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Code n°148 – Poupées (sous-codes : Marionnettes / Automates / Bodybuilding)

Poupées

Poupées

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

Le désir homosexuel : un désir de mort, atténuant sa violence par l’esthétique des corps-objets

 

Le désir d’être objet, c’est l’autre nom du désir homosexuel. Soit parce qu’elles ont jadis été prises pour des objets, soit pour se créer une essence divine au moment où elles ont douté de leur unicité et de leur identité, la plupart des personnes homosexuelles croient pouvoir se transformer en fétiche, en image sacrée, en mannequin de magazine. Par l’image, elles se donnent donc l’illusion de se mettre elles-mêmes au monde et de trouver une nouvelle originalité. Beaucoup d’entre elles construisent autour de leur être un véritable culte de la personnalité, surtout à travers les arts audiovisuels. Il suffit d’observer le rapport de certaines aux miroirs, en discothèque notamment, ou bien encore leur attitude de femme fatale en présence d’un appareil photo, pour le constater. Elles se scrutent beaucoup et pâtissent de la maladie du Don Juan qui cherche constamment à plaire, à faire plaisir, et à savoir ce que les autres pensent de lui, sans jamais arriver à satiété.

 

On entend souvent dans le discours des personnes homosexuelles – y compris chez celles qui ne sont pas du tout efféminées – un désir de divinisation par la réification fétichiste, le rêve de « faire de leur être un objet d’art » (Michel Foucault, « Conversation avec Werner Schrœter », dans Dits et Écrits II (2001), p. 1077), une belle statue grecque qu’elles pourraient sculpter, exposer, posséder. En fantasmes, elles font de leur corps la matière première de leur pouvoir créateur. « Je suis une pièce d’art vivante qui parle et qui marche » déclare par exemple Steven Cohen (cf. l’article « Steven Cohen, Corps à corps »). La fascination pour l’anatomie humaine est particulièrement marquée dans le « milieu homosexuel ». Les personnes homosexuelles ont tendance à considérer leur corps comme leur bien, leur propriété privée. Certaines défendent même l’existence d’un « corps homosexuel » (N.B. : je vous renvoie également au code « Différences physiques » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels). Selon la logique des réalités fantasmées qui s’engendrent par la voie du fantasme, elles n’ont pas totalement tort : « la lesbienne » est en effet la concrétisation incomplète de la « fille d’à côté » (cette femme-objet largement décrite dans le documentaire « Pin-Up Obsession » (2004) d’Olivier Megaton) qui a fait son apparition dans la revue Play-Boy au cours des années 1950 ; « l’homosexuel », quant à lui, est le retour partiellement incarné de « l’homme d’à côté » décrit par Alexandros Loukos et représenté en vignette dans les revues gays. Mais une fois confrontée à la Réalité, cette conception cinématographique du corps devient caduque, puisque ce dernier n’est ni objet ni glacé comme l’image de magazine.

 

Le désir de se réifier et de disparaître pour devenir des dieux bioniques apparaît à travers l’omniprésence des poupées dans la fantasmagorie homosexuelle. Les artistes homosexuels sont nombreux à avoir conçu des pièces pour marionnettes, à exercer le métier de marionnettiste, et à s’intéresser esthétiquement aux automates, aux statues, et à la texture caoutchouc (il existe d’ailleurs à Paris une association homosexuelle rien que pour les amateurs de caoutchouc, « Les Mecs en Caoutchouc » !). Même si cette démarche peut amuser dans un premier temps, elle est en réalité violente et mortifère… puisqu’un objet, par définition, c’est inerte, mort, consommable, et non-libre.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « S’homosexualiser par le matriarcat », « Don Juan », « Amant diabolique », « Femme fellinienne géante et pantin », « Adeptes des pratiques SM », « Pygmalion », « Cirque », « Jeu », « Morts-vivants », « Clown blanc et Masques », « Super-héros », « Animaux empaillés », « Se prendre pour Dieu », « Clonage », « Maquillage », « Fan de feuilletons », « Collectionneur homo », « Femme et homme en statues de cire », « Homosexualité, vérité télévisuelle ? », et à la partie « Ventriloque » du code « Doubles schizophréniques » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel aime les poupées/marionnettes et s’y identifie :

Film "La Mala Educacion" de Pedro Almodovar

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

On retrouve les poupées et les marionnettes dans énormément de productions artistiques traitant d’homosexualité : cf. le vidéo-clip de la chanson « Papa m’aime pas » de Mélissa Mars, la série de dessins Pinochio (1988) de Pepe Espaliu, le film « Un Sacrifice » (1997) de Didier Blasco, le film « Dallas Doll » (1993) d’Ann Turner, le film « Superstar : The Karen Carpenter Story » (1987) de Todd Haynes, le film « Labyrinthe » (1986) de David Bowie, le vidéo-clip de la chanson « West End Girl » des Pet Shop Boys (la première image, ce sont des poupées), le film « Christophe et Gordi » (2004) de Frank Mosvold et Tom Petter Hansen, les films « Les Larmes amères de Petra Von Kant » (1972), « Gibier de passage » (1972) et « Roulette chinoise » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le vidéo-clip de la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le roman A Sodoma En Tren Cobijo (1933) d’Álvaro Retana (avec la figure de Pinocchio), la chanson « Allan » (« Pauvres poupées qui vont, qui viennent, Allan, Allan… ») de Mylène Farmer, la chanson « Sextonik » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « C’est une belle journée » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Fuck Them All » de Mylène Farmer (avec les épouvantails), le film « Juste avant Bir-Hakeim » (1989) de Christophe Donner, le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (avec le magasin de réparation de poupées), le conte Le Montreur de marionnettes d’Hans Christian Andersen, le film « Cabaret » (1972) de Bob Fosse (avec le Maître de Cérémonie s’animant comme un pantin désarticulé), la photo Sense Of Space (2000) des frères Gao, le film « Presque rien » (2000) de Sébastien Lifshitz, le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, le film « Dans la peau de John Malkovich » (1999) de Spike Jonze, le film « The Others » (« Les Autres », 2001) d’Alejandro Amenábar, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, les pièces Le Guignol et le Gourdin (1928) et Les Amours de Don Perlimplin (1923) de Federico García Lorca, la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry, la pièce L’Autre monde, ou les États et Empires de la Lune (1650) de Savinien de Cyrano de Bergerac, la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le spectacle de marionnettes Folie dans la jungle (2010) de Loïc Bartolini, le spectacle-cabaret Dietrich Hotel (2008) de Michel Hermon, la pièce Western Love (2008) de Nicolas Tarrin et Olivier Solivérès (avec l’allusion à Pinocchio), le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner (avec la poupée Barbie), le film « The Mostly Unfabulous Social Life Of Ethan Green… » (2005) de George Bamber, le film « La Chair et le Sang » (1985) de Paul Verhoeven, le spectacle d’imitations L’Électron libre (2008) de Dany Mauro (avec le chanteur Calogéro imaginé en marionnettiste), la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco (avec les Barbies), le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré (avec Ismaël en marionnettiste), la pièce Érik Satie… Qui aime bien Satie bien (2009) de Brigitte Bladou, la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec la poupée gonflable appelée « Doctoresse Freud », la pièce Eva Perón (1969) de Copi, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1971), le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee (avec le collectionneur de poupées), le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec le Roi qui joue à la poupée), le film « Un autre homme » (2008) de Lionel Baier, le poème « En cœur forgé » (2008) d’Aude Legrand-Berriot, le film « Where Are The Dolls » (2012) de Cassandra Nicolaou, le vidéo-clip de la chanson « La Bête libre » de Jeanne Mas, le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque (avec Pinocchio), le film « Bienvenue à bord » (2011) d’Éric Lavaine (avec la marionnette en forme de boa rose), le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch (avec la poupée sévillane géante dans la chambre à coucher de Michel, le héros gay), la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert (avec Karl Lagerfeld qui manipule son amant Jacques à distance, comme une marionnette), le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la chanson « Mannekin » de Taxi Girls, etc.

 

Album "Point de suture" de Mylène Farmer

Album « Point de suture » de Mylène Farmer


 

Le personnage homosexuel voue une véritable passion pour les marionnettes et les poupées : « J’ai toujours aimé les poupées. » (le marin gay dans la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy) ; « Quand j’étais petit, je jouais souvent avec les Barbie de ma petite sœur en cachette. Ma préférée, c’était ‘Barbie robe de mariée’. […] Je me souviens qu’à dix ans, je suis allé vendre des oeufs au marché pour m’acheter une Barbie, celle avec le coffret maquillage. » (Sébastien dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim) ; « Le rideau rouge vint se lever, s’envoler. Les marionnettes vont s’éveiller, s’animer. Dans un théâtre abandonné, j’ai trouvé des personnages, des paysages de papier. C’est une histoire que j’ai volée à ma mémoire. » (cf. la chanson « Les Romantiques » de Catherine Lara) ; « J’ai toujours adoré jouer à la poupée. » (Marina le travesti dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « Et dire que je lui ai acheté une Barbie parce qu’il n’y avait plus de GIJo au supermarché ! » (Samuel Laroque imitant une mère qui parle de son jeune fils, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Tu n’as plus l’âge de tes poupées. » (cf. la chanson « Lola » de Jeanne Mas) ; « J’m’appelle Théo et j’aime les poupées, surtout celles aux cheveux frisés. » (cf. la chanson « Fille ou garçon » du groupe Zut) ; « On jouait à la poupée. » (Juna, Kanojo et Suki, les trois héroïnes lesbiennes s’adressant à Rinn, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Tous les ans, je commandais au Père Noël une poupée. » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; « Toi, va jouer à la poupée ! » (Alexandre le héros hétéro repoussant violemment André, homo, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans le spectacle de marionnettes L’Histoire du canard qui voulait pas qu’on le traite de dinde (2008) de Philippe Robin-Volclair, le petit Ernest joue à la poupée dès son plus jeune âge. Dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, Myriam parle à sa poupée. Au générique du début du film « Le Zizi de Billy » (2003) de Spencer Lee Schilly, Billy, le transsexuel, joue avec des poupées. Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, Michael voit son petit-neveu de 7 ans, Sumter (qu’il soupçonne d’être homosexuel), jouer au théâtre de marionnettes ; cela lui rappelle sa propre enfance, quand il « bricolait des scènes de théâtre avec des cartons récupérés dans les Piggly Wiggly » (p. 99). Dans le film « Dolls » (2008) de Randy Caspersen, Thomas, un ado un peu secret, supporte mal que sa mère s’apprête à vendre les poupées qui ont accompagné toute son enfance… Dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi, le comédien principal anime une marionnette en mousse en forme de rat. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des protagonistes homosexuels affirme avoir grandi entouré de « sa dînette, ses barbies, ses héros ». Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, Jason, le héros homosexuel, jouait à la poupée avec sa meilleure amie Corinne, quand ils étaient enfants. Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, la chambre d’Hélène est pleine de poupées. Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel dit qu’il jouait à la poupée et s’est lié à l’école avec Julien, un camarade qui avait des Polly Pocket.

 

Le monde des marionnettes est parfois directement synonyme du monde homosexuel et à « l’amour ». « Nous conjuguons nos talents pour animer les marionnettes d’un petit Guignol. » (Dominique en parlant de sa rencontre avec Romain, dans le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, p. 16) Par exemple, dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, la Reine des Rats demande à Rakä et au rat narrateur qu’elle trouve bien efféminés « chez quel marchand de marionnettes ils s’habillent » (p. 31). Dans le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer, les personnages homosexuels/queer évoluent dans un monde où la sexualité est proche de l’enfance : l’un d’eux est d’ailleurs une poupée. Dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, les amants du couple homosexuel sont tous les deux déguisés en poupées russes à un moment donné du spectacle. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, Vicky Fantômas raconte qu’elle faisait un numéro de marionnettes au Crazy Horse Saloon. Dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago, Agathe considère « affectueusement » son amante Fanchette comme sa « petite poupée ». Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, Thérèse, l’héroïne lesbienne, vend des poupées et des trains dans un magasin de jouets. La première question que lui pose Carol, sa future amante, c’est : « Pourriez-vous m’aider à trouver cette poupée ? ». La poupée sert de vecteur et de matérialisation de l’homosexualité. Carol va plus en profondeur dans ses questions : « Quelle était votre poupée préférée quand vous aviez 4 ans ? »

 

POUPÉES Pinocchio

 

Même certaines poupées sont homosexualisées ! Par exemple, dans la comédie musicale Les Miséreuses (2011) de Christian Dupouy, Cosette baptise sa poupée « Marcel Proust ». Dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet, Julien se voit offrir des poupées par sa mère : « Maman, elle m’a acheté un Ken. Oui, un Ken, le mari de Barbie. Je suis hyper content. Depuis le temps que je lui en réclamais un. » Dans le one-woman-show Betty Speaks (2009) de Louise de Ville, la poupée Barbie est « lesbianisée ». Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Antonin offre à son copain Hubert deux marionnettes en pâte à modeler à leur effigie.

 
 

b) Je suis une poupée :

Le héros homosexuel considère qu’il est la progéniture d’une marionnette : « C’est une marionnette. » (Max en parlant de la mère de son copain Fred, dans la pièce Des Bobards à maman (2011) de Rémi Deval)

 

Non seulement le personnage gay aime la poupée, mais il va chercher à en devenir une. Par exemple, il se réifie ou robotise en automate dans le film « Satreelex, The Iron Ladies » (2003) de Yongyooth Thongkonthun (le titre nous indique que les héros sont des « Dames de fer »), le film « New York City Inferno » (1978) de Jacques Scandelari (avec le mannequin automate filmé dans les boutiques de Noël), le B.D. Anarcoma (1981) de Nazario (avec le robot baptisé « MX2 »), le film « Modern Love Is Automatic » (2009) de Zach Clark, la pièce D’habitude j’me marie pas ! (2008) de Stéphane Hénon et Philippe Hodora (avec le pantin désarticulé), le film « Woody et les Robots » (1973) de Woody Allen, le film « Robocop » (1987) de Paul Verhoeven, la pièce Grand peur et misère du Troisième Reich (2008) de Bertold Brecht, la pièce Machine sans cible (2008) de Gildas Milin, le ballet Alas (2008) de Nacho Duato, le film « L’Arbre et la Forêt » (2010) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau (avec les enfants jouant à « 1, 2, 3, Soleil »), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec les robots), la chanson « Le Privilège » de Michel Sardou, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi (mise en scène d’Adrien Utchanah en 2010, avec la Reine futuriste habillée en cosmonaute, avec des tuyaux partout), le film « Autoportrait aux trois filles » (2009) de Nicolas Pleskof (avec le désir d’être mannequin), le film « Little Gay Boy, Christ Is Dead » (2012) d’Antony Hickling, etc. Par exemple, dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, le juge Kappus déclare que dans son enfance, il aimait beaucoup jouer au jeu « 1, 2, 3, Soleil » (p. 166) et faire la statue. Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, avec la chanson « Sextoy », l’un des héros homosexuels exprime son « désir d’être un gode pour mieux s’enféticher ».

 

Le personnage homosexuel se définit lui-même comme une statue, un robot, une machine qui s’est fabriquée toute seule : « J’ai toujours pensé que comme j’étais une pédé passif, alors je pouvais être un femme belle et désirette, c’est dans moi, comme jouer à la poupée quand j’étais enfant, essayer les robes de ma mother quand j’étais teen et sucer des bites maintenant, quoi ! » (Cody, le héros homosexuel nord-américain hyper efféminé, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; « J’ai la bouche pleine de terre. » (une réplique de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Je n’existe pas. Je suis une chose. Rien qu’un corps. » (Alberto Sorbelli dans le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen) ; « Je suis adepte du latex. » (le héros gay du one-man-show Les Histoires d’amour finissent mal (2009) de Jérôme Loïc) ; « Je crois la machine. Mon Daddy, il est faillible. Pas la machine. » (le héros de la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « Elle considérait son corps comme un marionnettiste considère sa marionnette. » (Maria-José, le transsexuel M to F de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) ; « Tout corps s’invente. » (cf. une réplique du film « Ils seront forts, elles seront belles » (2008) de Camille Ducellier) ; « Toi et moi, nous sommes des œuvres d’art. » (Sulky et Sulku, les deux guides efféminés du film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes) ; « Je suis un ancien mannequin. » (Paola dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Il faut que je devienne mannequin. » (Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 426) ; « Petit pantin, t’es trop méchant ! Petit pantin, t’es vraiment bête. Le petit train, tu l’as dans la tête. » (Didier Bénureau parlant de lui à la troisième personne, dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau) ; « Moi, je ne suis qu’un processeur de données. » (la protagoniste lesbienne Mnesya, parlant à ses écrans d’ordinateur, dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari) ; « Nous sommes faits d’ivoire et d’or. » (Dorian dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Oui, j’ai fait carrière au bois… » (la mère transgenre évoquant le Bois de Boulogne, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Suis-je une machine ? Suis-je une personne ? » (Alan Turing, le mathématicien homosexuel, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum) ; etc.

 

Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Noé, le héros homosexuel, est artisan et fait des figurines en plâtre. Pour lui, elles « prennent vie ». Dans le film « La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu » (1998) de Judith Cahen, Anne devient le cobaye de son propre ordinateur et décide de ne vivre qu’à travers lui. Dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, Cyril se prend pour son ordinateur : « Nous sommes semblables. » (p. 154) Dans le film « Mann Mit Bart » (« Bearded Man », 2010) de Maria Pavlidou, des femmes transgenres F to M dragkings imitent des poupées mécaniques automatisés. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Tassos, Dany et Ody font des chorés sur des chansons de chanteuses italiennes des années 1960. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi, comédien au théâtre, en boutade, déclare à son ami Damien qu’il se prend pour une machine à laver : « Je suis en train de passer une audition pour le rôle d’une machine à laver. »

 

Film "Far West" de Pascal-Alex Vincent

Film « Far West » de Pascal-Alex Vincent


 

Le héros homo aime imiter les chorégraphies robotiques de ses chanteuses-fétiches : c.f le film « Freude » (2001) de Jan Krüger (avec Johannes), le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson (avec les danses robotiques de Frankie, le héros homo faisant de la danse contemporaine dans la troupe Mc Manus Ballet), le film « Résultats du Bac » (1999) de Pascal Alex Vincent (avec les adolescents devant leur télé), le film « Far West » (2003) de Pascal-Alex Vincent (avec Ricky et la chorégraphie d’entrée sur la chanson « Ça va ou ça va pas »), la chanson « Think » d’Areta Franklin au début du one-woman-show Vierge et rebelle (2008) de Camille Broquet, le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman (avec les démonstrations époustouflantes de danse de majorette et de tecktonik par Jarry), le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral (avec la danse robotique d’automate), le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson (où Zize, le travesti M to F, effectue une chorégraphie très robotique sur la chanson « Vogue » de Madonna), le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu (Ziki, l’héroïne lesbienne, est folle de musique et fait des chorégraphies de clip-vidéo avec ses deux amies), le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma (avec Floriane, l’héroïne lesbienne qui est la capitaine de l’équipe de natation synchronisée), la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez (avec les quatre héroïnes lesbiennes), etc. Les chorégraphies actuelles sont à ce point esthétisées, maniérées, et érotisées, que la danse est associée directement à l’homosexualité par certains protagonistes homophobes : « Danser, c’est pour les pédés. » (Kévin dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell). Par exemple, dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Jerry, le chorégraphe de Frankie le héros homosexuel, recadre sèchement son élève qui manque de masculinité : « Danse comme un putain de mec ! » : Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Fred, le trans M to F, est le chorégraphe de son équipe de natation.

 

En toile de fond, l’identification au robot marque une déshumanisation inquiétante dans l’homosexualité. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le monde où la différence des sexes a été totalement rejetée se trouve être un espace totalement mécanisé, où les personnages homos sont des robots qui se clonent entre eux et ne vivent que pour leur travail, leur image, leur production : Gatal, le héros, par exemple, travaille en tant que chef de produits, dans une boîte qui s’appelle Craker Booster… et qui lui demande sans cesse des résultats, une charge de travail inhumaine. Il va être contraint de s’accoupler avec son directeur.
 
 

c) Bodybuilding :

Afin de correspondre à l’homme-objet qui le fait fantasmer, le personnage homosexuel passe son temps dans les salles de muscu pour parfaire son corps de rêve : cf. le film « Vivre me tue » (2003) de Jean-Pierre Sinapi, la série française Les Filles d’à côté d’AB Productions (avec Gérard, le gérant musclé et hyper efféminé de la salle de sport), la chanson « YMCA » des Village People, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie, le film « Le Protégé de Mme Qing » (2000) de Liu Bingjian, le film « Pas si grave » (2003) de Bernard Rapp, le film « Flesh » (1968) de Paul Morrissey, le film « Le Lézard noir » (1968) de Kinji Fukasaku, le film « Augustin » (1994) d’Anne Fontaine, le film « La Comtesse aux pieds nus » (1954) de Joseph Mankiewicz, le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg (avec l’un des personnages homosexuels soulevant des haltères), le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso (avec Eddie qui va en salle de muscu), le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs (avec Russ, l’haltérophile homo exhibitionniste), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (avec Steeve ou encore Stuart), le one-man-show Elle est pas belle ma vie ? (2012) de Samuel Laroque (décrivant les ambiances de salle de sport), le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard (où Laurent fait de la muscu), la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti (avec Olivier, l’un des héros gays, qui fait de la muscu)etc.

 

Gérard dans la sitcom "Les Filles d'à côté"

Gérard dans la sitcom « Les Filles d’à côté »


 

Par exemple, dans le film « Romeos » (2011) de Sabine Bernardi, Lukas, la femme transsexuelle F to M, s’impose plein de séances de muscu pour ressembler à l’homme de ses rêves. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Xav va à la salle de muscu. Dans la pièce Les deux pieds dans le bonheur (2008) de Géraldine Therre et Erwin Zirmi, Damien passe son temps dans la salle de sport. Le film « Haltéroflic » (1983) de Philippe Vallois dépeint le milieu des culturistes. Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, Pablo et Bruno se rencontrent au gymnase, lors d’une séance de musculation. Dans le film « Jeffrey » (1995) de Christopher Ashley, Jeffrey a un coup de foudre pour un autre « sportif » dans le club de fitness new-yorkais qu’ils fréquentent assidûment. Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, la séance de muscu entre Jenko et Zook est auditivement suggérée comme un orgasme de film porno gay.

 

Le personnage homosexuel se donne beaucoup de mal pour ne pas vieillir et pour garder son éclat de poupée inoxydable : « J’ai un corps. Je le sculpte. […] Chaque mois, ra-vale-ment. » (Jarry qui fait humoristiquement allusion à son « fondamentalisme esthétique », dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « La passion de Stephen pour la culture physique s’accrut et envahit la salle d’étude. […] Elle découvrit que son corps était une chose à chérir, une chose d’une réelle valeur depuis que sa force pouvait la réjouir ; et, aussi jeune qu’elle fût, elle donna à son corps des soins diligents. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, pp. 78-79) ; « Je veux devenir un playboy professionnel […] j’entrerai dans l’armée. […] Ce sera que pour fréquenter l’école militaire. Pour m’entraîner et avoir un corps magnifique. Je veux dire un corps rude et robuste comme le vôtre. » (Anamika, la femme lesbienne, à Adit, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 206) ; etc.

 

Même s’il trouve pour un temps un certain contentement à jouer la potiche que son copain est fier d’exhiber, le héros gay finit par trouver la vie de dînette de la poupée un peu rasoir et aseptisée : « Je suis une simple poupée sans importance. » (Charlène Duval, le travesti M to F, dans son one-woman-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Je suis restée toute seule dans ma petite maison à attendre, occupant mes journées aux arts quotidiens du ménage et de la cuisine, ainsi qu’à l’art de la réflexion discrète. À attendre quoi ? […] À attendre quoi, je vous pose la question. […] Je vais arroser mes plantes. » (Jeanne dans la pièce La Journée d’une Rêveuse (1968) de Copi, p. 19, puis p. 57) J’aborde plus largement la vengeance iconoclaste sur la poupée, ainsi que les ravages du matérialisme dans le rapport amoureux homosexuel, à travers le code « Pygmalion » du Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) On m’a traité comme une poupée :

Si le personnage homosexuel se prend pour une poupée, c’est bien souvent, de son propre aveu, parce qu’on l’a traité/maltraité (jadis) comme une poupée : « Violet avait, en outre, des jambes grasses et molles, tout comme une poupée de chiffon… et vous, Stephen, avez été comparée à Violet ! » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 57) ; « Ainsi font font font les petites marionnettes. » (le héros homosexuel pendant le fist-fucking, en tournant sa main dans le cul de son « beau papa », dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « C’est drôle, je n’ai pas l’habitude d’être dans la peau d’une marionnette. » (Leopold, le héros homosexuel qui se sent comme l’instrument de son amant Franz, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « T’étais beau quand t’étais bébé. T’étais beau, t’avais l’air d’une petite fille. J’m’amusais bien avec toi : t’avais l’air d’une poupée. T’étais mignonne. » (Laurent Spielvogel imitant sa mère s’adressant à lui, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Maman m’a écrasée. Tant qu’elle pouvait jouer à la poupée avec moi, là, y’avait pas de problème ! Mais dès que j’ai commencé à avoir une personnalité, elle a tout fait pour me détruire ! » (Sandrine Lazzari, l’héroïne lesbienne en parlant de sa mère Anne-Marie, dans l’épisode 510 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 18 juillet 2019 sur TF1) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le héros se considère lui-même comme une poupée vaudou. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco Lombardi, Joaquín, le héros homosexuel, est traité à 15 ans de « poupée de porcelaine » par son père. Dans le film « Tacones Lejanos » (« Talons Aiguilles », 1991) de Pedro Almodóvar, la jeune Rebeca est vendue « en boutade » sur un marché par son beau-père. Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, a un prénom peu courant, et sans cesse déformé par Stan. Une fois, il l’appelle Ken, ce qui provoque l’ire de Guen : « Guen ! Ken, c’est le fiancé de Barbie ! »

 

Le viol ou la violence sont déshumanisés/atténués par le fétichisme, donc ils apparaissent comme acceptables aux yeux du héros homosexuel. « C’est Rooney. […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (le narrateur homosexuel dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 104)

 

Plus tragiquement, le personnage homosexuel aime tellement les poupées qu’il va essayer, par l’adoption d’enfants ou la procréation médicalement assistée ou la Gestation Pour Autrui, et surtout par orgueil, d’obtenir un enfant-poupée. Et il dit explicitement qu’il envisage cet enfant comme une poupée, en plus ! « Je veux un enfant et je l’aurai ! » (Claire, l’héroïne lesbienne de la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Vous jouez à la poupée avec un petit être vivant. » (le père de Claire s’adressant à sa fille et à sa compagne Suzanne) ; « Si c’est un petit gars, ce sera un petit gars. Si c’est une poupée, ce sera une poupée. » (Sylvie en parlant de l’enfant qu’elle veut avoir avec Pierre, le héros homosexuel, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; etc.

 

Comme la poupée est le témoin du viol que certains héros ont vécu, ces derniers s’empressent de la maltraiter, pour étouffer l’affaire/la honte/la gêneuse : cf. le film « Ken Burns » (2011) d’Adrienne Alcover, le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki (avec la poupée vaudou), etc. Par exemple, dans la pièce La Tour de la Défense (1981) de Copi, le personnage de Katia, le bébé tué par Daphné, est figuré par une poupée. C’est exactement le même scénario avec les bébés massacrés de la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont (avec la poupée gonflable Émilie la Vorace), etc. « J’ai décapité Teeny. » (Karine Dubernet parlant de son poupon, dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) La destruction de la poupée participe au bout du compte de l’homophobie de la promotion de l’identité ou de la pratique homosexuelle. Par exemple, dans le film gay friendly « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Lena, la mère homophobe fait une scène à son jeune fils Omar (elle le bat, même) parce qu’il dort avec une poupée que lui a donnée le révérend Ritchie (c’est assez dingue, le foin que font les féministes autour de la poupée, d’ailleurs ! : nous le verrons à la fin de cet article, en deuxième partie). Dans son vidéo-clip « Oui ou non », la chanteuse lesbienne Angèle jette au feu une poupée Barbie à son effigie. Dans le téléfilm Under the Christmas Tree (Noël, toi et moi, 2021) de Lisa Rose Snow, quand Alma demande à sa future amante Charlotte si elle aimait jouer à la poupée étant petite, cette dernière répond de manière faussement cinglante : « Les poupées me filaient la trouille. ».

 

L’identification du héros homosexuel à la poupée peut aussi être l’expression d’une situation d’exploitation ou de viol qu’il est en train de vivre. « Je crois que je suis une poupée cassée et que j’ai 600 ans. » (Jézabel, l’héroïne bisexuelle du film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco) Il passe du statut imposé de « poupon jouet pour enfants » à celui non moins enviable de « poupée gonflable pour adultes », autrement dit de transsexuel ou de prostituée. Par exemple, dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras, Strella, le personnage trans, travaille dans un cabaret de travestis appelé POUPÉES. Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Tom, le héros homosexuel, tue Freddie en l’assommant avec le buste d’une statue.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles aiment les poupées/marionnettes et s’y identifient :

Je vous renvoie aux documentaires « Vestida De Azul » (1977) d’Antonio Giménez Rico, « Body Without Souls » (1996) de Wiktor Grodecki, « China Dolls » (1997) de William Yang, à la chanson « La Tapette en bois » de Fernandel, etc. Par exemple, tout le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein » (« Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi est illustré par des poupées Ken figurant des hommes homosexuels.

 

"L'ouverture d'esprit" vue par les catalogues de jouets

« L’ouverture d’esprit » vue par les catalogues de jouets


 

Il n’est pas rare de croiser parmi les personnes homosexuelles des individus qui ont un rapport passionnel avec les poupées (plutôt de répulsion chez les femmes, plutôt de fusion chez les hommes) : « À cinq ans, je jouais à la poupée, je portais des vêtements féminins. » (Jean-Luc, homosexuel, 27 ans, cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 80) ; « Lorsque j’avais de cinq à sept ans environ, j’échangeais souvent mes jouets de garçon contre des poupées et je jouais beaucoup avec elles. » (un patient homo dans l’article « Le complexe de féminité chez l’homme » de Félix Boehm, Bisexualité et différence des sexes (1973), p. 440) ; « Je me souviens dans le berceau que pour réussir à m’endormir ou par frustration je me masturbais sur le ventre. J’avais peur du noir et j’en ai toujours peur, je dors avec un oreiller sur la tête. J’ai un flash que je prenais une poupée d’homme Ken et que je me masturbais devant, en m’imaginant que j’étais cet homme qui faisait l’amour à Barbie. » (cf. le mail de Pierre-Adrien, 30 ans, reçu le juin 2014) ; « Mes goûts aussi, toujours automatiquement tournés vers des goûts féminins sans que je sache ou ne comprenne pourquoi. J’aimais le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 29) ; etc. Par exemple, Félix Sierra, Oscar Wilde, et bien d’autres, jouaient à la poupée, étant petits. Raymond Roussel aime les automates du genre le-petit-lapin-qui-joue-du-tambour. Jean Cocteau possède également des automates. Pour le vidéo-clip de la chanson « Deserters » d’Aube L, le comédien Stéphane Botti avoue qu’il « réalise un peu son rêve de jouer une marionnette ». Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Bertrand est obsédé par le monde de la peinture : « Pourquoi cette attirance pour les musées ? Il ne l’a jamais su. » (la voix-off de la mère de Bertrand, parlant de son fils) Il rêve de fuir sa réalité pour pénétrer dans les toiles : « C’était comme une maison de poupées. Un théâtre de marionnettes. » Rodolf/Dora Richter – premier homme trans M to F – jouait, étant petit, à la poupée.

 

Vidéo-clip de la chanson "Deserters" de Aube L.

Vidéo-clip de la chanson « Deserters » de Aube L.


 

D’ailleurs, certains artistes homosexuels ont conçu des pièces pour marionnettes : on peut penser à Maurice Maeterlinck, Heinrich von Kleist, Alfred Jarry, Federico García Lorca, etc. Il est surprenant (parce que c’est peu analysé) de constater qu’il en existe beaucoup qui sont marionnettistes de métier : Raymond Roussel, Philippe Robin-Volclair (qui fait carrément son coming out au public au beau milieu de ses spectacles de marionnettes), Hannah Höch, Gilbert and George, Zoe Leonard, Néstor Perlongher, Raúl Gómez Jattin, Rainer Werner Fassbinder, Steven Cohen, Jean Cocteau, etc. Yukio Mishima, notamment, aimait le théâtre de marionnettes du Nô au point d’en composer lui-même. Hans Christian Andersen était friand des théâtres de marionnettes. En 1935, Alvin Nikolais a été directeur du Théâtre de marionnettes du Parc de Hartford, et possède une formation de marionnettiste. Le roman Tambours sur la digue (1999) d’Hélène Cixous se présente sous la forme de pièce ancienne pour marionnettes. En ce qui me concerne, je voulais devenir marionnettiste à 15 ans ; et j’ai monté des spectacles de marionnettes dans différentes écoles maternelles et primaires en 1999 pour financer mon voyage au Honduras.

 

La référence aux poupées et aux marionnettes apparaît beaucoup dans le discours d’Alfredo Arias, par exemple : « Mon ami sculpteur ne parvenait pas à créer l’impression que je recherchais pour la troisième tante, la plus jeune […] Je lui proposai une idée qui lui sembla macabre au début, mais qui finit par le séduire. Je lui demandai de découper le corps en morceaux : les différentes parties seraient posées par terre à la manière d’une marionnette désarticulée. » (Alfredo à propos d’une de ses tantes qu’il veut transformer en statue, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 144) ; « À l’intérieur de l’armoire, les vêtements tombaient l’un après l’autre des cintres. Au fond, accrochées ainsi que des marionnettes, deux poupées, de taille humaine, étaient enlacées comme pour danser le tango. Ernestito voulait désespérément comprendre à qui elles ressemblaient. L’homme tournait, la femme pivotait. Lui, il ressemblait au plus grand chanteur de tango. Elle, elle ressemblait aux plus grandes chanteuse de tango : Olinda, Tita, la Negra Bozan, Tania. Elles se succédaient : la lumière capricieuse donnait à chaque tour une nouvelle identité à la poupée femelle. En revanche, lui, il se définissait comme le seul, l’unique Carlitos Gardel, la voix du tango. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 263) ;

 

Dans le documentaire « Homophobie à l’italienne » (2007), Gustav Hofer et son amant Luca Ragazzi font parler la marionnette d’un pèlerin pour la faire gémir : « Je suis très fatigué. J’ai beaucoup marché. »

 

"Sesame Street"

« Sesame Street »


 

Certaines personnes homosexuelles projettent même leurs unions amoureuses sur les marionnettes. Par exemple, le 10 août 2011, aux États-Unis, la militante Lair Scott lance une pétition en ligne pour exiger qu’Ernest et Bart, les deux marionnettes vedettes du programme télévisé pour enfants Sesame Street (1, Rue Sésame), se marient durant l’un des épisodes : « Nous ne demandons pas à Rue Sésame de faire quelque chose de grossier ou d’irrespectueux, nous voulons juste que Bart et Ernest se marient ou qu’ils ajoutent un personnage transgenre à la série. Cela peut être fait avec goût. Enseignons la tolérance à l’égard de ceux qui sont différents », précise la pétition, signée par plus de 7.600 personnes. C’est dire tout l’attachement mi-humoristique mi-sérieux que porte certains individus homosexuels.

 

Dans le documentaire « La Grève des ventres » (2012) de Lucie Borleteau, Alexandre, le futur père donateur de sperme, offre à Lise et Clara, le couple lesbien qu’il va inséminer, deux poupées russes. Dans l’émission Game of Talents diffusée sur TF1 le 3 septembre 2021, une marionnette fait carrément pleurer d’émotion Jarry, l’animateur homosexuel.

 

 
 

b) Certaines personnes homosexuelles veulent devenir robot :

Mylène Farmer

Mylène Farmer


 

Parfois, les personnes homosexuelles aiment tellement les marionnettes qu’elles s’en fabriquent une à leur image : je pense à la Mylène en miniature qui accompagne Mylène Farmer dans le vidéo-clip de sa chanson « Sans contrefaçon » (court-métrage revisitant le mythe de Pinocchio), aux papillons représentant chacune des Spice Girls dans le vidéo-clip de la chanson « Viva Forever », au concert de Mika à Bercy (Paris, le 26 avril 2010) pendant lequel le chanteur se montre avec une marionnette à son effigie. À propos de la pièce Le Frigo (1983), la marionnette du Rat est définie comme « l’obsession-fétiche [du dramaturge Copi], une marionnette de mousse à laquelle il prétendait ressembler comme un frère » (cf. l’article « Copi, à jamais pas conforme » d’Armelle Héliot, dans Le Quotidien de Paris, le 15 décembre 1987).

 

Nous aurions tort de ne voir dans ce clonage artistique que poésie et drôlerie ludique. Il dit un orgueil de se prendre pour Dieu. Et plus concrètement, la passion homosexuelle pour les marionnettes et les poupées, au-delà de la blague puérile ou esthétique, peut aller très loin : jusqu’à l’opération chirurgicale ; jusqu’à la mutilation que subissent les personnes transsexuelles. Elle n’est pas qu’une croyance inoffensive et sans conséquence.

 

Film "Fit" de Rikki Beadle-Blair

Film « Fit » de Rikki Beadle-Blair


 

Sans aller vers ces extrêmes, beaucoup de sujets homosexuels s’amusent simplement à se réifier, cherchent à devenir des robots, des objets de consommation, et induisent par leur attitude un appel à la soumission/domination : « Tola levait la jambe, marchait à quatre pattes pour imiter un singe, puis sortit brutalement une poupée en tissu qui reproduisait grossièrement sa silhouette. » (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), pp. 305-306) ; « Si j’en avais la possibilité, je changerais chacune des parties de mon corps comme s’il s’agissait de pièces détachées. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 51) ; « Je suis une machine. » (Andy Warhol, cité dans l’article « Andy Warhol » d’Élisabeth Lebovici, sur le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 495) ; « Je suis un appareil photographique. » (Christopher Isherwood, cité dans le Dictionnaire gay (1994) de Lionel Povert, p. 274) La danse futuriste et techno de Donna Summer sur sa chanson « I Feel Love » a fait un carton dans le « milieu homosexuel » mondial dans les années 1970.

 

Par exemple, la photographe lesbienne Claude Cahun, pour ses auto-portraits (cf. Autoportrait de 1927, 1932, et 1939), s’est déguisée en statue de Bouddha, en bibelot sur une étagère d’armoire, ou en statue grecque antique. En lien avec le code du « Super-héros » que je traite dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels, « Les Mecs en caoutchouc » est une association homosexuelle parisienne célébrant le corps parfait des hommes plastifiés.

 

Dans l’émission Aventures de la médecine spéciale « Sexualité et Médecine » de Michel Cymes diffusée sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, en écoutant Léonie, homme transsexuel M to F de 29 ans, parler de son arrivée au monde, on se rend compte qu’il s’est vraiment pris pour une machine : « Je suis sorti(e) avec des paramètres d’usine qui ne correspondent pas aux applications de mon cerveau. »
 

En boîtes, les personnes homosexuelles effectuent de plus en plus de danses robotiques. La danse « tecktonik », pourtant venue des banlieues, a été associée à un efféminement suspect, voire à une « danse gay ». On peut également penser aux chorégraphies machinale de Madonna (surtout « Vogue », « Nothing Really Matters », et « Material World »), de Kylie Minogue (« Can’t Get You Out Of My Head »), de Mylène Farmer (« L’Âme-Stram-Gram » et « Désenchantée » en particulier), d’Alizée (« J’ai pas 20 ans »), de Jeanne Mas (cf. le concert Jeanne Mas revient ! au Trianon de Paris, le 25 juin 2008), de Mélissa Mars (« Love Machine »), de Cristina Rus (« I Don’t See Ya »), etc.

 

 

Je citerai également aux chorégraphies robotiques de l’équipe de natation synchronisée gay dans le documentaire « Les Garçons de la piscine » (2009) de Louis Dupont, aux voix électriques du groupe Mauvais Genre (avec par exemple la chanson « L’Amour ça va »), de Madonna (« Paradise ») et Britney Spears (« I Wanna Go »), etc.

 

Spice Girls

Spice Girls


 

Lady Gaga

Lady Gaga


 

Mylène Farmer en porte-manteau

Mylène Farmer en porte-manteau

 

L’immobilité du mannequin est source de fantasme dans la communauté homo. C’est très étrange et énigmatique, à première vue. Je me souviens, lorsque j’étais enfant, que l’un de mes jeux favoris à l’école était « 1, 2, 3, Soleil » : j’aimais me statufier. Et vers l’âge de 8-12 ans, j’étais fasciné par les mannequins de mode que je voyais à la télé, par les humains prenant des poses « arrêt sur image », par les postures « stylées » des Spice Girls ou des modèles de Marcelle Griffon. Et quand je tombe maintenant sur des scènes de films telles que « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (avec le Dr Frank-N-Furter qui a le pouvoir de transformer en statues les êtres humains), ou bien les tours de magie d’Endora dans la série Ma Sorcière bien-aimée (le personnage de la mère qui fige les actions et les personnes à sa guise), je comprends, sans trop m’expliquer pourquoi, que j’ai en moi un désir d’être objet.

 
 

c) Bodybuilding :


 

Quand l’individu homosexuel se donne les moyens de sa réification, il fonce en général vers les magasins de vêtements, les parfumeries, les piscines et les clubs de fitness, plusieurs fois par semaine. Et ne dites pas que je caricature ! J’ai déjà passé une soirée à l’Amnésia, la boîte parisienne de Johnny Hallyday, vers 2005, pour un tea dance exclusivement « réservé aux mecs », et j’ai vu de mes propres yeux une fosse – qu’on appelle aussi piste de danse – bourrée à craquer de plusieurs centaines d’hommes torse poils, huilés, épilés, et bodybuildés (beurk…), que je ne pensais croiser que sur les couvertures de Têtu ! Des types tellement surfaits, tellement parfaits, tellement bien charpentés, qu’on eût dit qu’ils passaient leur vie dans les salles de musculation. Oui, ça existe, les rats de corpothèque !

 

Bon nombre d’hommes gay consacrent du temps aux soins de leur corps physique et de leur paraître. Je vous renvoie également à la photo Man In Polyester Suit (1980) ainsi qu’aux Statue Series (1983) de Robert Mapplethorpe, à la quasi totalité des couvertures de la presse spécialisée gay, la revue française Olympe spécialisée dans le culturisme, etc. Par exemple, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, Ednar, le héros homosexuel, souhaite « assouvir ses passions favorites : son goût pour le culturisme, la remise en forme » (p. 94). Dans son Autoportrait (1927), la photographe lesbienne Claude Cahun pose en haltérophile désarticulé.

 

Photographie "Autoportrait" (1927), où Claude Cahun joue haltérophile

Photographie « Autoportrait » (1927), où Claude Cahun joue haltérophile


 

Je vous rappelle par ailleurs que les YMCA (Young Men’s Christian Association) sont connus pour être des gymnases où les jeunes hommes développent leur musculature, et qu’ils ont fait l’objet de la fameuse chanson gay des Village People.

 

En rentrant dans le monde des marionnettes et des poupées, la personne homosexuelle perd son unicité (une poupée est facilement remplaçable par une autre) en même temps qu’il gagne une forme éternité (le fétiche, s’il est fabriqué en série illimitée, a tout le temps devant lui !). La marionnette, contrairement à Dieu, ne peut pas offrir ET la singularité (donc l’Amour : car qui est reconnu comme unique est aimé) ET la vie éternelle : l’un des deux est toujours sacrifié. Cruelle loi des objets !

 
 

d) On m’a traité comme une poupée :

Un certain nombre de personnes homosexuelles ont vécu pendant l’enfance la gloire éphémère de l’enfant-objet mis sur un piédestal : « À 5 ans sur scène, déjà ! À 65 ans sur scène… encore ! » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 19) Je vous renvoie par exemple au récit de Frédéric Mitterrand sur le tournage du film « Fortunat » en 1960, dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005).

 

Plus gravement, la poupée est à la source de la crise existentielle de tout individu homosexuel. C’est parce qu’il s’est cru objet ou qu’on l’a traité ainsi qu’il se dit parfois son clone. « Je voulais surtout qu’il sache que malgré tout ce qu’on disait sur moi à Hay Salam, ‘la petite fille’, ‘la poupée’, malgré tous les surnoms de trahison j’étais encore vierge. Vierge vierge. Vierge des fesses. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 20-21)

 

Dans le film documentaire « La Domination masculine » (2009) de Patric Jean, les rayons de jouets et des poupées est le lieu d’où part la réflexion sur la différence des sexes : c’est dire si la poupée a remplacé l’être humain dans l’esprit de beaucoup de personnes homosexuelles !

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, certaines personnes homosexuelles croient (dans leur cœur et pas dans leur tête) que les poupées ont une âme… ont leur âme ! Par exemple, le film « Pêche mon Petit Poney » (2012) Thomas Riera se penche sur la question du genre dans le monde du jouet, guidé par le récit intime du réalisateur sur la découverte, enfant, de son homosexualité : « Mon envie dans ce film est de faire apparaître la relation que j’ai eue avec Pêche. Parce qu’elle a été sans doute une soupape à mes questions. Parce que j’avais trouvé en lui quelqu’un à qui m’accrocher. À travers cette histoire intime avec Pêche, mais aussi à travers les failles et les choses du monde normées et non normées assimilées, ressortira le cheminement d’un enfant, de sa construction, de ses peurs anciennes face à son homosexualité, mais aussi de ses désirs et secrets les plus beaux qu’il n’ait imaginés. » Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, le Rat-marionnette est présenté à la fois comme un être surnaturel hyper-humanisé (pour Vicky, il« a un esprit. C’est le Diable. », p. 274), à la fois comme un objet inoffensif : « Ce Rat n’est qu’une marionnette, il est animé par une main, vous le savez mieux que personne, puisque vous l’avez fabriqué. Il serait incapable de tuer tout seul. » (l’Auteur)

 

C’est parce que beaucoup de personnes homosexuelles se fuient elles-mêmes qu’elles opèrent ce transfert d’identité sur les poupées : « Coco s’arrêta soudain devant une poubelle, où il avait remarqué une poupée cassée, désarticulée, cachée dans les déchets. Il la prit par un bras. C’était une vieille Barbie rongée par les rats. Il soupira. ‘Vous me trouverez stupide. Mais j’ai une âme de gamin. Je ne peux pas voir une poupée cassée. C’est un crime !’ hurla-t-il en pleurant. ‘Tu vois, lui reprochait-il, on t’a jetée comme une vieille putain. C’est le destin des blondes. J’en souffre. Je sais que je finirai comme toi.» (Alfredo Arias, Folies-Fantômes (1997), p. 26)

 

Les personnes homosexuelles ont vécu en général une histoire d’amour… que dis-je… une passion secrète pour la poupée. C’est bien pour cela qu’elles l’ont ensuite détestée : seul ce à quoi on est excessivement attacher peut nous trahir. « Pour les grandes occasions, Noël, ma fête et mon anniversaire, on m’achetait des jouets de fille, des poupées notamment, dont j’ai eu un véritable harem. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 63) Dans l’émission Toute une histoire spéciale « Quand ils ont renoncé leur homosexualité, leurs proches les ont rejetés » diffusée sur France 2 le 8 juin 2016, Marvin, jeune témoin homo, raconte qu’il jouait avec les Barbies de ses sœurs.

 

C’est assez ahurissant, le foin que font actuellement les féministes (en particulier lesbiens et gays) autour des jouets et surtout des poupées, pour que les garçons puissent « avoir le choix » de jouer à la poupée ou pas, que les jouets de Noël soient asexués et sans rose ou sans bleu.

 

Les ministres Najat Vallaud-Belkacem et Dominique Bertinotti en extase devant les écoles pro-Gender... pardon, "égalité des sexes"

Les ministres Najat Vallaud-Belkacem et Dominique Bertinotti en extase devant les écoles pro-Gender… pardon, « égalité des sexes« 


 

Si on voit actuellement dans certaines vitrines de Castro (le quartier gay de San Francisco, aux États-Unis) des poupées Barbie et Ken massacrées, torturées, et exposées bâillonnées pour prouver que la communauté homosexuelle tord le cou à la « tyrannie marchande hétérosexiste », c’est bien que les poupées sont UN PEU considérées comme des témoins à charge gênants. Si elle déchaînent autant de haine et que des individus anti-matérialistes s’affairent à leur scotcher la bouche, c’est bien qu’elles sont considérées comme vivantes et détentrices d’un lourd secret. Pour le connaître, ce tabou, il suffit de se pencher sur le vécu de leurs assassins iconoclastes homosexuels, et on trouve assez vite la réponse… Je crois que la révélation de la poupée homosexuelle réside d’une part sur la nature idolâtre du désir homosexuel par rapport à l’homme-objet et la femme-objet, et d’autre part sur le fantasme de viol que la figurine « incarne » (cf. le groupe lesbien les Barbi(e)turix).

 

Barbi(e)turix

Barbi(e)turix


 

Beaucoup de personnes homosexuelles mâles se mettent dans l’idée qu’en incarnant la femme-objet, elles trouveront la grâce scintillante de l’héroïne tragique victime du machisme, du faire-valoir de la domination masculine : « Éternelle marionnette, elle chante les louanges de son maître. Toute femme est considérée en Argentine comme partageant les opinions de son mari, plutôt les exaltant, jamais comme ayant une opinion à elle. » (Copi à Paris en août 1984 dans la biographie Copi (1990) de Jorge Damonte, p. 91) ; « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 124) ; etc. Je vous renvoie évidemment à la partie « Amant diabolique marionnettiste » du code « Amant diabolique », à la partie « Cruelle marionnettiste » du code « Femme fellinienne géante et pantin », et au code « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’objet est le catalyseur de l’hypersexualité asexuée. C’est pour cela que beaucoup de personnes homosexuelles, qui désirent décharger leur désir d’asexuation et leur trop-plein de pulsions, se dirigent vers l’univers infantile et ultra-violent de la poupée à forme humaine : « Je n’étais pas spécialement attiré par les filles, ni par les garçons… Dans ma dernière année d’humanité, j’ai entendu parlé pour la première fois de la masturbation et suite à ces conversations, j’ai essayé de me masturber… cela a marché. De plus, je me masturbais en mettant une veste de cuir de mon frère et aussi des bottes de cuir : cet acte fétichiste ajoutait à ma satisfaction. Je ne sais pas pourquoi je recherchais ces vêtements liés à certains fantasmes de mon enfance … J’en ai quelques souvenirs ! […] Certaines périodes étaient plus calmes et je pensais être débarrassé de cette habitude mais cela reprenait et parfois je le faisais plusieurs jours en suivant. Au niveau du fétichisme, j’avais des gants et des bottes en caoutchouc qui ajoutaient à mon excitation. » (un ami homo de 52 ans, dans un mail datant du 19 octobre 2013)

 

Dans son Épître aux Romains, saint Paul présente les actes homosexuels comme une conséquence du fait d’adorer des images des statues d’hommes, comme le fruit d’une idolâtrie, d’un amour trahi. Aurait-il, une nouvelle fois, flairé juste ?

 
 

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Code n°149 – Première fois

Première fois bon

Première fois

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

La première fois homo : caractérisée par l’absence de liberté et de Réel

 

C’est curieux comme l’initiation homosexuelle, même dans des créations artistiques qui veulent donner une bonne image de l’homosexualité, se passe dans la douleur et l’absence de liberté.

 

Quand on écoute les personnages homosexuels fictionnels – et beaucoup plus d’individus homosexuels réels qu’on n’imagine – raconter leur « première fois homosexuelle » (premier baiser, premières caresses, premier coït, coming out), on est saisi de voir que pour eux, ce n’est pas une partie de plaisir, agréable et apaisée. Tout le contraire ! Ils sentent inconsciemment qu’en actes, ils s’éloignent du Réel, et que cette fuite est amère, qu’elle les catapulte dans un rêve éveillé qui corporellement semble répondre à la perfection à leurs attentes, mais qui dans leur cœur les blesse et les rend tristes.

 

Ils nous racontent par exemple qu’ils ont pleuré juste après avoir reçu leur premier baiser homo… bien qu’ils n’aient révélé leur curieuse réaction à personne, en croyant que c’était eux seuls qui avaient un « problème », un sursaut « injustifié » de culpabilité, qu’il n’y a pas de baiser spécifiquement « homosexuel » mais des baisers d’amour tout court. Ce réflexe de tristesse nous dit bien que le désir homosexuel n’est pas un désir uniquement d’amour, mais également un élan violent, même si sa violence est juste devinée, atténuée par le jeu ou l’euphorie des sens, et ré-écrite positivement a posteriori dans le rose sucré (de la sincérité, de la passion, des sentiments, de l’excitation face à la nouveauté) ou carrément dans le noir (de la gravité d’un sacrifice d’amour brutal et désespéré – dans le sens salafiste du terme « sacrifice » -, de l’orgueil gay militant et volontairement « dérangeant », de la comédie relativiste de la Drama Queen).

 

Non pas que la « première fois » amoureuse soit tellement plus réussie chez les personnes hétérosexuelles (ce n’est mieux que chez les couples femme-homme aimants, qui, eux, ont pris le temps de se choisir pleinement et de respecter le Réel) qui vivent aussi le premier baiser ou le premier coït comme une souillure, un mauvais moment, une déception.

 

Avant la publication de mon tout premier livre (sur les liens non-causaux entre homosexualité et viol), j’avais entrepris de récolter des témoignages de personnes homosexuelles dans le Marais, à Paris, en les interviewant sur leur « première fois » homosexuelle (premier émoi, premier regard, premier baiser, premier flirt, premier grand amour, première coucherie, etc.), car je sentais que dans l’initiation à l’acte homosexuel, il se passait quelque chose de pas normal, qui me mettrait sur la piste du viol. Je me suis vite rendu compte que le projet était trop audacieux et qu’il tournerait court, car lors des interviews, je me heurtais au même refus, chez mes témoins, de vraiment revenir sur les faits et sur leur « première fois ». D’emblée, ils enchaînaient sur le Grand Amour qu’ils souhaitaient trouver (sans trop y croire…) dans les aventures qui précédaient leur première fois. Mais bon, finalement, c’était une confirmation que la piste du mauvais souvenir était quand même la bonne ! Et puis les témoignages des amis sont finalement venus tout naturellement.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Coït homosexuel = viol », « Amant diabolique », « Amant triste », « Violeur homosexuel », « Symboles phalliques », « Moitié », « Viol », « Liaisons dangereuses », « Fusion », « Déni », « Manège », « Appel déguisé », « Jeu », « Douceur-poignard », et à la partie « Langue au chat » du code « Amant diabolique », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

Film "High Strung" de Roger Nyard

Film « High Strung » de Roger Nyard


 

Il semble que, dans le rapprochement amoureux homosexuel, le passage violent du mythe à la réalité fantasmée s’initie bien avant le passage à l’acte génital et la pénétration anale ou vaginale. Le viol se limite au simple baiser sur la bouche. Quand on écoute certaines personnes homosexuelles raconter leur premier baiser homosexuel, on les trouve bizarrement peu enthousiastes. Elles ne sont ni dégoûtées, ni amusées, mais juste fascinées par un geste qu’elles situent davantage sur le terrain de la science-fiction que sur celui de la beauté mémorable. Il leur a souvent laissé une impression de catapultage forcé dans un monde inconnu, paranormal. « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. J’ai été poussée. » (Corinne, intervenante lesbienne  mimant le mouvement de projection violente vers l’avant avec la main, dans l’émission Ça se discute, sur la chaîne France 2, le 18 février 2004) C’est comme s’il faisait passer brutalement du fantasme à la réalité fantasmée en entravant une liberté. Relativement nombreux sont les sujets homosexuels qui ont fondu en larmes quand ils l’ont reçu. Même dans les fictions, nous voyons quelques exemples de ce surprenant « baiser-homosexuel-qui-fait-pleurer ». « Et voilà que je pleure, sans expliquer pourquoi. G. me regarde avec une douce interrogation. Que lui dire ? Que je ne l’aime pas ? Ce n’est pas vrai. Aimer, c’est si facile. Que je l’aime moins ? Ce n’est pas vrai non plus. C’est autrement, voilà tout. Je pleure parce que je cède à mon désir de caresses. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), pp. 47-48) Il est parfois clairement associé au viol (cf. « Yossi et Jagger » (2002) d’Eytan Fox, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, etc.). Le baiser homosexuel peut avoir la violence d’une caresse dénuée d’amour, comme le décrit Stefan Zweig dans son roman La Confusion des sentiments (1926) : « Ce fut un baiser comme je n’en avais jamais reçu d’une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri mortel. » (p. 126)

 

Bien souvent, l’initiation à la génitalité homosexuelle est vécue comme un traumatisme. Il n’est pas anodin que les artistes homosexuels traitent régulièrement des « premières fois » dans leurs créations. Même si les personnes homosexuelles n’ont pas le monopole du viol ou du fantasme de viol – beaucoup de jeunes filles ou de garçons hétérosexuels ont vécu leur défloration comme un viol –, en revanche, je crois que leurs unions corporelles y sont plus biologiquement, corporellement, psychiquement, et symboliquement exposées que les unions entre la femme et l’homme, du fait de l’exclusion radicale de la différence des sexes dans tous les couples homosexuels, et de la nature du désir homosexuel, davantage tourné vers la réification. Si les jeunes adolescents homosexuels reculent au maximum l’échéance de leur premier « passage à l’acte », que la majorité d’entre eux sont allés à la génitalité « comme on va chez le dentiste », ce n’est pas sans raison. Il y a une violence dans l’acte génital (et simplement sensuel) homosexuel, qui reste difficile à définir, mais qui pourtant existe. Cela vaut le coup d’écouter les récits du premier rapport sexuel des personnes homosexuelles : on a parfois l’impression d’entendre une mise en scène de viol – et plus rarement un viol réel. Ceci transparaît parfois dans le discours des personnages fictionnels homosexuels. « La première fois, c’est toujours bizarre » avoue Julián, dans le film « Krámpack » (2000) de Cesc Gay. Dans « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, le jeune Roy, demande à son amant qui vient juste de le déflorer : « On se sent toujours comme ça après ? ».

 

Si la pénétration anale va en se banalisant dans les discours sociaux actuels, il ne faut pas oublier qu’au départ, elle fait mal aux personnes pénétrées et pénétrantes, pas seulement physiquement mais aussi psychiquement. Dans le film « Mauvaises Fréquentations » (2000) d’Antonio Hens, le personnage de Guillermo nous dit bien ce qui se passe la « première fois », et aussi pendant l’après-sodomie. « Je ne m’étais jamais laissé pénétrer. Mais il a dit que j’allais aimer, je n’avais qu’à me détendre. Malgré la salive et mes efforts pour me relaxer, ça faisait un mal de chien. Voyant qu’il n’y arrivait pas, il s’est mis à pousser de toutes ses forces. J’ai jamais eu aussi mal. Mais depuis, je me dilate sans problème. » Par la suite, beaucoup de personnes gay réécrivent l’épisode de la pénétration dans l’angélisme – la prostate serait même, selon certains, le « point G homosexuel » ! (pourquoi pas, après tout ?) –, ou se mettent à mépriser les partenaires sexuels qui mettent du temps à accepter la sodomie. Mais le malaise concernant la pénétration anale revient autrement dans le couple, généralement sous forme d’agressivité et d’indifférence mutuelles.

 

Dans la bouche des personnes homosexuelles réelles, le sentiment de viol concernant le dépucelage se mêle souvent à l’optimisme forcé. « La première fois où ça s’est fait avec un garçon, c’était très fort… très violent. » (Denis dans l’émission Bas les Masques, diffusée sur la chaîne France 2, en septembre 1992) Mais au final, la violence symbolique gagne tout le tableau. « Ça s’est passé mal, très très mal, parce que c’est comme si ça en rajoutait encore, en définitive. Le fait de passer à l’acte, pour moi, faisait que ça rajoutait encore de la complication à mon existence. » (Olivier, 37 ans, parlant de la découverte de son homosexualité et de son premier passage à l’acte homosexuel, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) Il n’est absolument pas rare de rencontrer des sujets homosexuels qui ont vu leur amant effondré juste après qu’ils l’aient « déniaisé ». Sur le coup, ils n’ont pas saisi pourquoi. Ce dernier s’est tout de suite excusé d’avoir pleuré, leur a assuré que c’étaient des larmes de joie et de découverte, qu’elles étaient un soubresaut de culpabilité induite par le poids culturel (« judéo-chrétien » !) et éducationnel. Et l’énigme s’est approfondie sans trouver d’écho. Beaucoup de personnes homosexuelles ne peuvent même pas dire leur souffrance du viol à leur partenaire, car elles sentent qu’il ne pourra pas les comprendre. Et plus profondément encore, il leur est difficile de lui avouer un fantasme de viol – et plus rarement un viol réel – consenti à deux.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) La première fois homosexuelle est vécue par le protagoniste gay comme un traumatisme :

Film "Miroirs d’été" d’Étienne Desrosiers

Film « Miroirs d’été » d’Étienne Desrosiers


 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, il est souvent question de l’initiation coûteuse à la sensualité/sexualité homosexuelle : cf. le roman El Anarquista Desnudo (1979) de Luis Fernández, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, les films « Les Puceaux » (1997) et « Robe d’été » (1996) de François Ozon, le film « Carne Trémula » (« En chair et en os », 1997) de Pedro Almodóvar, le film « Eating Out » (2004) de Q. Allan Brocka, le film La Trilogie de la vie (1975) de Pier Paolo Pasolini, la chanson « Toute première fois » de Jeanne Mas, les chansons « Fuck Them All », « Plus grandir », « Libertine », « Dans les rues de Londres » de Mylène Farmer, le film « Ode To Billy Joe » (1976) de Max Baer, le film « Premier amour, version infernale » (1968) de Susumu Hani, le film « La Sagrada Familia » (2006) de Sebastián Campos, la chanson « Tu m’as possédée par surprise » de Madame Raymonde, le film « Einaym Pkuhot » (« Tu n’aimeras point », 2009) de Haim Tabakman (avec la tristesse post-acte homo visible dans l’attitude d’Aaron), etc.

 

Au départ, la première fois homosexuelle est totalement déproblématisée, sacralisée et banalisée. Par exemple, dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport, les quatre comédiens distribuent au tout début des questionnaires au public pour qu’il raconte sa première fois (sexuelle). Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny prend le fait de s’abandonner à faire la planche sur l’eau avec son futur amant Romeo pour une incroyable révélation d’amour : « C’est la première fois. »… laissant sous-entendre que c’est l’amour homo qui l’aide à s’abandonner vraiment, à faire confiance pour la première fois à quelqu’un. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo, le héros homosexuel, croit que les premières fois sont toujours les bonnes. C’est sa théorie en amour. Il est obnubilé par l’idée d’embrasser quelqu’un et d’être embrassé en retour, et est certain que la première sera la bonne. Il n’hésite pas à verser dans le théorie relativiste de l’expérimentalisme de tout : « Il y a toujours une première fois. » dit-il par exemple avant de s’autoriser à vivre sa première cuite. Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Tareq, le héros homosexuel, raconte que sa première fois homosexuelle, à l’âge de 17 ans, il l’a vécue avec un homme plus âgé que lui : « Je cherchais sûrement une figure paternelle. Quant à Leevi, son amant, il dit que sa première fois homosexuelle (quand il est sorti avec un homme) a impulsé la mort de sa maman : « Ça a commencé juste avant la mort de ma mère. » Dans la série et téléfilm It’s a Sin (2021) de Russell T. Davies, le dépucelage homo de Ritchie (avec Ash) se passe tellement mal qu’il fond en larmes après avoir été jeté comme un malpropre.

 

Mais assez vite, on découvre que le fait de tomber amoureux homosexuellement n’est déjà pas source d’apaisement chez certains héros homosexuels. « À la première seconde, je savais que j’allais l’aimer, que j’allais souffrir. Au fond, il m’avait déjà échappé au premier instant où je l’ai vu. J’ai voulu faire durer cette imposture le plus longtemps possible. La douleur est éblouissante, très pure. » (Stéphane parlant de son ex-amant, le jeune et beau Vincent qui le frappe de temps en temps physiquement, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Pourquoi je me sens si coupable ? » (Emmanuel, l’un des séminaristes, noir et homosexuel, suite à sa première expérience homosexuelle avec un homme anonyme de Carthage, dans la série Ainsi soient-ils (2014) de David Elkaïm) ; « J’avais trop peur. Je tremblais. » (Guillaume parlant de son histoire avec Michael, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Tu trembles. » (Carol, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Thérèse avec qui elle couche pour la première fois, dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes) ; « C’est la première fois ? Ben dis donc… T’es pas un grand bavard, toi… » (Serge s’adressant à son jeune amant Victor après leur nuit de sexe, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « Je peux pas… C’est pas bien… Ça ne peut pas durer… Je ne peux pas l’assumer. » (John s’adressant à son amant Will juste après leur nuit de sexe, dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan) ; etc. Par exemple, dans le film « L’Inconnu du lac » (2012) d’Alain Guiraudie, Franck s’éprend d’un homme, Michel, qu’il a connu sur un lieu de drague homo où il y a une série de meurtres : « J’crois que je suis en train de tomber amoureux. » avoue-t-il à son pote Henri qui le sent quand même inquiet (et pour cause : Michel est le tueur !) : « Et c’est ça qui te tracasse ? » Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, juste avant de coucher avec son ami Todd, Frankie exprime une appréhension : « C’est peut-être pas une bonne idée… » Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin (mis en scène par Élise Vigier en 2018), Arthur, le héros homosexuel, vit très mal l’acte homo : « Ma bite a commencé à grossir, et j’ai commencé à pleurer. » ; « J’ai jamais oublié cet homme. À cause de lui, j’ai jamais pu toucher quelqu’un avant longtemps. » ; « Merde. C’est quoi mon problème ? » Dans le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, Elio pleure lorsqu’il pratique l’homosexualité avec Oliver. Dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018, Arthur, le personnage homosexuel, fond en larmes en disant son « amour » pour son amant Crunch : « Je suis amoureux de toi. »… « Alors pourquoi tu pleures ? » lui demande Crunch. Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan embrasse Jonas sur la bouche dans la salle de sport du collège. Jonas ne s’en trouve pas bien : « Oh… j’ai la tête qui tourne. ».

 

Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi manque de s’étrangler (parce que son écharpe s’est prise dans la machine à laver) au moment où il rencontre pour la première fois Damien à la laverie, et dont il tombe amoureux. Et quand Damien raconte ses expériences homosexuelles, ce n’est pas brillant non plus : « C’est quand même vachement déstabilisant. J’ai tout de suite compris que c’était pas mon truc. Y’avait quelque chose en moins. » Dans la série Demain Nous Appartient diffusée sur TF1, Hugo, le héros homo, drague Bart Valorta pendant une baignade… et dans un premier temps, Bart réagit super mal et le renvoie chier… avant de céder un peu plus tard (c.f. les épisodes 260 et 262, diffusés les 7 et 9 août 2018).
 

C’est le premier rapport sexuel en général, qu’il se passe entre deux personnes de sexes différents ou entre deux personnes de même sexe, qui est mis en scène de manière dramatique dans les fictions homosexuelles : « Dorita se donna à lui [Silvano] pour la première fois la nuit des adieux, dans la salle de classe, sur le bureau de Silvano, tandis que la pluie fouettait les carreaux. Dorita était vierge. L’expérience fut douloureuse pour tous les deux. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 12) ; « Comme elle me l’avait dit, la première fois est toujours déterminante, qu’elle soit de souffrance ou d’harmonie, surtout pour le goût spécial que j’ai. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 132) ; « Elle est rentrée en moi. J’ai cru que j’allais exploser. » (Irène après sa première relation lesbienne, dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport) ; « T’as les mains froides… » (Karim parlant à Guillaume, son « plan cul » anxieux d’aller chez lui, un gars qu’il ne connaît pas, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Ça, comme première tentative, c’était raté de chez raté. » (Guillaume, idem) ; « Je ne veux plus qu’on reparle de ça. C’est malsain. » (Clara après que Zoé, sa meilleure amie, lui ait fait sa déclaration et l’ait embrassée, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Ce n’est pas grave si ta toute première fois était trop sombre. Ce n’est pas grave si ta seconde fois met à jour ta part d’ombre. » (c.f. la chanson « Grave » d’Eddy de Pretto) ; etc. Par exemple, le film « Tchernobyl » (2009) de Pascal Alex-Vincent filme un couple d’adolescents en train de vivre son tout premiers coït sylvestre. Dans le film « La Ballade de l’impossible » (2011) de Tran Anh Hung, Kisuki, le héros (homosexuel ?) se suicide parce que sa « première fois » avec Naoko, sa copine, se révèle désastreuse ; cette femme lui fait croire à son impuissance sexuelle. Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Floriane veut être dépucelée par son amante Marie (« J’voudrais que ce soit toi, Marie. Que tu sois la première. Que tu me débarrasses. »), ce qui met cette dernière dans l’embarras (« Je peux pas faire ça. »). Cette défloration se passe mal, dans la tristesse et les larmes… même si Floriane conclut laconiquement, après le premier baiser sur la bouche : « Ben tu vois ?… c’était pas si difficile. » Dans le film « Les Astres noirs » (2009) de Yann Gonzalez, le premier baiser que s’échange Walter et Julien Doré est mal vécu par Walter. Dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez, Suki est inanimée suite au baiser forcé qu’elle a reçu de Rinn.

 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler, après sa nuit d’amour avec Jim, est pris de crampes insupportables au ventre : « C’est pas bon d’avaler la mer d’Irlande. » lui rétorque Jim, pour faire de l’humour.

 

Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin raconte à son psy sa première rencontre homosexuelle avec son amant Arnaud, à qui il a fait volontairement un croche-patte, alors que le tableau est idyllique : « C’était comme au cinéma. C’était au bord de la plage. C’est alors qu’il m’est apparu. Un petit air de Ryan Goslin… avec le corps d’Élie Sémoun. » De son côté, Arnaud donne une autre version des faits au psychanalyste, en partant sur le quiproquo incestueux que le thérapeute lui parlait de sa première cuite : « Ma première fois, c’était avec mon oncle dans sa cave. » « Je comprends le traumatisme… » interrompt le psy. « J’avais 12 ans. J’étais consentant. […] C’était un Cabernet d’Anjou. Ma première cuite. » Réalisant qu’il y a eu malentendu, Arnaud se reprend : « Je sortais du cinéma. Il faisait 40° C. Ça puait la pisse. Je passe par Paris-Plage. Et là, avec le soleil qui m’aveugle, je me prends Ben en pleine gueule. Mais bon, moi j’ai le mal de mer, alors je lui en veux pas. »
 

Beaucoup de personnages homosexuels nous mettent en garde contre le passage douloureux à l’acte homosexuel (qu’ils ont vécu ou ont vu vivre), sans pour autant le dénoncer explicitement. « Ça devient vexant. J’ai l’impression de revivre mon dépucelage. […] Je suis à plat. La deuxième raison qui me rappelle mon dépucelage. » (Arnold, l’un des héros homos de la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « J’ai détesté ça la première fois. » (Sven dans le film « Patrik, 1.5 », « Les Joies de la famille » (2009), d’Ella Lemhagen) ; « C’est quand même sacrément dur l’âge des premières amours, petit pédé. » (cf. la chanson « Petit Pédé » de Renaud) ; « Viens, ferme les yeux sur nos premières nuits. » (cf. la chanson « J’attends » de Mylène Farmer) ; « Quel malheur, quel coup de hache dans ma vie qui était déjà en morceau ! Quelle passion si insensée, coupable, odieuse, s’est emparée de moi ! C’est une honte, et elle me fera toujours rougir. » (Albert dans le roman Mademoiselle de Maupin (1835) de Théophile Gautier, paragraphe final du chapitre 8) ; « Pascal se sentait brouillé et malade. Et tellement sale. Il avait eu beau se frotter les mains à s’en écorcher la peau, il savait bien que c’était inutile. Ce genre de trace ne s’effaçait jamais. » (Claude Brami, Le Garçon sur la colline (1980), p. 246) ; « C’était l’été de nos treize ans. L’été des sœurs de sang. Dovid a eu migraine sur migraine, cet été-là. » (Ronit parlant de sa première fois lesbienne, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, p. 217)

 

Par exemple, dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, Erik a eu du sexe homosexuel dès l’âge à 13 ans pour la première fois, et ça ne semble pas relié à de superbes souvenirs : « Je cache des vérités importantes depuis que j’ai 13 ans. » se contente-t-il de dire de manière laconique.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, nous avons droit à tous les récits d’initiation homosexuelle des héros homosexuels. Par exemple, pour Hank, ça a été l’angoisse… même s’il s’empresse ensuite de banaliser : « La première fois que je l’ai fait, c’était pendant la grossesse de ma femme. Il y avait une réunion de professeurs, à New York. Ma femme ne se sentant pas bien, j’y suis allé seul. Et dans le train, j’y ai pensé. J’y pensais, j’y pensais pendant tout le voyage. Et peu après mon arrivée, j’avais emballé un mec dans les toilettes de la gare. […] Je n’avais jamais fait ça de ma vie auparavant. J’avais une trouille bleue. […] Mais je suis tombé sur un gars sympa. Je ne l’ai jamais revu ensuite. […] Ce qui est drôle, c’est que je ne me rappelle pas son nom. […] Après, ce fut plus facile. On s’améliore avec la pratique. » Michael raconte que lors de son dépucelage, il ne se souvient de rien : « La première fois, je tenais pas debout. » Bernard, quant à lui, a couché avec son pote Peter un soir alcoolisé, et il est le seul à s’en souvenir et à avoir accordé de l’importance à leur dérapage : « C’était l’après-midi. Toute la matinée, j’ai été malade à l’idée de l’affronter. […] Il a fait comme si rien ne s’était passé. »

 

Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, quand Nicolas, le héros gay, raconte son initiation à l’homosexualité au jeune Michael, lycéen en questionnement, il tente d’édulcorer les choses : « L’amour entre hommes, c’est pareil qu’avec les filles. Ça peut faire mal au début… mais tout ça, c’est l’expérience. » Comme Michael le rejette, Nicolas finit par cracher le morceau et par dire que sa « première fois » homosexuelle a été « plutôt glauque »… puis il s’empresse de renier son aveu : « Mais tu sais, la première fois, c’est jamais bien. »

 
 

b) Le baiser qui fait pleurer :

Symboliquement, le premier passage à l’acte homosexuel tourne surtout autour de l’action du baiser. Il est souvent question de l’importance (et des dégâts !) du premier baiser homosexuel dans les fictions homosexuelles : cf. le film « First Kiss » (1996) de Linda Cullen, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le film « Butterfly Kiss » (1995) de Michael Winterbottom, le recueil de poèmes Espadas Como Labios (Des épées comme des lèvres, 1932) de Vicente Aleixandre, le poème « Canción De Amor Para Los Nazis En Baviera » de Néstor Perlongher, le film « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman El Peso De La Paja. El Beso De Peter Pan (1993) de Terenci Moix, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, le film « Les Amoureux » (1964) de Mai Zetterling (avec le baiser volé), le film « O Beijo » (1964) de Flavio Tambellini, le film « Csokkal Es Körömmel » (« Baisers et égratignures », 1995) de György Szomjas, le film « Kiss Kiss Bang Bang » (2005) de Shane Black, le film « O Beijo No Asfalto » (1985) de Bruno Barreto, le film « Kiss Or Kill » (1997) de Bill Bennett, le tableau Le Baiser (1992) de Michel Giliberti, le film « Kiss Me God Damn It ! » (2006) de Stian Kristiansen, etc.

 

Bizarrement, le personnage homosexuel a peur de ce baiser homosexuel. Il lui arrive de le fuir. Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, Benjamin se dérobe au baiser sur la bouche que Vincent s’apprête à lui faire : « Excuse-moi. J’peux pas te donner c’que tu veux. Pas ici… pas comme ça. »

 

Ce qui est très curieux, c’est qu’il fait souvent pleurer le héros gay qui le reçoit ou le donne : cf. le film « A Kiss In The Snow » (1997) de Frank Mosvold, le film « Les Chansons d’amour » (2007) de Christophe Honoré, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le film « Kissing Jessica Stein » (2002) de Charles Herman-Wurmfeld, le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, le film « La Mala Educación » (« La mauvaise éducation », 2003) de Pedro Almodóvar, le film « Le Temps qui reste » (2005) de François Ozon, le film « Aimée et Jaguar » (1998) de Max Färberböck, le film « Fire » (2004) de Deepa Mehta, etc.

 

« Et vous l’avez embrassé ! Vous en frémissez. Vous n’ignorez pas qu’il est des étreintes dont on conserve à jamais la brûlure. » (la voix narrative parlant de la déesse « Littérature », dans le roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 150) ; « Les baisers, les premiers, goût d’embruns, goût de spleen. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « J’attends ma peine, sa bouche est si douce. » (cf. la chanson « Je t’aime Mélancolie » de Mylène Farmer) ; « Ce fut un baiser comme je n’en avais jamais reçu d’une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri mortel. Le tremblement convulsif de son corps passa en moi. […] Mon âme s’abandonnait à lui, et pourtant j’étais épouvanté jusqu’au tréfonds de moi-même par la répulsion qu’avait mon corps à se retrouver ainsi au contact d’un homme – affreuse confusion des sentiments… » (le héros homosexuel recevant son premier baiser de son amant, dans le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, p. 126) ; « Ce fut une secousse comme quand un corps se désarticule violemment. » (idem) ; « Ce fut un innocent coup d’œil en arrière qui perdit le fils. L’homme, que le père semblait fuir, lança au fils un baiser aérien, et ce baiser percuta avec une telle violence l’innocence de ses pensées qu’il faillit tomber à la renverse ; mais le fourmillement délicieux que cette collision déclencha le laissa sur sa faim. » (cf. la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 30)

 

Le baiser homosexuel fictionnel n’est généralement pas donné et reçu en toute liberté : il est arraché (comme dans les films « Baisers volés » (1968) de François Truffaut, « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, la chanson « Le Baiser » du groupe Indochine, etc.), ou bien à l’image d’une collaboration, d’un viol. « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarine. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Cette nuit, je te l’ai pris, ce baiser que tu n’as pas voulu me donner. […] Je suis encore troublé par ce baiser volé. » (Kévin à son amant Bryan dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 207) ; « Mes baisers sont souillés. » (cf. la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer) ; « Je souffre de tes yeux, de tes mains, de tes lèvres… qui savent si bien mentir… et je demande à mon ombre, sans trêve… si ce baiser sacré… peut me trahir. » (les paroles d’un boléro chanté dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-Araignée (1979) de Manuel Puig, p. 215) ; « Je n’aimais pas son haleine à l’odeur de bière et de cigarette. […] Quand j’ai été dans sa bouche, j’ai trouvé ça divin. J’ai oublié qui j’étais. » (le jeune Mathan parlant de sa première fois homosexuelle, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Dans le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell, quand James se fait embrasser pour la première fois sur la bouche par Ceth, un amant insistant, il lui dit qu’« il ne le sent pas » tout en se laissant néanmoins faire ; mais plus les baisers s’enchaînent avec fougue, plus il pleure et rejette violemment son partenaire comme une furie : « Non !!! Tu ne vois pas que je ne veux pas ??? » Dans le film « Babysitting » (2014) de Philippe Lacheau, Sam et Franck s’embrassent à leur insu dans le noir (une Dark Room d’un parc d’attractions), mauvaise blague orchestrée par Sonia que les deux hommes se disputent : en découvrant les images, ça ne les fait pas rire du tout.

 

Le baiser homosexuel peut être associé aussi au meurtre et à l’acte diabolique. « Ta petite bouche m’a appris à pécher. » (cf. la chanson « Piensa En Mí » de Luz Cazal) Par exemple, au moment du baiser entre Julia et Élisabeth dans le film « Danse macabre » (1963) d’Antonio Margheriti, la seconde saisit un coupe-papier pour poignarder sa tentatrice. Dans le film « Memento Mori » (1999) de Kim Tae-yong, le premier baiser a le goût amer de la pomme du Jardin d’Éden.

 

Dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, le premier baiser homosexuel entraîne la mort. En effet, c’est au moment où Ben donne à son meilleur ami Chill le signe charnel que ce dernier attendait tant que paradoxalement, Chill se met à pleurer. « Mais tu pleures ? » s’étonne Ben. « Non, je ne pleure pas. » répond Chill. Ben essaie alors de relativiser l’acte qu’ils viennent de poser (« Écoute, ça va, c’est pas grave. Je sais que je te plais. ») mais Chill s’énerve, pousse son copain, qui finit par faire une mauvaise chute le laissant totalement inanimé dans un cabanon qui prendra entièrement feu. Ce film vise à faire comprendre au spectateur que le refus de sa propre homosexualité est criminel ; mais au-delà de cette dialectique idéologique, on nous montre en toile de fond que le baiser homosexuel tue.

 

 
 

c) L’acte homosexuel rejoint indirectement ou directement le viol :

Le passage à l’acte homosexuel n’est pas violent prioritairement parce qu’il y aurait pénétration génitale (car certains militants homosexuels se plaisent à penser que ce serait uniquement la vision de deux corps masculins qui s’emboîtent et s’enculent qui gênerait les opposants à l’homosexualité), mais bien parce que le désir homosexuel est violent par nature.

 

Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, Sarah et Charlène, les deux amantes, se retrouvent à parler de leur dépucelage dans un bosquet. Sarah dit que « la première fois [génitale], ça ne se passe jamais bien. Charlène lui rétorque qu’elle ne l’a jamais fait avec un homme. Puis elles entendent un bruit de bête sauvage effrayante qui les fait quitter précipitamment le lieu, terrorisées. Un peu plus tard, sous l’effet de l’alcool et dans un moment d’intimité, elles s’embrassent sur la bouche dans leur caravane. Ce geste recouvre une forme de mélancolie fataliste : « It’s too late. I’m in love. » déclare Charlène à Sarah. Juste après le baiser, étonnamment, Sarah lui fout tout de suite après une gifle magistrale : « I’m not ready ! », geste blessant qui déromantise bien évidemment la scène. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso Davide, le héros homo de 14 ans, est enculé contre un mur en verre, sur fond rouge, par un autre prostitué.
 

D’ailleurs, c’est bien pour cela que dans les fictions homosexuelles, la violence et la tristesse de l’acte homosexuel sont ressenties bien avant le passage au lit. Elles se présentent déjà à partir de la rencontre de l’amant, de la perception d’un attachement sentimental disproportionné.

 

Le héros homosexuel a un étrange mauvais pressentiment quand il rencontre son amant : « La première fois que j’ai vu Julien, j’ai su que j’étais perdu. Julien me donne l’image retouchée, parfait, d’une condamnation à l’avance. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 114) Il freine des quatre fers au moment de réaliser son fantasme, et on/il ne comprend pas pourquoi. « Moi, ce qui m’a ouvert les yeux, c’est un type. On s’apprêtait à faire l’amour et… il éclate en sanglots. Là-dessus, il dit : ‘Excuse-moi, j’suis désolé… Ce n’est plus aussi drôle qu’autrefois.’ » (Jeffrey, le héros homosexuel, dans le film éponyme (1995) de Christophe Ashley) ; « Tu ne sais pas pourquoi je pleure. » (Violette Leduc à son amie Hermine, dans le roman La Bâtarde (1964), p. 221) ; « J’ai pas envie de la voir nue, j’ai pas envie de le voir nu. » (cf. la chanson « Troisième Sexe » du groupe Indochine) ; « Puisque c’est la première fois, ça vous dérange pas si on éteint la lumière. » (Dzav–Bonnard à leur producteur, au moment du coït, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard)

 

Dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, quand Esti et Ronit se retrouvent toutes les deux pour la première fois dans un bosquet et qu’elles sont prêtes à se révéler leurs sentiments, Ronit dit à Esti qu’elle « a l’air d’un tueur en série ». (p. 139) Elles finissent par sortir ensemble. Mais plus tard, c’est toujours la même résistance qui revient : « Je l’ai repoussée et tenue à l’écart, à bout de bras. Je suis plus forte qu’elle, je l’ai toujours été. Ça n’a pas été difficile. ‘Non, Esti ! ai-je dit. Tu dois arrêter maintenant. Ce n’est pas, enfin, ça suffit, tu arrêtes, d’accord ?» (Ronit, idem, p. 145)

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, au moment de vivre son premier rapprochement homosexuel, Bryan se sent très mal et repousse son copain Kévin, même s’il se cherche ensuite des excuses pour trouver sa gêne absurde (il dit qu’il se trouve « compliqué ») : « Je regrettais presque d’avoir réagi aussi connement. Évidemment que j’en rêvais, pourquoi lui faire croire le contraire ? Je pouvais mentir aux autres mais pas à lui… et à chaque fois, cette impression d’avoir un cerveau compliqué… c’était lui le responsable, pas moi ! » (p. 120)

 

La première fois homosexuelle est marquée par un contexte d’absence de liberté (on appelle cela l’« homosexualité de circonstance » dans la réalité). Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Markus et Gabriel s’embrassent sous l’effet de l’alcool, alors qu’ils ne sont pas en pleine possession de leurs moyens. Dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Peter embrasse de force Howard sur la bouche.

 

Le désir homosexuel n’est pas un élan libre à la base. « Un jeune garçon aux yeux verts vous sourit. On vous pousse par derrière. Vous avancez. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 16) Il peut dire un attachement malsain aux origines. C’est la raison pour laquelle la première fois homosexuelle est parfois associée à un acte incestueux : « Que signifiait le baiser qui l’avait tant troublé : défi, ou mépris ? L’homme les avait-il pris, son père et lui, pour des invertis ? » (la voix narrative dans la nouvelle « À l’ombre des bébés » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 31) Dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane, Alex affirme en blague que sa « première fois homosexuelle », ça a été avec son beau-père. Dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee, le baiser entre Elliot et Paul, au départ plaisant, laisse place à la culpabilité : Elliot regarde la place vide de son père dans le bar. Idem dans le film « Shower » (2012) de Christian K. Norvalls, où ce sera le fait que le baiser homosexuel soit vu et rendu concret par le regard d’un vieillard, qui remplira le héros homosexuel d’une culpabilité criminelle à l’égard de son camarade de vestiaires. Dans le téléfilm « L’Homme que j’aime » (2001) de Stéphane Giusti, le premier rapport amoureux homosexuel fait l’objet d’une vraie bagarre dans les vestiaires entre les deux amants, Lucas et Martin.

 

Plus radicalement, la première fois homosexuelle renvoie au viol, à la trahison, à une imposture identitaire et amoureuse. « Toute sodomie commence par un viol. » (Paul dans la pièce Homosexualité (2008) de Jean-Luc Jeener) ; « Soudain, tandis que j’étais à moitié nu, je ne sais par quel subterfuge inconscient de l’esprit, les images de ma première nuit d’amour avec Franck se projetèrent sur ce lit, comme en surimposition. Scènes de film muet, où l’un des protagonistes – moi, en l’occurrence –, est pris d’un terrible remords pour ce qu’il a fait subir au jeune garçon. » (Éric en parlant de son amant Franck, dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, p. 35) ; « La honte et le plaisir, l’impression à la fois d’être souillé et d’enfreindre un tabou vieux comme le monde se mêlent en lui. » (la description de Franck sodomisé, idem, p. 39) ; « Tu sais, ma première amie, je l’ai trahie. » (Cherry à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « C’est très perturbant de découvrir le sexe comme ça. » (Joe, un homme homosexuel obèse, très anxieux et efféminé, qui a été violé par un prêtre à l’adolescence, dans le film « Spotlight » (2016) de Tom McCarthy) ; etc.

 

Dans la pièce Dépression très nerveuse (2008) d’Augustin d’Ollone, Balthasar dit : « J’ai eu un orgasme mais ça fait mal. » Ce à quoi Louis lui répond : « T’étais pourtant prévenu… Le dépucelage… » Dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, le jeune Michael, au moment de réaliser sa première fellation, fait tout pour reculer l’échéance : « Tu as un bonbon ? » Dans le film « Edge Of Seventeen » (1998) de David Moreton, on observe une sodomie qui fait mal, qui inquiète, qui n’est pas librement choisie. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, le premier coït homosexuel entre Raúl et le jeune Roberto se passe très mal, dans une grande appréhension et violence : « Tu vas me faire mal! […] Ça fait mal ! » hurle Roberto avant d’être effectivement violé et frappé par son amant.

 

Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José et Ander font la première fois l’amour dans les toilettes un jour de mariage ; certes, Ander a bu, mais il est aussi tellement traumatisé de la violence de la pénétration anale et de son assujettissement à son homosexualité qu’il en vomit sur place.

 

Dans le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser, les deux meilleurs amis, Jan et Matthieu, finissent par coucher ensemble, et Matthieu le vit super mal : « Putain, mais lâche-moi, espèce de pédale ! » Il pousse Jan contre une fenêtre qui vole en éclat et qui le blesse à la jambe.

 

Dans le film « Week-End » (2012) d’Andrew Haigh, la première fois où Russell et Glenn se rencontrent, c’est dans les toilettes d’une boîte gay, un soir de déprime mutuelle. Et quand ils font ensemble un brin de causette (présenté comme « profond » par le réalisateur), on apprend que la toute première fois de Russell lui est apparue comme « trop violente ».

 

Les dommages collatéraux du premier acte homosexuel peuvent être bien entendu d’ordre physique : « Tu avais mal à l’endroit du… coït. » (Dominique à Jérôme en parlant de la nuit d’amour alcoolisée entre Jérôme et François l’homosexuel, dans la pièce On la pend cette crémaillère ? (2010) de Jonathan Dos Santos) Mais ils sont avant tout psychologiques.

 

Dans le film « Une si petite distance » (2010) de Caroline Fournier, par exemple, l’amour lesbien naît du voyeurisme : l’héroïne observe par le trou du mur de son appartement sa voisine nue dans sa salle de bain, et la toute première fois, celle-ci hurle de se découvrir ainsi violée… avant de se laisser au fur et à mesure espionner avec complaisance.

 

Dans le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le premier rapport sexuel entre Craig et Matt est vécu comme un drame. En effet, dans un premier temps, Craig, en bon puceau, attend son amant au fond de leur lit, avec une réelle appréhension, même s’il lui assure que « tout va bien », et qu’il sera par la suite à l’initiative de tous les actes sensuels qu’ils vont poser. Ensuite, il reçoit les caresses de son copain comme un vrai supplice. Puis il demande machinalement à Matt : « Je veux que tu me baises. » Son copain, entièrement nu, lui demande s’il est « sûr » de sa décision, étant donné le peu d’appétence manifestée. Craig prend sur lui et se force à ne pas se contredire : « Oui, pénètre-moi ! ». Matt, déjà coupable, insiste à nouveau : « Tu es sûr que tu veux le faire ?… ». Son ami lui ordonne : « Fais-le ! ». Au moment où Craig se fait finalement pénétrer, il se relève précipitamment du lit, réagit très violemment, se tape la tête contre les murs de la chambre en injuriant Matt. Plus tard, son compagnon lui avouera qu’il a compris sa mauvaise réaction, car lui aussi avait pleuré lorsqu’il s’était fait jadis déflorer. Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle est poussée dans les bras des femmes parce qu’elle avait été prématurément et préalablement poussée dans les bras des garçons à cause de la pression des copines de lycée.

 

La première fois homosexuelle est aussi en lien avec la violence des rapports sociaux et commerciaux au sein de la communauté homosexuelle, de l’inhumanité des sites de rencontres Internet et des lieux de drague homosexuelle (qui offrent parfois le cadre du premier contact brutal du héros avec son homosexualité). Par exemple, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot, Benji, le héros homosexuel, débarque pour la première fois au sauna et vit un parcours initiatique difficile…

 

La première fois homosexuelle est également liée à la mort, à la guerre et aux grandes catastrophes. « J’avais l’impression que j’étais en train de mourir. Mais vue comme ça, la mort, c’était ce que j’avais connu de meilleur dans ma vie. » (Mourad, le personnage homosexuel décrivant son premier émoi amoureux homosexuel, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) Dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, le héros homosexuel dit avoir rencontré son « mari » pour la première fois le 11 septembre 2001. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Bryan et Kevin, les deux amants homos, se rencontrent pour la première fois au cimetière, face à la tombe de Julien, un gay du lycée qui s’est suicidé : « Nous étions là, figés devant ce cercueil que nous regardions en silence. » (p. 50) Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le beau Vincent raconte que la première fois qu’il a couché homosexuellement, c’était dans un coin reculé d’une plage, à l’âge de 15 ans, avec un homme de 20 ans, Sébastien, qui s’est tué à l’arme à feu un an après.

 
 

d) La ré-écriture enchanteresse et volontariste de la « première fois » homosexuelle :

 

Pourtant, l’initiation homosexuelle n’apparaît pas tout de suite comme violente, car sa brutalité est amortie par les intentions amoureuses. Beaucoup de personnages homosexuels, dans leurs élans ados, fantasment sur l’idée de « première fois » : « Just a first kiss from my lover… beautiful kiss and forever : I love him… » (cf. la chanson « Father I Am » de Jann Halexander) ; « On s’assied sur le lit, on se caresse, on s’embrasse avec fureur ou grande tendresse, alternativement. Vianney s’allonge et je le caresse doucement, je découvre son corps avec mes doigts devenus beaucoup plus sensibles. J’arrive à son visage, il murmure ‘J’ai envie de pleurer. C’est comme un rêve, un truc trop beau pour être vrai. Je me demande quand la tuile va nous tomber dessus. » (Mike, le narrateur homosexuel faisant pour la première fois l’amour avec un inconnu, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 85) ; etc.

 

Film "Tomboy" de Céline Sciamma

Film « Tomboy » de Céline Sciamma


 

On comprend que si la « première fois homosexuelle » est parfois décrite en des termes positifs, ce n’est pas tant parce que les faits sont regardés tels qu’ils sont, mais bien parce qu’ils sont l’objet d’une ré-écriture enchanteresse postérieure à l’acte homo : « Nos corps se sont touchés. Soudain, nous nous sommes embrassées. Je ne sais pas comment cela s’est produit. Je me sentais nauséeuse… Je me suis laissée aller. Je me suis sentie bien. » (l’héroïne racontant une aventure lesbienne à sa mère, dans le film « Les Rendez-vous d’Anna » (1978) de Chantal Akerman) ; « Je ne sais même plus si je l’ai vraiment aimé. Quand je l’ai rencontré, il était comme perdu. Moi, je n’étais pas mieux que lui. […] Son histoire m’a touché, sa souffrance, ses larmes, ses questions. […] Je le sentais désespéré et c’était la première fois que je rencontrais quelqu’un d’aussi vrai. […] Je me suis attaché à ce qu’il représentait, peut-être plus qu’à lui d’ailleurs. » (Malcolm en parlant d’Adrien, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, pp. 119-120) ; « ‘L’autre jour, il faisait gris comme le jour où Gilberto m’a quitté, mais ça allait. Je suis allé chez un mec pour baiser, on a fumé et avant de baiser, d’un coup tout est remonté. Je me suis mis à pleurer, je ne pouvais plus m’arrêter.’ En riant, il ajoute ‘Le pauvre garçon ne savait pas quoi faire !’ » (Simon dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 113) ; etc.

 

Même si dans les faits la « première fois » et la virginité sont rendues bien loin, certains héros homos s’évertuent en amour à rejouer cycliquement la comédie de la « première fois ». « C’est dans la nuit de Rebecca que la légende partira, et aujourd’hui pour une troisième fois elle décidait de sa première fois. » (la chanson « Trois nuits par semaine » du groupe Indochine) ; « Inconsciemment, reproduire chaque fois la toute première fois, le tout premier mauvais choix. » (cf. la chanson « L’Inconstant » d’Étienne Daho) ; « Avec un mec, c’est chaque fois la première fois… Encore plus. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Je pourrais citer chaque premier baiser de mes relations. » (Matthieu… qui, plus tard, trompera quand même son copain Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; etc. Dans la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2010) de Jérémy Patinier, la première fois est le lieu de la division déniée : « J’ai été seule puis une et demi, j’ai grandi en comprenant comme ça que je ne supporterais mon corps que lorsque je nouerais au sien, lorsque nous serons en nous, l’un dans l’autre, chacun réconciliés avec sa première fois… » (une jeune femme dans l’acte 2 intitulé justement « La Première fois ») ; « Je n’ai jamais eu de première fois puisque j’ai tout de suite eu l’impression que c’était déjà la deuxième. » (idem)

 

Le personnage homosexuel, dans ses élans bourgeois-bohème, fantasme beaucoup sur l’idée de « première fois ». Intellectuellement, elle lui plaît. Même si ses actes ne sont pas purs, il exhibera souvent à l’amant qu’il cherche à posséder ses intentions de retour à la virginité à travers l’amour homosexuel : « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 69) Il affectionne les coups de foudre, les « premières fois » saturées de désirs (pulsionnels) et de sensations, mais où la liberté est quasi absente. A-t-il compris qu’il n’était pas à l’origine de l’Amour originel ? que l’Amour vrai n’était pas brutal ? Visiblement, non.

 

Par exemple, on l’entend dire toutes les trois semaines qu’il est tombé fou amoureux, que « cette fois, il a vraiment rencontré LE bon », que « c’est complètement différent de tout ce qu’il a connu auparavant »… Face à l’amant, il sert le même discours sincère de la renaissance : « C’est la première fois que ça m’arrive ; t’es la première personne avec qui je le fais ; Tout ça, je ne l’ai jamais dit à personne avant ». Mais concrètement, dans sa vie, la réalité de la « première fois » sexuelle est beaucoup plus liée à celle de la rupture, de la bonne intention non-actée, ou de la pulsion égoïste romantisée (autrement dit de la masturbation), qu’à la véritable virginité, une virginité reçue et non pas créée par ses propres forces/perceptions humaines. « Je rêve pour sortir du bois, pour ma toute première fois… [d’une branlette] » (un des personnages homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Ma première relation homo, je l’ai eue avec moi-même. » (David dans la pièce Ma Première Fois (2012) de Ken Davenport) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Como Esquecer » (« Comment t’oublier ?, 2010) de Malu de Martino), Julia, l’héroïne lesbienne, se palpe sous sa douche (en souvenir de sa dernière relation amoureuse terminée) et pleure tout de suite après.

 

Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la « première fois » est tellement idéalisée qu’en actes, elle fait faire n’importe quoi au héros homosexuel : « Je m’étais juré de pas coucher le premier soir ! Mais que voulez-vous ? J’avais rencontré mon Prince Charmant ! Je me sentais comme Cendrillon ! Elle avait trouvé chaussure à son pied et moi… »

 

Dans le film « Quels adultes savent » (2003) de Jonathan Wald, la première fois entre le jeune Roy et son amant plus âgé, Maurice, se déroule de manière tragique et en même temps totalement dédramatisée. En effet, à la fois Roy pleure quand il se fait pénétrer (on comprend qu’il ment quand il fait croire à son aîné que ce n’est pas sa première fois homosexuelle), et juste après le coït douloureux, il caresse langoureusement le poitrail de son « copain d’un soir » en scandant à voix basse et de manière répétée le prénom « Maurice… Maurice… » qu’il vient de découvrir (les amants ne s’étaient même pas donnés la peine de se présenter avant de passer au lit !)… alors que pour l’homme plus expérimenté, on voit qu’il s’agissait d’un banal « plan cul », d’une formalité qu’il va s’empresser d’oublier. Au moment du départ de Maurice, Roy, assis sur la cuvette des toilettes, dés-idéalise l’idylle, et pose une question dans le vide, qui restera sans réponse : « On se sent toujours comme ça après ? »

 

Une autre parade trouvée par le personnage homosexuel pour noyer sa tristesse d’être un homosexuel pratiquant débutant, c’est l’intention ludique : « Le passage à l’acte ressemble à s’y méprendre à ces jeux où les enfants se répartissent les rôles entre gendarmes et voleurs : ‘On dirait que tu es mort’, en sachant que le pistolet est en bois. La cravache de Mathilde est un gourdin en papier mâché, mes fesses la tête de guignol. » (la voix narrative lesbienne, dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 60)

 

Par exemple, dans les films « I Want Your Love » (2010) de Travis Mathews ou « Action Vérité » (1994) de François Ozon, le passage à l’acte passe par le biais du défi ludique.

 

Mais le jeu en question ressemble à un piège, une diversion mensongère, un catapultage précipité dans le monde de la sexualité clinique et pornographique. Par exemple, dans la pièce Faim d’année (2007) de Franck Arrondeau et Xaviéra Marcjetti, Marc évoque sa première expérience homogénitale : « Ça s’est fait bizarrement. Au détour d’un jeu. »

 

Dans le film « Infidèles » (2010) de Claude Pérès, un réalisateur et un acteur s’enferment dans un appartement, seuls, avec une caméra, toute une nuit, jusqu’au lever du jour, pour mettre à l’épreuve leurs désirs. Leur jeu ambigu finit par tourner mal.

 

Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin, juste avant de passer au lit avec Bryan, lui fait passer un drôle de bizutage : il « dit sur un ton catégorique : ‘On va jouer à un jeu : la bataille. T’as un jeu de cartes ?’[…] J’aime bien jouer avec toi’, dit-il, avec ce sourire qui en disait long sur ce qu’il pensait. » (p. 123)

 

Dans beaucoup de fictions homosexuelles, le passage à l’acte homosexuel finit par faire rire jaune, et par blesser.

 
 

e) Le premier viol homosexuel vient de l’imaginaire et de l’éloignement du Réel :

Comme je l’ai dit un peu plus haut, la violence de l’acte homosexuel n’est pas prioritairement une question de pénétration génitale ou de gestes brusques dans le cadre amoureux (les pratiques ouvertement violentes restent circonscrites aux sphères très minoritaires de l’univers SM). Elle se situe avant tout dans la violence d’une sincérité, sincérité exposée comme vraie et aimante, alors qu’elle n’équivaut pas à la Vérité ni à l’Amour (on peut vouloir le bien sans le faire ! on peut être franc, consentant, sincère, intentionnel, sans être vrai !)

 

Le meilleur exemple de « premières fois homosexuelles » ratées, d’actualisations violentes de la sincérité, ce sont déjà les coming out : « C’était la première fois que je parlais de mon homosexualité et c’était pour la renier ! » (Ednar disant à Yvonne qu’il n’est pas homo alors qu’elle a découvert à raison son homosexualité, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 44)

 

La violence de la première fois homosexuelle, c’est aussi celle du regard libidineux, ou d’un simple « Je t’aime », tellement inapproprié au Réel et à la réalité de la relation qu’il a l’effet d’une gifle : « En sortant du casino, […] je lui ai dit que j’avais envie de faire l’amour avec elle. Elle m’a regardée tristement. Je pouvais lire dans ses pensées : ‘Si même les femmes ne me laissent pas tranquille, maintenant, qu’est-ce que je vais devenir ? » (Suzanne en parlant de Fédora et de leur première rencontre, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 238) La déclaration d’amour homosexuel apparaît comme un arrivisme suspect, flattant la défaillance humaine des deux personnages qui vont s’adonner à leur désir homosexuel en toute passivité/sincérité : « Elle a ajouté, d’une voix étranglée : ‘Je vous aime’ et elle s’est mise à pleurer. » (Erika décrite par Suzanne lorsqu’elle lui déclare sa flamme pour la première fois, idem, p. 185)

 

L’acte homosexuel a le pouvoir d’anesthésier la conscience de mal faire. Il rend flou la frontière entre le bien et le mal, entre réalité et fantasme, si bien que le héros homosexuel qui se décide à croire en la beauté et en la réalité de l’identité homosexuelle ou de l’amour homosexuel vit une forme de division interne indéfinissable, de captation psychique, d’hypnose, de rêve éveillé digne des meilleurs films de science-fiction (quand l’être humain s’extériorise trop), entre ce qu’il ressent et ce qu’il vit concrètement. « Quand j’ai sonné à la porte, j’étais dans un état second. » (Florence dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Je leur ressemblais malgré mes défauts. Les miens et ceux de mon monde. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. Je ne m’en suis pas rendu compte lors de ton séjour. Je m’en aperçois, alors que tu t’en vas ? En te parlant, je prends conscience de ma diversité. Qu’adviendra-t-il de moi ? Ce sera comme vivre tout près d’un autre moi-même qui n’a rien de commun avec moi. Faut-il toucher le fond de cette diversité que tu m’as révélée et qui est ma vraie nature angoissée ? » (Pietro à l’Étranger qui l’a défloré, dans le film « Teorema », « Théorème » (1968), de Pier Paolo Pasolini) ; « La chambre obscure impliquait certains actes concrets. Julien attendait des choses, que son hôte n’avait à présent guère le courage d’entreprendre. La chaleur était pénible. Nicolas se sentait décalé, hors de lui-même, tandis que ce corps offert devenait soudain réel. Attendant d’être accommodés à la cuisine de Nicolas, les 65 kilos de Julien s’imposaient maintenant comme un paquet de chair peu compatible avec la rêverie qui les avait conduits jusque-là. […] Il devenait spectateur de Julien et de lui-même. […] Nicolas n’osait révéler son malaise à celui devant lequel il avait, depuis trois jours, montré tant de détermination. Il fallait payer. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), pp. 82-85)

 

Dans le roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet, Antoine entraîne Julien dans un guet-apens (cette situation finit par plaire à ce dernier, malgré la violence objective de la démarche) : « Je lui ai emboîté le pas. Antoine m’a entraîné jusqu’aux toilettes où il m’a brusquement poussé. J’ai demandé : ‘Pourquoi ?’. ‘Tu verras. C’est un secret’. Alors je me suis avancé sans broncher et Antoine a refermé la porte derrière lui. Et puis là… oh, la, la, la, la, j’en tremble rien qu’à l’écrire mais Antoine qui s’est immobilisé devant moi, m’a plaqué violemment contre le mur, s’est collé à ma poitrine jusqu’à presque m’étouffer, et d’un geste langoureux, il a posé sa bouche contre ma bouche, et tout en se penchant délicatement près de mon oreille, il m’a soufflé : ‘Je t’aime.’ J’ai failli m’évanouir à cet instant. J’étais transporté aux anges, renversé, ébranlé. »

 

Dans le roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, Tanguy déclare vivre écartelé « entre deux mondes » (p. 237) juste après avoir vécu sa première expérience homosexuelle.

