu’on ne le croit (surtout depuis qu’on nous force à la réduire à un cliché non-actualisé !). Rassurez-vous, je ne jette pas la pierre aux mères réelles qui essaient de se dépêtrer comme elles peuvent de leur situation affective et amoureuse parfois tourmentée, qui tentent de se débarrasser de leur culpabilité maternelle au moment de la découverte de l’homosexualité de leur enfant. D’une part parce que chaque mère d’un fils ou d’une fille homosexuel-le est unique (pour ma part, je ne pense pas que ma maman ait été spécialement mère-tigresse avec moi) et que tous les schémas psychologiques attribuant à une mère – et à elle seule – l’origine de l’homosexualité d’un fils sont suspects ; et d’autre part, parce que la mère possessive est davantage une icône cinématographique que la mère biologique (comme nous venons de le voir un peu plus haut). Cela dit, elle peut quand même être parfois la mère biologique.

 

Les individus homosexuels ayant subi les assauts d’une « bonne mère » bien possessive sont légion : on peut citer Andy Warhol, Howard Brookner, Arthur Rimbaud (et sa fameuse « mère Rimbe »), René Crevel, Marcel Jouhandeau, Julien Green, André Gide, Wilfred Owen, Yukio Mishima, Federico García Lorca, Terenci Moix, Oscar Wilde, Mujica Lainez, Marcel Proust, Christopher Isherwood, Tennessee Williams, Cole Porter, Pedro Almodóvar, Pierre Palmade, Copi, Jean-Pierre Coffe, Michel Zaccaro, etc.

 

Par exemple, l’hystérie maternelle et le rapport symbiotique malsain avec la mère sont des thèmes de prédilection des films de Gaël Morel (cf. le film « Après lui » (2006), « New Wave » (2008), etc.). Dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, la mère de Tiziana (femme lesbienne), rentre dans la chambre de sa fille sans frapper.

 

Certains parmi eux osent dire timidement que leur maman pousse le bouchon un peu trop loin : « Ma mère, elle ne parle pas : elle crie. » (le romancier marocain Abdellah Taïa) ; « Elle était très possessive. » (Paula Dumont parlant de sa mère, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 38) Roger Stéphane évoque l’« inépuisable bienveillance de sa mère » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), p. 32). Freud, concernant le cas de Léonard de Vinci, parle d’« un surcroît de tendresse de la mère » et d’« un passage du père à l’arrière-plan » : « Le garçon refoule l’amour pour la mère, en se mettant lui-même à la place de celle-ci, en s’identifiant à elle et en prenant sa propre personne pour le modèle à la ressemblance duquel il choisira ses nouveaux objets d’amour. » (Sigmund Freud, Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910) La mère d’Alfred Hitchcock était ultra-autoritaire (cf. le film « Enfances » (2007) de Yann Le Gal).

 

Dans mon propre cas, il ait possible que ma maman biologique, de par sa fragilité psychique, ait été avec moi excessivement protectrice (de son propre aveu, elle m’a dit qu’elle avait vraisemblablement été une « mère-tigresse » avec moi). Et parmi mes amis homosexuels, même s’il est impossible d’en faire une règle, je constate que beaucoup ont une mère avec qui ils maintiennent un lien malsain d’excessive distance et d’excessif rapprochement. D’ailleurs, un de mes « ex » (celui avec qui je suis resté le plus longtemps en « couple ») maintenait avec ses amants un rapport infantilisant où à la fois il les traitait comme des petits enfants à choyer et il se plaçait comme un bébé. Il m’a avoué que sa propre maman (qui été bizarrement ravie de l’homosexualité de son fils et des couples homos qu’il formait… pour mieux les contrôler) avait à une époque poussé le vice jusqu’à se créer un profil d’internaute homo sur le site de rencontres et de chat gay que fréquentait son fils, histoire de garder un œil inquisiteur sur les fréquentations du fiston. Véridique !

 

Le cliché de la mère possessive est d’autant plus tabou dans la communauté homosexuelle qu’il renvoie à l’un des interdits majeurs de la société toute entière : l’inceste. Le problème des personnes homosexuelles n’est pas tant que leur orientation sexuelle soit le signe de cette réalité sociale violence, mais bien qu’elles ne la dénoncent jamais. Trop souvent, l’iconoclastie maternelle orchestrée par le « milieu homosexuel » vient au contraire renforcer l’idolâtrie.

 

Beaucoup d’artistes homosexuels ont imité les mères possessives pour se moquer de la leur, tout en lui rendant hommage. Je pense en particulier à la Madame Sarfati d’Élie Kakou, à la chanteuse au nom très signifiant « Madonna », à Carole Fredericks en mère-ventouse dans les concerts de Mylène Farmer, ou bien aux mises en scène de Jérémy Patinier : « Ce soir, je suis votre GOD… votre dieu… votre superchica, votre madre à tous… Mes enfaaaaaaaaants ! (didascalies : La comédienne leur fait un câlin au premier rang/très mère juive…) » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, p. 83) Mais ces parodies caricaturales sont au service du déni de l’inceste : elles illustrent plus qu’elles ne remettent en cause le viol incestueux.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Beaucoup de personnes homosexuelles servent de substitut marital à leur maman, de paravent cachant le divorce de leurs parents, et finissent par occuper auprès de leur génitrice une place qui n’est pas la leur : « J’ai tout le temps besoin de sécurité, de soutien, très négatif, pas d’avenir en vu, dépendant toujours de ma mère je vis toujours chez elle actuellement, l’inconnu m’effraie, ainsi que les relations avec les autres hommes ou femmes. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; « Quand mes frères et sœurs s’étonnaient de mon absentéisme, ma mère le justifiait par le fait que j’étais l’aîné et qu’elle avait besoin de moi pour accomplir certaines tâches. Un peu comme on le dit d’un mari. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 18) ; « Je fais en sorte de rentrer tard pour éviter cette impression de vivre en couple avec elle… » (idem, p. 90) Elles ont l’impression de trahir leur mère en résistant à la fusion qu’elle leur impose : « J’ai toujours l’impression qu’elle a besoin de moi. J’organise ma vie en fonction de ses besoins. Je ne veux pas la blesser. Encore cette maudite culpabilité ! » (idem, p. 90) Par exemple, dans son autobiographie Prélude à une vie heureuse (2004), Alexandre Delmar, en parlant du « regard éternel de [sa] maman, ses grands yeux bleus à la fois inquisiteurs et remplis d’amour » pour lui (p. 73), illustre tout à fait le ressentiment coupable et ambivalent qu’expérimente le fils homosexuel envers sa mère : un mélange entre la culpabilité face à une dette d’amour, et le dégoût.

 

Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans attribue – de manière trop causale pour être tout à fait juste – l’homosexualité masculine aux « mères sans pudeur » (p. 107) : « Cette femme se montrait à son fils nue de la tête aux pieds et faisait devant lui toute sa toilette. Mon ami m’avait d’ailleurs confié que, très souvent, naguère, ils couchaient dans le même lit. Elle avait pour son fils un amour qui n’avait rien à voir avec l’amour maternel, ni avec la dignité de n’importe quel être humain. Elle semblait réellement amoureuse de son fils et se trouvait certainement à la source profonde de son homosexualité. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, parlant de G., idem, p. 107) Mais en effet, il est fort possible que l’impudeur adolescente de mères immatures ait pu influer d’une manière ou d’une autre sur la révélation filiale d’une homosexualité. Certaines mamans, en parfaites Jocaste en proie à des fantasmes de fusion avec leur descendant, éteignent peu à peu tout désir et toute vie psychique épanouie chez leur fils ou leur fille : « Réalisation du narcissisme absolu et retrouvailles indifférenciées avec la mère primitive ne font qu’un. Deux façons de rejoindre un même enclos psychique où la satisfaction prend la forme de l’abolition de la vie de représentation, d’un sommeil sans rêve. C’est le paradoxe d’un fantasme qui ne s’accomplit que dans un mouvement de disparition de toute vie fantasmatique, qui ne s’accomplit qu’à lui-même s’abolir. Les retrouvailles avec les origines de la vie se payent de la mort psychique. Le chemin est court qui mène du ventre à la tombe. » (Jacques André, « L’Empire du même », dans Mères et filles (2003), p. 21) Les mères d’enfant homosexuel, en étant trop proches de lui, ont pu s’aimer égoïstement elles-mêmes à travers l’instrumentalisation discrète du fruit de leurs entrailles : « La mère ‘polymorphe’ qui caresse, embrasse, berce, allaite et réchauffe en son sein, prenant son enfant pour substitut (?) d’un objet sexuel à part entière, est elle-même l’enfant de sa sexualité. » (Jacques André, « Le Lit de Jocaste », dans l’essai Incestes (2001), pp. 20-21) Ce narcissisme parental mortifère s’explique. Il est fort possible que le secret de la possessivité de la mère soit le viol. Une mère ne devient tigresse que parce qu’elle est/se sent maltraitée par son mari, qu’elle compense un manque d’amour. Elle serre fort son bébé contre elle pour se consoler de sa terrible solitude.

 
 

c) Maman-gâteau :

Je terminerai brièvement ce chapitre en parlant du lien entre possessivité maternelle et gavage alimentaire. L’inceste qu’ont vécu (et que vivent encore) certaines personnes homosexuelles vient probablement d’un trop-plein d’amour donné par leur mère. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si elles désignent parfois la nourriture préparée par maman comme un instrument de mort, ou bien qu’elles décrivent leur génitrice comme un monstre cannibale : « Ce frigo que sa mère offre au héros n’est rien d’autre qu’un cercueil. » (la comédienne Marilú Marini à propos de la pièce Le Frigo (1970) de Copi, dans l’article « Marilú Marini retrouve Copi » d’Armelle Héliot, sur le journal Le Figaro du 7 janvier 1999) ; « J’ai tellement insisté [pour aller voir le spectacle de magie de Fou Man Chou] que ma grand-mère a dû enfiler sa robe à volants, ses mitaines de dentelle, son petit chapeau et ses chaussures à talons. […] Elle m’a acheté des bonbons. Comme ça, la panoplie nécessaire aux rêves était complète. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 150) ; « Il y a une grande douceur asilaire, et le comble de cette douceur, c’est la nourriture. » (Michel Foucault, « Sur Histoire de Paul », entretien avec R. Féret en 1976, p. 61) ; « Searles a souligné la menace constituée par les tendances cannibaliques de la mère de Schreber, et que le fils avait déplacées sur un père plein de brutalité. » (Robert J. Stoller, « Faits et hypothèses », Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 217)

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

Code n°125 – Miroir (sous-code : Miroir brisé ou kaléidoscopique / Traversée du miroir / Alice au pays des merveilles)

Miroir

Miroir

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Bianca Castafiore dans la B.D. "Les Bijoux de la Castafiore" d'Hergé

Bianca Castafiore dans la B.D. « Les Bijoux de la Castafiore » d’Hergé


 

« Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis quelqu’un d’autre ! ». Voilà le cri existentiel et idolâtre (narcissique) que la grande majorité des personnes homosexuelles lancent inconsciemment à leur société et à elles-mêmes. La glace étant l’instrument d’inversion (sexuée, sexuelle) par excellence, il était logique qu’elle soit plébiscitée par la communauté homosexuelle, assemblée humaine en panne d’identité et à la recherche de l’« Irréalité à forme humaine et réaliste ». Beaucoup de personnes homosexuelles envisagent la Réalité (et l’Amour : cf. je vous renvoie aux codes « Amant narcissique » et « Cercueil en cristal » de mon Dictionnaire des codes homosexuels) comme un miroir à la fois sans fond et dont paradoxalement elles cherchent à se convaincre de la réelle profondeur. Mirage désirant et actionnel assuré !

 
 

N.B. : je vous renvoie également aux codes « Clonage », « Se prendre pour Dieu », « Amant narcissique », « Cercueil en cristal », « Emma Bovary ‘Oh mon Dieu !’ », « Photographe », « Eau », « Lunettes d’or », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », « Inversion », « Femme au balcon », « Planeur », « Main coupée », « Haine de la beauté », « Télévore et Cinévore », « Regard féminin », « Pygmalion », « Poupées », « Amant modèle photographique », « Homme invisible », « Doubles schizophréniques », « Jumeaux », « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau », à la partie « Crâne en cristal » du code « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », et à la partie « Paravent » du code « Maquillage », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Miroir, mon beau miroir :

Le miroir occupe une très grande place dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Leperen, le conte Lisa-Loup et le conteur (2003) de Mylène Farmer (avec le garçon plat), le one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval (avec la chanson la chanson « Mirror, Mirror » en duo entre Madame Raymonde), la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev (avec Katia devant son miroir), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, le film « Aynehaye Rooberoo » (« Facing Mirrors », 2011) de Negar Azarbayjani, le film « Crystal » (2003) d’Anne Crémieux, le film « Is-Slottet » (1987) de Per Blom (avec le mystérieux Palais des Glaces), le film « Mirror, Mirror » (1978) d’Edward Fleming, le film « L’Enfant miroir » (1990) de Philip Ridley, le film « Espelho De Carne » (1983) d’Antonio Carlos Fontoura, le film « Gulabi Aaina » (« The Ink Mirror », 2003) de Sridhar Rangyan, le film « I’ll Be Your Mirror » (1996) de Nan Goldin, le film « Jeu de miroir » (2002) d’Harry Richard, etc.

 

« Oh mon Dieu ! Mes yeux n’ont jamais vu de richesses pareilles ! Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir ! » (Lourdes trouvant un miroir dans son coffre, dans la pièce Les Gens moches ne le font pas exprès (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je vous envie d’aimer les vitres comme vous les aimez. » (Marie-Louise, une brodeuse parlant de Sidonie et de la Reine Marie-Antoinette, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « Hubert, ma psyché ! » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Elle [Sylvia, l’héroïne lesbienne] montra du doigt une petite chouette d’or sommairement travaillée, aux ailes d’émeraude, la tête piquée de diamants avec deux topazes pour les yeux. […] Je revois cet oiseau plus nettement que son visage dont je ne perçois qu’un seul profil – l’autre moitié devenue invisible, à la manière d’un miroir. » (Harry Muslisch, Deux Femmes (1975), p. 30) ; « Le miroir est une femme intersidérale. » (c.f. la chanson « Intersidérale » de Bilal Hassani) ; etc.

 

Le personnage homosexuel cherche parfois à être plat comme son miroir : « James cultivait l’art d’être superficiel. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 52) Par exemple, dans la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, adaptée par Pierre Constant, le miroir devient fil de fer du funambule. La nouvelle « Marcovaldo Tarsile De La Tour Montigny Xuclar I Fer Ampolles » (1975) de Terenci Moix raconte l’histoire d’un homme dont l’obsession de sa vie est la « longitude ». Dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont se prend pour une vitre de pare-brise de voiture : « Déjà réincarné ?!? Efficace, le système informatique là-haut ! Quoi ? En vitre ??? Je crois qu’il y a une erreur. […] Tout le monde ne parle pas miroir. […]Je suis superstitieux ? Superficiel ?? Je sais. » Dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau, la Bête énumère les 5 instruments sur lesquels repose son pouvoir : « Mon miroir, mon gant, mon cheval, ma rose et ma clé d’or. »

 

Le miroir permet au héros homosexuel de fuir sa réalité et le monde : « Comme si j’étais assis là-haut au Paradis, de l’autre côté de ma vie, mon paradis acquis. » (cf. la chanson « Soudain » d’Étienne Daho) ; « Le monde est froid. Subitement distant verni aseptisé. Je le regarde à travers cette vitre. Je le vois loin, hors de portée. J’en suis comme en retrait, exclue, ou au moins séparée. […]  C’est entre 8 et 9 ans que je me suis décollée du monde – ou plutôt qu’il a décollé de moi pour être donné en spectacle – et depuis je cherche en vain comment y rentrer et m’y fondre, comment retraverser la vitre. » (Mireille Best, Camille en octobre (1988), p. 105) Par exemple, dans son one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, Fayçal Ben Checri, le héros homosexuel, est en train de répéter ses pas de danse classique devant son miroir. Dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Gabriel, l’adolescent homosexuel rêveur et déprimé, est toujours filmé derrière une vitre de voiture, de vitre de bus.

 

Stéphanie, héros trans M to F du film "Wild Side" de Sébastien Lifshitz

Stéphanie, héros trans M to F du film « Wild Side » de Sébastien Lifshitz


 

Le miroir donne l’illusion de dépasser les 4 frontières du Réel humain et de l’Amour que sont la différence des sexes, la différence des générations, la différence des espaces et la différence Créateur/créatures : « Vous, Oiseaux-Comédiens, aidez-moi à franchir le miroir… de l’enfance perdue. » (Camarade Constance dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine  Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina» (Cody, le héros homosexuel efféminé nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « Je suis de l’autre côté du miroir. » (Damien, travesti M to F de la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez, travesti M to F, idem) ; « Je m’examinais longuement dans le miroir. » (la narratrice transgenre F to M au moment de se travestir en homme, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc. Par exemple, dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette se sert du miroir pour se prendre pour se lesbianiser et se vieillir afin de séduire sa prof de français. Dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Miriam, l’héroïne transsexuelle F to M (transformée en « Lukas »), passe son temps à se scruter dans le miroir, et vit l’angoisse du Dorian Gray. Pendant tout le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, la jeune Laure (qui se prend pour un garçon) se regarde sans cesse dans le miroir.

 

Le miroir est figure d’inversion sexuelle. Par exemple, dans le film « Jeu de miroir » (2002) de Harry Richard, les deux frères jumeaux (dont l’un est homo) portent des prénoms-anagrammes : Leon et Noel. Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Rayon, le héros transsexuel M to F, a plein de photos d’actrices autour de son miroir. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, le miroir est omniprésent dans le quotidien des personnages, et surtout ceux qui sont intersexes et transsexuels. Le film démarre par Rana qui se regarde dans sa glace de rétroviseur de voiture. Plus tard, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M se rase la barbe (ou plutôt fait semblant de le faire), elle est surprise par l’arrivée d’Akram, la belle-mère de Rana, qui l’a vue dans la salle de bain, et elle se coupe au visage. Adineh sanglotte comme une enfant devant son miroir. Mais finalement, plus de peur que de mal : « J’aurais pu te taillader le visage ! » la prévient quand même Akram. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, vit sa vie à travers les miroirs. Par exemple, quand il parle devant sa glace, il imite un dialogue entre Dick et sa compagne Marge, en alternant la voix masculine puis féminine… parce qu’il est amoureux de Dick.

 

Le soupçon intime d’homosexualité chez le personnage homosexuel a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. Je vous renvoie au film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano. Dans le film « Les Roseaux sauvages » (1994) d’André Téchiné, François se répète plusieurs fois de suite devant sa glace qu’il est homo. Dans le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, Sita, l’héroïne lesbienne fait de même.

 

Film "Les Roseaux sauvages" d'André Téchiné

Film « Les Roseaux sauvages » d’André Téchiné


 

Il est fréquent qu’Alice au pays des merveilles (celle qui a traversé le miroir du sommeil pour entrer dans la rêverie puérile) apparaisse dans les créations homo-érotiques : cf. la pièce musicale Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi, le one-man-show Ali au pays des merveilles (2011) d’Ali Bougheraba, le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie (avec Alice, transgenre F to M), le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec l’histoire du petit homme qui traverse le miroir), la photo Miroir d’Alice (1932) de Duane Michals, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Francis, le héros homosexuel, qui a « vu un lapin blanc »), la chanson « Dans un autre pays » de Goûts de luxe, etc.

 

« Je m’appelle Alice, comme Alice au pays des merveilles. » (Chiara dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo) ; « C’est pas vrai, la vieille Alice ! Je te croyais à l’hospice ! » (Fifi s’adressant à son ami travesti M to F Mimi – c’est la première phrase de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je viens de l’autre côté du miroir, […]  du côté du faux jardin. » (le narrateur de la pièce musicale Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; etc.

 

Le héros homosexuel essaie, en vrai marginal, de traverser le miroir : cf. le roman La Traversée des apparences (1948) de Virginia Woolf, le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman, les films « Orphée » (1949) et « Le Sang d’un poète » (1930) de Jean Cocteau, le poème « Del Otro Lado » de Luis Cernuda dans le recueil Desolación De La Quimera (1956-1962), la pièce Antigone (1922) de Jean Cocteau, le film « Tras El Cristal » (1986) d’Agustí Villaronga, le roman Le Syndrome de Lazare (2007) de Michel Canesi et Jamil Rahmani, le film « Del Otro Lado » (1999) de C. A. Griffith, la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer, le film « Behind Glass » (1981) d’Ab Van Ieperen, le tableau Le Faux Pas (2002) de Michel Giliberti, etc.

 

Film "Orphée" de Jean Cocteau

Film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Dans les créations homo-érotiques, le passage du miroir est parfois symbolisé par un simple voile, une forêt de linge étendu sur des cordes, ou un rideau opaque : cf. le film « La Vie des autres » (2000) de Gabriel de Monteynard, le film « Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune ? » (2001) de Chris Vander Stappen, le film « W » (1998) de Luc Freit, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola (avec les barrières de linge entre Antonietta et Gabriele le héros homosexuel), etc. « La dentelle, c’est comme un miroir. » (Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 19)

 
 

 

b) Le narcissisme individuel :

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Le héros homosexuel très souvent se voue un culte à lui-même et à son image spéculaire (il ne fait pas la différence entre les deux). Il est très proche du personnage mythologique de Narcisse : cf. le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Nemesio), le film « Le Narcisse noir » (1947) de Powell et Pressburger, le film « Image In The Snow » (1940) de Willard Maas, cf. le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec Silverio devant son miroir), le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le roman Le Traité de Narcisse (1891) d’André Gide, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la femme-fillette lesbienne allongée près d’un étang artificiel d’eau), le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès (avec le visage dans l’eau), la chanson « Narcissus Is Back » de Christine & the Queens, etc.
 

Par exemple, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry affirme dès le début qu’il n’y a que lui qui l’intéresse. La première scène du film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne est précisément le moment où Guillaume, le héros bisexuel, se maquille et se raconte devant sa glace de coulisses théâtrales. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, n’arrête pas de se peindre elle-même en autoportrait. Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Luca passe son temps à renifler et effleurer son corps, à se palper. Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, réclame toute l’attention à lui tout seul : « Personne ne me regarde ! »

 

Il arrive que le héros personnage s’aime tellement qu’il se prend pour un être immanent, auto-créé, divin : « Et oui, Dieu était une femme… allez y touchez, touchez… Je comprends, vous êtes impressionnés… Moi, aussi, à chaque fois que je me regarde dans une glace… Ça me fait pareil… C’est tellement beau. J’comprends que vous ayez tous les yeux fixés sur moi. » (Lise dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « J’espère, avec un peu de chance, que dans le monde entier, y’aura des meufs qui auront des posters de moi dans leur chambre ! » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne, en conclusion de son one-woman-show Chaton violents, 2015) ; « Ton fils c’est ton portrait craché. Tout pour l’apparence. » (Laurent Spielvogel imitant son père parlant à sa mère, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Le problème, c’est que tu n’aimes que toi. » (Adrien s’adressant à Louise, le personnage trans M to F, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « Tu ramènes tout à toi. » (idem) ; etc.

 
 

c) Le narcissisme collectif et communautarisé :

Mais le narcissisme homosexuel n’est pas qu’individuel. Il semble réunir la majorité des amis homos du héros gay. « On fuit toutes certaines réalités face au miroir. » (c.f. la chanson du film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, parlant au nom de toutes les femmes lesbiennes). Par exemple, dans le film « Senza Fine » (2008) de Roberto Cuzzillo, ou encore dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, tous les personnages se regardent continuellement dans le miroir. Le film « Far West » (2002) de Pascal-Alex Vincent démarre sur une scène de chorégraphie de groupe de potes gays devant un grand paroi spéculaire de salle de danse. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, les miroirs sont omniprésents : dans la vie intime des héroïnes lesbiennes, mais aussi dans leur univers de beaux-ardeux. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, le groupe de potes homos est présenté comme un concentré de narcissiques. « Tu passes des heures devant ton miroir, passées à mettre des crèmes et des masques. Et on ne voit même pas la différence. » dit par exemple Michael à son colocataire Harold. Quant au personnage hyper efféminé d’Emory – qui affirme avoir « fait du patin à glace » dans sa jeunesse –, il se repoudre le nez devant sa glace en faisant sa précieuse : « Je ne suis pas prête pour le gros plan, M. DeMille. Il va falloir attendre. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Jean-Marc, le héros homosexuel, évoque, concernant le « milieu homo », « ces boîtes à la mode où la jeunesse pavane sa beauté, ses pectoraux et son linge neuf en un perpétuel spectacle de soi-même » (p. 226). Dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, le monde du miroir est présenté comme le « milieu homosexuel ». Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Graziella, l’agent de Tom (le héros homo) qui veut le forcer à paraître hétéro, lui soumet un test de questions pour savoir s’il arrive à rentrer dans la peau de son personnage. Et l’un des questions est : « Football ou patinage artistique ? » Tom prend sur lui pour répondre « Football »… mais le « naturel » ne tarde pas à revenir au galop.

 

Comédie musicale Sauna de Nicolas Guilleminot

Comédie musicale Sauna de Nicolas Guilleminot


 
 

d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :

Film "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" de François Ozon

Film « Gouttes d’eau sur pierres brûlantes » de François Ozon


 

À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnages homosexuels finissent par ne plus pouvoir se voir du tout : cf. le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le film « Amnesia – The James Brighton Enigma » (« Amnésie, l’énigme James Brighton », 2005) de Denis Langlois, le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu (avec le miroir-clapet de Kena, l’héroïne lesbienne divisée), etc.

 

Film "Amnesia" de Denis Langlois

Film « Amnesia » de Denis Langlois


 

« Dans l’rétro ma vie qui s’anamorphose. » (cf. la chanson « California » de Mylène Farmer) ; « Surprise, elle me dévisage sur le cliché et puis en chair et en os, et après se regarde longuement dans la glace. J’accroche la photo au coin du miroir, et me reflète à mon tour. Je suis derrière elle, et je lui parle à l’oreille, fixant son double qui me fait face. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 47-48) ; « Je comprends pas mon corps. Le plaisir qu’il trouve, et qu’il prend, à savoir les yeux d’Irène dans un coin du miroir. Sa volonté de se soumettre aussi vite à la nécessité qui l’oblige. Ce que sa main droite est en train de faire sous le drap bleu, qui me donne la honte rouge. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 86) ; etc.

 

Le héros homosexuel vit tellement dans l’horizontalité et la superficialité de son désir qu’il finit par croire ou vivre la chute sans s’en rendre compte. Le vertical surgit inopinément de l’horizontal. C’est le cas dans le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, où la chute dans les graviers succède à la scène du miroir narcissique. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie, le héros homosexuel, a du mal à se tenir droit, et à rester droit… si bien qu’il se croit atteint de vertiges et de signes physiques montrant qu’il est malade du Sida.

 

MIROIR The Irrepressibles Croop

 

Le symbole du miroir brisé, multiple ou kaléidoscopique est omniprésent dans la fantasmagorie homosexuelle : cf. la couverture de l’album « The Irrepressibles » du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely (avec le miroir fragmenté), la pièce Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, la chanson « En miettes » d’Oshen, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti, le film « Grande École » (2004) de Robert Salis, le film « Happy Together » (1997) de Wong Far-Wai, le film « Swimming Pool » (2003) de François Ozon, le film « La Femme du chef de gare » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Mulholland Drive » (2001) de David Lynch, le film « Casablanca » (1942) de Michael Curtiz, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « Thomas trébuche » (1998) de Pascal-Alex Vincent, le roman La Sombra El Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, le vidéo-clip de la chanson « College Boy » d’Indochine (avec le miroir brisé dans le casier), le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz (avec Ayrton se regardant avec mépris devant sa glace à plusieurs battants), etc. « Toutes les vitres avaient volé en éclats, même celles des miroirs, ainsi que la vaisselle et les bouteilles. » (Copi, « Les Potins de la femme assise » (1978), p. 33) ; « Oh, merde, j’ai un kaléidoscope dans la tête ! » (Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Une rêverie de cristal éveillait peu à peu son âme dans un courant de plaisirs. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami angevin, p. 30) ; « Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas ; mais homo, bi, hétéro c’est pareil, on ne mange pas dans les assiettes cassées. » (le chauffeur taxi dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 120) ; « Des images se projetaient dans mon esprit, tels les morceaux d’un miroir fracassé. » (Éric, le héros homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 115) ; « Le Masque est tombé. Le Miroir brisé. Qui peut m’regarder sans me juger ? » (cf. la chanson « Si mes larmes tombent » de Christophe Willem) ; etc. Par exemple, dans la pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine, les deux amis transgenres M to F, Jacques et Damien, se rendent ensemble voir un film expérimental, « Éclat de viande », au cinéma. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, les miroirs sont très présents et renvoient toujours à l’angoisse du héros homo, Frankie : il se scrute tout le temps pour savoir s’il a des tâches de Sida sur la peau ; et à chaque fois qu’il se regarde dans le miroir, il finit toujours par se voir flouté. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, peut s’admirer partout dans les nombreux miroirs de sa salle de bain. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, Louis, le héros homo « qui ne s’assume pas », prononce plusieurs fois devant son miroir « Je suis pas homo », avant de le briser comme un boxeur. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), Kelly, l’héroïne lesbienne, brise son miroir dans les toilettes de la boîte.

 

Les héros homosexuels visent tous inconsciemment à devenir l’androgyne, cet être divisé, éclaté, hyper-sexué et asexué à la fois, kaléidoscopique, à plusieurs faces comme le diamant ou le diable : « Le Dieu des Hommes […] s’éleva de 7 mètres au-dessus de nous, allant se placer haut à l’intérieur de l’aiguille de la Sainte-Chapelle dont les vitraux à mille et une couleurs produisaient sur lui (un barbu blanc aussi poilu qu’un ours polaire) un effet de kaléidoscope très agréable. » (Gouri, le rat bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 85) ; « Elle me paraît minuscule, et comme en hauteur, au sommet d’une montagne, parmi les neiges éternelles. Pour couronner le tout, elle a beau être assise immobile dans le canapé, j’ai l’impression qu’elle remue ses hanches, qu’elle ondule de droite et de gauche, comme si elle faisait la danse du ventre, avec des oscillations de sirène, des variations régulières de courbe sinusoïdale. Vu d’ici, ça fait plein de petites étoiles scintillantes. L’image se décompose, à travers une sorte de filtre brumeux, un diamant taillé ou un kaléidoscope, comme dans les films psychédéliques ou les premiers épisodes de Columbo» (Yvon en parlant de la dangereuse Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 264) ; etc. Par exemple, dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, c’est l’angoisse pour l’héroïne bisexuelle Nina, qui se voit partout dans les miroirs et qui se sent attaquée par eux, par elle-même, dans un élan d’autodestruction étrange et irrationnel.

 
 

e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :

Film "La Belle et la Bête" de Walt Disney

Film « La Belle et la Bête » de Walt Disney


 

Comme le miroir éloigne le héros homosexuel de lui-même et des autres, il finit par lui apparaître comme un menteur ou un méchant reflet. « Jane s’assit au bout du lit et vit un instant le visage de sa mère en train de lui sourire dans le miroir de la penderie. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 105) ; « À l’intérieur, l’excès de miroirs était censé exprimer une certaine idée du luxe, mais les reflets importuns l’énervèrent. » (Jane, l’héroïne lesbienne par rapport à la salle de bain, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 17) ; « Sur le moment, il me semble qu’un tiers se tromperait à prétendre me désigner lequel, de mon reflet ou de moi, est l’original et lequel la copie. […] Moi Vincent Garbo regardant celui qui me regarde, la bénéfique utilité du miroir se retourne en maléfice : non seulement mon reflet a pour moi cessé d’être la preuve que je peux être vu, que je suis dans cette pièce et que je pourrais en sortir, mais il me persuade même carrément du contraire. Je ne serais pas du tout surpris de voir l’autre quitter le miroir et d’être obligé d’attendre qu’il y revienne pour pouvoir exister encore un peu. » (Quentin Lamotta, Vincent Garbo (2010), p. 53) Il déclenche en général chez le protagoniste homosexuel l’hilarité, la cruauté, le mépris ou le sentiment d’être merdique : cf. le roman Défauts dans le miroir (1981) de Patrick White. « Je ris de me voir si con dans ce miroir. » (cf. le film « J’aimerais j’aimerais » (2007) de Jann Halexander) ; « Vidvn riait devant le miroir de l’archevêque, pavoisant. » (Copi, La Cité des Rats (1979), p. 125) ; « On n’a même pas de miroir, dans ces satellites ! Je vais me regarder dans l’eau des waters ! » (Loretta Strong, le héros travesti M to F, dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Épreuve du miroir. Le jeu des 7 erreurs. » (Djalil s’adressant à sa mère dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Mon prof de philosophie mort en mirant son reflet dans un miroir fendu scandalisé par sa laideur ! » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite en 2003 par un ami homosexuel angevin, p. 63) ; « Cesse d’enfiler cette cagoule comme un singe qui découvre son reflet dans le miroir ! » (le Père 2 s’adressant à son futur gendre homosexuel, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Par exemple, dans le film « Rebel Without Cause » (« La Fureur de vivre », 1955) de Nicholas Ray, Jim (James Dean), le héros bisexuel, déclare à son amie Judy (Natalie Wood) que son reflet dans son miroir de poche ressemble à une guenon.

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi


 

Alba – « Tu t’es regardée dans un miroir dernièrement ?

Zulma – Non.

Alba – Eh ben fais-le. Tu feras des cauchemars. »

(Alba parlant de sa mère Zulma dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet)

 

MIROIR Assise brisé (1)

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

« J’ai presque couru jusqu’aux toilettes, comme si j’allais vomir au lieu de pleurer, me suis assise sur le couvercle de la cuvette et j’ai pleuré, pleuré, sans comprendre pourquoi. J’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bains, les traces de larmes, les yeux rouges, et je me suis souvenue d’une chose, juste une chose, d’un moment semblable, d’une époque semblable. Où je me regardais dans ce miroir. En pleurant. Je savais ce que c’était. La sonnette de la porte d’entrée a retenti. » (Ronit, l’un des héroïnes lesbiennes du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 167) ; « Je me suis enfermée à clé dans la salle de bains. Je me souviens des gouttes de sang écarlates dans le lavabo, d’une couleur incroyable, du tourbillon rouge et rose quand j’ai ouvert le robinet. Je me souviens d’avoir pleuré, un peu. D’avoir été étonnée de pleurer. De m’être regardée dans le miroir, au-dessus du lavabo, d’avoir vu mon visage en pleurs, sans reconnaître mon propre reflet. » (idem, p. 219) ; « J’avais rêvé que j’observais le viol de lady Philippa par les vitraux brisés de la chapelle. En même temps, j’étais lady Philippa moi-même, contemplant terrorisée mon propre visage dans l’ouverture en forme d’ogive, depuis la pierre tombale où je subissais ce terrible attentat. En revanche, mon agresseur lui-même n’était dans mon rêve qu’une masse sombre et sans visage. » (Bathilde dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 303) ; « Une ou deux minutes passèrent, puis, levant les yeux, il se vit soudain dans un miroir incliné au-dessus du lit et remarqua que sa cravate était de travers ; il répara aussitôt ce désordre de ses grosses mains qui tremblaient un peu. ‘Ça, par exemple !’ murmura-t-il. Plusieurs fois il répéta cette phrase sur le ton d’une grande surprise, et, sans regarder le lit, tourna les talons et gagna la porte. » (Paul Esménard après le meurtre de Berthe qu’il a étranglée, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 117) ; « J’ai fait installer des miroirs pour que vous puissiez mourir au pluriel. » (Merteuil dans la peau de Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc.

 

Le miroir brisé est souvent un signe d’inceste, de viol, de mort et de suicide dans les fictions homo-érotiques : cf. le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls (avec le meurtre sous les douches municipales), le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre (avec Eloy, le prostitué qui se regarde toujours dans la glace), le film « Le Miroir de l’obscène » (1973) de Jess Franco, la pièce Bodas De Sangre (Noces de sang, 1932) de Federico García Lorca, le recueil de poésies A Través De Un Espejo Oscuro (1988-2004) de Leopoldo Alas, le roman La Sombra Del Humo En El Espejo (1924) d’Augusto d’Halmar, le poème « El Inquisidor Ante El Espejo » (1977) de Vicente Aleixandre, le film « La Tour Montparnasse infernale » (2000) de Charles Némès, le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré (avec notamment Narcisse, l’imbuvable), le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, etc. « Les miroirs de la salle de bains étaient couverts de buée, mais elle voyait l’étrangère qu’elle était devenue, difforme et vaguement rose dans la glace embuée. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 41).
 

Par exemple, dans la mise en scène par Adrien Utchanah en 2010 de la pièce La Pyramide (1975) de Copi, on entend un bruit de miroir brisé précisément quand la Vache sacrée se poignarde le cœur. Dans la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, Élisabeth a besoin du miroir pour croire en son horreur, pour se la rendre réelle. Elle récite, comme une femme possédée, un discours « diabolique », après avoir empoisonné mortellement son frère adoré Paul : « Il faut rendre la vie invivable. Il faut être laide à faire peur… » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, sous la douche, Clara, l’héroïne lesbienne, voit dans une flaque le reflet riant et diabolique d’un de ses agresseurs lesbophobes. Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, le miroir brisé des toilettes de la boîte gay apparaît pile dans la scène où le pasteur homophobe Ralph va pénétrer par sodomie un jeune homme qui a reconnu sa double vie. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, la fenêtre est souvent le miroir dans lequel l’héroïne lesbienne, Charlène, contemple sa propre triste ou l’horreur de son acte criminel. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, se rend chez un chirurgien pratiquant la « médecine esthétique pour rajeunir. Le résultat n’est d’ailleurs pas toujours à la hauteur de ses espérances. Il parle « des effets mordants du peeling » et des ratés de son médecin qui le bronze de trop. Et il découvre horrifié sa gueule de « gros lézard qui mue » dans un double miroir. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, à la fin, la grand-mère de Tommaso (le héros homosexuel) se maquille pour retrouver la jeunesse de ses vingts ans, face à plusieurs miroirs, avant de se suicider. Dès les premières images du film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on voit le protagoniste homosexuel, Davide, regarder par le trou des interstices de ses miroirs. Il s’est composé une caverne de miroirs cachés dans le grenier familial dans laquelle se réfugier secrètement. Un jour, son père, ayant découvert sa cachette, l’entraîne de force dans le grenier pour que Davide le voie détruire au marteau tous les miroirs. Dans ce film, ces derniers sont tellement signes de souffrance, de destruction narcissique, que la dernière image montre Davide face à son reflet spéculaire, en train de crier d’horreur.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Miroir, mon beau miroir :

Il est étonnant de voir l’idolâtrie des personnes homosexuelles pour les miroirs. Je vous renvoie au documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz ainsi qu’au documentaire « Mirror, Mirror » (1996) de Baillie Walsh. Dans Logique du sens (1969), Gilles Deleuze s’intéresse à la traversée du miroir dans le chef-d’œuvre de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles (De l’autre côté du miroir).

 

« La dualité m’a toujours fasciné, tout comme les miroirs et les images filmées. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 35)

 

MIROIR Cocteau

 

Par exemple, l’artiste femme performer Orlan considère son corps comme un média, comme un instrument de son désir de nomadisme : « Je suis une homme et un femme. » Elle s’entoure de miroirs pour « se voir à l’intérieur ». Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Edwarda, une visiteuse du musée illuminée, observe dans un tableau de Balthus représentant une femme dans sa salle de bain un fantôme ou une Alice enfermée dans un placard-miroir : « Le miroir devait faire la même taille que la toile. »

 

D’ailleurs, le soupçon intime d’homosexualité (y compris celui que les personnes homosexuelles projettent sur « les hétéros ») a parfois besoin du monde du miroir pour acquérir une consistance. « Les machos – comme les camionneurs, les flics, les joueurs de football – sont beaucoup plus complexes qu’ils ne veulent le reconnaître. Ils ont des besoins qui sont pour eux carrément inexprimables. Ils n’osent pas se regarder dans le miroir. C’est pourquoi ils ont besoin des pédés. Ils ont inventés les pédés afin d’accomplir un fantasme sexuel sur le corps d’un autre homme sans en assumer la responsabilité. » (James Baldwin, « Go The Way Your Blood Beats » : An Interview… » de Richard Goldstein, Village Voice, 26 juin 1984, pp. 13-16); « Je me regarde dans la glace et je contemple mon visage. […] Je me dis à voix haute que je suis homosexuel ! Je me le répète deux, trois, quatre fois. » (Alexandre Delmar, Prélude à une Vie heureuse (2004), p. 119) ; etc.

 

Par exemple, il n’y a qu’à regarder le nombre de miroirs de notre existence (les tables de lycée, les plexiglas des métros, les graffitis aux toilettes publiques, etc.) où sont gravés les mots « PD » ou « enculé » pour découvrir que l’homosexualité est une vérité avant tout spéculaire. Autre exemple : dans l’émission Jour après Jour (novembre 2000) animée par Jean-Luc Delarue sur la chaîne France 2, Jérôme affirme qu’il a été obligé de répéter plusieurs fois à son propre reflet dans le miroir qu’il était homo pour assumer une homosexualité qu’il ressentait comme monstrueuse.

 
 

b) Le narcissisme individuel :

La passion de certaines personnes homosexuelles pour le miroir dévoile leur croyance en leur auto-engendrement. Pour le psychanalyste Alfred Adler, « la perspective homosexuelle se développe très tôt chez des enfants égocentriques. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 200) Beaucoup d’entre elles construisent autour de leur être un véritable culte de la personnalité. Il suffit d’observer leur rapport aux miroirs, en discothèque notamment, ou bien encore leur attitude de femme fatale ou de dandy en présence d’un appareil photo, pour le constater. Elles se scrutent sans arrêt et pâtissent de la maladie du Don Juan qui cherche constamment à plaire, à faire plaisir, et à savoir ce que les autres pensent de lui, sans jamais arriver à satiété. Cela se transforme souvent en onanisme : « Les choses du cul sont la santé même ! Il s’agit de jouir loyalement de son être. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)

 

Certains créateurs homosexuels construisent carrément des Narcisses modernes avec leurs caméras et leurs appareils photos. Par exemple, les photographes Pierre et Gilles ont fait de Matthieu Charneau leur nouvelle égérie, leur « Narcisse ».

 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles


 

Pendant son concert à L’Européen de Paris le 6 juin 2011, la chanteuse trans F to M Oshen (Océane Rose-Marie, la fameuse « lesbienne invisible », qui se fait appeler désormais « Océan ») se regarde dans son verre à pied, s’arrange et s’adore dans son reflet : le verre en cristal lui sert de miroir narcissique. Dans le film biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, est obsédé par son miroir. Ce dernier est comme une drogue auto-destructrice. D’ailleurs, les images du film oscillent entre des plans rapprochés de portraits de Victor au miroir et de prises de médicaments. À un moment, un des miroirs dans lequel il se voit lui présente une image triplée de lui-même.

 

Les personnes homosexuelles, en général, à travers leur focalisation sur le miroir, montrent qu’elles n’ont pas accepté leur corps et son unicité. Autrement dit, dans un jargon psychanalytique, elles n’ont pas fait coïncider l’image de leur Moi avec leur propre corps (cf. le stade du miroir décrit par Henry Wallon). Elles sont donc tentées de rechercher chez les autres un reflet d’elles-mêmes projectivement valorisées (= « elles en mieux »).

 
 

c) Le narcissisme collectif et communautarisé :

Le narcissisme homosexuel ne se limite pas à l’individu qui se ressent homo. Il s’étend à toute la communauté LGBT. En effet, le discours de beaucoup d’intellectuels homosexuels, notamment ceux des Queer & Gender Studies, flatte le narcissisme interlope dans une défense poétisante de l’identité homosexuelle en tant que projection de soi éclatée, indéfinissable, circonscrite au ressenti et à l’initiative strictement individuels. Par exemple, dans son essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010), Natacha Chetcuti s’attache de manière très narcissique à « la manière de se percevoir » (p. 65) en tant que lesbienne, à la « mise en scène de soi » (p. 96), au « processus d’énonciation » (p. 14) du MOI homosexuel. Elle délaisse la question fondamentale du « Qui suis-je ? » ou du « Quel est le sens du désir homosexuel ? » pour lui préférer celle du « Comment je me dis ? [… après m’être caricaturé et inventé une identité originale et inédite] », du « Comment je me vois et me définis ? » : « Le terme d’autonomination est à considérer en tant que processus : il ne désigne ni un état, ni une condition des individus, mais bien au contraire une définition de soi constamment rejouée ou renégociée. » (p. 35) Il s’agit de se ré-inventer soi-même par l’amour homosexuel, l’homosensualité, son reflet spéculaire déconstruit/reconstruit. C’est le genre en tant qu’« allure, présentation de soi, manière d’être dans le corps » (p. 70) qui primerait. Nous ne sommes plus dans la recherche de Vérité mais dans le plaisir de se raconter (… dans un reflet aquatique indomptable que serait le désir). Natacha Chetcuti veut « étudier les modes d’autodéfinition qui permet de comprendre comment les lesbiennes se pensent et se construisent pour elles-mêmes. » (p. 19)

 

Ce nombrilisme identitaire et amoureux s’observe aussi loin des sphères « intellectuelles » et universitaires. Il rejoint la presse gay et le milieu association. Par exemple, le premier numéro de la revue gay Miroir/Miroirs, la revue des corps contemporains est sorti en France en septembre 2013. Il était consacré à Grindr et aux applications Smartphones pour la création des rencontres amoureuses homos.

 

MIROIR Les Narcisses

 
 

d) Le miroir est la figure de l’éclatement identitaire :

À force de se regarder de trop près le nombril, un certain nombre de personnes homosexuelles finissent par ne plus pouvoir se voir du tout. C’est la raison pour laquelle Raymond Rosenthal disait du dramaturge nord-américain Tennessee Williams qu’il « souffrait d’un profond narcissisme qui l’empêchait de regarder à l’intérieur de lui-même ».

 

« Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse ; ma sœur en faisait. Je me rêvais sur une scène, j’imaginais des collants, des paillettes, des foules m’acclamant et moi les saluant, comblé, couvert de sueur – mais sachant la honte que cela représentait je ne l’avais jamais avoué. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 30).

 

Beaucoup de créateurs homosexuels ont utilisé dans leurs œuvres des miroirs fragmentés : Marcel Duchamp, Jean Cocteau, Louise Bourgeois, Claude Cahun, etc., comme pour figurer leur désunion intérieure (cf. je vous renvoie au code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’au documentaire « Kaleïdoskop » (2004) retraçant le parcours artistique de Philippe Découflé). Par exemple, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, se surnomme lui-même « Linn da Quebrada » (Linn la brisée) et se compare à « ces éclats de miroir brisé où se réfléchit l’Homme créé à l’image de Dieu ».

 

Photo "Five-Way Portrait Of Marcel Duchamp" (1917)

Photo « Five-Way Portrait Of Marcel Duchamp » (1917)


 

« Ma vie intégrait cette limite. Elle se fendillait dans les épreuves quotidiennes, se nourrissait d’être aimée pour ce que j’étais et non comme un idéal. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59) ; « Faut-il que tout glisse et tout passe ? » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 96) ; etc.

 
 

e) Le miroir est la figure de la haine de soi, du viol et de la mort :

Le narcissisme homosexuel (tout comme le narcissisme hétéro-bisexuel) entraîne concrètement les personnes homosexuelles qui s’y adonnent sur les sentiers du mépris de soi, de l’homophobie, de la haine, de la violence, du viol, de maladie, de la prostitution : « Elle a mis à chauffer la cire sur la cuisinière. Les pots ont explosé et le liquide brûlant a recouvert son corps comme une horrible robe dégoulinante. Elle a passé des mois à l’hôpital. Nous avons entendu son cri désespéré quand elle s’est regardée dans le miroir pour la première fois après l’accident. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 166-167) ; « Entre mon miroir et mon corps, raccourcir la laisse… Et maintenant, à nous deux. » (la photographe lesbienne Claude Cahun) ; « Si je me regarde dans le miroir, je peux être agressif avec moi-même, ou déprimé. » (la femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier) ; « Devant le petit miroir de sa loge, après avoir rasé, une fois de plus, son visage déjà ravagé par les nuits sans sommeil et les fards trop lourds, Claude se coiffe. » (Jean-Louis Chardans décrivant un homme travesti M to F, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 36) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert, parlant de son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500) ; « Il suffisait, je le savais, d’un rien, d’un geste, d’une sensation, pour que le miroir bascule et que l’envers du décor rempli d’abîmes et de dangers disparaisse. » (Berthrand Nguyen Matoko face à la proposition d’un poste de prostitué, Le Flamant noir (2004), p. 117) ; « Je me rencontre – comme par exemple devant la glace le matin – et ce n’est pas les rencontres que je préfère. C’est pas toujours très marrant. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

La relation narcissique au miroir est synonyme de mort. Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau par exemple, on en trouve une belle illustration puisque les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort (Maria Casarès) va et vient sur Terre. Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand Bonello, en s’observant nu devant son miroir, y voit progressivement une tache inquiétante au dos. Une tache qui l’inquiète. La mort donnée par le miroir n’est pas aussi réelle que certaines personnes homosexuelles le croient : elle est d’abord symbolique et psychique, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas être imparfaitement réelle, et donc concrètement violente si dans leur quotidien les individus donnent davantage raison à la profondeur du miroir qu’à la profondeur de la vie réelle.