 

Dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder, Franz (20 ans) se retrouve dans l’appartement de Léopold (35 ans) – ils se sont flairés dans la rue et ils ne se connaissent pas – et la situation précipitée mais voulue par eux deux laisse Franz dans un profond désarroi. Juste avant qu’ils s’embrassent, le jeune homme semble perdu (« Je ne sais pas… Je ne sais pas pourquoi je suis ici. Vous m’avez pris de court… ») et raconte que son tout premier baiser homosexuel (avec la langue) reçu par Joachim – un camarade dans un foyer de lycéen – l’avait troublé (« Je me suis senti très mal. »). Lorsqu’il embrasse Léopold pour la première fois, Franz est pris d’étourdissements : « Ça fait tout drôle… J’ai vraisemblablement trop bu. » Une fois l’acte sexuel consumé, Franz est à la fois repu et pris de culpabilité : « Je me suis bien fait avoir. »

 

Le personnage homosexuel semble nous dire que la beauté de l’acte homosexuel réside prioritairement dans sa non-actualisation, dans sa non-réalisation ; dès que celui-ci devient concret, il perd de sa splendeur. La première fois n’a que la magie de l’irréel : « Tout est allé très vite et Olivier ne réalise pas trop ce qui vient de se passer. Il est content que son ami ait pris cette initiative. Plusieurs fois il avait rêvé de ce moment, où il pourrait enfin embrasser son fantasme sur la bouche. Mais la réalité a finalement été bien décevante. Maintenant, il ne sait plus s’il est heureux que ça se soit produit ou non. » (Olivier, le héros homo du roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, p. 173)

 

Dans le film « Jongens » (« Boys », 2013) de Mischa Kamp, quand Sieger reçoit et donne son premier baiser à son amant Marc, il s’allonge sur l’eau en regardant le ciel, comme éberlué par une irréalité. Dans le film « Fotostar » (2002) de Michele Andina, Konrad, le héros homosexuel, une fois qu’il se trouve enfin dans le salon de Jonas, l’homme qu’il a dragué et qui l’embrasse langoureusement sur la bouche, finit par se rétracter. Au moment d’accéder enfin pour de vrai à l’homme de ses fantasmes érotiques, il découvre avec effroi l’envers du décor, la vanité de la possession de l’homme-objet que son désir homosexuel avait commandé. On le voit paralysé par la peur. Jonas essaie de le tranquilliser : « Tu n’as aucune raison d’avoir peur. » Mais Konrad nie sa crispation sans pour autant y remédier (« Mais je n’ai pas peur. »)… contradiction qui perturbe bien évidemment Jonas (« Alors détends-toi. Qu’est-ce que tu as ? »). C’est au moment où Konrad prétexte d’aller aux toilettes qu’il quitte en douce l’appartement de son ami. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki se retrouvent pour la première fois en intimité dans une camionnette… mais au moment de s’embrasser, Kena est tellement gênée qu’elle quitte le lieu : « Je dois y aller. » Plus tard, juste après leur première coucherie et leur nuit d’amour, les deux amantes Ziki et Kena partagent leurs impressions… et Ziki a du mal à réaliser la factualité de leur acte génital : « J’aimerais que ce soit vrai. »… « Mais c’est vrai ! » lui répond gentiment Kena, pour la rassurer.

 

Dans le film « Krámpack » (2000) de Cesc Gay, c’est le même scénario : l’amant-puceau qui avait « allumé le chauffe-eau » ne prend finalement pas la douche, parce qu’il a inconsciemment peur du viol qu’il a enclenché en toute bonne foi et toute audace. Dani, adolescent de moins de 18 ans, drague Julián, un écrivain homosexuel à la quarantaine bien tassée, et lui saute littéralement dessus pour qu’il couche ensemble. D’abord, il lui vole un baiser… ce qui laisse Julián pantois (il noie sa gêne dans un rire nerveux : « Ça te gêne pas d’embrasser un homme ? ») Dani joue alors la carte du naturel forcé (« Pourquoi ça me gênerait ? ») et du mensonge, puisqu’il fait croire que ce n’est pas sa première fois et qu’il a déjà couché avec son meilleur ami Nico, ce qui est pertinemment faux (« Ce n’est pas ma première fois. Oui, je l’ai déjà fait avant. Et le reste aussi. Baiser, faire l’amour… Bon… plus ou moins. »). Dani cherche à masquer sa peur par une audace effrénée, démesurée : il ouvre précipitamment la braguette de Julián et se met torse nu devant lui. Ce dernier essaie d’amortir la précipitation suspecte du jeune « chien fou » (« Dani… Dani… On continue ? T’es sûr ? Tu veux vraiment qu’on continue ? »), et sans pour autant rejeter sa proposition, il fume, met de la musique, part se préparer, afin de rajouter à la baise pédophile une lenteur et un romantisme qui la déréaliseront. Mais au moment où il revient dans le salon, entre-temps, le petit oiseau soi-disant téméraire et effronté s’est envolé…

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La première fois homosexuelle est vécue par beaucoup de personnes homosexuelles comme un traumatisme :

J’entends déjà d’ici certains esprits pessimistes me rétorquer à propos de ce code : « Mais pourquoi inventes-tu un malaise là où il n’y en a pas eu ? Moi, j’ai vécu mon premier baiser comme une libération ! Et le jour de la découverte de mon homosexualité a été, sans déconner, une révélation, le plus beau jour de ma vie ! Pourquoi fouilles-tu la merde et cherches-tu à culpabiliser l’ensemble des personnes homosexuelles en les faisant revenir sur un souvenir intime et lointain qu’elles n’ont plus en mémoire ? » Et je leur répondrai : « Et pourquoi, d’après vous, elles se sont autant empressées de l’oublier ou de ne pas l’analyser, ce souvenir ? »

 

De même, j’imagine le parallèle immédiat et facile qui peut être fait avec l’hétérosexualité : « Tu sais, ce que tu dis sur la ‘première fois’ homosexuelle, c’est la même chose pour tous les couples hétéros… Ce n’est jamais parfait pour eux non plus du premier coup. On est tous gauches et inexpérimentés quand on débute sexuellement. On ne sort jamais la première fois avec la bonne personne. Et l’acte sexuel humain a toujours une part de violence naturelle, inhérente à la passion, au rythme bestial du coït, aux jeux sexuels, au rapport de pouvoirs entre amants pendant l’accouplement. J’ai l’impression que tu idéalises un peu le tableau des couples hétéros, pour mieux noircir le tableau des homos. Mais c’est noir… ou gris… pour tout le monde ! Il n’y pas d’amour ou de baiser spécifiquement homos : il y a de l’amour et des baisers tout court ! ». Et je pourrais rétorquer à ces défenseurs de la banalité du coït humain : « Mais qui vous dit que la première fois n’est jamais parfaite dans les couples femme-homme, si ce n’est vous, parce que vous ne croyez plus en l’Amour vrai ? Qui vous dit qu’il n’y a pas des couples qui s’attendent vraiment et qui soignent complètement leur première fois, au point de vivre même leurs petits défauts de débutants comme des occasions de rire et de s’aimer davantage ? » Ce n’est pas parce que techniquement ce n’est pas parfait – quand on est novice, on est, c’est vrai, forcément maladroit – que ce n’en est pas moins idéal et génial dès la première fois quand même pour ces deux êtres de sexes différents qui vivent l’émerveillement de la découverte de leurs différences et de leur virginité offerte intacte à la bonne personne qui les a attendus. Même si la première fois homosexuelle n’est pas systématiquement facteur de tristesse et d’horreur, en tout cas, elle n’est pas autant source d’émerveillement, de paix profonde, de patience, de respect, de durée, de joie, de surprise, que la première fois entre deux personnes de sexes différents qui ne se sont pas ruées sur le gâteau de la sexualité et qui ont vraiment pris la peine de ne pas se posséder l’une l’autre dans une fusion fiévreuse et une précipitation angoissée.

 

Même dans la réalité, j’ai constaté à maintes reprises que la première fois homo-affective/homosexuelle est souvent traumatique (ce n’est pas rien de vivre concrètement l’exclusion de la différence des sexes !). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si statistiquement le premier rapport homosexuel est vécu beaucoup plus tard que dans les couples femme-homme, comme si le choc était inconsciemment deviné, reporté, craint : « Les personnes qui ont eu un partenaire du même sexe dans les 12 derniers mois rapportent une activité sexuelle plus diversifiée que les autres. Elles ont débuté leur vie sexuelle plus précocement : 17,3 ans ‘versus’ 18,6 ans pour les femmes hétérosexuelles, et 17,1 ans ‘versus’ 17,6 ans pour les hommes hétérosexuels. Leur premier rapport homosexuel a eu lieu à 22,8 ans pour les filles et 18,8 ans pour les garçons. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 251) Le caractère précipité, compulsif, pressé, bâclé, que prend souvent la première expérience homosexuelle ne fait que renforcer le climat de peur qui entoure inconsciemment l’acte homosexuel, ne fait que prouver que celui-ci est né d’une frustration ou même qu’il engendre une frustration).

 

Beaucoup de psychiatres et de psychologues vous le diront. Il n’est pas anodin de passer à l’acte homosexuel. Quand je m’étais entretenu, en 2012, avec le journaliste Jacques Arènes (qui semblait un peu timoré à l’idée d’envisager, comme moi, un lien entre désir homosexuel et viol), ce dernier n’a pas pu s’empêcher de m’avouer qu’au vue de son accompagnement psychologique auprès de ses patients homosexuels, il constatait à maintes reprises une ambiguïté violente qui se cristallisait autour de l’initiation à la pratique homosexuelle.

 

Et quand les individus homosexuels posent un regard rétrospectif honnête sur leur dépucelage homosexuel, quand ils s’aventurent à ouvrir le livre de leur honte, on entend beaucoup de remords : « Ça s’est passé mal, très très mal, parce que c’est comme si ça en rajoutait encore, en définitive. Le fait de passer à l’acte, pour moi, faisait que ça rajoutait encore de la complication à mon existence. » (Olivier, 37 ans, parlant de son premier passage à l’acte homosexuel, dans le documentaire « Une Vie ordinaire ou mes questions sur l’homosexualité » (2002) de Serge Moati) ; « Mon premier contact avec un pédé fut un réel moment d’intense stupidité. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 72) ; « Le premier soir, ça a été presque beurk. La première rencontre ça a été un peu catastrophique. » (Yann parlant de son amant Pierre, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; « J’avais seize ans. La prof d’italien nous emmenait voir une pièce. Je suis arrivé en retard. Chaillot était fermé. Alors j’ai voulu connaître le sexe. Le sexe était plus fort. Plus fort que la peur. Plus fort que moi. Je suis descendu dans les jardins. J’avais lu dans ‘Le Nouvel Obs‘ que ça draguait. J’ai zoné dans les bosquets, moyennement rassuré. Un mec s’est approché, beaucoup plus vieux que moi, trente ans, moustachu. Il m’a demandé ce que je faisais là. J’ai dit Je drague’. Il a dit ‘Moi aussi’. Je l’ai suivi jusque derrière une espèce de monument grec. On s’est embrassé. J’avais déjà roulé des pelles à deux ou trois filles, mais là c’était différent. Électrique. Après on s’est sucé. Le goût était horrible. J’ai joui, je ne me souviens pas comment. Je ne me permettais pas de faire très attention à ces choses-là à l’époque. Quand je suis rentré à la maison j’étais en sueur, j’avais envie de vomir. » (Guillaume Dustan, Plus fort que moi, 1998) ; « J’y suis allé pour avoir du sexe avec les hommes. C’est la première chose que j’ai faite. Donc ce gars avec qui j’avais chatté un temps sur Internet était de Flint, dans le Michigan. C’est là-bas que j’ai perdu ma virginité. La capitale mondiale des assassinats, c’est de notoriété publique [rires] . Ce n’était pas la destination la plus romantique. […] Ce fut un épisode sans importance. Ça n’a pas été… il n’y a pas eu de feux d’artifice. Juste après, j’ai senti une forte culpabilité et honte. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Il est arrivé. Ça n’a pas vraiment bien collé. Il est reparti. Ça n’a pas collé la première fois. » (Pierre racontant sa première rencontre avec Bertrand, dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2) ; « Mon ancien camarade de classe me met sous les yeux deux photos de Janson, cinquième et quatrième, toute la classe. […] Moi, mince, l’air silencieux, innocent d’une innocence évidente. Cela m’a ému, car depuis… Et tout à coup, le visage de Durieu que j’avais oublié et qui m’a arraché un cri : un visage d’ange résolu. Silencieux aussi celui-là, on ne le voyait pas, il disparaissait, je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir sa beauté comme une brûlure, une brûlure incompréhensible. Un jour, alors que l’heure avait sonné et que la classe était vide, nous nous sommes trouvés seuls l’un devant l’autre, moi sur l’estrade, lui devant vers moi ce visage sérieux qui me hantait, et tout à coup, avec une douceur qui me fait encore battre le cœur, il prit ma main et y posa ses lèvres. Je la lui laissai tant qu’il voulut et, au bout d’un instant, il la laissa tomber lentement, prit sa gibecière et s’en alla. Pas un mot n’avait été dit dont je me souvienne, mais pendant ce court moment il y eut entre nous une sorte d’adoration l’un pour l’autre, muette et déchirante. Ce fut mon tout premier amour, le plus brûlant peut-être, celui qui me ravagea le cœur pour la première fois, et hier je l’ai ressenti de nouveau devant cette image, j’ai eu de nouveau treize ans, en proie à l’atroce amour dont je ne pouvais rien savoir de ce qu’il voulait dire. » (Julien Green, L’Arc-en-ciel, Journal 1981-1984, avril 1981, pp. 23-24) ; etc.

 

Dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, Romain demande à ses amis homos séropos quelle a été leur pire expérience sexuelle. Seul Mateo répond en boutade : « Ma pire expérience sexuelle ? Je sais pas. Y’en a eues tellement ! » Il raconte plus sérieusement qu’il a été violé à l’âge de 15 ans, dans un bar gay, par « un type qui avait mis une saloperie dans son verre ». Il avoue que sur le coup qu’il ne se souvenait plus de rien.
 

Énormément de personnes homosexuelles nous mettent en garde contre le passage douloureux à l’acte (qu’ils ont vécu ou ont vu vivre), sans pour autant le dénoncer explicitement. « La première fois que nous avons passée ensemble, je n’ai fait que pleurer. Elle était aussi démunie que moi si bien que l’une comme l’autre, en toute bonne foi, nous avons cru nous aimer. » (Paula Dumont en parlant de son couple avec Martine, dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 70)

 

Par exemple, dans le documentaire « Le Bal des chattes sauvages » (2005) de Véronika Minder, l’acte homosexuel n’est pas présenté comme anodin : à la perspective de la rencontre d’amour homosexuelle, les amantes ressentent une profonde et curieuse tristesse. Elles préfèrent appeler cela une « sauvagerie »…

 
 

b) Le baiser qui fait pleurer :

Film "L'Évangile selon saint Matthieu" de Pier Paolo Pasolini

Film « L’Évangile selon saint Matthieu » de Pasolini


 

Symboliquement, le principal premier passage à l’acte homosexuel est le baiser. Dans le discours de certaines personnes homosexuelles, il est souvent question de l’importance (et des dégâts !) du premier baiser homosexuel : « Dans mon premier film, ‘Crescendo’, on voit un premier baiser, celui que le personnage principal, qui au début du film est hétéro, échange avec un garçon. Comme il n’est pas habitué, il court cracher dans un lavabo. Moi aussi j’ai fait ça la première fois. Mais évidemment, il y prend vite goût… » (le réalisateur Jean-Daniel Cadinot, cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 70)

 

En écoutant certains amis homosexuels me raconter leur initiation homosexuelle en privé, j’ai été frappé de voir qu’elle ressemblait parfois à un viol, bien que cela ne soit même pas conscientisé et identifié comme tel par la victime « consentante ». Parmi eux, quelques-uns ont littéralement fondu en larmes juste après avoir reçu un simple baiser, ou une caresse soi-disant anodine. Je n’invente rien. On me l’a raconté.

 

Le baiser homosexuel n’est généralement pas donné et reçu en toute liberté. Il est arraché, ou bien apparaît comme une collaboration, un viol : « Une seule pensée traverse alors mon esprit avant de sombrer totalement dans le plaisir indescriptible du premier baiser échangé avec un garçon : comment vais-je réagir en me regardant dans la glace demain matin ? » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 123)

 

Par exemple, dans le documentaire « Homos, et alors ? » de Florence d’Arthuy (diffusé dans l’émission Tel Quel, sur la chaîne France 4, le 14 mai 2012), Guillaume, homosexuel, raconte qu’il a éclaté en sanglots devant sa glace après sa première nuit de passage à l’acte homo.

 
 

c) L’acte homosexuel rejoint indirectement ou directement le viol :

La première fois homosexuelle est marquée en général par un contexte d’absence de liberté (on appelle cela l’« homosexualité de circonstance » : je parle plus longuement de ce type particulier d’homosexualité dans les codes « Entre-deux-guerres » et « Drogues » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « J’avais bien eu une première expérience après l’armée, mais ça s’était très mal passé. Alors j’ai cru que j’étais hétéro. » (Joaquim cité dans la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 102)

 

Elle n’est pas une expérience plaisante. Elle provoque parfois même un malaise corporel, un dégoût. « Je n’aimais pas Djaghilew et pourtant, je vivais avec lui. Je l’ai haï du premier jour que je l’ai connu. […] Tout de suite, je lui permis de faire l’amour avec moi. Je tremblais comme une feuille et je m’efforçais de dissimuler la haine qu’il m’inspirait… » (le danseur Waslaw Nijinksy à propos de son amant Djaghilew, dans le Journal de Nijinsky)

 

Dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), le dramaturge Denis Daniel raconte que les démarrages de ses rapports homosexuels provoquèrent chez lui d’« inexplicables malaises » (p. 113).

 

Salvador Dalí raconte que la « première fois » (pénétration anale) avec le poète espagnol Federico García Lorca a été très mal vécue par le second (Alberto Mira, De Sodoma A Chueca (2004), p. 235).

 

Dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), Abdellah Taïa décrit son tout premier contact avec la sexualité : à 13 ans, il voit un voisin des impasses du Bloc 14 se masturber. « C’était l’été, en plein été, août, le 7 août. […] Abdellah, fils de Ssi Aziz, se masturbait. » (p. 11) Plus tard, il vit sa première expérience sexuelle avec un cousin plus âgé que lui, Chouaïb, qui le viole… ce qui n’empêche pas l’écrivain de penser qu’il a finalement adoré cela : « Chouaïb était maintenant nu, entièrement nu. […] C’est à ce moment-là que j’ai réalisé ce qui allait physiquement m’arriver, se produire en moi. Exploser en moi. Pour la première fois. J’ai fermé mes fesses. J’ai fermé mes yeux. Avec force. » (p. 22)

 

La première fois homosexuelle est aussi en lien avec la violence des rapports sociaux et commerciaux au sein de la communauté homosexuelle, avec l’inhumanité des sites de rencontres Internet et des lieux de drague (qui offrent le premier contact concret avec une homosexualité pratiquée). Par exemple, dans son autobiographie Libre : De la honte à la lumière (2011), Jean-Michel Dunand raconte que sa première fois homosexuelle s’est passée dans un contexte glauque : un homme plus âgé que lui l’a tripoté dans des toilettes publiques.

 

La première fois homosexuelle est associée également à la mort, à l’amour impossible avec un être absent. « C’est l’amour le plus douloureux ! C’est la première fois que mon cœur s’est ouvert à l’amour, l’amour vrai, peut-être la seule fois de ma vie. » (Emilio Prados cité dans l’essai De Sodoma A Chueca (2004) d’Alberto Mira, p. 233)

 

Dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), Berthrand Nguyen Matoko raconte avec des mots précis « le traumatisme de sa première expérience homosexuelle » (p. 99) : « À peine fut-il sur moi, que je versais des larmes de désolation. L’instant de sodomie, rigoureusement chargé, vit tout mon être disparaître dans les profondeurs du mal pour ne devenir qu’une empreinte. Les filles pensais-je alors, subissent-elles le même sort ? J’avais terriblement mal et je hurlais que jamais plus je ne résisterais, mais qu’il fallait que cela cesse. Torture terrifiante qui m’incendiait de partout, son sexe sans pitié qui me ravageait par des tamponnements secs et violents. » (idem, p. 68) ; « Je sentais chaque centimètre de mon corps me distendre et m’étirer. Indéfiniment. De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (idem, p. 69) ; « Tu m’appartiens désormais, me dit-il’. C’était des mots d’homme, des mots possessionnels et j’en avais la cognition. À seize ans, je n’étais plus le même. J’avais soudainement comme une impression de vide, ce vide qui semblait être ma mort et mon humiliation. […] Qu’étais-je devenu, pour un jour, une nuit, toute une vie ? » (idem, p. 70) ; « Rien ne m’avait préparé à l’extraordinaire sensation que j’avais éprouvée à contempler ma propre sexualité de l’extérieur. J’estimais au fond de moi, qu’un passionnant épisode de ma vie ratait son départ. » (idem, p. 74)

 
 

d) La ré-écriture enchanteresse et volontariste de la « première fois » homosexuelle :

Pourtant, l’initiation homosexuelle n’apparaît pas tout de suite comme violente aux yeux des personnes homosexuelles pratiquantes, car sa brutalité est amortie par les intentions amoureuses, et par une auto-persuasion individuelle (matinée d’un « militantisme de l’optimisme ») qui stipule que « le mal était malgré tout nécessaire et en valait la chandelle ».

 

Parfois, le traumatisme de la « première fois » est interprété sous forme de conte de fée révolutionnaire, pour atténuer le vrai choc. « J’ai perdu ma virginité avec bonheur. Ses regards d’admiration et d’incrédulité ont suffi à faire compenser toutes mes frustrations. » (Kim Pérez Fernández-Figares, homme transsexuel cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 254) ; « En 2005, Christine Bakke fait pour la première fois l’amour avec une femme : ‘C’était sa première fois à elle aussi, ce que j’ai trouvé très beau. Il n’y avait aucune attente, c’état naturel, ça coulait de source.’ » (Christine Bakke, ex-ex-lesbienne, interviewée à Denver, dans le Colorado, fin 2018, dans l’essai Dieu est amour (2019) de Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, Éd. Flammarion, Paris, p. 84) ; etc.

 

On comprend que si la « première fois homosexuelle » est parfois décrite en des termes positifs, ce n’est pas tant parce que les faits sont regardés tels qu’ils sont, mais bien parce qu’ils sont l’objet d’une ré-écriture enchanteresse postérieure à l’acte homo.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, dans leurs élans bobos, fantasment sur le concept de « première fois ». Même si dans les faits la « première fois » et la virginité sont rendues bien loin, certaines s’évertuent en amour à rejouer cycliquement la comédie de la « première fois ». Par exemple, on les entend dire toutes les trois semaines qu’elles sont tombées folles amoureuses, que « cette fois, elles ont vraiment rencontré LA bonne personne », que « c’est complètement différent de tout ce qu’elles ont connu auparavant »… Face à l’amant, elles servent le même discours sincère de la renaissance : « C’est la première fois que ça m’arrive ; t’es la première personne avec qui je fais ça ; Tout ça, je ne l’ai jamais dit à personne d’autre ». Mais concrètement, dans leur vie, la réalité de la « première fois » est beaucoup plus liée à celle de la rupture, de la bonne intention non-actée, ou de la pulsion égoïste romantisée, qu’à la véritable virginité, une virginité reçue et non pas créée par nos propres forces/perceptions humaines.

 

L’esprit bobo, vénérant l’instant au détriment de la durée, a un rapport idolâtre aux premières fois : à la fois il les idéalise, et il les méprise comme des rêves de midinettes. « J’essaie de me rappeler. Le début. Ce qui m’a attiré. La nuit. Une boîte de nuit où je me rendais pour la première fois de ma vie. La foule branchée que je n’aimais pas. […] Il dansait. Seul. […] Plus tard, audacieux, je lui ai parlé, je l’ai complimenté. Il a levé les yeux, a souri et moi je suis tombé amoureux, immédiatement, instantanément. On appelle ça le coup de foudre. Moi, j’appelle ça la reconnaissance mutuelle. […] Je ne l’ai pas quitté. Il ne m’a pas quitté. On a dansé ensemble. Une fois. Un slow. ‘Pull marine’. Isabelle Adjani. » (Abdellah Taïa parlant de sa première rencontre avec Slimane, celui qui sera son amant pendant quelques années, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 108) ; « Comment une vie bascule à travers une main qui s’aventure… Je suis devenue une vraie femme. » (Thérèse par rapport à sa toute première fois lesbienne, où une ancienne camarade de classe dévergondée l’a dépucelée, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

Une autre parade trouvée par les personnes homosexuelles pour noyer leur tristesse d’être des individus homos pratiquants régulièrement débutants, c’est la focalisation sur le coming out, sur l’exhibition de soi : elles vont régulièrement mettre en scène la première fois qu’elles ont annoncé leur homosexualité, pour ne pas avoir à révéler que la véritable difficulté n’a pas été d’annoncer son désir homosexuel, mais bien de l’avoir actualisé/concrétisé avec un copain !

 

Et une grande partie de la société participe de ce déni de violence de la première fois homosexuelle qu’est le coming out. Le coming out est une fausse première fois qui cache la vraie, le train qui en dissimule un autre. C’est pour cette raison, à mon avis, que les premières fois homosexuelles sont guettées autant que craintes par nos contemporains (excitation voyeuriste et misérabiliste sur le coming out, suspens autour du baiser homo dans les séries télévisées, curiosité malsaine par rapport à l’acte génital, attente de conversion inexpliquée de l’hétérosexualité à l’homosexualité, gros plan scabreux sur la violence soi-disant « homophobe », etc.).

 

Sinon, bien évidemment, l’astuce la plus efficace que se sont trouvées beaucoup de personnes homosexuelles pour nier la déception/violence de leur premier passage à l’acte homosexuel, c’est la victimisation, et son corollaire : l’extériorisation du viol sur un ennemi tout-puissant (qui portera tantôt le nom d’« homophobie intériorisée », de « culpabilité », de « regard culturel »).

 

En général, le fameux « regard social » – qui bien souvent et l’autre nom d’un regard sur soi et sur sa propre situation qu’on n’ose pas assumer ni écouter – a bon dos… « La première fois, c’était pas très bien. Parce que j’avais peur du regard des gens. » (Amélie, 28 ans, à qui on demande comment était son premier baiser lesbien, dans le documentaire « Des Filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger)

 

Certains individus homosexuels vont inverser les choses, en disant que l’acte homosexuel est objectivement bon, mais qu’il n’est rendu mauvais que par une lecture postérieure et subjective à l’aune des préjugés éducationnels, religieux, et sociaux sans fondements qu’on nous aurait mis dans la tête. Je ne suis bien sûr pas d’accord avec cette interprétation réductrice. Notre regard sur l’acte homosexuel vient de l’acte en lui-même, de la perception de celui qui le vit, et de la société : les trois ensemble. L’apparente valeur positive de l’acte homosexuel tient à mon sens davantage de la décharge émotionnelle/nerveuse qu’il a permise dans l’instant, du défouloir post-dépression, du petit soulagement vécu dans une frustration affective globale, du contentement rassurant et ponctuel dans les câlins, que de l’acte en lui-même. « Il m’a invité à le suivre dans une cabine et j’ai eu ma première expérience sexuelle adulte. Ce n’est pas ainsi que j’avais imaginé cette première fois, mais j’avais envie d’y aller à son contact, besoin de me perdre dans un corps-à-corps. Toute cette frustration accumulée me pesait, j’avais une folle envie de me défouler, je me suis donc lancé. Sur le moment, cette intense décharge d’adrénaline n’a pas été désagréable. C’est seulement après que je me suis senti mal à l’aise. J’avais un goût amer à la bouche, je me sentais sale. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), pp. 44-45) Je crois en effet que l’acte homosexuel (contrairement à la découverte initiale de son désir homosexuel – qui n’est pas triste –, ou bien du bon déroulement de certains coming out) est traumatique en lui-même, pas dans le sens commun, brutal, et évident du mot « viol », mais dans le sens de « ravissement » : on ne sait pas quoi en penser, de ce cette première fois homosexuelle ; elle n’est ni assez grande pour remplir de joie, ni assez douce pour être banale. « Au début, j’étais à la fois surpris et gêné. Mais, dès que j’ai su répondre à ses avances, nous avons multiplié les occasions de nous isoler et, à mon grand bonheur, nos jeux sexuels se sont poursuivis pendant plusieurs mois. Mais, subitement, j’allais découvrir le chagrin de la perte, car il s’est détourné de moi pour une fille. Il m’a abandonné. Il avait tourné la page. J’avais été utilisé et jeté, sans même un mot d’explication. Je m’en suis voulu d’avoir répondu à ses avances. Je n’étais pas capable de lui faire des reproches, puisque tout s’était passé dans le non-dit. J’ai ravalé mon humiliation ; ce ne serait pas la dernière fois. » (idem, pp. 20-21)

 
 

e) Le premier viol homosexuel vient de l’imaginaire et de l’éloignement du Réel :

La violence de l’acte homosexuel n’est pas prioritairement une question de pénétration génitale ou de gestes brusques (qui pourraient être vécus dans le cadre très minoritaire de l’univers SM par exemple). Elle se situe avant tout dans la violence d’une sincérité, sincérité exposée comme vraie et aimante, alors qu’elle n’équivaut pas à la Vérité ni à l’Amour (on peut vouloir le bien sans le faire ! on peut être franc, consentant, sincère, intentionnel, sans être vrai !)

 

« C’était la première fois qu’Ednar faisait l’amour ; enfin un ‘câlin’. Quoi de plus naturel pour un jeune homme de seize ans, si le prétendant n’était pas un copain de son âge rencontré par hasard un soir sur la plage ! Mais voilà, une fois ce premier ‘rapport sexuel’ consommé, il lui procura plus de dégoût que de plaisir. » (Jean-Claude Janvier-Modeste dans son autobiographie romancée Un Fils différent (2011), p. 19) ; « Avec ma première petite amie, je n’ai pas eu de relation sexuelle. C’était un amour platonique. Elle disait qu’on faisait quelque chose de très laid. » (Mària Takàcs, la réalisatrice hongroise lesbienne, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 

Le meilleur exemple de « premières fois homosexuelles » ratées, d’actualisations violentes de la sincérité, ce sont déjà les coming out : « Depuis l’âge de 16 ans, je savais que j’étais vraiment attirée par les femmes, je le savais, je le sentais ce truc-là. C’était assez paradoxal, parce que la première connaissance que j’ai eue de l’homosexualité, j’étais plutôt prête à la rejeter, à l’éviter. » (Laura, une femme lesbienne de 49 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 52) ; « Moi je me dis, je viens d’un milieu plutôt intello, alternatif, où a priori, c’était possible d’assumer ça plutôt facilement, et en fait je me suis grave pris la tête pendant dix ans et je ne sais pas pourquoi. » (Louise, femme lesbienne de 31 ans, idem, p. 54)

 

La violence de la première fois homosexuelle, c’est aussi celle du regard libidineux de notre semblable sexué, ou bien celle d’un simple « Je t’aime », tellement inapproprié au Réel et à la réalité de la relation qu’il a l’effet d’une gifle. Par exemple, lors de l’émission Dans les yeux d’Olivier d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq, diffusée sur la chaîne France 2 (spéciale « Les Femmes entre elles », le 12 avril 2011), quand Tina a annoncé à sa copine Stéphanie, 24 ans (et de vingt ans sa cadette !) qu’elle l’aime et qu’elle ne peut pas vivre sans elle, celle-ci avoue « s’être effondrée » La déclaration d’amour homosexuel apparaît comme un arrivisme suspect, flattant la défaillance humaine des deux amants qui s’adonnent (de manière consentie mais si peu libre !) à leur désir homosexuel.

 

L’acte homosexuel a le pouvoir d’anesthésier la conscience de mal faire. Il rend flou la frontière entre le bien et le mal, entre réalité et fantasme, si bien que les personnes homosexuelles qui se décident à croire en la beauté et en la réalité de l’identité homosexuelle ou de l’amour homosexuel vivent une forme de division interne indéfinissable, de captation psychique, d’hypnose, de rêve éveillé digne des meilleurs films de science-fiction (quand l’être humain s’extériorise trop), entre ce qu’elles ressentent et ce qu’elles vivent concrètement.

 

Par exemple, lors du talk-show Ça se discute (diffusé sur la chaîne France 2, le 18 février 2004), une intervenante lesbienne, Corinne, jadis mariée à un homme qui s’appelle Matthieu, décrit sa « première fois » lesbienne. Pendant qu’elle s’exprime, elle mime avec les mains le mouvement de projection violente vers l’avant qui a immédiatement précédé le baiser homosexuel : « Nous nous sommes embrassées, et j’ai su que ma vie avait basculé. J’ai été projetée d’un monde à l’autre. J’ai été poussée et je suis rentrée au travail avec elle, et tout ce que je savais dire sur le trajet – c’est elle qui me l’a dit plus tard parce que moi, j’étais un peu partie ailleurs – c’était ‘putain merde, fait chier, putain merde, fait chier, putain merde, fait chier’ parce que j’ai tout de suite su en 3 secondes que mon mariage était fini et qu’en fait, le ‘putain merde, fait chier’ c’était ‘putain merde, ça y est, ce que tu attendais depuis X années vient enfin d’arriver’. Et 15 jours plus tard, j’annonçais à Matthieu que je le quittais. »

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes semblent nous dire que la beauté de l’acte homosexuel réside prioritairement dans sa non-actualisation ; dès que celui-ci devient concret, il perd de sa splendeur. Il n’a que la magie de l’irréel.

 

Pour ma part, je me souviens de ma première fois homosexuelle. Je l’ai vécue tard. À 29 ans. En 2009. À Paris. Dans un contexte relativement respectueux, sincère, consenti, pas du tout glauque, mais malgré tout précipité et peu libre. Je n’en garde pas un souvenir cauchemardesque, au contraire. C’était juste un moment surréaliste, où j’étais dans un état second. Je n’aimais pas cet homme (un peu plus âgé que moi et qui m’a servi de cobaye, au fond). Quand il m’a serré dans ses bras puis embrassé sur la bouche, je tremblais de tout mon corps (alors que je n’avais pas froid). J’étais tétanisé. Il a bien fallu quinze minutes avant que je me détende. Pourtant, il n’a pas été brusque avec moi et m’offrait des gestes qui me faisaient plaisir, qui étaient censés me rassurer. Cet homme a été, en apparences, très respectueux avec moi (même s’il me traitait comme un bibelot). Mais j’étais transi de peur et de culpabilité parce que je sentais que je vivais la médiocrité que j’avais devinée depuis mes 20 ans (sans que personne ne m’ait dit que « c’était mal »). Parce que je sentais que le fantasme devenait réalité et que malgré tout, il ne me comblait pas. Je voyais déjà que ça n’allait pas. Je tremblais comme une feuille. Je n’étais plus moi-même. Mais sur le coup, j’ai accepté comme logiques cette transformation, mon laisser-faire, un abandon à la sensualité et à la facilité. Je crois que pour ce premier contact avec la sexualité homosexuelle, j’ai été violenté et j’ai violenté. Mais comme mon partenaire et moi étions d’accord pour le faire, nous nous sommes forcés à amortir mentalement le choc. Nous n’avons même pas couché ensemble. Nous nous sommes juste enlacés et embrassés. La violence dont je parle n’est effectivement pas tant dans la brutalité des gestes – car les gestes posés étaient doux, presque chastes, d’une naïveté adolescente – que dans l’absence de liberté, l’égoïsme mutuel, l’éloignement du Réel, le manque de désir et de joie. C’est drôle : alors que je n’étais pas du tout dans l’état d’esprit de trouver ce que j’allais vivre « diabolique » ou au contraire totalement idyllique, alors même que mon premier amant n’avait absolument pas connaissance de ce que j’avais déjà écrit des années auparavant sur le passage à l’acte homosexuel (dans mon livre qui venait d’être publié), tout s’est pourtant passé exactement comme je l’avais écrit, à la virgule près. J’ai en effet vécu, pendant ma première fois homosexuelle, un « truc » surjoué, narcissique, immature, hallucinant (dans le sens de « ravissement » peu choquant), assez banal, désordonné, insensé, sans joie profonde. Tout sauf exceptionnel, en somme. Comme quoi, on n’a pas besoin d’en passer obligatoirement par l’expérience pour voir juste sur l’acte homosexuel et juger de son irréalité/sa violence consentie. Et de cela, je n’en ai jamais douté.

 
 

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Code n°150 – Promotion « canapédé » (sous-codes : Ascension sociale / Dandy / Riches / Bourgeois / Goût de l’argent / Député)

Promo canapédé

Promotion « canapédé »

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

En direct de la rue des Francs-Bourgeois… ou des bourgeois francs

 

Film "Jet Set 2" de Fabien Onteniente

Film « Jet Set 2 » de Fabien Onteniente


 

Sans pour autant être vraie et aimante, la bourgeoisie (dans le sens post-moderne du terme : l’attrait pour le « devenir-objet » et pour le matérialisme) est très sincère et franche. Et le désir homosexuel, étant par définition le désir d’être objet (vous irez voir le code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels pour ceux qui ne le connaissent pas encore) et le désir sincère qui ne parvient pas à être pleinement vrai, est particulièrement bourgeois. Ce que je dis n’est pas nouveau. Déjà, dans la Bible, il est fait mention que Sodome et Gomorrhe étaient des villes bourgeoises. Et si nous regardons autour de nous, il n’est pas difficile de constater que la pratique et la visibilité de l’homosexualité sont prioritairement observables dans les sphères de pouvoir, de luxe et de matérialisme déshumanisant de la gauche caviar. Pas étonnant que certains pays de l’Hémisphère Sud les considèrent aujourd’hui comme des « vices occidentaux » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 162) venant des Blancs riches.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence et n’est pas systématique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le désir homosexuel peut être ressenti par des gens objectivement sans argent ou par des individus au train de vie bobo (bourgeois-bohème). Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel pratiqué, et non du désir homosexuel seulement ressenti. Bien avant d’être un signe extérieur de richesse effective, l’homosexualité cherchant à s’incarner est d’abord un désir de richesse matérielle. Dans les fictions homo-érotiques, force est de constater que le personnage homosexuel joue souvent le dandy bourgeois ou le jeune homme arriviste qui louvoie avec le monde de l’argent et de la Jet Set grâce à son homosexualité… et plus on nie la part de vérité de ce cliché, plus il s’actualise.

 

On le voit dans bien des corps de métiers (mode, sport, médias, théâtre, opéra, hôtellerie, etc.) : l’homosexualité pratiquée est un moyen d’insertion à l’intérieur de certains milieux professionnels et sociaux. Dans le monde du libéralisme économique déshumanisé et conquérant, certaines personnes n’hésitent pas à user de leur prétendue « identité homosexuelle » (… ou de la pratique discrète des actes homosexuels « entre deux réunions », « sous le bureau », ou « dans la salle de la photocopieuse ») pour gravir les échelons de leur entreprise ou de leur milieu professionnel/artistique/politique. Elles semblent prêtes à tout pour arriver à leurs fins. Elles mêlent sans complexe génitalité et travail, vie privée et carrière, business et séduction. Et si on les soupçonne d’arrivisme, de corruption, de semi-prostitution, ou d’élitisme de nouveaux riches (les cercles d’artistes dandys ou d’universitaires homosexuels petits-bourgeois du début du XXe siècle ne sont pas si loin de nous !), elles avancent avec le masque du nouveau spectre de la communauté homosexuelle : l’Homophobie dans le Travail. Mais pourtant, aucune n’ignore la force de corruption de pouvoir qu’exerce le désir homosexuel actualisé.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Patrons de l’audiovisuel », « Prostitution », « Bourgeoise », « Méchant Pauvre », « Bobo », « Homosexuels psychorigides », « Liaisons dangereuses », « Solitude », « Lunettes d’or », « Amour ambigu du pauvre », « Homosexuel homophobe », « Innocence », « Défense du tyran », « Poupées », « Pygmalion », « Homosexualité vérité télévisuelle ? », « Androgynie bouffon/tyran », « Faux révolutionnaires », « Faux intellectuels », à la partie sur l’appât du gain dans le code « Artiste raté », à la partie « matérialiste » du code « Collectionneur » et à la partie « Apocalypse » du code « Entre-deux-guerres » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Dans les fictions homo-érotiques, énormément de héros homosexuels expriment leur haine des bourgeois et des riches : « Je hais les mini et les super-puissants !!! Je les vomis. » (Belle Espérance en parlant des « gens de la Haute » dans la pièce Les Oiseaux (2010) d’Alfredo Arias) ; « Sales bourgeois ! » (Daphnée, la bourgeoise par excellence, dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi) ; etc. Par exemple, dans le film « La Cérémonie » (1995) de Claude Chabrol, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert détruisent une famille de bourgeois. Dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, l’Étranger sème le trouble en couchant avec tous les membres d’une famille aisée. Dans le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant, Scott, le héros homosexuel, le fils du maire, rentre en conflit avec son milieu social d’origine pour vivre dans des squats. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, les bourgeois sont moqués.

 

Mais la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

Le héros homosexuel devient bourgeois d’abord parce qu’il désire se faire objet, qu’il nie son humanité et qu’il rejoint donc la violence et les mondes déshumanisés. « Bande de faux-culs, vous les bourgeois ! Vous êtes les premiers à défiler dans les manifs ‘Les pédés au bûcher !’, mais on vous voit dans les bois ! » (Herbert, homosexuel, dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand) ; « Depuis longtemps, Jason n’était plus capable d’apprécier le spectacle de la nature pour lui-même. En bon dandy féru de décadence, et ayant entretenu son raffinement avec le soin maniaque que l’on prend à s’occuper d’un bonzaï, il était saturé de culture. Un flot de références picturales ou littéraires venait faire écran à toute impression spontanée, et spécifier la teneur même de son émotion. C’est ainsi que la mer, à l’horizon, lui parut avoir revêtu son plus beau bleu Klein. […] La transparence de l’air lui rappela quelque ciel italien de Corot. Quant aux hortensias qui exhibaient avec une joyeuse fierté leurs gros pompons roses, bleus et mauves, ils semblaient sortis du costume d’Arlequin d’une fête galante de Nicolas Lancret. » (Jason, le héros homosexuel du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 31) Par exemple, dans le film « Gigola » (2010) de Laure Charpentier, l’héroïne lesbienne incarne parfaitement la figure de la garçonne envahie par les objets : elle est vêtue d’un smoking, porte un œillet rouge à la boutonnière, brandit une canne à pommeau d’argent incrusté d’une tête de cobra.

 

Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître. Il consiste à dire : « Je ne désire pas profondément une personne ou un objet, mais je le prétends parce que je sens que c’est désiré par ‘les autres’ (… et surtout par ceux du sexe complémentaire !) ». C’est l’élan mimétique largement décortiqué par René Girard : « Oui, elle était bandante, c’est le mot. Les mâles de la salle de jeu et moi, nous le savions bien. Et tout à coup j’ai eu envie de les battre sur leur propre terrain. Apparemment tout le monde avait envie de cette belle brune. Pourquoi pas moi ? » (Suzanne, l’héroïne lesbienne bourgeoise du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 237)

 

Certains héros homos créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : cf. le bourgeois le châtelain libertin organisant des parties SM dans son manoir dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont, la bourgeoisie incorrecte dans la nouvelle « L’Apocalypse des gérontes » (2010) d’Essobal Lenoir, etc. « Vous êtes un mondain pour vos amis, un snob pour vos détracteurs. Je ne tranche pas. Après tout, je suis comme vous. » (Vincent, le jeune héros homosexuel s’adressant à la figure de Marcel Proust, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 26) Par exemple, dans la nouvelle « De l’usage intempestif du condom dans la pornographie » (2010) d’Essobal Lenoir, le narrateur homosexuel voue une passion sans limite pour le « trash bourgeois » et « l’érotisme de salon » (p. 97). Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le jeune héros homosexuel, joue le dandy à part de ses camarades de lycée : il s’habille avec chapeau haut de forme et canne de « Lord anglais », avec un œil caché de pirate.

 

L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp des héros homosexuels n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces derniers restent enchaînés au paraître : « Quelques pédés paradent et ça sent le pédant. » (l’un des héros de la pièce Intérieur ou la Traversée spectaculaire d’un foutoir devenu trentenaire (2011) de Jérôme Thibault) La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images et aux objets.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Film "Victor Victoria" de Blake Edwards

Film « Victor Victoria » de Blake Edwards


 

Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde du paraître, il y a une idolâtrie. En effet, beaucoup de personnages homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse ») : cf. le film « Gone With The Wind » (« Autant en emporte le vent », 1939) de Victor Flemming, le roman Le Dernier des Médicis (1994) de Dominique Fernandez, le film « Déclin de l’Empire américain » (1986) de Denys Arcand, le roman Feu le monde bourgeois (1966) de Nadine Gordimer, le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, etc. Par exemple, dans le roman El Ángel De Sodoma (1928) d’Hernández Catá, José María est le dernier maillon d’une famille aristocrate en décadence. Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, les amantes Thérèse et Carol sont l’archétype des deux grandes bourgeoises qui aiment vivre dans le luxe et le désuet. Je vous renvoie au code « Entre-deux-guerres » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

D’ailleurs, le héros homosexuel des fictions est souvent issu d’une famille bourgeoise : par exemple Lars dans le film « Brotherhood » (2010) de Nicolo Donato, Julien dans le film « Mon fils à moi » (2006) de Martial Fougeron, François dans le film « Potiche » (2010) de François Ozon, Tala et Leyla dans le roman I Can’t Think Straight (2011) de Shamim Sarif (les deux amantes sont toutes deux héritières de très bonne famille), Tadzio dans le film « Morte A Venezia » (« Mort à Venise », 1971) de Luchino Visconti, Sébastien dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewics, Kyril le dandy avec son monocle dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Ignacio dans le film « Le Bal des 41 » (« El Baile de los 41 », 2020) de David Pablos, etc. Dans la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim, Henriette, le héros travesti M to F, se définit lui-même comme un « fils-à-papa ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne, l’héroïne lesbienne, se fait traiter de « bourgeoise des Chartrons ». Dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, Hervé appartient à la « petite noblesse bretonne » (p. 62). Dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les deux « pères » de Gatal, le héros homosexuel, ont tenu à ce que leur fils suive sa scolarité dans les « écoles les plus chères et les plus cotées ».

 
 

Lou – « Je ne suis pas assassine, je suis une fille riche !

Mimi – Riche, dit-elle, archi-riche ! C’est Mademoiselle d’Onassis ! »

(Lou et Mimi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 
 

L’homosexuel, dans bien des cas, est présenté comme le fils de la bourgeoisie. « L’idéal d’la féminité, c’est d’être née avec du blé ! C’est comm’ ça qu’elle’ pond’ des pédés. […] Ell’ font d’eux des efféminés. » (Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, parlant à Suzanne, la compagne de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc. Ainsi que le montre le début du film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, la bourgeoisie serait congénitale et engendrerait l’homosexualité. Par exemple, dans le roman Le Bal des folles (1977), Copi-narrateur se définit lui-même comme un « fils de bourgeois » (p. 143), et décrit ses camarades homosexuels comme des bourges : « Elles sont toutes des bourgeoises tarées. » (p. 130) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, les homos sont définis comme des « bourgeois arriérés ». Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Matthieu-Alexandre, le fils aîné de la bourgeoise Marie-Muriel, est homo : il fait partie d’un club très fermé d’art, et sa mère anti-mariage-pour-tous ne se rend même pas compte de sa tendance, même si elle l’avoue à son insu : « Il est tellement sensible… » Dans le film « Toute première fois » (2015) de Noémie Saglio et Maxime Govare, Jérémie est le prototype du gosse de bobo qui va se marier avec un autre homme de sa classe et de sa situation, Antoine : « Il est successful, il est riche. » Il trouve même qu’il a finalement une vie « trop cadrée ». Dans le film « The Talented Mister Ripley » (« Le Talentueux M. Ripley », 1999) d’Anthony Minghella, Freddie, l’hétéro de base, sous-entend qu’il a compris l’homosexualité cachée de Tom, le héros homosexuel, quand il tourne en dérision l’intérieur riche de son appartement : « C’est tellement… bourgeois… ». Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, Audrey, la journaliste noire, qualifie au départ les préoccupations homosexuelles de Rupert par rapport à John de « petits problèmes de riches ».

 

Film "Maurice" de James Ivory

Film « Maurice » de James Ivory


 

« Je me demande pourquoi il y a toujours autant de pédales chez les bourgeois. Ça doit être l’absence d’effort physique. À force de rien foutre assis sur des fauteuils, leurs gènes deviennent mous et dégénérés. » (le boucher joué par Philippe Nahon dans le film « Seul contre tous » (1998) de Gaspard Noé) ; « Toi, t’es aristocratique. » (Vanessa s’adressant à son mari homosexuel Laurent, dans le one-man-show Gérard comme le prénom (2011) de Laurent Gérard) ; « Allez vivre dans le tiers monde ! Riche comme vous êtes, vous devriez régner sur une cour d’éphèbes qui vous éventent les mouches à l’aide de feuilles de bananier. » (Cyrille, le héros homosexuel, parlant à Hubert dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « C’est la classe, les gays ont tout. […] Et j’suis fier, et j’suis snob. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Vous êtes une petite bourgeoise. » (le père de Claire, s’adressan à Suzanne, la copine de celle-ci, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener), etc.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « Tout comme aujourd’hui, jadis, on retrouvait plus de compassion pour la communauté homosexuelle dans les milieux aisés de notre population. La classe moyenne avait de tout temps marqué du mépris et du dégoût envers ces ‘gens-là’ comme ils disaient. » (Ednar à propos de la Martinique, dans le roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 27) Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Souvent, dans les films homo-érotiques, c’est ambiance bourgeoise et salon de thé : cf. la chanson « À table » de Jann Halexander, les vidéo-clips des chansons « Maman a tort », « Libertine » et « Plus grandir » de Mylène Farmer, le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina (avec la relation sensuelle entre les petites filles modèles et leurs gouvernantes), le film « Une dernière nuit au Mans » (2010) de Jeff Bonnenfant et Jann Halexander, le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le roman Los Alegres Muchachos De Atzavará (1987) de Manuel Vázquez Montalbán, le film « Parfum d’absinthe » (2005) d’Achim von Borries, le film « The Queen » (2006) de Stephen Frears, le film « Rocco et ses frères » (1960) de Luchino Visconti, le film « Du sang pour Dracula » (1972) de Paul Morrissey, le film « Laberinto De Pasiones » (« Le Labyrinthe des passions », 1982) de Pedro Almodóvar, le film « Amours particulières » (1969) de Gérard Trembaciewicz, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec les parties mondaines du couple lesbien Catherine S. Burroughs/Muriel Gold), le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester, le film « Il Disco Volante » (1964) de Tinto Brass, le film « Fraude Matrimoniale » (1977) d’Ignacio F. Iquino, le film « Le Feu Follet » (1963) de Louis Malle, le film « Dandy Dust » (1998) d’Hans A. Scheirl, le film « Concussion » (2013) de Stacie Passon (avec Abby, la lesbienne fortunée), le film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, le film « The Stepford Wives » (« Et l’homme créa la femme », 2014) de Frank Oz (avec le couple de bourgeois homosexuels fraîchement installé dans la bourgade bourgeoise de Stepford ; l’un d’eux est politicien de droite), la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin (avec le précieux dandy criminel, Lacenaire), etc.

 

Fictionnellement, les politiciens, magistrats, députés ou businessmen fortunés sont souvent homosexuels : cf. le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « L’Attaque de la Moussaka géante » (1999) de P. H. Koutras, le film « El Diputado » (1978) d’Eloy de la Iglesia, la trilogie « Dead Or Live » (1999-2002) de Takashi Miike (avec le maire homo), le film « Le Corps de mon ennemi » (1976) d’Henri Verneuil (avec le maire homo), le film « Tempête à Washington » (1962) d’Otto Preminger (avec le sénateur Brig Andersen), le film « Que le meilleur l’emporte » (1964) de Franklin J. Schaffner (avec le gouverneur Cantwell), le film « The Barber, l’homme qui n’était pas là » (2001) de Joel Coen (avec le chef d’entreprise gay), le film « Jack le Magnifique » (1979) de Peter Bogdanovich (avec le sénateur homo), le film « Hécate, maîtresse de la nuit » (1982) de Daniel Schmid (avec le diplomate joué par Bernard Giraudeau), le film « Brylcream Boulevard » (1995) de Robbe de Hert (avec le politicien homo), le film « Charmant Garçon » (1999) de Patrick Chesnais (avec le Ministre de la culture), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill (avec le vieux ministre), la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier (avec Georges, le notaire marié et secrètement homosexuel), le dessin animé « Les Douze Travaux d’Astérix » (1976) de René Goscinny et Albert Uderzo (avec le directeur efféminé de la Maison qui rend fou), etc. « Il est pédéraste ? Alors on en fera un bon sénateur ! » (les deux sénateurs dans le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky) ; « George Washington était une lesbienne noire. » (le professeur d’histoire souhaitant une grande liberté de ton dans ses cours, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Les hommes politiques, c’est un peu comme les homosexuels. Ça te fait gober tout et n’importe quoi. Et plus c’est gros, plus ça passe. » (Samuel Laroque parlant de ses pairs homos, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « À la mairie de Paris, y’a vraiment beaucoup de pédés ! » (Laurent Violet dans son one-man-show Faites-vous Violet, 2012) ; « J’oublie toujours que ce Ministère des Finances est comme une ruche. » (Mathilde, jalouse que son meilleur ami homo Guillaume ait fait une rencontre amoureuse au travail, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Ils [les hommes politiques] en sont tous. » (un des quatre héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Les pédés obtiennent toujours tout les premiers. » (Senel Paz, Fresa Y Chocolate (1991), p. 10) ; « Les folles sont partout… même au gouvernement ! » (le pasteur Ralph, homosexuel refoulé, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc. Par exemple, dans le film « Good Boys » (2006) de Yair Hochner, le Ministre de la Sécurité Intérieure, Benyamin Landau, est homosexuel. Dans le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg, David Bowie est PDG. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand présente satiriquement le Prince Charles comme un homo, et laisse entendre que vu sa vie débridée et ses déboires avec les femmes, le coming out du président François Hollande serait « imminent ». À la fin, il dépeint les différentes catégories d’homos qu’il a identifiées dans la communauté LGBT, dont « les bien introduits dans les meilleures sociétés, les politisés ». Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Jurgen est l’amant du patron de la boîte de Petra, elle-même homosexuelle.

 

D’ailleurs, le lien entre homosexualité et Franc-Maçonnerie est opéré inconsciemment même dans les films gays friendly tels que « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion, où l’expression « être du bâtiment » équivaut à dire « être homosexuel ».
 

On retrouve beaucoup dans les fictions homo-érotiques la figure du bourgeois homo : Bernard le bobo homo sophistiqué dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Georges l’homosexuel bourgeois dans la pièce La Cage aux folles (1973) de Jean Poiret, Jean Desailly en un grand bourgeois inverti dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, Gabriel de la Serna dans la B.D. Muchacho (2006) d’Emmanuel Lepage,Jean-Paul le pédé bourgeois avec son petit chien de compagnie surnommé « Cocteau » dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier), le Baron Lovejoy dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le narrateur homosexuel du roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le dandy de la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, Pietrino le dandy efféminé dans le film « Toto Cue Visse Due Volte » (« Toto qui vécut deux fois », 1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto, les dandys oisifs du film « Godelureaux » (1960) de Claude Chabrol, Mathias dans le film « Claude et Greta » (1969) de Max Pécas, les deux artistes Sulki et Sulku dans le film « Musée haut, Musée bas » (2011) de Jean-Michel Ribes, David et Philibert les dandys capricieux dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, Stephen l’héroïne lesbienne dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, le baron Charlus et Swann dans le roman À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust, la dandy lesbien dans le film « Love Is The Devil » de John Maybury, Jacques-Henri dans les films « Les Visiteurs » (1992) et « Les Visiteurs II, les Couloirs du Temps » (1998) de Jean-Marie Poiré, le dandy homosexuel du film « Quartet » (1948) d’Harold French, Harold pédé dandy qui case des mots de français quand il parle anglais dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Jules le poète maudit snob dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Philippe le « dandy macho » homo dans la pièce Mon frère en héritage (2013) de Didier Dahan et Alice Luce, etc.

 

Dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels fictionnels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages : « Nous menons une vie bourgeoise. » (Pretorius en parlant de lui et de son amant Dracula, dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Zach et Nate se rencontrent dans un cocktail mondain et se draguent. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, fréquente les salons anglais smart de thé, où il drague les bons pères de famille bourgeois : Samuel (Omar Sy), son ami hétéro, lui reproche de s’acheter des « lustres à 6 milliards » d’euros.

 

L’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : cf. la chanson « la bourgeoisie des sensations » de Calogéro (traitant précisément des méandres de la bisexualité), le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, le roman Le Portrait de Dorian Gray (1891) d’Oscar Wilde (avec le dandy refusant de vieillir), le roman Le Goût de Monsieur (2004) de Didier Godard, etc. « J’ai des acouphènes en avion. » (Jean-Paul, le pédé bourgeois du film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier) ; « J’ai rencontré cet homme [Éric] qui me subjugua par son esprit vif et ses manières d’aristocrate. » (Albert Russo, L’Amant de mon père (2000), p. 25) ; « Je suis un misanthrope élitiste assumé. » (Karl Lagarfeld cité dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; etc. Par exemple, dans la chanson « Les gens de couleur n’ont rien d’extraordinaire… » de Jann Halexander, le narrateur célèbre le snobisme comme un raffinement, un « art de vivre » noble, une originalité exceptionnelle (homosexuelle, même !), « l’élégance du luxe de la Différence » : « Mais j’avais un problème : quoi porter ? On ne s’habillait pas n’importe comment pour aller à l’opéra. […] Je n’allais tout de même pas me présenter devant le Tout-Montréal déguisé en cousin pauvre ! Même si je n’étais que le cousin pauvre du cousin pauvre ! […] J’aimais mieux faire artiste que péquenaud. » (le narrateur homosexuel dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 39)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Les héros homosexuels affichent à maintes reprises leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste (ou bobo anti-matérialiste) et les Jet Set : cf. le tableau Dollar Sign (1981) d’Andy Warhol, le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin, la pièce Coming out (2007) de Patrick Hernandez, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, le film « Like It Is » (1998) de Paul Oremland, le film « Le Cercle des poètes disparus » (1989) de Peter Weir, le roman Les Julottes (2001) de Françoise Dorin, le film « Gigolo » (2004) de Bastien Schweitzer, le film « J’en suis » (1997) de Claude Fournier, les films « Jet Set » (1999) et « People » (2004) de Fabien Onteniente, le film « Années volées » (1998) de Fernando Colomo, le film « Bezness » (1992) de Nouri Bouzid, le film « Los Placeres Ocultos » (1977) d’Eloy de la Iglesia, le roman Las Locas De Postín (1919) d’Álvaro Retana, le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, le film « Noblesse oblige » (1949) de Robert Hamer, le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano, le film « Costa Azzura » (1959) de Vittorio Sala, le film « Cent francs l’amour » (1985) de Jacques Richard, le film « Primary Colors » (1998) de Mike Nichols, le film « Les Rênes du pouvoir » (1999) de George Hickenlooper, le film « The Ritz » (1976) de Richard Lester, le film « L’Amour » (1972) de Paul Morrissey, la pièce Qui aime bien trahit bien ! (2008) de Vincent Delboy, le film « Funeral Parade Of Roses » (1969) de Toshio Matsumoto, le film « Pretty Persuasion » (2005) de Marcos Siega, le film « High Art » (1998) de Lisa Cholodenko, le film « Riches et célèbres » (1981) de George Cukor, le film « Ho Visto Le Stelle ! » (2003) de Vincenzo Salemme, le film « Per Finto O Per Amore » (2002) de Marco Mattolini, le film « A.K.A. » (2001) de Duncan Roy (fonctionnant comme un roman d’apprentissage), le film « Gamin de Paris » (1992) de Jean-Daniel Cadinot, le film « Love, Valour And Compassion » (1997) de Joe Mantello, la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay, le roman L’Ami de passage (2014) de Christopher Isherwood (avec une bande d’homosexuels qui gravitent autour d’Ambrose, un Anglais riche et dépravé), la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis (avec le cercle de petits bourges puceaux, homophobes… et homosexuels), la chanson « Je cherche un millionnaire » de Coccinelle, etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, accède au milieu branchouille des artistes. « Goudron organisait tant de salons et de soirées fréquentées par des centaines de personnes ridicules de toutes sortes. Il les collectionnait, vous savez. » (le pervers Comte Smokrev s’adressant à Pawel Tarnowski, au sujet de son mécène homosexuel Goudron, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 308)

 

Film "Gigola" de Laure Charpentier

Film « Gigola » de Laure Charpentier


 

« J’ai des relations mondaines. J’ai des relations. J’connais la baronne du Maine. Son fils Absalon. » (cf. la chanson « Les Relations mondaines » de Charles Trénet) ; « Moi ce que je vise, c’est le fric. » (Tedd, l’un des héros homosexuel du film « Cruising », « La Chasse » (1980) de William Friedkin) ; « C’est ma dernière mission là-bas, avait alors promis Ginette. Je ne pars que pour six mois. Je ferai une tonne d’argent, et l’on va l’avoir, notre maison de campagne. » (Ginette s’adressant à son amante Lucie, dans son roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 30) ; « J’adore la vélocité de l’argent. » (une phrase du poème Howl (1956) d’Allen Ginsberg) ; « Que c’est beau, le fric. » (la bourgeoise imitée par Rodolphe Sand, dans le one-man-show Tout en finesse , 2014) ; « Comme j’suis vénale… J’adore le fric ! » (Blanche-Neige dans le one-(wo)man-show Le Jardin des Dindes (2008) de Jean-Philippe Set) ; « Vous êtes la Reine des Affaires ! » (François Dourdan s’adressant à Marina, le travesti M to F, dans la pièce Détention provisoire (2011) de Jean-Michel Arthaud) ; « J’ai toujours voulu être capitaliste. […] J’ai un capital : c’est mon corps. Je suis une capitaliste interne. […] J’ai décidé de capitaliser mon corps de l’intérieur. » (Nathalie Rhéa se justifiant d’avoir pris du poids, dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « La nuit, je restais éveillée dans mon lit, oubliant un moment la dure réalité de mes seize ans et de ma condition de faible femme dénuée de fortune, pour imaginer que j’étais l’homme des films. Je voulais la richesse, le pouvoir, la célébrité […]. » (Anamika, l’héroïne lesbienne du roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 24) ; « Le fric… j’ai grand besoin de fric. » (le Baron Lovejoy, homosexuel, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « J’ai toujours rêvé d’habiter dans un 4 étoiles. » (Dany, le jeune héros homosexuel du film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras) ; « Avec toutes ces conneries, on a perdu beaucoup d’argent. On est passé à l’émission ‘Money Drop’ de Florence Boccolini, spéciale couples gays. » (Benjamin parlant de lui et de son amant Arnaud, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Par exemple, tous les personnages du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green (Fabien, Emmanuel Fruges, etc.) émettent le souhait de vivre dans le luxe ; notamment, Fabien regrette « de ne pas être riche » (p. 42) : « Il se mit à courir à la recherche de la première personne qui lui parût heureuse, mais surtout riche. » (idem, p. 82) Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Stéphane veut devenir « aussi riche que Madonna ». Dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, le narrateur homosexuel ne cache pas ses appétits carriéristes. Dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral, Paola joue la proximité avec les célébrités. Dans la pièce Angels In America (2008) de Tony Kushner, Roy Cohn est de mèche avec la « First Lady » des États-Unis. Dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, Willie est obsédé par l’envie d’être célèbre.

 

Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif est donnée aux héros homosexuels de classe aisée comme aux héros sans le sou. « Il faut que je t’avoue quelque chose : je ne suis pas riche. Je suis une mythomane. En fait, j’habite dans une chambre de bonne, rue Monsieur-le-Prince. » (Micheline, le travesti M to F, s’adressant à Ahmed dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi)

 

On observe que le personnage homosexuel évolue souvent dans un univers capitaliste très mécanisé et déshumanisé : cf. le vidéo-clip de la chanson « Cargo de nuit » d’Axel Bauer, le roman La Comédie humaine (1825) d’Honoré de Balzac (avec le personnage de Vautrin), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier, le film « Je t’aime toi » (2004) d’Olga Stolpovskay et Dmitry Troitsky, la pièce La Machine infernale (1934) de Jean Cocteau, la chanson « Chain Reaction » de Diana Ross, la chanson « Spinning The Wheel » de George Michael, la chanson « Material Girl » de Madonna, la chanson « Telephone » de Lady Gaga, etc. Je vous renvoie également la partie « Automates » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution homosexuelle) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les œuvres homo-érotiques, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. « Khalid, j’admirais tout en lui. J’aimais tout en lui. […] Les lumières autour de lui. Sa richesse. Khalid était riche. Tout en lui me le rappelait. Me le démontrait. […] Khalid était riche et il était beau. Khalid était riche et il était beau. » (Omar, le héros homosexuel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 81) Je vous renvoie à la partie « Amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants fictionnels se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Tu aimes les bijoux, hein ? Prends ça aussi. Et le collier. Tiens, tiens, ne me remercie pas. […] Tu aimes l’argent, hein ? » (Evita s’adressant à l’infirmière, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Ici, on dit ‘partners’ pour deux hommes qui vivent ensemble, comme s’ils fondaient une affaire commerciale, comme s’ils construisaient une nouvelle société. Gordon et Sean ne sont peut-être que cela. » (Claudio, l’un des héros homosexuels parlant d’un couple d’amis homos à lui, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 100) ; « En plus, mon keum est architecte. Il est pété de thune. C’est pas mal pour une vieille pédale comme moi ! » (Serge parlant de son compagnon Victor au jeune Basile, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; etc.

 

Le héros homosexuel fait passer sa quête bourgeoise de paraître pour un élan combatif, une curiosité, une ouverture vers l’inconnu. On retrouve parfois dans les fictions homo-érotiques la magie des récits des romans d’apprentissage. Par exemple, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F ne cache pas ses prétentions de gloire et de pognon : « Je viens à Paris pour être une star. » Il/Elle se caricature en Miss France vulgaire, courtisé(e) par un producteur, Monsieur Benamou, qui s’intéresse mystérieusement à lui/elle et veut en faire son égérie pour son agence de sosies : « Si ça se trouve, on va gagner des ronds… » accepte Zize après rapide réflexion. Il/Elle est pris(e) pour une prostituée par un passant dès son arrivée à la Gare de Lyon de Paris.

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent. L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment entre Frédéric et son bras droit Nicolas dans le film « Une Affaire de goût » (1999) de Bernard Rapp, entre Cédric le botaniste et son jeune étudiant stagiaire Laurent dans le téléfilm « Juste une question d’amour » (2000) de Christian Faure, entre Gérard Lanvin et son mystérieux supérieur Michel Piccoli chargé de réorganiser l’entreprise dans le film « Une étrange affaire » (1981) de Pierre Granier-Deferre, entre le professeur Daniel Auteuil et l’escort boy Stuart Townsend dans le film « Mauvaise Passe » (1998) de Michel Blanc, entre l’adjuvant Denis Lavant et le jeune légionnaire Grégoire Colin dans le film « Beau travail » (2000) de Claire Denis, entre l’avocat Fabrice Luchini et Roschdy Zem son garde du corps dans le film « La Fille de Monaco » (2008) d’Anne Fontaine, entre le Duc de Richelieu et son jeune et beau Louis-Marie de Montédour-Trémainville dans le roman Le Crépuscule des bourbons (2012) de Philippe Gimet, etc. Par exemple, dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie et Léonore couchent ensemble pour réussir dans le milieu artistique. Dans la comédie musicale Le Rouge et le Noir (2016) d’Alexandre Bonstein, Géronimo parle d’« introduire » son patron, le Marquis de la Mole. Dans le film « Ander » (2009) de Roberto Castón, José toujours appelle son futur amant Ander « patron ». Dans la pièce Cosmopolitain (2009) de Philippe Nicolitch, Jean-Luc, chef de chantier, est en couple avec son ouvrier arabe Rachid. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny se laisse entretenir par Shane, et son ambition est de « devenir riche ». Dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand, Pierre est un ministre homosexuel, et Nicolas (qui devient l’amant) monte en grade dans son cabinet. Dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Sigrid profite de son amante Helena, plus âgée qu’elle, pour devenir son assistante et monter en grade dans son entreprise. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel de 14 ans, dans la chanson. Mais pour cela, Davide passe d’abord à la casserole. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra favorise l’ascension de Karin (son amante) dans le monde du mannequina. Dans le film « La Partida » (« Le Dernier Match », 2013) d’Antonio Hens, Reinier rencontre Juan, un quadragénaire espagnol et voit en lui son passeport pour quitter Cuba et la misère. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Vincent, agent artistique, est l’amant de Stéphane (qui a toujours rêvé d’être une star). Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Claudio essaie de s’attirer les faveurs économiques de Gordon. Dans le roman Les Dix Gros Blancs (2005) d’Emmanuel Pierrat, Juan le jardinier homo désire « faire grimper son derrière en même temps que sa carrière » (p. 147). Dans le roman Les Nettoyeurs (2006) de Vincent Petitet, les consultants sont traités de « bande de pédés ! » (p. 194). Dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim, le verbe « pistonner » utilisé par Gérard remplace le verbe « sodomiser ». Dans le film « Le Placard » (2001) de Francis Veber, François Pignon découvre qu’en faisant au faux coming out, non seulement il ne sera pas viré de son entreprise comme initialement prévu mais il montera en grade. Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, sort avec des amants plus âgés et riches que lui, qui l’entretiennent. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François, homosexuel, est vendeur dans un magasin de vêtements féminins et fait passer son compagnon Thomas pour un livreur : « C’est bon pour le commerce. » lui dit-il pour justifier son mensonge homophobe. Dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, le couple homo est composé de Barthélémy, un Blond dont les dents rayent le parquet, fils de bonne famille potentiellement à la tête d’un Empire industriel important, et de Brahim, un Maghrébin, fin stratège et bras droit d’Élizabeth (la tante de Barthélémy, un vrai requin, à la tête de l’entreprise familiale). Ces deux ambitieux sortent ensemble pour réunir leurs appétits carriéristes. Dans le film « Demain tout commence » (2016) d’Hugo Gélin, Bernie, le producteur homosexuel, drague ouvertement Samuel (joué par Omar Sy) et l’aide à trouver un travail de cascadeur. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse d’intérêt. Julien exploite sexuellement et professionnellement Yoann en tant qu’assistant et « plan cul » ponctuel. Et ce dernier semble disposé à se laisser corrompre, à jouer « la bonne » : « Je suis un petit peu son PM : Personal Manager. » ; « J’adore mon job. » ; « T’es chouette comme patron. » ; etc. Yoann est de plus en plus gourmand. Julien le comprend : « Je t’augmente. » « De combien ? » lui demande Yoann. Dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair, le narrateur homosexuel se moque du cliché selon lequel « Le gay aurait toujours un travail de rêve ». Au contraire, il fait du conseil téléphonique pour les banques, et se plie à une séduction hypocrite très commercial. En revanche, en génitalité, il reproduit le même business : quand il tente d’expliquer à son éditeur hétéro la notion d’« actif » et « passif », ce dernier lui rétorque : « C’est quoi l’actif ? C’est quoi le passif ? Moi, à part dans un bilan comptable, je sais pas ce que c’est. » Je vous renvoie aux codes « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Homosexuels psychorigides » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

L’homosexualité est présentée comme une force de conviction professionnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut. « C’est dingue ! Ma boss est lesbienne ! » (Florence, l’héroïne lesbienne, parlant de son nouveau job aux États-Unis, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « La passion financière resurgissait continuellement de ses propos. Sur un ton de plaisanterie, Julien évoquait le projet d’user de ses charmes pour séduire un célèbre milliardaire homo. […] L’argent, toujours l’argent ! »  (Benoît Duteurtre décrivant un jeune homosexuel arriviste, dans le roman Gaieté parisienne (1996), pp. 72-97) ; « Par l’intermédiaire de l’un d’eux, j’ai fait connaissance avec le milieu homosexuel local. À la Marsa, il y avait un couple célèbre. Donald, un Libano-Américain richissime d’au moins soixante-dix ans, et Sami, un Tunisien trente ans plus jeune que lui. Ils organisaient des fêtes privées, plus ou moins clandestines. […] Dans ces soirées, il y avait beaucoup de touristes. Des résidents étrangers, des huiles des milieux culturels et diplomatiques. Des intouchables, en bref. Beaucoup de fric, et même de l’alcool. » (Mourad, l’un des héros homosexuels dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 343) ; « Je suis le genre de garçon qui est monté à Paris depuis la Meurthe-et-Moselle, et qui était prêt à gravir les échelons de l’échelle sociale. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Choses secrètes » (2002) de Jean-Claude Brisseau, Nathalie et Sandrine décident d’utiliser le sexe comme arme de progression sociale et se font embaucher dans une entreprise : « Les femmes fatales sont en général narcissiques ou lesbiennes, frigides avec les hommes. Elles ne jouissent que si elles en ont envie, donc pas souvent, c’est ce qui fait leur force. » (Nathalie) Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas dit qu’« il ne faut pas mélanger sexe et travail », mais immédiatement après se justifie de draguer lourdement le beau et jeune serveur autrichien qui s’occupe de sa table au chalet de montagne ; son pote gay Gabriel semble être dans la même démarche : « Ma vie est un entretien d’embauche ! » Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le mariage homo et l’amour homo sont considérés comme un moyen de toucher le pactole de l’héritage. Selon Dodo, il s’agit de « faire semblant d’être gay pour réussir ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel imite André un homme qui le drague dans un hammam en lui proposant tout son carnet d’adresses du milieu artistique : « Je suis très introduit dans le milieu du théâtre. » Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Joël se fait passer pour un trader, un magnat de la finance, et attire ainsi dans ses filets un bel athlète croate dans une discothèque. Ce dernier est prêt à faire affaire avec lui : « On est pareils. On mise sur le pétrole, sur le gaz. Je veux te sucer. » Au moment du coït et de se faire sucer par lui à l’hôtel, Joël l’insulte en plein orgasme de « sale capitaliste ! ».

 

Très souvent dans les fictions, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « En serez-vous ? Si vous en êtes, faut reconnaître qu’à notre époque, ça mène à tout. Pour réussir, il faut en être. Un p’tit effort, Zou ! En serez-vous ? » (cf. la chanson « En serez-vous ? » des duettistes Gilles et Julien, en 1932) ; « Vous voulez vraiment que je vous dise ? J’veux coucher avec vous. […] On a quand même le droit d’avoir envie de son patron ! » (Armand à son patron Paul, qu’il va finir par sucer, dans le film « Le Roi de l’évasion » (2009) d’Alain Guiraudie) ; « Je suis quand même plus amoureuse avec ta carte de crédit. » (cf. la chanson « Fais-moi un chèque » de Jena Kanelle) ; « Vous avez déjà pensé à être mannequin ? C’est possible avec les bonnes connexions, vous savez… » (Monsieur Chateigner, client d’un hôtel de luxe, cherchant à draguer le jeune et joli garçon d’hôtel Anthony, dans le film « Consentement » (2011) de Cyril Legann) ; « Le job, c’est de l’argent, et l’argent, c’est que pour le sexe ! Time is money, money is sex. » (la Comtesse Conule de la Tronchade dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. » (Adrien, le héros homosexuel du roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 51) ; « Duccio connaît le directeur de casting. Mais malgré ça, il n’a pas été pris. » (Bernard en parlant d’un de ses potes homos faisant du porno, dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Il s’appelle R., il a dix-neuf ans tout juste et la naïveté de croire que le monde du spectacle l’attend. […] Je mens, je dis que j’ai déjà mis en scène une pièce. Il est intéressé. Je dis ‘t’es prêt à tout pour jouer dans ma prochaine pièce ?[…] Dans le fond, je m’en fous de parler, tout ce que je veux c’est le baiser. » (Mike le narrateur homosexuel du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 67) ; « J’essaye de dénicher la petite bonne qu’il me faut, et il s’en présente beaucoup de nouvelles. » (Alexandra, la narratrice lesbienne couchant avec toutes ses domestiques, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 13) ; etc. Par exemple, dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, met sur le même plan sa relation de subordination au commandant de bord de l’avion qu’il occupe avec la fellation : « Ben c’est le commandant… » dit-il avec un geste obscène.

 

L’homosexualité se présente comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale : « Dès que j’ai su qui j’étais, j’ai su que j’allais monter l’échelle sociale. J’ai vu passer les ascenseurs. […] Grimper ! Grimper ! […] Monter en grade. » (l’un des héros homosexuels de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Si on est gay, on attire les médias, et donc les producteurs. » (Dzav et Bonnard dans leur pièce Quand je serai grand, je serai intermittent, 2010)

 

Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, le monde où la différence des sexes a été totalement rejetée se trouve être un espace totalement mécanisé, où les personnages homos sont des robots qui se clonent entre eux et ne vivent que pour leur travail, leur image, leur production : Gatal, le héros homosexuel, par exemple, travaille en tant que chef de produits, dans une boîte qui s’appelle Craker Booster… et qui lui demande sans cesse des résultats, une charge de travail inhumaine. Il va être contraint de s’accoupler avec son directeur. Négoce est le personnage homosexuel entremetteur, un mafieux crapuleux, un chasseur de têtes engagé par des « couples de pères homos » pour arranger des mariages homos entre des jeunes hommes célibataires : « Merci. Vous savez mon fond de commerce… » Dans cette pièce, le sperme et la procréation sont véritablement des monnaies d’échange : « Ta semence est épaisse et riche. » (le Père 2) Et la formation des couples homos obéit à une logique principalement stratégique, productiviste, mécaniste et capitaliste.
 

Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, le jeune Vincent (au chômage) est sorti avec Stéphane, l’écrivain célèbre et de vingt ans son aîné, pour la gloire, l’image, le luxe et l’ascension sociale : « Je me suis dit qu’avec toi j’allais progresser. » Quand Stéphane lui demande : « Tu m’aurais aimé si j’avais été pauvre, inconnu ? », Vincent lui avoue que « non », mais il s’en sort en lui prétextant qu’il aurait refusé de l’aimer autrement que ce qu’il était : riche et connu. Mais l’exploitation est réciproque, car Vincent passe son temps à reprocher à Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante que l’or. » (le gigolo homosexuel de la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) Par exemple, dans le film « Esos Dos » (2011) de Javier de la Torre, le client Rubén appelle Eloy le prostitué avec qui il couche « mon amour, mon petit » : ce dernier lui renvoie la monnaie de sa pièce (si on peut dire) puisqu’il lui « fait payer » sexuellement le fait que celui-ci le paye financièrement pour du sexe.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile : « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry s’adressant à son amante Ada dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) C’est pour cela que la « promotion canapédé » semble, aux yeux des personnages homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son Eugène de Rastignac.

 

La soif d’ascension sociale peut même pousser le héros homosexuel à la trahison (de lui-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. « Je suis sûr que n’importe quel autre espion lui aurait arraché son triste bien par la force, mais je ne suis ni un simple sbire ni un voleur à la tire : ich bin zivilisiert. » (Heinrich, l’espion sophistiqué du roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, pp. 46-47) ; « Un vrai bourgeois, le présumé d’Al Qaïda ! » (Billy à propos de son compagnon de cellule et amant Rasso, dans la pièce Guantanamour (2008) de Gérard Gelas) ; etc. Par exemple, dans le film « Occident (Statross le Magnifique 2) » (2008) de Jann Halexander, Statross Reichmann, un bourgeois métis bisexuel, vit une relation tourmentée avec Hans, un jeune homme blanc d’extrême droite. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnages à la fois homosexuels et homophobes. Par exemple, dans le téléfilm « À cause d’un garçon » (2001) de Fabrice Cazeneuve, la jalousie de Régis, personnage hétéro, vis à vis de son petit frère Vincent, ne fait que s’accroître quand ce dernier fait son coming out : « Si j’avais su qu’il fallait être pédé pour réussir… »

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La haine des bourgeois du fils-à-papa homosexuel :

Parmi les personnes homosexuelles, beaucoup expriment leur haine des bourgeois et des riches (cf. je vous renvoie au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ce qu’elles ont un mal fou à comprendre, c’est que la haine des bourgeois est justement propre aux bourgeois, et notamment aux bourgeois de la gauche caviar ! Comme l’explique à juste titre Mère Teresa, qui est bien placée pour parler de la misère et des pauvres puisqu’elle les a côtoyés de près, jamais le vrai pauvre ne singe ni ne grossit sa souffrance, jamais il n’haït les riches : « Je n’ai jamais entendu un pauvre grogner ou maudire, je n’en ai jamais vu terrassé par une dépression. » (Mère Teresa, Il n’y a pas de plus grand Amour (1997), p. 163)

 

La plupart d’entre elles deviennent bourgeoises d’abord parce qu’elles désirent se faire objet, qu’elles nient leur humanité et qu’elles rejoignent donc la violence et les mondes déshumanisés. Le désir bourgeois et homosexuel n’est pas uniquement l’appât du gain. Il est celui qui naît de la jalousie ou/et du conformisme, de la haine de soi, de l’attrait pour le paraître : « Truman Capote était étonnamment innocent. Il prit les riches qui aimaient la publicité pour la classe dominante, et il prit beaucoup trop ses aises parmi eux, pour finalement se rendre compte qu’il n’était pour eux qu’un animal de compagnie dont ils pouvaient très bien se passer, comme ce fut le cas lorsqu’il publia de terribles ragots sur leur compte. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 359)

 

Certains auteurs homosexuels créent une version dark, trash, camp, queer et bobo, des bourgeois qu’ils méprisent… pour se donner l’illusion qu’ils sont des marginaux iconoclastes et révolutionnaires parmi les marginaux aisés, des aristos « plus bourgeois que bourgeois » : « [La visibilité homosexuelle], c’est même un peu BCBG. J’aimerais qu’une année, la Gay Pride passe dans les cités. Parce que, pour l’instant, on reste trop chez les Marie-Chantal. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 56) ; « L’homosexuel demeure un loup, libre et fier, farouchement indépendant et sans doute encore sauvage, et rien ne l’oblige à se faire chien, animal domestique, embourgeoisé et de bonne compagnie. » (Dominique Fernandez, Le Loup et le Chien, 1999)

 

Dans son essai Camp (1983), Mark Booth situe les origines du mouvement camp (particulièrement homosexuel) au XVIIe siècle français dans les pratiques de cour à Versailles, sous Louis XIV. Et dans son article « Notes on Camp » (1964), Susan Sontag assimile les sujets homosexuels actuels à des « aristocrates du goût » qui « ont lié leur intégration sociale à la promotion du sens esthétique ». Dans son article « Le Style Camp » (L’Œuvre parle, 1968), elle montre combien la marginalité camp des artistes homosexuels signe l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie : « Le dandy d’autrefois haïssait la vulgarité. Le dandy moderne, passionné de Camp, apprécie la vulgarité. […] Le dandy était un être suréduqué. […] Il avait la vocation du ‘bon goût’. Le connaisseur du Camp a découvert des plaisirs plus ingénieux. Il ne s’agit plus d’apprécier la poésie latine, des vins rares et des gilets de velours, mais de goûter aux plus épicés, aux plus communs des plaisirs, aux arts dont se délecte la masse. […] [Le Camp est] un groupe social, formé par cooptation, composé pour une bonne part d’homosexuels, et qui joue ce rôle improvisé de l’aristocratie du goût. […] Le rapport existant entre l’homosexualité et le goût camp demanderait une explication. On ne saurait confondre le goût camp et le goût homosexuel, mais il est évident qu’il y a entre l’un et l’autre des interférences et d’indéniables affinités. […] Le goût camp comporte toujours un élément de prosélytisme […] Les homosexuels fondent dans la promotion de valeurs purement esthétiques un espoir de disparition du ban social qu’ils encourent. Le Camp décompose la moralité. Il neutralise l’indignation morale, patronne la légèreté et le badinage. » (pp. 444-447)

 

Mais rien n’y fait. L’élitisme de l’incorrection ou la marginalité camp choisie par beaucoup de personnes homosexuelles n’est qu’une bourgeoisie qui s’ignore, car ces dernières restent enchaînées au paraître. Elles nous proposent parfois des mises en scène grotesquement sérieuses de libertinage, des remake réchauffés du Marquis de Sade… un peu sur le modèle de la Fistinière, ce relais-château près d’Assigny (France) où des adeptes du SM se retrouvent pour se torturer entre eux (mais avec art et méthode, attention !).

 

La bourgeoisie, c’est finalement l’attachement haineux aux images, aux objets, aux intentions (idolâtres ou destructrices) plus qu’au Réel et aux personnes.

 
 

b) Bourgeoisie et homosexualité :

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks

Portrait de Lady Una Troubridge (1924) par Romaine Brooks


 

Certains artistes homosexuels s’expriment comme des petits-bourgeois, même s’ils pensent que la parodie de bourgeoise qu’ils jouent conjurera parodiquement le sort : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Mémoires d’un chiotte public » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 81) ; « Et après ça, on prétend que c’est moi qui ai un goût de chiotte ! » (idem, p. 92) ; « Le hasard voulut que nous nous retrouvassions… » (le narrateur de la nouvelle « Crime dans la cité » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 73) ; « Conditions de vie innommables ! […] Une crise arrive dans le pays, c’est la débâcle c’est la faillite. » (cf. la chanson « Chroniques d’une famille australienne » de Jann Halexander) ; « Le chaos est dans l’air. » (cf. la chanson « Gabon » de Jann Halexander) ; « Finie la prison de Turcs, et place au terrain de cricket ! » (Guillaume, le héros bisexuel en Angleterre, dans le film autobiographique « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « J’ai toujours rêvé de visiter les châteaux de Louis II de Bavière. » (idem) ; etc.

 

Mais rien n’y fait. Énormément de personnes homosexuelles se comportent en bourgeois à cause de leur enchaînement au paraître. Derrière l’arrogance provocante et iconoclaste par rapport au monde des images déréalisantes, il y a une idolâtrie. En effet, il arrive que des sujets homosexuels regrettent le déclin de la bourgeoisie, expriment leur nostalgie de la noblesse (ou plutôt de leur « idée de noblesse »). Passéisme classique des antiquaires, collectionneurs et des voyageurs dépressifs… : cf. l’essai Éloge du snobisme (1993) de Jacques de Ricaumont, Un jeune homme chic (1978) d’Alain Pacadis, Le Dictionnaire du snobisme (1958) de Philippe Jullian, etc. Par exemple, Lucien Daudet (le fils homosexuel d’Alphonse Daudet) vivait mal le fait d’avoir un nom de famille sans particule. Dans le documentaire « Cocteau/Marais : un couple mythique » (2013) Yves Riou et Philippe Pouchain, on apprend qu’André Breton trouvait Jean Cocteau trop mondain. Alfred Krupp, l’homme le plus riche d’Allemagne au début du XXe siècle, qui emploie plus de 50 000 personnes, se livre à des pratiques homosexuelles avec des jeunes gens.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie est souvent reconnue, et malheureusement causalisée, par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. « Sylvain devait penser au contraire que le procureur était ridicule. Qu’il parlait comme un pédé. » (Eddy Bellegueule, En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 140) ; « Ils ont des façons délicates/ Tous auraient pu être traités de ‘pédés’ au collège. Les bourgeois n’ont pas les mêmes usages de leur corps. Ils ne définissent pas la virilité comme mon père, comme les hommes de l’usine. (Ce sera bien plus visible à l’École normale, ces corps féminins de la bourgeoisie intellectuelle.) Et je me le dis quand je les vois, au début. Je me dis ‘Mais quelle bande de pédales Et aussi le soulagement ‘Je ne suis peut-être pas pédé, comme je l’ai pensé, peut-être ai-je depuis toujours un corps de bourgeois prisonnier du monde de mon enfance’. » (Eddy Bellegueule, homosexuel et venant d’un milieu prolétaire, décrivant son entrée dans l’internat du prestigieux Lycée Michelis, op. cit., p. 218) Or, bien évidemment, cette proximité est de l’ordre de la coïncidence, du fantasme, et n’est pas systématique. Toutes les personnes homosexuelles ne sont pas bourgeoises, ni en porte-monnaie, ni en attitudes. Je ne parle que d’une tendance très marquée du désir homosexuel, mais pas réservée à lui. Elle est particulière à la pratique de celui-ci. Après, dans l’histoire des personnes homosexuelles, on découvre que l’attachement au matériel a pu camoufler/engendrer des souffrances. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, il apparaît clairement que le « couple » Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent compense par le matériel son manque d’amour : il y a des tableaux partout chez eux ; tout est centré sur le fric et les objets. En 1908, selon Weindel et Fischer, les adeptes de l’homosexuels « se recrutent dans le monde des théâtres, ou dans les classes élevées de la société » (p. 91).

 

Force est de reconnaître que beaucoup d’individus homosexuels sont issus d’une famille bourgeoise : « Vous savez, les fils de bonne famille comme moi […] » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 11) ; « Dès les premiers jours, je fus happé par un groupe de jeunes filles qui me décrétèrent mignon comme un ‘petit blanc’ et donc enfant de riche et de bonne éducation. Bientôt, ma personne fit le tour de la classe auprès des collègues masculins qui, jalousement, trouvèrent à leur tour que j’étais efféminé et que cet aspect attirait la compagnie des filles. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 46) ; « Moi, je la vois [mon enfance] comme une période qui ne nous a pas du tout armés. Je vais grandir moins vite que les autres. » (Christian, le dandy quinquagénaire homo, dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc.

 

À la base, la création de l’homosexualité et même de l’hétérosexualité est bourgeoise : « C’est le XXe siècle bourgeois qui a voulu figer les choses pour enfermer les gens dans des petites cases. » (le rabbin Haïm Korsia dans l’émission Les Enfants d’Abraham sur le thème « Adoption homosexuelle : Pour ou contre ? », diffusée sur la chaîne Direct 8 le 1er décembre 2009)

 

Le sujet homosexuel, dans bien des cas, est présenté/se présente comme le fils de la bourgeoisie : « Les personnes homo-bisexuelles ont un niveau d’étude plus élevé que les personnes hétérosexuelles […]. Quant aux hommes, la déclaration d’une pratique homosexuelle est plus fréquente parmi les professions intellectuelles et cadres des entreprises, les professions intermédiaires de la santé et du secteur social et les employés de commerce. » (Enquête sur la sexualité en France (2008) de Nathalie Bajos et Michel Bozon, p. 257) ; « On [les homos] est plus riches que les hétéros. » (Éric Garnier dans à l’émission radio Homo Micro du 3 mai 2006 sur Radio Paris Plurielle) ; « Marc était très dépensier, il le reconnaissait lui-même, et très élégant, ceci expliquant cela. » (Paula Dumont, l’auteure lesbienne décrivant son meilleur ami homo, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 77) ; « Dieu sait si nous autres, les invertis, nous sommes prudents en matière d’argent, quoi qu’en dise la légende ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 87) ; « Vous avez un sacré pouvoir d’achat, vous, les couples gays ! Ça part dans les relais-châteaux… » (Dominique de Souza Pinto, femme politique lesbienne à la conférence « Le Lobby gay… Un bruit de couloir » à l’Amphithéâtre Érignac à Sciences-Po Paris, le mardi 22 février 2011) ; « La population gay est celle qui possède le plus fort pouvoir d’achat du marché musical. » (la voix-off du documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; etc. Les personnes homosexuelles, de par leur statut de « vieux garçons célibataires à deux » (ou de « vieilles filles ») ont, il est vrai, un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, en général.

 

À en croire certains propos, l’homosexualité serait une pratique plus tolérée et courue dans les milieux aisés : « C’est épouvantable ce que j’ai pu entendre. Dans ces milieux-là, en usine, ça n’existe pas l’homosexualité. Un milieu de cols blancs, un milieu universitaire, c’est probablement une fourmilière pour les gays, c’est le paradis. » (un témoin homosexuel ayant grandi dans un milieu ouvrier, cité dans l’essai Mort ou fif (2001) de Michel Dorais, p. 73) ; « Pendant l’Occupation, je fus, bien entendu, l’ami de nombreux officiers allemands. J’évitais ainsi la déportation et pus, grâce à mes relations, ouvrir mon premier magasin d’antiquités. Ces quatre années furent, quoique comparativement plus calmes, une longue suite d’aventures sentimentales, fort compliquées, selon ‘notre tradition’. Très vite, grâce au premier argent si généreusement laissé par mon attaché d’ambassade, je me fis un nom dans la hiérarchie des antiquaires. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 86) ; etc. Ce n’est pas un hasard si un certain nombre de cinéastes de la « Nouvelle Vague » du cinéma français des années 1960 (Jean-Luc Godard notamment) considéraient l’homosexualité comme un signe d’embourgeoisement. Je vous renvoie aux codes « Défense du tyran » et « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Pierre Drieu La Rochelle

Pierre Drieu La Rochelle


 

Pour avoir assisté en vrai à des dîners mondains et des « soirées Grand Siècle » à la Thierry Ardisson, j’ai remarqué que souvent, dans les regroupements entre personnes homosexuelles, c’était ambiance bourgeoise et Précieuses de salon design. On trouve un nombre important de jet-setter dans le « milieu homosexuel » (agréé… ou pas) : Stéphane Bern, Frédéric Mitterrand, Roger Stéphane, Georges Mandel, Brummel, Robert de Montesquiou, Luis Cernuda, Andy Warhol, Lucien Daudet, Jan Lechon, Oscar Wilde, Marcel Proust, Siegfried Sassoon, Maurice Rostand, Ernest Thesiger, Jacques Chazot, Matthieu Galey, Jacques Fath, Tennessee Williams, Alain Pacadis, Truman Capote, Jean Cocteau, Francis Poulenc, Bola de Nieves, Bertrand Delanoë, Cecil Beaton, Christophe Girard, Natalie Clifford Barney, Antonio de Hoyos, Elton John, etc. « Jean Sénac adorait rencontrer des personnalités. » (cf. le documentaire « Jean Sénac, le Forgeron du soleil » (2003) d’Ali Akika)

 

Les cercles intellectuels de dandys homosexuels existent depuis très longtemps. En voici quelques exemples : la Confrérie du Comte de Vermandois en 1681, la Wickersdorf fondée par Gustav Wyneken en 1906, le groupe londonien de Bloomsbury, le salon parisien lesbien de Romaine Brooks, l’Homintern d’Oxford dans les années 1930, la Société des Apôtres à Cambridge, le salon parisien de Winnaretta et du prince Edmond de Polignac, les salons de thés lesbiens de la chanteuse Suzy Solidor, les salons de Jacques de Ricaumont invitant le Tout-Paris, la Resi espagnole des années 1930, les soirées au Palace en 1980, les soirées privées des Bains Douches, les réunions parisiennes du cercle intellectuel La Rive opposée, etc., sans compter le monde associatif ou télévisuel actuel. Par exemple, dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, on voit une reproduction des réunions de dandys décadents de Karl Lagerfeld.

 

Je connais parmi mes amis homos des presque-caricatures vivantes de bourgeois. Et dans les plus connus des dandys et des bourgeoises télévisuels, on peut citer Gabriel de la Serna, Oscar Wilde, Marcel Proust, Natalie Barney, Suzy Solidor, Jean Cocteau, Pascal Sevran, Gertrude Stein, etc. « Ce dandy fin de siècle [Jean Lorrain] avait le goût des bijoux aux enroulements inquiétants et des pierres ‘vénéneuses’. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 188) Par exemple, dans l’article de Cavana sur l’édition de la pièce Une Visite inopportune (1988), le dramaturge argentin Copi est décrit comme un « aristocrate » (p. 76). Ce dernier ne dément pas l’affirmation : « Avec un ami, j’ai vendu des dessins sur le pont des Arts, mais je restais très bourgeois. […] Mon père qui m’envoyait de l’argent était en exil dans une ambassade. » (le dramaturge homosexuel argentin Copi, cité dans l’article « Entretien avec Michel Cressole : Un mauvais comédien, mais fidèle à l’auteur » de Michel Cressole, publié dans le journal Libération du 15 décembre 1987)

 

Dans la classe politique et dans le milieu huppé des magistrats, des maires, des chefs d’entreprise et des députés, force est de constater qu’on retrouve une forte pratique homosexuelle (ce qui est logique, car la vie politique implique un éloignement de la famille, une surcharge de travail qui réclame une compensation affective débordante, un célibat tout donné à une cause, un égocentrisme et un goût de l’image auquel il est difficile de résister). On trouve beaucoup d’hommes homosexuels au pouvoir : Bertrand Delanoë (Maire de Paris), Harvey Milk (1930-1978), Uzi Even (ex-député israélien, David Girard (1960-1990), Sunil Babu Pant (politicien gay du Népal), André Boisclair (ex-chef du parti québécois), Frédéric Mitterrand, Jack Lang, Xavier Bettel (Premier ministre luxembourgeois), Klaus Wowereit (le maire de Berlin), Corine Mauch (la maire de Zürich), François Fillon (giton de Joël le Theule), Emmanuel Macron (avec le président de Radio France Mathieu Gallet), etc. Anne Holt, ex-Ministre de la Justice norvégienne, est ouvertement lesbienne. La première ministre islandaise est lesbienne. Les entrepreneurs homosexuels créent des corporations et des réseaux « 100% gay ». Par exemple, en France, le SNEG est le Syndicat National des Entreprises Gaies, et défend tous les patrons et entreprises qui se disent gays friendly ou homosexuels.

 

Cette observation peut être faite aussi dans la sphère « privée » du couple homosexuel. N’oublions pas que dans le mot « luxure », il y a « luxe ». En amour, beaucoup de couples homosexuels vivent une existence pépère faite de loisirs, de sexes, de parties, de jolis voyages, d’infidélités libertines bourgeoises. Ils se goinfrent de loisirs et d’images.

 

Par ailleurs, beaucoup d’acteurs, en interprétant des rôles de bourgeois au cinéma ou au théâtre, ont cultivé une apparence efféminée ou singé une pratique homosexuelle : cf. Jean-Marc Thibault dans le film « La Belle Américaine » (1961) de Robert Dhéry, Jean Carmet dans le film « La Métamorphose des Cloportes » (1965) de Pierre Granier-Deferre, Jacques Sereys dans le film « La Chamade » (1968) d’Alain Cavalier, Guy Michel dans le film « Le Mouton enragé » (1973) de Michel Deville, etc.

 

La plupart du temps, l’homosexualité se présente comme une préciosité artistique, une sophistication matérielle et gestuelle, une douilletterie, voire une misanthropie et un caprice bourgeois : « Il est doté de cette classe anglo-saxonne qui me fascine au plus haut point. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 15)

 
 

c) Le goût homosexuel pour l’argent :

Le fils (gay) de Magic Johnson

Le fils (gay) de Magic Johnson


 

L’homosexualité, on le remarque bien dans notre société, se marie très bien avec la branchitude et le petitembourgeoisement. Pas besoin d’être riche pour être bourgeois. Il suffit d’être obsédé par l’argent et le matériel, de désirer être riche… et cette soif, c’est donné aux gens de classe aisée comme aux gens sans le sou : « Elle avait toujours aimé traîner dans les boutiques, même quand elle n’avait pas d’argent à dépenser. » (Martine, la compagne de Paula Dumont parlant de son ex-compagne Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), pp. 152-153)

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles ne cachent pas leur attrait pour les privilèges de la noblesse matérialiste et les Jet Set. « Félix Sierra aime les bijoux et le luxe. » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 186) ; « Je rêve de devenir riche un jour. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 57) ; « Je ne serai jamais qu’un pauvre petit Français sans le sou condamné à sécher sur des désirs insensés. » (idem, p. 58) ; « L’argent me manquait et l’indispensable de l’argent dans ma vie n’était plus à démontrer. Mes échecs fréquents étaient là pour souligner l’importance de mes mouvements réactionnels aspirés par cette vie. […] Même réduit à son strict minimum, l’argent supporte toute la symbolique de l’échange, de la médiation entre la société et l’individu. C’est une chaîne impossible à rompre, mais si l’excès d’argent pèse aux riches, combien est davantage contraignant le manque d’argent pour ceux qu’on dit pauvres ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 119) ; « L’argent était devenu quelque chose de très important pour moi. Le matériel était ce qui me maintenait dans la relation. » (Rilene, femme homosexuelle, évoquant sa relation de 25 ans avec Margo, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Pour être libre, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut de l’argent. » (Axel, une femme transsexuelle F to M, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; etc. Par exemple, le dramaturge argentin Copi, dans ses B.D. et dans ses pièces, parle sans arrêt d’argent : c’est une obsession chez lui. Dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), l’écrivaine lesbienne Paula Dumont en vient à exprimer en boutade son « regret de ne pas avoir été élevée chez les milliardaires comme Natalie Barney » (p. 104). Quand on demande à Andy Warhol ce qu’il aime le plus, il répond sans hésiter « l’argent » (cf. le reportage « Vies et morts de Andy Warhol » (2005) de Jean-Michel Vecchiet). Le peintre espagnol Salvador Dalí voulait devenir, selon ses propres termes, « légèrement multimillionnaire », et fut baptisé par André Breton d’« Avida Dollars » : l’artiste attaqué répliqua en disant : « Ce fut André Breton, pour piquer à vif mon attirance pour l’or, qui inventa cet anagramme… Il croyait ainsi mettre au pilori mon admirable nom, mais il n’a rien fait d’autre que composer un talisman… L’Amérique m’a accueilli comme l’enfant prodige et m’a couvert de dollars… L’or m’illumine et les banquiers sont les suprêmes prêtres de la religion Dalinienne. » (Salvador Dalí) Dans son autobiographie Mon théâtre à corps perdu (2006), Denis Daniel avoue avoir conservé des « goûts du luxe » (p. 46), même si par ailleurs, il cherche à tout prix à se débarrasser de l’image du « petit-bourgeois » qui lui colle à la peau depuis son enfance et qui le fait tant souffrir (idem, p. 68).

 

Il existe une étroite relation entre la spéculation boursière effrénée et l’homosexualité : certaines personnes homosexuelles cherchent à faire fructifier leur cœur comme si c’était un plan épargne (avec un capital-sentiments, un capital-tendresse, un capital-sincérité, un capital-sexe, etc.). À ce sujet, les mots de l’essayiste lesbienne Cathy Bernheim dans son autobiographie L’Amour presque parfait (2003) ne laissent aucun doute : « Je VEUX que l’amour me rapporte. Finis les investissements en pure perte, les amantes perdues au détour d’une querelle. […] Si l’amour n’est plus l’aventure, je ne suis pas loin de me demander quel intérêt il peut y avoir. Intérêt : encore du vocabulaire d’épargnante ! » (pp. 170-171) Le lien entre capitalisme et homosexualité a été étudié par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans L’Anti-Œdipe, Capitalisme et Schizophrénie (1972).

 
 

d) L’homosexualité pratiquée (et parfois la prostitution) comme moyen d’ascension sociale :

Le goût homosexuel pour l’argent pourrait paraître purement vénal et glacial s’il ne se mâtinait pas de sentimentalité et de sensualité pseudo « désintéressées » pour se justifier. Dans les discours et les faits, un certain nombre de relations conjugales homosexuelles sont effectivement placées sous le signe de l’argent et du matériel. Je vous renvoie à la partie « amant-objet » du code « Poupées » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Beaucoup d’amants en union homo se gavent de cadeaux, se soudoient pour se prouver mutuellement leur amour. Ils sont davantage tenus par le matériel et les biens communs accumulés par la vie de « couple » que par l’Amour et la joie : « Entre eux et moi, l’argent s’imposait, c’est vrai. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de ses amants, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 122) Par exemple, le poète homosexuel Sergueï Esenin, de son propre aveu, a fait de son statut de « poète-paysan » un moyen d’ascension sociale et d’accès à la célébrité. Dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan, Gaétane, un homme transsexuel M to F, se compare à Rastignac, le jeune personnage de Balzac.

 

Dans certaines sphères professionnelles et relationnelles, rapports hiérarchiques professionnels et rapports amoureux homosexuels se confondent : « Jeune garçon de 19 ans cherche personne aisée et distinguée pour payer ses études. » (Berthrand Nguyen Matoko passant une annonce, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 100) ; « De nos jours, les homosexuels forment deux catégories : ceux qui s’y adonnent par goût, et ceux qui s’y livrent par calcul ; les seconds vivant, bien entendu, aux crochets des premiers. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 54) ; « J’ai toujours pensé que perdre ma virginité ferait avancer ma carrière. » (la chanteuse Madonna citée dans la pièce Ma première fois(2012) de Ken Davenport) ; « La société française ne fait en cette matière, comme en d’autres, qu’imiter le monde américain. Aussi connaîtrons-nous, à l’instar des États-Unis, l’étape suivante, avec des entreprises qui courtiseront les homosexuels, chercheront à les recruter et s’afficheront gay friendly. » (Alain Minc, Épîtres à nos nouveaux maîtres (2002), p. 72)

 

L’homosexualité se transforme en droit de cuissage laboral : c’est le cas notamment dans des milieux comme l’art, l’Éducation Nationale, le show business, le prêt-à-porter, la haute couture, le sport, l’hôtellerie, etc. (je vous renvoie aux codes « Patrons de l’audiovisuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre » et « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels : « Le citoyen moyen, lui, devient de plus en plus tolérant, et peut-être aussi de plus en plus indifférent. Finalement, dans une famille bourgeoise, aujourd’hui, quand on parle de Valentino, le garçon coiffeur de Madame, on ne parle même plus de sa sexualité. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 55) ; « À dix-neuf ans, lui, le petit étudiant, se trouvait, par les hasards de l’amour, l’amant de l’un des premiers secrétaires d’ambassade des U.S.A. En quelques mois, nouveau prince de Paris, Jean-Luc se voyait offrir sa loge réservée à l’Opéra, une voiture et tout l’argent de ses désirs. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 73) ; « J’étais, à l’époque, très innocent encore, semblait-il et, il faut le dire, très beau ; je fus tour à tour la ‘maîtresse’ d’un écrivain célèbre et d’un attaché à l’ambassade des États-Unis. » (idem, p. 84) ; etc.

 

Des amis vendeurs chez Zara à Paris, par exemple, m’ont certifié que tous leurs collègues étaient homos, et avaient été choisis en grande partie pour ça… même si ça peut difficilement être prouvé. Lors de mon voyage en Côte d’Ivoire en juin 2014, des Ivoiriens m’ont raconté que les entreprises qui engagent leurs employés à condition qu’ils virent homos était une pratique de plus en plus répandue.

 

L’homosexualité est considérée par certains patrons ou certains employés comme un pass pour monter les marches de l’échelle sociale, comme une force de conviction personnelle, comme l’atout majeur de l’entrepreneur self-made-man auto-suffisant, meneur d’hommes et de femmes, sachant ce qu’il veut : « Je le voyais, Abdellah. Naïf. Amoureux. Paresseux. Ambitieux. Décidé à conquérir Paris. Impatient. » (Abdellah Taïa parlant de lui à la troisième personne, dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 63) ; « Dès le début de sa carrière, Cocteau entre de plain-pied, après une adolescence fiévreuse et brûlante d’enfant gâté, dans les hauts parages de la société parisienne. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 204) ; « J’ai cultivé l’ambiguïté [sexuelle] pour vendre beaucoup de disques. » (la chanteuse Amanda Lear dans l’émission « Jean-Louis Bory 2 ») ; « Un jeune homme désireux de se faire une carrière dans n’importe quel domaine n’a aucune chance s’il se présente, ne serait-ce qu’une seule fois, accompagné de sa femme ou de sa fiancée, fût-elle la femme la plus brillante, la plus sensationnelle de la capitale. Ses sorties même, s’il veut réussir, il doit les organiser en compagnie de garçons de son âge, sinon plus jeunes. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 17) ; « En face de la ‘maffia rose’ de ceux qui ‘en sont’, de la ‘grande famille’, de l’inconsciente et toute-puissante franc-maçonnerie des pédérastes, les jeunes n’hésitent plus : pour réussir, ils s’enrôlent, eux aussi. » (idem, p. 18) ; « On les retrouve dans les salons de la meilleure société. […] Ils sont nombreux, sinon très nombreux, dans les postes élevés de l’administration, des ministères, dans les coulisses même de la diplomatie (Roger Peyrefitte, dans Les Ambassades, nous a permis d’y jeter un coup d’œil). » (idem, p. 20) ; « Les titres de noblesse et les noms ronflants parent les invertis d’une curieuse auréole. Qu’on porte le pantalon étroit et la veste à pont, ou le pardessus court et une légère moustache, on se fait appeler la grande duchesse de Montreuil, la marquise de Vaugirard, la vicomtesse de Meudon. Les grands noms, arrangés à la mode tutupanpanse croisent et s’apostrophent le long des allées historiques où les moineaux roturiers n’en ont jamais tant entendu. C’est un petit Sodome à la mode du XVIIe siècle. » (idem, p. 25) ; « Son enfance est marquée par sa honte d’être pauvre, et sa soif de mondanités, qui le pousse dès l’âge de 20 ans à la conquête du Tout-Paris. » (Michel Larivière à propos de Philippe Jullian, dans le Dictionnaire des Homosexuels et Bisexuels célèbres (1997), p. 199)

 

Dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon expose la correspondance entre son coming out et le « transfuge de classe » (p. 25) qui l’a éloigné du milieu ouvrier dont il était issu : « Pourquoi, moi qui ai tant éprouvé la honte sociale, la honte du milieu d’où je venais quand, une fois installé à Paris, des gens qui venaient de milieux sociaux si différents du mien, à qui je mentais plus ou moins sur mes origines de classe, ou devant lesquels je me sentais profondément gêné d’avouer ces origines, pourquoi donc n’ai-je jamais eu l’idée d’aborder ce problème dans un livre ou un article ? » (p. 21) ; « La décision de quitter la ville où je suis né et où j’avais passé toute mon adolescence pour aller vivre à Paris, quand j’avais 20 ans, signifia en même temps pour moi un changement progressif de milieu social. » (p. 22) ; « Mon frère correspondait sans problème et sans distance au monde qui était le nôtre, aux métiers qui se proposaient à nous, à l’avenir qui se dessinait pour nous. Moi, je n’allais pas tarder à éprouver et cultiver l’intense sentiment d’un écart que les études et l’homosexualité concourraient à installer dans ma vie : je n’allais être ni ouvrier, ni boucher, mais autre que ce à quoi j’étais socialement destiné. » (p. 111)

 

L’humoriste Akim Omiri dans sa première partie du spectacle En état d’urgence (2017) de Mathieu Madenian au Bataclan, raconte comment un producteur l’a harcelé sexuellement en lui faisant des avances de nature homosexuelle pour qu’il passe des « petits plateaux aux grandes salles ».
 

La connexion entre homosexualité et bourgeoisie se cristallise souvent autour de la prostitution. « Devant mon représentant, mes absences commencèrent à faire désordre. Je donnais l’impression de ne rien faire et d’être immensément riche. Ce qui, mal s’en fut, suscita d’énormes questions. Il pensait, en effet, que j’étais tombé dans une histoire de drogue. Le moyen le plus sûr était de l’ignorer totalement, lorsqu’il souhaitait faire ma chambre de fond en comble. Mais s’avouer homosexuel et, par-dessus le marché, se faire entretenir, n’était pas mieux non plus. […] À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de son métier de prostitué-escort boy, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 115) ; « Des séances de photos en spectacle où le corps avait la parole, je devins l’ovation des plus belles fesses, du plus beau sourire… […] Je plaisais aux hommes et en contrepartie, l’argent me plaisait. » (idem, p. 120) ; « De Brazzaville à Paris, mes rapports sexuels définissaient une périlleuse échelle sociale très discutée. Le déshonneur n’existait plus, rien d’autre non plus. Poches pleines ou vides, les jours se suivaient intrinsèquement et ne se ressemblaient pas. » (idem, p. 123) Par exemple, dans le documentaire « Habana Muda » (« La Havane muette », 2011), Chino, un Cubain sourd, en plus d’enchaîner les petits boulots, vend ses charmes le soir aux touristes étrangers ; l’un d’eux, José, tombe amoureux de lui et lui propose de l’emmener au Mexique pour lui dénicher un vrai métier.

 

Le sexe, les sentiments ou la tendresse atténuent la conscience de la consommation mutuelle et de l’exploitation mercantile. C’est pour cela que la « promotion canapédé » (néologisme-maison) semble, aux yeux de certains individus homosexuels qui s’y livrent, un cadeau, une preuve supplémentaire et tangible qu’il est bien question d’amour entre le client et son protégé, entre le mécène et son poulain. Mais dans les faits, nous remarquons que la soif d’ascension sociale n’est pas du tout poétique : elle peut même pousser à la trahison (à soi-même), à la « collaboration », au vol, au viol, au meurtre. Je vous renvoie aux codes « Amour ambigu du pauvre », « Prostitution », « Liaisons dangereuses », « Homosexuel homophobe » et « Méchant Pauvre » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

La proximité entre homosexualité et bourgeoisie finit souvent par être reconnue, causalisée et dénoncée par beaucoup de personnes à la fois homosexuelles et homophobes. Par exemple, le 12 octobre 1998 à Laramie aux États-Unis (Wyoming), Aaron McKinney et Russell Henderson, les assassins de Matthew Shepard (jeune homme homosexuel), s’étaient attaqués à lui pour leur dérober des objets. D’ailleurs, le soir du meurtre, ils lui ont piqué sa carte bancaire, ses fringues, ses chaussures, et avaient l’intention de le cambrioler : « Matthew, c’était une pute pétée de tune ! » On voit bien que socialement, l’un des fruits de la pratique homosexuelle, à savoir l’argent, symbolise et est parfois le moteur de l’homophobie.

 

 
 

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Code n°151 – Prostitution (sous-codes : Défense de la prostitution / Interdit d’aimer / Prostituée tueuse / Prostituée tuée)

Prostitution

Prostitution

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Pratique homosexuelle = prostitution gratuite

 

Cela reste pour moi un mystère… Comment nos sociétés actuelles arrivent-elles à persuader la majeure partie de la population que l’homosexualité est une identité « normale », un amour « banal », surtout quand on voit l’envers du décor, et les nombreuses confluences entre monde homosexuel et prostitution ? Ça me dépasse. Pourtant, j’arrive facilement à comprendre qu’on ne puisse pas réduire (et heureusement !) la communauté homosexuelle à une nation de prostitués et de maquereaux… mais de là à n’établir aucun lien (ne serait-ce qu’un lien désirant, symbolique, fantasmatique) reconnaissant que dans le désir homosexuel il y a une forte part de recherche de consommation et de réification de soi/de l’être « aimé », là, j’avoue qu’on a de sacrées œillères… pour ne pas dire de la merde dans les yeux ! Même s’ils sont soi-disant une minorité, beaucoup d’individus homosexuels se prostituent concrètement, ou bien louent les services de prostitués, ou vivent un rapport amoureux conjugal très centré sur le matériel, ou se laissent entretenir comme des putes par leur copain, ou sacralisent la prostitution en image d’Épinal (et bobo !) magnifique. Si l’argent n’est pas toujours la première monnaie d’échange dans le trafic prostitutif homosexuel, il est souvent remplacé par les corps eux-mêmes et par la sincérité. Est-ce mieux ?

 

Vidéo-clip de la chanson "California" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer


 

À force de styliser sur les écrans la figure de la prostituée-garce / ou du « bad boy » bear, à qui de nombreux artistes homosexuels offrent iconographiquement les moyens de s’émanciper dans l’exhibition pornographique et de se venger de ceux qui voulaient jadis la/le censurer (pensez par exemple aux prostituées-tueuses des vidéo-clips des chansons « California » et « Libertine » de Mylène Farmer ; pensez à la figure du Maghrébin dans les films pornos), il n’est pas rare d’entendre au sein des associations féministes ou dans la bouche d’individus homosexuels une défense ouverte de la prostitution : « Qu’est-ce qui est choquant ? Que des garçons parfois très jeunes se prostituent pour subvenir à leurs besoins immédiats ? Ou que la société dans son ensemble ait créé des situations de détresse telles que la prostitution soit devenue un passage presque obligé ? Et puis, pourquoi considérer d’emblée que la prostitution est dégradante ? » (Nicolas Henri interviewé par Erwan Chuberre, dans le magazine Égéries, n°1, décembre 2004/janvier 2005, p. 47)

 

Le soutien homosexuel de la prostitution s’intègre dans le déni de l’homosexualité et du fantasme de viol. Par exemple, peu de prostitués masculins se définissent comme « homos » : ils disent qu’ils couchent avec des hommes par besoin, et non pour laisser s’exprimer une orientation sexuelle fièrement assumée en tant qu’identité amoureuse (même si c’est parfois le cas). Par leur attrait pour la/le prostitué(e) imagé(e), certaines personnes homosexuelles révèlent l’une des clés de leur souffrance en amour et de leur désir homosexuel : la discordance entre le but noble recherché et les moyens moins nobles qu’elles utilisent parfois pour l’atteindre. Pietro Citati, en parlant de Marcel Proust, décrit justement le déchirement homosexuel à travers la prostitution : « Proust aimait particulièrement le milieu des domestiques : il avait besoin de ce monde que l’on pouvait acheter. Lui, qui savait plus que tout autre que l’amour ne s’achète pas, a cherché à plusieurs reprises à acheter l’amour. C’est à la fois une merveilleuse discordance et une tragédie. » (cf. l’article « La Douleur pour destin » de Pietro Citati, dans le Magazine littéraire, n°350, janvier 1997, p. 25)

 

La grande majorité des femmes célébrées par les personnes homosexuelles incarnent la prostituée, la féminité fatale. Cette femme violée, exploitée, mais qui consent à rentrer dans un système qui l’aliène, les fascine, parce qu’elle est leur jumelle de désir. La prostituée – plus métaphorique que réelle – incarne la trahison à soi, la soumission active, le viol consenti, intégré, assumé, défendu et dissimulé par tout type de victimes, y compris homosexuelles. Elle est l’allégorie de l’homosexualité émancipée, de l’homophobie intériorisée, l’illustration vivante de la violence personnifiée qui se déguise en engagement fier et libre : il est aujourd’hui fréquent d’entendre des prostituées revendiquer naturellement leur statut de « travailleuses du sexe » ou de stars du porno. Certaines personnes homosexuelles et la prostituée ont en commun qu’elles s’interdisent toutes deux d’aimer. Elles couchent avec leurs clients ou leurs amants à condition qu’ils ne s’attachent pas sentimentalement à elles. L’identification homosexuelle à la prostituée nous dit quelque chose d’important de ce que beaucoup d’individus homosexuels vivent en amour : un sentiment d’exploitation, et parfois une consommation réelle.

 

Parce que la prostituée imagée a le pouvoir de dévoiler, par ce qu’elle représente, la vraie nature de leur désir homosexuel, certains personnages homosexuels la tuent à l’écran. Beaucoup de personnes homosexuelles ont des comptes à régler avec la prostituée-chanteuse. N’oubliez pas que c’est elle qui, à l’image, les a tuées, les a virées de son trottoir (les « gens du trottoir d’en face » ou « de l’autre rive » sont souvent des expressions servant à qualifier les membres de la communauté homosexuelle), ou leur a demandé de devenir homosexuelles. « Change de trottoir ! Le mien est piégé. Sors du trou noir, je fais mon métier ! J’ai peur de rien. Je suis une femme pressée ! » (Claire Litvine dans la chanson « Une Femme pressée » des L5)

 
 

N.B. 1 : Ce code est indissociable du code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels. Notamment la partie sur les prostituées de luxe.

N.B. 2 : Je vous renvoie également aux codes « Méchant pauvre », « Amour ambigu de l’étranger », « Voleurs », « Violeur homosexuel », « L’homosexuel riche/L’homosexuel pauvre », « Cour des miracles », « Actrice-traîtresse », « Femme-Araignée », « Promotion « canapédé » », « Don Juan », « Bobo », « Pygmalion », « Inceste », « Amant comme modèle photographique », « FAP amoureuse de son meilleur ami homosexuel », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Voyage », « Duo totalitaire lesbienne/gay », « Ville », « Entre-deux-guerres », « Amant diabolique », « Adeptes des pratiques SM », à la partie « Amant-objet » du code « Pygmalion », à la partie « Femme-pute » dans le code « Destruction des femmes », à la partie « Trou noir » du code « Oubli et amnésie », à la partie sur les gigolos-tueurs du code « Homosexuel homophobe », la partie « Maman-putain » du code « Matricide », la partie « Prostituée noire » du code « Noir », à la partie « Tendresse » du code « Douceur-poignard », à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », et à la partie « Désir d’être pris pour un objet » du code « Viol », dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

Film "200 American" de Richard LeMay

Film « 200 American » de Richard LeMay


 

Il est extrêmement souvent question de prostitution dans les œuvres homo-érotiques : cf. le film « Broken » (2010) de Kent Thomas, le film « Help » (2009) de Marc Abi Rached, le film « Sagwan » (2009) de Monti Parungao, le roman A Thousand And One Night Stands : The Life Of Jon Vincent (2001) de H. A. Carson, le film « The Docks Of New York » (« Les Damnés de l’océan », 1928) de Josef von Sternberg, le roman Querelle de Brest (1947) de Jean Genet, la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, le film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, la pièce Dans la solitude des champs de coton (2009) de Bernard-Marie Koltès, le film « Souffle au cœur » (1971) de Louis Malle, le film « Tenue de soirée » (1986) de Bertrand Blier, le film « The Living End » (1992) de Gregg Araki, la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, le roman Kept Boy (1996) de Robert Rodi, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le film « Niño Pez » (2009) de Lucía Puenzo, le film « Insects In The Backyard » (2010) de Tanwarin Sukkhapisit, le film « Les Fraises des bois » (2011) de Dominique Choisy, le film « Teslimiyet » (« Other Angels », 2010) d’Emre Yalgin, le film « Des jeunes gens modernes » (2011) de Jérôme de Missolz, la pièce Balm In Gilead (1965) de Lanford Wilson, le roman Shuck (2008) de Daniel Allen Cox, le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, le roman Can’t Buy Me Love (2001) de Chris Kenry, le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, le film « Flesh » (1968) de Paul Morrissey, la B.D. Anarcoma (1983) de Nazario, la poésie « Oda A Walt Whitman » (1940) de Federico García Lorca, le film d’animation « L’Ombre d’Andersen » (2000) de Jannik Hastrup, le roman Closer (Plus proche, 1990) de Dennis Cooper, la chanson « Tatuaje » de Rafael de León, la pièce Inconcevable (2007) de Jordan Beswick, le film « Belle de jour » (1966) de Luis Buñuel, le roman Murder Most Fab (2008) de Julian Clary, le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, le film « Sibak » (« Les Danseurs de minuit », 1994) de Mel Chionglo, le roman Yes, Yes, Yes (1990) d’Hisao Hiruma, la pièce Pal Joey (1940) de Richard Rodgers, Lorenz Hart et John O’Hara, le film « In The Flesh » (1997) de Ben Taylor, le roman Quand je suis devenu fou (1997) de Christopher Donner, le film « Zipper And Tits » (2001) d’Hiroyuki Oki, le film « Bas fond » (1957) de Palle Kjoerulff-Schmidt, le film « L’École de la chair » (1998) de Benoît Jacquot, le film « Burlesk King » (1999) de Mel Chionglo, le film « Sugar » (2004) de John Palmer, le film « Miroirs brisés » (1984) de Marleen Gorris, la pièce Entertaining Mr Sloane (1964) de Joe Orton, la pièce The Boys In The Band (1968) de Mart Crowley, le film « Justice pour tous » (1979) de Norman Jewison, le film « Piccadily Pickups » (1999) d’Amory Peart, le film « Alexander : The Other Side Of Dawn » (1977) de John Erman, le roman User (1994) de Bruce Benderson, le film « New York 42e rue » (1982) de Paul Morrissey, le roman After Nirvana (1997) de Lee Williams, le film « My Addiction » (1993) de Sky Gilbert, le film « Le Livre de Jérémie » (2004) d’Asia Argento, le roman Martin And John (1994) de Dale Peck, le film « Passé sous silence » (2003) de James Mérendino, le film « Taxiboy » (2001) de Veronica Chen, le film « Manille » (1975) de Lino Brocka, le roman Sarah (2000) de JT LeRoy, le film « Les Croque-Morts en folie ! » (1982) de Ron Howard, le roman Prostitution (1975) de Pierre Guyotat, le film « Flying With One Wing » (2002) d’Asoka Handagama, le film « Wild Side » (2003) de Sébastien Lifshitz, le film « Garçons d’Athènes » (1998) de Constantino Giannaris, le roman Mysterious Skin (1995) de Scott Heim, le film « Contradictions » (2002) de Cyril Rota, le film « Smukke Dreng » (« Joli Garçon », 1993) de Carsten Sonder, le roman Rent Boys (1997) de David Macmillan, le roman Setting The Lawn On Fire : A Novel (2005) de Mack Friedman, le film « Morirás En Chafarinas » (1995) de Pedro Olea, la chanson « House Of The Rising Sun » du groupe The Animals, le roman Suburban Hustler : Stories Of A Hi-Tech Callboy (1999) d’Aaron Lawrence, le roman Down There On A Visit (1966) de Christopher Isherwood, le film « Le Rôti de satan » (1976) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Bordella » (1976) de Pupi Avati, le film « The Gemini Affair » (1974) de Matt Cimber, le film « Rideau de Fusuma » (1973) de Tatsumi Kumashiro, le film « Where The Day Takes You » (1992) de Marc Rocco, le film « Skin And Bone » (1995) d’Everett Lewis, le film « Johns » (2002) de Scott Silver, le film « Speedway Junky » (1998) de Nickolas Perry, le film « Mr Smith Gets A Hustler » (2002) d’Ian McCrudden, le film « F. est un salaud » (1998) de Marcel Gisler, le film « Die Blaue Stunde » (1992) de Marcel Gisler, le film « Er Moretto, Von Liebe Leban » (1985) de Simon Bischoff, le film « Rosatigre » (2000) de Tonino De Bernardi, le film « Septej » (1995) de David Ondricek, le film « Empire State » (1986) de Ron Peck, le roman Last Exit To Brooklyn (1957) d’Hubert Selby Jr, les romans City Of Night (1963) et Numbers (1967) de John Rechy, la chanson « Quand on arrive en ville » de la comédie musicale Starmania de Michel Berger, le roman Midnight Cowboy (1965) de James Leo Herlihy, le roman Boy Culture (1996) de Matthew Rettenmund, le roman Brutal (1996) d’Aiden Shaw, le roman The Queen Of Hearts : A Transsexual Romance (1998) de Brad Clayton, la pièce Trafficking In Broken Hearts (2005) d’Edwin Sanchez, le film « Honey Killer » (2013) d’Antony Hickling, le film « La Habana Muda » (2011) d’Éric Brach, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la chanson « Ma Marloupette » de Sandrey, la chanson « Tous des putains ! » de Jean Guidoni, la chanson « I’m The Boy » de Serge Gainsbourg, etc.

 

Par exemple, dans le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan, Marcello fait une remarque étrange au jeune héros homosexuel, Barthélémy (« Vaut mieux être gigolo que pédé ! »)… sans se douter de l’homosexualité de ce dernier, et sans réaliser la signifiance de ses dires puisque Barthémémy fréquente énormément de gigolos dans le « milieu homo ». Dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, à sa sortie du train à la gare de Lyon, Zize, le travesti M to F, est pris sérieusement pour une pute par un pépé. Dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset, Mathilde compare son meilleur ami homo Guillaume à une prostituée, car ce dernier l’informe qu’il va coucher avec un homme marié (son amour de jeunesse, Michael) dans un hôtel : « Et maintenant, tu es dans une chambre d’hôtel comme une pute. » Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi, le héros bisexuel, dit qu’il vit à Montmartre, à côté des « putes ».

 

Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, tous les personnages sont prostitués : officiels/agréés (Martine, péripatéticienne de métier), officieux (Michèle, l’actrice-bimbo), sentimentaux (Jules, le héros homosexuel, qui a joué le rôle d’une prostituée sur le tournage du film « Les Misérables » ; il se décrit comme un tapin gratuit auprès de ses trois camarades de jeu, Michèle, Martine et Lucie : « Oui, moi aussi, je suis comme vous. Je suis une pute. Je suis une pute. Comme vous. »).

 

Quelquefois, le terme « prostitution » s’étend plus largement à l’« infidélité », au « devenir objet exhibé », ou à la « diabolisation de la sexualité et des corps ». En effet, un personnage peut être considéré comme une « pute » ou un « prostitué » quand il se donne à voir comme un objet, de manière indécente et irrespectueuse vis à vis de lui-même et des autres (souvent à travers les médias), ou bien parce que son corps est méprisé. « Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu putes ? » (Solange à Delphine, sa sœur qui lui montre leurs robes rouges de music-hall, dans le film « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « T’as l’air d’une pute. Cache-moi ces mamelles. » (Alba, l’héroïne lesbienne, à sa servante Claudia, dans la comédie musicale Se Dice De Mí En Buenos Aires (2010) de Stéphan Druet) ; etc.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Il n’est pas rare que le héros homosexuel fictionnel passe à l’action et se prostitue réellement contre de l’argent : cf. le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec Strella, le héros transsexuel M to F), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec Emmanuel, le héros homosexuel, qui se vend chez le voisin âgé de son immeuble), le film « My Own Private Idaho » (1991) de Gus Van Sant (avec Mike et Scott, les deux gigolos, par ailleurs amants), le roman Autobiographie érotique (2004) de Bruce Benderson (avec Romulus, le « prostitué roumain qui glande en Hongrie »), le film « Dérive » (1983) d’Amos Gutmann (avec Ezri et Robbie qui vont faire le tapin dans les parcs), le film « Journal d’un prostitué » (2001) de Tamfik Abu Wael, le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude (avec Bjorn, l’homosexuel jadis prostitué), le film « Un Fils » (2003) d’Amal Bedjaoui, le film « L’Enfer d’Ethan » (2004) de Quentin Lee, le film « Mandragora » (1997) de Wiktor Grodecki, le film « Tiresia » (2003) de Bertrand Bonello, le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki, la chanson « One Night In Bangkok » de Murray Head, la chanson « I’m A Gigolo » de Cole Porter, le film « Breakfast At Tiffany’s » (1961) de Blake Edwards (avec le gigolo Varjak), le film « Midnight Cowboys » (1969) de John Schlesinger (avec le prostitué Joe Buck), le film « Revolutions Happen Like Refrains In A Song » (« Les Révolutions surviennent comme des refrains dans les chansons », 1987) de Nick Deocampo, le roman Less Than Zero (Moins que zéro, 1987) de Brett Easton Ellis, le roman Joyeux animaux de la misère (2014) de Pierre Guyotat (avec les trois prostitués urbains), le film « The Everlasting Secret Family » (1988) de Michael Thornhill, le film « Macho Dancer » (« Danseurs machos », 1988) de Lino Brocka, le film « Cop » (1988) de James B. Harris, le film « Via Appia » (1990) de Jochen Hick, le film « Fill’em » (1992) de Sky Gilbert, le film « Gossenkind » (« L’Enfant de la rue », 1992) de Peter Kern, le film « Being At Home With Claude » (« À la maison avec Claude », 1992) de Jean Beaudin, le film « Die Blaue Stunde » (« L’Heure bleue », 1992) de Marcel Gisler, le film « Smukke Dreng » (« Beau garçon », 1993) de Carsten Sønder, le film « Hatachi No Binetsu » (« La Légère Fièvre des vingt ans », 1993) de Ryosuke Hasiguchi, le film « Post Cards From America » (« Cartes postales d’Amérique », 1994) de Steve McLean, le film « Dupe Od Mramora » (« Anus de marbre », 1995) de Zelimir Zilnik (sur les prostitués travestis en Serbie), le film « Tattoo Boy » (1995) de Larry Turner, le film « The Toilers And The Wayfarers » (1996) de Keith Froelich, le film « The Unveiling » (« Le sans voile », 1996) de Rodney Evans, le film « Tapin du soir » (1996) d’Ane Fontaine, le film « Johns » (1996) de Scott Silvers, le film « Private Shows » (1997) de Blaine Hopkins et Stephen Winter, le film « Star Maps » (1997) de Miguel Arleta, le film « Hard » (1998) de John Huckert, le film « Speedway Junky » (1999) de Nickolas Perry, le film « Circuit » (2001) de Dirk Shafer (racontant l’histoire d’un prostitué terrifié à l’idée de vieillir), le film « Aka » (2002) de Duncan Roy, le film « Gan » (« Un Jardin », 2003) de Ruthie Shatz Adi Barash (racontant l’histoire de deux jeunes prostitués de Tel Aviv), le film « Los Novios Búlgaros » (« Les Amants bulgares », 2003) d’Eloy de la Iglesia, le film « Yeladim Tovim » (« Brave garçon », 2004) de Yair Hochner, le film « Eighteen » (« Dix-huit », 2004) de Richard Bell, le film « Ethan Mao » (2004) de Quentin Lee, le film « Dirty Little Sins » (« Sale petit péché », 2005) de Kett Blakk, le film « Transamerica » (2005) de Duncan Tucker (un transsexuel M to F découvre qu’il a un fils qui se prostitue dans la ville de New York), le film « Breakfast On Pluto » (2005) de Neil Jordan, le film « Into It » (2006) de Jeff Maccubbin, le film « Avant que j’oublie » (2007) de Jacques Nolot, la série Dante’s Cove (2006) de Michael Costanza (où Kevin avoue à son petit ami qu’il se fait parfois payer ses faveurs sexuelles), le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot (avec Andrea qui est escort-boy), le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh (Alexandra veut louer les services d’une prostituée), la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau (avec Lucie, qui se prostitue), etc.

 

« Il [Pedro/Maria-José] fut élevé par son frère aîné qui l’habillait en fille et le prostitua dès l’âge de six ans. » (cf. la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 30) ; « On m’appelait Fifty Dollars. 50 $ pour une passe, c’est pas mal, non ? » (Jacques Nolot, racontant comment il est passé de la prostitution à une homosexualité « assumée », dans son film « La Chatte à deux têtes », 2002) ; « Déshabillez-vous, s’il-vous-plaît. Ne posez pas de questions. […] Silence ! Tu te tais ! » (Monsieur Chateigner s’adressant impérieusement à Anthony, son beau garçon d’hôtel, dans le film « Consentement » (2012) de Cyril Legann) ; « Je suis une pute minable. » (Peter, l’amant nain du film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz) ; etc. Par exemple, dans la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy, Lulu retrouve à l’âge adulte un ancien camarade de foot (homosexuel), en train de faire le trottoir à Pigalle. Dans le roman Ta Mère (2010) de Bernard Carvalho, Andreï est poussé à se prostituer par ses camarades soldats de l’armée russe. Dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Christian Bordeleau, Carmen est « putain sur la rue Saint Laurent ». Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Todd couche avec des hommes « pour du fric ».

 

Le personnage homosexuel est aussi client de prostitué(e)s : cf. le film « My Hustler » (« Mon Prostitué », 1965) d’Andy Warhol et Chuck Wein, le film « L’Orpheline » (2011) avec Noémie Merlant (avec Jean-Claude Dreyfus dans son rôle de proxénète), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, le film « Antes Que Anochezca » (« Avant la nuit », 2000) de Julián Schnabel, le film « My Hustler Boyfriend » (« Mon petit ami le prostitué », 2004) de Peter Pizzi, etc. « Il paraît que c’est un truc de pédés, d’homos refoulés, les mecs qui niquent des gonzesses dans tous les coins. » (Fred à son ami Greg, dans le film « Les Infidèles » (2011) de Jean Dujardin) ; « J’ai connu des putains… de ténèbres. » (c.f. la chanson « Désobéissance » de Mylène Farmer). Par exemple, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines (2011), le travesti M to F Charlène Duval essaie de ramener des cocktails mondains où il se rend des « p’tits jeunes sans cervelle » pour les faire venir chez lui. Dans le sketch des Faux Cambrioleurs d’Elie Sémoun, un homme dont on fête l’anniversaire-surprise, finit par avouer, sous la pression d’un cambrioleur imaginaire, qu’il « s’est tapé » des jeunes prostitués lors de son dernier voyage « touristique » en Thaïlande. Dans un des sketchs de Franck Dubosc, Mike, un ami à lui, accueille plusieurs jeunes hommes exotiques dans son lit (comparés aux « Rois mages » apportant leur corps en cadeau), au village-vacances où ils se trouvent. Dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Pierre, le héros homosexuel, prospecte de se chercher une mère-porteuse pour avoir un enfant, et voit en Isabelle, qui se définit comme « une salope » qui ne peut pas se satisfaire d’un seul homme, une collaboratrice intéressante. Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Anthony baise des « chauffeurs mécaniciens » et des jeunes prostitués tels que Doyler. Le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso traite de la prostitution masculine, et pire que ça, de la prostitution juvénile. Davide, le héros homosexuel, n’a que 14 ans, et vend quand même son corps aux hommes. Rettore, son camarade prostitué, finit par mourir à la fin du film : on suppose qu’un de ses clients l’a éliminé.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, la prostitution, au départ, est une réalité qui est occultée et singée par l’humour cynique. En effet, Emory, le personnage homo le plus « grande folle », fait mine de faire le tapin sur le trottoir à côté d’un lampadaire, avec un humour queer provocateur très courant dans le « milieu homo » : « Tu veux mon corps ? Faut me payer. » dit-il à Larry qui passe en voiture. Mais on découvre par la suite que ce n’est pas qu’une blague, et qu’il est à la fois souteneur (il louera les services d’un jeune prostitué décérébré, Tex, qu’il offrira en cadeau d’anniversaire à son pote Harold) et prostitué réel (« Vous avez plus de chance que moi.  Quand je ne me fais pas arrêter, mon client a une maladie vénérienne. »).

 

Le film « Fast Forward » (« D’un trait », 2004) d’Alexis van Stratum laisse entendre que la prostitution est le passage obligé de l’homosexualité vieillissante : le héros homosexuel âgé qui veut continuer à jouir de la beauté des jeunes corps qu’avant la valeur marchande de son propre corps lui permettait d’obtenir gratuitement, se voit obligé de sortir le chéquier…

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Vidéo-clip de la chanson "Moi Lolita" d'Alizée

Vidéo-clip de la chanson « Moi Lolita » d’Alizée


 

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Régulièrement dans les fictions homo-érotiques, la relation amoureuse (homosexuelle) est placée sous le signe de l’argent : cf. le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung (p. 63 et p. 117), le film « Les Témoins » (2006) d’André Téchiné, le film « Rockbitch » (1998) de Wim Verbulst, le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern, le film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka, le film « The Price Of Love » (1995) de David Burton Morris, le film « The Boy Next Door » (2008) d’un réalisateur inconnu, le tout début du vidéo-clip de la chanson « Moi, Lolita » d’Alizée, etc.

 

 

Par exemple, dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, plus Stephen, l’héroïne lesbienne, sent qu’Angela lui échappe, plus elle la soudoie avec des cadeaux… mais c’est déjà trop tard : « Elle ne pouvait acheter l’amour d’Angela. » (p. 246). Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Vincent passe son temps à reprocher à son amant Stéphane de l’avoir utilisé comme un escort boy, un faire-valoir : « Tu me prenais pour une pute ! » Leur toute première rencontre a eu lieu lors d’une séance de dédicace d’un roman de Stéphane. Vincent lui reproche d’avoir acheté son cœur par une signature : « C’était déjà une manière de me considérer comme une pute. »

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution : cf. le film « Un Ragazzo Come Tanti » (« Un Homme comme tant d’autres », 1983) de Gianni Minello, le film « La Triche » (1984) de Yannick Bellon, le film « Happy Together » (1997) de Wong Kar-Wai, le roman L’Ange impur (2012) de Samy Kossan (Samy s’est prostitué dès l’âge de 15 ans ; puis il rencontre l’« amour » avec Joey, un autre prostitué qui est encore plus dangereux que lui), etc.

 

Par exemple, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau, Henri, par « amour » pour Jean, accepte que ce dernier soit son proxénète et finit par se prostituer. Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, la relation de « couple » est mise sur le même plan que la relation prostitutionnelle. Par exemple, Petra demande à son amante Jane si elle a déjà payé pour coucher. Elle lui répond que non. Petra lui rétorque : « Et toutes ces fois où tu es super gentille avec moi ? ». Jane lui renvoie la pareille. Au départ, Petra répond par la blague : « J’ai payé ta place de cinéma, alors j’espère que tu vas accepter de coucher avec moi une fois qu’on arrivera à la maison. » (Petra s’adressant à son amante Jane, p. 77) Ensuite, voyant l’attraction interdite de sa compagne pour les prostituées (et notamment la jeune Anna), elle ironise : « Ça te fascine, hein ? T’aimerais qu’on en ramène une un jour ? » (p. 78) Enfin, on apprend que dans sa jeunesse, Petra a loué les services d’une prostituée en la payant : « Je ne sais pas trop si on peut dire que j’ai payé pour m’envoyer en l’air » (p. 84), avance-t-elle en faisant croire que la prostituée et elle y ont trouvé leur plaisir. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso Davide, le héros homo de 14 ans, est enculé contre un mur en verre, sur fond rouge, par un autre prostitué. Ce dernier l’abandonnera après l’avoir usé. Pire, il l’entraînera de force à la prostitution pour qu’il ait le droit d’habiter chez lui.

 

Certains protagonistes considèrent même que la prostitution et l’argent sont les moteurs de leur désir amoureux. Par exemple, dans le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia, Wassim avoue à Malik qu’il a besoin de donner un billet à son copain pour jouir et l’aimer davantage : « Tu sais ce que j’aime le plus ? Les gigolos. » Dans le film « El Diputado » (« Le Député », 1978) d’Eloy de la Iglesia, un prostitué adolescent, indicateur de la police, tombe amoureux de sa victime. Dans le film « 200 American » (2003) de Richard LeMay, un homme d’affaires new-yorkais devient amoureux d’un prostitué australien. Dans le film « Little Lies » (2012) de Keith Adam Johnson, Phillip tombe amoureux d’un escort.

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que l’argent, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s fictionnels serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution dans les œuvres homo-érotiques n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), etc. Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement ! Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Sheela, pour les cours particuliers que lui donneraient Anamika (l’héroïne lesbienne), lui propose très sérieusement de la payer « en monnaie de baisers » (p. 97).

 

Certains couples homos fictionnels pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! c.f. La pièce Cachafaz (1993) de Copi (avec la relation d’« amour » entre Raulito, le prostitué, et Cachafaz, son « mac »), le film « Notre Paradis » (2010) de Gaël Morel (avec les deux amants prostitués, Vassili et Angelo), le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (avec la relation ambiguë entre Loïc et Lionel), la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane (avec Mitchell tombant amoureux d’un gigolo), etc. Par exemple, dans le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford, la rencontre entre George, le héros homosexuel universitaire, et le prostitué Carlos, est filmée comme une belle (parce que désespérée !) idylle. Dans le sketch « Le Couple homo » de Pierre Palmade et Michèle Laroque, Alain, 48 ans, est en couple avec un jeune amant brésilien, Roberto, 19 ans, traité de « gigolo ». Avec la prostitution, c’est la différence de classes sociales qui serait soudain pulvérisée, c’est merveilleux… : cf. le film « Hustler White » (« Prostitué blanc », 1996) de Nick Castro et Bruce LaBruce, le film « Happy Hookers » (« Prostitués heureux », 2006) de Ashish Sawhny (relatant la vie de trois prostitués en Inde), etc.

 

Il arrive que le héros homosexuel, bercé par ses illusions d’amour ou stimulé par ses pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme une action banale et possiblement amoureuse : « Je ne suis pas devenu pute. » (Jean-Marie, homosexuel, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « Partager mon ennui le plus abyssal au premier venu trouvera ça banal… » (cf. la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer) ; « Les jeunes prostitués qui se trouvaient Place Dauphine le fascinaient. […] Sa présence ici n’était pas insensée. Elle était juste nécessaire. » (Adrien, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 26) ; « Le premier métier : la prostitution ? » (Omar, l’un des deux héros homosexuels du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 93) ; « Enfin j’ai reçu une lettre de ma cousine. Elle ne dit rien de ce que nous avons fait ensemble, sinon qu’elle finit sa lettre par je t’embrasse’. Trois fois à la suite. Elle m’écrit surtout pour me dire le bien que je lui ai fait en lui prêtant la somme dont elle avait grand besoin et qui la sauve tout à fait. » (Alexandra, la narratrice lesbienne ayant vécu une liaison amoureuse avec sa cousine, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 75) ; etc.

 

Selon l’hypocrite client homosexuel fictionnel, ou le non moins hypocrite prostitué, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ». « L’argent, ça n’existe plus. À partir de ce soir. » (Cherry d’adressant à son amante Ada, dans la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « Il m’arrivait aussi d’être fréquenté par certains voisins en mal de chaleur humaine. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chambre de bonne » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 56) ; « Toi non plus tu n’as pas d’argent. Je te propose une chose : moi je taille une pipe à toi, et toi tu me tailles une pipe. » (un homme au travesti M to F Paletta, dans le film « Toto Che Visse Due Volte », « Toto qui vécut deux fois » (1998) de Daniele Cipri et Francesco Maresto) ; « En fait, si t’étais une femme, tu serais une pute gratuite, pour le plaisir ?’ Cody rit. » (Mike, le narrateur homosexuel, s’adressant à Cody, son pote gay nord-américain, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 92) ; « Devant le miroir, Cody lève les cheveux de sa perruque blonde et dit ‘Je souis Catherine Denouve, non, dans une film de Bunuel ?’ En me regardant, les cheveux toujours maintenus en l’air, il dit ‘Toi, tu es Vanessa ? Ça fait très français, ça, comme nom, quoi. Catherine Denouve et Vanessa de Paris, les putes gratuites qui cherchent les hommes pour leur vagina.’ » (Cody, op. cit., p. 101) ; « Mon amour pour votre nation se fait par ma prostitution. Je prends des Blancs de classe moyenne. Question d’amour et d’argent, Maman. Et le luxe est mon meilleur amant. C’est une question harassante, que l’or ! » (cf. la chanson « Question d’amour et d’argent » de Jann Halexander) ; etc.

 
 

Adrien – « T’as raison, on n’achète pas la tendresse, presque machinalement.

Malcolm – T’inquiète, j’te ferai rien payer. »

(cf. le dialogue entre Adrien, le héros homosexuel, et son amant-prostitué noir, Malcolm, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 28)

 
 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnages homosexuels – pourtant souvent lettrés, esthètes, éduqués, spirituels, réputés « raffinés » et « romantiques », a priori peu vénaux – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses », ou bien au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains héros (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. « Moi, j’suis pas une pute ! Je suis une intellectuelle ! » (Raulito le prostitué, dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi)

 

En général, les acteurs fictionnels de la prostitution atténuent et excusent la violence de la prostitution par le prétexte de l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja, le film « Esos Dos » (2012) de Javier de la Torre, etc.), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

La prostitution gratuite, camouflée par la « légitimité » de « l’amour » homosexuel, de la drague, et de la fougue des passions, est la porte ouverte à l’actualisation banalisée du viol : « Il râle, il a joui. Toujours la même histoire avec les Arabes. Il va se laver sans dire un mot, se savonne bien la bite sans oser me regarder dans le miroir qu’il a en face. Ça t’a plu ? je lui demande appuyé sur le rebord de la porte. Moi je me vois bien dans le miroir, j’ai les cheveux longs éméchés, la robe déchirée, on dirait une pute qu’on vient de violer. » (le narrateur homosexuel parlant du chauffeur de taxi maghrébin qui le viole, dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 44)

 

Par exemple, dans le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, on constate que la protagoniste lesbienne française, Kim (Muriel Robin), dans sa grande naïveté militante, confond le tourisme sexuel avec l’Amour. En effet, alors qu’elle dîne dans un restaurant thaïlandais avec Louis (Jean Réno, jouant le rôle d’un médecin qui l’accompagne dans sa démarche d’adoption, et qui vit sur place en Asie du Sud-Est), elle s’offusque de voir ce dernier casser la figure à deux hommes dînant ensemble, et qui ont l’air d’être en couple : « Vous êtes homophobe ? » lui demande-t-elle, indignée. Louis lui coupe froidement le sifflet : « Non : je suis contre la prostitution. »

 

Le client fictionnel a souvent ce double discours puant, hypocrite, et pourtant sincère, de celui qui, en même temps qu’il loue les services de son prostitué et l’enfonce donc un peu plus dans la misère, cherche en l’en sortir. Il tient exactement les propos compassionnels et pseudo ascétiques du sénateur du film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern : « Je ne veux pas de sexe avec toi. Je veux juste discuter… »

 

Le déni du viol chez le prostitué homosexuel ou son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée, carrément schizophrène : « Et Adrien était là aussi [sur la Place Dauphine, lieu de prostitution]. Adrien faisait comme eux. Il était l’un d’eux. Il en éprouvait de la honte. Comment lui, le prêtre, pouvait-il être impliqué dans ce vil commerce des corps, côtoyer ces êtres en manque de chair, se mettre en chasse comme eux ? » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 27)

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels fictionnels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer. La prostitution leur sert de rempart pour ne pas assumer leur désir et leurs actes (homo)sexuels : « Y’a que les pédés qui se la touchent sans payer. » (Rachid à Karim, dans le film « Mon copain Rachid » (1998) de Philippe Barassat) Par exemple, dans le film « Chop-Shop » (2009) de Ramin Bahrani, Alejandro insiste pour sucer Carlos sous l’excuse de la prostitution. Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homos, dit qu’il s’est déjà prostitué : « Ça m’excitait d’être un jouet sexuel. » Et Mathan, son futur amant, plaisante en remarquant qu’il est passé à un autre type de prostitution : « Maintenant, tu couches avec tout le monde, mais sans rémunération… » Le cadre « légalisé »/balisé de la prostitution fait office de paravent à la fois de la pratique homosexuelle mais aussi de l’homophobie des deux héros.

 

Dans le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, Phil, le héros homo, pendant la nuit, vient dans la chambre de sa maman, la réveille pour lui demander conseil au sujet de son premier béguin pour un garçon de sa classe, Nicholas. Elle lui donne ce conseil : « Fais tout. » Mais elle lui délivre aussi un avertissement faustique (l’interdit d’aimer) : « Mais ne lui demande pas s’il t’aime. Crois-moi, je m’y connais. » Phil remercie sa mère maquerelle (qui s’autoproclame elle-même « BITCH ») : « Merci Mum. Tu m’as bien aidé. »
 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « Non, elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne] ne se laissera pas ligoter au piège passionné de cette inconnue ! » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 24) ; « C’est plus fort qu’elle, cette façon de couper court aux effusions pleurnichardes, de mentir à son cœur morfondu, de s’interdire tout amour. » (idem, pp. 42-43) ; « Et ne croyez pas que, d’ordinaire, je sois sujette à ces sortes d’emballements. Pour moi comme pour vous, sans doute, c’est une première fois. Il me faut, il nous faut l’accepter. » (Émilie s’adressant à son amante, op. cit., p. 69) ; « Elle [Gabrielle] en rougit encore. Comme du mot ‘amour’, qu’elle s’est si longtemps interdit de prononcer. » (idem, p. 126) ; « Je veux pas que tu tombes amoureuse. » (Anna s’adressant à son amante Polly, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 51) ; « Elle était toujours sur le point de m’aimer, et je ne le voulais à aucun prix. » (Suzanne concernant sa liaison éphémère avec Agnès, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 225) ; « Parole donnée, contrat signé. N’oublie jamais : INTERDIT D’AIMER. » (le diable parlant à James Dean, dans la chanson « Cinq » du Clergyman, dans la comédie musicale La Légende de Jimmy (1992) de Michel Berger) ; « Le lys veut dire : je te défie de m’aimer. » (Luce la fleuriste face à Rachel sa future amante dont elle tombe amoureuse, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker) ; « Je ne te parle pas d’amour. Je sais très bien que ça te ferait rire. » (Julien, l’amoureux éconduit de Rosa, la prostituée, dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali) ; etc.

 

Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » (cf. le film « Défense d’aimer » (2001) de Rodolphe Marconi, le film « J’embrasse pas » (1991) d’André Téchiné, le roman Ya No Sufro Por Amor (2006) de Lucía Etxebarría, etc.) – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle.

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire (cf. le film « L.I.E. », « Mensonge » (2001) de Michael Cuesta). La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « La vierge devient pute. » (« X », le héros homosexuel du film « Boy Culture » (2007) de Q. Allan Brocka) ; « La Vierge est une pute ! Tu te rends compte, canard ? » (Philibert à son amant, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher) ; « On est toutes des salopes pour les hommes. » (Léa, la femme violée de la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe Botti) ; etc. Par exemple, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, la femme est considérée comme « la reine des putes » par le héros homosexuel (interprété par Rocco Siffredi). Dans le film « Mauvaise Passe » (1999) de Michel Blanc, Pierre (Daniel Auteuil) quitte sa famille et s’enfuit à Londres, où il rencontre Tom (Sam Townsend), un prostitué, qui l’amène à s’enfermer dans son monde obscur de sexe et d’argent.

 

Entre le héros homosexuel et la prostituée/le prostitué, il existe un double mouvement idolâtre-schizophrène-paradoxal-divisant-passionnel d’attraction/répulsion, d’adoration/destruction… que l’on perçoit tout à fait dans le couple homosexuel fictionnel du roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, composé d’Omar et Khalid : tandis que Khalid dit qu’« il n’aime pas les putes », Omar s’oppose à lui par un laconique : « Moi, oui. » (p. 117)

 

On découvre derrière cette idolâtrie un lourd contentieux. La prostituée ou le prostitué finit par être détesté(e) par le héros homosexuel étant donné qu’il/elle est considéré(e) comme le père ou la mère indigne qui lui a donné la vie (par exemple, dans le roman Hawa (La Différence, 2010) de Mohamed Leftah, Zapata et Hawa, les deux jumeaux, sont le fruit de la rencontre entre un soldat américain et une prostituée ; dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, Arthur, un des héros homosexuels, est un enfant issu d’une liaison de prostitution : son père, l’écrivain bisexuel Marcel Proust, a couché avec une prostituée, pour l’avoir ; et je vous renvoie aussi au long chapitre « Maman-putain » du code « Matricide » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, ainsi qu’à la figure de la mère-maquerelle du code « S’homosexualiser par le matriarcat »). Il/elle apparaît, aux yeux du client, comme une tentation désirante dangereuse, mais également comme un souvenir désagréable d’une initiation forcée à la sexualité. Par exemple, dans le film « Gun Hill Road » (2011) de Rashaad Ernesto Green, Enrique force son fils transsexuel M to F Michael à aller voir une prostituée pour le faire changer de force d’orientation sexuelle ; cela se transformera en séance de torture mentale pour le jeune homme. Dans le film « Jeux d’amour chez les jeunes filles » (1971) de F. J. Gottlieb, une mère engage une prostituée pour déniaiser son fils et l’empêcher qu’il devienne homo. Dans le film « El Transexual » (1977) de José Jara, Lorna est forcé à aller au bordel par son père pour se « convertir » à l’hétérosexualité. Dans le film « No Se Lo Digas A Nadie » (1998) de Francisco J. Lombardi, Joaquin se fait emmener par son père ultra-conservateur dans un bordel pour le faire « devenir un homme ». Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la prostituée, fouette Jules et le méprise.

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué a même pu se solder par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme/arrivisme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. « Malcolm n’est peut-être qu’un profiteur. Un esclave affranchi qui désormais possède le maître et se joue de lui. » (Adrien, le héros homosexuel, parlant de Malcolm, son amant-prostitué, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 59) Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, le héros homosexuel, révèle qu’il s’est jadis pris un coup de poignard par une femme. Et Quentin, son amant secret, a lui aussi eu une relation avec une prostituée (Martine) avant de se convertir à l’homosexualité. Jules Jules, sur scène, se conduit très mal avec ses deux compagnes-prostituées : il donne une gifle à Michèle (l’actrice-pétasse) et traite Martine (la prostituée « professionnelle ») de « morue » : en les attaquant, il semble vouloir réveiller en elles les prostituées-tigresses : « Vous êtes des bêtes sauvages !!! » Dans la pièce La Belle et la Bière (2010) d’Emmanuel Pallas, pendant qu’il fait ses mots-croisés, Léo, le héros homosexuel, réfléchit tout haut (pour finalement trouver la bonne solution : le mot « Occiput ») : « 7 lettres : prostituée assassinée ou crâne. »

 

Le héros homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre (cf. la prostituée borgne du film « Le Trou noir » (1997) de François Ozon), un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère… « Gigi lui [le prince Koulotô] prit le portefeuille dans sa poche intérieure ; une liasse de billets de 500 francs roula sur le trottoir. Les deux vieux travelos se précipitèrent pour la ramasser, la mirent dans un de leurs sacs et coururent jusqu’à l’angle de la rue des Martyrs. » (cf. la nouvelle « Les vieux travelos » (1978) de Copi, pp. 88-89) ; « Avec sa bouche d’anthropophage rouge carrosserie, ses cheveux façon perruque en nylon du Crazy Horse, elle aurait pu jouer dans une parodie porno de films de vampires. » (Jason, le héros homosexuel décrivant la vénéneuse Varia Andreïevskaïa, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 56) ; « Partir à la recherche de Greta a été comme entrer dans un des cercles de l’Enfer. » (Jane, l’héroïne lesbienne en quête de Greta la prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 177) ; etc.

 

La prostituée de l’homosexuel est souvent une prédatrice sensuelle et dangereuse, allongée comme une féline sur un canapé, en combinaison cuir (cf. la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho). « Assise sur le canapé, elle lisse sous ses doigts les éraflures laissées dans le cuir par les griffes de son vieux chat, mort la veille. » (cf. la description de l’héroïne lesbienne, Gabrielle, les toutes premières lignes du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 10) Par exemple, dans la chanson « À force de retarder le vent » de Jann Halexander, la prostituée tueuse et bourgeoise fixe l’homosexuel de son regard félin, et « murmure à son chat ».

 

Dans les fictions traitant d’homosexualité, la prostituée lesbienne ou le prostitué masculin incarne souvent la figure de la tentation destructrice. « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) Dans le film « Between Love And Goodbye » (2008) de Casper Andreas, April, la sœur de Kyle, ancienne prostituée, essaie de briser le couple Marcel/Kyle. Dans le film « Dinero Fácil » (« Argent facile », 2010) de Carlos Montero Castiñera, Jaime, un jeune prostitué, va aider un de ses clients à tuer sa femme. Dans le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan, une prostituée lesbienne et vénéneuse, Chloé, attire dans ses filets Catherine, une femme mariée, au point de s’insérer de manière très intrusive dans sa vie ; ce triangle amoureux finira mal puisque Chloé meurt défenestrée.

 

Le prostitué/la prostituée symbolise l’allégorie du meurtre élégant, le climax du viol ou de la mort « acceptable » : « Jolie s’empara d’une brosse d’argent et le frappa sur la tête. Le Sénateur tomba la tête la première dans l’eau. » (Copi, La Vie est un tango (1979), pp. 27-28) Il est présenté(e) comme un être qui conduit symboliquement à la mort : « La jeune prostituée sortit son couteau à cran d’arrêt de son décolleté et poignarda sauvagement à la gorge la boulangère, qui se mit à râler. » (cf. la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, p. 54). Par exemple, dans le roman La Colmena (1951) de Camilo José Cela, Matiitas se tire un coup de fusil dans l’anus après s’être enfermé à l’intérieur de la chambre de la prostituée Aix qui l’a initié à la génitalité. Dans le film « Lonely Boat » (2012) de Christopher Tram et Simon Fauquet, la prostituée Macha se fait frapper par Erwann. Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, « Big Demon » est le nom du prostitué transsexuel M to F du Bois de Boulogne. Dans le film « American Gigolo » (1980) de Paul Schrader, un gigolo est soupçonné de meurtre. Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume se fait « défloré » violemment par Ingeborg, une séduisante assistante d’une station thermale norvégienne (qui lui fait un lavement d’anus en lui introduisant un tuyau). Dans le roman The Girl On The Stairs (La Fille dans l’escalier, 2012) de Louise Welsh, Alban Mann traite sa propre fille de « pute » (p. 18), et finira par la tuer, comme il a assassiné sa femme Greta, elle-même prostituée « professionnelle ». Jane, l’héroïne lesbienne, vengera les deux femmes en tuant Mann au couteau. Et tous les personnages tentent d’assassiner la prostituée, y compris celle-ci qui cherche à se supprimer : « Greta est une pute. Je l’attends. Quand elle descendra l’escalier l’escalier je lui ferai un croche-patte et je lui enfoncerai les yeux dans les orbites. » (Frau Becker, p. 213) ; « Je me souviens de deux prostituées, des belles filles, qui venaient à la clinique, et qui avaient sauté ensemble main dans la main vers la mort. » (Alban Mann, p. 234)

 

Film "Matador" de Pedro Almodóvar

Film « Matador » de Pedro Almodóvar


 

Le/la prostitué(e) fictionnel(-le)s apparaît comme le/la rebelle qui se venge en tuant son proxénète ou en se débarrassant de l’homosexuel : cf. le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz (avec le gang des prostitués-amants qui assassine Sébastien), la chanson « Il m’déroute » de Christiane Nere, la pièce String Paradise (2008) de Patrick Hernandez et Marie-Laetitia Bettencourt (avec Louna, la prostituée tueuse), le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec Maria qui poignarde ses amants lors de leurs ébats amoureux), le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer (avec la prostituée de luxe qui achève le maquereau de sa sœur jumelle exploitée), le film « Salò O Le 120 Giornate Di Sodoma » (« Salò ou les 120 Journées de Sodome », 1975) de Pier Paolo Pasolini (avec les prostituées-tueuses), la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti (avec Salomé, la dangereuse prostituée), le film « Ronde de nuit » (2004) d’Edgardo Cozarinsky, (avec la prostituée qui pousse son client sur la voie routière), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau (avec Martine, la prostituée vengeresse), etc. Je vous renvoie également au code « Actrice-Traîtresse » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Par conséquent, il est logique que le héros homosexuel finisse souvent par tuer la prostituée/le prostitué : cf. le film « Lonely Boat » de Christopher Tram et Simon Fauquet, la pièce Requiem pour une garce (2011) de David Sauvage, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman (avec Peter Egerman), le film « Faut-il tuer Sister George ? » (1968) de Robert Aldrich, le roman El Martirio De San Sebastián (1917) d’Antonio de Hoyos (avec le meurtre iconographique de la prostituée), le film « L’Aurore » (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau, le film « Doctor Jekyll And Sister Hyde » (1971) de Roy Ward Baker, le film « Games That Lovers Play » (1971) de Malcolm Leigh, le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec le meurtre final), le film « L’Année des treize lunes » (1978) de Rainer Werner Fassbinder, le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « Armaguedon » (1976) d’Alain Jessua, le film « Sometimes Aunt Martha Does Dreadful Things » (1971) de Thomas Casey, le film « Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan » (1973) de Chu Yuan, le film « Tubog Sa Ginto » (1971) de Lino Brocka, le film « Amours mortelles » (2001) de Damian Harris, le film « En El Paraíso No Existe El Dolor » (1995) de Víctor Sacca, le film « Rocher d’Acapulco » (1994) de Laurent Tuel, le film « Garçon stupide » (2003) de Lionel Baier (où Loïc pousse sa meilleure amie Marie – qu’il a traitée de « pute » – au suicide), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki (avec la scène de maltraitance du héros lors d’un « plan cul » qui tourne mal), le film « Colloque de chiens » (1977) de Raoul Ruiz (avec Monique, l’ex-prostituée qui se suicide), la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy (avec « Lola Lola », la danseuse découpée en morceaux dans une malle), etc. « C’était une putain. Rien n’était assez bon pour lui. […] Il avait la peau douce comme une fille. » (Felix Tesla après avoir tué le prostitué Leland, dans le film « Le Détective » (1968) de Gordon Douglas) ; « Les filles qui se font violenter sont souvent hyper sexualisées. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 55) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Los Ambiguos (1922) d’Álvaro Retana, la prostituée est tuée car c’est elle qui envoie le personnage homosexuel de Julio à la prostitution. Dans le roman Moïra (1950) de Julien Green, le protagoniste homosexuel étrangle la prostituée qui le force à la sexualité. Dans le film « Pulsions » (1980) de Brian de Palma, Bobbi, un transsexuel M to F en devenir, tue les femmes trop désirables et sexuellement trop actives. Dans le film « Madame Satã » (2001) de Karim Ainouz, João, le héros transsexuel M to F, maltraite Loretta. Dans le film « Vil Romance » (2009) de José Celestino Campusano, Alejandra, traitée de « pute » par Raúl, l’un des héros homosexuels, finit par achever au couteau de cuisine ce dernier qui allait la tuer. À la fin de la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen, le Baron Osvald Lovejoy, homosexuel, tue Scarlett, la prostituée, avec son flingue. Dans le film « Jagdfzenen Aus Niderbayern » (« Scènes de chasse en Bavière », 1969) de Peter Fleischmann, Abram, le héros homosexuel, poignarde « la Tonka » au ventre (« Je lui ai crevé son ventre ! », dit-il en la traitant de « prostituée ») parce qu’elle lui avait annoncé qu’elle était enceinte de lui ; il finit par la battre à mort, en l’insultant violemment (« Tu vas te taire, salope !! »). Dans le film d’épouvante « In The Blood » (« Dans le sang », 2006) de Lou Peterson, un jeune homme donne rendez-vous à un prostitué latino ; et ça finit mal, bien sûr !

 

Dans le film « Rosa la Rose : Fille publique » (1985) de Paul Vecchiali, Rosa, la jolie prostituée, fait promettre au jeune Moustique qu’elle a dépucelé de jouer à un jeu jusqu’au bout. Ce dernier promet avant de savoir quelle en est la teneur : « À quoi on joue ? » demande-t-il, excité. Il déchante quand elle lui demande de lui enfoncer dans le ventre un gros couteau de cuisine : « Tu vois ce couteau ? Tu vas me l’enfoncer dans le ventre. C’est pour avoir une chance. Une chance sur deux. » Par « amour », il va obéir à sa demande. Mais, pris de remord, Moustique se jettera dans les bras de la prostituée nommée « Quarante », comme si c’était lui qui avait reçu le coup de couteau : « Pourquoi elle m’a fait ça, Quarante ? »

 

Le meurtre de la prostituée/du prostitué ressemble finalement en tous points au meurtre homophobe, suscité par l’homosexualité pratiquée. Par exemple, dans la nouvelle « Madame Pignou » (1978) de Copi, une boulangère laisse sa propre fille se prostituer sur le trottoir juste en face de sa boutique, et va chercher à s’en débarrasser : « La jeune prostituée pissait sur le trottoir (pour ce faire, elle avait soulevé sa mini-jupe en lamé, elle n’avait même pas de caleçon, le petit caniche léchait son urine dans le caniveau). » (p. 51) ; « La jeune prostituée jaillit de derrière la voiture et projeta un pavé sur la vitrine qui vola en éclats. Mme Pignou fut blessée au front par un éclat de verre. » (idem, p. 53) ; « La boulangère allait dans l’arrière-boutique et revenait avec un fusil de chasse. Elle visa la vitrine, tira à plusieurs reprises, plusieurs œufs volèrent en éclats. La jeune prostituée poussa un cri et alla se cacher derrière une voiture. ‘Je l’ai ratée, la pute !’ s’écria la boulangère. » (p. 53) ; « La jeune prostituée s’effondra sur la chaise en formica et se mit à sangloter, se maculant les joues de ses mains inondées du sang de la boulangère. » (idem, p. 55) Mme Pignou reproche en réalité à sa fille leur gémellité d’actions, puisqu’elle a été jadis prostituée aussi : « Je suis une ancienne fille de joie. » (p. 52) L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie fictionnelle ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. Le héros homosexuel érige un bûcher en l’honneur du prostitué/de la prostituée pour lui prouver qu’il/elle est éternel(le), pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir : « La jeune prostituée était devenue une torche vivante, elle courait dans tous les sens, s’écrasant contre les derniers miroirs qui volaient en éclats. » (idem, p. 55)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, et de la femme fatale croqueuse d’hommes (par exemple, Mylène Farmer dans le vidéo-clip de sa chanson « California »). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. Dans les fictions, les personnages homosexuels pratiquants et les prostitué(e)s fictionnel(le)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. « Ton métier, c’est de te faire violer. » (David s’adressant à son frère prostitué Dodge, dans le film « Twist » (2004) de Jacob Tierney et Adrienne Stern) ; « Je veux que tu me butes. » (la prostituée s’adressant à Dick son client bisexuel, dans la pièce Penetrator (2009) d’Anthony Neilson) ; etc. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject. Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, l’héroïne lesbienne, est à la recherche de prostituées avec qui avoir des aventures, et cherche à imiter les hommes machos qu’elle jalouse. « Je le comprends et j’envie sa vie de noceur ! Ces hommes-là ont compris la valeur de ce qu’ils louent. Si j’en trouve le moyen, je veux connaître cet instant où, en payant le prix, je pourrai choisir et monter avec une femme pour lui faire tout ce que j’aime… Je voudrais être cet homme qui va au salon, rencontre, paye et s’en va, sans séduction, sans attendre, comme un animal. » (p. 34) ; « Ayant remarqué mon petit manège, elle [la prostituée] s’avança, certaine cette fois que j’étais revenue pour elle. […] Elle me prit par le bras et m’entraîna dans un coin sombre, comme elle devait le faire pour décider le client quand il n’était pas sûr de lui. Elle ouvrit un peu mon manteau et chercha entre mes jambes ce qu’il n’y avait pas. Elle entreprit de me palper plus avant. Je me mis à la regarder bien en face. […] Elle m’attrapa le bras violemment. Terrorisée, j’eus l’énergie de m’enfuir, courant comme je le pouvais dans mon accoutrement, manquant de trébucher dix fois sur mon pantalon trop long… Je l’entendis qui disait quelque chose comme : ‘J’ai d’la moralité, moi !’ Puis, très clairement, le mot ‘ordure’ claqua dans la nuit. » (pp. 40-41) ; « L’amour de Marie était devenu assez pesant. […] Maintenant que je l’avais possédée, je n’avais plus vraiment de désir pour elle. Sans doute aurais-je aimé vivre comme beaucoup d’hommes, sans cesse en recherche de nouveauté, tout à la joie de la découverte. […] Si j’avais été une femme qui prenait du plaisir avec les hommes, j’aurais sans doute été une courtisane, ou pis encore… » (pp. 207-208)

 

Par la pratique de la prostitution, le/la prostitué(e), tout comme son client, prétendent « inverser/transcender les rapports de domination femme-homme », bref, gommer la différence des sexes, ou bien l’incarner à eux seuls (cf. le film « Prends-moi » (2005) d’Everett Lewis). « Oui, j’étudie les hommes depuis des années, professionnellement… un peu comme une prostituée en somme… » (la femme à propos de son ex-compagnon Jean-Luc, converti à l’homosexualité, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je ne suis pas une putain, c’est moi qui paie ! » (Maria-José, le transsexuel M to F, dans la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 36) ; « Je suis déjà sorti avec une femme. Finalement, je suis devenu gay ; elle, actrice porno. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; etc.

 

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. « Femme assise » de Copi


 

Dans les fictions homo-érotiques, la prostitution n’est pas simplement une violation de la différence des sexes. Elle se double d’une violation de la différence des générations (= inceste) et de la différence des espaces (= racisme). C’est la raison pour laquelle beaucoup de créateurs homosexuels figurent la relation mère-fille comme une union transsexuelle maquerelle-prostituée (dans laquelle, bien souvent, les rôles s’interchangent d’ailleurs, puisqu’il s’agit concrètement d’une schizophrénie, de l’expression d’une transsidentité cynique). Par exemple, dans l’œuvre théâtrale et romanesque de Copi, ce duo maman-fille prostituées est un grand classique. « Ma mère, que fais-tu ici ? Je t’ai interdit de venir traîner dans mon territoire ! » (Lou parlant à sa mère Solitaire à Montmartre dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi)

 

B.D. "Le Monde fantastique des gays" de Copi (cf. planche "Telle mère telle fille")

B.D. « Le Monde fantastique des gays » de Copi (cf. planche « Telle mère telle fille »)

PROSTITUTION Telle mère 2
 

On l’observe aussi dans beaucoup de spectacles travestis ou transsexuels. Notamment, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson, Zize, le travesti M to F, « relooke » sa nièce Claire comme une pute et la laisse sur un parking pour qu’elle fasse son apprentissage de la « sexualité »… ou plutôt de la prostitution. Dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, trois générations de prostituées (grand-mère, mère et fille) se succèdent (« Oui, j’ai fait carrière au bois… » dit la mère), s’injurient entre elles (« Toutes des putes ! Même maman ! »), et ne sont que les trois facettes d’un même désir de se mépriser et de déprimer en rigolant (« J’suis totalement dépressive ! » ; « Ridicule, oui, mais pas médiocre ! »), quitte à prendre la terre entière pour une nation de prostituées damnées (« Mes sœurs salopes, prenez le taureau par les couilles ! » conclut la fille Gwendoline).

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Un lien existant entre homosexualité et prostitution :

PROSTITUTION Koltès

Pièce « Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès


 

Même dans le réel, il existe des rapports étroits entre homosexualité et prostitution. Dans toute société humaine, à n’importe quelle époque, et dans n’importe quel pays, ils sont constatables (et je ne parle pas que de la prostitution masculine en disant cela : je me réfère aussi à la prostitution féminine !). Souvent, le pratique des actes homosexuels et de la prostitution coïncident avec des contextes de misère, de crise, de pauvreté, de dictatures, et de guerres. « En relisant les écrits des auteurs latins, on en arrive à se convaincre qu’à Rome, la prostitution masculine était presque aussi générale et aussi ardente que la prostitution féminine. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 126) ; « Les familles patriciennes avaient coutume de donner à leurs fils, à partir du jour de leur puberté, un jeune esclave qui partageait leur lit et qui était destiné à satisfaire leurs premiers élans voluptueux. Les jeunes esclaves portaient des cheveux flottants. Le jour de son mariage, le jeune Romain qui voulait indiquer sa fidélité à son épouse, faisait couper les cheveux à ses esclaves. La loi romaine ne permettait cette prostitution que chez les esclaves, les affranchis, les étrangers. Le châtiment de mort n’intervenait que pour les hommes libres. » (idem, p. 127) ; « Dans un tract politique nazi du 16 septembre 1919, on pouvait lire ce slogan : ‘L’Allemagne est en train de devenir une ‘maison chaude’ pour les fantasmes et l’excitation sexuelle.’Cette formule correspondait à une réalité certaine. Des touristes du monde entier venaient à Berlin, parce qu’elle était surnommé ‘Sin City’… On pouvait même trouver des filles de 10-11 ans portant des habits de bébés qui se promenaient de minuit à l’aube en concurrence avec des blondes luxuriantes, nues dans leurs manteaux de fourrures. Ou avec des garçons habillés en poupées, poudrés, les yeux faits, et du rouge aux lèvres. Pas moins de deux mille prostitués mâles sillonnaient les rues de Berlin, tous listés par la police. » (Philippe Simonnot parlant de la libéralisation des mœurs dans la ville nazie berlinoise des années 1920-30, dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 31) ; « Si l’Occupation [1942-1944] avait radicalement supprimé la progression de la drogue en France, elle y avait en revanche développé l’homosexualité. Assez répandue outre-Rhin, la pédérastie s’étendit à la suite du passage des soldats allemands dans notre pays. Jusqu’alors, elle était le fait de quelques intellectuels ou de quelques blasés qui constituaient une confrérie très fermée. Les véritables invertis physiologiques se montraient encore plus discrets. Bref, la pédérastie n’était pas descendue dans la rue. Par goût, par entraînement, par intérêt, par lâcheté, de nombreux jeunes gens, et des moins jeunes, subirent l’initiation germanique. À la Libération, l’arrivée des Nord-Africains, les difficultés économiques, la fermeture des bordels, encouragèrent cette vague d’homosexualité. Pour la première fois à Paris, il existait une prostitution masculine avouée sur les trottoirs de Saint-Germain-des-Prés. C’est pourquoi la loi d’avril 1946 sur la prostitution n’établit aucune distinction de sexe. » (André Larue, Les Flics, 1968) ; « Les prostitué(e)s et les homosexuels sont les proies privilégiées des polices des mœurs partout dans le monde. » (Gayle Rubin, Marché au sexe (2001), p. 95) ; « Bien à l’âge de neuf ans, j’ai été abusée sexuellement par un adolescent et sa sœur. J’ai alors expérimenté une activité hétérosexuelle et homosexuelle affreuse à un très jeune âge et en même temps, j’étais élevée par la télévision – j’avais la permission de regarder des films réservés aux adultes, des films d’horreur, des films à contenu sexuel, donc mon éducation à l’amour et au sexe s’est faite par l’abus et en gros par la négligence parentale, puisqu’ils nous autorisaient à regarder ces choses. » (Shelley Lubben, ex-actrice porno) ; « Je pourrais également être prostitué – et même travesti, navré si cela vous choque. Violé à l’âge de 12 ans, j’ai grandi dans une famille où l’inceste était monnaie courante. Les hommes de mon enfance – à commencer par mon père – n’étaient pas à la hauteur. Pire, ils auraient dû me dégoûter d’être un homme. » (Père Jean-Philippe, Que celui qui n’a jamais péché… (2012), p. 17) ; etc.

 

Il existe de nombreux croisements indirects entre la pratique de la prostitution et l’émergence de l’homosexualité. Dans certains pays, les actes homosexuels et prostitutifs génèrent d’ailleurs les mêmes châtiments (lapidation, meurtre, emprisonnement, peine de mort, etc.). Par exemple, dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), Jean-Claude Janvier-Modeste raconte comme lui/son personnage s’est fait lapider par les gens de son village en Martinique à cause de son homosexualité.

 
 

b) La prostitution pratiquée :

Certaines personnes homosexuelles se prostituent réellement, et racontent leur expérience : Berthrand Nguyen Matoko, John Rechy, Rupert Everett, Arthur Rimbaud (qui « s’encrapulait » avec de vieux messieurs : il écrivit à son ancien professeur Izambard qu’il se faisait « cyniquement entretenir »), Antonio Ruiz, Quentin Crisp, Joey Stefano, Richie McMullen, David Wojnarowicz, Aiden Shaw, tous les acteurs porno, etc. « Ali couche avec des hommes plus âgés qui le payent, ou accepte de se louer  comme escort-boy. En somme, il se prostituait… » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 105) Cette réalité n’est pas très connue car non seulement la prostitution est un acte honteux, mais en plus, elle est en général mêlée aux crimes homophobes. Par exemple, le documentaire « Moi, Luka Magnotta » (2012) de Karl Zéro et Daisy D’Errata retrace la vie de Luka Magnotta, le premier web killer de notre époque, escort boy, strip-teaseur, acteur porno occasionnel et mannequin raté. En Suède, un ex-président de l’Inter-LGBT suédois RFSL a été condamné à 5 ans de prison pour abus sexuels graves sur 5 jeunes hommes, incitation à la prostitution par ses victimes pour financer ses achats alimentaires… et de drogues.

 

Je vous renvoie à l’essai Doubles Vies : Enquête sur la prostitution masculine homosexuelle (2010) d’Hervé Latapie, à l’autobiographie Arthur X. : Mémoires d’un travesti prostitué homosexuel (1850-1861) de H. Legludic, à l’autobiographie The Basketball Diaries (1963) de Jim Carroll, à l’autobiographie Sex Workers As Virtual Boyfriends (2002) de Joseph Itiel, à l’autobiographie My Father And Myself (1968) de J. R. Ackerley, à la biographie Enchanted Boy (1989) de Richie McMullen, à l’autobiographie Close To The Knives (Au bord du gouffre, 1991) de David Wojnarowicz, à l’essai American Studies (1994) de Mark Merlis, à la biographie Assuming The Position : A Memoir Of Hustling (1999) de Rick Whitaker, au roman partiellement autobiographique L’Enfant ébloui (1995) de Rachid O, à l’autobiographie Red Carpets And Other Banana Skins (2006) de Rupert Everett, à la biographie Wonder Bread And Ectasy : The Life And Death Of Joey Stefano (1996) de Charles Isherwood, à l’autobiographie Chicken : Self-Portrait Of A Young Man For Rent (2002) de David Henry Sterry, aux documentaires « Four Rent Boys And A Sangoma » (2003) de Catherine Muller, « Rue Curiol » (2013) de Julian Ballester, « Le Beau Mec » (1978) de Wallace Potts, « Les Mille et un soleils de Pigalle » (2006) de Marcel Mazé (deux jeunes Maghrébins témoignent de leur quotidien dans des sex-shops parisiens dans lesquels ils travaillent en tant que gigolos), « Tierra Madre » (2011) de Dylan Verrechia (Aidee est lesbienne et strip-teaseuse), « Not Angels But Angels » (1994) et « Body Without Soul » (1996) de Wiktor Grodecki (sur la prostitution masculine à Prague), « Vestida De Azul » (1977) d’Antonio Giménez Rico, « 101 Rent Boys » (2000) de Barbato et Bailey, « Femminielli » (1993) de Michele Buono, Carmine Fornari, et Piero Ricciardi, « Oliver » (1983) de Nick Deocampo, « El Lugar Sin Límites » (1978) d’Arturo Ripstein (sur l’homosexualité au Mexique), « Night Scene » (2004) de Cui Zi’en, « Les Garçons du trottoir » (2003) de Ruthie Shatz et Adi Barash, « Yawmeyat A’her » (« Journal d’un prostitué », 2001) de Tawfik Abu Wael, « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut, « Super 8 ½ » (1994) de Bruce LaBruce, « Portrait Of Jason » (1967) de Shirley Clarke, « Maybe I Can Give You Sex ? » (« Peut-être puis-je vous proposer mes faveurs sexuelles ? », 1992) de Rune Layumas et Jurgen Bruning, « A Kind Of Family » (« Une Sorte de famille », 1992) d’Andrew Koster, « Boys From Brasilia » (1993) de John-Paul Davidson, le film « Hooks To The Left » (2006) de Todd Verow, etc. Je vous encourage aussi à consulter la thèse (1987) de Néstor Perlongher sur la prostitution des Michês au Brésil, ainsi que les reportages de Maryse Choisy dans le milieu des prostituées, et les précieux travaux de Michel Dorais, Peter Aggleton, Cudore L. Snell, Robert P. McNamara, Leon E. Pettiway, Robin Lloyd, sur la prostitution masculine.

 

Actuellement, les lieux de drague homosexuelle (pissotières, jardins publics, saunas, aires d’autoroute, métro, librairies spécialisées, cinéma, Minitel, Internet, plages nudistes, forêts, etc.) permettent aux réseaux de prostitution masculine de s’installer et de s’étendre en toute discrétion.

 

Dans ma vie, j’ai déjà eu l’occasion de rencontrer, parmi mes amis homosexuels, des jeunes hommes qui se prostituent. Et ceux-là, généralement, tendent immédiatement l’oreille ou me demandent tout de suite la carte de visite de mon site dès qu’ils entendent que j’ai traité dans mes écrits des liens non-causaux entre désir homosexuel et viol ! Et ne croyez pas que ces amis soient forcément des garçons honteux de leur « gagne-pain » occasionnel, ou qu’ils crèvent la faim ! Bien souvent, ils vivent parallèlement une vie de « couple bien rangé » avec un partenaire régulier, et font le tapin juste pour arrondir les fins de mois ! J’en connais même qui sont de vrais « fils à papa », de famille bourgeoise, bien sous tous rapports, et qui se déplacent pour « tailler des pipes » à la Défense à de jeunes ingénieurs rencontrés sur Internet ! Donc je suis loin de « glauquiser » la prostitution. L’horreur a quelque chose de très banal par moment.

 

Par ailleurs, des personnes homosexuelles sont véritablement des clients de prostitué(e)s, même s’il n’est pas de bon ton de le révéler : Frédéric Mitterrand, Pier Paolo Pasolini, Rudolph Moshammer, Jean Genet, William S. Burroughs, John Rechy, Marcel Proust (qui a même créé son propre bordel !), tous les hommes et toutes les femmes fréquentant des saunas/les bars/les clubs pour y pratiquer l’homosexualité, etc. « Il est très difficile de trouver des témoignages de clients. Ils se sentent souvent honteux. Les médias les montrent comme des monstres ! » (Hervé Latapie cité dans l’article de Lucile Roger, sur le Têtu du vendredi 15 janvier 2010) Par exemple, le 3 avril 2012, Richard Descoings, le directeur de Science-Po Paris, homme marié, est retrouvé mort à 53 ans, nu sur son lit, suite à une crise cardiaque, dans un hôtel de New York : il s’acoquinait avec deux escort-boys qui ont pris la fuite. « Lors de mes rencontres anonymes, j’étais ce que l’on appelle un client. Je ne faisais rien pour procurer du plaisir à l’autre, ou du moins pas de manière délibérée. Lorsque je suis devenu trop vieux pour recevoir ce genre d’attentions de la part des jeunes, j’ai payé avec plaisir, me libérant ainsi du souci d’avoir à contenter quiconque, de quelque façon que ce soit. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 349) ; « Arrive pour Stéphane le service militaire, il déserte, disparaît pendant des mois dans les bas-fonds de Paris où j’ai fini par le retrouver, est repris, mis en asile psychiatrique militaire, et est gracié sur intervention de Mme Mitterrand, à la prière d’un haut fonctionnaire qui, épris de son charme, désirait avoir avec lui une liaison durable, une union. Cet amoureux malheureux téléphonait nuitamment à Estelle, la mère de Stéphane, en la suppliant, en vain, d’obtenir de son fils que ce fils adopte pour cela une conduite plus « cohérente » (c’était son mot) : ne plus se prostituer, cesser d’être dealer. » (Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas (2014), pp. 236-237) ; « C’est là que Magnus Hirschfeld rencontre Li Shiu Tong, surnommé Tao Li, un jeune étudiant en médecine qui devient son compagnon. L’écart d’âge entre les deux est de 40 ans. Tao Li a donc 25 ans au début de leur liaison. Liaison hors du commun, homosexuelle, interraciale, intergénérationnelle. En outre, elle n’est pas monogame, puisque Hirschfeld garde sa relation avec Karl Giese. Ce ménage à trois ne vivra pas sans problème. Hirschfeld entretient financièrement ses deux amants. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 113) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles cautionnent la prostitution, tout en reconnaissant lucidement ses limites : « J’ai pris le pli de payer pour les garçons. » (Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie (2005), p. 161) ; « Tous ces rituels de foire aux éphèbes, de marché aux esclaves m’excitent énormément. […] L’argent et le sexe, je suis au cœur de mon système. » (idem, p. 315) Selon Marcel Proust, par exemple, la catégorie des hommes invertis formait une « race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et la parjure, à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dont l’espérance leur donne la force de supporter tant de risques et de solitudes, puisqu’ils sont justement épris d’un homme qui n’aurait rien d’une femme, d’un homme qui ne serait pas inverti et qui, par conséquent, ne peut les aimer ; de sorte que leur désir serait à jamais inassouvissable si l’argent ne leur livrait pas de vrais hommes, et si l’imagination ne finissait par leur faire prendre pour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués. » (Marcel Proust, 1972, p. 16)

 
 

c) Les prostitutions parallèles, non-officielles, dites « éthiques », « gratuites », et se faisant passer pour de l’Amour :

Il arrive que la relation de prostitution dure un peu plus de temps que prévu entre les amants de la prostitution (à savoir le binôme prostitué/client, ou bien prostituée/client, ou encore prostitué/cliente). Certains couples décident de s’entretenir dans la consommation, trouvent un « p’tit arrangement à l’amiable ». Généralement, leur relation amoureuse est placée sous le signe de l’argent : « En 1942, lors d’un voyage à Cannes, je fis, dans un cabaret la connaissance d’un jeune barman. Pour le revoir, pour être plus souvent à ses côtés, je poussai même la folie jusqu’à louer un appartement dans l’immeuble qui abritait le cabaret. Tous les jours, à la même heure, j’étais là, rivé au comptoir, afin de bavarder un peu avec lui. Pour lui, je dépensais sans compter. Un soir, enfin, tous mes espoirs furent satisfaits… Stupidement, je lui offris – luxe suprême à l’époque – une moto. » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, pp. 86-87) ; « J’ai toujours su que je me prostituais. Pour rien. Pour un Mickey Parade et une soirée télé, une religieuse au chocolat et des fraises Haribo, un tour en voiture ou une séance de cinéma avec sa glace à la vanille. Peut-être aussi parce que tout simplement, Didier était infiniment gentil avec moi. Infiniment attentionné. » (Christophe Tison, Il m’aimait (2004), p. 76)

 

Parfois, le fait que le duo client/prostitué(e) s’attribue l’étiquette identitaire ou amoureuse d’« homosexuels » ou de « couple » change la donne, non dans les faits (… car le consentement n’est pas la liberté ; le plaisir et la tendresse font partie de l’Amour, mais ne se supplantent pas à Lui), mais au moins dans les esprits. Ils ne se considèrent plus comme des clients ou des prostitués l’un par rapport à l’autre, ne voient plus leur relation comme une prostitution… même s’ils finissent par se rendre compte que cela revient au même : « Par la porte entrouverte, j’apercevais un étranger, couché dans mon lit, satisfait après notre affreuse passion. Qui était-il ? qui nous avait poussés l’un vers l’autre, comme ‘les autres’ vers les putains ?… Quelle impasse ! » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 98) ; « Quand j’étais un peu plus jeune, j’ai connu des hommes assez riches. Je n’ai pas fait de prostitution, non, disons que je me faisais gâter. » (Bruno, un gars bisexuel de 25 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 206) ; « Pour la première fois, j’eus l’impression de faire la pute. Le tapin. J’adoptais l’attitude la plus faussement détachée possible, ne regardant rien, fixant tout. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 213) ;

 

Il n’y a pas que l’argent qui nourrit la prostitution et la consommation entre partenaires homosexuels/bisexuels. S’il n’y avait que de la monnaie sonnante et trébuchante, on comprendrait pourquoi l’âge des prostitué(e)s serait fixe et prioritairement bas, et pourquoi l’âge ou la classe sociale des clients serait forcément élevé(e), de manière inversement proportionnelle. Or on constate que la prostitution n’a pas d’âge ni d’argent précis, qu’elle peut être pratiquée entre jeunes, ou entre personnes « plus âgées », ou entre pauvres, ou entre riches, et qu’elle jouit d’autres moteurs : le besoin d’affection, la tendresse, le contentement des sens et des corps, la célébrité, l’ascension sociale, l’esthétisme, l’interdit, la clandestinité, les cadeaux (voyages, habits, bijoux), le sexe, la sincérité, etc.

 

Bon nombre de romanciers, de chanteurs et de réalisateurs homosexuels prennent comme cadre amoureux homosexuel des récits où se mêlent monde bourgeois et monde underground du prolétariat facile à acheter (Bernard-Marie Koltès, Hervé Guibert, Patrice Chéreau, Marcial di Fonzo Bo, Marcel Proust, Jann Halexander, Philippe Besson, etc.). Le tourisme sexuel et artistique sert de « bonne » excuse pour pratiquer une prostitution sans complexe ! Je vous renvoie au titre évocateur de l’autobiographie Escapades Of A Gay Traveler : Sexual, Cultural, And Spiritual Encounters (2003) de Joseph Itiel, racontant des tribulations prostitutives aériennes ! Énormément de photographes homosexuels ont choisi pour modèles « artistiques » des prostitués : Alberto Sorbelli, Larry Clark, Terry Richardson, Nan Goldin, Wolfgang Tillmans, Jack Pierson, Wilhelm von Gloeden, Philip Lorca di Corcia, etc.

 

Les transactions et les exploitations continuent de se faire ! Seule la monnaie d’échange varie : dans certains cas, ce sont les corps qui remplacent les billets… d’où l’impression que l’argent a disparu, qu’il s’agit d’une prostitution gratuite et désintéressée, que la corruption n’existe plus, voire même qu’une homosexualité s’assume pleinement !

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, on observe que, sous couvert de justification de l’« amour » homosexuel et de la possibilité de l’orgasme 100% féminin, le réalisateur et toute son équipe ont basculé dans le machisme inconscient du proxénète. En effet, dans l’histoire, Adèle et Emma, les deux femmes en « couple », passent leur temps à s’insulter de « sale pute », de « traînée », de « prostituée », ou bien se proposent de « se payer en nature » au moment de la réconciliation sur l’oreiller. Quant à l’ambiance sur le tournage, Kechiche a tellement poussé à bout ses actrices pour qu’elles se fassent jouir devant sa caméra que ces dernières ont avoué à des journaux qu’elles s’étaient senti traitées comme des « prostituées » … même si la carotte de la « bonne cause », l’excuse du « rôle artistique » et la récompense de la Palme d’or, ont réussi à atténuer cette violence.

 

Certains couples (homos) pensent naïvement qu’à partir du moment où ils ne s’échangent pas de matériel (ce qui reste à prouver… car la première matière, c’est leur corps), à partir du moment où un (timide) consentement/un plaisir/une générosité a été échangé entre partenaires sexuels, à partir du moment où il n’y a pas eu que de l’égoïsme, il n’y a forcément plus de consommation et d’exploitation mutuelle du tout ! Que de la liberté et de l’amour ! Par exemple, dans la publicité pour Kwixo (mars 2012), un maître-nageur se fait palper par un ami pour une question d’argent… et finit par aimer ça : « Tu sais, Éric, j’aimais bien quand tu cherchais mon porte-feuille. »

 

 

Il arrive que certains individus homosexuels, bercés par leurs illusions d’amour ou stimulés par leurs pulsions, se mettent à justifier tout type de prostitutions comme un acte banal, magique, un loisir « plaisant et naturel » : c’est comme cela qu’on peut considérer, par exemple, la forte consommation de pornographie chez la plupart des personnes homosexuelles (petit rappel historique : la « démocratisation/banalisation » de la pornographie est très récente : rien qu’en France, elle est arrivée seulement en 1975). Ils nous présentent les prostitués comme des « Messieurs-Tout-le-monde » sans problème, arrivant à concilier leur activité prostitutive avec leur quotidien. Le film « Boy Wonder » (2005) de Kery Isabel traite justement de la double vie d’un homme alternativement « normal » et travesti prostitué. Par ailleurs, des essais comme ceux de Maria Nengeh Mensah (Luttes XXX : Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe, 2012) tentent de décriminaliser la prostitution, de la présenter comme une réponse « logique et justifiée » à une oppression machiste et patriarcale.

 

Il arrive que des individus homosexuels et/ou féministes se mettent à célébrer la prostitution comme une transgression « géniale », « forte », « anti-conformiste », « jusque-boutiste », « anormative », « inversante », « émancipante », « responsable », « libre », « révolutionnaire », « couillue ». « Il y a des garçons et des filles à qui l’on donne cent euros, une poignée de dollars, parce qu’ils les valent et que ça nous simplifie l’existence. On appelle ça le sexe, et c’est très bon pour la santé. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 190) ; « Interdire la prostitution, et pourquoi donc ? » (idem, p. 212)

 

Par exemple, dans le documentaire « Mamá No Me Lo Dijo » (2003) de Maria Galindo, certaines femmes lesbiennes féministes se mettent à justifier un « droit à la prostitution féminine ». Dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), Alberto Mira parle de la prostitution comme d’« une pratique qui devrait être démystifier » (p. 266). Dans la partie « Éloge ambigu du contrat » de son autobiographie Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Barthes défend également la prostitution. Dans l’émission Ça commence aujourd’hui (spéciale « À moins de 20 ans, elles sont tombées dans la prostitution ») sur France 2 diffusée le 17 mars 2023, Alexia, jeune ex-prostituée (avec des hommes), se découvre exclusivement lesbienne et dit que l’homosexualité l’a aidée à se réconcilier avec son corps.

 

Cette justification de la prostitution peut se faire par défaut, par pur sexisme. C’est souvent ce qui arrive à des associations féministes comme Ni putes ni soumises, qui ne voient la prostitution que sous le prisme manichéen de la domination des hommes par les femmes, et non comme ce qu’elle est vraiment : un machisme qui n’a pas de sexe spécifique. Elles oublient un peu vite qu’il existe une exploitation de l’homme sur l’homme, ou de la femme sur l’homme, qui s’appelle aussi « prostitution masculine », « nymphomanie », « banque de sperme », « PMA », « cougarisme », et j’en passe.

 

À en croire ces libertins militants, il existerait une prostitution « éthique », « bio », « multi-culturelle », « poétique », « gratuite », « transcendant la vulgarité de la prostitution payante ou du mariage ». « Je vais être obligé d’avouer quelque chose d’un peu personnel. Moi, j’ai toujours été attiré par les pissotières, par ce contact, par ce qui se passe entre des corps étrangers qui se rencontrent au départ pour uriner, et au bout de quelques secondes, de quelques minutes, ça se transforme en autre chose. J’ai toujours trouvé ça très poétique, très entraînant, et je dois avouer que ça me rappelle la sexualité enfantine de groupe que j’ai eue avant l’âge de 12 ans. J’ai pris ma retraite sexuelle à l’âge de 12 ans. Entre l’âge de 12 et 22 ans, il s’est rien passé. Et cette fascination pour les pissotières rejoint un peu ça : ce côté gentil, bienveillant, ce côté étranger et tout d’un coup on se donne l’un à l’autre, pendant un p’tit moment, et complètement dans l’interdit… Malheureusement, il n’y a plus de pissotières à Paris. » (le romancier Abdellah Taïa à l’émission Homo Micro du 25 septembre 2006, sur Radio Paris Plurielle) ; « Cette cérémonie [de la prostitution entre les jeunes Indiennes et des marins] qui perpétue le viol possède un atout : elle exclut le mariage. Le couple argentin, dès le mariage, ne se parle plus. » (le dramaturge argentin Copi en août 1984 à Paris, cité dans la biographie du frère de Copi, Jorge Damonte, Copi (1990), p. 90)

 

La réalité de la violence de la prostitution masculine peut être également euphémisée et romantisée en goût du voyage (on parle concrètement de « tourisme sexuel »), en aide humanitaire (on parle d’« escort-boys »), de rencontre des Peuples (on parle d’« amants exotiques ») : cf. l’autobiographie Parloir (2002) de Christian Giudicelli, le documentaire « Not Angels But Angels » (« Rien que des anges », 1994) de Wiktor Grodecki, etc.

 

Il y a quelque chose de complètement paradoxal dans la participation des personnes homosexuelles – pourtant souvent lettrées, esthètes, éduquées, spirituelles, réputées « raffinées » et « romantiques », à priori peu vénales – à la prostitution (et je vous renvoie directement à la partie « Paradoxe du libertin » du code « Liaisons dangereuses » et au code « Bobo » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, pour mieux me faire comprendre). Il y a aussi un vrai paradoxe à ce que certains individus (parfois « homosexuels refoulés », mais pas que ; ils peuvent aussi être de souche populaire, d’une culture étrangère très religieuse et homophobe ; ou bien des « fils à papa » qui n’ont pas besoin d’argent) se lancent dans le métier de la prostitution homosexuelle. Le déni du prostitué homosexuel ou de son client se fige parfois en posture interrogative esthétisée : « Je me découvrais dans la confrontation entre le garçon que j’étais et l’argent qui dominait. Pourtant, je continuais à m’entêter et par-là même, de manière très troublante, prouvais une détermination à vouloir foncer et à repousser la haine qui naissait de ces rencontres. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 109) ; « J’étais très naïf et idiot, m’attachant à l’argent, et à une sorte de défi qui m’empêchait de dénoncer ma propre honte. » (idem, pp. 113-114) ; « Comment, osais-je me dire, que j’allais être un prostitué ? » (idem, p. 116)

 

En général, la violence de la prostitution est toujours être atténuée et excusée par l’esthétisme (« Il est beau et mis en valeur, mon escort-boy ! » ; ou bien « En prostitué, je suis une puissante icône du danger sexuel ! »), par la bonne intention (« Je rêve que pour une fois, l’acte de consommation que je vais poser soit exceptionnellement de l’amour, comme dans ‘Pretty Woman’ : je cherche à sauver le prostitué qui se gâche. » ; ou bien « Je rêve que mon client m’arrache à mon enfer, soit mon prince charmant inattendu. » ; cf. le film « Change-moi ma vie » (2001) de Liria Bégéja), ou par le besoin (« Je fais ça pour l’argent, pour subsister : pas par gaieté de cœur ou pour les sentiments ! » ; ou bien « J’aide un pauvre prostitué à vivre en le payant et en subvenant à ses besoins. »), ou par le désespoir (« Personne ne m’aime ! J’aime donc comme je peux, et n’importe comment ! Personne n’a rien à me dire ! »), etc.

 

Le client tient souvent ce double discours puant, hypocrite (et pourtant sincère !) de celui qui, en même temps qu’il loue les service de son prostitué et l’enfonce un peu plus dans sa misère, cherche en l’en sortir : « Il faut arrêter cette vie. » dit le haut-fonctionnaire qui entretient Berthrand Nguyen Matoko… tout en « baisant » avec lui (cf. Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 125).

 

Chez l’esprit bobo persiste un indécrottable fantasme de convertir la prostituée/le prostitué, en prince charmant ou en princesse charmante, façon conte de fée underground « à la Week-end » (le film d’Andrew Haigh… l’archétype du film bobo bear qui plait aux célibataires homos qui croient au sexe sans croire en l’Amour). Même si en théorie le libertin prétend que « l’amour n’a pas de règle », qu’il ne se décide pas, qu’il n’est pas guidé par le désir et la liberté humaine, qu’il est circonstance inattendue, il s’impose justement que l’amour ne se trouve que là où il n’a pas l’air de s’y trouver, y compris dans la violence, la consommation, et le contexte glauque de la prostitution. (« J’ai rencontré mon copain au Bois de Boulogne. Pourtant, lui comme moi ne sommes pas du tout ‘milieu’… »). Son anticonformisme de principe, bien intentionné, a aussi sa part de naïveté de midinette romantique, même si l’intéressé refusera de se l’avouer ! Être pris en défaut d’ingénuité hypocrite : rien de pire pour l’homme homosexuel bobo !

 

 
 

d) Putain de merde ! (la prostituée tueuse ou la prostituée tuée par le client homosexuel) :

Mais la réalité violente de la prostitution renvoie vite les amants homosexuels/bisexuels à la médiocrité et l’orgueil de leur situation ! Au final, ils s’utilisent plus qu’ils ne s’aiment. Et ils le savent très bien. Leur homosexualité tient davantage à l’argent et à l’intérêt éphémère de soulager leurs pulsions personnelles qu’à leur liberté, à leurs désirs profonds, et à l’Amour. Le client, tout comme le/la prostitué(e), passent leur temps à s’échanger les rôles de dominant/dominé, car tous deux ont honte d’aimer.

 

L’une de leurs règles d’or de leur collaboration est l’interdiction de « s’attacher », de s’engager, de se laisser aimer, de rendre l’amour visible, et de le vivre de manière un minimum égalitaire. « J’ai essayé de ne pas me gargariser de romantisme à deux sous. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 53) Et c’est bien parce que le client et son travailleur/sa travailleuse s’empêchent d’être passionnés, de se dire « Je t’aime », de se donner en amour, en brandissant la pancarte « Interdit d’aimer » – comme un aveu qu’ils n’assument ni l’acte d’amour qu’ils posent sans amour, ni leur désir homosexuel, ni leur propre homophobie –, qu’ils tombent au final maladivement/passionnément amoureux entre eux, ou bien amoureux du premier inconnu qu’ils rencontrent une demi-seconde sur les lieux de prostitutions non-agréés (Internet, les saunas, les backrooms, les lieux improbables de la rencontre homosexuelle, etc.), pour ensuite s’en débarrasser comme une preuve gênante de leur fragilité (homo)sexuelle. « Je me savais incurablement sentimentale. » (idem, p. 190) ; « La sagesse populaire a raison de comparer l’amour à une rage de dents. » (idem, p. 183)

 

La prostituée ou le prostitué, jadis sacralisé(e) comme l’icône immaculée de la victime à sauver des griffes de la misère, comme la figure inversée du prince charmant/de la vierge (cf. je vous renvoie au code « Putain béatifiée » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels), perd peu à peu de son prestige. Il/elle entraîne son amant vers un monde illusoire. La princesse du pavé retrouve son costume de Cendrillon quand les deux coups de minuit sonnent : « J’avais suivi une prostituée – naturellement vieille et décatie – et ne sus que m’enfuir devant les audaces cupides de l’horrible femme : tout ce qu’avaient pu inventer mes cauchemars au sujet des filles se trouvait réuni là, ignoble, sordide. C’était donc cela, l’amour des femmes : cette sorcière avare, pressée, aux gestes obscènes ? » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 81)

 

En dépit de leur pacte de non-agression ou de neutralité, la rencontre entre le client et la prostituée/le prostitué s’est soldée concrètement par un viol/vol réciproque. Chacune des deux parties s’est laissée surprendre négativement par son propre égoïsme, reflété dans l’attitude de complaisance/d’exploitation de son complice. En général, l’individu homosexuel (proxénète ou client) dépeint alors le jeune homme/la jeune femme qu’il a voulu posséder, comme un voleur, un monstre, un traître, un démon, un cruel tentateur, une preuve gênante de son homosexualité/de son adultère, un assassin…

 

C’est parfois ainsi qu’il/elle se comporte (cf. je vous renvoie au code « Liaisons dangereuses » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels). Le phénomène des prostitués homosexuels tueurs, bien qu’isolé, est malheureusement beaucoup plus répandu que l’opinion publique et que nos médias veulent bien le penser. Par exemple, le 4 avril 2012, Jean-Nérée Ronfort, un expert en antiquités de 69 ans, a été découvert par son compagnon gisant au sol de son bureau, le crâne fracassé : il a été tué par trois prostitués roumains de 20, 21 et 25 ans. Carlos Travers, à l’automne 1979 à Madrid, a été étranglé par un câble par un prostitué. Álvaro Retana, le romancier espagnol, a été assassiné par un prostitué homosexuel en 1970. Joan Joachim Winckelmann est massacré dans sa chambre d’hôtel de Trieste par un jeune voyou, Francesco Arcangeli. Ramón Novarro, amateur de jeunes prostitués, est retrouvé mort dans sa piscine, assassiné par deux gigolos. Pier Paolo Pasolini a été sauvagement tué par Pino Pelosi, un jeune prostitué homosexuel de 17 ans, le 1er novembre 1975. Aux États-Unis, en 1997, le jeune prostitué de 27 ans Andrew Phillip Cunanan, s’est attaqué à quatre clients homosexuels (dont un ingénieur de 28 ans – à coups de marteau –, un riche agent immobilier de 72 ans – lardé de coups de sécateur, puis enrubanné comme une momie avec un rouleau adhésif –, et le fameux grand couturier Gianni Versace).

 

Le retour de bâton ne se fait pas attendre… car il arrive aussi très souvent que des prostitué(e)s se fassent liquider par leurs clients/amants homosexuels, parce que les premiers les ont exploités, ou bien parce que les seconds se sont sentis cruellement trahis ! Par exemple, en 1949 en Espagne, une prostituée, Carmen Broto, plus connue sous le nom de « Cocotte », a été assassinée par un homme homosexuel. Le 23 décembre 2002, dans les Hauts-de-Seine, Philippe Digard (26 ans) étouffa et tua Ilia, un jeune prostitué homosexuel. Costas Taktsis, l’écrivain grec, a été étranglé le 30 août 1988 par un amant de passage, alors qu’il se prostituait dans les rues d’Athènes. Dans le documentaire Et ta sœur ! (2011) de Sylvie Leroy et Nicolas Barachin, on voit que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence tiennent très scrupuleusement les comptes des meurtres de prostituées de par le monde, sur un registre nommé le Livre des Martyres.

 

Si les prostitué(e)s ne sont évidemment pas tous tué(e)s physiquement par leur maquereau ou leur client (et heureusement), ils/elles sont en revanche régulièrement maltraité(e)s, vidé(e)s de leur âme, et poussé(e)s dans le vide. Les sociologues s’accordent pour dire que bon nombre de personnes transsexuelles, travesties, ou prostituées, se suicident.

 

Et concernant les viols, du côté du prostitué/de la prostitué(e) comme de celui de son client homosexuel/bisexuel, le cadre légal et pourtant secret/clandestin/anonyme de la prostitution est la porte ouverte à tous les chantages, à tous les viols qui ne pourront même pas être dénoncés par les victimes. Dans son essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), Jean-Louis Chardans décrit les « générations de maîtres-chanteurs » (p. 39) qui se succèdent dans les sphères relationnelles (homosexuelles) de la prostitution. Par exemple, dans l’essai Le Viol au masculin (1988) de Daniel Welzer-Lang est relaté un viol sur un prostitué (p. 123).

 

L’acte prostitutif et l’acte homosexuel peuvent avoir le même effet réverbérant violent que celui qu’on observe dans le cas des actes homophobes. L’agresseur ne supporte pas d’identifier chez sa victime leur faiblesse commune, observable dans le fait que cette dernière s’adonne à son désir homosexuel ou bien dans le fait qu’elle l’encourage efficacement à la prostitution… donc il attaque l’objet de son désir/de l’aveu de sa propre faiblesse. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cas d’homophobie ont souvent lieu dans des contextes prostitutifs, et sont des actes peu contrôlés, très pulsionnels, limite voulus narcissiquement amoureux et positivement sacrificiels. L’individu homosexuel érige un bûcher en l’honneur de son client/de son vendeur pour lui prouver qu’il est éternel, pour lui démontrer qu’il l’aime à (l’)en (faire) mourir. Dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand, qui est un fin connaisseur du monde de la prostitution puisqu’il y a souscrit, explique clairement les mécanismes de l’homophobie qui se jouent dans le cadre de la relation ambigu client/prostitué : « Les plus graves menaces surgissent quand on est trop gentil ; le garçon est troublé, il s’expose à éprouver de la sympathie, il ne peut plus mépriser commodément. Si sa nature est franchement mauvaise, il peut prendre peur, s’enrager et devenir incontrôlable avec des pulsions de meurtre pour se débarrasser du gêneur qui a bousculé son équilibre et ses habitudes. […] Des Pelosi la grenouille [en référence au prostitué qui a assassiné le cinéaste Pasolini], j’en ai croisé pas mal dans des endroits glauques à Paris. […] Je sais que je ne suis pas le seul à être hanté par ce crime et par tout ce qu’il laisse supposer. » (pp. 163-164)

 
 

e) À la recherche du sceptre du machisme perdu :

Pour conclure, ce qui unit le prostitué/la prostituée et son client, en plus de la mort (celle-ci ne sera finalement que l’issu de ce que je vous annonce), c’est une idolâtrie. Ils convoitent tous deux le pouvoir narcissique par excellence, à savoir le désir machiste du mâle cinématographique (dans sa version plutôt porno), du Super-héros à la génitalité affranchie de la sexualité et du sentiment, de la femme fatale croqueuse d’hommes (cf. le vidéo-clip de la chanson « California » de Mylène Farmer). La prostitution et l’homosexualité pratiquée, à ce titre, peuvent se définir comme l’appropriation « fière » du machisme. « Dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Pour être plus précise : elle se comporte exactement comme un homosexuel en back-room. Telle que mise en scène dans les films, elle veut du sexe, avec n’importe qui, elle en veut par tous les trous et elle en jouit à tous les coups. Comme un homme s’il avait un corps de femme. » (Virginie Despentes, King Kong Théorie (2006), p. 101) Quand je parle d’intériorisation du viol dans le cas de la prostitution homosexuelle, j’ai des illustrations à foison. Par exemple, l’application I-Phone Grindr, permettant de détecter quelles sont les personnes homosexuelles qui se trouvent au plus près de notre circonférence géographique, est le support parfait d’une prostitution « librement » consentie : c’est un gaydar, une prémisse de la puce électronique sous la peau, reléguant la personne qui s’en sert à l’état de prostitué en « libre service », « mobile », consommable sur place. « Corps et technique entretiennent des rapports de plus en plus intimes, d’assistanat. » (le sociologue Éric Sadin parlant d’un de ses amis gays lui montrant l’application Grindr, lors de sa conférence La Société de l’anticipation à l’INHA, le 31 octobre 2011) C’est la même chose sur les sites de rencontres Internet, faussement « gratuits », où règne l’auto-pornographisation, l’auto-érotisation… même si cette forme de prostitution, qui transforme tout internaute en bout de viande sur un étalage, s’est démocratisée au point de faire oublier sa violence injonctive, puisque l’utilisateur se choisit lui-même comme « mac », et se prostitue apparemment de plein gré.