 

Par exemple, le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton se finit sur une image digne d’une glaçante actualisation du drame narcissique de Dorian Gray : juste avant de se rendre à la vente aux enchères de sa propre collection, Pierre Bergé contemple sa triste figure de requin matérialiste et égoïste qui a dédié sa vie aux objets et qui a perdu son âme humaine. Dans l’émission Danse avec les stars 6 du 28 novembre 2015, le chanteur Loïc Nottet avoue que, lorsqu’il était jeune et se regardait dans la glace, il s’imaginait non pas être face à lui-même mais face à un « double diabolique ».

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°126 – Moitié (sous-codes : Visage divisé / Rideau déchiré / Orange coupée / Siamois / Animal à deux têtes)

Moitié

Moitié

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

Pièce Wake Up (2014) de Patonov

Pièce Wake Up (2014) de Platonov


 

Si vous faites partie des gens qui ne comprennent pas pourquoi l’Église catho dit que les actes homosexuels sont « intrinsèquement désordonnés » et ne respectent pas l’unité de l’être humain, ou bien qui doutent que le désir homo est un élan qui divise la personne humaine plus qu’il ne l’unifie, voilà un code qui devrait vous éclairer !

 

Quand on aura compris que le désir homosexuel est un désir éclaté, écartelé/écartelant parce qu’éloigné du Réel par le sentiment et la haine de soi, qu’il est la marque d’une blessure, on aura touché au cœur du problème, et on reconnaîtra vraiment l’homosexualité telle qu’elle est : un désir humain non-essentiel.

 

Si j’avais une seule définition à donner au désir homo, je dirais qu’il est un élan sexuel qui divise plus qu’il n’unifie la personne qu’il habite (pour un temps plus ou moins long). Certes, la différence de sexes a déjà coupé l’Humanité en deux (Étymologiquement, le mot « sexualité » vient du verbe latin « secare », qui signifie « couper »). Mais c’est au cœur de l’individu que le désir homo divise. On pourrait dire que le désir homosexuel est un désir « plus que sexuel », supra-sexuel : il élargit encore plus la blessure existentielle béante de la sexualité humaine. Cette poussée désirante antagonique et extatique coupe une nouvelle fois symboliquement en deux la personne qu’il habite (on pourrait dire qu’elle la coupe en 4, comme les mythiques androgynes sont coupés en 4 !). La fantasmagorie homosexuelle nous donne maintes et maintes preuves en image de cette force fusionnelle de rupture qu’est le désir homosexuel, agissant inconsciemment en toute personne qui le ressent, lui donnant la sensation sentimentalo-narcissique de retrouver une unité amoureuse androgynique dans la dispersion : il n’y a qu’à regarder dans les œuvres homosexuelles toutes les mentions faites aux animaux à deux têtes, aux visages scindés en deux, aux jumeaux, à la cicatrice arborée par un mythique androgyne (figure de la sublimation/négation de la sexualité humaine incarnée).

 

Le désir homosexuel correspond bien à une blessure – ou plutôt une mauvaise gestion de sa coupure universelle de sexualité – car il est très souvent représenté par les auteurs homosexuels comme une entaille, une cicatrice, une balafre, une division : en plus de ce code sur la « Moitié », je vous renvoie surtout aux nombreuses occurrences faites au pirate Albator dans la fantasmagorie homo-érotiques, recensées dans le code « Désir désordonné » de ce Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Doubles schizophréniques », « Amant diabolique », « Jumeaux », « Trio », « Quatuor », « Fusion », « Homme invisible », « Miroir », « Désir désordonné », « Animaux empaillés », « Femme et homme en statues de cire », « Solitude », « Viol », « Clown blanc et masques », « Île », « Clonage », « Se prendre pour Dieu », et à la partie « Couteau » du code « Inversion », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 
 
 

1 – PETIT « CONDENSÉ »

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet (380 av. J.-C.) une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux. Rien d’étonnant que dans l’iconographie traditionnelle, il soit donc associé au diable – dans la Bible, le diable se prénomme parfois « le Double » ou « le Séparé » –, et représenté par un être asexué, mi-démoniaque mi-angélique.

 

En adoptant une conception fusionnelle et conflictuelle de l’amour, beaucoup de personnes homosexuelles se lancent à la recherche de leur moitié androgynique. Alfred Jarry, notamment, invente le concept d’« adolphisme » qui n’est pas la communion de deux êtres différents fusionnant en Un, pas même de deux jumeaux, mais l’union des deux moitiés d’un même Moi. À en croire la majorité des personnes transgenres, cette osmose serait concrètement possible grâce à la chirurgie. En recousant en elles leur moitié, elles se donnent l’illusion de résurrection et de divinité. « Je me suis relevée de la table d’opération tel Lazare sortant de la fosse » affirme par exemple Hedwig, l’homme transsexuel triomphant, dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell.

 

Elles se font parfois leur propre déclaration d’amour dans la glace. Mais celle-ci ne leur semble pas égoïste dans la mesure où, pour une part de leurs désirs intellectualisés, elles et leur reflet sont quand même deux. En général, l’amant homosexuel est vu comme le double dans les deux sens du terme : la duplication du même (exemple : un double de clé), ou bien la division du même (exemple : je vois double). Il se réduit donc à un clone entier mais aussi à une moitié androgynique. « J’avais oublié simplement que j’avais deux fois 18 ans » chante Dalida. Le désir homosexuel dit à la fois la duplication et la division. Inconsciemment, face à l’être aimé, beaucoup de personnes homosexuelles affirment qu’il y a deux fois elles-mêmes en lui, mais si rationnellement, elles voient bien qu’il y a lui tout seul et elles toutes seules.

 

MOIT

B.D. « Femme assise » de Copi

 

Le fantasme de viol ou le viol réel sont très souvent figurés dans les œuvres homosexuelles par l’image de l’androgyne coupé en deux, ou d’un même visage humain divisé symétriquement en son milieu. Les motifs du rideau déchiré, de l’orange coupée, de l’animal à plusieurs têtes, et surtout de l’Homme séparé en deux, symbolisent la division du Moi avec lui-même, ainsi que l’échec du désir androgynique qui n’arrive à faire que des clonages ratés dans la réalité concrète.

 

Ce désir de fusion-rupture pour recoller les morceaux avec soi n’est pas qu’une mise en scène de viol. Il peut en être la prémisse. Il existe un phénomène curieux et non automatique que nous pouvons constater à chaque fois qu’il y a en germe une situation de violence dans la réalité concrète : la fusion, même à l’état de fantasme, est parfois précédée d’un désir de rupture ou d’une rupture réelle, ou inversement, annonce une rupture ou un désir de rupture. Et cette fusion est d’autant plus violente que la force du mouvement de rupture qui la précédait a été forte ou désirée… comme pour un élastique. C’est le cas par exemple des hommes homosexuels avec le reste des membres du sexe masculin. Plus ils se seront coupés dans leur jeunesse (volontairement ou non) des garçons, et plus leur désir de fusion avec eux risque d’être brutal à l’âge adulte. Souvent, nous ne prenons pas soin d’analyser le désir homosexuel en relation avec une rupture ou la croyance infondée d’une rupture pensée comme définitive. Or, ce sont les personnes homosexuelles ou leurs personnages qui nous rappellent à l’ordre, comme Sonia dans le film « Oublier Chéyenne » (2004) de Valérie Minetto, en parlant de sa relation amoureuse avec Chéyenne : « C’est une fusion qui nous a séparées. »

 

Pour l’esprit qui sépare unité et rupture de manière aussi radicale, du fait que pour lui elles se confondent, les unités comme les ruptures partielles de l’existence humaine seront vécues comme des véritables mutilations, des séparations abruptes, des viols. C’est ce qui fait le drame de celui qui vit du rêve de l’androgyne : il craint que la recherche de son unité agisse comme une rupture totale avec lui-même ; et paradoxalement, il croit que la rupture totale avec lui-même va lui permettre de ne faire plus qu’Un. Le viol devient alors, dans son esprit, son unité. C’est ce qui fait dire à Neil, le héros homosexuel du film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, que le viol pédophile dont il a été victime dans sa jeunesse l’a rendu unique. En effet, en parlant de son violeur, il lui reconnaît la découverte de son unicité : « J’étais son seul amour, son seul trophée. J’étais unique. » Le viol a le pouvoir de donner à ses victimes une impression d’unité dans la réification et la contrefaçon d’amour, alors que pourtant, comme le montre la scène du viol pédophile de « La Mauvaise Éducation » (2003) de Pedro Almodóvar durant laquelle le visage d’Ignacio se scinde en deux à l’écran, il cultive en elles ce désir de l’androgyne, les brise en deux, et leur annonce que sans lui elles ne valent rien.

 

L’unité que le viol ou le désir de viol impose aux personnes homosexuelles est une unité des extrêmes, écartelante mais pas toujours désagréable. Le passage du fantasme à la réalité fantasmée à travers le viol peut donner une impression d’éclatement lumineux extatique, de diversité offerte par la fausse profondeur du miroir, comme l’exprime Pietro en s’adressant à son violeur dans le film « Théorème » (1968) de Pier Paolo Pasolini en ces termes : « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. En te parlant, je prends conscience de ma diversité. »

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

FICTION

a) Un élan de la division, impulsé par le désir homosexuel (ou hétérosexuel, ou bisexuel), est symbolisé par le motif de la moitié :

MOITIÉ 1 Mala Educacion

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

La moitié est un leitmotiv des œuvres homosexuelles : on la retrouve par exemple dans la pièce Les Babas cadres (2008) de Christian Dob, le film « La Face cachée de la lune » (2003) de Robert Lepage, le film « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, le film « Uncut » (1997) de John Greyson, la photo Masculin Féminin (1998) d’Orion Delain, le roman Middlesex (2002) de Jeffrey Eugénides, le tableau Moi et Je (2002) de Xavier Wei, le dessin Encre de Chine (2006) d’Olympe, les tableaux de Pierre-André Guérin, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès, le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi (avec l’unijambiste), le livre Le Cœur entre deux chaises (2012) de Frédéric Monceau, le film « Demi-Gods » (1974) de Wallace Potts, la pièce Un Rôle pour deux actrices et demie (2012) de Christine Berrou, le film « Separata » (2013) de Miguel Lafuente, la chanson « Les Uniques » de Nicolas Bacchus, le sketch du Testament de Muriel Robin (avec Jean-Denis, le frère coupé en deux), la chanson « Tu me divises en deux » de Marc Lavoine, la chanson « Half Ladies » de Christine & the Queens, la pièce Drôle de mariage pour tous (2019) de Henry Guybet (c.f. le tableau du visage coupé en deux accroché au mur du salon), etc.

 

Dans un premier temps, la mention de la moitié apparaît parfois anodine et anecdotique : « Tu garderais la moitié du Jésuite. » (la Princesse à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je suis le propriétaire de la moitié de la pyramide ! » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Je vous enverrai la moitié de ma paie de bibliothécaire ! » (le Rat à la Reine, pour sa propre libération, dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « La crise, ça veut dire qu’il faudra carrément se fendre à deux… de rire. » (Zize, le travesti M to F dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Je deviens sa demi-sœur. » (Jean-Charles/Jessica, le héros transsexuel M to F s’adressant à son meilleur ami hétéro Jean-Louis, dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; etc. Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Ronit, l’héroïne lesbienne, regarde à la télévision une émission de magie dont elle invente le titre : « Ça pourrait être ‘Comment scier une femme en deux ?’ » (p. 282) Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, le titre du chapitre 2 est « Un Héros coupé en deux ».

 

Bien souvent dans la logique du désir homosexuel, le double est pensé non pas en terme d’unité (ex : le double de clé, deux jumeaux similaires mais non semblables) mais de division (ex : la moitié d’un Tout, le clone humain, etc.). « J’avais l’impression que je luttais pour rien. Comme dans ces jeux vidéo, où lorsqu’on coupe un ennemi en deux, chaque moitié redevient un ennemi potentiel. » (Bryan en parlant de son « amour » pour Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 35) Dans les pièces de Copi (Les Quatre Jumelles, La Nuit de Madame Lucienne, etc.), un personnage né jumeau peut remplacer son frère, est envisagé comme un clone ou une simple moitié du même individu : « Les jeux ne sont pas tout à fait faits, chère petite sœur. C’est toi ou c’est moi ! Puisque nous sommes jumelles ! On a commencé à se battre à l’intérieur du ventre de notre mère. » (la Comédienne à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Après Victor, je suis devenue Mimi. Mi-homme, mi-femme. » (la narratrice transgenre F to M, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; etc.

 

MOITIÉ 2 Mujeres al borde de un ataque

Film « Mujeres Al Borde De Un Ataque De Nervios » de Pedro Almodovar


 

La présence de la moitié, loin d’être positive, indique souvent un viol ou un désir de viol chez le personnage homosexuel : « Michael et moi nous récupérons les petits corps : Pigg n’a plus de bras, à Moonie lui manque la moitié de la poitrine, Rooney a la figure déchiquetée, nous récupérons aussi la tête de la louve qui flotte près de la plage et ma jambe en métal qui est ramenée par la mer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 104) La moitié est signe de schizophrénie, voire de folie : « une vieille à moitié folle » (Robbie en parlant de sa mère, dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann) ; « Et toi, tu t’es remis ensemble ? » (David à Olivier dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « Je suis en train de me fissurer. » (Jarry dans son one-man-show Atypique, 2017) ; « Ça expliquera peut-être pourquoi je me sens double, pourquoi je dois sans cesse lutter entre deux mouvances. » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, Joyce, la lesbienne, soutient qu’elle « n’est pas malade » et qu’elle « veut juste un gosse »… mais on découvre qu’elle donne des croquettes à ses enfants, les fait coucher dans des litières, et dit d’un air très pince-sans-rire qu’« elle adore les enfants » et qu’elle « en a déjà mangés 4 ». Elle compte même couper en deux l’enfant que le couple Rodolphe/Claudio comptaient faire avec elle dans leur projet de coparentalité : « On fait 50/50 avec l’enfant? Je prends la tête et vous les jambes ? » Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel serial killer est souvent montré avec le visage coupé en deux.

 

En général, la division de soi n’est pas facile à vivre : « Je fais tout un peu, mais rien n’est comme je veux, me dissous un peu, me divise en deux, mais là… m’effondre, m’effondre. » (cf. la chanson « M’effondre » de Mylène Farmer) ; « L’enfant sent en lui qu’il est porteur d’une minuscule fissure. C’est une chance et une souffrance. » (Damien/Brigitte travesti M to F s’auto-décrivant, dans le pièce Brigitte, directeur d’agence (2013) de Virginie Lemoine) ; « C’est pas rentable, l’hémiplégie. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Je suis passé de l’autre côté du miroir. J’ai recollé mes morceaux. » (Mr Alvarez en travesti M to F, idem) ; « Moi, j’ai jamais réussi à être en entier à quelqu’un. » (Charlotte, l’héroïne lesbienne du film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane parle de son amour « amputé » pour (et à cause de) Vincent. Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie, le héros homo qui ne s’était jamais posé la question de remettre en cause son homosexualité, voit sa vie chamboulée par l’amour d’une femme : on le voit essayer de partager en deux une carcasse de poulet… comme pour illustrer le déchirement qu’est le désir bisexuel.

 

En plus de symboliser un rapport souffrant et désuni à l’Amour, le motif de la moitié illustre également un rapport blessé à sa propre identité. Une terreur d’être unique ou uniformisé (cf. le film « Uniformadas » (2010) d’Irene Zoe Alameda, la chanson « Les Uniques » de Nicolas Bacchus, etc.).

 

On assiste à un effondrement narcissique du « Moi » qui se perd en eaux profondes. Le héros a l’impression de ne pas exister, ou bien d’être une moitié d’Homme (ça s’appellerait, dans le langage courant, la « dépression ») : « Je ne suis pas complète et je ne le serai jamais… comprenez-vous ? Je ne suis pas complète… » (Stephen, l’héroïne lesbienne du le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 285) ; « Je ne suis pas unique. Ne dis jamais ça. » (Valentine s’adressant à Valentin dans la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev) ; « Pourquoi je ne suis pas fils unique, moi ? » (Jack, le frère homo de Daniel, dans le film « Madame Doubtfire » (1994) de Christ Columbus) ; « Jo est persuadé qu’il est unique. » (Matthieu, l’amant de Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Se sentir qu’une moitié de personne, c’est dur. » (Greta à son père qu’elle voit pour la première fois, dans le film « Órói », « Jitters » (2010) de Baldvin Zophoníasson) ; « Je suis une moitié de mime. Je suis entré dans la boîte en verre… mais je ne sais pas en sortir. » (Santiago dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; etc. Il rêve parfois de mourir. Par exemple, dans la pièce Parce qu’il n’avait plus de désir (2007) de Lévy Blancard, le personnage homosexuel est à la recherche d’« un monde où on peut disparaître à moitié ».

 

La coupure schizophrénique dépasse la simple dimension individuelle : elle est existentielle, universelle, internationale, planétaire : « Je suis né dans un pays occupé. Une nation coupée en deux, comme l’était la sienne autrefois. » (Théo, allemand, à propos de sa grand-mère qui a eu une liaison avec un Allemand, union dont il est issu, dans le roman, À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 178) ; « Lady Gaga a fait un grand écart facial sur la Grande Muraille de Chine. » (Graziella) (dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) ; etc.

 

MOITIÉ 4 Hedwig

Film « Hedwig And The Angry Inch » de John Cameron Mitchell


 

Paradoxalement, le viol, même s’il coupe sa victime en deux, lui donne une impression d’unité : « Je plongeai dans la rivière. Baissant l’échine, je remontai un champ de vigne voisin, quand je sentis la masse de l’homme, comme un carapaçon de laine, me plaquer au sol en plein soleil. La chaleur de sa poigne se propagea jusqu’à mon cœur, et figea ma volonté. Il murmura à mon oreille les mots étrangers du manque et du désir. Il me lécha la nuque et le cou. Il écarta mes fesses et y colla ses joues râpeuses pour m’enduire de salive, tout en caressant mes hanches. J’avais plus que la chair de poule, mon corps tremblait tout entier comme si je n’étais plus qu’un cœur énorme, badoum, badoum… […] Quelque chose se tordait et craquait en moi. » (la voix narrative dans la nouvelle « La Carapace » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 15) ; « Mon père m’avait prévenu : ‘Tu finiras coupé ! » (Lacenaire se réjouissant cyniquement/orgueilleusement d’être condamné à l’échafaud, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc.

 

Pour colmater efficacement la fêlure du viol, le personnage homosexuel a trouvé une super parade : il va mettre un masque qui s’appelle « l’homosexuel », et qu’il va exhiber fièrement. Le motif de la moitié renvoie parfois explicitement à l’homosexualité. « Sergueï est moitié moitié… » (cf. les propos tenus à propos d’un danseur de ballet, dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder) Dans le film « Les deux papas et la maman » (1995) de Jean-Marc Longval, quand Jérôme refuse de se poser la question de l’homosexualité pour lui-même, sa compagne Delphine lui dit : « Mais Jérôme, on a tous une face cachée… » L’inconscient collectif associe souvent l’homosexualité à une moitié, une ambivalence. « Vincent McDoom, il est métisse : moitié homme, moitié femme. » (Anthony Kavanagh dans son one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out, 2010)

 

La moitié dont parlent certains héros homosexuels, c’est précisément leur homosexualité qui revient au galop et prend le pas sur l’hétérosexualité. « Et puis un jour, l’autre moitié de moi s’est réveillée. On ne peut rien faire contre ça. » (Martin le héros homosexuel s’adressant à son ex-femme Christine par rapport à sa propre homosexualité, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche, épisode 8, « Une Famille pour Noël »)

 
 

b) Le visage du personnage homosexuel se scinde en son milieu :

Dans beaucoup de fictions traitant d’homosexualité, étonnamment, on voit beaucoup de scènes où le visage du héros homosexuel se coupe en deux : cf. la pièce Le Cri de l’Ôtruche (2007) de Claude Gisbert, le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano (avec la scène du visage coupé en deux par l’ascenseur), le roman Une Langouste pour deux (1978) de Copi, le roman Les Deux Visages de Janvier (1964) de Patricia Highsmith, le film « Two Gentlemen Sharing » (1969) de Ted Kotcheff, la pochette de l’album « Meds » (2006) du groupe Placebo, le site Internet officiel d’Indochine (cf. le site http://indo.fr, consulté en juin 2005, avec la statue coupée en deux), le concert de la tournée Mylenium Tour (1999) de Mylène Farmer (où la chanteuse sort du crâne d’Isis fendu en deux), le film « El Cielo Dividido » (2006) de Julián Hernández, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant (avec l’astrolabe cassé par Don Diego quand il avait 12 ans), l’affiche de la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, l’affiche du film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « Un Autre homme » (2008) de Lionel Baier (avec le motif de l’homme coupé en deux par les baguettes chinoises), le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, l’affiche du film « Glen Or Glenda ? » (1953) d’Ed Wood, la photo Couleur de peau (1977) d’Orion Delain, le roman Zéro Commentaire (2011) de Florence Hinckel (avec le visage coupé en deux de Medhi sur le dessin de couverture, réalisé par Laurence Ningre), le film « Broken » (2010) de Kent Thomas, le vidéo-clip de la chanson « Luca Era Gay » de Povia, le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec le visage coupé en deux de Aurora), la couverture de l’album « Mirror Mirror » du groupe Coop (avec les 4 visages coupés en 2 de Jamie McDermott), la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier, la pochette de l’album Changement de propriétaire du Beau Claude, la pièce Grosses Coupures (2014) d’Antoine Rabasco, la couverture du roman Chercher le garçon (2015) de Jérémy Lorca, etc.

 

On trouve de nombreux dessins ou peintures de Jean Cocteau, de Pierre-Ant, de Francis Bacon, du peintre Paul, de Frida Kahlo, de Salvador Dalí, avec des visages coupés en deux, l’homme séparé en deux dans les toiles, etc.

 

Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, un des personnages gays, Claude Bukowski, porte une fissure rouge maquillée sur la face. Lors du générique du film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, on voit des visages déchirés en deux, sous forme de « collages » photographiques. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav, l’un des héros homos, est obsédé par un « homme défiguré, avec une cicatrice » : « Il a la gueule coupée en deux, comme dans mon rêve. Mais il est quand même beau. » Dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel, se coupe le front en deux en tapant sa tête contre un punching-ball de fêtes foraines. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la narratrice transgenre F to M se met dans la peau de James, une femme qui s’est fait passée pour un homme toute sa vie, scieur de profession, et qui se prend « une poutre tombant sur son crâne » pour le fendre en deux. Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, alors qu’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M se rase la barbe (ou plutôt fait semblant de le faire), elle est surprise par l’arrivée d’Akram, la belle-mère de Rana, qui l’a vue dans la salle de bain, et elle se coupe au visage. Adineh sanglotte comme une enfant devant son miroir. Mais finalement, plus de peur que de mal : « J’aurais pu te taillader le visage ! » la prévient quand même Akram. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan, à l’âge de 9 ans, a eu le visage coupé en deux car il s’est fait éjecter de son auto tamponneuse après avoir été attaqué par une meute de voitures dans un parc d’attractions appelé Magic World. Sa maman raconte l’accident : « Et schlaaack ! La joue coupée en deux, sur la barrière de protection. »

 

Souvent, le personnage homosexuel se décrit comme un pirate avec une cicatrice comme Fatigay, ou un buste sculpté fissuré : « J’y prends le rasoir jetable de Marcel et dans le cagibi à bricolage, d’un coup de marteau le brise en miettes contondantes ; du plus gros bout de lame récupéré je me taillade le visage aussi profondément que je peux, ne m’épargnant pas lèvres et paupières, et retourne tout sanguinolent me coucher sur le ventre, la tête dans mon oreiller buvardant larmes et sang. » (Vincent Garbo dans le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta, p. 59) ; « la longue cicatrice toute droite sur la joue de Stephen » (Stephen, l’héroïne lesbienne du le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de Solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 388) ; « Marcel se décrivait comme étant beau, grand et découpé. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 19) ; « Ils m’ont laissé ma tronche pas finie. » (la psy en évoquant ses parents, dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « On m’a laissé la tête en souvenir, son crâne triangulaire est scié en deux, bien nettoyé dans un bocal d’alcool. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 60) ; « Dites, Linda, vous avez pas faim ? Ça vous dit la cervelle ? Un crâne ça s’ouvre ! » (Loretta Strong dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Il [Ninu-Nip] se coupa deux fois le menton. » (cf. la nouvelle « Quoi ? Zob, zut, love » (1983) de Copi, p. 7) ; « Combien de fois je t’ai dit de te protéger le visage ? » (le mac s’adressant à l’amant de Davide, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso) ; « Il leva brusquement son bras avec l’intention de se taillader le visage en diagonale d’une joue à l’autre, car il lui apparut comment vraiment sensé de défigurer ce qui était déjà défiguré à l’intérieur. Une balafre ? Non, faisons-en deux ! » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, ne supportant pas son élan physique envers le jeune David, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 178) ; etc.

 

Cet homme à la tête coupée en deux, c’est l’allégorie du viol. « Et regardez ce que vous nous avez fait de notre cara diva ! Je vais me voir forcé de lui rouvrir le crâne pour récupérer le cerveau ! » (le professeur Verdureau en parlant de la cantatrice Regina Morti dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « J’ai trouvé une photo du président avec la petite fille (seulement la moitié de la tête de la petite fille rentre dans la photo) riant et regardant l’objectif. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 35) ; « Une moitié de son visage disparaissait dans une mare de sang. » (Laura décrivant son amante Sylvia, dans le roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 198) ; « Tu m’as coupé, sale pute ! » (Steve, le héros homosexuel, s’adressant à sa mère incestueuse Diane, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, suite au viol pédophile qu’il a subi près du fleuve, on entend le jeune Ignacio dire, pendant que son visage se sépare à l’écran : « Un mince filet de sang divisait mon front en deux. J’eus le pressentiment que ma vie serait à cette image : toujours divisée, sans que je ne puisse rien y faire. » Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, au village de Jonathan, un gars homosexuel efféminé a été tabassé par des « casseurs de pédés » dont Jonathan faisait lui-même partie, avant de se dire également homosexuel ! Depuis ce viol, Jonathan dit qu’il est hanté à jamais par l’image de cet « homme balafré » qu’il croise dans la rue. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1985) de Copi, Vicky Fantomas est une femme avec une cicatrice sur la joue gauche, avec une attelle à la jambe ; elle a été victime d’un attentat au drugstore et peut-être qu’elle-même portait la bombe. Dans le film « Cours privé » (1986) de Pierre Granier-Deferre, Jeanne Kern, une femme au visage coupé sur une photo figure dans une partouze avec de très jeunes gens. Dans sa pièce Des Lear (2009), Vincent Nadal, en répétant le mot « bâtard », coupe son corps et son visage en deux avec sa main : « Bâtard. Pourquoi nous marquer de ce mot ? » Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, c’est au moment où les deux amants homosexuels prononcent la phrase « C’est meilleur que l’été indien » qu’ils se coupent manuellement le visage en deux (je vous renvoie au code « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée d’un bois » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Dans le film « Adèle Blanc Sec » (2010) de Luc Besson, suite à un match de tennis entre l’héroïne et sa sœur jumelle avec qui elle maintient une relation fusionnelle androgynique (incestueuse ? elle est décrite comme « l’amie, l’ange »), finit paralysée à cause d’une broche venue se planter au milieu de son front, laissant couler un filet de sens qui lui coupe le visage en deux. Au début du film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, un homme suicidé est « coupé par le milieu » sur la voie du métro ; et on voit plus tard Ángela et Chema regarder des films d’horreur, dont « Sangre Fresca », dans lequel on voit un homme se faire ouvre le cerveau à la lame de rasoir. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, Mamie Suzanne raconte qu’elle a fait tomber son petit fils homosexuel lors d’une fête de famille, et qu’il s’est ouvert le menton.

 

Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, les deux héroïnes principales, à savoir Jane (lesbienne en couple avec Petra) et la jeune Anna (13 ans, abusée par son père et violée par les hommes), ont la même éraflure sur le visage, à cause d’un lanceur de pierres qui a sévi autour de leur immeuble : « joue éraflée » (p. 33) ; « Jane se sentit un peu dépassée. Il était possible que la fille et elle aient été victimes du même lanceur de pierres. » (p. 44) ; « Jane songea une nouvelle fois à Anna, à l’ecchymose au-dessus de son œil qui reflétait presque la sienne. » (p. 54) ; « Vous avez une coupure sur le visage. » (un flic s’adressant à Jane, idem, p. 147) ; etc. Leur viol ou leur fantasme de viol fait l’unité entre les deux femmes coupées au visage.
 

Dans le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar, une femme à qui le mari vient gentiment apporter le café au lit, se fait ébouillanter la moitié du visage (on entend d’ailleurs la fameuse réplique « Nunca olvidaré esa taza de café » ; traduction : « Je n’oublierai jamais cette tasse de café. ») ; « Je me suis réveillé par un cri d’horreur. La fille de la patronne laisse tomber le plateau du petit déjeuner sur moi, le café me brûle le visage, je bondis dans mon lit. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 105) ; « À deux ans ma sœur m’a ébouillanté le visage. » (Joséphine en parlant de sa sœur jumelle Fougère dans la pièce Les Quatre Jumelles(1973) de Copi) ; « Une soupière pleine de pot-au-feu inonda Silvano et lui brûla le visage. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 16) ; « Silvano fut couvert de café qui lui brûla le visage, dégoulinant sur les moustaches et les poils de la poitrine. » (idem, p. 45) ; etc.

 

Un objet – spéculaire, double, et coupant, comme par hasard… – symbolise à lui seul le viol et la moitié : c’est le couteau. Le motif du couteau-miroir revient très fréquemment dans les fictions homosexuelles : « Je vais chercher un couteau de cuisine et je vais t’ouvrir en deux comme une grosse dinde. » (Claudia à Elsa, les deux servantes de la pièce Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; « C’est une année à double tranchants. » (Ana, née la même année qu’Hitler, dans la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa) ; « Il se trouvait un couteau à pain sur le bar. Maria-José se concentra dans le désir de le voir s’enfoncer dans le cœur de Louis du Corbeau […]. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 38) Par exemple, le titre original de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi était Le Couteau du Rosbif. Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, quand Emory dit que ses lèvres lui font mal, Michael lui répond : « Si on met un couteau sous le lit, on n’a plus mal, me paraît-il. » Harold rajoute « Et si on en met un sous la gorge, ça coupe. ».

 

MOITIÉ 5 clown

Federico Fellini


 

Le visage séparé n’est pas toujours le symbole d’un viol véritable. Parfois, il s’agit juste chez le protagoniste homosexuel d’une impression de viol parce qu’il ne s’accepte pas en tant qu’être humain unique, parce qu’il refuse la naturelle différence des sexes, parce qu’il a peur de ne pas être aimé ou d’être mal aimé, parce qu’il découvre un désir homosexuel divisant : « Quel malheur, quel coup de hache dans ma vie qui était déjà en morceaux ! » (Albert en parlant de sa passion homosexuelle, dans le paragraphe final du chapitre 8 du roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier) ; « C’est très Genre, tes fesses. » (la narratrice transgenre F to M dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems) ; « Que laisserons-nous de nous, moitié-anges moitié-loups, quand nos corps seront dissous dans la langueur monotone du premier frisson d’automne ? » (le narrateur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, avec plein de visages coupés en deux à l’écran) ; « Dès demain, je vais voir l’infirmière. Tu t’es fait un traumatisme crânien, c’est pas possible autrement. » (Amy s’adressant à sa meilleure amie Karma qui veut jouer la lesbienne avec elle, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « J’ai grondé. Je me suis fendu. » (le fiancé de Gatal, dans son monologue final où il se prend pour Dieu, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; etc. Dans le film « Alice In Andrew’s Land » (2011) de Lauren Mackenzie, le visage d’Alice, l’héroïne lesbienne qui s’habille comme un garçon, apparaît coupé en deux par les portes de l’ascenseur se refermant sur elle.

 

La moitié indique la présence d’un désir sombre, noir, diabolique : « Elle [Esti] a reculé d’un pas. La moitié de son visage a disparu dans l’ombre. Autour de nous, les arbres bruissaient et bourdonnaient. » (Ronit, l’héroïne lesbienne, parlant de son amante Esti, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman p. 143) ; « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire, le monstre à deux têtes. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Lorsqu’on jette une lumière crue sur la partie du visage demeurée dans l’ombre, peut-il apparaître une difformité inquiétante ? » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 123) ; « Un ange à deux têtes, assis sur l’arbre dénudé, ricanait à mes dépens. » (la voix narrative dans le roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 68) ; « J’avais toujours peur que les deux bouts de sa silhouette ne se détachent l’un de l’autre ! » (la voix narrative parlant de sa sœur Zohr, idem, p. 29) ; « La supérieure avait un peu de trouble dans le regard et sur son visage ; mais toute sa personne était si rarement ensemble ! » (Denis Diderot, La Religieuse (1760), cité dans l’essai L’Homosexualité de Platon à Foucault (2005) de Daniel Borillo et Dominique Colas, p. 191) ; « Je n’ai pas votre capacité à être double. » (Don Pedro à son père le Roi Ferrante, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Quand j’aurai cassé l’œuf en deux et que j’aurai gobé le jaune, il restera… le Roi Lear. » (le narrateur de la pièce Des Lear (2009) de Vincent Nadal) ; « Il pourrait bien avoir deux têtes, Petra et moi, on l’aimera quand même. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte parlant de leur bébé, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 114) ; etc.

 

Dans la pièce de Gérald Garutti Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007), le diable est montré comme un homme coupé en deux. Dans le film « Mon Führer : La vraie histoire d’Adolf Hitler » (2007) de Dani Levy, Hitler se fait accidentellement couper une moitié de moustache. Dans le roman Le Musée des Amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, le visage à moitié caché du Maître de la secte La Guilde contribue à renforcer son action diabolique, androgynique, invisible : « Alors que le discours de Fabien se terminait, juste avant les applaudissements, deux spectateurs ont quitté la salle. […] La femme est coiffée d’un large chapeau, l’homme porte un costume noir et tous les deux arborent des lunettes de soleil. » (p. 331) Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, c’est précisément quand les personnages sont diabolisés et homosexualisés qu’ils se coupent le visage : « À mesure qu’elle s’approchait, ses traits se précisaient. Elle avait les yeux d’un bleu surnaturel. Des pommettes hautes et saillantes. Des lèvres fines couleur carmin. De loin, on aurait dit une coupure saignante. » (Jason, le héros homo décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, p. 56) ; « Hugues n’était vraiment pas mal, dans le genre austère. Mourad [l’un des deux héros homos] lui trouvait un petit quelque chose de Corto Maltese. Le côté baroudeur, pirate des mers du Sud. Il avait sûrement une belle cicatrice de guerrier quelque part. » (idem, p. 82) À la fin du roman, Mourad se coupe (accidentellement ?) le visage en se rasant (p. 205).

 
 

c) Le rideau déchiré :

MOITIÉ 14 Rideau déchiré Esos Dos

Film « Esos Dos » de Javier de la Torre


 

On retrouve le motif du rideau déchiré dans différentes créations homosexuelles : cf. le film « Cléopâtre » (1963) de Joseph Mankiewicz, le film « Tom Curtain » (« Le Rideau déchiré », 1966) d’Alfred Hitchcock, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala (avec la robe déchirée de Maxime), le film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, le roman La Peau des Zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, etc. Par exemple, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, le comédien coupe en deux la scène en tirant le rideau à la moitié du plateau. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, la moitié du visage de Marie, l’héroïne lesbienne, est coupé par le rideau de douche. « Simon a fermé les rideaux, parce que le soleil qui éclaboussait l’appartement le minait. Il est allé chercher un rasoir, et il a lacéré les rideaux. » (Mike Nietomertz dans son roman Des chiens (2011), pp. 109-110) ; etc.

 

Très souvent, le personnage homosexuel ne se prend pas tant pour un être humain que pour un drap déchiré, une image incomplète, ou une sculpture fissurée en deux : « Je suis déchiré. » (Malcolm, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 121) ; « T’es déchirée ? Déjà ? » (Bernard le héros homo s’adressant au trans M to F « Géraldine » comme s’il était bourré, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Tu vas craquer. Tu es déjà plein de fissures. » (Georges à Zaza, dans la pièce La Cage aux Folles (1973) de Jean Poiret, version 2009 avec Christian Clavier et Didier Bourdon) ; « Il y en a un [loup] qui m’a arraché la moitié de la manche ! » (Garbenko dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971) de Copi) ; « En se levant, Angela avait déchiré sa robe, ce qui sembla la désoler : elle palpa la déchirure. » (Angela, le personnage lesbien du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 181) ; « Muriel Gold, nue sous la douche, était à moitié cachée par le rideau qu’elle tenait délicatement de la main droite. » (Michel Tremblay, Le Cœur éclaté (1989), p. 215) ; « En rentrant, j’ai bouffé mes doubles rideaux. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « Le jour où tu m’as regardé, c’est comme un rideau qui s’est déchiré. » (Le désaxé homosexuel déclarant sa flamme à Daniel, dans le film « Persécution » (2008) de Patrice Chéreau) ; etc.

 

Le rideau déchiré symbolise le viol : « Le chauffeur de taxi […] Il râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 44) La séparation de ce tissu prend l’apparence d’une ouverture, d’une fusion, mais c’est une illusion poétique. « Le nuit le rideau se déchire […] arrachons rideaux et voiles pour joindre nos corps ! » (la voix narrative du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 14) ; « L’appartement dit d’où je viens, et les rideaux ouverts, où je vais… » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier). En réalité, il dit une perte d’identité et d’amour : « Jusque-là, l’amour que j’éprouvais n’avait cessé de claquer au vent comme une voile déchirée. » (Laura, l’héroïne lesbienne du roman Deux Femmes (1975) de Harry Muslisch, p. 19)

 
 

d) L’orange coupée en deux :

Parallèlement au symbole du rideau déchiré, on rencontre dans les fictions homosexuelles un autre motif de division : le fruit coupé en deux : cf. le film « Giorni » (« Un Jour comme un autre », 2001) de Laura Muscardin, le poème « Muerte De Antoñito El Camborio » (1928) de Federico García Lorca (avec les citrons coupés jetés à la rivière), le roman Ma Moitié d’orange (1973) de Jean-Louis Bory, le roman Oranges Are Not The Only Fruit (1985) de Jeannette Winterson, le film « Mi-fugue mi-raisin » (1994) de Fernando Colomo, la chanson « Aime » de Lara Fabian (avec la moitié d’orange), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec les tomates coupées en deux sur la planche de travail de la cuisine), la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi (avec le melon tranché), le film « Les Lauriers sont coupés » (1961) de José Ferrer (traitant de travestissement), le film « Navidad » (2009) de Sebastian Lelio (avec les oranges dorées), etc.

 

« Cette rondelle orange, fruit-soleil fendu sur le verre » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 20) ; « Est-ce que vous prendrez une rondelle d’orange confite dans votre vino bianco, cher Bottecelli ? » (Hubert, le héros homo, à Jean-Marc le journaliste, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « J’ai aussi deux tranches de saumon et la moitié d’un citron. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 135) ; « Moi, les fruits, je les coupe en deux. » (Claude dans le one-man-show Jérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur)

 

Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, quand Benoît, le personnage homosexuel, définit l’homosexualité de son ancien camarade de classe Fifou, qu’il soupçonne d’être homo, il le coupe précisément en deux, comme un fruit) : « Il était mi-figue mi-raisin. » Parfois, l’homosexualité est, à travers le fruit coupé, présentée comme une superficialité, un stade narcissique souffrant, une séduction : « Les deux frères se ressemblaient comme une pomme coupée. » (la pièce Arlecchino, Il Servitore Di Due Padroni, Arlequin, valet de deux maîtres (1753) de Goldoni) ; « Sur le fruit coupé en deux, dur miroir » (cf. la chanson « Liberté » du groupe Cassandre, basée sur le poème de Paul Éluard) ; « Nous sommes l’androgyne tranché en deux. Je suis comme le fruit dont on a arraché la moitié et qui saigne. » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Comme vous êtes sympas, je vais couper la poire en deux. » (Philippe Mistral dans son one-man-show Changez d’air, 2011)

 
 

e) L’Homme siamois ou l’animal à deux têtes :

Autre symbole de division illustrant l’action dispersante du désir homosexuel : l’homme à deux têtes. On le retrouve dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet (avec Muriel et Magdalena, les deux vieilles qui se déplacent comme deux sœurs siamoises, de manière très mécanique), le concert des Enfoirés 2008 (« Medley Le Secret des Chiffres », avec Pierre Palmade et Jean-Jacques Goldman déguisés en frères siamois), la pochette du disque de la chanson « Quel souci La Boétie ! » de Claudia Phillips (avec la chanteuse aux seins figurant deux têtes), la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti (avec l’infirmière à deux têtes), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger (avec les personnages à deux têtes de la Cour des miracles interlope), la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec la mention d’un être mi-homme, mi-femme… en gros, du troisième sexe), le tableau Anthropométrie de l’époque bleue (1960) d’Yves Klein (avec les êtres siamois), la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (avec les demi-frères), le one-(wo)man-show Madame H. raconte la saga des Transpédégouines (2007) de Madame H. (avec l’enfant bicéphale), la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti (avec les frères jumeaux siamois), la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès (avec l’« Italien bicéphale »), le film « La Femme aux deux visages » (1941) de George Cukor, le concert Le Cirque des Mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec l’homme coupé en deux), le film « Autoportrait aux trois filles » (2009) de Nicolas Pleskof, la nouvelle« Kleptophile » (2010) d’Essobal Lenoir (avec le vigile du grand magasin, comparé à un cerbère à trois têtes), le film « L’Homme aux cent visages » (1959) de Dino Risi, le film « Between Two Women » (2000) de Steven Woodcock, la photo de Patrick Sarfati (p. 195) dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, le dessin de saint Sébastien (2001) de Thom Seck, la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou (avec Jean-Claude Collé, l’homme à deux têtes… ou les deux frères siamois ?), le film « Twee Vrouwen » (« Deux fois femme », 1985) de George Sluizer, le film « Abre Los Ojos » (« Ouvre les yeux », 2002) d’Alejandro Amenábar (avec l’homme aux deux visages), l’enfant à deux têtes balzacien (cf. le site http://www.histoires-litteraires.org, consulté en juin 2005), la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman (avec, en décor, la chemise à deux têtes conçue avec un seul buste), le film « Un Pyjama pour deux » (1962) de Delbert Mann, etc. Dans le film « The Lady Vanishes » (« Une Femme disparaît », 1937) d’Alfred Hitchcock, Caldicott et Charters partagent un même pyjama.

 

Nombreux sont les personnages homosexuels affichant leur bilatéralité androgynique (l’androgyne est coupé en deux, voire en quatre) : « J’ai laissé mon double se détacher de moi. » (Robert dans la pièce Doubles (2007) de Christophe et Stéphane Botti) ; « On a pensé à se suicider… mais comme on avait qu’une corde pour deux… » (Stéphane dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Privée de joujou à double têtes pendant 6 mois ! » (Sharon à sa compagne France, dans la pièce Jupe obligatoire (2008) de Nathalie Vierne) ; « Merde… Si ça se trouve, je suis bipolaire ! » (Louis, le héros homosexuel, dans la pièce Dépression très nerveuse(2008) d’Augustin d’Ollone) ; « J’ai huit doigts et deux têtes. » (Marthe, l’héroïne lesbienne, dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1961) de William Wyler) ; « Je me suis plié en deux… pour ne pas dire en quatre. » (François, le héros homosexuel du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « L’été, on le passait avec les touristes. […] Les autres [hommes] nous suivaient dans les dunes, les fourrés, succombaient à nos baisers de pieuvres à quatre jambes, sœurs siamoises à deux sexes. » (Cécile en parlant de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 48) ; « J’ai passé mon temps à vous séparer et à recoller les morceaux ! » (Jasmine aux deux demi-frères Djalil et François, dans la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti) ; « Parmi les affaires de Kévin, il y avait plusieurs tableaux. L’un d’entre eux représentait deux visages de profil, superposés, avec un seul œil en commun. » (Alexis Hayden et Angel of Ys, Si tu avais été… (2009), p. 13) ; etc. Par exemple, dans le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues), l’opération du changement de sexe nous est présentée comme le simple pliage d’un papier par le docteur Francisco. Le film « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung raconte l’origine de l’Homme en tant qu’organisme ayant deux séries de bras et de jambes ainsi que deux visages sortant d’une grosse tête.

 

Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, l’amant homosexuel, Georges, est à la fois invisible (il est toujours absent) et bipartite : « Finalement, elle a trois jambes, cette fiancée ? » (Adèle s’adressant à son frère homo William en feignant d’ignorer le sexe de son amant Georges) William finit par le confondre avec un pyjama à « deux pattes et deux manches en chiffon ». Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, un des tableaux de Ben, le héros homo, représente un homme à deux têtes (siamois, donc) tenant sur ses genoux un bébé.

 

Cet être double décrit dans les fictions homo-érotiques est en général le représentant de diabolos, l’esprit double qui divise : « Gerry ressemblait aux jumeaux d’‘Alice in Wonderland’ de Walt Disney, Tweedledee et Tweedledum. » (Jean-Marc en parlant d’un ami homosexuel, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 169) Dans le roman L’Hystéricon (2010), le duo de gossip girls Karen/Amande est surnommé « les siamoises » (p. 31). C’est le cas d’autres duos de langues de vipère de ce même ouvrage : « Quand je leur jetais de nouveau un regard, elles [Varia et sa copine] s’étaient transformées en monstre à deux têtes et ricanaient de plus belle, en renversant à tour de rôle leurs chevelures blonde et brune. » (Jason, le personnage homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, idem, pp. 59-60) Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, le duo impitoyable formé par le chef d’entreprise Mérovinge et sa masculine assistante Nathalie Stevenson (une femme blonde, grande et mince, portant un smoking noir Yves Saint-Laurent et une balafre) glace le sang… : « Nathalie pense comme moi. Tu sais qu’elle ne se trompe jamais, il lui suffit de voir une personne quelques minutes… Même si elle juge un peu à la cravache. » (Mérovinge, p. 214) ; « Leur obscure et défunte relation le hantait toujours. Il désirait lui plaire encore, non pour la conquérir, mais par désir enfantin de ne pas décevoir cette ancienne et violente maîtresse. » (idem, p. 215) ; « Antoine s’attarda sur la fraîche balafre qui barrait la joue de Nathalie Stevenson. » (idem, p. 240) ; « la balafrée de luxe » (idem, p. 244) Dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi, Ahmed est pris par les deux travelos Fifi et Mimi pour le (ou les !) fantôme(s) du Vicomte : « C’est deux personnes ! » soutient le premier ; « C’est une seule ! » embraye le second. Dans la mise en scène d’Érika Guillouzouic (2010) de la pièce Le Frigo (1983) de Copi, le protagoniste homosexuel/transsexuel est coupé et maquillé en eux : une moitié figurant le fils, une autre sa mère… et tour à tour, l’un des personnages prend le dessus sur l’autre, dans une débauche verbale d’une grande violente.

 

MOITIÉ 6 Aigle

Film « L’Aigle à deux têtes » de Jean Cocteau


 

En lien avec le code de l’Homme à plusieurs visages, on voit très fréquemment surgir dans la fantasmagorie homosexuelle les animaux à deux têtes : cf. la pièce L’Aigle à deux têtes (1946) de Jean Cocteau, le Musée d’Histoire Naturelle du film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec des images d’animaux à deux têtes ou biscornus au tout début du film), le film « La Chatte à deux têtes » (2001) de Jacques Nolot, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon (avec Dimitri et ses deux « inséparables »), le roman La Bête à trois têtes (1999) de Boniblues, le roman Une Langouste pour deux (1978) de Copi, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) d’Haim Tabakman (avec le poulet coupé en deux), la comédie musicale Toutes les chansons ont une histoire (2010) de Frédéric Zeitoun (avec les deux mainates), le film « I Love You Phillip Morris » (2009) de Glenne Ficarra et John Requa (avec les deux chiens identiques baladés en laisse), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (avec Chanel et Saucisse, les deux teckels du coiffeur gay) ; etc. « Coupé en deux, le chiwawa ! » (César le héros hétéro, en parlant d’un ami qui a tué sa chienne, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « Tous les garçons et les filles étaient des aigles à deux têtes. » (cf. la chanson « Flower Power » de Nathalie Cardone) ; « Ils aiment beaucoup aussi un jeu très singulier qui consiste à courir à toute allure dans la ligne de démarcation entre la mer et le sable. […] parfois deux ensemble (les chiens), parfois seuls. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 13) ; « Le boa a la tête coupée » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 59) ; « Mais je ne veux pas manger un poulet entier ! Une moitié me suffira. » (Regina Morti dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Ah, non ! Nous n’aurons qu’un rat à nous deux ! » (le Jésuite dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, Jean donne une moitié de couille de boa constrictor à Micheline (on ne sait pas trop, d’ailleurs, de quelle couille il parle…) : « Tiens, la moitié de la mienne. C’est exquis ! »

 

MOITIÉ 12 Kang

B.D. « Kang » de Copi


 

L’animal coupé peut renvoyer au viol ou au fantasme de viol (division identitaire avec soi-même). « Le personnage de Carlos Sanchez en avait marre de rester dans le buisson à espionner Lola. Et il décide de la violer à l’intérieur de son camion, sur une moitié de vache, étalée par terre, comme lit. Lola Sola se débat. Mais on comprend tout de suite qu’elle aime ça. Qu’elle aime un homme puissant. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 253) Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, face à ses problèmes d’identité et de dépression, va consulter un psychiatre qui lui montre des dessins que lui identifie comme « deux rats qui se mangent » avant de se résigner à y reconnaître un papillon.

 
 

f) Une vision androgynique de l’amour :

MOITIÉ 7 Carlos de Lazerne

Roman « La Veuve de minuit » de Carlos de Lazerne


 

En général, l’amour homosexuel – et c’est très clairement illustré dans les fictions – se caractérise par une recherche de fusion-rupture avec un semblable sexué androgynique, coupé en deux ou portant une curieuse cicatrice : cf. le recueil de poésies Androgyne, mon amour (1977) de Tennessee Williams, le film « 2 × Adam, 1 × Eva » (1959) d’Herbert Jarczyk, le film « The Sum Of Us » (1994) de Kevin Dowling et Geoff Burton, etc. « la fêlure qui te défigure » (cf. la voix narrative s’adressant à l’amant, dans la chanson « Un Merveilleux Été » d’Étienne Daho) ; « Un pare-brise de Twingo ? Fendu en deux, en plus… C’est gentil, je suis pas intéressé. » (le héros homo, réincarné en vitre, et accosté par une autre vitre, dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; etc. Le personnage homosexuel se voue à un dieu divisé en deux qu’il appelle « Amour » ou « Couple » : « Vous êtes presque des demi-dieux… Rien n’est vraiment impossible aux créatures de votre espèce. Vous avez lu Platon. Alors à deux, tout est possible. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 155) ; « C’est un fruit sucré que l’univers et la terre ensemencent, un cadeau divin qui t’est offert. Si tu crois à cette chance, la vie s’arrange pour nous donner l’autre moitié d’orange. » (cf. la chanson « Aime » de Lara Fabian) ; « Nous sommes tous nés d’un amour amputé. » (François, le héros homosexuel du one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Avez-vous déjà remarqué que lorsque deux visages s’embrassent, ça forme un cœur ? » (Matthieu le héros homo dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Il me reste une moitié de cœur. Allez, viens la partager ! » (Jonathan s’adressant à son amant Matthieu, idem) ; « Tu es l’autre partie de moi. Grâce à toi, je suis entière. » (Peyton, l’héroïne lesbienne parlant à son amante Elena dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Vianney part très vite. Je sens à nouveau le souffle de son corps, chaud cette fois, qui s’éloigne de moi et qui, en s’arrachant à moi, m’enlève une partie de moi-même que je viens à peine de retrouver et dont je dois déjà me détacher. » (Mike racontant son aventure d’un soir avec un certain Vianney qu’il accueille chez lui alors qu’il a les yeux bandés, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 86) ; « C’est comme un morceau de ma chair qu’on vient de sectionner. » (l’amante face à la rupture avec Éléonore dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « À ce moment, elle ne connaissait rien d’autre que la beauté et Collins, et les deux ne faisaient qu’un seul être, qui étaient Stephen. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 26) ; etc.

 

Les œuvres artistiques telles que le film « The Man Who Fell To Earth » (« L’Homme qui venait d’ailleurs », 1976) de Nicolas Roeg, le roman Ma Moitié d’orange (1973) de Jean-Louis Bory, le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Nous étions un seul homme » (1978) de Philippe Vallois, le roman L’Autre moitié de l’homme (1975) de Joanna Russ, le film « El Cielo Dividido » (2006) de Julián Hernández, ou le film « La Mala Educación » (« La Mauvaise Éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, revisitent le mythe de l’androgyne. L’amant homosexuel est considéré comme le morceau de puzzle manquant à l’identité profonde de l’être et à la réalisation de l’amour plénier : « Je crois que je l’ai trouvé. Celui qui va tout réparer. » (Charlie en parlant de l’homme qu’il aime, dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear) ; « Il faut que je retrouve mon autre moitié. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra parle toujours de sa « fente »; et elle cherche à diviser ses amantes : « Je compris que, sur ce plan-là, tout était maintenant changé. Comme si une digue s’était rompue en elle. » (p. 186)

 

Très souvent, le personnage homosexuel adopte un vision fusionnelle/désunie de l’amour femme-homme, et donc du couple homme-homme ou femme-femme. Il vit dans l’utopie de la complétude amoureuse parfaite avec un autre lui-même, une symbiose sans Désir mais débordante de sentiments narcissiques immatures. « Vous êtes ma juste moitié d’un Tout indissociable. » (Janine à Simone, dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; « Aimer… C’est quand tu fais partie de moi. Si tu n’es plus là, tu me manques. Je ne suis plus que la moitié de moi-même. » (Bryan à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 328) ; « Il me faudrait là ta main pour étreindre une à une mes peurs de n’être plus qu’une. » (cf. la chanson « Pas le temps de vivre » de Mylène Farmer) ; « Tu as lu le Symposium de Platon ? Je pense que l’amour, c’est la recherche de sa moitié. » (Leo à son amant Ryan, dans le film « Drift » (2000) de Quentin Lee) ; « Il fallait que je sache que nous étions deux pour prendre une consistance. Seule, je n’existe pas. Je ne sais pas être le singulier de notre pluriel d’avant. » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 64) ; « Côte à côte, comme des mailles au lit. » (Arnaud à son amant Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes…(2009) d’Alberto Lombardo) ; « Nous avons attaché le président au pape avec une corde. Ils ont l’air de deux saucissons ficelés ensemble. » (la voix narrative dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 59) ; « C’est comme un morceau de ma chaire qu’on vient de sectionner. » (l’amante face à la rupture avec Éléonore, dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Redonne-moi l’autre bout de moi, tout ce qui fait qu’on est Roi. » (cf. la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer) ; « Quand je suis seul, je ne suis plus rien. Je ne supporte pas la solitude. » (Paul Verlaine dans le film « Rimbaud Verlaine » (1995) d’Agnieszka Holland) ; « J’ai dans le cœur comme un poids de n’avoir fait le choix, Lui ou toi. Mes deux moitiés d’homme, sans eux je n’suis rien. » (cf. la chanson « Lui ou toi » d’Alizée) ; etc.

 

Dans le Musée des Amours lointaines du roman éponyme (2008) de Jean-Philippe Vest, les billets sont toujours vendus par paires, même quand le visiteur vient seul. D’ailleurs les personnages amoureux se regardent parfois comme des hermaphrodites (habituellement représentés endormis dans l’iconographie traditionnelle), comme des objets : « Il [Ethan] ne sait pas depuis combien de temps il regarde Hillary dormir. Les draps blancs ne recouvrent que la moitié de son corps. Le reste, Ethan le caresse doucement, du bout des doigts, comme une œuvre d’art trop fragile. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 13) Dans le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille » (2009) d’Ella Lemhagen, Patrik pense au départ que ses deux « pères » adoptifs, Sven et Göran, sont des « demi-frères ».

 

Le désir homosexuel signale la présence d’une déchirure. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, c’est précisément quand Esti, l’héroïne lesbienne, ressent un émoi sensuel pour une jeune prof d’histoire, mademoiselle Schnitzler, qu’en l’aidant à accrocher un poster au mur, le poster se scinde en deux : « Celui-ci se déchira en son milieu. ». Elles réparent leur maladresse avec du scotch : « Esti considéra le résultat final. La déchirure était à peine visible ; elle ne la voyait que parce qu’elle savait où elle était. » (pp. 80-81) Toujours dans ce même roman, c’est quand Dovid, le mari d’Esti, la découvre accidentellement au lit avec une femme, qu’il la voit en double : « En regardant Esti, il ne voyait pas une Esti, mais deux. » (p. 240)

 

Le fantasme amoureux de l’androgyne touche socialement beaucoup de couples fictionnels vivant sans amour mais pourtant dans l’utopie de la fusion androgynique appelée cinématographiquement « amour » ou « coup de foudre », qu’ils soient hétéros ou homos peu importe. « Demain, j’épouse une femme que je n’aime pas. Et je perds à jamais une moitié de moi. » (cf. la chanson « Je l’ai pas choisi » d’Halim Corto)

 

Cette conception égocentrique et fausse de l’Amour ne laisse pas, en général, les amants homosexuels fictionnels dans la paix (car qu’est-ce que l’Amour véritable si ce n’est Celui qui nous apprend que nous sommes uniques ?) : « Allez grouille, avant que la foudre nous coupe en deux ! » (Venceslao à son cheval dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) Ils ont l’impression de vivre un amour incomplet, décevant, au rabais, maudit par Dieu. « Avant toi j’étais entier et maintenant je suis une moitié. » (le Comédien dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) ; « Ils attendent sous l’abri que la tempête passe, tout en riant de leur situation cocasse. […] Un éclair illumine le ciel, suivi rapidement d’un coup de tonnerre, un signe que la foudre vient de tomber tout près. Puis, dans un vacarme ahurissant, un autre éclair s’abat sur leur refuge. Le tronc se fend, et une partie s’effondre. Abasourdi après avoir été projeté de deux mètres par la foudre, Ahmed rouvre les yeux et cherche Saïd. […] Saïd est mort, tué par l’orage, un signe peut-être que Dieu n’approuve pas ce que les garçons s’apprêtaient à faire ce soir. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 48)

 

La fusion est tellement désirée au cœur du couple homo que les amants finissent par s’étouffer et se détester, même s’ils sont incapables de se quitter : « Tu n’avais qu’à épouser Christopher Palm au lieu de te coller à moi comme une sangsue ! » (Fougère à sa sœur Joséphine dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Tu joues la meilleure amie, et puis après, tu joues la parfaite hystéro qui m’arrache la moitié du visage ! […] Arrête de me toucher ! J’vais finir en morceaux avec toi ! » (Fred, le héros homo, à sa meilleure amie Alice dans la pièce Coloc’ à taire ! (2010) de Grégory Amsis) ; « Jamais je ne vous quitterai, le ciel devrait-il s’écrouler, parce que nous sommes un seul être, une seule âme divisée en deux moitiés qui se tourmentent. » (Daventry à Garnet Montrose, dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 156)

 

Quelquefois, les amants homosexuels vont même jusqu’à se prouver la folie de leur amour fusionnel en se violant, en se coupant en deux : « Mon plan consistait à passer une nuit avec toi. Cette nuit-là, je t’aurais baisée jusqu’à te fendre en deux. » (Victor à Helena, dans le film « Carne Trémula », « En chair et en os » (1997), de Pedro Almodóvar) ; « Je te fends la chatte ! » (Venceslao s’adressant à Mechita dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1999) de Copi) ; « Ce matin, j’ai pris la décision de casser Rachid en deux, comme une biscotte. » (Jean-Luc par rapport à son petit copain Rachid, dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch) ; « Si tu me coupes, je te fends comme une bûche. » (Don Cristóbal au coiffeur dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Je lui [Jean-Marie] défonce le crâne d’un coup de hache. » (la voix narrative parlant de Jean-Marie, dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 112) ; etc. En coupant son partenaire en deux, le héros homosexuel ne fait pas que le violer (du moins, à ses yeux) : il fait le travail de sexualité à la place de Dieu, donc de « création » dira-t-il, d’« amour ». Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, considère l’identité et l’amour comme un éclatement, une errance, une fusion où les partenaires passent leur temps à se dérober (dans tous les sens du terme !) l’un l’autre : « Je suis amoureux de celui qui détient ma pièce perdue que je veux te voler. » (Denis à son amant Luther) Pour lui, « vivre c’est continuer à vivre en pièces détachées, le sourire aux lèvres ». Et bien sourions et « éclatons-nous » au lit… avec le rictus forcé de Ronald McDonald’s.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Un élan de la division, impulsé par le désir homosexuel (ou hétérosexuel, ou bisexuel), est symbolisé par le motif de la moitié :

 

Je vous encourage à lire attentivement le code « Désir désordonné » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, qui va de pair avec celui-ci, et qui insiste davantage sur les effets écartelants du désir homosexuel que sur les représentations iconographiques de la division.

 

MOITIÉ 8 La Fille coupée

Film « La Femme coupée en deux » de Claude Chabrol


 

Qu’on se le dise. Le code de la moitié n’est pas uniquement fictionnel, même si, bien évidemment, aucune personne humaine n’est un être à demi, ou n’arrivera à fusionner complètement avec son partenaire sexuel, tout « amoureux » et « en connexion » qu’ils se prétendent. Il est juste le reflet d’une réalité désirante, d’un fantasme de viol/de séparation consubstantiel au désir homosexuel. « Les mots ‘maniéré’, ‘efféminé’, résonnaient en permanence autour de moi dans la bouche des adultes : pas seulement au collège, pas uniquement de la part des deux garçons. Ils étaient comme des lames de rasoir, qui, lorsque je les entendais, me déchiraient pendant des heures, des jours, que je ressassais, me répétais à moi-même. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 84) ; « J’ai d’abord imaginé que je lui faisais l’amour, à elle, Sabrina, sachant qu’une pareille image ne pouvait pas me faire bander. Puis j’ai imaginé des corps d’hommes contre le mien, des corps musclés et velus qui seraient entrés en collision avec le mien, trois, quatre hommes massifs et brutaux. […] Des hommes qui auraient transpercé, déchiré mon corps comme une fragile feuille de papier. » (idem, p. 193) Cela ressemble à de la science-fiction, à une grosse blague, mais ce fantasme de la moitié est partagé par beaucoup plus d’individus homosexuels qu’on ne l’imagine : ils s’imaginent presque tous au pluriel. « Ma maison avait deux tours : l’une plongée dans la lumière et l’autre obscure. » (l’écrivain français Hugues Pouyé parlant de son enfance, sur le site Les Toiles roses en 2009) ; « Ma vie intégrait cette limite. Elle se fendillait dans les épreuves quotidiennes, se nourrissait d’être aimée pour ce que j’étais et non comme un idéal. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59) ; etc.

 

Dans le documentaire « Due Volte Genitori » (2008) de Claudio Cipelleti, par exemple, un des témoins homosexuels exprime ses dernières volontés de manière bien étrange : « Quand je mourrai, je veux qu’on m’enterre dans deux cercueils différents. » Dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier, le dragking interviewée (une femme transgenre se travestissant en homme en attendant d’être opérée) doute de son unicité et de l’unicité de l’être humain : « Quand on est trans, on déteste le manque. On veut être complet. Mais personne n’est complet. » Dans l’émission radiophonique Je t’aime pareil de France Inter (spéciale « Les différentes manières de gérer son homosexualité », diffusée le 24 juillet), il est question du terme « fem » qui qualifierait les femmes lesbiennes comme des demi-femmes.

 

La moitié est une projection identitaire narcissique. Généralement, elle provient d’une identification excessive à un acteur ou à un être de fiction. « Ce n’est qu’après avoir vu ‘Le Prince et le Pauvre’ que je reconnus mon autre moitié en la personne de Jimmie Trimble. » (Gore Vidal parlant d’un acteur de film, dans son autobiographie Palimpseste – Mémoires (1995), p. 35) ; « Être homosexuel, être Juif, être Blanc sont les 3 jambes sur lesquelles je marche. J’aime utiliser ma judaïté. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. En 1907 en Allemagne, le chancelier Bernhard von Bülow est saisi par la tourmente homo-judiciaire. En effet, Bülow est accusé d’entretenir des relations « contre nature » avec son secrétaire privé, un certain Max Scheefer, qu’il aurait appelé « ma meilleure moitié ». En 1908, selon Weindel et Fischer, « les homosexuels subissent les seuls instincts femelles, qui les mettent en antagonisme avec eux-mêmes, et c’est bien la forme de lutte la plus rude et la plus douloureuse dont un être pensant puisse se trouver déchiré » (p. 212).

 

La découverte – non pas de son désir homosexuel mais – de l’acte homosexuel a souvent un effet dispersant, schizophrénique : « J’avais le sentiment que, sous mes pieds, la terre s’était fendue en deux et que je glissais irrémédiablement dans une faille, sans pouvoir y échapper. » (Jean-Michel Dunand parlant de la découverte concrète de l’acte homosexuel, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 31) Cette division identitaire illustre un manque d’unité avec soi-même et avec les autres, y compris au niveau social. « Je m’enfermais dans un personnage à deux visages. J’étais l’illustration vivante du héros né de l’imagination de Robert Louis Stevenson dans la nouvelle L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Le bon grain et l’ivraie qui nous habitent tous se scindaient sous l’effet d’une drogue chez ce notable anglais. » (idem, p. 50) ; « En réalité, j’éprouvais tous les jours qu’il n’y avait pas de place pour moi dans le marxisme et, à l’intérieur de ce cadre comme partout, je devais vivre une vie divisée. J’étais coupé en deux : moitié trotskiste, moitié gay. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010, p. 205) ; « J’ai demandé au ciel de me dire pourquoi je suis là ? Qui j’étais ? Et quelques jours plus tard, on dit que le hasard n’existe pas, je regardais la télé le soir en zappant les chaînes, je vois un film érotique chouette et je vois un homme de dos, et l’autre personne je la voyais pas et après je me rends compte que ce sont deux homosexuels. Je n’avais jamais vu d’homosexuel en chair et en os et de les voir en plus en plein acte de violence. J’ai eu comme un coup de poignard, une monté de colère, un viol de mon être, une déchirure, je savais ce que c’était des pédés mais le voir physiquement a été comme un choc, comme une balle en pleine tête et à partir de ce moment-là ma vie est devenue un enfer, car je suis quelqu’un de craintif, et le moindre problème qui surgit faut que je tente de le résoudre sinon je peux paniquer très vite et là je me remémore ces images sans cesse. À m’en faire gerber et presser ma tête et ma poitrine continuellement comme dans un étau. Je me suis dit : ‘T’es un homme et eux aussi donc tu peux faire cet acte aussi’ et que je ne pouvais imaginer qu’un homme puisse descendre aussi bas dans l’instinct animal malsain. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; etc. Quand on ne vit pas concrètement ce qu’on sait de juste, on expérimente l’écartèlement du libertin ; on devient romantique à défaut d’être vrai et aimant, et cela nous fait théâtralement/vraiment souffrir : « Au fond, depuis l’adolescence, je suis déchiré entre mon rêve romantique et mes fantasmes parfois avilissants. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 46)

 

La division identitaire qu’expriment certaines personnes homosexuelles peut également provenir d’un viol. « Mon cousin a profité de moi. Mon cousin avec qui il s’est passé des choses… très dures. C’était avec lui que j’ai perdu une partie de moi. Une fois mariée avec lui, il m’a fait payer le fait que j’aie été avec une fille avant. Il m’a séquestré. Il y a eu des coups. J’étais juste un corps. » (Amina, jeune femme de 20 ans, lesbienne, de culture musulmane, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) L’étrangeté de la séparation que fait vivre le viol, c’est qu’elle peut donner l’impression d’une unité et d’une vérité, l’espace d’un instant. « J’ai senti son sexe chaud contre mes fesses, puis en moi. Il me donnait des indications ‘Écarte’, ‘Lève un peu ton cul’. J’obéissais à toutes ses exigences avec cette impression de réaliser et de devenir enfin ce que j’étais. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 152-153) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc. Par exemple, Giulia Foïs, en parlant de son viol, dit « Je suis une sur deux ».

 
 

b) Le visage de la personne homosexuelle se scinde symboliquement en son milieu :

MOITIÉ 9 Internet

 

« Ernst Röhm est typiquement ce que l’on appelait à l’époque une ‘gueule cassée’. Des éclats d’obus lui ont enlevé la moitié du nez et entaillé ses joues. Malgré les miracles qu’accomplit dès cette époque la chirurgie esthétique, dopée par la Première Guerre mondiale, il porte pour toujours sur sa face des stigmates du Grand Massacre qui imposent le respect, les glorieuses cicatrices du héros de la Grande Guerre. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 217)
 

Le dédoublement de personnalité impulsé par le désir homosexuel est exprimé concrètement par certaines personnes homosexuelles. Elles se disent incomplètes : « Je rêve de conquérir la partie manquante de moi-même. » (Hervé Guibert cité dans l’essai Le Rose et le Noir (1996) de Frédéric Martel, p. 482) ; « Le monde se fissure, et le mystère s’épaissit… » (la phrase de conclusion du documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Aujourd’hui, je suis complet. » (Axel, homme transsexuel M to F, après son opération de « changement de sexe », dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; « Sur le front de Slimane, il y a quatre rides. Au bout de son nez, il y a comme une petite fissure. Slimane dit que sa grand-mère Maryam a la même. » (Abdellah Taïa parlant de son amant Slimane, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 104) ; etc. Souvent, elles se décrivent comme un pirate avec une cicatrice, et s’identifient aux visages coupés. « Mireya [l’héroïne de la série La Vie désespérée de Mireya, la Blonde de Pompeya] taillade le visage du Morocho, son homme, avec une bouteille de vin Mendoza qu’elle a cassée sur le comptoir en étain du café El Riachuelo. Mireya court désespérée dans la rue. Il pleut des cordes. La blonde s’appuie contre un réverbère et pleure à chaudes larmes. Ses pleurs se mélangent aux gouttes de pluie. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 247) Par exemple, elles disent leur passion pour le manga japonais Albator ; et ce personnage est parfois utilisé comme pseudonyme sur les sites de rencontres Internet (cf. je vous renvoie à la partie sur « Albator » du code « Désir désordonné » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Dans l’affiche de son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), Pierre Fatus a choisi de peindre son corps et son visage en noir, avec des inscriptions xénophobes et ethniques, figurant ainsi sa schizophrénie spaciale.

 

L’action de se couper le visage n’est pas à prendre dans son sens littéral, mais à mon avis, à interpréter comme un refus d’accepter son identité humaine, et plus largement la réalité de la sexualité. « Je suis une homme et un femme. » (Orlan, l’artiste « performer » F to M) Pour certaines personnes homosexuelles, la découverte de la différence des sexes a parfois été bêtement vécue comme un coup de hache, une séparation définitive de l’Amour (femme/homme, mais aussi créature/Créateur). C’est le cas de l’écrivain Jean Genet, par exemple. « Il ne meurt pas. La conscience reflue, Genet renaît de ses cendres ; la tante-fille, coupée en deux par le couteau d’abattoir, se recolle. » (Jean-Paul Sartre, Saint Genet (1952), p. 133)

 

La moitié de visage ou de cerveau est aussi une possible conséquence de l’homophobie, c’est-à-dire du viol qu’ont vécu certaines personnes homosexuelles : « J’ai une partie du cerveau qui a été atrophiée. » (Bruno Weil, jeune homme homosexuel passé à tabac par quatre hommes qui l’ont laissé pour mort, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014)
 
 
 

c) Le rideau déchiré :

Parfois, la personne homosexuelle ne se prend pas tant pour un être humain que pour un drap déchiré. Cela peut renvoyer à une figuration de la schizophrénie ou du viol/de l’inceste : « Tu as encore ton extase ? Tu sais, elle [Cecilia] ne veut pas toucher mon rideau. » (Ernestito dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 229) ; « En me rendant devant la chambre de mes parents ces nuits où, tétanisé par la peur, je ne trouvais pas le sommeil, j’entendais leur respiration de plus en plus précipitée à travers la porte, les cris étouffés, leur souffle audible à cause des cloisons trop peu épaisses. (Je gravais des petits mots au couteau suisse sur les plaques de placoplâtre, ‘Chambre d’Ed’, et même cette phrase absurde – puisqu’il n’y avait pas de porte –, ‘Frappez au rideau avant d’entrer.’) Les gémissements de ma mère, ‘Putain c’est bon, encore, encore.’ J’attendais qu’ils aient terminé pour entrer. Je savais qu’à un moment ou à un autre mon père pousserait un cri puissant et sonore. Je savais que ce cri était une espèce de signal, la possibilité de pénétrer dans la chambre. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 81-82)

 
 

d) L’orange coupée en deux :

Concernant le motif des fruits coupés en deux, il est amusant de le voir employé dans des contextes réels où apparemment il n’a rien à y faire. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense de Copi (1981, mise en scène de 2010 par Florian Pautasso et Maya Peillon), des fruits – kiwis, mandarines – sont coupés en deux pendant la représentation.

 

Il n’est en général pas synonyme d’amour unifié et durable. Dans son autobiographie Recto/Verso (2007), Gaël-Laurent Tilium définit les soirées avec ses « potes de baise » (ou « fucking-friends ») comme la « seconde moitié d’orange » d’une sexualité amuse-gueule (p. 226).

 

Pour la petite histoire, les relations homosexuelles étaient désignées dans la Chine du VIe siècle avant J.-C. sous le terme d’amours de la « pêche partagée » (cf. Assises de la Mémoire Gay, Gays et lesbiennes en Chine (2004), p. 9).

 
 

e) L’Homme siamois ou l’animal à deux têtes :

MOITIÉ 10 Glen or Glenda

Film « Glen Or Glenda ? » d’Ed Wood


 

Nombreux sont les sujets homosexuels affichant leur bilatéralité ou se décrivant comme deux personnes alors qu’ils n’en sont qu’une. « Je suis toujours deux. » (Cécile Vargaftig, interviewée à l’émission Homo Micro sur Radio Paris Plurielle, Paris, le 7 mars 2011) ; « J’ai commencé à vivre deux vies séparées. Je devenais un homosexuel. » (Guy Hocquenghem, cité dans l’émission-radio Je t’aime pareil d’Harry Eliezer sur France Inter, spéciale « Papa, maman, les copains, chéri(e)… je suis homo », le 10 juillet 2010) ; « À deux, vous essayez de faire une personne, ok ? » (le comédien Jarry en boutade à deux spectateurs pendant son one-man-show Entre Fous Émois, 2008) ; « On passait des heures devant les agneaux à deux têtes. Il était bouleversé. » (la voix-off de la mère de Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; « Le double, moi, ça m’effraie. Ces deux sœurs ont la similarité des jumelles. On aurait dit qu’elles auraient voulu être siamoises. » (Celia s’adressant à Bertrand à propos d’une toile figurant deux sœurs identiques, idem) ; etc. Ils perpétuent de manière partielle et souvent inconsciente le mythe de l’androgyne platonicien : comme l’explique Jean Libis dans son essai Le Mythe de l’Androgyne (1980), « L’androgyne, c’est l’Un-en-deux. » (p. 273). On peut lire dans L’Humanité du 20 mai 1993 l’article de Jean-Pierre Leonardini au titre éloquent : « Un Homme inverti en vaut deux ».

 
 

Photo Henri Michaud (1925) de Claude Cahun

Photo Henri Michaud (1925) de Claude Cahun


 

Dans le monde artistique, l’androgynie ou l’hermaphrodisme ont parfois été représentées par une statue avec deux têtes : c’est le cas de l’étrange sculpture Métamorphose d’Hermaphrodite et Samalcis (v. 1520) de Mabuse exposée au Musée Van Beuningen (Pays-Bas). Généralement, la scission identitaire souhaitée, et exprimée dans les arts, n’est pas de bon augure. Par exemple, dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, les didascalies de l’entrée de la mère de « L. » sont le signe d’une ambiguïté de sexes (elle est un trans), d’une violence androgynique à venir : « (L. rentre avec un double costume qui représente sa mère d’un côté, et L. en robe de chambre et moustaches de l’autre.) »

 

 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, personne intersexe élevée en fille, et son amie Audrey, elle aussi intersexe, se baladent au Muséum d’Histoires Naturelles de Lausanne (en Suisse), et y observent les animaux empaillés, et notamment un « Chat : Monstre à tête double ».
 
 

f) Une vision androgynique de l’amour :

MOITIÉ 11 Mylène

Concert de Mylène Farmer


 

D’un point de vue amoureux, de nombreuses personnes homosexuelles adoptent une conception androgynique du couple (= le couple ne serait pas formé de personnes entières et uniques, mais de deux moitiés d’une même personne) : « Toutes les histoires d’amour sont des projections. À travers l’autre on est amoureux d’une partie de soi qu’on n’a pas exploitée, la partie perdue de soi-même. » (Étienne Daho dans le site www.citation.ca, consulté en janvier 2007) ; « Deux êtres qui s’aiment fort sur la Terre forment un ange dans le ciel. » (Jean-Claude Brialy cité dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron, p. 9) ; « Quand j’ai fait la connaissance d’Ali, par le biais d’un site de rencontres gay en avril 2004, il avait quasiment la moitié de mon âge. J’ai d’abord aimé son visage, sa jeunesse. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 99) Le « monologue avec l’amant » (cf. le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder), voilà le rêve que beaucoup d’entre elles veulent réaliser. Luis Cernuda, par exemple, est défini, non sans raison, comme le « poète de l’amour incomplet » (Armando López Castro, Luis Cernuda En Su Sombra (2003), p.163).

 

Dans le documentaire « Cet homme-là (est un mille-feuilles) » (2011) de Patricia Mortagne, Patricia a épinglé sur pinces à linge les moitiés de portraits de visage de ses parents, qui maintenant ne s’aiment plus d’amour car son père est parti avec des hommes.

 

Dans son essai Petit traité des grandes vertus (1995), le philosophe André Comte-Sponville nous met très justement en garde contre ces simulacres d’amour que sont les « coups de foudre » et les unions amoureuses de deux individus qui se mettent ensemble non parce qu’ils s’aiment vraiment mais pour ne pas rester tout seuls (cf. la fameuse « Solitude à deux » dont je parle dans le code « Île » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Deux amants qui jouissent simultanément, cela fait deux plaisirs différents, l’un à l’autre mystérieux, deux spasmes, deux solitudes. Le corps en sait plus sur l’amour que les poètes, du moins que ces poètes-là – presque tous – qui mentent sur le corps. De quoi ont-ils peur ? De quoi veulent-ils se consoler ? D’eux-mêmes peut-être, de cette grande folie du désir (ou de sa petitesse après coup ?), de bête en eux, de cet abîme si tôt comblé (ce peu profond ruisseau glorifié : le plaisir), et de cette paix, soudain, qui ressemble à une mort… La solitude est notre lot, et ce lot c’est le corps. » (p. 305)

 

Le fantasme amoureux de l’androgyne touche socialement beaucoup de couples vivant sans amour mais pourtant dans l’utopie de la fusion androgynique appelée cinématographiquement « amour », hétéros ou homos confondus. Dans son essai Le Premier Sexe (2006), le philosophe Éric Zemmour a tout compris quand il dénonce l’obsession collective de la « couplisation » (p. 101) de notre société, qui construit des moitiés d’Hommes, des clones sans personnalités et sans désir : « On peut les voir, dans les rues de Paris et d’ailleurs, main dans la main, vêtus du même uniforme, pantalon large et informe, baskets, chemise ample et pull-over moulant, les cheveux mi-longs. Un même corps de garçonnet androgyne pour deux. Ils sont l’incarnation de la vieille métaphore de Platon sur le corps coupé en deux que l’amour ressouderait miraculeusement. Ils sont plus que frères et sœurs, ils sont jumeaux. Depuis le plus jeune âge, ils sont en couple. Ils ne conçoivent pas la vie, le désir, la rencontre, autrement que dans un cadre immédiatement installé. Parfois, les éléments du couple changent, mais c’est chaque fois une déchirure. Mais peu importe, ce ne sont pas les individus qui comptent, c’est le couple. » (p. 57)

 
 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°127 – Mort (sous-codes : Mise en scène de son enterrement / Cimetière / « Je suis mort » / Suicide)

Mort

Mort

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Ça vous étonne que les mêmes qui réclamaient le « mariage pour tous » demandent maintenant l’« euthanasie pour tous » ?

 

La relation des personnes homosexuelles à la mort est très ambiguë : on pourrait la définir comme un envoûtement. Beaucoup d’entre elles font de la mort le sujet principal de leurs œuvres, et se définissent parfois comme des « morts-vivants fascinés par la mort » (cf. l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2002) de Didier Éribon, p. 495). Le cimetière et le monde gothique sont des codes extrêmement présents dans la fantasmagorie homosexuelle, y compris chez des personnalités peu morbides qui ne passeront jamais à l’acte du suicide et qui ne vivront pas d’expériences sadomasochistes. Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent celui de la fascination identificatoire. Elles se persuadent qu’elles sont ses jumelles, parce qu’en règle générale, elles amalgament la mort réelle et la mort cinématographique larmoyante ou froide. « Il me semble que les cheveux qui collent aux tempes sont les miens, que les yeux clos comme ceux qu’on voit dans les photographies des cadavres sont les miens. » (Lucas, le narrateur homosexuel du roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 63) Par leur traitement de l’androgynie, elles célèbrent la mort dans sa forme la plus parfaite. La Faucheuse serait l’épouse idéale et « pure » (idem, pp. 46-47), le reflet narcissique qu’elles pourraient rejoindre pour gagner l’éternité et s’auto-contempler. Leur identification à la veuve drapée de sa mantille noire, portant des lunettes de soleil pour cacher sa fausse/digne peine, est relativement fréquente. Dans leurs créations, les personnages se voient très souvent morts et imaginent leur propre enterrement.

 

En réalité, l’adhésion des personnes homosexuelles à la mort est bien plus esthétique que réelle. Comme le commun des mortels, elles n’aiment ni la mort ni la souffrance réelles, mais leur idée romancée, leurs mises en scène. On peut penser notamment au narcissisme dans la souffrance qu’elles trouvent en la figure de saint Sébastien, le « saint patron de la communauté homosexuelle ». Leur désir de mort réside davantage dans la jouissance de l’anticipation/réécriture de la mort réelle que dans la mort en elle-même. De même, le plaisir du sadomasochisme se situe plus dans la transgression d’un interdit et dans la scénarisation de la douleur que dans la souffrance en soi. Une fois la douleur actualisée, il perd toute sa magie et sa force.

 

Le problème est que beaucoup de personnes homosexuelles confondent la mort avec ses représentations… et (se) laissent croire qu’elles désirent profondément mourir quand elles vivent des dépressions. « Les auteurs que j’aime sont tous suicidaires » confie Werner Schrœter à Michel Foucault (cf. « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1073). Klaus Mann, quant à lui, nous rappelle dans son Journal (1937-1949) la nature du désir homosexuel, nature liée bien sûr à la vie mais prioritairement à la mort : « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (p. 49) Certaines réclament même le « droit au suicide » en partant du principe que, puisqu’on ne leur a pas demandé leur avis pour naître, elles n’ont pas à le demander aux autres pour mourir. « Je suis partisan d’un véritable combat culturel pour réapprendre aux gens qu’il n’y a pas une conduite qui ne soit plus belle que le suicide. » (Werner Schœter, « Conversation avec Werner Schœter », dans l’essai Dits et Écrits II (2001) de Michel Foucault, p. 1076) Malheureusement, ce ne sont pas toujours seulement des mots. Bon nombre de personnes homosexuelles pensent au suicide ou bien passent à l’acte. La liste des célébrités homosexuelles ayant mis fin à leurs jours est interminable : prenez n’importe quel nom des dictionnaires les répertoriant, et vous le constaterez très rapidement. Des études nord-américaines indiquent que le taux de suicide chez les jeunes adultes homosexuels actuels serait de 6 à 14 fois plus important que chez « les hétéros » du même âge (Michel Dorais, Mort ou fif (2001), p. 18). Je me demande dans quelle mesure leur désir de laisser la mort sur le terrain du figé n’encourage pas finalement le passage du mythe à l’actualisation violente. Loin d’être une exorcisation, la mythification de la mort peut parfois servir de prétexte à la création inconsciente de réalités fantasmées. Certaines personnes homosexuelles se sont parfois attachées viscéralement à une mort imagée pour ne pas affronter (ce qu’elles imaginent être) la mort réelle. Du coup, elles cherchent parfois à se frotter aux deux. C’est le cas de l’écrivain Yukio Mishima, qui à force de vouloir fuir la mort, l’a rejointe dans le mythe actualisé en se suicidant selon la tradition samouraï : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30)

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort = Épouse », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Emma Bovary « J’ai un amant ! » », « Clown blanc et Masques », « Frankenstein », « Morts-vivants », « Passion pour les catastrophes », « Sommeil », « Animaux empaillés », « Cercueil en cristal », « Matricide », « Parricide la bonne soupe », « Viol », « Milieu homosexuel infernal », et à la partie « Momie » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 
 

a) L’attraction pour la mort :

La mort occupe une grande place dans la vie des personnages homosexuels de fiction, comme on peut le voir dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, la chanson « Pont de Verdun » de Jann Halexander, la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec l’obsession pour les crânes de squelettes humains), le film « Unfinished : Exploring The Transgender Self » (2013) de Siufung (avec les tatouages de deux têtes de mort à la place des seins), le film « I Dreamt Under The Water » (« J’ai rêvé sous l’eau », 2008) d’Hormoz (centré sur un homme mort), les romans Son Frère (2001), Un Garçon d’Italie (2003), Un Instant d’abandon (2005) (reprenant l’affaire insoluble de la mort du petit Grégory) de Philippe Besson, le film « Society » (2007) de Vincent Moloi (dans lequel quatre anciennes amies d’école sont réunies autour d’une cinquième qui est décédée), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (qui se déroule le jour de la Toussaint), la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le film « A Festa Da Menina Morta » (2008) de Matheus Nachtergaele, la pièce Journal d’une autre (2008) de Lydia Tchoukovskaïa (où Ana écrit le poème « Requiem »), le film « Les Autres » (2001) d’Alejandro Amenábar, le roman Orlando (1928) de Virginia Woolf, le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Le Mystère Silkwood » (1983) de Mike Nichols, le film « The Lawless Heart » (2002) de Neil Hunter et Tom Hunsinger, le film « La Petite Mort » (1995) de François Ozon, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (avec Romain, l’amant mort), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Funérailles » (2008) de Subarna Thapa, le film « La Déchirure » (2007) de Mikaël Buch (avec la veillée mortuaire), la chanson « Plutôt mourir » de David Courtin, etc.

 

Le thème de la mort est omniprésent dans les films de Pedro Almodóvar (cf. l’univers de l’hôpital dans « Todo Sobre Mi Madre », « Tout sur ma mère » (1998), le coma dans « Hable Con Ella », « Parle avec elle » (2001), la criminologie dans « Matador » (1986), etc.), dans les romans d’Anne Garréta (Ciel liquides (1990), La Décomposition (1999), etc.), dans les pièces de Jean Genet (Les Nègres en 1958, Pompes funèbres en 1947, etc.).

 

Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah, l’une des héroïnes lesbiennes, fait le constat cynique que l’existence humaine est « glauque » : « C’est le monde. » dit-elle laconiquement à Victoire. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd, l’un des héros homosexuels, n’a qu’une ambition dans la vie : « Mourir jeune et joli. » Dans la pièce Les Faux British (2015) d’Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields, Thomas, le héros homosexuel, est fasciné par la mort. Le crime lui permet d’être esthétique et théâtral : « Grand Dieu !! » ; « Doux Jésus !! » ; « Quelle situation abominable !! » ; « Quelqu’un a fermé la porte. Mon Dieu ! Nous sommes piégés !!! » ; etc. Et son compagnon secret, Charles, est décrit comme un suicidaire. Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Herbert, l’un des héros homosexuels, a une tête de mort tatouée dans le cou.
 

Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, veut aller voir le Musée des morts de Guanajuato (Mexique). Palomino, son amant et guide mexicain, joue à fond la carte du mysticisme mortuaire pseudo national : « Demander une rançon même pour un mort est une pratique courue au Mexique. ». Ils visitent ensemble des cimetières mexicains. Eisenstein finit par se prendre pour les morts : « C’est le Jour des Morts… et je suis un homme mort. »
 

Très souvent, le héros homosexuel est placé sous le signe de la mort : « Qu’elle était étrange, chez Fernand, cette curiosité soudaine pour les choses finies ! » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 93) ; « Curieusement, je n’ai jamais vu de magazine intitulé Death. Il pourrait y avoir au moins une rubrique sur le sujet. Un article du style : ‘Les cercueils faits maison : une alternative bon marché’, dans une de ces revues pour ménagères. » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, pp. 43-44) ; « C’est vrai que tu es née le jour de la fête des morts ? » (Chloé à son amante Cécile, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 28) ; « Jason venait de faire son apparition. Il se tenait debout sur le rocher au-dessus d’eux, les mains sur les hanches, la jambe gauche s’avançant légèrement dans le vide. Il était doré comme un croissant. Ses boucles blondes flottaient dans la brise légère. Corinne, assise à ses pieds, l’observait, incrédule. Avec son maillot de bain qui représentait des têtes de mort sur fond noir, il ressemblait vraiment à un messager des dieux de l’enfer. ‘Encore une beauté d’archange, songeait-elle.’ » (Corinne décrivant Jason, le personnage homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 83) ; « Oh ! Lumineuse après-midi, 1er novembre. » (cf. la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude) ; « Tu ne peux pas t’empêcher d’être attiré par les histoires morbides. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Quand on meurt, j’aimerais savoir ce qu’on ressent. On croit qu’on s’endort ? » (Jacques s’adressant à Enoch, dans le film « Friendly Persuasion », « La Loi du Seigneur » (1956) de William Wyler) ; « Je ne lis pas tellement les [auteurs] vivants. » (Arthur s’adressant à son amant Jacques, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Film "Avant que j'oublie" (2007) de Jacques Nolot

Film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot

 

Il arrive que le personnage homosexuel remplace un grand frère ou une grande soeur, bref, un enfant mort… et pour le coup, se croit être un faux vivant. Par exemple, dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel est confondu par sa grand-mère Mamie Suzanne avec son grand-père, et d’abord pour un de ses frères morts : « Sur les trois frères, c’est pas toi qui es mort en 95 ? »
 

Le héros homosexuel exerce parfois le métier de croque-mort (ou fait comme si) : cf. les séries télévisées Six Feet Under et La Famille Addams, le film « Les Croque-morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le film « Cher disparu » (1965) de Tony Richardson (dans l’univers des pompes funèbres), etc. « Je sens la mort : je suis croque-mort. » (Elliot dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Fossoyeur, c’est un métier où on ne chôme pas ! » (Knocherl dans le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann) ; etc. Par exemple, dans le film « Les Yeux ouverts » (2000) d’Olivier Py, quand Olivier demande à Vincent pourquoi il prétend être « l’homme le plus triste du monde », ce dernier lui répond pour lui clouer le bec : « Je travaille aux pompes funèbres, j’aime baiser avec les monstres, et je suis impuissant. Ça te va ? » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le héros homosexuel est croque-mort, et travaille aux pompes funèbres « Aux Joyeux Défunts ». Il dit lui-même qu’il est obnubilé par la mort, et sa mère se désole qu’il soit « toujours abonné à ses morbideries ». Il possède chez lui toute la panoplie des objets dédiés à la mort : des squelettes, des mugs en forme de crâne, un ordi Apple avec une tête de mort à la place de la pomme, « plein de photos de crânes et de cercueils ».

 

La mort est bien un objet de désir chez le héros puisqu’il l’associe très souvent à son homosexualité : « Luca est condamné à mort à cause de son homosexualité. » (cf. la bande-annonce du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès). Il la vénère comme un dieu : « Where are you, God of the Death ? » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Les seuls trucs qui t’excitent, ce sont tes crânes et tes cercueils. » (Garance s’adressant à Léo le héros homo, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; etc. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, Jerry et Joe, travestis en femmes, racontent qu’ils ont joué dans des orchestres pour les funérailles (« Nous jouions dans les enterrements. ») ce qui laisse leur chef Sweet Sue perplexe : « Ça ne vous ferait rien de rejoindre les vivants ? »

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

Film "Volver" de Pedro Almodovar

Film « Volver » de Pedro Almodovar


 

En outre, le personnage homosexuel affectionne les cimetières, comme c’est le cas dans le roman Le Garçon sur la colline (1980) de Claude Brami, le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, le vidéo-clip de la chanson « Thriller » de Michael Jackson, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart, le roman Ciel liquides (1990) d’Anne F. Garréta, le film « Contact » (2002) de Kieran Galvin, le vidéo-clip de la chanson « Parler tout bas » d’Alizée, le conte Lisa-Loup et le Conteur (2003) de Mylène Farmer, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven, le film « Cachorro » (2003) de Miguel Albaladejo, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « Alexandrie, pourquoi ? » (1978) de Youssef Chahine, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, la pièce Cosmétique de l’ennemi (2008) d’Amélie Nothomb, la pièce Les Fugueuses (2007) de Pierre Palmade et Christophe Duthuron, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec la scène du fou rire du couple lesbien dans le cimetière), le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, etc.

 

Beaucoup d’histoire d’amour homosexuel ont lieu dans un cimetière, comme si ce dernier était l’endroit romantique par excellence : cf. le roman Dream Boy (1995) de Jim Grimsley, le vidéo-clip de la chanson « Regrets » (tourné en février 1991 dans un cimetière juif de Budapest) et de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (tourné au Cimetière du Nord à Maggelburg), le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell, le film « Borstal Boy » (2000) de Peter Sheridan, le film « The Return Of Post Apocalyptic Cowgirls » (2010) de Maria Beatty (où quatre jeunes femmes lesbiennes s’aiment dans un cimetière d’avions en Arizona, au cœur d’un monde à l’abandon), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec les deux amants Malik et Bilal dans un cimetière), le film « Morrer Como Um Homen » (« Mourir comme un homme », 2009) de João Pedro Rodrigues (avec Rosário et le travesti M to F Tonia dans le cimetière décoré de bougies), le roman Le Cimetière de Saint Eugène (2010) de Nadia Galy (avec les amants Slim et Mocka dans le cimetière), le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec les quatre nains dans le cimetière, lieu considéré comme un cadre idéal pour un pique-nique), la pièce Golgota Picnic (2011) de Rodrigo García (où des ébats masculins s’opèrent), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, le film « Les Passagers » (1999) de Jean-Claude Guiguet, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (Paul et Jean-Louis, les deux amants, se rencontrent dans un cimetière), etc.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel dit parfois son attachement pour les cimetières : « On ne se sent jamais plus vivant que dans un cimetière. » (Elliot, le héros de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Que c’est joli, un cimetière ! » (le Baron Lovejoy, homosexuel, idem) ; « Dès l’âge de 14 ans, je vivais aux côtés de mes amis du cimetière. » (le héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « Dans mon cimetière, je me suis habitué à percevoir les rumeurs du monde, les soubresauts des humains. » (Luca dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 166) ; « Il dit que c’est l’histoire d’un pays, d’un siècle qui se raconte dans les cimetières de France. » (Lucas citant son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 60) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Ton absence, c’est comme si je me trouvais en silence dans un cimetière un matin d’hiver. » (Stéphane s’adressant à son ex-compagnon Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Il paraissait étrange à Jane d’avoir un jour pu trouver le cimetière de Saint-Sébastien charmant. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 198) ; « Anna vient ici de temps en temps. Elle habite dans l’appartement d’en face depuis toujours. Le cimetière était son terrain de jeu. » (le Père Walter parlant d’Anna, idem, p. 204) ; etc.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan et Kévin se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe de Julien, l’homosexuel du lycée qui s’est suicidé : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (Bryan, p. 50) ; « Au cimetière, nous étions épaule contre épaule. Aujourd’hui, bras dessus, bras dessous. J’étais aux anges ! » (idem, p. 16) ; « En réalité, je déprimais complètement. On mit cela sur le compte de la mort de Julien. C’était en partie vrai, mais la vraie raison de ma déprime venait du fait que je pensais à celui qui n’était pas là, comme d’hab, et qui pleurait avec moi tout à l’heure, quand nos épaules s’étaient touchées. Les filles et ma mère avaient raison, je n’étais pas là, j’étais encore au cimetière. Pas avec Julien, j’y étais avec mon amoureux. » (idem, p. 52) ; « Kévin se faisait draguer aux mariages, moi je repérais les beaux mecs dans les cimetières. On faisait une sacrée paire ! » (idem, p. 409) ; etc.