 

PROSTITUTION Grindr

 

Les personnes homosexuelles pratiquantes et les prostitué(e)s ont en commun d’être la même projection intériorisée du viol : ils disent vouloir ardemment et sans influence ce à quoi le réalisateur machiste les a persuadé de s’abaisser. Ils veulent aimer/être aimés comme ils imaginent qu’un homme cinématographique aime et « fait l’amour » à la femme-objet… donc avec toute-puissance, brutalité, et pourquoi pas dans la soumission aussi (inversion « démocratique » des rôles oblige !). Ils ré-instaurent sans s’en rendre compte les codes pornographiques du machisme asexué le plus abject, comme l’expliquent très bien Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut dans leur essai Le Nouveau Désordre amoureux (1977).

 
 

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Code n°153 – Pygmalion (sous-codes : Divin artiste / « Je suis mon oeuvre » / Amant-objet / Statues / Musée Grévin / Coiffeur homo / Couturier homo / Destruction iconoclaste)

Pygmalion

Pygmalion

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Façonner l’autre à son image (fantasmée)

 

Film "Un beau jour, un coiffeur…" de Gilles Bindi

Film « Un beau jour, un coiffeur… » de Gilles Bindi


 

Qui aurait pu prédire que l’être humain, tout doté de bon sens qu’il est, puisse un jour tomber amoureux de lui-même à travers un autre, surtout si cet « Autre » est un objet ou une statue ? Il a beau savoir que ce mannequin, ou cet amant vivant excessivement adoré et instrumentalisé, ne peut pas l’aimer en retour parce qu’il est soit inerte soit trop couvé pour pouvoir en placer une, il s’évertue, comme le sculpteur de la mythologie grecque Pygmalion avec sa statue Galatée, à donner à ses pulsions et à ses fantasmes esthétiques de possession l’apparence et le contenu de l’amour. En d’autres termes, il ne se place pas en réceptacle et serviteur humble de l’Amour, mais en créateur divin qui va façonner l’Amour de ses propres mains, à lui tout seul.

 

Le désir homosexuel est l’un des élans humains les plus marqués de cette illusion de l’amour des statues, de ce mythe de l’invention de la Vérité par l’art et les sentiments. Beaucoup de personnes homosexuelles sont tombées amoureuses de l’homme-objet ou de la femme-objet des magazines, avant d’orienter leur cœur, par défaut, vers les individus de chair et de sang qui correspondaient « le moins mal » à leurs projections narcissiques « artistiques ». Certaines se choisissent même des métiers de Pygmalion (coiffeur, couturier, photographe, maquilleuse, poète, écrivain, etc.) qui les consoleront tant bien que mal de leur orgueil de créature qui veut être Créateur.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Frankenstein », « Cirque », « Don Juan », « Femme et homme en statues de cire », « Amant narcissique », « Homme invisible », « Tomber amoureux d’un personnage de fiction ou du leader de la classe », « Se prendre pour Dieu », « Fusion », « Clonage », « Clown blanc et Masques », « Poupées », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Super-héros », « Amant comme modèle photographique », « Morts-vivants », « Adeptes des pratiques SM », « Fan de feuilletons », « Collectionneur homo », « Cannibalisme », « Train », « Vent », « Femme fellinienne géante et pantin », « Prostitution », à la partie « Antiquaire homo » du code « Fresques historiques », à la partie « être traité comme un objet » du code « Viol », à la partie « Corps morcelé » du code « Ennemi de la Nature », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

 

Je ne suis pas qu’un corps !

(… J’ai aussi une voiture !)

 

Dans un monde où la science semble avancer spectaculairement, où une certaine société matérialiste et individualiste prône le mythe du self-made man et l’auto-réalisation par l’art et les bons sentiments, beaucoup de personnes – notamment homosexuelles – s’imaginent qu’elles peuvent être leur œuvre. En fantasme, le créateur et sa créature fusionnent : elles disent qu’elles sont leurs chansons, leur livre, leurs paroles, leurs goûts, leurs actes. « C’est notre fiction qui nous constitue » soutient par exemple Monique Wittig dans Les Guérillères (1969). La distance vitale entre l’artiste et son chef d’œuvre n’est en général pas respectée. Il leur arrive même de comparer l’exercice d’écriture à la masturbation. Très souvent, à les voir vivre, on s’aperçoit qu’elles se prennent pour ce qu’elles disent, ce qui explique notamment leur susceptibilité et la fermeture de certains de leurs discours. Elles croient, par l’exercice de l’imitation, se créer elles-mêmes. Elles sont d’ailleurs nombreuses à défendre que les travestis finissent par devenir vraiment ce qu’ils imitent, et que les sujets transsexuels hommes sont réellement des femmes.

 

Ce rêve de fusion avec leur création peut également s’exprimer par la rupture ou l’éloignement par rapport à cette dernière. « Contrairement à la plupart des romanciers contemporains dont la matière est essentiellement de source intime, intérieure, moi, j’ai, avant de pouvoir mettre ma matière en œuvre, à la créer hors de moi, à la poser devant moi, séparée, détachée de moi, presque étrangère à moi. » (Roger Martin du Gard à André Gide en 1933) Cependant, cette démarche a tout l’air d’une coquetterie : c’est en feignant de délaisser leur œuvre que le désir de s’attacher à elle au point de s’y confondre est parfois le plus fort. Étant donné qu’en intention, leur chef d’œuvre se veut anti-identitaire, elles se cachent à elles-mêmes leur narcissisme de créateurs. Il peut y avoir, notamment dans l’écriture automatique ou de l’acte iconoclaste, une forme de narcissisme : on s’écoute (s’) abandonner, on se regarde détruire (au ralenti).

 

Par l’art plus que par la science, beaucoup de personnes homosexuelles se prennent pour des Hommes ressuscités, des dieux-sculpteurs de Réalité. C’est l’idée qu’exprime par exemple André Gide quand il affirme dans son roman Les Faux-Monnayeurs (1925) que « la réalité l’intéresse comme une matière plastique » (p. 133). Elles considèrent le regard humain comme principal créateur de ce qui est vu, et non comme récepteur de ce qui le dépasse ; l’expérience extatique du dédoublement de soi ou de la mythomanie, comme une manière juste d’appréhender la Réalité. Déplacer des objets par un simple coup d’œil, jeter des sorts, lutter contre des démons, déployer ses pouvoirs magiques pour contrôler les éléments naturels, ou figer ses ennemis en statues, sont souvent des fantasmes esthétiques exprimés par les personnes homosexuelles (cf. le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer).

 

Le statut humain qui leur semble le mieux conduire à la nature divine qu’elles visent est celui d’artiste, et plus particulièrement de poète. Elles sacralisent souvent la figure de l’auto-créateur libre et visionnaire, qui forgerait le monde en le nommant. Le rôle d’artistes qu’elles s’attribuent cumule orgueil précieux et auto-détestation. L’activité artistique sert de manière de se consoler de n’avoir pas réussi totalement à se faire Dieu. Hervé Guibert n’a-t-il pas écrit un jour que « l’œuvre artistique était l’exorcisme de l’impuissance » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 265) ?

 

Pour s’auto-persuader de leur grandeur divine sans se l’attribuer à elles-mêmes de manière trop visible et suspecte, les Pygmalions narcissiques homosexuels ont coutume de projeter tout leur émerveillement d’eux-mêmes vers leur création artistique, vers leur partenaire de vie qu’ils ont voulu sauver de la misère et qu’ils couvrent de cadeaux, de bijoux, de sollicitude, d’attentions, de sexe, de caresses. Énormément de personnes homosexuelles prennent leur amant pour un objet, un fétiche à célébrer comme un reflet spéculaire magnifique et à détruire comme un bibelot. Il n’est pas rare, par exemple, d’entendre des hommes traiter leur compagnon de « nounours », de « bébé », ou de « porte-manteau », même parfois avec des cœurs dans les yeux. Certains vont jusqu’à affirmer (je l’ai entendu !) que leur seul souci, après avoir bien profité de leur printemps de trentenaires, est d’« équiper leur maison d’un amant » à la quarantaine. Et je ne parle pas de la louange des « jolis p’tits culs », des « longues bites », ou des « gros seins », sorties de la bouche de la clientèle des établissements gay…

Comme pour illustrer que l’union homosexuelle est déséquilibrée parce que réifiante, beaucoup d’auteurs homosexuels représentent dans leur iconographie un rapport fétichiste entre les amants : l’un d’eux est le modèle photographique de l’autre, et le personnage qui divinise son compagnon par la photo, le dessin, ou la sculpture, finit toujours par se faire larguer puis traiter comme un objet par celui qu’il a voulu réifier. Cette vision de l’amour n’apparaît pas comme insultante aux esprits qui la représentent étant donné qu’elle se pare des meilleures intentions. Un certain nombre de personnes homosexuelles veulent être les Pygmalion fusionnant avec leur amant créé : souvent, des célébrités homosexuelles lancent des jeunes talents, qui sont par la même occasion des amants temporaires (on peut penser en particulier à Jean Cocteau avec Raymond Radiguet ou Jean Marais, à John Waters avec Divine, à Yvonne Brémonds d’Ars avec Suzy Solidor, au baron Von Sinclair avec Hölderlin, Laurent Bon avec Yann Barthès, etc. Elles attendent de leur amant qu’il soit leur parent-objet, ou leur fils-objet, le tout sans lien de filiation de sang bien sûr. Leur partenaire, c’est leur petit chouchou à elles, celui qu’elles blottissent contre elles pour le protéger des agressions extérieures. « Julien est là tout entier, debout, dans la paume de ma main. » (le juge Kappus dans le roman Portrait de Julien devant la fenêtre (1979) d’Yves Navarre, p. 44) Elles ne se rendent pas toujours compte qu’à force de le tenir bien serré contre elles, ce dernier est en train de devenir symboliquement – et parfois réellement – violet. « Quand tu es comme ça, anéanti contre moi, j’ai l’impression de te protéger. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 163)

 

Leur désir de materner l’amant ou de se lover en lui cache souvent un souhait de disparaître ou de retourner au stade intra-utérin. « J’aimerais que tu sois un kangourou avec une poche pour que les petits kangourous s’y glissent. » (Virginia Woolf s’adressant par lettre à Violet Dickinson) Il arrive que certaines personnes homosexuelles – celles qui de l’extérieur ressemblent à des statues du Musée Grévin tellement elles sont timides, muettes, et sans personnalité – fassent de leur partenaire un bouclier ou un paravent afin de ne pas affronter la vie, et qu’elles se débrouillent toujours pour sortir avec des personnalités très étouffantes et charismatiques qui vont les surprotéger et faire leur travail de sociabilité à leur place. Les paravents dont parle Jean Genet ne sont pas, pour cette raison, à considérer dans le sens uniquement matériel. Il faut y lire une métaphore des amants.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Divin artiste :

Dans les œuvres homosexuelles, le statut d’artiste est particulièrement valorisé. On a l’impression qu’il n’y a pas de plus grand titre – après « l’être amoureux » – que celui de Poète ou d’Artiste : « Moi, mon truc, c’est pas la chasse ou la pêche. C’est l’art ! » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Un poète est plus qu’un homme. » (Heurtebise dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau) ; « Écrire : c’est un sacerdoce, une entrée en religion. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 106) ; « Je veux être artiste ou n’être rien. » (Louis II de Bavière dans la pièce Le Roi Lune (2007) de Thierry Debroux) ; « Oh la la… Y’a vraiment beaucoup de pédés là-bas ! » (Laurent Violet, se référant au monde du spectacle et des arts, dans son one-man-show < i>Faites-vous Violet, 2012) ; « Je suis une grande amatrice d’art. » (Catherine, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Jules, l’écrivain pédant homosexuel, se décrit pompeusement comme le « Prince des Poètes » ou « L’Homme en noir ». Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane fait passer l’écriture pour un rituel sacré, un processus créatif et créateur impossible à interrompre, un moment en suspension : « Je revenais à toi quand l’écriture cessait. » Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, le couple Ben/George est engagé dans l’artistique : l’un est peintre, l’autre prof de chant et de musique.

 

L’artiste homosexuel se veut souvent l’égal de Dieu : cf. le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall (avec la figure du Pygmalion-Poète en Stephen), le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo (avec la figure sacralisée du Poète), le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret (avec Sonia, la figure de l’« artiste » bisexuelle extraordinaire), etc. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, l’Auteur se fait appeler « Dieu » par la Comédienne. Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, le peintre Jioseppe Campi signe ses tableaux avec les initiales christiques « J. C. ».

 

Le héros homosexuel croit, comme Adam, créer le monde par la parole et par l’art, se créer lui-même : « Toute influence est immorale. » (Lord Henry, dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Imaginez le souffle du romancier qui aperçoit pour la première fois son œuvre. » (Thibaut de Saint Pol, N’oubliez pas de vivre (2004), p. 249) ; « En un sens, nos paroles sont réalité. Elles peuvent créer des mondes et les détruire. Elles ont le tranchant du couteau. […] » (Naomi Alderman, La Désobéissance (2006), p. 17) ; « De même que Dieu a créé ce monde par la parole, nous créons des mondes par nos mots. […] Nos mots sont puissants. Nos mots sont réels. » (idem, pp. 289-292) ; « Il n’y a pas à dire, Jioseppe a vraiment un don, qui lui permet d’aller au-delà même de la représentation vraie, pour toucher l’idéal. […] Il ne se considère pas comme un simple imitateur de nature. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), pp. 10-11) ; « La machine à écrire est sacrée. » (cf. une réplique de la pièce Howlin’ (2008) d’Allen Ginsberg) ; « Je dois créer une œuvre d’art. Je dois chanter l’apothéose, faire croire que j’ai écrit la Bible. » (cf. la chanson « Une Chanson sans paroles et sans musique » de Jann Halexander) ; « Vivre, c’est improviser. Être toujours en totale improvisation. » (le jeune Mathan, homosexuel, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, il est question des « yeux tout-puissants du narrateur » (p. 404).

 

C’est l’effet « Madeleine de Proust » bobo : je me raconte ressentir. « Enfin, Gabrielle redécouvre l’état d’écriture, jubile à évoluer parmi les créations de son esprit, éprouve sa toute-puissance à l’égard des personnages, repousse les limites des mots, affronte le courage de dire. […] Lorsqu’elle écrit, des vagues émotions la traversent. […] Elle n’a jamais ressenti cela. Elle se sent vivante. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), pp. 98-99) ; « Nicolas se sentait pleinement lui-même : vagabond, poète. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 120) ; « Vous vous écoutez écrire. » (le narrateur homosexuel du roman N’oubliez pas de vivre (2004) de Thibaut de Saint Pol, p. 120) ; « Poète, on se prend à son jeu. C’est le charme. […] Je me suis fait pleurer moi-même en l’écrivant. » (Cyrano par rapport à la lettre d’amour qu’il a écrite dans la pièce Cyrano intime (2009) d’Yves Morvan) ; « Tu peux t’inventer ta propre personnalité. » (Léo, le héros homosexuel dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; etc.

 

Aux yeux du héros homosexuel, le monde des statues va cristalliser ses fantasmes érotiques et incarner sa créativité divine. C’est la raison pour laquelle, dans les fictions homo-érotiques, on retrouve autant de sculpteurs ou d’amateurs de sculpture. Par exemple, dans le film « Joyeuses Funérailles » (2007) de Franz Oz, Daniel découvre soudainement l’homosexualité de son père décédé en réalisant dans le bureau de ce dernier qu’il est rempli d’Apollons grecques. Dans le roman Paysage avec dromadaires (2014) de Carola Saavedra, Erika est une sculptrice lesbienne qui va avoir une liaison avec la jeune et belle Karen. Dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu, Matthieu-Alexandre, le fils aîné homosexuel de Marie-Muriel, fait des sculptures du meilleur goût : en forme de bites. Dans le roman Nous sommes l’eau (2014) de Wally Lamb, Annie, sculptrice, vit une passion pour Viveca, une galeriste new-yorkaise. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la pièce commence par une femme sur scène (la narratrice transgenre F to M) qui se met en position fœtale, comme un monstre difforme sur une table d’opération : elle exprime en quelque sorte que son corps lui appartient et qu’elle serait son propre matériau.

 
 

b) « Je suis mon œuvre » :

L’orgueil du personnage homosexuel qui se met dans la peau de l’artiste divin ne s’arrête pas là. Comme il ne veut auto-suffisant, à la fois il se glorifiera en tant que Créateur capable d’engendrer une belle création à son image, et il ne supportera pas que cette création lui fasse de l’ombre. C’est pourquoi il dit souvent qu’il ne fait qu’Un avec son ouvrage/miroir narcissique : « L’œuvre d’un poète est sa vie… et la vie d’un poète est son œuvre. On ne peut les séparer. Pour lui, vivre est un art et son art est toute sa vie. » (Catherine en parlant de son fils homosexuel Sébastien, dans le film « Suddenly Last Summer », « Soudain l’été dernier » (1960) de Joseph Mankiewicz) ; « Moi je… m’invente une vie. » (cf. la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer) ; « Nous ne sommes reliés qu’à nous-mêmes. » (cf. la chanson « Nous souviendrons-nous » de Mylène Farmer) ; « Je suis mon œuvre. […] Si je n’écrivais pas, je crois bien que je serais mort. » (Philippe Besson, En l’absence des hommes (2001), p. 106) ; « Ce sont des mots triomphants ! » (la voix narrative de la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro) ; « Je puis dire que je suis mon ouvrage. » (la Marquise de Merteuil, Lettre LXXXI, dans le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos) ; « Je ne sais pas ce qui est réel et ce que j’invente. » (Anna dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, p. 17) ; « Les choses que je n’imagine pas n’existe pas. » (l’héroïne de la pièce La Voix humaine (1959) de Jean Cocteau) ; « J’ai envie d’être coulé dans le béton. » (Glen dans le film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Tu te prends pour la réincarnation de David ou quoi ? » (Jian Cheng s’adressant à Wang Ping qui se regarde dans la glace, dans le film « Nuits d’ivresse printanière » (2009) de Lou Ye) ; « On est un peu homos clichés aujourd’hui. » (Nicolas, Gabriel et Rudolf, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha) ; « Je ne suis pas une drag, je suis de l’art ! » (le dragqueen dans le film « Cost Of Love » (2010) de Carl Medland) ; « Je suis une photographie en noir et blanc. » (cf. la chanson « Mélancolie toujours » de Jann Halexander) ; « Je suis une caricature. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, Lacenaire est un poète qui se croit sublime dans la cruauté et qui tente de « faire de sa vie son œuvre ».
 
 

c) Le personnage homosexuel prend son amant pour un objet :

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Cannibalisme », « Amant narcissique », et à la partie « Dos » du code « Amant comme modèle photographique » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

N’étant que créature – ou créateur secondaire – et non Créateur, le héros homosexuel ne va pas pouvoir fusionner avec son œuvre artistique. Pour se consoler de cet échec, et quand même se persuader qu’il est Dieu, il se rabat alors sur la fétichisation sacralisante de son ouvrage, et sur la sentimentalisation d’un amant qu’il va mettre sur un piédestal comme une statue, et dont il va se revendiquer possesseur privilégié : cf. le film « Prends-moi » (2002) d’Everett Lewis.

 

Par exemple, dans le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini, le boulot d’Hannah, l’héroïne lesbienne, est de sélectionner en casting des actrices pour un film. Dans le film « Sekret » (2012) de Prezemyslaw Wodcieszek, Ksawert, gay, est un danseur qui travaille comme drag queen et Karolina est son agent. Dans son one-man-show Tout en finesse (2014), Rodolphe Sand dit qu’il aurait aimé être directeur de casting. Dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner, Rodney, le riche et vieux critique d’art, entretient le jeune acteur Paul. Dans le film « Marguerite » (2015) de Xavier Giannoli, Atos Pezzini, homosexuel, chaperonne des petits jeunes artistes qui veulent évoluer dans le monde du théâtre : par exemple, il définit Diego, son assistant (habillé en marin), comme « son poisson-pilote ». Dans la pièce La Vie est une tarte aux pommes (2014) de Michel Jonasz, l’imprésario est gay. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, prenant comme inspiratrice son ex-amante Vita Sackville-West : cette dernière est gênée d’être « la Muse de Mademoiselle Woolf ». Mais après avoir vu le résultat romanesque, elle change d’avis et tombe amoureuse de son double fictionnel : « Je suis tombée amoureuse de ta vision de moi. » déclare Vita. Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo tire le portrait de son amant Rémi puis lui dit : « J’ai une idée : je vais devenir ton manager. »

 

Le fait de transformer l’amant en objet indique un élan de possessivité qui se veut de l’amour mais qui au fond n’en est pas : « J’avoue t’avoir adoré à la folie, avec extravagance, absurdité. Je voulais t’avoir pour moi tout seul. » (Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, 1891) ; « Mais de toi je ferai ce que je voudrai. » (Bruno à son « fils-amant » Jérémie, dans le téléfilm « Sa raison d’être » (2008) de Renaud Bertrand) ; « Il faut que je l’aie ! » (Léopold racontant sa réaction face au premier garçon dont il prétend être tombé amoureux, dans la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « La seule chose qui m’importe aujourd’hui : posséder une femme. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 15) ; « Je veux sa bouche. Je veux son cul. Il est à moi ! » (Lennon, le héros homosexuel parlant de Martin, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Et si ce qu’il faut, c’est que tu sois originale, je m’arrangerai pour que tu puisses l’être. » (Amy qui veut bien jouer à la lesbienne avec sa meilleure amie Karma pour lui faire plaisir et lui faire gagner de la popularité dans leur lycée, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; etc.

 

C’est le malheur et la tristesse qui font que les amants homosexuels se traitent mutuellement d’objet et cherchent à se raccommoder l’un l’autre, comme un seul vase qu’ils formeraient à deux et dont il faudrait recoller les morceaux : « Mais vous êtes en lambeaux ! Venez que je vous ramasse ! Je vous recouds, Linda ! Vous êtes pas belle à voir ! » (Loretta Strong à Linda dans la pièce Loretta Strong (1978) de Copi) ; « Mon cœur n’est pas de pierre. […] Ma langue n’est pas de bois. […] Ton cœur n’est pas de marbre. […] Tu insistes, je me cabre : il n’y a plus rien à faire. » (cf. la chanson « Changement de propriétaire » du Beau Claude) ; etc.

 

On trouve beaucoup de cas de réification de l’être aimé dans les fictions traitant d’homosexualité. Le personnage homosexuel considère souvent son amant comme un objet : cf. le film « Possession » (2002) de Neil LaBute, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le tableau Men With Doll (2001) de Xavier Gicquel, etc. « Il faut que je prenne des décisions ! Vincent, je le fous à la poubelle… » (Stéphane, le héros homo parlant de son copain, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Moi, c’est Nathan. Ça veut dire ‘cadeau’ en hébreu. » (Nathan se présentant pour la première fois à son amant Jonas, dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier) ; « Je suis plus qu’un cocon à bébé pour toi, hein ? » (Jane, l’héroïne lesbienne enceinte s’adressant à son amante Petra, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 101) ; « C’est un cube. Une lesbienne, quoi. » (Angélique par rapport à Judith dans la pièce Ma double vie (2009) de Stéphane Mitchell) ; « Je remarque toutes les fautes de goût de cet appartement. […] Je cherche la place que tu vas prendre entre tous ces meubles. » (l’homme dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier, p. 48) ; « J’aimais tout de lui, ses tableaux, ses vêtements… Tout ce qui le concernait me fascinait. Il n’y avait pas une seule ombre au tableau. Il était drôle, généreux et toujours plus beau ! » (Bryan par rapport à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 16) ; « Dans une autre vie, je voudrais être ton ours. » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 73) ; « Tu es mon refuge. Avant c’était mon ours, maintenant c’est toi. » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 157) ; « T’es à moi, rien qu’à moi et personne ne te touche ! » (Bryan à Kévin, op. cit., p. 345) ; « Finalement, t’es mon cadeau de Noël ! » (Kévin à Bryan, op. cit., p. 391) ; « T’es mon bisounours. » (un des clients du sauna à Tristan, l’homme bear, dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Tu pries pour que ton frère, comme toi, au même moment, soit blotti dans les bras d’un beau jeune homme plein de vigueur, et qui prendrait soin de toi comme d’une poupée. » (Félix à propos d’un soldat allié, Bob, dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 132) ; « Je touche du bois ! » (Emma, en claquant les fesses d’Adèle au lit, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; « Je me souviens, en te touchant, d’avoir eu peur de te casser. » (Denis s’adressant à son amant Luther, dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « T’es trop chou. On dirait une petite poupée mécanique. » (Kanojo s’adressant à son amante Rinn dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « C’est une petite poupée de chiffon. » (Juna parlant de son amante Rinn, idem) ; « Si je la trouve, je l’achète. » (Shirley Souagnon parlant de son hypothétique grande fan dans le public, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Beaucoup, beaucoup étaient ceux qui l’avaient désiré, avaient désiré surtout le transformer en un objet d’art malléable. » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 172) ; « Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes comme une belle et grande sculpture grecque. Un Hermès. Magnifique… mais froid comme la pierre. » (le Comte Smokrev s’adressant méchamment à Pawel, idem, p. 302) ; etc. Souvent, l’amant homo est aussi expressif qu’un frigo. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, est un garçon très renfermé sur lui-même, qui ne dit quasiment rien : « Jamais plus de trois mots ! » le charrie son amant Kevin.

 

Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, le couple lesbien Suzanne et Héloïse « s’offre » un plan à trois avec Fédora pour se donner un second souffle : « Je crois vraiment que c’est un cadeau, un cadeau pour toutes les deux. Comme les deux pull-overs achetés à Londres il y a si longtemps. » (p. 333). Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry se sert du sein d’un des spectateurs comme interrupteur de lumière de la salle. Dans le film « Partisane » (2012) de Jule Japher Chiari, Mnesya, la protagoniste lesbienne, dit que son amante Loba l’a attirée parce qu’« elle n’était pas cassée ». Dans le film « Howl » (2010) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Allen Ginsberg présente Peter, son amant, comme son « cadeau de Noël ». Dans le film « Un Jour comme un autre » (2003) de Laura Muscardin, l’amant est comparé à une couverture chaude. Dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger, les deux amants se soumettent un jeu de questions-réponses qui pourrait leur paraître insultantes (« Si tu étais un jouet, tu serais quoi ? ») s’il n’était pas saturé de drague : quand Pablo dit qu’il se voit en pelle et en seau, Bruno propose de l’acheter. Dans le film « Test : San Francisco 1985 » (2013) de Chris Mason Johnson, Frankie reproche à son amant Todd de se servir de lui comme un bouche-trou aux soirées, ou comme un objet : « Je suis ton oreiller. » Dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel dit qu’il est en couple avec son violon « Jean-Jacques ». Dans le film « A Moment in the Reeds » (« Entre les roseaux », 2019) de Mikko Makela, Leevi, le héros homosexuel, écrit sur son amant syrien Tareq.

 

Dans le meilleur des cas, l’amant est associé à une œuvre d’art : « On vous a dit que vous ressemblez à un Botticelli ? » (Cyrille au journaliste Jean-Marc, dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 17) ; « C’est mon monument à moi. » (William parlant de son amant Georges, dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier) ; « Si je savais dessiner, je te demanderais d’être mon modèle. » (Jacques s’adressant à son jeune amant Mathan, dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. En règle générale, le personnage homosexuel se dit fasciné par les corps sculptés et les statues des dieux grecs : cf. le film « Tendre Voyou » (1966) de Jean Becker (avec Ivan Desny), le film « Corps à Cœur » (1978) de Paul Vecchiali, le film « Boys For Beauty » (2000) de Mickey Chen, le film « Boys Toys » (2003) de Geof Smith, la chanson « Black Or White » de Michael Jackson (sur la Statue de la Liberté), le film « Mon Führer : la vraie histoire d’Adolf Hitler » (2007) de Dani Levy (avec les statues grecques dans le bureau d’Hitler), le roman El Día Que Murió Marilyn (1970) de Terenci Moix (avec le goût de Jordi pour les statues), le film « Die Mitter der Welt » (« Moi et mon monde », 2016) de Jakob M Erwa, le film « Song Of The Godbody » (1977) de James Broughton, la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec la statue), le roman L’Uruguayen (1972) de Copi (avec la statue de l’enfant au bilboquet, au milieu de la place du village), le film « The Bridge » (2005) de George Barbakadze (avec des statues dans le superbe appartement du couple Niko-Luka), le roman L’homme de marbre (2008) de Stéphane Lambert, le vidéo-clip de la chanson « Nothing Compares To You » de Sinead O’Connor, le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, etc. Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, la valise de Daphnée contient une statue grecque. Dans le roman Son Frère (2001) de Philippe Besson, Lucas parle de sa « fascination pour les corps » (p. 51). Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, il y a des lithographies de statues partout dans la chambre du « couple » Paul-Erik. Dans le film « Les Amours imaginaires » (2010) de Xavier Dolan, Nicolas, le héros homosexuel, est associé à une statue de marbre pendant qu’il danse : des images de statue sont intercalées à ses pas. Dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Delphine, l’héroïne lesbienne, ment à sa mère en lui présentant son amante Carole comme une simple amie qu’elle aurait rencontrée dans un « atelier de poterie pour femmes ». Carole ironise, en glissant plein de sous-entendus : « Dans ces ateliers, on sculpte les corps… »

 

La statue de marbre charme la fantaisie du héros homosexuel : « La folie des corps… tu sais ce que c’est quand on est jeune. » (Xav dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand) ; « Michael va à une académie de sculpture, passe ses journées aux musées. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 140) ; « Ta chambre est une ode à la couleur mauve : des tapis aux abat-jour, des peintures aux statuettes, des draps aux alaises, le décor couvre chaque nuance du violet. » (Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 169) ; « Nous adorerons Evita. Son image sera reproduite à l’infini en peinture et en statue pour que son souvenir reste vivant dans chaque école, dans chaque endroit de travail, dans chaque foyer. » (Perón dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « En époussetant le buffet qui se trouve dans le salon, je fais tomber un bibelot. Une petite statuette en bronze qui représente un personnage ailé et qui heureusement touche le parquet sans s’ébrécher. » (Théo dans le roman À mon cœur défendant (2010) de Thibaut de Saint-Pol, p. 68) ; « Nous vîmes, pas très loin de nous, un homme bien mis qui regardait la statue d’un éphèbe. Il le détaillait avec grande attention, et, alors que nous parlions des pratiques assez particulières du monde antique, Philippe me dit que, justement, cet homme avait probablement le goût différent dont il tentait par allusions de m’expliquer l’originalité. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 38) ; « Un ange éploré était accroupi à la base d’une grande croix, les bras levés vers le ciel dans une posture suppliante. Ses ailes étaient aussi longues que son corps, son visage beau et torturé, évoquant un Jésus féminin. Le sculpteur avait fait du bon travail ; une impression de lumière se dégageait des plis de pierre de sa robe, laquelle épousait ses formes athlétiques mais manifestement féminines. Jane s’aperçut que son regard s’attardait sur les fesses de l’ange. Elle rit et murmura : ‘ Du porno de cimetière. ’. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 46) ; « Je vous vois rougir. Comment se fait-il, ma très chère ? Cela vous va bien. » (Merteuil s’adressant à sa poupée Madame de Tourvel, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, dans la mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; etc. Par exemple, dans le film « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev copie les statues de marbre du Louvre et s’en inspire pour effectuer ses chorégraphies.

 

Dans la performance Nous souviendrons-nous (2015) de Cédric Leproust, le narrateur tombe amoureux de son jouet en bois, « Kiki », que lui avait offert son parrain décédé quand il était petit. Il dit que « c’est comme une présence apaisante et rassurante pour lui » : « Je ne l’ai pas choisi. Il ne m’a pas choisi. » Il semble vivre avec cet être-machine une relation fusionnelle où l’un existe au détriment de l’autre : « Il y a eu assemblage de cellules. Il va grandir. Moi pas. Il va gémir. Moi pas. Il va finir. Moi pas. Je suis pourtant dedans. Il se racle la gorge… et c’est ma voix qui sort.
 
 

d) Le mythe de Pygmalion est appliqué au couple homosexuel : l’artiste homosexuel tombe amoureux de son amant-chef d’œuvre :

Le personnage homosexuel prête à sa statue des sentiments humains : cf. la pièce La Statue mutilée (1970) de Tennessee Williams, le film « La Statue qui marche » (1920) de Fritz Lang, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman, la chanson « L’Horloge » de Mylène Farmer (« Mon gosier de métal parle toutes les langues. »), la chanson « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer (« Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ? »), la chanson « Parler tout bas » d’Alizée (« Les jours de pluie, mes jouets sont vivants. »), etc. Par exemple, les dernières images du faux film « Servir et protéger » dans le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, Billy parle à la statue du président Lincoln comme si elle était vivante, et son amant Dany le lui fait remarquer : « C’est une statue, Billy… » Et à la toute fin de « In & Out » (1997) de Frank Oz, Howard reçoit la statuette oscarisée de Cameron. Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, prend son aspirateur Tornado pour un être vivant, un chien. Et quand la machine ne fonctionne plus, il pleure un mort. Dans la pièce Sugar (2014) de Joëlle Fossier, Georges, le héros homo fortuné, possède dans son appartement des statuettes… et un amant sculptural. Dans le générique du film « Call me by your name » (2018) de Luca Guadagnino, ça démarre tout de suite avec une succession de photos de statues grecques.

 

Photo Le Tribut (1985) de Marcel Marien

Photo Le Tribut (1985) de Marcel Marien


 

Dans les fictions homo-érotiques, on voit souvent qu’art et amour sont mélangés, que le personnage homosexuel ne fait pas de distinction entre les goûts et l’Amour (il « aime » une œuvre d’art comme il « aime » une personne), entre esthétique et éthique : « Est-ce de l’une de ces statues que jaillit un gémissement nostalgique ? » (cf. la nouvelle « Au musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 112) ; « À travers le modèle, il [Jioseppe] doit représenter un sentiment. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 10) ; « Plus elle s’approche, plus le cœur d’Anne-Catherine bat fort. Elle regarde la sculpture. […] Doucement, le doux visage d’un jeune guerrier émerge du fond des âges. Il y a des centaines d’années, cet homme existait, en chair et en os. […] Elle hésite, approche sa main tremblante et finalement, touche l’œuvre. » (idem, p. 272) ; « Jason allait réciter son credo mécaniquement. Dire qu’il ne croyait qu’à l’art. Affirmer avec un lyrisme faux que seules la peinture, la musique et la poésie permettent de supporter l’existence. » (Jason, le héros gay, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 357) Par exemple, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra met l’art sur le même niveau que l’amour. Dans le film « Orphée » (1950) de Jean Cocteau, Orphée et Narcisse sont confondus. Dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, Bernard, le peintre et amant de Pierre Bergé, tire le portrait d’Yves Saint-Laurent. Dans le film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion, Isabelle tombe amoureuse de la veuve Serena Merle rien qu’en l’écoutant jouer du Schubert : « Elle est charmante. Elle joue admirablement du piano. » Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Mathan, le jeune héros homosexuel, a dessiné François, son premier amour. Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, l’homosexualité est mise sur le même plan que le talent pianistique inné : Irène, au moment où le père Raymond lui demande d’où lui vient sa prédisposition au métier de pianiste, lui répond, pour défendre l’homosexualité de son frère Bryan : « C’est comme demander à Bryan pourquoi il est gay. »

 

Il arrive fréquemment que le héros homosexuel tombe amoureux de son œuvre d’art : cf. la chanson « Kissing My Song » du groupe Indochine, les vidéo-clips des chansons « Redonne-moi » et « Sans contrefaçon » de Mylène Farmer, le film « Calé » (1986) de Carlos Serrano, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, le film « Martin (Hache) » (1997) d’Adolfo Aristarain, la comédie musicale My Fair Lady (1958) de Cecil Beaton, le film « My Fair Lady » (1964) de George Cukor, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman (le Dr Frank-N-Furter tombe amoureux de son modèle Rocky), le roman L’Apprenti Sorcier (1976) de François Augiéras, le poème « Un Hombre Con Su Amor » de Luis Cernuda, le film « Mikael » (1924) de Carl Theodor Dreyer, la pièce Pygmalion (1957) de George Bernard Shaw (avec Jean Marais et Jeanne Moreau), le film « Artistes et Modèles » (1955) de Frank Tashlin, le film « Mikael » (1923) de Carl Theodor Dreyer, le film « Pygmalion » (1938) d’Anthony Asquith, le film « Boulevard » (1960) de Julien Duvivier, le film « La Rue chaude » (1961) d’Edward Dmytryck (avec la sculptrice), le film « Making Love » (1982) d’Arthur Hiller, le film « Desert Hearts » (1985) de Donna Deitch, le film « Gugu, O Bom De Cama » (1980) de Mario Benvenutti, le film « Valentin » (2001) de Juan Luis Iborra, le film « Caravaggio » (1986) de Derek Jarman, le film « Le Sang du Poète » (1930) de Jean Cocteau (avec le beau sculpteur incarné par Enrique Rivero), le film « Love Is The Devil » de John Maybury, le film « L’Enfant Miroir » (1990) de Philip Ridley, le film « It’s That Age » (1990) d’Hagar Kot, etc.

 

Par exemple, dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy, Maxence tombe amoureux du portrait de la femme idéale qui lui est apparu en rêve : « Son portrait et l’amour ne font plus qu’une image » dit-il. Dans la comédie musicale Dr Frankenstein Junior (1974) de Mel Brooks, Dr Frankenstein Junior et sa créature Frankenstein jouent à être en couple. Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Catherine, l’héroïne lesbienne, compare son amante Fanny à un tableau et tombe amoureuse d’elle. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs (où l’art et la musique sont montrés comme de l’Amour vrai), Ben, l’un des héros homosexuels, est peintre : il peint sur les toits des immeubles new-yorkais, les fameux roof tops . Il décide de tirer le portrait du jeune Vlad, le beau camarade de classe de son neveu Joey, qui est dégoûté de cette mise en scène. Joey trouve qu’un peintre peignant un modèle, « ça fait gay ! ». Ce sera son plus beau tableau. Dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, Davide, le héros homosexuel, maquille sa propre mère dans la salle de bain et lui redonne soi-disant sa féminité. « Ta grand-mère était très douée. » le complimente-t-elle.

 

Toile "Pygmalion et Galatée" de Jean-Léon Gérôme

Toile « Pygmalion et Galatée » de Jean-Léon Gérôme


 

Dans la pensée du Pygmalion et de son modèle (pensée totalitaire et fusionnelle), l’amour est créé par eux et par personne d’autre. Il ne se reçoit pas de l’extérieur… donc encore moins de Dieu ! « Quand est-ce qu’on refait l’amour ? On le réinvente maintenant comme à chaque fois. L’amour est le facteur exponentiel des corps. On se multiplie l’un l’autre. Rien de tout ça ne nous a été transmis, appris. Tout ça on l’avait dedans. » (cf. une réplique de la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier)

 

Dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré, Emmanuel embrasse son amant Omar qu’il a dessiné sur le mur de sa chambre. Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), le comédien se met dans la peau d’un homme dont la femme a été défigurée dans un accident de voiture et qu’il embrasse comme si elle était un tableau abstrait : « Mon p’tit Picasso à moi… Smack ! » Dans le roman Le Musée des amours lointaines (2008) de Jean-Philippe Vest, il se produit un curieux phénomène : les personnages voient apparaître sur les tableaux exposés dans une galerie d’art le visage de leur future âme-sœur, visage que les autres visiteurs ne parviennent pas à voir : « Tu veux dire que cette statue [la statue de Dibutades] porte le secret des œuvres qui font apparaître les âmes sœurs ? » (p. 202) ; « La jeune femme [Anne-Catherine] est touchée, pour la première fois de sa vie, par la grâce de l’art, devant l’autoportrait de Madame Vigée-Le Brun et sa fille. » (idem, p. 308) Dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, la voix narrative s’adresse à une amante-statue. Dans la comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011) de Stephan Druet, Myriam parle toujours à sa poupée. Dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin a fait un portrait de son futur amant Bryan à partir d’une photo qu’il a prise de lui ; cet acte anticipé d’idolâtrie étonne sa mère : « Vous ne vous connaissiez pas mais tu as sa photo et tu fais son portrait ! » (p. 17) Dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Emma tire le portrait d’Adèle dès leur deuxième rencontre. Dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Elena, avant de sortir avec son amie Peyton, veut absolument la flatter et l’amadouer en faisant d’elle un beau portrait-photo.

 

L’amant est comparé à une statue ou à une poupée désirable par le héros homosexuel : cf. le vidéo-clip de la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer, le film « Poupée d’amour » (1970) de Mac Ahlberg, le vidéo-clip de la chanson « Luca Era Gay » de Povia (avec la présence d’une statue gréco-romaine), le vidéo-clip de la chanson « Gay Bar » du groupe Electric Six (avec la statue grecque), etc. « Beau comme ces jeunes Grecs ciselés dans le marbre. » (la psychiatre décrivant le corps mort de Cyril, dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 222) ; « Un homme, c’est comme une pierre à laquelle tu te tiens. C’est robuste. » (Franck dans la pièce Mon Amour (2009) d’Emmanuel Adely) ; « Quand je suis tombé sur Pietro j’ai été ébloui, tous mes sens se transformèrent. Il n’avait aucune sexualité, aucune. Il ne bandait jamais, ne sentait rien, je pouvais faire de lui ce que je voulais. » (la voix narrative du roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 22) ; « Il pense que je vois en lui un chef-d’œuvre romain. » (idem, p. 23) ; « Le corps de Pietro est devenu dur et ferme comme une statue, pas une goutte de sang n’a coulé de son nombril. » (idem, p. 151) ; « Pierre, on dirait un gros bouddha en mousse, sauf dans les moments où il pique ses crises et me casse des objets sur la tête. » (idem, p. 68) ; « Il s’aventure dans la sculpture. Il fait un Pierre grandeur nature en argile à côté du vrai qui n’a pas de mal à poser puisqu’il est toujours immobile à méditer. Ce Pierre ne lui ressemble pas du tout, il est beau, grand et musclé, on dirait une statue grecque. » (idem, p. 70) ; « Tu es comme une sculpture. Je suis amateur d’art. » (le voisin de l’immeuble payant Emmanuel pour qu’il se dénude devant lui, dans le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré) ; « Si les sculpteurs de l’antiquité t’avaient connu, c’est toi qu’ils auraient pris comme modèle. Tu serais aujourd’hui dans tous les musées ! » (Kévin s’adressant à son amant Bryan, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 391) ; etc. Dans le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch, Laura voit son amante Sylvia en pièces détachées, et la compare à la Vénus de Milo. Dans le roman L’Amant de mon père (2000) d’Albert Russo, le corps des amants est sans cesse associé à des sculptures de Michel Ange, aux peintures de Géricault : « La pierre, fût-elle ou non façonnée par l’homme, nous rend immortels. » (p. 44)

 

D’ailleurs, le couple homosexuel fictionnel se place souvent sous le patronat d’une statue : cf. le film « Le Cas d’O » (2003) d’Olivier Ciappa (où le couple Orient-Michaël est soumis au pouvoir énigmatique d’une statue), le film « La Chair et le diable » (1927) de Clarence Brown (avec le pacte d’amour devant la statue), etc. Dans le film « J’ai tué ma mère » (2009) de Xavier Dolan, Antonin offre à son copain Hubert deux marionnettes en pâte à modeler à leur effigie, pour officialiser leur union.

 

Vidéo-clip de la chanson "Redonne-moi" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Redonne-moi » de Mylène Farmer


 

La légende de Pygmalion, ce sculpteur tombant amoureux de la statue qu’il a façonnée, est très souvent revisitée dans les œuvres de fiction homosexuelles : « Pierre me dit tous les jours que je suis sa star. » (Stéphane dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Oui, je la pomponne, lui applique du rose sur les joues, sur les lèvres pour lui donner meilleure mine, sinon elle a un teint de morte. » (Cécile à propos de son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset p. 53) ; « C’est moi qui lance les artistes. » (l’attachée de presse interprétée par Élie Kakou, dans son spectacle comique Élie Kakou au Point Virgule en 1992) ; « Pendant des années je t’ai connu, je t’ai peint. » (Chris dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 64) ; « Vous allez faire mon portrait. » (la duchesse d’Albe au prince Solis, dans la nouvelle « L’Autoportrait de Goya » (1978) de Copi, p. 20) ; « Je vais faire de toi un top model. » (Petra à son amante Karin, dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant », « Les Larmes amères de Petra von Kant » (1972) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Je suis juste un homme qui à coup sûr peut te faire accéder à la célébrité. » (Zach s’adressant à son jeune étudiant-amant Danny, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; « T’as du talent, tu sais. » (Jack parlant au jeune et bel Hugo, en cherchant à le pygmalionner, dans la comédie musicale Chantons dans le placard (2011) de Michel Heim) ; etc.

 

Le personnage homosexuel dit qu’il tombe amoureux de sa statue, qu’il est l’agent de celle-ci : « Hey ! Embrasse pour moi la Statue de la Liberté ! » (Stéphane, le héros homo à son meilleure amie lesbienne Florence, au moment où celle-ci part à New York, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Moi, je sirotais ta douce peau d’or. » (cf. la chanson « Ange » du Beau Claude) ; etc. Dans le film « Tu n’aimeras point » (2009) de Haim Tabakman, Ezri tire le portrait d’Aaron, son amant : « Je peux te dessiner. […] Tu es mon chef d’œuvre. » Dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Muriel Gold est le modèle pictural constant de sa copine et peintre Catherine S. Burroughs. Dans le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder, Watson est le biographe-amant de Sherlock Holmes. Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Thibault, l’amant de Xav, est présenté comme un « Pygmalion ». Dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011), Raphaël Beaumont nous fait une imitation de Cristina Cordula, la conseillère en reloocking de la chaîne française M6. Dans le film « Circumstance » (« En secret », 2011) de Maryam Keshavarz, le couple lesbien se promet de se construire une carrière dans la chanson : dès la première phrase du film, Shirin propose à sa copine Ati de fuir Téhéran pour se rendre à « un endroit où elle sera son agent », dans une ville où elles pourront s’aimer au grand jour ; et Ati, un peu plus tard, s’annonce aussi comme le Pygmalion de Shirin : « Tu chantes et je deviens ton agent. » Dans le film « Xenia » (2014) de Panos H. Koutras, Dany, le héros homosexuel, pygmalionne son grand frère Ody pour qu’il gagne le concours genre The Voice grec : « Je veux qu’on aille en Thessalonique et que tu deviennes une star. » Dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi, Yoann, le héros homosexuel, et Julien, le héros bisexuel, maintiennent une relation amoureuse d’intérêt. Yoann joue le Pygmalion de la carrière de présentateur télé de Julien : « Je suis un petit peu son PM : Personal Manager. »

 

Le coït homo ressemble parfois à un atelier poterie : « J’aime trop pétrir ses fesses de coureur, me coller à son dos cambré de statue. Je le renverse dans le lit : il m’est livré. Il est à moi. Alors je sais que son sexe m’appartient. Je le saisis d’un coup, son sexe bandé et chaud dont il est si fier, son gros membre de beau garçon. J’avale son gland rose, son bourgeon gonflé prêt à donner sa sève. Je le sens si bien quand il me prend, bien large et vigoureux. J’aime qu’il me déchire, qu’il m’éventre tout entier du bas en haut. Enfin, je suis si terriblement heureux quand je danse empalé sur lui. » (Jacques Astruc, Chambranle (2006), p. 97) ; « Tu me modèles comme si j’étais faite d’argile. » (Judy Minx dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles au troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris, en avril 2009) ; « Je n’étais pas de marbre. Ma bouche goba goulûment l’un, puis l’autre testicule. Leur propriétaire se retourna, appuya ses genoux sur une marche, cambra son échine, prit la pose et apposa sa croupe fendue à cheval sur l’arrête de mon nez. Mes paumes pétrirent les deux globes. » (le personnage homosexuel fait l’amour à un modèle, dans la nouvelle « Au Musée » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 110)

 

Même si le héros homosexuel laisse libre cours à ses pulsions sexuelles les plus viles à travers la sculpture, il dira que son goût des corps n’a rien de « sexuel » : pour lui, c’est uniquement du bon goût ! du raffinement d’esthète ! de la sensibilité gratuite et désintéressée pour l’art ! du vrai romantisme, quoi !…

 
 

e) Le coiffeur homosexuel :

Le coiffeur homo du film "Mon curé chez les nudistes" de Robert Thomas

Le coiffeur homo du film « Mon curé chez les nudistes » de Robert Thomas


 

Chez le personnage homosexuel, le désir de façonner l’amant par amour et pour le figer dans l’esthétique ou le sentiment, ne se limite pas au monde de la sculpture. Un autre cliché très connu de l’homosexualité est celui du coiffeur gay. On retrouve les coiffeurs homos (et leurs parodies) dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (Fifou, le personnage homo, dit qu’il aime coiffer), la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan (avec Romain Canard, la folle furieuse), le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer (avec Mario, le coiffeur gay de la mère homophobe du héros homo, Romeo), la comédie musicale À voix et à vapeur (2011) de Christian Dupouy (où il est question d’un homo surnommé le « coiffeur du XIème »), le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec le coiffeur gay qui s’appelle « Montmartre »), le roman Bonbon Palace (2008) d’Elil Shafak (avec les jumeaux coiffeurs Djemal et Djelal, tous deux homosexuels), le film « Un beau jour, un coiffeur… » (2004) de Gilles Bindi, le film « Barbie También Puede Estar Triste » (2001) d’Albertina Carri, le film « Mon curé chez les nudistes » (1982) de Robert Thomas, le film « No Skin Of My Ass » (1991) de Bruce LaBruce, le film « Salut Maya » (2004) de Claudia Lorenz, le film « Hey, Happy ! » (2001) de Noam Gonick (avec le salon de coiffure de la tante de Sabu), le film « Ed Wood » (1994) de Tim Burton, le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin (avec Patreese Johnson), le film « L’Escalier » (1969) de Stanley Donen (Charlie et Harry le couple de coiffeurs homosexuels), le film « Baleydier » (1931) de Jean Mamy, le film « Coiffeur pour dames » (1931) de René Guissart, le film « Lady For A Day » (1933) de Frank Capra, le film « A Queer Story » (1996) de Shu Kei, le film « Blow » (2000) de Ted Demme, le film « Elisa » (1956) de Roger Richebé, le film « Coucou » (1979) de Francesco Massaro, le roman Deux Femmes (1975) d’Harry Muslisch (avec Sylvia), le film « Les Pétroleuses » (1971) de Christian-Jaque, le film « Le plus vieux métier du monde » (1966) de Claude Autant-Lara, la pièce Jimmy, créature de rêve (2005) de Marie Brassard (avec Jimmy), les films « Le Roi de cœur » (1966) et « Tendre Poulet » (1977) de Philippe de Broca, le film « Outrageous ! » (1977) de Richard Benner, le film « Hush ! » (2002) de Ryosuke Hashiguchi (avec le coiffeur animalier homo), le film « L’Amour en question » (1978) d’André Cayatte, le film « La Matiouette » (1982) d’André Téchiné, le film « Les Gros Bras » (1964) de Francis Rigaud, le film « Comme un oiseau sur la branche » (1990) de John Badham, le film « Who’s The Man ? » (1993) de Ted Demme, le film « Rock » (1996) de Michael Bay, les films « Vacances à Paris » (1958) et « La Party » (1968) de Blake Edwards, le film « La Valse des truands » (1969) de Paul Bogart, le film « L’Escalier » (1976) de Greydon Clark, le film « Black Shampoo » (1976) de Greydon Clark, le film « Ja Zuster, Nee Zuster » (2002) de Pieter Kramer, le film « Papy fait de la résistance » (1983) de Jean-Marie Poiré (avec Guy-Hubert, le coiffeur efféminé joué par Martin Lamotte), le film « Superlove » (1998) de Jean-Claude Janer, le film « La Californie » (2005) de Jacques Fieschi, le film « La Nuit de Varennes » (1981) d’Ettore Scola, le film « Le Harem de Madame Osmane » (1999) de Nadir Moknèche, la B.D. Le Rose et le Glaive d’Astérix, le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay (avec le couple Rick et Chuck), le film « Odette Toutlemonde » (2007) d’Éric-Emmanuel Schmitt (avec le personnage de Rudy), le film « Meilleur Espoir féminin » (1999) de Gérard Jugnot (avec le personnage d’Andrea), la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi, le film « Rachel se marie » (2009) de Jonathan Demme (avec le coiffeur homosexuel abusé), le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar (avec le coiffeur et maquilleur homo), l’histoire courte « Standing » dans l’album Le Monde fantastique des gays (1986) de Copi, le film « The Producers » (« Les Producteurs », 1968) de Mel Brooks (avec un milieu artistique rempli de folles tordues, et notamment de coiffeurs), le film « You Don’t Mess With The Zohan » (« Rien que pour vos cheveux », 2008) de Dennis Dugan (où le héros hétéro passe pour un homo auprès de sa famille israélienne parce qu’il veut être coiffeur), le roman Maïté Coiffure (2004) de Marie-Aude Murail (avec Fifi, le coiffeur homo), le film « Mon arbre » (2011) de Bérénice André (avec Lydia, la coiffeuse lesbienne garçonne), le sketch « Le Salon de coiffure II » de Muriel Robin (avec Patrick, un homo qui pleure la fermeture du salon de coiffure), le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand (Claudio, le copain de Rodolphe, est coiffeur), le film « Bridget Jones : l’Âge de raison » (2004) de Beeban Kidron, la chanson « Georges » de Thomas Fersen, etc.

 

PYGMALION Maïté coiffure

 

Par exemple, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche, Adèle, l’héroïne lesbienne, soupçonne Emma, sa future amante, d’être « coiffeuse » de métier à cause de sa teinture de cheveux de celle-ci, qui est bleue. Le film « On ne choisit pas sa famille » (2011) de Christian Clavier, traitant de l’homoparentalité, débute par une séance de teinture (ratée) de cheveux  chez le coiffeur. Dans son one-man-show Gérard comme le prénom (2011), Laurent Gérard nous parle de son coiffeur homosexuel « qui a un rire très… coiffeur » et sur qui il reporte toute son affection : « Quelqu’un d’essentiel dans ma vie : mon coiffeur ! »

 

Film "Braids On Bald Head" (2010) d'Ishaya Bako

Film « Braids On Bald Head » (2010) d’Ishaya Bako


 

Le cliché du coiffeur gay agit comme une homophobie positive tellement il enferme les héros homosexuels dans la soi-disant « exceptionnalité » de leur désir sexuel : « J’ai rien contre les gays. Si y’avait pas les gays, on serait jamais coiffés. » (Sonia dans la pièce En circuit fermé (2002) de Michel Tremblay) ; « Aimer Carla Bruni, à moins d’être coiffeur, c’est direct le bûcher. » (Jonathan, le héros homosexuel de la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Couturier… Et pourquoi pas coiffeur pour dames tant qu’on y est ? » (Laurent Spielvogel imitant son père lui parlant, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « À part ça, je crois qu’il est un petit peu… Il est coiffeur, il est coiffeur ! » (Laurent Spielvogel imitant sa mère lui parlant de son coiffeur homo, idem) ; « J’suis coiffeur. Non, c’est une blague. Je suis visagiste, en fait. » (Arnaud, le héros homo qui ne s’assume pas, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc. Par exemple, dans le film « 20 ans d’écart » (2013) de David Moreau, le cliché du coiffeur homo est imaginé autant que méprisé par un des assistants maquilleurs de l’agence de mode de la revue Rebelle. Dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, un jeune Kenyan est la risée de la bande masculine de Blacksta et Waireri, parce qu’il est coiffeur : « Il a encore plus une démarche de tapette ».

 

 

Il se trouve que, bien souvent, le cliché renvoie à la réalité. Le personnage homosexuel dit clairement qu’il se consacre au métier de coiffeur : « J’entre à l’école de coiffure l’an prochain. » (Alex, la grande tapette, dans le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras) ; « Nous autres, les coiffeurs, avons plus de flair que les chiens de chasse. » (le coiffeur dans la pièce La Tragi-comédie de Don Cristóbal et Doña Rosita (1935) de Federico García Lorca) ; « Je faisais les teintures chez les coiffeurs. » (Otho, le personnage homosexuel du film « Bettlejuice » (1988) de Tim Burton) ; « J’voulais être coiffeur. » (un des protagonistes homos dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Je sais qu’en ce moment, Quentin, il est avec une coiffeuse. » (Jules, le héros homosexuel parlant de son ex petit copain, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau) ; etc. Par exemple, dans le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson, Markus est coiffeur et propose à son amant Gabriel de lui servir de « cobaye » pour son salon de coiffure de Manchester, et ensuite faire carrière : « J’aimerais faire une formation de coiffeur à Londres. » Dans le roman Courir avec des ciseaux (2007) d’Augusten Burroughs, Augusten veut devenir « star, ou docteur, ou coiffeur ». Parfois, le héros coiffeur n’a pas besoin de faire sa réputation : son homosexualité est sous-entendue par les autres personnages : « Le matin je passerai chez mon coiffeur me faire teindre en blond platine. » (la Comédienne dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

En général, l’artiste capillaire gay est montré comme l’incarnation vivante de la superficialité humaine la plus extrême, un Steevy Boulay sans cervelle et très bavard, une fashion victim aux cheveux décolorés et oxygénés : « C’est un esprit médiocre. » (Saint Loup par rapport à un de ses coiffeurs homos, dans le film « Rose et Noir » (2009) de Gérard Jugnot) ; « Le Marais, j’y vais juste pour me gommer les cheveux. » (cf. la réplique d’une bobo gay friendly dans le film « Neiges d’automne » (2014) d’Hugo Bardin) ; etc. C’est la raison pourquoi le cliché du coiffeur homosexuel attise souvent les foudres de la communauté homosexuelle.

 

Au-delà de ça, le lien entre orientation homosexuelle et coiffure, quel est-il ? Il est le même qu’avec la danse ou le massage. L’acte de coiffer peut se sensualiser très vite, prendre, selon le désir et l’intention qu’on y met, une charge érotique forte. Par exemple, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, la séance de coiffure préfigure l’homosexualité, et annonce déjà le coït lesbien à venir entre Anamika et son amante Linde : « Tandis que je faisais pénétrer l’huile dans ses tresses noires, elle laissait échapper des ‘oooh’ et des ‘aaah’ de plaisir. J’étais tout entière concentrée sur sa peau luisante et la façon dont, grâce à l’huile, mes doigts glissaient tout seuls. » (p. 17)

 

Le coiffeur homo prétend parfois enfanter et magnifier son amant : « Laissez-moi 3 jours, Didier, et je refais de vous le séducteur que vous étiez. » (Bernard, le héros homo et ancien coiffeur, s’adressant à son futur amant, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia)

 
 

f) Le couturier homosexuel :

Film "Rose et Noir" de Gérard Jugnot

Film « Rose et Noir » de Gérard Jugnot


 

En parallèle avec le motif du coiffeur gay, le personnage du couturier homosexuel est aussi récurrent dans les fictions homosexuelles : cf. le film « La Belle Ensorceleuse » (1941) de René Clair, le film « Irene » (1926) d’Alfred E. Green, le film « Fig Leaves » (1926) d’Howard Hawks, le film « The Broadway Melody » (1929) de Harry Beaumont, le film « Manhattan Parade » (1931) de Lloyd Bacon, le film « Le Couturier de ces dames » (1956) de Jean Boyer, le film « Paradis perdu » (1939) d’Abel Gance, le film « Grand Ziegfeld » (1936) de Robert Z. Leonard, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder (avec Petra), la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz, la pièce Les Indélébiles (2008) d’Igor Koumpan et Jeff Sirerol (avec le vendeur en magasin de mode), le film « Mango soufflé » (2002) de Malesh Dattani, le film « De la vie des marionnettes » (1980) d’Ingmar Bergman, le film « No Desearás Al Vecino Del 5° » (1970) de Ramón Fernández, le film « On est toujours trop bon avec les femmes » (1970) de Michel Boisrond, le film « La Panthère est de retour » (1975) d’Arthur Marks, le film « Manila By Night » (1979) d’Ismael Bernal, le film « Jackie Chan à Hong Kong » (1999) de Vincent Kok, la pièce Attachez vos ceintures (2008) de David Buniak (le vendeur en prêt-à-porter), le film « Rose et Noir » (2008) de Gérard Jugnot (avec les costumiers gay), la pièce Le Frigo (1983) de Copi, (avec Hugh couturier), la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi (avec Jean, le styliste), le film « Anastasia » (1997) de Don Bluth et Gary Goldman (dans la chanson sur « Paris »), le film « Corazones De Mujer » (2008) de Davide Sordella et Pablo Benedetti (avec Shakira, « le meilleur couturier de Turin »), le film « Alice au Pays des Merveilles » (2010) de Tim Burton (avec le Chapelier folle), la pièce Casimir et Caroline (2009) d’Ödön von Horváth (avec le tailleur Eugène Schützinger), le film « Cruising » (« La Chasse », 1980) de William Friedkin (avec Matthew, le couturier homosexuel), le sketch du vendeur en prêt à porter d’Elie Semoun (avec Jean Luc), le sketch d’Alex Lutz imitant la vendeuse de magasin, le film « Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2006) de David Frankel (avec Nigel, le couturier gay), le film « Les Douze Coups de Minuit » (« After The Ball », 2015) de Sean Garrity (avec Maurice le styliste homo), l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien (avec Dallas, l’assistant-couturier homo de la créatrice Cecilia), etc.

 

« Le monsieur qui fait mon costume est homosexuel. » (l’humoriste « hétéro » Arnaud Demanche dans son one-man-show Blanc et hétéro, 2019)

 


 

Par exemple, dans le film « Rush Hour 3 » (2007) de Brett Ratner, Carter s’infiltre incognito dans un cabaret parisien en tant que « Bibiche », un costumier noir particulièrement maniéré. Dans le film « 20 ans d’écart » (2013) de David Moreau, Vincent Khan, le rédacteur en chef de la revue de mode féminine Rebelle est homosexuel. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca est un amoureux des fringues. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, François est vendeur dans un magasin de vêtements féminins. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca se met dans la peau d’un vendeur efféminé de chez Prada. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, travaille dans une boutique de prêt-à-porter avant de devenir steward. Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Géraldine, un transsexuel M to F, bosse dans la mode ; et Bernard, le héros homosexuel, joue au couturier avec Donatienne, sa « fille à pédés ». Dans le film « Chacun cherche son chat » (1996) de Cédric Klapisch, Michel, le meilleur ami gay de Chloé, est le « conseiller fringues » de son amie. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il leur propose trois options d’ateliers au choix : une visite au Musée de la Mode, un atelier de création de bougies parfumées, et un atelier Mylène Farmer. Benjamin et Arnaud choisissent la sortie au musée. Arnaud se montre étonnamment expert en haute couture, ce qui étonne son copain : « Depuis quand t’es devenu un mini Lagarfeld ? » Par ailleurs, certains personnages homosexuels travaillent dans l’univers du prêt-à-porter et de la haute couture : « Pietro faisait des dessins de mode. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, pp. 12-13) ; « À ma sortie je vous emmènerai faire le tour des grands couturiers ! » (Cyrille, le héros homo, s’adressant à l’infirmière dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi) ; « À l’occasion, je pique aussi à la machine. […] Le travail ne me fait pas peur : je suis un peu décorateur, un peu styliste. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’engage moins mes petites bonnes pour le travail qu’elles sont supposées fournir que selon les désirs qu’elles éveillent en moi. J’agis avec elles comme si j’étais chez la modiste. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 10) ; « Il y a mon costumier, fou de taffetas et d’opéra. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse , 2014) ; etc.

 

Film "Dar l'Invincible" (1982) de Don Coscarelli

Film « Dar l’Invincible » (1982) de Don Coscarelli


 
 

g) L’amant homosexuel est aussi statique et causant qu’une porte de prison ou une statue du Musée Grévin :

Le gros problème du Pygmalion homosexuel, c’est qu’en tombant amoureux d’une statue ou d’un amant réservé et manipulable à souhait, c’est qu’il se retrouve un peu seul. Dans la solitude angoissante d’un musée de cire. Les allusions au Musée Grévin dans les fictions homosexuelles sont nombreuses : cf. le film « Musée haut, Musée bas » (2007) de Jean-Michel Ribes (avec la mère de José, empaillée pour le Musée Grévin), le film « Chéri » (2009) de Stephen Frears, le concert Le Cirque des mirages (2009) de Yanowski et Fred Parker (avec le cabinet du Dr Lebrun en musée de cire), le roman Le Musée Grévin (1943) de Louis Aragon, le film « Le Musée Grévin » (1959) de Jacques Demy, etc. « On n’est pas au Musée Grévin ! » (la mamie de Tom, le héros homosexuel, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen) Dans la comédie musicale Peep Musical Show (2009) de Franck Jeuffroy, le marin gay veut voir le Musée Grévin afin de se trouver une excuse pour ne pas sortir avec la pin-up : c’est le chemin vers ce lieu mythique parisien qui nous met sur la piste de son homosexualité. Dans le film « Le Derrière » (1999) de Valérie Lemercier, Marc, le héros homosexuel, paye le Musée Grévin à sa mère Colette.

 

Souvent le personnage homosexuel a des traits qu’on dit « autistiques », c’est-à-dire qu’il ressemble à une statue (du Musée Grévin) qui ne bouge pas, qui ne sait pas communiquer avec son entourage, qui n’exprime rien. Sans contrefaçon, je suis un glaçon… : « À moins que je finisse dans un musée et que je me fasse empailler. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Moi, je suis quelqu’un qui dit pas ses sentiments. Je garde tout. » (Benoît, le héros homosexuel de la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen) ; « Comme je suis le seul homosexuel de mon groupe, je ne sais pas où aller pour en rencontrer d’autres et ma grande timidité m’empêche de m’informer. » (le narrateur homosexuel à l’opéra, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Tu es timide et orgueilleuse… ce qui ne facilite pas le rapport avec les autres. » (le père de Claire s’adressant à sa fille lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher, David reproche à son amant, Philibert, de ne pas parler, de ressembler à une statue muette. D’ailleurs, à la fin du spectacle, les deux comédiens parodient des spectateurs qui les regarderaient : « Ils ont mis le paquet ! On dirait le Musée Grévin ! » Dans la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand, Isabelle est la fille-poupée, tétraplégique et muette. On dirait un trans, d’ailleurs.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Harold est décrit par son pote gay Emory comme « un homo glacial ». Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Duccio (un homme du public, homosexualisé) est décrit comme un autiste ; et par ailleurs, Bernard, le héros homo, et sa meilleure amie Donatienne vont au Musée Grévin. Dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs, le personnage de Paul, surtout quand il est en couple homo, devient muet et insaisissable. Dans le film « Stadt, Land, Fluss » (« La Clé des champs », 2011) de Benjamin Cantu, Marko n’a pas beaucoup d’amis, est quelqu’un de taciturne et de solitaire. Dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, Chloé est muette comme une statue ; Cécile, sa copine, dit d’elle qu’« elle se laisse faire comme un pantin désarticulé » (p. 25), et qu’elle est « comme un mannequin de cire déguisé » (p. 96). Dans la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo, Bernard, le héros homosexuel, compare la statue de cire à « une goudou ». Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Héloïse est décrite comme une fille « fermée », réservée, peu expansive (p. 368) : « Elle était sobre. Pas froide, mais on aurait pu s’y tromper. » (idem, p. 271) Dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier présente son amant homosexuel comme une statue quasi muette du Musée Grévin. Dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar, Florence dit s’être transformée en statue muette, muselée au contact de son amante Hélène. Quand elle la quittera, elle dira : « J’avais fermé ma gueule pendant 4 années. » Dans la pièce Transes… sexuelles (2007) de Rina Novi, Martin, le personnage homosexuel, est montré comme un autiste qui ne parle à personne sur les bancs de la fac. Dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, Sean est décrit comme une statue : « Il ne parlait pas, c’est tout, d’ailleurs il ne nous a jamais parlé. » (p. 43). Il était « toujours dans l’ombre » ; « C’était un gars qui parvenait souvent à se faire oublier. » (idem, p. 80) On découvre que son statisme a pour corollaire une misanthropie cachée : « Je crois qu’il n’aimait personne et ne s’en cachait pas. » (idem, p. 231) Toujours dans le même récit, François, le Belge extraverti, vit avec son compagnon Max, complètement renfermé sur lui-même : « Je ne sais pas comment les autres nous jugeaient, Max et moi. Le mariage de la carpe et du lapin sans doute. » (idem, p. 133) Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, Johnny est présenté comme un jeune homme « timide, silencieux, très réservé », et son amant Romeo le trouve à différentes reprises « étrange » autant qu’attirant : « Tu n’es pas comme tout le monde… » Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson, Stéphane reproche à son ex-amant Vincent son incapacité à communiquer, son mutisme de jeune adulte inculte et infantilisé : « T’étais du genre à ne pas donner d’explications. » ; « C’était plutôt à toi qu’il fallait tirer les vers du nez ! »

 

On retrouve l’homo mutique ou sourd-muet dans énormément de créations homo-érotiques : cf. le film « Allez » (2011) d’Oliver Tonning (où Sofia, l’héroïne lesbienne, est une jeune fille très timide), le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot (avec Lucas, jeune étudiant introverti et homosexuel), le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau (avec le héros homo, Henri), le film « Persona » (1966) d’Ingmar Bergman, le film « À corps perdu » (1988) de Léa Pool, le roman Dix Petits Phoques (2003) de Jean-Paul Tapie (avec l’inquiétante impassibilité de Rick), le film « L’Homme de désir » (1969) de Dominique Delouche (avec Rudy), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec le personnage complexe et perturbé de James), le film « Paso doble » (1983) de Lothar Lambert, le film « Plaisir (et ses petits tracas) » (1997) de Nicolas Boukhrief, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (Arnold en boîte, c’est quelque chose !), la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé (avec le personnage de Stan), le film « Shortbus » (2005) de John Cameron Mitchell (avec le silencieux et perturbé James), le one-woman-show La Folle Parenthèse (2008) de Liane Foly, le film « Paulo et son frère » (1997) de Jean-Philippe Labadie, le roman Le Cœur est un chasseur solitaire (1940) de Carson McCullers (on y retrouve John Singer, le sourd-muet ; d’ailleurs, cette œuvre devait initialement s’intituler Le Muet), le film « Godelureaux » (1960) de Claude Chabrol (avec l’exubérant Brialy et son colocataire muet), le film « Ander » (2009) de Roberto Castón (avec José, un homo renfermé et mutique), le film « Benzina » (« Gasoline », 2001) de Monica Stambrini (avec Eleonora, la lesbienne très introvertie), etc. Par exemple, dans le roman La Désobéissance (2006) de Naomi Alderman, Esti, l’héroïne lesbienne, est connue pour être hyper renfermée sur elle-même. Madame Stone se demande même « s’il lui arrive de parler » (p. 58). Son amante Ronit confirme cela : « C’est vrai qu’elle était souvent taciturne, même en société, et même lorsqu’on lui adressait la parole. Elle avait cette étrange façon de se comporter, cette capacité à devenir soudain très silencieuse. » (idem, p. 60) ; « Elle avait toujours été taciturne et un peu bizarre. » (idem, p. 145)

 

Ce mutisme résulte surtout d’un viol ou d’un inceste. Par exemple, dans le spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons (2012) de Didier Bénureau, le petit Jeanjean a été tellement gavé (de sucreries, d’attentions, etc.) par sa mère qu’il est devenu « inexpressif »… ce qui a l’air de réjouir cette dernière : « Au moins, le mien, il est pas prêt de bouger ! »

 

Parfois, en tombant sur certains passages de romans, ou en voyant certaines pièces, on a l’impression que le héros homosexuel soliloque, même s’il nous dit qu’il est en compagnie de son copain : « As-tu plus de facilités pour parler ? J’en doute. Tu ne parles à personne. […] Je ne t’ai jamais vu rire, ni même sourire. Ce n’est pas grave, je t’apprendrai ! Tu parles peu mais heureusement car les rares fois où je t’ai vu parler à quelqu’un, j’étais vert de jalousie. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 212) ; « On ne se voit plus mais pendant que je t’écris ainsi, chaque soir, j’ai l’impression que tu es là, au bout de ce clavier. Non, plus proche encore. Je te parle, tu m’écoutes. J’imagine tes réponses, je vois ton beau sourire… » (idem, p. 309) ; « Je nous crée une existence. Je veux façonner la tienne, participer à tes joies et à tes surprises. » (idem, p. 311)

 

Le personnage homosexuel définit son amant, comme une statue, un vis à vis « sympa mais pas très loquace » : « T’es comme autiste. » (Jean-Louis à son amant Paul dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset) ; « Parle-moi, Irina… Raconte-moi quelque chose. » (Mme Garbo à une Irina, son amante silencieuse, dans la pièce L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer (1967) de Copi) ; « Tu as toujours été si terriblement tranquille. » (la voix narrative à l’amante, dans le roman La Vallée heureuse (1939) d’Anne-Marie Schwarzenbach) ; « Je vivais avec le gars le plus gentil de la Terre. » (Eugène en parlant de son copain Sébastien, dans le one-man-show Un Barbu sur le net (2007) de Louis Julien) ; « Ce que je dis sur Max, je ne le pense pas, évidemment, c’est le garçon le plus gentil du monde, c’est un amour, c’est le mien. […] Max est un cliché à lui tout seul. » (François à propos de son « mari », dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 108 puis p. 114) ; « Mike ?!? Y parle jamais ! J’pense que moi-même j’y ai jamais parlé ! » (Gerry à propos de son ami homo, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 206) ; « Va jouer au Musée Grévin, tu seras plus expressive ! » (la Comédienne à Vicky, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi)

 

Rien d’étonnant que le héros homosexuel finisse par reprocher à la statue – qui lui fait office d’amoureux – son inertie marbrée : « Je lui trouvais une froideur de vamp rétro. Quelque chose d’Eva Marie Saint dans ‘La Mort aux trousses’, l’exotisme slave en plus. […] Quand elle écrivait, elle devait appuyer très fort sur son stylo, car son ongle devenait blanc à l’extrémité, et rosissait à la base, sous l’afflux du sang. Ce détail me prouvait qu’elle n’était pas de marbre. Comme pour me confirmer cette découverte, en réalité sans doute parce que j’avais passé les bornes en la détaillant de manière assez insistante, elle est sortie de son immobilité de statue, a tourné la tête et m’a lancé un regard excédé. […] De toute évidence, je n’existais pas à ses yeux. » (Jason, le personnage homosexuel, décrivant Varia Andreïevskaïa dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, pp. 53-54) ;

 
 

h) La destruction iconoclaste de la poupée/statue:

Cette poupée ou statue a pour fâcheuse de résister à son maître : cf. les chansons « La Poupée qui fait non » et « Porno graphique » (« Des poupées qui disent oui ou non ») de Mylène Farmer, le film « Insatisfaites poupées érotiques du professeur Hitchcock » (1971) de Fernando Di Leo, le film « Barbie También Puede Estar Triste » (2001) d’Albertina Carri, la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (2008) de Witold Gombrowicz (avec Yvonne, la poupée qui fait non), « C’est moi, je suis argile. De l’argile mêlé de ciment et de sable. C’est moi, je suis pierre. Difficile à tailler. » (cf. la chanson de Rosário dans le film « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « C’est fini. J’en ai plus qu’assez d’être ton objet d’amour. Ton objet tout court. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 115) ; « J’étais son gode préféré… et maintenant, il me délaisse. » (le narrateur homosexuel du one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Il est hors de question que je joue à la poupée Lolita de Madame Kanojo. » (Juna s’adressant à son amante Kanojo, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez); « Nous ne voulons pas être tes poupées ! » (idem) ; « Pourquoi ça ne me dérangerait pas d’être une poupée ? Je ne sais pas. Pour jouer avec ta grande sœur. » (Kanojo s’adressant à Juna par des propos incestueux, idem) ; etc.

 

À force de trop s’imaginer que les objets sont vivants et des personnes capables de l’aimer en retour, il arrive que le personnage homosexuel trouve ses poupées ingrates et méchantes, et qu’il se retourne contre elles. « Je nous invente une vie à deux qui est si loin de la réalité ! J’y crois tellement que je me sens bien. Mon cœur est tout léger, ma poitrine se desserre. Je crains ne plus savoir faire la différence entre la fiction et la réalité. Mon esprit divague. Tu me perturbes trop. » (Bryan à Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 311) Il teste l’inhumanité de ses pantins ou cherche à les réveiller en les détruisant. Dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi, le Rat est bien plus qu’une marionnette en mousse : pour Vicky, il « a un esprit. C’est le Diable. […] Il serait incapable de tuer tout seul. » Dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry est persuadé que les objets le détestent et qu’ils sont vivants. « Y’a des jours, même les objets, ils veulent ma peau. Vous l’avez vu vous-mêmes au début de la séance : le briquet, il m’a agressé, vous êtes témoins ! » ; « Il me présente toujours à ses potes comme le mec qui sourie et qui parle pas. » (Benjamin, le héros homo parlant de son amant Arnaud à son psy, dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit) ; etc.

 

Dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde, Dorian, le héros, finit par prendre son propre portrait pour plus vrai et plus beau que lui : « Je suis jaloux du portrait que tu as fait de moi ! » dit-il à son amant-peintre Basile. En même temps que Dorian embrasse l’artiste, il l’étrangle jusqu’à le tuer parce qu’il a osé concrétiser la relation amoureuse/passionnelle/jalouse entre le modèle et sa toile.

 

Peu à peu, la statue tant adorée apparaît comme dangereuse aux yeux de son adulateur homosexuel : cette Vénus d’Ille androgyne a aussi le pouvoir de pétrifier et de contaminer son amant humain, au point de le rendre fou/objet et de lui faire perdre le sens du Réel : « Si la fille me plaît, c’est la statue de marbre. » (Chriss Lag se décrivant en cas de « coup de foudre », dans le spectacle de scène ouverte Côté Filles (2009) au Troisième Festigay du Théâtre Côté Cour de Paris) ; « On raconte que quand les ‘Boludos’ vous regardent dans les yeux vous restez figé dans la même position pour l’éternité. On a trouvé sur leur chemin d’innombrables statues en lave représentant des êtres humains et des animaux à l’expression effrayée. » (cf. la nouvelle « La Déification de Jean-Rémy de la Salle » (1983) de Copi, p. 58) ; « On nous trouvera enlacés, bouch’ contre bouch’, galvanisés, incendiés et confondus comme un rocher contre un rocher, comm’ deux statues qu’aurait sculptées la lave ardente du matin. » (Cachafaz à Raulito dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Je veux être ton objet, assurai-je. » (Anamika à Linde, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 150) ; « Ça ressemble à un petit bonhomme, avec un tronc, deux bras, deux jambes, une tête un peu fibreuse, avec des petits fils comme à la base des poireaux. Là, je m’aperçois que c’est pas juste une illusion, que c’est véritablement un petit bonhomme. Sur ce qui fait office de tête, il y a des yeux dessinés, une petite bouche. Et au milieu du ventre, des aiguilles plantées. ‘Tu ne te reconnais pas ? qu’elle me fait. C’est toi. C’est une poupée vaudoue. Tu ne vois pas ? Les petits fils, sur la tête, ça ressemble à tes cheveux. J’ai même prévu d’accrocher des petites perles pour mieux imiter les dreadlocks.’ Au moment où je me reconnaissais, j’ai identifié les symptômes d’un bad trip» (Yvon en parlant de Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 265)

 

Dans la pièce La Tour de la Défense (1974) de Copi, on retrouve exactement cette réification mutuelle entre amants homosexuels, à travers le couple Luc-Jean :

Luc – « Je suis en marbre, n’est-ce pas, tu peux passer ton temps à me cogner dessus, ce n’est que ton poing que ça blesse. Je suis comme la tour d’en face, regarde. L’hélicoptère s’est écrasé contre, les occupants ont péri, mais la tour n’a pas branlé. Je suis une bite bien dure.

Jean – Luc, c’est toi qui te places en tour en face de moi.

Luc – Et toi tu te places en quoi ? En badaud ? Va m’oublier, va. Ne me touche pas, con ! »

 

On voit que le rapport amoureux entre le créateur homosexuel et sa créature se transforme en rapport de force, en manipulation : « C’est vrai, tu jouais à la poupée, me tirais les cheveux quand tu me coiffais, semblais oublier que j’étais bien vivante. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, pp. 39-40) ; « Khalid était à moi. Il s’enfonçait dans ma bouche. Je continuais de voyager dans la sienne. Des voies. Des ruelles. De l’obscurité. Des lumières, rares. J’étais devenu un sorcier : le fils de Bouhaydoura. » (Omar dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 141) Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, la cantatrice Regina Morti est décrite par l’infirmière comme la « poupée mécanique » du professeur Vertudeau. Dans le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder, Petra cherche à modeler Karin à sa guise. Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank dit de son amant Jonathan qu’« il le force à faire des choses qu’il ne veut pas faire. » ; celui-ci confirme le reproche qui lui est fait : « Oui, je te manipule. » Dans le film « Un Flic » (1971) de Jean-Pierre Melville, Jean Desailly joue un grand bourgeois inverti qui se fait voler une statuette par un jeune tapin qu’il a amené chez lui. Le thème de la statue est en lien étroit avec la prostitution : cf. le film « Baby Doll » (1956) d’Elia Kazan, le film « House Of Dolls » (1973) de Kuei Chieh-Hung, le film « La Rue chaude » (1961) d’Edward Dmytryck (avec le bordel The Doll’s House), le film « The Big Doll House » (1971) de Jack Hill, etc.

 

Le héros qui joue au Pygmalion homosexuel a tout du despote : il projette sur son amant ses propres diktats émotionnels et esthétiques (voire spirituels), et essaie de l’encastrer de force dans son cadre, son joli tableau, avec des cœurs dans les yeux : « Ce n’est pas une situation que nous subissons. C’est une situation qui tous les deux nous ressemble. » (Daniel à son amant Luther dans le docu-fiction « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) Par exemple, dans le film « Mezzanotte » (2014) de Sebastiano Riso, un maquereau veut lancer Davide, le héros homosexuel, dans la chanson. Il apparaît comme le chevalier blanc (il porte un costard blanc, a une belle voiture blanche). Mais en réalité, c’est pour s’attirer les faveurs sexuelles du petit. C’est de la prostitution pédophile déguisée (Davide a quatorze ans).

 

Puis le personnage homosexuel se décide parfois à en finir avec son fétiche : « Au revoir Dorian. Tu es celui qui a le plus influencé mon art. […] Je reconnais t’avoir adoré passionnément. » (Basile, le peintre, s’adressant à son amant Dorian Gray dans le roman éponyme (1890) d’Oscar Wilde) ; « Les jours de grand froid, […] on se réfugiait dans ma chambre. On retombait en enfance, parfois on sortait mes Barbie. Quelques mois plus tard, tu as décrété que nous étions trop vieilles pour ça et nous les avons brûlées. » (Cécile à son amante Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 40) ; « Je te tue, Madame ! Tu sais ce que je vais faire avec ta porcelaine de Limoges ? Je vais te lacérer les fesses et je vais te crever les yeux, ma petite patronne ! » (Goliatha à « L. » dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; « J’ai décapité Teeny. » (Karine dans le one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011), « Où est-elle ? Ça sent le brûlé ! Oh, zut, je l’ai mise dans le grille-pain ! Qu’est-ce qu’elle a rétréci, on dirait une baudruche. » (Loretta Strong à propos de sa poupée Linda, dans la pièce Loretta Strong (1987) de Copi) ; « C’est Rooney […] Le requin lui arrache un bras, son petit corps saute en l’air comme un pantin, retombe dans la mer. » (la voix narrative dans le roman Le Bal des Folles (1977) de Copi, p. 104) ; « Dans un rapide accès de colère, Stephen allait à l’armoire, en sortait ses poupées et commençait à les tourmenter. Elle avait toujours méprisé ces créatures idiotes qui, pourtant, arrivaient avec chaque Noël et chaque anniversaire. ‘Je vous hais ! je vous hais ! je vous hais !’ soufflait-elle, frappant leurs faces inoffensives. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 29)

 

Le motif de la statuette ou de la poupée détruite est un leitmotiv dans les œuvres homosexuelles : cf. le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec la poupée massacrée), le film « Strella » (2009) de Panos H. Koutras (avec les poupées électrocutées par Strella, le transsexuel), le film « El Asesino De Muñecas » (1975) de Michael Skaife, le film « The Rocky Horror Picture Show » (1975) de Jim Sharman, la chanson « Plus grandir » de Mylène Farmer, la pièce My Scum (2008) de Stanislas Briche (avec la destruction des poupées Barbie), la pièce Jerk (2008) de Dennis Cooper, le film « Reflection In A Golden Eye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, etc. Dans la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen, Wanda fait cramer ses poupées dans la cheminée. Dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, Jézabel, l’héroïne bisexuelle, est dessinatrice et peintre : elle finit par détruire ses dessins.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Divin artiste :

Jean Marais

Jean Marais


 

Socialement, on présente de plus en plus les personnes homosexuelles comme les maîtresses du bon goût et du pygmalionnage. « Comme tous les poètes, il entrevoyait l’avenir. » (cf. un interviewé à propos de Pier Paolo Pasolini, dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » d’Andreas Pichler) Pensez par exemple à l’émission de télé-réalité « Queer : Cinq experts dans le vent » diffusée en 2004 sur TF1 (inspirée de l’émission nord-américaine Queer Eye For The Straight Guy), dans laquelle des dandys gays étaient chargés d’éduquer un homme « hétéro » pour lui apprendre à séduire élégamment les femmes.

 

Le statut de l’Artiste homosexuel divin est largement entretenu par la critique bobo. Par exemple, dans l’article « Des cris à Montevideo » publié dans le journal Le Nouvel Observateur le 3 décembre 1973, Michel Cournot compare le dramaturge homosexuel Copi est à Jeanne d’Arc qui, tout en ne sachant pas écrire, aurait été quand même touchée par la grâce : « Jeanne d’Arc a fait gagner une demi-douzaine de batailles : en écrivant sans savoir écrire. Pareil pour Copi. Il ne le cache pas. » Dans l’article « Copi est au ciel » sur le journal Le Nouvel Observateur daté du 18 décembre 1987, aux lendemains de la mort de Copi, Michel Cournot récidive en le décrivant comme « un ange gardien », un auteur que « tous aimaient ». Dans l’article « Copi, le survolté » de Guy Dumur, toujours dans le Nouvel Obs mais cette fois publié le 11 avril 1986, Copi est élevé au rang d’extra-terrestre visionnaire : « Il suffit d’avoir vu les dessins de Copi pour savoir qu’il ne voit pas, ne pense pas comme tout le monde. »

 

Beaucoup de personnes homosexuelles, au lieu d’orienter le processus de création vers la découverte de l’Autre, envisagent celui-ci comme un miroir narcissique : « La rencontre la plus importante d’une vie, c’est la rencontre avec soi-même. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Être queer, c’est se forger sa propre identité. » (Jan Noll, un chanteur homosexuel interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte).

 
 

b) « Je suis mon œuvre » :

Pas étonnant, par conséquent, que certaines croient en leur réputation de dieux vivants fusionnant avec leurs chefs d’œuvre et créant le monde avec leurs mots : « Il faut être soi-même une œuvre d’art, ou se vêtir d’une œuvre d’art. » (Oscar Wilde, Sentences philosophiques à l’usage de la jeunesse, 1894) ; « Je ne chante pas des chansons ni les interprète. Moi je suis la chanson. » (Bola de Nieves cité par Deny Extremera, « Bola de Nieves : Yo Soy La Canción. », sur le site www.islaternura.com, consulté en janvier 2003) ; « De même que Gustave Flaubert disait ‘Emma Bovary c’est moi !’, mes héros sont tout de même beaucoup moi. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « J’aime utiliser le corps comme une scène de théâtre. » (Steven Cohen, le performer transgenre M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; « Je SUIS le conte de fée moderne. » (la phrase qui revient comme un leitmotiv dans le one-man-show Changez d’air (2011) de Philippe Mistral) ; « Ce que je dis est ce qui est. » (Tamara Kamenszain, « El Canto Del Cisne », dans le recueil Poemas Completos (1997) de Néstor Perlongher, p. 369) ; « J’ai vécu pour mon métier et par mon métier. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Tu n’es chez toi nulle part ailleurs que dans ces phrases. » (Anne Garréta, Pas un jour, 2002) ; « Le schizophrène est le producteur universel. Il n’y a pas lieu de distinguer le produire de son produit. » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe (1973), p. 13) ; « J’existe uniquement dans les émotions que je crée. » (Nancy Cárdenas dans l’ouvrage collectif Para Enterdernos (1999) d’Alberto Mira, p. 158) ; « C’est sans doute cela ma folie, je tiens à mon livre plus qu’à ma vie. » (Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 274) Dans sa biographie Saint Genet (1952) sur Jean Genet, Jean-Paul Sartre explique que pour Genet, « l’être et le mot ne font qu’un » (p. 54). Le titre de l’essai Les Mots et les Choses (1966) de Michel Foucault n’est pas anodin, de même que celui du recueil de poèmes La Realidad Y El Deseo (La Réalité et le désir, 1924-1962) de Luis Cernuda. C’est la distance entre le créateur et son œuvre, entre le sujet désirant et son objet de désir, qui pose problème à bon nombre de personnes homosexuelles, car elles cherchent à l’abolir/la magnifier (pour prendre leurs désirs pour des réalités). La fusion entre le créateur et sa création est observable par exemple dans les poèmes de Walt Whitman, Néstor Perlongher, Jean Cocteau, les pièces de Jérémy Patinier (par exemple avec le piano-corps dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour, 2011).

 

Certains auteurs homosexuels se vénèrent tellement eux-mêmes dans leur œuvres artistiques qu’ils comparent l’exercice d’écriture à la masturbation (c’est le cas d’Andy Warhol, Gil de Biedma, Jean Cocteau, Néstor Perlongher, Chen Jianghong, Hou Junming, etc.). « Le jeu de faire des vers, qui n’est pas un jeu, finit par ressembler au vice solitaire. » (cf. le poème « El Juego De Hacer Versos » (1986) de Jaime Gil de Biedma) Par exemple, Jean Cocteau parle du dessin comme d’une masturbation, d’une « jouissance » (Jean Cocteau dans le documentaire « Cocteau et compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier). Dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, l’art est vraiment utilisé comme le prétexte à baiser, à se masturber narcissiquement.

 

C’est parfois dans la simulation de rupture brutale et de distance que s’exprime le plus clairement le désir de fusion orgueilleuse de certains créateurs homosexuels avec leur « bébé » pictural/plastique : une création artistique non-identitaire, « sans auteur derrière », qui se ferait toute seule, par l’opération du Saint-Esprit, n’est-elle pas finalement, parce qu’elle serait l’œuvre d’un dieu invisible, d’un orgueil, d’une puanteur, d’une lâcheté, d’une hypocrisie, et d’une violence incroyables ? « [Je suis un] narrateur homosexuel, qui ne revendique rien, jamais ne justifie ses désirs, prétendant être ailleurs, dans l’écriture, alors que seuls ses désirs vous concernent. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 25) ; « Contrairement à la plupart des romanciers contemporains dont la matière est essentiellement de source intime, intérieure, moi, j’ai, avant de pouvoir mettre ma matière en œuvre, à la créer hors de moi, à la poser devant moi, séparée, détachée de moi, presque étrangère à moi. » (Roger Martin du Gard à André Gide en 1933) ; « J’explique juste le mot, mais sans dire que je poète. » (le narrateur par rapport au verbe « crabauder » dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 53) ; « Je n’adhère pas au culte de ma personnalité. » (Mylène Farmer dans la revue Paris Match, n°2741, le 6 décembre 2001) ; « Cela va se gâter sans qu’il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé. » (Paul Brach et Suzy Mante-Proust, Correspondance générale de Marcel Proust, 1930-1936, p. 76) ; « J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! » (Arthur Rimbaud, Poésies 1869-1872)

 

Par exemple, dans le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini, Pietro s’auto-sacralise en déifiant les œuvres d’art qu’il crée, et se cache à lui-même son propre orgueil en pratiquant un art iconoclaste, violent et vulgaire. Dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic, malgré les apparences de détachement bobo « humble », Renaud Camus adopte un discours très marchand et impérieux concernant sa création littéraire : il parle d’« efficacité » de l’écriture, et conclut : « Ce que je dis se fait. » Dans l’ouvrage collectif Historias De Amor (1995), Tamara Kamenszain définit le romancier argentin homosexuel Osvaldo Lamborghini comme « le père de la méfiance » car « personne ne fit aussi peu confiance aux mots que lui » (pp.117-120) : « Rien ne rime avec rien. L’auteur ne peut s’asseoir en toute impunité au centre de son poème pour l’ordonner harmonieusement. Parce ce centre névralgique a été pris d’assaut par une rébellion de mots. » Or, voilà bien un paradoxe puisque l’écrivain argentin utilisa dans sa prose et dans sa poésie des mots d’une violence extrême visant à choquer et à agir comme des armes réelles. On trouve avec Osvaldo Lamborghini le parfait exemple du rapport idolâtre que certains artistes entretiennent avec le verbe.

 
 

c) Certains individus homosexuels prennent leur amant pour un objet :

Le désir de vivre une symbiose avec sa création artistique, très marqué chez les personnes homosexuelles, se décline en général par un renoncement à la fusion d’une part (renoncement qui se fait passer pour de l’humilité… alors que c’est juste du réalisme ! Il n’y a que Mary Poppins qui peut rentrer dans un tableau…) et par une sentimentalisation possessive de l’œuvre d’art ou de l’amant portraituré d’autre part. L’amant homosexuel est apprécié davantage pour son paraître, sa plastique, son utilité sensuelle, que pour ses richesses intérieures.

 

On constate une passion homosexuelle par les carcasses corporelles. Je vous renvoie aux photographies de Cosimo Mirco Magliocca du Stadio dei Marmi à Rome, à l’article de Philippe Besson « Hervé Guibert, le Goût pour les corps » dans Magazine littéraire (n°426, décembre 2003), au documentaire Beef Cake (1998) de Thom Fitzgerald (défendant l’existence de l’homme-objet et luttant contre la censure anti-porno), au documentaire « Les Garçons de la piscine » (2009) de Louis Dupont (qui est un prétexte à filmer les corps masculins), à l’affiche du one-(wo)man-show Lady Raymonde (2014) de Denis d’Archangelo (avec l’affiche où Madame Raymonde est déguisée en Statue de la Liberté), etc. Certaines personnes homosexuelles ont affirmé de leur vivant être réellement fascinées par la plastique du corps masculin ou féminin : Walter Pater, Michel Ange, Yukio Mishima, César Lácar, Juan Fersero, Francis Bacon (adepte des statues égyptiennes, et fasciné par les travaux de sculpture de Michel Ange). « J’aime les hommes. J’aime la qualité de leur chair. » (Francis Bacon cité dans le documentaire « Francis Bacon » (1985) de David Hinton) ; « Je suis captivé jusqu’à la fascination par le corps socialisé, le corps mythologique, le corps artificiel (celui des travestis japonais) et le corps prostitué (de l’acteur). » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), p. 63) ; « Tiens, encore une pub pour des slips ! C’est la fête du slip ce magazine. » (David Abiker en parlant de la revue Têtu, dans son essai Le Musée de l’homme : le fabuleux déclin de l’Empire masculin (2005), p. 93) ; « Devant un nu féminin, je restais insensible, alors qu’une statue antique d’adolescent suscitait mon érection. » (Yukio Mishima cité dans le Dictionnaire des homosexuels et bisexuels célèbres (1997) de Michel Larivière, p. 248) ; « Sabah faisait son come-back. Cette chanteuse libanaise mythique de plus de 80 ans qui était devenue, à force de liftings, une statue, une momie, une icône, une petite fille étrange à la chevelure flamboyante et très blonde. Une femme à la voix un peu rauque qui défie le monde et le monde arabe. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 66) ; etc. Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’il veut faire trois statues à l’effigie de ses tantes préférées : « Cette perfection dans le détail renforça mon idée de faire de cette humble maison une sculpture. J’allais immortaliser mes tantes. Mon projet consistait à remplir les différentes pièces de la maison avec du ciment. […] je demanderais à un ami sculpteur de réaliser des statues de mes tantes, d’après une photo de leur jeunesse. » (p. 107) Toujours dans ce témoignage, on nous parle de la « première œuvre d’art comestible » (idem, p. 240) : une Vénus de Milo faite entièrement en dés de fromage.

 

Claude Cahun en statue Bouddha

Claude Cahun en statue Bouddha


 

Certaines personnes homosexuelles (beaucoup plus qu’on ne croit !) se pensent nées d’une statue : « En sortant de la brasserie, j’ai observé longuement la façade de la gare du Nord, et j’ai pensé que mon père était une des statues, boulonnées sur la corniche, et qu’il me regardait, et j’ai pensé : est-ce qu’il me regarde ou est-ce qu’il me surveille ? » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 91) ; « C’est pour ça que ça s’appelle le voging. On prend la pose. » (Carmen Xtravaganza, le transsexuel M to F, dans le documentaire « Let’s Dance – Part I » diffusé le 20 octobre 2014 sur la chaîne Arte) ; etc.

 

L’émission Aventures de la médecine spéciale « Sexualité et Médecine » de Michel Cymes diffusée sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, se termine avec un entretien entre Léonie, homme transsexuel M to F de 29 ans, et le journaliste Michel Cymes, au Musée Rodin, entourés de statues. Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018 aussi, Déborah, personne intersexe élevée en fille, voue un culte à la sculpture de L’Hermaphrodite du Musée du Louvre : « J’adore cette statue, elle est trop belle ! ». Enfin, le chanteur gay kitsch Théo Lavabo, révélé par l’émisson La France a un incroyable talent, joue perpétuellement le rôle de l’aliment (la chipolata) ou de l’objet (le lavabo) qu’on consomme et on utilise pour son plaisir. Il a fait de l’identification aux objets sa marque de fabrique et son identité.
 
 

d) Le mythe de Pygmalion est appliqué au couple homosexuel : l’artiste homosexuel tombe amoureux de son amant-chef d’œuvre

Film "Le Sang d'un Poète" de Jean Cocteau

Film « Le Sang d’un Poète » de Jean Cocteau


 

L’univers du mannequinat, de la sculpture, de la coiffure et de la danse, renvoyant au mythe de Pygmalion et au goût des statues, est particulièrement investi par les sujets homosexuels : cf. le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz (avec des plans fixes sur des statues de marbre sculptées), le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud, Newtiteuf qui crée son mec idéal par ordinateur, etc. « Leur imagination est charmée à la vue de beaux jeunes gens, à la vue de statues ou de peintures dont ils aiment à entourer leur chambre. » (J. L. Casper, parlant « des pédérastes », dans son Traité pratique de médecine légale, 1852) Dans son autobiographie L’Arc-en-ciel (1983, Journal 1981-1984), Julien Green évoque dans sa vie « certains tableaux qui l’ont marqué et dont il a parlé dans son Journal » : « l’évolution du goût et des sentiments à travers l’œil d’un enfant, puis d’un homme, ce que le monde en apparence plat de la peinture fait surgir dans la perspective du rêve, la tyrannie des images depuis l’enfance. Et, je pense, sans oublier les idoles de la sculpture. » (juin 1981, p. 39)

 

La sculpture est un art propice à la naturalisation des fantasmes, donc à l’homosexualité : les corps (et l’amour, les sentiments) peuvent être subtilement déformés, et ce, de manière réaliste. C’est pour cela, par exemple, qu’elle a souvent servi de support privilégié à l’hybridité et l’hermaphrodisme (cf. l’étrange Métamorphose d’Hermaphrodite de Mabuse au musée Van Beuningen, une statue avec un seul corps et deux têtes).

 

Parmi les sculpteurs homosexuels qui ont créé de beaux Apollons musclés, on trouve Michel Ange, Arno Brecker (qui travailla pour Hitler), Tom of Finland (dessinateur), George Lepape (dessinateur), Patrick Pottier (sculpteur), Jean-Esprit Marcellin (sculpteur), George Segal (sculpteur nord-américain), etc. Par exemple, Jean Cocteau avait pour coutume de dessiner ses amants successifs (Jean Marais, « Doudou », etc.). Avery Willard est un photographe nord-américain qui a fait des nus à New York. Si elles ne sont pas sculpteurs, beaucoup de personnes homosexuelles vivent entourées de statues et de sculptures : par exemple, les divers appartements d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé étaient remplis de statues.

 

Je connais dans mon entourage quelques peintres et dessinateurs de nus… qui m’ont avoué qu’au cours de leurs séances de « travail », il leur arrivait de coucher avec leurs modèles masculins. Quand on traîne sur les sites de rencontres internet, il est également fréquent (quand on est un peu jeune et pas trop moche) de se faire accoster par des sculpteurs, de recevoir des offres de photographes qui cherchent à recruter des acteurs pour des castings de films pornos, ou qui tentent de dénicher parmi les internautes des proies faciles pour des shooting photos déshabillés.

 

On peut aussi souligner que les expos design et d’art contemporain/classique sont parfois des lieux de drague et d’homosociabilité idéaux. Un peu comme les bibliothèques : les amants se flairent, se scrutent, s’approchent, entre deux simulations d’observation attentive de toiles. L’art est une bonne excuse pour donner une légitimité, un raffinement, et un caractère élitiste, aux relations entre esthètes homosexuels. (J’aborde plus largement ce point dans le code « Peinture » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

Par ailleurs, un certain nombre de personnes homosexuelles veulent être les Pygmalion fusionnant avec leur amant créé : « J’ai un côté Pygmalion. » (Catherine à son amante Paula, dans l’essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010) de Paula Dumont, p. 56) ; « C’est là que nous fîmes l’amour divinement. Mon amoureux restait brûlant et mes mains avides ne se lassaient pas de sculpter le corps du jeune dieu qui m’avait visité. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 127) ; « Il faut se mettre dans la peau du Modèle, il ou elle. […] Il faut se mettre dans la peau du Peintre. » (Ronan Le Grand cité dans la revue Triangul’Ère 4 (2003) de Christophe Gendron, p. 86) ; « Jean, tu es mon seul chef d’œuvre. » (Jean Cocteau à Jean Marais, dans le documentaire « Cocteau et Compagnie » (2003) de Jean-Paul Fargier)

 

Souvent, des célébrités homosexuelles lancent des jeunes talents, qui sont par la même occasion des amants temporaires (on peut penser en particulier à Jean Cocteau avec Raymond Radiguet ou Jean Marais, à Pierre Bergé avec Yves Saint-Laurent, à John Waters avec Divine, à Yvonne Brémonds d’Ars avec Suzy Solidor, à Albert Bausil avec Charles Trénet, au baron Von Sinclair avec Hölderlin, etc. ; Patrick Loiseau, le compagnon du chanteur Dave depuis 36 ans, lui écrit les paroles de ses chansons). Et ces copies de Galatée se laissent entretenir, façonner, sculpter… jusqu’à temps de devenir elles aussi les Pygmalions célèbres de Galatée plus jeunes et moins connues. « L’attachement de Serge pour Nijinski était sans limites : c’est avec lui qu’il avait remporté ses premiers succès en 1909 ; en plus de son ami, c’était un peu son œuvre. » (Jean-Louis Chardans parlant de la relation artistico-amoureuse – et oppressante ! – entre le danseur Nijinski et son amant Serge de Diaghilew, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 197)

 

L’idolâtrie homosexuelle est particulièrement visible dans le mode de vie des « bourgeois de gauche » richissimes qu’ont été Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent. Ils ont vécu toute leur vie agrippés à l’argent et à leurs objets d’art, sous prétexte d’en être amoureux et que ces choses aient été le symbole de leur « amour ». On observe chez ce « couple » une totale inversion des valeurs : ils réifient l’humain, et humanisent les objets. Ils parlent d’objets comme ils parlent d’amour. Ils rentrent en plein dans le délire du Pygmalion ou du Dorian Gray. Par exemple, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, Pierre Bergé pense que sa quincaillerie et ses statuettes vont « s’envoler de leurs propres ailes » lors des ventes aux enchères. Il décrit ses bibelots comme « une partie de son âme, une partie de sa vie », comme des êtres vivants dont lui et Yves sont tombés amoureux : « Le coup de foudre fut immédiat. » (en évoquant deux vases que Yves Saint-Laurent voulait absolument posséder sur un marché marocain) ; « Mes tableaux de Jéricho, Mondrian, Picasso, Braque, Cézanne… Maintenant, ce sont mes enfants. » ; « Nous sommes devenus Yves et moi très très amoureux… de cette maison de Marrakech. » ; « Je crois en rien. Alors raison de plus pour croire aux choses, à ses objets inanimés. […] Je vais contrôler le destin de cette collection. » Délirant… mais réel.

 
 

e) Le coiffeur homosexuel :

En ce qui concerne les Pygmalions du monde de la coiffure, ils constituent un cliché flamboyant de « l’homosexualité masculine éternelle ». « Dans un coin de la boîte, deux apprentis coiffeurs façonnaient sous un projecteur des coupes excentriques aux clients volontaires. » (Benoît Duteurtre, Gaieté parisienne (1996), p. 53) ; « Sur l’autre chaîne il y avait un homosexuel qui participait à une émission de télé-réalité. C’était un homme extraverti aux vêtements colorés, aux manières féminines, aux coiffures improbables pour des gens comme mes parents. L’idée même qu’un homme aille chez le coiffeur était mal perçue. » (Eddy Bellegueule parlant de Steevy Boulay, dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 116-117) ; « Nous sommes antiquaires, coiffeurs, modélistes. C’est un peu vrai, cela dit… » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; etc.

 

Le célèbre coiffeur Antoine de Paris, d’origine polonaise, est venu en France au début du XXe siècle et a révolutionné son métier. Son salon de coiffure s’est situé pendant 60 ans au 5, rue Cambon. Antoine était gay et l’image d’un coiffeur gay vient de lui. Il y a deux films français qu’il a inspiré (« Coiffeur pour dames » en 1933 et en 1952) et son personnage a été parodié dans un film américain « The Secret Life of Walter Mitty » en tant qu’Anatole of Paris. Il était ami proche de Maurice Rostand. Antoine est appelé le roi des coiffeurs, coiffeur des rois. Il a fait une énorme carrière mais aujourd’hui il est oublié car pendant la Guerre Froide il a quitté Paris pour vivre en Pologne communiste.