 

Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, le cimetière occupe une place importante dans la formation du couple Miguel-Santiago : par exemple, les amants se donnent rendez-vous là-bas pour vivre leur amour secret (« Bonne nouvelle. Viens au cimetière à 16h. » écrit Miguel dans un de ses mots doux) ; et Santiago prend des photos de Miguel pendant que ce dernier célèbre les funérailles de son cousin Carlos (et il avoue l’avoir trouvé « très sexy » à ce moment-là : « Tu ressemblais à un vrai leader ! »)

 

Le cimetière apparaît comme une sorte de Jardin d’Éden inversé, de terre d’élection d’amants maudits : « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) Il se veut un retour à l’innocence de l’enfance. Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, toute la bande de potes homos va se balader au Père Lachaise ; et Jean-Luc, le cousin homo, retourne avec les enfants au cimetière pour les y statufier par mimes « esthétisants ». Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur va se recueillir devant la tombe du romancier Bernard-Marie Koltès au cimetière du Père Lachaise. Dans le film « Miss » (2020) de Ruben Alves, Alex (le héros transgenre M to F qui candidate pour être Miss France) est orphelin et a perdu ses deux parents biologiques dans un accident de voiture. On le voit à la fin déposer des fleurs dans le cimetière.

 
 

c) Certains personnages homosexuels s’imaginent leur propre enterrement :

Vidéo-clip de la chanson "Fuck Them All" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer


 

Le héros homosexuel a tendance à se mettre dans la peau des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de ses fantasmes de mort et de ses sentiments égocentrés : cf. le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan ; etc. « J’ai un curieux défaut. Celui de souvent penser à ceux qui ne sont pas là, à l’instant. » (Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 44) ; « Encore une fois, penser à ceux qui ne sont pas là ! Toujours ce décalage, pourquoi ? Je me suis souvent posé cette question. Une seule réponse plausible : je me suis inquiéter pour ceux qui sont présents. Ça ne les rend pas invulnérables pour autant, mais c’est comme ça. Je n’ai peur que pour les absents ! Comment les protéger, les secourir ? » (idem, p. 242) ; « Toute cette mise en scène hospitalière a quelque chose de carcéral, de concentrationnaire, et lorsque j’ai le malheur de m’entrevoir dans une glace, je frémis d’horreur en reconnaissant mes frères et sœurs juifs partis en fumée. Six millions de fantômes veillent à mon chevet, attendant que je les rejoigne. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, pp. 183-184) ; « C’est troublant de penser qu’à un endroit – un même endroit – ont déambulé des gens qui ne sont plus. […] Désormais, des personnes que je ne connais pas vont habiter ce lieu, s’asseoir sur un nouveau siège de piano, s’allonger sur la même pelouse gelée en automne, dormir dans les mêmes chambres. C’est tout un sanctuaire qui s’échappe. Il ne me reste que quelques objets – et puis des souvenirs. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 55) ; etc.

 

Film "Odete" de João Rodrigues

Film « Odete » de João Pedro Rodrigues


 

L’esprit homo-bobo se plaît à se projeter précipitamment dans la mort, et à jouer la Vieille Maréchale de Strauss qui écrit ses mémoires (alors qu’il est pourtant en pleine force de l’âge !), juste pour le plaisir de s’imaginer mourant et de se faire plaindre, juste pour s’inventer un héroïsme esthétique qui le consolera de son inavouable ennui existentiel : « Tu dis : je suis l’homme sans ascendance, ni fraternité, ni descendance. Je suis cette chose posée au milieu du monde mais non reliée au monde. Je suis celui qui ne sait pas d’où il vient, qui n’a personne avec qui partager son histoire et qui ne laissera pas de traces. Ainsi, quand je serai mort, c’est davantage que le nom que je porte qui disparaîtra, c’est mon existence même qui sera niée, jetée aux oubliettes. » (la figure de Marcel Proust à son jeune amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 101) ; « Je veux mourir mince, ne pas me nourrir avant de mourir. Je veux rester jeune. […] J’veux mourir blond, avec une tête de p’tit garçon. […] Des lunettes noires pour faire la star. […] À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Le rapport à la mort du personnage homosexuel est souvent de fascination identificatoire. « Ce visage avait été si beau. […] je pouvais lire la mort dans son regard passé du brun noisette au noir profond. » (Jean-Marc en évoquant Luc, son « ex » malade du Sida, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 37) ; « Rencontre/Maladie/Mort/Deuil. Les larmes m’envahissent, les couleurs se brouillent devant mes yeux, je gémis et me tords de douleur, je pleure comme un enfant de cinq ans. Je ne peux plus m’arrêter, je pleure toutes les larmes que j’ai gardées en moi depuis plusieurs semaines ou mois ou années, et entre deux respirations, je geins lamentablement. » (Mike, le narrateur homosexuel face aux photos de Nan Goldin, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 90) ; « Quand quelqu’un se noyait à Fortaleza, je pensais que ça aurait pu être moi… » (Donato, le héros homosexuel, secouriste en mer, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Daniel dit qu’il cherche derrière chaque visage le reflet de la mort.

 

Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Lucas, le personnage homosexuel, reconnaît la mort comme son propre reflet spéculaire. « Il me semble que ce corps qu’on repose à intervalles réguliers à des étudiants en médecine indifférents est le mien. » (p. 63) ; « J’ai cette image saugrenue dont je ne parviens pas à me débarrasser, celle du président Kennedy, à Dallas, le 22 novembre 1963, à l’arrière de sa Lincoln décapotable. […] Je vois l’affolement et je songe que c’est cela qu’il pourrait nous être donné de connaître. J’ai beau me dire que c’est absurde, malsain sans doute, je n’arrive pas à m’éloigner de cette vision. » (idem, p. 56) Son désespoir résigné face à la mort serait « vrai » parce qu’intégral. Il n’a pas digéré le part d’inéluctabilité de la mort, alors qu’il pense pourtant en avoir pris conscience de manière absolue, visionnaire, minoritaire, … homosexuelle ! « Il n’y aura pas d’autre issue que la mort. […] Ils auront beau affirmer que les chances de survivre l’emportent sur celles de succomber, ils auront beau avoir, au moins au début, la raison et les probabilités de leur côté, ils n’empêcheront pas la mort de se produire. Nous savons qu’ils ne savent pas, nous avons cette intuition fabuleuse, un désespoir intégral, très pur. C’est impossible, sans doute, à expliquer. Nous ne parviendrons pas à leur faire admettre notre certitude. Ils s’essaieront, mais sans y parvenir, à nous raisonner. » (Lucas en parlant des médecins, idem, pp. 46-47)

 

Cette fixation identitaire homosexuelle sur la mort a tout l’air d’être le fruit d’une relation incestueuse maternelle. Par exemple, dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, la mère d’Adrien, le héros homosexuel qui s’est suicidé, voit par une hallucination son fils mort dans sa baignoire. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, Camille, une mère un peu folle qui a du mal à accepter la mort de son fils Matthieu, transpose complètement la vie de son fils (certainement homo) sur celle de son meilleur ami et meurtrier Franck.

 

C’est le fait de ne pas avoir été suffisamment désiré et aimé qui fait que le personnage homosexuel ou transsexuel s’identifie à la mort. « Je regrette de l’avoir fait. » (le père d’Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, femme qui a perdu sa mère à 5 ans, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani)
 

Quelquefois, dans les fictions abordant la thématique de l’homosexualité, la mort est présentée comme une jumelle/un jumeau : « Alexis Guérande est mort. Alexis Guérande est mort, ce matin, à côté de moi. Il est mort, frappé à la tête par une balle de hasard, dans un moment de répit, dans un moment où les combats avaient cessé et où notre attention s’était relâchée. Juste une balle qui s’est logée dans sa tempe gauche, rien d’autre, quelque chose de très net, comme un éclat de diamant pur qui forme tout à coup un trou rouge au bout de ses sourcils. La mort a été instantanée. » (Arthur parlant d’un compagnon de tranchée, un poète breton de 20 ans, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 175) ; « Avant la fin de la semaine, je me serai débarrassé de mon frère… Je pense que je vais sans doute le tuer à Paris. » (Jack en parlant de son double mythique Constant, lors du dénouement de la pièce The Importance To Being Earnest, L’importance d’être Constant (1895) d’Oscar Wilde) ; etc. Par exemple, dans le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon, Paul, le héros homosexuel, est le double de Louis, son frère mort.

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent que le héros homosexuel s’imagine son propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur lui-même : cf. le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la pièce Jeffrey (1993) de Paul Rudnick, le film « Puta De Oros » (1999) de Miguel Crespi Traveria (dans lequel un homme allongé dans un tombeau, veillé par des pleureuses, ouvre soudain les yeux), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec la scène du double enterrement), le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, la chanson « Camomille » de Stefan Corbin (dans laquelle le narrateur se raconte comme un homme pleurant sous son parapluie un jour d’enterrement), la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller (mise en scène en 2015 par Mathieu Garling), etc. Par exemple, Dans le film « Seul le feu » (2013) de Christophe Pellet, Thomas, le héros homosexuel, en visitant le Père Lachaise, exprime le souhait de se faire incinéré. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, on assiste, lors de l’enterrement de Rettore, l’un des héros homos, à deux enterrements dessinés par deux groupes opposés, celui des potes homos junkies comme lui, celui de la famille bourgeoise endeuillée.

 

« Il dit qu’il veut des fleurs, des couronnes, ce décorum un peu vulgaire, un deuil éclatant, celui qu’on montre, qu’on expose. […] Il dit qu’il faudra des larmes, des évanouissements peut-être, des manifestations spectaculaires, que la souffrance s’exprime plutôt que d’être comprimée, contenue. » (Lucas parlant de son frère Thomas, dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, p. 61) ; « Il y aura un monde fou à mon enterrement ! Je vais téléphoner aux agences de presse. » (« L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Beaucoup de monde était présent le jour de mon enterrement. » (Bryan, en cadavre parlant, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 452) ; « Je fais le mort si je veux. Je ressuscite si je veux ! » (la productrice dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « C’est à croire que je suis au tombeau. » (Rosa dans le spectacle musical Rosa La Rouge (2010) de Marcial Di Fonzo Bo et Claire Diterzi) ; « Même ma mort, même la mise en scène de ma mort, j’ai dû la faire toute seule. » (Evita dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Je creusais une tombe, dans les rêves cela arrive. Mais c’était la réalité. » (Bjorn dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 155) ; « Dans mon lit, là, de granit, je décompose ma vie. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Les enterrements, c’est pas mal. » (Justin dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; « C’est beau de sublimer, mais je commence à être pas mal vieux pour rêver que Jean Besré se meurt d’amour pour moi ou que Guy Provost m’enterre sous des tonnes de fleurs coupées parmi les plus rares et les plus odorantes. Ce petit théâtre ne suffit pas à remplir ma vie ni à combler mon besoin d’amour. » (le narrateur parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « C’est ça que je veux pour ma mort : qu’on promène mon corps sur un brancard, à la lueur des bougies. » (Jérémie, homo et malade du Sida, exprimant ces dernières volontés, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo) ; etc.

 

Dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, Elliot voit son nom inscrit sur sa propre tombe, au moment où il se ballade dans un cimetière. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, Juliette, l’héroïne lesbienne, se voit morte dans sa tombe. Dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril veut « passer sa vie à inventer sa mort » (p. 106). Dans la chanson « La Chanson de Jérémy » de Bruno Bisaro, Jérémy voit son propre enterrement. Dans le clip de la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, Mylène pousse un landau dans un cimetière et s’arrête devant une stèle gravée à son nom. Dans le film « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, Laurent s’identifie à son cousin Marc qui était gay, comme lui, et qui est mort. Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Louis s’imagine et prépare son enterrement : « Depuis que je suis né, [j’ai] plutôt l’impression de préparer ma mort. »

 
 

d) « Je suis mort » :

Film "Nés en 68" d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Film « Nés en 68 » d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau


 

Dans le même ordre d’idée, certains personnages homosexuels disent de leur vivant qu’ils sont morts : « On s’accroche et on fait c’qu’on peut pour pas être mort un jour sur deux. » (le héros du film « À mon frère » (2010) d’Olivier Ciappa) ; « J’ai rêvé que j’étais mort ! » (l’amant du narrateur de la nouvelle « Un Jeune homme timide » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 45) ; « Laissez-moi m’allonger et fermer les yeux pour toujours. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je suis morte. Je suis bien. » (Anne Cadilhac se décrivant dans son cercueil, bouffée par les vers, lors de son concert Tirez sur la pianiste, 2011) ; « Ça fait longtemps que je suis mort ? Peut-être trop longtemps. » (Jack, en cadavre parlant, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt) ; « Je suis déjà mort, il ne reste plus qu’à me décider, qu’à officialiser. » (Bryan à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 313) ; « Je voudrais être morte, comme ma mère ! » (Ronit, l’héroïne lesbienne du roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 266) ; « Il est mort. Il est mort et moi, je ne suis déjà plus vivant. » (Vincent en parlant de son amant Arthur, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 185) ; « Je suis mort. » (le professeur Foufoune dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Mais je suis si peu mort ! Je suis à peine mort ! » (le Vrai Facteur dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Je suis morte. » (la figure d’Evita dans la pièceEva Perón (1969) de Copi) ; « Je suis en train de crever ! Je meurs ! Je meurs ! » (Rogelio dans la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi) ; « Mon Dieu, je suis morte ! » (China, idem) ; « Je suis frappé par plusieurs coïncidences : je m’imagine être mort hier à midi. Au moment où j’ai téléphoné à Marielle de la cabine publique j’étais déjà mort, en attendant le jugement dernier j’ai tué trois fois. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 126) ; « Dites-lui que je suis déjà mort ! » (Cyrille, le héros homosexuel parlant d’Hubert à l’Infirmière, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Je devais être mort ? » (idem) ; « Je suis mort. » (Arnaud dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Peut-être je suis mort moi aussi, je dis. » (le narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 16) ; « Putain, je suis mort. » (un personnage du film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « Serais-je en enfer, se demanda-t-il. À bien y penser il était bien possible qu’il fût mort depuis plusieurs jours. » (le narrateur du roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 174) ; « Ça fait vingt ans que je suis mort. » (Hervé dans le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Nous sommes morts. » (les héros homosexuels du film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester) ; « Moi j’suis déjà mort. » (Willie, le héros homosexuel malade du Sida, dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 186) ; « Le défunt, c’est moi. » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Moi, je suis mort. » (Enrique dans le film « La Mala Educación », « La mauvaise éducation » (2003), de Pedro Almodóvar) ; « Fais comme si j’étais mort. » (cf. la chanson « Un Merveilleux Été » d’Étienne Daho) ; « J’suis déjà mort, moi, en fait. » (le héros de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « Thomas, tu n’es pas mort. Tu es juste une absence, comme un voyage. » (la mère de Thomas, le héros homosexuel, dans le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard) ; « Quand on a cru mourir et qu’on vit, on est obéissant, docteur. » (Catherine dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960), de Joseph Mankiewicz) ; « Elle était comme morte, et moi comme si j’allais mourir. […] Nous nous étions endormies. » (la Religieuse dans le roman La Religieuse (1760) de Denis Diderot) ; « Mort, pensa Fabien. Je suis mort. C’est moins difficile qu’on ne croit. Et il ne se passe rien…» (Fabien dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 314) ; « Décédée depuis longtemps de l’intérieur, desséchée de l’extérieur. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 132) ; « Mes camarades morts sont moins morts que moi. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 29) ; « Dis-leur que je suis mort. » (Roy Cohn dans la pièce Angels In America(1991) de Tony Kushner) ; « Il faut un mot nouveau pour décrire à quel point je suis mort. » (Danny, l’un des héros homos du film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « Je suis mort de chez mort. » (Chris après le baiser donné à son amant Danny, idem) ; « Je vous demande la mort comme un dû. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; « Je me tue à faire le mort. » (cf. la chanson « Fragile » de Christophe Willem) ; « Il faut être naturellement somnolent. On se met au lit. Et on fait le mort. » (Palomino, parlant du comportement homosexuel qu’il va imposer à son amant Sergueï Eisenstein, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, la mort est présentée comme irréelle, comme un rêve éveillé : on comprend qu’il s’agit davantage de la mort psychique du zombie sans désir que de la mort véritable ; Paul, souvent allongé, est un homme qui « fait le mort ». Dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, les personnages disent tous qu’ils sont morts : ils parlent comme les cadavres vivants d’un panthéon en déclin. Dans le film « Cléopâtre » (1963) de Joseph Mankiewicz, Marc-Antoine affirme qu’il est mort. Dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, Nietzsche parle de lui-même à la troisième personne du singulier en annonçant qu’il est mort. Dans la pièce Une Nuit au poste (2007) d’Éric Rouquette, Isabelle dit qu’elle meurt debout. Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur adulte, qui vit pourtant hors de sa sphère de conscience, joue à être un fœtus qui n’est pas encore sorti du ventre de sa mère, et parle de lui à la troisième personne : « Je vais raconter la fin de sa vie et sa mort. »

 

Souvent dans les fictions homosexuelles, la mort est simulée : on peut penser par exemple à la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec la fausse mort du Coryphée, qui fait semblant de s’écrouler sur scène).

 

En plus d’être une réplique de cour de récré (prononcée pourtant par un adulte), ce « Je suis mort » est l’expression d’un désir de mourir tout en niant la mort, bref, l’expression d’une schizophrénie : littéralement, le héros homosexuel s’absente sur place : « Je suis mort. […] Je m’absente… un peu comme si je n’étais plus là. » (Éric dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel)

 

Le coming out de sa propre mort est aussi plus concrètement l’énonciation de sa soumission amoureuse, du renoncement à sa liberté : « Je ne sais plus ce que je dis. Je suis malade, fatigué… Tu as gagné. Tu m’as conquis. » (le secrétaire de presse à Bulldog, son amant, dans le film « Bulldog In The Whitehouse », « Bulldog à la Maison Blanche » (2008), de Todd Verow) Dans la pièce Hétéropause (2007) d’Hervé Caffin et de Maria Ducceschi, par exemple, la voyante prédit à Hervé qu’au moment de se mettre en couple homosexuel, il vivra une « mort immatérielle » : une baisse du désir, en d’autres termes. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, cherchant à découvrir quel est le personnage qui est marqué sur son post-it, demande à son amant Thomas : « Est-ce que je suis mort ? »

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Comme il se prend pour sa propre mort pour s’en protéger, le héros homosexuel a tendance à nier la réalité de la mort. « J’aime pas penser à la mort. » (Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « La mort ne me semble rien et ne me concerne pas. » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. En général, il la fige en icône magnifique ou au contraire en estampe camp néo-gothique (qu’on appelle facilement « humour noir »). Par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) est la seule de toutes ses pièces de Copi où un personnage meurt pour de bon.

 

C’est la raison pour laquelle la mort réelle est presque systématiquement amalgamée au monde de l’image : « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. » (Chris, le héros homosexuel du roman La Synthèse du Camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) Par exemple, dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk regarde la mort dans un opéra. Dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, Angela se passionne pour la mort mi-cinématographique, mi-réelle, à travers l’étude des snuff movies.

 

La cristallisation artistique de la mort par l’esthétique a pour nom « Kitsch », et c’est une technique largement portée par les artistes homosexuels. L’excellente définition du kitsch selon Milan Kundera dans le roman L’Insoutenable légèreté de l’être (1984) (« Le kitsch est un paravent qui dissimule la mort. », pp. 357-367) trouve dans certaines scènes cinématographiques ou théâtrales des fictions homosexuelles une parfaite illustration. Par exemple, dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville, le kitsch est représenté à la lettre par la scène finale : Élisabeth qui s’est tirée dessus après avoir empoisonné mortellement son frère, s’écroule, faisant tomber le paravent qui dissimule la mort de Paul. Par ailleurs, il est question du « paravent de la mort » dans la pièce La Sonate des Spectres (1907) d’August Strindberg. Et on retrouve cette idée du kitsch comme paravent de mort dans différents ouvrages homosexuels : « Ce sont des gens à l’esprit pratique qui n’ont simplement pas envie de voir la mort en face ou plutôt à côté car une cloison nous en séparait. » (François dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 125) ; « […] la lampe brillant derrière un paravent qui dissimulait à moitié le lit du jeune homme » (Fabien presque mort, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 303) ; « La galerie comportait les paravents d’un jardin d’hiver qui n’avait jamais vu le jour. Paul les traîna, les déplia et s’en fit des remparts, une sorte de ville chinoise. » (la voix de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville)

 

La tragicomédie kitsch et camp, au-delà de son aspect risible, est un instrument très employé par le dramaturge argentin Copi pour faire de la mort une mise en scène de cour de récré, une irréalité : « Zut ! J’avais oublié que vous étiez mort ! » (l’Infirmière à Cyrille et à Regina Morti, dans la pièce Une Visite inopportune, 1988) ; « Tu vois, Lou, il y a pas de mort ! » (Ahmed en voyant Pédé ressusciter, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur, 1986) ; « Oh, j’avais oublié qu’elle était morte ! » (Daphnée en parlant de son bébé qu’elle a assassinée, dans la pièce La Tour de la Défense, 1974) Dans les pièces de Copi, revient souvent le motif de la mort à répétition. « Je suis la septième à se suicider ce soir ? […] Quelle concurrence dans le métier ! Goliatha, venez dire adieu à la petite patronne ! Je rentre dans le frigo ! » (« L. » dans la pièce Le Frigo, 1983) Par exemple, dans La Nuit de Madame Lucienne (1985), tous les personnages s’entretuent et mettent en scène des meurtres (la femme de ménage est assassinée en mille et un chapitres) ; dans L’Ombre de Venceslao (1978), Venceslao le gaucho se suicide, Rogelio est empoisonné, sa jeune femme meurt sous les balles des militaires ; dans Une Visite inopportune, Cyrille ne meurt pas vraiment, ni même Regina Morti ; dans Les Quatre Jumelles (1973), les protagonistes passent leur temps à « mourir pour de faux » et de manière ultra ludique et violente à la fois : « Tais-toi ! Tu es morte ! » (Joséphine à sa sœur Fougère qui l’appelle, dans la pièce Les Quatre Jumelles) ; « Je vais te tuer, Leïla. Comment veux-tu mourir ? » (Maria, idem) Mais concrètement, la mort ou le départ sont des réalités très peu affrontées par l’auteur. La preuve en est que pour lui, même les objets peuvent mourir : « Il est mort l’ascenseur. » (cf. une réplique de la femme de chambre dans la pièce Le Frigo) La mort ou le viol sont éminemment liées chez Copi à la mort iconographique, au viol cinématographique : ce ne sont pas des hommes qui meurent, ce sont des poupées ou des acteurs : « C’est Rooney […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977), p. 104) ; « Ensuite il est entré une petite fille de six ans environ avec mon chien empaillé dans les bras et elle me l’a donné. […] Je suis sorti dans la rue comme tous les jours. Ça n’a pas tellement changé par rapport à avant la catastrophe, exceptant le fait que tous les gens sont morts et empaillés. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972), pp. 31-32) ; « Est-ce que la vraie mort qui vous guette a quelque chose à envier à la mort drapée en noir d’une scène de théâtre ? » (le Professeur Vertudeau dans la pièce Une Visite inopportune) ; « Mon grand-père le clown s’est suicidé en cours de spectacle. Il s’est pendu au trapèze, tout le monde croyait à un numéro comique ! Il a eu quinze minutes d’applaudissements avant qu’on s’aperçoive qu’il était mort ! » (le Machiniste dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne) La mort est à ce point niée par Copi que ses héroïnes féminines ne savent en général pas s’en aller, quitter la scène, affronter leur finitude : « Elle [Daphnée] est toujours en train de partir et elle ne part jamais. » (Jean dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) Et les personnages des ouvrages de Copi transcendent la mort sans l’expérimenter : « On se fout de la mort ! Ha ha ! Car nous aurons vécu la mort ! » (Cachafaz à son amant Raulito dans la pièce Cachafaz, 1993) ; « La mort, nous, nous la conjurons ! » (Raulito, idem) Dans l’article « Jorge Lavelli : Copi n’est pas une dérision » d’Hugues Le Tanneur, publié dans le journal Aden le 1er octobre 2001, Lavelli explique à juste titre que, par exemple, L’Ombre de Venceslao (1978) « est la seule pièce de Copi où un personnage meurt pour de bon. Venceslao se pend après s’être confessé au perroquet de sa maîtresse. Mais il revient sous la forme d’une ombre. » Dans l’article « Copi, le non-conforme » de Gilles Costaz, sur le journal Le Matin de Paris du 11 octobre 1983, Copi lui-même confirme cette idée de déni de la mort par la surexploitation de la mort fictionnelle : « Dans Le Frigo, c’est une des très rares fois où je ne tue pas mon personnage. Généralement, quand j’en crée un, je m’attends à lui asséner une mort violente. Là, ma transsexuelle ne meurt pas. C’est sans doute que je l’aime. » Alors qu’en soi la mort marque un achèvement non-définitif mais brutal et sans retour, Copi la conçoit comme un processus inachevé, une transition, un sommeil, un jeu, une schizophrénie : « Il se passe des choses très bizarres avec mes morts. Je n’arrive pas à les enterrer. C’est-à-dire, ils n’arrivent pas à mourir complètement. » (Jeanne au Marchand de melons, dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi) ; « Dors, dors, mon mort… dors, dors, oh, mi amor… » (cf. le chant de Louise au Vrai Facteur, idem) ; « Je ne suis pas sûr qu’elle [Louise] ne soit pas morte ! Elle est très roublarde. Parlons bas ! Elle a quatre oreilles ! » (Jeanne au Marchand qui lui propose d’enterrer son amie Louise, idem) ; « Ne m’appelez pas madame. Appelez-moi mademoiselle, ou bien veuve. […] Je préfère que vous m’appeliez veuve. Bien que je ne le sois pas vraiment, mon mari n’étant pas mon mari et n’étant d’ailleurs pas vraiment mort, à vrai dire. » (Jeanne au Marchand de melons, idem) ; « J’ai encore tué. » (le narrateur homosexuel à son éditeur, dans le roman Le Bal des Folles, p. 121) ; « Je n’aime pas ce mélange de rêve et de réalité, j’ai peur d’être encore amené à tuer comme dans mes précédents rêves. […] Je sais que même si je ne suis pas un criminel, mon emploi du temps de ces quatre derniers jours m’est complètement sorti de la tête, n’aurais-je pas pendant cette période tué pour de bon ? Est-ce que Marielle ne courra pas un danger restant seule avec moi ? Non, voyons, je suis la personne la plus pacifique du monde. Les gens violents dans leurs rêves sont dans la réalité incapables de tuer une mouche. » (idem, p. 134)

 

En règle générale, les œuvres de fiction traitant d’homosexualité retranscrivent clairement le rapport idolâtre d’attraction-répulsion que le héros homosexuel entretient avec la mort : ce dernier est d’autant plus attiré par elle qu’il la craint : « Félicité imaginait son fils grelottant au petit jour devant un cadavre de la veille. Lui qui avait si peur de la mort, il devait faire une étrange tête. » (François Mauriac, Génitrix (1928), p. 45) ; « Un enchantement amer l’enchaînait à ce cadavre. » (idem, p. 48) ; « Je dois quitter Paris au plus vite ! À n’importe quel prix. […] Pour la première fois de ma vie, je sens la mort qui plane sur moi. Il faut fuir, et vite. » (Madeleine dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 20-21) ; « Max perdait les pédales, ce qui ne m’a pas étonné, il a toujours été hyperprotégé par ses parents. Ils n’avaient pas dû lui apprendre que la mort existait. » (François à propos de son « chéri », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 118) ; etc. Par exemple, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, Dzav est nécrophobe.

 

La mort est d’habitude tellement crainte du héros homosexuel qu’elle est même vue par lui comme l’origine de la vie et de l’amour : « Soudain, nous nous souvenons que ce qui nous rapproche, ce qui nous attache l’un à l’autre, c’est ce mort entre nous. Nous sentons la présence de ce disparu entre nous. Nous sommes à nouveau ensemble, elle et moi. » (Vincent parlant de la mère d’Arthur, son amant, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 206) ; « Si dans les mains du Seigneur qui t’éduqua de la sorte bonheur rime avec malheur et les mots ‘vivante’ et ‘morte’ frappent toujours à la même porte, c’est au-delà de notre faute. » (Ahmed à Lou, sa femme morte, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « L’amour, la mort peut-être. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « l’amour’ et ‘la mort !’ ça se prononce presque pareil ! » (Kévin à Bryan dans le roman Si tu avais été…(2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 114) Dans beaucoup d’ouvrages homo-érotiques, l’amour homosexuel débute précisément par une mort qui ne lui semble pourtant pas directement liée : cf. la mort du Rav dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, la mort du bébé à la frontière israëlo-palestinienne dans le film « The Bubble » (2003) d’Eytan Fox, la mort de Carlos le cousin de Miguel dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, etc.

 
 

f) Le personnage homosexuel se suicide ou est dégoûté de la vie :

Téléfilm "Prayers For Bobby" de Russell Mulcahy

Téléfilm « Prayers For Bobby » de Russell Mulcahy


 

Étant donné que la mort est à la fois sublimée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes du personnage homosexuel, ce dernier en arrive très souvent à se la donner concrètement. On retrouve le thème du suicide en lien avec l’homosexualité extrêmement souvent dans les œuvres de fiction : cf. le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, le film « Ode To Billy Joe » (1976) de Max Baer, le film « Charlotte dite Charlie » (1995) de Caroline Huppert, le roman Mi Novia Y Mi Novio (1923) d’Álvaro Retana (avec le personnage de Roberto), la pièce Sortilegio (1942) de Gregorio Martínez Sierra (avec le personnage d’Augusto), la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora , la pièce Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec le personnage de Daphnée qui tente de se suicider, et qui se rate), le film « La Fille aux jacinthes » (1955) d’Hasse Ekman, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « Quartet » (1948) d’Harold French, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « La Victime » (1961) de Basil Dearden, le film « Amour à trois » (1969) de Sergio Capogna, le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy (Alexandre se jette du haut d’un train qui passe sur un aqueduc), le film « La Cage aux Folles » (1978) d’Édouard Molinaro, (avec Zaza et ses multiples chantages au suicide), le film « Alors, heureux ? » (1979) de Claude Barrois, Pierre Jolivet, et Marc Jolivet, le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz, le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska (avec le suicide de Gayo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger, le film « Sergent » (1967) de John Flynn, le film « Play It As It Lays » (1972) de Frank Perry, le film « Mamá Es Boba » (1997) de Santiago Lorenzo (avec le suicide du journaliste homo), le film « Luc ou la part des choses » (1982) de Michel Audy, le film « La Rage au cœur » (2000) de Léa Pool, le film « Amor Maldito » (1986) d’Adelia Sampaio, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Bueberry Hill » (1989) de Robbe De Hert, le film « Total Loss » (2000) de Dana Nechushtan, le film « Quartiere » (1987) de Silvano Agosti, le film « Les Uns et les Autres » (1980) de Claude Lelouch, le film « Tir à vue » (1984) de Marc Angelo, le film « La Truite » (1982) de Joseph Losey, le film « Cahier volé » (1991) de Christine Lipinska, le film « Le Cahier volé » de Régine Desforges, le film « Le Goût de la cerise » (1997) d’Abbas Kiarostami, la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes (avec Frank, l’homosexuel suicidaire), le film « Bumblefuck, USA » (2011) d’Aaron Douglas Johnston, le film « Un Fils » (2011) d’André Gaumond, le film « Sala Samobójców » (« Suicide Room », 2011) de Jan Komasa, le film « Afternoon » (2008) de Ruaairo McKenna, le film « Duel » (2010) d’Edgar D’Alberto Rezende, le film « Scènes de chasse en Bavière » (1969) de Peter Fleischmann (avec le suicide d’un des deux personnages homos, Rovo), le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung (avec le suicide de Kisuki après qu’il ait découvert son impuissance sexuelle), le film « 3000 euro » (2009) de François Zabaleta (sur la tentation suicidaire et le suicide assisté), le téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy (Bobby tente de se suicider en ingérant des médicaments, puis ensuite en se jetant du haut d’un pont), le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta (avec le suicide de François), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec le suicide au cyanure), le roman La Vie est un tango (1979) de Copi (avec le suicide d’Horacio Silberman, le directeur du Musée des Beaux-Arts de Buenos Aires), le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye (avec le suicide de Wang Ping dans la forêt), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec le suicide de Martha, la lesbienne), le one-woman-show Mado fait son show (2010) de Noëlle Perna/Mado la Niçoise (avec la 28e tentative de suicide raté du gay dépressif), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec le suicide de Frédérique, l’héroïne lesbienne), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec le suicide par pendaison de Maurice), la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi (avec le personnage de Lou, suicidaire), le film « Absences répétées » (1972) de Guy Gilles, le film « Alger la Blanche » (1985) de Cyril Collard, le film « The Saddest Boy In The World » (2006) de Jamie Travis, le film « Charlotte dite Charlie » (2003) de Caroline Huppert, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant (avec le suicide de Jack), la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell (avec le personnage lesbien d’Élodie), le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries (basé sur des faits réels, et racontant la vague de suicides commanditée par un cercle de jeunes étudiants homosexuels britanniques), le film « Attitudes » (2005) de Xavier Dolan (Jules, le héros homo, veut « en finir »), le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau (avec le suicide du guerrier anglais), le film « Joe + Belle » (2011) de Veronica Kedar (Belle est suicidaire et sort d’un établissement psychiatrique), le film « Mia » (2011) de Javier Van de Couter (avec Mia, une jeune femme qui vient de se suicider), le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie (avec Armand, le héros homosexuel, qui essaie de se tailler les veines avec une scie), le film « Huit femmes » (2002) de François Ozon (qui tourne au drame quand le père finit par se suicider pour de vrai à la fin), le film « Starcrossed » (2005) de James Burkhammer (avec Darren et son frère Connor, amants secrets, qui finissent par se suicider dans une piscine, avec des menottes), le film « Darkroom – Tödliche Tropfen » (« Backroom – Drogue mortelle », 2019) de Rosa von Praunheim (avec Lars, le héros homosexuel suicidaire), la chanson « Veux-tu danser ? » de Michel Rivard, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet, Claudia, la servante, fait croire qu’elle va se suicider à l’arme à feu. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, veut se jeter par la fenêtre. Dans la pièce Le Clan des Joyeux Désespérés (2011) de Karine de Mo, au moment où Lili rentre dans l’appartement de Mona où celle-ci tente de se suicider au gaz et qu’elle repose inanimée, elle lit le pendentif de Mona à l’envers (« Anom » = à n’homme)… et est tentée de lui faire un bouche-à-bouche lesbien, avant de se rétracter par acquis de conscience. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le personnage bisexuel, avoue avoir songé au suicide dans ses années lycée. Dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit au médecin militaire qu’il a fait une tentative de suicide « parce que l’Autre a essayé de me noyer » : il parle en réalité de son frère, et essaie d’être réformé de l’armée. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Yves Saint-Laurent dit qu’il veut mourir. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Helena est attirée par la « jeunesse » de Sigrid, et cette dernière, en bonne profiteuse, la pousse au suicide. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Gabriel, l’un des héros homos, décrit la vie comme « un gouffre ». Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le jeune héros homosexuel de 19 ans, a fait une T.S. (tentative de suicide) à 18 ans. Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est fait sauter la cervelle à l’arme à feu un an après. Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le chroniqueur radio homosexuel licencié, est tenté d’en finir avec la vie en se tirant une balle au revolver, quand il est interrompu par l’arrivée impromptue de sa voisine de pallier, Antonietta. Dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel, le jeune Louis, homosexuel, fait une tentative de suicide en se jetant du haut d’un immeuble désaffecté. Dans le téléfilm Fiertés (épisode 1) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, 17 ans, homo, est sur le point de se trancher la gorge avec une lame de rasoir. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Noé, le héros homosexuel, se suicide en se jetant dans un puits. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Jacques, le héros homo atteint du Sida, planifie à la fin du film son suicide : « Je me sens plein d’une tristesse suicidaire. » Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John le héros homosexuel se suicide par overdose. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Rémi se suicide parce que son amant Léo a repoussé ses avances et n’a pas assumé leur « amour » d’adolescence.

 

Dans les créations de Tennessee Williams, Copi, Shakespeare, Thomas Mann, Julien Green, Bernard-Marie Koltès, etc., les personnages finissent souvent par se donner la mort. On retrouve la figure de l’homosexuel suicidaire dans le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le roman Le Malfaiteur (1955) de Julien Green, les romans Confidence africaine (1931) et Un Taciturne (1932) de Roger Martin du Gard, le roman Macaron Citron (2001) de Claire Mazard, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « L’Ennemi naturel » (2003) de Pierre-Erwan Guillaume, le film « La Captive » (2000) de Chantal Akerman, le film « La Conséquence » (1977) de Wolfgang Petersen, la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer (« Un long suicide acide, je t’aime Mélancolie. »), etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

La question du suicide revient comme une marotte dans la bouche des personnages homosexuels : « On a pensé se suicider… mais comme on n’avait qu’une corde pour deux… » (Stef et Nono, dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Nono a le suicide maladroit. » (Stef en parlant de Nono, idem) ; « J’pense qu’au suicide. » (un des personnages homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je songe au suicide. » (un escargot de la B.D. La Femme assise (2002) de Copi, p. 67) ; « J’ai suicidé la réalité, j’ai fait une apnée de moi même. » (l’Actrice de la pièce Parano : N’ayez pas peur, ce n’est que du théâtre (2011) de Jérémy Patinier) ; « Dès que le rideau tombe, dès que la vie reprend, j’ai peur. » (idem, p. 32) ; « C’est agressif la vie. C’est agressif la vérité. » (idem, p. 33) ; « Je suis certain d’être bon pour la guillotine, rien qu’à y penser mes cheveux se dressent sur ma tête. Quand je songe au procès qui m’attend je suis encore plus effrayé. Tant pis, je me suiciderai quand cette vie me deviendra trop dure. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 125) ; « J’ai tellement envie de mourir… » (Petra dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « La vie m’est fade. » (la narratrice lesbienne dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 69) ; « Je suis un grand suicidaire. » (Eugène, le héros homo du one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Je le saurais si j’étais suicidaire… » (Louis dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone) ; « Après deux matins, à l’aube, Claude [l’héroïne lesbienne] se suicide. » (Mike Nietomertz, Des chiens (2011), p. 122) ; « Je voudrai ramper sous une pierre et dormir pour toujours. » (Bobby, le héros homo du téléfilm « Prayers For Bobby » (2009) de Russell Mulcahy) ; « J’ai failli me foutre en l’air. » (Morgane, héros transsexuel M to F, dans l’épisode 405 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 21 février 2019) ; « Décroche pas non plus, c’est pas la peine. J’suis complètement suicidaire. J’suis au-dessous de tout avec toi. Je me sens prisonnier, en apnée, au bord d’un gouffre. » (Adrien parlant au répondeur d’Eva, sa meilleure amie qu’il a éloignée volontairement d’Alexandre, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; « Rien d’extraordinaire : Fripounet voulait encore s’ouvrir les veines. » (Eva parlant d’un de ses amis gays après une discussion téléphonique, didem) ; etc.

 

Le suicide du héros homosexuel ou transgenre peut être symbolique, à travers la négation de soi-même : « Miri n’existe plus !!! » (Miriam/Lukas, l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi) ; « Je me sens si mal. J’en ai assez de vivre et j’ai peur de mourir. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant à son ami Donald, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Je pourrais me tuer. » (Alan, homosexuel, déprimé au téléphone, idem) ; « Harold fait une collection de barbituriques qu’il prépare pour anticiper le long hiver qu’est la mort. […] La mort, ce n’est pas comme au théâtre. Tu n’auras pas le courage de le faire. Tous les homos ne se flinguent pas à la fin de l’histoire. » (Michael, le héros homosexuel s’adressant plus ou moins directement à Harold son colocataire gay, idem) ; etc.

 

En général, c’est la star qui, par sa beauté fatale, sert de prétexte esthétique et d’alibi au suicide : cf. le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot (avec Nadège, la femme magnifique qui se suicide), la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi (avec le suicide de l’actrice Vicky), la comédie musicale Non, je ne danse pas ! (2010) de Lydie Agaesse (avec la mariée qui se défenestre du haut d’un immeuble, et qui atterrit sur une Volvo verte), etc. « Je suis mort. Yolanda m’a suicidé. » (cf. le message que Yolanda écrit sur un journal de bord, dans le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar) ; « Ça a de la gueule, quand même. Mourir sur scène, sous les projecteurs. » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) La femme suicidée auquel le héros homosexuel s’identifie ressemble à « la fille d’à côté », à une moitié de cerveau d’une conscience en proie à une schizophrénie auto-destructrice, à la jumelle narcissique androgynique : « Elle s’est pendue vers six heures du matin, j’étais tout seul, j’écrivais et pourtant je n’ai pas entendu le moindre bruit. […] Pourtant la fenêtre de sa salle de bains donne sur la mienne. Et les deux étaient ouvertes. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 50) ; « Yo quiero morir. » (Max, le héros homosexuel travesti en Shakira, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « Je suis sur le point d’entrer dans mon frigo ! Je suis déçu de la vie et de ses apparences ! » (« L. », le héros transgenre M to F de la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « Mon voisin sur un coup de tête s’est jeté aux oubliettes. » (cf. la chanson « Mon Voisin » du Beau Claude) ; etc.

 

Le suicide est appréhendé comme un chemin de sanctification, une voie d’accès à l’éternité cinématographique : cf. le roman Une Chute infinie (2009) de Mohamed Leftah, la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer, etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin se suicide pour être immortel : « J’aurais dix-huit ans à jamais. » (p. 461)

 

En réalité, le suicide du héros homosexuel, même si ce n’est pas dit explicitement, vient principalement d’un orgueil personnel démesuré (cf. le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le film « Traitement de choc » (1972) d’Alain Jessua – racontant l’histoire d’un quinquagénaire homo qui met fin à ses jours parce qu’il refuse de vieillir, etc.), ou de drames surgissant dans sa vie amoureuse intime, plutôt que de la soi-disant non-acceptation sociale de son homosexualité. Par exemple, dans la pièce La Dernière Danse (2011) d’Olivier Schmidt, Paul prend en cachette des photos de son amant Jack pour faire des articles à sensation sur son compte ; quand ce dernier le découvre, il se suicide devant lui pour assouvir sa vengeance et prouver sa blessure d’amour. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Léopold pousse son jeune amant Franz au suicide (il avale du cyanure). Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, la jeune collégienne Juliette tente de se suicider parce qu’elle est tombée excessivement amoureuse de sa prof de français. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin essaie de se pendre à cause de l’infidélité de son amant Bryan. Toujours dans ce roman, on découvre que Bryan, le héros gay, est aussi (voire plus !) responsable de l’abandon puis du suicide subséquent de son camarade de classe efféminé Julien, que ses camarades « hétéros » : « C’était mon frère de cœur. Nous avions la même faiblesse – si c’en est une – mais je ne me reconnaissais pas en lui. Je l’avais toujours ignoré. Finalement, j’étais peut-être pire que ceux qui se moquaient de lui. » (p. 49) ; « Personne n’était là quand Julien en avait besoin, quand il était bien vivant, quand il désespérait. Personne pour l’écouter, pour le comprendre et lui tendre la main… alors, il est parti. » (idem, p. 51) Dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, un steward suicidaire veut se jeter du haut d’un immeuble parce qu’il y ait poussé par une « Méchante Pédale ». Dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Mark se sent coupable du suicide de son ami Lester (qui s’est taillé les veines dans sa baignoire). Dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, George cherche constamment à se suicider parce qu’il ne se remet pas de la mort accidentelle de son compagnon. Dans La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, Aschenbach finit par mourir en contemplant l’objet de ses désirs : « Il semblait à Aschenbach que le psychagogue pâle et charmant lui souriait là-bas, lui faisait signe ; que, détachant la main de sa hanche, il la tendait vers le lointain, et prenant les devants s’élançait comme une ombre dans l’immensité pleine de promesses. Comme tant de fois déjà il voulut se lever pour le suivre. Quelques minutes s’écoulèrent avant que l’on accourût au secours du poète dont le corps s’était affaissé sur le bord de la chaise. On le monta dans sa chambre. Et le jour même la nouvelle de sa mort se répandit par le monde où elle fut accueillie avec une déférente émotion. » (p. 107) Tous ces exemples illustrent que la réalité et les causes réelles du suicide du héros homosexuel sont bien plus internes qu’externes au désir homosexuel.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles :

le réalisateur Eisenstein

le réalisateur Eisenstein


 

La mort occupe une grande place dans la vie des personnes homosexuelles. Déjà toutes petites, certaines parmi elles avouent avoir été obnubilées par elle. Leurs maîtres d’école déploraient leurs « goûts morbides » (Patrick White cité sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003). Elles ont parfois eu conscience de la mort et de la futilité de la vie très jeunes (cf. le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton). Par exemple, Federico García Lorca se rappelle de l’enterrement du compadre Pastor dans les moindres détails, alors qu’il n’avait pourtant que 3 ans (Francisco García Lorca, Federico Y Su Mundo (1980), p. 58). De son côté, Jean Cocteau a connu la mort de très près : dans sa jeunesse, il doit porter le suicide de son père. Malcolm Lowry consacre l’un de ses romans au Jour des Morts au Mexique (cf. le documentaire « Le Volcan » (1976) de Donald Brittain). À 14 ans, Paul Verlaine adresse à Victor Hugo un de ses premiers poèmes, intitulé « La Mort » ; d’ailleurs, ses élégies (« Melancholia », « Resignation », etc.) occupent une place non-négligeable dans son œuvre.

 

Il est fréquent que les personnes homosexuelles remplacent (dans la tête de ses parents ou en vrai) un enfant mort, après un accident, une fausse couche ou un avortement : « Ma sœur était morte [à l’âge de cinq ans] et ma mère m’appelait ‘sa petite fille’ et m’apprenait le canevas. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 77) ; « Une histoire qu’elle racontait souvent à qui voulait bien l’entendre : avant de me mettre au monde elle avait perdu un enfant. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 73) ; « Maman, j’ai envie de mourir. » (cf. propos de Kimy, un garçon transgenre M to F de 8 ans, rapportés lors du débat « Transgenres, la fin d’un tabou ? » diffusé sur la chaîne France 2 le 22 novembre 2017) ; « Au début de ma puberté, quand j’avais 11-12 ans, j’ai pensé au suicide. » (Lucas Carreno, femme F to M, idem) ; etc. Par exemple, dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend que l’acteur homosexuel Jean Marais est arrivé jute après le décès de sa sœur Madeleine. Il a donc remplacé une morte, et a dû subir le refus du deuil de sa mère (sa mère qui, à sa naissance, s’est exclamée : « Enlevez-le, je ne veux pas le voir ! »). Jean Marais avouera lui-même qu’elle s’est bien rattrapée… sans lui en vouloir d’avoir vêtu dans son cœur et dans son identité l’âme d’une sœur morte : « Après, ma mère m’a adoré et j’ai adoré ma mère. Comme ma mère aurait voulu une fille, elle me traite en fille. » Il existe des liens étroits entre avortement (= infanticide) et homosexualité, que je développe par exemple dans le code « Petits Morveux » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

À l’âge adulte, cette passion pour la mort ne s’atténue pas : « Jean Genet a toujours entretenu un rapport privilégié avec la mort, avec les morts. Et on peut même dire qu’à partir d’un certain moment il n’a écrit que pour les morts. L’occasion pour lui idéale d’un véritable spectacle théâtral ne serait-elle pas un convoi funèbre, le lieu idéal pour ce nouveau théâtre étant le cimetière ? […] Les deux dernières pièces de Jean Genet, les plus belles, Les Nègres et Les Paravents étaient envahies par la mort. » (cf. l’article « Donner aux morts » de Paule Thévenin, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 36) ; « La vie n’est pas digne d’être vécue. » (Stefan Sweig, juste avant son suicide, dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel) ; « Comme je crois au néant, y’aura plus rien de moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Dans son Journal (2008), le dramaturge Jean-Luc Lagarce tient la rubrique nécrologique de toutes les célébrités people : « Je ne note que les morts. » écrit-il. Sur le cliché Andy Warhol, Paris (1974) pris par Helmut Newton, Andy Warhol figure mort (ou endormi ?). Le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata raconte que, pendant l’Occupation, lorsqu’une rumeur a couru sur la prétendue mort de Charles Trénet, ce dernier envoya des cartes d’invitation d’un goût douteux : « Charles Trénet : ni juif, ni mort ! »

 

Il arrive que certaines personnes homosexuelles exercent le métier de croque-mort. Ce fut par exemple le cas du chanteur Jann Halexander. Pour ma part, je connais dans mon entourage proche des amis homosexuels qui sont réellement croque-mort.

 

Alors comment expliquer la corrélation entre homosexualité et mort ? Je crois que la coïncidence vient de la nature idolâtre du désir homosexuel. Cela en choquera peut-être certains, mais je le dis quand même : le désir homosexuel, même s’il est par ailleurs un élan d’amour et de vie, se rapproche davantage d’un désir de mort. « Le goût de vivre commençait à s’émousser. » (Christian, dandy homosexuel de 50 ans, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) Comme il est éloigné de la Réalité – puisqu’il rejette en grande partie la différence des sexes –, il s’oriente vers un devenir-objet qui désincarne et déshumanise plus qu’il n’humanise et unifie l’individu qui le ressent. Dans mon essai Homosexualité intime (2009), j’explique ainsi pourquoi beaucoup de coming out font autant violence à des parents : en même temps que leur enfant leur annonce qu’il « aime » homosexuellement et qu’il « est » pleinement homo, il ne se rend pas compte (et les parents d’aujourd’hui de moins en moins également) qu’il dit par la même occasion qu’il souhaite mourir. On retrouve par exemple ce lien entre coming out et mort quand le réalisateur français François Ozon, à l’occasion d’une interview accordée au magazine gay Illico à propos de son film « Le Temps qui reste » (2005), fait un parallèle inconscient entre la révélation de l’homosexualité et la découverte d’une maladie mortelle : « Romain a un coming out à faire, non pas sur sa sexualité qu’il n’a jamais cachée, mais sur le fait qu’il va mourir. »

 

En voulant fuir les petites morts de l’existence, celles qui font davantage partie des hommes et des pères, les bonnes morts si elles sont au service de la douceur et des plus faibles (la guerre, les limites, la souffrance, l’effort, la loi, le combat, la force, le pouvoir, la politique, etc.), les personnes homosexuelles s’exposent fatalement à vivre les mauvaises morts, celle du confort et de la fuite du Réel (l’ennui, l’angoisse, la frustration, la schizophrénie, le fétichisme, la consommation, le doute, etc.), les mauvais côtés de la féminité (la possessivité, la vengeance, la jalousie, les complications amoureuses, etc.). « Cette génération veut abandonner la pulsion de mort qui est le propre de la virilité depuis des millénaires. Ils veulent être du côté de la vie, du côté des femmes. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), p. 86) ; « Le pouvoir, c’est le mal, la mort, le phallus, l’homme. Plus personne, dans les jeunes générations de nos pays, ne veut assumer ce fardeau. » (idem, p. 120)

 
 

b) Le goût homosexuel pour les cimetières :

En outre, un certain nombre de personnes homosexuelles affectionnent les cimetières : je vous renvoie aux auto-portraits de la photographe lesbienne Claude Cahun dans les cimetières, aux photos de Jann Halexander, de Mylène Farmer, ou à l’univers du chanteur Mika lors de ses concerts.

 

Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, on apprend que la toute première rencontre entre Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent a eu lieu lors de l’enterrement de Christian Dior, en 1957 ; pour Bergé, cette inhumation est un jour capital, la pierre blanche sur laquelle s’est fondée leur « couple ».

 

Vidéo-clip de la chanson "Regrets" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Regrets » de Mylène Farmer


 

Le cimetière est un lieu qui permet aux personnes homosexuelles de rentrer dans la peau de la veuve ou de la Drama Queen : « Si, comme Georges Perec, je ne me souviens pas du moment de ma naissance, en revanche je sais – depuis mon plus jeune âge – la passion que je porte aux cimetières. » (Michel Chomarat, dans les Archives des mouvements LGBT+ (2018) d’Antoine Idier, Ed. Textuel, Paris, p. 153) ; « Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Les cimetières ont vraiment une signification pour moi. » (le chanteur Jann Halexander, au micro de l’émission radiophonique Homo Micro sur RFPP, le 24 janvier 2011) ; « Je me souvins de la pinède proche du cimetière de St Tropez, ce lieu de drague […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ; « J’adore les cimetières. C’est l’un des endroits dans lesquels je me sens bien. Où que j’aille dans le monde, je vais dans un cimetière, cela apprend beaucoup sur une culture, un peuple. » (la chanteuse Mylène Farmer, citée dans la biographie Mylène Farmer, le Mystère (2003) de Mathias Goudeau, p. 61)

 

Récemment, un ami homosexuel sexagénaire, marié avec plusieurs enfants, m’a avoué qu’il « recherchait le bonheur dans les cimetières en Allemagne, où il se trouvait dans la paix » ; il m’a aussi dit que depuis son enfance, et après dans ses relations amoureuses homosexuelles, il « avait subi des violences et avait tenté de se suicider ». J’ai également visité le fameux cimetière du Père Lachaise, et mon guide (un vieux papy lui-même homosexuel) m’a raconté combien l’endroit était un haut lieu de drague homosexuelle. Il a d’ailleurs rencontré plusieurs de ses amants là-bas ; certaines chapelles sont devenues de véritables backroom ou baisodromes, et il existe tout un réseau insoupçonné de rencontres amoureuses spécifiquement homosexuelles : hallucinant !

 

Je pense que le cimetière, plus qu’un lieu étrange ou une simple posture esthétique mélancolique, est le rempart d’un viol fantasmé ou réellement vécu par les personnes homosexuelles : «  Cette fois un ancien collègue de son père attira Ednar chez lui dans un guet-apens ; lorsqu’il comprit le but de l’invitation, il voulut s’enfuir. L’homme le retint ; il se débattit, parvint à se libérer et, enjambant la fenêtre, il s’enfuit et escalada le mur du cimetière voisin. Dans le crépuscule, il prit la poudre d’escampette pour échapper au viol. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son autobiographie Un Fils différent (2011), pp. 12-14)

 
 

c) Certaines personnes homosexuelles s’imaginent leur propre enterrement :

Les personnes homosexuelles ont tendance à se mettre à la place des absents ou des morts, bref, à prêter à la réalité la forme de leurs fantasmes de mort et de leurs sentiments égocentrés (souvent victimisants) : « J’entends les soupirs des mourants. C’était une nuit d’hiver. C’était nous deux et le temps des adieux. » (Stefan Corbin, pendant son concert Les Murmures du temps au Théâtre de L’île Saint-Louis Paul Rey, à Paris, en février 2011) Je vous renvoie par exemple aux fameux dying organisés par Act-Up ou pendant les Gay Pride ; ou encore à la scène du mime d’assassinat par rafale de mitraillette dans le documentaire « Et ta sœur ! » (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin.

 

Jean Cocteau

Jean Cocteau


 

Le rapport des personnes homosexuelles à la mort est souvent de fascination identificatoire. Voilà pourquoi elles la présentent souvent comme une jumelle/un jumeau : « J’ai le sentiment que ma mère s’en veut toujours du décès de mon frère, comme si elle n’avait pas bien pris soin de moi, alors qu’elle n’avait que 15 ans ! J’ai aussi le sentiment qu’elle a fait une sorte de transfert sur moi. J’ai remplacé l’enfant mort. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 15) ; « Il aura fallu que je m’habitue à ce visage décharné que le miroir chaque fois me fait voir comme ne m’appartenant plus mais déjà à mon cadavre, et il aurait fallu, comble ou interruption du narcissisme, que je réussisse à l’aimer. » (Hervé Guibert évoquant son corps ravagé par le Sida, dans son autobiographie Le Mausolée des amants (2001), p. 500)

 

Comble du narcissisme : il arrive souvent qu’elles s’imaginent leur propre enterrement, pour pleurer et s’émouvoir sur elles-mêmes. Dans sa biographie Saint Genet (1952), Jean-Paul Sartre évoque le narcissisme de Jean Genet à s’imaginer mort (p. 218) ; dans le documentaire « La Villa Santo Sospir » (1949), Jean Cocteau explique qu’il a décoré la chapelle saint Pierre en 1957 « comme son propre sarcophage ». Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, Luca (la trentaine) décide qu’à sa mort ses cendres seront dispersées dans le beau paysage urbain romain qu’il contemple. Par ailleurs, il n’est pas très étonnant que de nombreuses chanteurs célébrés par la communauté homosexuelle se filment morts à l’intérieur d’un cercueil ouvert dans leurs vidéo-clips (cf. « Everytime » de Britney Spears, « Tristana » et « Fuck Them All » de Mylène Farmer, « ¿ Qué Harás Tú Cuando Mueras ? » de Marta Sánchez, « Ghosts » de Michael Jackson, etc.).

 

Claude Cahun, "Autoportrait"

Claude Cahun, « Autoportrait »


 

« Il avait anticipé les lieux et l’espace de sa mort. Il voulait mourir au bord de la mer. » (Peter Kammerer parlant de son ami Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2012) d’Andreas Pichler) ; « Images que j’aimerais voir défiler avant de mourir. » (Denis intitulant une de ses séquences filmiques testamentaires qu’il offre à son amant Luther, dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; etc.

 
 

d) « Je suis mort » :

Dans une boîte gay, pour Halloween...

Dans une boîte gay, pour Halloween…


 

Dans le même ordre d’idée, certaines personnes homosexuelles disent de leur vivant qu’elles sont mortes (autrement dit, elles énoncent l’impossible…) : « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 28) ; « Un jour, je te raconterai la première fois que je suis mort. » (idem, p. 51) ; « À vrai dire, je suis déjà mort. » (cf. un extrait de la lettre d’Alfredo Ormando, qui s’est immolé lui-même au Vatican en 1998, dans le documentaire « Les Règles du Vatican » (2007) d’Alessandro Avellis) ; « Je suis mort. » (Jean-Luc Lagarce dans son Journal, 2008) ; « Chaque minute est une éternité quand on croit que l’on va mourir à la seconde suivante. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 72) ; « Au fond qu’est-ce que je risque, je suis déjà à moitié mort. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 155) ; « Et moi aussi, je suis mort. Bien sûr que je suis mort. Il ne reste rien de l’enfant qui n’avait pas dix ans. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 43) ; « En ce qui me concerne, je n’ai pas peur de la mort. Parce que j’ai été beaucoup plus de temps mort que vivant. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’étais dans ma deuxième vie. Je venais de rencontrer la mort. J’étais parti. Puis je suis revenu. » (cf. les toutes premières lignes de l’autobiographie d’Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 9) ; « D’avance, j’étais mort, autant tout oser dès maintenant. » (idem, p. 28) ; « La mort m’avait choisi. » (idem, p. 14) ; « C’était cela, la vérité. Mon corps réel. Il fallait changer. Le changer. Revenir au jour du départ et de l’arrivée. Maigrir. Absolument maigrir. Arrêter de manger. Jouer de nouveau, sans le savoir, avec la mort. » (p. 63) ; « C’est ça, la mort. La vraie mort. La mort directe, consciemment. […] Se détacher de son corps, du monde, en vitesse, dans l’effarement. » (idem, p. 94) ; « C’est quelque part comme si j’étais mort. » (Bruno Wiel, jeune homme trentenaire homosexuel, jadis agressé par quatre hommes et laissé pour mort, et parlant de sa situation présente, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; « Faire le mort était mon rôle préféré : mon ou ma partenaire jouait à ma place et je n’étais pas engueulé. » (Dominique Fernandez parlant des parties familiales de bridge, dans la biographie Ramon (2008), p. 38) ; « J’ai l’impression que je serai mort bien avant la diffusion de ce film. Je ne sais pas pourquoi je vous parle. J’ai l’impression d’un retour de ce vieux poison. Je le ressens comme une punition. Parce que je donne une mauvaise image de ces pauvres chrétiens. » (Thomas, homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay » (2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, au moment où Bertrand Bonello demande à sa femme si elle doit retourner sur scène pendant son spectacle, celle-ci lui répond : « Ben non, chui morte », en se référant bien sûr à son personnage.

 

À la manière des zombies, elles prétendent vivre ou vivent leur vie comme si elles ne l’éprouvaient pas comme leur, sont des « joyeux suicidés moraux » (pour reprendre la formule de Jean-Paul Sartre dans sa biographie Saint Genet (1952), p. 86), passant par une crise de dépersonnalisation, expérience qui rejoint la notion freudienne de narcissisme intégral. Comme l’écrivait Luis Cernuda, elles affirment « vivre sans exister ». Elles se comportent parfois en morts-vivants qui ne trouvent pas incongru d’affirmer « Je suis mort » alors qu’elles sont pourtant bien en vie.

 

Concernant mon expérience personnelle, à l’été 2002, je suis allé rendre visite près de Montpellier à un ami homosexuel, presque trentenaire, que j’avais rencontré sur Internet, et qui m’a hébergé quelques jours chez lui. Jamais je n’aurais imaginé que ces six journées seraient si interminables. Il s’est montré particulièrement désagréable à mon égard parce qu’il a vite compris qu’il n’arriverait pas à coucher avec moi. J’avais fait le déplacement spécialement pour lui, mais je voyais bien que ma présence l’agaçait prodigieusement, si bien qu’à la fin, alors que j’étais obligé de rester chez lui vu que je n’avais aucun pied à terre dans la région, il ne m’adressait quasiment pas la parole. Un jour qu’il avait été particulièrement peu loquace, et que je lui demandais pourquoi il ne me répondait pas, il m’avait sorti inconsciemment cette phrase surprenante qui avait résonné en moi comme un écho à toutes les fois où je l’avais déjà à l’époque entendue de la bouche d’autres personnages ou auteurs homosexuels : « Je ne suis pas agacé. Moi, je suis mort. » Quelques semaines plus tard, j’ai su le fin mot de son mutisme, de son attitude odieuse, et de cette phrase, puisque l’ami en question m’a avoué que juste avant mon arrivée, il comptait se suicider.

 
 

e) La mort prise pas assez au sérieux ET trop au sérieux :

Beaucoup de personnes homosexuelles ont tendance à se prendre pour leur propre mort afin de s’en protéger, car elles en ont une frousse maladive. « Victor Garcia, Copi, Jérôme Savary font partie des gens qui courent devant la mort. » (Colette Godard, dans sa biographie L’Enfant de la fête (1996) consacré à Jérôme Savary) ; « Plus que quiconque, sans doute, je répugne à la vue d’un corbillard et je m’en trouve profondément affecté ; une draperie mortuaire, accrochée à une porte, me rend malade pour une semaine entière. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 88) ; « Le monde s’est mis alors à trembler autour de moi. La terre s’ouvrait sous mes pieds. L’abîme. J’y suis tombé. Le cycle de la mort aveugle, que j’avais déjà croisé enfant, jeune homme, recommençait. C’était le désert. Le désert et la panique. […] J’avais peur, peur, peur… Peur de partir. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 93) Par exemple, lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon, à la Mairie du IIIe arrondissement, le 18 novembre 2010, le romancier français Christophe Bigot parle ouvertement de son rapport idolâtre (d’attraction-répulsion) à la mort, de son « fantasme de guillotine » : « Je suis vraiment phobique à ce qui touche à la torture, à la guillotine, la lapidation, la peine de mort. C’est un truc que je ne guérirai jamais. » Dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, la « peur des malades et des morts » est considérée comme un symptôme d’homosexualité (p. 378). Dans son autobiographique Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko parle de son angoisse morbide (« La mort me faisait peur. », p. 98) et tente de « découvrir l’origine de la phobie de la mort comme dans un premier souvenir traumatisant de son enfance, celui de la mort de son grand-père lorsque j’avais 7 ans ». Le cinéaste russe Sergueï Eisenstein, homosexuel, s’est photographié à côté d’un crâne humain.

 

L’identification à la mort médiatique ou cinématographique sera bien souvent chez elles un réflexe de survie face à une peur excessive de la mort réelle : « Je me complaisais à imaginer des situations dans lesquelles j’étais moi-même tué sur le champ de bataille ou assassiné. Pourtant, j’avais de la mort une peur anormale. » (Yukio Mishima, Confession d’un masque (1971), p. 30) ; « Depuis que j’ai 12 ans, et depuis qu’elle est une terreur, la mort est une marotte. […] La découverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d’un homme qui hurle d’impuissance à l’intérieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné mes études de médecine, m’hypnotisant de films d’épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d’Hector Lenoir, un conte qui racontait les affres d’un fantôme enchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu’aux stories sélectionnées par Hitchcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d’enfants, me déplaçant jusqu’à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans ‘Psychose’, la mort me semblait horriblement belle, féeriquement atroce… » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990, pp. 158-159) ; « Frisson de tristesse et de tendresse. Je comprends de nouveau mon destin – je ne pourrai jamais être aimé, alors qu’il me faut aimer, et c’est pourquoi j’attends la mort comme une rédemption. J’ai fixé au-dessus de mon bureau cette image de l’innocence rieuse, de la sottise, de la force et de la beauté. » (Klaus Mann en parlant d’une photo du skieur Arosa, dans son Journal (1937-1949), pp. 37-38) ; « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Comme la mort réelle est sublimée voire niée par le cinéma et les médias, elle est souvent perçue par les personnes homosexuelles comme l’origine de la vie et de l’amour : « Mon premier contact avec la maternité, c’est ma mère qui tombe inanimée et qui baigne dans son sang. C’est mon premier souvenir, le plus blessant et le plus percutant. Pour moi qui ne sait rien de la vie, d’un seul coup, la maternité c’est la mort […] c’est pour toutes ces raisons que je suis persuadée aujourd’hui que, bien que me sachant et me revendiquant de sexe féminin, j’ai refusé cette intrusion de l’enfant dans mon ventre. » (Paula Dumont parlant de la fausse couche de sa mère, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), pp. 54-55) ; « Je me suis sentie confusément coupable de la mort du fiancé de Janette Levreau et encore bien davantage du chagrin de cette dernière. Et depuis ces temps troublés, je me suis demandé souvent si je n’avais pas des pouvoirs paranormaux. En tout cas, je veille très attentivement à ne jamais avoir de souhaits homicides. […] Après avoir assassiné mon frère et un jeune militaire, j’ai assez de crimes sur la conscience ! » (Paula Dumont par rapport à sa maîtresse de CM2, Janette, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 47)

 
 

f) Quand la comédie devient sérieuse et orgueilleuse : le suicide

Étant donné que la mort peut être à la fois transcendée et niée par les intentions esthétiques et sentimentalistes, beaucoup de personnes homosexuelles en arrivent très souvent à la désirer, ou à se la donner concrètement. « Le taux de suicides chez les jeunes homosexuels est cinq fois plus élevé que la moyenne. » (Peter Gehardt dans son documentaire « Homo et alors ?!? », 2015) ; « Aujourd’hui encore en Suisse, un jeune homosexuel sur 4 fait une tentative de suicide. C’est 3 à 4 fois plus que chez les hétérosexuels. » (la voix-off dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010 ; dans cette même émission, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, raconte qu’il a tenté de se suicider).

 

Par exemple, les écrivains japonais Yasunari Kawabata et Yukio Mishima s’avouent partager « la même attirance de la mort, du suicide et de l’autodestruction » (Yukio Mishima, Correspondance 1945-1970 (1997), p. 8). D’ailleurs, Mishima se suicidera vraiment pour rejoindre son amant Morita, en se faisant hara-kiri. Magnus Hirschfeld prétendra en 1914 que 300 de ses patients, soit 3% des 10 000 individus homosexuels qu’il a reçus, se sont donné la mort. Pour les seules années 1906-1907, on comptait six suicides parmi les sujets homosexuels officiers de l’armée allemande, dont l’existence avait été dévastée par les réclamations de maîtres-chanteurs. Pour sa part, le philosophe français Michel Foucault réclame le « droit au suicide » : « Des gens que nous ne connaissons pas […] ont préparé, avec beaucoup de soin, notre entrée dans le ‘monde’. Il n’est pas admissible qu’on ne nous permette pas de préparer nous-mêmes avec tout le soin que nous souhaitons, ce quelque chose auquel nous pensons depuis longtemps. » (Michel Foucault, « Un Plaisir si simple », Dits et Écrits II, 1976-1988 (2001), pp. 778-779)

 

Certains individus homosexuels expriment ouvertement leur souhait d’en finir avec leur vie : « Je n’étais pas loin de me fiche en l’air. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 130) ; « Le suicide avait longtemps flirté avec mes pensées, mais la peur de mourir avait occulté définitivement cette obsession. » (Ednar dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 34) ; « Mon désir de mourir est immense. Besoin profond de paix. » (Klaus Mann, Journal (1937-1949), p. 76) ; « Tous les gens vers lesquels je me sens attiré, et qui se sentent attirés vers moi, voudraient mourir. » (idem, p. 49) ; « La vie est un enfer. » (Yves Saint-Laurent s’adressant à son amie Loulou de la Falaise, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Au milieu de l’été de mes 15 ans, j’ai fait une tentative de suicide. » (Perry Brass, vétéran gay, dans le documentaire « Stonewall : Aux origines de la Gay Pride » de Mathilde Fassin, diffusé dans l’émission La Case du Siècle sur la chaîne France 5 le 28 juin 2020) ; etc.

 

Il y en a malheureusement qui sont passés concrètement à l’acte : Alfredo Ormando (qui s’est immolé en 1998 devant les bâtiments du Vatican), Bobby le jeune fils gay de Mary Griffith (qui a sauté du haut d’un pont d’autoroute aux États-Unis), Leslie Cheung (l’acteur homosexuel chinois qui s’est jeté le 1er avril 2003 du 24e étage du Mandarin Hôtel de Hong Kong), Carl-Joseph Walker-Hoover (un jeune garçon noir de 11 ans aux États-Unis, le 6 avril 2009), etc. On ne compte plus les personnalités homosexuelles qui se sont suicidées en vrai : Hart Crane, René Crevel, Philippe Jullian, Heinrich von Kleist, Jan Lechon, Yves Navarre, Louis Goulven Salou, Virginia Woolf, James Whale, Friedrich Krupp, Alan Turing, Roger Stéphane, Raymond Roussel, Pierre Molinier, Adrienne Monnier, Mario Mieli, Klaus Mann, Jean-Louis Bory, Fersen, Claude Cahun, Jean Boullet, Alain Pacadis, Louis II de Bavière, Annemarie Schwarzenbach, Bernard Buffet, Otto Weininger, Benedict Friedlander, Benedict Friedländer, Aaron Hernández, Stefan Sweig, etc. « Il y a aussi des allusions à une tentative de suicide qu’elle avait faite quand elle était adolescente… Hélène était malade. La plupart du temps, elle était brillante, elle passait aussi par des épisodes de dépression où, de son propre aveu, elle n’était plus elle-même. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 57) ; « Sans hygiène morale ni physique, leur tendance au déséquilibre, la drogue les conduisent souvent au suicide. » (Jean-Louis Chardans parlant des travestis, dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 291) ; « Il y a toujours du chantage entre nous. C’est très très répandu. Ça se passe par des lettres ou des téléphones. Y’a mon premier ami que j’ai perdu de cette manière, d’ailleurs. Il s’est suicidé. À cause d’un chantage, oui. » (Frank, témoin homosexuel suisse, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; etc.

 

Dans les émissions de « télé-réalité » françaises, les stars d’un quart d’heure homosexuelles qui se sont données la mort ne manquent pas : on peut penser au suicide par pendaison de « Jpé », l’un des participants de Trompe-moi si tu peux (juin 2010) sur la chaîne M6 ; ou encore au suicide d’« FX » (François-Xavier Leuridan) de Secret Story 3 (2009) sur la chaîne TF1 (lui s’est jeté sous une voiture qui circulait sur autoroute).

 

Parmi les personnes transgenres ou transsexuelles, le taux de suicide bat tous les records, notamment parce qu’elles nient leur sexuation, ont souvent été violées étant petites, ou bien parce que leur « transition » est douloureuse et laisse de lourdes séquelles. Par exemple, dans le documentaire « Mr Angel » (2013) de Dan Hun, Buck Angel, transsexuel F to M, est passé par plusieurs tentatives de suicides et addictions à la drogue.

 

Le désir de mort n’est évidemment pas propre aux personnes homosexuelles. Sigmund Freud constate l’existence d’une destructivité foncière chez l’Homme, qu’il appelle « pulsion de mort ». Cependant, il semblerait que le désir homosexuel, plus que d’autres désirs humains, est davantage un élan qui oriente vers la mort qu’un élan de vie. Dans son essai Homoparenté (2010), le psychanalyste Jean-Pierre Winter explique d’ailleurs comment le rejet de la différence des sexes dans le couple homosexuel induit un « déni de la différence entre la vie et la mort » (p. 135), donc un glissement vers la destruction, la désincarnation et la division de l’être humain, du couple, et de la famille.

 

Avec Facebook apparaissent aussi les cas médiatisés d’adolescents dont le suicide est présenté caricaturalement comme une conséquence directe de l’homophobie soi-disant « non-homosexuelle » (Tyler Clementi, ce violoniste introverti qui se suicida en 2010 parce que ses ébats homosexuels avaient été filmés par son colocataire ; Lance Lundsten, un lycéen de 18 ans, dans le Minnessotta, en 2011 ; Kameron Jacobsen, un jeune New-yorkais de 14 ans, en 2011 ; Jack Reese, mort à 17 ans, en 2012 ; Jeffrey Fehr, 18 ans, harcelé à l’école au nom de son homosexualité, et qui s’est suicidé en janvier 2012 en Californie ; etc.). Je vous renvoie à la campagne « It Gets Better » (« Ça ira mieux ») de Dan Savage, menée en 2010 sur YouTube contre la vague de suicides des jeunes gay, et qui fut relayée par des personnalités des États-Unis telles que Barak Obama, David Paterson, Hillary Clinton, Gloria Estefan, etc.

 

On remarquera que le dossier des « suicides d’homosexuels » ou des « suicides pour cause d’homophobie » sert à alimenter une véritable censure sur les réelles causes des suicides des personnes homosexuelles, qui ne sont pas tant exogènes qu’endogènes (cf. je vous renvoie à mon papier sur les clés pour sortir des tentations de déprime ou d’envies de suicide liées à l’homosexualité). En effet, si on regarde bien les cas où les individus homosexuels ont mis fin à leurs jours, on constate que leurs suicides s’expliquent certes par des facteurs extérieurs à reconnaître, mais principalement par des histoires internes au « milieu LGBT », par les attitudes inadmissibles des personnes homosexuelles entre elles dans le cadre amoureux : « Je souffris de nouveau énormément de cet amour malheureux : je fus même au bord du suicide. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81) ; « J’en arrive même à me persuader que je n’aurai pas à me suicider parce que cet amour va s’en charger à ma place. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 59) Par exemple, Malcolm Lowry a refusé les avances d’un camarade de lycée, qui s’est ensuite suicidé.

 

Le plus paradoxal, c’est que beaucoup de personnes homosexuelles, en se focalisant sur des termes tels que « homophobie » ou « suicide » qu’elles ne veulent surtout pas comprendre, en faisant l’autruche pour que les causes des suicides de personnes homosexuelles ne soient pas identifiées – et ce, toujours dans un principe bien-intentionné de sur-protection des victimes –, poussent finalement les individus homosexuels qu’ils veulent préserver du suicide au suicide, en inversant les problèmes et leurs solutions. Par exemple, dans l’émission Homo Micro du 13 février 2007, Jean Le Bitoux conseille aux personnes homos de ne pas aller voir les psys car « il y a des suicides après ». Or c’est précisément parce qu’elles ne vont pas voir de bons psys et des amis qui pourraient les aider à mettre des mots sur leur mal-être qu’elles en viennent justement à commettre parfois l’irréparable.

 

La problématique des suicides des gens homosexuels est bien sûr sociale, mais aussi et surtout individuelle et désirante. Nous aurions tout intérêt – parce qu’on ne le fait pas assez – de nous pencher sur la question de la haine de soi (que traduit le désir homosexuel), de l’orgueil blessé, de l’éloignement du Réel par l’esthétique de la mort, de l’impact parfois dramatique de certains médias dans le processus de construction de l’identité sexuée et sexuelle de nos contemporains, pour traiter de l’étiologie des suicides des sujets homosexuels.

 

Car en général, c’est l’excessive identification sentimentaliste à la star suicidaire (il suffit de prendre un peu au sérieux l’esthétisme mélancolique d’une Dalida, d’une Marilyn Monroe, d’une Judy Garland, ou d’une Mylène Farmer, pour s’abandonner à la mort) qui sert à un certain nombre de personnes homosexuelles d’alibi au suicide : « Je n’ai jamais oublié Souad Hosni. Je n’avais pas oublié son feuilleton Houa et Hiya qui me faisait courir dans mon adolescence, à la sortie du collège. J’avais depuis rattrapé mon retard en regardant presque tous les films qu’elle avait tournés. Je l’avais suivie de près, de très près, avec attention et une certaine admiration. Et puis, au début des années 90, après l’échec retentissant de son film ‘Troisième Classe’, elle avait disparu. Pendant deux ou trois ans, on ne savait pas où elle était. Elle se cachait en fait à Londres où elle soignait un mal de dos et une dépression chroniques. On la disait sans le sou, ruinée. L’État égyptien, qui payait pour son hospitalisation, avait fini par la lâcher, l’abandonner. En juin 2001, elle s’était suicidée en se jetant du balcon de l’appartement où elle résidait à Londres. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 91) ; « Là, dans cette obscurité, dans cette exécution, cette mort volontaire, je me suis souvenu de ma sœur hantée. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, op. cit., p. 123)

 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

Code n°128 – Mort = Épouse (sous-code : Veuve)

Mort = Épouse

Mort = Épouse

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 
 

Mariées avec la mort ?

 

Incroyable mais vrai : beaucoup de personnes homosexuelles croient inconsciemment qu’elles sont mariées à la mort. Ce n’est pas moi qui l’invente : ce sont elles qui le disent ! Alors bien sûr, elles prétendront que c’est faux parce qu’elles savent bien faire intellectuellement la différence entre la mort cinématographique et la mort réelle… mais dans leur cœur, c’est beaucoup moins clair.

 

Elles célèbrent en général la mort dans sa forme la plus parfaite : l’actrice ou la veuve (Je traite plus largement de la mort en général, et de la place du suicide en particulier, dans le code « Mort » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). À les entendre, la Faucheuse serait l’épouse idéale et « pure » (le narrateur du roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, pp. 46-47), le reflet narcissique qu’elles pourraient rejoindre pour gagner l’éternité et s’auto-contempler. Leur identification à la veuve drapée de sa mantille noire, portant des lunettes de soleil pour cacher sa fausse/digne peine, est relativement fréquente dans les fictions traitant d’homosexualité.

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles – y compris celles qui ne se pensent pas suicidaires ou déprimées – prennent la Camarde pour leur fiancée. « Je sens que la mort m’aime et me cherche pour m’emmener dans son inframonde. » (Raúl Gómez Jattin sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) Certaines disent même préférer la mort à leur amant, et remarquent que ce dernier aussi, comme le montrent les propos de Klaus Mann dans son Journal (1937-1949) : « Lui, il aime la mort à vrai dire davantage que moi. » (p. 53) Il s’agit d’une croyance absurde, puisque l’Amour vrai, même s’il se manifeste parfois dans des situations d’épreuves, n’a jamais eu besoin de la souffrance ni de la mort pour exister. Mais elles s’obstinent à la rendre effective par l’intermédiaire de l’esthétique, pour se créer un destin de star romantique maudite et devenir un objet sacré.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Mort », « Morts-vivants », « Frankenstein », « Femme-Araignée », « Reine », « Mère possessive », « Femme fellinienne géante et pantin », « Homosexualité noire et glorieuse », « Carmen », « Actrice-Traîtresse », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », « Amant triste », « Vampirisme », « Amant narcissique », « Femme allongée », « Mariée », « Se prendre pour le diable », « Liaisons dangereuses », « Coït homosexuel = viol », à la partie « Rouge et noir » du code « Corrida amoureuse », à la partie « Fixette sur un amant perdu et déifié » du code « Clonage », et à la partie « Nécrophagie » du code « Cannibalisme », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 
 

FICTION

 
 

a) Le personnage homosexuel considère la Mort comme une épouse à qui il doit rester fidèle :

Film "Giorgino" de Laurent Boutonnat

Film « Giorgino » de Laurent Boutonnat


 

Dans les fictions homo-érotiques, la Mort est très souvent associée par le héros homosexuel à une épouse, une mère, une sœur, une star qu’il ne peut trahir : « Elle est ma sœur, la Mort ! » (l’Infirmière dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 63) ; « Il faut que je t’explique pourquoi j’ai peur de la photographie. Pour moi, c’est la mort. Je me rappelle Maman presque tous les jours. Je me souviens d’un après-midi en particulier. Nous étions sur les rives de la Sunshine Coast, dans le golfe d’Alaska. Partout il y avait de la neige, c’était blanc à perte de vue. Papa avait acheté un Polaroïd, Maman s’était assise sur un tas de neige. Son visage ce jour-là sera son visage pour toujours. J’entends tout à coup le ‘clic’ de l’appareil, le ‘zzz’ de la photo qui sort – petit à petit, le portrait se révèle… Je trouve ça magique. Et pourtant, lorsque les traits de Maman deviennent tout à fait nets sur le papier glacé, je ne la reconnais plus… Elle a déjà changé. Je la regarde, je regarde la photo, je la regarde, je reviens à la photo : ma mère s’enfuit ! Je pleure énormément. La photo tombe sur la neige. Quand mon père la ramasse, les couleurs ont suinté, le visage de ma mère n’est plus qu’une traînée rose. » (Chris, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 44) ; « Je décide d’attendre sans bouger un long et profond sommeil qui ressemble à la mort comme je l’imagine. J’y vois maman dans une grande robe blanche. Elle me sourit, court dans un champ de fleurs bleues. On dirait qu’elle vole. » (le jeune narrateur du roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 88) ; « Je sortais avec une fille mais… elle est morte. » (Antoine, le héros, en parlant de sa meilleure amie Sophie – pourtant toujours vivante au moment où il en parle – dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, p. 15) ; « Sophie avait modérément apprécié qu’il la fasse passer pour morte. » (idem, p. 21) ; « Dans un dernier flash, elle [Truddy] vit le visage de sa mère, morte à sa naissance et qu’elle n’avait connue que par des photos. » (cf. la nouvelle « Les Potins de la femme assise » (1978) de Copi, p. 40) ; « Perdu le coeur d’une femme, et la mort porte son nom. » (cf. la chanson « Insondables » de Mylène Farmer) ; « Toi aussi, t’as eu ta période gothique. » (Louis, le héros homo, s’adressant à sa mère, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; « Je me demande si la mort ressemble à ça. » (Virginia Woolf s’adressant à son amante Vita Sackville-West juste après qu’elle l’a fait jouir au lit, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc.

 

La Mort (Maria Casarès) dans le film "Orphée" de Jean Cocteau

La Mort (Maria Casarès) dans le film « Orphée » de Jean Cocteau


 

Dès l’incipit de son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), le comédien Raphaël Beaumont rentre sur scène en ayant une conversation téléphonique amoureuse avec la mort (« Non, c’est toi qui raccroches… Ah non, c’est tooooi ! »). Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, la Mort, personnifiée par Maria Casarès, symbolise également l’amour-glamour : « Vous vous attendiez sans doute à me voir travailler avec un suaire et une faux ? Mais mon garçon, si j’apparaissais aux vivants tel qu’ils me représentent, ils me reconnaîtraient, et cela ne faciliterait pas notre tache. » Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, la cantatrice d’Opéra, Regina Morti – dont le nom signifie « Reine des Morts » – déclare sa flamme à Cyrille, le héros homosexuel mourant du Sida sur son lit d’hôpital ; ce harcèlement de star mythomane le fait réagir (« Vous êtes folle ? Nous ne sommes pas mariés ! », p. 50) ; et elle lui donne une réponse déconcertante : « Nous le sommes dans le royaume des morts. […] Je vous attends dans l’au-delà per il grande finale ! » En bonne star paranoïaque en mal de fans et de reconnaissance, elle lui attribue même des mots doux qu’il n’a jamais écrits. Dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb, la vieille Olga raconte les horreurs de la Seconde Guerre mondiale à Katya et à Anton, le héros homosexuel, et dit qu’elle a connu les Nazis.

 

Film "le Secret de Veronika Voss" de Rainer Werner Fassbinder

Film « le Secret de Veronika Voss » de Rainer Werner Fassbinder


 

Il est très fréquent dans la fantasmagorie homosexuelle que le personnage homosexuel identifie son amant à la Mort : « Tout ce qu’elle veut, c’est me voir morte. » (Rinn parlant de Juna, la femme qu’elle aime, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Mon amour, mon ange noir, pardonne-moi. […] Je l’aimais Suki. Je l’aimais. » (Kanojo parlant à Juna, son amante qu’elle a tuée par un combat de magie, idem) ; « J’avais l’impression que j’étais en train de mourir. Mais vue comme ça, la mort, c’était ce que j’avais connu de meilleur dans ma vie. » (Mourad, l’un des deux héros homosexuels décrivant son premier émoi amoureux pour un homme, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Tu vois l’amour comme un tombeau. » (la Dame Étoile à Tania l’héroïne lesbienne, dans la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Gabrielle s’épouvantait de céder ainsi au plaisir vain de s’adresser à une morte [Émilie]. […] Là où elle était, Émilie n’attendait plus rien, Gabrielle non plus. Mortes toutes deux… toutes deux. Ou presque. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 208-209) ; « J’ai rencontré la mort et j’ai pas osé l’envoyer chier. » (Frédérique Quelven dans son one-woman-show Nana vend la mèche, 2009) ; « J’ai voyagé d’une morte à l’autre. » (Laura en parlant de sa compagne Sylvia puis de sa mère, dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 200) ; « La Mort prochaine et moi, nous faisons nos adieux, nous nous promenons, nous marchons la nuit dans les rues désertes légèrement embrumées et nous nous plaisons beaucoup. » (Louis dans la pièce Juste la fin du monde (1999) de Jean-Luc Lagarce) ; « Je danse avec la mort. » (la figure de Frida Kahlo dans la pièce Attention : Peinture fraîche (2007) de Lupe Velez) ; « Ce n’était ni pour sa fortune, ni pour son élégance qu’Élisabeth l’avait épousé, ni pour sa grâce. Elle l’avait épousé pour sa mort. » (la voix-off de Jean Cocteau dans le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville) ; « La mort seule m’aimera. » (Mino dans le film « À travers le miroir » (1961) d’Ingmar Bergman) ; « C’est la mort qui m’épouse. » (Antigone dans la pièce éponyme (1922) de Jean Cocteau) ; « L’amour, la mort, peut-être. » (cf. la chanson « L’Innamoramento » de Mylène Farmer) ; « Oui, la mort était bien là. […] Assise au bord de mon lit, les coudes relevés en os sans chair, la faux entre les jambes, la tête chauve et le crâne escarpé, du noir autour des yeux et le sexe disparu, la mort me proposa un dilemme sagement monstrueux. C’était lui, l’homme sans visage de la voiture ou elle. Elle ou lui ? Lui ou elle ! » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 107) ; « Je pensais que ce serait sexy de voir Dean te tuer. » (Wayne au cadavre de Jimmy, dans la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper) ; « Sexy coma, sexy trauma, sexy coma… » (cf. la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer) ; « Je reconnais alors la voix d’un cher défunt, d’un défunt qui ne respire plus que par mes lèvres : toujours, quand l’enthousiasme me donne des ailes, je suis lui. » (le narrateur homosexuel du roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 66) ; « Jamais peut-être, ils n’avaient été aussi proches l’un de l’autre, mystérieusement aussi proches. » (Malcolm au chevet de son amant Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 130) ; « Et mourir d’être mortelle, mourir d’être aimée. » (cf. la chanson « Paradis inanimé » de Mylène Farmer) ; « Sur vos tombes, j’irai cracher. Chacun, je les souillerai de mes déjections de pédé. » (Luca dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Je m’accroche à la certitude que l’amour ne dure pas. » (Sylvie, la « fille à pédés » dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Le soir je dors profondément à côté de mon éditeur. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 124) ; « Karma est capable d’être en retard à son propre enterrement. Mais je l’aime. » (Amy en parlant de sa fausse copine Karma, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « Il n’est qu’un oiseau de mauvais augure. Cet homme est froid comme la mort. » (le Père 2 parlant de son futur gendre, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud) ; « Un ange éploré était accroupi à la base d’une grande croix, les bras levés vers le ciel dans une posture suppliante. Ses ailes étaient aussi longues que son corps, son visage beau et torturé, évoquant un Jésus féminin. Le sculpteur avait fait du bon travail ; une impression de lumière se dégageait des plis de pierre de sa robe, laquelle épousait ses formes athlétiques mais manifestement féminines. Jane s’aperçut que son regard s’attardait sur les fesses de l’ange. Elle rit et murmura : ‘ Du porno de cimetière. » (Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; « J’ai envie de toi, là, maintenant, sur le cercueil ! » (Vincent s’adressant mentalement à son amant et demi-frère Nicolas face au tombeau de leur père, dans la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux) ; « L’amour est aussi fort que la mort. » (Valmont dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « J’ai rêvé que t’étais morte. » (Mathilde s’adressant à son amante Isabelle, dans la pièce Elles s’aiment depuis 20 ans de Pierre Palmade et Michèle Laroque) ; « Je suis là. T’as pas besoin de faire semblant d’être déjà mort. » (Arthur s’adressant à son amant Jacques, malade du Sida, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

C’est la mort (ou un mort) qui permet la formation du couple homosexuel fictionnel. Par exemple, dans le film « Fried Green Tomatoes » (« Beignets de tomates vertes », 1991) de John Avnet, c’est un mort, Buddy (le grand-frère de Idgie, et le fiancé de Ruth), qui réunit les deux femmes. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, la Mort est présentée comme une partenaire de vie. Sergueï Eisenstein, homosexuel, danse la valse avec un squelette : « La mort est proche ici. Elle me tape sur l’épaule. » ; « La mort devrait toujours être prête à répondre à un appel. » ; etc. Son amant Palomino aussi. Ce dernier dit qu’il a rendez-vous avec la mort : « La mort est une amie, pas une étrangère. Ici, au Mexique, la Mort arrive souriante, sobre. » Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo Nathan euthanasie son amant Sean, malade du Sida, puis ensuite le tromper le soir même de sa mort… mais tout ça est présenté comme de l’« amour ». Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, un Allemand, est en couple épisodique avec Oren, un Israëlien, qui finit par se tuer dans un accident de voiture à Jérusalem. Tomas décide d’aller sur les traces de son amant en terre juive. Oren apparaît sous forme de flash-back, d’images réelles et de résurgences actualisées. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Jonas, le héros homosexuel, drague 18 ans après avoir perdu son amant de jeunesse Nathan, le frère de ce dernier, Léonard. Une façon pour lui de conjurer le sort et de retrouver Nathan.
 

Le duo Eros et Thanatos rencontre un certain succès dans les œuvres de fiction homosexuelles, puisque très souvent, les deux amants homosexuels se retrouvent davantage dans la mort que dans la vie : cf. le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol (dans lequel l’amant tant aimé se suicide), le film « Thelma et Louise » (1991) de Ridley Scott (avec le suicide collectif du couple lesbien), le film « La Ley Del Deseo » (« La Loi du désir », 1986) de Pedro Almodóvar, le film « Liebe Ist Kälter Als Der Tod » (« L’Amour est plus froid que la mort », 1969) de Rainer Werner Fassbinder, la pièce Doña Macabra (1970) d’Hugo Argüelles, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox (avec les deux amants qui finissent par se faire sauter à la bombe ensemble), le film « Du sang, de la volupté et de la mort » (1947-1948) de Gregory J. Markopoulos, le film « Je t’aime, je te tue » (1971) d’Uwe Brandner, le film « Mourir d’aimer » (1970) d’André Cayatte, le film « Rites d’amour et de mort » (1965) de Yukio Mishima, le film « O Beijo No Asfalto » (1985) de Bruno Barreto, le film « La Chair et le Sang » (1985) de Paul Verhoeven, le film « Man To Man » (1992) de John Maybury, le film « Amour et mort à Long Island » (1997) de Richard Kwietniowski, le film « The Sweet Smell Of Death » (1995) de Wong Ying Git, le roman La Vallée heureuse (1939) d’Anne-Marie Schwarzenbach, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, la comédie musicale Angels In America (2008) de Tony Kushner, le film « Nés en 68 » (2008) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, le vidéo-clip de la chanson « Peut-être toi » de Mylène Farmer (dans lequel les deux amants finissent transpercés mortellement par la flèche de leur amour), le film « Mercy » (« Amours mortelles », 2001) de Damian Harris, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, les films « New Wave » (2008) (avec Romain, l’amant mort) et « Après lui » (2006) de Gaël Morel (avec Camille, la mère endeuillée de Matthieu), le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet (dédié à son ami de prison Maurice Pilorge, condamné à mort), le roman L’Amant des morts (2008) de Mathieu Riboulet, la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander, le roman La Vie privée (2014) d’Olivier Steiner, la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette (avec la protagoniste lesbienne couchant avec le cadavre de son amante), etc.

 

Par exemple, dans le film « La Dérade » (2011) de Pascal Latil, après avoir subi une greffe cardiaque qui lui a sauvé la vie, Simon apprend que le donneur est en fait son compagnon François décédé dans un accident de voiture : Simon remplace un mort. Dans le roman L’Amant pur (2009) de David Plante, la tumeur au cerveau qui emporte Nikos empêche et paradoxalement permettrait « l’amour » entre lui et son amant David. Dans le film « Indian Palace » (2011) de John Madden, Graham veut retrouver son amour de jeunesse avant de mourir alors qu’il se sait malade d’une maladie incurable : c’est sa dernière volonté. Dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, faire son deuil et faire son coming out sont mis sur le même plan : accueillir l’existence de l’amour homo serait équivalent à dépasser la mort. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, le secouriste qui a sauvé de la noyade son futur amant Konrad mais qui est arrivé trop tard pour Heiko le partenaire de ce dernier, sert d’amant de substitution à Konrad, finalement. Il remplace un mort. D’ailleurs, Konrad le lui fait remarquer : « Tu t’es habitué à la mort. » Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler meurt fusillé dans les bras de son amant Jim, pendant la Guerre des Boers, en 1916 en Irlande. Dans le film « La Parade » (2011) de Srdjan Dragojevic, Radmilo tient en bras son amant Mirko juste après une sanglante Gay Pride à Belgrade, et juste avant qu’il ne meurt. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Grégory vient d’enterrer son compagnon Gérard, mort dans un accident effroyable de voiture.

 

Il n’est pas rare de voir le héros homosexuel faire l’amour à son amant décédé (cf. je vous renvoie aux codes « Cannibalisme », « Coït homosexuel = viol », « « Un Petit Poisson, Un Petit Oiseau » », ou encore « Violeur homosexuel », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, le héros homosexuel, n’arrive à jouir et à vivre la génitalité homosexuelle qu’une fois avoir étranglé son fantasme incarné en Jean. Dans le film « Drift » (2000) de Quentin Lee, les amants trouvent très romantique de s’imaginer s’aimer dans la mort : « J’aimerais mourir avec celui que j’aime. Un double suicide. On s’ouvrirait les veines dans une baignoire et on ferait l’amour, jusqu’à mourir dans nos sangs mêlés. » Dans la série nord-américaine Grey’s Anatomy, Todd embrasse sur la bouche le cadavre de Darren, son amant (et ancien camarade de front en Afghanistan) sur la table d’opération, et qui a succombé à une lourde opération de tumeur au cerveau. À la toute fin du film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, Jim est l’allégorie de la mort qui vient chercher son amant George et lui donne le baiser mortel qui l’entraînera avec elle. Dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, Ahmed fait un baiser à Saïd, son copain, mort carbonisé par la foudre : « Il dépose un long baiser sur les lèvres meurtries de son ami de la campagne. » (p. 48) Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin embrasse le cadavre de son copain Bryan : « Kévin se pencha vers moi, ses larmes coulaient sur mon visage. Il m’embrassa. Ses lèvres sur les miennes étaient chaudes et douces. » (p. 452) Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Miguel pleure sur la momie de son amant Santiago avant de la jeter à jamais dans la mer. Dans le film « Odete » de João Pedro Rodriguez, Rui embrasse le cadavre de son amant Pedro exposé dans un cercueil aux pompes funèbres. Dans l’épisode 4 de la saison 3 de la série Black Mirror (« San Junipero »), les deux héroïnes lesbiennes, Kelly et Yorkie, s’unissent dans l’euthanasie. Dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin, Frank demande à son amant Bill de l’euthanasier (car il se sait condamner par la vieillesse et la maladie) sous forme de mariage non-officiel, en le droguant puis en s’endormant dans ses bras. Bill, ne voulant pas être seul, se suicide avec Frank, façon tragédie romantique.