 

Film "La Petite Salon" de Caroline Le

Film « La Petite Salon » de Caroline Le


 

Je vous renvoie au coiffeur gay du documentaire « Out In Africa » (1994) de Johnny Symons, au documentaire « Des filles entre elles » (2010) de Jeanne Broyon et Anne Gintzburger (on nous montre les coulisses d’un salon de coiffure lesbien). Il existe, parmi les personnes homosexuelles, de vrais coiffeurs (il suffit de faire un tour dans le quartier du Marais à Paris pour s’en rendre compte…), mais comme ce métier est moins médiatisé que ceux du spectacle, et davantage estampillé « homosexualité visible et péjorative », rares sont les coiffeurs gay connus du grand public. On peut tout de même citer Houcine El Ouriachi (tristement célèbre puisqu’il a été assassiné à Tanger le 11 mai 2005), « JiGé » dans la biographie Le Musée de l’Homme : Le fabuleux déclin de l’Empire masculin (2005) de David Abiker, Fadi Fawaz le dernier compagnon du chanteur George Michael, etc. François About certifie que le copain du réalisateur de Jacques Scandelari était le « coiffeur des stars » à New York. Dans l’émission radiophonique Homo Micro du 12 février 2007, quand Brahim Naït-Balk demande à l’écrivain Ron l’Infirmier si « ça existe, les beaux garçons, chez les infirmiers », ce dernier aborde la question de la place de l’homosexualité dans le monde de la coiffure : « Alors infirmier pour les garçons, c’est comme steward, ou coiffeur. Voilà… C’est 90% des infirmiers hommes… […] Mais j’pouvais pas être infirmière, alors, voilà… » Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias raconte qu’au théâtre de son lycée, il a joué le rôle d’un coiffeur : « Nous montâmes un intermède d’un auteur espagnol. Je faisais le coiffeur du village et Ernestino le médecin. » (p. 196) Dans l’émission Toute une histoire spéciale « Mon père est parti avec un homme » (diffusée sur la chaîne France 2 le 5 décembre 2013), Jacques Viallatte, le romancier de 61 ans, a découvert son homosexualité à 34 ans – alors qu’il était marié et qu’il avait 4 enfants – avec le coiffeur (marié et homo aussi) de sa femme : « Je rentre dans ce salon de coiffure… et bingo ! Je vois cet homme. Ce coiffeur. […] Je n’ai plus mes jambes. Je commence à transpirer des mains, alors que même sur ce plateau, je transpire pas des mains. Un coup de foudre. Dans le reportage « Homo en banlieue : le combat de Lyes » de l’émission Envoyé Spécial, (diffusé sur France 2, le 7 février 2019), Magdalena, apprentie coiffeuse, est lesbienne. »

 

Romain Carnard, le coiffeur de la pièce "Dernier coup de ciseaux"

Romain Carnard, le coiffeur de la pièce « Dernier coup de ciseaux »


 

Certains militants homosexuels ou gay friendly cherchent à noyer l’existence des coiffeurs homosexuels dans le « cliché » ou dans la masse : « Le citoyen moyen, lui, devient de plus en plus tolérant, et peut-être aussi de plus en plus indifférent. Finalement, dans une famille bourgeoise, aujourd’hui, quand on parle de Valentino, le garçon coiffeur de Madame, on ne parle même plus de sa sexualité. » (Henri Chapier dans l’essai Christine Boutin, Henry Chapier, Franck Chaumont : Les homosexuels font-ils encore peur ? (2010) de Xavier Rinaldi, p. 55) Par exemple, dans le documentaire Ménie Grégoire : Une Voix sur les ondes (2007, sur la chaîne France 5) de Marie-Christine Gambart et Sophie Garnier, la célèbre présentatrice radiophonique Ménie Grégoire se rend chez son coiffeur attitré, Robert, un homme homosexuel qui tient sa boutique Robert of Paris. L’un comme l’autre se flattent et s’auto-sacralisent : « Vous êtes une reine ! » déclare Robert avec enthousiasme ; et Ménie le brosse aussi dans le sens du poil : « L’homosexualité, c’est tout à fait naturel, c’est normal. » Le coiffeur officiel de Marine Le Pen est également homosexuel. Dans le sketch « Men’s Hair Styling Salon » interprété dans les années 1960 par James Stewart, Dean Martin, et Orson Welles, on assiste à la même banalisation rigolarde du lien entre homosexualité et coiffeur : les trois acteurs feuillettent des revues et cancanent ensemble comme s’ils étaient des clientes régulières d’un salon de coiffure.

 

Certaines personnes homosexuelles ont grandi dans une ambiance exclusivement féminine, en plus précisément une ambiance de « féminin d’apparat », de « féminité forcée et cinématographique » : Xosé Manuel Buxán, par exemple, évoque son enfance où il était admiré par son entourage (et surtout les clientes du salon de coiffure de sa mère, fidèles lectrices de revues people) pour ses mimiques, ses talents d’acteur, sa précocité (cf. l’article « Entre El Papel Y La Pluma » de Xosé Manuel Buxán, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 173).

 

Le cliché du coiffeur gay agit comme une homophobie positive tellement il enferme les personnes homosexuelles dans la soi-disant « exceptionnalité » de leur désir sexuel. « Un jour, le démon de midi ou de onze heures entre en jeu, un gamin parle et c’est le scandale, plus ou moins vite étouffé : ‘M. Un-Tel, le coiffeur (ou l’antiquaire) de la Place-aux-Huiles… Qui aurait cru ça ? … Si gentil… si doux… Surpris avec un petit garçon de douze ans ! … et papati… et patata…’ » (Jean-Luc, 27 ans, homosexuel, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 103) C’est pour ça qu’il agace et amuse prodigieusement la plupart des individus homosexuels : « Il préféra s’orienter vers un métier d’art ; à son niveau d’étude, la seule possibilité qui s’offrait à lui était la coiffure. […] Démonstration à l’appui, il fit face au miroir accroché au-dessus du buffet et, se dandinant exagérément le postérieur, il mima un homosexuel caressant les cheveux des clients. » (Ednar, le héros homosexuel, dans le roman très autobiographique Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 15)

 
 

f) Le couturier homosexuel :

N.B. : Je vous renvoie aussi à la partie « Homme-voile » du code « Homme invisible », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

PYGMALION Fernandel

 

Certains sujets homosexuels sont réellement couturiers : Christian Dior, Dolce & Gabanna, Jean-Paul Gaultier, Calvin Klein, Yves Saint-Laurent, Gianni Versace, Hubert de Givenchy, Claude Montana, Thierry Mugler, Azzedine Alaïa, etc. Et quand je dis « couturier », il s’agit de toutes les coutures, même théâtrales et littéraires : « Les écrivains se sont toujours passionnés pour la couture. Il n’y a qu’à lire Proust. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 150) ; « Mon seul combat, c’est d’habiller les femmes. » (Yves Saint-Laurent dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert) ; etc.

 

Dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), Alfredo Arias fait allusion à beaucoup de couturiers homosexuels : Horace, Jacques, Luisito Mareco. À propos de Jacques, qui a pour modèle et amant le jeune cadet de 16 ans Pedro, on découvre que l’attrait pour le monde du prêt-à-porter dit une fascination/soumission pour la beauté et le paraître : « Il s’immobilisa, interloqué devant cette nudité inattendue. ‘C’est un rêve. C’est un ange descendu sur terre’, soupira le vieux couturier. » (p. 261)

 
 

g) L’amant homosexuel est aussi statique et causant qu’une porte de prison ou une statue du Musée Grévin :

Si l’on revient à la problématique de l’amant-objet au sein de la relation d’amour homosexuel, on peut être étonnés de vérifier que la réification de soi-même ou de l’être aimé n’est parfois pas qu’une légende délirante, et qu’au contraire elle s’actualise dans la réalité bien plus souvent qu’on ne le croit ! « C’est pas parce que j’ai gagné l’année dernière que je vais me transformer en statue du Musée Grévin. » (le chanteur homosexuel Mika, dans l’émission The Voice 4 sur la chaîne TF1 le 17 janvier 2015) J’ai en tête les images de Jean Cocteau se filmant en train de converser avec sa propre statue du Musée Grévin. Dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, on apprend qu’Yves Saint-Laurent a quasiment été un pantin toute sa vie, et son amant Pierre Bergé évoque sa « timidité maladive ».

 

Pour ma part, j’en ai rencontrés beaucoup, dans la communauté LGBT, des Musée Grévin homosexuels vivants ! Vous savez, ceux qui de l’extérieur ressemblent à des statues tellement elles sont statiques, crispées, coincées, réservées, muettes, sans personnalité et sans avis, renfermées sur elles-mêmes (on les croirait à la limite de l’autisme parfois… ; avec un de mes amis, on s’amuse à les appeler « les frigos sur pattes » !) « C’est comme un objet qu’on pose sur une table. Des fois on oublie qu’il est là. » (un témoin en parlant d’un amant, dans la pièce documentaire Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « Je suis froide et impénétrable. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla).

 

Dans les cas connus de « frigos », on peut penser à Raymond Radiguet, qui était un homme silencieux et renfermé, à Fernando Lumbreras et « son caractère introverti » (Fernando Olmeda, El Látigo Y La Pluma (2004), p. 67), etc. Roger Martin du Gard décrit le « beau visage d’ange inconsolable » d’Annemarie Schwarzenbach (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 97). L’écrivain Ribadeau Dumas disait de Jean Cocteau qu’il ne souriait jamais : « Cocteau offrait le masque tragique des figures de défilé, la tristesse maquillée du cirque. » (« Apuntes biográficos » de Jean Cocteau, sur le site www.islaternura.com). Le docu-fiction autobiographique « N’importe où hors du monde » (2012), est, selon son réalisateur François Zabaleta, « l’histoire d’une destruction ; celle, quotidienne, irréversible, d’un enfant de huit ans muré, celle du sentiment de la différence chez un enfant ». Emilio Barón évoque la profonde solitude de Luis Cernuda enfant, de son « incapacité à communiquer avec les autres » (Emilio Barón, Luis Cernuda Poeta (2002), p. 41). Alexandre Delmar dit qu’il est « un vrai d’Aboville des relations sociales » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 43). Carson McCullers a une tendance à se renfermer sur elle-même. C’était déjà le cas dans son enfance. « Ce sérieux que rien ne pouvait infléchir ne lui donnait pas l’air d’une adulte, mais plutôt celui d’un enfant prodigieux mais très légèrement anormal qui refuse de sortir pour aller jouer parce qu’il est occupé à écrire dans son cahier. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 17). À l’âge adulte, elle restera « paralysée et quasi mutique » (p. 18). La représentation de Paul Verlaine à côté d’Arthur Rimbaud dans le tableau Le Coin de table peint par Fantin-Latour en 1872 est très parlante : on y voit un Verlaine littéralement pétrifié par la beauté de son jeune et insaisissable amant.

 

Le phénomène des Musée Grévin homosexuels m’a toujours interrogé et halluciné. Au-delà de la blague, je crois d’une part qu’il n’est évidemment pas spécifiquement homosexuel (et puis personne n’est un frigo !), et d’autre part qu’il nous rappelle en revanche le lien non-causal entre désir homosexuel et viol, ou entre homosexualité et désir d’être objet. Karine Reysset lui a donné un nom un peu scientifique qui lui va très bien, je trouve : dans son roman lesbien À ta place (2006), elle écrit que son personnage Chloé souffre de « catatonie », une maladie se manifestant par un « état de passivité, d’inertie motrice et psychique, alternant souvent avec des crises d’excitation, caractéristique de la schizophrénie » (p. 43). Dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare, Fred, le trans M to F, est surnommé « le Frigo » par Alex, un camarade gay. Dans la réalité, il n’est pas rare justement de rencontrer des cas de « catatonie » parmi les habitants apathiques du « milieu » homo.

 

Par exemple, dans le film très biographique « Girl » (2018) de Lukas Dhont, Lara/Victor, garçon trans M to F de 16 ans, ne semble avoir aucune intériorité : il a du mal à parler, est très introverti, ne peut pas dire ce qu’il ressent, n’a aucun avis sur rien, semble dépourvu de personnalité, de vie intérieure mais aussi extérieure (vie amoureuse, amicale : zéro).
 
 

h) La destruction iconoclaste de la poupée/statue:

Dans la réalité aussi, la lassitude arrive fréquemment dans les couples homosexuels fondés sur le Pygmalionnage. Même si les amants n’ont pas de rôles de Pygmalion (créateur) et de Galatée (créature) prédéfinis, et qu’ils passent leur temps à s’échanger leurs masques, c’est sur un même éloignement de la Réalité que se construit leur relation. L’un finit par reprocher à l’autre de ne pas se laisser faire ou de ne rien exprimer, l’autre voudrait être libre et ne pas être considéré comme un enfant/comme un père : « Catherine pensait-elle que j’étais une marionnette dont elle pouvait tirer les ficelles à son gré pour la faire gesticuler selon ses humeurs ? » (Paula Dumont parlant de son amante, dans son essai autobiographique La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 124) ; « Quand vous n’êtes pas sur votre piédestal, vous n’êtes pas intéressant. » (Oscar Wilde à Lord Douglas, dans son autobiographie De Profundis, 1897) ; « J’ai tenu comme j’ai pu. J’ai arrêté de travailler. Je suis devenu une petite femme. Ta conception de la femme. Je suis devenu Saâd, ton copain d’enfance. Je suis devenu une sculpture entre tes mains. » (Abdellah Taïa à son amant Slimane, dans l’autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 117) ; « Tu m’appartiens désormais, me dit-il’. C’était des mots d’homme, des mots possessionnels et j’en avais la cognition. À seize ans, je n’étais plus le même. J’avais soudainement comme une impression de vide, ce vide qui semblait être ma mort et mon humiliation. […] Qu’étais-je devenu, pour un jour, une nuit, toute une vie ? » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 70) ; etc. En somme, ils se vengent d’une seule et même idolâtrie qu’ils alimentent tous les deux en restant en couple.

 

La destruction progressive des âmes et des cœurs dans beaucoup de duos amoureux homosexuels se fait symboliquement par l’anéantissement concret des statues et des poupées. On l’observe fréquemment dans les discours et les actions artistiques/militantes réelles de certains individus homosexuels. « Il faut être agressif pour être sculpteur. » (Louise Bourgeois, la sculptrice, dans le film documentaire « Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse, la mandarine » (2009) de Marion Cajori et Amei Wallach) ; « Quand on attaque une toile au couteau, ça m’intéresse. » (Celia s’adressant à Bertrand, dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.

 

La pulsion sadique dans le fétichisme a été maintes fois analysée en psychanalyse. Beaucoup de chanteuses devenues icônes gays jouent avec leur poupée avant de la détruire à l’écran (cf. les chansons « Sans contrefaçon » et « Plus grandir » de Mylène Farmer, « Papa m’aime pas » et « Maman s’est barrée » de Mélissa Mars, « Pour que tu m’aimes encore » de Céline Dion, « Parler tout bas » d’Alizée, « On éteint » de Zazie, « Tú No Eres Para Mí » de Fanny Lu, etc.).

 

Si on voit actuellement dans certaines vitrines de Castro (le quartier gay de San Francisco, aux États-Unis) des poupées Barbie et Ken massacrées, torturées, et exposées bâillonnées pour prouver que la communauté homosexuelle tord le cou à la « tyrannie marchande hétérosexiste », c’est bien que les poupées et les statues sont UN PEU considérées comme des témoins à charge gênants. Si elle déchaînent autant de haine et que des individus anti-matérialistes s’affairent à leur scotcher la bouche, c’est bien qu’elles sont considérées comme vivantes et détentrices d’un lourd secret. Pour le connaître, ce tabou, il suffit de se pencher sur le vécu de leurs assassins iconoclastes homosexuels, et on trouve assez vite la réponse… Je crois que la révélation de la poupée homosexuelle réside d’une part sur la nature idolâtre du désir homosexuel par rapport à l’homme-objet et la femme-objet (Ce qui gêne la communauté homosexuelle, c’est que l’homosexuel ou la lesbienne sont les pâles copies de l’homme-objet et de la femme-objet, ces deux créatures médiatiques/scientifiques qu’elle déteste/adore : « Il était manifeste qu’elle était choquée par la visibilité de mon homosexualité. Pour elle, j’étais la représentation, la statue vivante, l’incarnation même du lesbianisme. » souligne Paula Dumont dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 174), et d’autre part sur le fantasme de viol que la figurine « incarne ». Dans son Épître aux Romains, saint Paul présente les actes homosexuels comme une conséquence du fait d’adorer des images des statues d’hommes, comme le fruit d’une idolâtrie, d’un amour trahi. Aurait-il, une nouvelle fois, flairé juste ?

 

La violence iconoclaste des Pygmalions homos actuels relève de la pulsion sadique dirigée contre une poupée vaudou – autrement dit d’un processus de diversion de la violence réelle. C’est pour cela qu’elle n’inquiète pas, et même qu’elle peut amuser. Cela dit, elle reste une violence actualisable, potentielle, emmagasinée dans le placard « fantasme » de notre psychisme. C’est la mort dans sa globalité qui est dédramatisée et évacuée dans la réification des êtres humains. Rien n’est grave – même la scène de torture et d’écartèlement des membres – si c’est une poupée qui les subit. Mais comme la poupée est fantasmatiquement humanisée et animée de sentiments par certains créateurs homosexuels, la gravité de la mort peut, pour le coup, être mélangée de manière cachée au désir, et donc se transformer en fantasme inconscient, en horreur banalisée, en pulsion involontairement actualisable.

 

Le sort réservé aux femmes réelles par certains couturiers gays ou certaines femmes lesbiennes féministes parties en croisade contre la femme-objet est parfois dramatique : « La nature féminine se transforme sous le crayon des créateurs de mode. […] Ils entraînent l’humanité consentante vers des corps de femmes sans seins ni fesses, sans rondeur ni douceur, des corps de mec, longs et secs. Ce sont leurs fantasmes que les créateurs de mode imposent à l’humanité, leurs fantasmes d’homosexuels (puisque l’énorme majorité d’entre eux le sont), qui rêvent davantage sur le corps d’un garçon que sur celui d’une femme. […] Aujourd’hui, les jeunes filles, toujours au bord de l’anorexie, se fabriquent un corps de garçonnet pour plaire à des créateurs homosexuels qui n’aiment pas les femmes, qui les considèrent comme de simples ‘portemanteaux’, et les terrorisent pour quelques grammes de trop. » (Éric Zemmour, Le Premier Sexe (2006), pp. 19-20) En remettant en cause la soi-disant « condition de la femme » (… de la statue), les féministes – souvent lesbiennes – rejettent au final une vie de dînette, de poupée, et non la vie de la femme réelle… Le problème, c’est qu’elle ne fasse pas la différence entre les deux, et que, du coup, elles vont évacuer les deux… alors qu’il n’y a que la première à jeter.

 

En amour homosexuel, on observe le même processus destructeur. L’individu qui joue au Pygmalion homosexuel a tout du despote : il projette sur son amant ses propres diktats émotionnels et esthétiques (voire spirituels), et essaie de l’encastrer de force dans son cadre, son joli tableau, avec des cœurs dans les yeux : « J’ai rêvé un instant (puisque tout le monde rêvait, pourquoi aurais-je dû être la seule à coller à des réalités triviales?) à 8 jours de vacances, en ce lieu, avec Catherine. Je l’ai entrevue, devant son chevalet de peintre, sous le soleil méridional, dans l’odeur du thym, de la menthe et du romarin. Là ou ailleurs, arriverais-je un jour à vivre une semaine entière auprès d’elle ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 164) Il cherche aussi à être possédé comme un objet et à être détruit : cf. le magazine des sexualités gays qui s’intitule Prends-moi. « À l’allure de ces contacts qui foisonnaient de partout, surgit ma rencontre avec un fils de riche monégasque qui m’initia aux joies du mannequinat et des voyages à l’étranger. Cette formule de voyages à l’étranger, appelée ‘Escort’ dans le milieu, n’était autre qu’un accompagnement auprès des hommes d’affaires dans leurs déplacements. Bien sûr, avec le sexe à l’appui ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 115) Pas étonnant que la sculpture homosexuelle s’effrite… : « Ces existences-là n’ont pas de ciment social. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976)

 
 

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Code n°155 – Regard féminin (sous-codes : Cyclope / Pute borgne)

Regard fém

Regard féminin

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

« Elle a les yeux camembert,

elle a le regard qui pue,

elle a pété la première,

m’a touché c’est foutu. »

 

Quand je dis que le désir homosexuel provient et est le signe d’une idolâtrie, je suis très sérieux. Un regard féminisé (mais pas nécessairement applicables aux femmes de chair et de sang : il appartient d’ailleurs davantage à l’androgyne télévisuel asexué, sur-masculinisé et sur-féminisé, qu’à la sexuation femelle réelle, et peut donc tout à fait être porté par des hommes) a capturé le psychisme, le cœur et le désir érotique des personnes homosexuelles, et les a fait désirer être semblables à lui, à des veaux d’or aux yeux scintillants, séduisants et médusants, à des déesses de pacotille, à des poupées vaudou à brûler afin de prouver l’immortalité. Les yeux féminins dans les fictions homo-érotiques, c’est la conscience des actes (homosexuels) mauvais mise au repos, niée par celui qui les posent.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Femme allongée », « Cercueil en cristal », « Actrice-traîtresse », « Mère possessive », « Destruction des femmes », « Bergère », « Sommeil », « Carmen », « Poids des mots et des regards », « Voyante extralucide », « Cannibalisme », « Lunettes d’or », « Voyeur vu », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Espion », « Femme fellinienne géante et pantin », à la partie « Prostituée lesbienne » du code « Putain béatifiée », à la partie « Intuition féminine » dans le code « Mère gay friendly », à la partie « Regards » du code « Amant diabolique », et la partie « Hypnotiseur » du code « Médecines parallèles » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

a) T’as de beaux yeux, tu sais ?

REGARD FEM 1 Maléfice

Maléfice dans « Sleeping Beauty » de Walt Disney


 

Le regard féminin occupe une place prépondérante dans les œuvres de fiction homosexuelles : cf. le roman Les Yeux d’Elsa (1942) de Louis Aragon, le film « Adam et Steve » (1995) de Craig Chester, la chanson « Les Yeux noirs » du groupe Indochine, le roman La Confusion des sentiments (1928) de Stefan Zweig, la pièce Big Shoot (2008) de Koffi Kwahulé, le film « Les Enfants terribles » (1950) de Jean-Pierre Melville (avec l’insistance sur les yeux d’Agathe), la pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne (1938) de Witold Gombrowicz (avec le regard d’Yvonne), le roman L’Autre (1971) de Julien Green (avec le clin d’œil fait aux Yeux d’Elsa d’Aragon), le film « Amore A Prima Vista » (1999) de Vincenzo Salemme, le film « I Love You Philip Morris » (2009) de Glenn Ficarra et John Requa (avec le regard féminin sur une pancarte), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec les yeux bleus d’Ingrid, la femme fictive de Copi-Traducteur), la pièce Mon cœur avec un E à la fin (2011) de Jérémy Patinier, le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco (avec le regard pénétrant de Jézabel, l’héroïne bisexuelle, dans tous ses autoportraits), le vidéo-clip de la chanson « Monkey Me » de Mylène Farmer, le film « Le Troisième œil » (1989) d’André Almuro, le roman Les Yeux de Zanele (2014) de Claire Sobert, la chanson « Tu me regardes » d’Angèle, etc.

 

REGARD 2 mannequin

Film « Rosatigre » de Tonino De Bernardi


 

Loin d’être d’abord applicable uniquement aux femmes réelles, il concerne avant tout le veau d’or asexué aux yeux sur-féminisés, objet de tous les fantasmes angélistes, matriarcaux, machistes et réifiants du personnage homosexuel : cf. le film « La Fille aux yeux d’or » (1961) de Jean-Gabriel Albicocco, la chanson « Goldeneye » de Tina Turner, le film « L’Embellie » (2000) de Jean-Baptiste Erreca (avec le regard géant de Marlene Dietrich tapissant le décor du cabaret transformiste), le film « Entre Tinieblas » (« Dans les ténèbres », 1983) de Pedro Almodóvar, le film « Todo Sobre Mi Madre » (« Tout sur ma mère », 1998) de Pedro Almodóvar (avec le regard géant et lumineux d’Uma Rojo sur l’affiche de la pièce Un Tramway nommé Désir), la pièce La Femme assise qui regarde autour (2007) d’Hedi Tillette Clermont Tonnerre, la chanson « Ojos Verdes » de Nazario, le spectacle musical Panique à bord (2008) de Stéphane Laporte (avec le regard de Brolovine), la chanson « Bette Davis Eyes » de Kim Carnes, la chanson « Femme comme chacune » de Céline Dion (avec la chanteuse et « ses yeux de clair de lune »), le film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré (avec le grand regard féminin peint sur le mur de la chambre d’Emmanuel), la pièce Bonjour ivresse ! (2010) de Franck Le Hen (avec le portrait de la chanteuse des années 1980 Jackie Quartz trônant dans le salon), etc.

 

Il est fréquent que les yeux de la femme des fictions homo-érotiques homosexualisent le héros homosexuel : « Moi les homos, je les repère en un clin d’œil. » (Luce – Marthe Villalonga – dans la série Y’a pas d’âge diffusée sur France 2 le mardi 15 octobre 2013) Par exemple, dans la pièce La Famille est dans le pré (2014) de Franck Le Hen, la mère de Tom espionne derrière le lierre la formation du couple entre son fils et son futur amant Louis. Dans le film « The Cakemaker » (2018) d’Ofir Raul Graizer, la maman d’Oren, Hanna – exerce un mystérieux pouvoir divinatoire d’homosexualité sur Tomas, le héros homo : elle a compris énigmatiquement le lien érotique qui reliait son fils décédé Oren à Tomas. Je vous renvoie à la partie sur l’intuition féminine dans le code « Mère gay friendly » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

REGARD FEM 3 Hedwig

Film « Hedwig And The Angry Inch » de John Cameron Mitchell


 

Le regard féminin dont il est question est vraiment celui de l’actrice, de l’icône cinématographique du danger sexuel sophistiqué, caressant, magnifié par le cinéma : « Elle est là, ma Vénus allongée, le corps et les poignets sanglés. Dans son imper en latex elle m’observe, comme la proie de ses projets. Attitude polaire de surface, sourire de Joconde apaisée. » (cf. la chanson « Les Liens d’Eros » d’Étienne Daho) ; « Chut ! Chut ! Faut pas te réveiller. Je voulais juste t’embrasser, te regarder encore une fois pour t’emporter avec moi là où je vais chanter. » (cf. la chanson « Berceuse » de Céline Dion) ; « J’ai mis de l’ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux. » (cf. la chanson « Il venait d’avoir 18 ans. » de Dalida) ; « Je crois que tes yeux voient très bien. » (Martin s’adressant à Chloé, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Jane vit son propre reflet dans les pupilles de la femme, une silhouette pâle et lointaine ; une lueur dans un œil. » (Jane, l’héroïne lesbienne, à propos de la prostituée Maria, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 163) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, a dans sa chambre un poster géant d’un regard d’actrice.

 

REGARD FEM 4 - Mala Edu

Film « La Mala Educacion » de Pedro Almodovar


 

Les yeux des femmes représentés dans les créations crypto-gays ont tendance à se mythifier. D’ailleurs, la femme dépeinte par les créateurs homosexuels sous forme de prostituée-méduse, de moitié gémellaire narcissique androgynique, ou de serpent faussement assoupi (cf. je vous renvoie au code « Femme allongée » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ressemble à un cyclope, cet être mythique homérique qui ne possède qu’un seul œil : cf. le film « Œdipe N+1 » (2003) d’Éric Rognard (avec Sandra, le transsexuel M to F borgne dans la boîte), le film « Freak Orlando » (1981) d’Ulrike Ottinger, la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon, le film « Girls Will Be Girls » (2004) de Richard Day, le film « Le Trou noir » (1997) de François Ozon (avec la prostituée borgne), le film « Punition en uniforme, le chevillage au carré pour trou rond » (1991) d’Hisayasu Sato, la pièce Le Frigo (1983) de Copi (avec le Rat crevant un œil au renard en fourrure de « L. »), le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim (avec également une prostituée borgne), le film « Three Strangers » (1946) de Jean Negulesco, le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec Dotty, la lesbienne aveugle), le dessin « Le Trou de l’œil » (1965) d’Endre Rozsda, le poème « Howl » (1956) d’Allen Ginsberg (avec la mention de « la mégère borgne du dollar hétérosexuel »), le film « Patrik, 1.5 » (« Les Joies de la famille », 2009) d’Ella Lemhagen (avec Isabelle, la femme-cyclope), le film « Alice In Wonderland » (« Alice au pays des merveilles », 2010) de Tim Burton (avec Ilosovic Stayne, le valet-cyclope), le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner (avec la prof borgne du club de mambo), le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau (avec Chance, le héros homosexuel jouant le dandy de son lycée, avec son œil caché de pirate), le vidéo-clip de la chanson « Alejandro » de Lady Gaga, le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, etc. Par exemple, dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit, Gwendoline, l’héroïne transgenre de 16 ans, se retrouve à tourner son premier film porno « Danse avec mes deux trous ».

 

REGARD FEM 5 - Tout sur

Film « Todo Sobre Mi Madre » de Pedro Almodovar


 

Le regard féminin homosexuel n’est pas vraiment dialogal ni réfléchissant ni en état de marche : « La Négresse du tableau ne m’aimait pas. Elle avait raison. Elle était devenue, au fil du temps, ma rivale. Mon ennemie. Des yeux qui ne se fermaient jamais. Elle avait, elle aussi, le don de voir. » (Hadda à propos du tableau du Louvre, Portrait d’une Négresse de Marie-Guillemine Benoist, dans le roman Le Jour du Roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 196) ; « Il y a de l’écho dans vos yeux, Sophie. » (Nana, le héros homosexuel, se foutant de la gueule du peu de perspicacité de la femme qu’il a rencontrée sur Internet en pensant initialement qu’il s’agissait d’un homme, dans la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) ; « L’eau de la piscine a abîmé les yeux de Karina. » (Gabriel, un des héros homosexuels du film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « Ton coup de fil, tu peux te le fourrer dans ton œil pourri de cyclope ! » (Santiago à Doris la présentatrice lesbienne, dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; « C’est la mère qui a conseillé à Marilyn d’acheter le serpent, c’est bon contre le mal d’œil. » (le narrateur homosexuel du roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 83) ; « J’ai un œil plus grand que l’autre. » (Solange dans la comédie musicale « Les Demoiselles de Rochefort » (1967) de Jacques Demy) ; « D’exécrable humeur parce que, disait-elle, elle n’avait pas eu ses dix heures de sommeil, Karen était convaincue que sa première ride, aperçue quinze jours plus tôt dans la glace de son poudrier, était en train de s’installer pour de bon, sous son œil gauche. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 30) ; « Je suis aveugle de l’œil gauche. » (Wave, la copine d’enfance lesbienne de Peyton, l’héroïne du film « Elena » (2010) de Nicole Conn) ; « Vous êtes tellement maigre qu’on va croire que vous allez perdre un œil. » (Laurent Gérard dans son one-man-show Gérard comme le prénom, 2011) ; « À sa façon de me regarder de l’œil gauche. » (Elliot, le héros homosexuel parlant de sa mère, dans le film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « Épinglée ? Vous voulez dire avec les yeux troués par les épingles. C’est bien votre style. Alors vous m’avez détestée toute votre vie croyant être ma sœur. » (la Comédienne s’adressant à sa sœur jumelle Vicky à propos de la photo d’elle que cette dernière a clouée sur son miroir, dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « J’ai mangé un de mes yeux, le droit, et l’autre, le gauche, ma fille l’a mangé. Ainsi, nous sommes jumelles dans l’espace et dans le temps de mère en fille, et ainsi de suite. » (la Reine aveugle dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « À treize ans je lui ai crevé un œil avec une ampoule électrique. » (Joséphine en parlant de sa sœur, dans la pièce Les Quatre Jumelles (1973) de Copi) ; « Oh mon Dieu, elle a reçu une balle dans l’œil ! » (Joséphine à Fougère, idem) ; « Oh, merde, la cocaïne m’a attaqué le nerf optique ! » (idem) ; « Arlette allait et venait devant les CRS les seins à l’air et chantait : Je sais que j’ai un œil en compote. » (Copi, La Vie est un tango (1979), p. 122) ; « Parmi les affaires de Kévin, il y avait plusieurs tableaux. L’un d’entre eux représentait deux visages de profil, superposés, avec un seul œil en commun. » (Bryan parlant de son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 13) ; « Il y avait un ours énorme posé sur une chaise. Il n’était pas en très bon état : il lui manquait un œil et était rapiécé de partout. » (idem, p. 72) ; etc. Par exemple, dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel décrit Maureen O’Hara (la mère rousse de son futur amant) comme la reine de l’opéra de Montréal, mais aussi comme une princesse aveugle : « My mother’s eyes aren’t very good… But not in the center… » (le roux prenant des places d’opéra pour sa mère, p. 34) ; « Maureen tenait le bras de son fils et je crus d’abord qu’elle était aveugle. Mais elle promenait autour d’elle ce regard curieux de myope qui ne voit pas ce qui l’entoure et qui se fie au flou des contours pour se guider. Mon rouquin n’avait pas menti au guichet, sa mère avait bel et bien un problème de vision ! » (idem, p. 44) ; « Lentement, délibérément, Anna leva son visage vers la lumière, telle une star du cinéma muet cherchant la caméra, et Jane vit qu’elle avait l’œil gauche noir et enflé. […]Anna sourit. L’ecchymose qu’elle avait au-dessus de l’œil paraissait plus foncée dans l’ombre de la cage d’escalier. » (Jane, l’héroïne lesbienne décrivant Anna, la fillette-prostituée, dans le roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, pp. 121-123) ; « Greta est une pute. Je l’attends. Quand elle descendra l’escalier l’escalier je lui ferai un croche-patte et je lui enfoncerai les yeux dans les orbites. » (Frau Becker s’adressant à Jane, idem, p. 213) ; « J’aime les poneys avec des têtes de mort. Des poneys qui perdent un œil. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Je travaille avec une femme qui est en train de perdre la vue. » (Bryan, le héros homosexuel, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; etc.

 

Et on peut remarquer qu’un certain nombre de personnages homosexuels, en cherchant à imiter cette femme-cyclope, perdent un de leurs deux yeux (l’œil du voyeurisme ?). Par exemple, dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst ne voit plus de l’œil gauche. Dans la pièce Copains navrants (2011) de Patrick Hernandez, Vivi propose « le borgne » comme copain à Nono. À la fin du roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos, la Marquise de Merteuil, lesbienne, affreusement défigurée par la petite vérole, est contrainte de perdre un œil. Dans la nouvelle d’un ami angevin que j’avais lue en 2003, il était fait référence à « un cyclope à deux yeux » (p. 63). Dans la pièce L’Héritage de la Femme-Araignée (2007) de Christophe et Stéphane Botti, Laurie est une femme-cyclope. Dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré, Arthur, le héros homo, sort avec des hommes et cache dans un premier temps son homosexualité à sa petite amie Nadine, avec qui il couche occasionnellement. Elle finit par découvrir le pot aux roses, et par comprendre qu’Arthur l’utilise comme une prostituée : « L’autre œil. On dirait un panda borgne. » (Arthur) « Puis-je savoir tes intentions ? On est amoureux ou on n’est pas amoureux ? » (Nadine). Plus tard, Nadine reproche à Arthur de faire les yeux doux dans son rétroviseur à l’auto-stoppeur, Stéphane, qu’ils viennent de prendre en voiture : « Tu veux mes yeux, là ? »

 
 

b) Les yeux-revolver :

 

En général, la femme fictionnelle (endormie ?) épie et hypnotise le personnage homosexuel de ses yeux d’or. Elle a tout de l’espionne inquisitrice qui va le manipuler : « Les yeux de Laura n’ont plus rien à dire. Les yeux de Laura cachent son sourire. » (cf. la chanson « Les Yeux de Laura » du groupe Goût du Luxe) ; « J’ai toujours l’impression que tu vois tout, que tu sens tout. » (Michel s’adressant à Mélodie l’héroïne bisexuelle, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; « Laisse-moi être tes yeux. » (cf. la chanson « Le Grand Secret » d’Indochine) ; « Vous avez vu ? Elle m’espionne ! » (la mère d’Evita en parlant de sa propre fille, dans la pièce Eva Perón (1969) de Copi) ; « Une infirmière apparût. Maria-José [travesti M to F] resta immobile quelques secondes, fascinée par le grand sourire de la jeune femme qui se trouvait dans le coma il y avait à peine une demi-heure. […] Elle fit semblant de se rendormir. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Le Travesti et le Corbeau » (1983) de Copi, p. 34) ; « Tu me dévisages. » (Ninette troublée par son amie Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « Quand je te regarde, c’est comme si je me remplissais de toi. » (Anna s’adressant à son amante Cassie par écrans Skype interposés, dans le film « La Tristesse des Androïdes » (2012) de Jean-Sébastien Chauvin) ; « J’étais un autre avant que mon œil atteigne l’éclat de vos yeux. » (Merteuil s’adressant à sa poupée Madame de Tourvel, dans la pièce Quartett (1980) d’Heiner Müller, dans la mise en scène en 2015 par Mathieu Garling) ; « Charlotte, ça fait cinq mois. On fait quoi ? On va où ?? J’vois tes yeux. Et j’vois mon amour qui te pèse. » (Mélodie s’adressant à son amante Charlotte, dans le film « À trois on y va ! » (2015) de Jérôme Bonnell) ; etc. Par exemple, dans la pièce Arthur Rimbaud ne s’était pas trompée (2008) de Bruno Bisaro, on nous parle de la « persistance rétinienne » de la femme étrangère. Dans le film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur, Oliver confie à Alice qu’il n’aime pas réellement Iréna mais qu’il est comme hypnotisé par elle : « Je ne peux détacher mes yeux d’elle. Elle m’attire invinciblement. Et pourtant, à bien des égards, nous sommes étrangers l’un à l’autre. » Dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank, le personnage homosexuel, se trouve dans un bar, et se sent possédé par les yeux d’une femme : « Elle attrape mon regard ! »

 

Par exemple, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia, Didier, le héros homosexuel, dit être obsédé par « les yeux d’Yvette », son « ex » ; et on voit qu’il a un rapport idolâtre avec elle : « Elle que j’ai eu le malheur d’aimer à outrance. »
 

REGARD FEM 6 - Sans logique

Clip « Sans logique » de Mylène Farmer


 

Dans la fantasmagorie homosexuelle, le regard féminin n’est pas associé à la douceur et à la fragilité des femmes réelles. Il est plutôt le regard de conquête machiste (arboré parfois par les héros transgenres, ou la prostituée de luxe), de prétention à la possession et à la réification, du voyeurisme, de la puissance de séduction anesthésiante : cf. le film « My Beautiful Laundrette » (1985) de Stephen Frears (avec les yeux inquisiteurs de toutes les femmes de l’intrigue), la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon (avec la description d’un regard féminin dévorant), le film « The Girl With The Hungry Eyes » (1967) de William Rotsler, la chanson « Mais il dort !… » d’Ingrid, la chanson « Chacun fait c’qui lui plaît » du groupe Chagrin d’amour (avec les yeux-miroirs de la prostituée), le film « Órói » (« Jitters », 2010) de Baldvin Zophoníasson (avec la mère de Gabriel, le héros homosexuel, qui fouille dans l’ordi portable de son fils, ou encore la grand-mère de Stella qui espionne sa petite-fille au téléphone), la chanson « Femmes à lunettes » de Richard Gotainer (laissant supposer que le regard féminin est machiste, puisque les femmes à lunettes sont censées être des « femmes à quéquette »…), le film « Entre les corps » (2012) d’Anaïs Sartini (avec les regards appuyés et déshumanisés d’Annah en boîte), le film « Le Fil » (2010) de Mehdi Ben Attia (avec la mère de Malik, Sara, regardant son fils et son copain au lit), le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne (avec la vraie mère de Guillaume, le héros bisexuel, scrutant tout à la fin du film son fils dans l’ombre du théâtre), le film « Les Yeux de sa mère » (2010) de Thierry Klifa, etc.

 

« Tu sais que je perfectionne mon regard de braise. » (Karma, la fausse lesbienne qui essaie de faire croire à tout son lycée qu’elle est homosexuelle, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « Tu lui fais de l’œil avec les jambes. » (Zize, le travesti M to F s’adressant à sa nièce Claire pour qu’elle aguiche le client sur le parking, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « Onze mille vierges sous acide lysergique consolent des malabars tendus et mélancoliques. Fille de joie me fixe de ses yeux verts. Des claques ??? Jusqu’à l’Hôtel de l’Enfer. » (cf. la chanson « Onze mille vierges » d’Étienne Daho) ; « Dévore-moi des yeux, ma Princesse ! » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « Il faut me regarder quand je ne me vois pas ! » (Amira Casar s’adressant autoritairement au héros homosexuel, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat) ; « Je veux un œil qui me regarde quand je lui parle. » (François à sa psychanalyste dans la pièce Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « Regarde-moi ou ne me regarde pas ! […] Je n’ai jamais ouvert les yeux. […] Regarde-en mes yeux. » (la diva au protagoniste masculin, dans le ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Se voulant discrète, la patronne du café [lesbienne] se contenta de nous observer du coin de l’œil. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 215) ; « Le fait que ta mère te suive dans la rue est inexcusable… » (Chris à son amant Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 119) ; « Les yeux d’Irène. Noirs. Ils sont là dans la glace. Dans le coin du bas à droite. Contents d’avoir attrapé les miens. » (le jeune narrateur dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 85) ; « Les yeux fardés jusqu’au mépris. […] Tu es la beauté incarnée, partie à tout jamais. » (Luca, le narrateur homo du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « Tu plonges en moi l’acier de ton œil blanc. » (cf. la chanson « 1er novembre (Le Fruit) » du Beau Claude) ; « Tu m’as donné un coup dans l’œil. » (Kanojo s’adressant à son amante Juna, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Une des jeunes femmes pointa deux doigts vers elle en formant le signe du mauvais œil, gardant le bras le long du corps pour que personne d’autre ne le remarque. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 200) ; « Ne me regarde pas ! » (la mère de Chiron, le jeune héros homosexuel, dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins) ; etc.

 

Par exemple, dans la pièce Les petites femmes de Maupassant (2005) de Roger Défossez, Coralie, le personnage féminin travesti en homme, est soumise à un « espionnage (féminin) de tous les instants ». Dans la pièce Les Amers (2008) de Mathieu Beurton, le regard d’Emma, la mystérieuse femme masculine, hypnotise Kevin, le personnage homosexuel : elle/il lui adresse des mots mi-séducteurs mi-injonctifs (« Tu peux me regarder en face ! »). Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, Félicité, la mère possessive de Fernand, lui impose son « regard maniaque » (p. 28) ; est décrit chez cette femme la « gloutonnerie du regard », son « attention goulue des hommes ». Dans le film « Free Fall » (2014) de Stéphane Lacant, c’est le regard de la mère de Marc qui surprend son fils et son amant Engel s’échanger un baiser dans le couloir d’hôpital qui met le feu aux poudres. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, la toute première phrase que Lisa, la future amante de Laure (une vraie surveillante, scrutatrice), sort à l’héroïne lesbienne, se rapporte précisément au registre de la vue : « Tu recherches les autres. Je t’ai vu(e) les regarder. » Dans la pièce Des bobards à maman (2011) de Rémi Deval, Max cauchemarde que la mère de Fred, son amant, l’agresse en cuir, comme une femme-tigresse, en lui disant « Vous m’avez tapé dans l’œil, Max ! » et qu’il lui répond « Je suis désolé… » comme un enfant pris en faute. Dans le film « Mine Vaganti » (« Le Premier qui l’a dit », 2010) de Ferzan Ozpetek, suite au coming out de son fils Antonio, Stefania regarde passivement son fils dans l’encoignure de la porte de sa chambre : son visage est coupée en deux par l’ombre, et son œil scrute passivement Antonio faire ses affaires parce qu’il a été viré de la maison familiale par le père.

 

Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, toutes les femmes sont des voyeuses : la concierge moustachue est un cas d’espèce ; et Antionetta est obsédée visuellement par son voisin de pallier homosexuel, Gabriele, vivant dans l’immeuble d’en face : « Ça fait depuis ce matin que je te regarde. » Même si Gabriele finit par partir, elle prête serment qu’elle continuera de l’observer, comme s’il se trouvait enfermé dans une vitrine : « Moi je regarderai ta fenêtre tous les jours. »
 

Dans le film « Après lui » (2006) de Gaël Morel, le regard féminin des mères est omniprésent, du début à la fin : « Tu me rappelles maman, quand elle avançait masquée, à vouloir je ne sais quoi… » (Camille à sa sœur Pauline) Camille espionne Franck, le copain de son fils décédé, et décide de le suivre partout où qu’il aille, même jusqu’au Portugal ; le film s’achève précisément par un gros plan sur le regard pénétrant, froid, triste, vitreux et surchargé esthétiquement/émotionnellement, de Catherine Deneuve face à « son » Franck endormi.

 

Quelquefois, le pouvoir hypnotique de la femme fictionnelle homo-érotique aux yeux dorés conduit le héros homosexuel qui les observe à devenir lui-même objet, fou à lier (comme le fan), et à mourir (transpercé ou criblé de balles) : cf. le film « Les Yeux de Laura Mars » (1977) d’Irwin Kershner, la chanson « L’Œil sec » des Valentins, le film « Matador » (1985) de Pedro Almodóvar (avec l’œil de la mère d’Antonio Banderas – Angel – qui scrute son fils nu dans la salle de bain), etc. « Le Sphynx a crevé les yeux de sa mère. » (cf. une phrase de la pièce Le Cheval bleu se promène sur l’horizon, deux fois (2015) de Philippe Cassand)

 

REGARD FEM 7 SM

 

« Dans le premier rêve, elle ne dit rien, me regarde seulement. Toute la journée d’après, je la passe à curiocreuser la vision et le profond changement qu’en moi j’ai ressenti au réveil. Les yeux de cette femme, et beaucoup plus que ses yeux, le vibrillonnant savoir qu’ils instillent, et tout elle, sa rassurante présence, sa force, irrésistible, presque violente. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 101) ; « Si le subtil lecteur pouvait porter son regard plus loin, au-delà de la place, jusqu’à la fenêtre de l’hôtel particulier rose, là-haut, il apercevrait Boléro de Ravel [surnom d’un travesti M to F] en train de cadrer Tarzan dans le viseur meurtrier de son fusil de chasse. » (Copi, Un Livre blanc (2002), p. 104) ; « Tellement si femme quand elle mord, tellement si femme quand elle dort, elle a les yeux revolver. » (cf. la chanson « Les Yeux revolver » de Marc Lavoine) ; « Ses beaux yeux sont fermés. J’ose pas demander qu’on les ouvre. Et je le regretterai après le trop-tard : c’était ses yeux que je voulais voir. » (le jeune narrateur face à la dépouille de sa grand-mère, dans le roman Le Crabaudeur (2000) de Quentin Lamotta, p. 71) ; « Je me sers de tes yeux sur moi et à ma guise… » (cf. la chanson « Plaisir extensible » du groupe L5) ; « En une demi-heure, Catherine S. Burroughs devint ma peintre favorite de tous les temps et de toutes les écoles. Je n’aurais vraiment pas su expliquer pourquoi, tout ce que je savais c’était que ses œuvres que je dévorais des yeux sans m’en rassasier, me sautaient dessus, me regardaient jusqu’au fond de l’âme, c’était ça qui était unique, c’étaient elles qui me regardaient ! Muriel Gold me regardait avec amour et je fondais ! » (Jean-Marc, le héros homosexuel du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 216) ; « Ton regard de Madone me perdra, me tuera. » (cf. la chanson « Corrida » du Teenager de la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Je me voyais comme par-dessus mon épaule, ou plutôt, à cause du regard de cette salope posé sur moi, comme si j’étais elle. » (Yvon en parlant du regard de Groucha, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p.258) ; « J’ai essayé de dormir. Mais y avait rien à faire. Dès que je fermais les yeux, j’avais des paillettes d’or qui me pleuvaient devant les rétines. Et derrière ce rideau, Groucha, dansant une sorte de danse du ventre, avec son piercing au milieu qui faisait comme un œil éblouissante. Groucha, ça virait à l’obsession. Il me la fallait. Et à froid, loin d’elle et de son regard moqueur, ça me paraissait pas si hors de portée que ça. » (idem, p. 261) ; « Ses yeux, ils devenaient de plus en plus grands et brillants, comme ceux des méchantes dans les dessins animés japonais, avec trois gros points blancs qui tremblent au milieu des iris. ‘Je suis un peu sorcière.’ » (idem, p. 265) ; « Les yeux des filles, ça sert à quoi ? Ça sert à mettre le feu partout. Ça rend fou. […] Les Brésiliennes ont des yeux incandescents. » (Charlène Duval, l’acteur transgenre M to F, dans son spectacle musical Charlène Duval… entre copines, 2011) ; « Il ne faut pas me regarder dans les yeux. […] Votre regard me brûle. Je ne supporte pas votre regard !! » (la Bête s’adressant à la Belle, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « Je me dirige vers le groupe que forment quelques femmes sans âge. Elles m’accueillent avec une chaleur exagérée. Je sens votre regard toujours posé sur moi. C’est décidé : je ne vous parlerai pas. Je commence à ne plus aimer vos yeux sur moi. » (Vincent, le héros homosexuel du roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 17-18) ; « Comment vous faites pour être sexys avec des gros yeux comme ça ? » (Shirley Souagnon s’adressant à toutes les « femmes hétérosexuelles » dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans le film « Reflections In A Goldeneye » (« Reflets dans un œil d’or », 1967) de John Huston, le personnage de Leonora (Elizabeth Taylor) est central, et est visité chaque nuit par le héros homosexuel (William) : elle est veillée et exerce sur lui une emprise énigmatique puisqu’elle lui donne l’impression de le surveiller même quand elle dort les yeux fermés. La passion de William – une adoration distante, décorporéisée, mais pas du tout chaste pour autant – pour Leonora finira tragiquement puisque le héros homosexuel sera achevé d’un coup de revolver par le Major Weldon, lors d’une nuit où il était une nouvelle fois venu vénérer sa Muse assoupie. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, parodie les passagères nord-américaines « aux ongles tellement longs que tu pourrais te crever un œil avec » et qui en grandes bourgeoises s’extasient devant un verre d’eau offert grâcement par la compagnie aérienne. Il éteint leur enthousiasme, en faisant comme par hasard mention de l’or : « Ça va… C’était un verre d’eau, pas un lingot non plus ! »

 

L’espace psychique du personnage gay est tellement envahi par la présence de ce regard féminin (télévisuel, incestueux et maternel la plupart du temps) que ce même héros, une fois arrivé à maturité d’adulte, a souvent du mal par la suite à se donner totalement à son compagnon homosexuel ou à l’amour en général… même si c’est le regard féminin angélique qui lui a parfois appris son homosexualité : « Ma mère nous regarde ! » (Bryan à son amant Kévin dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 147) ; « Ma mère c’est l’œil de Moscou : elle voit, entend et devine tout ! » (idem, p. 176) ; « Ma mère, c’est simple : c’est l’Œil de Moscou. Toujours sur mon dos, à me juger, à me critiquer. Et je te laisse imaginer : le coming out n’a rien arrangé. » (Sandrine, l’héroïne lesbienne, dans l’épisode 504 de la série Demain Nous Appartient, diffusé le 10 juillet 2019 sur TF1) ; « Le seul regard de femme que tu portes en ton âme n’est plus sur cette terre. Et ce regard de femme, c’est celui de ta mère. » (cf. la chanson « Éternel Rebelle » de la Groupie dans la comédie musicale La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Quand j’ai relevé les yeux, j’ai vu qu’elle [la mère d’Arthur] m’observait, d’un regard qui n’était pas inquisiteur mais plutôt contemplatif. Oui, elle faisait cela, me contempler. Et, dans ses yeux à elle, alors j’ai vu qu’elle savait tout, sans qu’on lui ait rien dit, qu’elle avait tout deviné, qu’elle avait compris toute cette histoire, la nôtre. » (Vincent en parlant à son amant Arthur de sa mère endeuillée, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, pp. 169-170) ; « Olivier jette quelques coups d’œil rapides vers son ami, il ne peut pas s’en empêcher. Au bout d’une demi-heure environ, il se rend compte qu’Alice l’observe. Depuis quand le regarde-t-elle ? A-t-elle compris quelque chose ? Les femmes sont plus rapides que les hommes pour décrypter les signes. Olivier se sent comme pris sur le fait, il n’ose plus fixer autre chose que ses feuilles de cours. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), p. 92) ; « Une femme d’humain se tenait debout devant nous et nous regardait, immobile. […] Derrière elle se tenait un homme assez petit. […] L’homme était très poilu et sentait de loin la chèvre. » (Gouri dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 59) ; « Je ne me rassemble et ne me définis qu’autour d’elle. Par quelle illusion j’ai pu croire jusqu’à ce jour que je la façonnais à ma ressemblance ? Tandis qu’au contraire c’est moi qui me pliais à la sienne ; et je ne le remarquais pas ! Ou plutôt : par un étrange croisement d’influences amoureuses, nos deux êtres, réciproquement, se déformaient. Involontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s’aiment se façonne à cette idole qu’il contemple dans le cœur de l’autre… » (Édouard dans le roman Les Faux-monnayeurs (1925) d’André Gide, p. 83) Le regard féminin semble être à lui seul l’allégorie du mirage de l’amour dans lequel chacun des deux membres du couple homosexuel s’est engagé : « Pendant que nous faisions l’amour, nous apercevions à travers la persienne, sur le balcon de la maison d’en face, une jeune femme dont nous pouvions suivre la marche de l’anguille dans la tapisserie. Comment ne pas nous demander si elle ne soupçonnait pas ce qui se passait de notre côté ? Elle nous avait vus fermer la fenêtre, tirer les rideaux. Le mystère de cette présence redoublait notre plaisir. » (Marcel Jouhandeau, Gourdin d’Élise, 1962) ; « Ça te dérange pas que ta mère te voie quand tu baises ? » (Nathan au lit avec Sean, et parlant d’une photo de la mère de Sean punaisée au mur, dans le film « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo)

 

Par exemple, dans le film « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, les deux amantes Kena et Ziki sont sous le regard délateur et effrayant de toute la communauté féminine et maternelle kényane (la pire, c’est Mama Atim, la commère). En particulier, Rose, la maman de Ziki, a surpris sa fille embrasser Kena : « J’ai tout vu, Ziki. »
 

REGARD FEM 11 Lady Gaga

Lady Gaga


 

Derrière la fixation homo-fictionnelle sur les regards féminins, on peut déceler en toile de fond une peur de la sexualité et de la génitalité en général. Un refus du désir.

 

Michel (hétéro) – « Pourquoi tu me regardes ?

Patricia (lesbienne) – Parce que je te regarde. […] Je ne veux pas être amoureuse de toi. »

(cf. un dialogue du film « P.A. » (2010) de Sophie Laly)

 

Quelquefois, les yeux impénétrables de la femme endormie sont l’allégorie de l’indifférence féminine face à la souffrance et l’individualité masculine : « … La belle Claire aux beaux yeux clairs. Oui, c’est ça : elle n’est peut-être rien d’autre qu’une jolie jeune femme au regard fuyant. » (le narrateur du roman Son frère (2001) de Philippe Besson, p. 48) ; « Toute observatrice qu’elle était, Maman n’avait jamais été d’une grande curiosité. » (Ednar, le héros homosexuel du roman Un Fils différent (2011) de Jean-Claude Janvier-Modeste, p. 69)

 

REGARD FEM 8 Concert Mylène

Concert Mylène Farmer, N°5


 

La femme qui n’a qu’un regard à proposer/montrer est aussi tout simplement la femme violée, celle qui est sans voix (et qui est sublimée ainsi) : cf. le film « A Single Man » (2009) de Tom Ford (avec le regard prononcé de Loïs, l’amie de Kenny ; et puis l’affiche du regard effrayé de Marion Crane dans le film « Psychose » d’Hitchcock), etc. On en trouve un bel exemple avec la scène de sexe lesbien entre deux femmes en burka dans le film « Die Frau » (2012) de Régina Demina. C’est aussi le cas dans le film « Keep The Lights On » (2012) d’Ira Sachs : la photo-portrait préférée du couple homo Paul-Erik représente le regard affolé d’une femme qui rate son métro. Les héros homosexuels aiment le regard féminin surtout parce qu’il est, de manière voilée et esthétisée, la mémoire du viol qu’ils ont vécu ou désiré. « Elle me regardait comme le Sphinx qui règne sur la plaine d’Égypte. » (Amy Miller par rapport à sa fille Julia, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Elle a des yeux d’Égyptienne, des yeux aussi intenses, je n’en ai vus qu’une seule fois dans ma vie. Julia Miller ! » (Arthur, le héros homosexuel, par rapport à Julia, la femme violée par son père, idem)

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) T’as de beaux yeux, tu sais ?

REGARD FEM 9 Annie Lennox

Annie Lennox, période « Eurythmics »


 

Un certain nombre de gens dans notre société sacralisent le regard féminin et la perception féminine, comme s’ils étaient le summum de la séduction, de la beauté, du pouvoir. On entend fréquemment (surtout de la bouche des femmes féministes qui « verraient tout » mieux que les autres, ou des femmes lesbiennes) la ritournelle sexiste et misandre sur la soi-disant « intuition féminine naturelle », la force du point de vue des femmes : « Les femmes perçoivent énormément les choses et c’est ce qui les rend si enrichissantes. » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), p. 129) Je vous renvoie à la partie « Intuition féminine » dans le code « Mère gay friendly » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

REGARD FEM 10 Cindy

Comédie musicale « Cindy » de Plamondon


 

Le regard féminin, loin d’être d’abord applicable uniquement aux femmes réelles, concerne avant tout le veau d’or asexué aux yeux sur-féminisés (façon danseuse du Lido), objet de tous les fantasmes angélistes, matriarcaux, machistes et réifiants de l’individu homosexuel, que certaines icônes gay se plaisent à incarner : je pense par exemple à la couverture de l’album du spectacle musical Cindy… proche des yeux androgynes ultra-maquillés de Boy George, Jeanne Mas, Marilyn Manson, David Bowie, Marianne James, et tant d’autres.

 

REGARD FEM 11 - Benedict

Clip « Listen to the sand » de Benedict


 

Dans le discours de certains individus homosexuels, le regard féminin a tendance à se mythifier. « Prenez garde ! La Dame blanche vous regarde ! » (Renaud Camus dans le documentaire « L’Atelier d’écriture de Renaud Camus » (1997) de Pascal Bouhénic) D’ailleurs, la femme dépeinte par les créateurs homosexuels sous forme de prostituée-méduse, de moitié gémellaire narcissique androgynique, ou de serpent faussement assoupi (cf. je vous renvoie au code « Femme allongée » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) ressemble à un cyclope, cet être mythique homérique qui ne possède qu’un seul œil : je pense par exemple à la photo Juin 1991 de Jean-Claude Lagrèze, au tatouage de l’œil sur l’épaule gauche de Félix Sierra, ou bien encore à la Femme assise de Copi : « Un œil, quatre cheveux, un nez, une chaise : la femme assise. » (cf. l’article de Cavana dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, p. 75). Par exemple, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check,Paul, homme homosexuel, a retrouvé la foi en regardant accidentellement à la télé une nonne borgne, la Mère Angelica, et ça a bouleversé sa vie de foi du tout au tout. Dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla, Linn, jeune homme brésilien travesti en femme prostituée, s’applique du gros scotch partout sur le visage, et ne laisse un trou que sur un de ses yeux, et sur sa bouche ; et ensuite, il suce un godemiché en plastique en forme de bite, puis l’introduit dans son œil. Par ailleurs, en 1943, la sculptrice Louise Bourgeois réalise un dessin d’araignée avec un œil de cyclope.

 

Sketch « Les Scénaristes » des Robins des Bois (avec la référence à la pute-borgne lesbienne)

 
 

b) Les yeux-revolver :

En général, la femme (endormie ?) vue fantasmatiquement par l’individu homosexuel épie et hypnotise de ses yeux d’or. Elle a tout de l’espionne inquisitrice : « ‘Elle est là, murmura-t-elle. Elle m’espionne. Elle est toujours là.’ » (la Chola, un homme transsexuel M to F, parlant de sa voisine de palier dans l’autobiographie Folies-Fantômes (1997) d’Alfredo Arias, p. 237)

 

Quelquefois, le pouvoir hypnotique de cette femme mentale aux yeux dorés conduit celui qui les observe à devenir lui-même objet, fou à lier (comme le fan), et à mourir : « Elle était entrée en moi, dans mon esprit, mon âme lui appartenait, elle la regardait avec douceur, avec brutalité.[…] Et enfin, de sa main droite, elle a bouché mes narines. Plus d’air. Le grand sommeil. Le noir paisible. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), pp. 93-94)

 

REGARD FEM 12 - Jeanne Mas

Jeanne Mas


 

Dans le discours de certaines personnes homosexuelles, le regard féminin n’est pas associé à la douceur et à la fragilité des femmes réelles. Il est plutôt le regard de conquête machiste (arboré parfois par les personnes transgenres, les prostituées cinématographiques et les chanteuses « qui n’en veulent »), de prétention à la possession et à la réification, du voyeurisme, de la puissance de séduction anesthésiante. « Ednar savait que Fanny [sa tante] était une femme dépourvue de curiosité mais dotée d’un tempérament d’observatrice innée. » (Jean-Claude Janvier-Modeste, dans son roman semi-autobiographique Un Fils différent (2011), p. 54) On lit en toile de fond une peur de la sexualité et de la génitalité, un refus du désir : « Je rougis à chaque fois qu’une paire d’yeux humains, mâles ou femelles, rencontraient les miens. Surtout les yeux féminins, car je passais mon existence entouré principalement de dames et de demoiselles. » (Tennessee Williams parlant de son adolescence, dans son autobiographie Mémoires d’un vieux crocodile (1972), p. 38)

 

REGARD 13 - Boy George

Le chanteur Boy George


 

Plus largement, le regard féminin pesant et idéalisé dont parlent les individus homosexuels et ceux qui défendent leurs couples renvoie à leur propre misanthropie, à leur fuite/extériorisation narcissique d’eux-mêmes, ou à une vision diabolisée et idolâtre de ladite « société », cette Déesse indomptable avec laquelle ils veulent fusionner, par démission (cf. je vous indique la lecture des codes « Poids des mots et des regards » et « Lunettes d’or » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ça se passera d’autant mieux que le regard de la société changera sur ces couples. » (Anne Hidalgo, socialiste, s’exprimant sur la loi pour le « mariage pour tous » dans l’émission Mots croisés « Homos, mariés et parents ? », diffusée sur la chaîne France 2 le 17 septembre 2012)

 
 

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Code n°156 – Reine (sous-code : Cruella)

Reine

Reine

 

 

NOTICE EXPLICATIVE :

 

La Reine prise pour l’incarnation de la différence des sexes

 

La Reine dans le film "Blanche-Neige" de Walt Disney

La Reine androgynique dans le film « Blanche-Neige » de Walt Disney


 

Encore un cadeau inattendu de Jésus ce 29 septembre 2014 en soirée. Je finalisais la rédaction de cet article traitant du lien entre PRINCESSE/REINE et HOMOSEXUALITÉ. Et ce même soir, à tout « hasard », je me suis rendu à la Manufacture des Abbesses (Paris) voir cette pièce Mâle Matériau d’Isabelle Côte Willems, œuvre très « queer » (et très merdique aussi ; mais ça, je m’en doutais un peu : passer une heure à écouter le délire schizo d’une femme qui se prend sérieusement pour un homme, ça ne risquait pas d’être brillant. Bref.). Et la toute première tirade de la pièce ne parlait que de la Princesse ! « Quand j’étais petite, j’aimais bien les déguisements de princesse. Mais avec une robe de princesse, on peut pas courir : ça se déchire. On peut pas nager, sinon on se noie, etc. » La comédienne sur scène a commencé d’emblée à réduire en pièce cette Princesse qui l’empêcherait d’être elle-même, à massacrer cette Reine mentale et de chiffon comme elle rejetait sa sexuation de femme, parce que dans son esprit les deux ne faisaient qu’une, parce qu’au fond elle amalgamait la Princesse et la différence des sexes (et ça marche aussi avec le Superman hyper viril). J’avais bientôt fini d’écrire mon code, mais ce one-woman-show m’a fait réaliser une chose capitale, m’a montré la dernière pièce manquante du puzzle : dans l’esprit de bien des personnes homosexuelles, transgenres ou transsexuelles, la Reine EST la différence des sexes à elle seule. Et l’homme-objet EST également la différence des sexes à lui tout seul. C’est pourquoi elles cherchent à rentrer dans la peau de l’archétype médiatique du sexe complémentaire – archétype qu’elles confondent avec les personnes réelles du sexe complémentaire (le Don Juan mis à la place des hommes, la Reine mise à la place des femmes) – afin d’incarner à elles seules la différence des sexes, mais aussi afin de neutraliser celle-ci par les objets et le pastiche mimétique. Rien d’étonnant que les personnes lesbiennes/transgenres F to M nées femmes, qui renient leur sexuation et la différence des sexes, rejettent dans le même mouvement les princesses et les reines qu’elles ont prises pour toutes les femmes réelles et plus globalement pour la différence des sexes. Rien d’étonnant non plus que les personnes gays/transgenres M to F nées hommes, qui renient leur sexuation et la différence des sexes, rejettent et jalousent dans le même mouvement les princesses et les reines qu’elles ont prises pour toutes les femmes réelles et plus globalement pour la différence des sexes.

 

Drag-queen

Drag-queen


 

Le désir homosexuel et transgenre, qui tente d’en même temps détruire la différence des sexes et de l’incarner à soi seul, explique que la communauté homosexuelle détruise, nie, mais aussi sacre la Reine comme une Reine, obéisse (plus ou moins ironiquement) à la logique du titre qu’elle lui décerne. C’est pourquoi paradoxalement la Reine, cette femme puissante et objet à la fois, soi-disant la première à être entrée dans une Histoire écrite majoritairement par des hommes et en leur honneur, a tout pour devenir l’icône des féministes et des personnes homosexuelles. Pratique et impactante, elle leur permet de cacher leur misogynie ou leur haine d’elles-mêmes à travers une idolâtrie que peu de nos contemporains identifient comme jalouse, haineuse, destructrice, car celle-ci scintille de mille feux. La Reine n’est pas tellement une femme. Elle est la figure fantasmée de la mère (donc l’allégorie de l’inceste), la figure fantasmée du père (donc l’allégorie du pouvoir, de la force machiste, du viol), de l’homme-objet devenu dieu (donc l’allégorie de l’androgyne asexué travesti). Les personnes homosexuelles l’intronisent puis la détruisent – comme la Reine de Beauté d’un carnaval ou d’un concours (c’est bien le char le plus beau qui subit le sort des flammes à la fin du défilé) – pour prouver qu’Elle est toute-puissante, et surtout pour cacher leur haine des femmes réelles (qui sont pourtant Reines autrement : par leur fragilité, leurs défauts, leurs imperfections, leur incarnation, leur Humanité créée par Dieu), pour cacher également leur mal-être existentiel, et parfois leur viol, à travers une carcasse d’arrogance savamment travaillée, une simulation de confiance et de fermeté. La Reine est le masque du faible, du lâche qui pense ne faire de la force d’une affaire d’apparences.

 
 

N.B. : Je vous renvoie aux codes « Femme au balcon », « Douceur-poignard », « Mort = Épouse », « Mariée », « Actrice-Traîtresse », « Femme vierge se faisant violer un soir de carnaval ou d’été à l’orée des bois », « Bergère », « Androgynie bouffon/tyran », « Vierge », « Poupées », « Femme allongée », « Bourgeoise », « Carmen », « Femme et homme en statues de cire », « Tante-objet ou Mère-objet », « Grand-mère », « Putain béatifiée », « Regard féminin », « Femme étrangère », « Mère possessive », « Matricide », « Conteur homosexuel », « S’homosexualiser par le matriarcat », « Parodies de Mômes », « Fantasmagorie de l’épouvante », « Éternelle jeunesse », « Don Juan », « Super-héros », « Homosexuels psychorigides », « Sirène », « Maquillage », « Liaisons dangereuses », « Destruction des femmes », « Femme fellinienne géante et Pantin », « Emma Bovary ‘J’ai un amant !’ », « Cour des miracles », « Tout », à la partie « Carnaval » du code « Clown blanc et Masques », à la partie « Catwoman » du code « Femme-Araignée », à la partie « Beauté du diable » du code « Haine de la beauté », à la partie « Applaudissements » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », à la partie « Mère folle » du code « Milieu psychiatrique », et à la partie « Grands Hommes » du code « Défense du tyran », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) La Reine rose et gentille :

Le femme-objet adulée par le héros homosexuel est souvent une Reine : cf. la chanson « Dancing Queen » du groupe ABBA, le film « The Great McGonagall » (1974) de Joseph McGrath (avec la Reine Victoria), le film « Desperate Living » (1977) de John Waters, le film « Edward II » (1991) de Derek Jarman, le film « Senso » (1954) de Luchino Visconti, le film « Music Lovers » (1970) de Ken Russell, le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, le film « Orlando » (1992) de Sally Potter (avec la Reine Élisabeth), le film « Reinas » (2005) de Manuel Gómez Pereira, le film « I Wonna Be A Beauty Queen » (1979) de Richard Gayer, le film « Queen Of The Whole Wide World » (2001) de Roger Hyde, le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian, le film « Parigi O Cara » (1962) de Vittorio Caprioli, le film « Il était une fois dans l’Est » (1974) d’André Brassard (avec la Reine Cléopâtre), le film « Cleopatra’s Second Husband » (1998) de Jon Reiss, le film « Princesa » (2001) d’Henrique Goldman, le film « Elizabeth » (1997) de Shekhar Kapur, la pièce Attachez vos ceintures (2008) de David Buniak, le film « Le Roi Jean » (2009) de Jean-Philippe Labadie (avec la reine endormie), le film « La Vie privée de Sherlock Holmes » (1970) de Billy Wilder (avec la Reine Victoria), le vidéo-clip de la chanson « Todos Me Miran » de Gloria Trevi, la nouvelle « La Baraka » (1983) de Copi (avec Madame Ada, la femme de l’Ambassadeur d’Angleterre), le film « Queens » (2012) de Catherine Corringer (sur un monde asexué proche de l’enfance), la pièce Mon beau-père est une princesse (2013) de Didier Bénureau, le film « La Princesse et la Sirène » (2017) de Charlotte Audebram, la pièce Queen Size (2018) de Mandeep Raikhy, la chanson « Les Pingouins » de Juliette Gréco, etc.

 

Par exemple, dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas, Gabriel et Rudolf, les trois héros gays, forment le chœur heureux d’une princesse « Sissi » autrichienne nouvelle génération : une sorte de cantatrice fantomatique des montagnes, ultra-maquillée, transgenre M to FSissi est de retour !! »). Dans la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset, Paul, l’un des héros homosexuel, est fan de la Princesse de Clèves. Dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, Rani, l’une des héroïnes lesbiennes, la bonne et amante d’Anamika, porte un prénom qui signifie « Reine ». Dans la pièce Les Favoris (2016) d’Éric Delcourt, Guen, le héros homosexuel, se fait traiter de « Miss Bretagne » par Ninon.

 

Ellie dans la série Glee

Ellie dans la série Glee


 

En général, la Reine se résume à un costume de bal masqué ou à une femme-objet des concours de beauté. Elle est l’incarnation de l’innocence féérique et angélique : cf. le film « Little Miss Sunshine » (2006) de Jonathan Dayton, le film « La Reine du Bal » (« Prom Queen », 2004) de John L’Écuyer, le film « Miss Congeniality » (« Miss Détective », 2000) de Donald Petrie (avec quelques reines de beauté lesbiennes), la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov (deux amies, Amy et Karma, sont célébrées comme le couple lesbien roi de la Fête du Lycée), le film « In & Out » (1997) de Frank Oz, etc.

 

Série Faking It

Série Faking It


 

« Il y a toujours un personnage de l’Histoire de France qui m’a fasciné : c’est Marie-Antoinette. Je ne sais pas pourquoi. » (Samuel Laroque dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Je suis la reine du camouflage. » (Martial dans la pièce Fatigay (2007) de Vincent Coulon) ; « Je suis la Reine des Belges ! » (le Docteur Meinthe dans le film « Parfum d’Yvonne » (1993) de Patrice Leconte) ; « Pierre et moi dans une fête hippie déguisés tous les deux en Marie-Antoinette à Ibiza en 1971. » (le narrateur homosexuel et son amant Pierre, dans le roman Le Bal des folles (1977), p. 11) ; « Dans le quartier, on me surnomme l’Impératrice du Bon Goût. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; « J’ai failli être Miss France. » (idem) ; « Je me refais mon couronnement toute seule. » (idem) ; « Pourtant sommeille en moi une princesse toute en délicatesse. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; etc.

 

Cette reine est aussi, pour un temps assez court en général, l’amant que le héros homosexuel se choisit : « Vous, comme ça, trônant dans ce décor mi-colonial mi-artiste. Vous, ma Gabrielle. » (Émilie s’adressant à son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 143)
 

La revendication d’une royauté (matérielle, de pouvoir, ou de pacotille) n’échappe pas souvent au second degré camp de l’autoparodie. « Je me marre à regarder les photos de la Reine Juliana. » (le narrateur homosexuel lisant Paris-Match, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, p. 26) ; « Le trottoir, c’est mon Royaume ! Sur le trottoir, je suis née, la pissoire c’est mon Palais. » (Fifi, le héros travesti M to F de la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je suis la Reine des boniches. » (Yoann, le héros homosexuel, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc. Par exemple, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus, Stephany, l’héroïne homosexuelle, se rebaptise ironiquement « Lady Di version lesbienne ». Dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller, Schmidt se prend pour une « princesse » du monde de la musique, pour la chanteuse Beyonce. Dans la pièce Moi aussi, je voudrais avoir des traumas familiaux… comme tout le monde (2012) de Philippe Beheydt, Eddy rêve, en tant qu’acteur, de jouer le rôle d’une Princesse byzantine.

 

Le fait de transgresser la différence des sexes, ou de jouer l’inversion sexuée par rapport à son sexe de naissance, est parfois directement associé à la royauté de la Reine. Par exemple, dans la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard, le producteur traite Bonnard de « Reine » quand celui-ci se travestit en femme.

 
 

b) La Reine sombre et despotique :

La Reine que le héros homosexuel adule n’est pas qu’une gentille poupée Barbie. Elle a du caractère, est indépendante, a du répondant, sait s’imposer. C’est la matrone hiératique qui domine son univers et a le pouvoir des hommes : cf. la pièce La Casa De Bernarda Alba (La Maison de Bernarda Alba, 1936) de Federico García Lorca, le film « The Queen » (2006) de Stephen Frears, le one-woman-show Femmes de pouvoirs, pouvoirs de femmes (2013) d’Océane Rose-Marie, le téléfilm « Le Clan des Lanzacs » (2012) de Josée Dayan (avec Élisabeth, magnat sans pitié), le film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau (avec Catherine de Médicis), le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1959) de Joseph Mankiewicz (avec Mrs Venable), le roman Du côté de chez Swann (1913) de Marcel Proust (avec Madame Verdurin), le film « Girl King » (2001) d’Ileana Pietrobruno, la comédie musicale Hairspray (2011) de John Waters (avec Velma Von Tussle, la productrice odieuse et hystérique), le film « The Devils Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel (avec le personnage de Miranda), la pièce Loretta Strong (1978) de Copi, la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi, etc. On peut penser à la description enthousiaste de Marie de Médicis, la reine toute de noir vêtue, dans la pièce Comme ils disent (2008) de Christophe Dauphin et Pascal Rocher.

 

« La maison tout entière se mettait à la disposition de la vieille dame. […] Elle était comme ces reines qui ont été régentes […]. » (la description de Doña Augusta dans le roman Paradiso (1967) de José Lezama Lima, p. 20) ; « Il les aime vaches et friquées. » (Wilma, le flic travelo M to F, s’adressant à Steeven, le héros homosexuel du film « Hôtel Woodstock » (2009) d’Ang Lee) ; « Magda Sterner tournait aussi autour de la quarantaine. Son chignon, ses yeux noirs et l’ovale de son visage lui donnaient l’allure d’une madone de Quattrocento. » (Vincent Petitet, Les Nettoyeurs (2006), p. 22) ; « Vous pensez que je suis folle, je suis juste sous l’emprise de mes hormones, je veux diriger l’empire des sens, être votre maîtresse à tous ! […] Oui, c’est ça dont on manque, de folie… de folles… Oui, c’est pour ça que moi je suis gay, voilà j’ai réussi à le prouver ! La folie, c’est la seule chose qui ne soit pas mondialisée. La folie c’est la véritable différence entre les gens, c’est la vérité. C’est quand on est fou qu’on est différent. La reine des folles, c’est moi ! Voilà ce qu’il nous faut : Une folle présidente ! » (le Comédien dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; etc.

 

Film "The Rocky Horror Picture Show" de Jim Sharman

Film « The Rocky Horror Picture Show » de Jim Sharman


 

La Reine des fictions homo-érotiques prétend transgresser la différence des sexes et n’a que mépris pour les femmes « ordinaires », mères, mariées ou en couvent. C’est la raison pour laquelle elle se dit parfois lesbienne : cf. le film « Maciste contre la Reine des Amazones » (1973) de Jesus Franco, le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot (avec Marie-Antoinette la reine lesbianisée), etc. « Je mourrai célibataire ! » (Greta Garbo, dans un éclat de rire, dans le film « La Reine Christine » (1933) de Rouben Mamoulian) ; « Si au moins ils partaient en colonie de temps en temps… Je sais pas être une mère formidable. Je veux être la marâtre de Blanche-Neige ! Je veux aimer à mi-temps. » (la mère dans le one-woman-show Psy Cause(s) (2011) de Josiane Pinson) ; « La Reine était de race ogresse. Et elle avait les inclinaisons des hommes. » (cf. une réplique de la comédie musicale La Belle au bois de Chicago (2012) de Géraldine Brandao et Romaric Poirier) ; « Je tire à boulet rouge sur tout ce qui bouge. Les handicapés. Les enfants. » (Doris, la reine télévisuelle lesbienne qui se définit elle-même comme une « peau de vache », dans la pièce Doris Darling (2012) de Ben Elton) ; etc. Par exemple, dans le film « Les 101 Dalmatiens » de Walt Disney, Cruella d’Enfer est célibataire, a un look très androgyne, et se moque du statut de femme mariée de son ancienne camarade d’école Anita. Dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant, l’Infante lesbienne trouve les femmes (qu’elle idéalise en la personne d’Inès de Castro) trop « molles ».

 

La Reine chérie du héros homosexuel est même capable d’être cruelle et autoritaire comme les méchantes de Walt Disney (du genre Maléfice ou Cruella d’Enfer) : cf. le film « Diva Histeria » (2006) de Denis Gueguin, la comédie musicale La Bête au bois dormant (2007) de Michel Heim (avec la fée Carabosse), le film « Another Gay Movie » (2006) de Todd Stephens, le dessin Cruella de Vil (1984) de Keith Haring, la chanson « Killer Queen » du groupe Queen, le film « Barbarella » (1968) de Roger Vadim (avec le « Grand Tyran » c’est-à-dire la reine noire de la Planète Sorgho), le film « Willow » (1988) de Ron Howard, la comédie musicale Créatures (2008) d’Alexandre Bonstein et Lee Maddeford, le film « Séduction femme cruelle » (1985) de Monique Treut, Le one-(wo)man-show Le Jardin des dindes (2008) de Jean-Philippe Set, les films « Kika » (1993) et « Carne Trémula » (En chair et en os », 1997) de Pedro Almodóvar (avec l’apparition de la méchante reine de Blanche-Neige de Disney), le film « Odete » (2005) de João Pedro Rodrigues, le roman Le Visionnaire (1934) de Julien Green (avec la châtelaine cruelle et orgueilleuse), la pièce Agrippine (1654) de Cyrano de Bergerac, la chanson « Disco Queen » de La Palma dans la comédie musicale Cindy (2002) de Luc Plamondon, le roman Une Reine de la nuit (1971) de Christian Giudicelli, le roman Les Liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos (avec le personnage lesbien de la Marquise de Merteuil), le film « Prête à tout » (1995) de Gus Van Sant (avec Nicole Kidman), la pièce Et Dieu créa les folles (2009) de Corinne Natali (avec Jean-Luc, coiffé en Cruella), le film « Alice In Wonderland » (« Alice au Pays des Merveilles » (2010) de Tim Burton (avec la cruelle Reine rouge), le roman La Cité des Rats (1979) de Copi (avec Bijou, la « Reine des Rats », surnommée aussi la « Reine des Ombres »), la pièce musicale Tatouage (2009) d’Alfredo Arias (avec Nana, la Reine des Rats habillée d’une écharpe avec plein de rats cousus dessus), la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi (avec la cantatrice Regina Morti), le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa (avec Suze déguisée en Cruella), le film « Mascarade » (2012) d’Alexis Langlois, etc.

 

« Marie-Ange, tu es Cruell… a. » (Marie-Ange parlant d’elle-même, dans la pièce Les Divas de l’obscur (2011) de Stéphane Druet) ; « Je serai gentille comme une reine. […] Je suis la reine des requins. » (Cherry, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce La Star des oublis (2009) d’Ivane Daoudi) ; « La Reine des Rats arriva en haut de Notre-Dame couverte de bigoudis, criant hystériquement. » (le narrateur bisexuel du roman La Cité des Rats (1979) de Copi, pp. 98-99) ; « Ce n’est pas une princesse, c’est une véritable sorcière. » (Béatrice décrivant Aubépine, une sorte de fée Carabosse, dans le roman L’Hystéricon (2010) Christophe Bigot, p. 436) ; « Et voilà la fée Carabosse ! » (Benjamin, le héros homosexuel méprisant l’arrivée de la belle Isabelle, la femme qui se prépare à faire un enfant à son amant Pierre, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade) ; « Y’a des baisers volés dans les trains de tsarines. » (cf. la chanson « Gourmandises » d’Alizée) ; « J’irai à l’orient embrasser les tsarines et les bateliers. » (cf. la chanson « Alexis m’attend » de Philippe Lafontaine) ; etc.

 

Victoria Abril dans le film "Kika" de Pedro Almodovar

Victoria Abril dans le film « Kika » de Pedro Almodovar


 
 

Cyrille (le héros homo) – « Et n’oubliez pas que pour le monde, dorénavant, je suis Madame Dubonnet.

Hubert – Maître, quel honneur ! Je n’aurais jamais osé rêver d’un tel dénouement !

Cyrille – Tout arrive dans la vie, Hubert. Mais je serai une Madame Dubonnet insupportable, attendez-vous à subir une tyrannie féminine sans merci. »

(Copi, Une Visite inopportune, 1988)

 
 

Par exemple, dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman, Jarry pique des crises d’hystérie dignes de Cruella d’Enfer. Dans la pièce Wona, Księżniczka Burgunda (Yvonne, Princesse de Bourgogne, 1957) de Witold Gombrowicz, la Reine Marguerite se plait à admirer, horrifiée, sa « laideur » devant son miroir au moment de commettre un crime. Dans la pièce On vous rappellera (2010) de François Rimbau, Lucie, l’un des héroïnes lesbiennes, endosse son costume de Cruella d’Enfer pour effrayer les enfants. Dans la pièce Confessions d’un vampire sud-africain (2011) de Jann Halexander, la puissante Élisabeth de Bataurie se transforme en femme-vampire. Dans la pièce La Cage aux folles (1975) de Jean Poiret, Zaza Napoli, le héros homosexuel, chante « I’m so glamourous, so dangerous… » et est comparée à la fée Carabosse. Dans la pièce Une Visite inopportune (1988) de Copi, Cyrille, le héros homosexuel, se conduit comme une Reine autoritaire et excédée : « Hubert, ma psyché ! » Dans l’épisode 98 « Haute Couture » de la série Joséphine ange gardien, Hélène, la terrible première de couturier, mène la vie dure à la styliste Cecilia car elle brigue sa place. Cette compétition insurge Joséphine et l’assistant-couturier homosexuel Dallas : « C’est une vraie hyène. » (Jo) « La Reine des hyènes ! » acquiesce Dallas.

 

Cruella d'Enfer dans le film "Les 101 Dalmatiens" de Walt Disney

Cruella d’Enfer dans le film « Les 101 Dalmatiens » de Walt Disney


 

Je crois que les personnages homosexuels en panne d’identité cherchent appui sur une femme extraordinaire et forte comme la Reine pour compenser l’effondrement narcissique de leur personnalité. « Helena aimait ces impérieuses femmes. Ces capricieuses manigances où les hommes, enchantés par les traîtres drogues de l’amour, soumettaient leurs âmes aux pulsions tyranniques de leurs corps. Quand le sexe faible enchaînait le fort au diable de ses courbes. En vérité, elle idolâtrait les femmes machiavéliques, celles qui faisaient de leur beauté un pouvoir invincible, qui savaient que seule la femme, dotée d’un charme omnipotent, pouvait gouverner l’univers. Car qu’y a-t-il de plus puissant que le charme lui-même ? » (cf. un extrait d’une nouvelle, « L’Encre », écrite par un ami romancier homosexuel en 2003, p. 29) ; « Je tremble devant votre beauté et votre pouvoir. » (le Rat s’adressant à la Reine dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « Vous avez vu comme elle est mauvaise. J’adore ! » (Yoann, le héros homosexuel, à propos de la méchante Solange, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc.

 

La vénération de la Reine médiatique est certainement un résidu d’un complexe d’Œdipe mal géré ou d’un désir incestuel fusionnel entre le héros homosexuel et sa propre mère biologique. « Tu te passionnes pour les mères des autres, les reines de France, leurs petits maris, et toute l’histoire du temps. » (Félix, l’un des héros homosexuels du roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 205) Par exemple, dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Steve, le héros homosexuel, qualifie sa mère de « Reine ». Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), Laurent Spielvogel qualifie sa mère appelée Berthe de « Reine Berthe ».

 

L’intronisation homosexuelle de la Reine est beaucoup plus amèrement le signe d’une véritable misogynie. Le personnage homosexuel met les femmes sur un piédestal pour mieux les tenir à distance de sa vie. Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (cf. l’épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Martin, le héros homosexuel barman qui vient de quitter femme et enfants pour partir en couple avec un homme, a créé un cocktail nommé « Christine Queen » en l’honneur de son ex-femme.

 
 

c) La femme monarque blessée, la reine du Carnaval intronisée puis incendiée :

Film "La Reine Margot" de Patrice Chéreau

Film « La Reine Margot » de Patrice Chéreau


 

La Reine devient une icône d’identification homosexuelle car elle incarne la victime d’un viol incomprise, la poignante diva Drama Queen (maltraitée et mal jugée par les paparazzis et par son Peuple). « Je ne suis pas un homme et je n’ai pas le droit d’être une femme. Je suis un jouet, on a ignoré que j’ai un cœur ! » (la Reine Gertrud dans le film « Hamlet » (1921) de Sven Gade) C’est le mélange de force et de faiblesse (à l’image du désir homosexuel, qui est un élan apparemment fort et puissant, mais qui ne dure pas et qui est lâche car il ne repose pas sur la différence des sexes) qui touche chez cette inébranlable ébranlée, qui la rend désirable esthétiquement et parfois érotiquement. Le motif de la Reine violée est récurrent dans les fictions homo-érotiques : cf. le roman Marie-Antoinette (1933) de Stefan Zweig, la pièce La Reine morte (1942) d’Henri de Montherlant, le film « La Reine des Neiges » (1957) de Lev Atamanov, le film « Sodome et Gomorrhe » (1961) de Robert Aldrich et Sergio Leone, la pièce La Reina Del Silencio (1911) de Ramón Gy de Silva, le film « La Reina Anónima » (1992) de Gonzalo Suárez, le film « Die Bitteren Tränen Der Petra Von Kant » (« Les Larmes amères de Petra von Kant », 1972) de Rainer Werner Fassbinder (avec Petra), le film « Le Roi et le Clown » (2005) de Lee Jun-ik (avec Cheo-Seon la reine putain), l’affiche du film « La Reine Margot » (1994) de Patrice Chéreau (avec la robe blanche ensanglantée d’Isabelle Adjani), etc. Par exemple, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, le père de Charlène (l’héroïne lesbienne) surnomme sa fille « Princesa » et la chatouille de manière excessive et déplacée. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Ted, l’un des héros homos, est scotché à sa télé devant Games Of Thrones, et se dit fan de Daenerys Targaryen, « la princesse exilée » : « Je l’adore ».

 

 

 

Le héros homosexuel finit par excuser et par désirer (identitairement ou amoureusement) cette méchante Reine transgenres hystérique, un peu cinglée, qui le méprise et qui a été méprisée. « On n’en voyait de là que sa blancheur suprême, plutôt la pâleur maladive d’une reine violée. » (cf. un extrait d’une nouvelle, « L’Encre », écrite par un ami romancier homosexuel en 2003, p. 22) ; « Elle était toute sale… la nappe. » (Laurent Spielvogel feignant de parler de la Princesse Anne, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Dans le royaume des hommes je suis LA souillure, sur l’échiquier des dames, le pion en attente caché derrière une reine hautaine qui choisira seule le bon moment pour se déplacer. Là, aveugle et naïve j’irais buter contre un des cavaliers noirs… Pour l’instant, j’arrive à me dédoubler : je suis pion et joueuse à la fois. » (la narratrice lesbienne du roman La Voyeuse interdite (1991) de Nina Bouraoui, p. 61) ; « Je ne savais même pas que je cherchais alors, mais, la voyant, reine en haillons, marquise hautaine, vieille petite fille ridée, elle, la Dame de Bois-Rouge, puisqu’il faut dire son nom, je suis restée fascinée au centre de sa toile et je n’en suis sortie qu’éreintée, pourfendue, achevée par ses coups de pioche dans le cœur. » (Émilie parlant de son amante Gabrielle, dans le roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 129) ; « Le rôle de ma vie, c’est Marie-Antoinette. » (Charlène Duval, le travesti M to F, dans son one-(wo)man-show Charlène Duval… entre copines, 2011) ; etc.

 

Il y a une forme de sincérité jusque-boutiste chez la Reine méchante qui la fait passer, aux yeux du héros homosexuel, pour une femme héroïque. Par exemple, le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot s’achève avec la mise à mort symbolique de la Reine, Amande, coiffée au poteau d’exécution par son groupe d’« amis », livrée à la vindicte populaire, et sauvée in extremis… car bien sûr, la jolie peste de l’histoire ne doit pas mourir ! Elle est éternelle ! « Mourad [l’un des héros homosexuels] jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (p. 83) ; « Il était un inconditionnel d’Amande. Elle était pour lui le condiment sans lequel l’atmosphère aurait affreusement manqué de saveur. » (idem, p. 415) ; etc. Dans le film « Mommy » (2014) de Xavier Dolan, Diane, la mère de Steve (le héros homosexuel), est présentée comme la Grande Méchante jalousée par son fils homo Steve. Dans son one-man-show Les Bijoux de famille (2015), la langue de Laurent Spielvogel, le héros homosexuel, fourche : au lieu de dire l’expression « exécution des Bar Mitsvah », il dit « exécution des Miss ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, dans le salon familial, pendant le dîner, Jonas, le héros homo et ses parents regardent à la télé les informations relatant en 1997 la mort de la Princesse Lady Di.

 

Dans la chanson « Les Enfants de l’aube » de Bruno Bisaro, la voix narrative s’imagine en train de courir comme une reine en fuite : « Est-ce moi qui tangue comme une ombre sur les talons d’une reine en cavale ? » Dans le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, Stephen, l’héroïne lesbienne, s’émeut pour le « destin » tragique de Marie-Antoinette, « la reine infortunée, comme si, pour quelque raison, la malheureuse femme en appelait personnellement à elle » (p. 314). Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, la figure de Vincent McDoom interprète à sa sauce le rôle de Marie Stuart, la reine exécutée, dans une pièce.

 

La Reine adorée par le héros homo est une princesse régnante déclassée, qui a le malheur de vivre à un temps de vaches maigres où elle va être déchue de son autorité et de la gloire qui lui serait due par son rang et son sang. « Tu es la fille d’une époque où les femmes étaient des ânes, pour ne pas dire des ânesses ; je t’ai fait naître Princesse d’une Reine de la Belle Époque ! » (Solitaire s’adressant à sa fille lesbienne Lou, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tu t’es créé un monde pour être la reine. Mais réveille-toi. Tu ne l’es pas ! T’es juste une lycéenne comme toutes les autres. Tu vas tomber de ton piédestal. Pour une fois, c’est moi qui te regarderai de haut. » (Juna, l’héroïne lesbienne s’adressant à son amante Kanojo, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « Ce sont des princesses sans Royaume. Mais le seul endroit où on peut les retrouver, c’est Eurodisney. » (Samuel Laroque parlant des homos, dans son one-man-show Elle est pas belle ma vie ?, 2012) ; « Marie-Antoinette, femme courageuse qui n’a jamais su s’intégrer. » (Patrick, le héros hétéro-bisexuel, présentateur télé s’entraînant pour bien articuler cette phrase, dans le film « 30° couleur » (2012) de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue) ; etc. Par exemple, dans la pièce Dernier coup de ciseaux (2011) de Marilyn Abrams et Bruce Jordan, Romain Canard, le coiffeur homosexuel, organise des soirées déguisées spéciale « dessins animés de notre enfance » chez lui, et pour la plus récente, il s’est déguisé en Princesse Sarah. Dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza, Danny, le héros homosexuel, est qualifié par Abbey, une de ses amies, de « Reine du mélo ». Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, raconte comment il est sorti avec un certain Fabrice, un « escroc qui l’a ruiné après lui avoir fait vivre une vie de « princesse » : « Il s’est tiré avec la caisse. Plus rien. Une princesse déchue. » Plus tard, le spectateur découvre que Jeanfi n’a pas renoncé à vivre comme une reine, en côtoyant le monde du show-biz, de la télé et en se cherchant un appartement digne de son rang : « Une Princesse, c’est propriétaire. Pas locataire. »

 

Cependant, le personnage homosexuel ne pardonne pas à la Reine sa fausse force, la moindre défaillance (qui vient contredire sa divinité)… et parfois, il se décide donc à la tuer ou à l’incendier… comme un dernier geste d’« amour » qui ne sera au fond que la preuve d’une idolâtrie. L’acte régicide viendrait restaurer la Reine dans une nouvelle royauté, cette fois maculée de sang (la pureté de l’or soumise à l’épreuve du feu !) : « J’ai pas du tout envie d’être la Reine d’une île grecque. » (Europe dans le film « Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré) ; « Pourquoi est-ce que je la tue ? Il doit y avoir une raison mais je ne me l’explique pas. » (le Roi Ferrante parlant d’Inès de Castro, dans la pièce La Reine morte (1942) d’Henry de Montherlant) ; « Cette salope de Margaret Thatcher ! » (Cliff, le vieux gay, dans le film « Pride » (2014) de Matthew Warchus) ; « Je te tue, Madame ! Tu sais ce que je vais faire avec ta porcelaine de Limoges ? Je vais te lacérer les fesses et je vais te crever les yeux, ma petite patronne ! » (Goliatha, la domestique s’adressant à « L. », dans la pièce Le Frigo (1983) de Copi) ; etc. Il cherche à la détruire pour prouver qu’elle est immortelle et que son acte de destruction est vain. Par exemple, dans le film « Anatomie de l’enfer » (2002) de Catherine Breillat, la femme devient « la reine des putes » pour Rocco Siffredi. Dans la pièce L’Alligator, le Thé (1966) de Copi, Copi incarne un crocodile et Jérôme Savary une princesse. Dans son vidéo-clip de la chanson « Beyond My Control », Mylène Farmer passe sur le grill. Lors du concert Météor Tour du groupe Indochine à Paris Bercy le 16 septembre 2010, on nous montre sur les écrans géants une Miss Italy sur un bûcher embrasé.

 

La Reine homosexuelle meurt éternellement sur scène (comme Dalida), simule le sempiternel départ. Beaucoup de personnages homosexuels s’attachent à elle comme à une chimère, comme si elle incarnait leur seul espoir de rendre leurs amours impossibles possibles. « Elle danse et sans aucune retenue, sourit mais pense à partir pour vivre mais comme une reine, ou être une sirène. » (cf. la chanson « Leïla » de Lara Fabian) ; « La tradition veut que je ne meure jamais ! » (la Reine de la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; etc.

 

Enfin, la Reine (ou le héros homosexuel) fictionnelle a des raisons de se méfier de la glorification spontanée et sincère qu’organise son fan bisexuel ou hétéro-gay friendly autour d’elle ou/et de son homosexualité. Le couronnement des héros homosexuels est parfois une stratégie de l’homophobie gay friendly pour ridiculiser le héros homosexuel tout en (se) donnant l’impression de le révéler à lui-même par l’homosexualité et de le célébrer comme une Reine (exactement comme les machinations collégiennes pour faire élire le pauvre type de la classe comme délégué : le caressant foutage de gueule) : « On va les élire Reines du Bal de la Rentrée ! Longue vie aux Reines ! Longue vie aux Reines ! Longue vie aux Reines ! » (Shane, le héros homosexuel outant Amy et Karma, les deux meilleures amies hétérosexuelles, en les consacrant « Reines du Lycée » à leur insu, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « C’est le rêve de ta vie de te faire bien empaler, enculé efféminé, petite Reine de la Beauté du podium de ton quartier ! » (Fifi, le héros travesti M to F s’adressant à Pédé, dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Toutes les Premières Dames de France réunies en un seul homme ! » (Arnold, le héros homo se moquant du statut inconfortable et caché de son meilleur ami gay Georges qui prétend être en couple avec le futur président de la République qui ne l’assume pas, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco) ; « Le p’tit Martin à sa maman est une Cendrillon ! » (Malik, le héros hétéro se moquant de Martin, le héros sur qui pèse une présomption d’homosexualité, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc. Prodigieuse confusion paradoxale de ce couronnement-humiliation dans la tête de ceux qui chaussent le diadème. Au fond, les personnages homosexuels devinent que c’est l’étiquette dorée et royale de « l’homosexuel » qui est homophobe, car elle réduit leur personne à une tendance sexuelle ou à une pratique amoureuse ambiguë. Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Bernard, pour mépriser son pote gay efféminé, l’affuble du féminin dégradant et excessivement valorisant de « Queen ! ». Pas de meilleure illustration de l’insulte royale… ou plutôt de la royale insulte.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) La Reine rose et gentille :

B.D. "Femme assise" de Copi

B.D. Femme assise de Copi


 

La Reine est un rôle particulièrement apprécié dans la communauté homosexuelle. « Elle est sublime, l’Archiduchesse Sophie ! » (Guillaume, le héros bisexuel se mettant dans la peau de Sissi Impératrice, dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) Je vous renvoie au documentaire « La Reine » (1968) de Frank Simon. Par exemple, Christopher Marlowe (1564-1593) fut au service secret de la Reine d’Angleterre. Dans l’émission Infra-Rouge du 10 mars 2015 intitulée « Couple(s) : La vie conjugale » diffusée sur France 2, il y a un tableau de la Reine Élisabeth II qui trône dans l’appartement du couple « marié » Pierre/Bertrand.

 

En argot, le mot « Queen » signifie homosexuel (le terme « drag-queen » est l’une de ses déclinaisons). Ce n’est pas par hasard si le groupe de Freddie Mercury a choisi de s’appeler Queen, et si l’une des plus célèbres boîtes homos parisiennes se nomme le Queen. Il y a régulièrement des concours de Reines et de Rois de Beauté, de « Miss travesties » ou de « Misters gays », organisés dans le monde interlope. Et les cérémonies actuelles de « mariages homos » sont des parodies sérieuses et sincères de ces sacres de Reines. Par ailleurs, la reine est la figurine de cartes à jouer préférée de beaucoup de personnes homosexuelles.

 

De nombreuses chanteuses et actrices encouragent les personnes homosexuelles à se prendre pour des reines : « Don’t be a drag, just be a queen. Don’t be a drag, just be a queen. » (cf. la chanson « Born This Way » de Lady Gaga) ; « Je suis la reine. Dans la nuit on me voit. Amours modernes, on ne se cache pas. » (cf. la chanson « La Reine » de Lorie)

 

Son Altesse Sir Elton John

Son Altesse Sir Elton John


 

Et ça « marche », visiblement. Par exemple, lors des représentations de la pièce Antoine et Cléopâtre (1606) de William Shakespeare, un comédien jouait Cléopâtre. Dans le film « Orlando » (1992) de Sally Potter, le comédien homosexuel Quentin Crisp s’est mis dans la peau de la Reine Elisabeth I. Le chanteur homosexuel Elton John se travestit en Marie-Antoinette. Il donna en octobre 1972 un concert de gala au Royal Variety Show de Londres pour la Reine d’Angleterre. Il chantera à la messe d’enterrement de Lady Di en 1998. Le comédien Samuel Laroque s’est véritablement déguisé en Marie-Antoinette dans le métro parisien. Denis d’Archangelo adore s’habiller en reine du music-hall. Lors des carnavals interlopes annuels de l’Élysée Montmartre à Paris, l’arrivée de la Reine travestie M to F fait l’objet de tout un cérémonial. Lors de la cérémonie de l’élection Miss France 2016, sur la chaîne TF1, le 19 décembre 2015, Jean-Paul Gaultier, le couturier homosexuel, président de cérémonie, débarque sur scène avec un diadème sur la tête avec l’inscription « Miss », en avouant devant les caméras qu’il réalise son « rêve de toujours ».

 

Quentin Crisp dans le film "Orlando" de Sallie Potter

Quentin Crisp dans le film « Orlando » de Sallie Potter


 

« Ces superbes costumes plaisaient aux homos qui avaient envie de se déguiser en Agnetha ou en Anni-Frid, les deux chanteuses d’ABBA. » (Patrick Lindner parlant de la chanson « Dancing Queen », dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Vous êtes une reine ! » (Robert, le coiffeur homosexuel attitré de l’animatrice Ménie Grégoire, dans le film documentaire « Ménie Grégoire : Une Voix sur les ondes » (2007) de Marie-Christine Gambart et Sophie Garnier, diffusé sur la chaîne France 5) ; etc. Rien d’étonnant que le dessin animé d’animation « Frozen » (« La Reine des Neiges », 2013) des Studios Disney, aient été suspectés de promouvoir l’homosexualité.

 

Film "La Reine des Neiges" de Walt Disney

Film « La Reine des Neiges » de Walt Disney


 

Souvent, ce sont les « filles à pédés » réelles (actrices ou chanteuses), ou bien les chanteurs transgenres et transsexuels, qui ont joué des rôles de reines dans leurs films ou leurs clips : Elisabeth Taylor, Isabelle Adjani, Annie Lennox, Madonna, Christina Aguilera, Britney Spears, Conchita Wurst, Dalida (ancienne Miss Égypte), etc. Je vous renvoie au vidéo-clip de la chanson « Remember The Time » de Michael Jackson, au vidéo-clip de la chanson « Walking On Broken Glass » d’Annie Lennox, au vidéo-clip de la chanson « What A Girl Wants » de Christina Aguilera, au vidéo-clip de la chanson « Vogue » de Madonna au MTV Music Awards 1990, à la tournée Aphrodite (2010) de Kylie Minogue, à la chanson « Diva » (1998) de l’homme transsexuel M to F Dana International (avec l’identification à la Reine Cléopâtre), à la chanson « La Reine » de Lorie, etc.

 

 

 

 

Et maintenant, même les reines attitrées jouent les gays friendly ou carrément les femmes lesbiennes (cf. la Reine suédoise Christine).

 

 

Socialement, le fait de s’identifier à la reine ou à la princesse est associé à un symptôme d’homosexualité.

 

 
 

b) La Reine sombre et despotique :

Ce que les personnes homosexuelles vénèrent chez le personnage de la Reine, c’est sa personnalité de femme à poigne, c’est l’impression que son inflexibilité (car il s’agit souvent d’une femme hiératique, un peu facho, incorrecte, sophistiquée, cinglée, courtisane, exerçant un pouvoir qui normalement ne serait réservé qu’aux hommes) devient éternité. « Ta mémé, c’est notre reine. » (Christian Giudicelli, Parloir (2002), p. 21) De plus, la force de cette reine fantasmée, puisqu’elle n’est pas fondée sur le Réel ni sur la différence des sexes, a quelque chose d’indécidable, de dangereux, d’inquiétant. Elle sied donc aux individus qui veulent se rendre intéressants et intrigants à « peu » de frais. D’ailleurs, rien d’étonnant que ces derniers se qualifient de « queer », terme anglosaxon comme par hasard très proche de « queen », et qui signifie « bizarre ».

 

Comédie musicale Les Divas de l'obscur de Stéphane Druet

Comédie musicale Les Divas de l’obscur de Stéphane Druet


 

La Reine applaudit par la communauté homosexuelle est tellement forte qu’elle en est obligée de devenir méchante et violente (comme Cruella d’Enfer) pour être crédible. « J’ai de ma grand-mère une photo où elle est debout, la main sur la poignée de portière d’une limousine : habillée ostensiblement en femme, avec manteau croisé à col de fourrure, chapeau incliné sur l’œil, gants, collier de perles ; et, sous la voilette, quel air autoritaire, méchant ! […] Son cœur était-il capable d’amour ? […] Pour la fête des Rois chez le couturier Paul Poiret, en 1923, il fallait se costumer. Maurice Sachs, dans son livre ‘Au temps du Bœuf sur le toit’, sorte de journal des Années folles, a fait la liste des invités, parmi lesquels Mme Fernandez, en Marie Stuart. Ce choix peut paraître étrange ; pour une battante comme ma grand-mère, prendre les traits d’une reine vaincue et décapitée ! » (Dominique Fernandez parlant de sa grand-mère paternelle, dans la biographie Ramon (2008), pp. 87-89 puis p. 93) ; Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, la Reine Christine, pseudo « lesbienne », est décrite comme une femme despotique : « Ton destin de souveraine est la volonté de Dieu. » (la voix-off s’adressant à Christine) ; « Elle a été élevée pour régner. » (la biographe Marie-Louise Rodén parlant de Christine, idem) ; etc. Par exemple, le metteur en scène Stéphane Druet m’a avoué que pour sa comédie musicale Les Divas de l’obscur (2011), il s’était inspiré des Reines méchantes de Walt Disney. L’artiste performer lesbienne Louise de Ville a calqué son pseudonyme sur Cruella d’Enfer.
 

Christine de Suède incarne ce désir de toute-puissance royale : « Il n’y a que moi qui suis roi de Suède. » (Christine s’adressant à Pierre Chanut) ; etc. Le Comte Magnus la présente comme « une reine dangereuse » et cela la fait rire : « Ta reine nage comme un poisson, dévore comme une lionne et navigue comme un vicking. » Plus tard, quand Christine fait n’importe quoi de sa royauté, c’est fini de rire : « Les femmes ne devraient jamais régner. »

 

 

Je n’échappe pas à cette tendance. Quand j’avais 5 ans, je dessinais déjà sans arrêt des princesses et des reines couronnées : soit elles étaient vierges et innocentes (blondes, avec de très longs cheveux, des yeux bleus cristallins, un point à la place de la bouche), soit au contraire elles étaient cruelles et sanguinaires (avec des couronnes pointues, des yeux fardés de noir, des talons aiguilles, de longs ongles à la Jeanne Mas). Par exemple, dans le dessin animé Les Trois Mousquetaires, mon personnage préféré était la méchante et caressante Milady. J’avais, à l’âge de 8 ans, réalisé une bande dessinée qui s’intitulait Le Concours de Beauté, et qui racontait l’histoire du couronnement d’une grenouille nommée Yoplaie (comme les yaourts), maquillée comme une voiture volée et au caractère pimenté, menacée par une méchante sorcière que j’aimais tout autant (voire plus !).

 

La vénération de la Reine médiatique est certainement un résidu d’un complexe d’Œdipe mal géré ou d’un désir incestuel fusionnel entre l’individu homosexuel et sa propre mère biologique. Par exemple, la maman du dramaturge homosexuel Copi était consul d’Argentine en Irlande… et ensuite, ce dernier n’a fait qu’honorer mais aussi détruire par la parodie des reines, des princesses, pendant toute sa vie.

 
 

c) La femme monarque blessée, la reine du Carnaval intronisée puis incendiée :

Les personnes homosexuelles pratiquantes ont un rapport étrange à la femme politique médiatisée, à la Reine réelle. Un rapport d’attraction-répulsion qu’on peut facilement identifier comme de l’idolâtrie, ou si vous préférez, de la jalousie. Par exemple, le dramaturge argentin Copi (encore lui !) a été fasciné par la figure d’Evita, la femme politique morte à 32 ans et qui a connu un succès fulgurant : en 10 années seulement, elle est passée du statut de petite paysanne brune à la star hollywoodienne blonde. Il l’a ridiculisée et magnifiée iconographiquement (notamment à travers une pièce Eva Perón, qu’il a écrite en 1969) en la transformant en pute tyrannique fatale et sépulcrale, en « mélange de Mae West et de Staline ». Le poète Néstor Perlongher a fait de même avec la femme de Perón ou encore Lady Diana, en les massacrant poétiquement comme s’il s’agissait de zombies. Dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, la comédienne transgenre F to M, sur scène, se met dans la peau d’une Reine Victoria transformée en nunuche homophobe : « Les femmes ne font pas ces choses-là. »

 

J’ai déjà vu dans les appartement de certains amis homos des affiches géantes de films à la gloire de la méchanceté féminine royale, tels que « The Devils Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel, « Frozen » (« La Reine des Neiges », 2013) de Walt Disney, « Enchanted » (« Il était une fois », 2007) de Kevin Lima, etc.

 

Lors de sa conférence « Différences et Médisances » autour de la sortie de son roman L’Hystéricon organisée à la Mairie du IIIème arrondissement le 18 novembre 2010, le romancier Christophe Bigot défend son personnage de peste royale : « J’ai pas mal de tendresse pour Amande, le personnage de la garce dans l’Hystéricon. » L’une des phrases du roman marque cette étrange soutien homosexuel pour la Reine méchante : « Que ferait-on sans les Aubépine qui parsèment le plat pays de nos existences ? » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 439)

 

La Reine est davantage un costume de travelo que la femme régnante réelle. Elle est employée dans la communauté homosexuelle comme un masque que l’on s’applique à soi-même pour singer sa prétention à changer de sexe et à se prendre pour Dieu. Elle célèbre et détruit à la fois le ridicule de l’orgueil humain. « Le Camp, c’est une glorification du ‘personnage’. […] Ce que voit le Camp et ce qu’il apprécie c’est la force de la personnalité. » (cf. l’article « Le Style Camp » de Susan Sontag, L’Œuvre parle (1968), p. 439) ; « Pourquoi donc le jeune Adrien Baillon, le plus masculin des homos de Montmartre, viril au lit et casse-cou dans les rues, sodomite actif et criminel aguerri, railleur des tantes et frère de pogne de Mignon, répond-il de toujours au sobriquet de reine de ‘Notre-Dame-des-Fleurs’ ? » (François Cusset, Queer Critics (2002), p. 183) ; etc. C’est pourquoi, notamment au Gay Pride, la Reine apparaît souvent comme un objet ironique qui provoque féérie et risée collective. Elle est le vecteur de l’ironie kitsch & camp, l’incarnation « vivante » du « BON mauvais goût », de la sophistication féminine forcée, de la dépression sublimée de la Drama Queen (celle qui est violée par les paparazzis et ar son Peuple), de la frivolité soi-disant consciente de sa prétention et de sa naïveté : cf. l’article « Todo El Poder A Lady Di » (1982) de Néstor Perlongher. Elle est détruite autant qu’acclamée. Je vous renvoie à la ligne de vêtements de la styliste new-yorkaise Parisa Parnian (avec des logos tels que « Queer’n’Dirty ») ; ou encore à l’intérêt mi-distancé mi-sérieux du public homosexuel pour les revues de la presse people (Paris-Match, Gala, etc.) ; mais aussi à l’admiration homosexuelle mitigée pour la Première Dame de France bafouée (et illégitime), Valérie Trierweiler.

 

La Reine chérie par le public LGBT meurt éternellement sur scène (comme Dalida ou Mylène Farmer !), simule le sempiternel départ. Beaucoup de personnes homosexuelles s’attachent à elle comme à une chimère, comme si elle incarnait leur seul espoir de rendre leurs amours impossibles possibles. « Je crois que si les hymnes gays sont souvent interprétés par des femmes, c’est parce qu’on peut tout à fait s’identifier à elles, à leur position d’opprimées. Et opprimées, elles le sont toujours, malheureusement. C’est pour ça qu’on est enclin à s’identifier à une femme qui se défend, qui garde la tête haute. » (Barbie Breakout, dragqueen M to F, interviewé dans le documentaire « Somewhere Over The Rainbow » (2014) de Birgit Herdlitschke, diffusé en juillet 2014 sur la chaîne Arte) ; « Les chanteuses appréciées des gays, c’est des filles qui sont comme des garçons. Elles n’ont pas froid aux yeux. Elles sont fortes. » (Michel Gaubert, idem) ; etc.

 

 

Je pense que les personnes en panne d’identité cherchent appui sur une femme extraordinaire et forte comme la Reine cinématographique pour compenser l’effondrement narcissique de leur personnalité. Dans leur esprit, la Reine n’est pas une réalité sexuée : elle est plutôt l’androgyne, le fantasme machiste de toute-puissance pour masquer une peur existentielle ou un drame comme le viol et le désamour (= peines de cœur homosexuelles). « Un jour, à 12 ans, je feuilletais la revue Blanco Y Negro et regardais des photos de tableaux anciens, lorsque je fus surpris par l’image de la Reine Isabelle I. J’ai eu l’impression que cette reine était en réalité un homme. […] C’est ainsi que m’est venue l’idée qu’elle pouvait devenir le personnage principal d’une pièce de théâtre. » (Francisco Ors dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 280) ; « Je me fais l’effet d’être ‘die alte Marschallin’. » (Klaus Mann en référence à la « Vieille Maréchale » de l’opéra Le Chevalier de la Rose de Richard Strauss, dans son Journal : les Années d’exil, 1937-1949, p. 326) ; « Quelque part, t’es une reine et t’es répudiée. » (Manuela, l’homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Nous n’irons plus au bois » (2007) de Josée Dayan) ; etc. Elles vénèrent en elle leur propre pulsion de mort : cf. la biographie romancée de l’exécution de Marie Stuart (1938) par Stefan Sweig, la chanson « Candle In The Wind » d’Elton John pour Lady Diana, etc.

 

Il faut bien comprendre que le lien non-causal entre Reine et homosexualité renvoie au ressenti ou à la réalité de la prostitution. Comme l’indique l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, étymologiquement, l’expression « fish queen », qui aux États-Unis pouvait être synonyme d’« homosexuel », provient en réalité d’une déformation du mot, « quean » désignant une prostituée (p. 271).

 

Les individus homosexuels ont des raisons de se méfier de la glorification spontanée et sincère qu’organise son fan bisexuel ou hétéro-gay friendly autour d’eux ou/et de leur homosexualité. Le couronnement actuel des personnes homosexuelles (en tant que reines dans les mass médias, en politique, dans les émissions de télé-réalité, dans certains groupes scolaires) est parfois une stratégie de l’homophobie gay friendly pour les ridiculiser tout en (se) donnant l’impression de les révéler à eux-mêmes par l’homosexualité et de les célébrer telles des souveraines gâtées (exactement comme les machinations collégiennes pour faire élire le pauvre type de la classe comme délégué : le caressant foutage de gueule). Prodigieuse confusion paradoxale de ce couronnement-humiliation dans la tête de ceux qui chaussent le diadème et qui se font outer. Au fond, c’est l’étiquette dorée et royale de « l’homosexuel » qui est homophobe, car elle réduit la personne à sa tendance sexuelle ou à sa pratique génitale et affective.

 

Un lycéen homo élu "Reine de beauté" par ses camarades

Un lycéen homo élu « Reine de beauté » par ses camarades en Californie


 

Pour finir, je crois que la communauté homosexuelle, en pointant du doigt ou en singeant la Reine bafouée éternelle, nous rappelle beaucoup plus constructivement l’existence d’une blessure plus que jamais ouverte dans le cœur de notre Humanité. D’abord et avant tout la blessure d’être encore séparés de notre Mère du Ciel et Reine de tous les Hommes qu’est la Vierge Marie. Mais aussi, d’un point de vue bassement terrestre, la blessure d’être de plus en plus déconnectés de notre Reine terrestre qu’est la différence des sexes. Je partirai de l’exemple tout bête de la Reine française Marie-Antoinette, l’épouse de Louis XVI, morte décapitée en 1793, mort qui a signé l’arrêt de la monarchie en France. Dans la mémoire collective française et mondiale, la Reine Marie-Antoinette, bien au-delà de la légende noire du « despotisme d’une monarchie dépravée » tressée par l’historiographie contemporaine héritée des Lumières, incarne ce tournant dramatique entre monde régi par Dieu et respectueux de la différence des sexes, et monde régi par la technique, le matérialisme et le libéralisme bisexuel asexualisant ; entre royauté de Droit divin et république laïcarde de droits individualistes. En somme, la Reine française Marie-Antoinette est la dernière représentante de la reconnaissance sociale de la différence des sexes, l’ultime vestige d’un monde encore humain et à l’écoute de Dieu. Les personnes homosexuelles essaient de la faire revivre dans la parodie. Mais une fois qu’elles essaieront de la faire revivre dans la foi, et pour le Réel qu’elle représentait, ça sera nettement moins glauque.

 

Madonna en Marie-Antoinette

Madonna en Marie-Antoinette


 
 

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Code n°160 – Se prendre pour le diable (sous-codes : Je suis maudit / Manichéisme nihiliste / Le Bien par le mal)

Icône 159

Se prendre pour le diable

 

 

NOTICE EXPLICATIVE

 

 

Film "All Flowers In Time" de Jonathan Caouette

Film « All Flowers In Time » de Jonathan Caouette

 

Voilà le revers déplaisant (et surprenant !) d’une « fierté homosexuelle » sans fond : un profond mépris de soi, qui peut aller jusqu’à l’auto-diabolisation. En effet, on ne peut pas être fier de ce qui n’existe pas (l’identité homosexuelle) ou de ce qui existe de manière limitée (l’amour homo), sans qu’il y ait derrière des conséquences caricaturales. Si notre fierté est mal placée, si on se force à être fier de ce qui n’existe pas vraiment, on finit par se faire inconsciemment violence ou injure, d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi il est assez fréquent de voir dans les fictions homosexuelles les personnages homos se définir comme des diables ou des fils de satan. Et c’est parfois ce que prétendent les personnes homosexuelles elles-mêmes, y compris celles qui se disent athées (on peut être athées ET superstitieux). Mais ne nous y trompons pas : cette haine de soi est consubstantielle au désir homosexuel et à l’orgueil gay. C’est parce qu’on s’adore qu’on se déteste. Dans les deux cas, on ne s’aime pas.

 

Comment les personnes homosexuelles en sont arrivées à tel degré d’auto-détestation ? Moi, je ne vois qu’une seule explication : le viol, ou le fantasme de viol (réactualisés ensuite dans la pratique homosexuelle dite « amoureuse »). Seuls ces derniers peuvent faire qu’un individu se haïsse autant.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Blasphème », « Appel déguisé », « Milieu homosexuel infernal », « Manège », « Désir désordonné », « Mort = Épouse », « Amant diabolique », « Focalisation sur le péché », « Amant triste », « Homosexualité noire et glorieuse », « Vampirisme », « Liaisons dangereuses », « Carmen », « Actrice-traîtresse », « Destruction des femmes », « Se prendre pour Dieu », à la partie « Cruella » du code « Reine », à la partie « Beauté du diable » du code « Haine de la beauté », à la partie « Monstres » du code « Morts-vivants », à la partie « Le Diable au corps » du code « Ennemi de la Nature », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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1 – PETIT « CONDENSÉ »

Film "Hellbent" de Paul Etheredge-Ouzts

Film « Hellbent » de Paul Etheredge-Ouzts


 

Pour allégoriser un désir de fusion amoureuse avec soi-même qui existait chez l’Homme bien avant qu’il ne le conceptualise, Platon a imaginé dans son Banquet une race de créatures séparées par les dieux en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle : les androgynes. L’androgyne est l’être imaginaire idéal, affranchi des contraintes du temps et de l’espace, vivant du fantasme de retrouver la plénitude de la totalité originelle en lui-même, aspirant au retour au jardin d’Éden, maudissant la sexualité qui l’a coupé littéralement en deux. Rien d’étonnant que dans l’iconographie traditionnelle, il soit donc associé au diable – dans la Bible, le diable se prénomme parfois « le Double » ou « le Séparé » –, et représenté par un être asexué, mi-démoniaque mi-angélique.

 

Ange préféré de Dieu, il a voulu prendre la place de ce dernier, non par cruauté comme le voudrait la croyance populaire, mais par bonté, pour communier avec lui dans la substitution fusionnelle. Les figurations traditionnelles du diable nous ont induits en erreur en nous le présentant uniquement comme un méchant de dessins animés, un monstre mal-intentionné et repoussant. Contrairement à l’idée reçue, l’androgyne (ou le diable) n’est pas l’opposé du Christ. Il est plutôt ce roi de pique déguisé en roi de cœur, comme dans le film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman. À la différence de Dieu qui n’est qu’homme, c’est-à-dire sexuellement limité (parce qu’Il a accepté de s’abaisser à la condition humaine en Jésus), l’androgyne a voulu être femme ET homme, voire supra-homme-femme. À la différence de Dieu qui n’est que Père, Fils et Esprit, il n’a voulu devoir son origine qu’à lui-même. À la différence de Dieu qui n’est que serviteur et maître, il a voulu être esclave et tyran. À la différence de Dieu qui n’est que Bien, ce personnage-miroir à double faces (souvent décrit dans la fantasmagorie homosexuelle comme un reflet transparent, un homme invisible, une obscure clarté, un diamantaire) est mal ET Bien, mort ET vie, ombre ET lumière. Mais mis à part cela, l’androgyne a tout, en intentions, de Dieu.

 
se prendre pour le diable
 

L’androgyne n’est pas, comme le Christ, diabolique d’être son extrême opposé : il est diabolique d’être en apparence son jumeau : je dis bien « en apparence », car il n’est que la photocopie, à défaut d’avoir pu être l’original, créature et non Créateur. Il est un être mythique qui essaie d’avoir l’air de se réaliser, d’exister au moins aux yeux des autres, même s’il est déjà mort, un peu comme l’éclat d’étoile signant l’arrêt de mort d’un astre alors même que nous le voyons concrètement. Il se sert des Hommes réels qui désirent l’imiter pour donner l’impression qu’il est réel. Il existe davantage en désir et en croyance qu’en réalité. Son seul pouvoir réside en l’Homme qui, en s’y identifiant, peut créer des réalités fantasmées et s’autodétruire, car ce que l’androgyne n’a jamais réussi à faire, contrairement à Dieu, c’est « l’incarnation longue durée », paisible, joyeuse, et porteuse de vie. Une fois confronté à la Réalité, il cesse d’être, comme le souligne Jean Libis : « Il est à l’image du Phénix ou du feu mythique, l’ultra vivant. Mais ceci n’est vrai que dans la logique du mythe. » (Jean Libis, Le Mythe de l’androgyne, 1980, p. 262)

 

La croyance en l’androgyne ne date pas d’hier, ni de l’époque platonicienne. Certains intellectuels trouvent encore de nos jours les théories réactionnaires d’Aristophane littéralement « révolutionnaires » (Marie-Jo Bonnet, Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?, 2004, p. 31), alors même que Platon avait justement créé ce personnage comme un exemple à ne pas suivre si les Hommes veulent accéder au véritable amour. Beaucoup de personnes homosexuelles et hétérosexuelles d’aujourd’hui font partie des gens qui perpétuent en désir et parfois en acte le culte à l’androgyne, même si elles ne l’identifient pas clairement en tant qu’androgyne. Elles en parlent quand même comme si elles le connaissaient personnellement et que, par l’intime expérience schizophrénique et leur difficulté à le décrire, elles le vivaient à nouveau en elles. « Il n’est ni homme, ni femme. Il se produit là quelque chose qui a à voir avec la reconnaissance. C’était cela qu’on recherchait, que l’on espérait sans le savoir. Quelque chose d’éternel descend ici, qui existait déjà dans une autre dimension, et qui devient concret, labile, incroyable, mais effectif. » (Paula Siganevich, « Géneros De Vida Y Literatura », 2000, p. 360) Quelques voix narratives laissent entendre qu’à force de chercher à fusionner avec l’androgyne, elles ont fini par se prendre pour des êtres ayant vendu leur âme à l’antéchrist, et devenant, par contamination, le diable en personne.

 

Mais comme intellectuellement, elles ne croient pas en son existence, car elles ont décidé de nier leur responsabilité dans les actes mauvais qu’elles ont posés, elles vont intégrer dans le secret de leur cœur qu’elles sont diaboliques, qu’elles sont les filles de satan, sans le dire à personne (… ni même à elles-mêmes !). C’est la grande ruse du diable que de faire oublier son existence à celui qui le suit ! On a vite fait d’oublier qu’il se déteste lui-même au point de ne plus vouloir entendre parler explicitement de sa présence.

 

Aussi bizarre que cela puisse paraître, ce rejet brutal de l’existence du vrai et du faux, et donc le refus du choix entre l’un et l’autre, s’accompagne souvent de l’élection du mal, car seul le mal promeut l’indécision. Mal agir, ce n’est pas uniquement décider de suivre délibérément le mal, contrairement à l’idée communément admise ; c’est aussi « faire en laissant faire », promouvoir le non-choix entre le mal et le Bien parce que nous voulons suivre les deux, c’est l’immobilisme mortifère suscité par la saisissante découverte de notre libre arbitre. Le mal nous suggère de faire comme l’âne adolescent qui, en voyant qu’il a la possibilité de boire à la fontaine située à sa droite ou bien de manger les fruits du pommier à sa gauche, décide de crever de faim et de soif sur place parce que la perspective du choix le paralyse.

 

Notre société matérialiste actuelle, qui veut nous éviter de faire des choix en nous assénant qu’ils sont tous possibles, s’affaire précisément à gommer toute frontière entre le Bien et le mal. Et l’Homme moderne obéit souvent à la lettre au commandement du rejet du jugement de valeur et de la morale en croyant penser par lui-même en ne prononçant pas les mots interdits « Vrai », « faux », « Bien », « mal », « Dieu », « diable », « pardon », « culpabilité », « mort », « péché », etc. En général, il n’aime pas apprendre que le Bien et le mal existent, car cette démarche lui montre qu’il peut être libre s’il pose un choix entre les deux et qu’il privilégie la Vie. Or, comme il a de plus en plus à tendance à s’éviter des choix entiers qui le rendraient responsable de ses actes, il réduit le Bien comme le mal à des abstractions effrayantes pouvant toutes deux s’incarner en personnes humaines clairement identifiables. En refusant de reconnaître l’existence du Bien et du mal, il se condamne sans s’en rendre compte à une lecture manichéenne du monde exprimée sous la forme du déni : il croit vivre « par-delà le Bien et le mal ».

 

DIABLE Kookaï

 

Quand je parle de manichéisme ici, je ne me réfère pas uniquement au sens social actuel du terme, qui me paraît spectaculairement réduit : le manichéisme n’est pas que la création paranoïaque d’un axe séparant clairement un Bien et un mal jugés humainement personnifiés ; il se situe aussi dans la négation de cet axe ou de l’existence du Bien comme du mal. Le manichéisme historique est un mouvement religieux syncrétique dans lequel le Bien et le mal sont posés comme des forces égales (= des moitiés androgyniques identiques) et radicalement opposées que l’on pourrait posséder comme des objets ou incarner soi-même en les niant. L’individu manichéen croit au Bien mais aussi au mal personnifiés à vie en l’Homme. Or le mal n’a jamais pu s’incarner éternellement en l’Homme comme l’a fait le Bien. En ce sens, cela relève de l’anachronisme et du non-sens d’affirmer par exemple que l’Église catholique est fille ou mère du manichéisme. D’une part, d’un point de vue historique, le manichéisme est apparu postérieurement et en opposition au christianisme, au IIIe siècle après J.-C. : l’Église catholique a de tout temps dénoncé le manichéisme comme une secte. Et d’autre part, même si dans son discours le christianisme parle de « Bien », de « mal », de « péché » et de « tentation », et qu’elle considère que Dieu et le diable existent, elle n’envisage absolument pas le Bien comme une possession, ne croit pas en l’incarnation durable du mal, et avance que la force du Bien est supérieure à celle du mal. Tout le contraire, donc, de la pensée manichéenne !

 

Certains penseurs de renom se confondent encore dans les termes quand ils projettent sur les religions leurs propres fantasmes manichéens. Ils prennent tout discours sur le Bien et le mal pour un discours manichéen qui s’accaparerait ces deux forces, alors que la reconnaissance de l’existence du Bien et du mal – qui sont des réalités visibles et concrètement à l’œuvre dans notre monde – pour tendre vers le Bien, n’a jamais impliqué la promulgation doctrinale d’une « frontière nettement discernable » (Milan Kundera, L’Art du roman, 1986, p. 17) entre Bien et mal, ni la prétention à la possession de la Vérité unique universelle. Comme l’énonce à juste titre Michel Foucault, ce n’est pas parler du mal qui fait le mal : c’est précisément de ne pas en parler bien qui implique que nous soyons tentés de séparer hâtivement l’Humanité en moutons blancs d’un côté et en moutons noirs de l’autre. « Tous les gens qui disent qu’il ne faut pas penser en termes de bien et de mal pensent eux-mêmes profondément en termes de bien et de mal. […] Il n’est pas possible de ne pas penser en termes de bien et de mal. Mais il faut à chaque instant dire : mais si c’était le contraire ou si ce n’était pas ça, ou si la ligne passait ailleurs… » (cf. « Radioscopie de Michel Foucault », entretien avec Jacques Chancel en 1975) Les membres d’une société sont bien obligés, pour co-habiter ensemble, de se faire une idée de ce qui est bon ou mauvais pour l’Homme et son épanouissement, et de reconnaître que le Bien et le mal existent, pour risquer une parole de vie et tracer (au crayon à papier !) des lignes de conduite donnant des repères aux individus plus fragiles, en tenant toujours compte des réalités parfois complexes et toujours singulières de chacun, et en déclinant par le compromis casuistique le binôme « Bien/mal » en trio « moins pire/bien/meilleur ».

 

Le manichéisme historique a encore laissé des traces dans nos civilisations actuelles (la traditionnelle confusion entre péché et défaillance, la croyance en l’existence réelle des gentils et des méchants cinématographiques, l’idée répandue selon laquelle Hitler était le diable en personne, ou que tout chercheur et défenseur de la Vérité unique et universelle est un monstre d’orgueil, le démontrent bien !), traces d’autant plus tenaces qu’il est appliqué sans être nommé explicitement en tant que tel puisqu’il se déclare intentionnellement contre lui-même. Les nouveaux manichéens passent en effet leurs temps à se présenter comme des défenseurs de l’anti-manichéisme ! Ils se pensent à l’abri du manichéisme, mais poussent des hauts cris (manichéistes !) à chaque fois qu’ils entendent parler explicitement de « Bien » ou de « mal », ou prêtent attention à ceux qu’ils ont définis comme les représentants humains de ceux-ci. Ils considèrent sans se l’avouer que le Bien et le mal sont des choses qu’ils peuvent devenir par contagion. Le signe montrant qu’ils se situent dans la moralisation manichéenne et non la morale, c’est la dénégation de leurs propres actes qu’ils ne souhaitent pas juger en leur âme et conscience, qu’ils voudraient banals, ni bons ni mauvais. Le « Il ne faut pas faire parce que c’est mal » devient fréquemment dans leurs discours « Je ne fais pas ». Ils ont tendance à confondre les faits avec les opinions, le constat avec le moralisme. Ils se persuadent que tout est permis, et que rien ne les guide … surtout pas le mal, évidemment. « Si j’ai pu faire du mal [dans ma vie], c’est tout à fait inconsciemment. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 9) La vision du monde connue actuellement comme manichéenne et qui stipule que « le Bien se trouve ici et le mal là » est souvent remplacée chez eux par une fable équivalente : « Rien n’est tout blanc, rien n’est tout noir parce que tout est un peu des deux à la fois et que rien n’a à être prioritairement ni bon ni mauvais : c’est à moi de décider où se trouve le bien et le mal pour mon existence. » (Adam et Ève devant l’Arbre de la connaissance du Bien et du mal tiennent exactement le même discours : c’est cela, le péché « originel », à proprement parler) Mais en contrepartie, les manichéens des temps modernes, qui en général ne vivent que pour le plaisir et l’argent (ou le refus affiché de l’argent), se construisent leur propre morale maison sous la forme du binarisme moralisant, laissant de côté la morale humaniste, celle qui ne résout pas les problèmes de la vie par des « oui » ou des « non » catégoriques, des « pour » ou des « contre » schématiques, mais par des « comment », une observation au cas par cas, la nuance, le compromis, le doute, et une espérance tournée vers le meilleur possible. L’antagonisme « équilibrant » – en réalité une philosophie de vie pseudo humaniste s’appuyant sur une pensée bouddhiste mal comprise (par exemple l’équilibre dit « nécessaire » et « indispensable » entre le « yin » et le « yang » ; ou bien encore la croyance non moins absurde que le mal est comme la face pile du Bien, et même la raison d’être du Bien) est le propre de la pensée manichéenne contemporaine.

 

Les nouveaux manichéens ne saisissent pas qu’en se plaçant constamment en « justes » milieux dans une confortable neutralité jugée seule vraie, ils font déjà preuve d’un dogmatisme qui ne s’assume pas lui-même : ils se créent mentalement un bon et un mauvais à fuir à tout prix comme des pestes parce qu’ils désirent inconsciemment les déifier derrière un neutralisme bien-pensant. Ils conçoivent non plus le Bien et le mal en termes de forces extérieures à eux et incarnées par les autres – cette image du manichéen classique, au contraire, les répugne plus qu’autre chose –, mais cette fois sous forme de forces intérieures ayant le pouvoir de s’incarner dans l’individu même, et donc en eux (et c’est cela, vivre le véritable enfer : croire qu’on est le diable en personne !). Leur manichéisme place l’Homme en unique énonciateur silencieux du Bien et du mal pour lui et pour les autres, et traduit chez l’être humain qui en adopte la doctrine muette un désir et un sentiment d’incarner cette créature qui condense Dieu et le diable et qui passe de l’un à l’autre sans se définir : l’androgyne. La croyance manichéenne d’être le diable incarné est bien plus répandue dans la communauté homosexuelle que ne l’imagine l’opinion publique. Beaucoup de personnes homosexuelles traitent souvent du thème du diable qui s’incorpore en elles comme un esprit. La métaphore de la chute en Enfer est un lieu commun de l’art homosexuel. Il n’est pas rare de lire sur les chat Internet gay des pseudonymes puisant abondamment dans le lexique démonologique. Dans leurs spectacles de travestis ou pendant Halloween, beaucoup de personnes homosexuelles se déguisent en diablotins. Elles s’identifient à des personnages qui se prennent pour Lucifer. Dans le film « Suddenly Last Summer » (« Soudain l’été dernier », 1960) de Joseph Mankiewicz, par exemple, Catherine parle de la tendance de son cousin homosexuel Sébastien à se prendre pour le diable. « Je voulais l’empêcher de parfaire une image qu’il se faisait de lui-même et qui était une sorte de sacrifice à une redoutable sorte de… dieu. Sébastien qui était doux, généreux, voyait de la dureté et de la cruauté dans tout l’Univers et aussi quelque chose de terrible en lui-même. » On peut entendre à maintes reprises les personnes homosexuelles de notre entourage dire qu’elles se sentent incapables d’être bonnes, d’aimer et d’être aimées. Elles font du diable, qui est par définition une créature extérieure à l’Homme et déjà morte, une essence intérieure qui les définit profondément, parce qu’elles n’ont rien compris à la véritable identité du diable ni de son mariage raté avec l’Humanité : « Nous sommes les très humbles domestiques d’une force qui nous habite. Nous sommes menés par une force qui n’est pas externe à nous, qui est interne, nous sommes menés par cette nuit qui est notre véritable Moi. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, Autoportrait d’un inconnu » (2003) d’Edgardo Cozarinsky) En interprétant des personnages imaginaires démoniaques, beaucoup de personnes homosexuelles extériorisent la très mauvaise image qu’elles ont d’elles-mêmes et de leurs proches. Elles tentent de dire aux autres combien elles se trouvent moches/grandioses, et cherchent à les décourager de les aimer. Voilà tous les excès du refus manichéen de la reconnaissance de l’existence de la Vérité et du mal.

 

Film "J'ai pas sommeil" de Claire Denis

Film « J’ai pas sommeil » de Claire Denis


 

Les nouveaux manichéens homosexuels se prennent pour l’incarnation du Bien et du mal, si bien qu’ils se font en silence tantôt des déclarations d’adoration, tantôt des aveux de haine. Ils nous promettent qu’ils n’énonceront de vérités que pour eux-mêmes sans déborder du cadre du privé. Mais leurs pulsions héroïsantes pour lutter contre le mal dont ils se croient les uniques visionnaires/commissionnaires font bien souvent chez eux sauter le vernis du respect de la liberté d’autrui et de la nécessité du non-procès. À l’heure actuelle, les manichéens qui définissent le « politiquement correct » social, qui se présentent volontiers comme des anti-manichéens comprenant le monde « par-delà le Bien et le mal », creusent des tranchées virtuelles entre ennemis du Bien et ennemis du mal avec un naturel déconcertant : les ennemis du mal, ce sont eux, bien sûr, aux côtés de la foule des victimes du mal ; et les êtres démoniaques, ce sont forcément toujours les autres, … ou alors toujours eux (logique de la moitié androgynique narcissique à retrouver oblige). Dans la culture médiatique mondiale présente, nous identifions à peu près ces camps Bien/mal (érigés pourtant au nom du refus du manichéisme) : femmes/hommes, enfants/adultes, pauvres/bourgeois, gauche politique/droite politique, athées/croyants, homos/hétéros-homophobes, étrangers/Blancs, baroques/classiques, psychiatres/patients, etc. Comme on peut le constater, ceux qui refusent l’existence du Bien et du mal se condamnent inconsciemment à la sacralisation et à la diabolisation de ceux qui les entourent, à une lecture binaire du monde, donc au manichéisme.

 
 

2 – GRAND DÉTAILLÉ

 

FICTION

 

a) Le personnage homosexuel se prend pour le diable :

C’est le cas dans le film « Les Diaboliques » (1954) d’Henri-Georges Clouzot, le film « Maléfique » (2002) d’Éric Valette, le film « Endiablé » (2000) d’Harold Ramis, la pièce Sallinger (1977) de Bernard-Marie Koltès (avec la figure diabolique du Rouquin), le film « Les Enfants terribles » (1949) de Jean-Pierre Melville (avec Élisabeth qui tue son frère et veut être diabolique), le film « La Troisième Génération » (1979) de Rainer Werner Fassbinder (avec le diable représenté par Eddie Constantine), le film « Teorema » (« Théorème », 1968) de Pier Paolo Pasolini (avec l’intrus diabolique homosexuel venu semer la zizanie dans une famille bourgeoise), le vidéo-clip de la chanson « It’s OK To Be Gay » de Tomboy, le film « Diabolique » (1995) de Jeremiah Chechick, le film « Damned If You Don’t » (1987) de Su Friedrich, le film « La Maison du diable » (1963) de Robert Wise, le roman Antéchrista (2003) d’Amélie Nothomb, le film « Priscilla, folle du désert » (1995) de Stephan Elliot (avec Dick déguisé en diable), le film « Mysterious Skin » (2004) de Gregg Araki (avec Neil déguisé en diablotin pour Halloween), la chanson « Halloween Parade » de Lou Reed, le film « Les Diables » (1971) de Ken Russell, la nouvelle « San Sebastián Y Los Centauros » (1999) de Nazario Luque (avec satan en « grand folle »), le film « Fille du feu » (1932) de John Francis Dillon, le film « Huis-clos » (1954) de Jacqueline Audry (avec Inès Serano, la lesbienne maléfique), le film « Born To Be Bad » (1950) de Nicholas Ray, le film « So Young, So Bad » (1950) de Bernard Vorhaus, le film « Toto Diabolicus » (1962) de Steno, les films « Le Cabaret des filles perverses » (1977), « Les Possédées du diable » (1974), « Les Petites vicieuses font les grandes emmerdeuses » (1976) de Jess Franco, le film « Portrait d’une enfant déchue » (1970) de Jerry Schatzberg, le film « Invocation Of My Demon Brother » (1974) de Kenneth Anger, le film « Pandemonium » (1971) de Toshio Matsumoto, le film « Onibi le démon » (1995) de Rokuro Mochizuki, la chanson « My Secret Love » (« Love have never been easy for me ») dans le film « Grace Of My Heart » (1996) d’Allison Anders, le film « The Story Of A Bad Boy » (1998) de Tom Donaghy, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau, le film « J’ai horreur de l’amour » (1996) de Laurence Fereira-Barbosa, le film « The Snake Boy » (2001) de Michelle Chen et Xiao Li, le film « Les Anges déchus » (1995) de Wong Kar-wai, la chanson « Réévolution » d’Étienne Daho (avec la mention aux anges déchus), le vidéo-clip de la chanson « Ma Révolution » de Cassandre, le roman Un mauvais fils (2010) de Ilmann Bell, le film « My Brother The Devil » (2012) de Sally El Hosaini, le roman L’Ange impur (2012) de Samy Kossan, le roman L’Ange déchu (1986) de Per Olov Enquist, le film « … No Soy El Lobo Feroz » (« Je ne suis pas le Grand Méchant Loup », 2011) de Susita Ghan & Coco Manolo, le film « All Flowers In Time » (2010) de Jonathan Caouette (avec les filles et les garçons aux yeux rouges), le film « Superbad » (2007) de Greg Mottola, le roman Le Diable emporte le fils rebelle (2019) de Gilles Leroy, film « Que le diable nous emporte » (2017) de Jean-Claude Brisseau, etc.

 

Film "Priscilla folle du désert" de Stephan Elliott

Film « Priscilla folle du désert » de Stephan Elliott


 

En général, le personnage homosexuel met en garde les autres contre sa soi-disant « profonde » méchanceté : « Je suis satanopathe. » (Juna, l’une des héroïnes lesbiennes de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « J’étais ce qu’ils appellent, là-bas, une femme damnée. Déjà damnée, n’est-ce pas. » (Inès la lesbienne de la pièce Huis clos (1944) de Jean-Paul Sartre) ; « J’ai été autorisé à vivre, mais sous les traits d’une créature des enfers. » (Garnet Montrose dans le roman Je suis vivant dans ma tombe (1975) de James Purdy, p. 28) ; « Je me méfie terriblement des paradis, je dois être un démon. » (François dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 107) ; « Je suis le génie du mal. » (le diable homosexuel dans la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti) ; « Tu sais que tu formes un tout. Et tu brilles comme la plus lumineuse étoile. » (Hedwig dans le film « Hedwig And The Angry Inch » (2001) de John Cameron Mitchell) ; « Je sens le roussi. » (la voix narrative dans le roman Une Saison en enfer (1873) d’Arthur Rimbaud) ; « Je suis un homme mauvais. » (le héros homo de la comédie musicale Angels In America(2008) de Tony Kushner) ; « Je ne crois pas avoir réussi à garder en moi une partie saine. » (Prior, idem) ; « Je suis bête, méchante, et mal-intentionnée. » (Simone dans la pièce Burlingue (2008) de Gérard Levoyer) ; « J’ai pas envie d’aimer. » (Martin dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Je me demande si je suis fait pour la vie de couple. » (Vincent, l’un des héros homos de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Ne te fie pas aux apparences, je suis tout le contraire d’un mec bien. » (Bryan, le héros homo à Stéphanie, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 61) ; « Peut-être que je suis naturellement vicieux… » (l’un des héros homos de la pièce Chroniques des temps de Sida (2009) de Bruno Dairou) ; « Je suis le diable en personne. Je suis ce qu’on pourrait dire un monstre délicat. […] Les ténèbres, je connais bien. » (le Baron Lovejoy, le méchant de l’histoire, homosexuel de surcroît, dans la comédie musicale La Nuit d’Elliot Fall (2010) de Vincent Daenen) ; « Je suis devenu diable. » (cf. la chanson « Boulevard des rêves » de Stéphane Corbin) ; « My name is Mister Dark. » (Yanowski dans le concert Le Cirque des mirages, 2009) ; « Je suis méchant !!! » (un des personnages de la pièce Quand je serai grand, je serai intermittent (2010) de Dzav et Bonnard) ; « Le diable m’a promis de me sacrer Reine des Ténèbres après ma mort en échange de quelques services. » (Vicky dans la pièce La Nuit de Madame Lucienne (1986) de Copi) ; « Les jeux sont faits, ma sœur. Dieu est avec vous, le Diable est avec moi ! » (Vicky à la Comédienne, idem) ; « You know I’m bad ! You know it ! » (cf. la chanson « Bad » de Michael Jackson) ; « Que tu ailles dans un sens ou dans l’autre, tu es damné. » (Emmanuel Fruges dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 183) ; « Bienvenue dans ce monde merveilleux, la maison du Seigneur. Je suis votre nouveau messie. Je suis like a monster. » (cf. la chanson « Like A Monster » du groupe Indochine) ; « J’m’appelle Armageddon, Ducon. » (le comédien homosexuel dans le one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles (2011) de Raphaël Beaumont) ; « Si vous aimez le show, vous brûlerez en enfer avec nous. » (la voix-off du « musical » gay Adam et Steeve, dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; « Ma mauvaise nature m’avait appris que mon plaisir était plus grand quand il était pris sans prudence, à l’instant où il se présentait. […] En société, j’imaginais les femmes qui m’entouraient déshabillées et offertes, et très vite, dans un état presque halluciné, je leur prêtais des postures ou des situations que je n’ose décrire, même dans mon carnet… Ma cruauté, dans ces instants, me préparait à l’idée qu’un jour je n’aurais plus vraiment de limite et que mon « vice » m’avalerait entièrement. Je combinais et raisonnais de plus en plus en fonction de lui, sentant bien que, quand j’étais dans ces étranges dispositions, en crise, comme on dirait, c’était lui qui déterminait tout ce que je pensais et faisais. J’avais imaginé un moment demander à la petite voisine de passer me voir afin de faire ensemble ce que je l’avais obligée à faire seule devant moi, sachant combien j’aimais à outrepasser la pudeur des autres, pour le plaisir que son viol me donnait. Cette envie ne me quittait pas, mais je devais résister, c’était trop risqué. […] J’avais peur de moi. Quand je sentais monter ce besoin de chair, peu m’importaient les moyens et la figure de celle qui me donnerait ce qu’il me fallait. […] Je voulais ma nuit avec une femme, comme l’on veut sa naissance. Une nuit de noces, comme celle où je perdis ma virginité et décidai, pour cette occasion, de me choisir un nouveau prénom… Alexandra. Ce serait désormais par ce choix secret que je marquerais ma différence, comme l’avant et l’après du baptême. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 56-57) ; « Je suis troublée à la pensée que mon esprit puisse fabriquer tant de cruauté. Ce que ces femmes enduraient, et dont la vision me plaisait tant, me laisse dans une grande interrogation vis-à-vis de ma véritable nature. » (idem, p. 197) ; « La religieuse était pleine de vie et, bien qu’elle ne fût pas jolie, je fus attirée par elle. […] Face à cette fille sans coquetterie, je me voyais dans la peau d’un diable venu pour la tenter. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, pp. 221-223) ; « Je ne m’accepte pas ! » (Claire, l’héroïne lesbienne de la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Que laisserons-nous de nous, moitié-anges moitié loups, quand nos corps seront dissous dans la langueur monotone du premier frisson d’automne ? » (Luca, le narrateur homo du spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès) ; « C’est comme un mal en moi qui m’effraie qui me tord. » (cf. la chanson « Les Voyages immobiles » d’Étienne Daho) ; « Scrotes, pourquoi insistez-vous sur le fait que je me méprise moi-même ? » (Anthony, le héros homosexuel s’adressant à son amant, dans le roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « J’en ai eu marre d’être gentille. » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne sortant d’années d’humiliation au lycée, dans son one-woman-show Chatons violents, 2015) ; « Je dois quitter le paradis en vitesse. » (la figure de Sergueï Eisenstein, homosexuel, ayant vécu son homosexualité clandestinement au Mexique, dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway) ; « Dites que je suis mauvais ! Dites-moi que j’irai en enfers ! » (Bryan, le héros homo, s’adressant au père Raymond, dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis) ; « Avec les autres, je suis mauvais, je répands le mal. C’est une manie chez moi. » (Jacques, le héros homo, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; « Ça va être l’enfer. » (Marco, homo malade du Sida, au sortir du bain, idem) ; « Qu’est-ce que tu fais de ta vie ? » (Arthur) « Oula… je cours à ma perte. » (Jacques, son amant, idem) ; « Excuse-moi mais je suis une vilaine fille à talons. Une vilaine fille ! Il faut que le monde entier soit au courant ! » (Éric le héros homo, dans l’épisode 5 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Je sème en vous le trouble. » (c.f. la chanson « Espionne » de Catherine Lara) ; etc.

 

Dans le film « Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée, Ron dit au transsexuel M to F Rayon qu’il « n’a pas le droit de ne pas s’aimer ». Dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, le personnage de Burger s’exclame que « Satan l’habite », puis se dit « invisible ». L’androgyne diabolique, c’est l’être transparent qui parle à l’intérieur de la narratrice du roman Les Mauvaises pensées (2005) de Nina Bouraoui (« Je porte quelqu’un à l’intérieur de ma tête », p. 9) ou bien l’« implacable maître » intérieur évoqué par Truman Capote dans sa préface de Musique pour caméléons (1979). Dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive ! (2015), quand Pierre Fatus passe son stétoscope sur un des hémisphères de son cerveau, il entend une voix lui dire : « Il y a ici crime de sorcellerie ! » Dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti, Bram, le héros homo, organise dans la maison de sa tante, un bal masqué Halloween.

 

Dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, toute la bande de copains homos joue à être diaboliques. Par exemple, Larry trompe son amant Hank en connaissance de cause et en sachant qu’il le fait souffrir… en trouvant le moyen de se victimiser d’être infidèle : « Pourquoi est-ce que j’ai toujours le mauvais rôle ? […] Si je ne suis pas le briseur de ménage, je suis impossible à vivre. » Quant à Harold, il se place en spectateur cynique du travail de destruction verbale et psychologique qu’opère son colocataire Michael sur tous leurs invités en cherchant à briser leurs illusions d’amour homo tout en se valant de la foi : « Oui, je crois en Dieu. S’il n’existe pas, je n’ai rien perdu. S’il existe, je suis couvert. Je suis catho qui pèche la nuit et va à l’église le lendemain. »

 

Dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate ! (2011), Karine débarque sur scène déguisée en Ève damnée. Dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, Gouri est prévenu en songe par le diable qu’il est son « élu » (p. 107). Dans le one-man-show Parigot-Brucellois (2009) de Stéphane Cuvelier, le prostitué transsexuel du Bois de Boulogne s’est rebaptisé « Big Demon ». Dans la trilogie Nikopol d’Enki Bilal (qui comporte les trois bandes dessinées La Foire aux Immortels (1980), La Femme Piège (1986) et Froid Équateur (1992)), Alcide Nikopol prête son corps au dieu Horus, qui tente de se rebeller contre sa communauté et intervient, sous les traits de Nikopol, dans la vie des humains. Dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta, Denis, le héros homosexuel, se décrit textuellement comme un diable luciférien devant son ordinateur. Dans la pièce Lacenaire (2014) d’Yvon Bregeon et Franck Desmedt, Lacenaire croit que lui et son partenaire Avril n’ont pas d’âme : « Comme le diable et son valet, on marche ensemble. ». Il a une très mauvaise image de lui-même, malgré son arrogance : « Je ne pense pas beaucoup de bien de moi-même, monsieur Mérimée. » ; « Le diable se niche dans les détails. C’est dans les détails que vous me retrouverez. »

 

On apprend que le personnage homosexuel qui est habité par le diable, qui effraie les oiseaux dans les animaleries, qui porte malheur à son entourage, a souvent été violé. Il est alors presque systématiquement figuré par une femme fatale : « Lorsqu’ils entrent tous les deux dans la boutique aux oiseaux, c’est comme si y était entré on ne sait qui, le diable. Les oiseaux s’affolent. » (Irina dans le roman El Beso De La Mujer-Araña, Le Baiser de la Femme-araignée (1979) de Manuel Puig, p. 14) Je vous renvoie au film « Pas de printemps pour Marnie » (1964) d’Alfred Hitchcock (Marnie crée la panique chez le marchand d’oiseaux), au film « Cat People » (« La Féline », 1942) de Jacques Tourneur (Irena effraie les oiseaux de l’animalerie), le film « ¿ Qué He Hecho Yo Para Merecer Esto ? » (« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », 1984) de Pedro Almodóvar (avec la gamine rousse qui bloque les ascenseurs à distance, crée des catastrophes), etc. Dans le roman Génitrix (1928) de François Mauriac, la description du « démon maternel » (p. 123) incestueux va dans le même sens : « La vieille femme regarda les persiennes où filtrait une lueur funèbre. […] Près du magnolia, elle fit peur à un rossignol. Sur son passage, le long du pré sec et poussiéreux, les grillons se turent. » (idem, p. 44-45).

 

Film "Kaboom" de Gregg Araki

Film « Kaboom » de Gregg Araki


 

Il arrive que la menace du réveil diabolique du personnage homosexuel surgisse sans crier gare et sans que ce dernier puisse se contrôler : je pense aux yeux rouges qui s’allument chez Michael Jackson dans le vidéo-clip de la chanson « Thriller », chez Nina dans le film « Black Swan » (2011) de Darren Aronofsky, à la métamorphose effrayante de David Bowie dans le film « L’Homme qui venait d’ailleurs » (1976) de Nicolas Roeg, etc. « Ses yeux, ils devenaient de plus en plus grands et brillants, comme ceux des méchantes dans les dessins animés japonais, avec trois gros points blancs qui tremblent au milieu des iris. ‘Je suis un peu sorcière. » (Groucha dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 265) ; « À 17 ans, je suis devenu une femme-reptile. » (un personnage homo dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « Pourquoi tu as les yeux rouges ? » (Rana s’adressant à son mari incarcéré Sadegh, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc. Dans la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty, Ninette fait le monstre face à son amante lesbienne Rachel. Dans le film « My Summer Of Love » (2004) de Pawel Pawlikovsky, Mona s’adresse à son amante Tamsin en des termes explicites : « Je suis le diable et je suis venu pour te tuer. » Elle essaie de la noyer dans une rivière à la fin de l’histoire. Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, Benjamin, l’homosexuel efféminé, change subitement de voix et en prend une grave au téléphone.

 

Cette identité diabolique que décrit le personnage homosexuel en lui-même est parfois l’autre nom qu’il donne à son désir homosexuel (autant dire que ce code « Se prendre pour le diable » renvoie à la dualité idolâtre et homophobe du désir homosexuel !) : « Depuis son enfance, il devinait en lui la présence de quelque chose qui, d’une manière inexprimable, demeurait hors de sa portée. » (le héros du roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 16) ; « J’crois que j’suis pas normale. » (Florence la lesbienne dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « C’est drôle, tout se mélange dans ma tête. On a une chose en soi dont on ignore tout car on ne le soupçonne même pas. Et soudain un soir, par ennui, une enfant raconte un mensonge. Et c’est là qu’on en prend conscience. On s’interroge : l’a-t-elle vu ? L’a-t-elle senti ? » (Martha parlant de son homosexualité dans le film « The Children’s Hour », « La Rumeur » (1960), de William Wyler) ; « J’crois que y’a quelque chose de totalement mauvais en moi. C’est comme ça depuis le début. Mes parents. Mon choix. Mon désir. » (Emmanuel s’adressant à son amant Guillaume, pour mieux l’apitoyer et se ustifier de lui sauter dessus, dans la série Ainsi soient-ils (2013) de David Elkaïm, épisode 6 saison 1) ; « L’homme qui vivait en moi, j’en avais même peur. » (Adineh l’héroïne transsexuelle F to M, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; etc.

 

Dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, Adrien affirme ressentir à l’adolescence « une peur immense de ce qu’il était, un garçon attiré par les garçons » (p. 73) : « Longtemps, Adrien avait cru ce penchant, ce mauvais penchant, surmontable. Dieu serait plus fort que son désir. Il saurait même dissiper, extirper jusqu’à sa racine ce mal profond. Il avait bien fini par comprendre, de guerre lasse, que la blessure resterait longtemps. » (idem, p. 25) Dans sa pièce Le Maître des ténèbres : Confession d’un ange déçu (2003), Vincent Byrd Le Sage, en interprétant le diable, joue la grande tapette : « Je suis de Jésus le double négatif. » Dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut, le personnage de Lucifer est homosexuel. Dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim, Sébastien, l’homosexuel, qualifie sa meilleure amie lesbienne Marcy de « satanique ».

 

Le désir homosexuel n’est-il finalement pas l’autre nom (aseptisé) de la jalousie ? de l’orgueil égocentré fantasmé ? Par exemple, dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan), le personnage de Cal, interprété par James Dean, se prend pour le diable car d’une part il ne se sent pas aimé de ses parents (son père lui dit : « Tu es mauvais, irrémédiablement. ») et d’autre part il est rongé par la jalousie, surtout à l’égard de son frère Aaron (« Tu as raison, je suis mauvais. Je le sais depuis assez longtemps. Aaron, lui, est bon. J’ai dû prendre la mauvaise part. » répond Cal ; « Aaron a raison. Il a toujours raison. Et c’est comme ça depuis toujours. » ; « Apprends que je suis jaloux depuis toujours. Je suis jaloux à en crever. »).

 

Chez le personnage homosexuel, le sentiment d’être diabolique est, comme par hasard, très souvent lié au fait d’être en couple homo. C’est bien l’acte conjugal homosexuel qui crée le malaise et la culpabilité, et non simplement le désir homosexuel. Et comme la responsabilité du mal homosexuel n’incombe à un individu qu’à partir du moment où deux personnes fautent ensemble, les amants homosexuels pensent qu’ils ne peuvent plus condamner chez l’autre un reflet diabolique qui représente exactement leur même et unique action mauvaise. Autrement dit, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. S’il y a un coupable dans le couple homo, il ne sera jamais solitaire ! : « Tu sais très bien que tu es aussi méchant que moi. Nous sommes pareils, malgré tout ce qui nous sépare. De la même nature. » (Khalid à Omar, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 75) ; « Nous avons suivi un autre dieu, un autre maître, un autre diable. » (Omar parlant de son couple avec Khalid, idem, p. 108) ; « Je suis l’une de celles que Dieu a marquées au front. Comme Caïn, je suis marquée et flétrie. Si vous venez à moi, Mary, le monde vous aura en horreur, vous persécutera, vous taxera d’impureté. » (Stephen à son amante Mary dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 394)

 

Film "Satan Was A Lesbian" de Fred Haley

Film « Satan Was A Lesbian » de Fred Haley


 

Le personnage homosexuel, héros faustique par excellence, devient diabolique par contamination avec satan : « Était-ce avec le diable ou est-ce avec lui-même qu’il signa de son sang ce pacte indélébile ? » (cf. la chanson « New York City Nineteen-Fifty » du Clergyman dans le spectacle musical La Légende de Jimmy de Michel Berger) ; « Quand je dis ‘non’, il me poursuit, il fait ron-ron quand je dis ‘oui’, il me fait faire à reculons tout ce qui sert ses ambitions, il m’appelle par mon nom mon démon, il m’appelle et je réponds ‘non non’. Il m’appelle par mon nom mon démon, et je réponds mon nom. Mon démon, mon démon, quand je sors avec lui au milieu de la nuit, je n’sais plus qui je suis, si je suis moi ou lui. » (cf. la chanson « Mon Démon » du Teenager, idem) ; « Je veux croire alors qu’un ange passe, qu’il nous dit tout bas : ‘Je suis ici pour toi, et toi c’est moi. » (cf. la chanson « L’Autre » de Mylène Farmer) ; « C’est le diable qui tient les fils qui nous remuent. […] Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons. » (c.f. la chanson « Au lecteur » de Mylène Farmer, reprenant Charles Baudelaire) ; etc. Dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, Fabien écrit une nouvelle intitulée Un Rendez-vous avec le diable. Il finit par rencontrer en vrai « l’inconnu », mais celui-ci le persuade qu’il s’est incorporé en lui et qu’en réalité il est tout seul. « Avec le temps il en arrivait à croire qu’il avait été l’objet d’une illusion, qu’une sorte de rêve éveillé s’était joué de lui et que ce vieillard n’existait pas. » (p. 43) La victoire du mal est bien de faire croire à celui qu’il possède qu’il n’existe pas.

 
 

b) « Je suis un maudit » :

N.B. : Je vous renvoie également au code « Focalisation sur le péché » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Une autre litanie de la haine de soi sort de la bouche du héros homosexuel : celle de se croire maudit et incapable d’aimer/d’être aimé : cf. le film « Les Maudits » (1947) de René Clément, la pièce Perthus (2009) de Jean-Marie Besset (avec le motif du garçon maudit), le roman La Maudite (1954) de Guy des Cars, le film « Gazon maudit » (1995) de Josiane Balasko, le film « Children Of The Damned » (1964) d’Anton Leader, etc.

 

Comme ses tentatives de formation d’un couple homosexuel heureux et durable se révèlent souvent infructueuses, le personnage homosexuel en déduit qu’il ne mérite pas d’être aimé et qu’il est incapable, comme le diable, d’aimer et de garder une personne : « Je ne suis pas de celles qui peuvent se faire aimer. » (Élise dans le roman Si j’étais vous (1947) de Julien Green, p. 278) ; « I can’t love for more than one day. » (Michel Hermon dans son spectacle-cabaret Dietrich Hotel, 2008 ; traduction : « Je ne peux pas aimer plus d’un jour ») ; « Un homosexuel est un homme qui souffre et qui a mal. […] Depuis que je suis petit, mon existence est un calvaire. […] Personne ne m’a jamais dit je t’aime. » (Bernard, le héros homosexuel déclaré de la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Ceglia) ; « Je dois pas être fait pour la vie de couple. » (Jean-Louis dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Dalida, l’orchidée noire, la maudite, la veuve noire. » (l’actrice jouant la chanteuse Dalida dans le spectacle musical Dalida, du soleil au sommeil (2011) de Joseph Agostini) ; « Saïd est mort, tué par l’orage, un signe peut-être que Dieu n’approuve pas ce que les garçons s’apprêtaient à faire ce soir. » (Saïd et Ahmed, le couple homo maudit, dans le roman Accointances, connaissances, et mouvances (2010) de Denis-Martin Chabot, p. 48) ; « En réalité je m’aperçois que je n’ai jamais été aimée. Je ne connais rien des ‘sentiments’, toujours plus préoccupée par la passion du corps que par celle de l’esprit. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 183) ; « Je suis pas fait pour vivre une histoire. » (Léo, un des héros homos du roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 117) ; « J’aime répandre le bonheur. » (Shirley Souagnon maltraitant et cassant sans arrêt son public, dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, par exemple, Nicolas évoque « son incapacité à aimer » (p. 124). Dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti, Olivier, l’un des héros homosexuels, pense qu’être homo, c’est être « perdu, maudit ».

 

Comédie musicale "Le Cabaret des Hommes perdus" de Christian Siméon

Comédie musicale « Le Cabaret des Hommes perdus » de Christian Siméon


 

La Drama Queen homosexuelle pense que, comme Carmen, la sincère mais dangereuse bohémienne, elle n’attire à elle que des cas sociaux en amour : « Je dois être maudit. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 288) ; « Ce que j’ai compris, c’est que j’ai un don : celui de rendre les autres malheureux. » (idem, p. 437) ; « Je peux être avec personne. » (Pablo, le personnage homosexuel, à Laura, dans le film « Plan B » (2010) de Marco Berger) ; « Le pire, c’est que je rends tout le monde malheureux autour de moi. » (Florian, le héros gay, à Thomas, dans la série télévisée Plus belle la vie, sur la chaîne France 3) ; « Je suis une femme damnée. » (Héloïse, l’héroïne lesbienne, dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 324) ; « Nous sommes les amants maudits ! » (Raulito et Cachafaz dans la pièce Cachafaz (1993) de Copi) ; « Elle s’en veut du gâchis de sa vie, de son inaptitude au bonheur. » (Gabrielle, l’héroïne lesbienne du roman Je vous écris comme je vous aime (2006) d’Élisabeth Brami, p. 77) ; « Moi, je reste plus sale qu’un damné. » (Yanowski dans son concert Le Cirque des Mirages, 2009) ; « Nous sommes en si grand nombre… des milliers d’indésirables qui n’avons aucun droit à l’amour, aucun droit à la compassion parce que nous sommes mutilés, hideusement mutilés et laids… Dieu est cruel ; il tolère que nous naissions défectueux. » (Stephen, l’héroïne lesbienne du roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 270) ; « Qu’ai-je fait pour être ainsi maudite ? » (idem, p. 285) ; « Je suis d’une génération désenchantée. » (cf. la chanson « Désenchantée » de Mylène Farmer) ; « J’hallucine, j’suis pédé ! Je serai jamais heureux ! » (Lennon en panique, dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti) ; etc.

 

Au départ, le sentiment de déterminisme dans la souffrance, ou de « malheur comme destin », a pu être instillé sournoisement par l’entourage extérieur du protagoniste homosexuel : « Ah, race de femmes maudites, vous êtes toutes des putes ignorant tout de la bite ! » (Ahmed parlant des femmes lesbiennes dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Ah, les lesbiennes maudites ! » (Martin, idem) ; « Vous êtes maudit ! » (le Professeur Foufoune s’adressant à Bill dans la pièce Bill (2011) de Balthazar Barbaut) ; « Cet homme était un démon. » (le Gros concernant Silberman, le personnage homosexuel, dans la pièce La Vie est un tango (1979) de Copi) ; « Il a le culot du démon ! » (le chœur des voisines décrivant le personnage homosexuel de Cachafaz, dans la pièce éponyme (1993) de Copi) ; « Répète après moi : JE FAIS PARTIE DU MAL !! » (les Virilius, groupe composé de puceaux et d’homos refoulés, s’adressant à Jean-Marc, le héros homosexuel assumé, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; etc. Par exemple, dans le film « La Mante religieuse » (2014) de Natalie Saracco, l’homme marié parle de l’« âme noire » de Jézabel, l’héroïne bisexuelle avec qui il partage quelques « plans cul ». Et Stan, le sacristain, en rajoute une couche auprès du père David : « Tu vois pas que cette fille, elle est noire, elle sent le souffre ? »

 

Mais paradoxalement, le héros homosexuel affiche une résistance tellement fausse et contrariée à la vindicte « populaire » (une sorte de « Même euh… pas vrai, d’abord ! » résigné) qu’on finit par constater qu’il a finalement intériorisé l’insulte : « Non je ne suis pas si mauvais, non je ne suis pas si maudit. » (cf. la chanson « Attractions-Désastre » d’Étienne Daho) ; « Je voulais être l’étrange sodomite, celui dont on ne parle pas. » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; etc. Il se croit destiné au malheur depuis sa naissance, se juge inapte à rentrer dans le monde : « Il advint qu’à la veille de Noël, Anna Gordon accoucha d’une fille : un petit têtard de bébé aux hanches étroites, aux larges épaules, et cela hurla et hurla sans cesse pendant trois heures, comme si cela était indigné de se retrouver projeté dans la vie. » (Stephen, l’héroïne lesbienne parlant de sa naissance, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 19)

 

Chez le héros homosexuel, la croyance en sa propre malédiction ne se limite pas uniquement au terrain de l’amour ou du sens de l’existence. Il arrive que certains personnages diabolisent et sacralisent dans un même mouvement la pandémie du Sida, par exemple, comme si elle était une matraque céleste bénie. « Mais le sida, c’était une vraie chance, je veux dire, c’était à nous, juste les pédés, tu vois, il a complètement dilapidé le truc, on le donne à tout le monde. » (Willie, l’un des protagonistes homos du roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 132) Par exemple, dans le film « Encore » (« Once More », 1987) de Paul Vecchiali, le Sida est « inscrit dans le destin des homos ».

 

Ce qui empêche certains héros homosexuels d’identifier leur haine d’eux-mêmes qui les désigne comme diaboliques (à leurs yeux), c’est qu’ils surjouent, par provocation cynique ou par sincérité, l’adoration d’eux-mêmes… pour sauver la face, pour garder la main sur leur souffrance tandis qu’ils nient cette dernière. Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, la carcasse de suffisance affichée par Pierre, le héros homo (« Je me dis qu’avec les gènes que j’ai, je n’ai pas le droit de ne pas me reproduire. ») révèle une montagne d’auto-dépréciation (« Je ne suis pas sûr de m’aimer. ») et d’insatisfaction personnelle (« J’ai raté ma vie privée. »)

 
 

c) Le bien par le mal (et la pédagogie de l’erreur) :

Le dilemme moral du personnage homosexuel, c’est qu’intellectuellement il sait très bien que le mal n’est pas à faire ; mais esthétiquement il le trouve quand même beau et désirable : cf. le film « Chloé » (2009) d’Atom Egoyan (avec la beauté machiavélique de Chloé, la lesbienne), le roman Vincent Garbo (2010) de Quentin Lamotta (avec le bellâtre pervers, Vincent Garbo), le roman Lo Verdadero Es Un Momento De Lo Falso (2010) de Lucía Etxebarría, la pièce Lacenaire (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin, etc. « C’est si bon, la haine ! » (la grand-mère dans le one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013) du travesti M to F David Forgit) ; « Dans ce mal, je me sens vivant. » (Daniel s’adressant à son amant Luther, dans le film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Mon père, ce monstre est bon. » (la Belle s’adressant à son père par rapport à la Bête, dans le film « La Belle et la Bête » (1945) de Jean Cocteau) ; « La haine, c’est la règle n°1. Y’a que ça qui peut te sauver. » (Jean s’adressant à son futur amant Henri, dans le film « L’Homme blessé » (1983) de Patrice Chéreau) ; « Vous avez vu comme elle est mauvaise. J’adore ! » (Yoann, le héros homosexuel, à propos de la méchante Solange, dans la pièce Ma belle-mère, mon ex et moi (2015) de Bruno Druart et Erwin Zirmi) ; etc. Ses goûts et sa conscience s’entrechoquent… et ce sont les goûts qui finissent par l’emporter. Comme il pense que rien n’est trop beau ni trop juste pour le bien (pas même l’action mauvaise !), il arrive à penser que la fin justifie les moyens.

 

Je ne voudrais pas empiéter sur le code de la « Reine » du Dictionnaire des Codes homosexuels, qui aborde plus longuement la question de la beauté du diable féminisé, avec surtout l’emblématique Cruella de Vil, ni sur les codes « Haine de la beauté » et « Liaisons dangereuses » qui traitent de l’usage du mensonge et de la cruauté en amour… mais juste vous dire que le mal exerce une attraction sur le héros homosexuel, attraction qui n’est ni très rationnelle ni totalement calculée, même si elle repose sur la foi en la toute-puissance de la sincérité.

 

Très souvent, le personnage homosexuel aborde sa fascination pour le diable, pour l’efficacité temporaire du mal, pour le génie de satan : « Jonathan Brockett [le personnage homo] était intelligent, il était d’une intelligence diabolique. […] C’est pourquoi il écrivait de si belles pièces, des pièces si cruelles ; il alimentait son génie de chair vive et de sang ! Génie carnivore ! » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 307) ; « [C’était] un homme absolument vicieux et cynique, un homme dangereux aussi parce qu’il était brillant. » (idem, p. 351) ; « J’étais Marlon Brando. Un vieil homme qui avait de la classe et de la cruauté. Un vieil homme irrésistible, généreux, impitoyable, sanguinaire. » (Omar après avoir tué son amant Khalid, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 168)

 

On observe un phénomène absolument étonnant sous la plume d’un écrivain comme Christophe Bigot : il sublime la vengeance ou la médisance, généralement en les féminisant, c’est-à-dire que tout ce qui touchera à la souffrance, à la mort, à la mélancolie, à la peur, sera chez lui associé, via l’esthétique et l’art, au plaisir ou à l’amour, même si éthiquement cette idée le répugne. On se demande, en lisant son roman L’Hystéricon (2010), s’il critique réellement la beauté du diable, s’il dénonce vraiment le cynisme du dandy (il parle de sa « beauté d’archange » d’ailleurs, p. 83) : d’un côté, oui (et on le voit surtout lors de l’échange final entre Jason et Colette, quand Jason cherche sincèrement des solutions pour lutter contre sa propre misanthropie) ; d’un autre côté, non, car il semble encore prisonnier de la beauté ou de la sincérité de la méchanceté (« l’horreur du monde a pour revers son inexprimable beauté » lit-on p. 246). Parfois, à travers ses personnages, Christophe Bigot soutient l’argument suivant : « Finalement, qu’on soit méchant n’est pas tellement le problème, pourvu qu’on le fasse avec art, et qu’on évite la faute de goût. » D’ailleurs, on remarque cela quand son protagoniste principal, Jason, édicte à ses invités les règles des histoires qu’ils doivent se raconter entre eux : il leur reproche non pas d’être méchants, mais de ne pas être « artistiquement méchants », ou bien d’être méchants sans « style » (p. 414) : « Tous ensemble, ils s’étaient éparpillés, égarés. Par impatience, par émulation frénétique dans le lynchage, ils n’avaient pas soigné leurs anecdotes. […] Jason conseillait d’éviter les simples portraits, ou les vulgaires ragots, mais de leur préférer des histoires, de vraies histoires, avec un début, un milieu et une fin. » (idem, p. 46) Et finalement, c’est un peu ce que l’auteur a fait aussi avec la grande histoire, à savoir son roman : mettre les petits plats dans les grands… pour la médisance. « Mourad [l’amant de Jason] jubilait. Amande était une peste, mais sa méchanceté avait une drôlerie sans équivalent. Il suffisait de la lancer sur une piste, et elle démarrait au quart de tour, brossant des portraits comme une virtuose, se dépensant sans compter. » (p. 83)

 

les Méchants de Walt Disney

les Méchants de Walt Disney


 

Se mettre dans la peau d’un ignoble diable de dessins animés, voilà un fantasme très homosexuel. Par exemple, dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie, maîtresse de cérémonie macabre, prend plaisir à faire cracher tous les secrets honteux de ses trois invités (les trois « ex » de son futur mari).

 

Dans la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, Lucie rend hommage « à tous les méchants ». Dans son one-(wo)-man show Désespérément fabuleuses : One Travelo And Schizo Show (2013), le travesti M to F David Forgit dédie son spectacle à son public et à toutes « ses sœurs salopes ».

 

Dans les romans de Thibaut de Saint Pol (surtout Pavillon Noir (2007), avec Cyril le geek psychopathe désirant la fin du monde ; mais aussi N’oubliez pas de vivre (2004), dépeignant l’univers impitoyable de la prépa ; ou bien encore À mon cœur défendant (2010), avec Heinrich le cruel Nazi), il y a toujours la figure du Grand Méchant gniarc-gniarc-gniarc, celui dont les victimes impuissantes ne peuvent que pousser le cri Orangina « Mais pourquoi est-il aussi méchant ??? » (« Paskeeeeuu !!! » répond le fou avec un rire sardonique), celui qui maltraite ses bras droits, celui qui (comme un Docteur Mad de films de James Bond) aime écraser gratuitement les animaux inoffensifs qui l’entourent : « Elle [Madeleine] est partie ! […] Où qu’elle soit, je la retrouverai ! […] De toute manière, elle n’ira pas loin… je suis sûr qu’elle n’imagine pas l’enfer qui l’attend. » (Heinrich dans le roman À mon cœur défendant, p. 80) ; « Je trouverai bien un moyen de la faire parler… » (idem, p. 62) ; « C’est insensé ! Quelle bande d’incapables ! » (Heinrich parlant de ses complices, idem, p. 140) ; « Mon cœur s’exalte à sentir les traces de l’orage que nous [= les Nazis] pouvons déchaîner. […] Nous sommes aux frontières d’une aube nouvelle. La France aux mains des Juifs, des bolcheviks et des ploutocrates ne pouvait que sombrer. Elle ne pourra se relever qu’avec nous, aux côtés de l’Allemagne, avec le concours de ceux qui comme moi la connaissent, et la veulent purifiée. […] La guerre me rend lyrique. » ; « Je veux le prendre avec des gants blancs […] Je suis sûr que n’importe quel autre espion lui aurait arraché son triste bien par la force, mais je ne suis ni un simple sbire ni un voleur à la tire : ich bin zivilisiert. » (Heinrich parlant du Traité que possède Madeleine, idem, pp. 46-47) On peut désirer être diabolique, dit le héros homosexuel, à partir du moment où on a la classe d’un Arsène Lupin !

 

Pour le héros homosexuel, mentir et faire le mal, c’est aimer (si on le fait par amour ! si le désespoir purifie l’action mauvaise) : « C’est la première fois que je mens pas à un mec, en plus. » (Mike, le narrateur homo parlant de sa liaison avec Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 101) ; « J’ai détroussé des centaines de personnes, égorgé deux personnes… mais je fais peu de fautes d’orthographe ! » (Lacenaire dans la pièce éponyme (2014) de Franck Desmedt et Yvon Martin) ; etc. Par exemple, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Frank passe son temps à mentir à son psychiatre pour le faire tourner en bourrique et le séduire : « On obtient la vérité qu’en mentant. »

 
 

d) Le relativisme manichéen et nihiliste qui voit les choses « par-delà le Bien et le mal », mais qui au fond trace implicitement de nouveaux camps « bons » et « mauvais » :

Comme un slogan publicitaire bien appris, le personnage homosexuel soutient à la fois que l’enfer n’existe pas (quid de la liberté humaine de le choisir, alors ?) et qu’« on ira tous au paradis », dans un discours flower power optimiste qui nie le libre arbitre des êtres humains : « Tribu, qu’est-ce que nous voulons ? Paix et Liberté maintenant ! […] L’enfer n’est pas pour nous ! » (les personnages de la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado, à l’unisson) ; « Ils disent qu’on brûlera en enfer, mais je pense qu’ils se trompent. » (cf. la chanson « Outlaws » d’Adam Lambert)

 

On voit ce flou artistique entre le Bien et le mal, d’inspiration bouddhiste, cultivé dans le film « Au-delà du bien et du mal » (1977) de Liliana Cavani, la chanson « Au diable nos adieux » de Zazie, le film « Ni Dieu ni démon » (1998) de Bill Condon, etc.

 

Le personnage homosexuel, dans un relativisme et un manichéisme saisissants, se met à placer le bien et le mal sur le même plan, comme s’ils étaient deux forces égales qui s’annulaient l’une l’autre : « Et Dieu ? Et ses anges ? Et le diable : est-il toujours le diable ? » (Omar dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 177) ; « Le bien, le mal n’existent pas dans le bonheur, dans le malheur. Les hommes sont des animaux, les femmes sont des animales. » (Cachafaz dans la pièce éponyme (1991) de Copi, pp. 52-53) ; « Ni enfer, ni paradis. Là-bas, la vraie vie ! » (Kiwi dans la B.D. Kiwi au Paradis (1999) de Teddy of Paris) ; « Au diable le bien et le mal, et les serments artificiels ! » (cf. la chanson « Au commencement » d’Étienne Daho) ; « Sa notion du bien et du mal, ça commençait à me taper sur le système ! » (Stéphane, le héros homo, par rapport à Hélène, dans la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « L’enfer, le paradis, que des conneries ! » (le fils homosexuel à son père dans la pièce Happy Birthday Daddy (2007) de Christophe Averlan) ; « La culpabilité, ça n’existe pas ! » (idem)

 

Le diable lui a donné comme consigne de ne pas parler de lui, de nier son existence… et le héros homosexuel obtempère ! C’est exactement l’attitude neutraliste qu’adopte le personnage de Vincent (d’ailleurs défini comme un « ange de lumière ») dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson. On assiste à l’apologie du lavement des mains : « Je suis l’enfant insouciant. Je n’ai pas de morale. » (pp. 46-47) ; « D’ailleurs, rien n’est grave. » (idem, p. 30) ; « Non, je ne suis pas un traître. Oui, je suis un jeune homme de seize ans, sans complexes, qui ne découpe pas le monde entre ce qui est bien et ce qui est mal. » (idem, p. 50)

 

En fuyant l’existence du Bien et du mal, et en ne reconnaissant pas la supériorité du premier sur le second, le personnage homosexuel s’expose à leur retour en force sous forme de marionnettes, de furies schizophréniques. En effet, parfois, le héros est entouré d’un petit diable et d’un petit ange qui tentent de le conseiller (par exemple Maxence dans la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot), le harceler, et qui finissent par s’incorporer en lui pour le diviser en deux (cf. le roman Mi-ange, mi-démon (2006) de Muriel Bonneville, etc.) : « De ce paradoxe, je ne suis complice. Souffrez qu’une autre en moi se glisse. Car sans logique, je me quitte aussi bien satanique qu’angélique. » (cf. la chanson « Sans logique » de Mylène Farmer) ; « Nous comprîmes que nous bénéficiions de la protection d’un être de nature soit divine, soit diabolique, ou une alliance des deux. » (Gouri dans le roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 93). Le fait de se sentir diabolique est l’un des effets de la schizophrénie : « Je suis toi. Je suis la partie de toi que tu t’es forcé d’ignorer. » (Texor Texel à Jérôme dans le roman Cosmétique de l’ennemi (2001) d’Amélie Nothomb)

 

L’esprit manichéen croit une ânerie : que le diable a réussi une incarnation-longue-durée sur lui, comme Dieu l’a fait avec Jésus : « Le diable s’est incarné. Il a pris corps en vrai. » (Vincent Byrd Le Sage dans la pièce Le Maître des ténèbres : Confession d’un ange déçu, 2003)

 

Selon la pensée manichéenne, le mal serait dans le Bien, le Bien dans le mal, et tout cela formerait le Tout – et même l’Équilibre suprême ! – de notre « monde complexe »… comme le défend par exemple la chanson de Louis « La Mort est dans la vie » dans le film « Once More » (« Encore », 1988) de Paul Vecchiali.

 

L’anticonformiste bobo anti-diable ne se sait pas conformiste dans la révolte : il se rêve hors de tout, du Bien comme du mal, et cet ailleurs est pour lui le Bien absolu. Il chante le culte – pourtant rétrograde – de l’Être auto-engendré, maître de son progrès : « Détourne-toi du conforme et de l’inconforme. […] Alors invente, invente toujours ! » (le discours final de la pièce Le Cabaret des utopies (2008) du Groupe Incognito) ; « Nous ne sommes pas des anges ni des damnés. Nous ne sommes pas des anges ? À vérifier… » (cf. la chanson « Adulte et sexy » d’Emmanuel Moire) ; etc. Non seulement il n’échappe pas à la tentation manichéiste, mais il y replonge de plus belle, en créant cette fois ses propres binarismes moralisants délimités par un axe bien/mal invisible, qu’il croit inédit. Les dualités gauche/droite (politiques), ou homo/hétéro, sont souvent employées dans les créations homosexuelles : « Tu as viré hétéro, tu vas voter à droite. » (Robert à l’un de ses amis homosexuels, dans le film « Un Couple presque parfait » (2000) de John Schlesinger) ; « C’est juste du bon sens. Je veux dire, s’ils sont intelligents, ils sont gays ; et, s’ils sont stupides, ils sont hétéros… » (Édith dans le film « Female Trouble » (1974) de John Waters) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certains personnes homosexuelles se prennent pour le diable :

Je vous renvoie au titre de l’autobiographie Frédéric Mitterrand La Mauvaise vie (2005), à la photo Self Portrait (1985) de Robert Mapplethorpe (où l’on voit le photographe avec le sceptre de la mort), aux photos d’hommes homosexuels déguisés en diable pendant les Gay Pride parisiennes de 1996 et 2002 (dans la revue Triangul’Ère 7 (2007) de Christophe Gendron). Dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke, on apprend que la Reine Christine, pseudo « lesbienne », lit des lectures sataniques. Son Peuple la compare à Jézabel.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles aiment jouer au diable. On ne sera pas étonner que la fête d’Halloween remporte un franc succès dans la communauté homosexuelle : les bars et discothèques gay friendly font le plein ce soir-là, au point qu’on pourrait presque qualifier Halloween de « deuxième Gay Pride » ! Dans le docu-fiction « 120 battements par minute » (2017) de Robin Campillo, pour dire leur mécontentement, les militants Act-Up sifflent comme des serpents.

 

DIABLE Halloween

 

Mais parfois, le jeu de la diabolisation va plus loin et sort du cadre de la blague ou de la mise en scène ludique. Certains individus homosexuels touchent à leur prénom : les pseudonymes concotés par les internautes des sites de rencontres homos sont à consonance démonologique et ne brillent pas par leur originalité ; le nom que le photographe Jean-Daniel Cadinot s’est choisi en tant que réalisateurs de films pornos gays est « Tony Dark » ; l’écrivain Claude Brami a écrit sous le pseudonyme de « Christopher Diable ». Les noms de scène (Louise de Ville, le groupe Mauvais Genre, l’album Mister Bad Guy (1985) de Freddie Mercury, etc.) et les rôles de théâtre que certains prennent (Jean-Claude Dreyfus interprétant le diable dans la pièce Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (2007) de Gérald Garutti) résonnent comme des aveux.

 

C’est parfois l’expérience de la maladie (VIH) corollée à l’homosexualité qui donne à certains individus l’impression d’être diaboliques ou possédés. Par exemple, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon, quand Éric, homosexuel et séropositif, décrit les effets surprenants de la trithérapie, il dit que c’était comme dans le film « L’Exorciste » : vomissements, états seconds, malaises, dérèglement du métabolisme (estomac surtout)…
 

Par ailleurs, un certain nombre de personnes homosexuelles réelles s’identifient clairement au diable : « De fait, j’y trouvais incomparable jouissance, sans doute par l’instigation du Diable. Il y a huit ans que cette idée diabolique me vint… » (Gilles de Rays écrivant au Roi de France Charles VII, et cité dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 132) ; « J’ai l’impression d’être un personnage diabolique. » (James Dean à Philip K. Schever du journal Los Angeles Times, cité dans la biographie James Dean (1995) de Ronald Martinetti, p. 137) ; « Je suis un véritable diable. » (Pier Paolo Pasolini dans le reportage « Les Fioretti de Pier Paolo Pasolini, 1922-1975 » (1997) d’Alain Bergada) ; « Vous êtes cet enfant orgueilleux, vous ne doutez pas que le diable en question, c’est vous. » (Christophe Honoré, Le Livre pour enfants (2005), p. 26) ; « Leur distance me renvoyait l’image, ils étaient tous devenus de ces chats qui me fuient, des chats allergiques au diable. » (Hervé Guibert, malade du Sida, dans son autobiographie À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990), p. 222) ; « Car, bien entendu, il y avait du diable dans tout cela. » (Julien Green, à propos de son désir de se substituer aux autres, préface de son roman Si j’étais vous (1947), pp. 10-11) ; « Jeffrey croyait qu’il était le diable. Il se pensait aussi démoniaque que satan. » (Gerald Boyle, dans le documentaire « Jeffrey Dahmer, le Cannibale de Milwaukee » (1996) de Christine Shuler) ; etc.

 

C’est même sans culpabilité, sans s’auto-flageller, avec grand calme et désinvolture (presque avec l’humour du désespoir), qu’elles se présentent comme diaboliques : « Nous, les amis du diable » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 68) ; « Si, comme le prétend Thierry Séchan, le vert est la couleur du diable, alors je suis le diable. » (idem, p. 176) ; « Et non seulement j’ai mauvais genre, mais encore j’aggrave mon cas en ayant de mauvaises mœurs. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 7) ; « Le jour où on découvre qu’on aime les garçons, on a l’impression de ne pas être normal. » (Sacha, jeune Allemand homo, dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; « Aux yeux des chrétiens, je suis un sataniste. De mon point de vue, bien sûr, je ne le suis pas. Satan n’est pas au cœur de ma vision des choses. Ce n’est pas un dieu. Il incarne la rébellion. Si je pouvais être mon propre dieu, tout cela lui serait égal. » (Gaalh, la star norvégienne de death metal, ouvertement homosexuel, dans le documentaire « Du Sollst Nicht Schwul Sein », « Tu ne seras pas gay », 2015) de Marco Giacopuzzi) ; etc. Ernst Röhm, dès 1928, écrit ses Mémoires d’un traître et confie : « Étant immature et mauvais, je suis plus en faveur de la guerre et du désordre que de l’ordre bourgeois bien élevé. […] J’affirme d’emblée que je ne fais pas partie des braves gens et que je n’ai aucune envie de leur ressembler. » (p. 267 et p. 362) Dans l’émission Danse avec les stars 6 du 28 novembre 2015, le chanteur Loïc Nottet avoue que, lorsqu’il était jeune et se regardait dans la glace, il s’imaginait non pas être face à lui-même mais face à un « double diabolique ».

 

Dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010, Alexandre, jeune témoin homo suisse de 24 ans, raconte qu’à 18 ans il est parti en famille au père, à Seattle (USA) et est tombé dans une famille « très religieuse, très religieuse, et souvent on disait que l’homosexualité était quelque chose de satanique, que c’était le diable qui était là, et que Dieu tous les jours testait notre foi en Lui. » : « À l’église, devant 600 personnes, le pasteur a dit qu’il fallait brûler les homosexuels et que c’étaient des gens possédés. Et petit à petit, on rentre dans ce discours-là. Je ne sais pas si j’y croyais à 100 %. En tout cas, y’avait une partie de moi qui voulais y croire. »
 

Quelques personnes homosexuelles évoquent la présence d’une force maléfique en elles, qui les définirait totalement : « Nous sommes les très humbles domestiques d’une force qui nous habite. Nous sommes menés par une force qui n’est pas externe à nous, qui est interne, nous sommes menés par cette nuit qui est notre véritable Moi. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (2003) d’Edgardo Cozarinsky) ; « J’étais dans l’horreur de ma propre confusion. Je la voyais bien. Je la comprenais parfaitement. Je marchais avec elle en silence, en bataille, jamais en paix. Je n’y pouvais rien, j’étais dominé par cette force supérieure, invisible, inconnue, et qui m’entraînait vers le chaos intime. Je voyais de temps en temps en moi l’image de ma sœur Lattéfa qu’on disait possédée. Qui l’était. » (Abdellah Taïa, Une Mélancolie arabe (2008), p. 86) ; « À peine fut-il sur moi, que je versais des larmes de désolation. L’instant de sodomie, rigoureusement chargé, vit tout mon être disparaître dans les profondeurs du mal pour ne devenir qu’une empreinte. […] De me sentir possédé, je me mis à pleurer. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 68) ; « Pourtant, le Seigneur, lui, à cause de l’amour qu’il porte à l’être intérieur où il retrouve sa marque et le reflet de sa face, aime aussi passionnément le transgresseur qu’il découvre caché là, en siamois du fils vertueux. Que sommes-nous, devant l’attitude du Maître, pour bouder l’amour à l’égard de cet habitant de mauvaise mine ? » (Henry Creyx, Propos décousus, propos à coudre et propos à découdre d’un chrétien homosexuel (2005), p. 14) ; etc.

 

Certaines personnes homosexuelles pensent même qu’elles ont le pouvoir diabolique de faire mourir les autres à distance : « Je me suis sentie confusément coupable de la mort du fiancé de Janette Levreau et encore bien davantage du chagrin de cette dernière. Et depuis ces temps troublés, je me suis demandé souvent si je n’avais pas des pouvoirs paranormaux. En tout cas, je veille très attentivement à ne jamais avoir de souhaits homicides. […] Après avoir assassiné mon frère et un jeune militaire, j’ai assez de crimes sur la conscience ! » (Paula parlant de sa maîtresse de CM2, dans son autobiographie Mauvais genre (2009), p. 47)

 

Cette identité diabolique que décrit la personne homosexuelle est parfois l’autre nom qu’il donne à son désir homosexuel (autant dire que ce code « Se prendre pour le diable » renvoie à la dualité idolâtre et homophobe du désir homosexuel !) : « J’ai grandi caché dans mon secret. Longtemps je me suis blotti en lui comme s’il me protégeait d’une menace indistincte. Il a fini par faire partie de moi. […] Un poison me rongeait. […] Le vrai nom de ce venin, l’homosexualité, je n’en avais aucune idée. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 13) ; « J’ai mauvais genre. Bien qu’étant une femme, j’ai les cheveux courts comme les messieurs qui ne veulent pas se faire remarquer. En outre, je m’obstine à m’habiller de telle manière qu’on me prend souvent pour un homme. » (Paula Dumont, Mauvais genre (2009), p. 7) ; « Je suis fermement décidée à emmerder le monde jusqu’à mon dernier souffle. » (idem, p. 12)

 

Ce « diable » en la personne homosexuelle, c’est surtout ce qu’on appelle plus simplement le doute d’être aimé/d’être capable d’aimer vraiment quelqu’un : « C’est ainsi qu’à 18 ans, je me suis repliée sur moi-même, et que j’ai abandonné jusqu’à la simple idée qu’on puisse m’aimer d’amour. » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 19) ; « Vous vous aimez si peu que ça ? » (un des psys s’adressant à Guillaume, le héros bisexuel, dans le film « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; etc. On entend souvent les personnes homosexuelles faire de l’Amour une question de mérite, sans penser que l’Amour vrai se donne gratuitement et au-delà de nos actes : « Pas capable d’aimer. Pas capable d’être aimé. » (André, 33 ans, sodomisé sauvagement par son père à l’âge de 13 à 16 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (2008) de Michel Dorais, p. 148) ; « Il voit en lui un démon qui le transforme en un être qui ne peut aimer. » (Dan Kiley, Le Syndrome de Peter Pan (1983), p. 89) ; « Entre 20 et 30 ans, je cherche plutôt quelqu’un qui affirmera que je suis humaine : un spécimen d’humanité ni plus ni moins compliqué que les autres. Il me reste encore beaucoup de chemin à faire pour m’en convaincre moi-même. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 212)

 

Le « diable » est aussi l’autre nom de la honte de soi : honte de son physique (comme celle que ressent par exemple John Edgar Wideman par rapport à sa couleur de peau noire : il raconte dans Brothers And Keepers (1984) qu’il a « peur qu’on découvre le diable en lui, qu’on le rejette comme un lépreux » et que sa « négritude l’accuse », pp. 56-57) ou honte de son origine sociale (de son côté, Didier Éribon, dans Retour à Reims (2010), explique que c’est « la culture ouvrière qui l’accusait » : « Il me fallait exorciser le diable en moi, le faire sortir de moi. Ou le rendre invisible, pour que personne ne puisse deviner sa présence. Ce fut pendant des années un travail de chaque instant. », p. 115).

 

Dans l’émission Infra-Rouge intitulée « Souffre-douleurs : ils se manifestent » diffusée sur la chaîne France 2 le 10 février 2015, le jeune Lucas Letellier, lycéen se disant « homosexuel », affirme qu’il a subi le harcèlement scolaire de la part de ses camarades uniquement « parce qu’il est homosexuel » : « Le pire que j’ai ressenti, c’est Fils de Satan. »
 

Si les personnes homosexuelles ne sont crues incapables d’aimer, c’est bien parce que certains esprits (homophobes, bisexuels, ou homos refoulés) leur ont mis cette absurdité dans le crâne (« Tu vois, je te l’avais dit, tu es incapable d’aimer… »), et qu’elles l’ont validée : « L’espoir fait vivre dit-on, et il faut savoir qu’une grande partie de l’humanité vit de ses rêves d’amour. Quand nous disons que le gei est privé d’amour, cela signifie qu’il est aussi privé de ce rêve. Depuis son plus jeune âge il réalise que l’amour n’est pas fait pour lui. Contrairement à l’adolescent hétérosexuel, il sait qu’il n’y a rien pour lui à l’horizon. » (Chekib Tijani, 700 millions de GEIS (2010), p. 62) ; « Les geis naissent vils et inférieurs. » (idem, p. 95) ; « Dans leur tête, il y a ce mal en moi : j’étais devenu mauvais. » (Samuel, jeune homme homosexuel par rapport à ses parents juifs ortodoxes, dans le documentaire « Homos, la haine » (2014) d’Éric Guéret et Philippe Besson, diffusé sur la chaîne France 2 le 9 décembre 2014) ; etc.

 
 

b) « Je suis un maudit » :

N.B. : Je vous renvoie également au code « Focalisation sur le péché » dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

 

Un certain nombre de personnes homosexuelles ne se jugent pas aimables et aimantes. Elles se présentent au contraire comme maudites par le Ciel, par l’Amour, et par les événements humains. « Je ne pouvais plus vivre en ce monde où me guettaient la malchance et le deuil. » (Jean Cocteau dans son Livre blanc, 1930) La mélancolie les dorlotte : « New York me désespérait avec une grâce certaine où, la sereine langueur de la pollution piquée par le bruit et la chaleur, apportait un bonheur furtif et réparateur mais où, planaient irrémédiables, mon angoisse de vivre et l’attente de la mort. Damné jusqu’à la fin des temps, encombré de mes grandes jambes inutiles, j’étais seul, la nuit, plein de désirs inexaucés, sans savoir que mes seuls amis étaient les étoiles, émues, anonymes, de ma présence. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 118)

 

Par exemple, pour Ricardo Arenales, Luis Cernuda ou encore Marcel Proust, les personnes homosexuelles (ou « inverties ») forment une « race maudite ». Arthur Rimbaud, quant à lui, revendiquera toute sa vie son appartenance à la race « des maudits, des criminels, des malades ». Dans le documentaire « Charles Trénet, l’ombre au tableau » (2013) de Karl Zéro et Daisy d’Errata, Charles Trénet avoue qu’il souffre, en amour, d’un « mal mauve », celui « de l’ombre et du remord ».

 

On trouve dans certains discours la croyance au Sida en tant que matraque céleste. « Il fallait que le malheur nous tombe dessus. Il le fallait, quelle horreur, pour que mon livre voie le jour. » (Hervé Guibert dans son autobiographie À l’Ami qui ne m’a pas sauvé la vie, 1990) ; « Je suis un scarabée retourné sur sa carapace et qui se démène pour se remettre sur ses pattes. Je lutte. Mon Dieu, que cette lutte est belle. » (Hervé Guibert cité dans l’essai Les Écrivains sacrifiés des années Sida (1995) de Jean-Luc Maxence, p. 25)

 

L’amour homosexuel se présente d’office comme fragile ou perdu d’avance, et la majorité des personnes homosexuelles pensent cycliquement qu’elles sont des oubliés de l’Amour vrai (y compris celles qui vivent en couple) : « Ça va pas, on arrête tout de suite, je ne suis pas quelqu’un à marier. » (Élodie, femme lesbienne de 46 ans, interviewée dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 59) ; « À 18 ans, je me suis repliée sur moi-même, et j’ai abandonné jusqu’à la simple idée qu’on puisse m’aimer d’amour. » (Paula Dumont, La Vie dure (2010), p. 19) ; « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (idem, p. 42) ; « Elle se sentait incapable d’aimer : ‘J’ai comme la lèpre au cœur. » (Paula Dumont citant son amante Catherine, idem, p. 154)

 

Mais il ne faut pas croire qu’elles ne trouvent que des inconvénients à l’étiquette de « maudits » qu’elles se collent au front. Au contraire, l’auto-stigmatisation peut, dans l’instant, dorloter l’âme en peine, l’installer dans le confort de la plainte ou du militantisme marginal, lui donner l’impulsion désespérée de la menace puérile. « Je choisis cette planète maudite, je l’habite avec les bagnards de ma race. » (Jean Genet, Journal du voleur (1949), p. 49).

 

Elle a même le pouvoir de faire aimer (un peu) ! Jouer le maudit d’amour, le bobo écorché vif et incompris, le pestiféré qui porte malheur à tous ses partenaires, est une technique de drague très employée par les courtisans-crooners homosexuels. Ces derniers font agir le chantage aux sentiments pour apitoyer leur proie (« Les autres m’ont abandonné prématurément… mais toi, tu n’es pas capable de me faire une chose pareille, hein ? »). Avec leur air de chien battu, ils demandent à leur partenaire du moment de leur faire le plaisir de leur prouver qu’ils valent encore quelque chose dans le « marché gay » en acceptant de sortir avec des « maudits d’amour » comme eux, qui se croient les seuls à aimer bien, en vérité, à 100%, contrairement à leurs amants de passage qui n’ont/auraient pas « joué le jeu » de l’amour jusqu’au bout, qui n’ont/n’auraient pas su les aimer comme eux les a/aurait aimées d’un cœur entier, sacrificiel, pur, gratuit, limite ascétique et platonique… Et il faut avouer que cette stratégie de la folle perdue est très efficace : elle donne à celui qui se laisse prendre l’illusion temporaire de la charité, de la réparation de l’injustice, du sacrifice d’amour.

 
 

c) Le bien par le mal (et la pédagogie de l’erreur) :

N.B. : Je vous renvoie également au code « Liaisons dangereuses » et à la partie « Cruella » du code « Reine », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 

Vidéo-clip de la chanson "Je te rends ton amour" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Je te rends ton amour » de Mylène Farmer


 

Le dilemme moral de beaucoup de personnes homosexuelles concernant le diable, c’est qu’intellectuellement elles savent très bien que le mal n’est pas à faire ; mais esthétiquement elles le trouvent quand même beau et désirable. Leurs sens entrent en conflit avec leur conscience, et gagnent souvent la bataille, au point que l’esthétique est confondue avec l’éthique. La philosophe Susan Sontag explique très bien ce phénomène quand elle traite du mouvement artistique camp, défendu par une majeure partie des membres de la communauté homosexuelle, et qui repose sur la représentation (ironique ? militante ? iconoclaste ?) de la violence, de la mort, de la destruction : « Le goût camp refuse l’axe bipolaire du jugement esthétique habituel : bon-mauvais. » (Susan Sontag, « Le Style Camp », L’Œuvre parle (1968), p. 440)

 

Par exemple, lors de la conférence « Différences et Médisances » à la Mairie du IIIe arrondissement, le 18 novembre 2010, l’écrivain Christophe Bigot parle de « sauver la médisance ». D’ailleurs, celle-ci est au centre de l’intrigue de son roman L’Hystéricon : c’est presque l’héroïne principale. Tous ses personnages sont des « mauvaises » (Les Médisances a failli être le titre de son livre, d’ailleurs !) : « Il y a du brillant dans le père siffleur. » dira-t-il. « J’ai pas mal de tendresse pour Amande, le personnage de la garce dans l’Hystéricon»

 

J’ai déjà vu dans les appartement de certains amis homos des affiches géantes de films à la gloire de la méchanceté « féminine » cinématographique, tels que « The Devil Wears Prada » (« Le Diable s’habille en Prada », 2005) de David Frankel.

 

Se situant davantage sur le terrain des intentions que des actes, un certain nombre d’individus homosexuels vont se mettre en effet à défendre le génie séducteur du diable, la « pédagogie par l’erreur », ou bien le fait que la fin justifie les moyens : « Le poète s’occupe du mal. C’est son rôle de voir la beauté qui s’y trouve, de l’en extraire et de l’utiliser. L’erreur intéresse le poète, puisque l’erreur seule enseigne la vérité. » (Jean Genet cité par Philippe Sollers, « Physique de Genet », dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 42) ; « Le mensonge absolu était la vraie forme d’expression artistique de Truman Capote, limitée mais, paradoxalement, authentique. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 281) ; « Je peux vraiment être méchant. » (Jean-Louis Bory s’en amusant au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc.

 

Étant donné qu’on peut, en théorie, tirer profit de toute action, même mauvaise, de tout échec, de toute épreuve de la vie, ils soutiennent que tous les actes humains sont bons à vivre, y compris les actes mauvais, sans penser que ce n’est pas parce que beaucoup de choses nous sont possibles, et qu’on peut tirer profit de tout (même du pire), qu’il n’y a pas certaines expériences qui nous sont plus utiles, plus souhaitables, plus profitables, et plus idéales à vivre, que d’autres. C’est ainsi que Marcel Jouhandeau, par exemple, exalte la « beauté de l’immoralité » et l’utilité sociale du « vice » dans l’essai Éloge de l’imprudence (1931). Dans son Algèbre des valeurs morales (1935), les titres des chapitres parlent d’eux-mêmes : « Apologie du mal » et « Défense de l’enfer ». Bruce LaBruce, quant à lui, défend une « incorrection jouissive ». Roland Barthes, de son côté, veut que la société reconnaisse qu’il existe une joie de la perversion, que le mal n’est pas totalement mauvais (et qu’il peut même aimer à la place de l’Amour !) : « Le pouvoir de jouissance d’une perversion est toujours sous-estimé. La Loi, la Doxa, la Science ne veulent pas comprendre que la perversion, tout simplement, rend heureux ! » (Roland Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, 1975). Le personnage de Boris dans le roman Les Faux-Monnayeurs (1926) d’André Gide reprend cette philosophie du « bien par le mal » : « Il prenait plaisir à se perdre et faisait, de cette perdition même, sa volupté. »

 
 

d) Le relativisme manichéen et nihiliste qui voit les choses « par-delà le Bien et le mal », mais qui au fond trace implicitement de nouveaux camps « bons » et « mauvais » :

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles


 

Beaucoup de personnes homosexuelles, effrayées par les mots « mal »/« diable »/« péché », trop connotés religieusement à leur goût, défendent l’idée selon laquelle le mal est un concept subjectif soumis à l’appréciation de la conscience individuelle de chacun, et qui en aucun doit être défini collectivement. « À la radicalité du mal dont on découvre avec effroi que l’homme est porteur, on va opposer l’espérance radicale de la disparition du mal. » (Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs (2002), p. 23) ; « Décidé à l’avance que mon histoire aurait un dénouement malheureux, le mal ne pouvait être qu’un leurre. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 126) ; etc.

 

Au fur et à mesure, se crée dans leur esprit une équivalence morale entre le Bien et le mal, étant donné que ces deux réalités sont reléguées au simple statut d’« opinions subjectives, variables et incertaines » : « La Vérité, le mensonge… les deux se valent. » (Jean Cocteau cité dans le spectacle musical Un Mensonge qui dit toujours la vérité (2008) d’Hakim Bentchouala) ; « J’aime ce mélange entre bien et mal. Tout est mélangé. » (Barbara, un homme transsexuel M to F, dans le documentaire « Woubi Chéri » (1998) de Philip Brooks et Laurent Bocahut) ; « L’enfer ne nous fait pas peur, le paradis non plus. » (Pascal Sevran, Le Privilège des jonquilles, Journal IV (2006), p. 102)

 

Or, comme l’écrit très justement Maurice Zundel dans Silence, Parole de Vie (1990), « il y a une différence entre le bien et le mal et ils ne peuvent aboutir au même résultat. Cette idée profondément juste, il ne faut pas l’affaiblir, tout au contraire ! Il faut constamment souligner que le bien et le mal sont différents et qu’ils ne peuvent pas avoir la même issue. » (p. 70)

 

La peur d’entendre parler du mal, très prononcée chez les personnes homosexuelles, me semble être d’une part le signe d’une angoisse face à sa propre liberté d’engagement (Jean-Paul Sartre, dans Saint Genet (1952), explique, en partant de l’écrivain Jean Genet, que « Genet craint de se découvrir soudain maître du Bien et du Mal : cette réflexion s’angoisse devant le vide de la conscience, devant sa liberté », p. 170), et d’autre part le signe du déni des mauvais emplois de cette même liberté. Toujours dans son Saint Genet, Sartre énonce que le propre de l’action diabolique, c’est de se nier tout en se faisant : il développe à juste titre l’idée que le diable se déteste lui-même, qu’il s’est en horreur, qu’il ne veut même pas entendre prononcer son nom ni voir formuler verbalement son agissement. « La seule marque immédiate et universelle dont on dispose pour reconnaître le Mal, c’est qu’il est détestable. Non point détestable aux yeux de celui-ci ou celui-là mais pour tous, donc pour le méchant lui-même. » (idem, p. 174) ; « La trahison a le mérite de faire horreur au traître. » (idem, p. 207) ; « Gide a raison de dire que le Diable a gagné s’il me persuade qu’il n’existe pas. » (idem, p. 182)

 

Pascal Bruckner va plus loin dans La Tentation de l’innocence (1995), quand il écrit que le déni de l’existence du mal est bien souvent la preuve de notre collaboration factuelle avec lui : « Le ‘refus du manichéisme’ dont certains se gargarisent comme d’un exploit intellectuel […] dissimule mal une sympathie active pour l’agresseur. […] Cette neutralité-là est l’autre nom de la complicité. » (p. 221)

 

Comment la communauté homosexuelle assure, sans même s’en rendre compte, les beaux jours du manichéisme diabolisateur ? En diabilisant/personnifiant le diable (sans jamais l’appeler ainsi, bien entendu… sauf dans les moments exceptionnels de croisade épique contre l’Homophobie, quand les mots finissent par dépasser les « pensées » !), et en travaillant, comme les sophistes, sur la forme lexicale sans cesse renouvelée de leurs binarismes idéologiques moralisants. L’axe manichéen bien/mal, venu suppléer l’axe religieux non-manichéen Bien/mal (tout est dans la majuscule !), prendra d’autres noms et d’autres acteurs pour se faire passer pour « démocratique » : on parlera d’opposition femme/homme, homos/hétéros, gay friendly/homophobes, etc. Les récents manichéens homosexuels tracent de nouvelles frontières pour départager leurs amis de leurs ennemis, mais sans s’avouer, évidemment, que ces limites sont manichéennes. Le clivage gauche/droite est l’une de leur marotte : « L’homophobie est surtout de droite. » (cf. l’article « France » de Pierre Albertini, dans le Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 185)

 

Ces manichéens modernes montrent à leur insu que le véritable enfer, ce n’est pas d’être le diable en personne (le diable en personne n’existe pas !), mais uniquement de croire qu’on l’est (ou au contraire qu’on ne l’incarne jamais partiellement dès que nous agissons mal). On retrouve très fréquemment dans la pensée manichéenne des personnes homosexuelles l’idée selon laquelle « le mal et le Bien n’existent pas », « le mal existe pour qu’il y ait l’équilibre avec le Bien », ou encore que « l’existence du Mal est nécessaire à celle du bien ». Un des moyens de déni du mal est la simplification caricaturale de celui-ci : on lui ôte toute intelligence, comme l’a fait l’écrivain nord-américain Armistead Maupin quand je lui ai demandé, le 12 avril 2008, lors de la séance de dédicaces de son roman Michael Tolliver est vivant (2007) à la Librairie Bluebook à Paris, de m’écrire une phrase sur la violence : « Violence is the refuge of the stupid ! » (traduction : « La violence est le refuge du stupide ! ») m’a-t-il improvisé. Mais qui a dit que la violence était bête et illogique, si ce n’est la personne qui veut en user sans la reconnaître ?

 

Le meilleur moyen de lutter contre le mal et de porter un regard réaliste et aimant sur notre société, c’est au contraire, comme le démontre Philippe Muray dans Festivus festivus (2005), de comprendre la logique du diable, pour précisément ne pas le justifier lui dans le déni de son existence éphémère : « Ce n’est pas de chercheurs sociologues ou de prétendus philosophes que ce monde a besoin, c’est à proprement parler de démonologues. Il faut, et je ne m’excuse pas d’employer ce langage quasi médiéval, des spécialistes de la tentation ; du moderne en tant que tentation démoniaque. » (p. 24) ; « Il faut inventer une nouvelle démonologie, cela me paraît être la mission de la littérature d’aujourd’hui. » (idem, p. 29) Alors au boulot !

 
 

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Code n°162 – Solitude (sous-codes : Amitié / Misanthropie / Haine du foot / Célibat / Vieux Gars / Continence / Solitude à deux)

Icône 161

Solitude

NOTICE EXPLICATIVE :

 

« Celui qui n’a jamais été seul au moins une fois dans sa vie peut-il seulement aimer ? » (…pour une fois que Garou sort une phrase intelligente dans ses chansons…)

 
 


L’homosexualité en tant que rapport blessé à l’amitié

 

Je vais aborder ici un des points centraux de l’homosexualité, à savoir d’une part le rapport blessé que l’individu homosexuel établit à lui-même et à sa propre unicité (peur d’être unique, difficulté à accepter son corps anatomique, son héritage personnel, sa liberté individuelle fondamentale), et d’autre part le rapport blessé aux autres et au corps social (le manque d’amis, la peur et la haine de la société)… donc finalement sa difficulté à se lancer pleinement et librement dans les deux options d’engagement d’amour qui le rendraient vraiment heureux – le couple femme-homme aimant ou le célibat consacré vécu dans la continence (abstinence pour Dieu) –, pour privilégier malheureusement leurs deux pastiches qui le rendent malheureux – le couple homosexuel « plus amical qu’amoureux », et le célibat libertin.