 

Film "Odete" de João Pedro Rodrigues

Film « Odete » de João Pedro Rodrigues


 
 

b) La veuve est un personnage habituel de la cour des miracles homosexuelle :

Mylène Farmer pendant sa tournée "N°5"

Mylène Farmer pendant sa tournée « N°5 »


 

La figure de la veuve est un leitmotiv des œuvres artistiques traitant de l’homosexualité : cf. le film « Átame » (« Attache-moi », 1989) de Pedro Almodóvar, la pièce Eva Perón (1970) de Copi, le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth), les chansons « La Veuve noire » et « Sans Logique » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Let Your Head Go » de Victoria Beckham, le film « Indian Palace » (2011) de John Madden (avec Evelyn, le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan (avec Marie, foulard autour de la tête, look sixties, lunettes noires), la veuve gay friendly qui comprend Graham), le film « Les Amants diaboliques » (1943) de Luchino Visconti (avec la figure de Giovanna), le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Drôle de Félix » (1999) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec la comédienne Patachou), la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba, 1936) de Federico García Lorca, La Veuve joyeuse (2005) de Jérôme Savary, la pièce L’École des Veuves (2008) d’Hazem El Awadly, la nouvelle The Roman Spring Of Mrs Stone (1961) de Tennessee Williams, le film « Le Quatrième Homme » (1983) de Paul Verhoeven (avec la veuve noire), la comédie musicale Fame (2008) de David de Silva (avec la cousine Conchita), le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (avec Mme Fève et Mme Especel), le film « Exposé » (1976) de James Kenelm Clarke, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, la pièce Doña Macabra (1970) d’Hugo Argüelles, le film « The War Widow » (1976) de Paul Bogart, le film « La Veuve noire » (1986) de Bob Rafelson, la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, le film « Les Veufs » (1991) de Max Ficher, le film « La Vespa » (2001) de Gianlucca Fumagalli, le film « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat (avec Lady Felicity), la pièce Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud, le one-man-showJérôme Commandeur se fait discret (2008) de Jérôme Commandeur, le film « A Festa Da Menina Morta » (2008) de Matheus Nachtergaele, la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le film « Kika » (1993) de Pedro Almodóvar (avec Victoria Abril en présentatrice-télé sadique, en grande prêtresse de la Mort en direct), la pièce L’Orféo (2009) d’Alessandro Striggio (avec la figure sépulcrale de Sylvia), le one-man-show Petit cours d’éducation sexuelle (2009) de Samuel Ganes (avec la Princesse de la Mort), la chanson « Mourir sur scène » de Dalida, la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan (avec la figure de Roxane en veuve inconsolable), le film « L’Enfer perverti des veuves » (1991) d’Hisayasu Sato, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander (avec la mère endeuillée), le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot, la pièce Minuit chrétien (2008) de François Tilly, la pièce Tante Olga (2008) de Michel Heim (avec la Tante Olga), le one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc, le film « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto (avec Rosalia et Concetta, les veuves travesties), le film « Un Mariage de rêve » (2009) de Stephan Elliot (avec la veuve noire), le film « Le Refuge » (2010) de François Ozon (avec Mousse, la veuve discrète), la pièce Frères du bled (2010) de Christophe Botti (avec Marcelle, la mère de François, le personnage homosexuel), le film « The Children’s Hour » (« La Rumeur », 1961) de William Wyler (avec la veuve noire), le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » du groupe Cassandre, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (avec la veuve et ses lunettes noires), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec Bijou, la veuve hystérique et capricieuse surnommée « La Reine des Ombres », p. 27), la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi (avec la tante Louise), la pièce Eva Perón (1969) de Copi (avec Evita emmitouflée d’un foulard, avec ses lunettes noires), la nouvelle « L’Écrivain » (1978) de Copi (avec la veuve Mme Pignou), le film « Volver » (2006) de Pedro Almodóvar, la pièce Veuve la mariée ! (2011) de David Sauvage (avec Priscilla qui perd son mari le jour de son mariage), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec Sara, la mère veuve), le film « Potiche » (2010) de François Ozon (où l’on voit Suzanne avec son foulard et ses lunettes noires), la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen (avec Mme Follenska, la veuve bourgeoise), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (avec le personnage du travesti Line, la veuve avec lunettes noires et foulard de star), le poème « Le Condamné à mort » (1942) de Jean Genet, la pièce musicale Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini (avec Dalida, « l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire » au parcours jonché de cadavres et d’hommes suicidés), la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias (avec « la Téré », la directrice de la volière), la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (la cantatrice Isabelle, fantôme qu’on ne voit jamais, est décrite par Romain, le coiffeur homosexuel, comme une « veuve noire »), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Lucie/Clara, la maîtresse de cérémonie macabre), le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas (avec Maria jouant le veuve affectée à la mort d’un auteur dramatique qu’elle connaissait à peine), le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou (avec Junn), la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux (avec Géraldine, la femme de Nicolas le héros homosexuel), etc.

 

Beaucoup de héros homosexuels s’identifient à une reine endeuillée maternelle, qui ne serait ni trop démonstrative dans sa douleur (pour conserver sa noblesse de diva, sa pudeur, son courage, son statut figé de femme-objet immortelle qui ne craquèle jamais…) ni trop discrète non plus (sa tristesse doit se voir : c’est la mort qui, grâce à la beauté, est censée vaincre/contaminer la Vie et l’Amour !) : « Mylène Farmer, c’est croque-mort. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Lucie [l’un des héroïnes homosexuelles] cache bien sa détresse, stoïque comme la vie le lui a appris, mais elle sait qu’elle ne pourra pas tenir encore longtemps. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 30) ; « La mère est là. Elle est là, droite, debout devant moi, raide dans la douleur. Sa raideur ressemble à la rigidité d’un cadavre. Ce n’est pas l’expression d’une forme de dignité même si je ne doute pas un seul instant que cette femme soit d’une exemplaire dignité. C’est l’immobilité de la souffrance absolue, la position de qui lutte pour ne pas mourir. […] La mère est là. Elle est grise, comme si le visage était de cire, comme si toute lumière avait disparu, comme si l’ombre avait affaissé tous ses traits, comme si l’obscurité s’était emparée d’elle. […] On est submergé par sa douleur à elle. […] Le contact avec elle me ramène à la pureté intacte de mon chagrin, à l’épaisseur inentamée de ma tristesse. […] Une voix d’outre-tombe. » (Vincent, le héros homo, décrivant la mère d’Arthur qui a perdu son fils à la guerre, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 189-192)

 

Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve le héros homosexuel, signe « D.I.E. » et porte parfois des lunettes noires de star. Elle conduira son fils vers la mort en l’internant dans un hôpital psychiatrique.
 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Très souvent, le héros homosexuel se prend pour la veuve cinématographique, une diva messagère de la mort : « Parfois il se fait des rencontres entre les vieilles veuves de folles et les vieilles folles à veuves. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 86) ; « Tu es veuve, mon pauvre enfant. » (Mère Anne du Corbeau à Maria-José le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 33) ; « Elle serait sans doute la veuve la plus convoitée de la jet society mais pour quoi faire ? » (idem) ; « C’était elle, en robe de deuil. » (Cocoliche dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Une coupe de Veuve Cliquot ? » (le Machiniste à la Comédienne, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai une tante qui m’adore comme si j’étais son propre fils. Une veuve. » (Lisandre dans la pièce Le Songe d’une nuit d’été (1596) de William Shakespeare) ; « Une femme entre dans le Musée des amours lointaines. Elle porte un large chapeau ainsi que de grosses lunettes noires. » (Félicia dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 237) ; « La veuve Nance avait été l’amour de ma jeunesse. » (Garnet Montrose, le héros homosexuel du roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 11) ; « Elle [Vicky, l’actrice défigurée, alias « Vicky Fantômas » ou « Reine des Ténèbres »] était actrice, elle était une des victimes de l’attentat du drugstore, vous vous en souvenez ? Elle a été presque déchiquetée, elle a perdu l’usage d’un bras et d’une jambe. Parfois, elle vient s’asseoir dans les derniers rangs, la tête cachée dans un foulard. Je l’ai vue rôder ce soir devant le théâtre. » (le Machiniste de la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « L’ascenseur s’arrêta encore une fois pour s’ouvrir sur une femme aux épaules carrées, coiffée d’une grossière perruque de guanaco blanchâtre, vêtue d’une tunique noire comme celle des prêtres mais en tissu léger et laissant apparaître un tailleur gris uni de chez Chanel et un foulard rayé gris sur gris de chez Grès, les jambes gainées de bas strictement beiges et chaussée d’escarpins en crocodile noir. Elle ressemblait un peu par l’expression à la mère de Vidvn, en plus absente […]. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, pp. 79-80) ; « Une femme m’a soudain attrapé par la main gauche. […] Une jeune fille à la fin de l’adolescence. Et déjà veuve. Déjà dans la mort. Sa main dans la mort touchait ma main. Cette pensée m’a fait peur. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, pp. 44-45) ; « J’étais terrorisé. Elle était tout près de moi. Elle n’était plus la même jeune femme qui m’avait abordé. Plus elle parlait, plus elle devenait une autre. Avec une autre voix. Un autre âge. Elle était collée à moi. Je sentais son odeur. Je reconnaissais cette odeur. Il fallait fuir. C’était l’odeur de la mort. » (idem, p. 47) ; « Seules les super salopes castratrices névrosées portent du noir. » (cf. une réplique du film « The Stepford Wives », « Et l’homme créa la femme » (2004) de Frank Oz) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homo, se décrit comme « l’Homme en noir », le « Prince des Poètes » : même s’il joue pour un temps la comédie de la veuve endeuillée qui a perdu la femme de sa vie dans un accident d’avion (« Je porte le deuil de ma vie… »), il se lâche ensuite sur le compte de sa femme en déclarant qu’il la haïssait et qu’il peut désormais vivre ses amours homosexuelles librement. Dans la pièce The Mousetrap (La Souricière, 1952) d’Agatha Christie (mise en scène en 2015 par Stan Risoch), Christopher Wren, le héros homosexuel, se projette dans Mollie Ralston : « Je vous imaginais en veuve… » Dans le film « Cruella » (2021) de Craig Gillespie, Artie, le personnage homosexuel, styliste, est fan de la méchanceté sophistiquée de la méchante Cruella, et devient son complice pour exécuter le plan de vengeance de cette dernière contre sa mère, la Baronne.

 

La veuve est moteur de fantasme (esthétique, amoureux, sensuel, cinématographique, plus qu’aimant). Par exemple, dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, Isabelle tombe sous le charme de la vénéneuse veuve Serena Merle : « Pour moi, vous êtes l’image même de la réussite. » Dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, la duchesse d’Albe (celle qui initialement a servi de modèle au peintre espagnol Goya pour réaliser La Maja Desnuda et La Maja Vestida) est associée à la fois à la mort et à l’éclair de l’appareil photographique : « La maigreur de la duchesse d’Albe lui avait attiré le sobriquet peu élégant de ‘La Esqueleta’. […] Sa fille cadette ressemblait comme deux goutte d’eau à feu leur mère morte en couches. » (p. 9) ; « La Duchesse d’Albe fut bien forcée de garder le deuil pendant un an. » (idem, p. 11) ; « La duchesse d’Albe se tenait presque cachée dans l’ombre d’un jasmin, le visage dissimulé sous une mantille noire. » (idem, p. 13) ; « Ce n’était pas finalement la laideur qui impressionnait le plus chez la duchesse d’Albe, mais son extrême maigreur, sa peau collée à son crâne, ses yeux très noirs enfoncés au fond de ses orbites, la proéminence de ses dents et sa peau d’un blanc grisâtre. » (idem, p. 14) ; « Soudain, un éclair traversa le ciel. Florencio en profita pour jeter un coup d’œil sur la duchesse ; il fut presque épouvanté par l’expression cadavérique, mais se dit que c’était probablement un effet de la lumière de l’éclair. […] Florencio Goyete Solis déposa la duchesse d’Albe évanouie sur le divan, le même que dans les deux tableaux. » (idem, pp. 18-19)

 

B.D." Femme assise" de Copi

B.D. » Femme assise » de Copi


 

La Mort, ou plutôt le fantasme de mort, figuré par l’actrice, est considérée comme plus éternelle que la Vie même : « C’est une belle journée, je vais me coucher, une si belle journée, Souveraine, donne l’envie d’aimer, mais je vais me coucher, mordre l’éternité à dents pleines. […] Belle, la vie est belle, mais la mienne, un monde emporté. Elle, j’entre en elle, et mortelle, va. » (cf. la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer) ; « Pour commencer, une de mes petites compositions : La Mort ! » (Lucie, la diva-serveuse au rire sardonique, qui s’annonce en grandes pompes, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; « Même la mort n’en veut plus. » (Léo à propos de l’actrice Loana, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas) ; etc.

 

ÉPOUSE Sex Friends

Pièce « Les Sex Friends de Quentin » de Cyrille Étourneau


 

Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, associe sa mère à la mort. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, Tomas, un Allemand, est en couple épisodique avec Oren, un Israëlien marié à une femme Anat, qui finit par se tuer dans un accident de voiture à Jérusalem. Tomas, pour retrouver Oren, couche avec la veuve. Anat est le seul témoin vivant et sensuel qui peut ramener à Tomas, le souvenir d’Oren. Dans ce film, une autre veuve – la maman d’Oren, Hanna – exerce un mystérieux pouvoir divinatoire d’homosexualité sur Tomas : elle a compris énigmatiquement le lien érotique qui reliait Oren à Tomas.

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, notamment, la féminité fatale et mortelle est mise à l’honneur, autant avec le fantôme de lady Philippa, qu’avec les femmes russes castratrices (telles que Groucha), ou encore avec Amande, la peste de l’histoire qui va finalement « passer à l’échafaud » sur décision de la collectivité : « Tout le monde s’étais mis sur son trente et un pour cette soirée d’adieu. Les couleurs exaltant le bronzage étaient de sortie, environnées de parfums légers ou capiteux, boisés ou fruités. Mais Amande était à coup sûr la plus belle, une fois encore. […] Avec son turban cerise sur la tête, son débardeur assorti, sa minijupe noire et ses espadrilles à talon compensé, elle était ravageuse, et elle le savait. Une véritable reine. Mais ce qu’elle ignorait, c’est qu’elle venait en réalité de faire une toilette de condamnée à mort. » (pp. 418-419)

 

Dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le couple homosexuel s’identifie à l’obscure et désirable Marie de Médicis, la reine que l’Histoire officielle a voulu austère, tout de noir vêtue. Dans la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen, l’obsession de la Mort est très prégnante : elle est représentée comme une « diva des décombres », contemplant une Apocalypse (médiatique) à distance, défilant au ralenti pour afficher son impuissance solennelle. Lors du spectacle Charlène Duval… entre copines (2011) de Charlène Duval, Madame Raymonde prétend « hanter » le Vingtième Théâtre de Paris. Dans la chanson « Les Adieux d’un sex-symbol » de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger, l’actrice vieillissante Stella Spotlight se définit elle-même comme la mort en personne : « Voulez-vous voir la mort en face ? Elle s’habille en technicolor. »

 

L’immortalisation de la Mort iconographique montre une volonté de beaucoup d’auteurs homosexuels de ne pas affronter la mort réelle, de figer la course et la réalité du temps. « La tradition veut que je ne meure jamais ! » (la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi)

 

La mort est surtout signe chez le personnage homosexuel d’un narcissisme destructeur. C’est pourquoi elle est envisagée non comme une réalité (celle de notre finitude) mais comme un déguisement (de travesti, de mannequin, de pleureuse professionnelle). « J’veux mourir blond, avec des lunettes noires pour faire la star. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « C’était une déesse. Une déesse sépulcrale régnant sur l’obscurité immense, un fantôme incolore qui avait quitté l’écran d’un film en noir et blanc. » (cf. un extrait d’une nouvelle écrite par un ami en 2003, p. 8) ; « Ne m’appelez pas madame. Appelez-moi mademoiselle, ou bien veuve. […] Je préfère que vous m’appeliez veuve. Bien que je ne le sois pas vraiment, mon mari n’étant pas mon mari et n’étant d’ailleurs pas vraiment mort, à vrai dire. » (Jeanne au marchand de melons, dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi, pp. 91-92) ; « Le malheur me va si bien. » (Valentine en veuve dans la pièce Le Jour de Valentin (2009) d’Ivan Viripaev) ; « Une robe noire… Il me faut une robe noire pour le voyage. » (Octavia, le héros transsexuel M to F de la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « J’accompagne un cortège funèbre. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 28) ; « Je suis assis à côté, il fait semblant de ne pas voir les larmes qui coulent sous mes lunettes. ‘Pierre, je murmure, Pietro… » (le narrateur parlant de son amant, dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 56) ; « Pierre pousse des cris comme une Sicilienne à une veillée de mort, je la gifle. » (idem, p. 102) ; etc. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin pleurant la mort de son compagnon Bryan, est comparé par Laurent, l’auteur du meurtre de Bryan, à une « veuve éplorée » (p. 453). Dans le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann, Robbie, le héros homosexuel, se définit comme « une veuve de guerre ». Bien plus qu’une simple attitude de Drama Queen qui voudrait se rendre intéressant(e) en pleurant sur elle, l’identification à la veuve est souvent le reflet d’une profonde déception en amour. Par exemple, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, le vampire Prétorius se plaint de perdre tous les gens qu’il aime autour de lui, d’un abandon affectif.

 

Certains héros homosexuels entretiennent avec la veuve un rapport idolâtre d’attraction-répulsion : ils la jalousent plus qu’ils ne l’aiment, car ils rêvent de lui dérober son identité de mante religieuse indépendante et croqueuse d’hommes : « Mme de Séryeuse adorait son fils, mais, veuve à 20 ans, dans sa crainte de donner à François une éducation féminine, elle avait refoulé ses élans. Une ménagère ne peut voir du pain émietté ; les caresses semblaient à Mme de Séryeuse gaspillage du cœur et capables d’appauvrir les grands sentiments. […] Aussi, cette mère et ce fils, qui ne savaient rien l’un de l’autre, se lamentaient séparément. Face à face ils étaient glacés. » (Raymond Radiguet, Le Bal du Comte d’Orgel (1924), pp. 53-54) Par exemple, dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (interprété par James Dean) suit tout le temps la « veuve » (elle ne l’est pas, mais lui ressemble), Kate ; il découvrira qu’elle est sa vraie mère et qu’elle l’a abandonné : « Vous lui direz que je la déteste. »

 

Finalement, les personnages homosexuels s’entendent dire parfois que leur pratique homosexuelle – en laquelle ils voudraient n’y voir qu’une déesse éternelle – est certes une mort qui a sa beauté, mais une mort quand même. « L’homosexualité est une mort. La mort est belle sauf qu’elle est moins belle que la vie. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, Suzanne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 
 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles considèrent la mort comme une épouse à qui elles doivent rester fidèles :

Le couturier homosexuel Yves Saint-Laurent

Le couturier homosexuel Yves Saint-Laurent


 

La Mort est associée par beaucoup de personnes homosexuelles à une épouse, une mère, une sœur, une star qu’elles ne peuvent trahir, à un amant éternel, bref, à l’Amour : « La mort est une compagne fidèle, toujours présente dans les moments de solitude. Elle ne me quitte jamais. Pas un jour ne passe sans que je ne la regarde de près avec une envie irrépressible de la toucher, de me fondre en elle. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 64) ; « La mort toujours a été très proche de moi ; elle a toujours été pour moi une si fidèle compagne, que parfois j’ai peur de mourir seulement parce qu’alors peut-être que la mort m’abandonnera. » (Reinaldo Areinas, Antes Que Anochezca, 1992) ; « Je la connais bien et nous avons parfois flirté ensemble. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 140) ; « Je suis enfermé, terrifié et coupable […] de la période de prétendant où je me suis cru élu, où je me suis cru le petit fiancé de la mort. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), pp. 85-86) ; « Un soir, la mort est venue me voir. » (Yanowski pendant son concert Le Cirque des Mirages, 2009) ; « Le mort et le plus beau des humains m’apparaissaient confondus dans la même poussière d’or. […] Je faisais connaissance au même instant avec la mort et avec l’amour. » (Jean Genet, Journal du Voleur (1949), p. 43) ; « À sa mort, il serait moi. […] Nous étions vraiment destinés à être complémentaires… » (Gore Vidal évoquant son ami Jimmie, dans ses Mémoires (1995), p. 425) ; « J’étais dans ma deuxième vie. Je venais de rencontrer la mort. J’étais parti. Puis je suis revenu. Je courais. Je courais. Vite, vite. Vite. Vite. Vers où ? Pourquoi ? Je ne le sais pas pour l’instant. Je ne me rappelle pas tout. Je ne me rappelle rien maintenant à vrai dire. Mais ça va venir, je le sais. » (les toutes premières lignes de l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008) d’Abdellah Taïa, p. 9) ; « La mort m’avait choisi. » (idem, p. 14) ; « J’en ris, aujourd’hui, mais, ce jour-là, je me crus bien saisi par la mort elle-même. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 89) ; « Je passai donc ma première d’études aux Beaux-Arts dans le labeur et la chasteté, avec l’idée fixe d’épouser, à l’issue de mes années d’études, une amie d’enfance, morte depuis et que j’aimais alors par-dessus tout au monde. Aujourd’hui, avec le recul du passé, je me rends compte que je l’aimais trop pour m’apercevoir que je ne la désirais pas. Je sais : certains esprits admettent difficilement l’un sans l’autre. Cependant, hormis cette jeune fille, aucune femme n’a habité mes rêves ni réussi à éveiller en moi quelque désir… » (idem, p. 94) ; « Il s’est laissée séduire par une figure perverse : la Mort. » (Prosper Mérimée parlant de la mort du criminel Lacenaire, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, une femme géante nocturne vient annoncer à Bertrand Bonello dans son sommeil, en murmurant à son oreille, qu’il va mourir : « Répète après moi : ‘Je vais mourir d’un sectionnement des mains.’ »

 

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles


 

La Mort épousée mentalement/fantasmatiquement n’est en réalité que le reflet dévitalisé, lisse, froid et superficiel, du miroir narcissique de soi-même. Par exemple, dans l’article « Copi : on a perdu l’original » de Mathieu Lindon et Marion Scali, publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987, l’un des dessins de Copi représente la Mort habillée en girl des Folies-Bergère, avec cette légende : « La star, c’est moi. » Dans le docu-fiction « Brüno » (2009) de Larry Charles, Brüno fait l’amour avec un mort, l’Homme invisible. Parce qu’au fond, il ne veut pas avouer qu’il veut s’adorer/se détester lui-même…

 

Actuellement, le duo Eros et Thanatos rencontre un certain succès dans l’esprit des personnes homosexuelles pratiquantes, puisque très souvent, elles pensent que les sentiments d’amour justifient toute pratique, y compris la chute collective à deux dans la mort : cf. le roman Le Mausolée des amants (1976-1991) d’Hervé Guibert. « Un jour, j’ai eu envie de baiser sans capote, de partager ce malheur avec lui. J’avais un désir assez inexplicable de sacrifice. Je savais ce que je faisais, j’ai ma part de responsabilité. » (Greg, 24 ans, test positif en avril 2001, cité dans la revue Têtu, avril 2002) ; « En observant Bruno pénétrer Fabien, la jalousie m’a envahi. Je rêvais de tuer Fabien et mon cousin Stéphane afin d’avoir le corps de Bruno pour moi seul, ses bras puissants, ses jambes aux muscles saillants. Même Bruno, je le rêvais mort pour qu’il ne puisse plus m’échapper, jamais, que son corps m’appartienne pour toujours. » (Eddy Bellegueule simulant des films pornos avec ses cousins dans un hangar, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 154) ; etc.

 

Il y a dans les backroom, les lieux de « drague dure » et de prostitution, parmi les amateurs de barebacking (promoteurs du fameux « baiser sans capote »), une quête désespérée d’« amour dans la mort » qui est indéniable, et qu’on a déjà pu observer en temps d’apparition du Sida (par exemple, si on fait un bref constat des acteurs de films pornos des années 1970-1980 encore vivants, on ne peut que reconnaître l’hécatombe, et la forte imbrication entre amour homosexuel et mort). « C’est pas loin de la mort. C’était pas spécialement désagréable, en dehors de l’image que l’on a de soi. […] Il y avait un potentiel de violence possible, c’était une époque où moi, j’étais proche de la mort. » (Richard, homme homosexuel abusé évoquant le viol qu’il a vécu, cité dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang, pp. 185-186)

 

Certains sujets homosexuels cherchent même à faire l’amour avec des cadavres (cf. je vous renvoie à la partie sur la « nécrophagie » dans le code « Cannibalisme » du Dictionnaire des Codes homosexuels). Par exemple, aux États-Unis, Jeffrey Dahmer (« le monstre de Milvaukee »), homosexuel, est un authentique nécrophile : entre 1978 et 1991, il a tué dix-sept jeunes hommes, et il prenait plaisir à faire l’amour avec des hommes inanimés et morts. Le mariage avec un mort n’est pas que fictionnel. C’est effectué dans la vie réelle. Par exemple, Étienne Cardiles s’est marié à titre posthume, le 30 mai 2017 au soir à la mairie du XIVe arrondissement de Paris, avec Xavier Jugelé, le policier assassiné sur les Champs-Élysées le 20 avril de la même année, dont il était le compagnon. La cérémonie s’est déroulée en petit comité en présence toutefois de plusieurs autorités. Ainsi, l’ancien président François Hollande a assisté à la cérémonie, tout comme Anne Hidalgo, la maire (PS) de Paris.

 

Comme je l’explique aussi dans la partie « Cimetière » du code « Mort », toujours dans ce Dictionnaire, quasiment tous les cimetières sont des lieux de drague homosexuelle insoupçonnée : plusieurs guides et fins connaisseurs de ces endroits (dont certains sont homosexuels) me l’ont confirmé, notamment lors de ma visite en 2011 du cimetière parisien du Père Lachaise.

 

Sofia Coppola par le photographe homosexuel Robert Mapplethorpe

Le photographe homosexuel Robert Mapplethorpe par Sofia Coppola


 
 

b) La veuve est un motif important d’identification homosexuelle :

La veuve cinématographique est un personnage très apprécié des membres de la communauté homosexuelle. « Coco et Paquito partirent vers le théâtre, pour commencer les répétitions de La Veuve joyeuse. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 99) Par exemple, dans le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet, Andy Warhol dit être fasciné par la veuve Jackie Kennedy. Je pense également à la veuve Doña Cecilia dépeinte par Alfredo Arias dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), ou à l’engouement de beaucoup de personnes homosexuelles pour des chanteuses comme Mylène Farmer, Barbara, Dalida, France Gall (« la » veuve par excellence), Annie Lennox (en grande Marquise de Merteuil sur son navire fantôme, lors de la cérémonie de clôture des J.O. de Londres, le 12 août 2012), etc.

 

La chanteuse Annie Lennox aux J.O. de Londres

La chanteuse Annie Lennox aux J.O. de Londres


 

On retrouve la veuve dans l’imagerie de beaucoup d’icônes gays : chez la chanteuse Jeanne Mas (habillée avec une mantille noire), chez Madonna (cf. le vidéo-clip de la chanson « Frozen »), chez Mylène Farmer, chez Vivien Leigh (cf. le film « Gone With The Wind », « Autant en emporte le vent » (1939) de Victor Flemming), chez Jeanne Moreau (« La Mariée était en noir » (1968) de François Truffaut), chez Mika (lors de son concert du 26 avril 2010 à Paris Bercy), etc. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Gaétane, l’homme transsexuel M to F (avec ses lunettes noires), fait de l’actrice en deuil un modèle d’identification fort. Par ailleurs, dans certains pays du Maghreb, ce n’est par hasard si la « veuve » est un terme synonyme « homosexuel ».

 

Film "Otto Or Up With Dead People" de Bruce LaBruce

Film « Otto Or Up With Dead People » de Bruce LaBruce


 

Dans l’imaginaire homosexuel, la Mort est souvent envisagée comme un esthétisme amoureux. Par exemple, lors de son concert Les Murmures du temps (2011) au Théâtre parisien de L’île Saint-Louis, Stéphan Corbin explique comment la mort de la chanteuse Lassa l’a affecté autant qu’inspiré pour écrire ses chansons d’amour. Selon lui, son album a été « créé pour la nuit, dans l’esprit amoureux, à écouter des chansons nostalgiques », pour « faire revivre chacune des personnes, chacun des instants » : « J’entends les soupirs des mourants. C’était une nuit d’hiver. C’était nous deux et le temps des adieux. »

 

Défilé Jean-Paul Gaultier (septembre 2011) avec Mylène Farmer en veuve

Défilé Jean-Paul Gaultier (septembre 2011) avec Mylène Farmer en veuve


 

Beaucoup de personnes homosexuelles s’identifient à une reine endeuillée, qui n’est pas la veuve réelle. C’est en réalité une actrice jouant la mélancolie, qui ne serait ni trop démonstrative dans sa douleur (pour conserver sa vraisemblance, sa noblesse de diva, sa pudeur, son courage, son statut figé de femme-objet immortelle qui ne craquèle jamais…) ni trop discrète non plus (sa tristesse doit se voir : c’est la mort qui, grâce à la beauté, est censée vaincre/contaminer la Vie et l’Amour !). On la croise beaucoup chez les héroïnes désespérées MAIS NOBLES créées par des artistes romantico-bobos comme François Ozon, Gaël Morel, Pedro Almodóvar, Philippe Besson, Jann Halexander, Abdellah Taïa, etc. « Héba, la demi-sœur, est celle qui m’a le plus touché. Je pourrais même dire que, quelque part, je suis tombé amoureux d’elle. Dans une Égypte qui voile de plus en plus ses femmes, Héba était libre, avec sincérité et conviction. Elle était belle comme une star de cinéma, comme Mervat Amine, dont j’avais aimé tant de films, surtout les comédies romantiques. Elle fumait avec élégance et sans provocation. Elle était habillée en permanence en noir, ce qui donnait encore plus de charme à sa silhouette très allongée. […] Les hommes étaient subjugués, ils la mangeaient des yeux mais n’osaient pas lui manquer de respect. Elle passait, et tout le monde se posait cette question : Mais qui est cette femme ? C’était une star. Et pas que pour moi. C’était une femme-mystère avec un peu de tristesse dans les yeux. Un être exceptionnel autour duquel on pourrait construire un film, écrire un roman, un recueil de poésie. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 69-70) ; « En présence d’une femme qui n’a rien oublié du passé et de ses blessures, qui n’a pas encore tourné la page et qui était dans cette douleur, devant nous, simple, sans manières artificielles. Digne. Belle. Belle. » (idem, p. 71) ; « Je ne sais pas pourquoi je suis allé sur sa tombe. Mais je sais que dans les allées de cet immense et magnifique cimetière en ruine, je me suis vu dans ma fin, en train de partir définitivement. J’ai vu encore une fois le monde arabe autour de moi qui n’en finissait pas de tomber. Et là, j’ai eu envie de pleurer. De crier de toute mon âme. De me jeter moi aussi d’un balcon. » (Abdellah Taïa parlant de l’actrice Souad Hosni, idem, p. 91) ; « Elle était petite de taille, sans âge et portait des habits noirs. Elle était sans doute une mendiante et elle avait hérité d’un certain pouvoir. Elle savait faire. Elle savait toucher. […] Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité. […] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. […] La dame en noir a lâché mon nez et de sa bouche a soufflé sur moi. » (idem, pp. 93-94) Cette veuve homosexuelle mi-fictionnelle mi-réelle exprime de manière indirecte et voilée un isolement, une profonde déception, une désillusion réelle, en amour (homosexuel). Un mal-être existentiel mal résolu.

 

Par exemple, le comédien homosexuel Jean-Claude Brialy était à tous les enterrements de stars du Père Lachaise… si bien qu’il était surnommé « la Mère Lachaise » !

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

Code n°129 – Morts-vivants (sous-code : Monstres / Zombies)

Morts-vi

Morts-vivants

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Quand la lumière du Désir sexué s’éteint…

 

Michael Jackson et ses démons de "Thriller"

Michael Jackson et ses démons de « Thriller »


 

Vivre comme un zombie, c’est vivre déconnecté du Réel, donc de Dieu et de la différence des sexes aimante. Notre corps se déplace, notre esprit et nos fantasmes sensoriels voyagent aussi… et pourtant, ce corps et cette conscience, qui forment indiscutablement un Tout (sauf pour les schizophrènes), ne sont plus reliés. Et pour le coup, nous ne sommes plus libres ni joyeux quand nous agissons. À nos yeux grands ouverts, vidés d’âme et de conscience, le Réel qui vient nous réveiller et se rappeler à notre bon souvenir, nous apparaît alors comme un terrible monstre qu’Il n’est pas. « Le sommeil de la raison engendre des monstres » a peint Goya. En fuyant le Réel et en se barricadant derrière nos écrans, tout ce que nous vivons, nous finissons par le subir. Et nous évoluons dans la société comme des automates, avides d’accumuler des devoirs et angoissés-ramollis de fuir nos devoirs.

 

Bien sûr que le temps terrestre de latence et d’attente jusqu’à la Vie éternelle nous prouve qu’on peut très bien vivre relativement heureux et faire du bien (ou en tous cas, pas de mal ni de dérangement) autour de nous sans la reconnaissance de Dieu, sans la pratique quotidienne de la prière et du rite catholique, sans la reconnaissance de la différence des sexes. Mais la question qui se pose, c’est « Comment vit-on ? » et surtout « Comment vit-on au mieux, avec ce feu qui étanche toutes nos soifs, qui calme toutes nos souffrances, qui nous fait croquer la vie à pleines dents, qui nous fait rechercher avec enthousiasme la Vérité ? ». Et de ce que j’observe dans ma vie de tous les jours, il est clair que les personnes de mon entourage qui vivent le plus heureuses, les deux pieds sur terre ancrés dans le Réel, au service des autres, dans la joie durable et l’humilité, qui créent du beau et du solide, ce sont précisément des gens qui reconnaissent l’existence de Dieu et de la différence des sexes, et qui s’engagent dans l’Église catholique.

 

En revanche, j’ai croisé chez les personnes qui fuient la différence des sexes (les personnes homosexuelles en première ligne) ou qui la sacralisent de manière trop arbitraire ou trop molle (les hétéros gays friendly athées), beaucoup de zombies, c’est-à-dire des individus qui vivent pour leur bien-être, leur confort matériel, leurs voyages (ou plutôt leurs errances), qui se laissent vivre, qui consomment pour oublier qu’ils ont peur d’aimer et qu’ils n’aiment pas vraiment en actes. Certes, ils peuvent connaître la réussite, s’engager politiquement, poser quelques actes de solidarité de temps à autre, picorer des amourettes par-ci par-là, et même vivre des expériences spirituelles ponctuelles. Mais il leur manque l’âme du Réel, l’humilité du Croyant. Au fond, nous vivons à une époque peuplée de morts-vivants. L’image cinématographique du zombie de film d’épouvante peut prêter à rire et nous sembler totalement excessive et déconnectée de la réalité. Mais détrompons-nous. Si les morts-vivants, les vampires, les monstres, les fantômes, peuplent de plus en plus nos écrans de cinéma, c’est qu’ils sont un peu le reflet de ce que notre monde intérieur, psychique, désirant, et parfois concret, sécrète, de ce que notre époque individualiste, matérialiste et jugement-phobiste suscite en nos cœurs endormis.

 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Frankenstein », « Vampirisme », « Doubles schizophréniques », « Clown blanc et Masques », « Voyante extra-lucide », « Homme invisible », « Amant diabolique », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Jumeaux », « Sommeil », « Mort = Épouse », « Mort », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Oubli et Amnésie », « Funambulisme et Somnambulisme », « Maquillage », « Main coupée », « Femme fellinienne géante et Pantin », « Poupées », « Extase », « Ombre », « Animaux empaillés », « Femme allongée », « Moitié », « Substitut d’identité », « Regard féminin », « Lunettes d’or », « Planeur », « Se prendre pour le diable », « Cour des miracles », « Milieu homosexuel infernal », « Déni », « Homosexuel homophobe », « Lune », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Milieu psychiatrique », « Voyage », « Andogynie bouffon/tyran », « Voyeur vu », « Espion homo », « Aube », « Clonage », « Douceur-poignard », « Amant triste », « Araignée », « Miroir », « Appel déguisé », « Homosexualité noire et glorieuse », « Parodies de Mômes », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », à la partie « Promenade chorégraphique » du code « Bobo », à la partie « Hypnose » du code « Médecines parallèles », à la partie « Ennui » du code « Manège », et à la partie « Hamlet » du code « Parricide la bonne soupe », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 
 

FICTION

 

a) Zom-bi(sexuel) :

La nuit des morts-vivants...

La nuit des morts-vivants…

On retrouve beaucoup de fois dans les fictions homo-érotiques la figure du mort-vivant ou du zombie. C’est d’ailleurs souvent le héros homosexuel lui-même : cf. le film « O Fantasma » (2000) de João Pedro Rodrigues, le film « Walked With A Zombie » (1942) de Jacques Tourneur et Val Lewton, l’album « Sleeping With Ghosts » du groupe Placebo, la pièce Hamlet, Prince du Danemark (1602) de William Shakespeare (« Être ou ne pas être, telle est la question… »), la chanson « Ghosts » de Michael Jackson, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, le recueil poétique Vivir Sin Existir (Vivre sans exister, 1945) de Luis Cernuda, le film « Homo Zombies » (2000) de Let Me Feel Your Finger First, le film « L’Invasion des morts-vivants » (1965) de John Gilling, le film « Le Zombie venu d’ailleurs » (1978) de Norman J. Warren, le recueil de poésies Cadáveres (1987) de Néstor Perlongher, la chanson « Les Enfants de l’aube » de Bruno Bisaro, le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, la pièce Giving Up The Ghost (1986) de Cherrié Moraga, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec le fantôme), le film « Révolte des morts-vivants » (1971) d’Amando de Ossorio, le film « Party Monster » (2003) de Fenton Bailey et Randy Barbato, le film « Ghosts Of The Civil Dead » (1989) de John Hillcoat, la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco, la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou (avec les morts-vivants dans le train), le vidéo-clip de la chanson « Thriller » de Michael Jackson, le vidéo-clip de la chanson « Substitute For Love » de Madonna, le vidéo-clip de la chanson « Le Brasier » d’Étienne Daho, le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » de Cassandre, la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet (avec la Nation de mortes-vivantes dans un hôpital psychiatrique), le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys (avec Bryan, le héros homosexuel qui finit le roman en cadavre parlant), le roman Un Garçon d’Italie (2002) de Philippe Besson (avec Luca, le mort-vivant), le film « Absences répétées » (1972) de Guy Gilles, le film « Ausente » (« Absent », 2011) de Marco Berger, le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan, la pièce Récits morts : un rêve égaré (1973) de Bernard-Marie Koltès, le film « The Dead Man 2 : Return Of The Dead Man » (1994) d’Aryan Kaganof, le film « Le Bain » (2012) de Joao Vieira Torres, le film « Caballeros Insomnes » (« Les Chevaliers insomniaques », 2012) de Stefan Butzmühlen et Cristina Diz, le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, la série In The Flesh (2013) de Dominic Mitchell (définie comme « la série de zombies gays friendly » officielle), la pièce Y’a un cadavre dans le salon ! (2022) de Claire Toucour, etc.

 

« Tu as l’air d’un zombie. » (cf. une réflexion faite à Prior, le héros homosexuel de la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner) ; « Gordon marchait comme un zombie. » (Hervé Claude, Riches, cruels et fardés (2002), p. 238) ; « Si, dans les mains du Seigneur qui t’éduqua de la sorte, ‘bonheur’ rime avec ‘malheur’ et les mots ‘vivante’ et ‘morte’ frappent toujours à la même porte, c’est au-delà de notre faute. » (Ahmed s’adressant à Lou, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Sale petit zombie. » (le père d’Howard – le héros gay – s’adressant à Cameron Drake qui a outé son fils, ans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « Je dois avoir l’air d’un zombie. » (Vincent Garbo, le héros homosexuel du roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 112) ; « Je flotte dans les rues comme sous analgésiques. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; « Je ne connais aucun crépuscule. » (l’un des héros homosexuels de la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès) ; « Les morts entendent tout et voient tout. » (Vincent, le héros homosexuel de la pièce L’Héritage était-il sous la jupe de papa ? (2015) de Laurence Briata et Nicolas Ronceux) ; « Nous mourrons. Puis nous revenons. » (Tommaso, le héros homosexuel, dans le film « Mine Vaganti », « Le Premier qui l’a dit » (2010) de Ferzan Ozpetek) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, Léo, le héros homosexuel croque-mort, s’exerce aux « mots-croisés pour zombies ». Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le Père 2 décrit son fils homosexuel comme « un machin pâlot et anémié », qui « traîne sa tronche grisâtre ». Dans le one-man-show Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, John Breakdown, le chorégraphe homosexuel, met en scène un « tableau des zombies » pour sa nouvelle mise en scène. Dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias, les oiseaux sont une foule de rapaces d’outre-tombe. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Chloé dit que Martin, le héros sur qui pèse une forte présomption d’homosexualité, a une « tête de zombie ». Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Sergueï Eisenstein, homosexuel, veut aller voir le Musée des morts de Guanajuato (Mexique). Palomino, son amant et guide mexicain, joue à fond la carte du mysticisme mortuaire : « Demander une rançon même pour un mort est une pratique courue au Mexique. ». Lorsque les deux tourtereaux se baladent dans le musée, ils voient des masques hurlants de cadavres qui semblent vivants. Dans l’épisode 321 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 26 octobre 2018 sur TF1, Barthélémy Vallorta, le héros homo-bisexuel, se prépare à fêter Halloween et compte se déguiser en zombie pour la soirée au bar du Spoon. L’un des gérants, Thomas Delcourt, lui demande « où en est son maquillage de zombie ». Et le Dr Samuel Chardeau, qui les écoute au comptoir, lui propose carrément de visiter une morgue : « Si tu veux voir des zombies, je peux t’en présenter. À la morgue. »
 

 

Le zombie homosexuel vit dans l’illusion d’être quelqu’un d’autre… parce qu’en fait il se déteste lui-même, doute de son incarnation et de sa consistance, expérimente un effondrement narcissique de sa personnalité, un trouble dans la perception de son identité. « Je t’écris pour te dire que je ne suis pas mort. » (Heiko, le héros homosexuel s’adressant à son amant Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Il ne peut rien arriver à un cadavre. » (Valmont dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc. Son désir est capturé, envoûté, anesthésié et vampirisé par une idole, une projection idéalisée de lui-même. Par exemple, dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, Fabien se retrouve « en léthargie » (p. 91) quand il se met dans la peau des autres, plongé dans un « lourd sommeil » qui n’est « ni la mort ni la vie » (p. 302) : un état intermédiaire, celui des zombies. Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, Laure remarque qu’« il y a donc des êtres humains qui ont une âme et d’autres qui n’en ont pas » (p. 359), ce à quoi Jean-Pierre lui répond que « ce serait une explication idéale pour les philosophes qui soutiennent l’existence des zombies ». Dans sa nouvelle « La Playa » (2000), Eduardo Muslip décrit les homosexuels comme des « personnes semi-endormies semi-réveillées qui peuvent être capturées par les rêves » (p. 260) et fait directement le parallèle entre le « devenir zombie » et le « devenir homosexuel » quand il écrit : « À coup sûr, j’ai dû être capturé par une sorte de fantaisie homosexuelle. » (idem, p. 261) Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny explique à Roméo, juste avant de l’embrasser pour la première fois, que lorsque quelqu’un meurt, son cerveau continue de rêver encore cinq minutes après que son cœur se soit arrêté, et que ce temps de latence, de tension entre la vie et la mort, ce serait l’Éternité, l’Amour vrai, la véritable identité de la personne homosexuelle.

 

Le zombie est parfois l’amant homosexuel du héros, ou bien ce même héros homosexuellement amoureux : un être apathique, qui s’ennuie, mou du genou, à apparence mortelle, un pantin bizarre voire inquiétant comme le diable : « Je me donne à un zombie. » (Camille chantant une chanson lesbienne à Yann, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm, dans l’épisode 3 de la saison 1) ; « C’est Chloé, et c’est autre chose, un zombie, un fantôme. » (Cécile décrivant son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 23) ; « Certains jours, au réveil, je pense que mon mec il a une âme morte dans la bouche… » (le Comédien dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Mais avant de faire mon entrée chez les morts vivants, j’évite de me plaindre. Je peux encore écrire, vous écrire, n’est-ce pas ? » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 181) ; « C’est un secret. Ça reste entre nous. Je peux rentrer en contact avec les morts. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Je peux rentrer en contact avec les personnes mortes, ou les personnes en sommeil paradoxal. » (Noémie dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone) ; « J’ai vu des morts, mais j’ai saisi le merveilleux. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer) ; etc. Par exemple, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, Omar propose à son amant Khalid, d’aller au cinéma voir le film « Re-Animator », une œuvre qui raconte l’histoire d’« un homme qui réveille les morts » (p. 111). Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Omar décrit Xav comme un « mort-vivant dégoulinant de sueur ». Dans le film « Otto ; Or, Up With Dead People » (2007) de Bruce Labruce, Otto, un jeune zombie paumé, sans souvenirs, erre dans Berlin. Il ne dort pas. Comme la chair humaine le dégoûte, il ne mange que des cadavres. Dans le film « Contracorriente » (2011) de Javier Fuentes-León, Santiago apparaît comme un fantôme vivant à Miguel. Dans le film « The Last Girl : The Girl with all the Gifts » (2017) de Colm McCarthy, par exemple, Melanie, une gamine zombie noire, tombe amoureuse de sa prof humaine Miss Helen Justineau, et leur « amour » chevaleresque est montré comme indestructible, authentique, durable « jusqu’à la fin des temps ».

 

Emory racontant son 1er amour homo, dans le film "The Boys In The Band" de William Friedkin

Emory racontant son 1er amour homo, dans le film « The Boys In The Band » de William Friedkin


 

L’état amoureux homosexuel rend zombie : « Les yeux noyés comme deux mutants sous hypnose. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Kévin traversa le premier trimestre comme un zombie. » (Bryan parlant de son amant, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 460) ; « Tu es sûre d’être vivante, chérie ? » (Louise s’adressant à Jeanne dans la pièce La Journée d’une rêveuse (1968) de Copi) ; « Je ne suis pas un monstre mais une fille douce que le désir des hommes jamais n’intéressa. » (c.f. la chanson « Monsieur Vénus » de Juliette) ; etc. Les techniques d’approche et d’identification homosexuelles sont calquées sur l’attitude des morts-vivants cinématographiques : « Ces regards insistants, cette façon languide de se tenir. » (le narrateur homosexuel se retrouvant face à deux pairs homosexuels, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 28)

 

Ce qui caractérise l’état du mort-vivant, c’est la souffrance muette, l’absence de Désir : « Les zombies ne parlent pas, ne pensent pas, mais ils souffrent, bien sûr, car parfois, quand la lune les éclaire, on voit tomber leurs larmes. La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est obéir, et souffrir. » (Molina, le héros homosexuel du roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 164) ; « Son visage était comme un masque, absolument sans expression. Elle se mouvait avec raideur, avec une précision singulière. […] Un cadavre… elle portait en elle un cadavre. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 258) ; « Intoxiques nos insomnies de leur infectieuse mélancolie. » (cf. la chanson « Les Torrents défendus » d’Étienne Daho) ; « Je ne sais pas vraiment ce que je fais. » (Elena par rapport à sa relation lesbienne avec Peyton, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; etc. Littéralement, le personnage homosexuel « s’absente sur place » : « J’ai été assez absent. » (le héros dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Ces absences, tu les as toujours ? » (un amant de Dany, dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Encore une fois, penser à ceux qui ne sont pas là ! Toujours ce décalage, pourquoi ? Je me suis souvent posé cette question. Une seule réponse plausible : je me suis inquiéter pour ceux qui sont présents. Ça ne les rend pas invulnérables pour autant, mais c’est comme ça. Je n’ai peur que pour les absents ! Comment les protéger, les secourir ? » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 242) ; « Je ne suis que le fantôme de moi-même. » (Nathan dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez) ; « Je m’absente… un peu comme si je n’étais plus là. » (Éric, l’un des héros homos du film « New Wave » (2008) de Gaël Morel) ; « Depuis ce matin-là, je suis comme absente. On me parle, je réponds, mais sans écouter… Le soir, c’est pis encore. Souvent, avant de m’endormir, j’imagine des situations qui dépassent le possible en m’inspirant des gravures que le libraire m’a montrées. Mon envie change souvent selon mon humeur. Cette nuit, j’ai rêvé de deux filles qui se rendaient leurs caresses dans un dortoir de pensionnat… Enfin, je pense à toutes ces situations que la plupart des femmes ne connaîtront jamais, par ce manque de courage qu’elles ressentent pour assumer leurs goûts au regard des conventions imposées. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 71) ; etc.
 