 

Au cœur de cette fuite de l’engagement se trouve, je crois, le fâcheux amalgame social entre « solitude » (réalité indiscutable et positive : c’est parce que nous sommes seul et que nous l’acceptons, que nous aimons et sommes aimé, que nous sommes libre et responsable) et « isolement » (un comportement plus qu’une réalité, un refus de s’ouvrir, sous prétexte de sacraliser/diaboliser son unicité, sa solitude fondamentale). Dans ce monde, on est tous seul, mais personne n’est isolé. Et je remarque que ça, les personnes homosexuelles en particulier, ne l’ont pas intégré dans leur cœur.

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Désert », « Différences culturelles », « Île », « Substitut d’identité », « « Je suis différent » », « Promotion « canapédé » », « Boxe », « Homosexualité noire et glorieuse », « Différences physiques », « Manège », « Frère, fils, père, amant, maître, Dieu », « Dilettante homo », « Innocence », « Appel déguisé », « Désir désordonné », « Moitié », à la partie « Musée Grévin » du code « Pygmalion », et à la partie « la bande de copains gays » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 
 

A – L’ISOLEMENT SUBI :

Film "O Fantasma" de Joao Pedro Rodrigues

Film « O Fantasma » de Joao Pedro Rodrigues


 

Beaucoup d’œuvres homosexuelles parlent de la solitude. Cela revient comme une marotte : cf. le roman The Well Of Loneliness (Le Puits de solitude, 1928) de Marguerite Radclyffe Hall, la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès, le film « Children Of Loneliness » (1934) de Richard C. Kahn, le film « Seuls » (1981) de Francis Reusser, la pièce Le Funambule (1958) de Jean Genet, le roman Tu seras seul (1939) d’Alain Rox, la chanson « Madre Amadísima » de Haze et Gala Evora, la B.D. My lesbian experience of loneliness (2016) de Nagata Kabi, etc. Dans le film « East Of Eden » (« À l’est d’Éden », 1955) d’Elia Kazan, Cal (James Dean) est particulièrement solitaire.

 

On entend de la part du personnage homosexuel un grand sentiment de solitude, qui correspond bien souvent à un isolement amical concret, subi, et qui remonte parfois à l’enfance : « Je me sens très seul tout le temps. » (George, le héros homosexuel « veuf » du film « A Single Man » (2009) de Tom Ford) ; « Peut-être que j’étais populaire, mais je t’assure que je me sentais seul. » (Patrick, le héros gay qui était le gars le plus populaire de son lycée, dans le téléfilm « Un Noël d’Enfer » – « The Christmas Setup » – (2020) de Pat Mills) ; « Personne ne peut me comprendre. » (Franz, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Petit, j’étais seul au monde. » (l’un des héros homos de la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel) ; « J’me rappelle qu’à 16 ans, j’avais aucun ami. » (Benji, le héros gay de la comédie musicale Sauna (2011) de Nicolas Guilleminot) ; « Je me sens seul depuis l’enfance. » (Gabriele, le héros homosexuel du film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « J’ai pas d’amis. » (Aldebert dans la comédie musicale HAIR (2011) de Gérôme Ragni et James Rado) ; « Il n’avait pas d’amis. » (le petit frère de Nikolay, homosexuel assassiné, dans le film « Stand » (2015) de Jonathan Taïeb) ; « Encore seuls, nous, rats, comme d’habitude. » (Gouri, le narrateur du roman La Cité des rats (1979) de Copi, p. 129) ; « Au lycée, j’étais un peu seul, je ne connaissais personne. » (Bryan, le héros homosexuel du roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 23) ; « En même temps, c’est bête [de réactualiser ma page Facebook: j’ai pas d’amis. » (Raphaël Beaumont dans son one-man-show Raphaël Beaumont vous invite à ses funérailles, 2011) ; « Gabrielle errait dans un désert de solitude. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 55) ; « Marcel n’avait pas d’amis à l’école. » (Denis-Martin Chabot, Accointances, connaissances, et mouvances (2010), p. 18) ; « Depuis la mort de sa mère, Chris était un garçon solitaire, mélancolique, terré dans son jardin secret. » (Arthur Dreyfus, La Synthèse du camphre (2010), p. 179) ; « Je pense qu’il est temps que vous ayez quelques amis. » (Stephen, l’héroïne lesbienne, à son amante Mary, dans le roman The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928) de Marguerite Radclyffe Hall, p. 452) ; « Tout seuls dans nos vies. » (cf. la chanson « Réveille-toi » de Philippe Tailleferd) ; « Je suis seul. Je me sens seul. » (Didier dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé) ; « J’ai froid !!! La solitude !! » (Pierre Fatus dans son one-man-show L’Arme de fraternité massive !, 2015) ; « Des cinés toute seule, des expos toute seule, des anniversaires toute seule… Toujours toute seule. » (John, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Elvis n’est pas mort (2008) de Benoît Masocco) ; « Seul, j’l’ai toujours été. » (Hugo, le héros homo de la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis) ; « Le seul ami que j’avais, c’était un Picard : Nicolas. » (Guillaume parlant de son parcours scolaire, dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne) ; « Personne ne m’a jamais dit je t’aime. » (Bernard, le personnage homosexuel racontant sa souffrance au foot à l’école, et sa solitude amicale, dans la pièce À quoi ça rime ? (2013) de Sébastien Céglia) ; « Mes amis ont disparu avec mon boulot. » (Bernard, l’homosexuel de la pièce Nous deux (2012) de Pascal Rocher et Sandra Colombo) ; « Les amis… leur soutien de façade… » (Jean-Louis dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Tante Eva, pensez-vous qu’aucune société ne veuille de moi ? » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Quand je vois la solitude dans laquelle vivent tous ces invertis… » (Laurent Spielvogel imitant André un homo sexagénaire, dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Je suis sûre que ces enfants-là se sentent plus seuls que les autres. » (Rana parlant des personnes intersexes et transsexuelles, dans le film « Facing Mirrors : Aynehaye Rooberoo », « Une Femme iranienne » (2014) de Negar Azarbayjani) ; « Mon adolescence : un Grand Moment de Solitude. J’étais la Renoi du lycée. » (Océane Rose-Marie, l’héroïne lesbienne blanche, dans son one-woman-show Chatons violents, 2015) ; « Solitude, solitude, solitude sans fin. Quel genre d’homme était-il ? » (Pawel Tarnowski, homosexuel continent, dans le roman Sophia House, La Librairie Sophia (2005), p. 171) ; « Quand j’étais ado, l’école, c’était l’enfer. J’étais très seule. » (Catherine, la prof de maths lesbienne, dans le téléfilm « Baisers cachés » (2017) de Didier Bivel) ; « T’as pas d’amis. » (Otis s’adressant à son meilleur ami gay Éric, dans l’épisode 1 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; « Sans amis, sans même une affection. » (c.f. la chanson « Le Garçonne » de Georgel) ; etc.

 

Par exemple, dans son roman Sodome et Gomorrhe (1922-1923), Marcel Proust décrit les invertis comme des « amis sans amitiés ». Dans la pièce Chroniques des temps de Sida (2009), de Bruno Dairou, le héros homosexuel évoque « ses solitudes issues des terreurs de l’enfance ». Dans le couple de jumeaux homos du film « Donne-moi la main » (2009) de Pascal-Alex Vincent, il y a d’un côté Antoine (« Antoine, c’est celui qui a des amis. ») et de l’autre Quentin… qui n’en a pas. Dans le film « Stadt, Land, Fluss » (« La Clé des champs », 2011) de Benjamin Cantu, Marko, l’un des héros homosexuels, n’a pas beaucoup d’amis et est quelqu’un de taciturne, de solitaire. Dans le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot, Lucas est un jeune étudiant introverti et homo. Dans son one-man-show Bon à marier (2015), Jérémy Lorca raconte toutes ses déboires amicales : « Elle est belle, l’amitié ! » ; « J’ai commencé à me fâcher avec la moitié de mes potes. ». Dans le film « Jonas » (2018) de Christophe Charrier, Nathan se moque de son amant Jonas parce qu’il n’a pas d’amis au collège : « Pourquoi t’as pas d’amis ? », et le force à avouer qu’il était amoureux de son unique ancien ami, Nicolas, qu’il a perdu. Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homosexuel, cherche la solitude dans les hôtels. Quant à son double mais enfant (10 ans), Rupert, il est décrit comme « un enfant très seul. » par Mrs Kureshi, sa prof de français. Dans le biopic « Noureev, le Corbeau blanc » (2019) de Ralph Fiennes, le danseur et chorégraphe homo Rudolf Noureev est montré comme sauvage, solitaire et misanthrope. Déjà, durant son enfance, il ne se mêlait pas à ses camarades pour jouer à la bataille de boule de neige. « J’étais très seul. Tout le temps. ». Et par la suite, il ne mange pas et ne se lie pas avec ses camarades. Dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button, Virginia Woolf écrit en 1929 une autobiographie, Orlando, où elle se met dans la peau d’un homme du XVIe siècle qu’elle décrit comme foncièrement « seul ». Je vous renvoie à la partie « Musée Grévin » dans le code « Pygmalion » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels, consacrée aux personnages homosexuels réfrigérants et statiques comme des objets).

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Chez le héros homosexuel, la carence d’amitiés s’explique soit par un climat d’oppression sociale particulièrement violent et puéril, soit par une surprotection parentale et incestueuse : « À cette date, Olivier [le héros homosexuel] était un garçon très maigre, avec un appareil dentaire et des lunettes, timide et solitaire. Il était le souffre-douleur de la classe tout entière. » (Jean-Philippe Vest, Le Musée des amours lointaines (2008), pp. 69-70) ; « Tu finiras tout seul. » (Vincent s’adressant à son ex-amant Stéphane, Dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc. Par exemple, dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, Chance, le héros homosexuel, n’a jamais eu beaucoup d’amis et décrit l’enfer qu’il a vécu au lycée. Dans le film « James » (2008) de Connor Clements, le jeune James est confronté aux moqueries de ses camarades à l’école. Dans le film « Save Me » (2010) de Robert Cary, Mark n’est jamais sorti de chez lui : ses parents l’ont gardé enfermé chez lui.

 

L’homosexualité semble être une réponse facile pour éluder la question de la blessure/de l’isolement amical. Par exemple, dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, Doyler et Jim, les deux amants, sont à la recherche d’un certain « caramacré, c’est-à-dire « l’Ami du Cœur ». Ce mythe angéliste de l’Ami-Amant est la preuve non de l’existence d’une véritable amitié entre les deux amants homosexuels, mais au contraire d’un vide amical vécu par chacun des deux membres du couple : « Je crois pas que j’aie jamais eu d’amis. » (Jim) ; « Je crois avoir jamais eu d’amis moi non plus. » lui répond Doyler en se serrant tout contre lui.
 
 

B – L’ISOLEMENT RECHERCHÉ ET LA SOLITUDE MASSACRÉE :

 

B – a) Mépris de l’amitié vraie :

Terriblement déçu par le manque d’amitiés, ou parce qu’il attendait trop d’une amitié sublimée, le héros homosexuel se met parfois à maudire ses camarades, ses pairs ou ses contemporains. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’amitié est souvent trahie dans les fictions homo-érotiques : je pense aux romans de Reinaldo Arenas, Jean Genet, aux pièces de Christophe Botti, de Tennessee Williams, aux films de Stephen Frears, Rainer Werner Fassbinder, de Pedro Almodóvar, de Luchino Visconti. Par exemple, dans la pièce En ballotage (2012) de Benoît Masocco, Arnold, l’un des héros homos, tente d’étrangler son meilleur ami gay Georges. Dans le film « Plan cul » (2009) d’Olivier Nicklaus, Olivier fait tout pour se débarrasser de ses amis qui passent dans son appartement, pour vivre son « plan cul » tranquille. Dans le film « Boys Like Us » (2014) de Patric Chiha, Nicolas a couché avec Franz, l’ex de son pote Gabriel, sans le lui dire. Dans le film « Love Is Strange » (2014) d’Ira Sachs, Elliot commence à se méfier de l’amitié forte entre son fils Joey et le beau Vlad, un camarade de lycée un peu plus âgé que Joey.

 

Réagissant en bête blessée, le protagoniste principal décide de laisser l’amitié au second plan : « J’ai pas d’amis… donc pas d’ennui. » (Karine Dubernet dans son one-woman-show Karine Dubernet vous éclate !, 2011) ; « Je vous propose l’immobilité… de l’ami. […] L’amitié est plus radine que la traîtrise. […] Plus que celle des coups, je crains la violence de la camaraderie. » (l’inconnu à son amant dans la pièce Dans la solitude des champs de coton (1987) de Bernard-Marie Koltès) ; « Je ne tiens pas à me faire des amis. » (Jim Stark, interprété par James Dean, dans le film « Rebel Without A Cause », « La Fureur de vivre » (1955) de Nicholas Ray) ; « Tu es timide et orgueilleuse… ce qui ne facilite pas le rapport avec les autres. » (le père de Claire s’adressant à sa fille lesbienne, dans la pièce Le Mariage (2014) de Jean-Luc Jeener) ; « Moi, je n’ai pas d’amis. Je suis mieux seul. » (Ibrahim s’adressant à son amant Rafa, dans le film « A Escondidas », « Fronteras » (2016) de Mikel Rueda) ; etc. Il va sacraliser son isolement (qu’il nomme « solitude ») en rupture radicale avec les autres (cf. le film « Prayers For Bobby », « Bobby : seul contre tous » (2009) de Russell Mulcahy)

 
 

B – b) Misanthropie/mépris du collectif :

On observe chez le héros homosexuel un passage de l’isolement subi à l’isolement choisi, comme s’il validait intérieurement l’opprobre qui lui a été fait. « [Luc avait] peu d’amis parce qu’il n’avait jamais vraiment rien fait pour en avoir. » (Jean-Marc, l’un des héros homos du roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, p. 35) ; « Personne ne peut me comprendre. » (Franz, le héros homosexuel de la pièce Gouttes dans l’océan (1997) de Rainer Werner Fassbinder) ; « Jonathan Brockett, inverti lui-même, il haïssait le monde qui, il le savait, le haïssait en secret. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 316) ; « C’était un homme très solitaire. » (Hall par rapport à son frère homo Arthur, dans le roman Harlem Quartet (1978) de James Baldwin, mis en scène par Élise Vigier en 2018) ; « Je vais te dire un grand secret : finalement, tu détestes le monde. » (cf. Phrase adressée à Emmanuel, le héros homosexuel du film « Homme au bain » (2010) de Christophe Honoré) ; « L’enfer n’est pas pire que ce Monde. » (Rinn, l’héroïne lesbienne de la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; « On vit dans un monde complètement merdique. » (Willy, le gamin transgenre M to F qui se prend pour une fille, dans le film « Le Tout Nouveau Testament » (2015) de Jaco Van Dormael) ; « Il y a trop de personnes appartenant à mon passé que je n’ai plus jamais envie de voir pour que j’aie un compte Facebook. » (Jane, l’héroïne lesbienne du roman The Girl On The Stairs, La Fille dans l’escalier (2012) de Louise Welsh, p. 191) ; « Je suis agoraphobe. » (Joël, homosexuel, dans le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare) ; etc. Après avoir été rejeté, il se met à rejeter… même s’il présente sa collaboration à la haine comme aussi naturelle et subie que l’exclusion première : « Je ne suis pas fait pour les groupes. » (Larry, un des héros homosexuels du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; « Les gens me font peur. » (Didier Bénureau dans son spectacle musical Bénureau en best-of avec des cochons, 2012) ; « Tu vécus ta révolte contre toute société. » (Ahmed parlant de lui-même dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Je voulais être l’étrange sodomite, celui dont on ne parle pas. » (Anthony, le héros homosexuel du roman At Swim, Two Boys, Deux garçons, la mer (2001) de Jamie O’Neill) ; « Tes grands discours sur la solitude des pédés, tu peux te les mettre où je pense. » (Eva s’adressant à son meilleur ami gay Adrien qui l’empêche d’être heureuse en couple, dans le film « Pédale douce » (1996) de Gabriel Aghion) ; etc.

 

Par exemple, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, Alexandra, la narratrice lesbienne, avoue « le peu de goût qu’elle a pour les autres » (p. 171). Dans le film « Naissance des pieuvres » (2007) de Céline Sciamma, Marie et Floriane, les amantes, se mettent à part du groupe et des autres : « Les autres, c’est des connasses. » (Floriane) Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, est rangé par le Commandant Denniston du côté des agents doubles « solitaires, sans attache ni famille ni amis ». Turing, profondément asocial et misanthrope, se persuade qu’il n’est pas isolé car il prend ses robots et ses machines pour des compagnons de vie, pour son amant d’enfance Christopher : « Je ne suis pas seul. Je ne l’ai jamais été. Je dois les empêcher de me laisser seul. » déclare-t-il face à son ordinateur baptisé « Christopher ». Dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, le jeune héros homo, se jette dans les bras de Serge, bien plus âgé que lui, parce qu’il est blasé de l’Humanité : selon lui, « les vrais gens sont les gens bêtes et les gens méchants. » Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, les deux amants Thomas et François ne veulent pas sortir et s’organisent une soirée-télé, « un truc de vieux ». Dans le film « Carol » (2016) de Todd Haynes, il est clair que c’est la misanthropie, la haine des groupes et des soirées mondaines, qui attirent Carol et Thérèse vers le lesbianisme, et qui les attirent l’un dans les bras de l’autre. Dans le film « La Forme de l’eau » (« The Shape of Water », 2018) de Guillermo del Toro, Giles, le personnage homo âgé, vit une vie solitaire de vieux garçon : « Je n’ai personne à qui parler. »

 

Dans le roman Un Garçon d’Italie (2003) de Philippe Besson, Leo présente au départ sa mise à l’écart comme une nature : « Je sais bien que j’ai toujours été du côté de l’ombre, que je suis toujours resté en dehors. » (p. 30) Plus tard, le lecteur se rend finalement compte que chez lui, l’éloignement a été désiré, de son côté, par un consensus mou : « En fait, ce n’est pas juste parce que je n’ai pas été invité. Depuis toujours, je suis celui qu’on cache, celui qui est interdit de paraître. Je me suis accommodé de ce secret. J’ai même trouvé mon compte à cette dissimulation. Je n’ai pas eu le désir de les rencontrer… » (idem, p. 48)

 

Film "Männer Wie Wir" de Sherry Horman

Film « Männer Wie Wir » de Sherry Horman


 

L’isolement commence sur les bancs de l’école. Par exemple, le temps de la récréation à l’école et au collège n’est pas apprécié par le personnage homosexuel, comme dans le roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung. Dans le film « Ma vraie vie à Rouen » (2002) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Étienne n’aime ni les sports collectifs, ni ses camarades de classe. Dans le film « Tomboy » (2011) de Céline Sciamma, Laure et Lisa restent sur la touche pendant que les garçons jouent au foot. Dans la pièce Parfums d’intimité (2008) de Michel Tremblay, Jean-Marc déclare qu’il haïssait l’école quand il était petit. Dans le roman J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud, Ernst ne joue pas du tout au foot au collège. Dans sa chanson « Droit au but », Stefan Corbin décrit avec humour sa phobie du foot à son médecin. Dans le film « New Wave » (2008) de Gaël Morel, Éric, l’un des héros homos, n’est pas fort en sport et ne va pas jouer avec ses pairs. Dans la pièce Scènes d’été pour jeunes gens en maillot de bain (2011) de Christophe et Stéphane Botti, Martin, le personnage hétéro sur qui pèsera une forte présomption d’homosexualité pendant toute l’histoire, est présenté comme un adolescent qui est très mauvais en foot, qui va à la place de gardien et qui a peur du ballon. Dans le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, Steve, le héros homo, regarde de travers ses pairs jouer au football, et ne se mêle pas à eux, par complexe et orgueil mal placés. Dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent, les vestiaires de cours de sport sont montrés comme des lieux de commérages. Dans le film « Moonlight » (2017) de Barry Jenkins, Chiron, le jeune héros homosexuel, ne joue pas au foot avec ses autres camarades, et il n’aime pas ça. Dans le film « Mon Père » (« Retablo », 2018) d’Álvaro Delgado Aparicio, Segundo est dégoûté par la violence les matchs de foot et du monde masculin.

 

Dans le film « Les Garçons et Guillaume, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume s’entend dire par sa mère qu’il « n’a jamais été sportif », et il finit par se dire qu’il n’est pas un vrai garçon, voire qu’il est homo. Son père tente en vain d’inverser la tendance : « Bon, Guillaume, qu’est-ce que tu veux faire comme sport ? À partir de maintenant, je veux que tous les samedis, tu fasses du sport. Du foot, de la boxe… ou de la lutte gréco-romaine. » Guillaume fuit le service militaire et les sports collectifs : « L’armée, c’est comme le sport. Quelle angoisse ! »

 

SOLITUDE Guillaume

Film « Guillaume et les garçons, à table ! » de Guillaume Gallienne


 

Dans le film « Saisir sa chance » (2006) de Russell P. Marleau, le père de Levi, le héros homosexuel, veut transformer son fils en champion de foot… mais visiblement, le forcing ne marche pas du tout ; et son petit copain, Chance, rejette également le foot comme il intègre peu à peu son identité « d’homosexuel » (il jette les photos des footballeurs qu’il a utilisées pour faire son article sur l’équipe de foot de son lycée).

 

C’est tout un symbole que le foot, le sport collectif par excellence le plus social et accessible à tous, soit rejeté par beaucoup de héros homosexuels : « Je détestais indifféremment tous les sports d’équipe. Ils n’évoquaient à mon esprit d’enfant trop sage que des idées de guerre, de loi du plus fort, de bêtise grégaire. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « La Chaudière » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 18) ; « Mes petits frères me regardaient déjà comme un étranger, parce que je ne voulais pas faire de sport en club avec eux et que je préférais rester dans mon monde. […] L’arrivée au lycée m’a fait reprendre espoir. […] Je me suis fait de bonnes copines, et même un ou deux potes, des gars mauvais en sport comme moi. » (Mourad, l’un des deux héros homosexuels du roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 337) ; « Petit, je me sentais différent de mes camarades. […] Je délaissais les terrains de foot et toutes les occupations de mes camarades. De toute façon, ils ne m’auraient pas invité à jouer avec eux. » (Cyril dans le roman Pavillon noir (2007) de Thibaut de Saint Pol, p. 61) ; « Willie faisait du tennis. C’est son père qui l’avait inscrit, pour faire du sport. Il n’aimait guère son corps, il aurait voulu qu’on le laisse en paix. Il jouait relativement mal et il restait des heures entières aux toilettes. » (Tristan Garcia, La Meilleure part des hommes (2008), p. 14) ; « J’aime pas le foot. » (Jarry dans son one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) La peur du foot dit non seulement la peur du corps social mais plus profondément le mépris de son propre corps. « J’étais gêné. Je suis un peu pudique, moi. J’aime pas me mettre nu devant les autres, et les douches, elles, ne sont pas individuelles. » (Julien, le héros homosexuel du roman Papa a tort (1999) de Frédéric Huet) ; « La natation m’a traumatisée à l’école. » (Shirley Souagnon dans son concert Free : The One Woman Funky Show, 2014) ; « Je restais regarder mes camarades dans les vestiaires, se tripotant. » (Jefferey Jordan dans son one-man-show Jefferey Jordan s’affole, 2015) ; etc.

 

Le foot peut être le paravent de l’homophobie. Par exemple, dans le téléfilm Fiertés de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018, Victor, le héros homo, reçoit un appel téléphonique anonyme de gars de son lycée qui se font passer pour homosexuels afin de lui soutirer son secret. Une fois qu’il confirme à demi-mot la rumeur pesant sur lui, ces derniers lui balancent : « Tout le monde savait que t’étais une pédale ! », avant de raccrocher. Quand la mère de Victor lui demande qui c’était, il invente une excuse : « C’est un remplacement pour un match de foot, et j’pourrai pas. »
 

Une fois que le héros homosexuel arrive à l’âge adulte, sa peur méprisante des adolescents se mute en mépris généralisé des êtres humains. Par exemple, dans le film « Elena » (2010) de Nicole Conn, Peyton, l’héroïne lesbienne, a écrit un essai intitulé Souvenirs d’une agoraphobe. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Benji reproche à Hugo (le personnage probablement homosexuel) de ne pas être assez « sociable ». Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, Tom, l’un des héros homos, est vétérinaire par misanthropie : « La vérité, c’est que je ne suis pas très à l’aise… sauf avec les animaux. Je ne suis pas très à l’aise dans ma propre peau. »

 

La misanthropie (haine du genre humain) est un thème que l’on retrouve de temps en temps dans les œuvres homosexuelles : cf. le roman El Misántropo (1972) de Llorenç Villalonga, la chanson « Sale Pédé » de Nicolas Bacchus, le roman Off-Side (1968) de Gonzalo Torrente Ballester (avec la misanthropie du personnage de Domínguez), le film « Cloudburst » (2011) de Thom Fitzgerald (avec Stella, la lesbienne antipathique et vulgaire), le vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer, etc. Le héros homosexuel se montre réfractaire aux soirées amicales, aux groupes, à la société et au genre humain dans son ensemble : « Je voyageais seul. Oui. Le gay est très sensible. » (le narrateur homosexuel dans le one-man-show Les Gays pour les nuls (2016) d’Arnaud Chandeclair) ; « L’homme est un monstre. » (Sévéria dans le film « La Bête immonde » (2010) de Jann Halexander) ; « N’aimer personne. Être seul, n’être aimé de personne. Être libre. C’est vrai que je n’aime personne, pas même vous, Garance. » (Lacenaire à Garance, dans le film « Les Enfants du paradis » (1943-1945) de Marcel Carné) ; « À tous les âges de la vie, il a éprouvé les mêmes répulsions : l’horreur des groupes, la terreur des familles. » (le narrateur homosexuel du roman Gaieté parisienne (1996) de Benoît Duteurtre, p. 22) ; « Cela fait longtemps que je n’ai pas eu de visite. Les tête-à-tête me fatiguent. L’apprentissage des gens m’est une épreuve. » (la narratrice lesbienne du roman Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train (2005) de Cy Jung, p. 167) ; « Si Jason [le héros homo] aimait la solitude, ce n’était que par éclats. […] Il avait de toute façon trop besoin d’un public pour se contenter longtemps de son propre reflet. » (Christophe Bigot, L’Hystéricon (2010), p. 32) ; « Dès son début, la vie ne lui fut que risettes, grimaces, faux-semblants et tartuferies d’andouilles. […] Toute Société n’est qu’une Immonde et Insatiable Salope. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, pp. 16-17) ; « Je me permets de dire que les humains ne sont pas les seuls ratés. » (le Dieu des Hommes dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, p. 89) ; « Je suis un misanthrope élitiste assumé. » (Karl Lagarfeld cité dans le one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand) ; « T’as tourné le dos au monde. T’es qu’un pédé égoïste ! » (Ayrton s’adressant à son grand frère homo Donato, dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz) ; etc.

 

Cet éloignement des autres n’est pas d’abord délibérément méchant et cruel : il est surtout envisagé comme beau, parce qu’il se charge du désespoir esthétisé de la Drama Queen maudite « qui ne trouvera jamais l’amour », qui est une « victime incomprise » : « C’est impossible pour moi de nouer des liens avec quelqu’un. Les gens passent, ils s’en vont, ça défile, c’est pareil avec tout, au bout de peu de temps tout s’éloigne de moi à toute vitesse. Laisse-moi Paul. Je vous le demande. » (le narrateur homosexuel du roman La Peau des zèbres (1969) de Jean-Louis Bory, p. 529) ; « Il était triste parce qu’une fois de plus il était seul. Il se dit que son destin était de toujours être seul, de toujours perdre ce qu’il aimait. » (Tanguy, le héros du roman Tanguy (1957) de Michel del Castillo, p. 179) ; « J’écrirai un jour un roman sur la solitude des gens dans les bars d’hôtel. » (Stéphane, le romancien bobo de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; etc.

 
 

B – c) L’isolement sous le prétexte d’une différence homosexuelle dite « radicale » :

Grâce au désir homosexuel qu’il découvre en lui, le héros se trouve une excellente excuse pour mettre l’amitié de côté, hors d’état de nuire : l’énonciation d’une nouvelle identité ontologique (« l’homosexuel »).

 

Par exemple, dans « La Chanson de Ziggy » du spectacle musical Starmania de Michel Berger, Ziggy, le héros homosexuel, confie à sa meilleure amie Marie-Jeanne que dans sa jeunesse, « pendant que les gars du quartier jouaient au football, il prenait des cours de ballet », ce à quoi cette dernière, dans une prise de conscience soudaine, met spontanément l’isolement de Ziggy sur le dos de la « différence » homosexuelle : « C’est pour ça qu’ t’avais pas d’amis… »

 
 

C – ISOLEMENT MAL COMBLÉ :

 

C – a) L’isolement sous le prétexte de la recherche d’amour homosexuel :

L’autre alibi trouvé par le protagoniste homosexuel pour écarter l’amitié de sa vie, c’est bien évidemment la quête ou la découverte de « l’amour », c’est-à-dire le couple homosexuel. « Je rentre chez moi seul, comme d’habitude. » (Laurent Spielvogel dans son one-man-show Les Bijoux de famille, 2015) ; « Tu as un problème d’autonomie. Mais c’est un problème entre toi et toi, Marco. » (Laurent s’adressant à son amant Marco, idem)

 

Par peur de voir brisée sa solitude, de voir rompu le confort de son célibat libertin, il se réfugier dans l’inconfort de la relation amoureuse avec ses amis du même sexe. Par exemple, dans le film « La Belle Saison » (2015) de Catherine Corsini, Maurice, le père de Delphine, se désole de la solitude de sa fille : « Tu vas pas rester seule toute ta vie ? C’est terrible la solitude. » Celle-ci, secrètement lesbienne, lui répond : « Je ne veux pas me marier. »

 

D’abord, le héros homo éjecte les amis de l’autre sexe, sous prétexte qu’ils ne l’attirent pas sexuellement, et qu’ils ne suffisent pas à remplir sa vie (s’il est gay, il se débarrasse donc de ses amies filles ; si elle est lesbienne, l’héroïne s’éloigne de ses amis garçons) : « Les filles avaient toujours constitué la majeure partie de ses relations et amitiés ; mais l’absence de tout visage masculin sur qui poser son regard pendant les cours finissait par lui peser, et lui donnait parfois quelque accès de misogynie. » (le narrateur homosexuel de la nouvelle « Cœur de Pierre » (2010) d’Essobal Lenoir, p. 47) ; « Au fil des années, entre Marc et elle [Gabrielle, l’héroïne lesbienne], la passion s’était lentement transformée en une charmante amitié amoureuse. » (Élisabeth Brami, Je vous écris comme je vous aime (2006), p. 54) ; « Qui a besoin d’un ami quand on a un p’tit ami ? » (Éric le héros homo, dans l’épisode 4 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn) ; etc. Les amis en question, mis sur la touche, se rendent parfois compte qu’ils servent de bouche-trous ou d’appât, ou qu’ils sont les dindons de la farce (cf. Je vous renvoie aux codes « Destruction des femmes », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « FAP la « fille à pédé(s) » », et « Duo totalitaire lesbienne/gay », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « On n’est pas vraiment les champions de l’amitié. […] Pour toi, je suis juste la solution de simplicité. » (Franckie à son ami homo Hugo, dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis)

 

Par exemple, dans le film « Boygames » (2012) d’Anna Österlund Nolskog, deux meilleurs amis, John et Nicolas, âgés de 15 ans, sont intéressés par les filles mais redoutent la première expérience sexuelle, alors ils décident de s’entraîner d’abord entre eux. Dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, par misanthropie et haine du groupe de colo, Clara va peu à peu se lesbianiser.

 
 

C – b) Confusion entre amitié et amour :

Ensuite, le héros homosexuel trouve un moyen beaucoup plus pervers et subtil pour faire mourir l’amitié, avec les gens du même sexe cette fois : c’est le désir de fusion (cf. le film « Nous étions un seul homme » (1979) de Philippe Vallois), ou la projection amoureuse sur le meilleur ami (par exemple, dans le film lesbien « Rafiki » (2018) de Wanuri Kahiu, « Rafikie » signifie « Amie » en kényan). Je dis « pervers » car le massacre de l’amitié et le déni de l’autre se font avec une grande sincérité, au nom de l’amour. « Je choisis mes amis pour leur beauté. » (Lord Henry dans le roman Le Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde) ; « Je lui montrais comment faire une explication pour le bac en français. On avait un groupement de textes tiré des Fleurs du mal. Quand je relisais avec lui ‘Parfum exotique’, j’avais des frissons des pieds à la tête. J’avais l’impression que ça parlait de lui, de nous. » (Mourad, l’un des personnages homosexuels, parlant d’Esteban, un camarade de classe, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 339) ; « Son amitié est toujours mêlée de désir, de sensualité. » (Virginia Woolf regrettant l’attachement trop fusionnel de son amante Vita Sackville-West, dans le film « Vita et Virginia » (2019) de Chanya Button) ; etc. Il est fréquent, dans le discours du personnage homo, que le terme « amitié » et celui d’« amour » soient mêlés. En général, c’est pour que le degré d’engagement, pourtant différent selon le nature de la relation, soit ou amoindri (dans le cas de l’amour), ou excessivement rehaussé (dans le cas de l’amitié)… en tous cas inadapté au réel : « L’amitié qui est l’amour, l’amour qui est l’amitié. » (Imre et Oswald, les deux amants du roman Imre : A Memorandum (1906) de Xavier Mayne) ; « Plus de 60% des gays ont eu le béguin pour leur meilleur ami. » (le drag-queen du film « Cost Of Love » (2011) de Carl Medland) ; « Les lesbiennes ont tendance à être copine avec leurs exs. » (Florence, l’héroïne lesbienne de la pièce Confidences (2008) de Florence Azémar) ; « Tu es ma meilleure amie : couche avec moi ! » (Ninette à sa meilleure amie Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) de Cathy Celesia) ; « À quel moment débute l’amour ? À quel instant finit l’amitié ? Avec toi, Ern, je n’ai jamais su. » (Chris s’adressant à Ernest dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 192) ; « Ne mélange pas tout. On est amies. » (Clara s’adressant à Zoé après qu’elles se soient embrassées sur la bouche, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret) ; « Amant, ami… Toutes les combinaisons sont envisageables… » (Jacques s’adressant à son jeune amant Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Comment ça se fait que toi, Momo, mon meilleur ami, tu sois gay ? » (Fabien Tucci, homosexuel, dans son one-man-show Fabien Tucci fait son coming-outch, 2015) ; etc.

 

Dans les fictions homosexuelles, l’amitié est presque systématiquement confondue avec l’amour : cf. le film « Les Amitiés particulières » (1964) de Jean Delannoy, le film « An Intimate Friendship » (2000) d’Angela Evers Hughey, le film « Ami/Amant » (1998) de Ventura Pons, le film « Fremde Freundin » (1999) d’Anne Hoegh Krohn, le film « Mon ami, mes amants » (2002) de Jean-Daniel Cadinot, la chanson « Amis/Amants » du groupe What For, le film « The Secret Diaries Of Miss Anne Lister » (2010) de James Kent, le film « Harvey Milk » (2009) de Gus Van Sant, le film « Teens Like Phil » (2011) de David Rosler et Dominic Haxton (dans lequel l’amitié entre Phil et Adam sera détruite après un événement inattendu dans un parc, qui va plonger les deux garçons dans l’autodestruction et la violence), le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot, le film « El Sexo De Los Ángeles » (« Le Sexe des anges », 2012) de Xavier Villaverde (avec la relation ambiguë entre Carla, Bruno et Rai), la pièce Les Sex Friends de Quentin (2013) de Cyrille Étourneau, la chanson « Équivoque » de Jean-Luc Lahaye, etc.

 

Par exemple, dans le film « The Boys In The Band » (« Les Garçons de la bande », 1970) de William Friedkin, Michael, en apprenant que son meilleur ami d’enfance Stuart a fait son coming out, a fini par l’imiter. Dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, Alan Turing, le mathématicien homosexuel, tombe amoureux de Christopher, son camarade de classe au pensionnat britannique, son unique ami. Dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H., Matthieu avoue que son premier émoi homosexuel date de l’adolescence, quand il est tombé amoureux de son meilleur ami à 13 ans. Dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho » (« Au premier regard », 2014) de Daniel Ribeiro, Léo tombe amoureux du premier ami qui lui accorde de l’attention : il se masturbe en mettant le pull de Gabriel. Dans le film « Kaboom » (2010) de Gregg Araki, Smith est troublé par son beau colocataire, Thor. Dans la pièce Le Gai Mariage (2010) de Gérard Bitton et Michel Munz, le mariage gay est défini comme un « mariage d’amis » : Dodo (Dominique) et Henri sont amis depuis 15 ans, et vont contracter un mariage pour toucher un héritage. Dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, Karma et Amy, deux lycéennes, cherchent à être populaires dans leur lycée en brisant leur amitié et en se faisant passer pour un couple. Dans la pièce En panne d’excuses (2014) de Jonathan Dos Santos, au moment où Guillaume doit faire du bouche à bouche à son meilleur ami Louis qui s’asphyxie, il pense immédiatement à mal : « Ça devient du porno gay, ton truc… On n’est pas des bêtes ! ». Dans le film « L’Apparition » (2018) de Xavier Giannoli, Jacques, le journaliste, érotise l’amitié entre Anna et Meriem, en suspectant Anna d’être lesbienne. Une ancienne de leur camarade dément le soupçon : « C’est pas du tout ce que vous croyez. » Dans la pièce Jardins secrets (2019) de Béatrice Collas, Cédric et Lucas sont en couple et vont se marier au Québec… mais Cédric est d’abord présenté pudiquement comme « son meilleur ami ». Dans le film « Close » (2022) de Lukas Dhont, Léo nie sa proximité amoureuse avec Rémi, en se rabattant sur l’amitié : « On s’est rapprochés parce qu’on est meilleurs amis. » se justifie-t-il auprès de ses camarades de classe, avant de repousser les avances de Rémi.
 

Toute la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza joue sur l’insolubilité de la frontière entre amitié et amour. Damien raconte à Rémi (qui tombe amoureux de lui) qu’il a déjà connu dans son adolescence une ou deux expériences de touche-pipi avec un mec, « la bonne vieille amitié amoureuse ». Et Rémi, lui, veut l’amour avec Damien, sinon rien : « Je peux pas être ton ami ! Je veux pas ! Je ne veux plus ! Et j’ai même jamais voulu l’être ! »
 

Dans le roman At Swim, Two Boys (Deux garçons, la mer, 2001) de Jamie O’Neill, il est fait l’éloge de la transformation de l’amitié fraternelle en amour : « L’amitié qui tend vers l’amour peut tendre vers le désir. » (Scrotes s’adressant à son amant Anthony) D’ailleurs, Jim et Doyler, les deux adolescents irlandais, sont poussés dans les bras l’un de l’autre par les adultes homosexuels : « Nous sommes des dieux, Scrotes, et ces deux jeunes hommes sont nos jouets. » (Anthony s’adressant à son amant)

 

Dans le roman Michael Tolliver est vivant (2007) d’Armistead Maupin, « la baise entre potes » (p. 64) ne semble poser aucun problème aux protagonistes homosexuels. Dans le roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, Suzanne aime « faire l’amour en toute amitié » avec sa copine Melitta (p. 202). Dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, le narrateur homosexuel parle d’un de ses « camarades de frotti-froota » (p. 25). Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, il est question du « PCR » = « Plan Cul Régulier ». Dans la pièce La Thérapie pour tous (2015) de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, le Dr Katzelblum suit en thérapie un couple gay Benjamin/Arnaud parce qu’Arnaud ne s’assume pas comme homo. Il tente de préparer le terrain pour les aider à se faire à l’idée qu’ils sont en couple : « Disons que vous êtes des amis. » Et Arnaud, tout de suite, atténue : « Non. On est un couple d’amis. » Il soutient à son père, au téléphone, que Benjamin est juste « un ami, un fucking friend ».

 

Très souvent, le héros homosexuel tombe amoureux de son meilleur ami : cf. le roman Zéro commentaire (2011) de Florence Hinckel (Medhi avec son meilleur ami), le film « Arisan ! » (2003) de Nia di Nata (où Nino est intéressé par son meilleur ami Sakti), le film « Cost Of Love » (2011) de Carl Medland (Dale amoureux de son meilleur ami Raj), le film « Nagisa No Sindbad » (« Grains de sable », 1995) de Ryosuke Hashiguchi (avec Ito, lycéen rêveur, secrètement amoureux de son meilleur ami Yoshida), le film « Ô trouble » (1998) de Sylvia Calle (Inès tombe amoureuse de Laura), le film « Sancharram » (2004) de Ligy J. Pullappaly (la jeune Kiran tombe amoureuse de sa meilleure amie d’enfance Delilah), le film « Jamie And Jessie Are Not Together » (2011) de Wendy Jo Carlton (Jessica est secrètement amoureuse de sa meilleure amie Jamie), le film « Prora » (2012) de Stéphane Riethauser (Jan, allemand, tombe amoureux de son meilleur ami français Matthieu), etc.

 

Cette confusion est d’abord le fruit d’une projection et des rumeurs d’une société à l’esprit mal placé, focalisée sur la génitalité et le cul plutôt que sur la belle gratuité des rapports humains. Par exemple, dans la pièce Ninette Y Un Señor De Murcia (1964) de Miguel Mihura, l’amitié entre Armando et Andrés est jugée suspecte par leur voisinage, alors qu’ils sont de simples amis. Elle est aussi montrée comme un jeu amusant, à travers l’inversion.

 

Le glissement entre amitié et amour homosexuel semble aussi caractéristique de la période d’adolescence des protagonistes : cf. le film « Freude » (2001) de Jan Krüger (avec Johannes et Marco), le film « Heavenly Creatures » (« Créatures célestes », 1994) de Peter Jackson, le film « Get Real » (« Comme un garçon », 1998) de Simon Shore, etc. « Ah la pension… j’ai que des bons souvenirs là-bas. J’ai rencontré Johnny là-bas. » (Maxime, le héros homosexuel de la pièce 1h00 que de nous (2014) de Max et Mumu) Par exemple, dans le film « A Home At The End Of The World » (« La Maison du bout du monde », 2004) de Michael Mayer, Bobby et Jonathan, deux meilleurs amis, maquillent leur amitié adolescente en amour homosexuel afin de survivre et de tromper leur monde.

 

Le mot « amour » ou le verbe « aimer » servent de rouleaux compresseurs à l’amitié. Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, quand Kévin demande à son amant Bryan « où est la limite entre l’amour et l’amitié ? », ce dernier lui fournit une réponse bien vague, et lui ferme le clapet avec l’argument de « l’amour » : « Je ne sais pas, là où on la met. S’il y en a une ! Qu’est-ce que je t’aime ! » (p. 297)

 

L’amitié particulière que disent vivre les héros homosexuels ressemble à une amitié forcée, poussée, surnaturelle, s’écartant déjà de la simple amitié et n’étant pourtant pas assez forte pour être qualifiée d’amour : « Depuis peu, les deux filles étaient toujours ensemble, comme si elles étaient ‘très amies’. […] Je cherchais ce que Marie entendait par ‘très amies’, sachant qu’elle ne disait jamais rien pour rien. » (Alexandra, l’héroïne lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 46) ; « Ton amitié me trouble. Tu te rends bien compte que notre amitié est trop poussée. » (Jean-Jacques s’adressant à son amant Jean-Marc, dans la pièce Les Virilius (2014) d’Alessandro Avellis) ; « J’ai envie de dire merde à notre amitié de merde ! » (George s’adressant à Joley son amant, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; etc.

 

Les protagonistes homosexuels, quand ils leur arrivent de sortir ensemble (ce qui arrive les trois-quarts du temps) et de ne pas s’en vouloir avec le temps, finissent par se résigner à conserver une amitié ensemble. Leurs cercles amicaux sont composés alors de leurs exs : « Juste amis ; plus du tout amants. » (Michael parlant de son colocataire Harold, dans le film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) Par exemple, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche (épisode 8, « Une Famille pour Noël »), Rodin est un ex de Thierry, devenu ensuite ami.

 

La confusion entre l’amitié et l’amour peut également traduire chez le héros homosexuel une forme d’homophobie et de déni de ses actes homosexuels. Par exemple, dans le film « Lilting » (« La Délicatesse », 2014) de Hong Khaou, Kai, le héros homosexuel, n’arrive pas à faire son coming out à sa mère et à assumer son copain Richard (« Tu dormiras dans la chambre d’amis. On fera semblant d’être amis. »). Et Richard rentre dans ce jeu en se faisant passer pour le meilleur ami de Kai pendant tout le film, pour justifier par amour l’homophobie intériorisée de son copain.
 

Enfin, la confusion entre l’amitié et l’amour exprime une désincarnation de l’amour. Par exemple, dans le film « Imagine You And Me » (2005) d’Ol Parker, Luce, l’héroïne lesbienne, utilise l’amitié pour fuir sa vie, et s’appuie sur celle-ci pour justifier que l’amour serait platonique et asexué. « Tu ne baises jamais. » remarque sa pote lesbienne Eddie. Luce lui répond vertement : « J’ai des amis. Ça me suffit amplement. » Le massacre de l’amitié par la sentimentalité ou la génitalité/sensualité est perturbant et dramatique. Par exemple, dans l’épisode 4 de la saison 1 de la série Sex Education (2019) de Laurie Nunn, Ruthie dit qu’elle n’aime pas sa « meilleure amie » Tanya d’amour, et a peur de lui faire de la peine en rompant leur relation.
 
 

C – c) Refus d’être seul = Refus d’être unique :

La confusion entre l’amitié et l’amour se caractérise par l’absence de liberté. Elle semble en effet être le fruit de la précipitation, et donc de la pulsion : « Je n’ai jamais eu d’ami-i avant. Parce que s’ils étaient séduisants, je pouvais les aimer pour ça et s’ils ne l’étaient pas, il n’y avait aucune raison pour qu’ils deviennent mes amis. » (Jérémy Patinier auteur, dans la pièce Les Hommes aussi parlent d’amour (2011) de Jérémy Patinier) Le héros homosexuel a eu tellement peu d’amis d’adolescence ou de personnes du même sexe qui se sont intéressées à lui, que tout d’un coup, dès qu’un meilleur ami se présente, il ne se laisse même pas le temps de l’amitié : il se fait des films et saute sur la case « amour » ou « sensualité » !

 

Mais bien plus qu’une affaire mûrement réfléchie de défouloir pulsionnel, la précipitation à décréter une amitié « amoureuse » indique plus fondamentalement une peur panique d’être unique/seul, donc une haine de soi, un doute angoissant d’aimer et d’être aimé : « Tu as sûrement peur d’être toi, peur d’être seul. » (le frère Antoine à Malcolm, le héros homosexuel, dans le roman Par d’autres chemins (2009) d’Hugues Pouyé, p. 110) ; « J’ai beaucoup de mal à m’endormir seul. » (Thierry, l’homosexuel débauché, dans la série Joséphine Ange-gardien (1999) de Nicolas Cuche ; épisode 8, « Une Famille pour Noël ») ; « Personne ne supporte d’être seul. » (Russell, l’un des deux héros homosexuels du film « Week-end » (2012) d’Andrew Haigh) ; « Nobody will be alone. » (cf. un écriteau dans le film « Permanent Resident » (2009) de Danny Cheng) ; « Vous me faîtes rire tous les deux, à chercher l’amour comme si vous en aviez besoin, comme si vous n’existiez pas par vous-mêmes. » (Polly, l’héroïne lesbienne s’adressant à Simon et Mike, ses potes gays, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 36) ; « Tu as peur de mourir seul ? » (Roméo avant d’embrasser Johnny, dans le film « Children Of God », « Enfants de Dieu » (2011) de Kareem J. Mortimer) ; etc.

 

Dans le spectacle musical Luca, l’évangile d’un homo (2013) d’Alexandre Vallès, le héros homosexuel crache sur ce qu’il nomme « l’atroce, la solitude ».

 

Beaucoup de héros homosexuels font une fixette sur leur célibat, qu’ils vivent comme une honte suprême : cf. le film « Footing » (2012) de Damien Gault, le film « Saint Valentin » (2012) de Philippe Landoulsi, le film « Plan cul » (2009) d’Olivier Nicklaus, le film « Eu Não Quero Voltar Sozinho » (« Je ne veux pas rentrer seul », 2010) de Daniel Ribeiro, la pièce Célibataires (2012) de Rodolphe Sand et David Talbot, la chanson « C’est la misère » de Dick Annegarn, etc.

 

Le personnage homosexuel passe son temps à se rassurer sur le fait (angoissant pour lui !) qu’il n’est pas unique ni seul : cf. la chanson « You Are Not Alone » de Michael Jackson, le film « Du Er Ikke Alene » (« Tu n’es pas seul », 1980) de Lasse Nielsen et Ernst Johansen, etc. « No eres el único. » (le héros du ballet Alas (2008) de Nacho Duato) ; « Tu ne seras plus jamais seul. » (Adam et Steve dans le film « The Big Gay Musical » (2010) de Casper Andreas et Fred M. Caruso) ; etc. Par exemple, dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, François se travestit en Dalida pour chanter en play-back la chanson « Pour ne pas vivre seul ». Dans le film « Una Giornata Particolare » (« Une Journée particulière », 1977) d’Ettore Scola, Gabriele, le héros homosexuel suicidaire, a du mal à vivre « comme si la solitude était une richesse ».

 
 

C – d) Renoncement à l’abstinence et à l’amitié chaste :

Il sent bien, même s’il ne le conscientise pas forcément, que l’enjeu de la survie de l’amitié, c’est la chasteté. Il évoque à de rares moments la possible importance de l’abstinence/continence, seules capables d’empêcher le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour. Mais en général, c’est pour les tourner en dérision, ou ne pas s’en juger capable/digne : « Chers amis, chers ennemis de l’abstinence… » (l’un des personnages de la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Bien des années plus tard, quand j’ai succombé à nouveau dans des circonstances où l’abstention s’imposait, j’ai bien été obligée de reconnaître que je suis d’une faiblesse consternante. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 187) ; « Je ne suis pas faite pour le renoncement. » (Isabelle, l’héroïne bisexuelle du film « Portrait de femme » (1996) de Jane Campion) ; etc.

 

Bien souvent, il crie avant d’avoir mal en considérant « la continence comme un cauchemar » (Julien Green, Si j’étais vous (1947), p. 22) Il ne la valorise pas : elle lui fait honte, alors même qu’il ne la connaît pas. « Sa chasteté était pire que celle d’une vierge. » (Reinaldo Arenas dans le film « Avant la nuit » (2000) de Julian Schnabel) Par exemple, dans la pièce Chroniques d’un homo ordinaire (2008) de Yann Galodé, Didier craint plus que tout d’être perçu comme un puceau.

 

Dans la pièce Les Vœux du Cœur (2015) de Bill C. Davis, la chasteté est tournée en dérision par les héros homosexuels. Et même le prêtre « catholique », le père Raymond, n’ose pas proposer le célibat continent à son « couple » de paroissiens gays, Bryan et Tom, mais plutôt le compromis bancal de la « maisonnée conjugale chaste », de la « vie commune ». Toute la pièce met au pilori le célibat, et notamment le célibat sacerdotal : « C’est comment, d’être tout seul ?!? » (Tom interrogeant le père Raymond) ; « Mon père, personne ne comprend pourquoi il faut que les prêtres fassent ce vœu. » (idem) ; « Dites-moi ce que ça fait de dormir seul !! » (Bryan torturant psychologiquement le père Raymond) ; « Tu vas écouter un gars qui est assez con pour vivre en chasteté toute sa vie ? » (Irène, la sœur de Bryan, s’adressant à Tom par rapport au prêtre) ; « Voilà une manière courageuse d’assumer ses sentiments. Tous les deux, vous faites la paire ! » (idem) ; etc. Et le père Raymond est porté responsable de la rupture temporaire entre Bryan et Tom quand il les appelle à la « chasteté ». Les deux amants, au départ séduits par le discours spirituel de leur curé, se retournent contre lui : « En quoi la solitude est une chose sainte ? Moi, je me sens seul. Comment on fait pour que ça s’arrête ?? » (Bryan s’adressant au père) ; « C’est ça, la Clé du Royaume ? : mortifier le corps pour que notre âme s’élève ?!? » (Tom au père).
 

En réalité, on voit bien que la continence n’est caricaturée que par le personnage homosexuel qui n’en vit pas et qui s’en veut de ne pas l’appliquer comme il voudrait : « Je me félicitais de ma force de caractère chaque fois que je repoussais une sollicitation. Je ne comprenais pas qu’en croyant me libérer, je devenais de plus en plus esclave de mon orgueil. Chacun de mes triomphes sur moi-même, c’était un tour de clé que je donnais à la porte de mon cachot. » (André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925), p. 139) Il préfère penser qu’elle est un moteur à frustration, bien plus dangereux encore que le passage à l’acte homosexuel avec un ami de confiance, ou qu’un banal « plan cul » (« sans conséquence » dit-il), parce qu’elle décuplerait les pulsions violentes en lui.

 
 

C – e) Le célibat libertin : un pastiche violent de l’amitié chaste

Le héros homosexuel, plutôt que de vivre vraiment l’amitié et l’abstinence, va les travestir et se donner l’illusion de leur expérience en englobant dans son discours célibat ponctuel et célibat de vie sous le même vocable fourre-tout et bonne conscience de « célibat ». Même s’il fait les 400 coups, il se targue de connaître la grisante liberté du célibataire ! Il s’agit pour lui d’un célibat choisi, donc forcément, à ses yeux, noble ! Or, ce qu’il omet de dire, c’est que son choix n’est pas fixe, ni durable, ni entier, et qu’il n’implique pas toute sa personne, comme le fait le célibat continent donné à Dieu, ou bien l’amitié chaste. Donc il ne le rend absolument pas pur ni libre.

 

« J’étais célibataire, c’est-à-dire que je ne couchais pas plus d’une nuit avec un garçon. » (Denis, l’un des héros homosexuels du film « Le Cimetière des mots usés » (2011) de François Zabaleta) ; « Il y a des soirs où il faut que je baise avec un gars. […] C’est pour ça que je vis seul : tous les matins, je sais jamais comment la journée va finir. Même s’il s’est rien passé, je sais que la possibilité est là… » (Claude, le héros homo du film « Déclin de l’Empire américain » (1985) de Denys Arcand) ; « C’était un être qui avait été tellement seul qu’il avait toujours besoin de se trouver entouré, sans jamais avoir besoin de personne en particulier. » (Liz décrivant Willie, un des héros homos du roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 99) ; « On n’a pas de colocataire à 30 ans passés. On vit avec son amant ou avec sa sœur. » (Michael, le héros homosexuel du film « The Boys In The Band », « Les Garçons de la bande » (1970) de William Friedkin) ; etc. Il ne goûte pas, en réalité, aux joies du célibat durable.

 
 

Polly – « En fait, excuse-moi de te demander ça, mais t’es un mec seul, non ?

Simon – Non-non. Je choisis quand je veux être seul, mais si je veux, je m’entoure. Regarde, cette nuit je suis allé dans les labyrinthes de buissons au-dessus du Louvre, tu sais, la nuit, les mecs y baisent dans les fourrés. Ben j’étais pas seul.

Polly – Ah ouais ? Je me demande ce qui peut motiver un mec à aller se faire enculer en pleine nuit dans un parc…

Simon – Ben j’aime bien le sexe. Et puis comme ça chuis pas seul, tu vois.

Polly – Non mais attends, moi aussi, ça m’fout les jetons d’être seule. Mais tu peux pas me faire croire que t’es pas seul parce que la nuit tu vas dans un endroit où y’a plein de mecs qui sont seuls aussi.

Simon – Ben si. Ne pas être seul, c’est s’entourer de gens qui se sentent seuls, non ? »

(cf. dialogue entre Polly l’héroïne lesbienne et Simon le héros gay, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 16)

 
 

C’est à travers l’enchaînement à ses amants que le héros cherche paradoxalement sa solitude perdue. « Je me perds entre les buissons, je croise des garçons auxquels je n’ai pas envie d’agripper ma solitude. Regards fermés, gestes lents, comme des funambules suicidaires. Ils font l’amour debout, le jeans baissé sur les chevilles. Sur leur visage un air triste d’avoir abandonné le combat. » (Simon dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, pp. 14-15) Mais il se retrouve face au mur incontournable de l’unicité fondamentale de l’Amour. Et comme il tente de contourner l’obstacle du renoncement, il ne récolte qu’un éternel retour à l’isolement : « J’habite seul avec maman, dans un très vieil appartement rue Sarasate. J’ai pour me tenir compagnie une tortue, deux canaris et une chatte. […] À l’heure où naît un jour nouveau, je rentre retrouver mon lot de solitude. J’ôte mes cils et mes cheveux comme un pauvre clown malheureux de lassitude. Je me couche mais ne dors pas. Je pense à mes amours sans joie, si dérisoires. » (cf. la chanson « Comme ils disent » de Charles Aznavour) ; « J’ai rencontré probablement les personnes les plus solitaires, pas par goût. C’est un type de relations qui les plongent chacun dans son coin. Les rencontres entre eux sont souvent très éphémères et très frileuses. » (l’Étranger à propos des homos, dans le roman Solitude (1962) de François Dolto) ; « Pour être homo, il faut une aptitude à la solitude. […] À 60 ans, quand on est gay, on n’a plus qu’une main. » (un homosexuel abandonné de tous et se justifiant de devoir se satisfaire sexuellement tout seul car il n’a plus de valeur marchande dans le « milieu homo », dans le one-man-show Hétéro-Kit (2011) de Yann Mercanton) ; « Je me demande si je suis fait pour la vie de couple. » (Vincent, l’un des héros homos de la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Cette solitude à deux, ça devient… mon lot de fille à pédés. » (Mathilde s’adressant à son meilleur ami homo Guillaume, dans la pièce Commentaire d’amour (2016) de Jean-Marie Besset) ; « Moi aussi, j’me sens seule. » (idem) ; « Je sais pas être avec quelqu’un. Je ne sais qu’être seul. » (Jacques s’adressant à son amant Arthur, dans le film « Plaire, aimer et courir vite » (2018) de Christophe Honoré) ; etc.

 

Le héros homosexuel, étant donné qu’il refuse de choisir (pour un temps et librement) le célibat, finit par le subir, et oscille donc entre deux trains de vie : celui du libertin et celui du vieux gars célibataire. Jour/Nuit/Jour/Nuit. Les fictions homo-érotiques regorgent de héros homosexuels devenus vieux garçon ou vieille filles (cf. Je vous renvoie au code « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. Suze dans le one-woman-show Wonderfolle Show (2012) de Nathalie Rhéa, Tanguy dans le film « Tanguy » (2001) d’Étienne Chatiliez, le sketch La Solitude de Muriel Robin, le film « Le Placard » de Francis Weber, etc. « Si tu continues comme ça, tu finiras vieille fille. » (Louison s’adressant à Sidonie, l’héroïne lesbienne, dans le film « Les Adieux à la Reine » (2012) de Benoît Jacquot) ; « T’es qu’une vieille fille manquée ! » (Léopold parlant à sa femme Marie Lou, dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie Lou (2011) de Michel Tremblay) ; etc. Par exemple, dans le film « Imitation Game » (2014) de Mortem Tyldum, le mathématicien homosexuel Alan Turing vit seul et dans un tel laisser-aller qu’il dit qu’il aurait besoin d’une femme de ménage.

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’obsession du héros homosexuel pour une vie en solitaire est le revers de médaille d’une vie libertine obéissant au diktat de la couplisation généralisée de la société. Par exemple, dans la pièce Hétéro (2014) de Denis Lachaud, les « pères » homosexuels de Gatal (le héros homosexuel vieux garçon), sont de véritables despotes avec leur fils unique : ils téléguident sa vie à sa place pour qu’il ne soit plus célibataire et qu’il procrée avec un homme : « Ça ne peut plus durer. Ça rime à quoi ?? » Ils sont la caricature de l’obsession sociale pour le couple. Mais le plus incroyable, c’est que le seul couple gay d’« amour » qui se formera dans la pièce va être rendu impossible, d’abord à cause des pressions alentours, mais aussi parce que ceux-là même qui essaieront de le former sont anti-couples : Gatal et son fiancé voulaient rester célibataires toute leur vie, et dénoncent le fait que leur société « considère le couple comme une unité indivisible ».
 
 

C – f) Les dégâts de l’amitié amoureuse

En général, dans les fictions, l’inversion entre l’amour et l’amitié est beaucoup plus douloureuse et dramatique que les deux anciens amis/nouveaux amants ne l’avaient prévue au départ : et du côté de l’ami qui n’aime pas son confident du même amour que lui, et du côté de l’amant qui se retrouve seul avec des sentiments non-partagés, et enfin pour les deux amis qui vivent une expérience charnelle qui dit un amour que la réalité de leur corps aurait dû arrêter mystérieusement à l’amitié. L’amour et l’amitié n’étant pas des amours de même nature (même s’il existe des croisements entre eux), leur uniformisation forcée crée fatalement des décalages, des incompréhensions, des déceptions, des frustrations, des souffrances, et des violences parfois réelles. La mixture entre amitié et passion dénature à la fois l’amour et l’amitié. Et ce détournement transgressif, d’abord inédit, ludique, puissant et séduisant, se retourne en général contre les deux amis apprentis sorciers. L’un d’eux se durcit, devient tyrannique et possessif ; l’autre a peur, ou bien se ramollit en voyant ses sentiments d’amour redevenir à nouveau juste amicaux. « Il faut que vous sachiez, Vincent, que j’ai, de l’amitié, une conception un peu, voire tout à fait, tyrannique et possessive. » (la figure de Marc Proust à son amant Vincent, dans le roman En l’absence des hommes (2001) de Philippe Besson, p. 91)

 

Les amitiés « particulières » (les bien nommées, tant elles réservent bien des mauvaises surprises !) des fictions homo-érotiques se chargent souvent de la violence des passions criminelles et fanatiques. Par exemple, dans le film « The Burning Boy » (2000) de Kieran Galvin, c’est le glissement de l’amitié à l’amour qui est très mal digéré par l’un des deux amants, et qui finit en incendie mortel pour l’autre. Dans le film « La Robe du soir » (2010) de Myriam Aziza, l’amitié prof/élève va virer à l’obsession et au fanatisme destructeur chez la jeune Juliette, qui s’insère de manière intrusive dans la vie intime de Madame Solenska. Dans le film « Heavenly Creatures » (« Créatures célestes », 1994) de Peter Jackson, les deux héroïnes Juliet et Pauline vont vivre une amitié passionnelle particulièrement destructrice, criminelle. Dans le film « Libertango » (2009) de Sara Hribar, Tamara est épuisée par la possessivité de sa colocataire Julija.

 

Dans la pièce Les Amours de Fanchette (2012) d’Imago, l’« amitié pleine de tendresse » que partagent Agathe et Fanchette, une fois qu’elle s’actualise par des gestes amoureux à la fois consentis et forcés (c’est Agathe qui franchit le pas que Fanchette n’aurait jamais voulu faire : « Tu parles encore d’amitié quand c’est l’amour que tu m’inspires ??? » dit la première), se métamorphose en véritable damnation, en perte irrévocable de l’innocence, en déshonneur : « Oui, c’est vrai ! Notre amitié n’est pas innocente ! » s’exclame Fanchette, en pleurs, épouvantée par le massacre de l’amitié qu’elle et son amie viennent d’opérer.

 
 

C – g) Solitude à deux :

Le véritable drame qui frappe le couple homosexuel fictionnel, c’est un drame personnel au fond, qui ressemble à une « cruelle ironie » du Réel, mais qui n’est en fait que le reflet de la violence que chacun des membres du couple a fait au Réel en s’éloignant de Lui ! Fuyez la Solitude et Elle revient au galop, mais cette fois sous la forme du désagréable spectre de l’isolement, un spectre d’autant plus invisible qu’il a pris l’apparence corporelle et chaleureuse de la compagnie conjugale ! Le couple ne règle pas le minimum d’amour de son unicité que le héros se devait à lui-même, et que le partenaire aura du mal à fournir.

 

Avant d’être en couple, chacun des deux amis voulait en théorie combler le vide horrible de son célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans sa vie, il étouffe, devient imbuvable, se demande pourquoi on ne lui fiche pas la paix, pourquoi il ne s’est pas contenté de l’amitié ! « Ah, Pietro […] J’aurais dû te regarder vivre de loin, avec des jumelles, rester seulement un bon ami. Mais j’avais besoin de ton odeur comme cible de mon regard, l’as-tu jamais compris ? » (le narrateur homosexuel s’adressant à son amant, dans le roman Le Bal des folles (1977) de Copi, pp. 23-24) ; « I can’t believe it took me quite so long to take the forbidden step. Is this something that I might regret ? […] I thought that we would just be friends. Things will never be the same again. » (cf. la chanson « Never Be The Same Again » de Mel C. et de Lisa Left Eye Lopes ; traduction : « Je ne peux pas croire qu’il l’a fallu si longtemps pour franchir le cap interdit. Est-ce qu’il y a quelque chose que je regrette ? […] Je pensais que nous serions juste amis. Les choses ne seront plus jamais pareil. »)

 

Au fond, il existe un certain nombre de héros homosexuels qui expriment la nostalgie de l’amitié, la vraie, celle qui ne franchira pas la limite de l’amour charnel : « Parfois, nous oublions combien l’amitié est importante. » (Marcos, le personnage homo de la série télévisée espagnole Amar En Tiempos Revueltos (2005) de Rodolf Sirera, sur la chaîne TVE) ; « C’est important les amis. » (Zize, le travesti M to F, dans le one-(wo)man-show Zize 100% Marseillaise (2012) de Thierry Wilson) ; etc. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’amitié est autant chantée dans les fictions homosexuelles (cf. je vous renvoie à la partie « la bande de copains gays » du code « Milieu homosexuel paradisiaque » dans mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : cf. le roman À l’amitié (1937) de Francis Carco, le film « Giallo Samba » (2003) de Cecilia Pagliarani, le film « Œdipe (N + 1) » (2001) d’Éric Rognard, etc. Certains personnages homosexuels en arrivent même à avouer cyniquement qu’ils se sentent plus eux-mêmes avec leurs amis qu’aux bras de leur copain !

 

On touche là au paradoxe de ce qu’on pourrait nommer « la solitude à deux ». Beaucoup de héros « casés » ont l’impression d’être encore plus seuls en couple qu’à la période où ils étaient officiellement célibataires, comme si la structure du couple homosexuel les avait isolés encore davantage que leur célibat : « Après ma nuit avec ma cousine, rien de tout cela, sinon un sentiment d’inachevé et de solitude. » (Alexandra, la narratrice lesbienne du roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 72) ; « Seul, tu vis comme à deux, quand tu y repenses ! Moi, je vis comme pour deux ! » (Nathalie Rhéa dans son one-woman-show Wonderfolle Show, 2012) ; « J’en apprends plus sur toi en une matinée qu’en un an ! En fait, je réalise que je ne sais rien de toi. » (Bryan s’adressant à son amant Kévin, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 418) ; « Au fond, je ne te connais pas aussi bien que je le crois. » (Stéphane s’adressant à son ex-amant Vincent, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « Tu m’as ignoré, oublié, écarté. Tué. Tu ne m’as même pas regardé, Khalid, tu n’as même pas cherché à me prendre avec toi par les yeux. Non. Tu es resté tout seul dans ta gloire. Tout seul dans ton moment. Égoïste. Égoïste. Tu étais égoïste, Khalid. Et j’étais seul. Seul et à côté de toi. Seul et toujours accroché à toi… » (Omar s’adressant à son amant Khalid, dans le roman Le Jour du roi (2010) d’Abdellah Taïa, p. 132) ; « Moi je sais qu’Héloïse m’aime, mais je suis seule. Même s’il s’agit d’un lieu commun, de ces lieux communs que j’ai impitoyablement pourchassés, je pense qu’on est toujours seul. » (Suzanne, l’héroïne lesbienne du roman Journal de Suzanne (1991) d’Hélène de Monferrand, p. 408) ; « Une bande de tout seuls ensemble : voilà ce qu’on est ! » (Marie Lou dans la pièce À toi pour toujours, ta Marie-Lou (2011) de Michel Tremblay) ; « Voilà à quoi j’en suis réduit… toujours tout seul. » (Matthieu attendant son copain Jonathan, dans la pièce À partir d’un SMS (2013) de Silas Van H.) ; « Je dois pas être fait pour la vie de couple. » (Jean-Louis dans la pièce Y a comme un X (2012) de David Sauvage) ; « Nous n’avons pas d’amis, Frank. Et nous n’en aurons jamais. » (Bill s’adressant à son amant Frank, dans la série The Last of Us (épisode 3, 2023) de de Neil Druckmann et Craig Mazin) ; etc.

 

Dans le film « Pédale dure » (2004) de Gabriel Aghion, Loïc et Sébastien, pourtant en couple, ne se considèrent comme uniques et accompagnés que lorsque leur meilleure amie Marie, la parfaite « Fille-À-Pédés », vit au milieu d’eux. Sinon, c’est la grande déprime : « Je me sens seul… » soupire Loïc. « Moi aussi… » rebondit Seb. « Comment ça se fait qu’on se sente seuls ? On est deux… » s’étonne Loïc.
 

Il est intéressant de voir que, contrairement à l’idée reçue selon laquelle on serait isolé que si on n’est pas en couple, la solitude, ou mieux dit l’isolement, est souvent ressentie par les personnages homosexuels non dans le célibat mais précisément en couple homo : cf. le film « Being At Home With Claude » (« Seul, avec Claude », 1992) de Jean Beaudin, le film « Together Alone » (1991) de P. J. Castellaneta, le film « Together Alone » (2014) de Mateo Guez, le film « Como Ser Solteiro » (1997) de Rosane Svartman, la chanson « Les Uns contre les autres » de Marie-Jeanne dans la comédie musicale Starmania de Michel Berger, le film « Seul ensemble » (2013) de Valentin Jolivot, etc.

 

« Il jouit en moi comme il s’en retire, sans un bruit, sans un regard pour moi, sans un mot ou un geste. Je le regarde partir se laver dans la salle-de-bain dans une odeur de merde chauffée, le cul endolori, la bite encore dure, avec un sentiment violent de frustration. Il revient, s’installe pour dormir, me repousse quand je veux me coller à lui en m’expliquant ‘Ah non, ça m’empêche de dormir, d’avoir quelqu’un collé à moi. » (Mike, le narrateur homosexuel par rapport à son amant Léo, dans le roman Des chiens (2011) de Mike Nietomertz, p. 98)

 

L’isolement peut être vécu/construit non seulement individuellement mais aussi conjointement par les deux amants du couple, qui se replient sur eux-mêmes : « Nous étions sauvages, ne nous mêlions pas aux autres. » (Cécile en parlant de son couple avec Chloé, dans le roman À ta place (2006) de Karine Reysset, p. 41) ; « La plupart des gens étaient au courant désormais. Je cessai de voir les amis que j’avais, et eux non plus ne me donnèrent bientôt plus signe de vie. Ils ne me manquaient pas, Sylvia suffisait à me combler. » (Laura, l’une des deux  dans le roman Deux femmes (1975) d’Harry Muslisch, p. 45) ; « On n’a pas d’amis. On est trop snobs pour ça. » (Mitchell et son copain Alex, dans la pièce Une Souris verte (2008) de Douglas Carter Beane)

 

Dans le cas du héros homosexuel qui va « voir ailleurs », son infidélité est le signe de ce refus d’être unique, et de son expérience d’un incompréhensible et pourtant véritable isolement dans son couple : « Il [Adrien, le héros homo] considérait d’ailleurs la fidélité sous un jour nouveau. La sexualité masculine conservait toujours quelque chose d’animal. Ni la tendresse ni l’amour – ce que transmettent les femmes – ne parvenaient totalement à dompter la puissance d’un désir brut, primitif, captivant. Ce désir de pénétrer et d’envahir la différence de l’autre ; de ne pas laisser la proie s’échapper. Car c’est elle, la proie, qui donne l’impression d’exister mieux. Elle est comme une extension de soi, un poids ajouté au sien. Certains ont le goût de l’argent, d’autres du pouvoir et d’autres encore de conquérir les corps et parfois les âmes avec. Tous finalement refusent leur solitude, leur finitude, leur désert. » (Hugues Pouyé, Par d’autres chemins (2009), p. 51) ; « J’me sentais toute seule [‘avec toi’, ou ‘dans notre couple’]. » (cf. une phrase que répète plusieurs fois, éplorée, Adèle à son ex-compagne Emma, pour se justifier de lui avoir été infidèle, dans le film « La Vie d’Adèle » (2013) d’Abdellatif Kechiche) ; etc.

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION :

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

A – L’ISOLEMENT SUBI :

Film "Alone : Queer Lisboa" de Russell Sheaffer

Film « Alone : Queer Lisboa » de Russell Sheaffer


 

Beaucoup de personnes homosexuelles parlent de la solitude. Cela revient comme une marotte. « Nous étions tous de grands solitaires certes ! » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 105) ; « Toute ma vie, j’ai été très seul. Je ne dis pas ça pour me victimiser. Je kiffe trop ma solitude. » (Mateo, homosexuel et séropositif, dans le documentaire « Vivant ! » (2014) de Vincent Boujon) ; etc. Par exemple, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon dit que pendant ses années étudiantes ses chanteurs préférés ont donné corps à son sentiment d’isolement identitaire et affective : « La chanson de Françoise Hardy ‘Tous les garçons et les filles de mon âge’ semblait avoir été écrite pour évoquer la solitude des gays). » (pp. 99-100) Dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta, Paul, un témoin homosexuel suisse, se plaint de « l’isolement » qu’induit la condition homosexuelle : « L’intimité n’existe pratiquement pas. »

 

On entend de la part des personnes homosexuelles un grand sentiment de solitude, qui correspond bien souvent à un isolement amical concret, subi, et qui remonte parfois à l’enfance : cf. le docu-fiction « N’importe où hors du monde » (2012) de François Zabaleta (racontant l’histoire d’un enfant de 8 ans, muré dans son sentiment d’être différent des autres) « Mes souvenirs d’enfance sont rarement roses et mon adolescence a été difficile à vivre. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 12) ; « Matthew se sentait vraiment seul. » (un ami de Matthew Sheppard, dans le docu-fiction Le Projet Laramie (2012) de Moisés Kaufman) ; « Le problème n°1, c’est de sortir de la solitude. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; « J’avais l’impression d’être complètement seule au monde. » (Noémie, jeune témoin lesbienne de 20 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010) ; « Mon maître d’école fit remarquer à mes parents que je souffrais d’un manque d’affection et de tendresse qui démontrait à ses yeux, l’évolution d’une personnalité renfermée, amère, et presque sauvage. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 21) ; « Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude, les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. » (Yves Saint-Laurent dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretto) ; « J’étais plutôt rejeté. » (Jean-Paul Gaultier, le couturier racontant qu’adolescent, il venait trouver refuge chez sa grand-mère pour échapper à l’ambiance pesante à l’école et au collège) ; « Dès la maternelle, collé au instit, pendant la récré j’étais en échec scolaire, un élève très sensible instable, ayant peur de tout et du regard des autres. J’ai redoublé le CP et j’ai eu la colère de voir mes camarades passer d’un niveau alors que moi je restais dans la même classe, j’étais le rejeté, l’exclu de mes frères et sœurs qui ne comprenaient pas pourquoi je n’étais pas avec eux et ils me regardaient tous. » (cf. le mail d’un ami, Pierre-Adrien, 30 ans, juin 2014) ; « Face à mes bouffées de stress matinales, ma mère avait fini par s’inquiéter et appeler le médecin. Il avait été décidé que je prendrais des gouttes plusieurs fois par jour pour me calmer (mon père s’en moquait ‘Comme dans les asiles de dingues’). Ma mère répondait, quand la question lui était posée, que j’étais nerveux depuis toujours. Peut-être même hyperactif. C’était l’école, elle ne comprenait pas pourquoi j’accordais tant d’importance à ça. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 64) ; « Retarder artificiellement le moment de l’arrivée dans la cour de l’établissement puis dans le couloir. » (idem, p. 66) ; « Jamais je ne parvins à complètement m’intégrer aux cercles de garçons. Nombreuses étaient les soirées où ma présence était soigneusement évitée, les parties de football auxquelles on ne me proposait pas de participer. » (idem, p. 121) ; « La présence de ce téléphone, noir et fixe, m’horripilait. Avoir une conversation privée était impossible ; tout le monde entendait ce qu’on disait. J’avais l’impression qu’un espion nous guettait en permanence. […] Il ne m’apportait jamais de bonheur ; jamais la voix de mon père, en vain attendue ; jamais la voix d’un ami de lycée ; jamais le flux de la vie. Bête malfaisante tapie au centre géométrique de l’appartement, il ne pouvait transmettre que de mauvaises nouvelles. » (Dominique Fernandez, Ramon (2008), pp. 43-44) ; « Tapette : seule. Trav : seule. Seule. Seule. Seule. Seule. […] J’ai peur d’être seule, d’être exclue. » (Linn, jeune homme brésilien travesti en femme, dans le documentaire « Bixa Travesty » (2019) de Kiko Goifman et Claudia Priscilla) ; etc.

 

Dans le film autobiographique « Guillaume et les garçons, à table ! » (2013) de Guillaume Gallienne, Guillaume, le héros bisexuel, dit avoir vécu un véritable calvaire en pension chez les frères des Écoles Chrétiennes : « Ils étaient 119 sur moi ! »

 

Il est souvent question, dans les oeuvres homo-érotiques, de la trahison amicale. Par exemple, dans le téléfilm « Clara cet été-là » (2003) de Patrick Grandperret, Zoé trahit sa meilleure amie Clara, alors que c’était elle qui à la base l’a poussée à être lesbienne et avait éveillé en elle un désir homo : « J’t’aime plus, Clara. J’ai fait l’amour avec Sébastien. À cause de toi, j’ai failli faire une croix sur les garçons. C’est toi qui as un problème avec les mecs. Pas moi. »

 

La carence d’amitiés s’explique soit par un climat d’oppression sociale particulièrement violent et puéril, soit par une surprotection parentale et incestueuse : « Je me souviens que je restais toujours près de ma mère sur l’herbe. J’étais rassuré. J’étais spectateur, je regardais les autres jouer au loin. J’étais hors jeu. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 17) ; « Pas un ami. » (le dramaturge français Jean-Luc Lagarce dans son Journal 1977-1990) ; « En ce qui me concerne, jusqu’à l’âge de cinq ans, où j’ai été scolarisée, il m’était impossible d’échapper au climat délétère de la maison, impossible aussi d’apprendre à vivre avec les autres, ceux de mon âge, auxquels il faudrait pourtant bien que je me confronte le jour venu. Je n’ai pas pu non plus me réfugier dans les bras d’une grande sœur quand ma solitude était trop lourde à porter. Mes aptitudes à la relation à l’autre s’en sont ressenties. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 39)

 
 

B – L’ISOLEMENT RECHERCHÉ ET LA SOLITUDE MASSACRÉE :

 

B – a) Mépris de l’amitié vraie :

L’homophilie est une structure psycho-affective, une tendance ou, si l’on préfère, une période de latence occupant les six ou sept premières années de l’enfance. Il est donc courant qu’elle soit confondue avec des amitiés fortes vécues à cette même période, ou alors qu’elle se crispe et se fige en désir homosexuel profond par manque d’amitiés fortes justement. « Pendant des années, je me disais : ‘Non non, je confonds l’amitié avec le sentiment amoureux. » (Noémie, jeune témoin lesbienne de 20 ans, dans l’émission Temps présent spéciale « Mon enfant est homo » de Raphaël Engel et d’Alexandre Lachavanne, diffusée sur la chaîne RTS le 24 juin 2010)

 

Terriblement déçues par le manque d’amitiés, ou parce qu’elles attendaient trop d’une amitié sublimée, beaucoup de personnes homosexuelles se mettent à maudire leurs camarades, leurs pairs ou leurs contemporains. Elles ont un passé lourd avec certains de leurs anciens amis. « J’affirmais, non sans un brin d’ironie, qu’un ami, ce n’était pas forcément la complémentarité d’un autre ami mais aussi sa propre complémentarité. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 59)

 

Par exemple, dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand parle de son problème de sociabilité, du « malaise ressenti au contact de ses camarades » (p. 113). Quant à l’écrivain Jean Genet, il rejette ouvertement les amitiés. Il finit par se fâcher avec tous ses proches. « Pas d’amis, surtout pas d’amis. » (Jean Genet en 1952, cité dans l’article « Jacques Guérin : Souvenirs d’un collectionneur » de Valérie Marin La Meslée, dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 70) ; « Il n’avait pas d’amis, il n’en voulait pas. Genet ne pouvait s’accrocher longtemps. » (idem, p. 72) La paranoïa de Violette Leduc lasse jusqu’à ses meilleurs amis. Virginia Woolf prend systématiquement ombrage de la réussite et du bonheur des autres. « Pour moi, écrit-elle un jour au poète Stephen Spender, les écrivains vivants sont comme des gens qui chantent dans la pièce d’à côté, trop fort, trop près… Je suis exaspérée dès qu’ils sortent un peu du ton, comme s’ils m’empêchaient de chanter ma propre chanson. » (Virginia Woolf citée dans l’article « Joyce, D.H. Lawrence et les autres » de Françoise Pellan, sur le Magazine littéraire, n°275, mars 1990, p. 53)

 

L’amitié est en général un terrain sur lequel les personnes homosexuelles sont arrivées assez tard, et qu’elles associent à la trahison. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains auteurs homos traitent directement de la trahison amicale, que ce soit par le biais du témoignage ou celui de la fiction : cf. l’autobiographie À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990) d’Hervé Guibert, le roman Termina El Desfile (1980) de Reinaldo Arenas, le film « Marie Besnard, l’Empoisonneuse » (2006) de Christian Faure, le film « Le Club des cœurs brisés » (2000) de Greg Berlanti, etc.). Par exemple, le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot assassine l’amitié, la dépeint comme un véritable panier de crabes. D’ailleurs, son auteur avoue que les trahisons amicales qu’il a connues durant ses années d’études ont vraiment servi de support à l’intrigue. Le même constat amer peut être fait chez le dramaturge argentin Copi. S’il y a un sentiment qui manque dans son œuvre, c’est bien l’amitié (la seule histoire d’amitié qu’on trouve dans toutes ses pièces, c’est celle entre Silvano l’ancien de 100 ans et le jeune Indien Pelito dans le roman La Vie est un tango, 1979). Tout nous porte à croire que l’homosexualité est un signe parmi beaucoup d’autres indiquant que l’amitié est en perte de vitesse dans nos sociétés contemporaines. De plus en plus de media nous présentent l’amitié femme-homme et la camaraderie entre semblables sexués, comme utopiques, impossibles, hypocrites, risibles, ou douteuses.

 

Par certains aspects, je comprends un peu la méfiance des personnes homosexuelles vis à vis de l’amitié, car elle se justifie en partie. C’est surtout à cause de l’amitié et en son nom qu’elles vivent parfois des amitiés amoureuses douloureuses et trompeuses, mais aussi que notre société bien-intentionnée ne voit pas souvent la violence de ce qu’elles vivent en « amour ». L’amitié est une richesse qu’elle emploie mal, le miroir à double tranchant, la couverture idéale de la société hétéro-gay friendly-homophobe (combien d’« amis » des personnes homosexuelles confondent leur relation avec elles et ce que celles-ci expérimentent dans leur « couple »…!).

 
 

B – b) Misanthropie/mépris du collectif :

L’isolement a pu commencé sur les bancs de l’école. « Je me sentais seul, du primaire au collégial. Je n’allais avec aucun groupe. Aller danser avec une bande d’hétéros ne me disait rien ; je cherchais une identité, un point d’attraction, mais rien ne se présente. J’avais pas un sentiment d’appartenance avec les gens de ma classe, ou même avec les gens de mon école. J’étais à part des autres. J’aimais surtout pas aller en éducation physique. J’ai jamais aimé ça. Dès le cours primaire, on peut être tellement méprisé. Je jouais à la corde à danser, aux élastiques avec les filles. » (un témoin homosexuel de l’essai Mort ou Fif (2001) de Michel Dorais, p. 67) ; « Le reste de sa jeunesse de collège, au sortir de cette douleur, il le consacre à lui-même, dans un fabuleux égoïsme : ‘Autrui est tout à fait insupportable. La seule compagnie possible est soi-même. S’aimer soi-même est le commencement d’un grand amour.’ écrit Oscar Wilde trente ans plus tard. » (Jean-Louis Chardans, Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970), p. 171) ; « J’ai souffert des autres pendant cette période. […] J’ai compris à quel point le monde est injuste. […] À partir de 14 ans, je me suis progressivement volontairement coupée des jeunes de mon âge, jusqu’à finir dans un isolement complet en prépa. J’étais devenue une fille repliée sur elle-même, asociale, complexée, effrayée de tout. » (cf. l’article « Tomboy à l’affiche » de Bab El) ; etc.

 

Pier Paolo Pasolini aux vestiaires de foot

Pier Paolo Pasolini aux vestiaires de foot


 

C’est tout un symbole que le foot, le sport collectif par excellence le plus social et accessible à tous, soit rejeté par beaucoup de personnes homosexuelles (et si les femmes lesbiennes se dirigent en masse sur les stades, ce n’est pas d’abord pour des raisons relationnelles et conviviales, mais prioritairement par fantasme identificatoire au machisme) : « Détestant les sports d’équipe, je réussis à presque tous les éviter à St Albans. » (Gore Vidal, Palimpseste – Mémoires (1995), p. 121) ; « J’ai quatorze ans. Je ne suis pas très grand, plutôt frêle car je prends bien soin d’éviter les clubs de sport et je multiplie les excuses pour être dispensé des cours d’éducation physique au collège. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 18) ; « Je ne voulais pas vraiment d’amitiés masculines parce que, visiblement, la majorité des garçons était plus douée pour le football que pour autre chose. Sur quelles conversations aurions-nous pu trouver un terrain d’entente ? Je n’avais jamais touché à un ballon… » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 47) ; « Mon père pensait que le football m’endurcirait et il m’avait proposé d’en faire, comme lui dans sa jeunesse, comme mes cousins et mes frères. J’avais résisté : à cet âge déjà je voulais faire de la danse. […] Dans les vestiaires, je découvris, avec horreur et effroi, que les douches étaient collectives. Je suis rentré et je lui ai dit que je ne pouvais pas continuer ‘Je veux plus en faire, j’aime pas ça le football, c’est pas mon truc’. Il a insisté quelque temps, avant de se décourager. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, p. 31) ; « J’aimais pas tout ce qui était sport en équipe – foot – c’était pas du tout mon truc. » (Tony, jeune témoin homo, dans l’émission Toute une histoire spéciale « Quand ils ont renoncé leur homosexualité, leurs proches les ont rejetés » diffusée sur France 2 le 8 juin 2016) ; etc. Par exemple, dans son autobiographie Retour à Reims (2010), Didier Éribon parle de sa « détestation des soirées où l’on regardait les matchs de football à la télévision » (p. 58). Dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz, Christian, un des interviewés homos, dit son appréhension des salles d’éducation physique, sa peur des douches collectives où l’angoisse d’être identifié comme « désirant homosexuel » est vécue comme un cauchemar : « C’est extrêmement difficile à vivre. […] J’ose à peine regarder les autres. […] Quand c’était intime, j’étais dans le malaise. » Dans cette vidéo, le directeur de Change.org en Espagne, Francisco Polo, raconte que traumatisme et le grand sentiment de solitude qu’a été ce moment où on l’a forcé à jouer au foot avec ses camarades : il décrit cet épisode comme la crise originelle de son homosexualité.

 

Pour ce qui est de mon cas personnel, quand j’étais adolescent, je ne jouais au foot que lorsque j’y étais obligé, c’est-à-dire en cours de sport (collège/lycée) ou lors des activités extra-scolaires. Et l’ambiance dans les vestiaires, comme sur le terrain, constituaient pour moi une épreuve. Concrètement, ça me fichait le bourdon, et je faisais tout pour ne pas montrer mon corps ni pour développer mes capacités sportives et relationnelles dans le sport. Lors de la constitution des équipes, j’étais presque toujours choisi en dernier. Pendant les matchs de basket ou de football en équipe, je me mettais en défense et en retrait, planqué dans les goals. Et j’avais peur du ballon. Pour être exempté de sport, ou de piscine, il m’arrivait d’oublier mes affaires, de simuler une maladie, ou bien je prétextais un nez qui saignait, une foulure au pouce. Et parfois, je me faisais véritablement mal (aussi parce que je n’étais pas très téméraire et que je n’écoutais pas les consignes : j’y mettais de la mauvaise volonté à ne pas me dépenser jusqu’au bout dans l’effort ; je préférais prendre le rythme des filles et faire des cours de sport un prétexte pour papoter et ne rien glander). Étaient donc mêlés à ma hantise du football beaucoup de choses : haine de moi-même, peur des autres, misandrie voilée, paresse, dégoût, inaptitudes physiques objectives, etc. Certainement pas ma seule homosexualité (même si celle-ci est le prétexte désirant et identitaire facile que j’ai intégré intérieurement pendant des années pour ne pas m’avouer les merdes qu’elle cachait).

 

Film "Billy Elliot" de Stephen Daldry

Film « Billy Elliot » de Stephen Daldry


 

Une fois que le sujet homosexuel pratiquant arrive à l’âge adulte, sa peur méprisante des adolescents se mute souvent en mépris généralisé des êtres humains. La misanthropie (haine du genre humain) est une attitude que l’on retrouve très souvent chez lui : « Yves est quelqu’un qui a compris son époque mieux que n’importe qui, mais qui ne l’aimait pas. » (Pierre Bergé parlant de son amant Yves Saint-Laurent, dans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton) ; « Il n’y a pas de problème de l’homosexualité. Notre problème, c’est les autres. En pays chrétien, bien entendu. Ce problème, il n’existe que dans les pays judéo-chrétiens. En dehors de cela, il n’existe pas. » (Nedra, homme homosexuel, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « Le seul problème que ça m’a posé était religieux. J’ai été chrétien. J’avais le sens du péché. Et donc ça m’a posé problème à cet égard. Jamais à l’égard de la société qui ne me paraît pas mériter tant de révérence. » (Pierre Démeron, homosexuel de 37 ans, au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 3 avril 1969) ; « Bien entendu, je ne suis pas dupe. Je sais très bien que je sers d’alibi au Système. À la limite je sais très bien que je sers d’alibi – je peux être méchant ? – à une société que je déteste. » (Jean-Louis Bory au micro de Jacques Chancel, dans l’émission Radioscopie sur France Inter, 6 mai 1976) ; etc. Comme le dit avec beaucoup de lucidité Alberto Mira dans son essai De Sodoma A Chueca (2004), le « milieu homosexuel » finit bien souvent par constituer des « communautés de misanthropes » (p. 226).

 

On observe chez un certain nombre de personnes homosexuelles un passage de l’isolement subi à l’isolement choisi, comme si elles validaient intérieurement l’opprobre qui leur a été fait au collège : « J’ai été toute ma vie handicapée dans les relations avec les autres. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 40) ; « De toute façon, moi je n’ai jamais été dans le social. » (Catherine, femme lesbienne de 32 ans, dans l’essai Se dire lesbienne : Vie de couple, sexualité, représentation de soi (2010) de Natacha Chetcuti, p. 59) ; « J’ai tout le temps besoin de sécurité, de soutien, très négatif, pas d’avenir en vue, dépendant toujours de ma mère je vis toujours chez elle actuellement, l’inconnu m’effraie ainsi que les relations avec les autres, hommes ou femmes. Je n’aime pas me mélanger aux autres, j’ai très peu d’amis, rien ne m’intéresse, tout est fade. » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

Après avoir été rejetées, certaines se mettent à rejeter… même si elles présentent leur collaboration à la haine comme aussi naturelle et subie que l’exclusion première. « Au départ, la distance prise par un homo avec la vie sociale ordinaire correspond à une nécessité, avant de devenir un choix délibéré. Parce qu’il se sent mis à l’écart, il fait le choix de se mettre à l’écart. » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 217)

 

Une fois qu’elles arrivent à l’âge adulte, leur peur méprisante des adolescents se mute en mépris généralisé des êtres humains, en misanthropie donc : « Misogynie ? Mettons que je sois très sensible à un certain côté étroit et borné, superficiel et pesamment matériel tout ensemble, chez la plupart des femmes. […] Le mot misanthropie me semblerait plus juste, dans le découragement qu’il implique vis-à-vis des êtres humains quel que soit leur sexe, et souvent sans s’excepter soi-même. » (Marguerite Yourcenar, Le Coup de grâce, 1938) ; « Je ne sais pas m’accorder, ni accorder aux autres, ces plaisirs intermédiaires qui font la vie de tous les jours. C’est la raison pour laquelle je ne suis ni un être social ni sans doute, au fond, un être culturel ; c’est ce qui fait de moi quelqu’un de si ennuyeux dans la vie quotidienne. Vivre avec moi, quel ennui ! » (Michel Foucault dans son interview pour Stephen Riggins, 1983) ; « La société ne pardonne pas, et elle me donne la nausée. Nous vivons dans une société hypocrite et conservatrice. » (Antonio Toig, ex-carmélite, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, p. 300)

 

En société, elles se posent souvent en outsider. Par exemple, l’homme de théâtre Denis Daniel évoque son « caractère misanthrope » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 31). On connaît l’isolement social et la « sauvagerie » de personnalités telles que Gastón Baquero, Federico García Lorca, Marcel Proust (qui ne supportait pas les bruits et qui avait tapissé sa chambre de plaque de liège « à cause de son asthme »), Raymond Radiguet, André Gide, Constantin Cavafis, William Burroughs, James Baldwin, Marguerite Yourcenar, etc. Le compositeur Érik Satie n’ouvre jamais son courrier. Virginia Woolf, Oscar Wilde, ou encore Luis Cernuda, se mettent à dos tout leur entourage. Dans son essai L’Infidélité : La relation homosexuelle en question (2009), Christophe Aveline parle de « notre société agressive et cruelle » (p. 37). Dans le documentaire « Stefan Sweig, histoire d’un Européen » (2015) de François Busnel, Stefan Sweig évoque son « sentiment de terrible solitude ».

 

En lisant la biographie de la romancière nord-américaine lesbienne Carson McCullers, on ne voit que difficulté à s’ouvrir aux autres. Dès son enfance, elle s’est enfermée dans « une solitude due à la fois aux principes familiaux (on ne l’autorise pas à jouer avec les enfants du voisinage) et à son propre caractère, assez peu sociable. » (Josyane Savigneau, Carson McCullers (1995), p. 32) ; « Carson McCullers demeure une jeune fille gauche, timide, farouche, renfermée, apparaît pour l’heure comme très peu conquérante et sûre d’elle-même. » (idem, p. 45) ; « Elle ne s’entend pas très bien avec les garçons et les filles de son âge. Elle ne sort pas avec les autres filles, elle ne flirte pas avec les garçons. Ses camarades d’alors la décrivent comme ‘excentrique’, ‘bizarre’. » (idem, p. 49) ; « Caractérielle, égocentrique, jalouse des autres écrivains, elle finissait toujours par se brouiller avec eux après s’être jetée à leur tête. » (idem, p. 210)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

La misanthropie homosexuelle est camouflée par deux attitudes : l’idéalisation des Hommes dans un humanisme désincarné et angélique, ou bien la victimisation et l’arrogance dans un « fanatique besoin d’indépendance » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 97). Beaucoup de personnes homos développent en général un très mauvais rapport aux groupes, y compris les groupes LGBT (elles se méfient à juste titre des effets pervers de la ghettoïsation homosexuelle). Elles se sentent vite submergées par l’« impression grave d’avilissement au seul contact des autres dans un dîner » (Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), p. 191), voient les rapports sociaux comme une compétition à gagner ou à perdre en solitaire. Loin de se remettre toujours en cause dans le processus d’isolement, elles préfèrent se dire qu’on les a rejetées injustement « parce qu’elles étaient homosexuelles » ou à cause de leur destin d’élus maudits.

 

Cet éloignement des autres n’est pas d’abord délibérément méchant et cruel : il est surtout envisagé comme beau, parce qu’il se charge du désespoir esthétisé de la Drama Queen maudite « qui ne trouvera jamais l’amour », qui est une « victime incomprise ». Mylène Farmer, l’icône préférée des Français homos, est très forte pour ce genre de mises en scène : « Je m’éloigne de tout. Je suis loin de vous. » (cf. la chanson « Agnus Dei ») ; « Un précipice entre vous et moi. » (cf. la chanson « Effets secondaires ») ; « Je n’ai trouvé de repos que dans l’indifférence. » (cf. la chanson « Désenchantée ») ; « Mais tu ne pourras rien changer : côté sombre, c’est mon ombre. » (cf. la chanson « Et tournoie… »)

 
 

B – c) L’isolement sous le prétexte d’une différence homosexuelle dite « radicale » :

Grâce au désir homosexuel que le sujet homosexuel découvre en lui, une excellente excuse pour mettre l’amitié de côté, hors d’état de nuire, peut être trouvée : l’énonciation d’une nouvelle identité ontologique (« l’homosexuel »). « L’homosexualité n’est pas une marque de différenciation par rapport aux autres, mais plutôt le signe d’une opposition radicale aux autres. » (Benedetti Carla citée dans l’article « Pier Paolo Pasolini » de Gian-Luigi Simonetti, sur l’essai Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 305)

 

Le masque essentialiste de l’homosexualité, l’identité factice de « l’homosexuel » (présentée pourtant comme « naturelle » et « amoureuse »), semblent servir d’écran bien pratique pour ne pas revenir au problème originel de la question de l’intégration sociale, de la haine de soi, de l’isolement amical et de la peur des autres : « Vous m’avez toujours dit ‘Jérôme, t’as pas des masses de copains’. J’ai quelques amis, des amis formidables. Mais au niveau de potes, au niveau de m’intégrer dans un groupe, j’ai jamais réussi. Et vous m’avez toujours demandé ‘Pourquoi, Jérôme ?’. Longtemps j’ai pas su. Maintenant, je sais. Maintenant, j’aimerais en parler à ma famille car le temps a suffisamment passé. » (Jérôme faisant son coming out à ses parents, dans l’émission Jour après jour sur l’homosexualité, sur la chaîne française France 2, novembre 2000)

 

Le sentiment d’isolement n’est pas basé sur une différence anthropologique, mais sur une auto-dépréciation injustifiable, sur une victimisation étiquetée « destin homosexuel maudit » ou « amitié consolatrice entre homos », sur une diabolisation appelée « homophobie sociale » (et surtout pas « responsabilité personnelle et relationnelle » !) : « J’ai eu la chance de rencontrer Marc qui était aussi seul que moi. À partir du jour où nous sommes devenus amis, ma solitude a été moins lourde. » (l’essayiste lesbienne Paula Dumont parlant de son meilleur ami Philippe, gay de surcroît, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 172) ; « Lui dirais-je combien j’avais pu, adolescente, me sentir infirme, monstrueuse, vouée à jamais à la solitude quand je m’éprenais d’une fille de mon âge ? » (Paula à son amante Catherine, op. cit., p. 42) ; « Je devais admettre que Proust avait raison : les homosexuels n’étaient que des parias voués à une solitude irrémédiable, des parias sur qui personne ne poserait jamais un regard aimant. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 109) ; « On a vraiment l’impression d’être seul au monde. » (Brahim Naït-Balk parlant de son homosexualité dans le documentaire « Homo et alors ?!? » (2015) de Peter Gehardt) ; etc.

 
 

C – ISOLEMENT MAL COMBLÉ :

 

C – a) L’isolement sous le prétexte de la recherche d’amour homosexuel :

En plus de l’« identité homosexuelle », l’autre alibi trouvé par la plupart des personnes homosexuelles pour écarter l’amitié de leur vie, c’est bien évidemment la quête ou la découverte de « l’amour », c’est-à-dire le couple homosexuel. « Jean Genet ne croit pas en l’amitié. Il me dit un jour que c’est aussi creux que la fraternité ou l’universalité. L’amour, c’est autre chose, cela l’intéresse parce que ça se passe du côté de la mort. Il aime très peu de gens. » (Tahar Ben Jelloun, « Une Crépusculaire Odeur l’isole », dans le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 30)

 

D’abord, elles éjectent les amis de l’autre sexe, sous prétexte qu’ils ne l’attirent pas sexuellement, et qu’ils ne suffisent pas à remplir leur vie (si elles sont gays, elles se débarrassent donc de leurs amies filles ; si elles sont lesbiennes, elles s’éloignent de leurs amis garçons) : « Sur le plan de l’amitié, je m’entends très bien avec les femmes. Je les considère comme des êtres précieux, intouchables, c’est le cas de le dire en ce qui me concerne. Un je-ne-sais-quoi en elles me fait peur, je ne sais pas comment m’y prendre et je sens bien que je ne les rendrai pas heureuses, et que je ne serai pas à la hauteur. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 41)

 

Les amis en question, mis sur la touche, se rendent parfois compte qu’ils sont les dindons de la farce (cf. Je vous renvoie aux codes « Destruction des femmes », « Parricide la bonne soupe », « S’homosexualiser par le matriarcat », « FAP la « fille à pédé(s) », et « Duo totalitaire lesbienne/gay », de mon Dictionnaire des Codes homosexuels).

 

L’amitié avec les membres de l’autre sexe est un moyen de les mettre à distance. Et ceci est vrai aussi dans les rapports entre les hommes gays et les femmes lesbiennes. En général, leur amitié – ou mieux dit, « la collaboration » – a tout l’air d’un petit arrangement entre potes intéressés par un même butin : la conquête amoureuse de l’Homme invisible tout-puissant (dans le cas des fictions), et la possession d’un maximum de droits légaux pour légitimer leur identité homo « éternelle » et la force de l’amour homo (dans le cas de la réalité). Au-delà de ça, il ne reste plus beaucoup de gratuité et d’amour entre eux. C’est pour cette raison que le duo fictionnel gay/lesbienne se présent souvent dans les romans et les films homosexuels comme un couple despotique ou associé dans le crime ; et dans le cas des amitiés lesbiano-gays réelles, on constate que l’absence de séduction entre les hommes gay et les femmes lesbiennes influe aussi négativement sur l’envie même toute simple d’être amis et de passer du temps ensemble. Derrière l’auto-injonction publicitaire et militante à la mixité, à la parité, et à la fraternité homosexuelle, les deux camps se séparent de plus en plus, ne font plus la fête ensemble, ne se rejoignent que dans les centres LGBT et pour les Gay Pride, s’utilisent comme bouche-trous aux soirées, se détestent en secret (puisque l’autre « camp » leur rappelle la différence des sexes qu’ils ont unanimement rejetée dans leurs amours).

 
 

C – b) Confusion entre amitié et amour :

Ensuite, la plupart des personnes homosexuelles trouvent un moyen beaucoup plus pervers et subtil pour faire mourir l’amitié, avec les gens du même sexe cette fois : c’est le désir de fusion, ou la projection amoureuse sur le meilleur ami ou des garçons de passage. Je dis « pervers » car le massacre de l’amitié se fait avec une grande sincérité, au nom de l’amour. « J’ai couché avec beaucoup d’hommes. […] Malgré tout, j’avais peur de l’intimité, de l’amitié. Je trouve encore difficile d’avoir confiance en quelqu’un. » (André, 33 ans, sodomisé sauvagement par son père à l’âge de 13 à 16 ans, cité dans l’essai Ça arrive aussi aux garçons (1997) de Michel Dorais, p. 130) ; « Pasolini développait de vraies amitiés avec ces garçons borgatari : il jouait au foot avec eux, faisait des virées nocturnes avec eux, dansait et allait à la plage avec eux. » (cf. la voix-off du documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler) ; etc. Il est fréquent, dans leur discours, que le terme « amitié » et celui d’« amour » soient mêlés. En général, c’est pour que le degré d’engagement, pourtant différent selon le nature de la relation, soit ou amoindri (dans le cas de l’amour), ou excessivement rehaussé (dans le cas de l’amitié)… en tous cas inadapté au réel.