Le psychotique n’a pas accès à la métaphore : c’est à cela qu’on le reconnaît. C’est ce qui arrive par exemple à Todd, l’un des héros homos du film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson : « C’est quoi, une métaphore ? »
 

En général, le héros homosexuel gravite dans des lieux et un milieu social (le « milieu homosexuel ») où il rentre en contact avec des gens semi endormis, immatériels, qui le contaminent par leur pouvoir anesthésiant et déprimant (j’emploie le verbe « contaminer » à escient, car dans la fantasmagorie homosexuelle, les morts-vivants sont fréquemment l’allégorie des hommes porteurs du VIH ou des humains dépressifs) : « Je suis un fantôme au milieu des fantômes. Mon ombre ne se distingue pas de celle de mes compagnons. » (Leo, le héros homosexuel du roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 78) ; « Vous n’avez jamais rencontré de vrais homosexuels. Ce sont des bossus qui riraient de votre mariage. » (le père de Claire, l’héroïne lesbienne, s’adressant à sa fille et à la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « J’avais dix-huit ans, j’étais vierge et j’en avais assez de sublimer en rêvant dans mon lit à des êtres inaccessibles ou en tripotant dans l’ombre des parcs publics des corps fugitifs qui n’étaient pas là pour l’amour mais pour la petite mort qui dure si peu longtemps et qui peut être triste quand elle n’est agrémentée d’aucun sentiment. » (le narrateur homosexuel du roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 25) ; « J’avoue ne pas être tranquille la nuit ; dans ces lieux qui semblent maudits, j’ai la frousse de croiser un zombie un de ces quatre. » (Dylan, le héros homosexuel, dans le roman autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 51) ; « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15) ; « S’ils existaient, il y aurait des fantômes partout dans cette ville, partout dans toutes les villes. Et Glasgow ? Un meurtre à chaque coin de rue. » » (Petra, l’héroïne lesbienne parlant de Berlin à son amante Jane, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 36) ; « Ne vous inquiétez pas pour votre immeuble fantôme. Cette ville est pleine de fantômes, mais la plupart sont inoffensifs. C’est des vivants qu’il faut se méfier. dit Jurgen. Il faisait presque nuit dans la chambre. Jurgen et Jane avaient eux aussi l’impression d’être suspendus dans l’espace. Pas morts, mais déconnectés des vivants. » (Jane, l’héroïne lesbienne, idem, p. 117) ; « Je l’ai vue. […] Elle avait les cheveux emmêlés, il y avait des feuilles dedans, comme si elle venait de sortir de sa tombe, et elle pleurait. C’était peut-être un fantôme. » (Frau Becker décrivant Petra, l’amante de Jane, comme une morte-vivante à Jane, idem, p. 216) ; « Ses lèvres fines étaient sèches et gercées, blanchies par le froid, mais sa bouche était toujours large et clownesque et il était facile de l’imaginer en train de hanter un cortège de fantômes. » (Jane décrivant le vieux Herr Becker, idem, p. 218) ; etc.

 

Beaucoup de bars homosexuels fictionnels sont dépeints comme des repères de morts-vivants. « C’est comme une morgue ici ! » se fait la réflexion Charlie dans le film « Urbania » (2004) de Jon Shear. « Mon parc est semé de gens morts ! » (Copi, La Journée d’une rêveuse, 1968) ; « Ils sont tous morts, vos amis. » (Cyrille, le héros homosexuel malade du Sida s’adressant à Hubert, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Dans la nuit, j’ai rencontré des fantômes bizarres, des amoureux passés. Au début, j’y croyais à ce monde inversé. Mais j’ai cessé d’y croire, à ces histoires compliquées. » (cf. la chanson « Je veux tout changer » d’Hervé Nahel) ; etc. Dans les films « Du même sang » (2004) d’Arnault Labaronne, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, « Les Nuits fauves » (1992) de Cyril Collard, « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, le spectateur a le loisir d’observer ce peuple de zombies homosexuels errer comme des somnambules le long des quais, dans les lieux de drague nocturnes. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Thibault, homosexuel, leader du mouvement Act-Up, décrit « les pédés de la Gay Pride » comme des « folles qui marchent comme des zombies. »

 

On retrouve la métaphore des sidéens homosexuels assimilé à des fantômes dans le roman Les Fantômes (2005) de Jameson Currier, et dans bien d’autres œuvres telles que le roman Les Absents (1995) d’Hugo Marsan, le roman L’Amant des morts (2008) de Mathieu Riboulet, le roman Le Mausolée des amants (1976-1991) d’Hervé Guibert : « Ici, dans notre cher gaytto, tu ne peux pas faire trois pas sans tomber sur la silhouette étonnamment familière de quelqu’un que tu pensais mort et enterré depuis belle lurette. » (Michael évoquant les années Sida, dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 11) ; « Dès l’âge de 14 ans, je vivais aux côtés de mes amis du cimetière. » (l’un des héros homosexuel de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; etc.

 

L’homosexualité pratiquée n’aide pas à connecter le corps à la conscience. Par exemple, dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, le capitaine Edelson, chef de police, qualifie les homos de « paumés qui ne savent pas ce qui les pousse à faire ce qu’ils font ».
 
 

b) Le bal des monstres fantomatiques :

Le fait que le héros homosexuel fuie sa sphère de conscience (de son corps sexué), de raison, de Désir, lui fait quelquefois connaître des hallucinations, voir des monstres, des spectres et des fantômes. C’est le retour de boomerang du Réel qui a été éjecté : cf. la pièce Les Monstres sacrés (1940) de Jean Cocteau, le film « Monster » (2003) de Patty Jenkins, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le film « Like A Monster » du groupe Indochine, le roman Monstre (1950) de Yukio Mishima, le film « Les Monstres » (1963) de Dino Risi, le film « Mes Parents » (2002) de Rémi Lange, le film « Le Bouc » (1969) de Rainer Werner Fassbinder, le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander, la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec « L. », le héros transgenre M to F, habillé en fantôme), le film « An Ambush Of Ghosts » (1992) d’Everett Lewis, le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, « Closet Monster » (2015) de Stephen Dunn, etc.

 

« Si l’on était capable de croire en Dieu, ce n’était sûrement pas difficile de croire en Dieu, ce n’était sûrement pas difficile de croire aux dragons. Pourquoi ne parvenait-elle pas à faire comprendre au prêtre qu’il restait des monstres à combattre ? » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 206) ; « Va-t’en, sale monstre ! » (Ayrton s’adressant à son grand frère homosexuel Donato, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Les corps apparaissent parfois ici. » (Donato s’adressant à son amant Konrad, en attendant que la marée ramène le corps d’Heiko l’amant de Konrad, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; « Dehors les monstres ! » (Peuple face à la troupe de Lettie, la femme-à-barbe transgenre, dans le film « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey) ; « Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; « Mon propre fils me répète que je suis un monstre. » (Morgane, héros transsexuel M to F, dans l’épisode 405 de la série Demain Nous Appartient, diffusé sur TF1 le 21 février 2019) ; etc.
 

Par exemple, dans le roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, le narrateur homosexuel décrit des draps vivants : « Dans la salle de bains il refuse de regarder les draps. Il les voit. Ils se sont dénoués. Ils vivent. Mais ils se taisent. » (p. 47) Dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo » (« Une Femme iranienne », 2014) de Negar Azarbayjani, dès que Rana, chauffeuse de taxi, découvre la transsexualité de sa passagère intersexe F to M Adineh, elle hurle, la gifle et la voit comme un monstre : « Me touche pas ! Sors de ma voiture !! » Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, le père de Davide, le jeune héros homosexuel qui se travestit, traite son fils de monstre, et s’adresse à la femme priant dans l’église avec leur enfant à ses côtés : « Il dégoûte tout le monde. À quoi bon prier ? » Dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Tom est effrayé par Otis travesti en femme et court pour lui échapper, comme s’il avait affaire à un monstre transsexuel.

 

Il arrive que le personnage homosexuel tombe amoureux d’un monstre : « Petit monstre, petite teigne, démon à apparence humaine, mon ballon d’oxygène, tu me plais car tu me touches beaucoup. J’aime tes fruits défendus, ton cul haut perché comme ces statues africaines. ». (cf. la chanson « Quand tu m’appelles Éden » d’Étienne Daho) ; « Quand on pense à tous les monstres avec lesquels on couche… » (Omar, l’un des héros homosexuels de la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; etc. Par exemple, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane, le romancier homosexuel, avoue que « les écrivains sont des monstres anthropophages. » ; son ex-amant Vincent lui répond dans la foulée : « Que tu sois un monstre, je n’en ai jamais douté. » Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal, le héros homo, demande désespérément à son futur fiancé de renoncer au pouvoir et à son travail, car il a l’impression d’avoir en face de lui « un monstre, un épouvantail, le grand chef d’entreprise ». Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Ayrton dit de Konrad, l’un des héros homosexuels, qu’il « ressemble à Ghost Rider ». Le troisième chapitre intitulé « Un Fantôme me parlant l’allemand » se rapporte au héros homosexuel Donato, un Brésilien qui n’a pas donné de nouvelles à sa famille et qui est allé s’exiler en Allemagne. D’ailleurs, Ayrton, le petit frère de Donato, le surnomme « le fantôme » sur le ton du reproche. Dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, Nathan raconte qu’il s’est sentimentalement et homosexuellement identifié à un couple gay apparemment idyllique aperçu sur une photo, resté longtemps ensemble avant que la maladie du Sida ne mette fin à leur idylle et n’emporte l’un des deux membres, Keany : « Il s’appelait Keany. On aurait dit un monstre. »
 

Parfois, le héros homosexuel, à force de voir des monstres, se transforme lui-même en créature hideuse et agit comme un monstre : cf. le roman Vous m’avez fait former des fantômes (1987) d’Hervé Guibert, le film « Monster In The Closet » (1986) de Bob Dahlin, etc. « Vous êtes des monstres ! […] Je vous vois tous comme des monstres ! » (Daphnée dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; « Je suis envahi par les fantômes. » (Silvano dans le roman La Vie est un tango (1979) de Copi, p. 173) ; « J’perçois des funérailles, cerveau en bataille. Tu te veux liquide. Pantin translucide. Mais tu n’pourrais rien changer. Côté sombre, c’est mon ombre. » (cf. la chanson « Et tournoie » de Mylène Farmer) ; « T’es immonde. T’es répugnant ! » (Gabriel s’adressant à son pote homo Nicolas, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « T’as l’impression d’être un monstre et qu’il faut refaire toute ta gueule. » (Jeanfi, le steward homo, face au chirurgien esthétique, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens) ; « Ça fait des semaines que je me demande si je ne suis pas un monstre. » (Rémi dévoilant dans la douleur ses sentiments amoureux cachés à son ami hétéro Damien, dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza) ; « Vous ne devriez pas copier un monstre, comme la Merteuil. » (Merteuil dans la peau de Valmont, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Vous êtes un monstre, Valmont, et je veux en devenir un. » (Valmont dans la peau de Merteuil, idem) ; « Si j’ai pas ma dose de café, je me transforme en monstre. […] Ça devrait calmer le monstre. » (Morgane, l’infirmière scolaire lesbienne, s’adressant à Sandrine, dans l’épisode 383 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 22 janvier 2019 sur TF1) ; etc.

 

Il n’est pas rare d’entendre des personnages homosexuels se prendre pour des monstres, considérer l’existence humaine ou la sexualité comme horribles. « Tu n’es qu’un enfant répugnant ! Je te hais ! […] Va-t’en, monstre ! » (Petra, l’une des héroïnes lesbiennes s’adressant à sa fille Gaby, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Tu m’appelles monstre de foire mais je suis un jeune artiste. » (Ahmed s’adressant à Lou l’héroïne lesbienne, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Mère dit que je suis un type bizarre. » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; « Ils avaient raison. Tu es vraiment un monstre. » (Joan Clarke s’adressant à Alan Turing, idem) ; « Quand je leur jetais de nouveau un regard, elles [Varia et sa copine] s’étaient transformées en monstre à deux têtes et ricanaient de plus belle, en renversant à tour de rôle leurs chevelures blonde et brune. » (Jason, le héros homosexuel décrivant Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 59-60) ; « On s’ra plus monstres que les monstres, mais bien plus humains que des ours ! Regardez notre déguisement : la Raulito et Cachafaz, c’est le comble du repoussant ! » (Raulito s’adressant à son amant Cachafaz, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « C’est pas un loup-garou. » (Nadia s’adressant à Jessica qui lui demande comment son père « s’est transformé en gay », dans le film « Ce n’est pas un film de cowboys » (2012) de Benjamin Parent) ; etc. Par exemple, dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, les enfants sont définis comme des « monstres ». Dans le film « Festen » (1998) de Thomas Vinterberg, le père de Christian est désigné comme un monstre. Dans son roman Three Tall Womens (1990-1991), Edward Albee règle ses comptes avec sa génitrice qu’il qualifie de monstre. Dans son poème « Abuela Oriental », Witold Gombrowicz décrit sa grand-mère à la fois comme un « monstre mythologique » et une muse merveilleuse. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, Gatal, le héros homosexuel, est présenté par ses deux « pères » comme un véritable sale gosse… alors qu’il a l’air au contraire d’un adulte docile et sage : « Tu as été un petit animal violent, un enfant insatiable. » (le père 2). Le jeune homme a fini par intégrer qu’il était « l’animal colérique qu’il a fallu dompter » et qui « doit quitter la Voie de la Bête ».

 

Le monstre est d’abord une posture esthétique, une attitude narcissique (un peu ironique et mégalomaniaque) qui plaît sans arrière-pensée au personnage homosexuel : « Tu sais, les monstres vivent en tribu. » (Louise, le personnage trans M to F, s’adressant ironiquement à son ami Clément au sujet des personnes transsexuelles, dans le téléfilm « Louis(e) » (2017) d’Arnaud Mercadier) ; « C’est monstrueux ! » (Cyrille, le héros homosexuel dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « On devrait se déguiser en Pokémons. » (Eytan, élève homosexuel du lycée, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; « Vous savez ce que vous êtes pour moi ? Un monstre ! Une manipulatrice ! » (Julien, le héros homosexuel, s’adressant à sa belle-mère, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; « Ne croyez pas que vous êtes plus monstrueuse que nous, dans le monde du spectacle nous le sommes tous. » (l’Auteur s’adressant à Vicky Fantômas, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Nous savons que vous êtes un monstre. » (idem) ; « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire, le monstre à deux têtes, Luigi, Lucien, Richard, pris dans un lien inextricable. » (l’actrice jouant Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Il voulait se faire passer pour un fantôme et être accepté comme tel. » (Sévéria parlant de l’homosexuel Stratoss Reichmann, dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) ; « Nous, les monstres du Créateur ! » (Luca, le narrateur homosexuel du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; etc. Par exemple, dans Le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, l’équipe de water-polo gay finit son cri de guerre avec une gestuelle de monstres.

 
 

Cyrille – « Comment me trouvez-vous, Hubert ?

Hubert – Effrayant, maître ?

Cyrille – Vous serez toujours mon meilleur public. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

Mais en règle générale, le bal des monstres et des morts-vivants est triste et conduit les protagonistes homosexuels vers la mort. « J’avais envie de faire l’amour avec un mort. Pas avec un mort-vivant. Mais avec UN CADAVRE ! » (le narrateur homosexuel du roman L’Autre Dracula contre l’Ordre noir de la Golden Dawn (2011) de Tony Mark, p. 53) Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le cortège des fiançailles est formé de cinq hommes avec des cornes de cerf sur le dos, avançant avec lenteur et de manière hypnotique, comme dans un défilé mortuaire : il signe la mort par strangulation d’un des deux fiancés. Dans le film « Le Naufragé » (2012) de Pierre Folliot, Adrien, le héros homosexuel suicidé, apparaît comme un mystérieux revenant ; après sa mort, il est aperçu par diverses personnes : la petite voisine, sa mère Marie, etc.

 

C’est souvent que la transformation du héros homosexuel en zombie se fait par l’intermédiaire d’un objet ou d’un écran de cinéma assurant une captation magique et mortifère. Par exemple, dans le film « L’Homme d’à côté » (2001) d’Alexandros Loukos, Alkis, le héros homosexuel, affirme subir tous les après-midi un feuilleton grec débile, Elvira, que sa grand-mère suit assidûment… mais ce qu’il n’avoue qu’à demi-mot après, c’est que cela lui plaît : « À force d’être scotché devant la télé, je devenais une Elvira ! » Dans la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, Éric, en zombie télévisuel, dort les yeux ouverts devant la télé. Dans le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, le professeur d’université d’Angela meurt devant un film d’horreur projeté dans une salle de cinéma déserte.

 

L’état de léthargie éthérée, en plus de révéler une atrophie du désir, peut signifier symboliquement quelque chose de beaucoup plus grave. Comme je le signale dans les codes « Sommeil » et « Oubli ou Amnésie » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, le mort-zombie est parfois la victime d’un viol, qui par son silence, couvre son agresseur ou la future agression qu’elle va reproduire parce qu’elle n’a pas conscience de la violence qu’elle a subie. On retrouve le thème du cauchemar ou du mauvais réveil par exemple dans le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, etc. « C’est mon cauchemar qui continue ! » (Orphée dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Réveil tragique succède. Un sommeil sans rêve. La forme de son corps ne veut rien dire pour moi. » (cf. la chanson « Cherchez le garçon » du groupe Taxi Girl) ; « À l’aube, il s’arrache au sommeil sans avoir l’impression d’avoir dormi. » (Jim Grimsley, Dream Boy (1995), p. 85) ; « Loin de me perdre dans la vie des autres, je m’y nourris, je m’en nourris. J’y secoue mon sommeil de larve. » (Jean-Louis Bory, La Peau des zèbres (1969), p. 35) ; « Je ne dors plus, professeur. Je reste éveillé nuit et jour. » (Freddie s’adressant au professeur Goldberg, dans le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker) ; « Il nous faut tuer pour vivre ! Ou alors seulement survivre comme morts-vivants à Nanterre, pavillon de la Misère ! » (Mimi et Fifi, les deux travestis M to F de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 
 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Zom-bi(sexuel) :

Film "Cupcake : A Zombie Lesbian Musical" (2010) de Rebecca Thomson

Film « Cupcake : A Zombie Lesbian Musical » (2010) de Rebecca Thomson


 

Dans la réalité concrète, les personnes homosexuelles, même si elles sont effectivement bien humaines et pas du tout monstrueuses, évoquent néanmoins de temps en temps l’existence des morts-vivants, ou bien se présentent elles-mêmes comme des zombies : cf. le documentaire « Unsere Leichen Leben Noch » (« Nos cadavres vivent encore », 1981) de Rosa von Praunheim, le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, la Gay Pride de Toronto, etc. Par exemple, chez le réalisateur homosexuel Bruce LaBruce, la thématique des zombies homosexuels est centrale, est une marotte. Il dit lui-même qu’il fait du « Porno Zombie » : je vous renvoie à ses films « Otto Or Up With Dead People » (2008), « Interview With A Zombie » (2010), « L.A. Zombie » (2010), etc. Lors de la deuxième édition de l’émission The Voice 2 (2012) en France, le jeune chanteur homosexuel Olympe reprend comme par hasard la chanson « Zombie » du groupe britannique The Cranberries. De plus en plus de séries américaines intègrent des zombies gays dans leur intrigue : Ouat, Games Of Thrones, The Walking Dead, In The Flesh, etc. Dans l’émission Zone interdite spéciale « Être fille ou garçon, le dilemme des transgenres » diffusée le 12 novembre 2017 sur la chaîne M6, Isaac, femme F to M qui s’appelle initialement Taïla, s’identifie à un personnage de série, Teenwolf.

 

Dans bien des cas, parce qu’ils fuient leur réalité sexuée et divine, les sujets homosexuels ou transgenres se condamnent à s’absenter sur place, à vivre une sexualité sans sexualité, à tomber éternellement amoureux sans aimer vraiment, à devenir des êtres humains sans désir et sans monde intérieur. Des coquilles apparemment vides. « J’étais un jeune homme sans psychisme. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel M to F, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 253) ; « Comme si mon énergie que je traîne était une énergie de cadavre, de mort, j’ai cherché en d’autres hommes l’énergie de vie, en me comparant à eux. J’ai l’impression d’être un enfant bloqué dans un corps d’adulte me confrontant aux mondes d’adultes. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

Par exemple, lors de sa conférence « Pierre Loti, l’Homme aux deux visages » à Savigny s/Orge le 15 février 2007, Georges Poisson décrit Pierre Loti comme un zombie, vidé de conscience : « C’est vraiment un homme d’une inconscience totale. » Dans son essai Souci de soi, oubli de soi (2002), le psychiatre Jacques Arènes parle du « suicide psychique » (p. 57) trouvé dans le sadomasochisme, pratique souvent homosexuelle. Dans l’essai Saint Genet, comédien et martyr (1952), le personnage de Querelle est décrit comme un « joyeux suicidé moral » (p. 86) par Jean-Paul Sartre. Charles Trénet habitait une grande demeure baptisée le « Domaine des Esprits ».

 

Quand une personne ne semble pas avoir conscience des symptômes de sa douleur, de sa condition de souffrant, cela s’appelle médicalement l’anosognosie. Et en écoutant des personnalités comme Virginia Woolf, Andy Warhol, Pier Paolo Pasolini, Christine Angot, Guillaume Dustan, Renaud Camus, Nina Bouraoui, je la vois assez nettement. « Après tout, être vivant ou mort, cela revient au même. » (le réalisateur homosexuel italien Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler)

 

C’est souvent l’état amoureux homosexuel qui anesthésie les personnes et les ravit (au sens propre du terme) : « J’étais devenu un zombie. Un fou dans la nuit. Un mystique de l’amour. Un amoureux éconduit. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 53) ; « Dans le grand parc solitaire et glacé, deux spectres ont évoqué le passé… » (Verlaine s’adressant à son amant Rimbaud, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 30) ; etc.

 

Je retrouve par exemple l’attitude concrète de morts-vivants dans le flot de paroles endormies et endormantes de beaucoup de dragueurs des sites de rencontres homosexuels, dans l’esbroufe des séducteurs-crooners du « milieu homo » qui se disent « homos mais pas gays », « hors milieu » et qui susurrent des métaphores poétiques à deux balles au téléphone, dans les voix-off caressantes et inconsistantes des films du très bobo François Zabaleta.

 

Le monde de la nuit homosexuelle est souvent investi par des morts-vivants : par exemple, dans l’essai autobiographique Recto/Verso (2007), Gaël-Laurent Tilium se voit « fendre la cohorte des zombies aux mains baladeuses » (p. 190) à l’intérieur d’un sex-club gay. La métaphore des morts-vivants homosexuels peut se référer aux années noires de la décennie des années Sida 1980, puis ensuite par l’expérience de la séropositivité : « Je voulais vivre ailleurs qu’à San Francisco. Il semblait que la mort était partout. » (Paul, homme homosexuel racontant qu’il a perdu 90% de ses amis homos de l’époque des années 1980, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Si t’as pas l’énergie pour te confronter à tous ces fantômes, t’es vraiment tout seul. Y’a personne ! » (Mateo, homosexuel et séropositif, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc.

 

Film "Otto" de Bruce LaBruce

Film « Otto » de Bruce LaBruce


 

Les artistes homosexuels trouvent dans cette errance du zombie qu’ils imitent un esthétisme bobo nostalgico-dépressif qui leur tient chaud, et qui nourrit le mythe réconfortant et victimisant de l’« homosexualité noire ». « Je suis un spectre, une ombre. » (Stéphane Corbin pendant son concert Les Murmures du temps au Théâtre de l’Île Saint-Louis Paul Rey à Paris en février 2011) Dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles, cet état douloureux de l’inconscience qui écartèle l’individu entre la vie et la mort (un coma ou un purgatoire) se substituerait à la Résurrection, serait le signe de la victoire révolutionnaire de leur homosexualité, de la Vie sur la mort… alors que dans les faits, il est plutôt le stade intermédiaire où la Vie n’a pas encore été choisie et où la mort menace de l’emporter sur Elle. « Col fantasma o spirito o spettro o larva o zombie, Copì, io sottoscritto penso d’aver avuto (e ancora ho), da lunga pezza, proficui, costanti, ridenti e soddisfacentissimi appuntamenti. » (cf. l’article « Les Étoiles Psychotiques » d’Enzo Moscato, dans l’essai Il Teatro Inopportuno Di Copi (2008) de Stefano Casi, p. 10) Par exemple, dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, on entend l’ode au sommeil « Muerta Pero Viva » des femmes-zombies féministes et lesbiennes. Dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), Paula Dumont s’annonce dès le départ comme « La Revenante », et élève son lesbianisme en étendard d’une nouvelle naissance.
 
 

b) Le bal des monstres fantomatiques :

Les écrits et dessins homo-érotiques vomissent des monstres : Catulle Mendès et ses Monstres parisiens (1882-1885), les monstres et mandragores de Jean Boullet, les peintures de Salvador Dalí ou de Francis Bacon, etc. « J’ai créé un monstre. Et maintenant, je dois vivre avec. » (Yves Saint-Laurent dans la biopic « Saint Laurent » (2014) de Bertrand Bonello) Ce sentiment d’être un monstre a pu être impulsé par l’entourage familial : « Tu nais, coiffée de la tête jusqu’aux genoux, toute velue. Ta mère te trouve repoussante. » (Christine se parlant à elle-même à la deuxième personne, dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « Être gay au Bénin, c’est être un monstre. » (Olympe dans l’exposition photos Garçons de Cotonou (2015) de Michel Guillaume) ; etc.

 

Le monstre est également le produit d’un processus individuel. La sortie de sa sphère de conscience produit parfois des hallucinations monstrueuses ou un suicide psychique, comme l’écrit si bien Christiane Singer. « Fuis ! Sauve-toi ! Cours pour ta vie ! En courant, l’homme moderne tente d’esquiver la légion de fantômes à ses trousses, de succubes et de zombies qu’il s’est créés lui-même. Il y a des fuites qui sauvent la vie : devant un serpent, un tigre, un meurtrier. Il en est qui la coûtent : la fuite devant soi-même. » (Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le Ciel est en toi ? (2001), p. 12) Je vous renvoie à la gravure Le Sommeil de la Raison engendre des monstres (1797) de Francisco Goya, au documentaire « Body Without Souls » (1996) de Wiktor Grodecki, à l’essai Ceci n’est pas un fantôme (2011) de Pierre Katuszewski, aux Die-In mis en scène par certains militants homosexuels (comme par exemple celui du Boulevard Henri IV de la Gay Pride parisienne de 1999).

 

Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand Bonello est obsédé par le monde de la peinture. Mais curieusement, pendant tout le reportage, le passionné de peinture va se mettre en quête du motif de la monstruosité dans les œuvres picturales qu’il observe, au point d’en faire son sujet d’étude. Celia, la conservatrice de musées, qui lui fait des visites guidées, s’étonne de sa recherche (« Vous, ce qui vous intéresse, c’est un monstre inquiétant. »), puis finalement se prête au jeu (« On va chercher le monstre dedans. »). Elle associe la gémellité picturale ainsi que l’homosexualité, l’inversion des sexes, à la monstruosité quand elle commente les toiles : « Cette figure de femme hommasse peut tenir lieu d’identification. »

 

Il n’est pas rare d’entendre des personnes homosexuelles se prendre pour des monstres, considérer l’existence humaine ou l’amour comme horribles. « Je me voulus semblable à cette femme qui, à l’abri des gens, chez elle conserva sa fille, une sorte de monstre hideux, difforme, grognant et marchant à quatre pattes, stupide et blanc. En accouchant, son désespoir fut tel sans doute qu’il devient l’essence même de sa vie. Elle décida d’aimer ce monstre, d’aimer la laideur sortie de son ventre où elle s’était élaborée, et de l’ériger dévotieusement. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 30) ; « Que Michael Jackson nous épargne ses jérémiades sur la pureté des enfants. Ce sont des monstres, comme nous. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 155) ; « Ce sont mon sentiment, ma faiblesse qui ont fait de moi un monstre. Oui, un monstre, puisque, au moment où je fais le bilan de mon existence, je m’aperçois que je n’ai jamais rien compris de la vie… » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 80) ; « Fais-moi le monstre en colère. » (Laurent demandant à son amant André de l’exciter au lit, dans le docu-fiction « Le Deuxième Commencement » (2012) d’André Schneider) ; etc.
 

Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, le terme « Bixa » signifie à la fois « tapette » et « bestiole »… et c’est ainsi que s’auto-déterminent les témoins travestis.
 

Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, personne intersexe élevée en fille, et son amie Audrey, elle aussi intersexe, se baladent au Muséum d’Histoires Naturelles de Lausanne (en Suisse), et y observent les animaux empaillés, et notamment un « Chat : Monstre à tête double », en rappelant qu’à une certaine époque de la médecine légale, les hermaphrodites ou les intersexes comme elles étaient considérées comme des monstruosités de la Nature. Un peu plus tard, Vincent Guillot, militant intersexe, a de la révolte en lui : « Le médecin m’a dit : ‘T’es un mutant, t’auras jamais d’enfant, tu seras toujours différent des autres.’ »

 

Les monstres (en latin, « monstrare » signifie « montrer ») qui surgissent de l’imaginaire humain (torturé !) de nos contemporains nous montrent à mon sens deux choses : d’une part une passion morbide croissante pour la laideur et la mort, d’autre part une tentative de censure d’actes mauvais qui sont posés en l’honneur de la croyance en la « réalité » de ces mêmes monstres. Comme le souligne à juste raison le philosophe Philippe Muray dans l’essai Festivus festivus : Conversations avec Élisabeth Lévy (2005), notre époque, qui est à la mode de « l’indignation n’ayant pas conscience de ce qui l’indigne » (et même pire : qui fait de l’indignation affichée sur les réseaux sociaux et à la télé un cache de l’objet d’indignation), est une époque propice à voir des monstres partout (au départ des « monstres gentils » comme Casimir) et à en produire sur nos écrans, pour ensuite se justifier de ne pas penser, de ne rien montrer de l’horreur de certaines pratiques destructrices et des folies humaines irraisonnées : « Monstre’ est un mot commode pour ne rien nommer du tout, et par conséquent ne rien essayer de comprendre non plus, puisqu’il s’agit aussi d’innommable, justement, de non-représentable, d’impensable. » (p. 129)

 

L’état de léthargie éthérée, en plus de révéler une atrophie du désir, peut signifier symboliquement quelque chose de beaucoup plus grave. Comme je le signale dans les codes « Sommeil » et « Oubli ou Amnésie » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, le mort-zombie est parfois la victime d’un viol, qui par son silence, couvre son agresseur ou la future agression qu’elle va reproduire parce qu’elle n’a pas conscience de la violence qu’elle a subie. « J’attendais. Mieux que ça, je rêvais. Un rêve comme celui du Bon Dieu qui couche avec Satan. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 72) Par exemple, le 23 décembre 2002, dans les Hauts-de-Seine (banlieue parisienne), Philippe Digard, âgé de 26 ans, étouffe et tue Ilia, un jeune prostitué homosexuel : il semble, selon les propres mots de l’avocate générale Marie-Claire Maïer, que ce criminel « consommait beaucoup de cocaïne. Et la cocaïne, ça décuple les forces. Il s’est transformé en zombie, un zombie dopé ». Autant les zombies n’existent pas, autant les attitudes de zombies, autrement dit de possession diabolique ou de captation du désir par l’irréel, peuvent exister… et sont tout sauf douces !
 

Dans énormément de films actuels traitant de la Bête de l’Apocalypse, l’homosexualité y apparaît… preuve que l’homosexualité est un symptôme de Fin des Temps mais également de satanisme : « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, « La Belle et la Bête » (2017) de Bill Condon, « La Bête curieuse » (2016) de Laurent Perreau, « The Last Girl » (2016) de Colm McCarthy, « The Greatest Showman » (2017) de Michael Gracey, le film « Seules les bêtes » (2019) de Dominik Moll, etc.
 
 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

Code n°130 – Musique comme instrument de torture (sous-codes : Opéra / Mélomane / Danse)

Musique com

Musique comme instrument de torture

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La grande majorité des personnes homosexuelles a bien suivi à la lettre la consigne mondiale actuelle qui nous encourage à devenir tous la déesse Musique pour mieux nous détruire et nous réifier par nous-même sans que nous nous en rendions compte : « Vous êtes tous des chanteurs, vous êtes tous des stars de la chanson, la musique est votre vie, et votre vie est un clip. »

 

La musique a énormément influé sur la construction identitaire homosexuelle. Beaucoup de personnes homosexuelles disent ne plus pouvoir s’en passer, qu’elle est leur vie, même si, à d’autres moments, elles l’associent à un instrument de torture parce qu’elles se rendent compte qu’elles se sont excessivement enchaînées à cette idole apparemment immatérielle et pourtant concrète. Quand nous regardons bien, les icônes de la communauté homosexuelle sont presque toutes des chanteurs et des chanteuses. Certaines personnes homosexuelles en arrivent même à se définir uniquement par la musique qu’elles écoutent (opéra, danse, disco des années 1970, pop des années 1980, et plus récemment techno-house et électro).

 

Quoi de plus impalpable, en suspension, et paradoxalement vraisemblable, que la musique ? Exactement comme un fantasme. On l’entend concrètement mais on ne peut ni la toucher ni savoir exactement de quoi elle est faite et par quel mystère nous la trouvons appréciable ou dissonante. Elle peut donner à croire que tous nos désirs sont concrétisables. Par conséquent, il était logique que les personnes homosexuelles, qui partent du principe que tous leurs fantasmes identitaires et amoureux (même les plus irréels) sont des réalités, s’en saisissent en masse… même si, bien évidemment, il s’agit d’une lubie qui n’est pas proprement homosexuelle, et qui indique que l’idolâtrie pour la musique, qui a déferlé de manière mondialisée après la Première Guerre mondiale (avec l’essor de la radio et du cinéma), est globale. La Tour de Babel a des allures de fête bisexuelle et le rythme dans la peau !

 

Par conséquent, il faut se garder de ne pas causaliser le lien entre homosexualité et musique. Car il est non seulement faux (ce n’est parce qu’on se sent homosexuel qu’on est forcément un génie de la musique), mais il est en plus à la fois gay friendly et homophobe (exactement comme le racisme positif). Parler d’un « sixième sens homosexuel inné pour la musique », cela revient à magnifier une sensibilité qui, si elle était comprise telle qu’elle est vraiment, à savoir l’indicateur d’une blessure, n’aurait pas de quoi émerveiller.

 

Ci-dessous, je vous propose un extrait du film « Philadelphia » (1993) de Jonathan Demme, qui m’agace autant qu’il me fait sourire, car il illustre bien la propagande gay friendly visant à faire croire à tout le monde que nous, les personnes homosexuelles, aurions des aptitudes « naturelles » pour la musique, et que nous allons vous donner une leçon exceptionnelle d’humanité et de perception de ce qu’est la « vraie musique ». Pur mensonge démagogique. Au lieu de nous figer en espèce humaine à part de l’Humanité et de nous déterminer par le caractère, le goût ou le savoir faire artistique, nos contemporains feraient mieux de regarder en face ce que nous vivons, de quelle souffrance notre « sensibilité artistique homosexuel » est le reflet !

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Télévore et Cinévore », « Artiste raté », « Couple homosexuel enfermé dans un cinéma », « Éternelle jeunesse », « Milieu homosexuel infernal », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », « Fan de feuilletons », « Chevauchement de la fiction sur la Réalité », « Wagner », « Sirène », « Pygmalion » et à la partie « Play-back » du code « Substitut d’identité » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.

 

 

FICTION

 

a) Mélo-man:

Film "Tan Lines" d'Ed Aldrige

Film « Tan Lines » d’Ed Aldrige


 

Beaucoup de héros homosexuels des fictions homo-érotiques sont mélomanes et ne vivent que par/pour la musique. Ils sont parfois eux-mêmes musiciens ou chanteurs : cf. le film « Saturday Night’s Fever » (« La Fièvre du samedi soir », 1977) de John Badham, le roman On Wings Of Songs (1979) de Thomas M. Disch, le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick, le film « Dance Me To My Song » (1998) de Rolf De Heer, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le film « C.R.A.Z.Y. » (2005) de Jean-Marc Vallée, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « Last Days » (2005) de Gus Van Sant, le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, la chanson « Blah Blah Blah On The Radio » d’Ace of Base, « Don’t Stop The Music » de Rihanna, la pièce Un Ange pour Madame Lisca (1962) de Copi (avec un vieux pédé violoniste qui poursuit un jeune homosexuel de province), la pièce Musique brisée (2010) de Daniel Véronèse, le film « Ma mère préfère les femmes » (2001) d’Inés Paris et Daniela Fejerman, le film « The Bubble » (2006) d’Eytan Fox (avec Noam, le héros homosexuel qui vend des disques), le film « Quartet » (1948) d’Harold French, le film « Music Lovers » (1970) de Ken Russell, le film « Solamente Nero » (1978) d’Antonio Bido, le film « Uncut » (1997) de John Greyson, le film « 800 Tsu Rappu Rannazû, Fuyu No Kappa » (1994) de Kazama Shiori, le film « Saved By The Belles » (2003) de Ziad Touma, le roman New Wave (2008) d’Ariel Kenig, le film « Le Maître de musique » (1988) de Gérard Corbiau, le film « Quartetto Basileus » (1981) de Fabio Carpi, le film « Food Of Love » (2001) de Ventura Pons, le film « Young Soul Rebels » (1991) d’Isaac Julien, le film « Tatie Danièle » (1989) d’Étienne Chatiliez, le film « Rome désolée » (1995) de Vincent Dieutre, le film « 15 » (2003) de Royston Tan, le film « He’s A Woman, She’s A Man » (1994) de Peter Chan, le film « Un Amour de Swann » (1983) de Volker Schlöndorff, la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar (avec Stéphane, le fan homosexuel de Madonna et de Whitney Youston ; cette pièce est truffée d’intermèdes des chansons des années 1980-1990-2000 assurant le fil rouge), la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher (avec le personnage de David), le film « Sonate d’automne » (1978) d’Ingmar Bergman, le film « Mort à Venise » (1971) de Luchino Visconti (avec Aschenbach, le musicien raté), le film « Muriel » (1994) de P. J. Hogan, le film « Komma Ut » (« Coming Out », 2011) de Jerry Carlsson (avec la chambre remplie de photos de chanteurs), la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (avec Isabelle, la cantatrice lesbienne), le film « Sur le départ » (2011) de Michaël Dacheux, « Can’t Stop The Music » (1980) de Nancy Walker, le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel (avec Éric, homo et fan de musique), la pièce Frères du Bled (2010) de Christophe Botti (dans laquelle l’influence de la radio, la télé, la musique des années 1980, est très marquée), la pièce Bonjour Ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (Benoît, le héros homo, est fan de Jackie Quartz), la pièce L’Ombre de Venceslao (1978) de Copi (China écoute à la radio des chanteuses de variété telles que Tita Morello, Libertad Lamarque), la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis (Hugo, le héros homo, se déchaîne sur « It’s Raining Men » et d’autres daubes musicales), la chanson « Music Was My First Love » de John Miles, le one-man-show Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret (avec John Breakdown, le chorégraphe homosexuel), le one-woman-show La Lesbienne invisible (2009) d’Océane Rose Marie (avec Aurore, danseuse bisexuelle), la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen (avec Tom, le héros homosexuel chanteur), le one-man-show Les Bijoux de famille (2015) de Laurent Spielvogel, etc. Par exemple, dans le téléfilm « Just Like A Woman » (2015) de Rachid Bouchareb, Marilyn tombe amoureuse de Mona, une femme maghrébine avec qui elle va faire de la danse orientale dans un club. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, est chanteur. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, Ziki, l’amante lesbienne, fait des chorégraphies colorées qui hypnotisent son amante Kena.

 

« VIVE LA MUSIQUE !!!!!! » (cf. la chanson « Une chanson sans paroles et sans musique » de Jann Halexander) ; « On vit dans la musique. » (Stef, un des héros homos de la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez) ; « Les rockeurs, les chanteurs de charme en étaient quasiment tous. » (Gérard dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; « Ahmed [le héros homosexuel] est cool. Le gars de la ville connaît tellement de choses : tous les chanteurs populaires, les derniers tubes et toutes les nouvelles danses en vogue dans les discothèques d’Alger, alors qu’à la campagne, on fronce les sourcils sur tout genre de déhanchement, surtout sur des musiques américaines. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), pp. 42-43) ; « Y’a plein de lesbiennes dans la musique ! » (Rachel, l’héroïne lesbienne de la pièce Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « J’pensais que tous les chorégraphes étaient gays. Hors ils étaient auto-reverse. » (cf. réplique de la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau) ; « Benjamin est chorégraphe. Comme tous les mecs qui ont raté leur carrière de danseur. » (Pierre parlant de son amant, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « J’adore la musique. » (Chloé, l’héroïne lesbienne du film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan) ; « J’ai une passion pour l’Opéra. » (le transsexuel M to F Octavia, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet) ; « J’adore la musique. La Musique est ma vie. Il n’y a que ça qui compte. » (Levi, un des héros homosexuels du film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau) ; « C’est pas vrai… J’adore cette chanson ! » (Éric le héros homo au bal de son lycée, dans l’épisode 7 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc.

 

Le lien qu’entretient le personnage homosexuel avec la musique est de nature incestueuse, nostalgique et fusionnelle. Par exemple, dans le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, Julien passe son temps dans la cuisine de sa maman où la radio est allumée en permanence. C’est la même chose pour le jeune Miguel dans le film « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? » (1984) de Pedro Almodóvar. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Rettore et Davide, les deux héros homosexuels, vont écouter des vinyles dans une chambre obscure chez un disquaire muet qui leur fait revivre la nostalgie des chanteuses italiennes des années 1960-1970. Le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras est une ode aux chanteuses italiennes des années 1950-1960 (Patty Bravo, Raffaella Carrà, etc.). Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le chroniqueur radio homosexuel, est danseur de rumba (il en écoute dans son gramophone), et en apprend quelques pas à Antonietta, sa voisine de pallier. Tous les héros homosexuels de l’histoire font des chorégraphies et des play-back sur leurs « tubes », les considèrent comme leurs véritables mamans (« Ma mère était chanteuse. Elle pouvait chanter. » déclare Dany). Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, a été initié à la musique classique par sa mère et sa grand-mère… et la sonnerie de portable indiquant l’appel entrant de sa mère (ultra-possessive), c’est comme par hasard « Casse-Noisette » de Tchaïkovsky. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, lorsqu’Henri a eu 8 ans, sa mère a voulu l’inscrire à un cours de danse classique. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, les amants Frankie et Todd vivent pour la musique : ils ont toujours le walk-man sur les oreilles, et sont danseurs dans une troupe de danse contemporaine. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, toute l’idyle lesbienne entre Thérèse et Carol est mise sous le signe des disques vinyles des années 1950, de l’ambiance jazzy ou piano bar nord-américain. D’ailleurs, à un moment, les héroïnes se retrouvent dans un magasin de disques vinyles. Thérèse sent les regards insistants de deux autres lesbiennes garçonnes posés sur elle. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Kevin revient plusieurs années après leur idylle adolescente, vers Chiron, le jeune héros homosexuel, sous le prétexte d’une chanson qu’il a entendue dans le juke-box de son restaurant : « Une chanson m’a fait penser à toi. » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio, le héros homosexuel, vit avec le walkman aux oreilles et garde toujours son poste de radio allumé. Il joue également brillamment de la guitare, du piano, et séduit ainsi Oliver, qui quant à lui, est fan d’un groupe musical queer Richard Butler. La musique semble être leur unique lien d’« amour »

 

Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel fait de sa mère et de sa grand-mère l’inspiratrice de son goût pour la musique : il découvre dans le grenier de la seconde un coffre avec plein de disques qui l’homosexualisent. « J’adorais la musique. Un jour, ma mère m’a acheté le CD qui a changé ma vie : André Rieu. » Le coming out est d’ailleurs mis par lui sur le même plan que la musique : « À cette époque, je n’ai pas encore dit à mes parents que… j’étais musicien. » Quand il arrive à l’âge adulte, Jefferey voue une passion (scatologique) avec la musique (il en écoute même « dès qu’il allait faire caca »), puisqu’il apprend le violon et considère celui-ci comme son amant. Il le baptise « Jean-Jacques » et envisage de se marier avec lui dans une « union officieuse ». Jefferey aime la « sonorité androgyne du violon ». Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, l’homosexualité est mise sur le même plan que le talent pianistique inné : Irène, au moment où le père Raymond lui demande d’où lui vient sa prédisposition au métier de pianiste, lui répond, pour défendre l’homosexualité de son frère Bryan : « C’est comme demander à Bryan pourquoi il est gay. » Dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin, c’est la maman de Bill qui lui a appris le piano, et notamment des chansons au texte cryptogay de Linda Rondstadt.
 

La musique est montrée comme un univers merveilleux, magique, meilleur que la réalité. Une nouvelle religion. « Rien ne remplacera jamais l’opéra ! » (Élisabeth dans la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman) ; « En vérité cette folle-là était d’une sensibilité incroyable et avait le goût le plus vif pour la musique ; je n’ai jamais connu personne sur qui elle eût produit des effets aussi singuliers. » (Denis Diderot, La Religieuse, 1760) ; « À l’Opéra, on s’est convertis. » (le couple homo dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy) ; « Il y a mon costumier, fou de taffetas et d’opéra. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Martin, l’un des héros homosexuels, est fan d’Opéra. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, George, le héros homo, est chef de chœur. Dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, aller au ballet, selon Édouard, c’est comme faire son coming out. Dans le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, Stuart, un des héros homos, fait une thèse sur les racines de la comédie musicale américaine. Dans la pièce Folles Noces (2012) de Catherine Delourtet et Jean-Paul Delvor, Jean-Paul, le héros homosexuel, est un vrai juke-box programmé sur les chansons des années 1980. Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, se prend pour Madonna et devient son sosie ; au passage, c’est un juke-box parlant, qui truffe toutes ses phrases de références musicales (Dalida, entre autres). Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Patou, l’ex de Bernard, adore le chanteur Étienne Daho. Dans le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012), Samuel Laroque se montre fan des chanteuses de son enfance : Dalida, Mylène Farmer, Dorothée, Chantal Goya… Dans le film « Navidad » (2009) de Sebastián Lelio, Alicia, l’héroïne lesbienne, compare les disques à des diamants. Dans la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali, Romuald, le héros homosexuel, qualifie les lesbiennes de « mangeuses de disques ». Dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky se tissent des relations lesbiennes dans le milieu de la danse classique. Dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, Graziella, l’agent de Tom (le héros homo) qui veut le forcer à paraître hétéro, lui soumet un test de questions pour savoir s’il arrive à rentrer dans la peau de son personnage. Et l’un des questions est : « Country ou Opéra ? » Tom prend sur lui pour répondre « Country »… mais le « naturel » ne tarde pas à revenir au galop.

 

Le personnage homosexuel considère souvent la musique comme un être humain réel, à qui il peut ressembler et s’identifier. C’est sa manière de devenir une poupée magique : cf. le film « Techno Boys » (1997) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent, la chanson « Benoît tourne-toi » du groupe Benoît (où « être techno » signifie « être homo »), le film « Yossi » (2012) d’Eytan Fox, le roman Le Chant d’Achille (2014) de Madeline Miller, etc. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Marcy, l’héroïne lesbienne, parle à son poste CD comme s’il était vivant : « Toi aussi, tu me lâches… » Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, est un juke-box sur pattes, et se prend pour les chanteurs qu’ils imitent : « Tout le monde dit que je ressemble à Ricky Martin. » ; « C’est moi qui fais Lady Gaga. » (idem) Il rêve d’enregistrer un disque.

 

Par exemple, dans le film « Piano Forest » (2009) de Masayuki Kojima, jouer du piano, c’est comme changer de sexe, ou se dire homosexuel : Kimpira s’étonne avec fascination que Shûhei soit « pianiste alors que c’est un garçon… ». Dans le sketch « Le Papa Zonard » de Bruno Salomone, le fils qui écoute la comédie musicale Roméo et Juliette, se fait soupçonner de « dalepé » (= « pédale » en verlan) par son père.

 

Plus encore, le héros homosexuel croit que la musique est un amant à qui il peut faire une déclaration d’amour. « Quand je t’ai rencontré, j’ai entendu l’intro comme une comédie musicale. […] C’est notre histoire d’amour musicale. Nous l’écrivons scène après scène et notre amour grandit pendant ce voyage vers la liberté ! » (Adam s’adressant amoureusement à Steve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Quelqu’un a dit : ‘Sans la musique, la vie serait illogique.’ J’ajoute : ‘Sans Ernest, ma vie serait illogique.’ » (Chris dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, pp. 84-85) ; « Tous les ‘Je t’aime’ des chansons, j’ai fini par croire que c’était à moi qu’ils étaient adressés. Les chansons, je ne veux pas en sortir. Les chansons, elles sont comme nous : elles vivent comme nous. » (Frédéric Zeitoun dans la pièce musicale Toutes les chansons ont une histoire (2009) de Quentin Lamotta) ; « Stephen [l’héroïne lesbienne] faisait la lecture à Mary, guidant l’esprit assimilateur de la jeune fille dans de nouveaux domaines inexplorés jusqu’ici, lui enseignant la joie qui peut résider dans les livres. […] Et Mary, écoutant la voix de Stephen, assez profonde et toujours un peu rauque, pensait que les mots, lorsque c’était Stephen qui les prononçait, étaient plus harmonieux que de la musique, et plus inspirateurs. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 432) ; « J’écoutais la chanson ‘Réunion’ de M23, et j’ai pensé à toi. » (Simon s’adressant à son amant Bram, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; etc.