 

Chez beaucoup de personnes homosexuelles, l’amitié est presque systématiquement confondue avec l’amour. « Bien amicalement. À Philippe Ariño. » (cf. la dédicace que m’a adressée le romancier Tony Mark en envoyant son livre Le Kama Gay (2012) plein d’illustrations sexuelles dans ma boîte aux lettres, le 23 mars 2012) J’ose même dire que cet amalgame est le propre des relations amoureuses homosexuelles et hétérosexuelles : « Je fais l’amitié comme je fais l’amour. » (le romancier français Jean-Louis Bory) ; « La fraternité est le premier mot qui vient à Stéphane pour définir leur relation, comme un ‘amour-amitié’. » (Roger Stéphane, Parce que c’était lui (2005), p. 34) ; « Notre relation a évolué vers une sorte d’amitié amoureuse. » (Paula Dumont parlant de son amie Marie, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), pp. 93-94) Par exemple, dans son essai dit « scientifique » L’Invention de la culture hétérosexuelle (2008), Louis-Georges Tin parle des amitiés viriles au Moyen-Âge en termes d’amour : il insiste sur « la ferveur qui entoure ces relations viriles et sentimentales » et sur le fait que « cela suppose un sentiment plus fort que la simple amitié telle que nous la concevons aujourd’hui. » (Louis-Georges Tin, p. 17)

 

Il arrive parfois que les individus homosexuel tombent amoureux de leur meilleur ami : « Au lycée, à l’âge de 13 ou 14 ans, je me liai d’une étroite amitié avec un garçon de ma classe, fils d’un professeur de l’université, alors embryonnaire, de la ville. Il ne serait pas excessif de dire que j’étais amoureux de lui. » (Didier Éribon, Retour à Reims (2010), p. 173)

 

La confusion homosexuelle entre amour et amitié est d’abord le fruit d’une projection et des rumeurs d’une société à l’esprit mal placé, focalisée sur la génitalité et le cul plutôt que sur la gratuité des rapports humains, de la belle camaraderie homophile. Je dis « belle » car l’amitié seule, dénuée de génitalité et de sentiments ambigus, est, à mon avis, la manière la plus belle pour un sujet homosexuel de vivre l’amour avec ses semblables sexués, et qui plus est homosexuels. Il n’aimera jamais tant ses amis homosexuels qu’en les laissant à leur juste place d’amis sans jamais tenter l’amour avec eux. L’amour homosexuel, pour rester beau et aimant, s’arrête à l’amitié. Il ne peut aller plus loin. Les personnes homosexuelles doivent redécouvrir le pouvoir de l’amitié (étant entendu l’amitié chaste homophile – entre deux personnes homosexuelles, et l’amitié humaine au sens large – celle qui unit l’individu homosexuel à sa société). C’est la « Philia » grecque, ni totalement distincte et étrangère d’« Éros », ni semblable à Lui. Dans l’Allemagne des années 1920-1930, certains idéologues pro-homosexualité essaient de lancer des mots comme Lieblingminne, amour chevaleresque, et Freundesliebe, « amour d’amis », en référence aux temps féodaux. « Selon Adolf Brandt, l’amitié entre hommes était l’une des plus belles vertus allemandes. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), pp. 159-160)

 

Dans ses lettres à Atticus, Cicéron (- 106 av. J.-C. – 43 ap. J.-C.), à son époque, avait déjà critiqué les détournements de l’amitié par l’homosexualité : « Une telle coalition de mauvais citoyens ne doit pas se couvrir de l’excuse de l’amitié. […] Il faut d’ailleurs fixer les limites et les bornes de l’affection dans l’amitié. »

 

Je crois que l’amour se dissocie de l’amitié sans la tuer (la différenciation n’est pas rupture) ni l’absorber. Il existe à mon sens de réelles différences non-excluantes entre amour et amitié. L’amitié se caractérise par l’absence de rapprochements corporels propres à l’amour (baisers sur la bouche, étreintes et enlacements plus prononcés, mots connotés amoureusement, sensualité différente, etc.) ; elle implique dans une moindre mesure l’exclusivité, étant par nature un don moins total que l’amour. Une fois qu’elle se privatise et qu’elle rejoint la génitalité ou la passion, elle se dénature. Un vrai ami n’est jamais trop proche ni trop lointain. Il préserve de la tentation narcissique aussi bien que de la tentation schizophrène, autrement dit des deux excès des désirs homosexuel et hétérosexuel : la ressemblance ou la dissemblance radicales. L’amitié permet de transcender les âges, les générations, les sexes, chose que l’amour conjugal ne peut pas (l’amour crée la génération, mais ne peut pas être inter-générationnel… ou alors il devient incestueux, consanguin ; l’amour intègre le sexe, mais pas l’uniformité des sexes… ou alors il devient stérile, homosexuel, tourné sur lui-même). Autant dans une relation d’amour – entre un homme et une femme, ou entre un célibataire consacré et Dieu – il y a forcément de l’amitié, autant l’inverse ne fonctionne pas : il n’y a pas d’amour à proprement parler entre deux amis. S’il y a de l’amour, leur relation n’est déjà plus simplement amicale. Elle devient autre chose. L’amour enveloppe l’amitié ; mais l’amitié n’enveloppe pas l’amour. C’est une affaire de différence de puissance. L’amour est plus puissant, plus entier, et plus unique que l’amitié. L’amitié, quant à elle, a aussi une force, mais moindre par rapport à l’amour, moins entière, moins unique. On peut avoir plusieurs vrais bons amis, mais on n’aura qu’un seul vrai amour. L’amour implique le don entier de sa personne à une autre personne unique. L’amitié, en revanche, n’est pas un don aussi entier.

 

Adrienne Rich, Lillian Faderman, Michel Foucault, ou Roger Peyrefitte, avaient semble-t-il déjà défendue la beauté de l’amitié bien avant moi. La seule différence – et elle est de taille ! –, c’est que pour ma part l’amitié et l’amour, même s’ils partagent beaucoup de points communs, sont radicalement différents et ne s’expriment pas par les mêmes actes ; alors que du point de vue de ces intellectuels, le concept d’amitié, par sa volontaire imprécision, se réduit généralement à une réification – ils parlent d’« amitiés particulières » –, à « une relation sans forme » (Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », 1981) qui permettrait de passer insensiblement des relations amicales aux relations amoureuses sans la nécessité de l’engagement de vie (et du respect de l’amitié justement !). Le mot « amour » ou le verbe « aimer » leur servent de rouleaux compresseurs de l’amitié. Et ce crime se dit toujours sous forme de poésie queerisante bon marché : « J’ai toujours été attirée par le fluide, les zones grises de l’intimité entre les personnes et, oui, j’ai personnellement eu l’expérience d’être amoureuse d’une amie, et ce n’est peut-être pas particulier aux lesbiennes, mais depuis un certain temps, j’ai des expériences amicales avec des femmes qui sont mes ex. Avec votre ex, il est possible de maintenir une relation saine, d’être amies, et de sortir. Beaucoup vont penser que vous êtes ensemble et c’est de là que l’idée est venue d’écrire le film ‘Jamie And Jessie Are Not Together’ (2011). » (la réalisatrice lesbienne Wendy Jo Carlton, citée dans le livret du 17e Festival Chéries-Chéris au Forum des Images de Paris, du 7-16 octobre 2011, p. 32)

 

Certaines personnes homosexuelles chantent les louanges de l’amitié (homosexuelle) qu’elles mettent en opposition à l’amour (hétérosexuel). Par exemple, dans son essai Jeux uraniens (1913), la photographe lesbienne Claude Cahun propose des méditations sur le narcissisme et les « amours-amitiés », en esthétisant quelque peu l’amitié : « Mieux que l’amour, l’amitié est un art. » (cf. le chapitre « Amor Amicitiae »)

 

L’amitié particulière que disent vivre les personnes homosexuelles ressemble à une amitié forcée, poussée, surnaturelle, s’écartant déjà de la simple amitié et n’étant pourtant pas assez forte pour être qualifiée d’amour. On les entend souvent appliquer au couple homosexuel les bénéfices qui n’appartiennent majoritairement qu’à l’amitié chaste : elles cherchent à atténuer les défaillances imposées par l’union homosexuelle par des avantages qu’elles pourraient très bien trouver hors de cette structure (en amitié notamment, lors d’un échange intellectuel profond, ou pendant la communion exceptionnelle des grands rassemblements humains) mais qu’elles attribuent à celle-ci pour se rassurer d’avoir fait le bon choix. Et en effet, je veux bien croire que le « milieu homo » ou la relation de couple a pu être l’occasion pour certaines de sortir du tunnel après une épreuve, de se prendre en main, de se faire des amis, ou de trouver le réconfort dans les bras d’un amant. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’amour homosexuel soit un idéal d’amour équivalent au couple femme-homme aimant ou au célibat consacré, ni la voie royale de l’émancipation.

 

En fin de compte, beaucoup de personnes homosexuelles n’aiment pas l’amitié car elle fait barrage à leurs pulsions sexuelles. Elles la présentent bien souvent comme une rivale, une hypocrisie, voire un dangereux signe d’« homophobie intériorisée ». L’être aimé résisterait à « l’évidence » de l’amour homosexuel, « ne s’assumerait pas » ! : « Ce qui crevait les yeux, c’était qu’elle me demandait une fois de plus, comme elle l’avait déjà fait en 1964 et en juin dernier, (ce n’était que la troisième fois !) d’avoir avec elle des relations platoniques. Eh bien, j’en avais assez de ce sempiternel scénario ! » (Paula Dumont en parlant de son « ex » Catherine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 183)

 

Plus pervers encore : La vraie amitié n’est pas célébrée par ces nouveaux chantres homosexuels de « l’amitié » (je pense à l’interview et au livre de Geoffroy de Lagasnerie). C’est devenu plutôt un alibi idolâtre pour revendiquer sa petite volonté individuelle despotique et pour s’opposer à l’institution étatique de la famille et prendre sa place (ce que fit, en son temps, l’Union Civile, donc le PaCS, en contractualisation l’amitié pour, au final, que celle-ci se substitue au mariage femme-homme… d’où la gravité du PaCS. La proposition de remplacer les allocations familiales par les allocations amicales n’a rien de nouveau). Je vous renvoie au récent débat indirect entre Geoffroy de Lagasnerie (et les deux membres de son « trouple amical » tyrannique : Didier Éribon et Eddy Bellegueule) et Charlotte d’Ornellas (excellente, sur ce coup-là).
 

L’amalgame entre amour et amitié, que constitue universellement la pratique homosexuelle, en plus d’être inutile et peu comblant, est dangereux, car c’est un entre-deux (entre amour platonique et amitié amoureuse) sur lequel rien de solide sur la durée ne peut être construit. Il fait en général beaucoup souffrir. « Nous n’existions plus ensemble. […] Bien pis, nous nous détruisions. […] Quel était le bon sens de cette forme d’amour ? Un amour-amitié ou un amour-passion. Certes, je ne voulais pas m’enfermer dans une définition. » (Berthrand Nguyen Matoko parlant de sa relation qui bat de l’aile avec Yoro, dans son autobiographie Le Flamant noir (2004), p. 140)

 
 

C – c) Refus d’être seul = Refus d’être unique :

La confusion entre l’amitié et l’amour se caractérise par l’absence de liberté : elle semble en effet être le fruit de la précipitation, et donc de la pulsion : certains sujets homosexuels ont eu tellement peu d’amis d’adolescence ou de personnes du même sexe qui se sont intéressées à eux, que tout d’un coup, dès qu’un meilleur ami se présente, ils n’en reviennent pas, ils ne se laissent même pas le temps de l’amitié avec lui : ils se font des films et sautent sur la case « amour » ou « sensualité » !

 

Mais bien plus qu’une affaire mûrement réfléchie de défouloir pulsionnel, la précipitation à décréter une amitié « amoureuse » indique plus fondamentalement une peur panique d’être unique/seul, donc une haine de soi, un doute angoissant d’aimer et d’être aimé : « Je ne pouvais me résoudre à la solitude. » (Gaël-Laurent Tilium, Recto/Verso (2007), p. 155) ; « Je crois que la solitude est l’état le plus désolant que l’être humain puisse connaître. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; « Ce qu’il y avait entre nous, c’était quelque chose de bien plus fort, à savoir la peur de la solitude. » (Paula Dumont évoquant son couple avec Martine, dans son autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 78) ; « Il faut être diablement fort pour aimer la solitude. » (Pier Paolo Pasolini, cité dans le documentaire « L’Affaire Pasolini » (2013) d’Andreas Pichler) ; « J’aime pas du tout la solitude. […] Ça, j’aime pas être seul. » (Bernard, homosexuel, interviewé dans le documentaire « Les Invisibles » (2012) de Sébastien Lifshitz) ; etc. Le titre choisi dans l’essai De Sodoma A Chueca (2004) d’Alberto Mira pour parler du poète Federico García Lorca est à ce propos très signifiant : « L’Angoisse d’être unique : Lorca et la peur de la solitude » (p. 231).

 

Par exemple, Jean Genet présente « la solitude de chaque être et de chaque chose » comme « la blessure secrète » où s’origine son œuvre (Jean Genet cité dans l’article « L’Éthique de l’art » de Thierry Dufrêne, sur le Magazine littéraire, n°313, septembre 1993, p. 64).

 

L’unicité ontologique de tout être humain, l’écrivain Michel Bellin va jusqu’à la baptiser « l’Hydre Solitude » dans son autobiographie Impotens Deus (p. 35). La solitude semble à ses yeux catastrophique, diabolique : « Comme je me sentais seul, dramatiquement seul, ce n’était qu’avec moi-même que je pouvais communier. » (idem, p. 62) ; « Je suis fatigué d’être seul, si seul. » (idem, p. 85)

 

B.D. "Kang" de Copi

B.D. « Kang » de Copi


 

Beaucoup de personnes homosexuelles passent leur temps à se rassurer sur le fait (angoissant pour elles !) qu’elles ne sont ni uniques ni seules, et que leur vie ne prendra sens que si elles trouvent au plus vite « quelqu’un » (cf. le site Internet « No Eres El Único – Isla De La Ternura » consacré entièrement à la culture homosexuelle. Faites un petit tour sur les chat gays d’Internet : vous en croiserez, des solitudes mal portées !)… alors que leur singularité est pourtant une réalité physique et aimante. Malheureusement, elles ont tendance à diaboliser la solitude : « Dans mon affreuse solitude, je ne pensais pas retourner à l’église. » (Jean Cocteau dans son Livre blanc, 1928) Cette croyance d’être une moitié d’Homme est menée à son paroxysme par les personnes transsexuelles, qui prétendent souvent vivre l’isolement littéraire de l’androgyne coupé en deux : « Quand on est trans, on déteste le manque. On veut être complet. Mais personne n’est complet. » (la femme transsexuelle F to M interviewée dans le documentaire « Le Genre qui doute » (2011) de Julie Carlier)

 

Dans mon cas personnel, je connais beaucoup d’amis homos qui me ressortent sans arrêt le même disque pour justifier leurs recherches amoureuses (souvent peu fructueuses) : « Je ne peux pas rester seul. C’est clair. Je ne suis jamais resté seul. » En réalité, ils ne se sont jamais libérés de l’illusion sentimentale de former un couple homosexuel d’amour : « Sentimentalement, je n’ai jamais été seul. »

 
 

C – d) Renoncement à l’abstinence et à l’amitié chaste :

La majorité des personnes homosexuelles sentent bien, même si elles ne le conscientisent pas forcément, que l’enjeu de la survie de l’amitié, c’est la chasteté, et plus encore la continence (= abstinence pour Jésus) dans le cas précis de l’homosexualité. « Un des avantages de la chasteté, c’est que tu regardes hors de toi. Tu regardes vers l’extérieur, et tu te consacres aux autres. » (Dan, homme homosexuel, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check)

 

Dans son essai Repères éthiques pour un monde nouveau (1982), Xavier Thévenot propose pour les sujets homosexuels l’amitié continente en tant que force à valoriser (sans la magnifier à outrance) : « Si certains sujets peuvent, il est vrai, sublimer leurs pulsions et vivre une amitié dans la continence, ils sont je pense, fort peu nombreux. Pour faire un tel choix, il faut une force d’âme et un équilibre psychologique de fond peu ordinaires. » (p. 95)

 

Je partage cet avis. Le célibat, contrairement à ce que les media veulent nous faire croire (en nous présentant les individus célibataires comme des malades ou des « pauvres types »), ce n’est pas qu’une image, une simple case dans un formulaire administratif, une étiquette qui indique « c’est libre et prêt-à-consommer ». Au contraire, il constitue un état transitoire (j’insiste sur cet adjectif, car le célibat, en soi, s’il ne s’inclut pas dans un processus d’engagement d’amour à vie, n’a pas de sens) qui peut être tout à fait fécond si et seulement s’il s’oriente vers un projet d’amour durable. Une société sans célibataires – ou, ce qui revient au même, avec trop de célibats subis (c’est-à-dire des « célibataires sérieusement célibataires volant la civilisation, et ne lui rendant rien », comme l’a écrit Honoré de Balzac) – est une société moribonde et totalitaire : elle lutte contre l’ensemble de ses membres, étant donné que nous avons tous été ou serons un jour célibataires, parce que nous connûmes l’état d’enfants, et connaîtrons peut-être le statut de veufs, de divorcés, ou d’individus durablement sans partenaire. Le célibat volontaire n’est pas une fuite de la sexualité. Au contraire, dans le meilleur des cas, il en est une des nombreuses expériences. Dans tout acte qui grandit l’Homme, il y a sexualité. Il y a des formes de la fécondité de la condition célibataire qui peuvent se révéler dans d’autres domaines que celui de la stricte reproduction sexuelle : l’action sociale, la vie spirituelle, la création artistique, l’engagement politique, etc. Le célibat bien vécu nous fait découvrir que nous ne sommes pas tous appelés à remplir docilement les restaurants pour couples hétéros ou homos les jours de saint Valentin, ni les plateaux télé en forme de camembert. Les célibataires de désir prouvent par leur choix de vie temporaire que le « Couple » ne constitue pas le seul lien amoureux à privilégier en tant que ferment de cohésion sociale : ils montrent que les paires femme-homme ne seront jamais constituées que de deux solitudes, libres de se choisir sans perdre chacune leur identité et unicité, dans une inexacte complémentarité. En outre, ils se dissocient du couple femme-homme sans lui voler la vedette, ni s’écarter de son projet vital : dans certains cas, il n’est pas faux de parler de paternité symbolique ou adoptive des célibataires auprès des autres.

 

Les célibataires nous dévoilent finalement que, pour vivre une sexualité épanouie, que nous soyons accompagnés ou seuls, la chasteté doit avoir sa place. Ce mot, étonnamment galvaudé par les Hommes de notre temps – car ils confondent « chasteté » avec « abstinence » –, désigne la maîtrise libérante des pulsions sexuelles, et la juste distance que toute personne doit instaurer (entre elle et ses œuvres, elle et son partenaire amoureux, elle et les autres, etc.) pour respirer et aimer vraiment. La chasteté n’est pas, comme le laissent entendre nos sociétés actuelles, réductible à la privation de toute sexualité, ni à la fuite de plaisirs charnels diabolisés dans un platonisme déréalisant. Elle est au contraire une invitation à retourner à la sexualité, mais cette fois sans s’en goinfrer (ou s’en priver en s’en goinfrant), en lui faisant véritablement honneur. Aimer chastement, c’est renoncer à toute forme « incestueuse » (étymologiquement « non-chaste ») du désir, c’est-à-dire de jouissance dans laquelle serait dominant le rêve fusionnel de consommer l’autre, le vœu de supprimer la distance entre les corps et de considérer l’amant comme un objet. La chasteté n’est pas l’apanage des célibataires puisqu’elle est à vivre aussi en couple femme-homme, et en société. Elle peut prendre la forme de la continence, c’est-à-dire de l’absence de génitalité, mais pas seulement. Dans un couple femme-homme aussi, pour que la relation d’amour soit possible et vivifiante, l’espace que propose la chasteté doit être laissé vacant (sinon, le couple femme-homme aimant se transforme en couple hétérosexuel !).

 

Malheureusement, aujourd’hui, le célibat continent choisi, parce qu’il est mal expliqué ou mal compris, a en général très mauvaise presse. « Je suis contre les chastetés. » (cf. la chanson « Chaleur humaine » de Christine & the Queens) Il est assimilé à tort à une bondieuserie ou une orgueilleuse fuite de soi et des plaisirs du corps dans un héroïsme désincarné jugé dangereux et inutile. Par exemple, Magnus Hirschfeld est connu pour son anticléricalisme et son rejet de l’ascétisme chrétien.

 

Les personnes homosexuelles évoquent à de rares moments la possible importance de l’abstinence/continence, seules capables d’empêcher le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour. Mais en général, c’est pour les tourner en dérision, ou ne pas s’en juger capable/digne. Selon certains intellectuels, le terme « homophilie » serait « teinté d’hypocrisie » (Frédéric Martel, Le Rose et le Noir, 1996) et une « euphémisation esthétisante d’une préférence sexuelle » (Michael Pollack, Une Identité blessée (1993), p. 218) que seules les personnes homosexuelles âgées utilisent encore. Dans son article « Orthodoxie » (dans l’essai Dictionnaire de l’homophobie (2003) de Louis-Georges Tin, p. 299), Nicolas Plagne caricature la continence en la présentant comme une attitude orgueilleuse, masochiste, frustrante, et vouée automatiquement à l’échec.

 

En 1908, Weindel et Fischer distinguent deux catégories d’homosexuels : les sensuels « qui vont au commerce de la chair », d’une part, et d’autre part, les intellectuels qui se limitent, en l’accompagnant de caresses sans doute, « au contact de l’esprit ». « Ceux-là par haine ou fatigue du sexe peuvent devenir des abstinents, mais des abstinents aux gestes déréglés, aux passions désaxées, aux sentiments dévoyés. » D’où « un lyrisme exaspéré par l’abstinence sexuelle » (pp. 9-10).
 

Si l’on remonte jusqu’au bout la chaîne, on comprend que le mépris de la continence est au fond une haine déguisée des deux dons universels et entiers de sa personne qui rendent vraiment heureux sur cette Terre : le mariage d’amour durable entre deux personnes de sexe différencié, ou bien le célibat consacré à Dieu en vue des noces célestes. La continence apparaît comme une remise en cause de l’homosexualité, un sas vers ce qui est appelé caricaturalement « l’hétérosexualité ». Par exemple, quand la chanson « Luca Era Gay » du chanteur Povia est sortie en Italie (elle raconte l’histoire d’un garçon qui est passé « du côté obscur de la force » après s’être cru homo), cela a été le tollé général dans les associations LGBT italiennes. Le célibat, cette phase de liberté, de réflexion, de pause, apparaît comme une transition « dangereuse » aux yeux des extrémistes de l’identité homosexuelle, parce qu’elle ne dirigera pas forcément les personnes bisexuelles vers la sacro-sainte « Vérité de l’homosexualité ».

 

Les sujets homosexuels qui à une période de leur vie se sont (mal) imposés de vivre la continence, se sentent à présent obligés d’en faire une grossière caricature pour se venger d’eux-mêmes et de leur pastiche raté. « Je ne suis pas fait pour la fête. Je ne bois pas. Je ne fume pas. Je suis calviniste sans être protestant. Je ne couchais pas avec Jacques de Bascher. C’était un amour absolu. » (Karl Lagerfeld dans le documentaire « Yves Saint Laurent et Karl Lagerfeld : une guerre en dentelles » (2015) de Stéphan Kopecky, pour l’émission Duels sur France 5) Mais c’est de l’hypocrite application du célibat (ou de sa fuite après tout) dont ils parlent, et non de sa concrète et épanouissante expérience ! Car les rares individus homosexuels qui ont décidé de vivre leurs penchants homosexuels dans un célibat continent temporaire et librement choisi savent que, oui, c’est possible, et souvent bien plus heureux que le couple homosexuel ou hétérosexuel ! (ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire…).

 

À travers le témoignage Libre : De la honte à la lumière (2011) de Jean-Michel Dunand, un ancien moine vivant maintenant en couple homosexuel et ayant créé la Communion Béthanie, on comprend que ce n’est pas l’abstinence/continence en elle-même qui rend malheureux mais le désir non-acté de son expérience, le fait de savoir qu’on doit la vivre sans la vivre concrètement ; car les simulations de démarrage de continence ne sont pas à proprement parler une expérience vraie de la continence : « L’abstinence maintenue à force de suractivité et de prières depuis le lycée vola en éclats : j’achetai un billet pour une séance. Les toilettes du cinéma étaient couvertes d’inscriptions identiques à celles des carrelettes des toilettes de la gare d’Albertville. Elles servaient de boîte aux lettres, de lieu de rendez-vous et les cabinets permettaient aux couples formés de passer à l’acte. J’y eus ma première véritable expérience sexuelle. » (Jean-Michel Dunand, Libre : De la honte à la lumière (2011), p. 47) ; « Je demeurais persuadé à cette époque que la continence proposée aux homosexuels, religieux ou laïcs, était la seule issue possible. » (idem, p. 52) ; « Cela peut aussi être une contrainte et devenir un drame. […] On peut donc vivre la continence sans être chaste et, malheureusement, je suis bien placé pour le savoir et pour témoigner autour de moi de la frustration et de la violence que l’abstinence sexuelle mal comprise ou non désirée peut engendrer. […] Je le redis haut et fort, je ne crois pas que Dieu appelle à la continence les personnes homosexuelles chrétiennes au même titre que ceux qui en font le choix par vocation religieuse. Mais Il nous convie à poser sur autrui le regard chaste qui le respecte. » (idem, pp. 124-125) Ce qui est dur, ce n’est pas de vivre la continence, mais de ne pas la vivre, justement ! D’en faire un volontarisme de capricieux. Le joug du continent est plus léger que celui qui l’envie/le conspue ne le sait ! Et en vérité, ceux qui méprisent la continence sont les religieux qui finissent par avouer qu’ils ne la vivaient pas quand ils étaient censés, par leurs vœux et leur ancien attachement à l’Église, la vivre : « Je ne pouvais pas vivre la chasteté. » (Antonio Toig, ex-carmélite, cité dans l’essai El Látigo Y La Pluma (2004) de Fernando Olmeda, , p. 298) ; « Je ne regrette pas d’avoir déclaré que je n’avais pas toujours été fidèle au vœu de célibat imposé dans l’Église catholique romaine. » (cf. l’article « Doce Días De Febrero » de José Mantero, ex-prêtre catho espagnol, dans l’essai Primera Plana (2007) de Juan A. Herrero Brasas, p. 191) ; « Je suis sorti de la pénombre de l’église presque en courant, furieux. La chasteté ? La chasteté est un horizon impossible pour un adolescent dont la volonté s’écroule au contact d’un désir permanent, insatiable, ravageur. J’ai écarté d’office cette option. » (Arturo Arnalte, op. cit., p. 136). Cette haine de la continence, en plus de dire une haine de sa propre incarnation et de l’Incarnation qu’est l’Église, c’est un aveu qu’on ne vit pas ce que l’on dit.

 

Bien souvent, les personnes homosexuelles crient avant d’avoir mal en considérant la continence comme un cauchemar. Elles ne la valorisent pas : elle leur fait honte (« On ne va pas finir moine cloîtré, quand même ! »), alors même qu’elles ne la connaissent pas. Elles préfèrent penser qu’elle est un moteur à frustration, bien plus dangereux encore que le passage à l’acte homosexuel avec un ami de confiance, ou qu’un banal « plan cul » (« sans conséquence » disent-elles), parce qu’elle décuplerait les pulsions violentes en elles.

 
 

C – e) Le célibat libertin : un pastiche violent de l’amitié chaste

Certaines personnes homosexuelles, plutôt que de vivre vraiment l’amitié et l’abstinence, vont les travestir et se donner l’illusion de leur expérience en englobant dans leur discours célibat ponctuel et célibat de vie sous le même vocable fourre-tout et bonne conscience de « célibat » : « Leur mode de vie privilégié est une vie en solo : 57,3% des femmes [lesbiennes] et 66,9% des hommes [gays] ne vivent pas en couple contre 30 % des femmes et des hommes hétérosexuels. Au total, 1 femme sur 5 et 1 homme sur 4 ayant eu des pratiques homosexuelles dans l’année vit en couple cohabitant avec un conjoint de même sexe. » (Nathalie Bajos et Michel Bozon, Enquête sur la sexualité en France (2008), p. 256)

 

La particularité de ce célibat libertin, c’est qu’il n’est pas vraiment libre ni choisi. Les personnes homosexuelles, mais aussi gay friendly ou carrément homophobes, l’ont transformé, avec le temps, en destin ou en essence homosexuelle qu’il n’est pas : « Leur solitude semble structurellement liée à leur nature. » (Chekib Tijani, 700 millions de GEIS (livre retiré de la vente) (2010), p. 53) ; « La solitude amoureuse – c’est-à-dire la carence de partenaires – est constitutive à la nature gei. » (idem, p. 65) ; « Les homosexuels sont des gens charmants, qui sont drôles, qui ont des métiers très amusants, et qui sont célibataires, et qui ont une voiture ! (rires du public). Vous comprenez, c’est mon péché mignon. Je n’ai pas de chauffeur. » (l’actrice Alice Sapritch aux caméras de l’émission de télé française le Jeu de la vérité présentée par Patrick Sabatier dans les années 1980)

 

Même si elles font les 400 coups, elles se targuent de connaître la grisante liberté du célibataire ! Il s’agit pour elles d’un célibat choisi, donc forcément, à leurs yeux, noble ! Or, ce qu’elles omettent de dire, c’est que leur choix n’est pas fixe, ni durable, ni entier, et qu’il n’implique pas toute leur personne, comme le fait le célibat continent donné à Dieu, ou bien l’amitié chaste. Donc il ne les rend absolument pas pures ni libres ni adultes. Par exemple, dans la biographie (1995) que Josyane Savigneau a écrite sur la romancière lesbienne Carson McCullers (1995), elle évoque « une impossibilité quasi pathologique à vivre seule […] Tout au long de son existence, Carson ira volontiers se glisser de manière impromptue dans le lit de ses amis. Quelques-uns en concevront une gêne certaine, voire un sentiment de malaise, même s’il ne leur faudra jamais longtemps pour comprendre qu’il ne s’agissait en rien d’avances sexuelles, mais seulement d’un besoin enfantin de se blottir. » (p. 77) Ce faux célibat ne leur fait pas connaître les vraies joies du célibat durable.

 

La peur de la solitude est cet attachement capricieux à la fusion (pourtant concrètement impossible) avec l’amant, le refus infantile de la frustration : « J’ai peur. J’ai peur de la solitude sans toi. Et je m’arrachais à toi. » (Anne-Marie Schwarzenbach, La Vallée heureuse, 1939)

 

C’est à travers l’enchaînement à leurs amants que certaines personnes homosexuelles cherchent paradoxalement leur solitude perdue (comprendre « leur identité », « leur unité », « leur originalité »). Mais elles se retrouvent face au mur incontournable de l’unicité fondamentale de l’Amour. Et comme elles tentent de contourner l’obstacle du renoncement, elles ne récoltent qu’un répétitif retour à l’isolement.

 
 

C – f) Les dégâts de l’amitié amoureuse

En général, l’inversion entre l’amour et l’amitié est beaucoup plus douloureuse et dramatique que les deux anciens amis/nouveaux amants ne le prévoient au départ : et du côté de l’ami qui n’aime pas son confident du même amour que lui, et du côté de l’amant qui se retrouve seul avec des sentiments non-partagés, et enfin pour les deux amis qui vivent une expérience charnelle qui dit un amour que la réalité de leur corps aurait dû arrêter mystérieusement à l’amitié. L’amour et l’amitié n’étant pas des liens de même nature (même s’il existe des ponts entre eux), leur uniformisation forcée crée fatalement des décalages, des incompréhensions, des déceptions, des frustrations, des souffrances, des violences et des trahisons parfois réelles. Plus les jours et les mois se succèdent, et moins les partenaires homosexuels se surprennent… ou plutôt si ! : ils se découvrent, mais dans le mauvais sens. Tous deux portent tellement de masques à la fois (celui du mari, du père, du frère, du meilleur ami, du bon copain, du fils, du pote, du bébé, de Dieu, etc.) qu’ils sont amenés à se demander qui ils sont véritablement pour l’autre et pour eux-mêmes.

 

Dans la majorité des couples homosexuels qui nous entourent, on se demande quelle drôle de relation « amoureuse » il est en train de se vivre. Les amants homosexuels n’ont pas pour autant l’impression de s’enfoncer dans un mensonge flagrant puisqu’ils sont souvent tous les deux très sincères au départ et vivent quand même ensemble des moments authentiques ponctuels qui leur font oublier les désagréments persistants de l’amalgame des sentiments humains amoureux, amicaux ou filiaux, ces derniers étant en temps normal liés sans s’équivaloir. Mais au final, certains décrivent leur couple comme un « nous » dépassant et étouffant le duo. « Nous’, c’est cette entité autosuffisante, cette famille pas si facile à définir. Maris, amants, amis, frangins, tout à la fois ? » (cf. l’article « Gilbert and George » d’Élisabeth Lebovici, dans le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 222) Les amants homosexuels forment une famille à deux en quelque sorte, mais cloisonnée sur elle-même. Pour cette raison, il n’est pas étonnant de voir arriver l’asphyxie chez bon nombre d’entre eux.

 

La mixture entre amitié et passion dénature à la fois l’amour et l’amitié. Et ce détournement transgressif, d’abord inédit, ludique, puissant et séduisant, se retourne en général contre les deux amis apprentis sorciers. L’un d’eux se durcit, devient tyrannique et possessif ; l’autre a peur, ou bien se ramollit en voyant ses sentiments d’amour redevenir à nouveau juste amicaux.

 

En mélangeant l’amour et l’amitié, certaines personnes homosexuelles s’imposent le statut instable et harassant du passionné qui croit vivre dix coups de foudre à la seconde. Elles tombent passionnément amoureuses de « l’homme (ou de la femme, pour les personnes lesbiennes) de leur vie », et quelques mois plus tard, les limites de chacun des partenaires ne manquant pas d’apparaître, naissent la déception, la dépression, la séparation, … puis après un temps de deuil « éthiquement correct » mais non réparateur, elles s’en retournent à une autre case « départ », et se lancent frénétiquement vers une similaire et épuisante recherche de « l’âme sœur » qui les dégoûte chaque fois davantage de l’amour (qu’elles croient) « véritable ».

 

L’amalgame entre amour et amitié est au fond dramatique : l’un et l’autre se détruisent quand nous les faisons fusionner ensemble. Certaines personnes homosexuelles camouflent leur gêne de cette confusion dans le cynisme dédramatisant. « Je fais l’amour de temps en temps comme on va à la piscine, rongée de culpabilité à mon tour parce que je n’aime ma partenaire que d’amitié. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 174) Elles savent implicitement que le massacre de l’amitié par les gestes de l’amour équivaut souvent au massacre de l’amour aussi. Une fois qu’elles et leur compagnon sont unis par le sexe, elles se rendent compte qu’il est difficile de faire machine arrière et de s’avouer qu’ils se seraient davantage respectés s’ils étaient restés simplement amis, s’ils n’avaient pas grillé bêtement les étapes. La promesse des corps n’obéit pas à nos croyances en la banalité du passage de l’amour à l’amitié, ni les actes sexuels à nos intentions de les atténuer (la preuve en est que les relations avec les « ex » sont difficilement conservables… même si on joue un temps la comédie relativiste de l’oubli).

 

Les amitiés « particulières » (les bien nommées, tant elles réservent bien des mauvaises surprises !) se chargent souvent de la violence de l’indétermination et du manque du Réel (puisqu’elles ont rejeté le roc du Réel humanisant le plus fondateur : la différence des sexes).

 

Parfois, les personnes homosexuelles se rendent compte avec impuissance des dégâts de cette confusion entre amour et amitié… même si elles en tirent rarement les conclusions qui s’imposent. « En ce qui concerne l’amitié, je m’y trouve plus à l’aise que dans l’amour… et cela m’a valu bien des malentendus pénibles. » (Jean Cocteau dans le documentaire « Jean Cocteau, autoportrait d’un inconnu » (1983) d’Edgardo Cozarinsky) Elles voient leurs sentiments chuter. Cela les panique parfois. Elles se sentent terriblement gênées de s’être embarquées dans un pétrin pareil, d’être beaucoup moins amoureuses de leur adorable copain que lui d’elles. Elles voient qu’elles aiment  « tiennent beaucoup » à leur amant, mais pas assez pour rester à vie avec lui et dire qu’elles l’aiment vraiment (certaines vont lui dire cyniquement qu’elles le quittent parce qu’« elles ne sont plus amoureuses », qu’elles « ne ressentent plus la petite étincelle ») : « Je me barricadais derrière les arguments les plus fallacieux pour ne pas voir ce qui aurait dû pourtant me crever les yeux, à savoir que nous n’étions plus dans une relation amoureuse, mais amicale. » (Paula Dumont parlant de son amante Solange, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 114)

 

Beaucoup de personnes homosexuelles se retrouvent prises à leur propre jeu de la séduction. Ce n’est pas qu’elles n’aiment pas leur partenaire. Elles « l’apprécient beaucoup », « l’aiment bien », éprouvent une « profonde affection pour lui », le considèrent comme un petit frère qu’on cajole, comme un « bon copain », un parrain, un confident qui avec le temps finira par devenir par la force des choses indispensable. Elles l’aiment … oui, c’est certain… mais pas d’amour. Et c’est là tout le problème. Leur union sentimentale, ce n’est pas rien, et pourtant, ça ne suffit pas : elle ne les comble pas un minimum comme l’amour vrai comble un maximum. Elles savent au fond qu’elles auraient très bien pu choisir avec leur partenaire « amoureux » l’option amicale qui les compromette moins et qui leur apporte tout autant (si ce n’est plus !), qu’elle aurait trouvé dans l’amitié les mêmes avantages que ceux qu’elles expérimentent dans l’amour homosexuel… excepté la jouissance génitale, les « je t’aime » à lire sur le portable, les croissants chauds servis au lit le dimanche matin, et le nounours à blottir contre soi la nuit, … bref, tout ce qui, sans l’amour véritable, ne fait partie que des « à-côtés » détestables de la passion amoureuse éphémère. Comme l’écrivait Oscar Wilde à son « ex » Lord Douglas, « Je me blâme qu’une amitié ait totalement dominé ma vie. » (cf. la lettre De Profundis (1897) d’Oscar Wilde)

 

Peu de personnes homosexuelles s’expliquent leur insatisfaction en amour. Leur amant semble pourtant de l’extérieur parfait, prévenant, disposé à faire des efforts sans doute encourageants, … mais au fond, disent-elles, « c’est toujours pas ça » : il est « bien » sans être « le meilleur », satisfaisant sans être comblant, convenable sans être irremplaçable (or l’amour, lui, nous donne toujours une personne géniale et irremplaçable à aimer !). Étant donné qu’elles se placent très souvent en victimes d’amour, elles ne tirent généralement pas les conclusions qui s’imposent sur le désir homosexuel, si bien que le mystère finit par s’épaissir. Malgré toute la sincérité du monde et l’apparente concordance de deux désirs, il y a un grain de sable dans l’engrenage de l’union homosexuelle, comme si l’amour, le vrai, ne se construisait pas uniquement à coup d’intentions et d’impressions d’amour partagées à deux : « Je me promets que cette fois, allons, puisque je l’aime et qu’elle m’aime, du moins nous le disons-nous, il devrait être possible de le faire. La lutte est interminable, mais il y a quelqu’un en moi qui ne veut pas, ne peut pas, n’ose pas, meurt de peur et frémit de plaisir. […] Je sais bien que si nous le voulions vraiment l’une et l’autre, la question ne se poserait plus. Qu’est-ce qui nous retient ? Impossible de le comprendre. » (Cathy Bernheim, L’Amour presque parfait (2003), p. 45)

 
 

C – g) Solitude à deux :

Le véritable drame qui frappe le couple homosexuel, c’est un drame personnel au fond, qui ressemble à une « cruelle ironie » du Réel, mais qui n’est en fait que le reflet de la violence que chacun des membres du couple a fait au Réel en s’éloignant de Lui ! Fuyez la Solitude et Elle revient au galop, mais cette fois sous la forme du désagréable spectre de l’isolement, un spectre d’autant plus invisible qu’il a pris l’apparence corporelle et chaleureuse de la compagnie conjugale ! Le couple ne règle pas le minimum d’amour de son unicité que l’individu se doit à lui-même, et que son partenaire aura du mal à fournir.

 

Par exemple, sans le documentaire « Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé : l’Amour fou » (2010) de Pierre Thoretton, Pierre Bergé déclare que « la solitude a été toute la vie d’Yves Saint-Laurent ». Et dans la biopic « Yves Saint-Laurent » (2014) de Jalil Lespert, il se voit reprocher par les amis ou la famille d’Yves Saint-Laurent de l’isoler : « Tu peux pas isoler Yves comme ça. Yves a des amis ! » (Loulou)

 

Avant d’être en couple, chacun des deux amis homos voulait en théorie combler le vide horrible de son célibat, et pourtant, dès qu’il y a quelqu’un dans sa vie, il étouffe, devient imbuvable, se demande pourquoi on ne lui fiche pas la paix, pourquoi il ne s’est pas contenté de l’amitié !

 

Au fond, il existe un certain nombre de personnes homosexuelles qui expriment la nostalgie de l’amitié, la vraie, celle qui ne franchira pas la limite de l’amour charnel : « J’ai eu le sentiment que Martine aurait dû rester une amie, une confidente, et non quelqu’un avec qui faire ma vie. » (Paula Dumont en parlant de son couple avec Martine, dans l’autobiographie La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 70) Le pire, c’est qu’au lieu d’un amant, beaucoup d’entre elles avouent qu’elles auraient préféré finalement un simple ami. « Pour être claire, tout au long de mon existence, j’ai rêvé avant tout d’une amie, c’est-à-dire une femme avec qui j’ai des affinités, auprès de qui je me sens dans un climat de confiance, de réconfort et de tendresse. » (Paula Dumont, Mauvais Genre (2009), p. 101)

 

D’ailleurs, bien des personnalités homosexuelles assurent que s’il y a un terrain où elles ont trouvé un repos qu’elles n’ont jamais connu dans leurs amours, c’est bien celui de l’amitié (Ce n’est pas un hasard si, dans les années 1920-30, les mouvements homosexuels allemand avaient une revue qui leur était consacrée : Die Freundschaft.). Et même, quitte à choisir entre leur partenaire amoureux et leurs amis, elles ne sont pas rares à opter finalement pour les seconds, et à reconnaître que, durant leur vie, les seules relations satisfaisantes dont elles peuvent être fières ne sont quasiment que de nature purement amicale : « Si j’ai eu de grandes amours, des désirs intenses, je n’ai pas très bien réussi dans la vie, ni l’amour, ni le désir. Je crois cependant que j’ai réussi l’amitié. » (Jean-Paul Aron, Mon Sida, 1987) ; « L’amitié est le seul sentiment que le temps n’use pas. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 139) ; « Ce qui a compté le plus dans ma vie, c’est l’amitié. J’ai été mal servi au niveau de ma famille. J’ai plus de chance dans l’amitié qu’ailleurs. C’est une constante dans ma vie. » (Loren Ringer, entendu à Rennes en 2004) ; « Je crois en assez peu de choses dans la vie, mais l’amitié en fait partie. » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 68) ; « Les amis restent le point central de votre équilibre. Sans eux, je n’aurais jamais pu faire face. Nombreux sont mes amis, qui me conseillent de le quitter. Beaucoup sauf un qui, samedi dernier encore, me rappelait qu’il était plus ou moins dans la même situation. Il vit avec un garçon qu’il aime et ne peut concevoir de s’en séparer. De mon côté, même s’il y a des chances que Snooze me trompe au sens propre comme au figuré, je ne peux m’empêcher de l’aimer, de le protéger, d’être présent. L’amour ne se contrôle pas. » (cf. l’article « Loup y es-tu ? » sur Le Blog de Chondre du 25 juillet 2011) ; « J’aimerais bien être votre ami. » (le journaliste homo s’adressant à Bertrand Bonello dans le docu-fiction « Le Dos rouge » (2015) d’Antoine Barraud) ; etc.

 

C’est la raison pour laquelle l’amitié est autant chantée dans les fictions homosexuelles : cf. je vous renvoie à la partie « la bande de copains gay » du code « Milieu homosexuel paradisiaque », ainsi qu’à la revue homophile L’Amitié (publiée en 1924).

 

Certaines personnes homosexuelles en arrivent même à avouer cyniquement qu’ils se sentent plus elles-mêmes avec leurs amis qu’aux bras de leur copain ! « Pendant toute une nouvelle période, je courus de nouveau les aventures, cherchant surtout à oublier et à me faire oublier. Beaucoup de mes amis m’avaient quitté pour se marier. Je courais m’amuser à la moindre fête, aux expositions de peinture, aux surprise-parties et, partout, je cherchais des amis. » (Jean-Luc, homme homosexuel de 27 ans, dans l’essai Histoire et anthologie de l’homosexualité (1970) de Jean-Louis Chardans, p. 108)

 

Même si elles n’en ont pas conscience, beaucoup de personnes homosexuelles aspirent profondément à une amitié homophile désintéressée, et souffrent de la confondre avec un couple que leurs pulsions soi-disant leur imposeraient : « De mon côté mon cheminement humain est spirituel m’a amené sur un chemin tel que je ne savais plus comment partager mon vécu ni entretenir une relation amicale. Je me suis remis en question sur beaucoup de choses tout en approfondissant des sujets sur lesquels je cherchais des réponses, j’ai vécu des expériences et fait des rencontres qui m’ont amené à mieux me connaître. J’ai renoué depuis fin 2013 avec la socialisation homosexuelle car j’ai besoin de passer par là pour mon développement personnel. Je sais que le chemin que je suis est opposé au tien mais vu ta maturité je me disais que peut-être tu pourrais m’aider à y voir plus clair, si tu ne penses pas être capable de m’aider. Je te fais un résumé de ce que je vis (mais je préviens c’est long : je suis tourmenté) Voilà il y a 9 mois j’ai rencontré un gars avec qui je suis en couple depuis officiellement 7 mois. (J’en ai 27 et lui 34 bientôt). Le courant est vite passé entre nous deux mais sortant d’une rupture je lui ai dit dès le début que j’étais pas le genre de mec à être fait pour être en couple. J’aime ma liberté (plus au niveau du développement personnel et le sexe c’est occasionnel je drague et couche peu mais je dis pas non à des plaisirs occasionnels mais c’est pas ma priorité dans la vie). J’aime surtout les relations d’amitiés intimes avec beaucoup et éventuellement du sexe parfois si y’a un feeling plus profond mais chacun reste libre et indépendant. Le souci est que je pensais qu’en étant honnête dès le début il saurait à quoi s’en tenir ainsi il sait dans quoi il s’engage. Mais j’ai l’impression d’avoir été piégé car il ne comprenait pas et creusait constamment en me demandant ce que ça signifiait pour moi être en couple. Je pensais être clair mais il ne pigeait jamais (comme si ses sentiments l’empêchait de comprendre) et me faisait croire qu’il y avait moyen d’être en couple et libre. Étant donné qu’il est un homme bien, je me suis laissé aller, je me suis attaché à lui tout en gardant des distances mais il trouvait toujours un moyen de me faire comprendre qu’on était ensemble et prenait mal le fait que je dise qu’après 2 mois on n’était pas un couple. C’était seulement y’a 7 mois que j’ai accepté l’idée qu’on formait un couple (il m’a quand même mis au pied du mur sachant que j’avais des sentiments forts envers lui malgré mon indépendance). Quand il s’est senti rassuré, j’ai senti que je ne pouvais plus faire marche arrière, mes sentiments me piégeaient. À côté de ça, j’ai remarqué que parfois il me mettait à l’écart quand on était avec d’autres amis et me vantait ses plans culs et flirtait parfois avec d’autres sous mon nez, ce qui me blessait (le genre de réaction que j’ai après m’être attaché alors que j’aurais pas réagi ainsi si j’avais été émotionnellement indépendant tout en aimant fort la personne). Quand je lui en parlais, à chaque fois il réalisait (après des longues discussions) qu’il comprenait ma réaction et qu’il aurait dû faire attention et s’excusait. Mais la blessure était là. Je lui disais qu’il était libre mais devait mieux s’organiser pour que, quand on passe du temps ensemble, tout le monde profite (socialement ou sexuellement) et s’il a besoin de faire des trucs dans un contexte où j’ai pas ma place, qu’il m’invite pas. De mon côté c’est ce que j’ai toujours pensé être normal d’avoir sa liberté mais de ne pas tout mélanger. Mais pour lui, il faut tout partager. À côté de ça, y’a des petites remarques de sa part qui me blessent au niveau des valeurs, mes habitudes, mon look. Ça paraît banal mais j’ai l’impression qu’il me juge pour que je sois comme lui le veut et je me dis parfois « pourquoi il se case pas avec quelqu’un qui corresponde à ses critères? ». Mais voilà mes sentiments me rendent prisonnier je suis de plus en plus accro à lui (il m’aime profondément) au fil des mois même si au fond je sais qu’il faut mettre plus de distances. Mes sentiments me bloquent. Depuis deux semaines j’ai recommencé à prendre plus d’indépendance relationnelle avec des amis en me disant que ça m’aiderait à être indépendant affectivement ainsi je pourrais l’aimer mieux. Moi ce que je souhaite, c’est revenir à la case départ de notre relation en lui proposant une relation d’amitié amoureuse intime sans être en couple car ça lui permettrait d’être plus libre sans que je sois parfois blessé ; et moi je serais plus libre sans qu’il soit blessé (pour moi un couple ça bloque nos besoins et notre développement personnel car ça ferme les opportunités) tout en continuant d’être ensemble. Mais j’ai peur de relancer le sujet, je crains qu’il ne comprenne toujours pas et qu’il dise ou fasse des choses qui m’amènent à m’attacher de nouveau à lui et du coup je serais à nouveau prisonnier. Je me sentirais moins libre et plus dépendant de lui. Il m’avoue avoir beaucoup souffert d’abandon plus jeune donc il a besoin d’être rassuré en ayant un petit ami dans sa vie avec qui il peut être (trop) souvent ensemble. J’ai constaté qu’il s’attache vite, il est très intelligent mais trop perfectionniste et assez à cheval sur beaucoup de règles. D’un côté il aime la fantaisie semble être ouvert puis en même temps il donne l’impression d’être trop coincé et rigide. Il s’attarde trop sur des détails et à tendance à trop materner les gens à qui il s’attache. Ça m’oppresse parfois. Le fait qu’il aime rendre service est honorable mais y’a des moments où il s’inquiète trop et j’ai l’impression qu’il veut m’infantiliser moi qui ai réussi à travailler sur moi-même pour m’affirmer sur certains points. À côté de ça, c’est un homme adorable et généreux que je respecte beaucoup, je ne veux pas le blesser ni l’éjecter de ma vie car en général on s’entend bien mais on est quand assez différent. Je veux qu’on continue ensemble mais en vivant la relation différemment c’est tout. Je me pose des questions sur mes mouvements émotifs, ma façon de communiquer pour me faire comprendre et son aptitude. Comment gérer tout ça pour que personne en souffre et qu’on continue chacun en étant heureux ensemble tout en étant indépendant et libre? Je suis perdu… Voilà si tu as des conseils à me mettre en détail par écris ça m’aiderait comme ça en relisant plusieurs fois je peux réfléchir et trouver une façon de lui formuler les choses car je sais ce que j’ai à faire mais c’est difficile de lui faire comprendre. Merci d’avance. » (Robin, 27 ans, dans un mail d’août 2014)
 

On touche là au paradoxe de ce qu’on pourrait nommer « la solitude à deux ». Beaucoup de personnes homosexuelles « casées » ont l’impression d’être encore plus seules en couple qu’à la période où elles étaient officiellement célibataires, comme si la structure du couple homosexuel les avait isolées encore davantage que leur célibat : « Si je me penche sur la réalité de ma vie affective et sexuelle, elle était beaucoup moins rose. Idem pour ma solitude. » (Denis Daniel, Mon théâtre à corps perdu (2006), p. 78) ; « J’ai passé toute ma vie seule. » (la Reine Christine, pseudo « lesbienne », dans le docu-fiction « Christine de Suède : une reine libre » (2013) de Wilfried Hauke) ; « Au fond, tu n’as eu à aucun moment l’idée de la solitude amoureuse que tu m’imposais… » (Abdellah Taïa s’adressant à Slimane son « ex », dans son autobiographie Une Mélancolie arabe (2008), p. 121) ; « Quand nous étions ensemble, Martine et moi, nous étions seules. Nous avions essayé de nous tenir chaud, de nous réconforter l’une à l’autre, mais la solitude était toujours là et ce n’était pas la vie. Martine et moi étions deux vieux garçons misogynes, mais à qui était-ce la faute ? » (Paula Dumont, La Vie dure : Éducation sentimentale d’une lesbienne (2010), p. 134) ; « C’est dur pour moi : je suis un affectif et la solitude me pèse…et puis les années sont là malgré tout. En 2 ans, je n’ai jamais réussi à construire une relation d’amour. Que de tentatives, d’espoirs vains, d’illusions et de désillusions ! et ce soir je vais rentrer seul… En fait, je n’aime pas aller au Cargo. L’ambiance festive me plaît et parler ‘homo’ m’est utile, mais le côté pathétique des homos me déprime. Je me sens totalement en décalage, perdu dans tout ça, noyé dans cette souffrance sous-jacente. J’ai juste envie de bonheur, de rire, de plaisir partagé, de douceur. Je connais trop la solitude, et même quand j’étais en couple je vivais seul. Parfois c’était pire qu’aujourd’hui. » (cf. mail qu’un ami quarantenaire angevin m’a envoyé en 2002) ; « Le fait de me retrouver seule [après 25 ans avec Margo] me confirma que j’avais été seule tout ce temps dans cette relation. » (Rilene, femme lesbienne, dans le documentaire « Desire Of The Everlasting Hills » (2014) de Paul Check) ; etc.

 

Beaucoup de personnes homosexuelles (surtout celles en couple homo), étant donné qu’elles refusent de choisir (pour un temps et librement) le célibat, finissent par le subir, et oscillent donc entre deux trains de vie : celui du libertin et celui du vieux gars célibataire. Jour/Nuit/Jour/Nuit (cf. je vous renvoie au code « Homosexuels psychorigides » de mon Dictionnaire des Codes homosexuels) : « Ma condition était l’archétype voulue d’une vie de femme, mes propos et mes réactions, ceux d’une fille vivant seule. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 130) ; « Tout se passe comme si, dans le village, les femmes faisaient des enfants pour devenir des femmes, sinon elles n’en ont pas vraiment. Elles sont considérées comme des lesbiennes, des frigides. Les autres femmes s’interrogent à la sortie de l’école ‘L’autre elle a toujours pas fait de gosses à son âge, c’est qu’elle est pas normale. Ça doit être une gouinasse. Ou une frigide, une mal-baisée.’ Plus tard je comprendrai que, ailleurs, une femme accomplie est une femme qui s’occupe d’elle, d’elle-même, de sa carrière, qui ne fait pas d’enfants trop vite, trop jeune. Elle a même parfois le droit d’être lesbienne le temps de l’adolescence, pas trop longtemps mais quelques semaines, quelques jours, simplement pour s’amuser. » (Eddy Bellegueule dans le roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule (2014) d’Édouard Louis, pp. 59-60) ; « Comme tu dis si bien je suis un Tanguy. Oui, le Tanguy en évolution, qui en souffre beaucoup et qui est aussi beaucoup répandu chez les homosexuels. J’ai eu 3 ans de chômage, et ça va faire 3 mois que j’ai repris un boulot de merde qui m’épuise psychiquement et physiquement. Je bosse pour Citroën en tant que larbin de manutention, chauffeur livreur et magasinier, pour un SMIC qui ne me donne pas envie de poursuivre. D’ailleurs, mon contrat va se transformer en CDI, mais j’en suis tellement dégoûté que je me dis qu’il faut que j’arrête, mais d’un autre côté je me dis qu’il faut que je prenne mon envol, Mais comment être motivé de prendre son envol quand aucune perspective de futur n’est envisageable à mon stade et savoir si je vais pouvoir continuer dans ce boulot… ? » (cf. le mail d’un ami homo, Pierre-Adrien, 30 ans, reçu en juin 2014) ; etc.

 

Pour régler ce problème de la solitude perdue, que le duo homosexuel ne résoudra jamais (et ce n’est même pas de la faute des personnes qui composent le couple : c’est dû à la structure conjugale homosexuelle en elle-même), il arrive souvent qu’un au moins des deux partenaires aille « voir ailleurs ». Son infidélité est le signe de son refus d’être unique, et de son expérience d’un incompréhensible et pourtant véritable isolement dans son couple.

 

Vidéo-clip de la chanson "Lonely Lisa" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Lonely Lisa » de Mylène Farmer

 
 

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Code n°165 – Super-héros (sous-codes : Aventurier / « Personne n’est parfait »)

Super-héros

Super-héros

 

NOTICE EXPLICATIVE :

Le monde des supers-héros et la fantasmagorie de l’homosexualité ont ensemble de fortes connivences. Et quand on connaît la nature du désir homosexuel, un élan éloigné du Réel, encourageant à se prendre pour un objet ou pour Dieu afin de cacher un gros complexe d’infériorité, une panne d’identité, voire un viol, on ne sera pas surpris outre mesure…

 
 

N.B. : Je vous renvoie également aux codes « Se prendre pour Dieu », « « Plus que naturel » », « Adeptes des pratiques SM », « Frère, fils, amant, maître, Dieu », « Mère Teresa », « Dilettante homo », « Araignée », « Bovarysme », « Don Juan », « Poupées », « Fan de feuilletons », « Télévore et cinévore », à la partie « Rebelle » du code « Faux révolutionnaires », à la partie « Catwoman » du code « Femme-Araignée », à la partie « Jeux vidéo » du code « Jeu » et la partie « Dessins animés » du code « Conteur homo », dans le Dictionnaire des Codes homosexuels.

 
 

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FICTION

 

a) Le personnage homosexuel rêve de devenir un super-héros :

Film "Pourquoi pas moi?" de Stéphane Giusti

Film « Pourquoi pas moi? » de Stéphane Giusti


 

Dans les fictions homo-érotiques, les supers-héros occupent une très grande place : cf. le film « Supertapette » (2002) de Kurt Koehler, le vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « L’Âme-stram-gram » de Mylène Farmer, le vidéo-clip de la chanson « Us Against The World » du groupe Play, le vidéo-clip de la chanson « Music » de Madonna, le film « La Grande Zorro » (1981) de Peter Medak, la B.D La Verdadera Historia Del Superguerrero Del Antifaz, La Superpura Condesita Y El Super Ali Kan (1971) de Nazario, le film « Captain Orgazmo » (1997) de Trey Parker, le film « Meteorango Kid, Heroi Intergaláctico » (1969) d’Andrés Luis de Oliveira, le film « Le Fabuleux Destin de Perrine Martin » (2002) d’Olivier Ciappa (qui est une parodie du « Fabuleux Destin d’Amélie Poulain », mais dans sa version ratée), le film « Hollywood Vixens » (1970) de Russ Meyer (avec Wonder Woman et Tarzan), la chanson « L’Aventurier » du groupe Indochine (qui laisse une grande place à Bob Morane), la chanson « Superwoman » d’Anne-Laure (la chanteuse lesbienne déclarée de la Star Academy 2), la pièce Jeffrey (2007) de Paul Rudnick (avec Wonder Woman), le film « PuPu No Monogatari » (1998) de Kensaku Watanabe, la pièce Nietzsche, Wagner, et autres cruautés (2008) de Gilles Tourman, le film « X-Men » (2000) de Bryan Singer (avec le personnage de Véga), le vidéo-clip de la chanson « Sobreviveré » de Mónica Naranjo (avec l’apparition de Batman), la comédie musicale Fame (2008) de David de Silva, la pièce Cannibales (2008) de Ronan Chéneau (avec Spiderman), les films « Lady Robinhood » (1925) de Ralph Ince et « Señorita » (1927) de Clarence G. Badger (avec Zorro), le film « Zorro » (1974) de Duccio Tessari, le film « Pink Narcissus » (1971) de James Bidgood, le film « Flesh Gordon » (1972) de Michael Benveniste et Howard Ziehm, le film « Tigerstreifenbaby Warter Auf Tarzan » (1998) de Rudolf Thome, le film « Robocop » (1987) de Paul Verhoeven, le film « All Stars » (1997) de Jean Van de Velde, la photo de Patrick Sarfati (p. 194) dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, le dessin de saint Sébastien (2001) de Thom Seck, le dessin Scène de partouze (1965) d’Étienne, la chanson « James Bond et moi » de Zazie, la chanson « Extraterrestre » de Philippe Katherine et Arielle Dombasle, le film « AAPJMW » (2009) de Antoine + Manuel, la pièce DDM (des Drôles de Mecs) (2009) de Tristan Petitgirard, la pièce Et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust (2009) de Renaud Cojo, le film « Superheroes » (2007) d’Alan Brown, le film « Los Abrazos Rotos » (« Étreintes brisées », 2009) de Pedro Almodóvar, le film « Pourquoi pas moi ? » (1998) de Stéphane Giusti (avec Camille, l’héroïne lesbienne, fan de la « Guerre des étoiles »), le film « Les Héros sont immortels » (1990) d’Alain Guiraudie, le vidéo-clip de la chanson « It’s OK To Be Gay » de Tomboy, le roman Carnaval (2014) de Manuel Blanc (avec des déguisements comme Batman), le film « Les Métamorphoses » (2014) de Christophe Honoré, le film « Les Crevettes pailletées » (2019) de Cédric le Gallo et Maxime Govare (avec la chanson « Holding out for a hero » de Bonnie Tyler), le film « My Wonder Woman » (2018) d’Angela Robinson, etc.

 

B.D. "Barbarella"

B.D. « Barbarella »


 

Le héros homosexuel révèle dans un premier temps son goût pour les objets et le plastique : « Après la guerre, comme vous, je devins ingénieur chimiste, et me spécialisai, comme vous, dans les matières plastiques et le caoutchouc. » (Bob à son amant Félix dans le roman La Synthèse du camphre (2010) d’Arthur Dreyfus, p. 222) Par exemple, dans le film « Masala Mama » (2010) de Michael Kam, le jeune fils d’un pauvre chiffonnier aspire à devenir dessinateur de comics ; d’ailleurs, il vole une B.D. de supers-héros dans une épicerie indienne. Dans le film « Un Año Sin Amor » (2005) d’Anahi Berneni, Pablo se compare à ses figurines de supers-héros en plastique, et teste justement les limites de son propre corps dans le milieu SM, comme s’il vivait dans l’illusion d’être inoxydable. Dans la pièce Ça s’en va et ça revient (2011) de Pierre Cabanis, Hugo, le héros homosexuel, est fan de bandes dessinées et de dessins animés (les Simpsons, Toy Story, etc.) ; ce trentenaire pantouflard a une chambre ressemblant à une salle de jeux enfantine, remplie de peluches et de statuettes de Superman, Batman ; et il est surnommé « Super Nouf-Nouf » par l’un de ses amis. Dans la pièce Carla Forever (2012) de Samira Afaifal et Yannick Schiavone, Kévin, le héros homo, porte un tee-shirt avec Batman et Robin dessus. Dans le sketch sur la salle de sport dans son one-man-show Sensiblement viril (2019), l’humoriste Alex Ramirès décrit ses sensations quand il découvre son prof de muscu : « Le prof de muscu, c’est Captain America. Tu veux son corps… dans tous les sens du terme. »

 

Le fantasme du super-héros s’origine parfois dans un amour parental disproportionné. Par exemple, dans la pièce Le Fils du comique (2013) de Pierre Palmade, Isabelle compte appeler son futur fils « Superman » et veut pour lui « le meilleur », la « réussite », la « perfection »… et non le bonheur. Dans le film « Praia Do Futuro » (2014) de Karim Aïnouz, Ayrton surnomme son grand frère (homosexuel et secouriste en mer) Donato « Aquaman » et lui attribue « des supers pouvoirs ». Ce dernier finit par le croire.

 

SUPER Wonder Woman

Wonder Woman, icône de Pink TV


 

Il est fréquent de voir le personnage gay ou lesbien se prendre vraiment pour un super-héros : « À un moment donné, elle [l’héroïne lesbienne] avait beaucoup aimé qu’on lui fit la lecture ; elle aimait surtout les livres qui parlaient des héros ; mais à présent, de telles histoires stimulaient tellement son ambition qu’elle désirait intensément les vivre. Elle, Stephen, désirait maintenant être Guillaume Tell, ou Nelson, ou la charge de Balaklava tout entière. » (Marguerite Radclyffe Hall, The Well Of Loneliness, Le Puits de solitude (1928), p. 28) ; « Je suis Batman. » (Oscar dans le film « Un de trop » (1999) de Damon Santostefano) ; « J’ai des supers pouvoirs. » (Léo, le héros homosexuel aveugle se mettant en suspension sur sa chaise, dans le film « Hoje Eu Quero Voltar Sozinho », « Au premier regard » (2014) de Daniel Ribeiro) ; « J’aurais voulu être Superman pour l’éclater. » (Kévin, le héros homosexuel parlant de son père, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, p. 422) ; « Ça a commencé toute petite. Quand j’étais petite je ne voulais surtout pas être actrice. Je voulais être dieu. Je voulais être une super-héroïne. Une sorte de comics… une sorte de rêve éveillé pour vous, une sorte de muse, d’enchantement pour vos yeux… Ce soir, je suis dieu. » (Lise, dans la pièce La Fesse cachée (2011) de Jérémy Patinier) ; « Je suis Super-Pédé. En fait, j’ai des pouvoirs magiques. J’ai un radar à pédés. » (Rodolphe Sand dans son one-man-show Tout en finesse, 2014) ; « On avait fait les super-héros. » (Sarah, Charlène et leur cercle d’amis préparant une soirée thématique, dans le film « Respire » (2014) de Mélanie Laurent) ; « Maintenant, je suis invincible ! Si j’avais de supers pouvoirs, je partirai rejoindre Kanojo. » (Suki, l’héroïne lesbienne s’étant aspergée de spray anti-moustiques, dans la pièce Gothic Lolitas (2014) de Delphine Thelliez) ; etc. Dans la pièce L’un dans l’autre (2015) de François Bondu et Thomas Angelvy, Thomas, cherchant à découvrir quel est le personnage qui est marqué sur son post-it, demande à son amant François : « Est-ce que je suis un super-héros ? ». Dans le film « Ma Vie avec John F. Donovan » (2019) de Xavier Dolan, John, le héros homosexuel, va jouer le rôle d’un super héros dans une série B.

 

Par exemple, dans la pièce Fixing Frank (2011) de Kenneth Hanes, Jonathan, le copain de Frank, arrive avec un tee-shirt « Super-Gay », et se compare à Superman : « C’est pour ça qu’on m’appelle Super-Pédé. » Dans le one-man-show Pareil… mais en mieux (2010) d’Arnaud Ducret, John Breakdown, le chorégraphe homosexuel, veut jouer le grand jeu : « Hicham ! Mon costume [de Superman] ! » Dans son one-man-show Tout en finesse (2014) de Rodolphe Sand, le jeune Alexandre joue déjà à la majorette avec sa cape de Zorro.

 

 

Dans la pièce La Mort vous remercie d’avoir choisi sa compagnie (2010) de Philippe Cassand, Éric, le héros homosexuel, se déguise en Zorro pour défiler à la Gay Pride. Dans le film « Papy fait de la résistance » (1982) de Jean-Marie Poiré, Guy-Hubert, le coiffeur super efféminé, est, dans sa double vie, le justicier « Super Résistant ». Dans le film « Kick-Ass » (2009) de Matthew Vaughn, la présomption d’homosexualité tombe comme par hasard sur Dave dès qu’il s’habille en super-héros et commence à passer dans les médias en déguisement de Vengeur Masqué : « On dirait un travelo ! » se moque sarcastiquement le présentateur télé. Dans le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, le héros, Fusion Man ( = Marc), est précisément homosexuel ; au moment où son copain Daniel – déguisé en Batman pour lui faire une surprise – lui a préparé chez eux un petit dîner en amoureux, il est obligé de partir en mission de sauvetage d’un garçon suicidaire steward qu’un Méchant – particulièrement efféminé – encourage à se jeter du haut d’un immeuble. Dans la pièce Le Gang des Potiches (2010) de Karine Dubernet, les trois héroïnes (dont l’une est ouvertement lesbienne) se déguisent respectivement en Wonder Woman, Lara Croft, et Catwoman, pour organiser leur hold-up. Dès les premières répliques du film « L’Homme de sa vie » (2006) de Zabou Breitman, Frédéric, le héros qui va se découvrir homosexuel, dit à son jeune fils déguisé en super-Héros et cherchant à le réveiller en lui « tirant dessus » avec son pistolet laser : « Je suis invincible, inoxydable. » Dans la série Queer as Folk version américaine, Michael Novotny, le meilleur ami gay de Brian, est un fan absolu de super-héros. Il finit même par ouvrir un magasin qui vend des comics. D’ailleurs il est amoureux de son meilleur ami et le considère un peu comme un super héros.

 

SUPER rainbow

Antoine Helbert


 

Parfois, le super-héros devient même l’amant homosexuel. « Soyons Bioman ! » (Sentou dans la pièce Vu duo c’est différent (2008) de Garnier et Sentou) ; « On est Batman et Robin… mais nous sommes Batman ensemble tous les deux. » (Zook séduisant Jenko, dans le film « 22 Jump Street » (2014) de Phil Lord et Christopher Miller) ; « Fais de mon image un Super-héros. » (Olivier s’adressant à son jeune futur Mathan dans la pièce Un Cœur en herbe (2010) de Christophe et Stéphane Botti) ; « Tu es Laurel et moi Hardy. Tu es Batman et moi Robyn. Tu es Tom et moi Jerry. » (Karma s’adressant à sa copine Amy, dans la série Faking It (2014) de Dana Min Goodman et Julia Wolov, l’épisode 1 « Couple d’amies » de la saison 1) ; « On dirait Superman. » (Tom, le héros homosexuel, s’adressant à Dick quand il enlève ses lunettes, dans le film « The Talented Mister Ripley », « Le Talentueux M. Ripley » (1999) d’Anthony Minghella) ; etc. Par exemple, dans le roman Pire des mondes (2004) d’Ann Scott, le protagoniste dit sa fascination pour les supers-héros, et notamment Spiderman, l’homme-araignée : « Une bête aussi microscopique capable de stratégie, ça force le respect, non ? » (p. 85) Dans le film « Kilómetro Cero » (2000) de Juan Luís Iborra et Yolanda García Serrano, l’amant est comparé à Superman. Dans la pièce Soixante degrés (2016) de Jean Franco et Jérôme Paza, Rémi et Damien se rencontrent dans une laverie. Quand Rémi dit qu’il doit venir tous les jours pour laver son costume, Damien commence à se faire des films : « Ton costume ? T’es Super-Héros ? »

 

Dans le film « Deadpool 2 » (2018) de David Leitch, où l’homosexualité se trouve à tous les carrefours : Le héros, Wade (« Deadpool »), présenté comme hétérosexuel, tripote pourtant (accidentellement ?) le cul de son ami Colossus, se voit porté un peu plus tard par lui comme une mariée dans ses bras. Leurs rapprochements corporels sont tellement équivoques que même Vanessa, la compagne officielle de Wade, demeurant dans l’Au-delà, lui conseille ironiquement « de ne pas coucher avec Colossus » (« Don’t Fuck Colossus »). Il n’y a pas que le super-héros principal de ce Marveil Film qui est concerné par une homosexualité latente : on retrouve aussi le personnage de Weasel (le jeune Indien hyper-sensible qui s’identifie à l’actrice Kirsten Dunst : Wade lui caresse d’ailleurs langoureusement les cheveux pendant que Weasel conduit son taxi), le personnage de Cable (d’abord ennemi de Wade, puis qui finalement vire sa cuti et fait carrément sa déclaration à Wade : « Tu me rappelles ma femme. » ; c’est tellement le grand amour entre eux qu’il le traite de « beau gosse »), le personnage de Negasonic Teenage Warhead (la baby Butch garçon manqué, officiellement en « couple » avec une autre super-héroïne, sa copine asiatique Yukio : Wade renchérit en les félicitant toutes les deux « Vous formez un très joli couple. »). En clair, on a vraiment l’impression que tout le monde est bisexuel dans ce film pourtant ouvertement hétérosexuel et destiné à un public beauf hétéro. Les références homosexuelles prédominent dans les dialogues : par exemple, Wade se fait le chantre de toutes les transgressions qui heurtent la morale, à commencer par la transgression de la différence des sexes (il déclare à plusieurs reprises que « Les règles sont là pour qu’on les viole ») ; à un autre moment, il se targue de « maîtriser les câlins » ; enfin, il mentionne le site de rencontres homosexuelles Grindr comme corollaire à Tinder, deux applis que Cable consulterait. Concernant cette fois l’équipe du film, les scénaristes – en particulier Rhett Reese – ne brillent pas par leur masculinité. C’est plutôt voix haut perchée et gestuelle très maniérée. Je ne me lancerai pas dans des spéculations hasardeuses. Mais je n’en pense pas moins. Ils avouent eux-mêmes leurs sympathies LGBT et qu’ils ont tenu à inclure dans « Deadpool 2 » des clins d’œil ouvertement gays.
 

Le super-héros est l’incarnation de l’hétérosexuel, de l’hyper-masculinité et de l’hyper-féminité confondus, donc du fantasme sexuel et identitaire n°1 des personnages homosexuels.

 

SUPER Androgyne

 

« Et moi, c’était Mister Monde, mon péché original ! » (Fifi dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Tarzan fut élu maire par son évidente notoriété. » (Copi, Un Livre blanc, 2002, p. 96) ; « Vous êtes un héros. » (Sidney Miller s’adressant à George, le héros homosexuel, pour le féliciter de son spectacle, dans le film « L’Objet de mon affection » (1998) de Nicholas Hytner) ; etc. Dans le roman Les Nouveaux nouveaux Mystères de Paris (2011) de Cécile Vargaftig, Frédérique, grâce à une machine à remonter le temps, fait à un moment donné la rencontre de Fantômette.

 

La force du Super-héros, c’est qu’il donne à croire au héros homosexuel ou transgenre qu’il lui permettra d’avoir le puissance de transgresser et de pulvériser la différence des sexes. Par exemple, dans le one-woman-show Mâle Matériau (2014) d’Isabelle Côte Willems, lorsque la narratrice transgenre F to M se travestit, elle met une musique « parodique » de dessin animé de Super-héros avec une voix robotique signalant « Métamorphose ! » (la comédienne porte d’ailleurs un marcel de Goldorak).
 

Cependant, le personnage homosexuel, face à sa propre humanité ou à celle de son amant, finit par revoir à la baisse ses illusions d’être un héros aux multiples pouvoirs, par se trouver nul, et par juger l’amour homosexuel décevant. « Si encore je ressemblais à Wonder Woman… Hélas, je suis plus proche d’E.T. » (Marcy, l’héroïne lesbienne, dans la pièce Un Mariage follement gai ! (2008) de Thierry Dgim) ; « J’ai même rêvé d’être Superman !!!! … Bon, j’ai très vite déchanté en me comparant aux autres dans les douches du club de judo… » (Jarry dans le one-man-show Entre fous émois (2008) de Gilles Tourman) ; « Si j’étais un super-héros, si j’étais fort, si j’étais beau, je ferais tant de choses. Je répandrais le bien. Hélas, je n’en suis pas un. » (cf. la chanson « Optimiste » de Stéphane Corbin) ; « Tu as lu trop de Fantômette, ma pauvre Bathilde. » (Amande à Bathilde, dans le roman L’Hystéricon (2010) de Christophe Bigot, p. 310) ; « Je ne suis pas un de tes supers-méchants de tes B.D. Je n’ai pas le pouvoir dont tu parles. » (le père à son fils homo Danny, dans le film « Judas Kiss » (2011) de J.T. Tepnapa et Carlos Pedraza) ; etc.

 

B.D. What A Wonderful World (2014) de Zep (planche : "Le Sexualité compliquée des Super-héros")

B.D. What A Wonderful World (2014) de Zep (planche : « Le Sexualité compliquée des Super-héros »)


 

Par exemple, dans le roman Le Cœur éclaté (1989) de Michel Tremblay, Dan veut que son amant Gerry, avec qui il vit depuis une vingtaine d’années, « comprenne une fois pour toute qu’il n’est pas Superman » (p. 237). Dans le film « Pourquoi pas moi ? » (1998) de Stéphane Giusti, la figurine de Big Jim que Nico, le héros gay, tripote, est maltraitée et démembrée par son amie lesbienne Camille (« Tiens, la gouine, tu vas voir, ce qu’elle va te faire, la gouine ! »).

 

L’identité du super-héros que les personnages homosexuels endossent est parfois tout simplement le masque cachant le viol qu’ils ont vécu. Par exemple, dans le film « Sils Maria » (2014) d’Olivier Assayas, Maria va voir au cinéma un film dans lequel Jo-Ann, sa jeune et future partenaire de théâtre avec qui elle jouera un couple lesbien, interprète une super-héroïne aux pouvoirs destructeurs (cette héroïne aurait d’ailleurs été violée par Sargone, et ses pouvoirs s’origineraient donc dans ce fait). À la fin de « Sils Maria », Maria se voit proposer elle aussi un rôle de « mutante », « une sorte d’hybride » de l’Espace qui « aurait tous les âges », par un jeune réalisateur bobo. Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, parodie le dessin animé Les Maîtres de l’UniversPar le pouvoir du Crâne Ancestral ! ») pour se moquer d’un passager qui veut le voir ranger une grosse valise bien lourde dans les soutes à sa place.

 
Deadpool
 

Le costume du super-héros que les héros homosexuels mettent cache parfois aussi le viol qu’ils s’apprêtent à faire. Je vous renvoie par exemple à la nouvelle vague bobo des Super-Zéros que j’ai décrite dans mon livre Les Bobos en Vérité, où le personnage va être capable de trouver sa dissidence dans un pastiche raté (et parfois homosexualisé) du Super-Héros traditionnel, quitte à ce que ce ratage autoparodique soit réellement violent, méchant, homophobe (pour désacraliser le kitsch paillette du lycra), sur le mode de « Deadpool » (2016) de Ted Miller, « Kick-Ass » (2010) de Matthew Vaughn ou « Zoolander 2 » (2016) de Ben Stiller : allez lire mon article ici. Il y a largement de quoi s’inquiéter.
 
 

b) Personne n’est parfait :

La prétention à se vouloir super-héros se décline parfois en laconique aveu d’impuissance (= « Personne n’est parfait ») qui se fait passer pour humble mais qui en réalité n’est qu’une confirmation de l’excès d’orgueil (« Je ne vois pas pourquoi je changerais et ferais des efforts puisque je ne peux pas être Dieu ; l’ambition est systématiquement prétention… ») : cf. la chanson « Nobody’s Perfect » de Madonna, le film « Personne n’est parfait » (1993) de Robert Kaylor, le film « Personne n’est parfait(e) » (1999) de Joel Schumacher, le film « Personne n’est parfait » (1981) de Pasquale Festa Campanile, le film « Torch Song Trilogy » (1989) de Paul Bogart (avec la chanson d’entrée), la chanson « On n’est pas tous les jours sublime » dans la comédie musicale Sand et les Romantiques de Catherine Lara, la chanson « La Prétention de rien » de Pascal Obispo, la pièce Personne n’est parfait(e) (2015) d’Hortense Divetain, etc. « Tu sais, Liz, y a rien de parfait, y a rien de nul. Rien. Quelque chose de totalement parfait, ça a quelque chose de nul, non ? Et quelque chose de nul, ça a pas quelque chose de parfait ? » (Willie dans le roman La Meilleure part des hommes (2008) de Tristan Garcia, p. 98) ; « Je ne suis pas le Superman viril que tu attendais !! » (Gabriele, le héros homo, violentant son amie Antonietta qui souhaitait « se faire sauter sur la terrasse » de l’immeuble, dans le film « Una Giornata Particolare », « Une Journée particulière » (1977) d’Ettore Scola) ; « Je ne suis pas un warrior. J’écoute Céline Dion. » (Jérémy Lorca dans son one-man-show Bon à marier, 2015) ; « Désolé. Ma vie est compliquée. Chuis pas un héros. » (Victor, le héros homosexuel, dans le téléfilm Fiertés (2018) de Philippe Faucon, diffusé sur Arte en mai 2018) ; « Victor n’est pas parfait. Personne n’est parfait. » (Charles parlant de son fils homo, idem) ; « On est parfaites, quoi ? » (Morgane, homme trans M to F, ironiquement) « Exactement ! » (Sandrine, son amante, dans l’épisode 414 de la série Demain Nous Appartient diffusé le 6 mars 2019 sur TF1) ; etc. Dans le film « Certains l’aiment chaud » (1959) de Billy Wilder, lorsque Jerry, travesti en Daphnée, essaie de faire comprendre à Osgood que leur mariage est impossible (« Vous ne comprenez pas, Osgood : je suis un homme. ») en retirant sa perruque devant lui, ce dernier répond d’un air coquin mais inclusif : « Personne n’est parfait. » Bref, son amant ne semble voir aucun inconvénient à passer de femme à homme. La Gay Pride de Genève (Suisse) du 25 juin 1994 choisit pour slogan « Personne n’est parfait ».

 
 

c) Le personnage homosexuel est surnommé ou se surnomme « l’Aventurier » :

Il arrive que le personnage homosexuel, dans ses élans mégalomanes, se définisse comme un aventurier. Je vous renvoie au roman Portrait de l’Aventurier (1950) de Roger Stéphane, à la chanson « Toc de mac » d’Alizée (« Tu es venu en tutu, des idées de grande aventure »), au film « Adventure » (« L’Aventure », 1945) de Victor Fleming, au film « The Adventures Of Priscilla, Queen Of The Desert » (« Priscilla folle du désert », 1994) de Stephen Elliott, au film « Les Anges du péché » (1943) de Robert Bresson, au film « Lucky Luke » (2009) de James Huth (avec Calamity Jane), le film « Les Derniers Aventuriers » (1969) de Lewis Gilbert (avec les lesbiennes auto-stoppeuses agressives et obsédées par la propreté), le film « À l’aventure » (2009) de Jean-Claude Brisseau, le film « Les Incroyables Aventures de Fusion Man » (2009) de David Halphen, etc.

 

Par exemple, dans le roman Si tu avais été… (2009) d’Alexis Hayden et Angel of Ys, Kévin dit à son amant Bryan qu’ils sont en train de vivre « une aventure extraordinaire » (p. 107). Dans le one-man-show Au sol et en vol (2014) de Jean-Philippe Janssens, Jeanfi, le steward homo, dit qu’il a « un métier formidable pour vivre des aventures ».

 

Dans le roman La Cité des Rats (1979) de Copi, le mot « aventure » est répété deux fois page 149. Et l’adjectif « aventurier » équivaut presque à « homosexuel » : le fils de Rakä et Gouri, les deux pères rats, est leur enfant « par l’esprit » ; et Rakä prédit que « ce sera un garçon aventurier » (p. 150).

 

Mais ne nous y trompons pas. Quand le héros homosexuel parle d’aventure, en général, c’est dans un sens peu noble. La grande Aventure existentielle, collective, et humaine est remplacée par la simple liaison sexuelle furtive et égoïste : « La vie n’est pas un roman, ni sous les tropiques. Le goût de l’aventure me conduit dans les bains turcs de Mexico. » (Christopher Donner, Ma Vie tropicale, premier chapitre, 1999) ; « C’est bien fini, tout ça. Les aventures. Les garçons. » (Vincent, le héros homosexuel, dans la pièce Un Tango en bord de mer (2014) de Philippe Besson) ; « L’aventurier solitaire, Bob Morane est le roi de la Terre. » (cf. la chanson « L’Aventurier » du groupe Indochine) ; « Papa… Kevin et moi, on a une aventure. » (Kavanagh imaginant qu’il annonce à son père son homosexualité sans la lui annoncer vraiment, dans le one-man-show Anthony Kavanagh fait son coming out (2010) d’Anthony Kavanagh) ; « Mon aventure, qui est-ce ? » (cf. la chanson de Tonia, le transsexuel M to F, dans le film « Morrer Como Um Homen », « Mourir comme un homme » (2009) de João Pedro Rodrigues) ; « J’ai un esprit aventurier et je suis encore assez jeune pour l’aventure ! » (la Vache sacrée dans la pièce La Pyramide ! (1975) de Copi) ; « J’ai maintenant l’imagerie nomade et le fantasme aventureux. » (Vincent Garbo dans le roman éponyme (2010) de Quentin Lamotta, p. 9) ; « Je suis une aventure. » (le héros bisexuel du film « OSS 117 : Rio ne répond plus » (2009) de Michel Hazanavicius) ; « T’as toujours aimé l’aventure, les sensations fortes. » (Arnaud à Mario dans la pièce Quand mon cœur bat, je veux que tu l’entendes… (2009) d’Alberto Lombardo) ; « L’aventure, y’a qu’ça de vrai ! » (Nana dans le one-woman-show Nana vend la mèche (2009) de Frédérique Quelven) ; « Plus à l’aise maintenant, elle allait à l’aventure, s’approchant insensiblement de mes endroits secrets. » (Alexandra, la narratrice lesbienne, par rapport à une de ses bonnes, dans le roman Les Carnets d’Alexandra (2010) de Dominique Simon, p. 98) ; « Je travaillerais beaucoup plus parce que je ne voudrais pas la décevoir. Je ne pensais à rien d’autre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sinon à avoir des aventures. » (Anamika, l’héroïne lesbienne parlant de sa prof Mrs Pillai, dans le roman Babyji (2005) d’Abha Dawesar, p. 226) ; « J’ai besoin d’une aventure ! » (Ninette s’adressant à son amante Rachel, dans la pièce Three Little Affairs (2010) d’Adeline Piketty) ; « Voici la vie de pédé ! Étranglé et presque noyé pour mille misérables francs quand je ne faisais que chercher l’extase de l’aventure ! » (Pédé dans la pièce Les Escaliers du Sacré-Cœur (1986) de Copi) ; « Notre dernière aventure, Elvire, à toi et à moi ! » (idem) ; « Je me dis souvent que ce n’est pas en restant écrasé dans le fauteuil rouge à écouter Leonie Rysanek chanter la ‘Chanson du saule’ que je risque de trouver l’âme sœur. Il y a bien le parc Lafontaine pour faire exulter le corps, mais ça ne reste que des attouchements impersonnels qui n’ont rien à voir avec quelque sentiment que ce soit. Mais je ne me décide pas à faire le grand saut, à partir à l’aventure ou, du moins, à la recherche de mes semblables, je me contente de sublimer depuis déjà trop longtemps, j’en suis parfaitement conscient et je n’y peux rien. » (le narrateur parlant de l’opéra La Bohème de Puccini dans le roman La Nuit des princes charmants (1995) de Michel Tremblay, p. 19) ; « Je choisissais les plus beaux et vivais une intense aventure de dix secondes avec chacun. » (le narrateur homo évoquant le jeu des regards à l’opéra, idem, p. 44) ; « J’ai décidé de vous amener à l’aventure ! » (Simon, le héros homo, s’adressant à ses amis, dans le film « Love, Simon » (2017) de Greg Berlanti) ; etc.

 

Dans le film « Children Of God » (« Enfants de Dieu », 2011) de Kareem J. Mortimer, quand Romeo propose à Johnny une expédition dans l’île (« On pourrait partir en exploration… »), clairement, ce dernier comprend le sous-texte sexuel de son invitation. Dans la pièce Un Lit pour trois (2010) d’Ivan Tournel et Mylène Chaouat, Catherine, l’héroïne lesbienne, suggère les « aventures » amoureuses quand elle parle de voyager. Dans le film « Que Viva Eisenstein ! » (2015) de Peter Greenaway, Hunger attribue au cinéaste homosexuel Eisenstein un « comportement puéril », « une longue aventure irresponsable ». Et en effet, Eisenstein enchaîne les frasques sexuelles au Mexique.

 

Sinon, question véritable Aventure, le personnage homosexuel a tout de la mauviette peureuse : « Je n’ai pas cet esprit d’aventure, je ne suis qu’une folle coincée. » (François dans le roman Riches, cruels et fardés (2002) d’Hervé Claude, p. 142) Dans la comédie musicale Encore un tour de pédalos (2011) d’Alain Marcel, un des quatre héros homosexuels raconte qu’il a grandi dans des draps de soie, entourés de « sa dînette, ses Barbies, ses héros ».

 
 

FRONTIÈRE À FRANCHIR AVEC PRÉCAUTION

 

PARFOIS RÉALITÉ

 

La fiction peut renvoyer à une certaine réalité, même si ce n’est pas automatique :

 
 

a) Certaines personnes homosexuelles rêvent de devenir des super-héros :

On voit très souvent que derrière le mythe du super-héros se cache l’énigme du désir homosexuel. « la perspective homosexuelle se développe très tôt chez des enfants égocentriques. L’homosexualité apparaît comme une tentative manquée pour compenser un sentiment d’infériorité. L’homosexualité est la recherche d’un triomphe fictif. » (Philippe Simonnot dans son essai Le Rose et le Brun (2015), p. 200) Par exemple, le directeur de Change.org en Espagne, Francisco Polo, raconte qu’il s’est identifié dans son adolescence aux super-héros pour surmonter les harcèlements scolaires. Le documentaire « La Domination masculine » (2009) de Patric Jean démarre précisément dans les rayons jouets d’un supermarché, avec les panoplies de super-héros, et notamment celles de Batman. Et en me baladant à l’exposition « Des Jouets et des Hommes » (2011) au Grand Palais de Paris, j’ai vu les multiples corrélations entre le monde de l’homme-objet et l’homosexualité, par exemple en regardant les installations audiovisuelles de Pierre Sorin.

 

Certaines personnes homosexuelles ont affirmé de leur vivant être réellement fascinées par la plastique du corps masculin ou féminin : Walter Pater, Michel Ange, Yukio Mishima, César Lácar, Juan Fersero, Francis Bacon (adepte des statues égyptiennes), et bon nombre d’hommes gay qui passent leur temps dans les salles de musculation. L’univers du mannequina, de la sculpture, de la coiffure et de la danse, renvoyant au mythe de Pygmalion et au goût des statues, est particulièrement investi par les sujets homosexuels. L’association homosexuelle parisienne Les Mecs en Caoutchouc réunit les fans de latex et de caoutchouc célébrant le corps parfait des super-héros plastifiés. Le dimanche 8 juin 2008, justement, a eu lieu à Madrid le 6e Festival « Infinita 2008 » qui mettait à l’honneur les super-Héros et le monde des comics. Ce genre de rassemblements queer ne sont absolument pas rares, et attire une forte population homosexuelle : « Une des plus célèbres soirées latex de Londres s’appelle la Rubber ball : jeu de mots qui signifie à la fois ‘bal du latex’ et ‘couilles en caoutchouc’. 2000 personnes y communient dans l’amour des tenues lubrifiées d’homme-grenouille. La Wasteland, à Amsterdam, réunit 4000 adeptes des fourreaux luisants. En Australie, certaines soirées rassemblent jusqu’à 7000 rubber victims qui portent leur seconde peau. » (Agnès Giard, Le Sexe bizarre (2004), p. 43)

 

Vidéo-clip de la chanson "Dégénération" de Mylène Farmer

Vidéo-clip de la chanson « Dégénération » de Mylène Farmer


 

Le monde des supers-héros a beaucoup stimulé – et continue d’inspirer – l’imaginaire de nombreux individus homosexuels. Par exemple, en 1960-1962, Andy Warhol réalise ses premières peintures à l’épiscope, inspirées par la B.D. et par les réclames publicitaires : Dick Tracy, Nancy, Superman, Dr. Scholl, TV$99. Les deux sculptrices Ange et Damnation créent des héroïnes telles que Zorrote, Napoléone, des anges féminins noirs. Quant à N’Krumah Lawson Daku, il prend ses modèles en photo en leur faisant porter un masque de Zorro. À l’émission radiophonique homosexuelle Homo Micro, sur Radio Paris Plurielle (106.3 FM), une partie de l’équipe entourant Brahim Naït-Balk a monté en 2010 une série hebdomadaire (séquences de quelques minutes, incluant les chroniqueurs dans un rôle fantastique) qui s’intitule BiHomoMan, reprenant à son compte le titre de la série sentai japonaise Bioman. Alan Scott, alias Green Lantern, est le super-héros ouvertement gay de DC Comics.

 

green-lantern-B.D

 

Certaines personnes homosexuelles ont clairement désiré dans leur cœur être des supers-héros. Je pense par exemple à David Bowie (transformé en Ziggy Stardust), à Michael Jackson (devenu un homme élastique), à Mylène Farmer (volant dans les airs), etc. Dans l’émission Dans les yeux d’Olivier, « Les Femmes entre elles » d’Olivier Delacroix et Mathieu Duboscq (diffusée sur France 2, le 12 avril 2011), quand on demande à la comédienne Océane Rose-Marie pourquoi elle s’est choisie comme nom de scène « la lesbienne invisible », elle répond : « Y’avait un côté super-héros pour le titre du spectacle. »

 

 

Les supers-héros sont utilisés comme icônes homosexuelles. Par exemple, lors de sa création en 2004, la chaîne de télévision Pink TV a comme par hasard plébiscité comme ambassadrice Wonder Woman. Les sœurs de la série Charmed, les actrices comme Jane Fonda (Barbarella), Lindsay Wagner (Super Jaimie), Angelina Jolie (Lara Croft), Elizabeth Montgomery (Ma Sorcière bien-aimée), ou Sarah Michelle Gellar (Buffy contre les vampires), sont de forts modèles d’identification chez le public gay. Dans une émission Bas les Masques (1992) de Mireille Dumas, consacrée à l’homosexualité, Éric affirme avoir été marqué dans son adolescence par le personnage de Tarzan. Dans son autobiographie La Mauvaise Vie (2005), Frédéric Mitterrand parle de sa fascination pour Bob Morane (p. 43).

 

 

Certaines personnes homosexuelles avouent sans honte leur idolâtrie : « On se demande pourquoi on a souvent tendance à oublier les héros de notre enfance tels que Robin des Bois, Spock et l’incontournable Superman auxquels on voulait ressembler, que ce soit pour leur physique ou leur témérité. Alors assumons, messieurs ! » (cf. l’article « Megging, Messieurs ! » de Monique Neubourg dans la revue Sensitif, n°44, mars 2010, p. 54) ; « Gamin, j’étais abonné à X-Men et je regardais tous les péplums à la télé. » (Férid cité dans la revue Têtu, n°130, février 2008, p. 106) ; « Un héros d’une pureté absolue, voilà ce que Louis II voudrait être. » (cf. le documentaire « Louis II de Bavière : la mort du Roi » (2004) de Ray Müller et Matthias Unterburg) ; « Désormais, je m’identifierais toujours au héros masculin quand je lirais des histoires ou quand j’irais au cinéma. » (Paula Dumont à l’âge de 7 ans, dans son autobiographie Mauvais Genre (2009), p. 64) ; « Je suis un fervent adepte de tous ces dessins animés japonais qui mettent en scène un super-héros aux prises avec un nombre incalculable de méchants plus cruels les uns que les autres. Je m’imagine que je suis moi aussi doté de pouvoirs extraordinaires et que ma mission consiste à sauver le monde d’une destruction certaine, programmée par des forces occultes. Rien que ça ! » (Alexandre Delmar, Prélude à une vie heureuse (2004), p. 13) ; « Mes premières héroïnes étaient Catwoman – môme, je la dessinais brandissant son fouet –, Fantômette, Super Jaimie et Wonder Woman. Les ancêtres de Xena, quoi. » (le réalisateur Julien Magnat, dans la revue Têtu, n°69, juillet/août 2002, p. 20) Pour ma part, très jeune, j’ai été fortement impressionné par Wonder Woman, Super Jaimie, She-Ra, Fantômette, les Drôles de Dames : je me mettais dans la peau de ces femmes aériennes.

 

Le super-héros est l’incarnation de l’hétérosexuel, de l’hyper-masculinité, donc du fantasme sexuel et identitaire n°1 des personnes homosexuelles. Dans leur essai Le Cinéma français et l’Homosexualité (2008), par un beau jeu de mots avec l’héroïsme, Anne Delabre et Didier Roth-Bettoni nous parlent justement des « beaux (hét)héros » (p. 48) La fascination pour le surhomme-objet va jusqu’à la projection amoureuse : certains sujets homosexuels transfèrent sur la poupée dynamique leurs propres émotions, leur humanité (qu’ils croient perdue ou qu’ils désirent perdre), et parfois même partent à la recherche d’un amoureux qui sera le clone de leur Superman cinématographique ou de leur Wonder Women : « Je cherche Mister Perfection. » (Brüno dans le reportage « Brüno » (2009) de Larry Charles)

 

B.D. "Batman et Robyn"

B.D. « Batman et Robyn »


 

Le super-héros condense, grâce au cinéma d’animation et aux images en 3D, la perfection corporelle avec le sentiment : les avatars s’agitant sur nos écrans semblent réels et pourvus d’empathie. Ils catalysent tout type de sentiments, de désirs humains, d’orientations sexuelles. Et le paradoxe, c’est que plus les super-héros s’hétérosexualisent et se sur-sexualisent, plus ils s’homosexualisent : Lara Croft a tout de la lesbienne qui a perdu sa douceur féminine ; Xena la Guerrière est l’icône lesbienne par excellence ; Zachary Quinto, l’acteur qui a joué dans la série Heroes et dans le film Star Trek (2007) de J. J. Abrams, a fait son coming out le 18 octobre 2011. On trouve également de nombreux croisements entre Batman et l’homosexualité. Par exemple, le chanteur Rostam Batmanglij (du groupe Vampire Weekend) est gay… et son nom de scène parle de lui-même ! La B.D. homo-érotique Batman (1939) de Bob Kane et Bill Finger a été censurée en temps de maccarthysme aux États-Unis au nom de ses nombreuses références à l’homosexualité (le clown de Batman est parfois habillé en grande folle ; on a prêté à la collaboration entre Batman et Robin une ambiguïté homosexuelle). Et pour ce qui est du groupe des Village People, il est également précurseur des supers-héros version gay, puisque chacun des chanteurs a choisi de représenter un des archétypes de survirilité sociale les plus courus.

 

SUPER DDM

 

La passion homosexuelle pour les supers-héros dit un désir de grandeur (et de sainteté) frustré et mal comblé : en effet, beaucoup de personnes homosexuelles rêveraient d’être reconnues pour leur grandeur d’âme et leur originalité, mais comme elles refusent le bon Maître, un Dieu pauvre et faible nommé Jésus, et qu’elles préfèrent se tourner vers une idole de pacotille appelée Monsieur Muscle, elles se retrouvent à prononcer dans le silence de leur cœur un pathétique cri (« Force Rose !!! ») qui ne les pousse pas à croire en elles, ni aux autres, ni en la beauté des actions d’amour.

 

Par exemple, dans le one-man-show Jefferey Jordan s’affole (2015) de Jefferey Jordan, le héros homosexuel commence son spectacle en disant qu’il était Superman et qu’il s’est transformé en nabot homosexuel : « L’homme du futur, plus fort et plus résistant, s’est transformé en nain efféminé. » Le comédien tourne en dérision sa petite taille, et dit qu’il aurait aimé être grand, blond aux yeux bleus : « 1m66, ça fait marrer. »
 

SUPER Powers Rangers

 

Je crois qu’au fond, la recherche de divinité à travers l’identification à l’Homme-objet omnipotent cache un refus de se reconnaître fragile, réel, un désir de mourir (car une idole, c’est bien mort et inerte… même si l’acteur qui lui a prêté son corps et surtout son visage est bien vivant), et même parfois un viol. Certains individus homosexuels ont été pris pour des objets (survalorisés ou dévalorisés par leurs consommateurs), et tentent de recoller les morceaux du mythe amoureux qu’ils ont incarné. Ce n’est pas sans raison que dans son essai Ça arrive aussi aux garçons (1997), Michel Dorais appelle chez le garçon abusé sexuellement dans son adolescence la recherche d’un partenaire masculin plus âgé que lui « le syndrome de Batman et Robin » (pp. 232-234) : « Le duo Batman et Robin est le prototype de la relation idéale que cherchent à établir, plus ou moins inconsciemment, nombre de garçons agressés. […] Environ le tiers des répondants à cette enquête furent un temps des émules de Batman et Robin. »

 
 

b) Personne n’est parfait :

Vidéo-clip de la chanson "Music" de Madonna

Vidéo-clip de la chanson « Music » de Madonna


 

Chez la majorité des personnes homosexuelles, la prétention à se vouloir super-héros se décline parfois en laconique aveu d’impuissance (« Personne n’est parfait ») qui se fait passer pour humble mais qui en réalité n’est qu’une confirmation de l’excès d’orgueil (« Je ne vois pas pourquoi je changerais et ferais des efforts puisque je ne peux pas être Dieu ») : « La perfection n’existe pas. » (Patrick Loiseau dans l’émission Vie privée, Vie publique (2007) de Mireille Dumas) ; « Personne n’est parfait. » (Christine Angot, Quitter la ville (2000), p. 189).
 

Déborah, intersexe


 

Par exemple, la tombe de Hans Blüher (homosexuel) porte encore aujourd’hui le monogramme chrétien « Nobody is perfect ». Dans le documentaire « Ni d’Ève ni d’Adam : une histoire intersexe » de Floriane Devigne diffusé dans l’émission Infrarouge sur la chaîne France 2 le 16 octobre 2018, Déborah, personne intersexe, se photographie devant un écriteau « I’m not perfect but I’m limited edition. ». Or, comme le disait de son vivant Mère Teresa, nous ne devons jamais cesser de tendre à la perfection. C’est ce désir qui nous rend humble, et le refus du chemin de perfection qui nous rend prétentieux et tristes. Car il faut beaucoup d’humilité pour continuer à s’orienter vers la Vérité et la perfection en sachant qu’on sera forcément toujours en dessous et qu’on n’y arrivera pas par nos propres forces, sans être aidés des autres et de Dieu.

 

Autobiographie Personne n'est parfait, maman! de Thomas Sayofet

Autobiographie Personne n’est parfait, maman! de Thomas Sayofet


 

L’autoparodie défaitiste participe de l’alimentation de sa croyance à se croire parfait : « Bien sûr, nous, nous n’aurons pas de défauts. » (Christophe en boutade, parlant du patrimoine génétique que lui et de son compagnon Bruno donnerait à « leur » enfant par GPA, dans le documentaire « Deux hommes et un couffin » de l’émission 13h15 le dimanche diffusé sur la chaîne France 2 le dimanche 26 juillet 2015)
 

Lady Gaga

Lady Gaga


 
 

c) L’aventure est plus envisagée en tant qu’expérience sexuelle et fantasmatique que comme une action réelle :

Certains individus homosexuels se présentent/sont présentés comme de grands aventuriers : cf. l’article « Annemarie Schwarzenbach, aventurière et amoureuse des femmes » de Béatrice Catanese dans le revue Têtu du lundi 15 août 2011, le documentaire « Orchids, My Intersex Adventure » (2011) de Phoebe Hart, etc. « Montherlant a, dans ses écrits comme dans sa vie, choisi l’aventure en tant que vocation spirituelle. » (Susan Sontag, « Héros de notre temps l’anthropologue », L’Œuvre parle (1968), p. 101) ; « Vendredi 20 décembre 1918. [À une soirée au club] J’ai été accaparé par un jeune homme élégant au visage de garçon gracieux et un peu fou, blond, beau type d’Allemand, plutôt fragile, qui m’a rappelé Requadt, et dont la vue m’a sans aucun doute fait une impression telle que je ne l’avais plus constatée depuis longtemps. Était-il simplement en tant qu’invité au club, ou vais-je le revoir ? Je m’avoue de bon gré que cela pourrait devenir une aventure. » ; « Samedi 21 décembre 1918. […] Je voudrais, plein d’esprit d’aventure, revoir le jeune homme d’hier. – Neige. Le soir, gel. » (Thomas Mann, cité dans Le Rose et le Brun (2015) de Philippe Simonnot, p. 121) ; « J’aime l’aventure, l’ambition. J’aime commander. Et les femmes soumises. » (Maïté, femme lesbienne, dans le documentaire « Les Homophiles » (1971) de Rudolph Menthonnex et Jean-Pierre Goretta) ; « Je suis une aventurière, moi ! » (Maëva, femme lesbienne de 23 ans, dans l’émission de speed-dating de la chaîne M6, Et si on se rencontrait ?) ; etc.

 

Par exemple, dans l’introduction de l’autobiographie Parce que c’était lui (2005), on nous décrit Roger Stéphane comme un « aventurier existentiellement solitaire, même s’il ne vivait qu’à travers le monde » (p. 28). Le poète français Arthur Rimbaud est transformé par la légende en « aventurier insaisissable » (cf. l’article « Arthur Rimbaud » de Laure Murat, dans le Dictionnaire des Cultures gays et lesbiennes (2003) de Didier Éribon, p. 404). Dans la revue Têtu du 15 août 2011, on décerne également à Annemarie Schwarzenbach le titre d’« aventurière et amoureuse des femmes ».

 

SUPER Arielle

 

Je n’idéaliserais pas autant le tableau… Il y a certainement méprise dans les termes : en valeur, l’aventure sexuelle n’équivaut pas à l’aventure aimante et humaine, même si c’est le même mot (« aventure ») qui les rapproche. Les esprits libertaires vantent les mérites de l’« aventure du sexe »… mais celle-ci ne requiert ni notre courage, ni notre liberté, ni notre volonté d’engagement, mais plutôt notre lâcheté, nos errances, notre consumérisme, notre égoïsme, notre abandon à la luxure, aux pulsions, au plaisir des sens. Par exemple, dans la revue Triangul’Ère 1 (1999) de Christophe Gendron, quand l’essayiste lesbienne Geneviève Pastre propose au sein du couple homosexuel « d’être l’aventurier de son corps et de son esprit, et de pratiquer une exploration réciproque » (p. 73), elle situe majoritairement « l’aventure » sur un plan sensoriel, sensuel, génital, narcissique, productiviste, mécaniste, rentable. Ici, l’aventure est au corps ce que le capitalisme est au marché : elle vise au bien-être (comptable !) de l’individu plus qu’au bien commun. On retrouve cette logique mercantile dans la bouche de beaucoup de penseurs homosexuels employant le mot « aventure » ou l’adjectif « aventurier » : « Burroughs est l’un des écrivains américains les plus importants de la génération d’après-guerre. Drogué et aventurier, il a tout essayé. » (Lionel Povert, Dictionnaire gay (1994), p. 104) ; « Après les petites annonces et les saunas, j’ai fini par m’aventurer dans le quartier gay de Paris, le Marais, toujours dans l’espoir de LA rencontre. J’ai vite déchanté. » (Brahim Naït-Balk, Un Homo dans la cité (2009), p. 48) ; « Son activité de metteur en scène ne le retenait pas dans sa vie d’aventurier. Il était toujours prêt à des rencontres douteuses. » (Alfredo Arias parlant de Coco, le travesti M to F, dans son autobiographie Folies-Fantômes (1997), p. 24) ; « Je me suis mis à marcher derrière Bruno comme quand on suit aveuglément l’amour, pour trouver au comptoir un centimètre carré disponible. Lumières paralysantes, la musique hurlait pour couvrir la rumeur générale qui s’amplifiait alors que, les bières se vidaient. Hommes enlacés, bouche à bouche, sexe à sexe, ils se déchaînaient pour un soir en libérant toutes leurs pulsions, le temps de vivre leurs désirs. Les plus âgés, relativement plus calmes, ‘des aventuriers de l’âge perdu’, comme les appelait Bruno, qualification qui me déplaisait fortement, lorgnaient sans doute vers le passé déchu qui s’écoulait à la vitesse des perfusions. Tandis que je m’insurgeais contre cette discrimination, Bruno m’expliquera plus tard que, attirance physique oblige, le fossé des générations dans le milieu a plus qu’un sens, il a un corps. » (Berthrand Nguyen Matoko, Le Flamant noir (2004), p. 133) ; « Les rencontres sexuelles fortuites qu’on appelle ‘aventuras’ prennent fatalement un côté sentimental. » (Copi à Paris en août 1984, cité dans la biographie Copi (1990) du frère de Copi, Jorge Damonte, p. 89) ; « Je me retrouvai [en 1957], à l’âge de 16 ans, débarrassé des uns et des autres dans l’immense ville de Buenos Aires. Ayant appris quelques finesses de petit parisien, je me dédiai beaucoup à l’aventure sentimentale et au voyeurisme social. » (Copi à Paris en août 1984) ; etc. L’« aventure » en question est plutôt, en réalité, une absence d’Aventure.

 
 

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