 

B.D. "Le Monde fantastique des Gays" de Copi

B.D. « Le Monde fantastique des Gays » de Copi


 

Par exemple, dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, Garnet danse en cachette dans une salle de danse, au son d’un phonographe. Dans la comédie musicale Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall, le très efféminé Maître de Cérémonie vit un orgasme en écoutant une de ses chanteuses préférées devant son gramophone. Dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce et Rachel, les deux amantes, tombent amoureuses en faisant un karaoké dansant avec une machine. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, la musique jazz est associée à l’androgynie. Tom, le héros homosexuel, est fasciné par la chanson « My Funny Valentine » de Chet Baker : « On ne sait même pas si c’est un homme ou une femme. » Lui-même est accordeur de piano et sort avec Peter, un pianiste. Par ailleurs, Tom tombe amoureux de Dick en lui faisant croire qu’il est, comme lui, fan de jazz. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Damien et Rémi flashent l’un sur l’autre en écoutant « Take On Me » de A-ha. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur impose régulièrement à son amant Jacques la musique de son walkman : « J’te fais écouter ma musique ? »

 

Film "Anastasia" de Don Bluth et Gary Goldman

Film « Anastasia » de Don Bluth et Gary Goldman


 

D’ailleurs, la rencontre amoureuse homosexuelle se fait souvent sur un air de musique : cf. le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, l’opéra-rock Starmania de Michel Berger (avec Ziggy, le héros homosexuel passionné par David Bowie), le roman Mathilde je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung (où la narratrice tombe amoureuse d’une rock star), le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler (Beni tombe amoureux de Fögi, un chanteur underground), etc.

 

« Je mets donc toute mon âme dans la musique, et mon cœur sombre d’un seul coup dans le chagrin de ce peintre raté qui voit se défaire devant lui un couple d’amis. […] Je me dis souvent que ce n’est pas en restant écrasé dans le fauteuil rouge à écouter Leonie Rysanek chanter la ‘Chanson du saule’ que je risque de trouver l’âme sœur. Il y a bien le parc Lafontaine pour faire exulter le corps, mais ça ne reste que des attouchements impersonnels qui n’ont rien à voir avec quelque sentiment que ce soit. Mais je ne me décide pas à faire le grand saut, à partir à l’aventure ou, du moins, à la recherche de mes semblables, je me contente de sublimer depuis déjà trop longtemps, j’en suis parfaitement conscient et je n’y peux rien. » (le narrateur homosexuel parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19)

 

La musique apparaît comme un aphrodisiaque. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Bernard raconte qu’il a couché avec Peter, un hétéro, « un soir, après une soirée arrosée autour d’une piscine ». À son grand regret, ce ne sera qu’une seule fois. Et Larry rajoute cyniquement : « Le bon vin et la bonne musique excitent la curiosité… » Dans la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier, Bernard essaie de draguer Philippe en lui apprenant à jouer du xylophone. Et quand il doute de son homosexualité, Philippe le rassure en lui rappelant son goût pour la musique : « Te poses pas de questions. T’es fait pour les garçons. Je veux du jazz. » Dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Bernard, homo, arrive à faire tomber son voisin de pallier hétéro, Didier, dans ses filets, grâce à de l’alcool et de la musique vahiné et indienne : « Il est bon de planer. » Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu sort avec son nouveau copain, Jonathan, qui se dit chanteur ; et ce n’est pas la première fois que ça lui arrive : « Chez les pédés, c’est fréquent de tomber sur des mecs qui veulent être chanteur, acteur, mannequin. » (Matthieu, un des personnages homos de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je suis sorti avec un chanteur… et il travaille à Disney maintenant. » (idem) ; etc.

 

Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, le couple lesbien Shirin/Atefeh regarde la Star Academy locale à Téhéran : elles rêvent de quitter leur pays, l’Iran, pour se lancer dans la chanson, et être l’agent l’une de l’autre : « Tu chantes et je deviens ton agent. » dit Ati ; et Shirin, dès la première phrase du film, lui promet de l’emmener vers « un endroit où elle sera son agent ». Dans le film « Compilation : 12 instants d’amour non partagés » (2007) de Frank Beauvais, pour revoir Arno, Frank lui propose de venir quotidiennement chez lui écouter de la musique, celle qui devient l’unique dialogue entre eux. Dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, au moment où ils vont sortir ensemble, Bilal va rendre à Malik ses disques : « J’vous ai rapporté vos disques… » Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, le couple homo « chante son amour comme dans Les Parapluies de Cherbourg. » Dans sa chanson « Avec des si », Monis dit qu’« il a couché avec la Musique ». Dans le film « Sherlock Holmes » (2008) de Guy Ritchie, au moment où Sherlock Holmes invite Watson à l’Opéra, on comprend l’ambiguïté homosexuelle de la proposition. Dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, Isabelle tombe amoureuse de la veuve Serena Merle, rien qu’en l’écoutant jouer du Schubert au piano : « Elle est charmante. Elle joue admirablement du piano. » Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Clara tombe sous le charme de Sonia en l’entendant chanter au micro un duo avec un musicien qui la dépucellera.

 

La musique ramène le héros homosexuel à l’enfance (… et à l’infantilisation anesthésiante). On retrouve souvent, dans la fantasmagorie homosexuelle, la présence des boîtes à musique : cf. le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair, le film « Les Frissons de l’angoisse » (1975) de Dario Argento, la performance Golgotha (2009) de Steven Cohen (avec l’acteur travesti M to F et son tourne-disques), le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, etc. La musique dans les fictions homo-érotiques a très souvent un parfum nostalgique de pathos rétro. Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, offre à Paqui, une femme mûre espagnole qu’il admire, un disque de Julio Iglesias. « Elle s’appelait Voom-Voom Pérez. Je ne manque jamais de lui apporter un petit cadeau : une paire de bas de soie ou une boîte à musique. » (le narrateur homosexuel dans le roman L’Uruguayen (1972) de Copi, p. 39)

 
 

b) Over-music-dose :

Quand la musique est bonne… bonne bonne bonne… (un peu trop, même…). Le problème, c’est qu’à force de s’en gaver et de chercher à se réifier par elle, le héros homosexuel finit par se révolter contre elle, par être saoulé par cette étrange maîtresse dominatrice invisible qui ressemble plus à du bruit qu’à une mélodie harmonieuse : « Votre obsession pour la musique nous coûte une fortune. » (la Mère Générale s’adressant à sœur Augustine, dans le film « La Passion d’Augustine » (2016) de Léa Pool) ; « La musique, ça aide les gens à croire qu’ils ne s’ennuient pas ensemble. » (Stéphane, le héros homosexuel de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Jeanne casse le disque et introduit les morceaux dans un grand moulin à café, elle tourne la manivelle. » (Copi, La Journée d’une Rêveuse, 1968) ; « Je déteste les cantatrices d’opéra, il est impossible de les faire taire. » (Cyrille, le héros homosexuel de la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « Tu te tannes jamais de toujours écouter les mêmes chanteurs beugler les mêmes affaires plates à journée longue ? » (la mère du narrateur homosexuel, piquant des crises en rentrant dans la chambre de son fils, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 29) ; « Ça te changera de ta musique de dégénérés. » (Olga, la vieille, s’adressant à Anton, le héros homosexuel, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Une chanson pop explosa dans sa tête, ne parvenant pas tout à fait à couvrir les cris tandis que les poings martelaient la chair. » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 124) ; « À l’école, les garçons se moquaient de moi parce que j’écoutais des trucs de filles. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc.

 

Il est fréquent, dans les œuvres artistiques, que la musique soit présentée comme une drogue, une obsession, une mélancolie, une séduction diabolique, et même un instrument de torture qui entraîne le personnage homosexuel jusqu’au viol, la débauche et la mort. « Tout le monde vous dira qu’ils y vont parce qu’ils adorent la… musique. » (Jonathan, le héros homosexuel parlant du Dépôt, le centre de backroom près du Marais à Paris, et ironisant sur l’hypocrisie des clients qui n’avouent pas directement leur attraction pour le sexe et se trouvent l’excuse de l’ambiance musicale, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je ne suis pas un warrior. J’écoute Céline Dion. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « Tout cela m’est advenu par la faute de la musique. Cet art m’a fait plus de mal que de bien. » (le compositeur homosexuel Érik Satie dans la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou) ; « Tu entends Le Roi des Aulnes. La mélodie de Schubert accompagne chacun de tes mouvements ; sous l’œil aguerri des kapos, une chorégraphie conduit ton labeur. » (Félix, le héros homosexuel dans le camp de concentration, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 99) ; « Les détonations s’enchaînent comme des accords de piano frénétiques. » (idem, p. 101) ; « Si vous l’entendez, il est déjà trop tard. » (cf. slogan du film « Jeepers Creepers, le Chant du diable » (2000) de Victor Salva) ; « Le jeune amant [Marcel, le héros homo] entend dans sa tête Jacques Brel qui chante ‘Voir un ami pleurer’, un des nombreux grands artistes que Bertrand lui a fait découvrir. Souvent Marcel doit aussi essuyer ses yeux mouillés. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 25) ; « Besoin de bruit même la nuit, sinon, j’suis insomniaque. » (cf. la chanson « L’Enfant de la pollution » de Ziggy, le héros homo de l’opéra-rock Starmania de Michel Berger) ; « Je remets ce disque encore une fois. […] Je l’écouterais bien 100 fois. » (cf. la chanson « Encore cette chanson » d’Étienne Daho) ; « À la radio Call Me de Blondie, Contagieuse mélodie, Call Me, Call Me, Ronger sa mélancolie » (cf. la chanson « L’Étrangère » d’Étienne Daho) ; « Dès l’âge de 6 ans, je passais tout mon temps à écouter la radio américaine. Tard dans la nuit, je continuais d’écouter la voix des maîtres américains. Toni Tenille. Debbie Boone, Lou Reed, Iggy Pop, David Bowie. Ces artistes ont réussi à me marquer aussi fortement que la grille du four sur mon visage… Comment faire mieux que Toni ou que Lou ? » (Hedwig, le héros transgenre M to F du film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « Un bar bruyant […], tôt ou tard, je sature et j’ai besoin d’un break, de me trouver quelques étoiles, de respirer une louche d’air frais et de me sortir la Christina Aguilera de la tête. » (Michael, le héros homosexuel du roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, p. 126) ; « C’était un soir de printemps, un soir de fête de la musique. La date fixée par le ministère était martelée par les téléviseurs depuis plusieurs jours. […] Les sons mélangés s’insinuaient dans le moindre recoin de l’appartement. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 27) ; « Cette musique obsessionnelle, ce rituel du néant exaspérait beaucoup de mélomanes. » (Le narrateur à propos de la musique de boîte, idem, p. 52) ; « La musique – dire qu’elle était tonitruante serait un euphémisme – me brisait les tympans et me brassait la cage thoracique. […] Je me jurai de rester une demi-heure par pure politesse et de me sauver à la maison. Il était impossible de ne pas bouger, même à l’extérieur du plancher de danse, alors je faisais comme tout le monde, je me dandinais sur place en regardant évoluer le zoo qui m’entourait […]. J’aurais juré être une paillette de couleur au milieu d’un kaléidoscope manipulé par un fou. » (Jean-Marc, le héros homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 172) ; « Il songea que tout cela était trop fou, trop atroce pour être dit avec de simples mots. Une chanson idiote qui avait conduit 9 superbes jeunes hommes à une mort abominable, 9 couplets débiles qui avaient détruit 9 vie, soufflé 9 flammes. » (Rémi dans le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, p. 174) ; « Une de tes spécialités, la musique militaire. » (Michael parlant à Emory, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « J’en peux plus de cette musique ! » (Delphine excédée de la musique wagnérienne que son grand-père secrètement homo, Frédérick, écoute tous les matins dans la maison familiale, dans le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau) ; « Un groupe de musiciens berbères est soudain apparu devant nous. Ils avaient l’air dangereux, très dangereux même, mais ils jouaient merveilleusement bien tout un répertoire du folklore du Sud marocain. […] Ils étaient tous noirs, ces musiciens. Absolument noirs. Et leur musique, fascinante, nous a obligés, Khalid et moi, à suspendre notre dialogue et à les écouter un bon moment. » (Omar, l’un des héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 115) ; « Esti fut soudain submergée par l’immensité de la situation. Elle [Ronit, l’héroïne lesbienne] était là. Après tant de temps. Ici. Une tension pesait sur son front, lui enserrait le crâne, un bourdonnement pareil à celui d’un engin électrique. » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 85) ; « L’éclat lumineux […]. Dovid l’entendait dans ses oreilles, elle résonnait comme une musique aiguë, douloureuse. Belle et effroyable à la fois. » (idem, p. 240) ; « Cette Barbara Streisand, elle t’a pas un peu déformé le cerveau ? » (le père d’Howard s’adressant à son fils suite au coming out de ce dernier, dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz) ; « C’est vrai que la musique adoucit les mœurs… » (Rodolphe Sand, tout en racontant sadiquement des horreurs, dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « J’ai déjà pleuré sur du R’n’B français. » (Shirley Souagnon, racontant comment elle finit par adorer la « musique noire » au rythme de son père, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Nous les gays, on a une arme fatale : c’est Alizée. Alizée, elle te vide un immeuble entier. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Son mec à moi (2007) de Patrick Hernandez, le concours Eurovision de la chanson est comparé à la cocaïne. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Donato, l’un des héros homosexuels, se saoule de musique arabisante en boîte, au point d’en perdre la tête. Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le Père 2 écoute de la musique militaire (fanfares) bien fort dans l’appartement. Dans le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, la danse en tutu finale préfigure la mort du Sida de chacun des personnages homos. Dans le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò et les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini, les récitals des quatre divas sont un avant-goût du déchaînement de violence de la dictature de Salò. Dans le film « La Vierge des tueurs » (2000) de Barbet Schroeder, le jeune Alexis passe son temps à allumer la musique à fond sur la chaîne hi-fi du salon. Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, le libertin Emmanuel se plaît à écouter de la musique rétro, Charles Aznavour, pour pleurer en silence ses parties de jambes en l’air. Dans le vidéo-clip « Que mon cœur lâche », l’ange Mylène Farmer n’arrive pas à entendre ce que lui dit Dieu car elle écoute son walkman. Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, la musique est mise trop forte et Franck ne veut pas la baisser. Toujours dans le même film, une ancienne amie portugaise de Matthieu, le héros homo décédé, vient innocemment rendre visite à la mère de Matthieu, Camille, sans savoir que Matthieu est mort, et lui offre le disque que ce dernier lui avait envoyé en cadeau : l’écoute solitaire de cet album par la maman est une torture qui la replonge dans la douleur du deuil. Dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur gay, n’a aucune distance par rapport à la musique, il se met dans tous ses états quand il entend quelques notes de piano ; il croit que le fantôme d’Isabelle, la concertiste, revient le persécuter. Dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ? », 2010) de Malu de Martino, Julia, l’héroïne lesbienne, ne peut plus écrire tranquillement dans sa chambre tellement sa voisine, Lisa, écoute de la musique rock fort et refuse de la baisser. Dans la pièce Une Heure à tuer ! (2011) de Adeline Blais et Anne-Lise Prat, Claire force Joséphine à écouter des 45 tours dans une cave, comme une séance de torture : « Vous connaissez pas la musico-thérapie ? » rit-elle sardoniquement. Dans le film « W imie… » (« Aime… et fais ce que tu veux », 2014) de Malgorzata Szumowska, Adam se met de la musique à fond dans son appartement, précisément pour s’oublier lui-même, se noyer dans l’alcool, danser avec le portrait de Benoît XVI, et décider de s’homosexualiser. Dans le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, Harvey Milk regarde la mort scénarisée dans un opéra… qui préfigure sa propre mort imminente.

 

Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, entre les locataires de la maison coupée du monde, c’est la guerre (apocalyptique) du « son » où chacun essaie d’imposer sa musique : « Les habitants de la tour de Babel ne toléraient que leur propre musique, ne s’intéressaient qu’à elle, par principe et avec obstination, espérant toutefois l’imposer aux autres, à force de la diffuser à un volume maximal. Ils s’indignaient alors de l’indifférence qu’elle rencontrait, comme on s’offusque d’une évidence mal comprise, incapables d’envisager que l’agression n’est jamais qu’une séduction […]. Au fond, chacun d’entre eux aurait donné cher pour obtenir le silence. Mais comme chacun considère ses déjections comme un prolongement de soi et les supporte mieux que celles des autres, chacun préférait s’abîmer les tympans avec sa propre pollution sonore, plutôt que de subir celle du voisin. Alors c’était la guerre par le bruit. L’affirmation chaotique et arrogante de soi par l’exhibition musicale. » (pp. 150-151)

 

Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, écoute toujours de la musique à fond. Sa mère pète un plomb : « C’est cacophonique ! » Kyla, la voisine qui donne des cours particuliers au jeune homme, le supplie de baisser la musique : « La musique, Steve, baisse-la. » Lors d’une séance de karaoké, où Steve se ridiculise, la prestation vire à la vision d’enfer : le héros voit tous les clients du bar ricaner, puis en menace violemment un avec une bouteille de bière car il ne gère pas l’humiliation.
 

Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, parle carrément d’une possession de son corps par l’âme des chanteuses qu’il imite : « Madonna, quand elle rentre, pour la faire sortir… [c’est pas gagné !] » On retrouve la même idée dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, avec Norbert qui se retrouve possédé par le fantôme d’Édith Piaf : « Édith, sors de ce corps !!! »

 

Film "Xenia" de Panos H. Koutras

Film « Xenia » de Panos H. Koutras


 

Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, a été tellement gavé de musique kitsch qu’il régurgite et fait une scène à son grand-frère Ody quand il l’entend rechanter des tubes de leur enfance pour se préparer à un concours de chansons : « C’est de la soupe ! » récrimine-t-il (ce à quoi l’agent homo de Ody, Tassos, lui rétorque qu’il n’a pas à se plaindre et à être ingrat : « N’oublie pas que cette soupe t’a nourri pendant des années ! »). Plus tard dans le film, Dany réutilise la musique de son enfance comme une matraque qu’il retourne contre son propre géniteur. En effet, il fait écouter en direct depuis son téléphone portable l’audition vocale de son grand-frère Ody à la Greek Star (l’équivalent de l’émission de télé-réalité The Voice en Grèce) tout en pointant son flingue contre son prétendu père biologique et Vivi la nouvelle femme de celui-ci. Il les oblige même à applaudir la prestation musicale qu’ils entendent. On voit donc très bien ici que la musique est considérée comme un instrument de torture, comme un pistolet.

 

Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, la musique annonce des catastrophes. Par exemple, Jonas, le héros homosexuel, écoute des cochonneries sur la sexualité sur Fun Radio. Plus tard, il se rend avec son amant Nathan dans le club gay Boys Paradise, sont refoulés à l’entrée, et finissent par être accostés par un prédateur qui les amènent dans un autre club, La Dolce Vita, qui est une discothèque homo fictive. Sur le trajet, le prédateur homo, qui a l’air pourtant d’avoir des goûts musicaux de midinette (il écoute à fond la chanson « T’en va pas » d’Elsa, et ne veut pas baisser le son), refuse de faire descendre les deux jeunes garçons et donne un coup mortel à Nathan. Les paroles « Nuit tu me fais peur, nuit tu n’en finis pas comme un voleur. » résonnent comme une préfiguration du drame à l’issue duquel Jonas ne reverra plus son compagnon.
 

La musique ou la danse sont à la fois les bâtons privilégiés de l’homophobie ordinaire (ou de l’homophobie intériorisée), et les vecteurs, selon certains héros homosexuels, de leur identité homosexuelle « profonde » (cf. le film le film « Billy Elliot » (1999) de Stephen Daldry). « Pour une fois qu’un prof de danse n’était pas pédé… » (Océane Rose Marie, La Lesbienne invisible, 2009) ; « Danser, c’est pour les pédés. » (Kevin dans la pièce Ma Double Vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; etc. Par exemple, dans le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald, Stella, l’héroïne lesbienne, traite Prentice de « Sissy » parce qu’il fait des mouvements de danse sur la plage. Dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus. Mark dit fièrement aux journalistes que grâce au travail des mineurs gallois qu’il soutient avec son groupe LGBT, « les gays comme lui peuvent prendre leur pied sur du Bananarama ». Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard écoute seul chez lui une cassette d’un guide vocal qui donne des cours de masculinité (une sorte de méthode assimil pour redevenir hétéro) et le met à l’épreuve en lui faisant écouter « I Will Survive » de Gloria Gaynor pour qu’il ne craque pas et ne bascule pas du côté obscur de la force ( = l’homosexualité). Ce « tempo endiablé et démoniaque » a malheureusement raison de lui, finit par produire l’effet inverse escompté puisqu’Howard se met à danser comme une tapette : la voix du coach « hétéro », impuissante face aux décibels disco, devient agressive, insultante (« Soyez un homme ! Faites n’importe quoi mais ne dansez pas !!! Arrêtez de tortiller des fesses, espèce de grande folle !!! »)… pour finalement s’avouer vaincue et s’homosexualiser elle aussi (« Alors ? Comment tu t’en es sorti, mon mignon ? ») !

 

 

Dans quasiment toute la production du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, la musique rend fou. Par exemple, dans le film « Lili Marleen » (1980), la torture qui est infligée à Robert, jeune musicien d’origine juive amoureux de la célèbre chanteuse allemande Lili Marleen, c’est d’entendre en boucle le disque rayé de sa dulcinée dans sa cellule carcérale. Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997), Franz tourne en rond dans l’appartement qu’il partage avec son amant Leopold, écoute sans arrêt les mêmes morceaux musicaux (notamment l’« Alleluia » de Haendel) et rumine son amertume amoureuse ; Leopold finit par péter un plomb : « Et cette maudite musique !! Il faut toujours qu’on entende des musiques de ce genre ??? Éteins la musique !! » Dans la pièce Et Dieu créa les fans (2016) de Jacky Goupil, Tom, le fan de Mylène Farmer, est interné en hôpital psychiatrique à cause de sa passion.

 

Film "Lili Marleen" de Rainer Werner Fassbinder

Film « Lili Marleen » de Rainer Werner Fassbinder


 

Le monde de la nuit en boîte homosexuelle représente cette organisation institutionnalisée de la torture musicale « consentie », « autorisée », aseptisée, à cause du manque de communication et d’humanité qu’instaure l’excès de décibels : cf. le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, la chanson « Jesus Is Gay » de Gaël, le vidéo-clip de la chanson « Le Slow » de Zazie, la comédie musicale Sauna (2011) de Tom Evanicki et Esther Daack, le film « Tesis » (1996) d’Alejandro Amenábar, le téléfilm « Juste une question d’amour »(2000) de Christian Faure, le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro (avec Gabriel, DJay à la soirée de Karina), le roman Vernon Subutex (2015) de Virginie Despentes, etc. « Je n’y vais plus. J’en ai marre des boîtes. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) Par exemple, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, la rencontre en boîte homo que fait le héros bisexuel avec Karim se finit presque en « tournante à quatre ». Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, l’ambiance en discothèque lesbienne est très malsaine : les clientes se disputent les nouvelles recrues comme de la chair fraîche. Dans le film « La Partida » (« Le Dernier Match », 2013) d’Antonio Hens, Reinier et Juan se rencontrent lors d’une sortie en boîte sous ecstasy. Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, Glen et Russell sortent ensemble en boîte gay parce qu’ils sont désespérés et dégoûtés de l’amour (leur histoire d’« amour » ne durera qu’un week-end, d’ailleurs). Le film « D’un trait » (2004) d’Alexis Van Stratum se déroule en boîte gay et illustre la descente aux enfers de toute personne homosexuelle qui fréquence le monde de la nuit homo. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zach sort avec Danny en boîte sans savoir qu’il est un de ses élèves de fac. Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Dallas, l’assistant-couturier homosexuel de Cecilia, s’appelle en réalité Claude François. « Ma mère l’adorait. » À la fin, il mime avec Joséphine le coup de griffe de « Baracouda » de la chanson « Alexandrie-Alexandra »… et porte la Marque de la Bête.

 

Les discothèques gays dans les fictions homo-érotiques sont parfois le théâtre de l’horreur (à cause d’un attentat, d’un incendie ou des violences qui s’y déroulent entre clients). Par exemple, dans la nouvelle « Virginia Woolf a encore frappé » (1983) de Copi, le meurtre du barman a lieu un soir d’orgie, lors d’un « bal macabre » (p. 83) dans une backroom d’une boîte homo de Pigalle. Dans le film « Poltergay » (2006) d’Éric Lavaine, la bande de morts-vivants homosexuels hantant la maison de Marc et Emma a péri dans une boîte gay qui a brûlé dans les années 1970. Dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, une explosion de chaudière mettant le feu à une fête interlope fait un carnage très meurtrier dans l’Hôtel Continental. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel, dans la chanson. Il apparaît comme le chevalier blanc (il porte un costard blanc, a une belle voiture blanche). Mais en réalité, c’est pour s’attirer les faveurs sexuelles du petit. C’est de la prostitution pédophile déguisée (Davide a quatorze ans). Il se lamente de « la musique de merde » qu’écoutent les prostitués qu’il entretient financièrement.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Mélo-men:

Film "Pink Narcissus" de James Bidgood

Film « Pink Narcissus » de James Bidgood


 

Nos pays occidentaux peu à peu nous le prouvent à leur insu, à travers des émissions de variétés, de télés-crochet, telles que The Voice (concours de voix) où les finalistes sont particulièrement androgynes et souvent homosexuels : il y a de nombreux croisements entre désir homosexuel et musique.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles sont mélomanes et ne vivent que par/pour la musique : il n’y a qu’à voir les films de Gaël Morel, Xavier Dolan, François Ozon, Pedro Almodóvar, Stephan Elliott, Panos H. Koutras, les one-man-show de Samuel Laroque, Jérôme Loïc, Yoann Chabaud, Rodolphe Sand, les pièces de Michel Heim, Martial Di Fonzo Bo, Franck Le Hen, qui sont des clips rallongés en longs métrages, pour s’en persuader. Certaines ont des discothèques impressionnantes : c’est le cas de Michel Gaubert, entouré de tous ses vinyles. Elles exercent parfois le métier de chanteurs, de musiciens, de danseurs, de compositeurs, de chorégraphes : Emmanuel Moire, Elton John, George Michael, Vaslav Nijinski, Jacques Chazot, Patrick Dupond, Rudolf Noureev, Jean Sablon, Charles Trénet, Érik Satie, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Ricky Martin, Sinead O’Connor, Leonard Bernstein, Benjamin Britten, Camille Saint-Saens, Manuel de Falla, Georges Gershwin, Maurice Ravel, Anne-Laure Sibon, Maurice Béjart, Catherine Lara, Janis Joplin, Sergei Diaghilev, Freddy Mercury, Jimmy Sommerville, Boy George, Patrick juvet, Étienne Daho, Dave, Ari Gold, Morrissey, Klaus Nomi, Johannes Brahms, Frédéric Chopin, Jean-Baptiste Lully, Franz Schubert, William Young, Stephen Gately, Hervé Vilard, Luis Mariano, Félix Mayol, K.D. Lang, Yvonne George, Suzy Solidor, etc. Je vous renvoie au documentaire « Porträt Marianne Rosenberg » (1976) de Rosa von Praunheim (dédié aux stars du disco), le documentaire « Hang The DJ » (1998) de Marco et Mauro La Villa, le documentaire Ouganda : au nom de Dieu (2010) de Dominique Mesmin (avec Joseph, le sorcier gay, qui a dans sa chambre un énorme poster des Spice Girls), etc.

 

Par exemple, en 2009, Eytan Fox a dirigé la série musicale Mary Lou, d’après les chansons de la célèbre chanteuse Tzvika Pik, fable moderne où un jeune homosexuel part à la recherche de sa mère. Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte que, pendant son adolescence, il a été élu meilleur danseur de son école. En 2013, Benjamin Millepied, le pianiste lyrique, a fait la Une du magazine Têtu. De mon côté, la musique a toujours été centrale dans la construction de mon identité et de ma sexualité (j’ai créé, à une période, beaucoup de sketchs construits sous la forme du film « On connaît la chanson » (1997) d’Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri).

 

mille

 

Pour certaines personnes homosexuelles, l’identification à la danse ou la chanson est totale : « Je ne chante pas des chansons ni les interprète. Moi je suis la chanson. » (Boule de Neige cité par Deny Extremera, « Bola de Nieves : Yo Soy La Canción. », sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003)

 

« Sur ma lancée d’organisateur de jeux pour le quartier, je pris en charge les fêtes de la Saint-Jean. J’avais tout juste treize ans. Je montai une comédie musicale avec mes camarades, abusant du play-back. C’était le début du disco et je me trémoussais avec enthousiasme durant le spectacle, incarnant… des chanteuses. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière, 2011, pp. 29-30) ; « Mes goûts aussi, toujours automatiquement tournés vers des goûts féminins sans que je sache ou ne comprenne pourquoi. J’aimais le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées. […] Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse ; ma sœur en faisait. Je me rêvais sur une scène, j’imaginais des collants, des paillettes, des foules m’acclamant et moi les saluant, comblé, couvert de sueur – mais sachant la honte que cela représentait je ne l’avais jamais avoué. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 29-30) ; « La musique et les boîtes disco ont été essentiels dans le développement de la culture gay. » (Steve Blame interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « La musique d’Amanda Lear m’a aidé à accepter mon aberration. Je me disais que la chanson d’Amanda Lear ‘Follow Me’ est peut-être plus aberrante que ce que j’éprouve. En ce sens, elle m’a beaucoup aidé et ça m’a rendu plus fort. J’avais tous les disques d’Amanda Lear. Je les connaissais par cœur. Et ça a vraiment renforcé ma confiance en moi. » (Hape Kerbeling, idem) ; « La Symphonie de Franck. Je l’ai aimée depuis mon adolescence. Pour une raison que je ne m’explique pas bien, cette musique m’a toujours donné l’impression d’être couleur de violette, peut-être à cause de sa mélancolie, sa douce nostalgie de je ne sais quel bonheur. […] De la musique encore et encore. Elle me donne ce que les mots ne me donnent jamais tout à fait. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, mars 1981, pp. 15-18) ; etc.

 

La musique est considérée par la communauté homosexuelle comme un univers merveilleux, magique, meilleur que la réalité. « Ma première émotion artistique, je la dois à la radio. Je me souviens très précisément des soirs où, de mon lit, j’entendais le poste dans la salle à manger : Rina Ketty, Maurice Chevalier, Tino Rossi, Mistinguett chantaient et j’étais fasciné par ces voix lointaines qui berçaient mon imagination et m’endormaient dans un sommeil de fête. J’écoutais ces musiques très gaies, les réclames, et j’avais l’impression qu’à Paris tout le monde dansait, s’amusait, que personne ne travaillait, que les gens passaient leur temps à chanter dans les rues. » (Jean-Claude Brialy, Le Ruisseau des singes (2000), p. 23) ; « Du piano à la découverte de cette autre ‘sensation’, j’appris également les techniques du chant. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 36) ; « C’était la belle époque, celle de mes découvertes musicales et de ma passion pour la musique. » (idem, p. 45) ; « C’était une époque où la radio possédait encore tout son pouvoir d’envoûtement. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 149) ; etc. Rappelons par exemple qu’en France, l’ancien Ministre de la Culture, Jack Lang, bisexuel, est à l’initiative de la Fête de la Musique. Par ailleurs, force est de constater que les Gay Pride du monde entier reposent exclusivement sur la musique.

 

Quand j’ai demandé, le 12 février 2014, à un ami pianiste professionnel (lui-même homo) s’il y avait beaucoup de personnes homos dans le monde du piano, et quelle était la proportion, il m’a répondu : « Ah oui, énormément ! Dans le milieu musical classique en général d’ailleurs… C’est tellement particulier le Conservatoire, le monde des Concours, même l’apprentissage d’un instrument à haut niveau, qui doit se faire très jeune, il faut à la fois une force et stabilité intérieures immenses, et en même temps, une sensibilité extrême… Donc pour avoir les deux, cela repose souvent sur des failles, des blessures intérieures, et l’homosexualité en fait partie… D’où le nombre ahurissant de gays au Conservatoire de Paris, dans toutes les disciplines, partout… » J’ai eu droit aux mêmes constats de la part de grands connaisseurs des milieux des chorales, des organistes, ainsi que des danseurs classiques/modernes !

 

 

Le monde de la musique classique ou de l’Opéra lyrique regorge de personnes homosexuelles, très attirées par la confusion entre éthique et esthétisme. « À dix-neuf ans, Jean-Luc [homosexuel de 27 ans], le petit étudiant, se trouvait, par les hasards de l’amour, l’amant de l’un des premiers secrétaires d’ambassade des U.S.A. En quelques mois, nouveau prince de Paris, il se voyait offrir sa loge réservée à l’Opéra, une voiture et tout l’argent de ses désirs. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 73) ; « Ces hommes qui, à travers promenades et conversations érudites sur les pièces de théâtre, l’opéra, les musées ou les voyages, parlant le plus souvent deux à trois langues, vous font faire un marathon culturel en s’affirmant intellectuels et appartenant à une autre catégorie de gens. Entre eux et moi, l’argent s’imposait c’est vrai. Mais leurs convictions également. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de ses connaissances homosexuelles qu’il qualifie de « vautrés dans la culture », dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 122) ; « Deux êtres se rencontrent et une musique s’élève. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Opéra Dictators And Bishops

Opéra Dictators And Bishops


 

La cantatrice tragédienne (Maria Callas en première ligne, mais aussi Élisabeth Schwarzkopf, Natalie Dessay, Jessye Norman ; et toutes les tragédiennes chanteuses de la culture pop : Jeanne Mas, Mylène Farmer, Lady Gaga, Dalida, Barbara…), par son interprétation fragile et forte du malheur amoureux, et par sa vie sentimentale tumultueuse, est facilement élue porte-parole du mal de vivre que la communauté homosexuelle souhaite nier/exprimer par l’esthétique tragique musicale.

 

MUSIQUE Schneider

 

Et un grand nombre d’Opéras (classiques ou opérettes modernes) incorporent directement la question de l’homosexualité dans leur intrigue (cf. voir ici la liste): cf. King Arthur (2009) d’Hervé Niquet, Billy Bud (1951) de Benjamin Britten, Alas (2008) de Nacho Duato, etc. Dans un registre plus populaire, les soap operas et les comédies musicales sont très prisés par le milieu interlope : cf. Cabaret (1966) de Sam Mendes et Rob Marshall, Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks, Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, Adam et Steve intégrée au film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso, Ball Im Savoy (Bal au Savoy, 1932) de Paul Abraham, comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, Le Cabaret des hommes perdus (2006) de Christian Siméon, Chienne (2011) d’Alexandre Bonstein, Madame Mouchabeurre (2010) de Michel Heim, Mon ange au masculin (2013) de Marie-Claire D’Or et Alexia Vé, « West Side Story » (1960) de Robert Wise, « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini, La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, Une Étoile et moi (2009) d’Isabelle Georges et Frédéric Steenbrink, Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, Hairspray (2011) de John Waters, Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphane Druet (qui parodie les soaps operas), etc. Et puis quand on descend encore plus bas, on a les concerts hardos et vulgos camp : Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, Tirez sur la pianiste (2011) d’Anne Cadilhac, le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, etc.

 

Opéra Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski

Opéra Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski


 

Beaucoup des chanteuses et des chanteurs qui plaisent aux personnes homosexuelles disent d’ailleurs que la musique peut se substituer à la vie réelle : Madonna, Britney Spears ou encore Lady Gaga nous font régulièrement le coup.

 

 

Un grand nombre de personnes homosexuelles considère la musique comme un être humain réel, à qui elles peuvent ressembler et s’identifier. « La première fois que j’ai entendu le mot homosexuel, c’était à la radio, j’avais quatorze ans, et j’écoutais la radio le soir tard, dans mon lit. » (Lidwine, femme lesbienne de 50 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 64) ; « Je me suis jeté à corps perdu dans la musique, à raison de cinq à six heures de piano par jour. » (Jean Le Bitoux, Citoyen de seconde zone (2003), p. 59) ; « Une bonne moitié des artistes mâles de la danse sont entraînés vers des complications sexuelles hors nature, par suite de la trop grande présence de la femme et surtout de la sexualité dans ce métier. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 200) ; etc. C’est leur manière de devenir une poupée magique. Par exemple, dans les documentaires « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan et « Boy I Am » (2006) de Sam Feder et Julie Hollar, les personnes transsexuelles interviewées ont tout fait pour ressembler à leur idole de la chanson : Nicco (née femme) ressemble à Eminem, Axel (née femme) à Pascal Obispo, Manuela (né homme) à Loana, Bambi (né homme) à Coccinelle, Claire (né homme) à Stone, et Nancy (né homme) à Joséphine Baker.

 

En général, le lien qu’entretiennent les sujets homosexuels avec la musique est de nature incestueuse, nostalgique et fusionnelle. « J’ai une maman chanteuse qui m’a toujours fait chanter. » (le chanteur homosexuel Halim Corto dans l’émission Je veux te connaître de la Radio de Nancy RCN le 25 octobre 2011) Par exemple dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, le lien incestuel entre le fils homo (Kai) et sa mère (Junn) tient à un fameux CD que le premier oublie toujours de lui donner (après quatre oublis, Kai finira par mourir).

 

Plus encore, beaucoup de personnes homosexuelles croient que la musique est un amant à qui elles peuvent faire une déclaration d’amour. « Toute suite ça a été une grande histoire d’amour avec la musique. […] Quand j’arrête de parler, j’ai encore de la musique dans la tête. » (Étienne Daho dans l’émission Alcaline sur France 2 le 20 février 2014) ; « Les chansons que j’écoutais à la radio me confirmaient dans mes certitudes au sujet de l’amour. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 44) ; « Une fois rentrées à la maison, nous avons écouté Jessye Norman en nous serrant tendrement l’une contre l’autre sur le vieux canapé du salon où nous avions pris place. » (Paula et Catherine, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 46) ; etc. Le phénomène des groupies ou des fan club a été/reste largement cautionné par elles : cf. les biographies Mylène Farmer phénoménale (2005) et Sainte Mylène, priez pour moi ! (2007) et Madonna absolument ! (2008) d’Erwan Chuberre, la chanson « Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre » de Jann Halexander, le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007) de Gustav Hofer et Luca Ragazzi, (où Gustav est fan de Madonna), la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (avec David Bowie envisagé en tant que religion), etc. Les icônes de la communauté homosexuelle actuelle sont davantage chanteuses qu’actrices, peintres, ou mannequins. « Il existe plusieurs patriotismes. J’écoute Mistinguett comme l’Écossais la cornemuse. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier)

 

D’ailleurs, la rencontre amoureuse homosexuelle se fait souvent sur un air de musique ou dans des lieux musicaux envahis de sons. « Le chanteur est arrivé : la foule s’est agitée, elle s’est compressée en direction de la scène. Le corps de l’homme s’est retrouvé poussé contre le mien, collé au mien, et à chaque mouvement de foule nos corps entraient en friction. Nous étions de plus en plus serrés l’un contre l’autre. Il souriait, gêné et amusé, le corps irradiant l’odeur de la sueur. J’ai perçu son changement d’état, son sexe se dresser progressivement et cogner le bas de mon dos, presque en cadence, au rythme de la musique, chaque fois plus gros et plus raide. C’est la fièvre qui m’a saisi cette nuit-là. Je n’ai pas bougé pour maintenir mon corps contre le sien alors que la musique m’était insupportable. Après cette nuit je l’ai écoutée encore et encore pour essayer de reconstituer, au moins dans mes rêves et mes pensées, le souvenir de cet homme.» (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 177)

 

La musique ramène les personnes homosexuelles à l’enfance (… et à l’infantilisation anesthésiante). Les chansons aimées par certains membres de la communauté homosexuelle choisissent très souvent comme trame de fond un air de boîte à musique (cf. la « Everytime » de Britney Spears, « Je t’écris » des Valentins, « J’aime, j’aime pas » et « Lola majeur » de Zazie, « La Bûddha Affaire » d’Indochine, « Hijo De La Luna » du groupe Mecano, « Ainsi soit-je » et « Effets secondaires » de Mylène Farmer, etc.). L’homosexualité est d’ailleurs associée dans leur répertoire musical aux comptines enfantines (cf. « Quel souci La Boétie ! » (1987) de Claudia Phillips – chanson racontant l’amitié entre Montaigne et La Boétie sur l’air d’« Am stram gram » –, les chansons « L’Âme-Stram-Gram », « Consentement » ou encore « L’Amour n’est rien » de Mylène Farmer, etc.).

 
 

b) Over-music-dose :

La musique occupe une place tellement importante dans le mode de vie de la plupart des personnes homosexuelles qu’elle en devient envahissante et anti-relationnelle. Par exemple, parmi les rares hommes avec qui je suis sorti, je constatais avec désolation et frustration que tout leur quotidien était rempli par leurs goûts musicaux au point qu’ils n’étaient pas capables de parler d’autres choses, qu’il n’y avait pas de place pour moi dans leur cœur (et pourtant, Dieu sait si j’aime la musique, la danse, les karaokés, et que je peux passer une soirée entière à ne discuter que de musique !). Par ailleurs, j’ai remarqué que dans les restaurants étiquetés publiquement gays, la musique y était mise plus en avant et plus forte. Celle-ci contribue tout autant à la convivialité qu’à l’isolement et aux pratiques violentes, anonymes. Je comparerais donc les effets de la musique exactement à ceux de l’alcool.

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Quand la musique est bonne… bonne bonne bonne… (un peu trop, même…). Le problème, c’est qu’à force de s’en gaver et de chercher à se réifier par elle, beaucoup de personnes homosexuelles finissent par se révolter contre elle, par être saoulées par cette étrange maîtresse dominatrice invisible qui ressemble plus à du bruit qu’à une mélodie harmonieuse. Elle est même souvent notre premier cache-misères : « Je dissimulais les taches de moisissure [sur le mur de ma chambre] avec des posters de chanteuses de variétés ou d’héroïnes de séries télévisées découpés dans les magazines. Mon grand frère, qui préférait, comme les durs, les chanteurs de rap ou la musique techno, se moquait ‘T’en as pas marre d’écouter que de la musique de gonzesse’. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 79)

 

Il est fréquent, dans le discours des personnes homosexuelles, que la musique soit présentée comme une drogue, une obsession, une séduction diabolique, et même un instrument de torture qui les entraîne jusqu’à la folie, le viol, la débauche et parfois la mort. « Oui, il y avait un secret entre le piano et moi. Je n’y touchais jamais que seule, mais je le fis aussi souvent que possible cet été-là. C’était aussi violent que magique. » (Carson McCullers, la romancière américaine lesbienne dans la biographie Carson McCullers (1995) de Josyane Savigneau, p. 31) ; « Y’a des musiques et des mots qui vous transpercent de part en part. » (Étienne Daho, juste avant de chanter Le Condamné à mort lors de son concert à Rueil en 2008) ; « T. ne supporte pas la solitude, ni le silence : dès qu’il entre dans la chambre d’hôtel, dès qu’il se réveille, il doit mettre la radio, ou allumer la télévision. » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 29) ; « Dans son office où il [le père Basile, son violeur] me recevait les après-midi, il y avait non seulement de quoi manger et boire, mais également un piano où je m’amusais à jouer n’importe quoi et n’importe comment. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 35) ; « Dans son château, le Marquis de Sade renouvelait ce qu’il appelait ‘les sept jours de Sodome et Gomorrhe’, où il sodomisait ‘en musique’ jusqu’à douze jeunes garçons dans la même matinée. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 160) ; « Quand le danseur espagnol s’est fait insulter par les autres élèves sur le ring, il a utilisé la cadence des injures pour exécuter une danse gitane. Quelque temps plus tard, les mêmes élèves, pour l’humilier, ont voulu introduire un morceau de craie dans son anus. Il a tellement crié qu’ils ont arrêté net. Dans ses cris, le danseur a découvert une voix ample que de temps en temps il utilise avec succès dans son répertoire de chansons espagnoles. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 162) ; « Sabah y était plus blonde et plus figée que jamais. Sa voix n’avait miraculeusement pas changé mais son visage blanc était devenu un masque, celui de la mort peut-être. […] Mais ce retour-événement était, au fond, lui-même triste. Sabah n’était plus Sabah. L’âge d’or cinématographique et musical que je connaissais très bien et auquel elle avait contribué était révolu depuis au moins trois décennies déjà. » (Abdellah Taïa parlant d’une de ses chanteuses fétiches, Sabah, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 67) ; « Ils me tirent les cheveux, toujours la lancinante mélodie de l’injure ‘pédé, enculé’. » (Eddy Bellegueule parlant de ses deux agresseurs au collège, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 38) ; « Je fais de ma musique une arme. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Par exemple, lors de son concert à Rueil en 2008, Étienne Daho choisit pour décor scénique un disque vinyle en spirale sur la chanson « Le Grand Sommeil », comme pour figurer l’hypnose ou le lavage de cerveau qu’opère la musique dans sa vie. Dans son récit autobiographique Nicolas Pages (1999), Guillaume Dustan compare les sensations provoquées par les pulsations de la techno qu’il entend dans les boîtes gays au stage prénatal du ventre maternel, à quelque chose de très bestial et régressif au niveau de la sexualité.

 

La musique de boîte agit comme un accélérateur de pulsions, d’adrénaline, d’attraction physique violente et diabolique, à cause du manque de communication et d’humanité qu’instaure l’excès de décibelles : « J’essaie de me rappeler. Le début. Ce qui m’a attiré. La nuit. Une boîte de nuit où je me rendais pour la première fois de ma vie. La foule branchée que je n’aimais pas. […] Il dansait. Seul. […] Plus tard, audacieux, je lui ai parlé, je l’ai complimenté. Il a levé les yeux, a souri et moi je suis tombé amoureux, immédiatement, instantanément. On appelle ça le coup de foudre. Moi, j’appelle ça la reconnaissance mutuelle. […] Je ne l’ai pas quitté. Il ne m’a pas quitté. On a dansé ensemble. Une fois. Un slow. ‘Pull marine’. Isabelle Adjani. » (Abdellah Taïa parlant de Slimane, son « ex » qui l’a tant fait souffrir, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 108) ; « Je levais les yeux vers les spots dont la puissance s’accroissait aux rythmes de la musique, troublé par l’attirance vers cet inconnu. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 66) ; « Plus tard, à l’approche de la première lumière qui annonce le grand jour, je me retrouvais dans sa chambre sans trop savoir pourquoi. Sa forte ombre qui tournait autour de moi bourdonnait des mots incompréhensibles, tel un chanteur aux mâchoires serrées. […] La sensation de beauté qui m’avait ébloui la veille, laissa la place à un visage banalement masculin, pas nécessairement très beau mais sexy, avec un air d’ivresse dans les yeux. » (idem, pp. 66-67) ; « Une musique à briser tous les tympans, le disque pétaradait. » (idem, p. 132) ; « Les lumières paralysantes, la musique hurlait pour couvrir la rumeur générale qui s’amplifiait. » (idem, p. 133) ; « Je me suis mis à marcher derrière Bruno comme quand on suit aveuglément l’amour, pour trouver au comptoir un centimètre carré disponible. Lumières paralysantes, la musique hurlait pour couvrir la rumeur générale qui s’amplifiait alors que, les bières se vidaient. Hommes enlacés, bouche à bouche, sexe à sexe, ils se déchaînaient pour un soir en libérant toutes leurs pulsions, le temps de vivre leurs désirs. Les plus âgés, relativement plus calmes, ‘des aventuriers de l’âge perdu’, comme les appelait Bruno, qualification qui me déplaisait fortement, lorgnaient sans doute vers le passé déchu qui s’écoulait à la vitesse des perfusions. » (idem, p. 133) ; « À être entassés les uns sur les autres, à vivre en permanence dans l’agitation, on perd vite l’exercice d’une liberté responsable. Il suffit d’un bon rythme de techno pour faire perdre en partie conscience de soi à quelqu’un. Une quantité suffisamment élevée de décibels, et une bonne rythmique qui cible votre personne à travers son cerveau reptilien, et vous êtes en état de quasi-hypnose collective. » (Père Samuel, frère jésuite, « Les Structures de péché », Actes du colloque de Banneux, les Attaques du démon contre l’Église, 2009, p. 56)

 

À ce propos, il n’est pas anodin que beaucoup de personnes homosexuelles ayant fait partie de la « Génération Clubbing » ou « Disco » des années 1970-1980, ont connu la mort par le Sida. Je pense par exemple au compositeur de disco américain, Patrick Cowley, mort en 1982.

 

Patrick Cowley

Patrick Cowley


 

La musique aurait-elle donc le pouvoir de tuer ? Bien sûr que nous. Mais de faire le lit de la souffrance et de la violence, parfois oui.

 
 

Pour accéder au menu de tous les codes, cliquer ici.